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Affaire C-350/20 – Arrêt de la CJUE du 02.09.2021 – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Egalité de traitement – Réglementation d’un État membre excluant les ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique du bénéfice d’une allocation de naissance et d’une allocation de maternité

Affaire C-350/20 – Arrêt de la CJUE du 02.09.2021

 

Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne consultable ici

Communiqué de presse de la CJUE disponible ici

 

Coordination des systèmes de sécurité sociale – Egalité de traitement – Réglementation d’un État membre excluant les ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique du bénéfice d’une allocation de naissance et d’une allocation de maternité / Règlement (CE) no 883/2004

 

Les ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique de travail obtenu en vertu de la législation italienne transposant une directive de l’Union ont le droit de bénéficier d’une allocation de naissance et d’une allocation de maternité telles que prévues par la réglementation italienne.

Les autorités italiennes ont refusé l’octroi d’une allocation de naissance et d’une allocation de maternité à plusieurs ressortissants de pays tiers séjournant légalement en Italie et titulaires d’un permis unique de travail obtenu en vertu de la législation italienne transposant la directive 2011/98 [1]. Ce refus a été motivé par le fait que, contrairement aux exigences prévues par la loi no 190/2014 et le décret législatif no 151/2001, ces personnes ne sont pas titulaires du statut de résident de longue durée.

En effet, en vertu de la loi no 190/2014, qui institue une allocation de naissance pour chaque enfant né ou adopté, l’allocation est versée mensuellement aux ressortissants italiens, aux ressortissants d’autres États membres, ainsi qu’aux ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis de séjour pour résidents de longue durée, afin d’encourager la natalité et de contribuer aux frais pour la soutenir. Le décret législatif no 151/2001 accorde le bénéfice de l’allocation de maternité, pour tout enfant né depuis le 1er janvier 2001 ou pour tout mineur placé en vue de son adoption ou adopté sans placement, aux femmes résidant en Italie, qui sont ressortissantes de cet État membre ou d’un autre État membre de l’Union ou qui sont titulaires d’un permis de séjour pour résidents de longue durée.

Les ressortissants de pays tiers concernés ont contesté ce refus devant les juridictions italiennes. Dans le cadre de ces litiges, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), considérant que le régime de l’allocation de naissance viole notamment plusieurs dispositions de la Constitution italienne, a saisi la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) de questions de constitutionnalité visant la loi no 190/2014, en ce que cette loi subordonne l’octroi de l’allocation aux ressortissants de pays tiers à la condition qu’ils soient titulaires du statut de résident de longue durée. Pour les mêmes raisons, cette dernière juridiction a été également saisie d’une question de constitutionnalité portant sur le décret législatif no 151/2001, relatif à l’allocation de maternité.

Considérant que l’interdiction des discriminations arbitraires et la protection de la maternité et de l’enfance, assurées par la Constitution italienne, doivent être interprétées à la lumière des indications contraignantes données par le droit de l’Union, la Corte costituzionale a demandé à la Cour de préciser la portée du droit d’accès aux prestations sociales reconnu par l’article 34 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et du droit à l’égalité de traitement dans le domaine de la sécurité sociale accordé par l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98 aux travailleurs issus de pays tiers [2].

Dans son arrêt, rendu en grande chambre, la Cour confirme le droit des ressortissants de pays tiers titulaires d’un permis unique de bénéficier, conformément à l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98, d’une allocation de naissance et d’une allocation de maternité telles que prévues par la réglementation italienne.

 

Appréciation de la Cour

Dans un premier temps, la Cour précise que, étant donné que l’article 12, paragraphe 1, sous e), de la directive 2011/98 concrétise le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale prévu à l’article 34, paragraphes 1 et 2, de la charte des droits fondamentaux, il y a lieu d’examiner la question relative à la conformité de la réglementation italienne avec le droit de l’Union au regard de cette seule directive.

Dans un deuxième temps, puisque le champ d’application de cette disposition de la directive, qui renvoie au règlement no 883/2004 [3], est déterminé par ce dernier, la Cour vérifie si l’allocation de naissance et l’allocation de maternité en cause constituent des prestations relevant des branches de la sécurité sociale énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement.

Concernant l’allocation de naissance, la Cour note que cette allocation est accordée automatiquement aux ménages répondant à certains critères objectifs légalement définis, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels du demandeur. Il s’agit d’une prestation en espèces destinée notamment, au moyen d’une contribution publique au budget familial, à alléger les charges découlant de l’entretien d’un enfant nouvellement né ou adopté. La Cour en conclut que cette allocation constitue une prestation familiale, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004.

En ce qui concerne l’allocation de maternité, la Cour relève qu’elle est accordée ou refusée en tenant compte, outre l’absence d’une indemnité de maternité liée à une relation de travail ou à l’exercice d’une profession libérale, des ressources du ménage dont la mère fait partie sur la base d’un critère objectif et légalement défini, à savoir l’indicateur de la situation économique, sans que l’autorité compétente puisse tenir compte d’autres circonstances personnelles. En outre, cette allocation se rapporte à la branche de la sécurité sociale visée à l’article 3, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004.

La Cour conclut que l’allocation de naissance et l’allocation de maternité relèvent des branches de la sécurité sociale pour lesquelles les ressortissants de pays tiers visés à l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive 2011/98 bénéficient du droit à l’égalité de traitement prévu par cette directive

Compte tenu du fait que l’Italie n’a pas fait usage de la faculté offerte par la directive aux États membres de limiter l’égalité de traitement [4], la Cour considère que la réglementation nationale qui exclut ces ressortissants de pays tiers du bénéfice desdites allocations n’est pas conforme à l’article 12, paragraphe 1, sous e), de cette directive.

 

 

 

[1] Directive 2011/98/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, établissant une procédure de demande unique en vue de la délivrance d’un permis unique autorisant les ressortissants de pays tiers à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre et établissant un socle commun de droits pour les travailleurs issus de pays tiers qui résident légalement dans un État membre (JO 2011, L 343, p. 1).

[2] Ces travailleurs sont ceux visés à l’article 3, paragraphe 1, sous b) et c), de ladite directive, à savoir, premièrement, les ressortissants de pays tiers admis dans un État membre à d’autres fins que le travail, qui sont autorisés à travailler et qui sont titulaires d’un titre de séjour conformément au règlement (CE) no 1030/2002 du Conseil, du 13 juin 2002, établissant un modèle uniforme de titre de séjour pour les ressortissants de pays tiers (JO 2002, L 157, p. 1), et, deuxièmement, les ressortissants de pays tiers admis dans un État membre aux fins d’y travailler.

[3] Règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).

[4] Cette faculté est prévue par l’article 12, paragraphe 2, sous b), de la directive 2011/98.

 

 

Affaire C-350/20 – Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 02.09.2021 consultable ici (en français). Cf. également versions italienne et allemande.

Communiqué de presse de la CJUE disponible ici

 

 

9C_520/2020 (f) du 06.07.2021 – Prescription d’une prestation de libre passage LPP – 41 al. 1 aLPP – 129 ss CO / Prescription de la créance à l’égard de la caisse de pensions – 10 ans

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_520/2020 (f) du 06.07.2021

 

Consultable ici

Cf. également Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 157 consultable ici

 

Prescription d’une prestation de libre passage LPP / 41 al. 1 aLPP – 129 ss CO

Prescription de la créance à l’égard de la caisse de pensions – 10 ans

 

A.___ (l’assuré), né en 1939, a été affilié pour la prévoyance professionnelle auprès d’une Caisse de pensions dès le 01.01.1985.

Le 11.04.1989, l’employeur a annoncé à la Caisse de pensions la sortie de l’assuré au 31.03.1989, au motif qu’il devenait indépendant. Le 13.04.1989, l’assuré a requis le transfert sur son compte postal du montant de la prestation de libre passage à laquelle il pouvait prétendre. Selon un décompte de sortie au 31.03.1989, établi le 30.04.1989, ce montant s’élevait à 104’454 fr., dont un avoir de vieillesse LPP de 20’638 fr. 30, intérêts compris jusqu’au 17.05.1989.

Avec effet au 01.08.1995, A.___ s’est réaffilié auprès de la Caisse de pensions.

En 2016, A.___ et la Caisse de pensions ont entamé un échange de correspondances au sujet de la prestation de libre passage qui aurait été versée au premier au moment où il était devenu indépendant, en 1989. La Caisse de pensions a informé son ancien assuré qu’elle lui avait versé la somme de 104’454 fr., correspondant à sa prestation de sortie au 31.03.1989, sur son compte postal, en date du 09.05.1989. Après que A.___ a indiqué qu’il n’avait pas reçu la somme de 104’454 fr., mais uniquement un montant de 20’638 fr. 30, la Caisse de pensions l’a invité à lui transmettre une copie de son extrait de compte, établissant la réception de ce seul montant. L’intéressé a sollicité des renseignements auprès de PostFinance SA, qui lui a répondu, le 09.05.2016, que les documents antérieurs à 2006 n’étaient plus disponibles. A.___ a indiqué à la Caisse de pensions qu’il lui appartenait d’établir qu’elle lui avait versé l’intégralité de sa prestation de libre passage ; la Caisse de pensions a maintenu, se référant au décompte de sortie au 31.03.1989, qu’elle lui avait versé la somme de 104’454 fr. le 09.05.1989.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 30/18 – 20/2020 – consultable ici)

Le 28.11.2018, A.___ a ouvert action contre la Caisse de pensions.

Après avoir constaté que ni le montant (104’454 fr.) ni le mode de versement de la prestation de libre passage (un paiement en espèces sur le compte postal de A.___) n’étaient l’objet de la contestation, les juges cantonaux ont circonscrit celui-ci à la réalité du versement de l’entier de cette prestation. Ils ont admis que le fardeau de la preuve incombait à A.___ et que celui-ci avait échoué à rendre vraisemblable que seul un montant de 20’638 fr. 30 lui avait été versé le 09.05.1989, les éléments au dossier tendant au contraire à démontrer que la Caisse de pensions avait versé l’entier de la prestation de sortie à cette date. En conséquence, la juridiction cantonale a rejeté la demande et laissé ouvert le point de savoir si la créance de A.___ était prescrite.

Par jugement du 25.06.2020, la juridiction cantonale a rejeté l’action.

 

TF

Dans la mesure où l’exception tirée de la prescription a été soulevée par la Caisse de pensions tant devant la juridiction cantonale, qui a laissé cette question ouverte, que devant la Cour de céans (au sujet de l’obligation, pour le débiteur, de soulever le moyen tiré de la prescription, voir ATF 129 V 237 consid. 4 et les références citées), il convient en premier lieu d’examiner si la créance dont se prévaut A.___ était prescrite au moment où il a ouvert action devant la juridiction cantonale, en novembre 2018.

La personne assurée ayant droit à une prestation au sens de la LPP, c’est-à-dire à une rente ou au paiement d’un avoir de libre passage, peut faire valoir son droit jusqu’à dix ans après que ce dernier soit devenu exigible (Message du 1er mars 2000 relatif à la révision de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse et survivants et invalidité [LPP] [1ère révision LPP], FF 2000 2495, p. 2538, ch. 2.9.3.2). L’art. 41 al. 2 LPP, qui reprend l’art. 41 al. 1 aLPP, dans sa teneur en vigueur au moment des faits déterminants avant l’entrée en vigueur de la 1ère révision LPP, le 1er janvier 2005, prévoit en effet que les actions en recouvrement de créances se prescrivent par cinq ans si elles touchent des cotisations et des prestations périodiques et par dix ans dans les autres cas, et renvoie aux art. 129 à 142 du code des obligations.

