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8C_318/2025 (f) du 26.09.2025 – Opposition non motivée de la protection juridique avec une demande d’accès au dossier / Manque de diligence de la mandataire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_318/2025 (f) du 26.09.2025

 

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Opposition non motivée de la protection juridique avec une demande d’accès au dossier / 52 LPGA – 10 al. 5 OPGA – 61 let. b LPGA

Manque de diligence de la mandataire

 

Résumé
Représentée par sa protection juridique, l’assurée a formé opposition à une décision, demandant l’accès à son dossier peu avant l’échéance du délai légal. L’assurance-accidents a déclaré l’opposition irrecevable, estimant que la mandataire avait agi tardivement. La cour cantonale a annulé cette décision et renvoyé la cause à l’assureur-accidents pour qu’elle statue sur le fond.

En l’espèce, l’assurance-accidents n’avait pas à transmettre le dossier immédiatement, l’assurée n’ayant pas signalé l’urgence de sa requête et sa mandataire ayant attendu plusieurs jours avant d’agir. Il a considéré qu’un délai de trois jours pour traiter une demande de consultation n’était pas excessif et que la prolongation du délai d’opposition n’était pas justifiée, dès lors que le retard résultait du manque de diligence de la mandataire.

 

Faits
Assurée, victime d’un accident de voiture à l’étranger le 07.03.2019, lui causant un traumatisme crânien, diverses contusions et une fracture à la main droite.

Par décision du 25.03.2024, notifiée le lendemain, l’assurance-accidents a mis fin au versement des prestations avec effet au 31.03.2024. Se fondant notamment sur une expertise médicale du 31.10.2023, transmise à l’assurée par courrier du 22.12.2023 pour qu’elle puisse formuler d’éventuelles questions complémentaires à l’expert ou émettre des remarques sur le contenu du rapport, l’assurance a retenu que la seule atteinte à la santé encore en lien de causalité naturelle avec l’accident était un trouble de stress post-traumatique, lequel n’était pas incapacitant et ne nécessitait plus de traitement médical.

Par courrier A Plus du 02.05.2024, distribué le lendemain matin et anticipé par courriel, l’assurée, représentée par son assurance de protection juridique, a déclaré s’opposer formellement à la décision précitée. Invoquant sa récente constitution, sa mandataire a sollicité une copie du dossier, afin de pouvoir motiver l’opposition. Une procuration datée du 01.05.2024 était jointe au pli.

Par courriel du 13.05.2024, l’assurance-accidents a sollicité des précisions quant à la date à laquelle l’assurée avait annoncé le sinistre à son assurance de protection juridique, afin de déterminer si les conditions de régularisation de l’opposition étaient remplies. Le lendemain, la mandataire de l’assurée a répondu qu’elle avait été mandatée le 01.05.2024. Les bureaux étant fermés ce jour-là, elle avait formé opposition le lendemain, afin de sauvegarder le délai échéant le 07.05.2024. N’ayant en sa possession que la décision du 25.03.2024, elle demeurait dans l’attente du dossier de l’assurée.

Par courriel du 15.05.2024, l’assurance-accidents a requis une copie de l’avis de sinistre envoyé par l’assurée à son assurance de protection juridique, dans un délai échéant le 22.05.2024, en précisant qu’à défaut, elle n’entrerait pas en matière sur l’opposition. Le 16.05.2024, l’assurance de protection juridique a réitéré sa demande d’accès au dossier, en précisant notamment qu’elle avait demandé à recevoir dans les meilleurs délais une copie du dossier complet afin de pouvoir compléter l’opposition, ce qui aurait pu être fait avant la fin du délai légal échéant le 07.05.2024.

Par décision du 27.05.2024, l’assurance-accidents a déclaré l’opposition irrecevable.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/315/2025 – consultable ici)

Par jugement du 02.05.2025, admission partielle du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 52 LPGA, les décisions rendues en matière d’assurance sociale peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d’opposition auprès de l’assureur qui les a rendues, à l’exception des décisions d’ordonnancement de la procédure. L’art. 10 OPGA, édicté sur la base de la délégation de compétence prévue à l’art. 81 LPGA, prévoit que l’opposition doit contenir des conclusions et être motivée (al. 1); si elle ne satisfait pas à ces exigences ou si elle n’est pas signée, l’assureur impartit un délai convenable pour réparer le vice, avec l’avertissement qu’à défaut, l’opposition ne sera pas recevable (al. 5).

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 61 let. b LPGA, l’acte de recours doit contenir un exposé succinct des faits et des motifs invoqués, ainsi que les conclusions; si l’acte n’est pas conforme à ces règles, le tribunal impartit un délai convenable au recourant pour combler les lacunes, en l’avertissant qu’en cas d’inobservation le recours sera écarté. La règle de l’art. 61 let. b LPGA découle du principe de l’interdiction du formalisme excessif et constitue l’expression du principe de la simplicité de la procédure qui gouverne le droit des assurances sociales (arrêt 8C_245/2022 précité consid. 3.2). C’est pourquoi le juge saisi d’un recours dans ce domaine ne doit pas se montrer trop strict lorsqu’il s’agit d’apprécier la forme et le contenu de l’acte de recours. Il s’agit là d’une prescription formelle, qui oblige le juge de première instance – excepté dans les cas d’abus de droit manifeste – à fixer un délai pour corriger les imperfections du mémoire de recours (ATF 143 V 249 consid. 6.2; 134 V 162 consid. 2). En raison de l’identité grammaticale des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, les principes exposés ci-dessus valent aussi en procédure administrative, l’idée à la base de cette réflexion étant de ne pas prévoir des exigences plus sévères en procédure d’opposition que lors de la procédure de recours subséquente (ATF 142 V 152 consid. 2.3 et les références citées).

Consid. 3.3
Selon la jurisprudence, les art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, qui prévoient l’octroi d’un délai supplémentaire pour régulariser un acte de recours respectivement une opposition, visent avant tout à protéger l’assuré sans connaissances juridiques qui, dans l’ignorance des exigences formelles de recevabilité, dépose une écriture dont la motivation est inexistante ou insuffisante peu avant l’échéance du délai de recours ou d’opposition, pour autant qu’il en ressorte clairement que son auteur entend obtenir la modification ou l’annulation d’une décision le concernant et sous réserve de situations relevant de l’abus de droit. Dans ce contexte, on prendra en considération qu’un mandataire professionnel est censé connaître les exigences formelles d’un acte de recours ou d’une opposition et qu’il lui est également connu qu’un délai légal n’est pas prolongeable. En cas de représentation, l’octroi d’un délai supplémentaire en application des dispositions précitées s’impose donc uniquement dans la situation où l’avocat ou le mandataire professionnellement qualifié ne dispose plus de suffisamment de temps avant l’échéance du délai légal de recours ou d’opposition pour motiver ou compléter la motivation de l’écriture initiale. Il s’agit typiquement de la situation dans laquelle un assuré, qui n’est pas en possession du dossier le concernant, mandate tardivement un avocat ou un autre mandataire professionnellement qualifié et qu’il n’est pas possible pour ce dernier, en fonction de la nature de la cause, de prendre connaissance du dossier et de déposer un recours ou une opposition motivés à temps. Il n’y a alors pas de comportement abusif de la part du mandataire professionnel s’il requiert immédiatement la consultation du dossier et motive ultérieurement l’écriture initiale qu’il a déposée dans le délai légal pour sauvegarder les droits de son mandant. En dehors de ce cas de figure, les conditions de l’octroi d’un délai supplémentaire en vertu des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA ne sont pas remplies (arrêts 8C_245/2022 précité consid. 3.3; 8C_817/2017 du 31 août 2018 consid. 4 et les références).

Consid. 5.3
Il ressort des constatations du tribunal cantonal que l’assurée a pris contact avec sa mandataire le 19.04.2024, que cette dernière lui a envoyé une procuration pour signature le 30.04.2024, puis qu’elle a adressé à l’assurance-accidents une opposition non motivée, avec une demande d’accès au dossier, le jeudi 02.05.2024, par courrier électronique et par courrier postal reçu par l’assurance-accidents le lendemain, c’est-à-dire trois jours ouvrables avant l’échéance du délai légal le mardi 07.05.2024.

Contrairement à l’avis de la juridiction cantonale, on ne peut pas reprocher à l’assurance-accidents de n’avoir pas immédiatement réagi à ces communications en envoyant le dossier demandé avant l’échéance du délai de recours. Il ne ressort pas des constatations des juges cantonaux que l’assurée aurait mis en évidence d’une quelconque manière le caractère urgent de sa demande en raison de l’échéance très proche du délai d’opposition. Par ailleurs, un délai de traitement de trois jours ouvrables pour une demande de consultation d’un dossier n’a rien d’exceptionnel. La mandataire de l’assurée a elle-même attendu plus de dix jours avant de demander une procuration à sa mandante et plus de douze jours avant de demander le dossier à l’assurance-accidents pour consultation. À défaut d’agir plus rapidement, il lui appartenait au moins de mettre en évidence le caractère urgent de sa demande. Elle ne pouvait pas se limiter aux démarches qu’elle avait elle-même effectuées en prenant bien davantage de temps, laisser le délai d’opposition arriver à échéance sans autre intervention auprès de l’assurance-accidents et ensuite lui faire grief de ne pas lui avoir communiqué le dossier dans les trois jours.

