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9C_484/2021 (f) du 11.05.2022 – Valeur probante d’une enquête économique sur le ménage – Troubles d’ordre psychique

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_484/2021 (f) du 11.05.2022

 

Consultable ici

 

Obligation de l’assureur social d’enregistrer de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants / 46 LPGA

Valeur probante d’une enquête économique sur le ménage afin d’estimer les empêchements que l’assuré rencontre dans ses activités habituelles en raison de troubles d’ordre psychique / 4 LAI – 7 LPGA – 8 LPGA – 28a LAI – 16 LPGA

Adaptation de la notion de travaux habituels intervenue au 01.01.2018 / ch. 3087 CIIAI

 

Assurée, mariée et mère de sept enfants (nés entre 1977 et 1989), ressortissante suisse domiciliée en France, a déposé une demande AI le 02.03.2009. Celle-ci a été rejetée par l’office AI, dont la décision du 13.12.2013 a été confirmée sur recours successifs par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_387/2017 du 30 octobre 2017).

En octobre 2014, l’assurée a présenté une nouvelle demande de prestations. Entre autres mesures d’instruction, l’administration a sollicité des renseignements médicaux et diligenté une enquête économique sur le ménage (rapport du 03.11.2018). Elle a reconnu le droit de l’assurée à trois quarts de rente d’invalidité du 01.04.2015 au 30.06.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt C-1211/2019 – consultable ici)

Après avoir constaté que les parties ne contestaient ni le statut mixte de personne active à 60% et de ménagère à 40% reconnu à l’assurée par l’office AI, ni qu’elle avait présenté une incapacité totale de travail dans toute activité lucrative dès février 2014, le Tribunal administratif fédéral a circonscrit l’objet du litige à l’évaluation de l’invalidité de l’assurée dans la sphère ménagère. En se fondant sur le rapport d’enquête économique sur le ménage du 03.11.2018, auquel il a accordé une pleine valeur probante, il a déterminé le taux d’empêchement dans les travaux habituels à 14%, à l’instar de l’office AI. Au vu du taux d’invalidité total présenté par l’assurée (66%; soit 60% d’invalidité professionnelle [100% x 60 / 100] et 6% d’invalidité ménagère [14% x 40% / 100]), le TAF a confirmé la décision administrative litigieuse.

Par jugement du 04.08.2021, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 2
Les constatations de la juridiction de première instance sur l’atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée et l’exigibilité – pour autant qu’elles ne soient pas fondées sur l’expérience générale de la vie – relèvent d’une question de fait et ne peuvent donc être contrôlées par le Tribunal fédéral que sous un angle restreint (ATF 132 V 393 consid. 3.2). Il en va de même de la constatation d’un empêchement pour les différents postes constituant l’activité ménagère (arrêt 9C_108/2021 du 1er septembre 2021 consid. 3 et les références). On rappellera également qu’il n’y a pas arbitraire du seul fait qu’une solution autre que celle de l’autorité cantonale semble concevable, voire préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 141 I 70 consid. 2.2).

Consid. 5.2
L’obligation de l’assureur social d’enregistrer de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants (art. 46 LPGA), qui constitue le pendant du droit de consulter le dossier et de produire des preuves (découlant des art. 29 al. 2 Cst. et 47 LPGA), tend à garantir l’exhaustivité des pièces produites et établies dans le cadre de la procédure (ATF 138 V 218 consid. 8.1.2 et les arrêts cités). Le fait que l’assureur n’a pas classé toutes les pièces déterminantes de manière cohérente dans l’ordre chronologique ne suffit cependant généralement pas pour conclure qu’il n’aurait pas respecté son obligation de tenir le dossier. Dans un tel cas, il ne suffit pas de critiquer de manière générale une gestion des documents perfectible; la personne assurée doit bien plutôt expliquer précisément en quoi la chronologie manquante par endroits ou le décalage entre les numéros des pièces aurait concrètement rendu impossible une consultation efficace du dossier et constituerait une violation de son droit d’être entendue (cf. arrêt 9C_413/2013 du 18 décembre 2013 consid. 2.2; voir aussi ATF 138 V 218 précité consid. 8.1 et 8.2).

Or en l’espèce, en ce qu’elle se limite à indiquer qu’elle a dû « parcourir l’intégralité des 1017 pages de son dossier, pour retrouver les bons documents » et à déduire de la différence dans la numérotation des documents « la possibilité qu’elle n’ait pas connaissance de l’ensemble des documents du dossier », l’assurée n’établit pas concrètement que son droit d’être entendue aurait été violé. Elle n’allègue en particulier pas que l’une des pièces versées au dossier dans le cadre de l’instruction de sa nouvelle demande de prestations et figurant dans la liste établie par le Tribunal administratif fédéral ne lui aurait pas été transmise par l’office AI. Elle ne prétend pas non plus n’avoir pas compris les motifs de l’arrêt attaqué ou n’avoir pas retrouvé les pièces sur lesquelles s’est fondée la juridiction inférieure. Le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 6.2.1
Contrairement à ce que soutient d’abord l’assurée, le Tribunal administratif fédéral n’a pas violé l’art. 61 LPGA en ne sollicitant pas des renseignements auprès de ses médecins traitants quant à l’incidence de son affection psychique, ainsi que de l’intervention chirurgicale et du traitement de chimiothérapie, sur sa capacité ménagère, après la réalisation de l’enquête économique sur le ménage en novembre 2018. En ce qui concerne l’incapacité d’accomplir les travaux habituels en raison d’une atteinte à la santé, on rappellera, à la suite de la juridiction de première instance, qu’une enquête économique sur le ménage effectuée au domicile de l’assuré (cf. art. 69 al. 2 RAI) constitue en règle générale une base appropriée et suffisante pour évaluer les empêchements dans ce domaine. Même si, compte tenu de sa nature, l’enquête économique sur le ménage est en premier lieu un moyen approprié pour évaluer l’étendue d’empêchements dus à des limitations physiques, elle garde cependant valeur probante lorsqu’il s’agit d’estimer les empêchements que l’assuré rencontre dans ses activités habituelles en raison de troubles d’ordre psychique. Toutefois, en présence de tels troubles, et en cas de divergences entre les résultats de l’enquête économique sur le ménage et les constatations d’ordre médical relatives à la capacité d’accomplir les travaux habituels, celles-ci ont, en règle générale, plus de poids que l’enquête à domicile. Une telle priorité de principe est justifiée par le fait qu’il est souvent difficile pour la personne chargée de l’enquête à domicile de reconnaître et d’apprécier l’ampleur de l’atteinte psychique et les empêchements en résultant (arrêt 9C_39/2021 du 6 décembre 2021 consid. 3.2 et les références).

Or les juges du TAF ont dûment exposé les raisons pour lesquelles ils ont considéré que la question de la nécessité d’avoir l’avis d’un médecin psychiatre en plus de l’enquête ménagère pouvait en l’occurrence demeurer ouverte. Ils ont en effet constaté que l’assurée avait sollicité et obtenu la possibilité de produire des pièces à cet égard au cours de la procédure judiciaire, ce que l’intéressée ne conteste pas. Ils ont également apprécié de manière convaincante les rapports des médecins traitants que l’assurée avait alors versés à la procédure et considéré qu’ils ne faisaient pas état d’éléments médicaux objectivables différents de ceux retenus par le SMR ou l’enquêtrice ou qu’ils ne remplissaient pas les réquisits jurisprudentiels en la matière pour se voir accorder pleine valeur probante. A cet égard, selon les propres déclarations de l’assurée – réitérées en instance fédérale -, il s’agissait en effet essentiellement d’un questionnaire qu’elle avait rempli et soumis à son psychiatre traitant, qui avait contresigné le document.

C’est en vain que l’assurée se prévaut à ce propos d’un établissement incomplet des faits, en reprochant aux juges du TAF de ne pas avoir résumé le contenu de ce document, dès lors déjà que le psychiatre impliqué a seulement « validé les réponses fournies par sa patiente », pour reprendre les termes de l’intéressée, en y apposant sa signature et sans faire de propres constatations (document non daté, signé par elle et le docteur B.__). Quant à l’avis du docteur C.__, qui remplaçait le médecin généraliste, les juges du TAF ont constaté à juste titre qu’il n’était pas motivé. Le médecin s’était en effet contenté de répondre à un questionnaire en indiquant « impossible », « très difficile » ou « avec beaucoup de difficultés » à chaque question qui lui était posée par l’assurée en lien avec ses aptitudes à accomplir une activité ménagère. Par ailleurs, si l’assurée a également produit un avis de son psychiatre traitant, dans lequel il faisait état de la persistance de la symptomatologie dépressive associée à des manifestations anxieuses et attestait un état de santé resté fragile, le médecin ne s’est toutefois pas prononcé au sujet de la capacité de sa patiente à accomplir les travaux habituels.

Consid. 6.2.2
L’assurée ne peut pas non plus être suivie lorsqu’elle allègue que l’enquêtrice n’aurait pas tenu compte de ses limitations fonctionnelles et qu’elle ne l’aurait pas interrogée sur l’évolution de son état de santé entre 2014 et 2018. A la suite des juges du TAF, on constate que l’enquêtrice a mentionné le diagnostic d’épisode dépressif sévère dans la liste non exhaustive des principaux diagnostics et qu’elle a notamment fait état des douleurs que l’assurée ressentait dans les articulations en raison du traitement contre le cancer en relation avec l’entretien du logement. Elle s’est également renseignée au sujet de l’évolution de son état de santé puisqu’elle lui a demandé, pour chaque domaine d’activité, quels étaient les travaux habituels qu’elle était en mesure d’accomplir avant et après la survenance de l’atteinte à la santé en février 2014.

Quant à l’affirmation de l’assurée selon laquelle l’enquêtrice aurait pris en compte « à double titre » l’aide exigible de sa fille pour l’activité consistant à faire les courses, elle n’est pas davantage fondée. S’agissant des achats et courses diverses, on constate que l’enquêtrice a retenu un empêchement de 30% en raison, d’une part, du fait que depuis l’atteinte à la santé, l’assurée faisait les courses avec sa fille car elle n’aimait pas sortir seule et faisait des crises d’angoisse et, d’autre part, qu’elle ne prenait et portait que ce qui était léger, son fils achetant tout ce qui était lourd; dans ce contexte, l’enquêtrice a par ailleurs indiqué une aide exigible des membres de la famille de 30%. L’aide exigible des membres de la famille, à savoir celle de l’époux, ainsi que de la fille et du fils de l’assurée vivant sous le même toit, à hauteur de 28% au total, n’a pas été additionnée à l’aide exigible de 30% prise en compte pour les achats et courses diverses. Le Tribunal administratif fédéral a en effet dûment considéré que l’enquêtrice avait retenu un empêchement pondéré total sans exigibilité de 42% et un empêchement pondéré total avec exigibilité de 14%, compte tenu de l’aide exigible des membres de la famille à hauteur de 28% (soit 42% d’empêchement pondéré sans exigibilité – 14% d’empêchement pondéré avec exigibilité = 28% d’aide exigible des membres de la famille).

Consid. 6.2.3
En définitive, l’argumentation de l’assurée n’est pas suffisante pour mettre en évidence en quoi le Tribunal administratif fédéral aurait établi les faits de manière incomplète ou aurait procédé de manière arbitraire à une appréciation anticipée des preuves (à ce sujet, voir ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

Consid. 6.3
Enfin, les griefs de l’assurée tirés de la violation du principe de l’égalité de traitement, de la non-rétroactivité du droit et des art. 28a LAI et 69 al. 2 RAI, en ce que l’enquêtrice a évalué les empêchements qu’elle présentait dans l’accomplissement des travaux habituels en se fondant sur le tableau établi par l’OFAS dans sa version applicable dès le 01.01.2018 (comprenant désormais cinq domaines d’activités usuelles, soit l’alimentation, l’entretien du logement ou de la maison et la garde des animaux domestiques, les achats et courses diverses, la lessive et l’entretien des vêtements, ainsi que les soins et l’assistance aux enfants et aux proches; cf. ch. 3087 de la la Circulaire de l’OFAS sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI], dans sa teneur modifiée au 01.01.2018), ne sont pas davantage fondés.

L’adaptation de la notion de travaux habituels intervenue au 01.01.2018, dont l’objectif était de mettre plus clairement l’accent sur la notion d’invalidité propre à ouvrir le droit à une prestation spécifique, en concentrant l’examen sur les activités de base de chaque ménage, s’est traduite par le retrait des activités artistiques et d’utilité publique de la liste des activités usuelles accomplies par les personnes non invalides qui s’occupent du ménage (OFAS, Modification du règlement du 17 janvier 1961 sur l’assurance-invalidité [RAI] – Evaluation de l’invalidité pour les assurés exerçant une activité lucrative à temps partiel [méthode mixte] [Adaptations concernant l’application de la méthode mixte après l’arrêt 7186/09 du 2 février 2016 de la Cour européenne des droits de l’homme], Modification prévue pour le 01.01.2018, p. 13). Quoi qu’en dise l’assurée, en ce qu’elle se limite à affirmer qu’elle présentait des « empêchements importants dans les tâches qui ont disparu du tableau en 2018 », elle n’établit pas, pas plus qu’elle ne l’allègue, qu’elle accomplissait des activités artistiques et d’utilité publique avant la survenance de l’atteinte à la santé. Elle n’explique de plus pas en quoi le droit constitutionnel qu’elle invoque aurait été violé. Partant, son argumentation ne répond manifestement pas aux exigences de l’art. 42 al. 1 et 2 en relation avec l’art. 106 al. 2 LTF, de sorte qu’il n’y a pas lieu de l’examiner plus avant.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_484/2021 consultable ici

 

8C_444/2021 (f) du 29.04.2022 – Revenu sans invalidité d’une personne au chômage – ESS – niv. de compétences 2 – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_444/2021 (f) du 29.04.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité d’une personne au chômage – ESS – niv. de compétences 2 / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1960, fromager de formation, a travaillé depuis 1994 dans le secteur de la vente d’automobiles neuves et d’occasion, en dernier lieu pour la société B.__ SA, où il occupait le poste de responsable du parc automobile d’occasions. Son contrat de travail a été résilié au 30 juin 2014 pour des motifs économiques.

Le 27.05.2016, l’assuré, alors au bénéfice d’indemnités chômage, a fait une chute alors qu’il roulait à scooter. Il en est résulté une fracture du plateau tibial gauche de type Schatzker V.

L’évolution du cas a été marquée par la présence d’une gonarthrose gauche tricompartimentale post-traumatique. A l’issue d’un examen par le médecin-conseil, ce dernier a indiqué que la situation était stabilisée, l’ancienne activité de vendeur de voitures n’étant toutefois plus exigible. Dans une activité effectuée majoritairement en position assise, sans limitation au niveau des membres supérieurs, sans déplacements de façon répétée dans des escaliers, sans devoir monter sur des échelles, s’accroupir ou se mettre à genoux, avec un port de charges occasionnel jusqu’à 10 kilos maximum, la capacité de travail de l’assuré était entière sans baisse de rendement. Le taux d’atteinte à l’intégrité s’élevait à 25%.

Par décision du 10.10.2019, confirmée sur opposition le 05.12.2019, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 10% dès le 01.10.2019, ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 25%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/449/2021 – consultable ici)

Par jugement du 12.05.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 28% dès le 01.10.2019.

