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6B_556/2019 (f) du 17.07.2019 – Incapacité de conduire pour cause d’alcool – Rapport du contrôle non établi – 13 al. 3 OCCR – 26 al. 1 OOCCR-OFROU / Violation d’une prescription de forme – (in)exploitabilité du moyen de preuve – 141 al. 3 CPP

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_556/2019 (f) du 17.07.2019

 

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Incapacité de conduire pour cause d’alcool – Rapport du contrôle non établi / 13 al. 3 OCCR – 26 al. 1 OOCCR-OFROU

Violation d’une prescription de forme – (in)exploitabilité du moyen de preuve / 141 al. 3 CPP

 

Le 16.12.2017, X.__ a été arrêté au volant de son véhicule à 05h30, dans le cadre d’un contrôle de routine. Les agents qui ont procédé à son interpellation lui ont demandé s’il avait consommé des boissons alcoolisées dans les vingt dernières minutes, ce à quoi il a répondu par la négative. Un premier test à l’éthylotest a été effectué sur place. Les agents ont relevé un taux de 0.53 mg/l. Face à ce résultat, X.__ se serait ravisé et aurait déclaré avoir bu dans les vingt dernières minutes. Les agents l’ont donc fait patienter sur place et l’ont soumis une seconde fois à un test au moyen de leur appareil portatif, lequel s’est à nouveau révélé positif. Conduit au centre de la Blécherette, X.__ a passé un test à l’éthylomètre qui a indiqué un taux de 0.53 mg/l. Le policier a alors indiqué qu’il devait lui poser des questions pour établir un rapport, ce à quoi X.__ s’est opposé. Il a également refusé de signer tout document qui lui serait présenté, notamment le formulaire « protocole d’incapacité de conduire et une saisie provisoire du permis de conduire », et renoncé à demander une prise de sang.

Par jugement du 29.112018, le Tribunal de police a constaté que X.__ s’était rendu coupable de conduite en état d’ébriété qualifiée, l’a condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à 30 fr. le jour. Il a également condamné à une amende de 1000 fr. La Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal a rejeté l’appel par jugement du 11.03.2019.

 

TF

L’art. 55 al. 1 LCR prescrit que les conducteurs de véhicules, de même que les autres usagers de la route impliqués dans un accident, peuvent être soumis à un alcootest. Aux termes de l’art. 10a al. 1 OCCR, le contrôle de l’alcool dans l’air expiré peut être effectué au moyen (a) d’un éthylotest au sens de l’art. 11 ou (b) d’un éthylomètre au sens de l’art. 11a OCCR. Conformément à l’art. 11a OCCR, le contrôle effectué au moyen d’un éthylomètre peut avoir lieu au plus tôt après un délai d’attente de dix minutes (al. 1). Si l’éthylomètre décèle la présence d’alcool dans la bouche, il faut attendre au moins cinq minutes supplémentaires pour effectuer le contrôle (al. 2).

L’art. 13 al. 1 OCCR, intitulé « Obligations de la police », prévoit que la police est notamment tenue d’informer la personne concernée (a) qu’une prise de sang sera ordonnée en cas de refus de coopérer à un test préliminaire ou au contrôle au moyen de l’éthylomètre (art. 55, al. 3, LCR), (b) que la reconnaissance du résultat du contrôle de l’alcool dans l’air expiré selon l’art. 11 entraînera l’introduction d’une procédure administrative et d’une procédure pénale (c) qu’elle peut exiger une prise de sang. Selon l’art. 13 al. 2 OCCR, si la personne concernée refuse de se soumettre à un examen préliminaire, à un contrôle au moyen de l’éthylomètre, à une prise de sang, à une récolte des urines ou à un examen médical, elle sera informée des conséquences de son refus (art. 16c, al. 1, let. d, en relation avec l’al. 2 et l’art. 91a, al. 1, LCR). L’art. 13 al. 3 OCCR précise que le déroulement du contrôle au moyen de l’éthylomètre, la récolte des urines, les constatations de la police, la reconnaissance du résultat dudit contrôle ainsi que le mandat de procéder à un prélèvement de sang et à la récolte des urines, ou la confirmation du mandat, doivent être consignés dans un rapport. L’OFROU fixe les exigences minimales relatives au contenu et à la forme de ce rapport.

Fondé sur cette délégation de compétence, l’OFROU a prévu, à l’art. 26 al. 1 de son Ordonnance du 22 mai 2008 concernant l’ordonnance sur le contrôle de la circulation routière (OOCCR-OFROU; RS 741.013.1), que le déroulement du contrôle au moyen de l’éthylotest, la récolte des urines, les constatations de l’autorité de contrôle, la reconnaissance du résultat dudit contrôle ainsi que le mandat de procéder à un prélèvement de sang et à la récolte des urines, ou la confirmation du mandat (art. 13, al. 3, OCCR) doivent être consignés dans le rapport visé à l’annexe 2. L’art. 26 al. 1 OOCCR-OFROU s’applique également au contrôle à l’éthylomètre (cf. art. 13 al. 3 OCCR; « Instructions concernant la constatation de l’incapacité de conduire dans la circulation routière » émises par l’OFROU le 2 août 2016, ch. 1.3.3).

Il ressort des dispositions légales précitées que lors d’un contrôle à l’éthylomètre au sens de l’art. 11a OCCR, la police doit établir un rapport conformément aux art. 13 al. 3 OCCR et 26 al. 1 OOCCR-OFROU. Contrairement à ce que retient la cour cantonale, l’annexe 2 OOCCR-OFROU se réfère expressément à l’al. 1 de l’art. 26 OOCCR-OFROU (« Rapport lorsqu’une personne est suspectée d’incapacité de conduire »), et non à l’al. 2 de cette même disposition qui traite de la problématique d’une consommation d’alcool après l’événement critique. Aussi, l’exigence d’un rapport selon les art. 13 al. 3 OCCR et 26 al. 1 OOCCR-OFROU s’appliquait-elle bien au cas d’espèce. Or, la police n’a pas établi ce rapport lors du contrôle de X.__. Il convient dès lors d’examiner quelles sont les conséquences de ce manquement.

 

Aux termes de l’art. 141 al. 2 CPP, les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves. L’art. 141 al. 3 CPP prévoit en revanche que les preuves administrées en violation de prescriptions d’ordre sont exploitables.

Lorsque la loi ne qualifie pas elle-même une disposition de règle de validité, la distinction entre une telle règle et une prescription d’ordre s’opère en prenant principalement pour critère l’objectif de protection auquel est censée ou non répondre la norme. Si la disposition de procédure en cause revêt une importance telle pour la sauvegarde des intérêts légitimes de la personne concernée qu’elle ne peut atteindre son but que moyennant l’invalidation de l’acte de procédure accompli en violation de cette disposition, on a affaire à une règle de validité (ATF 144 IV 302 consid. 3.4.3 p. 310; 139 IV 128 consid. 1.6 p. 134; Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1163).

Il s’agit de déterminer si, dans les circonstances concrètes, la sauvegarde des intérêts légitimes de X.__ impose que l’absence de rapport dressé conformément à l’art. 13 al. 3 OCCR entraîne l’inexploitabilité des preuves recueillies grâce au test à l’éthylomètre en vertu de l’art. 141 al. 2 CPP, ou s’il ne s’agit ici que de la violation d’une prescription de forme au sens de l’art. 141 al. 3 CPP, sans conséquence sur la validité du moyen de preuve. Dans cette optique, on commencera par examiner si les éléments que le rapport aurait dû contenir font entièrement défaut, ou s’ils ont néanmoins été constatés par les policiers et figurent au dossier.

La cour cantonale a constaté que les rubriques relatives à la consommation d’alcool et à la mesure à l’éthylomètre ont été complétées par divers écrits versés au dossier, notamment dans la mesure où le ministère public a invité les dénonciateurs à établir un rapport complémentaire répondant à une série de questions. Par conséquent, tous les éléments d’information exigés par l’annexe 2 OOCCR-OFROU figuraient au dossier. X.__ soutient, pour sa part, que des constatations rassemblées a posteriori ne sont pas conformes à l’art. 13 al. 3 OCCR. Subsidiairement, si l’établissement du rapport n’est pas une condition de validité du contrôle, il fait valoir que le résultat de la mesure a, dans ces conditions, été retenu de manière manifestement inexacte (art. 97 al. 1 LTF).

Il résulte du dossier que le ticket tiré de l’éthylomètre et indiquant un taux de 0.53 mg/l a été joint au rapport d’ivresse qualifiée de X.__ établi le jour du contrôle. En outre, la cour cantonale a constaté que la question de savoir si X.__ avait bu dans les vingt dernières minutes avant de souffler dans l’éthylotest (cf. art. 11 al. 1 let. a OCCR) avait été abordée par les policiers au moment du contrôle. X.__ s’est de surcroît exprimé sur sa consommation d’alcool devant le ministère public. Dès lors, dans les circonstances concrètes, X.__ ne démontre pas en quoi le fait que certains éléments d’information exigés par les art. 13 al. 2 OCCR et 26 OOCCR-OFROU ont été rassemblés au cours de la procédure aurait porté à ses intérêts légitimes. Par conséquent, il faut conclure ici à une violation d’une prescription de forme, qui n’entraîne pas l’inexploitabilité du moyen de preuve (art. 141 al. 3 CPP).

 

X.__ remet en cause le résultat du test à l’éthylomètre. Il soutient qu’il n’a pas été invité à souffler de manière adéquate dans l’appareil utilisé. En effet, selon un « texte de presse » de l’OFROU, produit lors de l’audience d’appel, le conducteur doit souffler au moins cinq secondes dans un tube relié à l’éthylomètre. Or il avait soufflé « d’un coup », ce qui avait pu fausser le résultat constaté.

Même à retenir qu’il avait soufflé « d’un coup » dans l’appareil, comme il le prétend, il ne démontre pas en quoi il était insoutenable de considérer que la mesure était probante compte tenu du fait qu’elle avait été effectuée par un professionnel après deux expirations distinctes dans l’appareil, que le rapport ne signalait aucune difficulté quant à un mode d’expiration non conforme aux instructions données, que la mesure obtenue était identique à celle réalisée auparavant avec l’éthylotest sur les lieux du contrôle routier et qu’en définitive, il ne ressortait d’aucun document officiel qu’un souffle inférieur à cinq secondes pouvait conduire à un « faux positif ».

Le TF rejette le recours de X.__.