Le principe selon lequel l’assuré ayant droit au paiement d’un avoir de libre passage peut faire valoir son droit jusqu’à dix ans après que ce dernier soit devenu exigible n’est pas en contradiction avec la jurisprudence selon laquelle le droit à la prestation de libre passage ne se prescrit pas tant que subsiste l’obligation de maintenir la prévoyance (ATF 127 V 315; voir aussi arrêt 9C_618/2007 du 28 janvier 2008 consid. 1.2.2). L’ATF 127 V 315 concernait un assuré qui avait introduit une demande de versement en espèces de sa prestation de sortie, et qui, après que sa demande avait été refusée par l’institution de prévoyance, n’avait pas rempli la demande pour la conclusion d’une police de libre passage que l’institution de prévoyance lui avait transmise, si bien que celle-ci n’avait jamais transféré de prestation de libre passage après le départ de l’assuré concerné, que ce soit sur un compte ou une police de libre passage, ou encore à la Fondation institution supplétive LPP, de sorte qu’elle ne s’était pas libérée de son obligation légale de veiller au maintien de la prévoyance (voir aussi art. 41 al. 3-6 LPP). La prescription peut en revanche intervenir lorsque l’assuré a déposé une demande motivée pour le paiement en espèces de la prestation de sortie et a fourni à l’institution de prévoyance les informations nécessaires pour l’affectation de la prestation de sortie mais que l’affectation n’a pas eu lieu. Dans ce cas, le devoir de maintenir la prévoyance tombe et la créance se prescrit par dix ans (art. 41 al. 2 LPP, en relation avec les art. 129-142 CO; cf. WALSER, in Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 14 ad art. 2 LFLP). Le délai de prescription commence à courir à compter du dépôt de la demande de paiement motivée, et non à compter de la date à laquelle la prestation de libre passage est devenue exigible.

En l’occurrence, A.___ a requis le paiement de la prestation de libre passage à laquelle il pouvait prétendre, par une correspondance datée du 13.04.1989. Il y a indiqué avoir un statut d’indépendant depuis le 10.04.1989 et requérir le transfert de la prestation sur son compte postal, dont il a mentionné le numéro. Il ressort également des constatations cantonales que le décompte de sortie établi par la Caisse de pensions le 30.04.1989 faisait mention d’un montant de 104’454 fr. à titre de prestation de libre passage au 31.03.1989, dont un avoir de vieillesse LPP de 20’638 fr. 30 à l’âge de 50 ans, et qu’il y était indiqué, sous la mention « la prestation de libre passage sera utilisée en votre faveur », sans précision du montant, le mode de paiement « en espèces », ainsi que le numéro de compte postal du demandeur. A.___ a donc présenté une demande pour le paiement en espèces de la prestation de sortie et fourni à l’institution de prévoyance les informations nécessaires pour l’affectation de celle-ci. L’intéressé ne conteste du reste pas que l’institution de prévoyance a procédé à un paiement en espèces sur son compte postal, seule la preuve de ce paiement étant litigieuse.

En conséquence, il faut admettre que la Caisse de pensions s’était libérée de son obligation de maintenir la prévoyance. Si A.___ était d’avis qu’une prestation de libre passage plus importante devait lui être versée, il lui eût appartenu de l’exiger dans un délai de dix ans dès le moment où il avait présenté une demande motivée pour le paiement en espèces de la prestation de sortie, soit dès le 14.04.1989, étant donné qu’il avait requis le versement de cette prestation le 13.04.1989. Comme l’a au demeurant expliqué la juridiction cantonale, en se référant à une correspondance du 22.08.1988, par laquelle la Caisse de pensions avait informé son assuré qu’en cas d’établissement en tant qu’indépendant, un montant d’environ 98’046 fr. lui serait versé (valeur à fin juillet 1988), il paraît peu vraisemblable que l’intéressé, dûment informé du montant proche de 100’000 fr. auquel il pouvait prétendre, fût resté sans réaction s’il n’avait effectivement perçu qu’un montant de 20’638 fr. 30 au mois de mai 1989, au regard déjà de l’importance du montant concerné.

Au vu du dépôt, par A.___, d’une demande motivée pour le paiement en espèces de sa prestation de sortie, le 13.04.1989, la prescription de sa créance à l’égard de la Caisse de pensions est intervenue le 14.04.1999, soit bien avant le moment où il a saisi la juridiction cantonale du litige l’opposant à la Caisse de pensions, en novembre 2018. Pour cette raison, les griefs de A.___ en lien avec le montant de la prestation de libre passage qui lui a été versé à la suite de sa sortie de la Caisse de pensions au 31.03.1989 et la répartition du fardeau de la preuve n’ont pas à être examinés plus avant par le Tribunal fédéral. En tant qu’il a nié que la Caisse de pensions fût tenue de verser à A.___ la somme de 83’815 fr. 70, correspondant au solde de sa prestation de sortie, le jugement entrepris est conforme au droit dans son résultat.

 

 

Le TF rejette le recours de A.___.

 

 

Arrêt 9C_520/2020 consultable ici

Cf. également Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 157 consultable ici

 

 

8C_205/2021 (f) du 04.08.2021 – Revenu d’invalide selon l’ESS – TA1 (règle générale) et non T17 (exception) – 16 LPGA / Ligne Total de l’ESS et non Secteur 3 « Services »

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_205/2021 (f) du 04.08.2021

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon l’ESS – TA1 (règle générale) et non T17 (exception) / 16 LPGA

Ligne Total de l’ESS et non Secteur 3 « Services »

 

Assuré, né en 1968, a travaillé depuis 2005 à 90% en tant qu’animateur socio-culturel. Le 20.02.2011, il a été victime d’une chute à ski avec notamment pour conséquence une fracture cervicale au niveau C6. Dans les semaines suivant l’accident, un trouble dépressif récurrent (épisode sévère) et des hernies discales à différents étages ont été diagnostiqués chez l’assuré.

L’assurance-accidents a mis en œuvre une expertise médicale. L’expert, spécialiste en neurologie, a notamment estimé que compte tenu de la seule atteinte en lien de causalité avec l’accident du 20.02.2011 (à savoir l’atteinte cervicale), l’assuré disposait d’une pleine capacité dans un travail sans exigence de rendement physique, dans lequel il pouvait organiser son travail et sa position de travail selon ses limitations et qui était principalement administratif ou organisationnel et soustrait au stress de la gestion d’adolescents.

Par décision du 25.07.2019, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis un terme au paiement de l’indemnité journalière et du traitement médical à compter du 01.06.2019. Elle a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 29%, calculé en tenant compte d’un revenu d’invalide de 79’885 fr. 97 fixé sur la base de la rubrique 4 (« employé[e]s de type administratif ») de la table T17 de l’ESS 2016, et a refusé de lui allouer une indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/60/2021 – consultable ici)

La juridiction cantonale a rappelé que selon le médecin-expert, l’assuré pouvait exercer une activité de type administratif ou organisationnel soustraite au stress des enfants et sans exigence de rendement physique, sans port de charges de plus de trois kilos, de porte-à-faux cervical ou de vibrations et dans laquelle il pouvait organiser son travail et sa position de travail. Les médecins traitants de l’assuré avaient également relevé des difficultés à garder une posture statique (assise ou debout) et à exercer une activité sédentaire ou devant un écran. Or les employés mentionnés sous la rubrique 4 de la table T17 de l’ESS 2016 ne jouissaient pas d’une réelle liberté d’organisation dans leur travail et leur posture. En effet, un travail derrière un guichet ou à une réception allait de pair avec une position assise ou debout de longue durée et pour laquelle l’employé ne pouvait pas organiser son temps ou n’était pas libre de modifier sa position à sa guise. En outre, les employés de bureau ou de service comptable étaient la majeure partie de leur temps statiques, possiblement en porte-à-faux devant un écran. Par conséquent, les postes décrits dans la rubrique 4 de la table T17 ne répondaient pas aux limitations de l’assuré. Il en allait de même des postes mentionnés dans les autres rubriques de la table T17. Il convenait dès lors de se référer au secteur 3 (« services ») de la table TA1 de l’ESS 2016, qui comprenait des domaines d’activité simples compatibles avec les limitations de l’assuré et qui indiquait un revenu médian de 4967 fr. par mois. Après prise en compte du renchérissement, le revenu d’invalide s’élevait à 64’080 fr. 84 par an. Mis en rapport avec le revenu sans invalidité de 113’207 fr., il en découlait un taux d’invalidité de 44%.

Par jugement du 02.02.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que l’assuré avait droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 44%, compte tenu d’un revenu d’invalide de 64’080 fr. 84.

 

TF

TA1 vs T17

Lorsque les tables de l’ESS sont appliquées, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1, à la ligne « total secteur privé »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b), étant précisé que, depuis l’ESS 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_skill_ level et non pas le tableau TA1_b (ATF 142 V 178). Lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières; tel est notamment le cas lorsqu’avant l’atteinte à la santé, l’assuré a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et qu’une activité dans un autre domaine n’entre pas en ligne de compte (arrêt 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2 et les arrêts cités).

En outre, lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s’écarter de la table TA1 (salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les branches économiques dans le secteur privé) pour se référer à la table TA7 (salaire mensuel brut [valeur centrale] selon le domaine d’activité dans les secteurs privé et public ensemble), si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et que le secteur en question est adapté et exigible (arrêt 8C_66/2020 consid. 4.2.2 précité et les arrêts cités). C’est le lieu de préciser que les tables TA1, T1 et TA7 des ESS publiées jusqu’en 2010 correspondent respectivement aux tables TA1_skill_level, T1_tirage_skill_level et T17 des ESS publiées depuis 2012 (voir l’Annexe de la lettre circulaire AI n° 328 du 22 octobre 2014).

La correcte application des tables de l’ESS, notamment le choix de la table et du niveau de compétence applicable, est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4; 132 V 393 consid. 3.3).

 

Le rapport complémentaire du médecin-expert est le seul avis médical décrivant les limitations fonctionnelles de l’assuré en tenant compte de la seule affection de ce dernier en lien de causalité avec l’accident du 20.02.2011. Il convient donc de se fonder exclusivement sur ledit rapport pour déterminer les limitations fonctionnelles de l’assuré, sans prendre en considération les autres avis médicaux au dossier, en particulier ceux des médecins traitants. A cet égard, c’est à tort que les juges cantonaux ont retenu que l’activité adaptée à prendre en considération devait être exempte de vibrations et de port de charges de plus de trois kilos, et que l’assuré avait des difficultés à exercer une activité devant un écran. Le rapport complémentaire de l’expert fait toutefois effectivement état d’une activité sans exigence de rendement physique excluant le port de charges (sans précision quant à un poids maximal), les positions de porte-à-faux cervical, les longues stations prolongées dans la même position, ainsi que les interactions physiques avec des adolescents. Une activité dans laquelle l’assuré peut organiser son travail et sa position de travail, dans un travail principalement administratif ou organisationnel soustrait au stress de la gestion d’adolescents, est en outre préconisée.

