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8C_229/2024 (f) du 24.09.2025, destiné à la publication – Allocation pour impotent et accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie – Trouble du spectre de l’autisme – Définitions de l’atteinte psychique et de l’atteinte mentale

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_229/2024 (f) du 24.09.2025, destiné à la publication

 

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Allocation pour impotent – Besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie / 9 LPGA – 42 LAI – 38 al. 1 RAI

Infirmité congénitale – Trouble du spectre de l’autisme (TSA) – ch. 405 OIC-DFI – Définitions de l’atteinte psychique et de l’atteinte mentale

Critère de troubles du développement intellectuel pour une atteinte à la santé mentale

 

Résumé
Un jeune assuré atteint d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA) depuis l’enfance bénéficiait d’une allocation pour impotent. À sa majorité, l’assurance-invalidité a supprimé cette prestation au motif que l’accompagnement dont il avait besoin ne suffisait pas à ouvrir le droit à une allocation en l’absence de rente, le TSA étant qualifié d’atteinte à la santé psychique. La cour cantonale a annulé cette décision, estimant que le TSA constituait une atteinte à la santé mentale, et non psychique, de sorte que la condition du droit à la rente ne s’appliquait pas.

Saisi d’un recours de l’OFAS, le Tribunal fédéral confirme que cette condition ne concerne que les atteintes psychiques, mais juge que le critère déterminant pour distinguer les atteintes à la santé mentale des atteintes psychiques réside dans la présence d’un trouble du développement intellectuel. Comme la cour cantonale n’avait pas établi si tel était le cas de l’assuré, la cause est renvoyée à l’office AI pour qu’il ordonne une expertise médicale destinée à clarifier ce point.

 

Faits
A., né en décembre 2005, a été annoncé à l’AI en octobre 2011 par ses parents en raison de troubles envahissants du développement (TED; CIM-10 F84)

Sur avis de son SMR, l’office AI vaudois a admis l’existence d’une infirmité congénitale selon le ch. 405 OIC (trouble (s) du spectre de l’autisme [TSA]) et a pris en charge des mesures médicales dès juillet 2011. Il a en outre accordé une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.06.2011, portée à un degré moyen dès le 01.03.2012.

Au terme de sa scolarité obligatoire, l’assuré a intégré le Centre de formation TEM (Transition École Métier), puis a bénéficié d’une orientation professionnelle d’une durée de trois mois, dans le cadre de mesures d’ordre professionnel accordées par l’AI.

Le 28.02.2022, l’assuré, par l’intermédiaire de ses parents, a déposé deux nouvelles demandes de prestations AI pour adultes, visant une allocation pour impotent et des mesures professionnelles et de rente. Selon l’enquête à domicile du 23.08.2023, il était autonome dans les actes ordinaires de la vie, mais nécessitait un accompagnement hebdomadaire de 2 h 50 pour faire face aux nécessités de la vie. Par décision du 04.12.2023, l’office AI a pris en charge une formation pratique INSOS dans l’industrie légère (novembre 2023 à novembre 2025).

Dans l’intervalle, par décision du 26.10.2023, l’office AI a supprimé le droit à l’allocation pour impotent à partir du 01.01.2024 (18 ans révolus de l’assuré), au motif que l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie ne donnait droit à la prestation que pour les personnes atteintes psychiquement bénéficiant aussi d’une rente, ce qui n’était pas le cas de l’assuré. Dans cette décision, l’office AI a qualifié le TSA d’atteinte à la santé psychique.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 353/23 – 72/2024 – consultable ici)

Par jugement du 04.03.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une API de degré faible dès le 01.01.2024.

 

TF

Consid. 5
En l’occurrence, il est établi dans l’arrêt entrepris que l’assuré présente une infirmité congénitale sous la forme d’un TSA (ch. 405 OIC-DFI), qu’il a besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie en raison de cette atteinte au sens de l’art. 38 RAI, et qu’il n’est pas au bénéfice d’une rente d’invalidité dès lors qu’il suit une formation professionnelle initiale donnant droit à des indemnités journalières. Ces points sont admis par l’OFAS. La seule question litigieuse est de savoir si la condition restrictive prévue par l’art. 42 al. 3 LAI – c’est-à-dire avoir droit à une rente pour les personnes souffrant d’une atteinte à la santé uniquement psychique – est applicable à l’assuré, ce qui a été nié par la cour cantonale, mais qui est invoqué par l’OFAS recourant.

Consid. 6 [résumé]
La cour cantonale a considéré que le TSA dont souffrait l’assuré constituait une atteinte à la santé mentale par opposition à une atteinte à la santé psychique, dès lors qu’il s’agissait d’une infirmité congénitale inscrite au ch. 405 OIC‑DFI ayant affecté le développement de l’assuré depuis son plus jeune âge. Elle s’est appuyée sur la circulaire de l’OFAS concernant la statistique des infirmités et des prestations faisant figurer les TSA sous le chapitre XVI intitulé « Maladies mentales et retards graves du développement ».

Interprétant l’art. 42 al. 3 LAI à la lumière de la 4e révision de la LAI et du Message du Conseil fédéral (FF 2001 IV 3107), l’instance cantonale a relevé que l’introduction de cette distinction en même temps que celle de l’art. 42 al. 3 LAI permettait de déduire que le législateur n’avait pas entendu étendre aux personnes souffrant d’un handicap mental la condition restrictive d’être au bénéfice d’une rente posée pour celles souffrant d’une atteinte psychique.

Les travaux préparatoires (BO 2002 E 760) confirmaient que cette restriction visait à limiter les risques d’évaluation subjective du besoin d’accompagnement et tenait compte des fluctuations typiques des troubles psychiques, lesquelles ne s’observaient pas dans les atteintes mentales, notamment congénitales, qui ne pouvait être guérie. Dès lors, la cour cantonale a conclu que, bien qu’il ne perçoive pas de rente, l’assuré pouvait bénéficier d’une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.01.2024, son TSA relevant d’une atteinte à la santé mentale.

Consid. 7 [résumé]
L’OFAS recourant se plaint d’une violation de l’art. 42 al. 3 LAI.

Il soutient que les troubles du spectre de l’autisme peuvent se manifester avec ou sans déficience intellectuelle, cette dernière étant déterminante pour qualifier l’atteinte de mentale ou de psychique selon le message du Conseil fédéral relatif à la 4e révision de la LAI. Selon ce message, « il y a atteinte à la santé mentale au sens propre lorsque le développement intellectuel est insuffisant et découle d’atteintes congénitales ou acquises (p. ex. débilité, déficience mentale); il y a par contre atteinte à la santé psychique lorsque les troubles sont d’ordre émotionnel ou cognitif (troubles de la perception), comme cela est le cas pour les personnes atteintes de schizophrénie, de dépression ou de troubles de la personnalité » (FF 2001 IV 3107)

L’OFAS relève qu’en l’espèce, l’assuré ne présente aucune déficience intellectuelle, de sorte que son TSA constitue une atteinte uniquement psychique. Le classement du ch. 405 OIC‑DFI sous le chapitre XVI « Maladies mentales congénitales et profonds retards du développement » ne permettrait pas d’exclure cette qualification, d’autant que la version allemande parle de « Angeborene psychische Erkrankungen und tiefgreifende Entwicklungsrückstände ». Il cite également la version allemande de la nouvelle CIM-11, qui regroupe les TSA au sein du chapitre « Psychische Störungen, Verhaltensstörungen oder neuronale Entwicklungstörungen » (en français: « Troubles mentaux, comportementaux ou neurodéveloppementaux »).

L’OFAS ajoute que les TSA se caractérisent par des troubles émotionnels et cognitifs ainsi que par des particularités sensorielles, caractéristiques des atteintes à la santé psychique. Il souligne la difficulté du diagnostic, parfois posé à l’âge adulte, et renvoie à l’arrêt 9C_566/2019 du 19 mai 2020, où le Tribunal fédéral avait considéré qu’un syndrome d’Asperger constituait une atteinte uniquement psychique excluant le droit à l’allocation pour impotent faute de rente. En conclusion, l’OFAS soutient que le TSA de l’assuré relève d’une atteinte à la santé uniquement psychique.

Consid. 9.1
À juste titre, l’OFAS ne critique pas l’interprétation que la cour cantonale a faite de l’art. 42 al. 3 LAI, selon laquelle la condition restrictive prévue à la 2e phrase de cette disposition ne s’applique pas à tous les assurés mais seulement à ceux qui souffrent d’une atteinte à la santé de nature uniquement psychique. Cette conclusion s’impose tant au regard d’une interprétation littérale et systématique, que téléologique de cette disposition pour les raisons pertinentes exposées par la cour cantonale. Elle trouve également appui dans les débats parlementaires où la discussion s’est focalisée sur les malades psychiques par rapport aux autres malades (BO 2002 E 760), l’obligation d’avoir une rente pour pouvoir obtenir la prestation en cas d’atteinte psychique répondant à la crainte de la minorité I (Egerszegi) d’élargir sans cadre les prestations aux personnes avec un handicap psychique (BO 2001 N 1960).

Consid. 9.2
La LPGA ne contient pas de définition des notions d’atteinte à la santé mentale et d’atteinte à la santé psychique. Au cours des débats relatifs à l’art. 42 LAI, la Conseillère fédérale Ruth Dreifuss a rappelé ce qu’il fallait entendre par atteinte à la santé psychique. Elle a souligné qu’il ne s’agissait pas de modifier la jurisprudence qui avait eu cours jusque-là lorsque les termes de « santé physique ou mentale » étaient les seuls points retenus. Elle a également indiqué qu’il fallait qu’une maladie psychique soit définie médicalement et répertoriée pour pouvoir être à l’origine d’une invalidité au sens de la loi sur l’invalidité et que c’était la classification internationale CIM-10 (en anglais ICD-10) de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui était déterminante à cet égard (BO N 2001 1960). Cela correspond à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral.

Or la classification CIM-10 ne fait pas de distinction entre fonction mentale et fonction psychique. L’OMS définit le trouble mental comme une altération majeure, sur le plan clinique, de l’état cognitif, de la régulation des émotions ou du comportement d’un individu. Tous les troubles mentaux au sens général de troubles de la santé mentale, quel que soit leur type, figurent au chapitre 5 de la CIM-10 (F00 à F99).

D’après ANDREAS TRAUB (cf. ANDREAS TRAUB, in Basler Kommentar, ATSG, 2020, n. 30 ad art. 3 LPGA), sont des atteintes à la santé de nature psychique au sens de l’art. 3 LPGA celles répertoriées dans la CIM-10 aux chapitres « Troubles mentaux et du comportement liés à des substances psycho-actives » (F10-19), « Troubles de l’humeur (affectifs) (F30-39), « Troubles névrotiques, troubles liés à des facteurs de stress et troubles somatoformes (F40-F48), « Syndromes comportementaux associés à des perturbations physiologiques ou à des facteurs physiques » (F50-F59), « Troubles de la personnalité et du comportement chez l’adulte » (F60-F69), « Troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant habituellement durant l’enfance et l’adolescence (F90-F98) et « Trouble mental sans autre indication » (F99), alors que les atteintes à la santé mentale se trouvent aux chapitres suivants: « Troubles mentaux organiques y compris les troubles symptomatiques » (F00-F09), « Schizophrénie, troubles schizotypiques et troubles délirants (F20-F29), « Retard mental (F70-F79) et « Troubles mentaux et du comportement » (F80-F89). Pour sa part, STÉPHANIE PERRENOUD cite notamment comme exemples d’atteintes à la santé psychique la dépression névrotique ou réactionnelle, l’anorexie nerveuse et la boulimie, l’alcoolisme, la dépendance à la nicotine ou la toxicomanie (cf. STÉPHANIE PERRENOUD, Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n. 17 ad art. 3 LPGA).

Dans l’ATF 150 V 273, le Tribunal fédéral a qualifié un trouble du spectre autistique accompagné de déficits cognitifs importants d’atteinte à la santé psychique ayant valeur de maladie au sens de l’art. 7 al. 2 let. c ch. 2 OPAS. La distinction entre troubles psychiques et mentaux ne revêtait dans ce contexte aucune portée, de sorte que le Tribunal fédéral n’en a pas traité dans l’arrêt cité. On ne peut donc pas déduire de cet arrêt que le trouble du spectre autistique, accompagné ou non de troubles du développement intellectuel, devrait être qualifié d’atteinte à la santé psychique plutôt que d’atteinte à la santé mentale.

Consid. 9.3
L’autisme est classé dans la catégorie « F Troubles mentaux et du comportement », dans la section « 80 Troubles du développement psychologique » et dans la sous-section « 84 Troubles Envahissants du Développement (TED) « . La CIM-10 distingue des sous-diagnostics tels que notamment l’autisme infantile (F84.0), le syndrome d’Asperger (F84.5) et ou l’autisme atypique (F84.5). L’autisme est un trouble du développement (ou du neurodéveloppement), qui se caractérise par des déficits dans les interactions sociales (difficultés dans la réciprocité sociale ou émotionnelle) ainsi que dans la communication (verbale et non verbale) combinés avec un répertoire de comportements, d’intérêts et d’activités restreint et répétitif (PR NADIA CHABANE ET DR SABINE MANIFICAT, Diagnostic des troubles du spectre autistique, un enjeu pour un meilleur accompagnement des personnes, in Revue médicale suisse 2016, p. 1566; NATHALIE POIRIER ET CATHERINE DES RIVIÈRES-PIGEON, Le trouble du spectre de l’autisme: État des connaissances, Presse de l’Université du Québec, 2013, p. 16; voir aussi le code 299.00 Trouble du spectre de l’autisme dans le DSM-5).