 

TF

Consid. 1.2
Dans sa décision du 10.10.2019, confirmée sur opposition le 05.12.2019, l’assurance-accidents a reconnu à l’assuré une rente fondée sur un taux d’invalidité de 10%. L’assuré ayant recouru contre cette décision devant la juridiction cantonale en demandant à titre principal l’octroi d’une rente fondée sur un degré d’invalidité de 65%, l’assurance-accidents a conclu, dans son mémoire de réponse, au rejet du recours, respectivement à ce que le taux d’invalidité de 10% qu’elle avait reconnu soit confirmé. Cette conclusion a été confirmée à plusieurs reprises.

Consid. 1.3
Selon l’art. 61 let. d LPGA, le tribunal cantonal des assurances n’est pas lié par les conclusions des parties; il peut réformer, au détriment du recourant, la décision attaquée ou accorder plus que ce que le recourant avait demandé; il doit cependant donner aux parties l’occasion de se prononcer ou de retirer le recours. Il eût par conséquent été admissible que l’assurance-accidents demande au tribunal d’accorder à l’assuré moins (pas de droit à une rente) que ce qu’elle avait elle-même accordé dans la décision attaquée (cf. ATF 138 V 339 consid. 2.3.2.1).

L’assurance-accidents n’a toutefois jamais conclu à ce que la juridiction cantonale constate l’absence de droit à une rente, soit moins que ce qu’elle avait elle-même reconnu à l’assuré en lui allouant une rente fondée sur un taux d’invalidité de 10%, soit le taux minimum pour ouvrir le droit à une rente de l’assurance-accidents (art. 18 al. 1 LAA). Ce n’est que devant le Tribunal fédéral que l’assurance-accidents a pris pour la première fois la conclusion tendant à l’absence de tout droit à une rente, laquelle est par conséquent irrecevable (ATF 138 V 339 consid. 2.3.3; 136 V 362 consid. 4.2).

Consid. 1.4
En revanche, la conclusion subsidiaire de l’assurance-accidents tendant à reconnaître à l’assuré le droit à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 20% est recevable. Il convient dès lors d’entrer en matière sur le recours, qui satisfait par ailleurs aux exigences formelles de recevabilité.

 

Revenu sans invalidité

Consid. 4.2.2
Le choix du niveau de compétence est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 4.2.3
Depuis la dixième édition de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêts 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.1; 9C_901/2017 du 28 mai 2018 consid. 3.3). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4; 9C_370/2019 du 10 juillet 2019 consid. 4.1 et les références).

Consid. 4.2.4
Selon les constatations de la cour cantonale, l’assuré a occupé la fonction de chef de vente du 01.02.2008 au 31.12.2008 auprès de D.__ et celle de responsable du parc de voitures d’occasion du 01.02.2003 au 31.01.2008, puis du 01.01.2009 au 30.06.2014 au service du B.__ SA, son dernier employeur, où il était chargé de la gestion de la vente/reprise des véhicules d’occasion, y compris lors des expositions extérieures, comme le salon de la voiture d’occasion. En l’occurrence, la dernière activité exercée par l’assuré coïncide avec la définition du niveau de compétence 2, puisque la gestion d’un parc automobile d’occasions relève principalement de la vente. En ce qui concerne l’expérience professionnelle de plusieurs années dont peut se prévaloir l’assuré – sans formation commerciale ni autres qualifications particulières acquises pendant l’exercice de la profession -, elle ne justifie pas à elle seule un classement supérieur au niveau de compétence 2 dès lors que dans la plupart des secteurs professionnels, un diplôme ou du moins des formations et des perfectionnements (formalisés) sont exigés (cf. arrêts 8C_581/2021 du 19 janvier 2022 consid. 4.4; 9C_148/2016 du 2 novembre 2016 consid. 2.2).

Consid. 4.2.5
Pour calculer le revenu sans invalidité de l’assuré, il convient dès lors de prendre pour base le salaire mensuel auquel peuvent prétendre les hommes dans la branche 45-46 au niveau de compétence 2, soit 5’570 fr., montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen dans la branche (42,3 heures par semaine) et à l’indice des salaires nominaux (+ 0,4% en 2017 et + 0,6% en 2018 et 0% en 2019), ce qui aboutit à un revenu sans invalidité de 71’391 fr. 83 par année.

 

Revenu d’invalide

Consid. 4.3.2
Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des circonstances du cas particulier constitue une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement, tandis que l’étendue de l’abattement justifié dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2).

Consid. 4.3.3
En l’espèce, il est indéniable que l’assuré doit s’attendre à des pertes de salaire, étant donné qu’il ne peut plus être employé que pour des travaux légers, exécutés principalement en position assise, pour lesquels il ne peut en outre ni soulever ni porter des poids de plus de 10 kg, et ce seulement ponctuellement. Il faut en outre tenir compte du fait qu’il n’a plus accès qu’au marché du travail des personnes qui débutent dans une entreprise et qui n’ont pas encore d’expérience professionnelle dans la nouvelle activité. De plus, il ne lui restait que relativement peu d’années de service avant d’atteindre la limite d’âge AVS (5 ou 6 ans à partir de la stabilisation de son état de santé en 2019). Si l’on tient compte de ces facteurs influençant le salaire, un abattement de 10% sur le revenu d’invalide, tel qu’opéré par l’assurance-accidents et confirmé – quoique, avec une motivation différente – par le cour cantonale, échappe à la critique.

Consid. 4.3.4
Compte tenu d’un revenu sans invalidité de 71’391 fr. 83 et d’un revenu d’invalide de 64’718 fr. 98, la comparaison des revenus donne une invalidité de 9%, le taux de 9,34% étant arrondi au pour cent inférieur (ATF 130 V 121 consid. 3.2). Ce résultat correspond à la conclusion principale de l’assurance-accidents tendant à l’absence de toute rente, laquelle est irrecevable (cf. consid. 1.3 supra). Toutefois, cette conclusion comprend, conformément au principe « a maiore minus », l’octroi d’une rente d’un taux inférieur au taux de 28% alloué par la cour cantonale, indépendamment du fait que l’assurance-accidents a pris une conclusion subsidiaire tendant à l’octroi d’une rente d’invalidité de 20% (fondée sur l’hypothèse, non réalisée en l’espèce, d’un revenu sans invalidité calculé sur la base d’un niveau de compétence 3 et sur l’absence de tout abattement sur le revenu d’invalide). Il convient dès lors de confirmer la décision sur opposition du 05.12.2019 par laquelle l’assurance-accidents avait alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 10%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_444/2021 consultable ici

 

8C_801/2021 (f) du 28.06.2022 – Revenu d’invalide – ESS – Niveau de compétences 2 / 16 LPGA – 18 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_801/2021 (f) du 28.06.2022

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – ESS – Niveau de compétences 2 / 16 LPGA – 18 LAA

 

Assuré engagé par la société B.__ SA sur la base d’un contrat de mission temporaire en tant qu’aide monteur en lignes aériennes. Le 18.12.2007, alors qu’il était monté sur le toit d’une maison, sa ceinture s’est décrochée lorsqu’il tirait sur le câble de téléphone et il a fait une chute de 5 mètres. Il a subi un polytraumatisme avec une fracture type Burst de L1, une fracture du bassin branche illio-ischio-pubienne gauche, une fracture luxation du coude gauche (Mason III), une fracture comminutive du radius distal gauche (Gustilo I) et une fracture comminutive du radius distal droit, atteintes qui ont été traitées par voie chirurgicale. Ensuite d’un reclassement professionnel, l’assuré a obtenu un CFC d’automaticien et a été engagé à un taux d’activité de 100% par l’entreprise C.__ SA en juillet 2011. Par décision du 28.06.2012, l’assurance-accidents lui a alloué une IPAI d’un taux de 22% et lui a refusé le droit à une rente d’invalidité, au motif que les suites de l’accident ne réduisaient pas sa capacité de gain de manière importante.

Rechute annoncée en mars 2015. L’employeur ayant résilié le contrat de travail avec l’assuré, une orientation professionnelle et plus spécifiquement des stages d’évaluation dans le domaine de la planification électrique ont été mis en place par l’assurance-invalidité. A deux reprises, soit le 05.12.2017 puis le 18.01.2018, l’assuré a été percuté par une voiture au niveau du coude droit.

L’assurance-accidents a rendu le 25.03.2020 une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a reconnu à l’assuré le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 14%, calculé, en ce qui concerne le revenu d’invalide, sur la base des salaires statistiques de l’ESS et en tenant compte d’un niveau de compétence 2. Elle lui a également alloué une IPAI complémentaire de 23%.

 

Procédure cantonale

Pour déterminer le revenu d’invalide, les juges cantonaux se sont fondés sur le salaire mensuel brut de 5417 fr. tiré du tableau TA1 de l’ESS 2018, niveau de compétence 1, Total, Hommes. Ils ont en particulier retenu qu’en raison des séquelles accidentelles, l’assuré ne pouvait plus accomplir son activité habituelle d’automaticien à plein temps et qu’il ne pouvait pas non plus mettre à profit les compétences acquises dans cette profession dans une activité adaptée correspondant au niveau de compétence 2.

Par jugement du 05.11.2021, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité fondée sur un taux de 18%.

 

TF

Consid. 2.3
Depuis la 10e édition des ESS (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. L’accent est ainsi mis sur le type de tâches que la personne concernée est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications (niveau de ses compétences) et non plus sur les qualifications en elles-mêmes. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf groupes de profession (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques ou manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement de données et les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_268/2021 du 15 octobre 2021 consid. 3.2.1 avec renvoi à l’arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4 et les références).

Consid. 3.3
Le choix du niveau de compétence applicable dans le cadre de l’utilisation des tableaux statistiques de l’ESS est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 3.4
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, si la personne assurée ne peut plus effectuer l’activité exercée avant la survenance de l’invalidité, l’application du niveau de compétence 2 se justifie uniquement si elle dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêts 8C_131/2021 du 2 août 2021 consid. 7.4.1, publié in SVR 2022 UV n° 3 p. 7; 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.3.1; 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2 et l’arrêt cité).

Cela a récemment été admis dans le cas d’un entrepreneur de jardinage indépendant qui avait travaillé pendant de nombreuses années en tant que contremaître (arrêt 8C_276/2021 du 2 novembre 2021 consid. 5.4.1), chez une vendeuse de textiles qui avait terminé son apprentissage avec d’excellentes notes et avait ensuite rapidement accédé à un poste de responsable de filiale (arrêt 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 5.3 à 5.7), chez un gérant et directeur d’une entreprise de construction qui disposait à la base d’une formation de charpentier et qui avait fait une formation continue pour devenir contremaître et directeur de projet (arrêt 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2), chez un charpentier indépendant qui, au sein de son entreprise, effectuait aussi des tâches administratives et qui était responsable de quatre collaborateurs et de deux apprentis (arrêt 8C_732/2018 du 26 mars 2019 consid. 8.2) ou encore chez un assuré qui n’avait pas de diplôme d’apprentissage mais qui était chef d’une entreprise dans l’industrie de la construction et avait, avant son atteinte à la santé, un revenu nettement supérieur à celui qu’il aurait pu obtenir en tant qu’employé (arrêt 8C_457/2017 du 11 octobre 2017).

En revanche, dans le cas d’un carreleur qui, durant les 30 ans de son activité lucrative indépendante, n’avait jamais effectué des tâches administratives, le Tribunal fédéral a considéré que l’assuré ne disposait pas de compétences ou de connaissances particulières et qu’il fallait donc déterminer le revenu d’invalide en appliquant le niveau de compétence 1 (arrêt 8C_227/2018 du 14 juin 2018 consid. 4.2.2). Il en a fait de même dans le cas d’une assurée qui avait travaillé de nombreuses années en tant qu’infirmière mais qui n’avait pas de formation commerciale ni d’expérience dans ce domaine (arrêt 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.3).

Consid. 3.5
Au vu de cette jurisprudence, il y a lieu d’admettre que le niveau de formation et l’expérience acquise par l’assuré justifient que son revenu d’invalide soit déterminé sur la base du niveau de compétence 2 des statistiques salariales de l’ESS. En effet, sur le plan professionnel, il ressort des constatations de la cour cantonale et du dossier de l’assuré que celui-ci a suivi le lycée technique à D.__ et qu’il a ensuite intégré l’Armée de l’Air E.__, où il a fait une formation de parachutiste. Arrivé en Suisse en 2006, il a travaillé dans le cadre de contrats de missions temporaires comme aide monteur en lignes aériennes jusqu’au 18 décembre 2007, jour de son accident. En 2008, sous l’égide de l’assurance-invalidité, il a effectué une formation d’automaticien. Pendant six ans, il a exercé ce métier, dans lequel il était chargé d’études de schémas électropneumatiques et de câblage électrique et pneumatique des machines.

Sur le plan médical, il est constant qu’ensuite de la rechute en 2015, l’assuré n’a pas pu reprendre son ancienne activité d’automaticien. Le médecin-conseil a d’ailleurs confirmé que cette activité n’est plus exigible. Il a toutefois relevé que les limitations fonctionnelles de l’assuré étaient probablement compatibles avec l’activité de planificateur-électricien telle qu’elle avait été envisagée par ce dernier et l’assurance-invalidité. Peu importe à cet égard que cette formation n’ait finalement pas pu être réalisée pour des raisons budgétaires, dès lors qu’il s’agit de déterminer le revenu d’invalide hypothétique. On relèvera en outre que l’activité d’automaticien que l’assuré a exercée pendant plusieurs années était non seulement composé de travaux manuels, mais également de travaux conceptuels et administratifs. D’après les déclarations de l’assuré, il recevait des projets et devait faire des plans, des schémas électropneumatiques et choisir le matériel. Or, rien n’empêche qu’il mette à profit les compétences et connaissances acquises dans le cadre de son activité d’automaticien dans un autre domaine tombant sous le large éventail d’activités pratiques prévues par le niveau de compétence 2, dont font notamment partie les tâches administratives (cf. consid. 2.3 supra). C’est dès lors à tort que la cour cantonale a déterminé le revenu d’invalide sur la base du niveau de compétence 1 des salaires statistiques de l’ESS.

Consid. 3.6
Par conséquent, le taux d’invalidité doit être recalculé. Comme l’a relevé à juste titre la cour cantonale, il convient de se référer aux salaires statistiques de l’ESS de l’année 2018, la décision sur opposition ayant été rendue postérieurement à la publication de ceux-ci (cf. ATF 143 V 295 consid. 4.1.2 et 4.1.3 et les références). Il faut ensuite se fonder sur le salaire auquel peuvent prétendre les hommes (« Total ») du niveau de compétence 2, soit 5649 fr. par mois, montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen (41,7 heures par semaine) ainsi qu’à l’indice des salaires nominaux (+ 0.9% en 2019; + 0,8% en 2020). De ce montant, les parties s’accordent à déduire 15% à titre d’abattement. Le revenu d’invalide s’élève ainsi à 61’094 fr. 13 par année. Compte tenu d’un revenu sans invalidité – non contesté – de 71’370 fr., il résulte un taux d’invalidité de 14.9%, qui doit être arrondi au pour-cent supérieur de 15% (ATF 130 V 121 consid. 3.2).