Au vu de ces limitations fonctionnelles, on ne voit pas que les activités citées sous la rubrique 4 de la table T17 (employé[e]s de bureau; employé[e]s de réception, guichetiers et assimilés; employé[e]s des services comptables et d’approvisionnement; autres employé[e]s de type administratif) seraient particulièrement adaptées à la situation de l’assuré au point de justifier de faire exception à l’usage de la table TA1, qui s’applique généralement. On notera que certaines des activités en question sont difficilement compatibles avec une organisation libre du travail et de la position de travail et qu’elles consistent toutes en des emplois de bureau s’exerçant en position essentiellement statique, quand bien même des alternances entre position assise et debout sont envisageables. Par ailleurs, le médecin-expert n’a pas évoqué un travail exclusivement de bureau, mais de type administratif ou organisationnel. C’est donc à bon droit que les juges cantonaux ont fait application de la table TA1 et non de la table T17.

 

Ligne « Total » vs secteur « Services »

La cour cantonale n’a pas expliqué et on ne voit pas en quoi les activités décrites au secteur 3 (« services ») de la table TA1 permettraient à l’assuré – par opposition aux activités du secteur 2 (« production ») – de mettre au mieux sa capacité de travail résiduelle à profit compte tenu de ses limitations fonctionnelles. Bien au contraire, les fonctions du secteur 3 comprennent notamment des activités administratives et de bureau impliquant des positions statiques de longue durée, lesquelles sont déconseillées par le médecin-expert. Dans ces conditions, la juridiction cantonale n’était pas fondée à faire application de la table TA1 « services », laquelle est vouée à s’appliquer en lieu et place de la table TA1 « total » uniquement lorsque la situation concrète de l’assuré l’exige.

Le revenu médian de 5340 fr. de la table TA1 « total » doit donc être pris en compte, et non celui de 4967 fr. de la table TA1 « services ». Après indexation tenant compte de l’évolution des salaires (0.4% en 2017, 0.5% en 2018 et 0.9% en 2019), il en résulte un revenu d’invalide de 68’012 fr. 61 ([5340:40 x 41.7 x 12] + 0.4, 0.5 et 0.9%). Mis en rapport avec le revenu sans invalidité de 113’207 fr., il en découle un taux d’invalidité de 39.92%, arrondi à 40%.

 

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, réformant l’arrêt cantonal en ce sens que l’assuré a droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 40%.

 

 

Arrêt 8C_205/2021 consultable ici

 

 

8C_462/2010 (d) du 22.10.2010 – ATF 136 V 419 – Amiante – Rente de veuve – 29 LAA / Retraite anticipée partielle (50%) avant la retraite ordinaire – Eclosion de la maladie professionnelle postérieure à la retraite AVS / Gain assuré pour la rente de survivants – 15 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_462/2010 (d) du 22.10.2010 [ATF 136 V 419]

 

Consultable ici

Publié aux ATF 136 V 419

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Amiante – Rente de veuve / 29 LAA

Retraite anticipée partielle (50%) avant la retraite ordinaire – Eclosion de la maladie professionnelle postérieure à la retraite AVS

Gain assuré pour la rente de survivants / 15 LAA – 24 al. 1 OLAA

Renchérissement de la rente

 

Assuré, né en 1935, a travaillé comme ajusteur de machines chez S.__ AG de 1963 jusqu’à sa retraite ordinaire fin mai 2000. Après avoir pris une retraite partielle (50%) en 1996 pour des raisons économiques, il n’a travaillé que 30% du temps au cours des années suivantes ; pour le 20% restant, il était considéré comme chômeur.

Un mésothéliome pleural a été diagnostiqué le 21.10.2002, vraisemblablement contracté à la suite d’une exposition à l’amiante dans le cadre de son travail entre 1963 et 1978. Il est décédé le 04.01.2005 des suites de cette maladie.

L’assurance-accidents a octroyé une rente de veuve de CHF 1’103.20 ou – dès le 01.01.2007 – de CHF 1’112.05 par mois avec effet rétroactif au 01.02.2005 ; le gain assuré déterminant était basé sur le revenu que l’assuré aurait pu obtenir d’un emploi à 50% chez son ancien employeur avant sa retraite ordinaire sans chômage.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 06.04.2010, admission du recours par le tribunal cantonal, renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision au sens des considérants. La cour cantonale a notamment considéré que l’assureur-accidents avait à juste titre fondé la rente de veuve sur le salaire que le défunt avait gagné en dernier lieu avant la retraite ordinaire dans le cadre d’un rapport de travail à 50% – sans chômage partiel ; toutefois, le revenu ainsi calculé devrait également être adapté au renchérissement pour la période comprise entre la retraite du défunt fin mai 2000 et le début de la rente le 01.02.2005.

 

TF

Il est incontesté que l’assuré est décédé des suites d’une maladie professionnelle au sens de l’art. 9 LAA. Il s’agissait d’une conséquence de substances nocives (amiante) auxquelles il avait été exposé entre 1963 et 1978, lors de son emploi dans la société S.__ AG.

Dans l’ATF 135 V 279, le Tribunal fédéral a reconnu que, sur la base des normes pertinentes (art. 15 al. 1-3 et art. 34 al. 1 LAA; art. 22 al. 2 et 4, art. 23 s. ainsi qu’art. 44 s. OLAA) aucune solution spécifique n’est prévue pour la constellation à apprécier en l’espèce – l’assuré avait quitté la vie active lors de l’éclosion de la maladie professionnelle parce qu’il avait atteint l’âge de la retraite AVS et n’est donc plus (plus) assuré.

Le concept de la LAA repose sur l’hypothèse que l’événement assuré s’est produit à un moment où l’assuré exerce encore une activité professionnelle.

Dans des cas comme celui qui nous occupe, l’assurance-accidents constitue, à titre exceptionnel, une assurance pour les personnes n’exerçant pas d’activité professionnelle et pour lesquelles il n’existe aucune réglementation pertinente en matière de calcul de rente (cf. ALFRED MAURER, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, 1985, p. 362).

La règle de base pour le calcul de la rente est que le dernier salaire avant la survenance de l’événement assuré, c’est-à-dire en l’occurrence le début de la maladie professionnelle (octobre 2002 ; cf. art. 9 al. 3 LAA), est déterminant. Comme ce n’est généralement pas le cas pour les retraités AVS [absence de salaire avant la survenance de la maladie professionnelle], les revenus que l’assuré a perçus en dernier lieu alors qu’il était encore assuré sont considérés comme déterminants (ATF 135 V 279 consid. 4.1 et 4.2.1 p. 281 ss et références à MAURER, loc. cit. p. 220 ci-dessus ; le même, Recht und Praxis der Schweizerischen obligatorischen Unfallversicherung, 1963, p. 133).

Dans ce contexte, c’est à juste titre que la cour cantonale a retenu comme élément déterminant pour le calcul du gain assuré le salaire que le défunt aurait gagné en tant qu’employé assuré avant la retraite ordinaire le 31.05.2000 dans le cadre d’un pensum de 50% auprès de l’ancien employeur. La décision sur opposition est, sur ce point, correcte.

En ce qui concerne la question du renchérissement, il a été jugé dans l’ATF 135 V 279 (en particulier consid. 5 p. 283 ss.) que la rente de survivant fictive – in casu calculée hypothétiquement du de la retraite ordinaire de l’assuré décédé à la fin du mois de mai 2000 – (et non le gain assuré sur lequel elle était basée) devait être renchérie jusqu’au début effectif de la rente le 01.02.2005. Cette conclusion résulte sans équivoque de l’ATF 135 V 279 consid. 5.3.1 et 5.3.2 (p. 285 et suivantes), alors que le regest correspondant publié dans le Recueil officiel ne reflète certes pas tout à fait clairement le contenu essentiel du dispositif.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_462/2010 consultable ici – ATF 136 V 419 consultable ici

Proposition de citation : Arrêt du Tribunal fédéral 8C_462/2010 (d) du 22.10.2010 [ATF 136 V 419] – Amiante – Rente de veuve, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/09/8c_462-2010-atf-136-v-419)

 

8C_443/2013 (f) du 24.06.2014 – Amiante – Rente de veuve – 29 LAA / Invalidité totale [non LAA] avant la retraite AVS – Eclosion de la maladie professionnelle postérieure à la retraite AVS / Gain assuré pour la rente de survivants – 15 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_443/2013 (f) du 24.06.2014

 

NB : arrêt à 5 juges non publié

Consultable ici

 

Amiante – Rente de veuve / 29 LAA

Invalidité totale [non LAA] avant la retraite AVS – Eclosion de la maladie professionnelle postérieure à la retraite AVS

Gain assuré pour la rente de survivants / 15 LAA

 

L’assuré a travaillé comme maçon au service de plusieurs entreprises en Suisse entre 1962 et 1994. A partir du 01.10.1994, il a été mis au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité en raison d’affections dorsales. A l’âge terme, le droit à une rente de vieillesse de l’AVS lui a été reconnu.

A la suite d’un contrôle médical le 25.01.2008, le médecin-traitant a constaté la présence d’une fibrose pulmonaire possiblement sur toxicité à la Cordarone. Après diverses investigations, l’assurance-accidents a admis sa responsabilité au titre d’une maladie professionnelle, dont elle a fixé la survenance au 25.01.2008.

L’assuré est décédé le 24.05.2010. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé d’allouer une rente de survivante à la veuve de l’assuré. Elle a considéré qu’aucun gain assuré ne pouvait être pris en considération pour le calcul de la rente (théorique) à laquelle l’intéressée pouvait prétendre. En effet, avant que la maladie professionnelle ne se manifeste, l’assuré décédé avait bénéficié, successivement, d’une rente de l’assurance-invalidité, puis d’une rente de l’AVS, de sorte qu’il n’avait réalisé aucun revenu déterminant au sens du droit de l’AVS.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 103/12 – 35/2013 – consultable ici)

Par jugement du 07.05.2013, admission du recours par le tribunal cantonal, renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

Il est admis en l’espèce que l’assuré est décédé des suites d’une maladie professionnelle causée par une exposition à des poussières d’amiante et qui s’est déclarée en janvier 2008.

Le droit à une rente de conjoint survivant (art. 29 LAA) en faveur de la veuve n’est pas contesté en tant que tel par l’assurance-accidents. Celle-ci se prévaut toutefois de l’absence d’un gain susceptible d’être pris en compte au titre de gain assuré en faisant valoir que le défunt était au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité à partir de 1994.

Les principaux risques pour la santé associés à l’exposition à l’amiante sont le développement de fibroses (asbestose, lésions pleurales) et de cancers (essentiellement carcinome bronchique et mésothéliome). Le risque de développement d’une maladie en raison d’une exposition à l’amiante dépend en particulier de l’intensité et de la durée d’exposition. Le temps de latence avant l’apparition de la maladie est important et peut s’étendre sur plusieurs décennies (cf. ATF 133 V 421 consid. 5.1 p. 426; cf. aussi ATF 140 II 7). Ce laps de temps n’a toutefois pas d’incidence sur le droit aux prestations de l’assurance-accidents – notamment la rente de conjoint survivant – qui sont dues indépendamment de l’existence d’un rapport d’assurance au moment où la maladie s’est déclarée. Ce qui importe, c’est que l’intéressé ait été assuré pendant la durée de l’exposition (Alfred Maurer, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, 2e éd. 1989, p. 219).

