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6B_613/2020 (f) du 17.09.2020 – Falsification de certificats médicaux d’arrêt de travail – Perception d’indemnités journalières LAA / Faux dans les titres – 251 ch. 1 CP / Escroquerie – 146 al. 1 CP / Concours (parfait) d’infractions

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_613/2020 (f) du 17.09.2020

 

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Falsification de certificats médicaux d’arrêt de travail – Perception d’indemnités journalières LAA

Faux dans les titres – Falsification d’un titre (faux matériel) / 251 ch. 1 CP

Escroquerie – Utilisation d’un titre falsifié conduit en principe à admettre l’existence d’une tromperie astucieuse / 146 al. 1 CP

Concours (parfait) d’infractions – Concours parfait entre escroquerie et faux dans les titres lorsque l’auteur utilise un faux pour commettre une escroquerie

 

[Faits s’agissant des infractions encore contestées devant le Tribunal fédéral]

A.__ est né en 1985 en Macédoine, pays dont il est ressortissant. Son casier judiciaire fait état d’une condamnation, en 2010, pour séjour illégal, d’une condamnation, en 2011, pour entrée illégale, d’une condamnation, en 2012, pour entrée illégale et séjour illégal, d’une condamnation, en 2013, pour accomplissement non autorisé d’une course d’apprentissage, d’une condamnation, en 2014, pour vol, ainsi que d’une condamnation, la même année, pour vol, circulation sans assurance-responsabilité civile, emploi d’étranger sans autorisation, infractions d’importance mineure à la législation sur les étrangers.

Le 27.10.2014, A.__ a été impliqué dans un accident de la circulation sans gravité, dans lequel il n’a, selon ses propres déclarations à la police, pas été blessé. L’intéressé s’est pourtant rendu à l’hôpital afin de se faire examiner et obtenir un certificat d’arrêt de travail. Ce document ne valait que pour la journée. A.__ a falsifié celui-ci, indiquant faussement que son interruption de travail durerait du 27.10.2014 au 24.11.2014.

Le 03.11.2014, A.__ a annoncé le sinistre à l’assurance-accidents, déclarant faussement souffrir de douleurs au niveau de la nuque et du dos, et se trouver en incapacité de travail supérieure à un mois, à partir du 27.10.2014. Sur la base de ces informations, l’assurance-accidents a accordé au prénommé le droit à une indemnité journalière de 213 fr. 70 dès le 30 octobre 2014.

Après avoir été questionné par l’assurance-accidents sur son état de santé, A.__ a renvoyé un formulaire daté du 13.01.2015, dans lequel il indiquait reprendre son activité professionnelle à 100% dès le 12.01.2015. Il y a joint un certificat médical – falsifié par ses soins – indiquant faussement une interruption de travail totale entre le 27.10.2014 et le 11.01.2015.

Ainsi, entre le 30.10.2014 et le 11.01.2015, A.__ a indûment perçu des indemnités journalières de l’assurance-accidents, à hauteur de 15’813 fr. 80 au total.

 

 

Procédures cantonales

Par jugement du 19.08.2019, le Tribunal correctionnel a condamné A.__, pour abus de confiance, gestion déloyale, violation de l’obligation de tenir une comptabilité, détournement de valeurs mises sous main de justice, tentative d’escroquerie, escroquerie, faux dans les titres, induction de la justice en erreur, emploi répété d’étranger sans autorisation, infraction à la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS), infraction à la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP), et circulation sans assurance-responsabilité civile, à une peine privative de liberté de 30 mois, dont 15 mois avec sursis durant cinq ans, ainsi qu’à une peine pécuniaire – partiellement complémentaire à celles prononcées les 19.08.2014 et 12.11.2014 – de 45 jours-amende à 70 fr. le jour, avec sursis durant cinq ans.

Par jugement du 03.03.2020 (arrêt n° 35 PE14.006615-HNI/ACP), la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l’appel formé par A.__ contre ce jugement et a confirmé celui-ci.

 

TF

Faux dans les titres

Selon l’art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre.

Sont des titres tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait (art. 110 al. 4 CP).

L’art. 251 ch. 1 CP vise notamment le titre faux ou la falsification d’un titre, soit le faux matériel. Il y a faux matériel lorsque l’auteur réel du document ne correspond pas à l’auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité. Un simple mensonge écrit ne constitue cependant pas un faux intellectuel. Le document doit revêtir une crédibilité accrue et son destinataire pouvoir s’y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration (arrêt 6B_1406/2019 du 19 mai 2020 consid. 1.1 destiné à la publication; ATF 144 IV 13 consid. 2.2.2 p. 14 s.).

A.__ ne conteste pas que le certificat médical établi le 27.10.2014 – lequel a par la suite été falsifié – dût être qualifié de titre. Il soutient que les deux copies de ce document – après falsification – ne revêtiraient en revanche pas cette qualité, car il s’agirait de « faux grossiers, aisément reconnaissables ». Or, l’intéressé perd de vue que l’infraction de faux dans les titres peut être réalisée même par une falsification maladroite, facilement reconnaissable (cf. ATF 137 IV 167 consid. 2.4 p. 171; arrêts 6B_273/2019 du 9 octobre 2019 consid. 1.3; 6B_980/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3.3.1). Le faux matériel ne peut être exclu que lorsqu’il n’existe aucun danger de confusion quant à l’identité de son auteur réel (cf. arrêt 6B_980/2018 précité consid. 3.3.1). Tel n’est pas le cas en l’espèce, la falsification n’étant pas grossière, ainsi que l’a constaté la cour cantonale dans le jugement attaqué. Les différences d’écritures pointées par A.__, non plus que le caractère « inhabituel » des informations comprises dans les documents falsifiés, ne sauraient modifier cette appréciation.

La cour cantonale n’a donc pas violé le droit fédéral en condamnant A.__ pour faux dans les titres en raison de ces faits.

 

Escroquerie

Aux termes de l’art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d’escroquerie celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l’aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

L’escroquerie consiste à tromper la dupe. Pour qu’il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas; il faut qu’elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l’art. 146 CP, lorsque l’auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu’il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n’est pas possible, ne l’est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l’auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu’elle renoncera à le faire en raison d’un rapport de confiance particulier (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 154 s.; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 79 s.). L’astuce n’est pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d’attention ou éviter l’erreur avec le minimum de prudence que l’on pouvait attendre d’elle. Il n’est cependant pas nécessaire qu’elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu’elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d’être trompée. L’astuce n’est exclue que si elle n’a pas procédé aux vérifications élémentaires que l’on pouvait attendre d’elle au vu des circonstances. Une co-responsabilité de la dupe n’exclut toutefois l’astuce que dans des cas exceptionnels (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 155; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 81).

La définition générale de l’astuce est également applicable à l’escroquerie en matière d’assurances et d’aide sociale. L’autorité agit de manière légère lorsqu’elle n’examine pas les pièces produites ou néglige de demander à celui qui requiert des prestations les documents nécessaires afin d’établir ses revenus et sa fortune, comme par exemple sa déclaration fiscale, une décision de taxation ou des extraits de ses comptes bancaires. En revanche, compte tenu du nombre de demandes d’aide sociale, une négligence ne peut être reprochée à l’autorité lorsque les pièces ne contiennent pas d’indice quant à des revenus ou à des éléments de fortune non déclarés ou qu’il est prévisible qu’elles n’en contiennent pas. En l’absence d’indice lui permettant de suspecter une modification du droit du bénéficiaire à bénéficier des prestations servies, l’autorité d’assistance n’a pas à procéder à des vérifications particulières (arrêts 6B_488/2020 du 3 septembre 2020 consid. 1.1; 6B_346/2020 du 21 juillet 2020 consid. 1.2; 6B_152/2020 du 1er avril 2020 consid. 3.2).

A.__ conteste le caractère astucieux de la tromperie. Son argumentation est sans objet dans la mesure où elle repose sur la prémisse selon laquelle les copies du certificat médical falsifié – adressées à la l’assurance-accidents – auraient constitué des faux grossiers (cf. consid. 1.2.1 supra).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’utilisation d’un titre falsifié doit en principe conduire à admettre l’existence d’une tromperie astucieuse (cf. ATF 128 IV 18 consid. 3a p. 20 et les références citées; arrêt 6B_383/2019 du 8 novembre 2019 consid. 6.5.5.3). En l’occurrence, l’annonce d’une fausse incapacité de travail appuyée par des photocopies d’un certificat médical falsifié constituait une tromperie astucieuse. On ne voit pas en quoi la transmission de photocopies d’un certificat médical aurait dû attirer particulièrement l’attention de la SUVA ni pousser celle-ci à procéder à des vérifications supplémentaires.

L’autorité précédente pouvait donc, sans violer le droit fédéral, condamner A.__ pour escroquerie s’agissant des événements en question.

 

Concours d’infraction

A.__ soutient qu’il aurait dû uniquement être condamné pour escroquerie à raison de ces faits, un concours d’infraction étant, selon lui, exclu.

Comme le Tribunal fédéral a eu l’occasion de le rappeler encore récemment (cf. arrêt 6B_1086/2019 du 6 mai 2020 consid. 7.12), il y a – selon sa jurisprudence et la doctrine dominante – concours parfait entre l’escroquerie et le faux dans les titres lorsque l’auteur utilise un faux pour commettre une escroquerie, puisque les biens juridiquement protégés sont différents. En effet, l’art. 146 CP protège le patrimoine, alors que l’art. 251 CP protège la confiance placée dans la validité des pièces (cf. ATF 138 IV 209 consid. 5.5 p. 213; 129 IV 53 consid. 3 p. 56 ss). Cela vaut même si le faux dans les titres n’a été commis que dans le but de réaliser l’escroquerie (cf. ATF 138 IV 209 consid. 5.5 p. 213; arrêt 6B_772/2011 du 26 mars 2012 consid. 1.3 et la référence citée).

A.__ se borne à affirmer qu’il conviendrait de renverser cette jurisprudence, sans même mentionner, à l’appui de son argumentation, l’avis d’auteurs soutenant une telle position (cf. sur ce point l’arrêt 6B_1086/2019 précité consid. 7.12). On ne voit pas pour quels motifs il conviendrait de s’écarter des principes précités. En indiquant que « retenir l’usage de faux en concours réel revient à punir un même comportement blâmable deux fois », A.__ énonce précisément le principe du concours (parfait) d’infractions, dont on voit mal en quoi il pourrait contrevenir au droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 6B_613/2020 consultable ici

 

 

8C_715/2019 (f) du 06.10.2020 – Réduction des prestations en espèces pour entreprise téméraire – 39 LAA – 50 OLAA / La pratique du VTT de descente sur un tracé bleu n’est pas une entreprise téméraire (tant absolue que relative) [en dehors de toute compétition ou d’entraînement en vue d’une compétition] / Le VTT de descente n’est pas comparable au Dirt Biking

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_715/2019 (f) du 06.10.2020

 

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Réduction des prestations en espèces pour entreprise téméraire / 39 LAA – 50 OLAA

La pratique du VTT de descente sur un tracé bleu n’est pas une entreprise téméraire (tant absolue que relative) [en dehors de toute compétition ou d’entraînement en vue d’une compétition]

Le VTT de descente n’est pas comparable au Dirt Biking

 

Assuré, serveur, a été victime d’un accident le 16.06.2018. Vers 17 heures, il était à Châtel (France), en train de descendre en vélo tout terrain (VTT) la piste bleue « La Serpentine », lorsqu’il a chuté. Il a été retrouvé au sol, inconscient avec un saignement à l’oreille. L’accident s’est soldé par un traumatisme crânien sévère.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a procédé à une réduction 50% de toutes les prestations en espèces, au motif que l’atteinte à la santé subie lors de cette descente en VTT était la conséquence d’une entreprise téméraire absolue.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 13/19 – 119/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que la pratique du VTT de descente sur un tracé bleu, réservée à la pratique de ce sport, par beau temps, hors du cadre d’une compétition – respectivement d’un entraînement en vue d’une compétition – ne constituait pas, de prime abord, une entreprise téméraire absolue. Examinant les circonstances du cas concret, compte tenu notamment de la nature de la piste, qualifiée de « facile », de l’expérience de l’assuré et de son équipement, elle a conclu que l’activité litigieuse ne pouvait pas non plus être qualifiée d’entreprise téméraire relative.

Par jugement du 17.09.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, reformant en ce sens que les prestations en espèces relatives au sinistre du 16.06.2018 n’étaient pas réduites.

 

TF

Selon l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces; la réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Fondé sur cette norme de délégation de compétence, l’art. 50 OLAA prévoit qu’en cas d’accidents non professionnels dus à une entreprise téméraire, les prestations en espèces sont réduites de moitié; elles sont refusées dans les cas particulièrement graves (al. 1). Les entreprises téméraires sont celles par lesquelles l’assuré s’expose à un danger particulièrement grave sans prendre de mesures destinées à ramener celui-ci à des proportions raisonnables ou sans pouvoir prendre de telles mesures; toutefois, le sauvetage d’une personne est couvert par l’assurance même s’il peut être considéré comme une entreprise téméraire (al. 2).

La jurisprudence qualifie d’entreprises téméraires absolues celles qui, indépendamment de l’instruction, de la préparation, de l’équipement et des aptitudes de l’assuré, comportent des risques particulièrement importants, même si elles sont pratiquées dans les conditions les moins défavorables. Il en va de même des activités risquées dont la pratique ne répond à aucun intérêt digne de protection (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524 et les références). Ont par exemple été considérées comme des entreprises téméraires absolues la participation à une course automobile de côte ou en circuit (ATF 113 V 222; 112 V 44), à une compétition de motocross (RAMA 1991 n° U 127 p. 221 [U 5/90]), à un combat de boxe ou de boxe thaï (ATFA 1962 p. 280; RAMA 2005 n° U 552 p. 306 [U 336/04]), la pratique, même à titre de hobby, du « Dirt Biking » (ATF 141 V 37), la pratique de la moto lors d’une séance de pilotage libre organisée sur circuit (arrêts 8C_81/2020 du 3 août 2020; 8C_217/2018 du 26 mars 2019 publié in: SVR 2019 UV n° 33 p. 123; 8C_472/2011 du 27 janvier 2012 publié in: SVR 2012 UV n° 21 p. 77 et RSAS 2012 p. 301), un plongeon dans une rivière d’une hauteur de quatre mètres sans connaître la profondeur de l’eau (ATF 138 V 522), ou encore, faute de tout intérêt digne de protection, l’action de briser un verre en le serrant dans sa main (SVR 2007 UV n° 4 p. 10 [U 122/06] consid. 2.1).