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_801/2021 consultable ici

 

 

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2022

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2022

 

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 01.09.2022 la 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2022 (+2.0%). Le tableau se trouve ici :

  • en français(estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux)
  • en italien(stima trimestrale dell’evoluzione dei salari nominali)
  • en allemand(Quartalschätzungen der Nominallohnentwicklung)

L’estimation de l’évolution des salaires est nécessaire afin d’indexer un revenu (sans invalidité / d’invalide) à 2022.

 

 

9C_154/2021 (d) du 10.03.2022 – Survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité – Connexité temporelle et matérielle / 23 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_154/2021 (d) du 10.03.2022

 

Consultable ici

NB : Traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité – Connexité temporelle et matérielle / 23 LPP

Conflit de compétences entre caisse de pensions et la Fondation institution supplétive

 

Assurée, né en 1976, a travaillé du 02.11.2010 au 31.05.2011 dans le cadre d’un stage professionnel suivi d’un engagement à durée déterminée auprès de l’office B.__ et, à partir du 01.06.2011, auprès de l’office C.__ de la même ville. L’institution de prévoyance professionnelle compétente durant cette période était la caisse de pension de la ville de Lucerne (ci-après : CP Ville de Lucerne). Après la résiliation des rapports de travail d’un commun accord pour fin février 2015 (accord du 15.10.2014), l’assurée a perçu des indemnités de chômage du 16.03.2015 au 13.12.2015 et était assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de la Fondation institution supplétive LPP.

En mars 2016, l’assurée a déposé une demande AI. Après examen psychiatrique réalisé par un médecin du SMR, l’office AI a accordé à l’assurée une rente entière d’invalidité dès le 01.09.2016 (décision du 07.04.2017). A partir de cette date, la Fondation institution supplétive LPP a avancé les prestations de la prévoyance professionnelle.

 

Procédure cantonale

Le 29.11.2019, l’assurée a ouvert action contre la CP Ville de Lucerne et la Fondation institution supplétive LPP, en demandant que la CP Ville de Lucerne soit tenue de verser les prestations obligatoires et réglementaires, majorées d’un intérêt de 5% à compter de l’introduction de l’action ; à titre subsidiaire, que la Fondation institution supplétive LPP soit tenue de verser les prestations obligatoires et réglementaires, majorées d’un intérêt de 5% à compter de l’introduction de l’action ; cette dernière doit en outre être tenue, à titre de mesure provisoire, de (continuer à) avancer les prestations pendant la procédure en cours.

Par jugement du 20.01.2021, le tribunal cantonal a ordonné à la CP Ville de Lucerne de verser à l’assurée les prestations d’invalidité obligatoires et réglementaires, majorées des intérêts, conformément à l’art. 7 OLP, à compter de l’introduction de la demande ou de la date d’échéance ultérieure ; il a rejeté le recours pour le reste.

 

TF

Consid. 2.1
[…] Les expertises sur dossier peuvent également avoir valeur de preuve, dans la mesure où il existe une analyse sans faille et qu’il ne s’agit pour l’essentiel que de l’évaluation d’un état de fait médical établi en soi, c’est-à-dire que la consultation directe de la personne assurée par un médecin spécialiste passe au second plan (cf. parmi d’autres : SVR 2010 n° 46 p. 143, 9C_1063/2009 consid. 4.2.1 ; arrêts 9C_647/2020 du 26 août 2021 consid. 4.2 et 9C_524/2017 du 21 mars 2018 consid. 5.1 et les références).

Consid. 2.2
Le moment de la survenance de l’incapacité de travail déterminante pour la prévoyance professionnelle doit être établi au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références), usuel en droit des assurances sociales (arrêts 9C_52/2018 du 21 juin 2018 consid. 3.2 et 9C_96/2008 du 11 juin 2008 consid. 2.2, et leurs références). La preuve juridiquement suffisante d’une perte de capacité fonctionnelle pertinente pour le droit de la prévoyance professionnelle ne requiert pas nécessairement une incapacité de travail attestée en temps réel par un médecin. Des hypothèses professionnelles ou médicales ultérieures et des réflexions spéculatives, comme par exemple une incapacité de travail médico-théorique déterminée rétroactivement seulement après des années, ne suffisent toutefois pas (arrêt 9C_61/2014 du 23 juillet 2014 consid. 5.1 et les références). Pour suivre l’attestation médicale rétrospective de l’incapacité de travail et pouvoir renoncer à un certificat médical en temps réel, il faut au contraire que les effets négatifs de la maladie sur la capacité de travail soient documentés en temps réel (arrêts 9C_517/2020 du 28 janvier 2021 consid. 3.2 et 9C_851/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.2 et la référence, in : SZS 2015 p. 469).

Consid. 2.3
Les constatations de l’instance précédente concernant la nature de l’atteinte à la santé (constat, diagnostic, etc.) et la capacité de travail, qui sont le résultat d’une appréciation des preuves, lient en principe le Tribunal fédéral (ATF 132 V 393 consid. 3.2). La question de fait est également celle du moment de la survenance de l’incapacité de travail dont la cause a conduit à l’invalidité (SVR 2008 LPP n° 31 p. 126, 9C_182/2007 consid. 4.1.1). En revanche, le Tribunal fédéral examine librement les éléments sur lesquels se fonde la décision à ce sujet (SVR 2009 LPP n° 7 p. 22, 9C_65/2008 consid. 2.2 ; arrêt 9C_670/2010 du 23 décembre 2010 consid. 1.2) et si celle-ci repose sur des preuves suffisantes (arrêt 9C_100/2018 du 21 juin 2018 consid. 2.3).

Consid. 3.1
L’office AI a fixé le début du délai d’attente d’un an selon l’art. 28 al. 1 let. b LAI au mois de mai 2015. Or, comme la demande de prestations AI de l’assurée n’a été déposée qu’à la mi-mars 2016, et donc tardivement (cf. art. 29 al. 1 LAI), le tribunal cantonal a nié tout lien à cet égard et a examiné librement l’obligation de la CP Ville de Lucerne de verser des prestations, ce qu’aucune partie ne conteste à juste titre (cf. p. ex. arrêt 9C_679/2020 du 9 février 2021 consid. 4).

Consid. 3.2
L’instance cantonale a considéré qu’une incapacité de travail d’au moins 20% pour raisons psychiques était survenue, au degré de la vraisemblance prépondérante, pendant le rapport de prévoyance avec la CP Ville de Lucerne. Une nouvelle évaluation psychiatrique ne n’aurait apporté que peu de résultats utiles, étant donné que le dossier contient déjà des rapports impartiaux en « temps réel » sur le comportement de l’assurée. Ensuite, la cour cantonale est partie du postulat qu’il existait un lien matériel étroit entre la problématique de santé à partir d’août 2014 et l’invalidité ultérieure. En outre, à partir de cette date, il existait, d’un point de vue médical, une incapacité de travail complètement sans interruption, de sorte qu’il fallait également admettre un lien temporel ininterrompu. En conséquence, le tribunal cantonal a admis l’obligation de la CP Ville de Lucerne de verser ses prestations.

Consid. 4.1
La conclusion centrale de l’instance cantonale, selon laquelle les résultats psychopathologiques invalidants auraient selon toute vraisemblance déjà entraîné une incapacité de travail d’au moins 20% pendant les rapports de travail avec la ville de Lucerne, repose sur une appréciation complète et détaillée du dossier. La cour cantonale a d’abord tenu compte du fait qu’une incapacité de travail attestée en temps réel était avérée et qu’elle concernait le rapport de prévoyance en question. Ainsi, selon l’établissement des faits du tribunal cantonal, l’assurée était en incapacité totale de travail dès le 28.08.2014. Le médecin traitant a expressément confirmé que l’emploi auprès de l’office C.__ avait dû être abandonné pour des raisons de santé ; une poursuite de l’activité était impossible (certificat du 20.03.2015). Le fait que des causes autres que psychiques aient été à l’origine de l’incapacité total de travail attestée par le médecin n’est ni visible ni exposé (de manière étayée) dans le recours. […] Il n’existe aucun indice valable pour que l’assurée ait retrouvé durablement une capacité de travail supérieure à 80% après la fin de ses rapports de travail avec la ville de Lucerne (à ce sujet : ATF 144 V 58 consid. 4.4).

Consid. 4.2
[…] Certes, les explications fournies dans le rapport d’examen du SMR du 11.01.2017 permettent de conclure que les travaux de construction (changement de sol) ont bien déclenché les troubles psychiatriques dans le sens où une détérioration de l’état de santé s’est produite par la suite. Cela ne permet toutefois pas d’ignorer le fait que le médecin n’a pas exclu que la maladie ait déjà eu un impact significatif sur la capacité de travail ( » […] trouble délirant développé depuis le printemps 2015 ou auparavant […]). A ce sujet, le médecin du SMR a précisé que chez l’assurée, ce n’était pas (seulement) la grande sensibilité aux odeurs, aux émissions et aux composés chimiques, apparue dans le cadre de la transformation de l’appartement, qui était frappante, mais le traitement et l’interprétation des expériences et des événements en soi, ce qui s’était déjà manifesté lors du décès de l’animal domestique ou de l’avocat. Selon le médecin, le trouble délirant (CIM-10 F22.0) qui a finalement conduit à une rente AI avec une incapacité de travail de 100% se caractérise par le fait que la patiente est gravement atteinte dans son appréciation de la réalité, qu’elle ne peut donc pas se distancier de sa perception de la réalité et qu’elle ne dispose en outre d’aucune conscience de la maladie ; à cet égard, elle réagit au contraire de manière défensive et même irascible.

Consid. 4.3
L’instance cantonale a procédé à sa propre appréciation du dossier personnel (en temps réel) et ne s’est fondée qu’en dernier lieu sur l’expertise médicale du 05.11.2019, qui intègre ces conclusions et les confirme en tous points. Le médecin-expert a exposé en détail, sur la base des inscriptions dans le dossier personnel, les parallèles entre les symptômes principaux d’un trouble délirant déjà décrits par le médecin du SMR et le comportement de l’assurée durant son emploi à la ville de Lucerne. Le début de l’incapacité de travail déterminante fixé par le médecin-expert en raison des difficultés rencontrées sur le lieu de travail correspond également à la date indiquée par le médecin traitant – fin août 2014. […] On ne voit pas non plus que la cour cantonale n’aurait pas tenu compte des principes applicables aux expertises des parties, puisque le médecin-expert a uniquement évalué la survenance rétrospective de l’incapacité de travail pertinente pour des faits médicaux établis en soi.

Consid. 4.4
En conséquence, on ne saurait reprocher à l’instance cantonale une constatation manifestement inexacte ou une appréciation des preuves juridiquement erronée en ce qui concerne la survenance de l’incapacité de travail pertinente d’au moins 20%. Le fait qu’elle ait renoncé à des investigations supplémentaires, en particulier à la demande d’expertise judiciaire, n’est pas critiquable (appréciation anticipée des preuves ; ATF 144 V 361 consid. 6.5 ; 136 I 229 consid. 5.3). Il n’y a pas non plus de violation du droit à la preuve (art. 29 al. 2 Cst. et art. 6 ch. 1 CEDH). La condition du lien matériel et temporel étroit entre l’incapacité de travail existant pendant le rapport de prévoyance et l’invalidité survenue ultérieurement est restée incontestée et ne donne lieu à aucune remarque.

 

Le TF rejette le recours de la caisse de pension.

 

 

Proposition de citation : 9C_154/2021 (d) du 10.03.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/07/9c_154-2021)

 

Arrêt 9C_154/2021 consultable ici

 

Enquête suisse sur la population active et statistiques dérivées: heures de travail en 2021

Enquête suisse sur la population active et statistiques dérivées: heures de travail en 2021

 

Communiqué de presse de l’OFS du 13.06.2022 consultable ici

 

En 2021, le nombre total d’heures travaillées dans le cadre professionnel en Suisse a atteint 7,798 milliards d’heures, en augmentation de 2,5% par rapport à l’année précédente. Le niveau d’avant la pandémie n’a toutefois pas encore été retrouvé. Le volume de travail des 20-64 ans a légèrement plus progressé en Suisse que dans l’UE selon les derniers résultats de l’Office fédéral de la statistique (OFS) et de l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat).

Les statistiques utiles pour le calcul des revenus avec et sans invalidité (fixés sur la base de l’ESS) :

  • Tableau « Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique (NOGA 2008), en heures par semaine » en français disponible ici
  • Tabelle «Betriebsübliche Arbeitszeit nach Wirtschaftsabteilungen (NOGA 2008), in Stunden pro Woche» hier verfügbar
  • Purtroppo non esiste una versione italiana.

 

 

Communiqué de presse de l’OFS du 13.06.2022 consultable ici

Schweizerische Arbeitskräfteerhebung und abgeleitete Statistiken: Arbeitszeit 2021 wurden in der Schweiz mehr Arbeitsstunden geleistet, Medienmitteilung den 13.06.2022

Rilevazione sulle forze di lavoro in Svizzera e statistiche derivate: ore di lavoro Aumento del numero di ore di lavoro nel 2021 in Svizzera, Comunicato stampa del 13.06.2022

 

8C_421/2021 (f) du 27.01.2022 – proposé à la publication – Accident de vélo de gravité moyenne stricto sensu – Troubles psychiques / Critère de la durée anormalement longue du traitement médical admis / Gain assuré pour la rente – Travailleurs temporaires – Contrat de durée déterminée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_421/2021 (f) du 27.01.2022, proposé à la publication

 

Consultable ici

 

Accident de vélo de gravité moyenne stricto sensu – Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate / 6 LAA

Critère de la durée anormalement longue du traitement médical admis

Pas d’examen approfondi du lien de causalité adéquate avant l’examen du lien de causalité naturelle (expertise psychiatrique) – Rappel de la jurisprudence, également à l’intention des autorités de recours de première instance

Gain assuré pour la rente – Travailleurs temporaires – Contrat de durée déterminée / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA

Interprétation des «revenus perçus auprès des différents employeurs durant l’année précédant l’accident»

 

Assuré, né en 1980, a été engagé par B.__ SA en tant qu’employé d’entretien pour une durée déterminée du 04.08.2014 au 29.08.2014. Le 01.09.2014, alors qu’il circulait à vélo, il a chuté après que sa roue avant se fut bloquée dans les rails du tram. L’accident a causé une fracture des quatre branches ilio- et ischio-pubiennes et de l’aileron sacré gauche, une fracture de l’arc postérieur de plusieurs côtes droites associée à une très fine lame de pneumothorax, une occlusion thrombotique sur dissection avec hématome associé de l’artère iliaque interne gauche, ainsi qu’un hématome rétropéritonéal. Admis à l’hôpital, l’assuré a subi deux ostéosynthèses en raison des fractures au niveau du bassin. Le 14.10.2014, il a été transféré à la Clinique de réadaptation, où il a séjourné jusqu’au 01.04.2015. Ensuite de l’ablation du matériel postérieur le 15.09.2015, il a effectué un deuxième séjour à la Clinique de réadaptation du 16.09.2015 au 06.10.2015.

Alors qu’il avait repris une activité de coursier à vélo à temps partiel, l’assuré a été victime, le 14.12.2016, d’une nouvelle chute lors de laquelle il s’est blessé au poignet gauche (lésion du ligament scapho-lunaire).