Conformément à l’art. 15 LAA, les rentes sont calculées d’après le gain assuré (al. 1). Est réputé gain assuré pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (al. 2). Le Conseil fédéral édicte des prescriptions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux, notamment en cas de maladie professionnelle (art. 15 al. 3 let. b LAA). A ce jour, le Conseil fédéral n’a toutefois pas fait usage de cette délégation de compétence (voir les art. 22 et 24 OLAA). En principe, et comme cela résulte de l’art. 9 al. 3 LAA précité, le gain assuré pour le calcul des rentes en cas de maladie professionnelle correspond au gain que l’assuré a obtenu dans l’année qui a précédé le déclenchement de la maladie professionnelle. Cette réglementation ne tient toutefois pas compte du fait que certaines maladies professionnelles ont, comme on l’a vu, un temps de latence très important; elles peuvent donc se déclarer bien après que l’assuré a atteint l’âge d’ouverture du droit à une rente de l’AVS, et, par conséquent, à une époque où il n’est depuis longtemps plus assuré contre les accidents et les maladies professionnelles.

Comme ni la LAA ni ses dispositions d’exécution ne règlent cette situation particulière, le Tribunal fédéral a comblé cette lacune par voie jurisprudentielle. Le gain assuré déterminant pour le montant d’une rente de survivant doit être calculé en fonction du salaire que le bénéficiaire d’une rente de vieillesse décédé – des suites d’une maladie professionnelle – a perçu en dernier lieu lorsqu’il était assuré conformément à la LAA. Ce gain est ensuite adapté à l’évolution nominale des salaires dans la branche professionnelle initiale jusqu’à l’âge donnant droit à une rente de vieillesse de l’AVS. La rente (fictive) de survivant ainsi obtenue doit encore être adaptée au renchérissement pour la période comprise entre la mise à la retraite du défunt et le moment de la naissance du droit à la rente de l’époux survivant (ATF 136 V 419; 135 V 279; voir aussi André Pierre Holzer, Der versicherte Verdienst in der obligatorischen Unfallversicherung, RSAS 2010 p. 201 ss, plus spécialement p. 228 sv.).

L’ATF 135 V 279 concernait un assuré né en 1929 qui avait travaillé comme salarié (et soumis à ce titre à l’assurance-accidents obligatoire) jusqu’en 1953. Il avait ensuite travaillé comme indépendant et n’avait donc plus de couverture d’assurance obligatoire. Il n’avait pas été assuré à titre facultatif. En 1994, il avait pris sa retraite. Il est décédé en 2005 des suites d’une infection pulmonaire découverte en février de la même année et causée par une exposition à l’amiante au cours de son activité salariée. Quant à l’ATF 136 V 419, il concernait un assuré né en 1935 qui avait travaillé de 1963 jusqu’en mai de l’année 2000 dans une entreprise où il avait été exposé à l’amiante. A partir de l’année 1996, il avait été mis à la retraite anticipée à 50 % pour raisons économiques. A l’occasion d’une visite médicale le 21 octobre 2002, un mésothéliome pleural avait été diagnostiqué et attribué à une exposition à l’amiante dans son activité professionnelle antérieure. Il était décédé le 4 janvier 2005.

Les règles jurisprudentielles susmentionnées, relatives au gain assuré, ont ensuite été appliquées dans un cas où comme en l’espèce l’assuré avait travaillé comme salarié (dans une activité exposée). Il avait ensuite été mis au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité jusqu’à l’âge de la retraite. Il était décédé (après sa retraite) des suites d’une maladie professionnelle liée à son activité salariée antérieure (arrêt 8C_689/2013 du 24 janvier 2014).

Il n’y a pas lieu de revenir sur cette jurisprudence.

C’est en vain que l’assurance-accidents soutient qu’elle n’est pas applicable dans des situations où l’assuré, en raison d’une invalidité totale, ne subissait aucune perte de gain avant d’avoir atteint l’âge ouvrant droit à une rente de vieillesse. La reconnaissance d’un droit à une rente de conjoint survivant, tout en le niant faute de gain assuré déterminant pour son calcul, créerait une incohérence dans le système.

Certes, le gain annuel déterminant pour le calcul des rentes de survivants pourrait se trouver réduit si le défunt, pour raison de santé, sans lien avec la maladie professionnelle, a exercé dans le passé une activité assurée à temps partiel seulement. Ses survivants seraient désavantagés par rapport à ceux d’une personne qui est devenue entièrement invalide dans les mêmes circonstances, mais après avoir exercé une activité salariée à plein temps. Compte tenu des taux d’activité respectifs, le gain assuré serait en effet plus élevé dans le second cas que dans le premier. L’assurance-accidents y voit une inégalité de traitement.

La différence critiquée découle toutefois du régime légal qui prescrit l’allocation de rentes de survivants même pour une affection qui se manifeste après une très longue période de latence, ainsi que du choix du législateur de fonder les rentes sur le dernier gain assuré. Renoncer, dans la présente constellation, à prendre en considération le gain assuré antérieur engendrerait une autre inégalité. Il n’y aurait aucun motif valable d’y renoncer dans ce cas mais non dans le cas d’un assuré qui a cessé son activité salariée avant l’âge de la retraite, pour exercer une activité indépendante (non assurée; situation de l’ATF 135 V 279) ou qui l’a abandonnée (ou simplement réduite) par pure convenance personnelle. Comme on l’a vu, le droit aux prestations en cas de maladie professionnelle n’est pas subordonné à la condition que l’assuré ait été obligatoirement assuré jusqu’à l’âge auquel il peut prétendre une rente de vieillesse. Peu importent en définitive les raisons pour lesquelles l’assuré n’a plus été assujetti à l’assurance postérieurement à la période d’exposition dans une activité salariée.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_443/2013 consultable ici

 

 

9C_321/2020 (d) du 02.07.2021, destiné à la publication – Prestations complémentaires – Demande de restitution aux héritiers du bénéficiaire délictueux – 25 LPGA / Escroquerie – Délai de prescription pénale plus long / 25 al. 2, 2e phrase, LPGA – 146 CP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_321/2020 (d) du 02.07.2021, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Prestations complémentaires – Demande de restitution aux héritiers du bénéficiaire délictueux / 25 LPGA

Escroquerie – Délai de prescription pénale plus long / 25 al. 2, 2e phrase, LPGA – 146 CP

 

C.A.__ a perçu des prestations complémentaires (y compris le remboursement des frais médicaux) de mars 2003 jusqu’à son décès survenu en avril 2016. Après son décès, le service des prestations complémentaires de l’institution cantonale d’assurances sociales a appris qu’il possédait un compte bancaire avec un solde de plus de 1,2 million de francs suisses. Les fils de l’assuré et ses seuls héritiers légaux, A.A.__ et B.A.__, ont accepté l’héritage.

Le service cantonal des prestations complémentaires a recalculé le droit de l’assuré aux prestations complémentaires pour la période de mars 2003 à avril 2016. Le 21.12.2016, le service cantonal des prestations complémentaires a réclamé à A.A.__ les indemnités pour frais de maladie et d’invalidité indûment perçues pour un montant de CHF 5’673.30 pour les années 2011 à 2015. Par décisions du 21.12.2016 (à A.A.__) et du 11.01.2017 (à B.A.__), l’administration a également exigé le remboursement des prestations complémentaires versées entre mars 2003 et avril 2016 pour un montant de CHF 132’838.00. Dans sa décision sur opposition du 27.09.2018, l’administration a rejeté l’opposition émise contre les décisions des 21.12.2016 et 11.01.2017.

 

Procédure cantonale

Le tribunal cantonal a constaté que le défunt a bénéficié de prestations complémentaires (y compris le remboursement de frais médicaux) de mars 2003 à avril 2016. Sur la base des extraits de compte de la banque X.__, il appert que C.A.__ disposait d’un avoir de plus d’un million de francs suisses en juin 2010, ce qui permet de supposer qu’il était déjà en possession de ces avoirs au moment de sa demande de prestations en 2003. Le service cantonal des prestations complémentaires n’a pris connaissance de ce solde créditeur qu’après le décès de la personne assurée.

La cour cantonale a considéré que, sur la base de ces faits nouvellement découverts, l’administration était en droit de revenir sur les décisions d’octroi des prestations complémentaires par le biais d’une révision procédurale.

En outre, le défunt avait obtenu des prestations d’assurance sociale de manière pénalement répréhensible en dissimulant ce compte durant toute la période de perception ; feu l’assuré s’est ainsi rendu coupable d’escroquerie au sens de l’art. 146 al. 1 CP par son comportement et aurait dû être puni en conséquence.

La cour cantonale a considéré que le délai de prescription relatif d’un an (art. 25 al. 2, 1e phrase, LPGA) avait été respecté en rendant les décisions de restitution des 21.12.2016 et 11.01.2017. En outre, il a appliqué – comme délai absolu – la prescription pénale de 15 ans à l’encontre des héritiers (art. 25 al. 2, 2e phrase, LPGA, en relation avec l’art. 146 al. 1 et 97 al. 1 lit. b CP), raison pour laquelle elle a jugé qu’était licite la restitution de toutes les prestations complémentaires perçues par le défunt dès mars 2003.

Par jugement du 30.03.2020, les recours contre les deux décisions du 27.09.2018 ont été rejetés par le tribunal cantonal.

 

TF

En vertu de l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision (procédurale) si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nou­veaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant (arrêt 8C_18/2013 du 23 avril 2013 consid. 3). Ces nouveaux faits ou preuves doivent être présentés dans les 90 jours qui suivent la découverte ; en outre, un délai absolu de dix ans s’applique, qui commence à courir après la notification de la décision (art. 67 al. 1 PA en lien avec l’art. 55 al. 1 LPGA ; ATF 140 V 514 consid. 3.3; arrêt 8C_434/2011 du 8 décembre 2011 consid. 3 et les références). Conformément à l’art. 67 al. 2 PA, après l’expiration d’un délai de dix ans à compter de l’ouverture de la décision, une demande de révision n’est recevable que sur la base de l’art. 66 al. 1 PA – révision d’une décision qui a été influencée par un crime ou un délit.

Les prestations indûment touchées doivent être restituées (art. 25 al. 1, 1e phrase, LPGA). Selon la jurisprudence, il faut pour cela que les conditions d’une révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA) ou d’une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA) de la décision initiale soient remplies (ATF 142 V 259 consid. 3.2 et les références). Le bénéficiaire des prestations allouées indûment ou ses héritiers sont soumis à l’obligation de restituer (art. 2 al. 1 let. a OPGA).

Le droit de demander la restitution s’éteint trois ans après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Si la créance naît d’un acte punissable pour lequel le droit pénal prévoit un délai de prescription plus long, celui-ci est déterminant (art. 25 al. 2 LPGA dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020). Il s’agit de délais (relatif et absolu) de péremption (ATF 133 V 579 consid. 4.1).