D’autres activités non dénuées d’intérêt comportent des risques élevés, qui peuvent toutefois être limités à un niveau admissible si l’assuré remplit certaines exigences sur le plan des aptitudes personnelles, du caractère et de la préparation. A défaut, l’activité est qualifiée de téméraire et l’assurance-accidents est en droit de réduire ses prestations conformément aux art. 39 LAA et 50 OLAA. On parle dans ce cas d’entreprise téméraire relative, en ce sens que le refus ou la réduction des prestations dépend du point de savoir si l’assuré était apte à l’exercer et a pris les précautions nécessaires pour limiter les risques à un niveau admissible (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524). Peuvent constituer des entreprises téméraires relatives la « streetluge » (arrêt 8C_638/2015 du 9 mai 2016 publié in: SVR 2016 UV n° 47 p. 155), le canyoning (ATF 125 V 312), la plongée, y compris la plongée spéléologique dans une source (ATF 134 V 340; 96 V 100), l’alpinisme et la varappe (ATF 97 V 72, 86), ou encore le vol delta (ATF 104 V 19). Selon le degré de difficulté et le niveau de risque dans un cas particulier, il n’est pas exclu de qualifier l’une ou l’autre de ces activités d’entreprise téméraire absolue (ATF 134 V 340 consid. 3.2.3 p. 345).

La Commission ad hoc des sinistres LAA a établi à l’intention des assureurs-accidents une recommandation en matière d’entreprises téméraires (recommandation n° 5/83 du 10 octobre 1983 complétée le 27 juin 2018, consultable sur le site de l’Association suisse des assureurs [ASA]: https://www.svv.ch/fr). Cette recommandation contient une liste des entreprises considérées comme des entreprises téméraires absolues. Sont notamment considérées comme telles les courses de descente en VTT, y compris entraînement sur parcours (« Downhill-Biking »). De telles recommandations n’ont toutefois pas valeur d’ordonnances administratives ni de directives d’une autorité de surveillance aux autorités d’exécution de la loi; il s’agit de simples recommandations qui ne lient pas le juge (ATF 114 V 315 consid. 5c p. 318).

Comme l’ont relevé les juges cantonaux, le site internet de l’Office du tourisme de Châtel (www.chatel.com/piste-vtt-la-serpentine.html) présente la piste de la Serpentine comme suit: « Longue de plus de 3 km, cette piste bleue qui se trouve sur la partie basse du Bike est une longue balade avec de très nombreux virages; c’est aussi à la fois une piste pédagogique qui permet de s’entraîner à prendre les virages relevés et de s’y améliorer puisqu’elle en compte 36! Récemment transformée, elle compte à présent 24 nouveaux sauts et modules en plus. Elle est devenue plus aérienne! »

AFNOR, organisme français de référence pour les normes volontaires (cf., pour une sélection de normes volontaires AFNOR, sports et loisirs: www.sports.gouv.fr.), a édicté la norme NF S52-110 « Pistes de descente VTT – Aménagement ». Cette norme comprend un tableau 1, intitulé « Détermination du niveau de difficulté d’une piste de descente VTT et son code-couleur associé », qui figure à l’identique en page 12 du guide publié par la Fédération française de cyclisme (FFC) sous le titre « Classification et balisage des parcours VTT » (actualisé en 2018 et téléchargeable sur le site www.ffc.fr) et dont la teneur est la suivante:

NIVEAU DE DIFFICULTÉ TRÈS FACILE FACILE DIFFICILE TRÈS DIFFICILE ELITE
Code-couleur correspondant Vert Bleu Rouge Noir Double noir
Niveau du pratiquant Accessible à tous types de pratiquants sans avoir à descendre du VTT Destiné aux pratiquants initiés Destiné à des pratiquants confirmés Destiné aux pratiquants experts Destiné aux pratiquants experts et/ou compétiteurs
Pente moyenne Très faible Faible Modérée Pouvant être forte Pouvant être très forte
Surface de roulement Large, très roulante avec un dévers faible Roulante      
Modules (s’applique à toutes les modules) Module, très facile, de profil arrondi, franchissable à l’enroulé Module facile et franchissable à l’enroulé Module difficile franchissable à l’enroulé ou non Module très difficile franchissable à l’enroulé ou non Module élite franchissable à l’enroulé ou non
Modules de sauts Pas de modules de saut nécessitant un décollage des deux roues Pas de modules de saut nécessitant un décollage des deux roues Module franchissable à l’enroulé ou non Module franchissable à l’enroulé ou non Module franchissable à l’enroulé ou non
Obstacle (s) Présence de quelques sections d’obstacles très faciles Présence de quelques sections d’obstacles faciles Présence de quelques sections d’obstacles de difficulté moyenne Présence de quelques sections d’obstacles de difficulté élevée Présence d’obstacles de difficulté très élevée

Selon cette classification, les pistes de descente VTT sont identifiées par cinq couleurs, à savoir vert s’agissant d’un parcours très facile, bleu pour un parcours facile, rouge pour un parcours difficile, noir pour un parcours très difficile et damier blanc et noir pour un niveau « élite ». La cotation d’un parcours VTT de descente est déterminée au regard des critères suivants: le niveau du pratiquant, la pente moyenne, la surface de roulement, les modules, les modules de sauts et les obstacles. Une piste de la catégorie bleue – comme « La Serpentine » – est destinée aux pratiquants initiés, sa pente moyenne est faible, elle présente une surface roulante, comporte des modules faciles et franchissables à l’enroulé, il n’y a pas de modules de saut nécessitant un décollage des deux roues et elle comporte quelques sections d’obstacles faciles. Le guide publié par la FFC précise que ces critères doivent être utilisés comme un outil de décision et qu’il convient de ne jamais sous-coter un parcours.

Le rapport de visite du 24.08.2018 de l’inspecteur de sinistre ne permet pas d’aboutir à une autre qualification du niveau de difficulté de « La Serpentine ». Le fait que l’accident s’est produit sur une portion de la piste qualifiée par l’inspecteur de sinistre comme n’ayant « absolument rien de facile » ne saurait être décisif. En effet, il est notoire que le degré de difficulté signalé est toujours déterminé d’après la section la plus difficile (cf. la brochure technique « Signalisation des pistes VTT », publiée par le Bureau de prévention des accidents [bpa], téléchargeable sous www.bpa.ch, p. 7) et le guide publié par la FFC insiste bien sur le fait qu’il convient de ne jamais sous-coter un parcours. Or les photos du lieu de l’accident ne montrent ni un dénivelé inhabituel, ni la présence d’un obstacle ou de modules qui auraient pu rendre le passage plus difficilement franchissable qu’indiqué par la signalisation de piste bleue. Partant, les faits constatés par les premiers juges ne sont pas critiquables.

 

Force est d’abord de constater que la référence par l’assurance-accidents à la recommandation n° 5/83 de la Commission ad hoc des sinistres LAA (cf. consid. 3.4 supra) se révèle dénuée de pertinence. En effet, l’accident du 16.06.2018 ayant eu lieu en dehors de toute compétition ou d’entraînement en vue d’une compétition, il ne tombe pas sous la définition de « courses de descente VTT, y compris entraînement sur parcours («Downhill-Biking»)« .

Se référant ensuite à l’ATF 141 V 37, dans lequel le Tribunal fédéral a considéré que le Dirt Biking constituait une entreprise téméraire absolue, l’assurance-accidents soutient que la pratique du Downhill-Biking y serait assimilable, dès lors que les risques de blessures et de chute ne se laisseraient pas réduire à des proportions raisonnables avec une protection adéquate.

Le Dirt Biking est une pratique de VTT particulière, dont le but primaire consiste à faire des sauts (jumps) incluant des figures acrobatiques tels que saltos, rotations sur son propre axe ou le fait d’ôter les mains du guidon ou les pieds des pédales (ATF 141 V 37 consid. 4.3 p. 41). Ce sont précisément les sauts d’une certaine hauteur qui comportent le danger intrinsèque d’être blessé, sans qu’il soit possible de ramener ce risque à des proportions raisonnables (ATF 141 V 37 consid. 4.4 p. 41 s.). A l’évidence, le Dirt Biking comporte des risques plus élevés que la pratique du VTT de descente, en particulier lorsqu’il s’agit – comme en l’espèce – de la descente non chronométrée d’une piste bleue. La comparaison tombe dès lors à faux.

 

S’agissant enfin de l’examen des circonstances du cas concret, l’assurance-accidents ne conteste à juste titre pas qu’au moment de l’accident, l’assuré portait un équipement complet (casque, protections dorsales, jambes, genoux, bras et poignets), qu’il avait choisi une piste n’excédant pas son degré d’aptitude et que les conditions météorologiques étaient favorables. A la question de savoir à quelle vitesse l’assuré roulait lors de la survenance de l’accident, le dossier ne contient pas de réponse. En effet, l’assuré présentant des troubles de la mémoire antérograde, il n’a pas pu être interrogé. Par ailleurs, aucune caméra d’action n’a été trouvée dans son équipement et il n’y a pas eu des témoins, à l’exception des secouristes. La gravité des blessures subies par l’assuré lors de l’accident du 16.06.2018 pourrait tout au plus constituer un indice qu’il roulait à une vitesse plutôt élevée. A lui seul, un tel indice ne permet toutefois pas d’admettre l’existence d’une entreprise téméraire relative permettant à l’assureur-accidents de réduire ses prestations en espèces.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_715/2019 consultable ici

 

 

9C_599/2019 (f) du 24.08.2020 – Valeur probante d’un rapport établi suite à un examen psychiatrique au SMR / Amélioration notable de l’état de santé psychique malgré des plaintes similaires – 17 LPGA / Effets d’une dysthymie sur la capacité de travail [et de gain] exigible – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_599/2019 (f) du 24.08.2020

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’un rapport établi suite à un examen psychiatrique au SMR

Amélioration notable de l’état de santé psychique malgré des plaintes similaires / 17 LPGA

Effets d’une dysthymie sur la capacité de travail [et de gain] exigible / 16 LPGA

 

Assurée, née en 1972, a travaillé pour la société B.__ du 01.01.2000 au 29.11.2011, en dernier lieu à 100% comme caissière. Après avoir bénéficié d’indemnités de l’assurance-chômage, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 03.12.2013.

L’office AI a procédé aux investigations auprès des médecins traitants, puis soumis l’assurée à une évaluation psychiatrique auprès de son SMR les 17.08.2016 et 30.11.2016. Dans un rapport établi le 05.12.2016, la spécialiste en psychiatrie et psychothérapie du SMR a diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – un épisode dépressif moyen avec syndrome somatique en rémission complète, ainsi que – sans répercussion sur la capacité de travail – une dysthymie et des difficultés dans les rapports avec le conjoint. Selon la psychiatre du SMR, l’assurée disposait d’une capacité de travail complète dès le 17.08.2016, tant dans son activité habituelle que dans une activité adaptée.

L’assurée a déposé un avis complémentaire de la médecin traitante et de la psychiatre traitante. Les 31.03.2017 et 06.12.2017, la spécialiste en médecine interne générale et médecin auprès du SMR a recommandé à l’office AI de suivre en l’absence d’autres éléments les conclusions de la psychiatre traitante jusqu’au 17.08.2016, puis celles de la psychiatre du SMR à compter de cette date. Par décision, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière d’invalidité du 01.10.2014 au 30.11.2016, soit trois mois après l’amélioration de l’état de santé constatée par la psychiatre du SMR.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/652/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a constaté que l’assurée présentait selon le médecin du SMR des périodes où elle se sentait un peu mieux, mais la plupart du temps, elle se décrivait comme fatiguée et déprimée, tout lui coûtait et rien ne lui était agréable. Elle ruminait et se plaignait, dormait mal, perdait confiance en elle-même, pleurait sur son sort et se positionnait dans un rôle de victime. Si l’assurée ne souffrait pas de fatigue, elle se plaignait que tout la fatiguait. Les juges cantonaux se sont étonnés que ces constatations pussent conduire le médecin du SMR à conclure à une rémission de l’état de santé de l’assurée, sans même les commenter. Ils ont jugé que ces éléments étaient suffisants pour faire douter sérieusement des conclusions du médecin du SMR et, partant, de leur valeur probante. Aussi, ils ne pouvaient affirmer qu’il y avait eu amélioration de l’état de santé de l’assurée dès août 2016.

Au contraire, selon les juges cantonaux, les conclusions du médecin du SMR constituaient une nouvelle appréciation de la capacité de travail résiduelle de l’assurée, alors que l’état de fait était resté inchangé. En effet, l’état de l’assurée décrit par le médecin du SMR correspondait plus ou moins à celui figurant dans les rapports établis par la psychiatre traitante dès 2014. Une simple appréciation différente d’un état de fait, qui, pour l’essentiel, était demeuré inchangé ne permettait dès lors pas de réviser le droit de l’assurée à une rente d’invalidité. Pour le surplus, le médecin du SMR ne pouvait sérieusement considérer que la capacité de travail de l’assurée était pleine et entière au motif que sa famille lui apportait toute l’aide dont elle avait besoin. Les conclusions de l’évaluation psychiatrique du SMR ne pouvaient par conséquent pas motiver valablement une révision du droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité.

Par jugement du 09.07.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et maintien de la rente entière d’invalidité au-delà du 30.11.2016.

 

TF

En l’espèce, la juridiction cantonale a retenu que la psychiatre du SMR avait procédé à des examens cliniques approfondis les 17.08.2016 et 30.11.2016. L’évaluation de la psychiatre du SMR contient de plus une description détaillée de ses observations cliniques, une présentation des diagnostics retenus, ainsi qu’une discussion sur le fonctionnement de la personnalité et l’influence de celle-ci sur la capacité de travail de l’assurée. A l’inverse de ce que la juridiction cantonale a considéré, la psychiatre du SMR expose en outre de manière claire les motifs pour lesquels elle a retenu une rémission durable de l’épisode dépressif moyen avec syndrome somatique. Elle a tout d’abord recherché les symptômes dépressifs mentionnés dans les avis de la psychiatre traitante. Puis, au terme de son évaluation, elle a nié la persistance de troubles de la mémoire, de la concentration et de l’attention, d’un ralentissement psychomoteur, d’une anhédonie, d’une fatigue, d’une augmentation de la fatigabilité (durant les entretiens), de troubles cognitifs, d’idées de culpabilité ou de persécution, d’une agoraphobie ou d’une phobie sociale. Aussi, la psychiatre du SMR a exclu de manière convaincante que l’assurée souffrit encore de signes florides de la lignée dépressive au 17.08.2016.

Quant aux reproches formulés par l’assurée à l’encontre des conclusions du psychiatre du SMR, ils se fondent exclusivement sur la manière dont elle ressent et assume elle-même sa situation. En particulier, on ne saurait reprocher à la psychiatre du SMR d’avoir tout d’abord reproduit fidèlement les plaintes de l’assurée, qui sont pour l’essentiel demeurées les mêmes depuis la perte de son emploi, puis d’évaluer objectivement leur portée pour établir la mesure de ce qui était raisonnablement exigible au sens de l’art. 7 al. 2 LPGA. En se limitant à mentionner les différences entre ses plaintes (« rien ne lui est agréable », « se sent inutile », etc.) et les constatations objectives de l’évaluation psychiatrique (absence d’anhédonie, de dévalorisation, etc.), l’assurée n’établit dès lors nullement que la psychiatre du SMR aurait ignoré des éléments cliniques ou diagnostiques essentiels, ni n’explique en quoi le point de vue de sa psychiatre traitante justifierait la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique indépendante.