Il existe parfois aussi une sensibilité sensorielle trop grande (à la lumière, aux bruits, aux odeurs ou aux contacts corporels) ou au contraire trop faible. Les symptômes de l’autisme sont toujours présents depuis la petite enfance même si, dans certains cas, ces symptômes ne sont pas très prononcés jusqu’à la préadolescence ou l’adolescence, période où les exigences sociales deviennent plus complexes (MARIE SCHAER/NADA KOJOVIC, Comprendre l’autisme: l’apport des neurosciences, in Sécurité sociale CHSS, 2/2019). Selon un consensus scientifique, l’autisme est considéré comme l’expression d’un dysfonctionnement cérébral d’origine multifactorielle impliquant des facteurs génétiques (gènes intervenant sur le développement cérébral) et des facteurs environnementaux (infections, intoxications, souffrance foetale) (NADIA CHABANE/CHLOÉ PETER, Le Trouble du Spectre de l’Autisme, Repérage, diagnostic et interventions précoces, in Revue Suisse de Pédagogie Spécialisée, vol. 13, 01/2023). L’autisme peut ou non être associé à un déficit intellectuel ainsi qu’à d’autres pathologies neurologiques ou psychologiques.

Il recouvre des tableaux cliniques très hétérogènes avec un handicap plus ou moins sévère, si bien qu’on parle de « troubles du spectre de l’autisme ». La onzième version de la CIM, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, reprend d’ailleurs cette terminologie. Les manifestations du TSA ne sont pas fixes mais varient au cours de la trajectoire de vie; selon l’âge, certains symptômes fluctuent en intensité et en modalité ou disparaissent pour laisser la place à d’autres particularités comportementales (NADIA CHABANE/CHLOÉ PETER, op. cit). Aussi les experts en pédopsychiatrie préconisent-ils une intervention précoce intensive dès l’âge préscolaire afin d’atténuer les signes distinctifs de l’autisme du fait de la plasticité cérébrale élevée des enfants en bas âge (voir le rapport sur les troubles du spectre de l’autisme du Conseil fédéral du 17 octobre 2018, consultable sous www.news.admin.ch > news > attachements Rapport sur les troubles du spectre de l’autisme Mesures à prendre en Suisse pour améliorer la pose de diagnostic, le traitement et l’accompagnement des personnes présentant des troubles du spectre de l’autisme). Cependant, un TSA persiste toute la vie et il n’existe pas de thérapie curative.

Consid. 9.4
Au regard de l’hétérogénéité de la symptomatologie autistique ainsi que de ses niveaux de sévérité divers aussi en cours de parcours de vie, il apparaît difficile de désigner toutes les formes de TSA soit comme atteinte à la santé mentale, soit comme atteinte à la santé psychique, même si un TSA est reconnu comme infirmité congénitale. La terminologie employée dans l’OIC-DFI et la CIM-11, différente dans la version allemande par rapport à celle française, n’apporte rien de déterminant à cet égard.

Force est de constater que la distinction entre troubles mentaux et troubles psychiques ne se laisse pas définir de manière univoque à partir de catégories médicales ou diagnostiques, nonobstant le fait qu’il existe, pour un certain nombre de troubles, un consensus sur ce point dans la littérature et la science médicales. On voit bien que cette question – à laquelle le Tribunal fédéral n’a pas répondu jusqu’ici à l’inverse de ce que prétend l’OFAS – soulève d’importantes difficultés de délimitation dans la pratique, qui ne se posent d’ailleurs pas seulement pour les TSA, mais également pour d’autres troubles classés dans la même catégorie (par exemple le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité [code 6A05 dans la CIM-11]). Dans ces conditions, un diagnostic associé de déficience intellectuelle (ou trouble dans le développement intellectuel selon la CIM-11) comme critère déterminant pour considérer qu’une atteinte à la santé fait partie de la catégorie des atteintes à la santé mentale au sens de la loi, à l’instar de ce que soutient l’OFAS recourant sur la base du message du Conseil fédéral (FF 2001 IV 3107 et 3125), échappe à la critique et mérite d’être validé.

Selon la CIM-11 [code 6A00], les troubles du développement intellectuel sont un groupe d’affections étiologiques diverses qui apparaissent au cours de la période de développement et qui se caractérisent par un fonctionnement intellectuel et un comportement adaptatif significativement inférieurs à la moyenne, d’environ deux écarts-types ou plus en dessous de la moyenne (inférieurs au 2,3e percentile environ), sur la base de tests convenablement normalisés et administrés individuellement. Il existe plusieurs niveaux de sévérité dans les troubles du développement intellectuel (léger/modéré/sévère/profond). Ces troubles correspondent dans la CIM-10 aux différentes formes de retard mental [F70-F79], au demeurant historiquement considéré comme le marqueur caractéristique des atteintes à la santé mentale. Dans de plus rares cas, la déficience intellectuelle peut être acquise, c’est-à-dire résulter d’une lésion ou d’une pathologie cérébrale post-natale.

La présence d’un trouble du développement intellectuel (ou d’une déficience intellectuelle) constitue un critère de délimitation clair, adéquat et objectif, puisqu’il se rattache à la pose d’un diagnostic médical précis et répertorié qui met en exergue, chez la personne concernée, des compétences diminuées tant sur le plan intellectuel que comportemental. Par ailleurs, un tel trouble est identifié au moyen de tests normés et reconnus, si bien que ce critère permet également d’assurer une égalité de traitement entre personnes assurées sans qu’il soit lié, a priori, à des difficultés importantes en matière de preuve. Enfin, quoi qu’en pense l’assuré, un diagnostic associé de ce type, même dans sa forme légère, est indicateur d’un état durable d’une certaine gravité – soit d’un fonctionnement intellectuel et d’un comportement adaptatif significativement inférieurs à la moyenne (environ deux à trois écarts-types en dessous de la moyenne selon la définition du trouble développement intellectuel léger donné par la CIM-11) -, éléments qui ont leur pertinence dans le domaine des assurances sociales, comme cela se voit en particulier pour l’application de l’art. 42 al. 3 LAI.

Sur ce point, le recours est bien fondé et la juridiction cantonale ne pouvait pas, en l’état de l’instruction, constater l’existence d’un trouble mental ouvrait droit aux prestations litigieuses.

Consid. 9.5
En revanche, contrairement à ce que soutient l’OFAS, il est contesté que l’assuré ne présente aucun trouble du développement intellectuel associé au TSA. Ce point n’a pas fait l’objet d’une constatation par la cour cantonale. Bien qu’il ressorte du dossier que le TSA de l’assuré s’est manifesté de manière suffisamment distinctive et sévère dans son enfance pour que celui-ci ait été mis au bénéfice de mesures médicales ainsi que d’une allocation pour impotent dès l’âge de cinq ans jusqu’à l’accession de sa majorité, on ne saurait se prononcer à cet égard sans l’aide d’un expert. Il convient donc de renvoyer la cause à l’office AI pour qu’il mette en oeuvre une expertise médicale en vue de déterminer si l’assuré présente un trouble du développement intellectuel associé au TSA, auquel cas la condition restrictive de l’art. 42 al. 3 LAI ne lui est pas applicable.

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_229/2024 consultable ici

 

 

9C_55/2024 (f) du 11.10.2025 – Prestations d’invalidité après la dissolution du rapport de prévoyance – Connexité matérielle et temporelle – Interruption du rapport de connexité / 23 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2024 (f) du 11.10.2025

 

Consultable ici

 

Prestations d’invalidité après la dissolution du rapport de prévoyance – Connexité matérielle et temporelle – Interruption du rapport de connexité / 23 LPP

Attestations médicales établies « en temps réel » – Valeur probante d’une expertise psychiatrique judiciaire

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé que la rente d’invalidité LPP devait être calculée sur la base du salaire perçu en tant que juge, retenant que l’incapacité de travail de l’assurée, survenue en 2007, n’avait jamais été interrompue par une reprise durable d’activité. Tant les juges cantonaux que fédéraux ont estimé que la réduction du taux d’occupation dans son emploi d’enseignante découlait de motifs de santé et non de convenance personnelle. L’expertise psychiatrique judiciaire, jugée complète et convaincante, a confirmé une capacité de travail n’excédant jamais 50%. En conséquence, la caisse de pensions a été condamnée à verser la rente entière d’invalidité calculée sur l’ancien traitement de magistrate.

 

Faits
L’assurée a travaillé au service de son employeur dès le 01.09.1992, occupant en dernier lieu la fonction de juge à plein temps jusqu’au 31.07.2008.  Elle était assurée en prévoyance professionnelle auprès de la Caisse de pensions de l’État de Vaud (CPEV). Le 01.04.2008, sa psychiatre traitante a posé les diagnostics de trouble de l’adaptation avec réaction mixte anxieuse et dépressive (F43.22) et de trouble du sommeil non organiques (F51), précisant qu’elle était en arrêt de travail depuis le 04.09.2007. L’assurée a présenté sa démission pour le 31.07.2008.

Dès le 01.08.2008, elle a travaillé à temps partiel comme enseignante au Centre d’enseignement professionnel de U.__, avec un taux d’occupation variable entre 48% et 64%, tout en restant affiliée à la CPEV. Elle a parallèlement entrepris une formation pédagogique qu’elle n’a pas achevée. Dans un rapport du 05.03.2009, la psychiatre traitante a confirmé un trouble de l’adaptation avec réaction anxieuse et dépressive (F43.22) et un trouble de la personnalité anxieuse (F60.6), relevant une impasse professionnelle qui avait motivé une reconversion. Dès le 16.09.2010, l’assurée s’est trouvée en incapacité totale de travail, et son contrat a pris fin le 31.07.2011.

Le 28.09.2011, la CPEV lui a octroyé une pension mensuelle d’invalidité dès le 01.08.2011. Le 13.10.2011, l’assurée a déposé une demande AI. Son psychiatre a alors diagnostiqué une anxiété généralisée (F41.1) depuis 2007, un état dépressif d’épuisement depuis 2011, ainsi qu’un trouble spécifique de la personnalité (narcissique) (F60.8) depuis l’enfance, attestant plusieurs périodes d’incapacité totale ou partielle de travail depuis 2007. Une expertise psychiatrique du 10.11.2014 a conclu à une incapacité totale de travail depuis 2007 en raison d’un état dépressif sévère avec idéation suicidaire et hospitalisations répétées.

Par décision du 24.04.2015, l’office AI a accordé une rente entière d’invalidité dès le 01.04.2012, décision notifiée à la CPEV et non contestée. Par la suite, les 18.08.2015 et 26.05.2016, la CPEV a confirmé le calcul de la rente sur le dernier salaire cotisant en qualité d’enseignante au 31.07.2011, estimant qu’il n’existait pas d’incapacité de travail antérieure susceptible de justifier une référence au salaire de juge.

 

Procédure cantonale

Le 03.08.2016, l’assurée a saisi le tribunal cantonal d’une action contre la CPEV.

L’assurée est décédée en septembre 2017. La procédure s’est poursuivie entre son époux (A.__), qui s’était fait céder les droits des héritiers, et la CPEV.

La Cour cantonale a ordonné une expertise psychiatrique judiciaire. Le mandat visait à retracer l’évolution de l’état de santé de l’assurée entre 2007 et 2011, à préciser les diagnostics, les incapacités de travail psychiatriques justifiées et à examiner les divergences d’interprétation relatives aux rapports de la psychiatre traitante. L’expert psychiatre a diagnostiqué un trouble anxieux généralisé (F41.1), un trouble dépressif récurrent (F33.xx) d’intensité variable et un trouble mixte de la personnalité (F61.0). Il a conclu à une incapacité de travail totale du 04.09.2007 au 31.07.2008 dans la profession de juge et à une capacité de travail n’excédant jamais 50% d’un 100% dans l’activité d’enseignante.

Estimant que l’invalidité permanente était survenue en 2007, la juridiction cantonale a admis la demande par arrêt du 21.07.2023. Elle a condamné la CPEV à verser à A.__, en qualité d’héritier de l’assurée, une rente entière d’invalidité de 6’741 fr. 90 par mois du 01.08.2011 au 30.09.2017, ainsi qu’un supplément temporaire de 1’321 fr. 80 par mois du 01.08.2011 au 31.03.2012. La rente de veuf a été fixée à 4’045 fr. 10 dès le 01.10.2017.

 

TF

Consid. 3.1
D’après l’art. 23 LPP, les prestations sont dues par l’institution de prévoyance à laquelle l’intéressé est – ou était – affilié au moment de la survenance de l’événement assuré. Dans la prévoyance obligatoire, ce moment ne coïncide pas avec la naissance du droit à la rente de l’assurance-invalidité, mais correspond à la survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité.

Consid. 3.2
Pour qu’une institution de prévoyance reste tenue à prestations après la dissolution du rapport de prévoyance, il faut non seulement que l’incapacité de travail ait débuté à une époque où l’assuré lui était affilié, mais encore qu’il existe entre cette incapacité de travail et l’invalidité une relation d’étroite connexité. La connexité doit être à la fois matérielle et temporelle (ATF 130 V 270 consid. 4.1).

Il y a connexité matérielle si l’affection à l’origine de l’invalidité est la même que celle qui s’est déjà manifestée durant le rapport de prévoyance (et qui a entraîné une incapacité de travail; ATF 138 V 409 consid. 6.2). La relation de connexité temporelle suppose qu’après la survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité, la personne assurée n’ait pas à nouveau été capable de travailler pendant une longue période. L’existence d’un tel lien temporel doit être examinée au regard de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, tels la nature de l’atteinte à la santé, le pronostic médical, ainsi que les motifs qui ont conduit la personne assurée à reprendre ou ne pas reprendre une activité lucrative. Il peut également être tenu compte du comportement de la personne assurée dans le monde du travail.

En ce qui concerne la durée de la capacité de travail interrompant le rapport de connexité temporelle, il est possible de s’inspirer de la règle de l’art. 88a al. 1 RAI comme principe directeur. Conformément à cette disposition, il y a lieu de prendre en compte une amélioration de la capacité de gain ayant une influence sur le droit à des prestations lorsqu’elle a duré trois mois, sans interruption notable, et sans qu’une complication prochaine soit à craindre. Lorsque la personne assurée dispose à nouveau d’une pleine capacité de travail pendant au moins trois mois et qu’il apparaît ainsi probable que la capacité de gain s’est rétablie de manière durable, il existe un indice important en faveur de l’interruption du rapport de connexité temporelle. Il en va différemment lorsque l’activité en question, d’une durée éventuellement plus longue que trois mois, doit être considérée comme une tentative de réinsertion ou repose de manière déterminante sur des considérations sociales de l’employeur et qu’une réadaptation durable apparaissait peu probable (ATF 134 V 20 consid. 3.2.1 et les références).