Pour les mêmes motifs, l’assurance-accidents a refusé à juste titre de prolonger le délai pour motiver l’opposition, la mandataire de l’assurée ayant trop tardé avant de faire signer une procuration et de demander à consulter le dossier pour pouvoir déposer une opposition motivée en temps utile. Seul le mandataire professionnel consulté tardivement ou qui n’a pu prendre connaissance du dossier qu’au dernier moment, voire qui n’a pas pu en prendre connaissance en dépit d’une demande présentée avec diligence, peut obtenir un délai pour compléter son opposition.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_318/2025 consultable ici

 

 

 

8C_61/2025 (d) du 09.10.2025 – Versement d’une rente d’invalidité en mains de tiers – Garantie de l’utilisation conforme au but – Pension alimentaire en faveur de l’ex-conjoint – 20 LPGA – 132 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_61/2025 (d) du 09.10.2025

 

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NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Versement d’une rente d’invalidité en mains de tiers – Garantie de l’utilisation conforme au but – Pension alimentaire en faveur de l’ex-conjoint / 20 LPGA – 132 CC

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a jugé qu’un jugement fondé sur l’art. 132 al. 1 CC, ordonnant à l’office AI de verser directement à l’ex-épouse une partie de la rente d’invalidité de son ex-mari correspondant à la contribution d’entretien après divorce, est conforme au droit fédéral. Il a confirmé que cette ordonnance civile produit les mêmes effets qu’une injonction fondée sur les art. 177 ou 291 CC et permet donc le versement en mains de tiers. Dès lors, l’office AI devait exécuter l’ordonnance du tribunal civil, et la décision cantonale annulant le refus de l’office est confirmée.

 

Faits
Par jugement et décision du 16.05.2022, le mariage entre l’assuré et A.__ a été dissous. L’assuré doit verser une pension alimentaire de CHF 800 par mois à son ex-épouse du 01.06.2022 au 31.05.2032.

Par décision du 06.04.2023, l’office AI a accordé à l’assuré une rente entière d’invalidité à compter du 01.07.2022. Par jugement et décision du 22.09.2023, le tribunal de district a ordonné à l’office AI de verser directement à l’ex-épouse, en application de l’art. 132 CC, CHF 800 par mois prélevés sur la rente d’invalidité de l’assuré, avec effet immédiat et jusqu’au 31.05.2032, sous peine de devoir payer le double en cas d’omission (dispositif, ch. 1). Cette décision est entrée en force.

Par décision du 27.10.2023, l’office AI a informé l’ex-épouse qu’il ne donnerait pas suite à l’injonction de paiement du tribunal de district du 22.09.2023.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2023.00637 – consultable ici)

Par jugement du 12.12.2024, admission du recours de l’ex-épouse par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Selon l’art. 20 LPGA, l’assureur peut verser tout ou partie des prestations en espèces à un tiers qualifié ou à une autorité ayant une obligation légale ou morale d’entretien à l’égard du bénéficiaire, ou qui l’assiste en permanence, pour autant que les conditions définies dans cette disposition soient remplies. Il est établi et incontesté qu’en l’espèce ces conditions ne le sont pas, puisque l’ex-épouse a un droit à entretien à l’égard de l’assuré et ne supporte pas une obligation d’entretien envers lui.

Consid. 3.1
L’instance cantonale a considéré qu’il ressortait de l’ATF 146 V 265 que le versement à un tiers de prestations relevant du droit des assurances sociales est admissible lorsqu’il repose sur une injonction de payer rendue par un tribunal civil, visant à garantir l’entretien de l’enfant dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale ou d’une procédure de divorce. À l’instar de l’art. 291 CC, l’injonction de payer pour l’entretien après le divorce selon l’art. 132, al. 1, CC a également pour but de garantir la pension alimentaire ou l’aide financière due à la personne bénéficiaire.

Par conséquent, l’obligation du débiteur prévue par l’art. 132 al. 1 CC constitue un autre cas de versement à un tiers s’ajoutant à celui de l’art. 20 LPGA. L’ex-épouse était ainsi en droit, sur la base du jugement, fondé sur l’art. 132 al. 1 CC, de demander que la rente d’invalidité due à son ex-époux lui soit versée directement, à hauteur de la contribution d’entretien qui lui avait été accordée dans le cadre de la procédure de divorce.

Consid. 3.2
L’OFAS recourant fait valoir, à l’inverse, que la décision contenue dans un jugement de divorce, prescrivant le versement des rentes du conjoint débiteur de l’entretien à l’ex-conjoint bénéficiaire de l’entretien (art. 132 CC), n’est pas contraignante pour les offices cantonaux chargés de l’exécution. Selon lui, l’art. 132 CC est formulé de manière générale et, en l’absence de clause expresse relative à un versement à un tiers, il ne peut être dérogé à l’art. 20 al. 1 LPGA.

S’agissant des fondements de l’ordonnance civile adressée au débiteur, il convient d’opérer une distinction. En ce sens, les ordonnances du juge civil concernant le versement des rentes d’un époux qui n’exécute pas son obligation d’entretien envers sa famille dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale sont admissibles et obligent la caisse de compensation (art. 177 CC). Il en va de même pour les rentes des parents qui négligent leur devoir d’entretien envers leur enfant (art. 291 CC). En revanche, l’ordonnance civile contenue dans un jugement de divorce prescrivant le versement des rentes du conjoint débiteur à l’ex-conjoint bénéficiaire de l’entretien (art. 132 CC) est irrecevable.

Consid. 4.1
Le Tribunal fédéral a déjà tranché la question soulevée ici dans l’ATF 151 V 137 : une ordonnance rendue par un tribunal civil en vertu de l’art. 132 CC, prescrivant le versement à un tiers d’une partie des prestations dues à l’assuré, doit être traitée, du point de vue du droit des assurances sociales, de la même manière que celles fondées sur les art. 177 ou 291 CC. Ainsi, l’épouse divorcée peut, sur la base d’une telle ordonnance, exiger qu’une partie de la rente de vieillesse due à son ex-mari lui soit versée directement (consid. 2, 4 et 5 de l’arrêt précité).

Le Tribunal fédéral a relevé, au considérant 5.4 de l’arrêt cité, que le droit à l’entretien après divorce constitue précisément l’exemple type d’une conséquence d’un mariage dissous. La fixation des contributions d’entretien après le divorce relève du droit civil (ou, dans un cas concret, du tribunal civil). Le droit civil, conscient du fait que la communauté conjugale prend fin avec le divorce, prévoit à l’art. 132 al. 1 CC que le tribunal civil peut ordonner au débiteur de la personne tenue à l’entretien d’effectuer les paiements, en tout ou partie, directement à la personne bénéficiaire. Aucun motif particulier ne justifie que le droit des assurances sociales s’écarte, dans le contexte examiné, des principes du droit civil. Les objections tirées du droit de la famille concernant la conception des règles en matière familiale ne constituent pas une raison de refuser d’appliquer dans le droit des assurances sociales la solution prévue par le droit civil.

Consid. 4.2
Il n’existe aucun motif de s’écarter de cette jurisprudence récente (sur les conditions d’un revirement de pratique, cf. ATF 148 III 270 consid. 7.1 ; 145 V 304 consid. 4.4).

L’autorité cantonale n’a donc pas violé le droit fédéral lorsqu’elle a, conformément à la jurisprudence issue de l’ATF 151 V 137, annulé la décision de l’office AI du 27.10.2023 et ordonné à celui-ci de se conformer au jugement du juge unique du tribunal de district du 22.09.2023 concernant la mise en demeure du débiteur.

 

Le TF rejette le recours de l’OFAS.

 

Arrêt 8C_61/2025 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_61/2025 (d) du 09.10.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/11/8c_61-2025)

 

 

9C_528/2025 (f) du 08.10.2025 – Demande d’anonymisation totale de l’arrêt du Tribunal fédéral refusée – 59 al. 3 LTF – 60 RTF / Notoriété d’une partie vs intérêt public de rendre accessible le rubrum et le dispositif de l’arrêt

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_528/2025 (f) du 08.10.2025

 

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Demande d’anonymisation totale de l’arrêt du Tribunal fédéral refusée / 59 al. 3 LTF – 60 RTF

Notoriété d’une partie vs intérêt public de rendre accessible le rubrum et le dispositif de l’arrêt

 

Résumé
Les héritiers de feu l’assuré avaient demandé l’anonymisation complète de l’arrêt du Tribunal fédéral afin d’éviter une atteinte à la personnalité et à la mémoire du défunt en raison de sa notoriété et du contenu financier du dossier. Le Tribunal fédéral a rejeté cette requête, rappelant que le principe de publicité des jugements prime sur l’intérêt privé, sauf en cas d’atteinte particulièrement grave, ce qui n’était pas démontré en l’espèce.