 

 

Arrêt 6B_556/2019 consultable ici

 

 

4A_179/2019 (d) du 24.09.2019, destiné à la publication – Principe de la publicité de la justice – Les pourparlers transactionnels dans un procès civil ne sont pas publics – Exclusion justifiée d’une journaliste

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_179/2019 (d) du 24.09.2019, destiné à la publication

 

Arrêt 4A_179/2019 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 14.10.2019 disponible ici

 

Principe de la publicité de la justice – Les pourparlers transactionnels dans un procès civil ne sont pas publics

Exclusion justifiée d’une journaliste

 

Les discussions transactionnelles menées dans le cadre d’un procès civil ne sont pas soumises au principe de la publicité de la justice, car elles ne font pas partie de l’activité juridictionnelle du tribunal. Une journaliste s’est ainsi vu refuser à juste titre le droit d’assister à des pourparlers transactionnels devant le Tribunal des prud’hommes de Zurich.

En 2018, le Tribunal des prud’hommes de Zurich avait refusé la présence d’une chroniqueuse judiciaire accréditée lors de pourparlers transactionnels qui avaient lieu à l’issue d’une audience des débats principaux. Après avoir attaqué sans succès la décision du Tribunal des prud’hommes devant la Cour suprême du canton de Zurich, la journaliste a recouru au Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral rejette le recours. Conformément à l’article 30 alinéa 3 de la Constitution fédérale (Cst.), l’audience et le prononcé du jugement sont publics. Selon l’article 54 du Code de procédure civile (CPC), qui concrétise le principe constitutionnel pour la procédure civile, les débats et une éventuelle communication orale du jugement sont publics. Des exceptions sont possibles. Dans la procédure de conciliation, l’audience n’est pas publique (article 203 CPC). La publicité tend à assurer la transparence de la jurisprudence et à renforcer ainsi la confiance dans la justice. Par leurs comptes-rendus de l’activité judiciaire, les médias assurent un rôle important de transmission. Ils rendent l’activité du juge accessible à un public plus large.

Le principe de la publicité de la justice ne s’applique pas à toutes les phases de la procédure. La notion d’audience ne se rapporte qu’aux débats où les parties sont confrontées l’une à l’autre devant le tribunal, lorsqu’il est procédé aux auditions, à l’administration des preuves et aux plaidoiries. Sont compris uniquement les éléments de la procédure qui constituent le fondement permettant de liquider le litige par un jugement. Les pourparlers transactionnels n’en font pas partie. Ils ont pour but le règlement à l’amiable du litige. Le tribunal tient alors le rôle de médiateur entre les parties. La teneur des discussions transactionnelles ne figure pas dans le procès-verbal et ne peut pas servir de base à un éventuel jugement. Les pourparlers transactionnels ne représentent ainsi pas une étape nécessaire en vue de la décision judiciaire sur l’objet du litige. Dans la mesure où les discussions transactionnelles se tiennent dans ce cadre, il ne s’agit alors pas d’une activité juridictionnelle du tribunal, dont la transparence est garantie par la Cst. et le CPC.

 

 

Arrêt 4A_179/2019 consultable ici

 

 

6B_1188/2018 (d) du 26.09.2019, destiné à la publication – Condamnation fondée sur les enregistrements d’une dashcam : le recours de la conductrice est admis

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1188/2018 (d) du 26.09.2019, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 10.10.2019 disponible ici

 

Le Tribunal fédéral annule la condamnation d’une conductrice qui avait été reconnue coupable de multiples violations des règles de la circulation routière sur la base des enregistrements de la dashcam d’un autre usager de la route. L’exploitation, comme moyen de preuve, des prises de vue obtenues en violation de la Loi sur la protection des données, n’est pas admissible dès lors que les violations des règles de la circulation routière en question ne constituent pas des infractions graves. Le Tribunal fédéral n’a pas dû trancher la question de savoir si une exploitation des enregistrements à titre de preuve aurait été licite en cas d’infractions graves.

L’intéressée avait été condamnée en 2018 par le Tribunal de district de Bülach à une peine pécuniaire avec sursis ainsi qu’à une amende de 4000 francs pour de multiples violations des règles de la circulation routière, pour partie graves, sur la base des enregistrements de la dashcam d’un autre usager de la route. Le Tribunal cantonal du canton de Zurich a confirmé le jugement.

Le Tribunal fédéral admet le recours de l’intéressée et annule le jugement du Tribunal cantonal. Les enregistrements privés de la dashcam ont été obtenus en violation de la Loi sur la protection des données (LPD), et donc de manière illégale. Puisque la réalisation de prises de vue depuis un véhicule n’est pas aisément reconnaissable pour les autres usagers de la route, il s’agit d’un traitement secret de données au sens de l’article 4 alinéa 4 LPD, constitutif d’une atteinte à la personnalité.

Le Code de procédure pénale (CPP) règle l’exploitabilité des preuves qui ont été obtenues illégalement par les autorités publiques. Le CPP ne règle pas expressément la question de savoir dans quelle mesure cette inexploitabilité s’applique également aux preuves recueillies par une personne privée. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les moyens de preuve collectés illégalement par des personnes privées ne peuvent être exploités que lorsque les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies : en premier lieu, les moyens de preuve collectés par une personne privée auraient pu être collectés de manière légale par les autorités de poursuite pénales ; en second lieu, une pesée des intérêts doit pencher en faveur de leur exploitation.

En rapport avec les moyens de preuve qui ont été recueillis illégalement par les autorités de poursuite pénales, le CPP procède lui-même à cette pesée des intérêts. Il en découle que de telles preuves ne peuvent être exploitées que lorsqu’elles sont indispensables pour élucider des infractions graves. Il apparaît approprié d’appliquer le même critère aux moyens de preuve obtenus illégalement par des personnes privées puisque, du point de vue de la personne concernée, il est sans importance de savoir qui a collecté les preuves auxquelles elle est confrontée dans le cadre de la procédure pénale.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal cantonal a qualifié le comportement de l’automobiliste en partie de violations simples, et en partie de violations graves des règles de la circulation routière. Ces infractions constituent des contraventions et des délits, que la jurisprudence du Tribunal fédéral ne qualifie pas d’infractions graves au sens du CPP. La pesée des intérêts va ainsi à l’encontre d’une exploitabilité des prises de vue en tant que preuves. Dans ces circonstances, la question de savoir si la condition supplémentaire permettant l’exploitabilité des prises de vue en cause était remplie, soit que les enregistrements auraient pu être collectés légalement par les autorités de poursuite pénales, peut rester ouverte.

 

 

Arrêt 6B_1188/2018 consultable ici

 

 

8C_875/2018 (f) du 24.07.2019 – Dies a quo du délai de recours devant la juridiction cantonale – 60 LPGA / Envoi de la décision sur opposition en Courrier A+ – Pas de justification pour modifier la jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_875/2018 (f) du 24.07.2019

 

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Dies a quo du délai de recours devant la juridiction cantonale / 60 LPGA

Envoi de la décision sur opposition en Courrier A+ – Pas de justification pour modifier la jurisprudence

 

Par décision du 10.01.2018, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité et lui a reconnu une atteinte à l’intégrité de 10%. Saisie d’une opposition, elle l’a rejetée par décision du 16.02.2018, communiquée par courrier A Plus et déposée le samedi 17.02.2018 dans la case postale du mandataire de l’assurée.

 

Procédure cantonale

Le 20.03.2018, l’assurée a déposé un recours contre la décision sur opposition du 16.02.2018.

Le tribunal cantonal a constaté que la décision sur opposition avait été distribuée le samedi 17.02.2018. Aussi, le délai de recours était-il arrivé à échéance le lundi 19.03.2018. Par conséquent, le recours, déposé le 20.03.2018, ne l’avait pas été en temps utile.

Par décision du 26.11.2018, le tribunal cantonal a déclaré le recours irrecevable pour cause de tardiveté.

 

TF

Aux termes de l’art. 60 al. 1 LPGA, le recours doit être déposé dans les trente jours suivant la notification de la décision sujette à recours. L’art. 38 al. 1 LPGA, applicable par analogie en vertu de l’art. 60 al. 2 LPGA, dispose que si le délai, compté par jours ou par mois, doit être communiqué aux parties, il commence à courir le lendemain de la communication.

En droit des assurances sociales, il n’existe pas de disposition légale obligeant les assureurs sociaux à notifier leurs décisions selon un mode particulier. Dès lors, la jurisprudence admet que les assureurs sont libres de décider de la manière dont ils souhaitent notifier leurs décisions. Ils peuvent en particulier choisir de les envoyer par courrier A Plus (ATF 142 III 599 consid. 2.4.1 p. 603; voir également, parmi d’autres, arrêts 8C_754/2018 du 7 mars 2019 consid. 5.3 et 8C_559/2018 du 26 novembre 2018 consid. 4.3.1). Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a précisé que le dépôt de l’envoi dans la boîte aux lettres ou la case postale constitue le point de départ pour le calcul du délai de recours, quand bien même la livraison a lieu un samedi et que le pli n’est récupéré qu’à une date ultérieure, comme le lundi suivant (arrêt 8C_124/2019 du 23 avril 2019 consid. 10.2 et les nombreuses références).

Selon une jurisprudence déjà bien établie, les communications des autorités sont soumises au principe de la réception. Il suffit qu’elles soient placées dans la sphère de puissance de leur destinataire et que celui-ci soit à même d’en prendre connaissance pour admettre qu’elles ont été valablement notifiées (ATF 144 IV 57 consid. 2.3.2 p. 62; 142 III 599 consid. 2.4.1 déjà cité; 122 I 139 consid. 1 p. 143; 115 Ia 12 consid. 3b p. 17). Autrement dit, la prise de connaissance effective de l’envoi ne joue pas de rôle sur la détermination du dies a quo du délai de recours. En outre, contrairement à ce que laisse entendre l’assurée, l’accès aux cases postales est en principe garanti en tout temps et le fait de ne pas vider la case postale le samedi relève de la responsabilité du destinataire. Le point de vue de l’assurée reviendrait d’ailleurs à fixer le point de départ du délai de recours des destinataires d’un envoi sans signature (A Plus comme A) distribué le samedi de manière différente, selon qu’ils sont ou non représenté par un mandataire professionnel, ce qui n’est pas admissible. Par ailleurs, quoi qu’elle en dise, l’assurée a bénéficié d’un délai de recours « complet » dans la mesure où, en dehors des féries judiciaires et avant l’échéance du délai de recours, les week-ends doivent être pris en compte dans le calcul du délai de recours, cela indépendamment du mode de notification de la communication. Enfin, le délai de recours est le même pour toutes les formes de notification. Il commence à courir lorsque l’envoi entre dans la sphère de puissance du destinataire et que ce dernier peut prendre connaissance du contenu de l’envoi. En présence d’un courrier sans signature, c’est le cas au moment du dépôt dans la boîte aux lettres ou la case postale. Si l’envoi est distribué un samedi, le délai de recours commence à courir le dimanche. En présence d’un courrier recommandé, c’est le cas lorsque l’envoi est retiré au guichet. A cet égard, la notification par lettre recommandée n’offre pas un avantage significatif puisqu’au stade de l’avis de retrait, le destinataire ne connaît ni le contenu ni la motivation de la décision qui lui est adressée (cf. les arrêts déjà cités 8C_124/2019 consid. 8.2.2 et 8C_754/2018 consid. 7.2.3; arrêt 2C_1126/2014 du 20 février 2015 consid. 2.4).