En cas d’infraction pénale, il convient d’appliquer le délai de prescription de l’action pénale (cf. ATF 138 V 74 consid. 5.2; arrêt 9C_388/2018 du 29 octobre 2018 consid. 4); en cas d’escroquerie, ce délai s’étend à 15 ans (art. 146 en relation avec l’art. 97 al. 1 lit. b CP). Le délai commence avec la commission de l’infraction (arrêt K 70/06 du 30 juillet 2007 consid. 6.6, non publié aux ATF 133 V 579, mais in SVR 2008 KV n° 4 p. 11).

Si des poursuites pénales ont été engagées et sont terminées (par un jugement ou une ordonnance de classement), l’autorité qui statue sur la demande de restitution est liée par cette décision de l’autorité pénale. En l’absence d’une telle décision, l’administration et, le cas échéant, le tribunal cantonal des assurances doivent toutefois décider eux-mêmes, à titre préliminaire, si la restitution découle d’une infraction pénale et si l’auteur est susceptible d’être poursuivi à ce titre. Les mêmes exigences de preuve qu’en procédure pénale s’appliquent, de sorte que le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante qui s’applique en droit des assurances sociales n’est pas suffisant (cf. ATF 128 I 81 consid. 2 ; 127 I 38 consid. 2a). Dans tous les cas, l’autorité qui invoque la prescription pénale doit produire des pièces du dossier qui prouvent suffisamment le comportement criminel. L’applicabilité du délai de prescription pénale plus long exige que les éléments objectifs et subjectifs de l’infraction soient réunis. Il est également nécessaire que l’acte criminel soit en lien de causalité naturelle et adéquate avec le dommage survenu (ATF 138 V 74 consid. 6.1 ; arrêt K 70/06 du 30 juillet 2007 consid. 6.2, non publié aux ATF 133 V 579, mais in SVR 2008 KV n° 4 p. 11).

Le cœur du litige est la question de savoir si le délai de prescription pénale plus long, au sens de l’art. 25 al. 2, 2e phrase, LPGA, est applicable aux héritiers du bénéficiaire délictueux.

Le Tribunal fédéral ne s’est pas encore prononcé sur cette question. En revanche, l’application de la prescription pénale plus longue a été confirmée pour l’action en restitution à l’encontre d’une personne morale dont les organes ont commis l’infraction pénale (arrêt K 70/06 du 30 juillet 2007 consid. 6.2, non publié aux ATF 133 V 579, mais in SVR 2008 KV n° 4 p. 11; de même, dans l’arrêt 2C_414/2013 du 2 février 2014 concernant le paiement ultérieur de droits de douane, la jurisprudence a été confirmée selon laquelle la prescription en vertu de l’art. 12 al. 4 DPA [loi fédérale sur le droit pénal administratif] s’applique à toutes les personnes tenues à l’exécution et à la restitution, y compris celles qui n’ont pas commis l’infraction [consid. 6.1 et les références] et selon lequel l’art. 60 al. 2 CO ne s’applique pas [consid. 6.4.1] ; en ce qui concerne l’art. 60 al. 2 CO [dans la version valable jusqu’à fin décembre 2019], le délai de prescription plus long du droit pénal a été appliqué à la responsabilité des organes [ATF 111 II 429 consid. 2d ; 112 II 172 consid. II/2c] ainsi qu’à la responsabilité de l’assureur obligatoire de la responsabilité civile du propriétaire du véhicule à moteur [article 65 LCR ; ATF 112 II 79 consid. 3 ; 137 III 481 consid. 2.3], mais pas au chef de famille [art. 333 CC] ni à l’employeur [responsabilité de l’employeur pour des auxiliaires] [art. 55 CO ; ATF 122 III 225 consid. 5 ; 133 III 6 consid. 5.1] ; cette question a été expressément laissée ouverte en ce qui concerne la responsabilité des héritiers [ATF 90 II 428 consid. 4 ; 107 II 151 consid. 4b ; mais cf. l’obiter dictum dans ATF 122 III 195 consid. 9c]).

Dans la mesure où les recourants se réfèrent ensuite à la jurisprudence antérieure du Tribunal fédéral relative à l’art. 25 al. 2, 2e phrase, LPGA (cf. ATF 138 V 74 consid. 6.1 ; arrêt K 70/06 du 30 juillet 2007 consid. 6.2, non publié aux ATF 133 V 579, mais in SVR 2008 KV n° 4 p. 11 ; cf. également arrêt 9C_340/2020 du 29 mars 2021 consid. 2.2), on ne peut pas tirer la conclusion, sur la base du fait que dans chaque cas, la seule personne visée était la personne tenue à restitution (ou ses organes) qui a commis l’infraction pénale, que le délai plus long du droit pénal n’est pas applicable aux héritiers.

Selon l’art. 2 al. 1 lit. a OPGA, non seulement le bénéficiaire des prestations allouées indûment est tenu à la restitution, mais également ses héritiers, ce qui peut être facilement justifié sur la base de l’art. 560 CC (cf. JOHANNA DORMANN, in : Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, n. 33 ad Art. 25 ATSG). Il faut donc partir du principe de l’universalité de la succession, selon le droit successoral. Les héritiers acquièrent l’ensemble de la succession au décès du défunt par l’effet de la loi (art. 560 al. 1 CC) ; sous réserve des exceptions prévues par la loi, les biens et les créances passent aux héritiers et les dettes du défunt deviennent les dettes personnelles des héritiers au décès du défunt (art. 560 al. 2 CC). Les héritiers deviennent les successeurs universels du défunt, le transfert s’effectuant de la même manière que les droits et obligations existaient avec le défunt. En principe, les droits qui sont transférés ne sont pas modifiés par la succession (WOLF/GENNA, Erbrecht, in : Schweizerisches Privatrecht, vol. IV/1, 2012, p. 25).

En revanche, les droits et obligations hautement personnels et indissociablement liés à la personne du défunt ne sont pas transmis aux héritiers (sur les droits et obligations hautement personnels non héritables en droit public, voir HANS MICHAEL RIEMER, Vererblichkeit und Unvererblichkeit von Rechten und Pflichten im Privatrecht und im öffentlichen Recht, in : recht 1/2006 p. 26 ss, p. 30 ss). Les amendes prévues par le droit pénal (ATF 116 IV 4 consid. 3a ; ATF 134 III 59 consid. 2.3.2) ont un caractère strictement personnel. Ainsi, dans le domaine du droit fiscal, les amendes pour évasion sont non transférables et non héritables (cf. arrêt 2C_689/2019 du 15 août 2019 E. 2.2.2), alors que les arriérés d’impôts, qui selon la jurisprudence ne constituent pas une sanction pénale (cf. arrêt 2A.480/2005 du 23 février 2006 E. 2.2 avec références), sont héritables.

Selon le libellé de l’art. 25 al. 2, 2e phrase, le délai de prescription plus long du droit pénal est applicable si la demande de restitution «naît d’un acte punissable» (« aus einer strafbaren Handlung hergeleitet » ; « deriva da un atto punibile »). Il ne peut être déduit de cette disposition que l’acte punissable doit avoir été commis par la personne tenue à la restitution elle-même. Le libellé de l’art. 25 al. 2, 2e phrase, LPGA n’exclut donc pas l’applicabilité du délai pénal plus long aux héritiers du bénéficiaire incriminé.

La disposition de l’art. 25 LPGA sert à faire respecter le principe de légalité (ATF 142 V 259 consid. 3.2.2 et la référence à THOMAS LOCHER/THOMAS GÄCHTER, Grundriss des Sozialversicherungsrechts, 4. Aufl. 2014, § 43 Rz. 3). Le but de l’obligation de restituer est de rétablir l’ordre juridique (ATF 122 V 221 consid. 6c; UELI KIESER, ATSG-Kommentar, 4. Aufl. 2020, N. 10 ad Art. 25 ATSG; DORMANN, op. cit., N. 13 ad Art. 25 ATSG). Cet objectif est toutefois limité par la péremption de la créance de restitution, la raison juridique résidant dans les intérêts publics que sont la sécurité et la clarté du droit et la paix juridique (ATF 136 II 187 consid. 7.4 et les références à ANDRÉ PIERRE HOLZER, Verjährung und Verwirkung der Leistungsansprüche im Sozialversicherungsrecht, 2005, p. 12 ss und 34 ss et ATTILIO GADOLA, Verjährung und Verwirkung im öffentlichen Recht, AJP 1995 p. 48).

La situation n’est pas différente dans la mesure où la période plus longue du droit pénal s’applique à la restitution plutôt que la prescription ordinaire de cinq ans. La restitution, dans la mesure où elle dépasse le délai de cinq ans, ne constitue pas une sanction punitive comparable (par exemple) à une amende fiscale, qui aurait un caractère strictement personnel. Au contraire, le principe de légalité doit être appliqué à cet égard également, avec la prolongation du délai de prescription (ou, dans le cas d’espèce, de péremption) qui ne devrait intervenir que plus tard en cas d’acte délictuel. Ainsi, l’idée de rétablir l’ordre juridique s’applique ici aussi, le délai de droit pénal selon l’art. 25 al. 2, 2e phrase, LPGA servant en même à l’harmonisation avec d’autres dispositions légales.

D’une part, le but de ce délai est d’harmoniser les dispositions de la sécurité sociale et du droit pénal en matière de prescription. Il faut éviter que la créance au titre du droit des assurances sociales soit éteinte avant l’expiration du délai de prescription de la poursuite pénale, car il serait insatisfaisant que l’auteur de l’infraction puisse encore être puni mais que la restitution des prestations indûment perçues ne puisse plus être exigée (ATF 138 V 74 consid. 5.2).

D’autre part, l’art. 25 al. 2, 2e phrase, LPGA conduit également à un rapprochement/une harmonisation avec la révision procédurale selon l’art. 53 al. 1 LPGA. La révision implique un réexamen matériel sans restriction, une correction rétroactive (ex tunc) étant également possible (ATF 129 V 211 consid. 3.2.2; Urteil 8C_365/2019 du 25 septembre 2019 consid. 3.1). Dans ce contexte, le délai de dix ans applicable (en principe) à la révision procédurale selon l’art. 67 al. 1 PA ne s’applique pas si la décision à réviser – comme en l’espèce – a été influencée par un crime ou un délit. Cette circonstance est prise en compte avec le délai – plus long – prévu par le droit pénal à l’art. 25 al. 2, 2e phrase, LPGA.

A l’aune de ce qui précède, l’art. 25 al. 2, 2e phrase, LPGA est applicable aux héritiers du bénéficiaire de prestations indûment perçues. Cette disposition n’a pas le caractère d’une sanction, ce qui prive le grief d’une violation des articles 6 et 7 CEDH. La question de savoir s’il existe un grief suffisamment étayé à cet égard (cf. art. 106 al. 2 LTF ; ATF 136 I 49 consid. 1.4.1) semble douteuse, et peut finalement être laissée ouverte.

La cour cantonale n’a ainsi pas violé le droit fédéral lorsqu’elle a confirmé la restitution des prestations complémentaires perçues à partir de mars 2003.

 

Le TF rejette le recours des héritiers.