Consid. 3.3
Le Tribunal fédéral examine librement la connexité temporelle fondée sur la question de savoir si, malgré la perception d’un salaire, la personne assurée présentait une incapacité de travail notable, singulièrement si elle était encore capable de fournir les prestations requises, que ce soit dans son domaine d’activité ou dans un autre domaine d’activité pouvant être raisonnablement exigé de sa part. D’après la jurisprudence, il est décisif que l’incapacité de travail se soit effectivement manifestée de manière défavorable dans le cadre des rapports de travail. Une altération des performances de la personne assurée doit ressortir des circonstances du cas concret, que cela soit au travers d’une baisse marquée de rendement, d’avertissements répétés de l’employeur ou d’absences fréquentes pour cause de maladie. La fixation rétroactive d’une incapacité de travail médico-théorique, sans que celle-ci ne soit corrélée par des observations similaires rapportées par l’employeur de l’époque, ne saurait suffire. En principe, doivent être considérés comme correspondant à la réalité l’engagement à fournir la prestation de travail conformément aux conditions définies contractuellement et le montant du salaire versé en contrepartie ainsi que la teneur des autres accords passés dans le cadre des rapports de travail. Ce n’est qu’en présence de circonstances particulières que peut être envisagée l’éventualité que la situation contractuelle déroge à la réalité. De telles circonstances doivent être admises avec une extrême réserve, sinon quoi le danger existe que la situation du travailleur devienne l’objet de spéculations dans le but de déjouer la couverture d’assurance de celui-ci en le renvoyant systématiquement à l’institution de prévoyance de son précédant employeur (arrêt 9C_76/2015 du 18 décembre 2015 consid. 2.4).

Consid. 3.4
L’exercice d’une activité permettant de réaliser un revenu excluant le droit à une rente ne suffit pas encore à interrompre la relation de connexité temporelle. Pour admettre l’existence d’une telle interruption, il faut avant tout que la personne concernée ait retrouvé une capacité de travail significative de 80% au moins (en référence au taux de 20% de la diminution de la capacité fonctionnelle de rendement dans la profession exercée jusque-là). Le fait que la personne concernée est en mesure de réaliser un revenu excluant le droit à une rente n’apparaît déterminant que si elle dispose dans une activité raisonnablement exigible (autre que sa profession habituelle) d’une capacité de travail (presque) entière. En d’autres termes, la relation de connexité temporelle est interrompue pour autant que la personne concernée dispose d’une capacité de travail dans une activité adaptée de 80% au moins et que celle-ci lui permette de réaliser un revenu excluant le droit à une rente (ATF 144 V 58 consid. 4.4 et les arrêts cités; arrêts 9C_76/2015 précité consid. 2.5; 9C_98/2013 du 4 juillet 2013 consid. 4.1 et les références, in SVR 2014 BVG n° 1 p. 1).

Consid. 3.5
Les constatations de la juridiction cantonale relatives à l’incapacité de travail résultant d’une atteinte à la santé relèvent d’une question de fait et ne peuvent être examinées par le Tribunal fédéral que sous un angle restreint, dans la mesure où elles reposent sur une appréciation concrète des circonstances du cas d’espèce. Les conséquences que tire l’autorité précédente des constatations de fait quant à la connexité temporelle sont en revanche soumises, en tant que question de droit, au plein pouvoir d’examen du Tribunal fédéral (arrêt 9C_333/2020 du 23 février 2021 consid. 5.2 et la référence).

Consid. 3.6
La preuve suffisante d’une limitation de la capacité fonctionnelle de travail déterminante sous l’angle du droit de la prévoyance professionnelle (ATF 134 V 20 consid. 3.2.2) ne suppose pas forcément l’attestation médicale d’une incapacité de travail « en temps réel » (« echtzeitlich »). Toutefois, des considérations subséquentes et des suppositions spéculatives, comme une incapacité médico-théorique établie rétroactivement après bien des années, ne suffisent pas. L’atteinte à la santé doit avoir eu des effets significatifs sur les rapports de travail; en d’autres termes, la diminution de la capacité fonctionnelle de travail doit s’être manifestée sous l’angle du droit du travail, notamment par une baisse des prestations dûment constatée, un avertissement de l’employeur ou une accumulation d’absences du travail liées à l’état de santé (cf. arrêt 9C_107/2024 du 24 juin 2025 consid. 2.2).

En outre, une attention particulière doit être réservée aux cas dans lesquels la personne assurée a réduit son taux d’occupation pour des raisons de santé durant le rapport de prévoyance et où il manque régulièrement des attestations médicales « en temps réel ». Il peut toutefois être renoncé à une telle attestation « en temps réel » lorsque d’autres circonstances suggèrent objectivement que la réduction du taux d’occupation a eu lieu pour des raisons de santé (cf. arrêt 9C_394/2012 du 18 juillet 2012 consid. 3.1.2).

Consid. 3.7
Le juge ne s’écarte pas sans motifs impératifs des conclusions d’une expertise médicale judiciaire, la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références). Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante.

Enfin, s’agissant de la maxime d’instruction, il incombe au tribunal de la prévoyance compétent au niveau cantonal de compléter l’instruction pour ce qui est des circonstances ayant conduit à la dissolution des rapports de travail entre l’assurée et son ancien employeur et pour ce qui est de l’état de santé de la personne assurée. C’est le cas, en particulier, lorsqu’il s’agit de qualifier l’évaluation a posteriori de l’incapacité de travail faite par des médecins qui avaient suivi l’assuré pendant de nombreuses années (cf. arrêt 9C_433/2012 du 13 février 2013 consid. 4).

Consid. 5.1 [résumé]
Le refus de l’expert psychiatre de faire assister à son entretien avec A.__ la CPEV n’a pas violé le droit d’être entendu de cette dernière. L’expert a précisé que l’entretien portait sur des éléments relevant de la sphère privée de A.__ et non sur sa participation en tant que partie, ce qui rendait le grief infondé. Par ailleurs, la CPEV avait eu accès à l’intégralité du dossier et avait pu s’exprimer à ce sujet.

Consid. 5.2
Il convient ensuite de reprendre les termes du certificat médical de la psychiatre traitante du 30.06.2008. Il y est exposé en substance que: « Le médecin soussigné certifie que [l’assurée] présente une capacité de travail de 100% à partir du 27.06.2008 dans une activité professionnelle adaptée et dans un environnement approprié, ceci pour des raisons médicales. »

Consid. 5.3 [résumé]
Le grief tiré d’une prétendue méconnaissance de ce certificat par l’expert judiciaire est infondé. L’arrêt cantonal constate expressément que l’expert psychiatre en avait tenu compte, et la CPEV ne démontre pas que cette appréciation serait arbitraire.

Le document du 30.06.2008 n’apporte de surcroît aucun élément déterminant pour l’évaluation rétrospective de la capacité de travail de l’assurée dans sa fonction de juge, la psychiatre traitante s’étant uniquement prononcée sur une activité adaptée, sans en préciser la nature. L’expert judiciaire a expliqué les raisons l’ayant conduit à conclure que l’incapacité de travail était totale dès 2007 sur le plan psychiatrique dans l’activité de magistrate. Sur cette base, la constatation selon laquelle l’assurée avait été totalement incapable de travailler du 04.09.2007 au 31.07.2008 n’était pas arbitraire. De plus, dans un certificat postérieur du 08.11.2011, la psychiatre traitante – qui avait régulièrement suivi sa patiente dans l’intervalle – a confirmé que l’incapacité de travail était restée totale jusqu’au 31.07.2008. L’expert disposait ainsi d’attestations médicales établies « en temps réel » (« echtzeitlich »), attestant que l’atteinte à la santé avait eu des effets significatifs sur les rapports de travail, se traduisant notamment par une longue absence professionnelle pour raisons de santé.

Consid. 5.4 [résumé]
À partir d’août 2008, l’assurée a exercé une activité d’enseignante à temps partiel, avec un taux d’occupation variant entre 48% et 64%, soit en moyenne 59,55% selon l’expert psychiatre. Bien qu’aucune attestation médicale n’ait été établie « en temps réel » entre juin 2008 et août 2010, l’expert pouvait en évaluer rétrospectivement la capacité de travail. Un rapport de la psychiatre traitante du 05.03.2009 attestait un suivi psychiatrique hebdomadaire en raison d’un trouble de l’adaptation avec réaction anxieuse et dépressive (F43.22) et d’un trouble de la personnalité anxieuse (F60.6). Ces éléments démontraient que la réduction du taux d’activité résultait de raisons médicales et non de convenance personnelle, contrairement à ce que soutenait la caisse de pension.

L’expert a conclu que la capacité de travail de l’assurée dans l’activité d’enseignante n’avait jamais dépassé 50% d’un plein temps, en relevant que les troubles psychiques, présents depuis l’enfance, s’étaient aggravés avec le temps et n’avaient jamais connu de rémission complète. L’embellie de 2008-2009 pouvait expliquer une fuite en avant dans la guérison d’une assurée qui ne se donnait plus le droit à l’échec. L’assurée restait symptomatique, nécessitant une prise en soins psychiatrique conséquente et continue. Elle avait pu tenir au prix d’une grande souffrance et avait effectivement travaillé davantage que ce qui était raisonnablement exigible, compte tenu de son état de santé.

La CPEV se borne à opposer sa propre appréciation à celle des juges cantonaux sans démontrer de violation de la jurisprudence sur les évaluations rétrospectives en l’absence de certificats médicaux établis « en temps réel », ni d’erreur manifeste dans l’établissement des faits. De plus, son argument selon lequel il faudrait tenir compte non seulement du taux d’activité entre 48% et 64% mais aussi du temps consacré à la préparation pédagogique contredisait l’évaluation médicale de l’expert, lequel avait estimé cette activité incompatible avec l’état de santé de l’assurée. Le taux de capacité de travail de 83% à 85% avancé par la caisse de pension relève ainsi d’une simple affirmation de sa part et n’est corroborée par aucun élément du dossier.

Consid. 5.5
La caisse de pension recourante ne soulève pas de griefs pertinents à l’encontre du rapport d’expertise judiciaire qui permettraient d’en infirmer toute force probante. Singulièrement, elle n’a mis en évidence aucun motif impératif qui pourrait amener le juge à s’écarter de l’expertise (cf. consid. 3.7 supra).

Consid. 5.6
En résumé, les constatations de faits de l’instance cantonale ne sont pas arbitraires en tant qu’elle a retenu d’une part que l’assurée avait été totalement incapable de travailler du 04.09.2007 au 31.07.2008 comme juge, d’autre part qu’elle n’avait depuis lors jamais recouvré une capacité de travail de 80% (au moins) dans toute autre activité durant le rapport de prévoyance. Elle pouvait l’admettre malgré l’absence d’attestation « en temps réel » de juin 2008 à août 2010 relative à la capacité de travail, dès lors que d’autres circonstances retenues par l’expert indiquaient que la réduction du taux d’occupation avait eu lieu pour des raisons de santé. La juridiction cantonale a donc correctement appliqué l’art. 23 LPP.

Consid. 6
S’agissant du calcul des prestations d’invalidité et de survivant, leurs montants ne sont ni contestés ni litigieux. Dès lors, les conclusions du recours – tant principale, fondée sur la thèse rejetée d’un calcul selon le salaire d’enseignante, que subsidiaire, tendant au renvoi de la cause – doivent être rejetées.

Le TF rejette le recours de la caisse de pension.

 

Arrêt 9C_55/2024 consultable ici

 

 

8C_536/2024 (d) du 24.10.2025 – Trébuché ou glissé en marchant dans une rue pavée en tongs (Flip-Flop) est un accident – 4 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_536/2024 (d) du 24.10.2025

 

Consultable ici

 

Trébuché ou glissé en marchant dans une rue pavée en tongs (Flip-Flop) est un accident / 4 LPGA

Facteur extérieur de caractère extraordinaire – Mouvement non coordonné

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé l’existence d’un accident dans le cas d’une assurée qui, en traversant une rue en tongs, a trébuché ou glissé, entraînant une perturbation du mouvement et un faux pas. La cour cantonale puis le Tribunal fédéral ont jugé qu’une glissade ou un trébuchement dans une situation de la vie quotidienne constitue un mouvement non coordonné et une perturbation non programmée du déroulement du mouvement, remplissant ainsi le critère du facteur extérieur extraordinaire.

 

Faits
Assurée, née en 1969, a trébuché ou glissé le 21.06.2023 alors qu’elle traversait une rue pavée en tongs [« Flip-Flop »]. Les jours suivants, un gonflement et des douleurs à la marche se sont développés à l’avant-pied gauche. Consulté le 26.06.2023, un médecin a d’abord pensé à une piqûre de tique à la cheville gauche. Un examen radiologique du 29.06.2023 a mis en évidence une fracture de fatigue diaphysaire du troisième métatarsien.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a considéré que l’événement ne constituait pas un accident au sens juridique et que l’atteinte corporelle assimilée à un accident était due de manière prépondérante à l’usure.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 15.07.2024, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
Selon l’art. 6 al. 1 LAA, l’assureur-accidents fournit les prestations d’assurance notamment en cas d’accidents. Un accident est l’atteinte dommageable, soudaine et non intentionnelle, d’un facteur extérieur extraordinaire, qui cause une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique ou la mort (art. 4 LPGA).

Le facteur extérieur est extraordinaire lorsqu’il excède le cadre des événements et des situations que l’on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d’habituels dans le domaine de vie concerné (ATF 134 V 72 consid. 4.1). Un besoin accru de délimitation existe lorsque, de par sa nature, l’atteinte à la santé peut avoir d’autres causes qu’une atteinte dommageable soudaine, c’est-à-dire lorsqu’il n’est pas possible de l’attribuer avec certitude à un facteur exogène.