Il s’ensuit que l’office AI a recueilli une évaluation psychique qui expose un changement clairement objectivé de la situation clinique de l’assurée sur le plan psychique (rémission) et, donc, une amélioration notable de sa capacité de travail dès le 17.08.2016 (au sens de l’art. 17 LPGA).

 

Il reste à examiner les effets d’une dysthymie sur la capacité de travail de l’assurée.

Selon la jurisprudence, une dysthymie est susceptible d’entraîner une diminution de la capacité de travail lorsqu’elle se présente avec d’autres affections, à l’instar d’un grave trouble de la personnalité (arrêt 9C_585/2019 du 3 juin 2020 consid. 4.1 et les références). Pour en évaluer les éventuels effets limitatifs, ces atteintes doivent en principe faire l’objet d’une procédure probatoire structurée selon l’ATF 141 V 281.

A l’issue des examens cliniques, la psychiatre du SMR a exclu l’existence d’une atteinte à la santé présentant une certaine gravité, notamment un trouble de la personnalité morbide. Elle a constaté que l’assurée disposait de plus de ressources personnelles d’adaptation au changement, de ressources mobilisables (notamment le soutien des membres de sa famille) et qu’elle adhérait à sa thérapie. Elle a retenu en outre à juste titre que l’assurée semblait tirer avantage de ses autolimitations (ménage réalisé par sa sœur ou sa fille, emplettes réalisées par sa sœur ou son mari, etc.). Contrairement à ce que la juridiction cantonale a retenu, la psychiatre du SMR n’a par ailleurs pas indiqué que l’assurée pouvait travailler parce que sa famille lui apportait de l’aide, mais qu’on pouvait attendre de l’assurée qu’elle mît à profit ses ressources personnelles afin de surmonter les autolimitations primaires et secondaires. Compte tenu de ces éléments, la juridiction cantonale s’est écartée de manière arbitraire des conclusions de l’évaluation psychiatrique du SMR. Dans la mesure où la psychiatre traitante s’est fondée dans ses différents avis médicaux sur les seules plaintes de l’assurée, sans aucune distanciation objective et sans apporter de critiques fondées quant aux constatations du SMR, l’office AI n’avait pour le surplus pas à mettre en œuvre une expertise psychiatrique indépendante (cf. ATF 143 V 409 consid. 4.5 p. 415). Aussi, avec l’aide des médecins de son SMR, l’office AI a tiré dans sa décision les conséquences qui s’imposaient des conclusions de l’évaluation psychiatrique du médecin du SMR.

Ensuite des éléments qui précèdent, il convient de retenir que l’assurée présentait une capacité de travail de 100% dans son activité habituelle à compter du 17.08.2016. La juridiction cantonale a dès lors violé le droit fédéral en maintenant le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité au-delà du 30.11.2016 (art. 17 LPGA et art. 88a al. 1 RAI).

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_599/2019 consultable ici

 

 

4A_555/2019 (f) du 28.08.2020 – Réticence lors d’une déclaration de santé (assurance complémentaire maladie) malgré une question floue et évasive – 6 LCA – 4 LCA / Délai de péremption du droit de résiliation de l’assureur – Dies a quo et dies ad quem du délai de quatre semaines – 6 al. 2 LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_555/2019 (f) du 28.08.2020

 

Consultable ici

 

Réticence lors d’une déclaration de santé (assurance complémentaire maladie) malgré une question floue et évasive / 6 LCA – 4 LCA

Délai de péremption du droit de résiliation de l’assureur – Dies a quo et dies ad quem du délai de quatre semaines / 6 al. 2 LCA

 

Assurée ayant souscrit une couverture d’assurance-maladie complémentaire (LCA).

Le 15.02.2016, elle avait rempli une déclaration de santé. La question n° 2 était libellée ainsi : « Souffrez-vous ou avez-vous souffert d’un trouble de la santé ou d’une maladie ou avez-vous subi un accident au cours des cinq dernières années ? Par exemple : des organes des voies respiratoires, du cœur, du système vasculaire, du système nerveux ou du psychisme, des organes de l’appareil digestif, de l’appareil urogénital, de maladies propres à la femme, de maladies de peau, de l’appareil locomoteur, du métabolisme ou des glandes, de maladies du sang ou maladies infectieuses, des organes sensoriels (yeux, oreilles, nez), de tumeurs, d’infirmités congénitales ou d’une autre maladie, blessure ou trouble non précité ? »

Dans sa réponse, l’assurée a signalé une maladie de la peau à la suite d’un changement hormonal, précisant que l’affection n’était pas récurrente et que le trouble était guéri.

A la question n° 7 – « un traitement, une thérapie, une opération, une cure, un examen ou un examen de contrôle est-il prévu ou recommandé par un médecin ? » –, elle a répondu « non » ; sous la question, il était précisé que les examens gynécologiques préventifs étaient exclus.

Le 12.09.2016, l’assurée a subi une intervention chirurgicale consistant à retirer des fibromes utérins. Elle a été hospitalisée aux HUG du 12.09.2016 au 14.09.2016.

Le 13.09.2016, les HUG ont adressé une demande de garantie d’hospitalisation à l’assurance. Dans sa réponse – datée du 19.09.2016 – à une demande de renseignements médicaux de l’assureur, la spécialiste FMH en gynécologie et obstétrique a indiqué que les fibromes utérins avaient été découverts lors d’un contrôle gynécologique le 19.10.2015 ; elle a mentionné des « douleurs au bas ventre » ; à la question de savoir si des traitements étaient prévus, elle a répondu « oui opération » ; elle a précisé que l’existence des fibromes avait été confirmée par une IRM.

Par courrier recommandé du 14.10.2016, l’assurance a résilié le contrat d’assurance complémentaire avec effet au 17.10.2016. Pour l’assureur, la preneur d’assurance n’a pas répondu correctement à la question n° 2 susmentionnée puisqu’elle souffrait de fibromes utérins depuis le 19.10.2015 et, partant, elle a commis une réticence.

Le 11.07.2017, l’assureur a refusé, pour cause de réticence, de prendre en charge la facture de 16’563 fr. 20 relative aux prestations de division semi-privée du séjour de l’assurée. Les HUG ont ensuite transmis la facture à la patiente.

Le 10.11.2017, l’assurée a contesté la validité de la résiliation que, selon elle, l’assureur aurait notifiée après l’échéance du délai de péremption de quatre semaines.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/899/2019 – consultable ici)

L’assurée a ouvert action contre l’assurance. Une audience d’enquêtes et de comparution personnelle s’est tenue le 24.09.2019. La spécialiste FMH en gynécologie et obstétrique a été entendue à cette occasion. Il ressort de ses déclarations que la consultation du 19.10.2015 était un contrôle habituel, que les fibromes utérins avaient été détectés lors d’une échographie, que la patiente était alors asymptomatique, que le diagnostic avait été discuté avec elle, en particulier en lien avec un désir de grossesse éventuel, que la patiente avait mentionné pour la première fois une gêne et une sensation de ballonnement lors du contrôle du 08.02.2016, que la possibilité d’une opération avait alors été discutée, en rapport avec un éventuel désir de grossesse et la gêne évoquée, qu’une IRM avait été demandée, que la patiente avait ensuite été adressée à la maternité des HUG pour un second avis quant à l’opération, que les fibromes étaient bénins et qu’aucun traitement n’avait été proposé avant l’intervention du 12.09.2016. Par ailleurs, la gynécologue a déclaré avoir scanné le rapport du 19.09.2016 dans le dossier médical, ce qui signifiait en général qu’elle l’avait envoyé par pli simple à cette date.

Par jugement du 01.10.2019, rejet de la demande par le tribunal cantonal, l’assurée ayant commis une réticence et la résiliation étant intervenue en temps utile.

 

TF

La réticence se définit comme l’omission de déclarer ou le fait de déclarer inexactement, lors de la conclusion du contrat, un fait important que celui ayant l’obligation de déclarer connaissait ou devait connaître (art. 6 al. 1 LCA). La notion renvoie aux déclarations obligatoires au sens de l’art. 4 LCA. Selon l’alinéa 1 de cette disposition, celui qui présente une proposition d’assurance doit déclarer par écrit à l’assureur, suivant un questionnaire ou en réponse à toutes autres questions écrites, tous les faits qui sont importants pour l’appréciation du risque, tels qu’ils lui sont ou doivent lui être connus lors de la conclusion du contrat. La question posée par l’assureur doit être rédigée de manière précise et non équivoque (art. 4 al. 3 LCA; ATF 136 III 334 consid. 2.3 p. 336; 134 III 511 consid. 3.3.4 p. 515). Le proposant doit répondre de manière véridique aux questions telles qu’il peut les comprendre de bonne foi ; il n’y a pas de réponse inexacte si la question est ambiguë, de telle sorte que la réponse donnée apparaît véridique selon la manière dont la question pouvait être comprise de bonne foi par le proposant (ATF 136 III 334 consid. 2.3 p. 336 s.).

Pour qu’il y ait réticence, il faut, d’un point de vue objectif, que la réponse donnée à la question ne soit pas conforme à la vérité, par omission ou inexactitude; la réticence peut consister à affirmer un fait faux, à taire un fait vrai ou à présenter une vision déformée de la vérité (ATF 136 III 334 consid. 2.3 p. 337). D’un point de vue subjectif, la réticence suppose que le proposant connaissait ou aurait dû connaître la vérité. Le proposant doit déclarer non seulement les faits qui lui sont connus sans autre réflexion, mais aussi ceux qui ne peuvent lui échapper s’il réfléchit sérieusement à la question posée (ATF 136 III 334 consid. 2.3 p. 337; 134 III 511 consid. 3.3.3 p. 514).

Il faut en plus que la réponse inexacte porte sur un fait important pour l’appréciation du risque (art. 4 al. 1 et art. 6 al. 1 LCA). Sont importants tous les faits de nature à influer sur la détermination de l’assureur de conclure le contrat ou de le conclure aux conditions convenues (art. 4 al. 2 LCA). L’art. 4 al. 3 LCA présume que le fait est important s’il a fait l’objet d’une question écrite de l’assureur, précise et non équivoque. Il s’agit toutefois d’une présomption susceptible d’être renversée. S’il n’appartient pas au proposant de déterminer – à la place de l’assureur – quels sont les éléments pertinents pour apprécier le risque, il n’en demeure pas moins que la présomption sera renversée si le proposant a omis un fait qui, considéré objectivement, apparaît totalement insignifiant. Ainsi, la jurisprudence a admis que celui qui tait des indispositions sporadiques qu’il pouvait raisonnablement et de bonne foi considérer comme sans importance et passagères, sans devoir les tenir pour une cause de rechutes ou des symptômes d’une maladie imminente aiguë, ne viole pas son devoir de renseigner (ATF 136 III 334 consid. 2.4 p. 337 s. et les arrêts cités; 134 III 511 consid. 3.3.4 p. 515).

En cas de réticence, l’assureur est en droit de résilier le contrat (art. 6 al. 1 LCA) ; s’il exerce ce droit, il est autorisé à refuser également sa prestation pour les sinistres déjà survenus, si le fait qui a été l’objet de la réticence a influé sur leur survenance ou leur étendue (art. 6 al. 3 LCA). Le droit de résiliation s’éteint quatre semaines après que l’assureur a eu connaissance de la réticence (art. 6 al. 2 LCA).

 

Réticence et questions posées

Le Tribunal fédéral a déjà reconnu qu’une question semblable à celle ici en cause était floue et évasive (arrêt 4A_94/2019 du 17 juin 2019 consid. 4; cf. arrêt 4A_134/2013 du 11 septembre 2013 consid. 4.2.2 sur le caractère très large et imprécis de la notion de trouble ou d’atteinte à la santé). Cela étant, force est d’admettre, avec la cour cantonale, que la proposante ne pouvait pas, de bonne foi, occulter l’existence des fibromes utérins qui l’affectaient. Ces derniers constituaient manifestement un fait important pour l’appréciation du risque en l’occurrence; même bénins et sans autre symptôme que des ballonnements, ils ne sauraient, quoiqu’en pense l’assurée, être assimilés à « des petits rhumes, grippes ou ongles incarnés ». Selon les constatations de la cour cantonale qui lient la cour de céans, l’assurée a voulu conclure une assurance complémentaire parce qu’elle approchait l’âge de 40 ans et envisageait la possibilité d’une grossesse. Au moment où elle a rempli le questionnaire de santé, elle savait depuis quatre mois qu’elle était porteuse de fibromes utérins, dont l’impact sur une future grossesse avait déjà été discuté avec sa gynécologue. En outre, une semaine avant de répondre au questionnaire, l’assurée a subi un contrôle chez la gynécologue, laquelle a évoqué avec elle l’éventualité d’une opération d’enlèvement des fibromes, notamment dans l’hypothèse où la patiente envisagerait une grossesse, et a transmis ensuite le cas à la maternité pour un second avis quant à une intervention. Lorsqu’elle a répondu à la question n° 2 relative en particulier à un éventuel « trouble de la santé », l’assurée savait donc que les fibromes utérins devraient peut-être être retirés chirurgicalement si elle souhaitait tomber enceinte, ce qui était précisément l’hypothèse qui l’amenait à vouloir conclure une assurance complémentaire. C’est dire qu’elle devait nécessairement se rendre compte que la présence desdits fibromes n’était pas anodine et constituait un élément important susceptible d’influer sur l’appréciation du risque par l’assureur. En passant ce fait sous silence, l’assurée a méconnu son devoir de renseigner et ne saurait invoquer le caractère vague de la notion de « trouble de la santé » pour justifier cette omission.

La cour cantonale a dès lors jugé à bon droit que l’assurée avait commis une réticence en ne mentionnant pas les fibromes utérins en réponse à la question n° 2 de la déclaration de santé et, partant, que l’assurance était en droit de résilier le contrat d’assurance.

 

Délai de péremption du droit de résiliation de l’assureur

Il incombe à l’assureur de rapporter la preuve du respect du délai de péremption prévu par l’art. 6 al. 2 LCA (cf. ATF 118 II 333 consid. 3 p. 338; arrêts 4A_104/2018 du 12 juin 2018 consid. 2.1, 4A_150/2015 du 29 octobre 2015 consid. 6.3).

Ce délai ne commence à courir que lorsque l’assureur est complètement orienté sur tous les points concernant la réticence et qu’il en a une connaissance effective. Des renseignements dignes de foi sur des faits dont on peut déduire avec certitude qu’une réticence a été commise sont à cet égard suffisants ; en revanche, de simples soupçons, même propres à inciter un assureur diligent à vérifier les déclarations du proposant et assuré, ne déclenchent pas l’écoulement du délai (ATF 130 V 9 consid. 2.1 p. 12; 119 V 283 consid. 5a p. 287/288; 118 II 333 consid. 3 p. 340).