En conclusion, il n’y a pas lieu de revenir sur la jurisprudence mise en cause par l’assurée, que le Tribunal fédéral a confirmée à maintes reprises. L’assurée n’expose d’ailleurs pas valablement en quoi les conditions d’un revirement de jurisprudence seraient remplies (à ce sujet voir ATF 144 V 72 consid. 5.3.2 p. 77 s. et la référence).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_875/2018 consultable ici

 

 

4D_65/2018 (f) du 15.07.2019, destiné à la publication – Procédure civile – Langue de la procédure – 129 CPC / Portée du bilinguisme dans le canton de Fribourg

Arrêt du Tribunal fédéral 4D_65/2018 (f) du 15.07.2019, destiné à la publication

 

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Procédure civile – Langue de la procédure – 129 CPC

Portée du bilinguisme dans le canton de Fribourg

 

A.__ (ci-après : le demandeur ou recourant) est locataire d’un appartement de 3 pièces et demie sis à Fribourg. La bailleresse de cet appartement est la société B.__ SA ayant son siège à Lausanne.

Par demande en justice du 19.09.2017, le demandeur a requis la réduction du loyer mensuel de son appartement dès le 01.10.2017 et le remboursement d’un montant de 4’727 fr. 60. Cette demande a été rédigée en allemand. Aucun accord relatif à l’utilisation de la langue allemande n’ayant été conclu entre les parties et la défenderesse ayant refusé d’accepter le mémoire en allemand, le demandeur a été prié de déposer sa demande en français, ce qu’il a fait le 06.12.2017.

Par décision du 31.08.2018, le Tribunal des baux de l’arrondissement de la Sarine a partiellement admis la demande.

 

Procédure cantonale (arrêt 102 2018 274 – consultable ici)

Le demandeur a interjeté recours au Tribunal cantonal de l’État de Fribourg contre la décision du Tribunal des baux du 31.08.2018. Le demandeur a rédigé son recours en langue allemande.

Invitée à se déterminer sur l’usage de l’allemand pour le mémoire de recours, l’intimée a exposé que ses organes ne maîtrisent pas cette langue et a prié la Cour d’inviter le recourant à déposer son mémoire en français. Par courrier du 26.10.2018, la juge déléguée a renvoyé le mémoire de recours au demandeur et l’a invité à procéder en français, précisant que s’il ne le faisait pas dans le délai fixé, la Cour n’entrerait pas en matière. Par acte du 12.11.2018, le recourant s’est refusé à procéder à la traduction demandée.

Par jugement du 28.11.2018, le Tribunal cantonal n’est pas entré en matière sur le recours du demandeur au motif que celui-ci était rédigé en langue allemande.

 

TF

L’usage de la langue dans le canton de Fribourg s’articule autour de deux dispositions distinctes de la Constitution fribourgeoise. L’art. 6 Cst./FR est une disposition générale sur la question de la langue, consacrant notamment le principe de territorialité. L’art. 17 Cst./FR garantit pour sa part la liberté de la langue.

Selon l’art. 129 CPC, la procédure civile est conduite dans la langue officielle du canton dans lequel l’affaire est jugée. Les cantons qui reconnaissent plusieurs langues officielles règlent leur utilisation dans la procédure.

La langue de procédure est précisée aux art. 115 ss de la loi sur la justice du canton de Fribourg du 31 mai 2010 (LJ; RSF 130.1), ayant notamment pour objet l’organisation de la juridiction civile et l’application du CPC dans le canton de Fribourg (cf. art. 1 LJ/FR).

Amené à se prononcer sur la portée de l’art. 17 al. 2 Cst./FR dans le cadre d’une procédure administrative, le Tribunal fédéral a estimé que cette disposition autorisait un justiciable à déposer son mémoire de recours devant le Tribunal cantonal dans la langue officielle de son choix, sans égard à la langue de la procédure. Il a relevé que cette norme constituait une exception expresse au principe général de la territorialité défini à l’art. 6 al. 2 Cst./FR, exception s’appliquant notamment aux procédures devant le Tribunal cantonal fribourgeois (ATF 136 I 149 consid. 6). Il a souligné que la Constituante fribourgeoise avait clairement exprimé sa volonté d’ériger le libre choix de la langue officielle dans les rapports avec les autorités cantonales en un principe général et indifférencié et non pas comme un principe à géométrie variable (ATF 136 I 149 consid. 7.3). Le Tribunal fédéral a évoqué l’existence d’un conflit entre la norme constitutionnelle susmentionnée et la loi cantonale régissant la procédure administrative. Cette loi prévoyait en effet que l’autorité n’entendant pas accorder une dérogation à la règle selon laquelle les procédures de deuxième instance se déroulent dans la langue de la décision contestée devait retourner une requête non rédigée dans la langue de la procédure à son auteur en l’invitant à procéder dans la langue de la procédure dans le délai fixé en l’avertissant qu’un défaut de sa part aurait pour conséquence une décision de non-entrée en matière. Se référant aux principes selon lesquels une disposition de rang constitutionnel l’emporte en principe sur une norme législative (« lex superior derogat legi inferiori ») et la règle de droit la plus récente l’emporte sur la plus ancienne (« lex posterior derogat legi priori »), le Tribunal fédéral a estimé que les normes cantonales de procédure qui entreraient en contradiction avec l’art. 17 al. 2 Cst./FR ne pouvaient que céder le pas à cette norme constitutionnelle plus récente. Il n’a ainsi pas jugé nécessaire d’examiner si les conditions d’une restriction d’un droit fondamental au sens de l’art. 38 Cst./FR étaient remplies en l’espèce (ATF 136 I 149 consid. 7.4).

Dans l’arrêt entrepris, la juridiction fribourgeoise s’est aussi référée à cette jurisprudence et a examiné dans quelle mesure elle devait également trouver application dans le cadre d’un recours en matière civile. Évoquant une différence fondamentale entre la procédure administrative et la procédure civile, le tribunal cantonal a estimé que, s’il peut être attendu d’une autorité d’un canton bilingue qu’elle maîtrise les deux langues officielles et qu’elle accepte par conséquent les écritures rédigées dans la langue officielle qui n’est pas la langue de la procédure, il en va autrement d’une partie à une procédure civile. Selon la Cour, le conflit entre la liberté des langues des deux justiciables doit être résolu en faveur de la partie intimée. La protection de son droit fondamental justifierait ainsi une restriction au droit fondamental conféré au recourant par l’art. 17 al. 2 Cst./FR.

 

Le principe de la proportionnalité exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés (règle de l’aptitude) et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive (règle de la nécessité). En outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (principe de la proportionnalité au sens étroit), impliquant une pesée des intérêts (ATF 143 I 403 consid. 5.6.3 et les arrêts cités).

Même s’il ne traite pas de ces aspects expressément sous l’angle du principe de la proportionnalité, le Tribunal cantonal fait état des inconvénients que causerait le dépôt par le recourant de son mémoire de recours en allemand. Il se rallie à l’argumentaire de l’intimée selon lequel, les organes de celle-ci ne maîtrisant pas l’allemand et son mandataire ne procédant pas dans cette langue, l’emploi de la langue allemande par le recourant aurait pour conséquence de contraindre l’intimée de se constituer un nouveau mandataire bilingue qui devrait lui traduire les actes déposés dans cette langue. On ne sait si cet argumentaire du mandataire de l’intimée, avocat au barreau du canton de Fribourg, relève d’un procédé tactique visant à ce que le recours soit déclaré irrecevable ou constitue un véritable aveu d’ignorance qui interpelle dans un pays où la majorité des décisions de l’autorité judiciaire suprême sont rendues dans une autre langue que le français. Quoi qu’il en soit, la légèreté avec laquelle le Tribunal cantonal l’accueille a de quoi surprendre. Quand elle estime que le dépôt d’actes en allemand dans le cadre de la procédure de recours aurait pour conséquence de contraindre l’intimée à « se constituer un nouveau mandataire bilingue », la juridiction précédente méconnaît en effet que la seule connaissance supplémentaire que le dépôt d’une écriture en allemand requiert du mandataire de l’intimée est la compréhension passive de cette langue. Le fait qu’un avocat francophone ne procède pas en allemand en raison des difficultés posées par la rédaction d’écritures dans cette langue ne signifie pas que le dépôt par la partie adverse d’un acte en allemand nécessite un changement de mandataire.

L’utilisation par une partie, en deuxième instance, de la langue officielle qui n’est pas la langue de la procédure est susceptible de constituer un désagrément pour l’autre partie, particulièrement lorsque celle-ci n’est pas assistée d’un avocat. Ceci ne saurait toutefois être considéré comme déterminant dans le cadre de la pesée des intérêts commandée par le principe de la proportionnalité. Il ne faut en effet pas perdre de vue que cette autre partie pourra continuer à s’exprimer dans sa langue et que les autorités continueront à conduire la procédure dans cette langue. Tel ne serait en revanche pas le cas de la partie dont le droit fondamental à s’adresser au Tribunal cantonal dans la langue officielle de son choix serait restreint, une telle restriction revenant en effet à la contraindre à s’exprimer dans une langue autre que sa langue maternelle devant une autorité dont la compétence s’étend à l’ensemble du canton.

Le bon fonctionnement de la justice dans un canton bilingue commande aux justiciables de s’accommoder de désagréments tels que celui imposé à une partie à la procédure civile par l’usage par l’autre partie de la langue de son choix devant le Tribunal cantonal. On fera remarquer à cet égard que selon les dispositions de la loi cantonale précitées, l’importante minorité germanophone du district de la Sarine doit – sous réserve d’un accord des parties (art. 116 al. 1 LJ/) ou d’une dérogation (art. 119 al. 4 LJ/FR) – procéder intégralement en français en première instance (cf. sur ce point l’ATF 106 IA 299). Ainsi, le recourant, au demeurant partie faible dans le procès l’opposant à sa bailleresse, s’est vu empêcher dans la présente affaire de déposer sa demande dans sa langue maternelle devant le Tribunal des baux de l’arrondissement de la Sarine. Il n’en va pas autrement des parties appartenant à une minorité linguistique dans les arrondissements de la Gruyère, de la Glâne, de la Broye, de la Veveyse et de la Singine ainsi que de la partie demanderesse dans l’arrondissement du Lac lorsque la langue officielle de la partie défenderesse n’est pas la même que la sienne. Les conséquences pour ces parties en procédure civile, à savoir en première ligne la rédaction d’écritures dans une langue autre que leur langue maternelle, sont autrement plus lourdes que celles découlant de l’utilisation par l’une des parties de la langue officielle qui n’est pas la langue de la procédure conformément à l’art. 17 al. 2 Cst./FR, cette disposition ne faisant qu’imposer à l’autre partie, en deuxième instance, la compréhension passive de l’autre langue officielle du canton.