Selon la jurisprudence, cela vaut en particulier lorsque l’atteinte à la santé peut, selon l’expérience, survenir comme la conséquence unique d’une maladie, notamment de modifications dégénératives préexistantes d’une partie du corps, dans le cadre d’un déroulement tout à fait normal des événements. Dans de tels cas, la cause immédiate de l’atteinte doit avoir été présente dans des circonstances particulièrement « évidentes ». Ainsi, une atteinte sans tendance manifeste à causer des dommages ne devient un facteur extérieur extraordinaire qu’avec la survenance d’un événement supplémentaire. Outre les forces habituelles agissant sur le corps, un événement supplémentaire spécifique au dommage est nécessaire pour qu’un accident puisse être admis (ATF 134 V 72 consid. 4.3.2.1).

Le critère du facteur extérieur extraordinaire peut aussi consister en un mouvement non coordonné. Tel est le cas lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement non programmé, lié à l’environnement extérieur. Le facteur extérieur – modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1). C’est le cas par exemple lorsque la personne assurée trébuche, glisse ou se heurte à un objet, ou lorsqu’elle exécute ou tente d’exécuter un mouvement réflexe de défense pour empêcher une glissade (cf. arrêt 8C_24/2022 du 20 septembre 2022 consid. 3.2 et les références).

Consid. 5.1 [résumé]
L’instance cantonale a retenu que, bien qu’il y ait de légères variations (faux pas selon le rapport médical du 30.06.2023 ; trébuché selon la déclaration d’accident du 04.07.2023 ; glissé/dérapé selon le questionnaire du 22.08.2023) sans aucune mention de chute, les descriptions de l’événement du 21.06.2023 étaient cohérentes dans leurs éléments essentiels. Le faux pas n’est pas concevable sans un mouvement non coordonné préalable – comme trébucher ou glisser. Contrairement à l’opinion de l’assurance-accidents, le facteur extérieur extraordinaire peut consister en un mouvement non coordonné. Une telle perturbation étant établie (l’assurée a trébuché ou glissé, faisant un faux pas), la notion d’accident selon l’art. 4 LPGA est remplie et le cas doit être examiné sous l’angle de l’art. 6 al. 1 LAA. La cause est renvoyée à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire quant à la causalité.

Consid. 5.2.2
Dans les cas où l’atteinte à la santé peut être, comme ici, la seule conséquence de modifications dégénératives préexistantes d’une partie du corps, la cause immédiate doit avoir été établie dans des circonstances particulièrement évidentes (cf. consid. 4 supra).

Selon le dossier, l’assurée a soit trébuché, soit glissé, soit fait un pas en avant en traversant la route. La question de savoir si le pas en avant mentionné par le médecin traitant doit être considéré à lui seul comme un mouvement non coordonné au sens de la jurisprudence peut rester ouverte. Ce qui est déterminant, c’est que l’assurée elle-même a systématiquement décrit avoir glissé ou trébuché, ce que l’assurance-accidents n’a pas contesté et ne conteste pas.

Il est donc établi, au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 138 V 218 consid. 6), qu’il y a eu un mouvement non coordonné, lors duquel une circonstance extérieure a influencé le déroulement naturel du mouvement de manière non programmé et (suffisamment) évidente, qui était apte à conduire à une sollicitation non physiologique (cf. arrêt U 277/99 du 30 août 2001 consid. 3c). Le critère du facteur extérieur extraordinaire est donc rempli.

L’arrêt 8C_978/2010 du 3 mars 2011, invoqué à nouveau u moins implicitement par l’assurance-accidents en dernière instance, dans lequel le Tribunal fédéral a nié l’existence d’un accident, ne conduit à aucun autre résultat. Comme l’a correctement reconnu la cour cantonale, cet arrêt concernait un trébuchement sans chute lors d’une activité sportive (« marche »/jogging) en pleine nature, où ce risque est inhérent à l’activité (cf. consid. 4.2 de l’arrêt précité). En l’espèce, il s’agit en revanche d’une situation de la vie quotidienne, dans laquelle une glissade constitue une perturbation évidente et non programmée du mouvement.

Enfin, l’argument de l’assurance-accidents selon lequel le mouvement non programmé pourrait n’être que la manifestation de la blessure ne trouve aucun appui dans les pièces du dossier. Au contraire, il ressort clairement des documents que l’assurée n’a ressenti les troubles ou les douleurs qu’après avoir trébuché ou glissé.

Consid. 6
Le tribunal cantonal n’a pas violé le droit fédéral en confirmant l’existence d’un accident. Comme elle l’a ordonné, l’assurance-accidents devra en particulier clarifier si l’événement constituait une cause partielle (justifiant l’octroi des prestations) de la fracture de fatigue ou s’il n’était qu’une cause occasionnelle ou fortuite (empêchant l’octroi des prestations). Sur la base du résultat de ces investigations, elle devra statuer à nouveau sur le droit aux prestations de l’assurée.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_536/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_536/2024 (d) du 24.10.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/11/8c_536-2024)

 

 

Le Tribunal fédéral face aux violences sexuelles sous substances : à propos de l’arrêt 8C_548/2023 et des limites du Schreckereignis

Le Tribunal fédéral face aux violences sexuelles sous substances : à propos de l’arrêt 8C_548/2023 et des limites du Schreckereignis

 

Vous trouverez dans l’édition 6/2025 de la Revue suisse des assurances sociales et de la prévoyance professionnelle ma contribution relative à l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_548/2023 et à la notion de Schreckereignis pour les victimes de violences sexuelles sous soumission chimique ou en état de dissociation.

Résumé

L’arrêt 8C_548/2023 du Tribunal fédéral met en évidence les limites de la jurisprudence sur les traumatismes psychiques : en exigeant une perception consciente et sensorielle immédiate de l’événement, il exclut les victimes de violences sexuelles sous soumission chimique ou en état de dissociation. Cet article analyse les tensions entre le cadre juridique actuel et les réalités neurobiologiques (mémoire implicite, amnésie antérograde) et sociales post-MeToo. Il démontre que l’absence de souvenir explicite, loin d’invalider le vécu traumatique, en est souvent un indice de gravité. Face à ce paradoxe, l’article invite à repenser la jurisprudence pour l’adapter aux réalités cliniques et à l’évolution sociale.

Article consultable ici

 

NB : en raison d’une restriction de la part de l’éditeur, seule la première page peut être mise pour l’instant sur le site.

 

8C_357/2025 (f) du 08.10.2025 – Aide sociale – Dessaisissement de fortune préalable au besoin d’aide / Pas d’abus de droit en matière d’aide sociale

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_357/2025 (f) du 08.10.2025

 

Consultable ici

 

Aide sociale – Dessaisissement de fortune préalable au besoin d’aide / 12 Cst. – LASoc (RS/FR 831.0.1)

Pas d’abus de droit en matière d’aide sociale

 

Résumé
Une femme âgée ayant vendu son appartement et distribué le produit de la vente à ses enfants a, après une dégradation de son état de santé, sollicité l’aide sociale pour couvrir les frais de son séjour en EMS. L’autorité communale a refusé cette aide, estimant que les enfants, bénéficiaires des donations, devaient assumer les coûts, mais la cour cantonale a annulé cette décision.

Le Tribunal fédéral a confirmé cette approche. En l’absence de base légale cantonale sanctionnant le dessaisissement de fortune préalable au besoin d’aide, l’aide sociale ne pouvait être refusée pour ce motif, sauf en cas d’abus manifeste, ce qui n’était pas établi. Il a également jugé inapplicable le principe de subsidiarité dès lors que la requérante ne disposait effectivement plus des moyens nécessaires, et a exclu toute application par analogie des dispositions sur le remboursement de l’aide sociale ou sur l’obligation d’entretien des enfants.

 

Faits
A.A., née en 1937, a quitté en mars 2021 son appartement pour s’installer dans un logement pour seniors, en raison de problèmes de hanches. En janvier 2022, elle a vendu son appartement et distribué plus de CHF 300’000, soit la majeure partie du bénéfice de la vente, à ses trois enfants, D.A., C.A. et B.A.. Après une chute et une dégradation de son état de santé, elle a quitté la résidence pour seniors le 14.04.2023 et, après un séjour hospitalier de deux semaines, a intégré l’EMS E.__.

Le 18.04.2023, elle a déposé une demande de prestations complémentaires afin de couvrir les frais d’EMS dépassant ses revenus. Par décision du 14.06.2023, la caisse de compensation a rejeté la demande, considérant que sa fortune nette dépassait la limite de CHF 100’000, en incluant un dessaisissement de CHF 316’674. Le 12.09.2023, la caisse de compensation a reconnu son droit à une allocation pour impotent, de degré faible dès le 01.09.2022, puis de degré moyen dès le 01.06.2023.

Le 28.11.2023, la commission sociale de la commune a refusé de prendre en charge les frais d’EMS restants pour la période de mai 2023 à avril 2027, estimant que ses enfants, bénéficiaires d’avances sur héritage d’environ CHF 100’000 chacun, devaient couvrir le solde. Cette décision a été confirmée sur réclamation le 06.02.2024.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2024 55 – consultable ici)

Par jugement du 13.05.2025, admission du recours des trois enfants par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
L’art. 12 Cst. garantit à toute personne en situation de détresse le droit de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. Ce droit constitutionnel à l’aide d’urgence vise uniquement une aide minimale, de caractère temporaire, destinée à combler une lacune de protection lorsque les institutions sociales existantes ne suffisent plus. Dans cette mesure, le droit constitutionnel à l’aide d’urgence diffère du droit cantonal à l’aide sociale, qui est plus complet (ATF 149 V 250 consid. 4.2; 146 I 1 consid. 5.1).

Consid. 3.2 [résumé]
Selon l’art. 36 al. 1 Cst./FR, toute personne dans le besoin a le droit d’être logée de manière appropriée, d’obtenir les soins médicaux essentiels et les autres moyens indispensables au maintien de sa dignité. L’aide sociale est régie par la LASoc (RS/FR 831.0.1) et son règlement d’exécution (RELASoc; RS/FR 831.0.11).

Est considérée comme dans le besoin toute personne qui ne peut subvenir de manière suffisante et en temps utile à son entretien (art. 3 LASoc). Selon l’art. 4 LASoc, l’aide sociale comprend la prévention, l’aide personnelle, l’aide matérielle et la mesure d’insertion sociale (al. 1); l’aide matérielle est une prestation allouée en espèces, en nature ou sous la forme d’un contrat d’insertion sociale (al. 4).

L’art. 5 LASoc institue le principe de subsidiarité. L’aide sociale n’est octroyée que lorsque les proches légalement tenus à l’entretien ou les autres prestations disponibles ne peuvent être mobilisés. Ce principe souligne le caractère subsidiaire de l’aide sociale et postule que toutes les autres possibilités aient déjà été utilisées avant que des prestations d’aide publique soient accordées; il exclut en particulier le choix entre les sources d’aide prioritaires et l’aide sociale publique (ATF 150 I 6 consid. 10.1.2; 149 V 250 consid. 4.2; 146 I 1 consid. 8.2).

L’art. 29 LASoc prévoit que la personne qui a reçu une aide matérielle est tenue de la rembourser, en tout ou partie, dès que sa situation financière le permet (al. 1, première phrase); l’obligation de rembourser s’étend aux héritiers jusqu’à concurrence de leur part d’héritage (al. 2).

Consid. 4 [résumé]
Les juges cantonaux ont constaté que la législation fribourgeoise actuelle en matière d’aide sociale ne contient aucune disposition spécifique relative au dessaisissement de fortune préalable au besoin d’aide. Elle ne prévoit pas que la fortune dont un requérant se serait dessaisi soit prise en compte parmi ses ressources disponibles. En vertu du principe de finalité de l’aide sociale, le besoin d’aide actuel prévaut, indépendamment d’un comportement fautif ayant pu causer ce besoin. Dès lors, la commission sociale de la commune (la recourante) ne disposait d’aucune base légale pour refuser les prestations en raison d’un dessaisissement, sauf en cas d’abus de droit.

La présence de telles dispositions dans d’autres cantons ou l’entrée en vigueur future, au 1er janvier 2026, de la nouvelle loi sur l’aide sociale du 9 octobre 2024 (nLASoc; ROF 2024_074). qui introduira à l’art. 19 al. 3 la prise en compte des ressources dont le bénéficiaire s’est volontairement privé, ne modifie pas cette conclusion, cette loi n’étant pas encore en vigueur et devant encore être précisée par règlement, dans le respect du droit constitutionnel à l’aide en cas de détresse.

Le tribunal cantonal a en outre exclu toute application par analogie de l’art. 29 al. 2 LASoc, relatif au remboursement de l’aide sociale par les héritiers d’un bénéficiaire revenu à meilleure fortune avant son décès, pour refuser la prise en charge du solde des frais d’EMS de l’intimée. Cette disposition, limitée aux cas de remboursement, ne saurait fonder un refus d’octroi. Il a encore jugé qu’aucun abus de droit ne pouvait être imputé à A.A. (l’intimée), de sorte qu’aucun motif ne justifiait le refus d’aide sociale pour quatre ans.

Enfin, l’éventuelle obligation des enfants de contribuer à l’entretien de leur mère, au sens de l’art. 328 al. 1 CC, ne relevait pas de la présente procédure administrative mais du droit civil, impliquant une action devant le tribunal compétent.

Consid. 5.2 [résumé]
Il ne ressort pas de l’arrêt cantonal qu’au moment de la demande d’aide sociale de l’intimée, ses enfants auraient encore eu à disposition une « bonne partie » de l’argent reçu de leur mère en janvier 2022. La recourante s’écarte ainsi des faits sans démontrer d’arbitraire, de sorte que son allégation ne peut être retenue.