Le délai de quatre semaines se calcule conformément à l’art. 77 al. 1 ch. 2 CO, c’est-à-dire qu’il expire le jour qui correspond, par son nom, au jour du point de départ (cf. ATF 129 III 713 consid. 2.1). Le Tribunal fédéral n’a jamais eu à trancher expressément la question de savoir si, pour intervenir en temps utile, la déclaration de résiliation doit parvenir au preneur d’assurance ou être seulement expédiée dans le délai de péremption (cf. arrêt 4A_150/2015 précité consid. 6.4 et les références). Dans le cas présent, la cour cantonale a jugé que la résiliation était intervenue en temps utile en appliquant la théorie de la réception, moins favorable à l’assureur.

Il n’est pas contesté que l’assurance a eu connaissance de la réticence par le rapport de la spécialiste FMH en gynécologie et obstétrique portant la date manuscrite du 19.09.2016. La cour cantonale n’a pas établi la date à laquelle ce document a été reçu par l’assureur, mais est partie de l’hypothèse la plus favorable à l’assurée, à savoir l’envoi par le médecin sous pli simple le 19.09.2016, impliquant une réception par l’assurance au plus tôt le mardi 20.09.2016 et au plus tard le vendredi 23.09.2016. L’assurée ne remet pas en cause le dies a quo situé entre ces deux dates. Il s’ensuit que, dans l’hypothèse la moins favorable à l’assureur, le dies ad quem du délai de quatre semaines correspondait au mardi 18.10.2016.

En ce qui concerne la date à laquelle la résiliation sous pli recommandé est parvenue à l’assurée, la cour cantonale a précisément retenu le mardi 18.10.2016, soit le lendemain du jour où l’assurée elle-même, dans sa demande en paiement, indiquait avoir été « avisée pour retrait ». Ce calcul est conforme à la théorie de la réception dite absolue, à laquelle est soumise la communication d’une manifestation de volonté dans le cadre de la computation d’un délai régi par le droit des obligations. Selon la jurisprudence, un envoi postal recommandé est en effet censé reçu le lendemain du jour où l’agent postal a déposé l’invitation à retirer ledit envoi dans la boîte aux lettres ou la case postale du destinataire, lorsqu’il ne peut être attendu de ce dernier – ce qui est généralement le cas – qu’il le retire le jour même à l’office de poste (ATF 143 III 15 consid. 4.1 p. 18 et les arrêts cités). Les juges genevois ont constaté le jour du dépôt de l’avis de retrait dans la boîte aux lettres de l’assurée en se fondant sur un allégué de celle-ci figurant dans la demande, et non sur une preuve rapportée par l’assureur auquel le fardeau de la preuve incombait. Contrairement à l’avis de l’assurée, ils n’en ont pas pour autant violé l’art. 8 CC. C’est le lieu de rappeler que, si elle détermine laquelle des parties doit assumer les conséquences de l’échec de la preuve, cette disposition ne dicte pas au juge comment forger sa conviction (entre autres, ATF 128 III 22 consid. 2d p. 25) ; en particulier, elle n’empêche nullement, en cas de doute sur la date de la notification, de se fonder sur les déclarations du destinataire de la communication (cf. ATF 124 V 400 consid. 2a p. 402; 103 V 66 consid. 2a), lesquelles, en l’espèce, ont pris la forme, malgré les dénégations de l’assurée, d’un allégué du mémoire de demande.

Il s’ensuit que, dans l’hypothèse la moins favorable à l’assureur, la résiliation du contrat d’assurance a été notifiée le dernier jour du délai péremptoire de quatre semaines. La cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en jugeant que la résiliation, intervenue en temps utile, était valable.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 4A_555/2019 consultable ici

 

 

6B_1452/2019 (d) du 25.09.2020, destiné à la publication – Le délit de fuite par négligence demeure punissable

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1452/2019 (d) du 25.09.2020, destiné à la publication

 

Communiqué de presse du TF du 22.10.2020 consultable ici

Arrêt consultable ici

 

Le délit de fuite par négligence demeure punissable – 51 al. 2 LCR – 92 al. 2 LCR

 

Le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence, selon laquelle le délit de fuite peut également être commis par négligence. Il rejette le recours formé par un conducteur qui n’a fautivement pas remarqué sa collision latérale avec un motocycliste et a continué sa course sans porter secours ni avertir la police.

En 2017, le conducteur a entrepris de dépasser un motocycle ainsi qu’une voiture tractant une caravane. Peu avant d’arriver à hauteur du motocycliste, ce dernier a également procédé à un dépassement, ce qui a conduit à une collision latérale. Le motocycliste et sa passagère ont été blessés. Le conducteur a continué sa course sans porter secours ni avertir la police. En 2019, le Tribunal cantonal des Grisons l’a reconnu coupable de délit de fuite par négligence et l’a condamné à une peine pécuniaire avec sursis. L’intéressé a recouru au Tribunal fédéral faisant valoir que l’infraction de délit de fuite ne pouvait pas être commise par négligence.

Le Tribunal fédéral rejette le recours. En cas d’accident, toutes les personnes impliquées doivent porter secours et le conducteur en particulier doit avertir la police (art. 51 al. 2 LCR). Commet un délit de fuite, celui qui, en tant que conducteur, prend la fuite après avoir tué ou blessé une personne lors d’un accident de la circulation (art. 92 al. 2 LCR). Selon la LCR, toutes les infractions à cette loi sont aussi punissables si elles sont commises par négligence, sauf disposition expresse et contraire de la LCR. Le Tribunal fédéral a déjà jugé dans un arrêt de 1967 que le délit de fuite peut également être réalisé par négligence. S’agissant du sens et du but de la norme pénalisant le délit de fuite, le Tribunal fédéral a relevé que cette disposition vise à protéger les victimes d’accidents de la circulation d’atteintes à la santé et économiques, et à permettre l’identification des causes de l’accident. Ce but ne pouvait être atteint si le délit de fuite n’était punissable qu’en cas de commission intentionnelle.

L’intéressé expose n’avoir pas eu connaissance de l’accident. L’autorité précédente a dans un premier temps, à juste titre, considéré que la collision était perceptible, en raison de son intensité et de la position des véhicules. Les conducteurs doivent prêter leur attention sur la route et la circulation. Celui qui ne remarque pas qu’il peut avoir heurté un piéton ou un autre véhicule et continue sa course agit généralement par négligence. Une attention prêtée aux événements de la circulation implique en principe qu’une collision est détectable. Un conducteur qui, en raison d’une inattention fautive, ne remarque pas un accident de la circulation ou la lésion d’une personne se rend coupable de délit de fuite par négligence.

 

 

Arrêt 6B_1452/2019 consultable ici

 

 

Arrêt de la CrEDH B. c. Suisse – 78630/12 du 20.10.2020 La suppression de la rente d’un veuf à la majorité de son dernier enfant au motif qu’il est un homme a violé la CEDH – 24 al. 2 LAVS – Violation de l’art. 14 CEDH – Discrimination

Arrêt de la CrEDH B. c. Suisse – 78630/12 du 20.10.2020

 

Arrêt consultable ici

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour – Octobre 2020 disponible ici

Voir également : Affaire Beeler C. Suisse (Requête no 78630/12) – Arrêt de la Grande Chambre du 11.10.2022 consultable ici

 

Cessation, à la majorité du dernier enfant, du paiement de la rente de parent veuf s’occupant à plein temps des enfants, lorsque le bénéficiaire est un homme – 24 al. 2 LAVS

Violation de l’art. 14 CEDH – Discrimination

 

En fait – Suite au décès de son épouse alors que le couple avait deux enfants en bas âge, le requérant quitta son activité professionnelle pour s’occuper des enfants, et perçut à ce titre la « rente de veuf » prévue par la loi sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS). Conformément aux termes de ladite loi, cette rente lui fut supprimée lorsque sa fille cadette atteint, en 2010, l’âge de la majorité. Le requérant contesta ce motif comme discriminatoire, faisant valoir que la loi ne prévoyait pas cette restriction lorsque le bénéficiaire est une femme.

Par un arrêt du 04.05.2012 (9C_617/2011), le Tribunal fédéral rejeta ce recours. Il estima qu’au regard de l’art. 8 al. 3 Cst., les distinctions fondées sur le sexe ne pouvaient se justifier que lorsque les différences biologiques ou fonctionnelles entre l’homme et la femme rendaient l’égalité de traitement tout simplement impossible. Il constata par ailleurs que la Suisse n’avait pas ratifié le Protocole no 1, et qu’elle n’était donc pas liée par ce texte et la jurisprudence y relative. En ce qui concerne le grief fondé sur l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (ci-après : CEDH), le Tribunal fédéral considéra que la jurisprudence de la CrEDH ne permettait pas de déduire de l’art. 8 CEDH une obligation pour les États de fournir certaines prestations en matière d’assurances sociales. Le Tribunal fédéral jugea en outre que la distinction opérée par les art. 23 et 24 LAVS était effectivement contraire au principe d’égalité entre l’homme et la femme consacré par l’art. 8 al. 3 Cst. Toutefois, il constata que le législateur, quoique conscient de cette non-conformité, n’y avait pas remédié puisque la onzième révision de la LAVS avait été rejetée. Il estima en conséquence que l’article 190 de la Constitution lui imposait – comme à toutes les autres autorités – d’appliquer les dispositions critiquées.

 

En droit – Article 14 CEDH :

Applicabilité – De façon générale, la rente de veuve ou de veuf vise à affranchir le conjoint survivant de la nécessité d’exercer une activité rémunérée, afin qu’il puisse avoir le temps de s’occuper de ses enfants. Cette prestation revêt donc clairement un caractère « familial », de par ses réelles incidences sur l’organisation de la vie familiale du conjoint survivant.

En l’espèce, la rente de veuf a eu des répercussions très concrètes sur le requérant : alors qu’il travaillait avant la mort de son épouse, il s’est ensuite occupé exclusivement de ses enfants sans pouvoir exercer son métier pendant plus de seize ans, ce qui l’a amené à un âge où sa réintégration dans le marché de travail n’était que difficilement envisageable (57 ans au moment de la suppression de la rente, 59 au moment du rejet de son dernier recours).

Dans ces conditions, la Cour est d’avis que la rente de veuf a eu un impact sur la manière dont l’intéressé a organisé et aménagé sa vie familiale.

 

Conclusion : article 14 applicable, en combinaison avec l’article 8.

Fond – Le requérant se trouvait bien dans une situation analogue à celle d’une femme quant à son droit à la rente de veuf : les autorités lui ont refusé le bénéfice de cette prestation pour le seul motif qu’il est un homme (aucune autre condition légale n’ayant été jugée non remplie).

Le Gouvernement explique que la rente de veuve se fonde sur la présomption selon laquelle l’époux assure l’entretien financier de son épouse, en particulier lorsqu’elle a des enfants. Si la Cour est prête à admettre que cette présomption constitue une justification « objective », cette justification ne lui paraît toutefois pas « raisonnable ». En effet, la Cour a déjà dit que seules des considérations très fortes peuvent amener à estimer compatible avec la Convention une différence de traitement fondée sur le sexe. Il en va ainsi indépendamment de la question de savoir si la discrimination alléguée frappe une femme ou, comme en l’espèce, un homme.

Certes, il n’est pas exclu que la création d’une rente de veuve non accompagnée d’une prestation équivalente au profit des veufs ait pu se justifier par le rôle et le statut qui étaient assignés aux femmes dans la société à l’époque de l’adoption de la loi pertinente, à savoir en 1948. Toutefois, des références aux traditions, présupposés d’ordre général, ou attitudes sociales majoritaires ayant cours dans un pays donné ne suffisent plus aujourd’hui à justifier une différence de traitement fondée sur le sexe.

S’agissant plus spécifiquement du cas d’espèce, la Cour ne voit en quoi l’arrêt du versement de la rente l’aurait affecté dans une moindre mesure qu’une veuve dans des circonstances comparables : on ne voit guère, en particulier, pourquoi le requérant aurait eu, à l’âge de 57 ans et après 16 années sans aucune activité professionnelle, moins de difficultés à réintégrer le marché du travail qu’une femme.

Il n’existait donc pas en l’espèce des « considérations très fortes » propres à justifier la différence de traitement dénoncée. Cette conclusion, précise la Cour, ne saurait être interprétée comme un encouragement à supprimer ou réduire ladite rente en faveur des femmes pour corriger l’inégalité de traitement constatée.

 

Conclusion : violation (unanimité).

Article 41 : 5000 EUR pour préjudice moral ; demande pour dommage matériel rejetée : droit interne offrant la possibilité d’un recours en révision.

 

Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 CEDH, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour.

 

 

Arrêt de la CrEDH B. c. Suisse – 78630/12 du 20.10.2020 consultable ici

Note d’information sur la jurisprudence de la Cour – Octobre 2020 disponible ici

Communiqué de presse de la CrEDH du 20.10.2020 disponible ici

Voir également : Affaire Beeler C. Suisse (Requête no 78630/12) – Arrêt de la Grande Chambre du 11.10.2022 consultable ici

 

4A_123/2020 (f) du 30.07.2020 – Diffusion d’un communiqué à des partenaires et fournisseurs de l’employeur sur le licenciement de l’employé (directeur général adjoint) – Atteinte à la personnalité et atteinte à la réputation professionnelle de l’employé – 328 CO – 28 ss CC / Indemnité pour tort moral – 49 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_123/2020 (f) du 30.07.2020

 

Consultable ici

 

Diffusion d’un communiqué à des partenaires et fournisseurs de l’employeur sur le licenciement de l’employé (directeur général adjoint) – Atteinte à la personnalité et atteinte à la réputation professionnelle de l’employé / 328 CO – 28 ss CC

Indemnité pour tort moral / 49 CO

Publication d’un rectificatif / 28a al. 2 CC

 

La société B.__ SA fabrique des pièces destinées à l’horlogerie et à d’autres produits de luxe. Par contrat de travail du 30.06.2014, elle a engagé A.__ en qualité de directeur général adjoint pour une durée indéterminée. Celui-ci était doté d’une longue expérience professionnelle dans le domaine des produits de luxe, mais n’avait qu’une expérience minime en matière d’horlogerie ; l’administratrice de la société l’a engagé pour ses qualités de gestionnaire.

Par courrier du 26.08.2015, l’employeuse a licencié le prénommé pour le 31.10.2015, en le libérant de l’obligation de travailler dès le 31.08.2015.