 

Faits
Assuré affilié en tant qu’indépendant auprès de la caisse de compensation. À la suite de communications fiscales rectificatives, la caisse avait rendu, le 24 juillet 2020, des décisions rectificatives de cotisations personnelles pour les années 2007 à 2015, fondées sur les données transmises par l’autorité cantonale de taxation. Le même jour, elle avait aussi rendu des décisions séparées octroyant des intérêts rémunératoires à l’assuré. Celui-ci avait formé opposition à l’ensemble des décisions, tant pour les cotisations arriérées que pour les intérêts moratoires y afférents. Par décision du 25 juillet 2024, la caisse a rejeté son opposition. L’assuré est décédé en 2024.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/593/2025 [non disponible sur le site du tribunal cantonal])

Par jugement du 14.08.2025, admission partielle du recours (interjeté par la succession, ses exécuteurs testamentaires, la fiduciaire D.__ et l’administrateur de cette dernière) par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
Les recourants demandent l’anonymisation totale de l’arrêt qui sera rendu, notamment par la suppression de toute mention ou élément permettant une identification directe ou indirecte de feu C.__. Alléguant que le présent recours s’inscrit dans une procédure comportant des informations sur la vie privée du prénommé ainsi que des données précises et chiffrées sur ses revenus et sa fortune, ils soutiennent qu’il existe un intérêt à ce qu’ils ne soient pas divulgués. En effet, la mise à la disposition du public de l’arrêt pendant les 30 jours à compter de sa notification exposerait son contenu à une médiatisation plus importante, compte tenu de la notoriété publique de feu C.__. Ils ajoutent qu’il existe un risque accru et réel de diffusion médiatique ou d’exploitation publique de données qui ne présentent aucun intérêt général, d’autant que la succession n’est pas encore terminée, causant ainsi une atteinte extrêmement grave à la personnalité et à la mémoire du défunt.

Consid. 5.2
Selon l’art. 59 al. 3 LTF complété par l’art. 60 RTF, les arrêts voient leur rubrum et leur dispositif, avec les noms des parties, mis à la disposition du public pendant 30 jours ouvrables à compter de leur notification au siège du Tribunal fédéral pour autant que la loi n’exige pas qu’ils soient rendus anonymes. L’art. 59 al. 3 LTF, qui concrétise le principe du prononcé public du jugement, revêt un intérêt public important (cf. ATF 133 I 106 consid. 8.2; arrêt 2C_443/2019 du 23 mai 2019 consid. 6.2). D’autres exceptions ne peuvent être admises que de manière très restrictive, lorsque le dispositif non anonymisé serait de nature à porter une atteinte particulièrement grave au droit de la personnalité (arrêts 2C_682/2023 du 29 août 2024 consid. 8.1; 9C_654/2022 du 31 octobre 2023 consid. 6.2; 2C_443/2019 du 23 mai 2019 consid. 6.2). Il appartient à celui qui demande l’anonymisation de justifier et de motiver sa requête (arrêt 1B_176/2019 du 17 septembre 2019 consid. 3).

Consid. 5.3
En l’espèce, la notoriété de feu C.__ ne suffit pas à considérer que le droit au respect de la personnalité et de la sphère privée du prénommé serait prépondérant à l’intérêt public de rendre accessible le rubrum et le dispositif du présent arrêt. Par ailleurs, si on admettait un tel intérêt en l’espèce, cela reviendrait à devoir anonymiser systématiquement tous les rubrums et dispositifs mis à la disposition du public dès qu’une personne ferait l’objet d’une attention particulière de la part des médias. Or la médiatisation ou non d’une affaire ne constitue pas un motif suffisant pour justifier l’anonymisation du rubrum et du dispositif. Par conséquent, les recourants ne démontrent pas l’existence d’une telle atteinte à la personnalité du défunt.

 

Le TF rejette le recours.

 

Arrêt 9C_528/2025 consultable ici

 

9C_460/2024 (f) du 08.09.2025 – Obligation d’assurance et affiliation d’office / Exceptions au principe de l’obligation d’assurance – Nette dégradation de la protection d’assurance ou de la couverture des frais

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_460/2024 (f) du 08.09.2025

 

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Obligation d’assurance et affiliation d’office / 3 al. 1 LAMal – 6 LAMal – 1 al. 1 OAMal

Exceptions au principe de l’obligation d’assurance – Nette dégradation de la protection d’assurance ou de la couverture des frais / 3 al. 2 LAMal – 2 al. 8 OAMal

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé le refus de dispenser une ressortissante helvético-allemande de l’obligation de s’assurer en Suisse selon la LAMal. Bien qu’ayant été auparavant couverte via l’assurance du personnel des institutions internationales où travaillaient ses parents, cette couverture avait pris fin lorsqu’elle a atteint l’âge de trente ans. Restée domiciliée en Suisse, elle devait dès lors s’affilier auprès d’un assureur LAMal. Le Tribunal fédéral a jugé que l’exception prévue à l’art. 2 al. 8 OAMal ne trouvait pas à s’appliquer à sa situation.

L’examen des conditions de son assurance a révélé des lacunes de prestations, notamment pour les cures de désintoxication, excluant l’existence d’une couverture plus étendue que celle offerte par l’assurance suisse. Le Tribunal fédéral a en outre écarté tout manquement de l’autorité cantonale à son devoir d’information, relevant que la recourante, domiciliée en Suisse depuis toujours, ne pouvait invoquer ni la bonne foi (art. 9 Cst.) ni l’art. 27 al. 1 LPGA pour justifier sa non-affiliation prolongée.

 

Faits
A.__, ressortissante suisse et allemande domiciliée à U.__ depuis sa naissance en décembre 1981, a – pour la couverture des risques maladie et accident – été affiliée en partie (80%) à l’assurance du personnel des institutions internationales pour lesquelles ses parents travaillaient et en partie (20%) à B.__ AG jusqu’à ses 30 ans.

Dès le 01.01.2012, elle n’a plus été affiliée qu’à B.__ AG. À la suite d’accidents survenus en 2017 et 2018, elle a souffert de rachialgies et de coxalgies et bénéficié de traitements de longue durée d’ostéopathie et de physiothérapie.

Informée de son obligation de s’assurer auprès d’un assureur autorisé à pratiquer l’assurance-maladie sociale, elle a entrepris des démarches pour régulariser sa situation et a demandé au Service de l’assurance-maladie (SAM) de la dispenser de cette obligation (courriel du 03.09.2021). Malgré cette demande, elle a été affiliée d’office à C.__ SA dès le 01.04.2023 par décision du 04.04.2023, affiliation suspendue jusqu’à la décision du SAM. Par décision du 23.05.2023, confirmée sur opposition le 19.10.2023, le SAM a rejeté la dispense, considérant qu’elle ne remplissait pas les conditions de l’art. 2 al. 8 OAMal et qu’elle ne disposait pas d’une couverture plus étendue que celle qu’elle pourrait obtenir auprès d’une assurance suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/514/2024 – consultable ici)

Par jugement du 26.06.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
L’arrêt attaqué expose les normes et la jurisprudence indispensables à la résolution du cas, plus particulièrement celles portant sur l’obligation d’assurance (art. 3 al. 1 LAMal et 1 al. 1 OAMal; ATF 129 V 77 consid. 4), son contrôle et l’affiliation d’office (art. 6 LAMal, 4 et 6 de la loi d’application de la République et canton de Genève du 29 mai 1997 de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [LaLAMal; rs/GE J 3 05] ainsi que les art. 4 à 6 du règlement d’exécution de la République et canton de Genève du 15 décembre 1997 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [RaLAMal; rs/GE J 3 05.01]; ATF 126 V 265 consid. 3b). Il en va de même des règles sur les exceptions au principe de l’obligation d’assurance (art. 3 al. 2 LAMal) en lien notamment avec les personnes jouissant de privilèges en vertu du droit international (art. 6 al. 1 et 4 OAMal) ou celles pour lesquelles leurs conditions d’assurance seraient nettement dégradées par l’affiliation à une assurance-maladie suisse (art. 2 al. 8 OAMal; ATF 132 V 310 consid. 8.5.6; arrêt 9C_8/2017 du 20 juin 2017 consid. 2.2.1). Il suffit d’y renvoyer.

On rappellera que, selon l’art. 2 al. 8, première phrase, OAMal, sont exceptées de l’obligation de s’assurer sur requête les personnes dont l’adhésion à l’assurance suisse engendrerait une nette dégradation de la protection d’assurance ou de la couverture des frais et qui, en raison de leur âge et/ou de leur état de santé, ne pourraient pas conclure une assurance complémentaire ayant la même étendue ou ne pourraient le faire qu’à des conditions difficilement acceptables.