Même si les enfants avaient encore les sommes en question, les juges cantonaux ont correctement estimé qu’en l’absence de disposition légale cantonale relative au dessaisissement de fortune, les autorités compétentes en matière d’aide sociale ne pouvaient pas refuser cette aide en raison d’un tel dessaisissement, compte tenu du principe de finalité de l’aide sociale. Sur ce point, la recourante se limite à invoquer de manière relativement générale le principe de subsidiarité, sans toutefois démontrer qu’il devrait trouver application, malgré l’absence de base légale réglant la question, dans une situation où la personne concernée ne dispose effectivement plus des moyens nécessaires à ses besoins au moment où elle dépose sa demande.

Le refus d’appliquer par analogie l’art. 29 al. 2 LASoc n’est pas arbitraire. Il n’apparaît en effet pas insoutenable de retenir, à l’instar des premiers juges, que la situation visée par cette disposition est différente de celle de l’intimée, l’art. 29 al. 2 LASoc réglant la question d’un besoin d’aide passé et le remboursement de l’aide allouée à l’époque, alors que l’intimée présente un besoin d’aide actuel.

Enfin, les enfants de l’intimée n’ont pas été reconnus débiteurs d’une dette alimentaire au sens de l’art. 328 al. 1 CC, question qui relèverait du juge civil. En l’absence d’autres ressources disponibles, le principe de subsidiarité ne faisait donc pas obstacle à l’octroi de l’aide matérielle, et la recourante n’établit aucune violation du principe de finalité. Ses griefs sont dès lors infondés.

Consid. 6.1
L’interdiction de l’abus de droit est un principe général de l’ordre juridique suisse (ATF 140 III 491 consid. 4.2.4; 137 V 394 consid. 7.1), développé à l’origine sur la base des concepts propres au droit civil (art. 2 CC), puis étendu par la jurisprudence à l’ensemble des domaines du droit. Le principe de la bonne foi est explicitement consacré par l’art. 5 al. 3 Cst., selon lequel les organes de l’État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi (ATF 142 II 206 consid. 2.3; 136 I 254 consid. 5.2; arrêt 2C_90/2024 du 27 septembre 2024 consid. 6.1). L’interdiction de l’abus de droit est le corollaire du principe de la bonne foi. L’abus de droit consiste notamment à utiliser une institution juridique à des fins étrangères au but même de la disposition légale qui la consacre, de telle sorte que l’écart entre le droit exercé et l’intérêt qu’il est censé protéger soit manifeste. Comme le suggère, en matière civile, le libellé de l’art. 2 al. 2 CC, un abus de droit doit, pour être sanctionné, apparaître manifeste. Cela implique que l’abus de droit ne doit être admis qu’avec une grande retenue (ATF 144 II 49 consid. 2.2; 143 III 279 consid. 3.1; 140 III 583 consid. 3.2.4; 137 III 625 consid. 4.3).

En matière d’aide sociale, un abus de droit suppose nécessairement que la personne dans le besoin ait intentionnellement provoqué cette situation dans le seul but de pouvoir ensuite se prévaloir du droit à l’aide sociale. Une telle volonté doit être claire et indiscutable (ATF 134 I 65 consid. 5.2; 121 I 367 consid. 3d). Jusqu’à présent, la jurisprudence a laissé indécis le point de savoir si un abus de droit de la part d’une personne demandant l’aide sociale pouvait justifier une réduction ou un refus de l’aide requise. À la presque unanimité, la doctrine considère qu’il ne peut pas être question d’abus de droit dans l’exercice des droits découlant de l’art. 12 Cst. (ATF 150 I 6 consid. 11.1 et les références citées).

Consid. 6.4 [résumé]
Lorsqu’elle affirme qu’au moment où l’intimée a effectué ses donations, en janvier 2022, celle-ci avait déjà déposé une demande d’allocation pour impotent, la recourante s’éloigne encore une fois des faits établis par la juridiction cantonale, sans exposer en quoi les conditions de l’art. 105 al. 2 LTF seraient réunies. L’arrêt cantonal établit que le droit à une allocation pour impotent n’a été reconnu que dès le 01.09.2022 (degré faible), puis dès le 01.06.2023 (degré moyen), soit après son entrée en EMS. En janvier 2022, l’intimée, alors résidente dans un logement pour seniors, n’avait pas besoin d’un tel établissement.

Cela étant, elle a manqué de prévoyance en donnant à ses enfants l’essentiel du produit de la vente de son appartement, compte tenu de son âge et de ses difficultés de mobilité, car elle aurait dû anticiper une éventuelle entrée en EMS. Toutefois, rien ne permet d’établir qu’elle envisageait concrètement un tel séjour à cette époque. Ce n’est qu’après une chute, plus d’un an plus tard, que son état de santé s’est détérioré, la conduisant à intégrer un EMS. Dans ces circonstances, il ne saurait être retenu qu’elle s’est délibérément dessaisie de sa fortune pour échapper à ses obligations et faire supporter ses frais d’EMS par l’aide sociale.

Les constatations des juges cantonaux échappent donc à tout arbitraire. En outre, la législation relative aux prestations complémentaires invoquée par la recourante n’est pas pertinente en l’espèce. Les conditions strictes permettant de retenir un abus de droit n’étant pas réunies, l’arrêt cantonal doit être confirmé sur ce point.

 

Le TF rejette le recours de la commission sociale de la commune.

 

Arrêt 8C_357/2025 consultable ici

 

 

8C_176/2025 (f) du 19.09.2025 – Escalade sur un toit et chute de 5 mètres – Entreprise téméraire relative / Droit à l’indemnité journalière d’un apprenti sans salaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_176/2025 (f) du 19.09.2025

 

Consultable ici

 

Escalade sur un toit et chute de 5 mètres – Entreprise téméraire relative / 39 LAA – 50 OLAA

Droit à l’indemnité journalière d’un apprenti sans salaire – Existence d’un préjudice économique pour les personnes exerçant une activité lucrative condition préalable au droit à l’IJ / 15 LAA – 16 LAA – 22 OLAA

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé la réduction de moitié des prestations en espèces en raison d’une entreprise téméraire relative. Il a considéré que l’assuré, en franchissant à deux reprises une fosse d’un mètre de large pour grimper sur un couvert situé à cinq mètres du sol malgré la pluie et le risque évident de chute, s’était consciemment exposé à un danger grave. Le comportement adopté, impliquant plusieurs mouvements périlleux au-dessus du vide, constituait ainsi une entreprise téméraire relative au sens de l’art. 50 OLAA.

Le Tribunal fédéral a jugé que l’assuré ne pouvait prétendre à une indemnité journalière, faute de perte de gain effective. Il a relevé qu’au moment de l’accident, celui-ci suivait un apprentissage non rémunéré dans le cadre d’un programme de formation cantonal et ne percevait aucun salaire soumis à cotisation. L’indemnité unique de CHF 6’000 versée ultérieurement par une autorité cantonale ne pouvait être assimilée à un revenu, dès lors qu’il s’agissait d’un geste de soutien sans lien avec une activité lucrative.

 

Faits
Assuré a débuté un apprentissage de gestionnaire du commerce de détail le 26.08.2020. Le 21.05.2021 vers 17h50, dans la cour extérieure du complexe scolaire, il a lourdement chuté au sol depuis une hauteur de plusieurs mètres. L’accident s’est soldé par un traumatisme crânio-cérébral sévère et une fracture de la colonne vertébrale, entraînant une paraplégie complète.

Par décision du 11.04.2023, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a réduit de moitié ses prestations en espèces, au motif que l’atteinte à la santé subie lors de l’accident du 21.05.2021 était la conséquence d’une entreprise téméraire relative. Par ailleurs, l’assuré ne pouvait prétendre à aucune indemnité journalière en l’absence de salaire perçu avant l’accident.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 115/23 – 27/2025 – consultable ici)

Par jugement du 17.02.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
L’art. 39 LAA confère au Conseil fédéral la compétence de désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires justifiant un refus ou une réduction des prestations d’assurance en cas d’accident non professionnel. Sur cette base, l’art. 50 al. 1 OLAA prévoit qu’en cas d’accidents non professionnels dus à une entreprise téméraire, les prestations en espèces sont réduites de moitié; elles sont refusées dans les cas particulièrement graves. Au sens de l’art. 50 al. 2 OLAA, l’entreprise téméraire s’entend d’une activité exposant l’assuré à un danger particulièrement grave sans mesures appropriées pour le limiter, sauf en cas de sauvetage d’autrui.

Consid. 3.2
La jurisprudence qualifie d’entreprises téméraires absolues celles qui, indépendamment de l’instruction, de la préparation, de l’équipement et des aptitudes de l’assuré, comportent des risques particulièrement importants, même si elles sont pratiquées dans les conditions les moins défavorables. Il en va de même des activités risquées dont la pratique ne répond à aucun intérêt digne de protection (ATF 141 V 216 consid. 2.2; 138 V 522 consid. 3.1 et les références). Ont par exemple été considérés comme des entreprises téméraires absolues la participation à un combat de boxe ou de boxe thaï (RAMA 2005 n° U 522 p. 306 [U 336/04]), à une course automobile de côte ou en circuit (ATF 113 V 222; 112 V 44), à une compétition de motocross (RAMA 1991 n° U 127 p. 221 [U 5/90]), la pratique, même à titre de hobby, du « Dirt Biking » (ATF 141 V 37), la pratique de la moto lors d’une séance de pilotage libre organisée sur circuit (arrêts 8C_81/2020 du 3 août 2020 consid. 4.3; 8C_217/2018 du 26 mars 2019 consid. 5; 8C_472/2011 du 27 janvier 2012 consid. 5), un plongeon dans une rivière d’une hauteur de quatre mètres sans connaître la profondeur de l’eau (ATF 138 V 522 consid. 7.2), le fait de s’asseoir sur la rambarde d’un balcon large de 20 centimètres, au quatrième étage d’un immeuble, les jambes dans le vide (arrêt 8C_85/2014 du 21 janvier 2015 consid. 4.4) ou encore, faute de tout intérêt digne de protection, l’action de briser un verre en le serrant dans sa main (SVR 2007 UV n° 4 p. 10 [U 122/06] consid. 2.1) ou de donner un grand coup de pied à un récipient en plastique contenant un liquide incandescent en vue de le projeter sur un feu (arrêt 8C_734/2017 du 30 mai 2018 consid. 4.2).

Consid. 3.3
D’autres activités non dénuées d’intérêt comportent des risques élevés, qui peuvent toutefois être limités à un niveau admissible si l’assuré remplit certaines exigences sur le plan des aptitudes personnelles, du caractère et de la préparation. À défaut, l’activité est qualifiée de téméraire et l’assurance-accidents est en droit de réduire ses prestations conformément aux art. 39 LAA et 50 OLAA. On parle dans ce cas d’entreprise téméraire relative, en ce sens que le refus ou la réduction des prestations dépend du point de savoir si l’assuré était apte à l’exercer et a pris les précautions nécessaires pour limiter les risques à un niveau admissible (ATF 141 V 216 consid. 2.2; 138 V 522 consid. 3.1). Peuvent constituer des entreprises téméraires relatives la « streetluge » (arrêt 8C_638/2015 du 9 mai 2016 publié in: SVR 2016 UV n° 47 p. 155), le canyoning (ATF 125 V 312), la plongée, y compris la plongée spéléologique dans une source (ATF 134 V 340; 96 V 100), l’alpinisme et la varappe (ATF 97 V 72, 86), ou encore le vol delta (ATF 104 V 19). Selon le degré de difficulté et le niveau de risque dans un cas particulier, il n’est pas exclu de qualifier l’une ou l’autre de ces activités d’entreprise téméraire absolue (ATF 134 V 340 consid. 3.2.3).

Consid. 3.4
Si les conditions d’une réduction ou d’une suppression des prestations pour entreprise téméraire ne sont pas remplies, une réduction peut néanmoins être prononcée en vertu de l’art. 37 al. 2 LAA (négligence grave). À l’inverse, si les conditions d’application de l’art. 37 al. 2 LAA et celles de l’art. 39 LAA sont remplies pour un même acte, c’est l’art. 39 LAA qui s’applique, à titre de lex specialis (ATF 134 V 340 consid. 3.2.4 et les références).

Consid. 4.3 [résumé]
l’assuré a franchi à deux reprises une fosse d’environ un mètre de large afin d’accéder au couvert situé à cinq mètres du sol, d’abord depuis la rambarde de la rampe jusqu’à l’encadrement d’une fenêtre de trente centimètres de large, puis depuis cette fenêtre jusqu’au couvert. En choisissant cette trajectoire périlleuse, compte tenu de la hauteur, du risque de glissade et des conditions météorologiques pluvieuses, il s’est consciemment exposé à un danger important de chute et de heurt. L’opération nécessitait plusieurs mouvements risqués au-dessus du vide, sans tolérer la moindre perte d’équilibre.

Même si l’assuré avait déjà effectué cette escalade par le passé et possédait des aptitudes physiques suffisantes, ces éléments ne suffisent pas à ramener son acte à un niveau admissible. Ses vêtements et chaussures ne diminuaient pas non plus ce danger à des proportions raisonnables, notamment en raison du sol, de la rambarde et du couvert mouillés. Le fait que l’encadrement de la fenêtre fût sec est sans incidence, car la chute s’est produite lorsqu’il tentait de se hisser sur le couvert, les jambes suspendues dans le vide à cinq mètres du sol.

Enfin, aucune preuve ne permet d’admettre que l’intéressé était incapable de juger le caractère téméraire de son acte, ni qu’une consommation de cannabis aurait altéré son discernement, l’arrêt cantonal ne contenant aucune mention en ce sens.

Partant, on doit admettre, à l’instar des juges cantonaux, que la manœuvre entreprise par l’assuré pour atteindre le couvert était en soi un acte téméraire relatif, ce qui justifiait que l’intimée réduise ses prestations en espèces de moitié conformément aux art. 39 LAA et 50 OLAA.