Dans la foulée, l’employeuse a adressé le communiqué suivant à ses partenaires et fournisseurs [soulignements à l’instar du texte original, réd.] : « Concerne : Communication adressée à nos partenaires et fournisseurs concernant la résiliation du contrat de travail de Monsieur A.__ / (…) nous vous communiquons la résiliation du contrat de travail de Monsieur A.__ pour le 31 octobre 2015. Nous vous informons également du fait que Monsieur A.__ a été libéré de l’obligation de travailler durant le délai de congé et qu’il ne fait dès lors plus partie du personnel de notre société dès et y compris le 31 août 2015. Nous nous en remettons au professionnalisme de chacun et nous ne doutons pas que vous tiendrez compte de cette information de manière rigoureuse dans le cadre de vos relations avec notre société. Nous attirons votre attention sur le fait qu’étant donné la fin des rapports contractuels de cet employé, votre devoir de confidentialité vaut désormais également à l’égard de A.__. La direction de la société se tient bien entendu à votre disposition pour répondre à toute question relative à la présente communication. (…) »

L’employé licencié a à son tour adressé le message électronique suivant aux fournisseurs de l’employeuse : « (…) Le Roi est mort… Longue vie à la Reine! / Chers partenaires et pour certains amis, Il me plaît à penser que vous avez été surpris de recevoir il y a quelques jours un communiqué annonçant la radiation de mon contrat. Et bien vous allez rire… étant en arrêt maladie durant cette semaine précisément suite à une intervention chirurgicale, j’ai été informé de cette gentille missive ‘en live’ par vous-mêmes! (…) Beaumarchais avait donc raison… ‘Empressons-nous de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer’! Après deux années, Madame C.__ [administratrice de la société, réd.] a donc décidé de reprendre la barre de son bateau ce qui est finalement dans la normale des choses, seule la méthode est discutable! (…) »

En octobre 2015, une société spécialisée dans le recrutement des cadres a annoncé à l’employé que sa cliente avait souhaité interrompre leurs pourparlers pourtant avancés, suite au communiqué de l’employeuse qui semblait mettre très sérieusement en doute son intégrité.

En novembre 2015, une entreprise a signifié à l’employé qu’elle renonçait à collaborer avec lui en raison de ce même communiqué, qui pouvait être la suite d’une faute professionnelle. Elle n’entendait pas prendre un quelconque risque pour son image.

Le travailleur congédié s’est trouvé incapable de travailler, de sorte que l’échéance du contrat a été repoussée au 31.01.2016. En mars 2016, il a fondé sa propre société de conseils, qu’il prodigue dans le domaine du luxe à l’exclusion de l’horlogerie.

 

Procédures cantonales

Selon ses dernières conclusions, il prétendait à l’indemnisation de ses jours de vacances non pris (9’846 fr. 70) ainsi qu’à une indemnité de 40’000 fr. pour le préjudice causé par l’atteinte grave à sa personnalité. Il exigeait en outre qu’un rectificatif fût publié dans diverses revues, et adressé à tous les destinataires du communiqué par lequel l’employeuse avait annoncé son licenciement. Par jugement du 25.02.2019, le Tribunal civil a rejeté la demande.

Par jugement du 29.01.2020, rejet de l’appel de l’employé par le tribunal cantonal (arrêt n° 44; PT16.035908-191699 – consultable ici).

 

TF

L’art. 328 CO enjoint à l’employeur de respecter la personnalité du travailleur. Cette disposition concrétise en droit du travail la protection qu’offrent les art. 28 ss CC contre les atteintes aux droits de la personnalité.

L’atteinte, au sens des art. 28 ss CC, est réalisée par tout comportement humain, tout acte de tiers qui cause d’une quelconque manière un trouble aux biens de la personnalité d’autrui en violation des droits qui la protègent (ATF 136 III 296 consid. 3.1 p. 302; 120 II 369 consid. 2 p. 371). Il y a violation de la personnalité notamment lorsque l’honneur d’une personne est terni, lorsque sa réputation sociale et professionnelle est dépréciée (ATF 143 III 297 consid. 6.4.2 p. 308; 129 III 715 consid. 4.1 p. 722).

L’atteinte portée aux biens de la personnalité entraîne une modification de l’état de ces biens, que l’on appelle lésion (Verletzung/lesione; cf. les versions allemande et italienne de l’art. 28 CC; PIERRE TERCIER, Le nouveau droit de la personnalité, 1984, n° 573). Il n’est pas nécessaire que l’honneur soit effectivement lésé; il suffit que le comportement incriminé soit propre à ternir celui-ci (FRANZ RIKLIN, Der straf- und zivilrechtliche Ehrenschutz im Vergleich, in RPS 1983 p. 36; en droit pénal, cf. ATF 103 IV 22 consid. 7 p. 23). Cela étant, pour qu’il y ait atteinte au sens de l’art. 28 CC, la perturbation doit présenter une certaine intensité (STEINAUER/FOUNTOULAKIS, Droit des personnes physiques et de la protection de l’adulte, 2014, n° 554; ANDREAS MEILI, in Basler Kommentar, 6e éd. 2018, n° 38 ad art. 28 CC; THOMAS GEISER, Die Persönlichkeitsverletzung insbesondere durch Kunstwerke, 1990, p. 97 s.; cf. aussi ATF 129 III 715 consid. 4.1 p. 723).

L’atteinte à la personnalité peut avoir des répercussions sur le patrimoine ou le bien-être de la victime, et lui occasionner ainsi un préjudice. Il sied à cet égard de distinguer l’atteinte à la personnalité du préjudice qu’elle peut entraîner (TERCIER, op. cit., nos 572-575; STEINAUER/FOUNTOULAKIS, op. cit., no 555; MEILI, op. cit., n° 41 ad art. 28 CC). La première (atteinte) est l’objet des actions défensives énoncées à l’art. 28a al. 1 CC, tandis que le second (préjudice) est l’objet des actions réparatrices mentionnées à l’art. 28a al. 3 CC. Un rapport de causalité naturelle et adéquate doit être établi entre l’atteinte à la personnalité et le préjudice invoqué (TERCIER, op. cit., nos 1857 ss, 2014 et 2134; STEINAUER/FOUNTOULAKIS, op. cit., nos 555, 601, 608 et 614).

 

In casu, le communiqué de l’employeuse a inspiré aux juges cantonaux les réflexions suivantes:

  • L’employeuse avait mis en exergue le terme « résiliation », et le fait que celle-ci prenait effet « dès et y compris le 31 août 2015 » ; ce faisant, elle avait insisté sur le fait que l’employé ne faisait plus partie du personnel de l’entreprise, avec effet immédiat. Une telle accentuation pouvait induire toutes sortes de spéculations quant aux motifs du licenciement, et potentiellement porter atteinte à la réputation de la personne concernée. Deux témoins avaient relevé le caractère brutal et surprenant du communiqué. Deux autres témoins avaient attesté de l’influence négative qu’il pouvait exercer sur des employeurs potentiels dans le milieu concerné – soit un milieu relativement fermé dans lequel tout se sait. Cependant, en réaction à ce communiqué, l’employé avait adressé une réponse d’un goût douteux aux fournisseurs. Selon un cinquième témoin, il n’était pas sérieux d’envoyer un tel message dans ce milieu, sauf à « se tirer une balle dans le pied ».
  • Si le communiqué litigieux de l’employeuse était susceptible de porter atteinte à l’avenir professionnel de l’employé, la réaction pour le moins inadéquate de l’intéressé était aussi de nature à lui causer du tort. Le lien de causalité naturelle entre le comportement de l’employeuse et l’atteinte invoquée n’était pas établi. Le fait que l’employé n’avait jusqu’à son engagement aucune expérience dans l’horlogerie pouvait aussi influer sur son parcours dans le secteur.
  • Par surabondance, le travailleur n’avait pas établi avoir subi une atteinte sérieuse à sa personnalité, respectivement à son avenir professionnel. Il n’était pas établi qu’il n’aurait plus pu exercer dans le domaine du luxe comme par le passé. Il n’avait pas non plus démontré, par certificat médical ou autre preuve à l’appui, qu’il aurait subi le dommage allégué.

En s’interrogeant sur le lien de causalité entre le comportement de l’employeuse (diffusion d’un communiqué sur le licenciement) et « l’atteinte invoquée » par le travailleur congédié, le tribunal cantonal s’est en réalité placé sur le terrain des actions réparatrices. Il est question d’avenir professionnel, et de l’influence négative du communiqué auprès d’employeurs potentiels. Une atteinte à la réputation professionnelle peut empêcher un travailleur de retrouver un emploi dans le milieu concerné, et justifier le cas échéant des dommages-intérêts. La cour cantonale a toutefois exclu une telle prétention au motif que le lien de causalité naturelle entre la diffusion du communiqué et le prétendu préjudice faisait défaut (pour une affaire de ce type, cf. arrêt 5A_170/2013 du 3 octobre 2013 consid. 7.2). La question de la causalité naturelle ressortit au fait ; or, l’employé se borne à mettre en exergue les deux courriers attestant des refus d’emploi imputés au communiqué de l’employeuse, sur un mode appellatoire dépourvu du grief d’arbitraire qui exclut déjà toute rediscussion. Au demeurant, on ne voit pas que l’autorité cantonale aurait enfreint le droit fédéral en excluant une prétention en dommages-intérêts sur la base d’un état de fait aussi peu étayé. Devant le Tribunal fédéral, l’employé lui-même ne parle plus que de préjudice moral.

 

L’indemnité pour tort moral (art. 49 CO) suppose que l’atteinte à la personnalité revête une certaine gravité, objective et subjective. Savoir si l’atteinte est suffisamment importante pour justifier une somme d’argent dépend des circonstances du cas concret ; le juge dispose à cet égard d’un vaste pouvoir d’appréciation que le Tribunal fédéral revoit avec retenue (ATF 129 III 715 consid. 4.4 p. 725; cf. aussi ATF 115 II 156 consid. 1; arrêt 4A_482/2017 du 17 juillet 2018 consid. 4.1). En l’occurrence, les deux instances vaudoises ont considéré que l’employé n’avait pas établi la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l’atteinte subie par la diffusion du communiqué litigieux. Force est d’admettre qu’une telle analyse n’appelle aucune critique. Pour pouvoir l’infléchir, il eût fallu s’appuyer sur un état de fait autre. Or, une fois encore, l’employé ne le remet pas valablement en question en se bornant à soutenir que les grandes souffrances sont le plus souvent silencieuses et en évoquant des certificats médicaux qui attesteraient d’un état dépressif ou d’une anxiété. Dans ces circonstances, une violation de l’art. 49 CO ne saurait être retenue – ce qui n’exclut pas encore que le communiqué de l’employeuse ait pu attenter à la personnalité de l’employé, cette question souffrant en l’occurrence de rester indécise.

 

L’employé a encore sollicité la publication d’un rectificatif dans diverses revues, et la communication de celui-ci aux destinataires du courrier litigieux émis par l’employée à propos de son licenciement. Cette mesure prévue par l’art. 28a al. 2 CC vise à éliminer les conséquences d’une atteinte illicite à la personnalité; elle est soumise aux principes d’adéquation et de proportionnalité. Le requérant doit justifier d’un intérêt suffisant  (ausreichend) à une telle mesure, intérêt qui n’est pas nécessairement émoussé par un long écoulement du temps (cf. ATF 135 III 145 consid. 5.1 p. 151; 104 II 1 consid. 4, à propos de la publication d’un jugement; arrêt 5A_639/2014 du 8 septembre 2015 consid. 11.2.1; arrêt précité 5A_170/2013 consid. 5.3; MEILI, op. cit., n° 10 ad art. 28a CC; TERCIER, op. cit., n° 1007). En l’espèce, on ne saurait inférer de circonstances aussi nébuleuses que les conditions précitées seraient réalisées. L’employé s’est plaint essentiellement de l’effet néfaste du communiqué sur son avenir professionnel ; il a toutefois fondé sa propre société en mars 2016, un mois après la fin de son délai de congé, sans avoir justifié d’aucune recherche d’emploi. De surcroît, un temps important s’est écoulé, ne serait-ce qu’entre le communiqué litigieux et le prononcé du jugement de première instance. Enfin, on ignore tout du contenu que le rectificatif sollicité devrait revêtir. Pour ce motif déjà, la prétention fondée sur l’art. 28a al. 2 CC pouvait être rejetée.

 

Le TF rejette le recours de l’employé.

 

 

Arrêt 4A_123/2020 consultable ici

 

 

Accident de moto lors d’un stage d’entraînement motocycliste organisé par une école de conduite sur un circuit – Séance de pilotage non chronométrée Réduction des prestations en espèces pour entreprise téméraire absolue / 39 LAA – 50 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_81/2020 (f) du 03.08.2020

 

Consultable ici

 

Accident de moto lors d’un stage d’entraînement motocycliste organisé par une école de conduite sur un circuit – Séance de pilotage non chronométrée

Réduction des prestations en espèces pour entreprise téméraire absolue / 39 LAA – 50 OLAA

 

Assuré, né en 1972, a suivi les 01.08.2017 et 02.08.2017 un stage d’entraînement motocycliste organisé par une école de conduite sur un circuit, lors duquel il a subi un accident le 02.08.2017. Après un traitement et une opération en urgence à l’Hôpital B.__, où ont notamment été diagnostiquées une tétraplégie et une fracture complexe des vertèbres C6 et C7, il a été transféré au Centre C.__.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a prononcé une réduction de 50% de toutes les prestations en espèces en relation avec l’accident du 02.08.2017, au motif que l’atteinte à la santé subie lors de cet accident était la conséquence d’une entreprise téméraire absolue.

 

Procédure cantonale

L’accident – survenu lors d’une session de conduite libre (en allemand: « freies Fahren ») – s’est produit dans le cadre d’un cours avec certaines instructions ; au moment de l’accident l’assuré circulait librement sur le circuit, sans être encadré étroitement par des instructeurs. La moto de l’assuré était un engin puissant, la vitesse n’était pas limitée lors des sessions de conduite libre et les manœuvres de dépassement non risquées n’étaient pas d’emblée proscrites ; il apparaissait donc hautement improbable qu’une distance constante ait pu être maintenue entre les participants tout au long de la séance. La vidéo présente au dossier révélait d’ailleurs le passage de cinq motards sur une durée de 15 secondes, de sorte que les déclarations d’un instructeur (dans un rapport du 12.10.2017) selon lesquelles l’intervalle entre l’assuré et les autres participants était d’au moins 300 mètres apparaissaient peu vraisemblables.

Les juges cantonaux ont considéré que les participants qui circulaient en même temps que l’assuré ne roulaient pas à une vitesse modérée et se suivaient à une distance trop courte pour permettre au motard suivant de s’arrêter en cas de chute ; une collision multiple avait en l’occurrence pu être évitée parce que l’assuré était largement sorti de la piste en chutant. L’accident semblait découler d’une erreur de pilotage, la survenance d’un problème technique sur l’engin ne pouvant toutefois pas être exclue. Quoi qu’il en fût, c’était surtout le risque de chute en lui-même qui était décisif dans l’appréciation des circonstances pour évaluer l’existence d’une entreprise téméraire. Selon la cour cantonale, le fait de conjuguer la difficulté de négocier un virage à une vitesse illimitée, à des dépassements autorisés et à la présence simultanée d’autres participants sur un même circuit s’apparentait à n’en pas douter à une entreprise téméraire absolue. Au demeurant, l’encadrement de la manifestation, avec un briefing de sécurité tous les matins, un médecin, une ambulance et des commissaires de poste aux points stratégiques du circuit, attestait des risques potentiels encourus par les pilotes.