Consid. 5.1 [résumé]
Le tribunal cantonal a constaté que la recourante, binationale suisse et allemande, domiciliée en Suisse depuis sa naissance en 1981, avait été assurée par les assurances-maladie de ses parents employés d’organisations internationales, situation justifiant probablement une dispense de l’obligation d’assurance en raison d’une équivalence de couverture. Cette dispense avait toutefois pris fin le 31 décembre 2011, date à laquelle, après ses 30 ans, elle devait s’assurer auprès d’un assureur agréé selon la LAMal, ce qu’elle n’avait pas fait pendant près de dix ans.

Consid. 5.2 [résumé]
La juridiction cantonale a ensuite examiné si une dispense pouvait lui être accordée sous l’angle de l’art. 2 al. 8 OAMal. Elle a laissé ouverte la question de savoir si cette disposition s’appliquait uniquement aux personnes venant de l’étranger ou pouvait aussi viser la recourante, constatant de toute manière que la condition de la «nette dégradation» de la couverture d’assurance n’était pas remplie.

Après examen des conditions générales de B.__ AG, elle a constaté que les mesures de sevrage et les cures de désintoxication n’étaient prises en charge que de manière limitée et que les maladies et accidents causés par des actes de guerre ou de manière intentionnelle étaient exclus de la couverture d’assurance. Elle a considéré que, conformément à ce qu’avait retenu la doctrine (cf. notamment GEBHARD EUGSTER, in Basler Kommentar zum KVG/KVAG, 2020, n° 75-76 ad art. 3 LAMal), le défaut de prestations pour des mesures de sevrage était une lacune importante dans la couverture d’assurance. De plus, même si cette doctrine jugeait peu importante l’exclusion des risques d’atteintes à la santé provoquées par des actes de guerre ou intentionnellement dans le contexte d’une équivalence des couvertures d’assurance, tel n’était pas le cas lorsque, comme en l’occurrence, la couverture d’assurance étrangère devait être plus étendue que celle résultant de l’affiliation à l’assurance suisse. Elle a dès lors confirmé la décision administrative litigieuse au motif que la recourante ne pouvait pas se prévaloir d’une couverture d’assurance plus étendue.

Consid. 7.1 [résumé]
Les critiques de la recourante à l’encontre de l’appréciation de la cour cantonale concernant la comparaison des couvertures d’assurance au sens de l’art. 2 al. 8 OAMal semblent fondées. la cour cantonale s’est limitée à examiner la stricte concordance des prestations prises en charge ou des risques couverts, se fondant de surcroît sur des éléments jugés marginaux (en fonction de la situation personnelle de l’intéressée; maladies et accidents causés intentionnellement ou résultant d’actes de guerre; cf. notamment arrêt 9C_510/2011 du 12 septembre 2011 consid. 4.4.3), sans examiner si d’éventuelles prestations plus favorables offertes par B.__ AG, notamment en matière d’hospitalisation ou de soins dentaires, pouvaient compenser les lacunes constatées, lesquelles ne semblaient pas d’emblée significatives.

Consid. 7.2
Il n’est toutefois pas nécessaire d’approfondir cette question en l’occurrence ni de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle le fasse dans la mesure où l’art. 2 al. 8 OAMal ne s’applique effectivement pas à la situation de la recourante. Contrairement à ce que celle-ci soutient, le tribunal cantonal n’a pas admis qu’en raison de son statut, elle entrait dans le champ d’application de la disposition mentionnée. Il a laissé ouverte la question de savoir si, en raison de son statut, la recourante pouvait être assimilée à une personne venant de l’étranger et pouvait ainsi bénéficier de la dispense requise. Or il n’est pas nécessaire de déterminer si la recourante peut être assimilée à une personne venant de l’étranger avec sa propre assurance dès lors qu’au moment de la naissance de l’obligation d’assurance, elle était de toute façon domiciliée en Suisse (depuis toujours) et ne bénéficiait plus d’une couverture d’assurance. Sa couverture d’assurance auprès de l’assurance du personnel des institutions internationales pour lesquelles ses parents travaillaient (80%) et de B.__ AG (20%) avait effectivement expiré le 31.12.2011 et une nouvelle assurance auprès de B.__ AG (100%, avec changement de tarif) avait été conclue pour la suite. Cette assurance a pris effet le 01.01.2012. Dans ces circonstances, la recourante ne pouvait donc pas se prévaloir de l’exception prévue à l’art. 2 al. 8 OAMal.

Consid. 7.3
La recourante ne peut par ailleurs pas invoquer la protection de la bonne foi (art. 9 Cst.). L’art. 5 al. 1 RaLAMal prévoit certes que l’intimé doit informer toute personne tenue de s’assurer. Cependant, conformément à l’art. 4 RaLAMal, ce devoir dépend de communications de l’Office cantonal de la population et des migrations concernant les départs, décès, arrivées et naissances ainsi que les types de permis et leurs modifications. Or, comme indiqué, la recourante, de nationalité suisse, était domiciliée à U.__ au moment de la naissance de l’obligation d’assurance et l’avait toujours été. L’Office genevois de la population et des migrations n’avait dès lors aucun moyen de connaître le changement de statut de la recourante vis-à-vis de l’assurance-maladie ni n’était tenu d’en informer l’intimé pour qu’il contrôlât le respect de l’obligation d’assurance. De surcroît, sans information de la part de la recourante, l’intimé ne pouvait pas savoir que la dispense dont celle-ci disposait en vertu de l’art. 6 al. 1 et 4 OAMal avait expiré. En effet, l’art. 20 al. 1 let. d et al. 2 let. c de l’ordonnance du 7 décembre 2007 relative à la loi fédérale sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’État hôte (OLEH; RS 192.121) en lien avec l’art. 2 al. 2 let. c de la loi fédérale du 22 juin 2007 sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’État hôte (LEH; RS 192.12) prévoit que la dispense prévue pour les enfants de fonctionnaires internationaux au sens de l’art. 6 al. 4 OAMal peut ne pas être limitée dans le temps et perdurer aussi longtemps que les enfants célibataires âgés de plus de vingt-cinq ans sont entièrement à la charge de leurs parents. Dans ces circonstances, la recourante ne saurait valablement reprocher à la cour cantonale d’avoir estimé que l’intimé n’a pas violé son devoir d’information.

Consid. 7.4
On ajoutera encore que l’art. 27 al. 1 LPGA, également invoqué par la recourante, ne change rien à ce qui précède. Cette disposition impose effectivement aux assureurs et organes d’exécution des diverses assurances sociales une obligation – générale – de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations. Elle ne saurait dès lors imposer en l’occurrence à l’intimé un devoir d’information plus étendu que celui de l’art. 5 al. 1 RaLAMal, qui porte spécifiquement sur ce devoir en lien avec l’obligation d’assurance auprès d’un assureur-maladie en Suisse.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_460/2024 consultable ici

 

 

 

8C_689/2024 (d) du 04.09.2025 – Versement des arrérages de rente en mains de tiers / Notion d’ « institution d’aide sociale privée » et d’ « organisme d’assistance privé » / L’extension de la notion d’assistance privée aux bailleurs serait contraire à la loi

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_689/2024 (d) du 04.09.2025

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Versement des arrérages de rente en mains de tiers / 22 LPGA – 85bis RAI

Notion d’ »institution d’aide sociale privée » et d’ »organisme d’assistance privé »

L’extension de la notion d’assistance privée aux bailleurs serait contraire à la loi

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé qu’une bailleresse ne pouvait être considérée comme un organisme d’assistance privé au sens de la loi et donc prétendre à un versement en mains de tiers des arrérages de rente AI. Il a relevé que la relation entre la locataire et la bailleresse reposait sur un contrat de bail, sans caractère d’aide ou de prestation volontaire, et qu’une telle extension du concept d’assistance privée aux bailleurs irait à l’encontre de la finalité protectrice du droit aux prestations sociales. Par ailleurs, le sursis accordé au paiement des loyers ne pouvait pas être reconnu comme une avance au sens des art. 22 LPGA et 85bis RAI.

 

Faits
Assurée ayant déposé une demande AI en octobre 2020.

Par projet de décision du 24.11.2022, l’office AI l’a informée qu’il envisageait lui octroyer une rente entière, avec effet rétroactif au 01.04.2021.

Le 02.056.2023, C.__, agissant en sa qualité de gérant de la société A.__ GmbH, bailleresse de l’assuré, a demandé le versement de la rente d’invalidité à un tiers et a produit une cession signée par l’assurée portant sur les arrérages de rente. Le 05.09.2023, l’office AI a statué conformément au projet et a compensé une partie des arriérés de rente, à hauteur de CHF 31’155.55, avec les avances versées par le service social. Par une décision du même jour, l’office AI a rejeté la demande de la A.__ GmbH relative au versement en mains de tiers de la rente et des arriérés de rente.