 

 

Arrêt 9C_321/2020 consultable ici

Proposition de citation : 9C_321/2020 (d) du 02.07.2021 – Prestations complémentaires – Demande de restitution aux héritiers du bénéficiaire délictueux, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/09/9c_321-2020/)

 

9C_629/2020 (f) du 06.07.2021 – Refus d’entrer en matière sur une nouvelle demande AI – Plausibilité d’une aggravation de l’état de santé / Un changement de jurisprudence ne constitue pas un motif suffisant pour entrer en matière sur une nouvelle demande

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_629/2020 (f) du 06.07.2021

 

Consultable ici

 

Refus d’entrer en matière sur une nouvelle demande AI – Plausibilité d’une aggravation de l’état de santé / 17 LPGA – 87 al. 2 et 3 RAI

Un changement de jurisprudence ne constitue pas un motif suffisant pour entrer en matière sur une nouvelle demande

 

Assuré, né en 1983, a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité au mois de décembre 2009. Après avoir accordé à l’assuré différentes mesures d’intervention précoce et de réadaptation, l’office AI a nié son droit à une rente d’invalidité par décision du 01.03.2013 (taux d’invalidité de 18%).

Par la suite, l’assuré a présenté une nouvelle demande de prestations en avril 2013 que l’office AI a rejetée au terme de l’instruction, par décision du 25.11.2016. En bref, l’administration a considéré, en se fondant notamment sur une expertise d’un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (rapport du 14.07.2016), que l’assuré présentait une toxicomanie primaire et que la situation était inchangée depuis la décision du 01.03.2013, le taux d’invalidité étant toujours de 18%.

En juin 2017, l’assuré a déposé une troisième demande de prestations. L’office AI a refusé d’entrer en matière sur cette demande, considérant que l’assuré n’avait pas rendu plausible une aggravation de son état de santé (décision du 02.03.2018).

 

 

Procédure cantonale

Par jugement du 29.06.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Plausibilité d’une aggravation de l’état de santé

On ne saurait reprocher aux juges cantonaux d’avoir examiné la plausibilité d’une aggravation de son état de santé propre à influencer ses droits en fonction de la situation prévalant à partir du 25.11.2016, et non depuis le 01.03.2013. La décision du 25.11.2016 est en effet la dernière décision entrée en force reposant sur un examen matériel du droit à la rente. Elle constitue donc le point de départ temporel pour examiner si l’assuré a rendu plausible une modification déterminante des faits influant sur le droit aux prestations en cas de nouvelle demande de prestations (ATF 133 V 108 consid. 5; 130 V 71 consid. 3).

Si l’assuré entendait contester les évaluations médicales sur lesquelles l’office AI s’était alors fondé pour rendre sa décision du 25.11.2016, il lui eût appartenu de faire valoir ses griefs en interjetant un recours dans les délais. A défaut, et compte tenu de la force de chose décidée du prononcé du 25.11.2016, les constatations de la juridiction cantonale, selon lesquelles l’office AI avait retenu l’absence de diagnostic psychiatrique incapacitant à cette époque lient le Tribunal fédéral.

Dans un litige portant sur le bien-fondé du refus d’entrer en matière sur une nouvelle demande, le juge doit examiner la situation d’après l’état de fait tel qu’il se présentait à l’administration au moment où celle-ci a statué, en l’espèce, le 02.03.2018, après avoir dûment laissé à l’assuré un délai pour compléter sa demande. Son examen est ainsi d’emblée limité au point de savoir si les pièces déposées en procédure administrative justifiaient ou non l’entrée en matière sur la nouvelle demande, sans prendre en considération les documents médicaux déposés ultérieurement à la décision administrative, notamment au cours de la procédure cantonale de recours (cf. ATF 130 V 64 consid. 5.2.5; arrêt 9C_959/2011 du 6 août 2012 consid. 1.3 et 4.3).

L’hospitalisation de l’assuré du 24.03.2017 au 05.04.2017 ne suffit ensuite pas pour rendre plausible une aggravation de son état de santé depuis novembre 2016. En effet, les diagnostics de schizophrénie sans précision (F20.9) et de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de sédatifs ou d’hypnotiques, syndrome de dépendance (F13.2), retenus lors de l’hospitalisation survenue au printemps 2017 avaient déjà été posés dans le cadre d’une précédente hospitalisation dans cet établissement, soit antérieurement à la décision du 25.11.2016 qui a acquis force de chose jugée. Quoi qu’en dise l’assuré, ces diagnostics avaient alors été discutés et exclus de manière motivée par le médecin au Service médical régional de l’AI (SMR), qui avait expliqué, pour nier le diagnostic de schizophrénie, que les symptômes psychotiques présentés par l’intéressé étaient induits par la consommation abusive de substances psychoactives et qu’ils s’étaient résorbés après un régime de substitution sous surveillance médicale (avis du 16.11.2016).

 

Changement de jurisprudence concernant le caractère invalidant des syndromes de dépendance

L’assuré reproche à la juridiction cantonale d’avoir violé le droit en refusant d’appliquer la nouvelle jurisprudence concernant le caractère invalidant des syndromes de dépendance (ATF 145 V 215) et de mettre en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique satisfaisant aux exigences de la grille d’évaluation normative et structurée (selon l’ATF 141 V 281). Il fait en substance valoir que ce changement de jurisprudence constituerait un motif de révision (dite procédurale) de la décision du 25.11.2016 (au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA).

 

Le grief de l’assuré est mal fondé. Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a en effet jugé que le changement de jurisprudence selon l’ATF 145 V 215 ne constitue pas un motif suffisant pour déroger au principe selon lequel il n’y a pas à adapter une décision administrative entrée en force à une modification de jurisprudence ni à entrer en matière sur une nouvelle demande (arrêt 9C_132/2020 du 7 juin 2021 consid. 6 destiné à la publication; sur les motifs qui ont guidé le Tribunal fédéral, cf. arrêt précité, consid. 5). Dans ces circonstances, les griefs de l’assuré en relation avec le refus des juges cantonaux de mettre en œuvre de nouveaux moyens de preuve, notamment sous la forme d’une expertise psychiatrique en milieu stationnaire, tombent à faux.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_629/2020 consultable ici

 

 

8C_301/2021 (d) du 23.06.2021 – Rappel de la notion de stabilisation de l’état de santé – Clôture du cas – 19 al. 1 LAA / Revenu d’invalide – Pas d’abattement sur le salaire statistique pour les limitations fonctionnelles (bras/épaule) ni en raison du permis de séjour B – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_301/2021 (d) du 23.06.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Rappel de la notion de stabilisation de l’état de santé – Clôture du cas / 19 al. 1 LAA

Revenu d’invalide – Pas d’abattement sur le salaire statistique pour les limitations fonctionnelles (bras/épaule) ni en raison du permis de séjour B / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1979, était au bénéfice de l’assurance chômage lorsque, le 23.07.2017, il a glissé dans un escalier et est tombé sur l’épaule gauche et la tête. Il a subi un TCC léger et une lésion acromio-claviculaire de type Rockwood III.

Sur la base du rapport de l’examen de son médecin-conseil du 13.06.2019, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle mettrait fin à la prise en charge du traitement médical au 31.07.2019 et que l’indemnité journalière serait versée jusqu’au 30.09.2019. Par décision du 01.07.2019, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, le taux d’invalidité étant de 8%, et lui a octroyé une IPAI de 15%.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2020.00087 – consultable ici)

Par jugement du 27.08.2015, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Stabilisation de l’état de santé – Clôture du cas – 19 al. 1 LAA

Selon la loi et la jurisprudence, l’assureur-accidents doit clôturer le dossier (avec suppression droit au traitement médical et aux indemnités journalières et avec examen du droit à une rente d’invalidité et à une IPAI) s’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme. (art. 19 al. 1 LAA; ATF 144 V 354 consid. 4.1; 134 V 109 consid. 4).

L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » à l’art. 19 al. 1 LAA indique donc clairement que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical (approprié) doit être significative (ATF 134 V 109 consid. 4.3). Des améliorations mineures ne sont pas suffisantes. Cette question doit être appréciée de manière prospective (RAMA 2005 n° U 557 p. 388, U 244/04 consid. 3.1 ; cf. également arrêt 8C_102/2021 du 26 mars 2021 consid. 6.1 et les références).

Dans le rapport du 26.06.2019 sur lequel se réfère l’assuré, les deux spécialistes en rhumatologie ont justifié la demande de prise en charge d’un traitement multimodal de la douleur. Contrairement à l’avis de l’assuré plaignant, ce n’est pas l’atteinte à la capacité de travail qui était indiquée au premier plan, mais celle de la qualité de vie. Le médecin-conseil ayant également supposé une possible amélioration de la qualité de vie, l’avis des rhumatologues et l’appréciation du médecin-conseil ne sont donc pas contradictoires. En outre, le médecin-conseil a indiqué dans son appréciation du 14.06.2019 que la stabilisation de l’état de santé avait été atteint indépendamment de la mise en œuvre d’une thérapie de la douleur, dans la mesure où la situation ne s’était pas améliorée depuis le dernier examen du médecin-conseil du 07.03.2018.

Le grief de l’assuré selon lequel les deux rhumatologues ont exprimé des doutes sur les déclarations du médecin-conseil n’est pas fondée. L’expérience a montré que les médecins traitants sont parfois plus enclins, en cas de doute, à témoigner en faveur de leurs patients, en raison de la position de confiance découlant du mandat thérapeutique (ATF 135 V 465 consid. 4.5; arrêt 8C_744/2020 du 8 mars 2021 consid. 4.2 et les références). Cela vaut aussi bien pour le médecin généraliste que pour le médecin spécialiste traitant et plus encore pour le médecin spécialiste de la douleur en raison du lien de confiance particulier et l’obligation de prendre en charge de manière inconditionnelle la douleur dont se plaint le patient (arrêt 9C_337/2017 du 27 octobre 2017 consid. 3.3.6 et les références).

 

Revenu d’invalide – Abattement sur le salaire statistique

L’assuré s’est plaint à ses médecins d’une hyposensibilité de tout le bras gauche et une diminution de la force avec l’incapacité de soulever des objets de plus de 3 kg. La cour cantonale a qualifié à juste titre ces plaintes de simple auto-évaluation. Cette limitation du port maximal de charges de 3 kg avec le bras gauche n’est donc pas établie.

Le fait que l’on ne puisse raisonnablement exiger de l’assuré que des travaux légers ne justifie pas un abattement en raison des limitations liées au handicap, d’autant plus que les salaires statistiques de niveau de qualification 1de l’ESS comprennent déjà un grand nombre de travaux légers et moyennement lourds (arrêt 8C_151/2020 du 15 juillet 2020 consid. 6.2 et les références).

Le fait que l’assuré soit titulaire d’un permis B n’est pas pertinent. Les hommes titulaires d’un permis de séjour C sans fonction de cadre gagnent moins que les Suisses (ESS 2016, tableau TA12), mais plus que la valeur centrale utilisée pour l’évaluation de l’invalidité (ESS 2016, tableau TA1; cf. arrêt 9C_702/2020 du 01.02.2021 consid. 6.3.2 et les références).

Dans la mesure où ils sont applicables, les critères ne justifient pas non plus une déduction globale.