Il résulte de la pesée des intérêts en présence que la restriction du droit fondamental conféré au recourant par l’art. 17 al. 2 Cst./FR n’est pas proportionnée. Les conditions de l’art. 38 Cst./FR n’étant pas remplies en l’espèce, le droit fondamental du recourant ne peut être restreint.

On précisera encore que, comme le démontre notamment l’expérience faite au niveau fédéral et dans d’autres cantons bilingues, aucun intérêt public ne justifie d’interdire aux justiciables l’utilisation de leur langue maternelle devant l’autorité judiciaire supérieure du canton. C’est à tort qu’un des auteurs précités estime que, outre les intérêts de l’autre partie à la procédure, l’unité et la sécurité linguistique commandent une telle restriction (PAPAUX, La langue de la procédure civile et pénale devant le Tribunal cantonal fribourgeois – Commentaire des art. 115 al. 3 et 4, 116 al. 1 et 118 de la loi du 31 mai 2010 sur la justice et de l’ATF 136 I 149, in Revue fribourgeoise de jurisprudence [RFJ], Numéro spécial 2005, p. 200). On ne voit pas à quel intérêt public prépondérant répondrait à une exigence visant à ce que l’ensemble des écritures d’une procédure soient déposées dans la même langue que celle du jugement. On notera à cet égard que la Constitution fribourgeoise prévoit que l’État favorise la compréhension, la bonne entente et les échanges entre les communautés linguistiques cantonales et encourage le bilinguisme (art. 6 al. 4 Cst./FR). La coexistence des deux langues officielles du canton dans une procédure correspond au nouvel esprit de dialogue et de coopération que les constituants fribourgeois voulaient insuffler, le bilinguisme ne devant plus être considéré comme une menace ou un handicap, mais bien comme une chance et un atout (MACHERET, Le droit des langues, in La nouvelle Constitution fribourgeoise, Revue fribourgeoise de jurisprudence [RFJ], Numéro spécial 2005, p. 104). Enfin, et contrairement à ce que soutient PAPAUX, un ralentissement de la procédure en raison d’une mauvaise compréhension linguistique de certains magistrats n’est pas à craindre (PAPAUX, La langue de la justice civile et pénale en droit suisse et comparé, 2012, p. 322). Il peut être attendu des juges cantonaux fribourgeois, dont on se contentera de rappeler qu’ils sont les magistrats de la Cour suprême d’un canton bilingue, qu’ils possèdent les connaissances passives nécessaires à la compréhension d’actes dans l’autre langue officielle du canton.

 

À la suite de l’ATF 136 I 149, une partie de la doctrine a suggéré que cet arrêt était dénué de pertinence en matière civile et pénale, estimant que le droit fédéral commandait au travers des art. 129 CPC et 67 CPP que les procédures de première et deuxième instances soient impérativement menées dans la même langue, la langue du mémoire de recours et celle de la procédure devant en outre nécessairement être identiques (JEANNERAT, in Revue de droit administratif et de droit fiscal [RDAF] 2011 I p. 373). En matière civile, certains commentateurs sont d’avis que la procédure ne peut se dérouler qu’en une seule langue, estimant par exemple impossible qu’une partie plaide en français et l’autre en allemand (STAEHELIN, in Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung (ZPO), 3ème éd. 2016, n° 7 ad art 129 CPC; FREI, in Berner Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 2012, n° 4 ad art. 129 CPC).

Ces auteurs ne peuvent être suivis. Premièrement, aucun élément d’interprétation ne permet d’affirmer que l’art. 129 CPC impose aux cantons bilingues des contraintes particulières au sujet de l’utilisation de leurs langues officielles devant les autorités judiciaires cantonales. Bien au contraire, selon la lettre claire de cet article, les cantons qui reconnaissent plusieurs langues officielles sont libres de régler leur utilisation dans la procédure. Deuxièmement, comme le Tribunal fédéral l’a déjà souligné (ATF 136 I 149 consid. 6.2), il est parfaitement possible de dissocier la langue de la procédure de celle de certains actes des parties. La LTF en livre un exemple parlant. Alors que l’art. 54 LTF règle la question de la langue de la procédure, l’art. 42 al. 1 LTF prévoit que les mémoires des parties peuvent être rédigés dans une des langues officielles. Ainsi, le présent arrêt est rédigé en français, langue de la décision attaquée (art. 54 al. 1 LTF), alors que le recours en matière civile a été déposé par le recourant en langue allemande. De manière similaire, l’art. 36 de la loi fédérale du 20 mars 2009 sur le Tribunal fédéral des brevets (LTFB; RS 173.41) prévoit que le tribunal désigne une des langues officielles comme langue de la procédure (art. 36 al. 1 LTFB) tout en statuant que chaque partie reste libre d’utiliser une langue officielle autre que celle de la procédure pour les actes de procédure et lors des débats (art. 36 al. 3 LTFB). On ne voit pas en quoi les cantons qui – comme la Confédération – connaissent plusieurs langues officielles ne pourraient pas autoriser l’utilisation d’une langue officielle autre que celle de la procédure pour certains actes, comme par exemple la rédaction d’un appel ou recours à l’autorité judiciaire supérieure du canton. Le CPC ne s’oppose pas à de telles règles, dont on notera pour le surplus qu’elles existent également dans les cantons de Berne (art. 6 al. 5 de la Constitution du canton de Berne du 6 juin 1993 [Cst./BE; RS 131.212]), du Valais (art. 7 al. 1 de la loi d’application du code de procédure civile suisse du 11 février 2009 [LACPC/VS; RS 270.1]) et des Grisons (art. 8 al. 1 Sprachengesetz des Kantons Graubünden du 19 octobre 2006 [SpG/GR; BR 492.100]).

En procédure civile, comme en procédure administrative (ATF 136 I 149), l’art. 17 al. 2 Cst./FR autorise un justiciable à déposer son mémoire de recours devant le Tribunal cantonal dans la langue officielle de son choix, sans égard à la langue de la procédure.

 

Le recours doit par conséquent être admis, le jugement entrepris annulé et la cause renvoyée au Tribunal cantonal de l’État de Fribourg pour qu’il entre en matière sur le recours du recourant.

 

 

Arrêt 4D_65/2018 consultable ici

 

 

 

1C_394/2018 (f) du 07.06.2019 – Principe de publicité de la justice – 6 par. 1 CEDH – 14 Pacte ONU II – 30 al. 3 Cst. / Liberté d’information – 16 al. 3 Cst. / Publication des arrêts cantonaux genevois

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_394/2018 (f) du 07.06.2019

 

Consultable ici

 

Principe de publicité de la justice / 6 par. 1 CEDH – 14 Pacte ONU II – 30 al. 3 Cst.

Liberté d’information / 16 al. 3 Cst.

Publication des arrêts cantonaux genevois

 

Le 17.01.2017, une avocate au barreau de Genève a demandé au Tribunal correctionnel, dans le cadre d’une défense d’office qui lui avait été confiée, l’accès à toutes les décisions et ordonnances rendues par le Tribunal pénal durant les dix dernières années. Le Secrétariat général du pouvoir judiciaire a refusé la requête d’accès, en précisant que celle-ci ne pouvait porter que sur les décisions au fond rendues par le Tribunal de police, le Tribunal correctionnel et le Tribunal criminel, à l’exclusion des décisions du Tribunal des mesures de contrainte (Tmc) et du Tribunal d’application des peines et des mesures (Tapem). Les prononcés en question représentaient environ 1200 décisions par année, et leur anonymisation représentait un travail disproportionné. L’accès à des décisions déterminées restait possible.

A la demande de l’avocate, le Préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (le Préposé) a recommandé au Tribunal pénal d’autoriser l’intéressée à consulter dans ses locaux l’intégralité des décisions et ordonnances, en vertu des principes de publicité et de transparence.

Par décision du 04.09.2017, le Tribunal pénal s’est écarté de cette recommandation et a derechef refusé l’accès à l’intégralité des décisions prises depuis 2007. En l’occurrence, la remise de toute la jurisprudence sur dix ans imposerait d’anonymiser quelque 22’000 décisions, ce qui représentait un travail disproportionné pour lequel le Tribunal pénal ne disposait pas du personnel suffisant. La possibilité de consulter les jugements non anonymisés, moyennant un engagement de confidentialité, était réservée aux recherches académiques.

Par arrêt du 05.06.2018 (arrêt ATA/550/2018 – consultable ici), la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève a rejeté le recours formé contre cette décision. L’art. 20 de la loi cantonale sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles (LIPAD, RS/GE A 2 08) prévoyait l’accessibilité des arrêts et décisions entrés en force sous forme caviardée (al. 4), ainsi que la publication de ces décisions « dans la mesure où la discussion et le développement de la jurisprudence le requièrent » (al. 5). Les juridictions devaient ainsi admettre les demandes de consultation portant sur des décisions précises, sauf si le travail en résultant était réellement disproportionné, mais aucune des dispositions précitées n’imposait une publication de l’intégralité de la jurisprudence des tribunaux pénaux. La consultation des décisions non caviardées, moyennant un engagement de confidentialité, était exclue, car réservée aux recherches scientifiques. Confirmant le refus du Tribunal pénal, la cour cantonale a cependant considéré que l’avocate ne pouvait prétendre consulter au siège de l’autorité l’intégralité de la jurisprudence pénale car celle-ci représentait près de 22’000 décisions et le travail de caviardage sur un nombre aussi important de documents serait disproportionné au sens de l’art. 26 al. 1 et 5 LIPAD. De plus, l’on ne pouvait reprocher au tribunal de ne pas avoir anonymisé à l’avance ses décisions. Il n’y avait pas de violation du principe d’égalité des armes par rapport au Ministère public qui, en qualité de partie, se voyait notifier l’ensemble des décisions du Tribunal pénal.