Le 27.04.2017, le médecin-conseil a constaté, lors de l’examen, une détérioration importante de l’état de santé de l’assuré et a préconisé un nouveau séjour auprès de la Clinique de réadaptation avec prise en charge globale, somatique et psychologique, séjour qui a eu lieu du 24.05.2017 au 21.06.2017. Dans leur rapport établi à l’issue du séjour, les médecins de la Clinique de réadaptation ont constaté que la situation était stabilisée du point de vue des capacités fonctionnelles au niveau du bassin, même si une diminution des douleurs pouvait encore être attendue; s’agissant du poignet gauche, une stabilisation était attendue dans un délai d’environ deux mois. Relevant que le pronostic de réinsertion était favorable dans l’ancienne activité et dans une activité adaptée, les médecins ont retenu les limitations fonctionnelles suivantes : pas de position assise prolongée, pas de port de charges lourdes ou en porte-à-faux, pas de mouvements de rotation répétitifs avec le tronc, pas de marche prolongée sur terrain irrégulier, pas de mouvements nécessitant de la force du poignet gauche. Sur le plan psychique, ils ont relevé l’absence de trouble psychiatrique constitué, tout en préconisant un soutien psychologique.

Le 09.01.2018, le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie auprès de la Clinique de réadaptation a fait état d’un trouble de l’adaptation avec réaction mixte, dépressive et anxieuse, prolongée, et a considéré que la capacité de travail de l’assuré était alors proche de zéro.

Le 10.01.2018, le médecin-conseil a procédé à l’examen final de l’intéressé. Il a relevé que la situation au niveau du bassin pouvait être considérée comme stabilisée depuis le mois d’avril ou au plus tard depuis le mois de juin 2017. Quant à la situation au niveau du poignet gauche, elle était stabilisée depuis le 18.10.2017 (date d’une consultation auprès d’un médecin spécialiste en chirurgie de la main). L’assuré disposait d’une capacité de travail entière dans une activité à faible charge physique, de type sédentaire avec possibilité d’alterner à volonté les positions assise et debout. En outre, le médecin-conseil a fixé le taux de l’atteinte à l’intégrité à 30% pour les troubles au niveau du bassin, considérant que l’atteinte au poignet ne justifiait aucune indemnisation à ce titre.

Par décision du 23.04.2018, l’assurance-accidents a reconnu le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 14% à compter du 01.03.2018 – calculée sur la base d’un gain annuel assuré de 16’779 fr. – et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 30%.

L’assuré s’est opposé à cette décision, se prévalant notamment d’un rapport du docteur F.__ du 22 mai 2018, dans lequel le psychiatre indiquait que les accidents constituaient une cause naturelle à sa décompensation actuelle.

Parallèlement à la procédure devant l’assureur-accidents, l’office cantonal AI du Valais, saisi d’une demande de prestations de l’assurance-invalidité, a confié une expertise psychiatrique au docteur G.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, dont les conclusions du rapport, rendu le 30.08.2018, s’opposaient en partie à celles du docteur F.__, en tout cas en ce qui concernait la répercussion des troubles psychiques sur la capacité de travail de l’intéressé.

L’assuré a été adressé une ultime fois à la Clinique de réadaptation pour une évaluation multidisciplinaire avec précision des limitations résiduelles, laquelle s’est déroulée du 26.02.2019 au 12.03.2019.

Par décision du 15 avril 2019, la CNA a partiellement admis l’opposition, en ce sens qu’elle a fixé le gain assuré à 46’814 fr. et le taux d’atteinte à l’intégrité à 40%. Pour le reste, elle a considéré que les dysfonctions urologiques et sexologiques dont souffrait l’assuré n’entraînaient aucune incapacité de travail et que les troubles psychiques n’étaient pas en relation de causalité adéquate avec les deux accidents, de sorte qu’elle n’entendait pas mettre en œuvre d’autres mesures d’instruction afin de départager les avis des docteurs F.__ et G.__.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 30.04.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate

Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière (ATF 142 V 435 consid. 1; 129 V 177 consid. 3.1). Le droit à des prestations de l’assurance-accidents suppose en outre l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’accident et l’atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 144 IV 285 consid. 2.8.2; 139 V 176 consid. 8.4.2; 129 V 177 précité consid. 3.2).

En présence de troubles psychiques consécutifs à un accident, la jurisprudence a dégagé des critères objectifs qui permettent de juger du caractère adéquat du lien de causalité. Il y a lieu, d’une part, d’opérer une classification des accidents en fonction de leur degré de gravité et, d’autre part, de prendre en considération un certain nombre d’autres critères déterminants (cf. ATF 129 V 402 consid. 4.4.1; 115 V 133 consid. 6c/aa, 403 consid. 5c/aa).

Dans un arrêt du 17 février 2021, publié aux ATF 147 V 207, le Tribunal fédéral a rappelé que dans la mesure où le caractère naturel et le caractère adéquat du lien de causalité doivent être remplis cumulativement pour octroyer des prestations d’assurance-accidents, la jurisprudence admet de laisser ouverte la question du rapport de causalité naturelle dans les cas où ce lien de causalité ne peut de toute façon pas être qualifié d’adéquat. Il n’est en revanche pas admissible reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques d’un assuré avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées au moyen d’une expertise psychiatrique concluante. D’une part, un tel procédé est contraire à la logique du système. En effet, le droit à des prestations découlant d’un accident suppose tout d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Ainsi, on ne peut pas retenir qu’un accident est propre, sous l’angle juridique, à provoquer des troubles psychiques éventuellement incapacitants sans disposer de renseignements médicaux fiables sur l’existence de tels troubles, leurs répercussions sur la capacité de travail et leur lien de causalité avec cet accident. D’autre part, la reconnaissance préalable d’un lien de causalité adéquate est un élément de nature à influencer, consciemment ou non, le médecin psychiatre dans son appréciation du cas, et donc le résultat d’une expertise psychiatrique réalisée après coup s’en trouverait biaisé (ATF 147 V 207 consid. 6.1 et les références).

En l’espèce, la cour cantonale, tout comme l’assurance-accidents, a procédé à l’examen du caractère adéquat du lien de causalité entre les troubles psychiques et les accidents subis, laissant ouverte la question du lien de causalité naturelle. Elle a écarté l’existence du lien de causalité adéquate, classant l’accident du 14.12.2016 dans la catégorie des accidents insignifiants et celui du 01.09.2014 dans la catégorie des accidents de gravité moyenne. A ce dernier propos, elle a considéré que seuls deux des critères posés par la jurisprudence en la matière pouvaient être retenus, soit les critères relatifs aux complications médicales et à la persistance des douleurs. Cela ne suffisait pas, dès lors qu’en présence d’un accident de gravité moyenne, il fallait un cumul de trois critères sur les sept ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante, hypothèses en l’occurrence non réalisées.

De son côté, l’assuré soutient, au regard de l’accident du 01.09.2014, que cinq critères seraient réunis, à savoir, en sus des critères retenus par la cour cantonale, la durée anormalement longue du traitement médical, la nature particulière des lésions physiques, ainsi que le degré et la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques.

S’agissant du critère de la durée anormalement longue du traitement médical, l’aspect temporel n’est pas seul décisif; sont également à prendre en considération la nature et l’intensité du traitement, et si l’on peut en attendre une amélioration de l’état de santé de l’assuré (arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.2.3). La prise de médicaments antalgiques et la prescription de traitements par manipulations, même pendant une certaine durée, ne suffisent pas à fonder ce critère (arrêt 8C_804/2014 du 16 novembre 2015 consid. 5.2.2 et la référence). La jurisprudence a notamment nié que ce critère fût rempli dans le cas d’un assuré ayant subi quatre interventions chirurgicales entre juillet 2010 et juillet 2015, au motif notamment que les hospitalisations avaient été de courte durée et que mises à part lesdites interventions, l’essentiel du traitement médical avait consisté en des mesures conservatrices (arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.2.3). En revanche, elle l’a admis dans le cas d’un assuré qui, hospitalisé du 15 décembre 2011 au 5 janvier 2012, avait subi trois interventions chirurgicales du coude gauche, puis une ablation du fixateur externe le 7 février 2012, une ablation du matériel d’ostéosynthèse et arthrolyse du coude le 19 novembre 2013 nécessitant une hospitalisation jusqu’au 19 décembre suivant et enfin une opération de neurolyses des nerfs ulnaire et médian au coude et poignet gauches le 10 février 2015; l’assuré avait en outre séjourné à la Clinique de réadaptation pendant un peu plus d’un mois pour une évaluation multidisciplinaire et professionnelle (arrêt 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 6.3.2). Le critère a également été admis dans le cas d’une longue et pénible convalescence sur une période de 21 mois impliquant trois interventions chirurgicales ayant tenu l’assuré loin de chez lui pendant près de cinq mois à compter de l’accident, puis deux autres opérations pratiquées par la suite pour enlever le matériel d’ostéosynthèse et nécessitant encore deux semaines de rééducation intensive (arrêt 8C_818/2015 du 15 novembre 2016 consid. 6.2).

En l’espèce, hormis les traitements médicamenteux ou non invasifs, tels que les séances de physiothérapie, l’assuré a été hospitalisé pendant sept mois ensuite de l’accident du 01.09.2014 (du 01.09.2014 au 01.04.2015), dont deux mois de transferts « lit-fauteuil » pour garantir l’absence de charge sur les deux membres inférieurs. Il s’est soumis à deux opérations chirurgicales d’ostéosynthèse au niveau du bassin le 08.09.2014, à une opération d’ablation du matériel d’ostéosynthèse le 15.09.2015, suivie de trois semaines d’hospitalisation, puis à une nouvelle hospitalisation de près d’un mois (du 24.05.2017 au 21.06.2017) en raison de l’exacerbation des douleurs au niveau du bassin et enfin à une évaluation multidisciplinaire du 26.02.2019 au 12.03.2019. Au titre d’interventions figurent également une urétrographie-cystoscopie sous narcose le 30.04.2018 et des perfusions de xylocaïne et de kétamine fin 2018-début 2019. Contrairement à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, le critère afférent à la durée et à l’intensité du traitement médical doit ainsi être considéré comme rempli.

Avec les deux autres critères admis par la juridiction précédente, cela suffirait en principe à reconnaître le caractère adéquat des troubles psychiques de l’assuré, étant rappelé que l’accident du 01.09.2014 a été classé dans la catégorie des accidents de gravité moyenne. A ce stade, il est toutefois prématuré d’examiner si la cour cantonale était fondée à retenir les critères relatifs aux complications médicales et aux douleurs persistantes ou si les autres critères encore invoqués par l’assuré sont bel et bien réalisés. En effet, en tout état de cause, il n’est pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées.

Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle instruise ces questions – d’ailleurs en partie controversées dans le cas d’espèce – au moyen d’une expertise psychiatrique concluante (cf. ATF 141 V 574 s’agissant de l’évaluation du caractère invalidant des troubles psychiques). Puis elle se prononcera définitivement sur le droit de l’assuré à des prestations pour ses troubles psychiques, en procédant, au besoin, à un nouvel examen circonstancié du lien de causalité adéquate.

Ce qui précède vaut également pour les autorités de recours de première instance qui se retrouveraient dans la même constellation, à savoir saisies d’un examen du lien de causalité adéquate à l’égard de troubles psychiques alors que la question de la causalité naturelle a été laissée ouverte. Dans ce cas, si le juge parvient à la conclusion que l’appréciation de l’assureur-accidents est erronée sur un ou plusieurs critères et que l’admission du lien du causalité adéquate pourrait entrer en considération, il doit, avant de statuer définitivement sur ce dernier point, instruire ou faire instruire par l’assureur-accidents les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle.

 

Gain assuré

Les rentes sont calculées d’après le gain assuré (art. 15 al. 1 LAA). Est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (art. 15 al. 2, 2e phrase, LAA). Le législateur a chargé le Conseil fédéral d’édicter des prescriptions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux, soit notamment lorsque l’assuré est occupé de manière irrégulière (art. 15 al. 3 let. d LAA). Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a prévu à l’art. 22 al. 4 OLAA que les rentes sont calculées sur la base du salaire que l’assuré a reçu d’un ou plusieurs employeurs durant l’année qui a précédé l’accident, y compris les éléments de salaire non encore perçus et auxquels il a droit (1re phrase); si les rapports de travail ont duré moins d’une année, le salaire reçu au cours de cette période est converti en gain annuel (2e phrase); en cas d’activité de durée déterminée, la conversion se limite à la durée prévue (3e phrase).

A l’ATF 138 V 106, le Tribunal fédéral a jugé que chez les travailleurs temporaires, la durée prévue de l’activité de durée déterminée en fonction de laquelle doit se faire la conversion du gain réalisé (cf. art. 22 al. 4, 2e et 3e phrases, OLAA) ne doit pas forcément correspondre à la durée du contrat de durée déterminée auprès de l’employeur. En effet, il apparaissait difficilement conciliable avec le but de la réglementation spéciale – soit de faire bénéficier les travailleurs occupés de manière irrégulière d’une protection d’assurance appropriée – que le montant de la rente d’invalidité d’un assuré qui, par exemple, avait été placé auprès d’une entreprise par une agence de travail temporaire pour une mission limitée dans le temps se détermine uniquement en fonction du salaire reçu au cours de cette période; il subsistait alors un risque que ces assurés soient exclus d’une protection appropriée de l’assurance. Le Tribunal fédéral a dès lors retenu qu’il fallait en toute hypothèse considérer comme salaire déterminant pour le calcul de la rente d’invalidité celui reçu au moment de l’accident converti en un gain correspondant à la durée normale d’activité de l’assuré eu égard à la carrière professionnelle accomplie jusque-là, y compris les périodes effectuées à l’étranger: Si l’on pouvait déduire de la biographie professionnelle que le contrat de durée limitée auprès d’un employeur correspondait à la durée normale d’activité, la conversion se limitait à la durée prévue selon l’art. 22 al. 4, 3e phrase, OLAA; s’il en résultait que l’intéressé aurait exercé une activité au-delà de la durée de la mission prévue, il fallait se baser sur cette plus longue période d’activité; enfin, s’il s’avérait que celui-ci aurait travaillé toute l’année, alors la règle de l’art. 22 al. 4, 3e phrase, OLAA ne trouvait pas application et la conversion du gain obtenu n’était pas limité, conformément à l’art. 22 al. 4, 2e phrase, OLAA (ATF 138 V 106 consid. 7.2; arrêts 8C_210/2020 du 8 juillet 2020 consid. 6.2; 8C_705/2010 du 15 février 2012 consid. 5.2).

Ainsi, dans le cas d’un assuré de nationalité allemande qui avait subi un accident sur un chantier de construction en Suisse, où il avait été placé par une agence de travail temporaire, le Tribunal fédéral a jugé que le gain assuré devait être calculé de façon à convertir le salaire perçu durant le rapport de travail sur une année entière, parce que la biographie professionnelle de l’intéressé avait mis en évidence qu’il avait toujours travaillé depuis la fin de sa formation (arrêt 8C_480/2010 du 20 mars 2012). Il a toutefois relevé que pour les ressortissants étrangers, la durée de la période de conversion du salaire obtenu était limitée à la durée d’autorisation de travailler du point de vue du droit des étrangers (ATF 138 V 106 consid. 7.3 in fine).

En l’espèce, les premiers juges ont confirmé le montant du gain assuré de 46’814 fr. tel que retenu par l’assurance-accidents, après annualisation, sur la base du salaire perçu par l’assuré pour son activité de durée déterminée auprès de B.__ SA (3591 fr. 15 / 28 jours x 365).