Par jugement du 04.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces; la réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Fondé sur cette norme de délégation de compétence, l’art. 50 OLAA prévoit qu’en cas d’accidents non professionnels dus à une entreprise téméraire, les prestations en espèces sont réduites de moitié; elles sont refusées dans les cas particulièrement graves (al. 1). Les entreprises téméraires sont celles par lesquelles l’assuré s’expose à un danger particulièrement grave sans prendre de mesures destinées à ramener celui-ci à des proportions raisonnables ou sans pouvoir prendre de telles mesures; toutefois, le sauvetage d’une personne est couvert par l’assurance même s’il peut être considéré comme une entreprise téméraire (al. 2).

La jurisprudence qualifie d’entreprises téméraires absolues celles qui, indépendamment de l’instruction, de la préparation, de l’équipement et des aptitudes de l’assuré, comportent des risques particulièrement importants, même si elles sont pratiquées dans les conditions les moins défavorables. Il en va de même des activités risquées dont la pratique ne répond à aucun intérêt digne de protection (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524 et les références). D’après la jurisprudence, la participation à des courses motorisées est considérée comme une entreprise téméraire absolue qui motive, dans l’assurance des accidents non professionnels, le refus ou la réduction des prestations en espèces. Il en est ainsi, par exemple, de la participation à une course automobile de côte ou en circuit (ATF 113 V 222; 112 V 44), à une compétition de moto-cross (RAMA 1991 n° U 127 p. 221, U 5/90) ou encore à une course de moto tout-terrain (enduro) sur une portion chronométrée d’un parcours (arrêt 8C_388/2017 du 6 février 2018).

D’autres activités non dénuées d’intérêt comportent des risques élevés, qui peuvent toutefois être limités à un niveau admissible si l’assuré remplit certaines exigences sur le plan des aptitudes personnelles, du caractère et de la préparation. A défaut, l’activité est qualifiée de téméraire et l’assurance-accidents est en droit de réduire ses prestations conformément aux art. 39 LAA et 50 OLAA. On parle dans ce cas d’entreprise téméraire relative, en ce sens que le refus ou la réduction des prestations dépend du point de savoir si l’assuré était apte à l’exercer et a pris les précautions nécessaires pour limiter les risques à un niveau admissible (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524). Peuvent constituer des entreprises téméraires relatives le canyoning (ATF 125 V 312), la plongée, y compris la plongée spéléologique dans une source (ATF 134 V 340; 96 V 100), l’alpinisme et la varappe (ATF 97 V 72, 86), ou encore le vol delta (ATF 104 V 19). Selon le degré de difficulté et le niveau de risque dans un cas particulier, il n’est pas exclu de qualifier l’une ou l’autre de ces activités d’entreprise téméraire absolue (ATF 134 V 340 consid. 3.2.3 p. 345).

La Commission ad hoc des sinistres LAA a établi à l’intention des assureurs-accidents une recommandation en matière d’entreprises téméraires (recommandation n° 5/83 du 10 octobre 1983 complétée le 27 juin 2018, consultable sur le site de l’Association suisse des assureurs [ASA]: https://www.svv.ch/fr). Cette recommandation contient une liste des entreprises considérées comme des entreprises téméraires absolues. Sont notamment considérées comme telles les courses de moto, y compris l’entraînement, ainsi que la moto sur circuit (hors cours de formation à la sécurité routière). De telles recommandations n’ont toutefois pas valeur d’ordonnance administrative ni de directives d’une autorité de surveillance aux autorités d’exécution de la loi; il s’agit de simples recommandations qui ne lient pas le juge (ATF 114 V 315 consid. 5c p. 318).

Le Tribunal fédéral s’est prononcé plus spécifiquement à deux reprises sur la notion d’entreprise téméraire absolue en rapport avec des séances d’entraînement motocycles sur circuit.

  • Dans un arrêt 8C_472/2011 du 27 janvier 2012, le Tribunal fédéral a considéré qu’on ne saurait d’emblée affirmer que la pratique de la moto sur circuit, en dehors de toute compétition, constituait une entreprise téméraire absolue, dès lors qu’en soi, le risque inhérent à cette pratique n’était guère plus élevé que la conduite sur route. En effet, le pilote était soumis au danger que pouvaient provoquer les autres usagers, tandis qu’un circuit était en principe libre des obstacles que constituait la circulation et était en général spécialement aménagé pour atténuer les conséquences des erreurs ou des chutes. La question devait donc être résolue en fonction des conditions dans lesquelles la séance de pilotage s’était déroulée (consid. 4). Il a considéré que même si les séances de pilotage sur circuit ne faisaient pas l’objet d’un chronométrage, elles n’en impliquaient pas moins une certaine recherche de vitesse, sans quoi elles ne présenteraient guère d’intérêt. A l’abri des contraintes de la circulation routière, elles donnaient au pilote la possibilité de rouler bien au-delà des limitations de vitesse qu’imposait la conduite sur route. Elles lui permettaient d’adopter la meilleure trajectoire sur circuit, de s’entraîner aux techniques de freinage et de positionnement sur la moto. Elles lui offraient aussi l’occasion de tester ses propres limites et celles de sa machine. Le fait de rouler en groupe était de nature à susciter une certaine émulation, voire à favoriser un esprit de compétition. Le risque de chute n’était pas négligeable, même pour un pilote expérimenté. En outre, lorsque plusieurs motos roulaient à des distances très rapprochées et à des vitesses élevées, de surcroît sur une portion de circuit sans visibilité à l’arrière, une chute présentait un danger particulièrement grave, tout d’abord pour la victime, qui risquait d’être percutée de plein fouet, et ensuite pour les pilotes qui suivaient de près et qui risquaient à leur tour de chuter. Un tel danger ne pouvait guère être maîtrisé par le personnel d’encadrement. Si la séance pouvait être stoppée par le lever d’un drapeau ou par un feu, cette mesure n’intervenait qu’après coup (consid. 5.2). Il fallait dès lors admettre qu’un accident survenu dans de telles conditions résultait de la réalisation d’un risque inhérent et particulièrement important au genre d’une telle manifestation et que la séance de pilotage au cours de laquelle l’accident assuré était survenu constituait une entreprise téméraire absolue (consid. 5.3).

 

  • Le Tribunal fédéral a confirmé cette jurisprudence dans un arrêt 8C_217/2018 du 26 mars 2019, publié in SVR 2019 UV n° 33. Il a constaté dans ce cas d’espèce que les 30 participants étaient répartis entre quatre groupe et que les départs se faisaient par « grappes » de six à sept personnes. La vitesse n’était pas limitée, la présence de 30 motocyclistes sur un circuit de 4,627 km (comportant quatorze virages) permettait une distance théorique de 154 mètres entre chaque participant. Il a retenu que celle-ci ne pouvait pas être maintenue pendant la durée de la séance, au cours de laquelle les dépassements étaient permis, et qu’elle apparaissait en outre insuffisante au vu des vitesses élevées qui pouvaient être atteintes sur le circuit. En effet, les pilotes roulaient à une vitesse moyenne de 125 km/h, des pointes de 200 km/h étant atteintes à certains endroits. Une vitesse aussi élevée n’était pas sans risques eu égard notamment à la présence d’autres pilotes sur le circuit. Il n’était en outre pas décisif, dans l’appréciation du cas, que la chute ait eu lieu dans un virage, là où la vitesse était inférieure à la moyenne, dès lors que la difficulté du pilotage d’une moto résidait surtout dans la manière de négocier le virage (vitesse d’entrée, trajectoire, accélération). Le fait que la manifestation était encadrée, avec un « briefing » de sécurité tous les matins, une salle d’observation, deux postes de secours pourvus d’ambulances et de nombreux commissaires de piste le long du circuit – lesquels intervenaient au bénéfice des participants suivants si un accident venait à se produire sur la partie du circuit dont ils avaient la surveillance, mais par la force des choses avec un certain décalage dans le temps – n’était pas non plus déterminant (consid. 3 et 5.2). Relevant que les circonstances du cas d’espèce ne différaient guère de celles qui étaient à la base de l’arrêt 8C_472/2011, le Tribunal fédéral a conclu que la séance de pilotage au cours de laquelle l’accident assuré était survenu constituait une entreprise téméraire absolue et que l’assureur était en droit de réduire ses prestations de moitié (consid. 5.3 et 5.4).

 

En l’occurrence, si dans les arrêts 8C_472/2011 et 8C_217/2018 le Tribunal fédéral a certes examiné les circonstances dans lesquelles les séances de pilotage s’étaient déroulées afin d’apprécier si l’activité était constitutive d’une entreprise téméraire, c’est précisément pour déterminer si le risque de chute encouru lors de ces séances pouvait mener à qualifier l’entreprise de téméraire. Les juges cantonaux pouvaient en l’espèce considérer à bon droit que les circonstances du cas d’espèce étaient comparables à celles des précédents jugés par le Tribunal fédéral. En effet, la vitesse n’était pas limitée lors des séances de conduite libre auxquelles avait participé l’assuré. Le fait que la séance de pilotage n’était pas chronométrée n’est pas déterminant, comme l’a déjà jugé le Tribunal fédéral dans l’arrêt 8C_472/2011, puisqu’elle n’en impliquait pas moins une certaine recherche de vitesse de ses participants, sans quoi elle ne présenterait guère d’intérêt. Il importe donc peu de savoir si l’assuré a eu lui-même l’intention de rechercher une vitesse élevée, intention que ne lui a au demeurant nullement prêté la cour cantonale qui s’est bornée à se référer à un considérant de l’arrêt 8C_217/2018. En outre, quand bien même l’assuré se trouvait au moment de l’accident à une distance adéquate des autres participants, une telle distance n’était clairement pas maintenue entre les participants pendant toute la séance de la conduite libre. Il ressort en effet de la vidéo produite au dossier que dans chacune des paires de motards qui roulaient respectivement devant et derrière l’assuré, l’un semblait rouler dans la roue de l’autre. Peu importe donc qu’il n’y ait pas eu de départ en masse, puisqu’une distance adéquate ne pouvait pas être maintenue une fois la course démarrée. Au surplus, l’encadrement de la manifestation avec un médecin, une ambulance et des commissaires de pistes au points stratégiques du circuit – qui au demeurant atteste des risques encourus par les pilotes – ne permettait qu’une intervention après coup. Enfin, on ne voit pas ce que l’assuré entend tirer à son avantage du fait que sa moto ne fait pas partie de la catégorie des motos sportives, dont on peut raisonnablement déduire qu’elles sont tout aussi adaptées – si ce n’est davantage – à la conduite sur circuit que les motos de route.

Dans ces circonstances, à l’instar des précédents jugés par le Tribunal fédéral, le risque de chute d’un pilote en raison d’une erreur de pilotage, particulièrement dans les virages, avec de graves conséquences, n’était pas négligeable, et ce quand bien même les conditions météorologiques étaient bonnes. L’accident subi par l’assuré résulte ainsi de la réalisation d’un risque inhérent et particulièrement important au genre de la manifestation à laquelle il a participé, sans que des mesures destinées à ramener ce risque à des proportions raisonnables puissent être prises. En conséquence, la séance de pilotage au cours de laquelle l’accident est survenu constituait bien une entreprise téméraire absolue et l’assureur était fondé à réduire ses prestations de moitié.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_81/2020 consultable ici

 

 

8C_76/2020 (f) du 07.09.2020 – Notion d’accident niée – Tentative de suicide confirmée / 4 LPGA – 37 al. 1 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_76/2020 (f) du 07.09.2020

 

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Notion d’accident niée – Tentative de suicide confirmée / 4 LPGA – 37 al. 1 LAA

 

Assurée, née en 1964, exerçait une activité de podologue indépendante à un taux d’activité de 50% et était assurée à titre facultatif contre le risque d’accident selon la LAA. Le matin du 14.11.2016, il était prévu qu’elle se rende en train à un centre psychiatrique semi-hospitalier pour y être soignée pendant cinq semaines. Vers 9h50, à un arrêt CFF, elle a été heurtée et gravement blessée au genou droit par un train, alors qu’elle était allongée, légèrement recroquevillée, de manière longitudinale entre les rails du chemin de fer. A l’hôpital, ont été constatées de graves blessures au genou droit, au fémur droit et au bas de la jambe, une intoxication alcoolique avec une alcoolémie de 2,2 g o/oo et une suicidalité aigüe.

Après diverses mesures d’instruction, notamment l’obtention de divers rapports médicaux, du rapport de police et de l’ordonnance de classement de la procédure pénale ouverte ensuite de l’événement du 14.11.2016, l’assurance-accidents a refusé la prise en charge de l’événement du 14.11.2016, au motif qu’il s’agissait d’une tentative de suicide commise en état de discernement.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a estimé qu’il existait un faisceau d’indices permettant de retenir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les atteintes subies par l’assurée le 14.11.2016 du fait du passage du train sur les voies entre lesquelles elle se trouvait étendue résultaient d’une tentative de suicide. Certes, comme personne n’avait précisément vu ce qui s’était passé, une chute accidentelle sur les voies ne pouvait pas d’emblée être exclue. Cependant, le passé de l’assurée, marqué par de nombreuses crises avec menaces de suicide – la dernière remontant au 27.10.2016 –, en relation avec le fait que, selon le conducteur du train, elle était couchée au milieu des voies et n’avait pas réagi à l’arrivée du train et au bruit du freinage d’urgence, montrait qu’il ne pouvait pas s’agir d’une simple chute. Du reste, les rapports médicaux consécutifs à cet événement ne rapportaient aucune lésion qui pourrait être liée à une éventuelle chute sur les voies de train. De même, on peinait à comprendre comment l’assurée aurait pu se trouver exactement entre les voies de chemin de fer en cas de simple chute depuis le quai de gare.

Au surplus, rien au dossier n’étayait la thèse d’une perte de connaissance de l’assurée étendue juste entre les voies. Le conducteur du train, qui, sur question du chef de circulation, avait accepté d’aller voir la personne restée entre les voies, avait même parlé à l’assurée, qui lui avait répondu avant de se mettre à crier.

Par ailleurs, l’assurée avait consulté un psychiatre à cinq reprises entre le 14.10.2016 et le 02.11.2016 tout en lui téléphonant de nombreuses fois. Certes, ce spécialiste avait indiqué qu’il n’avait pas pu mettre en évidence d’arguments convaincants pour une suicidalité aigüe et imminente pendant toute la période de suivi. Cet avis était toutefois relativisé par les propos tenus par l’assurée lorsque la police était intervenue le 27.10.2016 à son domicile dans le cadre d’un différend de couple ; en effet, les agents avaient alors découvert l’assurée en pleurs et très perturbée, et une ambulance avait été demandée en raison de ses propos selon lesquels elle voulait mettre un terme à sa vie en se jetant sous un train.

Enfin, le compagnon de l’assurée avait indiqué à la police que celle-ci ressentait une certaine pression à l’idée d’être hospitalisée, que dans les heures qui avaient précédé le passage du train, elle avait essayé de le contacter téléphoniquement à plusieurs reprises pour finalement, alors qu’il l’avait rappelée, l’invectiver et lui dire qu’elle en avait « marre de tout » ; à la question de savoir si elle lui avait écrit un message avant le passage à l’acte ce jour-là, il a répondu que non mais qu’au téléphone elle lui avait dit qu’elle voulait s’en aller. Relevant que ce complément accréditait aussi la thèse d’une tentative de suicide, les juges cantonaux ont retenu que l’assurée ne s’était pas retrouvée couchée entre les deux voies fortuitement ou par accident, mais avait tenté de s’ôter la vie.