 

TF

Les art. 6 par. 1 CEDH, 14 Pacte ONU II et 30 al. 3 Cst. (ce dernier s’appliquant à l’ensemble des procédures judiciaires) garantissent le principe de publicité de la justice. Il s’agit d’un principe fondamental de l’Etat de droit permettant à quiconque de s’assurer que la justice est rendue correctement en préservant la transparence et la confiance dans les tribunaux et en évitant l’impression que des personnes puissent être avantagées ou au contraire désavantagées par les autorités judiciaires (ATF 139 I 129 consid. 3.3 p. 133; 137 I 16 consid. 2.2 p. 19; SAXER/THURNHEER, Basler Kommentar StPO, Bâle 2014, n° 40 ad art. 69 CPP). Le principe de publicité protège ainsi d’une part les parties impliquées directement dans une procédure en garantissant, à travers la publicité des débats et du prononcé, un traitement correct de leur cause; il permet, d’autre part et plus généralement, d’assurer la transparence de la justice afin de permettre au public de vérifier de quelle manière les procédures sont menées et la jurisprudence est rendue (ATF 143 I 194 consid. 3.1 p. 197; 139 I 129 consid. 3.3 p. 133 ss).

Le principe de publicité concrétise également, dans le domaine de la procédure judiciaire, la liberté d’information garantie à l’art. 16 al. 3 Cst. qui permet le libre accès aux sources généralement accessibles que sont notamment les débats et les décisions judiciaires. Les décisions des tribunaux – comprenant la composition du tribunal, l’exposé des faits, les considérants en droit et le dispositif – doivent en général être accessibles et leur consultation n’est pas soumise à l’existence d’un intérêt particulier (ATF 139 I 129 consid. 3.6; arrêt 1C_123/2016 précité consid. 3.5.2), hormis dans certains cas concernant notamment les ordonnances de classement (ATF 137 I 16; 134 I 286). La jurisprudence entend ainsi en principe par décision judiciaire les arrêts à caractère final, soit le résultat de la procédure judiciaire dès son achèvement (ATF 139 I 129 consid. 3.3), sans limitation aux arrêts entrés en force (arrêt 1C_123/2016 précité consid. 3.5.1 et 3.9). Cette obligation de publicité peut être réalisée de diverses manières telles que la mise à disposition publique des jugements, leur publication dans des recueils officiels, leur diffusion sur Internet ainsi que leur consultation sur demande; ces différentes formes de publicité peuvent être combinées (arrêt 1C_123/2016 précité consid. 3.5.1, 3.6). Le droit de consulter les décisions judiciaires n’est toutefois pas absolu; il peut être limité afin de protéger des intérêts personnels (notamment des parties à la procédure) ou publics. Les jugements peuvent ainsi être anonymisés ou caviardés dans une mesure qui doit être déterminée au cas par cas (ATF 139 I 129 consid. 3.6; 133 I 106 consid. 8.3 p. 108).

Toutefois, il ne ressort pas des arrêts susmentionnés, en particulier l’arrêt 1C_123/2016, que les tribunaux auraient de manière générale l’obligation de publier l’intégralité de leur jurisprudence sur papier ou sur Internet. L’arrêt précité concerne au demeurant non pas la publication systématique de la jurisprudence, mais la remise anonymisée de deux jugements particuliers. Sous l’angle du principe de publicité, la mise à disposition des jugements au greffe de la juridiction est suffisante, avec la possibilité le cas échéant d’en faire une copie anonymisée (ATF 139 I 129 consid. 3.3 p. 134 et les arrêts cités; arrêt 1C_290/2015 du 15 octobre 2015 consid. 3.2.3; HÜRLIMANN/KETTIGER, Zugänglichkeit zu Urteilen kantonaler Gerichte: Ergebnisse einer Befragung, in Justice-Justiz-Giustizia 2018/2 p. 1-2).

En matière de procédure pénale, le législateur a posé à l’art. 69 CPP quelques normes découlant du principe de publicité concernant en premier lieu la publicité des débats. Cette disposition ne règle cependant pas exhaustivement la portée du principe de publicité en droit pénal (SAXER/THURNHEER, Basler Kommentar StPO, Bâle 2014, n° 4 ad art. 69 CPP). Elle prévoit que les débats de première instance et d’appel, de même que la notification orale des jugements sont publics, à l’exception des délibérations (al. 1). Lorsque, dans ces cas, les parties ont renoncé à un prononcé en audience publique ou qu’une ordonnance pénale a été rendue, les personnes intéressées peuvent consulter les jugements et les ordonnances pénales (al. 2). L’art. 69 al. 3 CPP définit les exceptions au principe de publicité; il n’y est toutefois pas envisagé tous les aspects de la consultation des décisions pénales du point de vue de la protection de la personnalité.

La Confédération et les cantons sont évidemment libres d’instituer une politique de communication allant au-delà des obligations constitutionnelles rappelées ci-dessus (arrêt 1C_290/2015 précité consid. 3.4.2). La pratique des autorités des différents cantons en matière d’accès à la jurisprudence est ainsi très variable. Une partie d’entre eux (dont Genève) ne donne accès, sur Internet, qu’aux arrêts des instances supérieures, alors qu’une minorité met également en ligne les jugements de première instance; certains cantons prévoient par ailleurs la remise de jugements, sur demande. La politique d’anonymisation varie également d’un canton à l’autre. Les objections à la publication sur Internet reposent essentiellement sur des considérations d’ordre financier, notamment en rapport avec la nécessité d’anonymiser rétroactivement un grand nombre de décisions. Dans ce domaine, la situation évolue toutefois rapidement (HÜRLIMANN/KETTIGER, loc. cit.).

L’art. 20 al. 4 LIPAD se rapporte au droit général d’accès à la jurisprudence; il n’impose pas une publication ou une mise en ligne des arrêts, mais uniquement leur mise à disposition au siège du Tribunal ou d’un service spécial. Quant à l’art. 20 al. 5 LIPAD, il doit être lu en rapport avec l’art. 61 de la loi genevoise d’organisation judiciaire (LOJ, RS/GE E 2 05) et concerne la publication des décisions de principe, dont la sélection est du ressort de la juridiction concernée.

Sur le vu de ce qui précède, le droit cantonal n’impose pas non plus aux juridictions pénales de première instance (Tribunal de police, Tribunal correctionnel et Tribunal criminel) de publier systématiquement l’intégralité de leurs jugements, sur papier ou sur Internet, dans la mesure où ceux-ci sont suffisamment accessibles au siège de ces juridictions. En revanche, sauf à violer l’interdiction de l’arbitraire, on ne peut comprendre le droit cantonal genevois autrement que comme autorisant en principe l’accès public à toutes les décisions judiciaires visées.

 

La position de l’autorité cantonale se heurte aux principes rappelés ci-dessus: le principe de la publicité de la justice et, en général, le principe de l’information, tels qu’ils sont définis par le droit fédéral et par le droit cantonal, exigent en effet que l’ensemble des décisions rendues au fond par les tribunaux soit, à tout le moins, mis à disposition du public. Il s’agit là d’une obligation de résultat, et les difficultés liées à l’anonymisation d’un très grand nombre de décisions ne sauraient y faire échec. Les tribunaux disposaient selon le droit cantonal d’un délai de deux ans échu au mois de mars 2004 pour procéder à l’anonymisation des jugements susceptibles d’être consultés, et l’écoulement du temps ne fait qu’accroître les difficultés évoquées par les instances cantonales, de sorte qu’une consultation élargie de la jurisprudence ne serait en définitive jamais possible. Les autorités genevoises doivent ainsi mettre en œuvre sans retard les moyens nécessaires à la réalisation de l’obligation de publicité telle qu’elle découle clairement du droit cantonal. Tant que cette obligation n’est pas satisfaite, l’autorité n’aura d’autre choix que de tolérer la consultation des décisions au siège du tribunal concerné.

Cela étant, il n’en demeure pas moins qu’il y a lieu de protéger la personnalité des parties aux procédures (art. 20 al. 4 et 26 al. 2 let. g LIPAD; ATF 139 I 129 consid. 3.6 p. 136), à laquelle l’atteinte la moins grave possible doit être portée (principe de la proportionnalité, art. 36 al. 3 Cst.). Afin de garantir ce droit fondamental tout en permettant la mise en œuvre du principe de publicité dans le contexte actuel particulier du canton de Genève décrit ci-dessus, soit sans imposer un travail d’anonymisation actuellement disproportionné (cf. ATF 142 II 324 consid. 3.5 p. 337 concernant la loi fédérale sur la transparence), il y a lieu, en l’état, de poser quelques conditions à l’exercice du droit de consulter. On peut ainsi exiger de la requérante, d’une part, qu’elle précise raisonnablement l’objet de sa demande de consultation et, d’autre part, qu’elle prenne un engagement de confidentialité, une consultation de très nombreuses décisions judiciaires par une avocate ou un magistrat judiciaire s’apparentant à une recherche scientifique.

Au vu des principes rappelés ci-dessus, l’on ne voit pas pourquoi cette possibilité de consultation serait réservée aux recherches académiques alors qu’une recherche élargie de jurisprudence effectuée par un avocat ou un magistrat peut également comporter un intérêt légitime. Les avocats étant par ailleurs déjà tenus au secret professionnel, la portée d’un tel engagement de confidentialité ne saurait leur échapper. La formulation de cet engagement pourra le cas échéant être adaptée à une recherche effectuée par un avocat.

Enfin, il y a lieu de préciser que si l’avocate désire obtenir copie de certaines décisions, celles-ci devront être anonymisées. Au terme de sa recherche, l’avocate devra donc sélectionner – toujours au regard du but poursuivi – un nombre raisonnable de décisions, afin de ne pas engendrer de travail disproportionné, la perception d’un émolument étant réservée.

 

Le TF admet le recours de l’avocate, annule l’arrêt attaqué et renvoie la cause au tribunal pénal pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

 

Arrêt 1C_394/2018 consultable ici

 

 

Cf. également l’arrêt 1C_225/2019 du 27.06.2019 portant sur la même problématique dans un cas similaire, également à Genève.

 

 

8C_605/2018, 8C_639/2018 (f) du 22.05.2019 – Délimitation de l’objet du litige dans le cadre d’un recours au tribunal cantonal / Différentiation entre l’objet de la contestation et l’objet du litige / Pas de lien de connexité entre le droit à une rente d’invalidité et le droit à une IPAI – Entrée en force partielle de la décision

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_605/2018, 8C_639/2018 (f) du 22.05.2019

 

Consultable ici

 

Délimitation de l’objet du litige dans le cadre d’un recours au tribunal cantonal

Différentiation entre l’objet de la contestation et l’objet du litige

Pas de lien de connexité entre le droit à une rente d’invalidité et le droit à une IPAI – Entrée en force partielle de la décision

 

Assuré, né en 1957, menuisier d’atelier, a subi le 24.12.2010 une lésion transfixiante de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche lors d’une chute survenue alors qu’il promenait son chien. Il a repris son activité professionnelle dès le 09.02.2011 à hauteur de 70% en raison de la persistance des douleurs. Le 07.06.2011, il a été victime d’une tendinopathie rupturée antéro-supérieure de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite lors d’une chute sur son lieu de travail.