L’assuré conteste le montant retenu. Il soutient que le gain annuel assuré aurait dû être fixé en additionnant le total des revenus perçus auprès des différents employeurs durant l’année précédant l’accident, soit 16’779 fr. conformément au calcul de la CNA dans sa décision initiale du 23 avril 2018, puis en annualisant ce montant. Il obtient ainsi un gain assuré de 65’152 fr. 50 (16’779 fr. / 94 jours x 365).

Ce point de vue ne peut pas être suivi. Si l’art. 22 al. 4, 1re phrase, OLAA dispose que les rentes sont calculées sur la base du salaire que l’assuré a reçu d’un ou plusieurs employeurs durant l’année qui a précédé l’accident, cela ne signifie pas qu’il faille tenir compte des salaires afférents à des contrats de travail qui n’ont plus cours lors de la survenance de l’accident. Sont en effet déterminants le rapport de travail et les circonstances salariales qui existaient au moment de l’événement accidentel (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 956 n. 182). Quant à l’annualisation du salaire, elle intervient, conformément à l’art. 22 al. 4, 2e phrase, OLAA, lorsqu’au moment déterminant, la relation de travail – généralement de durée indéterminée – a duré moins d’une année. Cette règle a pour but principal de combler les lacunes de salaire, du point de vue temporel, résultant du fait que la personne assurée n’a pas perçu de salaire pendant toute l’année précédant l’accident; elle vaut également en cas de changement d’activité (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 957 n. 182). En outre, en ce qui concerne les travailleurs occupés de manière irrégulière, il convient également d’annualiser le gain obtenu pour la mission précédant l’accident lorsque l’on peut retenir, au vu de la biographie professionnelle, qu’un employé au bénéfice d’un contrat de durée limitée aurait travaillé toute l’année. En l’espèce, tant l’assurance-accidents que l’instance cantonale ont considéré que l’assuré devait bénéficier de cette règle destinée à protéger les travailleurs occupés de manière irrégulière. Cela étant, c’est à juste titre que les juges cantonaux ont annualisé le salaire perçu au moment déterminant, soit celui afférent à la relation de travail précédant immédiatement l’événement accidentel. Ils n’avaient pas à tenir compte des salaires touchés pour les missions antérieures.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré, renvoyant la cause à l’assureur-accidents pour mise en œuvre de l’expertise et nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_421/2021 consultable ici

 

 

Motion CSSS-N 22.3377 «Utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité»

Motion CSSS-N 22.3377 «Utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité»

 

À l’unanimité, la Commissions de la sécurité sociale et de la santé publique (CSSS-N) a décidé de déposer la motion « Mo. CSSS-N. Utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité » (22.3377), qui demande de modifier la base de calcul utilisée pour déterminer le taux d’invalidité de sorte qu’elle tienne compte des possibilités de revenu réelles des personnes atteintes dans leur santé.

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé d’instaurer, d’ici au 31 juin 2023, une base de calcul qui, lors de la détermination du revenu avec invalidité au moyen de valeurs statistiques, tient compte des possibilités de revenu réelles des personnes atteintes dans leur santé. Ce faisant, il prendra en considération le fait que les personnes handicapées ne peuvent pas, en raison des atteintes à leur santé, exécuter certaines tâches, même dans le cadre d’activités auxiliaires demandant un niveau de compétences peu élevé, et que le salaire, même pour les activités que l’on peut raisonnablement exiger d’elles, est inférieur à celui des personnes valides.

Dans le cadre de l’élaboration de la base de calcul, qui se fondera sur une méthode statistique reconnue et tiendra compte des connaissances scientifiques actuelles, le Conseil fédéral prendra en considération le nouveau système de rentes linéaire, les adaptations apportées à l’évaluation de l’invalidité et les nouvelles dispositions réglementaires entrées en vigueur le 1er janvier 2022. Il intègrera la solution proposée par Riemer-Kafka et Schwegler, comme il l’a plusieurs fois envisagé.

Avant d’envoyer en consultation les modifications apportées aux ordonnances, il exposera les conséquences financières de la base de calcul ainsi élaborée ; il consultera les commissions compétentes en la matière avant l’entrée en vigueur desdites modifications.

 

Développement (dans la version allemande ; traduction personnelle ; seul le texte en allemand fait foi)

En vertu de l’art. 28a al. 1 LAI, le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables. Pour la détermination du revenu avec invalidité, le Conseil fédéral a mis en vigueur l’art. 26bis RAI au 1er janvier 2022. Selon cet article, le revenu en cas d’invalidité est déterminé en fonction des valeurs statistiques, dans la mesure où il n’existe pas de revenu effectivement réalisé et imputable. Conformément à l’art. 25 al. 3 RAI, les valeurs médianes de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) sont déterminantes à cet égard.

Situation initiale

  • Jusqu’à fin 2021, les tables ESS existantes ont été utilisées dans la pratique pour déterminer le revenu avec invalidité (appelé revenu d’invalide).
  • Le Tribunal fédéral a qualifié cette pratique de solution transitoire à plusieurs reprises (ATF 139 V 592 consid. 7.4 ; 142 V 178 consid. 2.5.8).
  • Des études scientifiques (Prof. Dr. iur. Gächter et bureau BASS) ont montré début 2021 : les tableaux ESS existants et servant un but statistique se basent principalement sur les salaires de personnes en bonne santé. Pour les activités auxiliaires du niveau de compétence le plus bas, elles incluent des salaires élevés dans le secteur de la construction avec des activités physiquement difficiles et dans le secteur des services. De ce fait, elles ne reflètent que très imparfaitement le niveau de salaire des personnes atteintes dans leur santé.
  • L’étude du bureau BASS montre en outre que les salaires effectivement perçus par les personnes handicapées sont inférieurs à ceux des personnes en bonne santé, même dans les activités qui sont encore possibles avec l’invalidité. Si l’on se base sur les tableaux ESS existants pour le revenu des personnes invalides, il en résulte des valeurs structurellement trop élevées. Conséquence: des mesures de réadaptation et des rentes sont refusées, alors que la prise en compte de valeurs réalistes permettrait d’y prétendre. De nombreuses personnes concernées doivent recourir à l’aide sociale.
  • La problématique du calcul du degré AI au moyen des tables ESS est connue depuis des années. Leur intégration dans le RAI a été critiquée dans le cadre de la procédure de consultation par de nombreux cantons, communes et également par les différents partis.
  • En août 2021, la CSSS-N a demandé à l’unanimité au Conseil fédéral de développer une nouvelle base de calcul.
  • Malgré de larges critiques, le Conseil fédéral a cimenté la pratique problématique dans le RAI. Des questions posées au Parlement (21.8014, 21.8155, 21.8019) ont révélé : Les résultats et les propositions concrètes concernant le mandat confié par le Conseil fédéral à l’OFAS, à savoir « s’il est possible de développer des bases de calcul spécifiquement adaptées à l’AI », ne devraient pas être disponibles avant 2025 au plus tôt.

Attendre jusqu’en 2025 est incompréhensible et problématique :

  1. Depuis novembre 2021, un groupe de travail dirigé par la Prof. em. Riemer-Kafka a fait une proposition concrète qui permet une évaluation réaliste des salaires des personnes souffrant de handicaps physiques. Cette proposition montre en outre qu’il est tout à fait possible de procéder à des estimations pour les personnes souffrant de handicaps psychiques.
  2. Début janvier 2022, 16 éminents experts en assurances sociales se sont prononcés en faveur d’un examen rapide de la solution proposée par Riemer-Kafka. Le Prof. Dr. iur. Gächter et les cosignataires soulignent que les raisons invoquées par le Conseil fédéral pour justifier un examen ultérieur ne sont pas compréhensibles d’un point de vue juridique. Ils soulignent que le système de rentes linéaire en vigueur depuis le 01.01.2022 aggrave la problématique, chaque degré d’invalidité ayant une incidence directe sur le montant de la rente. De plus, la prise en compte accrue des problématiques individuelles (p. ex. besoin élevé de pauses) par les services médicaux régionaux (SMR) n’a aucun lien direct avec l’examen d’un tableau ESS adapté.

Cette motion et le mandat prévoyant la mise en œuvre d’une nouvelle base de calcul d’ici fin juin 2023 répondent à l’urgence de disposer de barèmes de salaires conformes à l’invalidité.

 

 

Motion CSSS-N 22.3377 «Utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité» consultable ici

 

Mozione CSSS-N 22.3377 “Utilizzare scaglioni salariali corrispondenti all’invalidità nel calcolo del grado d’invalidità”

Motion SGK-N 22.3377 «Invaliditätskonforme Tabellenlöhne bei der Berechnung des IV-Grads»

 

 

8C_256/2021 (d) du 09.03.2022, destiné à la publication – Détermination du revenu d’invalide – Méthode générale de comparaison des revenus – 28 LAI (dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021) – 16 LPGA / Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 (d) du 09.03.2022, publié aux ATF 148 V 174

 

Arrêt 8C_256/2021 consultable ici

ATF 148 V 174 consultable ici 

 

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Interdiction des véritables nova / 99 LTF

Détermination du revenu d’invalide – Méthode générale de comparaison des revenus / 28 LAI (dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021) – 16 LPGA

Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

 

Assuré, né en 1964, a déposé une première demande AI le 11.12.2001, en raison d’une luxation de l’épaule droite. L’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière limitée dans le temps, du 01.11.2002 au 31.10.2003. La décision de l’AI a été confirmée par le tribunal cantonal par jugement du 22.12.2010.

Le 25.06.2012, l’assuré a déposé une nouvelle demande AI. L’office AI a procédé aux investigations usuelles ainsi qu’à la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire et d’une expertise de médecine du trafic. Par décision du 08.04.2014, l’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente d’invalidité à compter du 01.12.2012. Par communication du 24.04.2014, l’office AI a invalidé la décision du 08.04.2014, qui n’était pas encore entrée en force, en se fondant sur l’évaluation de la médecine du trafic. Par décision du 05.05.2014, l’office AI a réclamé la restitution des rentes déjà versées, d’un montant de 10’110 francs. Par décision du 25.06.2014, le droit à une rente d’invalidité a été nié. Tant le tribunal cantonal que le Tribunal fédéral (arrêt 8C_406/2015 du 31.08.2015) ont rejeté le recours déposé contre cette décision.

Le 17.10.2014, l’assuré a déposé une demande de mesures professionnelles auprès de l’office AI puis, le 22.02.2016, une nouvelle demande de prestations, se référant aux opérations qu’il a subies à l’épaule et à la colonne cervicale ainsi qu’aux attaques de panique et à la dépression dont il souffrait depuis 2012. Après de nouvelles investigations, dont une expertise médicale, l’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente d’invalidité à compter du 01.09.2018, par décision du 03.07.2020.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 16.03.2021, admission partiel du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à un quart de rente dès le 01.12.2017, une rente entière à partir du 01.03.2018, trois-quarts de rente à partir du 01.08.2018 et un quart de rente dès le 01.11.2018.

 

TF

L’assuré a recouru contre le jugement. L’office AI conclut au rejet du recours. Sur invitation du Tribunal fédéral, l’OFAS a pris position le 14.06.2021 sur les questions soulevées lors du symposium Weissenstein « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen » du 05.02.2021. Dans sa requête du 24.06.2021, l’OFSP a renoncé à prendre position. Le 30.06.2021, l’assuré s’est déterminé sur la prise de position de l’OFAS.

Par requête du 15.11.2021, l’assuré a fait parvenir la préimpression de la publication prévue dans la RSAS « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler. Sur invitation du Tribunal fédéral, l’office AI a pris position le 09.12.2021, l’OFAS le 21.12.2021 et l’OFSP le 23.12.2021. Le 14.01.2022, l’assuré a déposé une requête qualifiée de « quadruplique ».

Le Tribunal fédéral a tenu une délibération publique le 09.03.2022.

 

Interdiction des véritables nova – 99 LTF

Consid. 2.1
Le recours au Tribunal fédéral doit en principe être déposé dans un délai de 30 jours (art. 100 al. 1 LTF). Dans ce délai, il doit indiquer les motifs et être accompagné des moyens de preuve (art. 42 al. 1 LTF). Sauf exceptions (cf. art. 43 LTF), il n’est pas admissible de compléter la motivation du recours après l’expiration du délai (ATF 134 IV 156 consid. 1.6 ; arrêt 8C_467/2021 du 13 août 2021 consid. 1.1).

Consid. 2.2
Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF), ce qui doit être exposé plus en détail dans le recours. Les véritables nova, c’est-à-dire les faits et moyens de preuve survenus postérieurement au prononcé de la décision entreprise ou qui n’ont été produits qu’après celle-ci, ne sont pas admissibles devant le Tribunal fédéral (ATF 143 V 19 consid. 1.2 et les références). Ne sont pas concernés par l’interdiction des nova selon l’art. 99 al. 1 LTF les faits connus de tous et notoires pour le tribunal, comme par exemple la littérature spécialisée accessible à tous (arrêts 9C_224/2016 du 25 novembre 2016 consid. 2.1, non publié in : ATF 143 V 52, mais in : SVR 2017 KV n° 9 p. 39 ; 9C_647/2018 du 1er février 2019 consid. 2 ; Johanna Dormann, Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 3e éd. 2018, n. 43 et 53 ad art. 99 LTF).

Consid. 2.3
La requête de l’assuré du 15.11.2021, déposée spontanément plus de quatre mois après la réplique, constitue dans une large mesure un complément inadmissible au mémoire de recours et, à cet égard, ne doit en principe pas être prise en considération. L’objectif principal de cette requête était la remise de l’article « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr phil Schwegler, publié entre-temps dans la RSAS 2021 p. 287 ss. Il s’agit là d’une littérature spécialisée accessible à tous, qui n’est pas concernée par l’interdiction des nova. On peut toutefois se demander si cela s’applique également aux nouveaux tableaux Niveau de compétence (NC [KN en allemand]) 1 « light » (annexes 3a et 3b) et NC 1 « light-moderate » (annexes 4a et 4b) présentés en annexe, sur lesquels se base l’article. Il n’est toutefois pas nécessaire de répondre de manière définitive à la question de savoir ce qu’il en est, comme le montrent les considérants ci-après. Les arguments de l’assuré dans sa requête qualifiée de « quadruplique » ne peuvent pas non plus être pris en considération, dans la mesure où ils constituent également un complément inadmissible au mémoire exposant les motifs du recours.

 

Méthode générale de comparaison des revenus

Consid. 4.1
Le 01.01.2022, la loi fédérale révisée sur l’assurance-invalidité (LAI) est entrée en vigueur (Développement continu de l’AI [DCAI] ; modification du 19.06.2020, RO 2021 705, FF 2017 2535). La décision sur laquelle se fonde l’arrêt ici attaqué a été rendue avant le 01.01.2022. Conformément aux principes généraux du droit intertemporel et des faits déterminants dans le temps (cf. notamment ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 129 V 354 consid. 1 et les références), les dispositions de la LAI et celles du règlement sur l’assurance-invalidité (RAI) sont donc applicables dans la version qui était en vigueur jusqu’au 31.12.2021.