Par jugement du 01.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal, considérant que l’événement du 14.11.2016 devait être qualifié, au degré de vraisemblance prépondérante, comme une tentative de suicide qui n’avait pas été commise dans un état de totale incapacité de discernement.

 

TF

Est réputé accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). Aux termes de l’art. 37 al. 1 LAA, si l’assuré a provoqué intentionnellement l’atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d’assurance n’est allouée, sauf l’indemnité pour frais funéraires. Toutefois, selon l’art. 48 OLAA, même s’il est prouvé que l’assuré entendait se mutiler ou se donner la mort, l’art. 37 al. 1 LAA n’est pas applicable si, au moment où il a agi, l’assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement, ou si le suicide, la tentative de suicide ou l’automutilation est la conséquence évidente d’un accident couvert par l’assurance.

Selon la jurisprudence, lorsqu’il y a doute sur le point de savoir si la mort (ou l’atteinte à la santé) est due à un accident ou à un suicide (ou à une tentative de suicide), il faut se fonder sur la force de l’instinct de conservation de l’être humain et poser comme règle générale la présomption naturelle du caractère involontaire de la mort (ou de l’atteinte à la santé), ce qui conduit à admettre la thèse de l’accident. Le fait que l’assuré s’est volontairement enlevé la vie (ou a volontairement attenté à sa vie) ne sera considéré comme prouvé que s’il existe des indices sérieux excluant toute autre explication qui soit conforme aux circonstances. Il convient donc d’examiner dans de tels cas si les circonstances sont suffisamment convaincantes pour que soit renversée la présomption du caractère involontaire de la mort (ou de l’attein-te à la santé). Lorsque les indices parlant en faveur d’un suicide (ou d’une tentative de suicide) ne sont pas suffisamment convaincants pour renverser objectivement la présomption qu’il s’est agi d’un accident, c’est à l’assureur-accidents d’en supporter les conséquences (arrêts 8C_453/2016 du 1er mai 2017 consid. 2; 8C_773/2016 du 20 mars 2017 consid. 3.3; 8C_591/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.1; 8C_324/2010 du 16 mars 2011 consid. 3.2; 8C_550/2010 du 6 septembre 2010 consid. 2.3).

 

Selon le Tribunal fédéral, l’appréciation de la cour cantonale ne peut qu’être partagée, nonobstant l’argumentation contraire de l’assurée. Le fait que la surveillance 24h/24 mise en place à l’hôpital dans les jours qui ont suivi l’événement du 14.11.2016 en raison du risque de suicide a ensuite été levée ne contredit pas la thèse de la tentative de suicide. Il en va de même du fait qu’à l’issue de l’intervention de la police du 27.10.2016, le médecin de piquet auquel la patrouille avait fait appel n’a pas préconisé de placement à des fins d’assistance.

C’est par ailleurs à tort que l’assurée prétend que lorsqu’elle a dit à son compagnon le jour du drame qu’elle voulait « s’en aller », elle aurait pu faire référence à une envie de s’éloigner de lui : en effet, la déclaration du compagnon a été faite en réponse à la question de savoir si l’assurée lui avait écrit un message avant le passage à l’acte ce jour-là, et cette déclaration est d’autant moins équivoque qu’il a mentionné plusieurs tentatives de suicide.

Le fait que le compagnon de l’assurée a déclaré qu’il ne comprenait pas le geste, dans la mesure où elle avait préparé tous les sacs pour se rendre à l’hôpital et était allée jusqu’à la gare avec ceux-ci, n’est pas de nature à exclure la thèse de la tentative de suicide ni même à l’affaiblir.

Quant à l’absence de réaction de l’assurée à l’approche du train, malgré le bruit généré par le freinage d’urgence, il ne saurait s’expliquer par un prétendu état second dans lequel se serait trouvée l’assurée, laquelle a été capable de parler au conducteur du train après le choc. L’hypothèse de l’assurée selon laquelle ce serait en raison d’un état second provoqué par la consommation d’alcool et la prise de médicaments qu’elle aurait chuté sur la voie où elle serait restée en position recroquevillée apparaît peu plausible au regard de l’absence de toute lésion pouvant accréditer une telle chute et de la position de l’assurée, qui était allongée de manière longitudinale entre les rails du chemin de fer. La circonstance que, selon la passante qui l’a croisée peu avant les faits, l’assurée était agenouillée sur le quai en train de chercher quelque chose dans son sac et pleurait ne permet pas davantage d’affirmer, comme le fait l’assurée, qu' »une mauvaise chute due à un état second sur les rails paraît être l’explication la plus probable ». Au contraire, au vu de l’ensemble des éléments discutés ci-dessus, c’est bien la thèse de la tentative de suicide qui, au degré de vraisemblance prépondérante requis en droit des assurance sociales (cf. ATF 144 V 427 consid. 3.2 p. 429; 137 V 334 consid. 3.2 p. 338; 138 V 218 consid. 6 p. 221 s.), doit être retenue.

Dès lors qu’il n’est plus contesté devant le Tribunal fédéral que l’assurée n’était pas privée de sa capacité de discernement au moment de l’acte, c’est à bon droit que la cour cantonale a confirmé le refus de prester de l’assurance-accidents au regard de l’art. 37 al. 1 LAA.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_76/2020 consultable ici

 

 

6B_533/2020 (f) du 16.09.2020 – Conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) – Procédure pour le contrôle de l’alcool dans l’air expiré – 10a OCCR / Différence entre éthylotest et éthylomètre / Maintien de la qualité de mesure de l’éthylomètre – Aspects techniques et sécurité métrologique

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_533/2020 (f) du 16.09.2020

 

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Conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) – Procédure pour le contrôle de l’alcool dans l’air expiré / 10a OCCR

Différence entre éthylotest et éthylomètre

Maintien de la qualité de mesure de l’éthylomètre – Aspects techniques et sécurité métrologique

 

Le 15.07.2017, vers 2h35, alors qu’il circulait au volant d’un véhicule automobile, A.__ a été interpellé par la police dans le cadre d’un contrôle de routine. Un premier examen à l’éthylotest a été effectué sur place. Les agents ont relevé un taux d’alcool de 0,45 mg/l d’air expiré à 2h42. A.__ a ensuite été soumis à l’éthylomètre, qui a indiqué un taux de 0,46 mg/l à 3h02. Son permis de conduire a été immédiatement saisi et transmis à l’Office des véhicules cantonal.

Par ordonnance pénale du 18.09.2017, l’automobiliste a été déclaré coupable de conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) et condamné à 12 jours-amende à 30 fr. le jour, ainsi qu’aux frais de procédure. Ensuite de son opposition à l’ordonnance pénale, de son défaut à l’audience de première instance du 15.02.2018, puis de son recours à la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal contre la décision constatant le retrait de l’opposition et rayant la cause du rôle, l’affaire a été renvoyée en première instance.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 07.06.2019, la Juge pénale du Tribunal de première instance a notamment reconnu l’automobiliste coupable de conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié). Elle l’a condamné à 22 jours-amende à 30 fr. le jour.

Ensuite de l’appel interjeté par l’automobiliste contre ce jugement, la Cour pénale du Tribunal cantonal, par jugement du 25.02.2020, a confirmé le jugement de première instance, reconnaissant l’intéressé coupable d’avoir conduit un véhicule automobile en état d’ébriété (taux qualifié ; 0,46 mg/l). La cour cantonale a prononcé la même peine que l’autorité de première instance.

 

TF

La cour cantonale a considéré qu’elle pouvait apprécier librement les éléments de preuve dont elle disposait (art. 10 al. 2 CPP; v. aussi sur ce principe en matière d’établissement de l’ébriété : ATF 129 IV 290 consid. 2.7 p. 295; 127 IV 172 consid. 3 p. 173 ss; 123 II 97 consid. 3c/bb p. 104 ss), cependant que l’automobiliste considère que ces preuves techniques ont été administrées en violation de règles de validité et ne seraient donc pas exploitables (art. 141 al. 2 CPP). Dès lors que le juge ne peut apprécier librement que le résultat de preuves exploitables juridiquement (ATF 133 I 33 consid. 2.1 p. 36 p. s.; THOMAS HOFER, in Basler Kommentar, Strafprozessordnung, 2e éd. 2014, nos 42 et 63 ad art. 10 CPP), il convient d’examiner tout d’abord si tel était bien le cas des preuves sur lesquelles la cour cantonale a fondé sa conviction.

 

Aux termes de l’art. 141 al. 2 CPP, les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves. L’art. 141 al. 3 CPP prévoit en revanche que les preuves administrées en violation de prescriptions d’ordre sont exploitables. Lorsque la loi ne qualifie pas elle-même une disposition de règle de validité, la distinction entre une telle règle et une prescription d’ordre s’opère en prenant principalement pour critère l’objectif de protection auquel est censée ou non répondre la norme. Si la disposition de procédure en cause revêt une importance telle pour la sauvegarde des intérêts légitimes de la personne concernée qu’elle ne peut atteindre son but que moyennant l’invalidation de l’acte de procédure accompli en violation de cette disposition, on a affaire à une règle de validité (ATF 144 IV 302 consid 3.4.3 p. 310; 139 IV 128 consid. 1.6 p. 134; Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1163).

Il convient donc de déterminer la portée des règles dont l’automobiliste critique le non-respect.

Selon l’art. 91 LCR, est puni de l’amende quiconque conduit un véhicule automobile en état d’ébriété (al. 1 let. a). Est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque conduit un véhicule automobile en état d’ébriété et présente un taux d’alcool qualifié dans le sang ou dans l’haleine (al. 2 let. a).

L’ordonnance de l’Assemblée fédérale concernant les taux limites d’alcool admis en matière de circulation routière dispose, à son article premier, qu’un conducteur est réputé incapable de conduire pour cause d’alcool (état d’ébriété) lorsqu’il présente un taux d’alcool dans le sang de 0,5 gramme pour mille ou plus (let. a), ou un taux d’alcool dans l’haleine de 0,25 milligramme ou plus par litre d’air expiré (let. b). Selon l’art. 2 de cette ordonnance, sont considérés comme qualifiés un taux d’alcool dans le sang de 0,8 gramme pour mille ou plus (let. a), ou un taux d’alcool dans l’haleine de 0,4 milligramme ou plus par litre d’air expiré (let. b). L’art. 55 LCR prescrit que les conducteurs de véhicules, de même que les autres usagers de la route impliqués dans un accident, peuvent être soumis à un alcootest (al. 1). Une prise de sang doit être ordonnée si la personne concernée présente des indices laissant présumer une incapacité de conduire qui n’est pas imputable à l’alcool (let. a), s’oppose ou se dérobe à l’alcootest ou fait en sorte que cette mesure ne puisse atteindre son but (let. b) ou exige une analyse de l’alcool dans le sang (let. c). Une prise de sang peut être ordonnée si le contrôle au moyen de l’éthylomètre est impossible ou s’il est inapproprié pour constater l’infraction (al. 3bis). Ce dernier alinéa, entré en vigueur le 1er octobre 2016, crée la base légale permettant de reconnaître force probante à la constatation de l’ébriété par la mesure du taux d’alcool dans l’air expiré, au moyen d’un éthylomètre (Message du Conseil fédéral concernant Via sicura, le programme d’action de la Confédération visant à renforcer la sécurité routière, du 20 octobre 2010, FF 2010 7703 ss, ch. 1.3.2.16). Cela a mis fin au système de la « primauté de la prise de sang » (v. ATF 129 IV 290 consid. 2.7 p. 295).

Aux termes de l’art. 10a al. 1 OCCR, le contrôle de l’alcool dans l’air expiré peut être effectué au moyen d’un éthylotest au sens de l’art. 11 (let. a) ou d’un éthylomètre au sens de l’art. 11a (let. b). Dans cette teneur de la norme, le vocable « éthylotest », désigne ce que le texte dénommait antérieurement « éthylomètre », à la différence que cet appareil affichait, après conversion à l’aide d’un facteur 2000, l’alcoolémie exprimée en g/kg (pour-mille) de sang et non le taux d’alcool dans l’haleine exprimé en g/l d’air expiré. Selon la terminologie actuelle, l’éthylotest est un instrument de mesure qui détermine la concentration massique d’alcool dans l’air expiré et l’éthylomètre celui qui détermine et affiche, de manière redondante et dans des conditions d’échantillonnage contrôlées, la concentration massique d’alcool dans l’air expiré (art. 3 let. c et d de l’ordonnance du DFJP du 30 janvier 2015 sur les instruments de mesure d’alcool dans l’air expiré; OIAA; RS 941.210.4; v. aussi THOMAS BRIELLMANN, Atemalkoholmessung aus rechtsmedizinischer Sicht, Jahrbuch zum Strassenverkehrsrecht 2018, p. 274 ss). En cas de recours à l’éthylotest, l’art. 11 OCCR précise que le contrôle peut avoir lieu au plus tôt après un délai d’attente de 20 minutes (al. 1 let. a), ou après que la personne contrôlée s’est rincé la bouche, conformément aux indications éventuelles du fabricant de l’appareil (al. 1 let. b). Il y a lieu d’effectuer deux mesures. Si elles divergent de plus de 0,05 mg/l, il faut procéder à deux nouvelles mesures. Si la différence dépasse de nouveau 0,05 mg/l et s’il y a des indices de consommation d’alcool, il y a lieu d’effectuer un contrôle au moyen d’un éthylomètre ou d’ordonner une prise de sang (al. 2). Le résultat inférieur des deux mesures est déterminant. La personne concernée peut reconnaître celui-ci par sa signature, notamment s’il correspond, pour les personnes qui conduisaient un véhicule automobile, à 0,25 mg/l ou plus, mais moins de 0,40 mg/l (al. 3 let. a). Conformément à l’art. 11a OCCR, le contrôle effectué au moyen d’un éthylomètre peut avoir lieu au plus tôt après un délai d’attente de dix minutes (al. 1). Si l’éthylomètre décèle la présence d’alcool dans la bouche, il faut attendre au moins cinq minutes supplémentaires pour effectuer le contrôle (al. 2). Les éthylotests et éthylomètres doivent répondre aux exigences de l’Ordonnance du 15 février 2006 sur les instruments de mesure (OIMes; RS 941.210) et des prescriptions d’exécution du Département fédéral de justice et police (art. 11 al. 4 et 11a al. 3 OCCR). L’OFROU en règle le maniement (art. 11 al. 5 et 11a al. 4 OCCR).

En application de cette délégation de compétence, l’OFROU a précisé, s’il en était besoin, que les éthylotests et les éthylomètres doivent être utilisés conformément à la notice d’emploi du fabricant (art. 19 Ordonnance de l’OFROU concernant l’ordonnance sur le contrôle de la circulation routière [OOCCR-OFROU] du 22 mai 2008). Aucune déduction n’est appliquée aux valeurs affichées par ces deux types d’appareils (art. 20 OOCCR-OFROU).