Après instruction et examens par le médecin-conseil, le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) découlant de l’accident a été estimé à 25%. S’agissant de la capacité de travail, l’assuré disposait d’une capacité de travail nulle dans son ancienne activité, mais entière et sans baisse de rendement dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles suivantes: pas de port de charges de plus de 3-4 kg, aucun soulèvement de charges en dessus de l’horizontale ou avec les bras tendus, ni de mouvements de rotation répétitifs, pas de travail avec des machines générant des vibrations et pas d’utilisation d’échafaudages.

Par décision confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux d’incapacité de gain de 20% à partir du 01.01.2017, ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 25%.

 

Procédure cantonale

L’assuré a déféré la décision au tribunal cantonal, en concluant à l’octroi d’une rente basée sur un taux d’invalidité de 65%.

Par jugement du 30.07.2018, la cour cantonale a partiellement admis le recours, en reconnaissant le droit de l’assuré à une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 35%. Elle a confirmé la décision sur opposition pour le surplus.

 

TF

Invoquant la violation de l’art. 61 let. d LPGA et une constatation erronée des faits (art. 97 al. 2 LTF), l’assurance-accidents reproche à la juridiction cantonale d’avoir modifié à la hausse le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité de 25% à 35% alors que cette question n’était plus litigieuse. Elle fait en effet valoir que par son recours, l’assuré avait délimité l’objet de la contestation devant la juridiction cantonale à la question du droit à la rente uniquement; il n’avait pris aucune conclusion sur l’IPAI et avait expressément conclu à l’annulation partielle de la décision sur opposition et à l’octroi d’une rente basée sur un taux d’invalidité de 65%. Aussi, la juridiction cantonale avait-elle statué sur un point non litigieux, non soumis à son autorité, sans lien avec l’objet du litige et entré en force, de sorte que son jugement doit être annulé sur ce point. L’assurance-accidents soutient au demeurant que si la cour cantonale entendait dépasser le cadre fixé par les conclusions des parties en modifiant à la hausse le taux de l’indemnité, au détriment de l’assureur-accidents, elle devait dans tous les cas lui donner l’occasion de se déterminer. En omettant de le faire, elle avait violé son droit d’être entendue.

L’objet du litige dans la procédure administrative subséquente est le rapport juridique qui – dans le cadre de l’objet de la contestation déterminé par la décision – constitue, d’après les conclusions du recours, l’objet de la décision effectivement attaqué. D’après cette définition, l’objet de la contestation et l’objet du litige sont identiques lorsque la décision administrative est attaquée dans son ensemble. En revanche, lorsque le recours ne porte que sur une partie des rapports juridiques déterminés par la décision, les rapports juridiques non contestés sont certes compris dans l’objet de la contestation, mais non pas dans l’objet du litige (ATF 131 V 164 consid. 2.1 p. 164; 125 V 413 consid. 1b et 2 p. 414 et les références citées). Les questions qui – bien qu’elles soient visées par la décision administrative et fassent ainsi partie de l’objet de la contestation – ne sont plus litigieuses, d’après les conclusions du recours, et qui ne sont donc pas comprises dans l’objet du litige, ne sont examinées par le juge que s’il existe un rapport de connexité étroit entre les points non contestés et l’objet du litige (ATF 122 V 242 consid. 2a p. 244; 117 V 294 consid. 2a p. 295; 112 V 97 consid. 1a p. 99; 110 V 48 consid. 3c p. 51 et les références; voir également ATF 122 V 34 consid. 2a p. 36).

En l’occurrence, en statuant – par sa décision confirmée sur opposition – sur le droit à une rente d’invalidité d’une part, et le droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité d’autre part, l’assurance-accidents a statué sur deux rapports juridiques distincts sans lien de connexité (cf. notamment arrêt 8C_451/2009 du 18 août 2010 consid. 1.2). Dans la mesure où le recours formé par l’assuré devant la juridiction cantonale ne portait que sur la question de la rente, à l’exclusion de la question de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, la décision litigieuse était entrée en force sur ce point et les premiers juges ne pouvaient pas examiner cette question de leur propre chef. En étendant la procédure à la question de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, la juridiction cantonale a par conséquent violé le droit fédéral.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_605/2018, 8C_639/2018 consultable ici

 

 

8C_401/2018 (f) du 16.05.2019 – Revenu sans invalidité –Indemnité de vacances et indemnité pour jours fériés – Détails du calcul – 16 LPGA / Revenu d’invalide – Procédure cantonale – Demande de production de nouvelles DPT vs références aux données de l’ESS – Rappel de la jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_401/2018 (f) du 16.05.2019

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité – Année de référence – Indemnité de vacances et indemnité pour jours fériés – Détails du calcul / 16 LPGA

Revenu d’invalide – Procédure cantonale – Demande de production de nouvelles DPT vs références aux données de l’ESS – Rappel de la jurisprudence

 

Assuré, né en 1975, maçon, a été victime, le 06.12.2012, d’une chute sur un chantier, laquelle a entraîné une fracture-arrachement au niveau de la pointe de la malléole externe droite. Dans un rapport du 26.11.2013, le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique, a indiqué que l’assuré était à même d’exercer une activité professionnelle à plein temps pour autant qu’elle ne nécessite pas des travaux en terrains instables, le port de charges moyennes à lourdes et que l’utilisation d’échelles et d’échafaudages soit évitée. Par la suite, l’assuré a bénéficié de mesures de réadaptation professionnelle de l’assurance-invalidité sous la forme d’une formation de gestionnaire de stocks et d’un stage pratique.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’invalidité (5%) était insuffisant pour ouvrir droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/351/2018 – consultable ici)

Par jugement du 24.04.2018, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision sur opposition et reconnaissance du droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 15% à compter du 01.06.2016.

 

TF

Revenu sans invalidité

Selon l’art. 18 al. 1 LAA, l’assuré a droit à une rente d’invalidité s’il est invalide (art. 8 LPGA) à 10% au moins par suite d’un accident. Est réputée invalidité l’incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée (art. 8 al. 1 LPGA). Pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode générale de comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.3.1 p. 337).

Pour comparer les revenus déterminants, il convient de se placer au moment de la naissance du droit (éventuel) à la rente d’invalidité (ATF 129 V 222 consid. 4.1 p. 223). Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme.

En l’espèce, les mesures de réadaptation professionnelle de l’assurance-invalidité ont pris fin en 2016, année sur laquelle il convient dès lors de se fonder pour déterminer le revenu sans invalidité de l’assuré. Conformément aux indications fournies par l’employeur (attestation du 10 mars 2016), l’intéressé aurait réalisé en 2016 un salaire horaire de 29 fr. 05 pour une durée de travail hebdomadaire de 42,5 heures. En outre, il aurait perçu une indemnité pour 13ème salaire correspondant à un taux de 8,33%, ainsi qu’une indemnité de vacances de 10,64%. L’employeur n’a pas indiqué le taux d’indemnisation pour les jours fériés, mais il ressort des fiches de salaire de l’assuré qu’il percevait une indemnité pour les jours fériés correspondant à un jour ouvrable, c’est-à-dire à un autre jour que le samedi ou le dimanche (voir aussi l’art. 14 de la Convention collective de travail du secteur des parcs et jardins, des pépinières et de l’arboriculture du canton de Genève et l’art. 39 de la Convention collective de travail transitoire du secteur principal de la construction pour le canton de Genève). En l’occurrence, le nombre de jours fériés à prendre en compte se détermine en fonction de l’année 2016. Toutefois, contrairement à ce que soutient l’assurance-accidents, sept jours fériés correspondaient à un jour ouvrable en 2016 dans le canton de Genève (vendredi 1er janvier, vendredi Saint, lundi de Pâques, jeudi de l’Ascension, lundi de Pentecôte, lundi 1er août et jeudi 8 septembre) et non pas neuf. En effet, les 25 et 31 décembre correspondaient à un dimanche, respectivement à un samedi, de sorte qu’ils n’entrent pas en ligne de compte (cf. https://www.feiertagskalender.ch/index.php?geo=1026&klasse=3&jahr=2016&hl=fr, consulté le 26 avril 2019).

 

Indemnité de vacances et indemnité pour jours fériés

Lorsque le salaire horaire comprend l’indemnité de vacances et l’indemnité pour jours fériés, les jours correspondants de vacances et de congés doivent être déduits du temps de travail annuel (arrêt 8C_520/2016 du 14 août 2017, in SVR 2018 UV n°4 p. 12 consid. 4.3.2 et les références). L’indemnité pour vacances et l’indemnité pour jours fériés correspondent au rapport entre les jours de congés et les jours effectivement travaillés. Un taux d’indemnité de vacances de 10,64% correspond donc à 5 semaines de vacances par année (voir RÉMY WYLER/BORIS HEINZER, Droit du travail, 3ème éd., 2014, p. 400 ss; ERIC CEROTTINI, Le droit aux vacances, thèse, 2001, p. 97 s. [10,64 = 5/47 x 100]). Durant l’année 2016, l’assuré aurait dès lors travaillé 230 jours (366 jours [année bissextile] – 52 [dimanches] – 52 [samedis] – 7 [jours fériés] – 25 [jours de vacances]).

En ce qui concerne l’indemnité pour jours fériés, on ne saurait simplement reprendre le taux de 3,58% mentionné à l’arrêt 8C_520/2016, déjà cité. Cet arrêt avait trait à l’année 2013 (année au cours de laquelle neuf jours fériés correspondaient à des jours ouvrables dans le canton de Genève) et concernait un assuré qui bénéficiait de 7,3 semaines de vacances par année, alors que dans le cas d’espèce, l’assuré bénéficiait de 5 semaines de vacances. En l’occurrence, l’indemnité pour jours fériés correspond à un taux de 3,04%, selon le calcul suivant: 7 (jours fériés) : 230 (nombre de jours travaillés par année) x 100.

Vu ce qui précède, le revenu sans invalidité s’élève à 69’931 fr. 45, à savoir 33 fr. 02 par heure (29,05 + 29,05 x [10,64% + 3,04%]), multiplié par le nombre d’heures par jour et par le nombre de jours de travail par année (33 fr. 02 x 8,5 x 230 = 64’554 fr. 10), montant auquel il faut encore ajouter l’indemnité de 8,33% pour le 13ème salaire (69’938 fr. 35 = 64’561 fr. + 5’377 fr. 35).