C’est ainsi à juste titre que la cour cantonale inférieure n’a pas accordé d’abattement.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_301/2021 consultable ici

Proposition de citation : 8C_301/2021 (d) du 23.06.2021 – Notion de stabilisation de l’état de santé – Revenu d’invalide, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/09/8c_301-2021)

 

9C_448/2020 (f) du 01.07.2021 – Assurance-invalidité – Statut de l’assurée (ménagère, mixte, personne active) – Communauté des gens du voyage / Absence d’indices concrets attestant l’existence d’un revenu mais statut mixte retenu par le TF

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_448/2020 (f) du 01.07.2021

 

Consultable ici

 

Statut de l’assurée (ménagère, mixte, personne active) – Communauté des gens du voyage / 28a LAI – 27bis RAI

Absence d’indices concrets attestant l’existence d’un revenu mais statut mixte retenu par le TF

 

Assurée, née en 1971, a déposé une demande de prestations AI le 20.07.2017, en arguant souffrir de différents troubles somatiques et psychiques. Elle indiquait en outre appartenir à la communauté des gens du voyage et être femme au foyer.

Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a recueilli l’avis des médecins traitants. Le médecin du Service médical régional de l’office AI (SMR) a déduit de ces avis que l’assurée présentait essentiellement un trouble dépressif récurrent (épisode moyen), ainsi que des cervico-brachialgies et des lombosciatalgies permettant l’exercice d’une activité adaptée à mi-temps dès le 01.01.2017. L’administration a aussi réalisé une enquête ménagère, qui a mis en évidence un taux d’empêchement dans l’accomplissement des travaux domestiques de 10%.

Considérant que l’assurée consacrait l’entier de son temps aux tâches ménagères, l’office AI a rejeté sa demande de prestations sur la base du rapport d’enquête à domicile.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/432/2020 – consultable ici)

Examinant la question du statut de l’assurée, le tribunal cantonal a constaté qu’elle n’avait fait l’objet d’aucune investigation de la part de l’office AI, hormis la production d’une note succincte (indiquant que l’assurée n’avait jamais travaillé en Suisse), ainsi que de l’extrait du compte individuel AVS (mentionnant des cotisations en tant que personne sans activité lucrative).

La juridiction cantonale a toutefois considéré que le dossier permettait de conclure au degré de la vraisemblance prépondérante à un statut de personne active. Elle a relevé à cet égard que les travaux de vannerie et d’aiguisage ainsi que le porte à porte évoqués dans le rapport d’enquête économique sur le ménage ressortaient également des déclarations faites par l’assurée lors de l’audience de comparution personnelle des parties et étaient corroborées par la carte de légitimation pour commerçants itinérants produite en cours d’instance. Elle a en outre constaté que les médecins traitants avaient indiqué que leur patiente faisait du porte à porte ou avait toujours travaillé dans le cadre de sa communauté. Elle a considéré que le fait que l’assurée se qualifiait elle-même de femme au foyer dans sa demande de prestations n’était pas déterminant dans la mesure où les activités professionnelles pratiquées par celle-ci étaient parfois assimilées à des activités ménagères. Elle a ajouté que l’exercice d’une activité lucrative était d’autant plus plausible que, selon la jurisprudence (ATF 138 I 205), les gens du voyage travaillaient traditionnellement dans les domaines de la récupération, du commerce forain et de l’artisanat ambulant.

Considérant que l’assurée avait le statut d’une personne active à 100%, les juges cantonaux lui ont reconnu le droit à une demi-rente d’invalidité à partir du 01.01.2018 dès lors qu’elle disposait d’une capacité résiduelle de travail de 50% dans toute activité adaptée, y compris l’activité habituelle.

Par jugement du 02.06.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une demi-rente d’invalidité à partir du 01.01.2018.

 

TF

Il ressort des éléments de fait constatés par le tribunal cantonal que les déclarations de l’assurée à propos de ses activités ont évolué au cours du temps. Dans sa demande de prestations, l’assurée a d’abord indiqué sous la rubrique « 5.5 Activités non lucratives » être femme au foyer depuis 1994 et sous la rubrique « 5.4 Personnes exerçant une activité lucrative ou accessoire » appartenir à la communauté des gens du voyage sans en retirer des revenus. Elle a en outre annoncé sous la rubrique « 4.1 Domicile et activité lucrative » n’avoir jamais travaillé avant son arrivée en Suisse à l’époque de son mariage, célébré le 12.06.1998. Par la suite, elle a signalé au médecin-traitant qu’elle était femme au foyer et faisait du porte à porte, au psychiatre-traitant qu’elle avait toujours travaillé dans le cadre de sa communauté et à l’enquêtrice de l’administration qu’elle n’avait jamais eu d’activité lucrative mais qu’elle avait effectué des travaux de vannerie, d’aiguisage et du porte à porte pour un revenu allant de 120 à 150 fr. par jour. Plus tard encore, lors de l’audience de comparution personnelle des parties, elle a réaffirmé n’avoir jamais travaillé à l’étranger ou en Suisse en tant que salariée mais avoir fait du porte à porte afin d’aiguiser des couteaux et de vendre des paniers et des balais pour un revenu quotidien allant de 50 à 400 fr.

Ces déclarations successives sont ambiguës. Dans un premier temps, l’assurée semble affirmer se consacrer exclusivement à l’entretien de son ménage mais, dans un second temps, revenir sur son affirmation en prétendant avoir toujours exercé des activités pour un revenu dont le montant, approximatif, a évolué au fil de ses déclarations.

Quoi qu’il en soit, ces déclarations ne permettent pas à elles seules de trancher la question du statut de l’assurée dans le sens retenu par la juridiction cantonale dans son arrêt du 02.06.2020 (statut de personne active à 100%) ou celui retenu par l’office AI dans sa décision (statut de ménagère à 100%). On ne saurait toutefois affirmer que les premières déclarations de l’assurée (interprétées dans le sens où elle se consacrerait exclusivement à l’accomplissement de tâches ménagères) représentent une version plus exacte des faits – exempte de réflexions concernant leurs possibles conséquences juridiques (au sujet des déclarations de la première heure, cf. ATF 121 V 45 consid. 2a) – que les secondes (interprétées dans le sens où elle se consacrerait également à l’exercice d’une activité lucrative). En effet, ces deux versions ont été énoncées avant le prononcé du projet de décision du 08.01.2019, qui correspond concrètement au moment où le statut de ménagère à 100% a été fixé et où les conséquences de ce statut sur le droit aux prestations ont été communiquées à l’assurée.

Ces déclarations rendent en revanche plus vraisemblable l’existence d’une personne qui consacre son temps à des travaux ménagers et exerce aussi une activité à caractère lucratif, ce que corrobore le fait que, dans son recours contre la décision administrative litigieuse, l’assurée revendiquait l’application de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité. De plus, l’assurée a produit en procédure cantonale une carte de légitimation pour commerçants itinérants valable du 02.08.2016 au 01.08.2017 délivrée par le Service du commerce de la République et canton de Genève. Contrairement à ce que suggère l’office AI, cette carte de légitimation rend vraisemblable l’exercice des activités décrites par l’assurée durant l’année pour laquelle elle a été délivrée, même si elle ne permet pas de déterminer le taux auquel ces activités ont été exercées.

On ne saurait en revanche suivre les juges cantonaux en ce qui concerne le statut de personne active à 100%, qu’ils ont retenu de manière arbitraire en se fondant sur les seules déclarations de l’assurée et de son mari lors de leur audition en instance cantonale. Ceux-ci ont indiqué que l’assurée avait travaillé « tous les jours » depuis 2010 et qu' »il s’agissait d’un travail sur toute la journée » qu’elle aurait continué à effectuer sans atteinte à la santé. Ces propos entrent cependant en contradiction avec les déclarations antérieures de l’assurée qui, jusque-là, avait mentionné l’activité au sein de sa communauté accessoirement à celle de femme au foyer, que ce soit au moment où elle a présenté sa demande de prestations, sans indiquer obtenir de revenu, ou au moment de s’entretenir avec l’enquêtrice, lorsqu’elle a mentionné effectuer un travail pour la communauté gitane tout en décrivant les tâches ménagères dont elle s’occupait avant l’atteinte à la santé.

Il reste à déterminer le taux auquel les travaux de vannerie et d’aiguisage ont été pratiqués. La carte de légitimation produite en instance cantonale ne fournit aucun renseignement à cet égard. On ne peut pas davantage inférer la répartition entre activités ménagères et activités lucratives des déclarations de l’assurée ou de son mari, selon lesquelles celle-ci avait travaillé tous les jours depuis 2010 et réalisé un revenu de 120 à 150 fr. ou de 50 à 400 fr. par jour. Outre le fait que ces déclarations sont contradictoires en ce qui concerne les montants indiqués à titre de revenus, elles ne sont corroborées par aucune inscription au compte individuel AVS de l’assurée. Depuis 1998, celle-ci est inscrite à titre de personne sans activité lucrative, aucun changement n’ayant manifestement été annoncé à partir de l’année 2010. Or, s’il peut être tenu compte en matière d’assurances sociales de revenus provenant d’activités aussi bien licites qu’illicites, en particulier d’un « travail au noir » (cf. p. ex. arrêts 8C_676/2007 du 11 mars 2008 consid. 3.3.4; I 402/91 du 3 juin 1992 consid. 3b et les références), encore faut-il que des indices concrets en attestent l’existence. Tel n’est pas le cas en l’occurrence. L’assurée n’a pas fourni le moindre élément objectif, comme des pièces comptables, de simples quittances de paiement ou même des décisions de taxation fiscale, susceptible de confirmer ses déclarations. Il est par ailleurs inutile d’en faire demander la production dès lors que pour prouver l’exercice de l’activité lucrative, elle s’est limitée en instance cantonale à fournir la décision du Service du commerce genevois du 28 juillet 2016, et que le mari de l’assurée a admis qu’il « [était] difficile [pour le couple] d’être en règle avec les affaires administratives ».

Une instruction complémentaire à cet égard est d’autant moins nécessaire que l’application au cas particulier de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, au sens de l’art. 27bis RAI, ne permettrait de toute évidence pas d’ouvrir le droit de l’assurée à une rente. En effet, compte tenu du taux d’empêchement dans l’accomplissement des activités habituelles, qui a été fixé à 10% à l’occasion de l’enquête économique sur le ménage, dont la valeur probante n’a pas été contestée en instance fédérale, et du taux d’incapacité de travail de 50%, il faudrait que l’assurée soit considérée comme une personne active à 75% au minimum pour qu’elle ait droit à un quart de rente d’invalidité (une capacité résiduelle de travail de 50% dans l’activité habituelle engendre une perte de gain et un taux d’invalidité de 37,5% pour une personne active à 75% et un taux d’empêchement de 10% pour une ménagère à 25% entraîne un taux d’invalidité de 2,5%, de sorte que les deux taux cumulés donnent un taux global d’invalidité de 40%). Or, ainsi que le soutient l’OFAS, il est vraisemblable que l’assurée a travaillé avec un taux d’occupation peu élevé – en tout cas inférieur à 75% – si on tient compte de la description de ses activités ménagères avant l’atteinte à la santé lors de l’enquête à domicile et du fait qu’elle n’a jamais jugé utile de déclarer les revenus de son activité lucrative à la caisse de compensation AVS.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_448/2020 consultable ici

 

 

8C_368/2021 (d) du 22.07.2021 – Revenu sans invalidité selon l’ESS – Prise en compte de l’évolution de la carrière (comme invalide) / Revenu d’invalide – Rappel de la notion du marché équilibré de l’emploi et de l’exigibilité – Capacité de travail et de gain exigible

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_368/2021 (d) du 22.07.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Revenu sans invalidité – Méthode de la comparaison des revenus vs méthode extraordinaire / 16 LPGA

Détermination du revenu sans invalidité selon l’ESS – Prise en compte de l’évolution de la carrière (comme invalide) pour fixer le revenu sans invalidité

Revenu d’invalide – Rappel de la notion du marché équilibré de l’emploi et de l’exigibilité – Capacité de travail et de gain exigible

Niveau de compétences 2

 

Assurée, née en 1963, serveuse dans le restaurant d’un hôtel depuis novembre 1983 (salaire mensuel de CHF 2’150). A la suite d’une chute, le 09.04.1986, elle subit une fracture trimalléolaire de la cheville droite.