 

Procédure cantonale (arrêt IV 2023/178 – consultable ici)

Par jugement du 23.10.2024, rejet du recours de A.__ GmbH par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 22 al. 1 LPGA, le droit aux prestations est incessible ; il ne peut être donné en gage. Toute cession ou mise en gage est nulle. Selon l’al. 2 de cette même disposition, les prestations accordées rétroactivement par l’assureur social peuvent en revanche être cédées à l’employeur ou à une institution d’aide sociale publique ou privée dans la mesure où ceux-ci ont consenti des avances (let. a) ou à l’assureur qui a pris provisoirement à sa charge des prestations (let. b).

La possibilité, en l’espèce, d’un versement à un tiers en faveur du recourant se détermine selon l’art. 85bis RAI, lequel trouve sa base légale à l’art. 22 al. 2 LPGA. L’al. 1 de cette disposition réglementaire prévoit que les employeurs, les institutions de prévoyance professionnelle, les assurances-maladie, les organismes d’assistance publics ou privés ou les assurances en responsabilité civile ayant leur siège en Suisse qui, en vue de l’octroi d’une rente de l’assurance-invalidité, ont fait une avance peuvent exiger qu’on leur verse l’arriéré de cette rente en compensation de leur avance et jusqu’à concurrence de celle-ci (première phrase). Les organismes ayant consenti une avance doivent faire valoir leurs droits au moyen d’un formulaire spécial, au plus tôt lors de la demande de rente et, au plus tard au moment de la décision de l’office AI (troisième phrase).

Au sens de l’art. 85bis al. 2 RAI, Sont considérées comme une avance, les prestations librement consenties, que l’assuré s’est engagé à rembourser, pour autant qu’il ait convenu par écrit que l’arriéré serait versé au tiers ayant effectué l’avance (let. a) et les prestations versées contractuellement ou légalement, pour autant que le droit au remboursement, en cas de paiement d’une rente, puisse être déduit sans équivoque du contrat ou de la loi (let. b).

Les arrérages de rente peuvent être versés à l’organisme ayant consenti une avance jusqu’à concurrence, au plus, du montant de celle-ci et pour la période à laquelle se rapportent les rentes (art. 85bis al. 3 RAI).

Consid. 5.1
Comme la recourante n’est manifestement ni une assurance ni un employeur, et qu’elle n’appartient pas non plus à l’assistance publique, elle peut tout au plus être examiné, au regard des griefs qu’elle soulève, si elle relève de la notion d’institution d’aide sociale privée ou d’organisme d’assistance privé au sens de l’art. 22 al. 2 LPGA et de l’art. 85bis RAI, et s’il pourrait, à ce titre, prétendre à un versement à un tiers des arriérés de rente.

La notion d’«assistance» correspond à la dénomination aujourd’hui plus usuelle d’«aide sociale». L’«assistance publique» désigne ainsi l’aide sociale étatique régie au niveau cantonal, tandis qu’il demeure largement indéterminé ce qu’il faut entendre par «assistance privée» ou «aide sociale privée» (Remo Dolf, in : Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2e éd. 2025, n° 17 ad Art. 22 ATSG). Le Tribunal fédéral n’a, jusqu’à présent et pour autant que l’on puisse en juger, pas eu l’occasion d’examiner cette question de manière approfondie.

Il faut avant tout comprendre par «assistance privée» des institutions ou organismes d’utilité publique, tels qu’une fondation (cf. à ce sujet Remo Dolf, op. cit., n° 17 ad Art. 22 ATSG, qui se réfère lui-même à l’art. 94 al. LACI, contenant une expression identique, ainsi qu’à la directive correspondante du SECO figurant dans AVIG-Praxis ALE ch. E24, et à la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral).

Consid. 5.2
Le sens et le but de l’art. 22 LPGA résident dans la garantie du droit à la prestation, comme le laisse déjà entendre le titre de cette disposition. L’interprétation de l’art. 22 al. 2 LPGA doit également se conformer à cet objectif : cette disposition admet certes la cession des arriérés de prestations versés par les assureurs sociaux, mais uniquement dans des limites strictement définies. D’après les travaux préparatoires de l’art. 22 al. 2 LPGA, le législateur a voulu, d’une part, restreindre la possibilité du versement à un tiers aux seuls arriérés de prestations d’assurances sociales et, d’autre part, créer une base légale complète pour les versements à un tiers dans le cadre de l’assurance-invalidité conformément à l’art. 85bis RAI (ATF 136 V 286 consid. 5.2 et les références citées).

Les versements à un tiers ne sont admis que dans les cas exceptionnels expressément prévus, puisqu’ils vont à l’encontre de la protection des prestations de la sécurité sociale. Une interprétation trop large de la notion d’assistance privée contredirait ainsi le sens et le but de l’article 22 LPGA (cf. Remo Dolf, op. cit., n° 17 ad Art. 22 ATSG).

Consid. 5.3
En l’espèce, une interprétation exhaustive de la notion d’«organisme d’assistance privé» (ou d’«institution d’aide sociale privée») utilisée dans les dispositions applicables n’est pas nécessaire, car il est manifeste que la recourante ne peut de toute manière pas être qualifiée comme telle.

Le fait qu’une bailleresse soit considérée comme une institution d’aide sociale privée est d’emblée exclu en raison de sa qualité de créancière, qui ne renonce pas à une contre-prestation, mais cherche à garantir sa créance de loyer par le biais du versement de prestations relevant du droit des assurances sociales. La mise à disposition du logement par la recourante ne reposait nullement sur une idée d’assistance, mais sur un contrat de bail. Le sursis accordé au paiement du loyer peut certes être perçu comme un geste conciliant, mais il ne constitue pas pour autant une prestation d’assistance. La suspension du paiement du loyer n’est intervenue que parce que les prestations d’aide sociale publique versées à la future bénéficiaire d’une rente AI — qui couvraient aussi les frais de logement — n’ont pas été utilisées conformément à leur but pour le paiement du loyer. Dans cette configuration, il ne saurait être question d’une prestation volontaire accordée sans attente d’une contre-prestation, ce qui, fondamentalement, caractériserait une assistance privée. L’argument soulevé par la recourante selon lequel l’« assistance privée » fournie en l’espèce ne se distinguerait pas de l’aide sociale publique, ne résiste pas à l’examen.

En outre, qualifier une bailleresse d’institution d’assistance privée habilitée à recevoir des versements à un tiers ouvrirait la voie à une multitude d’autres créanciers fournissant des biens ou services de première nécessité, en compromettant la protection des prestations d’assurances sociales. Ainsi, outre les bailleurs, les commerçants en denrées alimentaires qui ne sont pas payés par les bénéficiaires de rentes AI pourraient également exiger des paiements en mains de tiers. Cela est clairement contraire à l’esprit et à l’objectif des dispositions applicables (cf. consid. 5.2 supra). L’extension de la notion d’assistance privée aux bailleurs est dès lors contraire à la loi.

Consid. 5.4
L’éventuelle lacune alléguée par la recourante concernant les bailleresses ne peut être constatée au regard de l’objectif de sécurité qui sous-tend l’art. 22 LPGA, mentionné plus haut.

Consid. 5.5
Il est en outre douteux que le tribunal cantonal puisse admettre l’existence d’une lacune apparente dans les art. 22 LPGA et 85bis RAI pour les bailleresses. Une clarification plus approfondie de cette question n’est toutefois pas nécessaire en l’espèce, car, dans un cas comme dans l’autre, la conclusion demeure que le droit à un versement à un tiers des arriérés de rente a été nié à juste titre.

Consid. 5.6
Il n’est dès lors pas nécessaire d’examiner si le sursis accordé au paiement du loyer peut être considéré comme une avance au sens des art. 22 al. 2 let. a LPGA ou 85bis al. 2 RAI, et si les autres conditions requises pour un versement à un tiers seraient également remplies. Il n’y a pas lieu non plus d’aborder les autres arguments de la recourante, en particulier l’allégation de violation du principe d’instruction et du droit d’être entendu en lien avec la demande de versement à un tiers.

 

Le TF rejette le recours de la bailleresse.

 

Arrêt 8C_689/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_689/2024 (d) du 04.09.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/11/8c_689-2024)

 

 

9C_24/2025 (d) du 29.08.2025 – Décision incidente de l’AI réglant les modalités de la consultation du dossier et de l’enregistrement sonore – Pas préjudice irréparable – 46 PA / Limitation de l’étendue du droit de consulter le dossier vs modalités de cette consultation

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_24/2025 (d) du 29.08.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Décision incidente de l’AI réglant les modalités de la consultation du dossier et de l’enregistrement sonore – Pas préjudice irréparable / 46 al. 1 let. a PA

Limitation de l’étendue du droit de consulter le dossier vs modalités de cette consultation / 47 LPGA

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé le jugement du tribunal cantonal, qui avait refusé d’entrer en matière sur le recours de l’assuré dirigé contre le refus de l’office AI de lui accorder un accès sans restriction à l’enregistrement sonore de son expertise médicale. Il a jugé que la décision de l’office AI, qui portait uniquement sur les modalités d’accès au dossier – à savoir l’écoute de l’enregistrement par un lien temporaire sans possibilité de téléchargement –, constituait une décision incidente ne causant aucun préjudice irréparable.