Consid. 4.2
Le tribunal cantonal a exposé à juste titre les dispositions déterminantes pour l’évaluation du droit à la rente en l’espèce (art. 28 LAI dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021), notamment celles relatives à l’incapacité de gain (art. 7 LPGA), à l’invalidité (art. 8 al. 1 LPGA en relation avec l’art. 4 al. 1 LAI) ainsi qu’à la détermination du taux d’invalidité selon la méthode générale de comparaison des revenus (art. 16 LPGA). Les explications relatives aux règles de révision applicables par analogie lors de la nouvelle demande (art. 17 al. 1 LPGA ; ATF 141 V 585 consid. 5.3 in fine et les références) sont également correctes. Il y est renvoyé.

Consid. 5.1
En ce qui concerne le moment du début de la rente, l’instance précédente a tout d’abord expliqué qu’en raison de l’incapacité de travail de 20% à prendre en compte depuis le 05.02.2015, le délai d’attente était considéré comme ouvert à cette date ; il a été rempli le 18.12.2017. Etant donné qu’au plus tôt du droit possible de la rente, l’incapacité de travail n’était que de 40% en moyenne, l’assuré avait droit à un quart de rente à partir du 01.12.2017, qui devait être augmenté à une rente entière au 01.03.2018 en application de l’art. 88a al. 2 RAI.

Pour déterminer le degré d’invalidité sur la base d’une comparaison des revenus, le tribunal cantonal s’est ensuite basé, en ce qui concerne le revenu d’invalide, sur les données issues de l’ESS 2018 publiée par l’OFS. Il a pris en compte la valeur centrale du tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé, total, hommes, niveau de compétence 1 de 5417 francs et a calculé – en l’adaptant au temps de travail hebdomadaire usuel de 41,7 heures et en le calculant sur une année entière – un revenu d’invalide de 67’766.67. francs pour un taux d’occupation de 100%. En tenant compte de la perte de gain de 2% à prendre en considération sur le revenu de valide ainsi que de l’abattement 10% accordée par l’office AI pour les limitations, l’instance précédente a calculé un revenu d’invalide de 23’908.09 francs pour un taux d’occupation de 40% et de 35’862.12 francs pour un taux d’occupation de 60%. Elle a constaté que les résultats des expertises mandatées par Coop Protection Juridique SA sur la question de l’accès équitable aux prestations d’invalidité, présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 et invoqués par l’assuré, ne permettaient pas de calculer le revenu d’invalide selon un autre mode. L’application concrètement demandée du quartile le plus bas [Q1] au lieu du salaire médian comme valeur de référence n’entre pas en ligne de compte en raison de la jurisprudence claire du Tribunal fédéral. S’agissant de l’abattement, la jurisprudence prévoit explicitement une déduction au maximum de 25% sur la valeur médiane en raison de l’atteinte à la santé. L’office AI a suffisamment tenu compte des caractéristiques correspondantes en appliquant une déduction de 10%. Sur la base de la comparaison entre le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide, le tribunal cantonal a constaté une perte de gain de 44’350.60 francs ou un taux d’invalidité de 65% en chiffres arrondis à partir du 01.05.2018 et une perte de gain de 32’396.57 francs ou un taux d’invalidité de 47% en chiffres arrondis à partir du 01.08.2018, ce qui a conduit, en application de l’art. 88a al. 2 RAI, à l’octroi de la rente (avec augmentation et diminution).

Consid. 5.2
L’assuré se plaint d’une violation du droit dans la détermination du revenu d’invalide. Dans son recours, il se réfère à nouveau aux résultats de l’enquête présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 et fait valoir que les recherches les plus récentes prouvent que l’application de la valeur médiane de l’ESS pour déterminer le revenu d’invalide rend impossible un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité. La pratique judiciaire en la matière est discriminatoire, car les personnes handicapées sont systématiquement désavantagées, ce qui viole les art. 6, 8 et 14 CEDH ainsi que l’art. 8 Cst. Dans le cas concret, les conséquences du handicap sur le revenu d’invalide ne sont pas prises en compte avec un abattement de 10%. Si le calcul de ce revenu était conforme au droit, il faudrait – en plus de la déduction pour les causes physiques – partir du quartile inférieur Q1 du tableau 9 ou 10 de l’ESS 2016, hommes, niveau de compétence 1, colonne 9/travailleurs auxiliaires. Cela donnerait – indexé pour 2018 et adapté au temps de travail hebdomadaire habituel de l’entreprise de 41,7 heures – un revenu annuel de 59’196 francs pour un taux d’occupation de 100%, de 20’884.35 francs pour un taux d’occupation de 40% et de 31’327.52 francs pour un taux d’occupation de 60%. En comparaison avec le revenu sans invalidité, il en résulte à partir du 01.05.2018 une perte de gain de 47’377.34 francs, soit un taux d’invalidité de 69,4%, et à partir du 01.08. 2018 une perte de gain de 36’931.69 francs, soit un taux d’invalidité arrondi à 54%, ce qui sert de base aux prestations de rente demandées.

Dans une autre requête, l’assuré indique ensuite que les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » figurant en annexe de la contribution de la RSAS « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » confirment les conclusions scientifiques des expertises présentées lors du symposium Weissenstein et donc l’effet discriminatoire de la pratique actuelle.

 

Détermination du revenu d’invalide

Consid. 6
Dans son argumentation, l’assuré – en s’appuyant sur les résultats d’analyse des expertises commandées par Coop Protection Juridique SA présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 ainsi que, en complément, sur les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » mentionnés – fait valoir en premier lieu et pour l’essentiel que la jurisprudence actuelle relative à la détermination du revenu d’invalide viole le droit et est discriminatoire. Il reste à examiner ci-après s’il y a lieu de modifier cette jurisprudence.

Pour une meilleure compréhension, nous présentons tout d’abord les bases juridiques déterminantes dans le cas présent pour la détermination du degré d’invalidité ainsi que la jurisprudence actuelle relative à la détermination du revenu d’invalide :

Consid. 6.1
Conformément à l’art. 16 LPGA, pour déterminer le degré d’invalidité, on met en relation le revenu de l’activité lucrative que l’assuré aurait pu obtenir, après la survenance de l’invalidité et après avoir suivi le traitement médical et d’éventuelles mesures de réadaptation, en exerçant une activité pouvant raisonnablement être exigée de lui sur le marché équilibré du travail (revenu d’invalide) avec le revenu de l’activité lucrative qu’il aurait pu obtenir s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité).

Consid. 6.2
Conformément à la jurisprudence actuelle, la détermination du revenu d’invalide contestée en l’espèce doit se fonder en premier lieu sur la situation professionnelle et lucrative dans laquelle se trouve concrètement la personne assurée. Si, après la survenance de l’invalidité, elle exerce une activité lucrative dans le cadre de laquelle – de manière cumulative – les rapports de travail particulièrement stables et que l’on peut supposer qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible, et si, en outre, le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, le salaire effectivement réalisé est en principe considéré comme le revenu d’invalide.

En l’absence d’un tel revenu, notamment parce que la personne assurée n’a pas repris d’activité lucrative après la survenance de l’atteinte à la santé ou, en tout cas, n’a pas repris d’activité lucrative raisonnablement exigible de sa part, il est possible, selon la jurisprudence, de se référer aux salaires figurant dans les tables de l’ESS (ATF 143 V 295 consid. 2.2 ; 135 V 297 consid. 5.2). En règle générale, c’est la ligne Total qui est appliquée (consid. 5.1 de l’arrêt 9C_237/2007 du 24 août 2007, non publié dans l’ATF 133 V 545 ; arrêt 9C_206/2021 du 10 juin 2021 consid. 4.4.2). Selon la pratique, la comparaison des revenus effectuée sur la base de l’ESS doit ensuite se baser sur le groupe de tableaux A (salaires bruts standardisés) (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa), en se référant habituellement au tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé (ATF 126 V 75 consid. 7a ; arrêts 8C_124/2021 du 2 août 2021 consid. 4.4.1 et 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1).

Ce principe n’est toutefois pas absolu et connaît des exceptions. Conformément à la jurisprudence, il peut tout à fait se justifier de se baser sur le tableau TA7, resp. T17 (à partir de 2012), si cela permet de déterminer plus précisément le revenu d’invalide et si le secteur public est également ouvert à la personne assurée (cf. arrêts 8C_124/2021 du 2 août 2021 consid. 4.4.1 et 8C_111/2021 du 30 avril 2021 consid. 4.2.1 et les références).

Lors de l’utilisation des salaires bruts standardisés, il convient, selon la jurisprudence, de partir à chaque fois de la valeur dite centrale (médiane) (ATF 126 V 75 consid. 3b/bb ; arrêt 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1).

Consid. 6.3
Si le revenu d’invalide est déterminé sur la base de données statistiques sur les salaires, comme notamment l’ESS, la valeur de départ ainsi relevée doit, selon la jurisprudence actuelle, être éventuellement réduite. Il s’agit ainsi de tenir compte du fait que des caractéristiques personnelles et professionnelles telles que le type et l’ampleur du handicap, l’âge, les années de service, la nationalité ou la catégorie de séjour et le taux d’occupation peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire (ATF 142 V 178 consid. 1.3 ; 124 V 321 consid. 3b/aa) et que, selon les circonstances, la personne assurée ne peut exploiter la capacité de travail restante qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, même sur un marché du travail équilibré (ATF 135 V 297 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. 5b/aa i.f.). L’abattement ne doit toutefois pas être automatique. Il doit être estimé globalement, en tenant compte des circonstances du cas d’espèce, dans les limites du pouvoir d’appréciation, et ne doit pas dépasser 25% (ATF 135 V 297 consid. 5.2 ; 134 V 322 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. 5b/bb-cc). La jurisprudence actuelle accorde notamment un abattement sur le revenu d’invalide lorsqu’une personne assurée est limitée dans ses capacités, même dans le cadre d’une activité non qualifiée physiquement légère. D’éventuelles limitations liées à la santé déjà comprises dans l’évaluation médicale de la capacité de travail ne doivent pas être prises en compte une seconde fois dans l’appréciation de l’abattement, conduisant sinon à une double prise en compte du même facteur (sur l’ensemble : ATF 146 V 16 consid. 4.1 s. et les références).

Consid. 6.4
Enfin, la jurisprudence actuelle tient également compte, lors de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA, du fait qu’une personne assurée percevait un revenu nettement inférieur à la moyenne dans l’activité qu’elle exerçait lorsqu’elle était en bonne santé, et ce pour des raisons étrangères à l’invalidité (p. ex. faible niveau de formation scolaire, absence de formation professionnelle, connaissances insuffisantes de l’allemand, possibilités d’embauche limitées en raison du statut de saisonnier), pour autant qu’il n’existe aucun indice permettant de penser qu’elle ne désirait pas s’en contenter délibérément. Cela permet de respecter le principe selon lequel les pertes de salaire dues à des facteurs étrangers à l’invalidité ne doivent pas être prises en compte, ou alors d’égale manière pour les deux revenus à comparer (ATF 141 V 1 consid. 5.4 et les références). En pratique, le parallélisme peut être effectué soit au regard du revenu sans invalidité en augmentant de manière appropriée le revenu effectivement réalisé ou en se référant aux données statistiques, soit au regard du revenu d’invalide en réduisant de manière appropriée la valeur statistique (ATF 134 V 322 consid. 4.1 et les références). Selon la jurisprudence actuelle, il ne faut toutefois intervenir que si le revenu sans invalidité est inférieur de plus de 5% par rapport au revenu médian usuel dans la branche, le parallélisme ne devant être effectué que dans la mesure où l’écart en pour cent dépasse la valeur limite de pertinence de 5% (cf. ATF 135 V 297 consid. 6.1 et les références).

Consid. 6.5
L’application correcte de l’ESS, notamment le choix du tableau ainsi que le recours au niveau déterminant (niveau de compétence ou d’exigence), est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement. En revanche, l’existence de conditions concrètement nécessaires, telles qu’une formation spécifique et d’autres qualifications, déterminante pour le choix d’un tableau donné de l’ESS, relève de l’établissement des faits. De même, l’utilisation des chiffres du tableau déterminant de l’ESS sur la base de ces éléments est une question de faits (ATF 143 V 295 consid. 2.4 et les références).

Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique, qu’il soit justifié par les limitations fonctionnelles ou par un autre motif, est une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement. En revanche, l’étendue de l’abattement (indiqué dans le cas concret) est une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2 et les références).

Consid. 6.6
Après avoir exposé les bases juridiques applicables au cas d’espèce, il convient de souligner qu’en raison du système de rentes linéaire – introduit par la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 01.01.2022 –, la détermination du degré d’invalidité au pourcentage près a désormais une grande importances, contrairement au système de l’échelonnement des rentes prévus jusqu’ici par l’art. 28 al. 2 LAI. L’art. 28a al. 1 LAI délègue désormais au Conseil fédéral la compétence de définir par voie d’ordonnance les règles et les critères de détermination du revenu avec et sans invalidité (p. ex. quand il faut se baser sur les valeurs réelles et quand il faut se baser sur les salaires statistiques ou quelle table doit être appliquée), qui reposaient jusqu’à présent en grande partie sur la jurisprudence. De même, le Conseil fédéral procède aux corrections découlant de la jurisprudence pour ces revenus (p. ex. critères à prendre en compte pour une déduction en raison du handicap et montant de la déduction correspondante). Il s’agit notamment de limiter la marge d’interprétation des offices AI et des tribunaux cantonaux, de garantir une unité de doctrine dans toute la Suisse et d’éviter autant que possible les litiges portés devant les tribunaux à propos de l’évaluation de l’invalidité (cf. message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [Développement continu de l’AI] du 15 février 2017, FF 2017 2363, en particulier 2493 et 2549 [en allemand : FF 2017 2535, en particulier 2668 et 2725]).

 

Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

Consid. 7
Un changement de jurisprudence doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs, lesquels, sous l’angle de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne. Un changement ne se justifie que lorsque la solution nouvelle procède d’une meilleure compréhension du but de la loi, repose sur des circonstances de fait modifiées, ou répond à l’évolution des conceptions juridiques (ATF 147 V 342 consid. 5.5.1 ; 146 I 105 consid. 5.2.2 ; 145 V 50 consid. 4.3.1 ; 141 II 297 consid. 5.5.1 ; 140 V 538 consid. 4.5 et les références).

Consid. 8.1
En ce qui concerne les motifs d’un changement de jurisprudence, le recours s’appuie pour l’essentiel sur l’expertise statistique « Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung » du bureau BASS du 8 janvier 2021 (auteurs : Jürg Guggisberg, Markus Schärrer, Céline Gerber et Severin Bischof ; ci-après: expertise BASS) ainsi que sur l’avis de droit « Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung » du 22 janvier 2021 (ci-après : avis de droit) et ses conclusions « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten ‘Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung’  » du 27 janvier 2021 (ci-après : conclusions de l’avis de droit), tous deux rédigés par Prof. Dr. iur. Gächter, Dr. iur. Egli, Dr. iur. Meier et Dr. iur. Filippo. Ces derniers résultats de recherche – selon l’assuré – démontrent que l’application de la valeur médiane de l’ESS rend impossible un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité et que la pratique des tribunaux place systématiquement les personnes handicapées dans une situation moins favorable et qu’elle est donc discriminatoire.