Consid. 4.4
On ajoutera que dans l’arrêt 8C_640/2012 du 11 janvier 2013 évoqué par les parties, le Tribunal fédéral a considéré qu’il y avait entreprise téméraire justifiant une réduction des prestations de 50% dans le cas d’une assurée ayant chuté d’une hauteur d’environ cinq mètres alors qu’elle tentait de réintégrer son logement en escaladant la façade de sa maison en pantoufles. Dans l’arrêt 8C_317/2014 du 27 avril 2015, le Tribunal fédéral a considéré qu’en franchissant la balustrade du balcon, au troisième étage d’un immeuble, soit à une hauteur d’environ six à neuf mètres, les pieds dans le vide, l’assuré s’était exposé à un danger particulièrement important de sorte que la chute était la conséquence d’un comportement téméraire justifiant la réduction des prestations en espèces de 50%. Par ailleurs, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a jugé que le fait d’enjamber la barrière d’un balcon et de se tenir accroché à l’extérieur de celle-ci à un hauteur de cinq ou six mètres dans un état alcoolisé remplissait les caractéristiques de l’entreprise téméraire (arrêt U 232/05 du 31 mai 2006 consid. 3.1), tout comme le fait d’escalader la balustrade d’un balcon à six mètres du sol dans un état alcoolisé (arrêt U 612/06 du 5 octobre 2007 consid. 4.1.1). Même si les situations de fait précitées ne sont pas strictement superposables à celle du présent litige, elles n’en concernent pas moins toutes des situations dans lesquelles la personne assurée a chuté d’un bâtiment à plusieurs mètres du sol après avoir adopté un comportement inadéquat. Il suit de là que dans le cas particulier, quand bien même l’assuré avait réussi à plusieurs reprises par le passé une telle escalade, il ne pouvait malgré tout ignorer les risques intrinsèques auxquels il s’exposait en grimpant sur le couvert, à cinq mètres du sol, et en franchissant à deux reprises une fosse d’un mètre de large. Toute personne raisonnable connaît en effet les dangers d’un tel comportement, qui doit être considéré comme une entreprise téméraire.

Consid. 4.5
En tant que lex specialis, l’art. 39 LAA exclut l’examen des conditions d’application de l’art. 37 al. 2 LAA sur l’accident provoqué par une négligence grave (cf. consid. 3.4 supra). L’assuré ne saurait dès lors voir son comportement qualifié de négligence grave par analogie avec le cas publié aux ATF 98 V 227.

Consid. 5.1
Il reste à examiner si l’assuré peut prétendre à une indemnité journalière, réduite de moitié, pour l’incapacité de travail résultant de l’accident.

Consid. 5.1.1
Aux termes de l’art. 16 al. 1 LAA, l’assuré totalement ou partiellement incapable de travailler à la suite d’un accident a droit à une indemnité journalière. Selon l’art. 15 LAA, les indemnités journalières sont calculées d’après le gain assuré (al. 1); est réputé gain assuré pour le calcul des indemnités journalières le dernier salaire que l’assuré a reçu avant l’accident (al. 2, première phrase). Il s’agit du salaire déterminant au sens de la législation sur l’assurance-vieillesse et survivants, sous réserve des dérogations décrites à l’art. 22 al. 2 let. a à d OLAA.

Consid. 5.1.2
Selon l’art. 22 al. 3 OLAA, l’indemnité journalière est calculée sur la base du salaire que l’assuré a reçu en dernier lieu avant l’accident, y compris les éléments de salaire non encore perçus et auxquels il a droit. En principe, on ne tient pas compte de ce que l’assuré aurait gagné après l’accident. L’indemnité journalière ne se fonde donc pas sur un salaire hypothétique. Elle compense la perte de gain résultant de l’incapacité de travail, raison pour laquelle une personne assurée dont la capacité (médico-théorique) de travail est certes réduite en raison des suites de l’accident, mais qui ne subit pas de perte de gain, n’a en principe pas droit à l’indemnité journalière (ATF 134 V 392 consid. 5.3; arrêt 8C_748/2023 du 6 juin 2024 consid. 3.1.2 et 3.1.3 et les références).

Consid. 5.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont constaté que l’assuré suivait un apprentissage dans le cadre du programme Forjad de l’État de Vaud, destiné à offrir une formation encadrée et un accompagnement renforcé. Le contrat d’apprentissage, validé par la Direction générale de l’enseignement obligatoire, ne prévoyait pas de salaire, mais seulement une indemnisation mensuelle de CHF 80 pour frais professionnels. En l’absence de rémunération effective, aucune indemnité journalière ne pouvait lui être allouée. L’art. 23 al. 6 OLAA, concernant notamment les stagiaires et volontaires, ne pouvait être appliqué par analogie, le législateur n’ayant pas prévu de disposition spéciale pour les apprentis non rémunérés. Les juges ont ajouté qu’il n’appartenait pas au juge de combler une lacune improprement dite en créant une règle nouvelle. Le salaire en nature ne pouvait englober l’encadrement éducatif offert par le programme, et la subvention unique de CHF 6’000 versée par la Direction générale de la cohésion sociale (ci-après: DGCS) en décembre 2021 constituait un soutien financier exceptionnel, non assimilable à un salaire.

Consid. 5.3 [résumé]
L’assuré soutient pour sa part que les conditions de l’art. 16 al. 1 LAA étant remplies, il aurait droit à une indemnité journalière malgré l’absence de salaire, dès lors qu’il bénéficiait d’une couverture d’assurance selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA. Invoquant l’ATF 124 V 301, il fait valoir qu’il n’existerait aucune base légale, ni dans la LAA ni dans l’OLAA, selon laquelle les travailleurs sans salaire soumis à la LAA devraient être assurés uniquement pour les prestations pour soins et remboursement de frais. Aussi les juges cantonaux auraient-ils violé les art. 15 et 16 al. 1 LAA en lui refusant les indemnités journalières puisqu’il serait étranger au système de l’assurance-accidents de ne verser à un assuré que certaines prestations prévues par la loi.

Subsidiairement, il demande que l’indemnité unique de CHF 6’000 versée par la DGCS soit reconnue comme équivalente à un salaire de dix mois d’apprentissage, soit CHF 600 mensuels, déduction faite des frais professionnels de CHF 80. Sur cette base et par analogie avec l’art. 22 al. 3 OLAA, il réclame la fixation d’un gain assuré mensuel de CHF 680, ouvrant droit à une indemnité journalière d’au moins CHF 17.90 à compter du 24.05.2021.

Consid. 5.4
Le raisonnement de l’assuré ne peut être suivi. D’abord, il ne saurait se prévaloir de l’ATF 124 V 301, dont il en fait au demeurant sa propre interprétation, cet arrêt concernant le gain assuré pour la fixation de la rente d’invalidité – dont les bases de calcul sont différentes (cf. art. 15 al. 2 LAA) – chez un assuré accomplissant un stage d’orientation professionnelle. Ensuite, le fait qu’il était assuré à titre obligatoire conformément à la LAA (cf. art. 1a al. 1 let. a LAA) ne lui confère pas inéluctablement un droit à toutes les prestations de l’assurance-accidents; encore faut-il que les conditions propres à chacune de ces prestations soient remplies. Enfin, si l’art. 16 al. 1 LAA ne mentionne pas expressément une perte de gain chez l’assuré, l’existence d’un préjudice économique pour les personnes exerçant une activité lucrative constitue une condition préalable évidente au droit à l’indemnité journalière (ATF 130 V 35 consid. 3.3 et les références). En l’occurrence, selon les constatations – non contestées – des juges cantonaux, l’assuré ne percevait, dans le cadre de son apprentissage, soit avant l’accident (au sens de l’art. 15 al. 2, première phrase, LAA), aucun salaire soumis à cotisation. Il ne connaissait ainsi aucune perte de gain au moment de l’accident. Il ne pouvait donc prétendre à l’octroi d’une indemnité journalière en vertu de l’art. 16 LAA.

Consid. 5.5 [résumé]
L’assuré ne saurait davantage être suivi en tant qu’il demande une application par analogie de l’art. 22 al. 3 OLAA compte tenu de l’indemnité de CHF 6’000 versée en décembre 2021 par la DGCS. Cette dernière a confirmé que le versement avait été effectué à bien plaire, dans un esprit de soutien face à la situation dramatique de l’assuré, et provenait du Fonds C.__, destiné à promouvoir des mesures de valorisation de l’entourage dans le maintien à domicile. L’indemnité ne saurait dès lors être considérée comme un salaire ni comme la reconnaissance d’un droit à un salaire. Les échanges de correspondance produits ne permettent pas une autre interprétation, la réponse administrative évoquant seulement un « versement d’une indemnité de CHF 6000.-« . En conséquence, aucun élément ne justifie la prise en compte d’un gain assuré ouvrant droit à une indemnité journalière, comme l’avaient retenu les juges cantonaux et l’assureur-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_176/2025 consultable ici

 

 

8C_318/2025 (f) du 26.09.2025 – Opposition non motivée de la protection juridique avec une demande d’accès au dossier / Manque de diligence de la mandataire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_318/2025 (f) du 26.09.2025

 

Consultable ici

 

Opposition non motivée de la protection juridique avec une demande d’accès au dossier / 52 LPGA – 10 al. 5 OPGA – 61 let. b LPGA

Manque de diligence de la mandataire

 

Résumé
Représentée par sa protection juridique, l’assurée a formé opposition à une décision, demandant l’accès à son dossier peu avant l’échéance du délai légal. L’assurance-accidents a déclaré l’opposition irrecevable, estimant que la mandataire avait agi tardivement. La cour cantonale a annulé cette décision et renvoyé la cause à l’assureur-accidents pour qu’elle statue sur le fond.

En l’espèce, l’assurance-accidents n’avait pas à transmettre le dossier immédiatement, l’assurée n’ayant pas signalé l’urgence de sa requête et sa mandataire ayant attendu plusieurs jours avant d’agir. Il a considéré qu’un délai de trois jours pour traiter une demande de consultation n’était pas excessif et que la prolongation du délai d’opposition n’était pas justifiée, dès lors que le retard résultait du manque de diligence de la mandataire.

 

Faits
Assurée, victime d’un accident de voiture à l’étranger le 07.03.2019, lui causant un traumatisme crânien, diverses contusions et une fracture à la main droite.

Par décision du 25.03.2024, notifiée le lendemain, l’assurance-accidents a mis fin au versement des prestations avec effet au 31.03.2024. Se fondant notamment sur une expertise médicale du 31.10.2023, transmise à l’assurée par courrier du 22.12.2023 pour qu’elle puisse formuler d’éventuelles questions complémentaires à l’expert ou émettre des remarques sur le contenu du rapport, l’assurance a retenu que la seule atteinte à la santé encore en lien de causalité naturelle avec l’accident était un trouble de stress post-traumatique, lequel n’était pas incapacitant et ne nécessitait plus de traitement médical.

Par courrier A Plus du 02.05.2024, distribué le lendemain matin et anticipé par courriel, l’assurée, représentée par son assurance de protection juridique, a déclaré s’opposer formellement à la décision précitée. Invoquant sa récente constitution, sa mandataire a sollicité une copie du dossier, afin de pouvoir motiver l’opposition. Une procuration datée du 01.05.2024 était jointe au pli.

Par courriel du 13.05.2024, l’assurance-accidents a sollicité des précisions quant à la date à laquelle l’assurée avait annoncé le sinistre à son assurance de protection juridique, afin de déterminer si les conditions de régularisation de l’opposition étaient remplies. Le lendemain, la mandataire de l’assurée a répondu qu’elle avait été mandatée le 01.05.2024. Les bureaux étant fermés ce jour-là, elle avait formé opposition le lendemain, afin de sauvegarder le délai échéant le 07.05.2024. N’ayant en sa possession que la décision du 25.03.2024, elle demeurait dans l’attente du dossier de l’assurée.

Par courriel du 15.05.2024, l’assurance-accidents a requis une copie de l’avis de sinistre envoyé par l’assurée à son assurance de protection juridique, dans un délai échéant le 22.05.2024, en précisant qu’à défaut, elle n’entrerait pas en matière sur l’opposition. Le 16.05.2024, l’assurance de protection juridique a réitéré sa demande d’accès au dossier, en précisant notamment qu’elle avait demandé à recevoir dans les meilleurs délais une copie du dossier complet afin de pouvoir compléter l’opposition, ce qui aurait pu être fait avant la fin du délai légal échéant le 07.05.2024.

Par décision du 27.05.2024, l’assurance-accidents a déclaré l’opposition irrecevable.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/315/2025 – consultable ici)

Par jugement du 02.05.2025, admission partielle du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 52 LPGA, les décisions rendues en matière d’assurance sociale peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d’opposition auprès de l’assureur qui les a rendues, à l’exception des décisions d’ordonnancement de la procédure. L’art. 10 OPGA, édicté sur la base de la délégation de compétence prévue à l’art. 81 LPGA, prévoit que l’opposition doit contenir des conclusions et être motivée (al. 1); si elle ne satisfait pas à ces exigences ou si elle n’est pas signée, l’assureur impartit un délai convenable pour réparer le vice, avec l’avertissement qu’à défaut, l’opposition ne sera pas recevable (al. 5).

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 61 let. b LPGA, l’acte de recours doit contenir un exposé succinct des faits et des motifs invoqués, ainsi que les conclusions; si l’acte n’est pas conforme à ces règles, le tribunal impartit un délai convenable au recourant pour combler les lacunes, en l’avertissant qu’en cas d’inobservation le recours sera écarté. La règle de l’art. 61 let. b LPGA découle du principe de l’interdiction du formalisme excessif et constitue l’expression du principe de la simplicité de la procédure qui gouverne le droit des assurances sociales (arrêt 8C_245/2022 précité consid. 3.2). C’est pourquoi le juge saisi d’un recours dans ce domaine ne doit pas se montrer trop strict lorsqu’il s’agit d’apprécier la forme et le contenu de l’acte de recours. Il s’agit là d’une prescription formelle, qui oblige le juge de première instance – excepté dans les cas d’abus de droit manifeste – à fixer un délai pour corriger les imperfections du mémoire de recours (ATF 143 V 249 consid. 6.2; 134 V 162 consid. 2). En raison de l’identité grammaticale des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, les principes exposés ci-dessus valent aussi en procédure administrative, l’idée à la base de cette réflexion étant de ne pas prévoir des exigences plus sévères en procédure d’opposition que lors de la procédure de recours subséquente (ATF 142 V 152 consid. 2.3 et les références citées).