 

Revenu d’invalide – Demande de production de nouvelles DPT vs références aux données de l’ESS

De jurisprudence constante, en l’absence d’un revenu effectivement réalisé, le revenu d’invalide peut être déterminé sur la base des données salariales résultant des DPT ou des données statistiques de l’ESS (ATF 139 V 592 consid. 6.3 p. 596; arrêt 8C_898/2015, déjà cité, consid. 3.3). Il s’agit là d’une faculté laissée à la libre appréciation de la CNA durant la procédure d’opposition (arrêt 8C_408/2014 du 23 mars 2015 consid. 6.3). Il ressort des trois arrêts invoqués par l’assurance-accidents que, durant la procédure de recours, il appartient au tribunal cantonal d’examiner la pertinence des DPT sélectionnées par la CNA. S’il constate que ces profils ne respectent pas les exigences posées par la jurisprudence, il peut renvoyer l’affaire à l’assureur-accidents ou se fonder sur les données issues de l’ESS (arrêts 8C_898/2015 consid 3.3; 8C_182/2017 consid. 3.3; 8C_378/2017 consid. 4.4). Toutefois, lorsque les DPT initialement sélectionnées par la CNA sont inadaptées, les juges cantonaux sont tenus d’inviter celle-ci à produire de nouvelles DPT, afin de respecter son droit d’être entendue, ainsi que la jurisprudence applicable en matière de fixation du revenu d’invalide.

Dans un arrêt 8C_199/2017 du 6 février 2018, le Tribunal fédéral a clairement indiqué qu’on ne peut toutefois déduire de la jurisprudence, une obligation pour les juges cantonaux d’interpeller la CNA pour qu’elle produise d’autres DPT lorsqu’ils considèrent ne pas pouvoir se rallier à celles initialement sélectionnées et qu’ils envisagent de se fonder sur les salaires statistiques pour déterminer le revenu d’invalide (consid. 5.2). Aussi a-t-il jugé, dans le cas concret, qu’en se référant aux données statistiques de l’ESS, sans requérir des nouveaux profils auprès de la CNA, la juridiction cantonale n’avait violé ni le droit d’être entendue de celle-ci, ni les règles applicables en matière de détermination du revenu d’invalide. En effet, même si l’assuré ne s’était pas opposé, durant la procédure de recours, aux DPT sélectionnées, le litige portait sur la détermination du revenu d’invalide, de sorte que la CNA devait s’attendre à ce que les juges cantonaux examinent la compatibilité des DPT avec les limitations fonctionnelles de l’assuré et que, le cas échéant, ils les écartent au profit des données de l’ESS. Dans un autre arrêt, le Tribunal fédéral a confirmé implicitement la pratique de la cour cantonale consistant à s’écarter des DPT sélectionnées et à se référer aux données de l’ESS sans inviter la CNA à produire de nouvelles DPT (8C_81/2018 du 1er février 2019).

La solution retenue dans les arrêts invoqués par l’assurance-accidents était étroitement liée à une situation de fait particulière. Dans l’arrêt 8C_898/2015, le Tribunal fédéral a considéré que la juridiction cantonale avait violé le droit d’être entendue de la CNA en s’écartant des DPT sélectionnées durant la procédure de recours, sans les examiner au préalable (consid. 4.3). C’est pourquoi il a renvoyé la cause à la juridiction cantonale en l’enjoignant de statuer une nouvelle fois sur la base des DPT sélectionnées par la CNA dans le cas particulier (consid. 4.3). Reprenant l’instruction de l’affaire, le tribunal cantonal a conclu que deux des DPT en question ne respectaient pas les limitations fonctionnelles de l’assuré et il a invité la CNA à produire deux nouveaux profils. Saisi d’un nouveau recours de l’assuré qui invoquait une violation de son droit d’être entendu au motif que les nouvelles DPT fournies par la CNA avait été produites au cours de la procédure de recours, le Tribunal fédéral a retenu (arrêt 8C_182/2017), que la juridiction cantonale pouvait se fonder sur des DPT produites durant la procédure de recours pour déterminer le revenu d’invalide, sans violer le droit d’être entendu de l’assuré. Au considérant 4.3 auquel se réfère l’assurance-accidents, le Tribunal fédéral a indiqué, certes, que la juridiction précédente devait demander en priorité à la CNA de produire de nouvelles DPT. Cependant, cette obligation doit être comprise en lien avec la particularité du cas d’espèce, à savoir que le Tribunal fédéral avait d’ores et déjà indiqué dans l’arrêt de renvoi 8C_898/2015, que la juridiction cantonale devait se fonder sur la méthode DPT. Or, comme la juridiction inférieure était liée par cet arrêt entré en force, la question du recours à la méthode statistique ne se posait dès lors pas (consid. 4.2). Ainsi c’est bien parce que le tribunal cantonal était lié par le jugement antérieur de renvoi du Tribunal fédéral qu’il était tenu de demander en priorité à la CNA de produire de nouveaux profils. Les principes développés dans l’arrêt 8C_199/2017 ne sont dès lors pas remis en question par la solution retenue dans les causes 8C_898/2015 et 8C_182/2017.

Quant à l’arrêt 8C_378/2017, il n’apporte pas d’éléments déterminants pour trancher la controverse, dans la mesure où le Tribunal fédéral se contente de se référer aux deux arrêts susmentionnés (8C_898/2015 et 8C_182/2017) pour considérer que la juridiction cantonale pouvait seulement se référer à la méthode statistique ESS lorsque les DPT initialement sélectionnées par la CNA étaient inapplicables au cas d’espèce et que la CNA n’était pas en mesure de fournir de nouveaux profils adaptés. Au demeurant, l’arrêt 8C_199/2017 a précisément clarifié la question du moment que le Tribunal fédéral a jugé que « contrairement à ce que voudrait la [CNA], on ne saurait déduire de [la jurisprudence], une obligation pour les juges cantonaux d’interpeller la CNA pour qu’elle produise d’autres DPT lorsqu’ils considèrent ne pas pouvoir se rallier à ceux initialement sélectionnés par elle et envisagent de faire usage des salaires statistiques pour déterminer le revenu d’invalide » (consid. 5.2).

 

En l’espèce, la contestation porte, notamment, sur la fixation du revenu d’invalide, de sorte que l’assurance-accidents pouvait s’attendre à ce que les premiers juges examinent la compatibilité des DPT sélectionnées durant la procédure d’opposition et qu’ils les jugent inadaptées. D’ailleurs, il n’est pas contesté en l’occurrence que le profil d’ouvrier magasinier (DPT n° 3’593) sélectionné par la CNA n’est pas compatible avec les limitations fonctionnelles de l’assuré. Dans ces conditions, l’assurance-accidents ne saurait invoquer une violation de son droit d’être entendue, d’autant que, à la différence de la cause jugée dans l’arrêt 8C_199/2017, l’assuré avait déjà contesté dans son opposition la compatibilité des profils sélectionnés avec ses limitations fonctionnelles, puis dans son recours devant la cour cantonale. Cela étant, on ne saurait retenir en l’espèce une violation du droit d’être entendu ni des règles applicables en matière de fixation du revenu d’invalide.

 

Il n’y a pas lieu de mettre en cause le calcul du revenu d’invalide effectué par la cour cantonale, en particulier l’abattement de 10%. En comparant le montant de 60’320 fr. avec le revenu sans invalidité de 69’938 fr. 35, on obtient un taux d’invalidité de 13,75%, arrondi à 14%. L’assuré a donc droit, à compter du 01.06.2016, à une rente d’invalidité LAA fondée sur un taux d’incapacité de gain de 14%.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, réforme le jugement cantonal en ce sens que l’assuré a droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 14% à compter du 01.06.2016.

 

 

Arrêt 8C_401/2018 consultable ici

 

 

8C_124/2019 (f) du 23.04.2019 – Dies a quo du délai de recours – 60 LPGA – 38 LPGA / Décision sur opposition envoyée en Courrier A Plus notifiée un samedi

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_124/2019 (f) du 23.04.2019

 

Consultable ici

 

Dies a quo du délai de recours / 60 LPGA – 38 LPGA

Décision sur opposition envoyée en Courrier A Plus notifiée un samedi

Samedi n’est pas un jour férié

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/10/2019 – consultable ici)

Le 17.10.2018, l’assuré a déposé un recours contre la décision sur opposition du 14.09.2018.

Se fondant sur l’attestation de suivi des envois de la poste (relevé « Track & Trace »), la cour cantonale a constaté que la décision sur opposition du 14.09.2018 avait été distribuée le samedi 15.09.2018, via la case postale de l’étude du mandataire de l’assuré. Aussi, le délai de recours avait-il commencé à courir le dimanche 16.09.2018 pour arriver à échéance le lundi 15.10.2018. Par conséquent, le recours, interjeté le 17.10.2018, ne l’avait pas été en temps utile.

Par jugement du 07.01.2019, recours jugé irrecevable pour cause de tardiveté par le tribunal cantonal.

 

TF

Aux termes de l’art. 60 al. 1 LPGA, le recours doit être déposé dans les trente jours suivant la notification de la décision sujette à recours. L’art. 38 al. 1 LPGA, applicable par analogie en vertu de l’art. 60 al. 2 LPGA, dispose que si le délai, compté par jours ou par mois, doit être communiqué aux parties, il commence à courir le lendemain de la communication.

 

Invoquant la violation du droit à la preuve (art. 29 al. 2 Cst.), l’assuré reproche aux premiers juges de n’avoir pas donné suite à sa requête tendant à la production par l’assurance-accidents des statistiques des envois de ses décisions sur opposition sur trois ans, en distinguant les jours et la méthode d’envoi. Il entendait ainsi démontrer que l’assurance-accidents envoie volontairement ses décisions par courrier A Plus le vendredi.

En droit des assurances sociales, il n’existe pas de disposition légale obligeant les assureurs sociaux à notifier leurs décisions selon un mode particulier. Dès lors, la jurisprudence admet que les assureurs sont libres de décider de la manière dont ils souhaitent notifier leurs décisions. Ils peuvent en particulier choisir de les envoyer par courrier A Plus (ATF 142 III 599 consid. 2.4.1 p. 603; voir également, parmi d’autres, arrêt 8C_559/2018 du 26 novembre 2018 consid. 4.3.1). Rien ne les empêche non plus d’envoyer leurs décisions un vendredi. Dans ces conditions, l’acte d’instruction sollicité par l’assuré n’apparaissait pas pertinent et les premiers juges pouvaient refuser d’y donner suite. Pour les mêmes raisons, il n’y a pas lieu d’accéder à la requête formulée une nouvelle fois devant le Tribunal fédéral.