Les instruments de mesure destinés à la détermination officielle de faits matériels pour lesquels le Département fédéral de justice et police a édicté dans une ordonnance les prescriptions nécessaires spécifiques (cf. OIAA précitée), sont également soumis à l’OIMes (art. 3 al. 1 let. a ch. 5 et let. b OIMes). Dite ordonnance règle, outre la mise sur le marché, les contrôles ultérieurs permettant de garantir que ces appareils continuent à répondre aux exigences fixées initialement pendant toute la durée de leur utilisation (art. 20 OIMes), soit le contrôle ultérieur de la stabilité (art. 24 OIMes). Les procédures destinées à maintenir la stabilité de mesure sont décrites dans l’Annexe 7 à l’OIMes, soit en particulier la vérification ultérieure, avec, au besoin délivrance d’un certificat de vérification ou de conformité (Annexe 7 OIMes ch. 1.3) et l’étalonnage, avec contrôle du respect des erreurs maximales tolérées et délivrance d’un certificat d’étalonnage (Annexe 7 OIMes ch. 6.3).

L’OOCCR-OFROU, de même que l’OCCR (art. 11 al. 4 et 11a al. 3 OCCR), renvoient en outre aux règles de l’OIAA, qui déterminent notamment les exigences spécifiques afférentes aux instruments de mesure d’alcool dans l’air expiré et les procédures destinées à maintenir la stabilité de mesure de ces instruments (art. 1 let. a et c OIAA). Conformément à ces règles, les éthylomètres doivent répondre aux exigences essentielles fixées à l’annexe 1 de l’OIMes et à l’annexe 3 OIAA (art. 8 OIAA), qui concernent en particulier l’étendue des mesures, les conditions de fonctionnement nominales ainsi que les erreurs maximales tolérées. Ces instruments doivent être soumis à diverses procédures destinées à assurer le maintien de la stabilité de mesure. Sur ce point, l’art. 10 OIAA renvoie également à l’OIMes et l’art. 24 al. 3 de cette dernière ordonnance réserve les règles ressortant des ordonnances sur les instruments de mesure spécifiques quant aux procédures applicables à chaque instrument de mesure ainsi que la fréquence des contrôles (art. 24 al. 3 OIMes). S’agissant des éthylomètres, en particulier, l’art. 10 OIAA soumet ces appareils à la vérification ultérieure conformément à l’annexe 7 ch. 1 OIMes (v. aussi l’annexe 4 ch. 1 OIAA), effectuée chaque année par METAS ou par un laboratoire de vérification habilité (let. a), à l’entretien (annexe 7 ch. 7 OIMes) ainsi qu’à l’ajustage (annexe 7 ch. 8 OIMes), réalisés au minimum une fois par an par une personne compétente (let. b et c). Quant au ch. 1 de l’Annexe 4 OIAA (Vérifications initiale et ultérieure), il dispose que les éthylomètres sont vérifiés dans des conditions de laboratoire. Les erreurs maximales tolérées lors de la vérification ultérieure équivalent aux deux tiers des erreurs maximales tolérées dans les conditions de fonctionnement nominales définies à l’annexe 3 ch. 4. Cette norme réserve toutefois à METAS de déterminer la procédure de vérification ultérieure au cas par cas selon le type d’instrument mesureur (ch. 1.1). La méthode de Dubowski telle qu’elle est décrite dans la recommandation OIML R 126 doit être employée pour créer des mélanges d’alcool (ch. 1.2). En cas de dysfonctionnement de l’appareil ou de doutes quant à la précision des mesures, les éthylotests et les éthylomètres ne peuvent être réutilisés qu’après avoir subi une procédure de maintien de la stabilité de mesure conformément à l’OIAA, soit un entretien au sens de l’art. 6, let. b, OIAA et un ajustage au sens de l’art. 6, let. c, OIAA pour les éthylotests (let. a), une vérification ultérieure au sens de l’art. 10, let. a, OIAA, un entretien au sens de l’art. 10, let. b, OIAA et un ajustage au sens de l’art. 10, let. c, OIAA pour les éthylomètres (let. b).

On retiendra de ce dispositif réglementaire complexe et tout au moins partiellement redondant, que l’éthylomètre doit, en plus de l’entretien et de l’ajustage, faire l’objet d’une vérification annuelle, qui doit être effectuée par METAS ou un laboratoire habilité et qu’il incombe à METAS de déterminer la procédure de vérification ultérieure des éthylomètres, au cas par cas.

 

En ce qui concerne tout d’abord l’éthylotest, l’automobiliste souligne, en particulier, qu’une seule mesure du taux d’alcool dans son haleine a été réalisée à l’aide de cet instrument, et que celui-ci avait été contrôlé le 13.07.2016 par METAS, soit plus d’une année avant la date du contrôle routier du 15.07.2017. Il en conclut que l’appareil n’aurait plus respecté les exigences réglementaires à cette date.

 

Ces développements de l’automobiliste ne convainquent pas. En effet, que l’art. 6 let. a OIAA prescrive qu’il soit procédé annuellement à un contrôle par METAS ou un laboratoire de vérification habilité ne signifie pas que cet intervalle doive impérativement être computé de quantième à quantième des mois correspondants de deux années consécutives. L’exigence d’annualité du contrôle ne serait pas manifestement méconnue si la durée de validité du certificat s’étendait à la fin du dernier mois de validité, comme cela paraît être la pratique de METAS (v. le certificat de vérification No 232-25694 du 13.07.2016, « valable jusqu’au 31 juillet 2017 »).

Quoi qu’il en soit, dès lors qu’une seule mesure a été effectuée au moyen de l’éthylotest et que le résultat était, de surcroît, supérieur à la limite au-delà de laquelle le conducteur ne peut plus reconnaître le résultat du test (cf. art. 11 al. 3 OCCR), cette question souffre de demeurer indécise, pour les motifs qui suivent.

 

La seconde mesure a été réalisée à l’aide d’un éthylomètre. Pour répondre aux critiques de l’automobiliste, la cour cantonale a constaté que l’appareil « Lion intoxilyzer®9000 », utilisé lors du contrôle du 15.07.2017, avait été étalonné le 07.03.2017 dans le laboratoire du fabricant. Elle en a conclu que la procédure suivie pour assurer le maintien de la stabilité de mesure de cet appareil répondait aux exigences fixées par l’art. 10 OIAA.

Il est, tout d’abord, constant qu’aucun certificat n’établit que l’éthylomètre utilisé lors du contrôle de l’automobiliste a fait l’objet d’un contrôle ultérieur annuel par METAS dans l’année précédant le 15.07.2017. On ignore, du reste, si une année s’était écoulée depuis la vérification initiale de cet appareil et seul figure au dossier le certificat de calibrage établi ensuite d’une réparation par le fabriquant. On ignore toutefois aussi si le laboratoire de cette entreprise britannique est habilité et si ce calibrage répond aux exigences d’un contrôle ultérieur au sens du ch. 1.1 de l’annexe 4 à l’OIAA.

La mesure effectuée à l’aide de l’éthylomètre a force probante, même pour établir un taux d’alcool qualifié, si le conducteur contrôlé ne demande pas une prise de sang. Cette conséquence doit être mise en relation avec la fiabilité des mesures offerte par l’appareil, qui découle du contrôle effectué par la machine des conditions de l’analyse (température, pression, présence d’alcool dans la bouche) et du caractère redondant de la mesure, effectuée selon deux procédés indépendants l’un de l’autre : une analyse électrochimique et une mesure optique dans l’infrarouge. Du point de vue toxicologico-forensique, le fait qu’un appareil de ce type mesure correctement l’alcool dans l’haleine et fournisse des valeurs correctes ne soulève guère de doute (BEAT HAURI, Atemalkoholbestimmung aus juristicher Sicht, Jahrbuch zum Strassenverkehrsrecht 2018, p. 260). Le résultat fourni par un éthylotest, qui n’offre pas les mêmes garanties, n’a quant à lui jamais force probante à lui seul. La valeur la plus faible de deux mesures convergentes ne peut, dans une plage de résultats déterminée (notamment pour des valeurs comprises entre 0,25 et 0,39 mg/l d’air expiré s’agissant de la conduite d’un véhicule automobile), constituer la preuve d’une infraction que si elle a été reconnue par le conducteur. A défaut, et en particulier sitôt franchi le seuil de 0,4 mg/l, il doit être fait usage de l’éthylomètre et, subsidiairement, de la prise de sang (cf. art. 11 et 12 al. 1 let. a ch. 1 et 2 OCCR; v. aussi BRIELLMANN, op. cit. p. 274).

Il faut ainsi considérer que l’introduction du contrôle de l’air expiré à titre d’élément de preuve, à laquelle les instituts de médecine légale se sont opposés (moins en raison de la fiabilité des résultats des mesures des taux d’alcool que des problèmes de corrélation entre taux d’alcool dans l’haleine et dans le sang; BRIELLMANN, op. cit., p. 274), implique l’utilisation d’appareils de mesure techniquement très développés, mesurant le taux d’alcool dans l’air expiré avec deux méthodes fondamentalement différentes, qui garantissent que le résultat soit automatiquement corrigé de l’influence de facteurs tels que la température du corps, la température ambiante et la quantité d’air expiré. La force probante du contrôle au moyen de l’éthylomètre fonde le constat officiel des faits matériels (FF 2010 p. 7733 s. ch. 1.3.2.16; v. aussi supra consid. 3.2). Cette dimension métrologique revêt ainsi une importance particulière et est en lien immédiat avec le caractère scientifique de la preuve et la fiabilité des résultats obtenus. Ce sont en effet les contrôles et calibrages réguliers par METAS qui doivent garantir la qualité des appareils et la précision des mesures (BRIELLMANN, op. cit. p. 275). Le respect des règles relatives au contrôle de la stabilité de mesure des appareils, joue ainsi un rôle matériel central et déploie ses effets en procédure pénale dès lors qu’il s’agit de garantir la force probante du résultat de l’analyse. Contrairement aux exigences relatives, par exemple, à l’établissement d’un rapport sur le déroulement du contrôle de la capacité de conduire, qui peuvent en fonction des circonstances concrètes être appréhendées comme de simples exigences de forme (cf. arrêt 6B_571/2019 du 17 juillet 2019 consid. 1.4), celles ayant trait au contrôle du maintien de la stabilité des instruments de mesure tendent notamment à créer les conditions nécessaires pour garantir la sécurité métrologique lors de la détermination de grandeurs mesurables (art. 1 let. a OIMes). La portée de telles règles excède celle de simples prescriptions d’ordre et touche à la validité même de la preuve administrée.

De manière générale, l’infraction en cause, tenant à avoir conduit un véhicule en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) revêt une certaine gravité. La répression de ce délit de mise en danger abstraite protège la sécurité routière et indirectement la vie et l’intégrité physique (cf. ATF 138 IV 258 consid. 3 p. 264 ss). Elle peut être punie de la privation de liberté jusqu’à trois ans ou d’une peine pécuniaire (art. 91 al. 2 LCR). Elle n’atteint donc pas le niveau de gravité d’un crime et ne constitue donc pas, de manière abstraite, une infraction grave au sens de l’art. 141 al. 2 in fine CPP (cf. arrêt 6B_1468/2019 du 1er septembre 2020 consid. 1.3.1 destiné à la publication; ATF 137 I 218 consid. 2.3.5.2). De surcroît, dans une perspective plus concrète, le taux d’alcool mesuré dans l’haleine (0,45 g/l) était, en l’espèce, encore relativement proche de la limite du cas qualifié (0,4 g/l) et la peine infligée (22 jours-amende), nonobstant le concours avec d’autres infractions, est demeurée dans les premiers degrés de l’échelle des peines pécuniaire. Cette appréciation des circonstances de l’espèce conduit ainsi également à exclure l’usage de la preuve obtenue au mépris des règles de validité.

 

La conclusion qui précède s’impose, d’une part, en ce qui concerne la mesure effectuée par éthylomètre, le maintien de la qualité de mesure de cet appareil n’étant pas démontré. Elle s’impose également quant au résultat fourni par la mesure à l’éthylotest, qui n’a été ni répétée ni reconnue par l’automobiliste et qui, de toute manière, ne constitue pas une preuve recevable au-delà du seuil du taux d’alcool qualifié dans l’haleine (cf. art. 11 al. 3 OCCR). Enfin, la réglementation relative aux appareils de mesure ne prévoit pas non plus qu’une mesure effectuée par un éthylomètre puisse être « vérifiée » par une autre mesure à l’aide d’un éthylotest et moins encore que le maintien de la qualité de mesure d’un éthylomètre puisse être contrôlé par un simple utilisateur au moyen d’un éthylotest dans les conditions d’un contrôle de police, qui ne sont pas comparables à celles d’un laboratoire de mesure. Nonobstant sa liberté d’appréciation en la matière, la cour cantonale ne pouvait ainsi appuyer son constat d’un taux d’alcool qualifié dans l’haleine de l’automobiliste, fondé sur les éléments dont elle disposait, par la constatation que les deux appareils avaient donné « un résultat peu ou prou identique ». La cour ne disposait pas non plus d’autres indices extérieurs.

Il est vrai que les éléments relevés par la cour cantonale (existence d’un certificat de calibration récent de l’éthylomètre et cohérence des mesures effectuées au moyen des deux appareils) ne parlent pas en faveur de mesures erronées, lors mêmes qu’elles ne répondent pas aux exigences réglementaires permettant de leur reconnaître force probante. En particulier, le certificat établi par le fabriquant de l’appareil après une réparation suggère que l’appareil a été calibré à cette occasion. Toutefois, savoir si ce certificat atteste bien de la conformité du maintien de la qualité de mesure avec les exigences légales suisses est une question essentiellement technique que le juge ne peut résoudre par lui-même, mais qui relève de la compétence de METAS, à qui il incombe de fixer les exigences du contrôle ultérieur des éthylomètres, qui peut reconnaître des contrôles de maintien de la stabilité de mesure effectués à l’étranger (art. 24 al. 4 OIMes) et qui peut être interpellé en cas de contestation de résultats de mesures (art. 29 OIMes). La cause n’est, dès lors, pas en état d’être jugée. Il convient de la renvoyer à la cour cantonale afin qu’elle complète l’instruction en interpellant METAS sur la question du respect des prescriptions pertinentes en matière de maintien de la qualité de la mesure de l’éthylomètre utilisé en l’espèce et l’éventuelle reconnaissance du certificat de calibrage délivré par le constructeur.

 

Le TF admet le recours de l’automobiliste (sur ce point), annule la décision cantonale en tant qu’elle déclare l’automobiliste coupable d’infraction à la LCR pour avoir conduit un véhicule automobile en état d’ébriété (taux qualifié) le 15.07.2017 et renvoie la cause à la cour cantonale afin qu’elle complète l’instruction, qu’elle se prononce à nouveau sur ce point et fixe à nouveau la peine pécuniaire.

 

 

Arrêt 6B_533/2020 consultable ici