Consid. 3.3
Selon la jurisprudence, les art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, qui prévoient l’octroi d’un délai supplémentaire pour régulariser un acte de recours respectivement une opposition, visent avant tout à protéger l’assuré sans connaissances juridiques qui, dans l’ignorance des exigences formelles de recevabilité, dépose une écriture dont la motivation est inexistante ou insuffisante peu avant l’échéance du délai de recours ou d’opposition, pour autant qu’il en ressorte clairement que son auteur entend obtenir la modification ou l’annulation d’une décision le concernant et sous réserve de situations relevant de l’abus de droit. Dans ce contexte, on prendra en considération qu’un mandataire professionnel est censé connaître les exigences formelles d’un acte de recours ou d’une opposition et qu’il lui est également connu qu’un délai légal n’est pas prolongeable. En cas de représentation, l’octroi d’un délai supplémentaire en application des dispositions précitées s’impose donc uniquement dans la situation où l’avocat ou le mandataire professionnellement qualifié ne dispose plus de suffisamment de temps avant l’échéance du délai légal de recours ou d’opposition pour motiver ou compléter la motivation de l’écriture initiale. Il s’agit typiquement de la situation dans laquelle un assuré, qui n’est pas en possession du dossier le concernant, mandate tardivement un avocat ou un autre mandataire professionnellement qualifié et qu’il n’est pas possible pour ce dernier, en fonction de la nature de la cause, de prendre connaissance du dossier et de déposer un recours ou une opposition motivés à temps. Il n’y a alors pas de comportement abusif de la part du mandataire professionnel s’il requiert immédiatement la consultation du dossier et motive ultérieurement l’écriture initiale qu’il a déposée dans le délai légal pour sauvegarder les droits de son mandant. En dehors de ce cas de figure, les conditions de l’octroi d’un délai supplémentaire en vertu des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA ne sont pas remplies (arrêts 8C_245/2022 précité consid. 3.3; 8C_817/2017 du 31 août 2018 consid. 4 et les références).

Consid. 5.3
Il ressort des constatations du tribunal cantonal que l’assurée a pris contact avec sa mandataire le 19.04.2024, que cette dernière lui a envoyé une procuration pour signature le 30.04.2024, puis qu’elle a adressé à l’assurance-accidents une opposition non motivée, avec une demande d’accès au dossier, le jeudi 02.05.2024, par courrier électronique et par courrier postal reçu par l’assurance-accidents le lendemain, c’est-à-dire trois jours ouvrables avant l’échéance du délai légal le mardi 07.05.2024.

Contrairement à l’avis de la juridiction cantonale, on ne peut pas reprocher à l’assurance-accidents de n’avoir pas immédiatement réagi à ces communications en envoyant le dossier demandé avant l’échéance du délai de recours. Il ne ressort pas des constatations des juges cantonaux que l’assurée aurait mis en évidence d’une quelconque manière le caractère urgent de sa demande en raison de l’échéance très proche du délai d’opposition. Par ailleurs, un délai de traitement de trois jours ouvrables pour une demande de consultation d’un dossier n’a rien d’exceptionnel. La mandataire de l’assurée a elle-même attendu plus de dix jours avant de demander une procuration à sa mandante et plus de douze jours avant de demander le dossier à l’assurance-accidents pour consultation. À défaut d’agir plus rapidement, il lui appartenait au moins de mettre en évidence le caractère urgent de sa demande. Elle ne pouvait pas se limiter aux démarches qu’elle avait elle-même effectuées en prenant bien davantage de temps, laisser le délai d’opposition arriver à échéance sans autre intervention auprès de l’assurance-accidents et ensuite lui faire grief de ne pas lui avoir communiqué le dossier dans les trois jours.

Pour les mêmes motifs, l’assurance-accidents a refusé à juste titre de prolonger le délai pour motiver l’opposition, la mandataire de l’assurée ayant trop tardé avant de faire signer une procuration et de demander à consulter le dossier pour pouvoir déposer une opposition motivée en temps utile. Seul le mandataire professionnel consulté tardivement ou qui n’a pu prendre connaissance du dossier qu’au dernier moment, voire qui n’a pas pu en prendre connaissance en dépit d’une demande présentée avec diligence, peut obtenir un délai pour compléter son opposition.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_318/2025 consultable ici

 

 

 

8C_61/2025 (d) du 09.10.2025 – Versement d’une rente d’invalidité en mains de tiers – Garantie de l’utilisation conforme au but – Pension alimentaire en faveur de l’ex-conjoint – 20 LPGA – 132 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_61/2025 (d) du 09.10.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Versement d’une rente d’invalidité en mains de tiers – Garantie de l’utilisation conforme au but – Pension alimentaire en faveur de l’ex-conjoint / 20 LPGA – 132 CC

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a jugé qu’un jugement fondé sur l’art. 132 al. 1 CC, ordonnant à l’office AI de verser directement à l’ex-épouse une partie de la rente d’invalidité de son ex-mari correspondant à la contribution d’entretien après divorce, est conforme au droit fédéral. Il a confirmé que cette ordonnance civile produit les mêmes effets qu’une injonction fondée sur les art. 177 ou 291 CC et permet donc le versement en mains de tiers. Dès lors, l’office AI devait exécuter l’ordonnance du tribunal civil, et la décision cantonale annulant le refus de l’office est confirmée.

 

Faits
Par jugement et décision du 16.05.2022, le mariage entre l’assuré et A.__ a été dissous. L’assuré doit verser une pension alimentaire de CHF 800 par mois à son ex-épouse du 01.06.2022 au 31.05.2032.

Par décision du 06.04.2023, l’office AI a accordé à l’assuré une rente entière d’invalidité à compter du 01.07.2022. Par jugement et décision du 22.09.2023, le tribunal de district a ordonné à l’office AI de verser directement à l’ex-épouse, en application de l’art. 132 CC, CHF 800 par mois prélevés sur la rente d’invalidité de l’assuré, avec effet immédiat et jusqu’au 31.05.2032, sous peine de devoir payer le double en cas d’omission (dispositif, ch. 1). Cette décision est entrée en force.

Par décision du 27.10.2023, l’office AI a informé l’ex-épouse qu’il ne donnerait pas suite à l’injonction de paiement du tribunal de district du 22.09.2023.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2023.00637 – consultable ici)

Par jugement du 12.12.2024, admission du recours de l’ex-épouse par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Selon l’art. 20 LPGA, l’assureur peut verser tout ou partie des prestations en espèces à un tiers qualifié ou à une autorité ayant une obligation légale ou morale d’entretien à l’égard du bénéficiaire, ou qui l’assiste en permanence, pour autant que les conditions définies dans cette disposition soient remplies. Il est établi et incontesté qu’en l’espèce ces conditions ne le sont pas, puisque l’ex-épouse a un droit à entretien à l’égard de l’assuré et ne supporte pas une obligation d’entretien envers lui.

Consid. 3.1
L’instance cantonale a considéré qu’il ressortait de l’ATF 146 V 265 que le versement à un tiers de prestations relevant du droit des assurances sociales est admissible lorsqu’il repose sur une injonction de payer rendue par un tribunal civil, visant à garantir l’entretien de l’enfant dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale ou d’une procédure de divorce. À l’instar de l’art. 291 CC, l’injonction de payer pour l’entretien après le divorce selon l’art. 132, al. 1, CC a également pour but de garantir la pension alimentaire ou l’aide financière due à la personne bénéficiaire.

Par conséquent, l’obligation du débiteur prévue par l’art. 132 al. 1 CC constitue un autre cas de versement à un tiers s’ajoutant à celui de l’art. 20 LPGA. L’ex-épouse était ainsi en droit, sur la base du jugement, fondé sur l’art. 132 al. 1 CC, de demander que la rente d’invalidité due à son ex-époux lui soit versée directement, à hauteur de la contribution d’entretien qui lui avait été accordée dans le cadre de la procédure de divorce.

Consid. 3.2
L’OFAS recourant fait valoir, à l’inverse, que la décision contenue dans un jugement de divorce, prescrivant le versement des rentes du conjoint débiteur de l’entretien à l’ex-conjoint bénéficiaire de l’entretien (art. 132 CC), n’est pas contraignante pour les offices cantonaux chargés de l’exécution. Selon lui, l’art. 132 CC est formulé de manière générale et, en l’absence de clause expresse relative à un versement à un tiers, il ne peut être dérogé à l’art. 20 al. 1 LPGA.

S’agissant des fondements de l’ordonnance civile adressée au débiteur, il convient d’opérer une distinction. En ce sens, les ordonnances du juge civil concernant le versement des rentes d’un époux qui n’exécute pas son obligation d’entretien envers sa famille dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale sont admissibles et obligent la caisse de compensation (art. 177 CC). Il en va de même pour les rentes des parents qui négligent leur devoir d’entretien envers leur enfant (art. 291 CC). En revanche, l’ordonnance civile contenue dans un jugement de divorce prescrivant le versement des rentes du conjoint débiteur à l’ex-conjoint bénéficiaire de l’entretien (art. 132 CC) est irrecevable.

Consid. 4.1
Le Tribunal fédéral a déjà tranché la question soulevée ici dans l’ATF 151 V 137 : une ordonnance rendue par un tribunal civil en vertu de l’art. 132 CC, prescrivant le versement à un tiers d’une partie des prestations dues à l’assuré, doit être traitée, du point de vue du droit des assurances sociales, de la même manière que celles fondées sur les art. 177 ou 291 CC. Ainsi, l’épouse divorcée peut, sur la base d’une telle ordonnance, exiger qu’une partie de la rente de vieillesse due à son ex-mari lui soit versée directement (consid. 2, 4 et 5 de l’arrêt précité).

Le Tribunal fédéral a relevé, au considérant 5.4 de l’arrêt cité, que le droit à l’entretien après divorce constitue précisément l’exemple type d’une conséquence d’un mariage dissous. La fixation des contributions d’entretien après le divorce relève du droit civil (ou, dans un cas concret, du tribunal civil). Le droit civil, conscient du fait que la communauté conjugale prend fin avec le divorce, prévoit à l’art. 132 al. 1 CC que le tribunal civil peut ordonner au débiteur de la personne tenue à l’entretien d’effectuer les paiements, en tout ou partie, directement à la personne bénéficiaire. Aucun motif particulier ne justifie que le droit des assurances sociales s’écarte, dans le contexte examiné, des principes du droit civil. Les objections tirées du droit de la famille concernant la conception des règles en matière familiale ne constituent pas une raison de refuser d’appliquer dans le droit des assurances sociales la solution prévue par le droit civil.

Consid. 4.2
Il n’existe aucun motif de s’écarter de cette jurisprudence récente (sur les conditions d’un revirement de pratique, cf. ATF 148 III 270 consid. 7.1 ; 145 V 304 consid. 4.4).

L’autorité cantonale n’a donc pas violé le droit fédéral lorsqu’elle a, conformément à la jurisprudence issue de l’ATF 151 V 137, annulé la décision de l’office AI du 27.10.2023 et ordonné à celui-ci de se conformer au jugement du juge unique du tribunal de district du 22.09.2023 concernant la mise en demeure du débiteur.

 

Le TF rejette le recours de l’OFAS.

 

Arrêt 8C_61/2025 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_61/2025 (d) du 09.10.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/11/8c_61-2025)

 

 

9C_528/2025 (f) du 08.10.2025 – Demande d’anonymisation totale de l’arrêt du Tribunal fédéral refusée – 59 al. 3 LTF – 60 RTF / Notoriété d’une partie vs intérêt public de rendre accessible le rubrum et le dispositif de l’arrêt

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_528/2025 (f) du 08.10.2025

 

Consultable ici

 

Demande d’anonymisation totale de l’arrêt du Tribunal fédéral refusée / 59 al. 3 LTF – 60 RTF

Notoriété d’une partie vs intérêt public de rendre accessible le rubrum et le dispositif de l’arrêt

 

Résumé
Les héritiers de feu l’assuré avaient demandé l’anonymisation complète de l’arrêt du Tribunal fédéral afin d’éviter une atteinte à la personnalité et à la mémoire du défunt en raison de sa notoriété et du contenu financier du dossier. Le Tribunal fédéral a rejeté cette requête, rappelant que le principe de publicité des jugements prime sur l’intérêt privé, sauf en cas d’atteinte particulièrement grave, ce qui n’était pas démontré en l’espèce.

 

Faits
Assuré affilié en tant qu’indépendant auprès de la caisse de compensation. À la suite de communications fiscales rectificatives, la caisse avait rendu, le 24 juillet 2020, des décisions rectificatives de cotisations personnelles pour les années 2007 à 2015, fondées sur les données transmises par l’autorité cantonale de taxation. Le même jour, elle avait aussi rendu des décisions séparées octroyant des intérêts rémunératoires à l’assuré. Celui-ci avait formé opposition à l’ensemble des décisions, tant pour les cotisations arriérées que pour les intérêts moratoires y afférents. Par décision du 25 juillet 2024, la caisse a rejeté son opposition. L’assuré est décédé en 2024.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/593/2025 [non disponible sur le site du tribunal cantonal])

Par jugement du 14.08.2025, admission partielle du recours (interjeté par la succession, ses exécuteurs testamentaires, la fiduciaire D.__ et l’administrateur de cette dernière) par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
Les recourants demandent l’anonymisation totale de l’arrêt qui sera rendu, notamment par la suppression de toute mention ou élément permettant une identification directe ou indirecte de feu C.__. Alléguant que le présent recours s’inscrit dans une procédure comportant des informations sur la vie privée du prénommé ainsi que des données précises et chiffrées sur ses revenus et sa fortune, ils soutiennent qu’il existe un intérêt à ce qu’ils ne soient pas divulgués. En effet, la mise à la disposition du public de l’arrêt pendant les 30 jours à compter de sa notification exposerait son contenu à une médiatisation plus importante, compte tenu de la notoriété publique de feu C.__. Ils ajoutent qu’il existe un risque accru et réel de diffusion médiatique ou d’exploitation publique de données qui ne présentent aucun intérêt général, d’autant que la succession n’est pas encore terminée, causant ainsi une atteinte extrêmement grave à la personnalité et à la mémoire du défunt.