Consid. 8.1.1
Ainsi, il ressort de l’expertise BASS du 8 janvier 2021 que les personnes souffrant de problèmes durables à la santé perçoivent des salaires significativement plus bas que les personnes en bonne santé. Les salaires médians des tableaux de l’ESS reflètent largement les salaires des personnes en bonne santé. Le salaire médian des tableaux comme référence pour le revenu des invalides est fictif dans la mesure où il n’est effectivement atteint que par une minorité des personnes concernées. Enfin, des facteurs importants liés au salaire qui ne sont pas pris en compte pourraient réduire massivement les chances de certaines personnes concernées d’atteindre un salaire médian. La seule prise en compte du niveau de compétence ne suffit pas à déterminer le niveau de salaire.

Consid. 8.1.2
Les experts ayant participé à l’avis de droit du 22 janvier 2021 et aux conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 s’accordent ensuite sur dix thèses selon lesquelles la pratique judiciaire actuelle empêche un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité (rentes et mesures de réadaptation) :

« 1. La notion de « marché du travail équilibré » a été insidieusement renforcée par la pratique administrative et judiciaire pour devenir une considération largement fictive, qui ne tient plus compte des changements durables de la situation réelle du marché du travail au détriment des assurés.

  1. La question de savoir si la capacité de travail attestée par le médecin peut être utilisée sur le marché du travail (équilibré) ne peut être qu’affirmative ou négative. Les circonstances concrètes du cas d’espèce ne peuvent être prises en compte que dans le cadre d’une réglementation efficace des cas de rigueur, ce qui n’est jusqu’à présent pas suffisamment appliqué dans la pratique administrative et judiciaire.
  2. L’évaluation de la capacité de travail à partir de l’âge de 60 ans ou pour des profils de travail qui n’existent que si l’employeur fait preuve de complaisance sociale (« emplois de niche ») est éloignée de la réalité et n’est pas acceptable pour les assurés.
  3. Si l’on recourt à des données statistiques sur les salaires (ESS) pour déterminer le revenu d’invalide, ces valeurs moyennes et médianes doivent être adaptées au cas particulier. Dans la pratique administrative et judiciaire actuelle, il existe à cet effet plus d’une douzaine de caractéristiques dont il est régulièrement tenu compte par une déduction de 5 à 25% du salaire indiqué dans le tableau. La suppression (presque) totale de l’abattement sur le salaire statistique, prévue par la révision de l’AI (Développement continu de l’AI), entraînerait par conséquent un durcissement massif de la pratique en matière de rentes.
  4. La pratique administrative et judiciaire relative à l’abattement sur le salaire statistique est tentaculaire et incohérente, ce qui rend très difficile une application juridiquement équitable et sûre des caractéristiques pertinentes pour la déduction.
  5. L’exercice du pouvoir d’appréciation en matière d’abattement se heurte à des limites en raison des dispositions juridiques très vagues et n’est en outre soumis qu’à un contrôle judiciaire limité.
  6. Les données salariales de l’ESS utilisées englobent donc également un grand nombre de profils de postes inadaptés, qui ont tendance à être rémunérés plus fortement en raison de la pénibilité physique du travail, ce qui conduit à un revenu hypothétique d’invalide surestimé et donc à un degré d’AI plus faible.
  7. Les données salariales de l’ESS reposent sur les revenus de personnes en bonne santé. Or, il est possible de démontrer statistiquement que les personnes atteintes dans leur santé gagnent entre 10 et 15% de moins que les personnes en bonne santé exerçant la même activité.
  8. Le droit à des mesures professionnelles de l’AI – en premier lieu le reclassement – dépend de la perte de gain à laquelle on peut s’attendre, raison pour laquelle des salaires statistiques de l’ESS trop élevés (cf. thèses 7 et 8) se révèlent également être un obstacle au mandat de réadaptation de l’assurance-invalidité.
  9. Selon le Tribunal fédéral, l’utilisation des tables ESS existantes ne devrait être qu’une solution transitoire en raison de divers défauts. Dans le cadre du Développement continu de l’AI, ces défauts risquent d’être cimentés et renforcés à long terme, risquant de réduire encore davantage l’évaluation de l’invalidité à une fiction. »

Consid. 8.1.3
Comme solution pour un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité, les experts proposent, dans un premier temps, de se baser immédiatement sur le quartile le plus bas (salaire Q1). La deuxième étape consiste à élaborer des barèmes sur la base de profils d’exigence ou d’activités appropriées et à fixer temporairement des abattements clairs et réalistes applicables immédiatement. Dans un troisième temps, il conviendrait d’exploiter les potentiels de l’ESS (différenciations par branche économique, région, formation, âge, etc.) et d’autoriser immédiatement – c’est-à-dire dans le cadre du Développement continu de l’AI – des abattements temporaires dans les tableaux pour les facteurs susceptibles de réduire le salaire en cas de changement de poste pour des raisons de santé.

 

Consid. 8.2
L’assuré fait en outre remarquer que la Prof. em. Riemer-Kafka et al. sont parvenus à la même conclusion dans une contribution (Invalideneinkommen Tabellenlöhne, in: Jusletter vom 22. März 2021). Dans cette contribution, les auteurs sont également partis du principe que les valeurs médianes de l’ESS pour les personnes atteintes dans leur santé se situaient en dehors de la réalité et que les tables de l’ESS se concentraient sur les personnes en pleine possession de leurs moyens. Il serait nécessaire d’affiner les tables de l’ESS et d’appliquer de manière plus différenciée les abattements liés à l’état de santé aux circonstances réelles, dans le but d’obtenir une égalité de traitement lors de l’évaluation du degré d’invalidité. La pratique actuelle du Tribunal fédéral s’éloigne de cette réalité et conduit à une inégalité de traitement. Le niveau de compétences 1 comprend de nombreuses activités physiques généralement pénibles qui ne peuvent habituellement plus être exigées des assurés concernés. Les personnes atteintes dans leur santé ne sont en outre pas géographiquement mobiles, raison pour laquelle la référence à l’ESS pour l’ensemble de la Suisse sans différenciation régionale du salaire n’est pas appropriée pour ces personnes. Une possibilité d’évaluation différenciée du degré d’invalidité serait de prendre en compte les valeurs quartiles de l’ESS. Une autre solution consisterait à appliquer des barèmes en fonction de la profession ou de la formation, ou encore des barèmes conformes à l’invalidité.

 

Consid. 8.3
Enfin, dans son mémoire complémentaire du 15.11.2021, l’assuré renvoie à l’article « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn ». Il fait notamment valoir que les nouvelles tables KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » mentionnées dans l’annexe relative à l’ESS TA1_tirage_skill_level corroborent les conclusions scientifiques des expertises présentées lors du symposium Weissenstein et donc l’effet discriminatoire de la pratique actuelle. Ainsi, dans le tableau TA1, après élimination des facteurs de distorsion et des activités physiquement pénibles, on constate des salaires médians plus bas, en particulier pour les hommes. La différence de salaire ainsi calculée entre le KN 1 et le KN1 « light-moderate » est d’environ 5 %, et même de 16 % par rapport au KN1 « light ».

 

Consid. 9.1
La détermination du degré d’invalidité est réglée par l’art. 16 LPGA et donc, dans les grandes lignes, par la loi. Sur la base de cette disposition (en relation avec l’art. 7 al. 1 LPGA), le point de référence pour l’évaluation de l’invalidité dans le domaine de l’activité lucrative est le marché du travail supposé équilibré (ATF 147 V 124 consid. 6.2), contrairement au marché du travail effectif. Le fait de se référer au marché du travail équilibré selon l’art. 16 LPGA sert également à délimiter le domaine des prestations de l’assurance-invalidité de celui de l’assurance-chômage (ATF 141 V 351 consid. 5.2). Le marché du travail équilibré est une notion théorique et abstraite. Elle ne tient pas compte de la situation concrète du marché du travail, englobe également, en période de difficultés économiques, des offres d’emploi effectivement inexistantes et fait abstraction de l’absence ou de la diminution des chances des personnes atteintes dans leur santé de trouver effectivement un emploi convenable et acceptable. Il englobe d’une part un certain équilibre entre l’offre et la demande d’emploi ; d’autre part, il désigne un marché du travail qui, de par sa structure, laisse ouvert un éventail de postes différents (ATF 134 V 64 consid. 4.2.1 avec référence ; 110 V 273 consid. 4b ; cf. arrêt 8C_131/2019 du 26 juin 2019 consid. 4.2.2). Le marché du travail équilibré comprend également les emplois dits de niche, c’est-à-dire les offres d’emploi et de travail pour lesquelles les personnes handicapées peuvent compter sur une certaine obligeance de la part de l’employeur. On ne peut toutefois pas parler d’opportunité de travail lorsque l’activité raisonnablement exigible n’est possible que sous une forme si limitée qu’elle est pratiquement inconnue sur le marché équilibré du travail ou qu’elle n’est possible qu’avec la complaisance irréaliste d’un employeur moyen et que la recherche d’un emploi correspondant semble donc d’emblée exclue (SVR 2021 IV n° 26 p. 80, 8C_416/2020 E. 4 ; cf. Christoph Frey/Nathalie Lang, in : Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 72 ad art. 16 LPGA).

Avec le concept d’un marché du travail équilibré, le législateur part donc du principe que même les personnes atteintes dans leur santé ont accès à un emploi correspondant à leurs capacités (restantes). Même si l’éventail des offres d’emploi et de travail s’est modifié au cours des dernières décennies, notamment en raison de la désindustrialisation et des mutations structurelles, il n’est pas permis de s’écarter du concept de marché du travail équilibré prescrit par la loi en se référant à des possibilités d’emploi ou à des conditions concrètes du marché du travail. Dans cette mesure, la critique des experts mentionnée au considérant 8.1.2 (thèse 1), selon laquelle la notion de marché du travail équilibré a été insidieusement renforcée par la pratique administrative et judiciaire pour devenir une considération largement fictive, ne peut pas constituer un motif de modification de la jurisprudence.

 

Consid. 9.2
Jusqu’à présent, la détermination des revenus de l’activité lucrative sur lesquels se fonde la comparaison des revenus prévue à l’art. 16 LPGA (revenus sans invalidité et d’invalide) n’était pas réglée par la loi. La jurisprudence exposée aux considérants 6.2 à 6.5 s’est formée et développée au fil des ans.

Consid. 9.2.1
Conformément à la jurisprudence actuelle, on se base en premier lieu sur la situation professionnelle concrète, en ce sens que la détermination du revenu sans invalidité se fonde sur le gain réalisé dans l’activité exercée jusqu’alors et que celle du revenu d’invalide se base sur la situation professionnelle et lucrative dans laquelle se trouve la personne assurée après la survenance de l’invalidité.

S’il n’est pas possible de déterminer le revenu sans invalidité et/ou d’invalide selon les circonstances du cas d’espèce, on se base subsidiairement sur les statistiques salariales, en règle générale sur les salaires des tables de l’ESS. Dans ce sens, l’utilisation des ESS dans le cadre de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA est, selon une jurisprudence constante, l’ultima ratio (cf. ATF 142 V 178 consid. 2.5.7 et les références) et n’est en principe pas contestée. Les ESS reposent sur une enquête menée tous les deux ans auprès des entreprises en Suisse ; elles s’appuient donc sur des données complètes et concrètes du marché effectif du travail et reflètent l’ensemble des salaires en Suisse.

Lorsque le Tribunal fédéral utilise les salaires bruts standardisés de l’ESS, il se base sur la valeur dite centrale (médiane), ce qui signifie qu’une moitié des salariés gagne moins et l’autre moitié gagne plus. En règle générale, le salaire médian est inférieur à la moyenne arithmétique (« salaire moyen ») dans la répartition des salaires (revenus) et, en comparaison, il est relativement peu sensible [statistiquement parlant] à la prise en compte de valeurs extrêmes (salaires très bas ou très élevés) (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa et la référence ; arrêt 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1). Ce revenu médian peut donc en principe servir de valeur de référence pour déterminer le revenu d’invalide sur un marché du travail équilibré, en partant du principe que les personnes atteintes dans leur santé ont également accès à un emploi correspondant à leurs capacités (restantes).

Consid. 9.2.2
Afin de tenir compte du fait qu’une personne atteinte dans sa santé ne peut, dans certaines circonstances, mettre à profit sa capacité de travail résiduelle qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, même sur un marché du travail équilibré, la jurisprudence actuelle accorde, lors de la détermination du revenu d’invalide basé sur les données statistiques, la possibilité d’un abattement allant jusqu’à 25%. Cette déduction permet de tenir compte des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier qui justifient une réduction du salaire médian.

L’abattement revêt une importance primordiale en tant qu’instrument de correction lors de la fixation d’un revenu d’invalide aussi concret que possible – ce que reconnaissent également les experts dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 (p. 181, n. 687) et dans les conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 (p. 33, n. 93). Le Tribunal fédéral est et a toujours été conscient du fait que l’ESS recense des revenus effectivement réalisés par des personnes le plus souvent non handicapées (ATF 139 V 592 consid. 7.4).

L’expertise BASS n’apporte donc rien de nouveau en ce qui concerne la constatation que l’ESS contient principalement des revenus de personnes en bonne santé. Il met toutefois en évidence les dimensions quantitatives de l’écart des salaires des personnes atteintes dans leur santé et favorise la prise en compte du quartile inférieur Q1 plutôt que de la valeur centrale ou médiane. Jusqu’à présent, le Tribunal fédéral a explicitement refusé – en se référant à la possibilité d’un abattement en raison du handicap – de se baser sur le quartile inférieur Q1 de la valeur statistique au lieu du salaire médian ESS tant pour compenser les pertes liées au handicap que pour tenir compte des différences salariales régionales (arrêt 8C_190/2019 du 12 février 2020 consid. 4.1 et les références).

Outre l’abattement sur le salaire statistique, le parallélisme, en tant qu’autre instrument de correction, poursuit également le but de tenir compte du cas particulier lors de la comparaison des revenus par rapport à une considération standardisée. Dans la mesure où l’assuré fait valoir, en se référant à la critique des experts mentionnée au consid. 8.1.2 ci-dessus (thèses 5 et 6), que la pratique des tribunaux, notamment en matière d’abattement, est excessive et incohérente, il convient d’objecter que le taux de l’abattement indiqué dans le cas concret constitue une question d’appréciation et ne peut être corrigé en dernière instance qu’en cas d’excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou en abusant de celui-ci (cf. consid. 6.5 ci-dessus).

Dans la mesure où la jurisprudence du Tribunal fédéral ne permet pas de déduire quelle déduction est appropriée pour quelles caractéristiques dans un cas concret, elle démontre simplement – mais toujours – si une certaine déduction constitue ou non une erreur de droit dans l’exercice du pouvoir d’appréciation.

Consid. 9.2.3
En résumé, pour déterminer le degré d’invalidité de la manière la plus réaliste possible au moyen d’une comparaison des revenus au sens de l’art. 16 LPGA, la jurisprudence actuelle s’oriente subsidiairement, en l’absence de données salariales concrètes, sur les valeurs centrales ou médianes de l’ESS, qui reflètent un marché du travail équilibré. Les possibilités de déduction sur le salaire statistique et de parallélisation constituent des instruments de correction pour une prise en compte adaptée au cas individuel par rapport à une prise en compte standardisée.