 

Selon le mode d’expédition A Plus, la lettre est numérotée et envoyée par courrier A de la même manière qu’une lettre recommandée. Toutefois, contrairement au courrier recommandé, le destinataire n’a pas à en accuser réception. En cas d’absence, celui-ci ne reçoit donc pas d’invitation à retirer le pli. La livraison est néanmoins enregistrée électroniquement au moment du dépôt de l’envoi dans la boîte aux lettres ou la case postale du destinataire. Grâce au système électronique « Track & Trace » de la poste, il est ainsi possible de suivre l’envoi jusqu’à la zone de réception du destinataire (ATF 142 III 599 précité consid. 2.2 p. 601 s. et les arrêts cités; arrêts 8C_586/2018 du 6 décembre 2018 consid. 5; 8C_53/2017 du 2 mars 2017 consid. 4.1; 8C_573/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.2).

En outre, le délai de recours est le même pour toutes les formes de notification. Il commence à courir lorsque l’envoi entre dans la sphère de puissance du destinataire et que ce dernier peut prendre connaissance du contenu de l’envoi. En présence d’un courrier sans signature (A Plus comme A), c’est le cas au moment du dépôt dans la boîte aux lettres ou la case postale. Si l’envoi est distribué un samedi, le délai de recours commence à courir le dimanche. En présence d’un courrier recommandé, l’envoi entre dans la sphère de puissance du destinataire lorsqu’il est retiré au guichet. A cet égard, la notification par lettre recommandée n’offre pas un avantage significatif puisqu’au stade de l’avis de retrait, le destinataire ne connaît ni le contenu ni la motivation de la décision qui lui est adressée (arrêts 8C_754/2018 précité consid. 7.2.3; 2C_1126/2014 du 20 février 2015 consid. 2.4).

Par ailleurs, l’accès aux cases postales est en principe garanti en tout temps et le fait de ne pas vider la case postale le samedi relève de la responsabilité du destinataire (privé ou commercial). Celui-ci ne saurait s’en prévaloir pour reporter le dies a quo du délai de recours, alors que la date de distribution d’un courrier A Plus est facilement déterminable au moyen du numéro apposé sur l’enveloppe. Contrairement à ce que soutient l’assuré, un tel procédé ne présente aucune difficulté particulière, surtout pour un cabinet d’avocats, et permet précisément de lever les éventuelles incertitudes liées à l’envoi sans signature.

 

On ne saurait en effet reprocher à l’assurance-accidents un comportement déloyal et la mise en péril des droits des assurés pour avoir choisi un mode de notification expressément admis par le Tribunal fédéral. En outre, il n’y a pas lieu de remettre en cause le principe de la réception auquel sont soumises les communications des autorités et dont il ressort que la prise de connaissance effective de l’envoi ne joue pas de rôle sur la détermination du dies a quo du délai de recours (cf. ATF 144 IV 57 consid. 2.3.2 p. 62; 142 III 599 déjà cité consid. 2.4.1; 122 I 139 consid. 1 p. 143; 115 Ia 12 consid. 3b p. 17). On peut d’ailleurs attendre d’un avocat qu’il tienne compte de ce principe bien établi et recoure en temps utile.

 

Au risque de se répéter, dans le domaine des assurances sociales, le dépôt dans la boîte aux lettres ou la case postale d’un envoi, par courrier A Plus, constitue le point de départ pour le calcul du délai de recours, quand bien même la livraison a lieu un samedi et que le pli n’est récupéré qu’à une date ultérieure, comme le lundi suivant. Il n’y a pas lieu de revenir sur cette jurisprudence que le Tribunal fédéral a confirmée à maintes reprises (cf. notamment arrêts 8C_754/2018 consid. 7.2.3 déjà cité; 9C_655/2018 du 28 janvier 2019 consid. 4.4; 8C_559/2018 déjà cité consid. 3.4; 9C_90/2015 du 2 juin 2015 consid. 3.4; 8C_198/2015 du 30 avril 2015 consid. 3.2; 8C_573/2014 déjà cité consid. 3.1). L’assuré ne prétend d’ailleurs pas que les conditions d’un changement de jurisprudence seraient remplies (à ce sujet cf. ATF 144 IV 265 consid. 2.2 p. 269; 142 V 212 consid. 4.4 p. 117; 139 V 307 consid. 6.1 p. 313). Au demeurant, le fait que le samedi n’est pas mentionné comme jour « ouvrable et de dépôt » à l’art. 29 al. 7 de l’Ordonnance du 29 août 2012 sur la poste (OPO; RS 783.01) ne signifie pas pour autant que les envois ne peuvent pas être distribués ce jour-là. Quant au ch. 2.5.3 « Dimanche et jours fériés » des conditions générales de la poste (« Prestations du service postal » pour les clients commerciaux), il prévoit que « si la date de distribution (= échéance) tombe un dimanche ou un autre jour férié reconnu, au niveau étatique ou par l’usage local, au lieu de la prestation, le premier jour ouvrable qui suit ce dimanche ou jour férié est considéré date de distribution ». On ne peut pas en déduire que le samedi est un jour férié au sens de cette disposition, auquel cas il serait mentionné au même titre que le dimanche. Par ailleurs, la référence à l’art. 1 de la loi fédérale du 21 juin 1963 sur la supputation des délais (RS 73.110.3) n’est pas davantage pertinente, car cette disposition ne concerne que la fin du délai de recours et non son commencement. Enfin, la fermeture des bureaux de l’administration, et à plus forte raison des cabinets d’avocats, ne suffit pas en soi pour reconnaître au samedi le caractère de jour férié (cf. arrêts 6B_730/2013 du 10 décembre 2013 consid. 1.3.2 et les arrêts cités; 1P.322/2006 du 25 juillet 2006 consid. 2.5).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_124/2019 consultable ici

 

 

8C_61/2019 (f) du 17.04.2019 – Dies a quo du délai de recours – 60 LPGA – 38 LPGA / Décision sur opposition envoyée en Courrier A Plus notifiée un samedi / Relevé « Track & Trace » – Entrée dans le système électronique / Erreur de distribution non prouvée au degré de vraisemblance requis

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_61/2019 (f) du 17.04.2019

 

Consultable ici

 

Dies a quo du délai de recours / 60 LPGA – 38 LPGA

Décision sur opposition envoyée en Courrier A Plus notifiée un samedi

Relevé « Track & Trace » – Entrée dans le système électronique

Erreur de distribution non prouvée au degré de vraisemblance requis

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1184/2018 – consultable ici)

Le 27.08.2018, l’assuré a déposé un recours contre la décision sur opposition du 21.06.2018.

Se fondant sur l’attestation de suivi des envois de la poste (relevé « Track & Trace »), la cour cantonale a constaté que la décision sur opposition du 21.06.2018 avait été distribuée le samedi 23.06.2018. Aussi, le délai de recours était-il arrivé à échéance le vendredi 24.08.2018 (compte tenu des féries). Par conséquent, le recours, déposé le 27.08.2018, ne l’avait pas été en temps utile.

Par ailleurs, en ce qui concernait l’erreur de distribution invoquée par l’assuré – selon lequel la décision attaquée aurait été déposée dans la boîte aux lettres voisine commune à des sociétés dont le mandataire de l’assuré était ou est associé, gérant, directeur ou liquidateur -, les juges cantonaux ont considéré qu’elle ne reposait que sur une hypothèse, de sorte qu’elle n’avait pas été rendue plausible. Ils ont relevé en particulier que le nom du mandataire figurait uniquement sur la boîte aux lettres de l’étude et non sur celle des sociétés. En outre, en l’absence de vérification du relevé « Track & Trace » par le personnel de l’étude, la date inscrite au tampon (« reçu le 25 juin 2018 ») était un indice trop faible pour admettre que la notification était survenue ce jour-là. Au demeurant, même si la décision sur opposition de l’assurance-accidents avait été déposée dans la boîte aux lettres voisine, elle devrait être réputée parvenue dans la sphère de puissance du mandataire de l’assuré, compte tenu de ses liens avec les sociétés.

Par jugement du 18.12.2018, recours jugé irrecevable pour cause de tardiveté par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon la jurisprudence, le relevé « Track & Trace » ne prouve pas directement que l’envoi a été placé dans la sphère de puissance du destinataire mais seulement qu’une entrée correspondante a été introduite électroniquement dans le système d’enregistrement de la poste. L’entrée dans le système électronique constitue néanmoins un indice que l’envoi a été déposé dans la boîte aux lettres ou la case postale du destinataire à la date de distribution inscrite (ATF 142 III 599 consid. 2.2 p. 602; arrêt 8C_482/2018 du 26 novembre 2018 consid. 3.3). Une erreur de distribution ne peut dès lors pas d’emblée être exclue. Cependant, elle ne doit être retenue que si elle paraît plausible au vu des circonstances. L’exposé des faits par le destinataire qui se prévaut d’une erreur de distribution, et dont on peut partir du principe qu’il est de bonne foi, doit être clair et présenter une certaine vraisemblance (ATF 142 III 599 consid. 2.4.1 p. 604). Dans ce contexte, des considérations purement hypothétiques, selon lesquelles l’envoi aurait été inséré dans la boîte aux lettres du voisin ou d’un tiers, ne sont pas suffisantes (arrêts 8C_482/2018 précité consid. 4.3; 9C_90/2015 du 2 juin 2015 consid. 3.2 et les arrêts cités).

En l’occurrence, les arguments avancés par l’assuré ne sont pas de nature à démontrer le caractère arbitraire des constatations du jugement attaqué. Il fait valoir en particulier que des erreurs de distribution se sont déjà produites mais les copies des lettres auxquelles il renvoie – produites en instance cantonale – n’apparaissent pas pertinentes en l’espèce, ni de nature à étayer son propos. En effet, contrairement à la décision sur opposition de l’assurance-accidents, les lettres prétendument mal distribuées mentionnent au-dessus de l’adresse tant le nom des sociétés que celui du mandataire de l’assuré (ou le titre « avocat » sur un des documents). En outre, le nom du mandataire de l’assuré, à laquelle a été adressée la décision sur opposition, figure uniquement sur la boîte aux lettres de l’étude et non sur celle des sociétés. Quant à la proximité des deux boîtes, elle ne suffit pas à rendre vraisemblable une erreur de distribution. Enfin, on ne peut pas non plus déduire de la date inscrite au moyen du tampon de l’étude que la décision a été déposée dans la fausse boîte aux lettres. Au final, l’assuré n’a apporté aucun élément concret permettant de conclure, au degré de vraisemblance requis, à une erreur de distribution.

Les premiers juges n’ont donc pas fait preuve d’arbitraire en considérant que la version de l’assuré ne reposait que sur une hypothèse. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’écarter de la date de distribution inscrite dans le relevé « Track & Trace ».

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_61/2019 consultable ici