Le Tribunal fédéral a retenu que les droits de l’assuré, et en particulier son droit d’être entendu, n’étaient pas atteints dès lors qu’il disposait d’un accès complet au contenu du dossier, qu’il pouvait à tout moment renouveler sa demande de consultation, et qu’aucune restriction matérielle ni atteinte effective à la défense de ses intérêts n’était démontrée. En conséquence, il a confirmé le rejet du recours et l’absence de violation de la garantie de la voie de droit.

 

Faits
Assuré, né 1962, a déposé en septembre 2021 une deuxième demande AI (première demande de 2009 ayant conduit à un refus).

L’office AI a mis en œuvre une expertise bidisciplinaire (rapport du 20.07.2023). Par projet de décision du 17 octobre 2023, la demande est rejetée.

Par courriels des 24.10.2023 et 30.10.2023, l’avocat de l’assuré a demandé la consultation du dossier. Par lettre du 20.11.2023, il a en outre sollicité la transmission de l’enregistrement sonore de l’expertise et une prolongation du délai pour déposer ses observations.

L’office AI a accordé plusieurs prolongations et a invité le mandataire à communiquer un numéro de téléphone mobile afin d’y transmettre un code provisoire donnant accès à l’enregistrement stocké sur une plateforme. L’avocat a déclaré ne pas disposer d’un téléphone portable pouvant être utilisé à cette fin et a demandé à recevoir l’enregistrement sonore sur un support de données ou par courrier électronique sécurisé ; à défaut, il faudrait rendre une décision l’obligeant à communiquer son numéro de téléphone portable. Par courriel du 19.04.2024, l’office AI l’a informé qu’il ne lui était pas permis de lui transmettre l’enregistrement sonore de cette manière.

Le 17.07.2024, l’office AI lui a imparti un ultime délai pour compléter ses objections, précisant qu’il n’avait pas droit à la remise d’un CD ni à une disponibilité illimitée de l’enregistrement sonore. Si la durée de validité du lien n’était pas suffisante, une nouvelle demande de consultation du dossier pouvait être déposée. Il était également possible d’écouter l’enregistrement sonore au siège de la SVA Zurich [Sozialversicherungsanstalt des Kantons Zürich].

Par courriel du 05.08.2024, l’office AI a également informé le représentant légal qu’il pouvait également indiquer le numéro de téléphone portable de l’assuré. Dans un e-mail daté du 04.09.2024, elle lui a finalement fait savoir qu’elle ne rendrait aucune décision susceptible de recours concernant l’enregistrement sonore.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2024.00505 – consultable ici)

Par jugement du 26.11.2024, le tribunal cantonal a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable.

 

TF

Consid. 4.1
Est d’abord contesté le refus d’entrer en matière du tribunal cantonal sur la conclusion principale, selon laquelle le droit d’être entendu dans la procédure de préavis et un accès illimité aux enregistrements sonores devraient être garantis. Ce litige repose sur le fait que le représentant légal de l’assuré avait refusé de consulter en ligne ou dans les locaux de l’office AI (comme cela lui avait été proposé) l’enregistrement des entretiens réalisés dans le cadre de l’expertise bidisciplinaire et qu’il avait, sans succès, demandé à l’office AI de rendre à ce sujet une décision susceptible de recours.

Consid. 4.2
L’assuré fait valoir qu’il avait soumis dans la procédure cantonale, comme objet du litige, la lettre du 17.07.2024, dont l’autorité précédente aurait à tort nié le caractère de décision. Son refus d’entrer en matière violerait le droit à ce que le différend juridique soit tranché par une autorité judiciaire (art. 29a al. 1 Cst.).

Consid. 4.3
La violation alléguée par l’assuré de la garantie de la voie de droit suppose que la décision correspondante de l’office AI soit elle-même susceptible de recours à titre indépendant. Toutefois, une décision relative à la consultation du dossier (art. 47 LPGA) constitue une décision incidente au sens de l’art. 55 al. 1 LPGA en lien avec les art. 5 al. 2 et 46 PA. Par conséquent, un recours dirigé contre une telle décision (art. 56 LPGA) n’est recevable qu’en présence d’un préjudice irréparable (art. 46 al. 1 let. a PA ; cf. également § 13 al. 2 de la loi zurichoise du 7 mars 1993 sur le tribunal des assurances sociales [GSVGer ; RS 212.81]). Le préjudice n’a pas besoin d’être de nature juridique ; un intérêt de fait digne de protection à la suppression ou à la modification immédiate de la décision incidente suffit déjà (cf. ATF 130 II 149 consid. 1.1 ; arrêts 8C_130/2018 du 31 août 2018 consid. 5.2 ; 2C_86/2008 du 23 avril 2008 consid. 3.2 ; Felix Uhlmann/Simone Wälle-Bär, in: Praxiskommentar Verwaltungsverfahrensgesetz [VwVG], 3. Aufl. 2023, N. 6 f. zu Art. 46 VwVG; Melchior Volz, in: Kommentar zum Gesetz über das Sozialversicherungsgericht des Kantons Zürich, 3. Aufl. 2024, S. 160 Rz. 94c). En revanche, le simple intérêt à éviter une prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci n’est en principe pas suffisant (UELI KIESER, Kommentar zum ATSG, 4. Aufl. 2020, N. 21 zu Art. 56 ATSG). Un refus du droit de consulter le dossier ne constitue pas non plus un préjudice irréparable lorsque les moyens de preuve ne sont pas mis en péril et qu’il ne s’agit que d’un éventuel prolongement inutile de la procédure (UHLMANN/WÄLLE-BÄR, a.a.O., N. 17 zu Art. 46 VwVG).

Consid. 4.4
L’instance cantonale a considéré que la transmission de l’enregistrement sonore au moyen d’un lien permettant uniquement l’écoute des entretiens pendant une certaine période, mais pas de les télécharger pour les rendre disponibles sans restriction, pouvait certes apparaître comme une complication administrative pour l’assuré ou son représentant. Toutefois, il n’y avait en tout état de cause pas de préjudice irréparable dans la mesure où cette modalité de consultation du dossier ne pouvait en aucun cas porter atteinte à son contenu matériel et donc au droit d’être entendu du demandeur. D’autres circonstances susceptibles d’avoir des effets préjudiciables irréparables n’étaient ni apparentes ni invoquées. Dans la mesure où le représentant légal a fait valoir auprès de l’office AI qu’il ne disposait pas d’un téléphone portable pouvant être utilisé à cette fin, il convient de lui opposer que, compte tenu de la garantie donnée selon laquelle le numéro ne serait utilisé que pour la transmission de l’enregistrement sonore puis supprimé, il n’y avait aucun inconvénient ni risque d’abus à craindre en ce qui concerne son numéro de téléphone portable.

En outre, il était également possible d’indiquer le numéro de l’assuré, ce qui, contrairement à l’avis de son représentant légal, ne signifie pas qu’il doive écouter l’intégralité de l’enregistrement sonore, puisque le représentant pouvait simplement obtenir le code d’accès par l’intermédiaire de l’assuré. Enfin, une nouvelle demande de consultation du dossier pouvait être déposée à tout moment si la durée de validité du lien (généralement 90 jours) n’était pas suffisante.

Consid. 4.5.1 [résumé]
L’assuré soutient notamment qu’il était erroné de considérer que l’existence d’un préjudice irréparable dépendrait uniquement de la possibilité d’écouter l’intégralité de l’enregistrement sonore. Il estimait que son droit d’être entendu était violé dès lors qu’il ne pouvait pas rendre cet enregistrement accessible à son psychiatre traitant, ou seulement de manière difficile. Enfin, il s’en prend au raisonnement de la juridiction cantonale selon lequel la transmission de l’enregistrement sonore par un lien ne permettant qu’une écoute limitée dans le temps ne portait pas atteinte à l’étendue matérielle du droit de consulter le dossier ni, partant, au droit d’être entendu.