La question de savoir dans quelle mesure la détermination du revenu d’invalide sur la base des valeurs médianes de l’ESS, éventuellement corrigées par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire, n’a pas été soulevée de manière étayée dans le recours et n’apparaît pas clairement au regard des arguments avancés par l’assuré. Il ne ressort pas non plus de l’expertise BASS du 8 janvier 2021, ni de l’expertise juridique du 22 janvier 2021, ni des conclusions de l’expertise juridique du 27 janvier 2021, que le fait de partir de la valeur médiane, éventuellement corrigée par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire. Au contraire, les experts dans l’avis de droit et dans les conclusions de l’avis de droit soulignent eux-mêmes l’importance primordiale de l’abattement en tant qu’instrument de correction pour la fixation d’un revenu d’invalide aussi correct que possible. A cet égard, il convient de relever que, d’une part, le salaire médian est en partie atteint par des personnes atteintes dans leur santé et que, d’autre part, les instruments de correction actuels, notamment la possibilité de réduire jusqu’à 25% la valeur médiane, permettent de déterminer un revenu d’invalide inférieur au quartile inférieur Q1.

Il n’y a donc pas de motifs sérieux et objectifs pour modifier la jurisprudence relative au revenu d’invalide déterminé sur la base de données statistiques. On ne peut notamment pas partir du principe que le fait de se baser sur le quartile inférieur Q1 au lieu de la valeur médiane correspond à une meilleure compréhension du but de la loi, à une modification des circonstances de fait ou à l’évolution des conceptions juridiques, comme cela serait nécessaire pour un changement de jurisprudence.

Ce constat est illustré par l’assurance-accidents, dans laquelle le degré d’invalidité est également déterminé selon l’art. 16 LPGA. Le Tribunal fédéral part du principe de l’uniformité de la notion d’invalidité (ATF 133 V 549 consid. 6.1 ; cf. Christoph Frey/Nathalie Lang, op. cit., n. 2, 5 et 79 concernant l’art. 16 LPGA). Se baser sur le quartile inférieur Q1 plutôt que sur la valeur médiane pour déterminer le revenu d’invalide d’un assuré victime d’un accident qui ne peut plus exercer son activité habituelle aurait pour conséquence l’attribution fréquente d’une rente d’invalidité de l’assurance-accidents – étant donné qu’un degré d’invalidité de 10% est déjà déterminant pour l’octroi d’une rente (art. 18 al. 1 LAA). Dans ce contexte, on est surpris que l’OFSP ait renoncé à prendre position sur le recours [Vernehmlassung], faute d’être concerné.

 

Consid. 9.2.4
Enfin, même si les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » relatifs à l’ESS TA1_tirage_skill_level, mentionnés dans l’annexe de la revue RSAS précitée, n’étaient pas qualifiés de véritables nova (cf. consid. 2.2 et 2.3 ci-dessus), ils ne constituent pas non plus un motif sérieux et objectif pour modifier la jurisprudence relative au revenu d’invalide déterminé sur la base de données statistiques. On peut se référer dans une large mesure au considérant précédent. Dans son mémoire complémentaire, l’assuré ne démontre pas non plus en quoi le calcul du revenu d’invalide sur la base des valeurs médianes du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS, éventuellement corrigées par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire. Se contenter de renvoyer à de nouveaux tableaux avec des valeurs médianes corrigées ne suffit pas à cet effet, d’autant plus que les écarts allégués de 5% pour le tableau KN 1 « light-moderate » et de 16 % pour le KN 1 « light » peuvent être pris en compte avec les instruments de correction actuels, notamment avec la possibilité d’une déduction de la valeur médiane pouvant atteindre 25%.

En outre, le salaire médian selon le tableau TA1_tirage_skill_level est également atteint par des personnes atteintes dans leur santé – comme mentionné ci-dessus – et n’est pas une valeur fantaisiste. Les auteurs de la contribution parlent, à propos des deux nouveaux tableaux, d’un instrument développé sur une base scientifique et interdisciplinaire qui devrait contribuer à la discussion sur le développement de salaires comparatifs plus conformes à l’invalidité, qui pourrait peut-être même convaincre les instances chargées d’appliquer le droit et qui pourrait être utilisé dans la pratique dans l’intérêt d’une plus grande justice et d’un traitement équitable (RSAS 2021 p. 295).

Dans leurs prises de position, l’OFAS et l’OFSP indiquent que le Conseil fédéral a reconnu la nécessité d’agir dans ce sens et qu’il a chargé l’OFAS, dans le cadre du Développement continu de l’AI, d’examiner s’il était possible de développer des bases de calcul spécifiquement adaptées à l’assurance-invalidité. Dans le cadre de cet examen, l’OFAS tiendra bien entendu compte de l’analyse du bureau BASS, de l’avis de droit du Prof. Dr. iur. Gächter et al. ainsi que de l’étude de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler. Selon l’OFAS, il convient de noter que les corrections proposées, notamment pour la dernière étude mentionnée, se concentrent sur les personnes assurées souffrant de troubles physiques. L’accent des nouvelles bases de calcul pour les salaires statistiques est donc mis sur l’élimination des activités qui représentent une (lourde) charge physique. Il convient toutefois de noter que, dans l’assurance-invalidité, près de la moitié des bénéficiaires de rentes souffrent de troubles psychiques à l’origine de leur incapacité de gain et que les travaux physiques pénibles demeurent en soi exigibles pour ces assurés. Selon l’OFAS, il conviendra donc d’examiner entre autres comment la solution proposée se répercutera sur l’ensemble des assurés, également sous l’angle de l’égalité de traitement, si elle est compatible avec le concept d’un marché du travail équilibré, comment elle devrait être coordonnée avec les instruments de correction actuels et, enfin, si et comment elle s’intègre dans la structure de l’évaluation de l’invalidité selon le Développement continu de l’AI. Pour ce faire, il faudrait analyser et développer d’éventuels nouveaux tableaux en tenant compte du cadre légal, des conséquences financières et des répercussions sur les autres assurances sociales.

En l’état actuel des choses, on ne peut donc pas partir du principe que le fait de se baser sur les valeurs médianes corrigées des nouveaux tableaux au lieu de la valeur médiane actuelle du tableau TA1_tirage_skill_level correspond à une meilleure compréhension du but de la loi, à une modification des circonstances de fait ou à l’évolution des conceptions juridiques.

Consid. 9.2.5
En résumé, à l’aune de ce qui précède, les conditions d’une modification de la jurisprudence ne sont pas remplies. On ne peut toutefois pas en déduire que la jurisprudence ne peut pas évoluer – notamment sous une situation juridique révisée – puisque le Tribunal fédéral a déjà constaté que des démarches étaient en cours en vue d’un setting plus précis concernant l’utilisation de l’ESS dans l’assurance-invalidité (ATF 142 V 178 consid. 2.5.8.1). Dans ce sens, l’examen de tableaux plus différenciés pour déterminer notamment le revenu d’invalide sur la base de valeurs statistiques constitue un pas dans la bonne direction. Il convient de saluer le fait que, comme le mentionne l’OFAS, les relevés et les analyses de l’expertise BASS du 8 janvier 2021, de l’avis de droit du 22 janvier 2021, des conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 ainsi que de la contribution de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler publiée dans la RSAS doivent dans ce cadre être pris en considération.

 

Consid. 9.3
Enfin, une modification de la jurisprudence n’est pas non plus opportune compte tenu de la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 01.01.2022. Même si la situation juridique concernant la détermination du revenu d’invalide des personnes atteintes dans leur santé peut ne pas être satisfaisante en tous points, il convient de constater que la critique fondamentale formulée dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 et dans les conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 est essentiellement dirigée contre certaines parties de la révision de l’AI (Développement continu de l’AI). Les enquêtes et analyses correspondantes seront intégrées – tout comme celles contenues dans la contribution de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler – dans l’examen du développement de bases de calcul spécifiquement adaptées à l’assurance-invalidité qui doit être effectué dans le cadre du Développement continu de l’AI (cf. consid. 9.2.4 ci-dessus).

Il n’est pas possible dans le cadre de la présente procédure de se pencher plus en détail sur la révision entrée en vigueur le 01.01.2022, étant donné que le présent cas doit être tranché selon l’ancien droit. Dans la mesure où la critique porte sur la jurisprudence actuelle, il n’est pas indiqué de la modifier, notamment au vu de la durée d’application limitée par la révision entrée en vigueur entre-temps.

 

Consid. 10 [non publié aux ATF 148 V 174]
Les conditions d’un changement de jurisprudence n’étant pas remplies, il reste à examiner si l’instance cantonale a violé le droit fédéral en déterminant le revenu d’invalide de l’assuré.

Consid. 10.1 [non publié aux ATF 148 V 174]
Le fait de se référer à l’ESS n’est pas contesté. Dans la mesure où l’assuré fait valoir un revenu d’invalide en tant que travailleur non-qualifié, niveau de compétence 1, quartile inférieur Q1 selon le tableau 9 ou 10 de l’ESS, il ne soulève pas de griefs concrets à l’encontre du tableau TA1_tirage_skill_level utilisé par l’instance cantonale, mais à l’encontre de l’utilisation de la valeur médiane qui y est indiquée. Le fait de se référer au tableau TA1_tirage_skill_level, à la ligne « Total » et à la valeur centrale (médiane) correspond toutefois à la jurisprudence. Selon les considérations ci-dessus, il n’y a aucune raison de s’en écarter et de se baser sur le quartile inférieur Q1.

Consid. 10.2 [non publié aux ATF 148 V 174]
L’assuré fait valoir que l’abattement de 10% ne tient pas suffisamment compte des conséquences du handicap sur le revenu d’invalide ; en plus de la déduction, il faudrait se baser sur le quartile inférieur Q1. Il ressort du consid. 10.1 ci-dessus qu’il ne faut pas se baser sur le quartile Q1. L’étendue de l’abattement (indiqué dans le cas concret) est une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (cf. consid. 6.5 ci-dessus).

Le tribunal cantonal a confirmé l’abattement de 10% retenu par l’office AI en raison des limitations fonctionnelles. Il a expliqué que la limitation du port de charges avec la main droite dominante, l’interdiction de monter sur des échelles et des échafaudages ainsi que d’utiliser des machines dangereuses, la recommandation d’éviter les contacts sociaux continus et le fait que le port de charges très légères devait être alterné avaient déjà été pris en compte lors de la description de l’activité encore exigible et n’imposaient pas de limitations supplémentaires dans le cadre d’une activité adaptée.

Sa structure simple et son QI de 61 ont été pris en compte dans l’évaluation neuropsychologique et ont conduit, dans l’évaluation globale de l’incapacité de travail, à une prise en compte partiellement cumulative des différentes limitations dans les différentes disciplines médicales, raison pour laquelle une prise en compte supplémentaire est également exclue ici.

La présence maximale de cinq à huit heures ne change en rien le rendement de 40 ou 60% pour un taux d’occupation de 100%, raison pour laquelle l’office AI n’a, à juste titre, pas tenu compte d’un abattement en raison d’une activité à temps partiel.

Enfin, l’âge de l’assuré ne constitue pas un motif supplémentaire d’abattement. La situation actuelle due au Covid-19 n’est pas un motif pour s’écarter temporairement du marché du travail équilibré.

Consid. 10.3 [non publié aux ATF 148 V 174]
En résumé, les arguments avancés dans le recours ne font pas apparaître l’arrêt attaqué comme arbitraire ou contraire d’une autre manière au droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_256/2021 consultable ici

ATF 148 V 174 consultable ici 

 

Proposition de citation : 148 V 174 – Détermination du revenu d’invalide, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/04/8c_256-2021-148-v-174)

 

 

9C_237/2021 (f) du 31.01.2022 – Début du droit à une rente entière d’invalidité après aggravation de l’état de santé (troubles dégénératifs sévères) / 28 LAI –29 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_237/2021 (f) du 31.01.2022

 

Consultable ici

 

Début du droit à une rente entière d’invalidité après aggravation de l’état de santé (troubles dégénératifs sévères) / 28 LAI –29 LAI

 

Le 24.06.2015, l’assurée, qui avait bénéficié d’une rente entière d’invalidité du 01.08.1994 au 30.09.1998, a présenté une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité. Par décision du 25.06.2019, l’office AI lui a alloué une rente entière dès le 01.05.2016. Entre autres éléments, il a tenu compte d’une aggravation de l’état de santé en se fondant sur le rapport du docteur B.__ du 15.04.2019; l’office AI a fixé la survenance de cette aggravation au 22.05.2015 après avoir requis l’avis du médecin de son Service médical régional.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/162/2021 – consultable ici)

La juridiction cantonale a constaté que le docteur B.__ avait attesté une aggravation de la situation médicale, mais s’était montré incapable de fixer précisément la date à laquelle elle était survenue, ajoutant toutefois que l’intervention pratiquée en juillet 2016 avait accentué « un tableau clinique très péjoré ». Elle a en outre relevé que cette date avait été fixée au 22.05.2015 par le docteur C.__ en référence à un rapport d’IRM, établi le 22.05.2015, qui avait mis en évidence des troubles dégénératifs sévères. Elle a considéré qu’eu égard à leur nature dégénérative, les troubles objectivés n’étaient pas apparus brusquement. Elle a jugé au contraire que, dans la mesure où la réalisation d’une IRM avait forcément été précédée par des investigations que des symptômes douloureux avaient rendues nécessaires, il était hautement vraisemblable que les troubles en question étaient déjà présents six mois avant l’examen du 22.05.2015, soit en décembre 2014. Elle en a déduit que le délai de carence d’une année était arrivé à échéance en décembre 2015, soit six mois après le dépôt de la nouvelle demande de prestations. Elle a dès lors fixé la naissance du droit à la rente au 01.12.2015 au lieu du 01.05.2016.

Par jugement du 18.02.2021, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

En fixant le début du droit à la rente au 01.12.2015, les juges cantonaux ont procédé à des suppositions reposant sur le caractère évolutif des troubles dégénératifs affectant l’assurée sans tenir compte de l’ensemble des rapports médicaux figurant au dossier. Or, les troubles évoqués ont été objectivés pour la première fois à l’occasion des IRM effectuées en mai et juin 2015 (dont les rapports ont du reste motivé la nouvelle demande de prestations) et c’est leur évolution significative (« changement manifeste de la présentation clinique ») entre cette époque et septembre 2015 qui a incité le docteur D.__ à requérir un avis neurochirurgical. Dans ces circonstances, il était parfaitement légitime pour l’office AI de faire remonter la détérioration de la situation médicale au mois de mai et, par conséquent, de fixer le début du droit à la rente en mai 2016.

En adoptant un point de vue contraire à la situation de fait, sans avancer d’éléments objectifs pour confirmer l’existence de douleurs six mois avant les examens IRM, la juridiction cantonale a donc fait preuve d’arbitraire (sur cette notion, cf. notamment ATF 139 III 334 consid. 3.2.5; 137 I 1 consid. 2.4 et les références).

L’argumentation de l’assurée fondée sur une aggravation progressive de son état de santé depuis 2008 ne repose pas davantage sur des éléments objectifs mis en évidence notamment par le médecin du SMR. Elle ne saurait être suivie.

Il convient dès lors d’annuler l’arrêt attaqué et de confirmer la décision administrative litigieuse: l’assurée a droit à une rente entière à partir du 01.05.2016 seulement.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision AI.

 

 

Arrêt 9C_237/2021 consultable ici