Consid. 5.2
Selon l’art. 59 al. 3 LTF complété par l’art. 60 RTF, les arrêts voient leur rubrum et leur dispositif, avec les noms des parties, mis à la disposition du public pendant 30 jours ouvrables à compter de leur notification au siège du Tribunal fédéral pour autant que la loi n’exige pas qu’ils soient rendus anonymes. L’art. 59 al. 3 LTF, qui concrétise le principe du prononcé public du jugement, revêt un intérêt public important (cf. ATF 133 I 106 consid. 8.2; arrêt 2C_443/2019 du 23 mai 2019 consid. 6.2). D’autres exceptions ne peuvent être admises que de manière très restrictive, lorsque le dispositif non anonymisé serait de nature à porter une atteinte particulièrement grave au droit de la personnalité (arrêts 2C_682/2023 du 29 août 2024 consid. 8.1; 9C_654/2022 du 31 octobre 2023 consid. 6.2; 2C_443/2019 du 23 mai 2019 consid. 6.2). Il appartient à celui qui demande l’anonymisation de justifier et de motiver sa requête (arrêt 1B_176/2019 du 17 septembre 2019 consid. 3).

Consid. 5.3
En l’espèce, la notoriété de feu C.__ ne suffit pas à considérer que le droit au respect de la personnalité et de la sphère privée du prénommé serait prépondérant à l’intérêt public de rendre accessible le rubrum et le dispositif du présent arrêt. Par ailleurs, si on admettait un tel intérêt en l’espèce, cela reviendrait à devoir anonymiser systématiquement tous les rubrums et dispositifs mis à la disposition du public dès qu’une personne ferait l’objet d’une attention particulière de la part des médias. Or la médiatisation ou non d’une affaire ne constitue pas un motif suffisant pour justifier l’anonymisation du rubrum et du dispositif. Par conséquent, les recourants ne démontrent pas l’existence d’une telle atteinte à la personnalité du défunt.

 

Le TF rejette le recours.

 

Arrêt 9C_528/2025 consultable ici

 

9C_460/2024 (f) du 08.09.2025 – Obligation d’assurance et affiliation d’office / Exceptions au principe de l’obligation d’assurance – Nette dégradation de la protection d’assurance ou de la couverture des frais

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_460/2024 (f) du 08.09.2025

 

Consultable ici

 

Obligation d’assurance et affiliation d’office / 3 al. 1 LAMal – 6 LAMal – 1 al. 1 OAMal

Exceptions au principe de l’obligation d’assurance – Nette dégradation de la protection d’assurance ou de la couverture des frais / 3 al. 2 LAMal – 2 al. 8 OAMal

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé le refus de dispenser une ressortissante helvético-allemande de l’obligation de s’assurer en Suisse selon la LAMal. Bien qu’ayant été auparavant couverte via l’assurance du personnel des institutions internationales où travaillaient ses parents, cette couverture avait pris fin lorsqu’elle a atteint l’âge de trente ans. Restée domiciliée en Suisse, elle devait dès lors s’affilier auprès d’un assureur LAMal. Le Tribunal fédéral a jugé que l’exception prévue à l’art. 2 al. 8 OAMal ne trouvait pas à s’appliquer à sa situation.

L’examen des conditions de son assurance a révélé des lacunes de prestations, notamment pour les cures de désintoxication, excluant l’existence d’une couverture plus étendue que celle offerte par l’assurance suisse. Le Tribunal fédéral a en outre écarté tout manquement de l’autorité cantonale à son devoir d’information, relevant que la recourante, domiciliée en Suisse depuis toujours, ne pouvait invoquer ni la bonne foi (art. 9 Cst.) ni l’art. 27 al. 1 LPGA pour justifier sa non-affiliation prolongée.

 

Faits
A.__, ressortissante suisse et allemande domiciliée à U.__ depuis sa naissance en décembre 1981, a – pour la couverture des risques maladie et accident – été affiliée en partie (80%) à l’assurance du personnel des institutions internationales pour lesquelles ses parents travaillaient et en partie (20%) à B.__ AG jusqu’à ses 30 ans.

Dès le 01.01.2012, elle n’a plus été affiliée qu’à B.__ AG. À la suite d’accidents survenus en 2017 et 2018, elle a souffert de rachialgies et de coxalgies et bénéficié de traitements de longue durée d’ostéopathie et de physiothérapie.

Informée de son obligation de s’assurer auprès d’un assureur autorisé à pratiquer l’assurance-maladie sociale, elle a entrepris des démarches pour régulariser sa situation et a demandé au Service de l’assurance-maladie (SAM) de la dispenser de cette obligation (courriel du 03.09.2021). Malgré cette demande, elle a été affiliée d’office à C.__ SA dès le 01.04.2023 par décision du 04.04.2023, affiliation suspendue jusqu’à la décision du SAM. Par décision du 23.05.2023, confirmée sur opposition le 19.10.2023, le SAM a rejeté la dispense, considérant qu’elle ne remplissait pas les conditions de l’art. 2 al. 8 OAMal et qu’elle ne disposait pas d’une couverture plus étendue que celle qu’elle pourrait obtenir auprès d’une assurance suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/514/2024 – consultable ici)

Par jugement du 26.06.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
L’arrêt attaqué expose les normes et la jurisprudence indispensables à la résolution du cas, plus particulièrement celles portant sur l’obligation d’assurance (art. 3 al. 1 LAMal et 1 al. 1 OAMal; ATF 129 V 77 consid. 4), son contrôle et l’affiliation d’office (art. 6 LAMal, 4 et 6 de la loi d’application de la République et canton de Genève du 29 mai 1997 de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [LaLAMal; rs/GE J 3 05] ainsi que les art. 4 à 6 du règlement d’exécution de la République et canton de Genève du 15 décembre 1997 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [RaLAMal; rs/GE J 3 05.01]; ATF 126 V 265 consid. 3b). Il en va de même des règles sur les exceptions au principe de l’obligation d’assurance (art. 3 al. 2 LAMal) en lien notamment avec les personnes jouissant de privilèges en vertu du droit international (art. 6 al. 1 et 4 OAMal) ou celles pour lesquelles leurs conditions d’assurance seraient nettement dégradées par l’affiliation à une assurance-maladie suisse (art. 2 al. 8 OAMal; ATF 132 V 310 consid. 8.5.6; arrêt 9C_8/2017 du 20 juin 2017 consid. 2.2.1). Il suffit d’y renvoyer.

On rappellera que, selon l’art. 2 al. 8, première phrase, OAMal, sont exceptées de l’obligation de s’assurer sur requête les personnes dont l’adhésion à l’assurance suisse engendrerait une nette dégradation de la protection d’assurance ou de la couverture des frais et qui, en raison de leur âge et/ou de leur état de santé, ne pourraient pas conclure une assurance complémentaire ayant la même étendue ou ne pourraient le faire qu’à des conditions difficilement acceptables.

Consid. 5.1 [résumé]
Le tribunal cantonal a constaté que la recourante, binationale suisse et allemande, domiciliée en Suisse depuis sa naissance en 1981, avait été assurée par les assurances-maladie de ses parents employés d’organisations internationales, situation justifiant probablement une dispense de l’obligation d’assurance en raison d’une équivalence de couverture. Cette dispense avait toutefois pris fin le 31 décembre 2011, date à laquelle, après ses 30 ans, elle devait s’assurer auprès d’un assureur agréé selon la LAMal, ce qu’elle n’avait pas fait pendant près de dix ans.

Consid. 5.2 [résumé]
La juridiction cantonale a ensuite examiné si une dispense pouvait lui être accordée sous l’angle de l’art. 2 al. 8 OAMal. Elle a laissé ouverte la question de savoir si cette disposition s’appliquait uniquement aux personnes venant de l’étranger ou pouvait aussi viser la recourante, constatant de toute manière que la condition de la «nette dégradation» de la couverture d’assurance n’était pas remplie.

Après examen des conditions générales de B.__ AG, elle a constaté que les mesures de sevrage et les cures de désintoxication n’étaient prises en charge que de manière limitée et que les maladies et accidents causés par des actes de guerre ou de manière intentionnelle étaient exclus de la couverture d’assurance. Elle a considéré que, conformément à ce qu’avait retenu la doctrine (cf. notamment GEBHARD EUGSTER, in Basler Kommentar zum KVG/KVAG, 2020, n° 75-76 ad art. 3 LAMal), le défaut de prestations pour des mesures de sevrage était une lacune importante dans la couverture d’assurance. De plus, même si cette doctrine jugeait peu importante l’exclusion des risques d’atteintes à la santé provoquées par des actes de guerre ou intentionnellement dans le contexte d’une équivalence des couvertures d’assurance, tel n’était pas le cas lorsque, comme en l’occurrence, la couverture d’assurance étrangère devait être plus étendue que celle résultant de l’affiliation à l’assurance suisse. Elle a dès lors confirmé la décision administrative litigieuse au motif que la recourante ne pouvait pas se prévaloir d’une couverture d’assurance plus étendue.

Consid. 7.1 [résumé]
Les critiques de la recourante à l’encontre de l’appréciation de la cour cantonale concernant la comparaison des couvertures d’assurance au sens de l’art. 2 al. 8 OAMal semblent fondées. la cour cantonale s’est limitée à examiner la stricte concordance des prestations prises en charge ou des risques couverts, se fondant de surcroît sur des éléments jugés marginaux (en fonction de la situation personnelle de l’intéressée; maladies et accidents causés intentionnellement ou résultant d’actes de guerre; cf. notamment arrêt 9C_510/2011 du 12 septembre 2011 consid. 4.4.3), sans examiner si d’éventuelles prestations plus favorables offertes par B.__ AG, notamment en matière d’hospitalisation ou de soins dentaires, pouvaient compenser les lacunes constatées, lesquelles ne semblaient pas d’emblée significatives.

Consid. 7.2
Il n’est toutefois pas nécessaire d’approfondir cette question en l’occurrence ni de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle le fasse dans la mesure où l’art. 2 al. 8 OAMal ne s’applique effectivement pas à la situation de la recourante. Contrairement à ce que celle-ci soutient, le tribunal cantonal n’a pas admis qu’en raison de son statut, elle entrait dans le champ d’application de la disposition mentionnée. Il a laissé ouverte la question de savoir si, en raison de son statut, la recourante pouvait être assimilée à une personne venant de l’étranger et pouvait ainsi bénéficier de la dispense requise. Or il n’est pas nécessaire de déterminer si la recourante peut être assimilée à une personne venant de l’étranger avec sa propre assurance dès lors qu’au moment de la naissance de l’obligation d’assurance, elle était de toute façon domiciliée en Suisse (depuis toujours) et ne bénéficiait plus d’une couverture d’assurance. Sa couverture d’assurance auprès de l’assurance du personnel des institutions internationales pour lesquelles ses parents travaillaient (80%) et de B.__ AG (20%) avait effectivement expiré le 31.12.2011 et une nouvelle assurance auprès de B.__ AG (100%, avec changement de tarif) avait été conclue pour la suite. Cette assurance a pris effet le 01.01.2012. Dans ces circonstances, la recourante ne pouvait donc pas se prévaloir de l’exception prévue à l’art. 2 al. 8 OAMal.

Consid. 7.3
La recourante ne peut par ailleurs pas invoquer la protection de la bonne foi (art. 9 Cst.). L’art. 5 al. 1 RaLAMal prévoit certes que l’intimé doit informer toute personne tenue de s’assurer. Cependant, conformément à l’art. 4 RaLAMal, ce devoir dépend de communications de l’Office cantonal de la population et des migrations concernant les départs, décès, arrivées et naissances ainsi que les types de permis et leurs modifications. Or, comme indiqué, la recourante, de nationalité suisse, était domiciliée à U.__ au moment de la naissance de l’obligation d’assurance et l’avait toujours été. L’Office genevois de la population et des migrations n’avait dès lors aucun moyen de connaître le changement de statut de la recourante vis-à-vis de l’assurance-maladie ni n’était tenu d’en informer l’intimé pour qu’il contrôlât le respect de l’obligation d’assurance. De surcroît, sans information de la part de la recourante, l’intimé ne pouvait pas savoir que la dispense dont celle-ci disposait en vertu de l’art. 6 al. 1 et 4 OAMal avait expiré. En effet, l’art. 20 al. 1 let. d et al. 2 let. c de l’ordonnance du 7 décembre 2007 relative à la loi fédérale sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’État hôte (OLEH; RS 192.121) en lien avec l’art. 2 al. 2 let. c de la loi fédérale du 22 juin 2007 sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’État hôte (LEH; RS 192.12) prévoit que la dispense prévue pour les enfants de fonctionnaires internationaux au sens de l’art. 6 al. 4 OAMal peut ne pas être limitée dans le temps et perdurer aussi longtemps que les enfants célibataires âgés de plus de vingt-cinq ans sont entièrement à la charge de leurs parents. Dans ces circonstances, la recourante ne saurait valablement reprocher à la cour cantonale d’avoir estimé que l’intimé n’a pas violé son devoir d’information.

Consid. 7.4
On ajoutera encore que l’art. 27 al. 1 LPGA, également invoqué par la recourante, ne change rien à ce qui précède. Cette disposition impose effectivement aux assureurs et organes d’exécution des diverses assurances sociales une obligation – générale – de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations. Elle ne saurait dès lors imposer en l’occurrence à l’intimé un devoir d’information plus étendu que celui de l’art. 5 al. 1 RaLAMal, qui porte spécifiquement sur ce devoir en lien avec l’obligation d’assurance auprès d’un assureur-maladie en Suisse.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_460/2024 consultable ici