Consid. 4.5.2
Comme l’a justement constaté l’autorité précédente, il n’est pas question d’une limitation matérielle du droit de consulter le dossier et, partant, d’une violation du droit d’être entendu, mais uniquement de la réglementation des modalités de cette consultation. Le droit de l’assuré à un accès complet au contenu de l’enregistrement sonore n’est remis en cause par aucune des parties. Selon les constatations non contestées, une nouvelle demande de consultation du dossier peut être introduite à tout moment après l’expiration du délai de validité du lien d’accès, en principe de 90 jours (délai qui vise à renforcer la sécurité des données) (cf. jugement cantonal, consid. 3.2.2). Il n’existe donc aucune restriction temporelle susceptible d’entraver de manière significative le droit de consultation. Le seul fait que l’assuré ou son représentant préfère un autre mode d’accès à l’enregistrement que ceux qui lui ont été proposés ne saurait constituer un préjudice irréparable.

La situation est similaire à celle examinée dans l’ATF 139 V 492 et dans l’ATF 100 V 126 (concernant l’art. 45 al. 1 PA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006). Dans la première affaire, la personne assurée (ou son représentant) avait souhaité obtenir une copie du dossier au lieu de consulter les originaux (voir en particulier le consid. 4.1 de cet arrêt). Dans la seconde, l’administration n’avait accordé la consultation du dossier qu’au représentant légal, et non à la personne assurée elle-même. Dans les deux cas, l’existence d’un préjudice irréparable avait été niée. Il n’apparaît donc pas davantage en l’espèce pour quelle raison la violation alléguée du droit à un accès illimité à l’enregistrement ne pourrait pas être réparée par une décision favorable à l’assuré sur le fond. Si la décision matérielle à rendre devait au contraire se fonder sur l’expertise bidisciplinaire de juillet 2023 et être défavorable à l’assuré, celui-ci pourrait alors faire valoir efficacement ce grief dans le cadre du recours contre cette décision (art. 46 al. 2 PA). Le fait qu’une éventuelle prolongation inutile de la procédure pourrait être évitée ne suffit pas à admettre l’existence d’un préjudice irréparable (cf. consid. 4.3 supra).

Consid. 4.5.3
Dès lors que la décision de l’office AI réglant les modalités de la consultation du dossier revêt le caractère d’une décision incidente, qui n’est pas susceptible de recours faute de préjudice irréparable au sens de l’art. 46 al. 1 let. a PA, le refus d’entrer en matière de l’autorité précédente se révèle conforme au droit, et une violation de la garantie de la voie de droit est d’emblée exclue.

Consid. 4.6
Contrairement à ce que semble supposer l’assuré, l’instance cantonale ne pouvait pas non plus renoncer à l’exigence d’un préjudice irréparable. Pour appuyer sa position, l’assuré se réfère à l’ATF 135 II 430, dont le considérant 2.2 traite de l’intérêt pratique actuel. En se fondant sur les conditions mentionnées dans cet arrêt, il soutient que la question du droit d’accès à l’enregistrement sonore pourrait se représenter à tout moment et dans des circonstances identiques ou semblables, de sorte que sa résolution serait d’importance fondamentale et relèverait de l’intérêt public.

Il n’y a toutefois aucune raison de déroger ici à la condition de recevabilité tenant au préjudice irréparable, car – comme cela a été exposé (consid. 4.5.2) – il ne s’agit pas d’une limitation de l’étendue du droit de consulter le dossier, mais uniquement des modalités de cette consultation. À cet égard également, le tribunal cantonal a constaté à juste titre, en se référant à ce qui a été dit dans l’ATF 139 V 492 consid. 4.2, qu’une voie de droit exceptionnelle ne s’imposait pas dans une telle situation, les litiges relatifs aux modalités du droit de consultation du dossier ne concernant pas la participation d’une partie à la procédure, mais seulement des questions touchant à la bonne administration – susceptibles, le cas échéant, d’être tranchées dans le cadre d’une plainte auprès de l’autorité de surveillance – et à la manière dont celle-ci traite les personnes assurées et leurs représentants. En d’autres termes, le tribunal cantonal n’a eu aucune raison d’entrer en matière sur le recours à titre exceptionnel sans que soient remplies les conditions de recevabilité applicables aux décisions incidentes.

Consid. 4.7
En l’absence d’un préjudice irréparable au sens de l’art. 46 al. 1 let. a PA, la décision attaquée serait valable sur le point de la non-entrée en matière même si l’instance précédente avait nié à tort le caractère décisionnel de la lettre du 17.07.2024.

Consid. 4.8
Dans ces circonstances, il est également conforme au droit que l’instance cantonale ait rejeté, dans la mesure où elle est entrée en matière, la conclusion subsidiaire tendant à ce que l’intimée soit enjointe de rendre une décision procédurale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_24/2025 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_24/2025 (d) du 29.08.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/11/9c_24-2025)

 

 

8C_184/2025 (f) du 15.09.2025 – Réparation du dommage causé par l’office AI lors d’un entretien de détection précoce – Condition de l’illicéité / Devoir de conseil de l’assureur social

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_184/2025 (f) du 15.09.2025

 

Consultable ici

 

Réparation du dommage causé par l’office AI lors d’un entretien de détection précoce – Condition de l’illicéité / 78 LPGA – 3 al. 1 LRCF

Devoir de conseil de l’assureur social / 27 LPGA

Notion de la détection précoce / 3a LAI

 

Résumé
L’assurée reprochait à l’office AI de ne pas l’avoir invitée à déposer une demande de prestations ni informée des conditions ouvrant le droit à une rente lors de la procédure de détection précoce en février 2017. Elle estimait que cette omission constituait une violation du devoir de conseil et engageait la responsabilité de l’office AI. Le Tribunal fédéral a confirmé que l’administration avait agi conformément à la volonté exprimée par l’assurée de se réadapter seule, dans un contexte d’amélioration – certes sensible – de son état de santé, et qu’aucune obligation spécifique d’information ne s’imposait alors à l’office AI. Faute d’acte illicite, la demande en réparation du dommage a donc été rejetée.

 

Faits
Assurée, née en 1965, exerce depuis 2007 comme kinésiologue, thérapeute et masseuse indépendante. En janvier 2017, elle a signalé des difficultés à l’office AI par le biais d’un formulaire de détection précoce. Son dossier d’assurance perte de gain faisait état d’une maladie de Lyme et d’une une incapacité de travail totale du 22.06.2016 au 09.10.2016 et de 70% depuis le 10.10.2016. Lors d’un entretien de détection précoce le 01.02.2017, elle a mentionné vouloir reprendre progressivement son activité et éventuellement suivre une formation complémentaire. Le 08.02.2017, l’office AI lui a indiqué qu’une demande AI formelle n’était pas nécessaire pour le moment, tout en restant disponible pour soutenir financièrement d’éventuels cours.

En juin 2018, l’assurée a sollicité une aide financière, invoquant un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde sévère posé en avril 2017 et une aggravation de son état. Elle a ensuite déposé une demande formelle de prestations AI le 25.09.2018. Par décisions des 14.04.2.023 et 06.06.2023, l’office AI lui a accordé une rente entière du 01.03.2019 au 31.08.2019 puis une demi-rente dès le 01.09.2019.

Le 07.06.2023, l’assurée a déposé auprès de l’office AI une demande en réparation du dommage, estimant que l’office AI ne l’avait pas correctement informée lors de la détection précoce en 2017, ce qui l’aurait privée d’une rente entière entre août 2017 et février 2019. Le 29.06.2023, l’office a rejeté la demande en niant toute faute.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 242/23 – 49/2025 – consultable ici)

Par jugement du 24.02.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1
Aux termes de l’art. 78 al. 1 LPGA, les corporations de droit public, les organisations fondatrices privées et les assureurs répondent, en leur qualité de garants de l’activité des organes d’exécution des assurances sociales, des dommages causés illicitement à un assuré ou à des tiers par leurs organes d’exécution ou par leur personnel. Cette disposition institue une responsabilité causale et ne présuppose donc pas une faute d’un organe de l’institution d’assurance. Les corporations de droit public, les organisations fondatrices privées et les assureurs répondent donc si un organe ou un agent accomplit, en sa qualité d’organe d’exécution de la loi, un acte illicite et dommageable. Il doit en outre exister un rapport de causalité entre l’acte et le dommage (ATF 133 V 14 consid. 7).

Consid. 3.1.2
Selon l’art. 3 al. 1 LRCF (RS 170.32) – auquel renvoie l’art. 78 al. 4 LPGA -, la Confédération répond du dommage causé sans droit à un tiers par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, sans égard à la faute du fonctionnaire. La condition de l’illicéité au sens de l’art. 3 al. 1 LRCF suppose la violation par l’État, au travers de ses organes ou agents, d’une norme protectrice des intérêts d’autrui en l’absence de motifs justificatifs (consentement, intérêt public prépondérant, etc.). La jurisprudence a également considéré comme illicite la violation de principes généraux du droit ou encore, selon les circonstances, un excès ou un abus du pouvoir d’appréciation conféré par la loi. L’illicéité peut d’emblée être réalisée si le fait dommageable découle de l’atteinte à un droit absolu (vie, santé ou droit de propriété). Si, en revanche, le fait dommageable consiste en une atteinte à un autre intérêt (par exemple le patrimoine), l’illicéité suppose que l’auteur ait violé une norme de comportement ayant pour but de protéger le bien juridique lésé (Verhaltensunrecht) (ATF 148 II 73 consid. 3.2; 144 I 318 consid. 5.5; 139 IV 137 consid. 4.2; 137 V 76 consid. 3.2).