Par décision du 24.04.1989, l’assurance-accidents a octroyé une IPAI de 30% ainsi qu’une invalidité en capital (pour l’invalidité) d’un montant de CHF 10’724. Divers frais médicaux ont, par la suite, été pris en charge (remboursement des frais de traitement médical, adaptation de chaussures orthopédiques).

Depuis décembre 2004, l’assurée est associée gérante, avec signature individuelle, pour l’entreprise en nom collectif Hôtel B.__.

Le 24.06.2018, l’assurée a annoncé des séquelles tardives de l’accident du 09.04.2018. L’assurance-accidents a pris en charge le traitement médical et payé des indemnités journalières.

De l’avis du 03.06.2020 du médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, aucune amélioration significative de l’état de santé de l’assurée ne pouvait être attendue d’un traitement médical supplémentaire. L’incapacité de travail dans l’activité habituelle était de 70% ; dans une activité adaptée à l’état de santé, la capacité de travail était pleine et entière.

Par décision du 01.07.2020, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis au versement de ces prestations, nié le droit à une rente d’invalidité (taux d’invalidité de 2%) et octroyé une IPAI de CHF 13’920.

 

Procédure cantonale

Le tribunal cantonal n’a pas indexé le dernier salaire perçu avant l’accident du 09.04.1986, en raison du changement professionnel de décembre 2004. Comme elle occupait donc une position professionnelle plus élevée qu’au moment de l’accident, l’activité professionnelle initiale comme serveuse ne pouvait plus servir de base pour le revenu sans invalidité. En raison de cette amélioration de sa situation professionnelle, il fallait présumer que, même sans l’accident, il en aurait été de même. Par conséquent, dans le cas le plus favorable pour l’assurée, le revenu sans invalidité a été déterminé sur la base de l’ESS 2018, branches 55-56 « Hébergement et restauration », niveau de compétences 4 (tâches qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé). Après correction de l’horaire hebdomadaire et de l’évolution des salaires jusqu’en 2019, le revenu sans invalidité a été fixé à CHF 65’651.90.

S’agissant du revenu d’invalide, le tribunal cantonal a constaté qu’il fallait tenir compte du fait que l’assurée pouvait s’appuyer sur l’expérience de son activité habituelle et qu’elle avait acquis au fil des ans des compétences et des connaissances particulières qui pouvaient être utilement utilisées dans les activités qu’on pouvait raisonnablement exiger d’elle. Le revenu d’invalide (CHF 61’291.10) a ainsi été fixé sur la base de l’ESS, ligne Total, niveau de compétences 2. Un abattement sur le revenu statistique n’a pas été retenu.

La comparaison des revenus sans invalidité et d’invalide fait apparaître un taux d’invalidité de 7%, excluant le droit à la rente d’invalidité.

Par jugement du 17.03.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Revenu sans invalidité – Méthode de la comparaison des revenus vs méthode extraordinaire

L’assurée estime que l’activité d’associée d’une société en nom collectif et gérante d’un hôtel s’apparente à un travail comme indépendant. Les conditions dans l’industrie hôtelière étant instables et fluctuantes, il aurait été approprié de déterminer le degré d’invalidité sur la base d’une comparaison des activités.

Selon le TF (consid. 7.2) :

Dans la mesure du possible, le taux d’invalidité doit être déterminé selon la méthode générale de comparaison des revenus (art. 16 LPGA). En règle générale, il faut déterminer aussi précisément que possible les revenus sans invalidité et d’invalide et les comparer entre eux, le taux d’invalidité étant calculé à partir de la différence des revenus. Si le revenu sans invalidité ne peut être déterminé et chiffré de manière exacte, il est estimé selon les circonstances connues et des valeurs approximatives sont comparées entre elles. Conformément à la méthode spécifique relative aux personnes sans activité lucrative (art. 27 RAI), il convient de procéder à une comparaison des activités et déterminer le degré d’invalidité sur la base des effets de la capacité de gain réduite dans la situation professionnelle spécifique (méthode extraordinaire ; ATF 128 V 29 consid. 1; arrêt 8C_228/2020 du 28.05.2020 consid. 4.1.1 et les références).

Les circonstances exceptionnelles permettant d’appliquer la méthode extraordinaire ne sont pas présentes dans le cas d’espèce. L’assurée ne démontre pas en quoi la non-application de la méthode extraordinaire serait contraire au droit fédéral et en quoi l’application de la comparaison des revenus réalisées par la juridiction cantonale lui causerait des désavantages. Le grief est rejeté.

 

Détermination du revenu sans invalidité

L’assurée fait grief qu’en tant qu’associée, elle avait non seulement droit à un salaire, mais également à une part des bénéfices. Son potentiel de gain était donc supérieur au salaire médian, c’est pourquoi le revenu sans invalidité, fixé sur la base du salaire médian des employés du secteur de l’hôtellerie et de la restauration au niveau de compétence 4, a été fixé trop bas.

Selon le TF (consid. 8.1) :

Pour le revenu sans invalidité, est déterminant le salaire qu’aurait effectivement gagné l’assuré, en bonne santé, au moment du début du droit à la rente. En règle générale, on se base sur le dernier salaire perçu, éventuellement corrigé de l’inflation et de l’évolution réelle du revenu, en posant la présomption que l’assuré continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Des exceptions ne sauraient être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2).

Dans le cadre de la révision (art. 17 LPGA), il y a une différence par rapport à la fixation initiale de la rente, dans la mesure où l’on connaît la carrière professionnelle de la personne invalide, effectivement poursuivie entre-temps. Une qualification professionnelle particulière réalisée malgré l’invalidité permet de tirer des conclusions quant à l’évolution hypothétique qui se serait produite sans l’atteinte à la santé (liée à l’accident) jusqu’au moment de la révision. Toutefois, une carrière réussie en tant qu’invalide dans un nouveau domaine professionnel ne signifie pas nécessairement que l’assuré aurait atteint – sans invalidité – un poste comparable dans le domaine d’activité initiale (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1 et les références).

Selon le TF (consid. 8.2.2) :

Le Tribunal fédéral ne voit pas en quoi l’approche de la cour cantonale serait contraire au droit fédéral lorsqu’elle a fixé le revenu sans invalidité sur la base de l’ESS (branches 55-56, femmes, niv. comp. 4). Par ailleurs, l’assurée ne fournit pas de preuves qu’elle aurait réellement pu réaliser un salaire plus élevé ; à cet égard, la jurisprudence est stricte à cet égard (cf. arrêt 8C_285/2020 du 15.09.2020 consid. 4.3.3).

 

Revenu d’invalide

Capacité de travail et de gain exigible (consid. 9)

L’évaluation du revenu d’invalide selon la situation professionnelle concrète suppose, entre autres, que l’assuré utilise pleinement la capacité de travail exigible restante (ATF 143 V 295 consid. 2.2). Ce n’est pas le cas si, sur le marché équilibré de l’emploi, il pourrait gagner un salaire plus élevé que celui qu’il reçoit effectivement. Par rapport à ce marché de travail équilibré (hypothétique), un changement d’emploi est également exigible s’il est très difficile, voire impossible, pour l’assuré de trouver un emploi correspondant en raison des circonstances économiques sur le marché réel du travail. La prise en compte de ce revenu hypothétiquement plus élevé ne repose donc pas tant sur l’obligation de limiter le dommage que sur le fait que l’assurance-accidents ne doit indemniser que la perte de gain causée par l’atteinte à la santé consécutive à l’accident (SVR 2019 UV Nr. 3 S. 9, 8C_121/2017 consid. 7.4, 2012 UV Nr. 3 S. 9, 8C_237/2011 consid. 2.3).

Lors de l’évaluation de l’invalidité, l’assuré doit se voir opposé, comme revenu d’invalide, le revenu qu’il pourrait raisonnablement obtenir sur le marché général du travail dans une activité exigible ; même s’il renonce à changer de profession ou d’emploi en raison de perspectives favorables dans le poste exercé jusqu’ici, il ne peut pas attendre de l’assurance-accidents qu’elle indemnise une diminution du gain due à la renonciation à un revenu exigible (arrêt 8C_631/2019 du 18.12.2019 consid. 6.1).

L’assurée ne prétend pas, et il ne ressort pas du dossier, qu’elle utilise pleinement sa capacité de travail restante exigible dans son emploi actuel. Par conséquent, il n’est pas contraire au droit fédéral que la cour cantonale fonde sa décision sur le salaire statistique de l’ESS. Il est donc indifférent de savoir dans quelle mesure elle est limitée dans son emploi actuel de directrice d’un hôtel en raison de son état de santé. Il n’est pas non plus nécessaire de procéder à une mise en demeure et octroyer un délai de réflexion selon l’art. 21 al. 4 LPGA pour inciter l’assuré à changer d’emploi ou pour lui imputer le revenu d’invalide correspondant (arrêt 9C_771/2017 du 29 mai 2018 consid. 3.5.1 et la référence).

 

Niveau de compétences (consid. 10)

En raison de ses nombreuses années de travail en tant que gérante d’un hôtel, l’assurée dispose d’une expérience professionnelle dans une fonction de direction avec des tâches administratives, qu’elle peut utiliser non seulement dans le secteur de la restauration, mais également dans d’autres secteurs professionnels (cf. également arrêts 8C_534/2019 du 18.12.2019 consid. 5.3.3.2 s. et 8C_732/2018 du 26.03.2019 consid. 8.2.2). Dans ces conditions, il n’est pas contraire au droit fédéral que l’instance cantonale ait retenu le niveau de compétences 2 de la ligne Total de l’ESS.

 

Abattement (consid. 11)

Il n’est pas déterminant de savoir si sa capacité de travail restante est utilisable dans les conditions spécifiques du marché du travail, mais seulement de savoir si l’assurée pourrait encore utiliser économiquement sa capacité de travail restante s’il y avait un équilibre entre l’offre et la demande d’emplois (marché équilibré du travail, art. 16 LPGA ; ATF 138 V 457 consid. 3.1, 110 V 273 E. 4b; arrêt 8C_330/2021 du 08.06.2021 consid. 5.3.1).

La cour cantonale a expliqué pourquoi les limitations fonctionnelles et l’âge, invoqués par l’assurée, ne justifient pas une déduction. La simple référence générale à ces motifs d’abattement ne change rien à ce résultat. En outre, le manque d’expérience professionnelle n’est pas pertinent.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_368/2021 consultable ici

Proposition de citation : 8C_368/2021 (d) du 22.07.2021 – Revenu sans invalidité selon l’ESS – Notion du marché équilibré de l’emploi et de l’exigibilité, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/08/8c_368-2021)