Une omission peut constituer un acte illicite uniquement s’il existe une disposition la sanctionnant ou imposant de prendre la mesure omise. Ce chef de responsabilité suppose que l’État se trouve dans une position de garant à l’égard du lésé et que les prescriptions déterminant la nature et l’étendue de ce devoir aient été violées (ATF 148 II 73 consid. 3.2; 144 I 318 consid. 5.5; 137 V 76 consid. 3.2; 133 V 14 consid. 8.1).

Consid. 3.2.1
L’art. 27 LPGA prévoit que dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1) et que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase).

Consid. 3.2.2
Le devoir de conseil de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA comprend l’obligation d’attirer l’attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations. Les conseils ou renseignements portent sur les faits que la personne qui a besoin de conseils doit connaître pour pouvoir correctement user de ses droits et obligations dans une situation concrète face à l’assureur. Le devoir de conseil s’étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique. Son contenu dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (ATF 139 V 524 consid. 2.2; 131 V 472 consid. 4.3; arrêt 8C_419/2022 du 6 avril 2023 consid. 4.2 in fine et l’arrêt cité).

Consid. 3.3.1
Selon l’art. 29 al. 1 LPGA, celui qui fait valoir son droit à des prestations doit s’annoncer à l’assureur compétent, dans la forme prescrite pour l’assurance sociale concernée. En vertu de l’art. 28 al. 1 LAI – dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, applicable ratione temporis au cas d’espèce (cf. ATF 150 V 323 consid. 4.2; 150 II 390 consid. 4.3; 149 II 320 consid. 3) -, l’assuré a droit à une rente aux conditions suivantes: sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a); il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b); au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c). Conformément à l’art. 29 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18 e anniversaire de l’assuré (al. 1); la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance (al. 3).

Consid. 3.3.2
Selon l’art. 3a al. 1 LAI, la détection précoce a pour but de prévenir l’invalidité (art. 8 LPGA) de personnes en incapacité de travail (art. 6 LPGA). L’art. 3c LAI dispose que l’office AI examine la situation personnelle de l’assuré, en particulier son incapacité de travail et les causes et conséquences de celle-ci, et détermine si des mesures d’intervention précoce au sens de l’art. 7d sont indiquées (al. 2, première phrase); il peut inviter l’assuré et, si besoin est, son employeur à un entretien de conseil (al. 2, seconde phrase); au besoin, l’office AI ordonne à l’assuré de s’annoncer à l’AI conformément à l’art. 29 LPGA (al. 6, première phrase); il l’informe du fait que les prestations peuvent être réduites ou refusées s’il ne s’annonce pas dans les meilleurs délais (al. 6, seconde phrase).

L’art. 1quinquies RAI – dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, applicable au cas d’espèce – prévoit que l’office AI peut convoquer l’assuré à un entretien de détection précoce dont le but est d’évaluer si le dépôt d’une demande de prestations AI est indiqué (al. 1); l’entretien de détection précoce vise notamment à analyser la situation médicale, professionnelle et sociale de l’assuré (al. 1 let. a).

Une annonce de détection précoce ne constitue pas une demande de prestations de l’assurance-invalidité au sens de l’art. 29 al. 1 LPGA (arrêts 9C_324/2021 du 16 septembre 2021 consid. 5.2; 9C_463/2014 du 9 septembre 2014 consid. 3.2 et les références citées).

Consid. 6.1 [résumé]
L’assurée invoque une violation des art. 78 al. 1 et 27 LPGA. Elle reproche à la cour cantonale d’avoir admis que l’office AI ne l’avait ni invitée à déposer une demande de prestations à la suite de la détection précoce, ni informée de son éventuel droit à une rente d’invalidité. Elle soutient que cette omission d’information constitue une violation du devoir de conseil prévu à l’art. 27 LPGA, puisqu’elle n’a pas été renseignée sur les conditions juridiques entourant l’ouverture du droit aux prestations, notamment le délai de six mois fixé par l’art. 29 al. 1 LAI. Selon elle, aucune justification ne permettait à l’office AI de s’abstenir de cette information.

En février 2017, son incapacité de travail durait depuis huit mois, son activité était fortement réduite par ses atteintes à la santé et elle cherchait déjà à se réorienter par des formations personnelles. Or, la cour cantonale aurait ainsi dispensé l’office AI de tout devoir de conseil dès lors qu’un assuré tente spontanément de réduire son dommage, ce qui serait contraire au sens de l’art. 27 LPGA.

De plus, l’assurée conteste avoir refusé toute aide de l’office AI. Elle affirme au contraire avoir été incitée par la spécialiste en réinsertion à ne pas déposer de demande AI. Elle souligne qu’en l’absence d’explications sur les conditions d’octroi d’une rente, elle n’était pas en mesure de choisir en connaissance de cause de faire valoir son droit. Même si elle avait exprimé un refus d’aide, l’office AI aurait dû, selon elle, l’avertir que ne pas déposer une demande pouvait l’exposer à une perte rétroactive de rente en vertu de l’art. 29 al. 1 LAI.

Dans ces conditions, l’office AI aurait omis de l’informer en violation de l’art. 27 LPGA, ce qui serait constitutif d’un acte illicite. Dès lors qu’elle aurait subi un dommage et que le lien de causalité entre celui-ci et l’acte illicite serait donné, les conditions de la responsabilité de l’office AI, au sens de l’art. 78 al. 1 LPGA, seraient réalisées.

Consid. 6.2.1 [résumé]

L’assurée soutenait qu’elle n’avait jamais déclaré, lors de l’entretien du 01.02.2017, refuser l’aide de l’office AI, et qu’au contraire, la conseillère en réinsertion l’aurait incitée à ne pas déposer de demande de prestations. L’assurée remet en cause les faits retenus par la cour cantonale sans démontrer d’arbitraire. En conséquence, les faits constatés définitivement dans l’arrêt cantonal demeurent applicables. Ainsi, il est retenu qu’au cours de la détection précoce, l’assurée a exprimé la volonté de se réorienter par ses propres moyens et qu’il a été convenu, d’un commun accord avec la conseillère en réinsertion, de ne pas introduire de demande AI à ce stade.

Consid. 6.2.2
Selon les faits constatés sans arbitraire par le tribunal cantonal (cf. consid. 5 et 6.2.1 supra), l’assurée a effectué une annonce de détection précoce sur demande expresse de son assureur perte de gain, et non pas de sa propre initiative. Lors de l’entretien du 01.02.2017, elle a clairement exprimé son souhait de ne pas être aidée par l’office AI, en précisant ne pas voir le sens de sa démarche auprès de celui-ci. Elle indiquait vouloir diversifier ses activités en suivant des formations complémentaires. Au moment de la phase de détection précoce, elle avait d’ailleurs déjà entamé des formations de Qi Gong et d’animation d’ateliers de coaching et avait l’intention d’entreprendre une formation pour enseigner une introduction à la philosophie. Au plan médical, les rapports que s’est procurés l’office AI mentionnaient une évolution lentement favorable et une amélioration de la capacité de travail à compter du 10.09.2016.

Compte tenu de la posture de l’assurée et des informations à sa disposition en février 2017, l’office AI pouvait légitimement penser que celle-ci était en mesure de se réinsérer professionnellement toute seule et qu’une demande de prestations n’était pas indiquée.

A posteriori, il apparaît certes qu’il aurait été préférable que l’office AI attire expressément l’attention de l’assurée sur les conditions d’octroi d’une rente d’invalidité, en particulier sur les délais prévus aux art. 28 al. 1 let. b et 29 al. 1 LAI, dans l’hypothèse où l’évolution en cours ne devait pas se poursuivre comme attendu. Il reste que dans les circonstances connues de l’office AI à l’époque, l’omission d’un tel renseignement ne constitue pas une violation de l’art. 27 al. 2 LPGA et, partant, n’est pas illicite au sens de l’art. 78 al. 1 LPGA. Au vu notamment des démarches déjà entreprises par l’assurée pour diversifier son activité, de l’amélioration apparemment en cours de son état de santé et du fait que l’assurée elle-même avait indiqué ne pas souhaiter d’aide de l’assurance-invalidité hormis le financement d’une formation si besoin, l’office AI pouvait raisonnablement considérer qu’il n’y avait pas à s’attendre à une invalidité imminente. Il s’ensuit que l’arrêt cantonal échappe à la critique et que le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_184/2025 consultable ici

 

 

 

8C_517/2024 (f) du 28.08.2025 – Suicide, traitement médicamenteux (Citalopram et Dalmadorm) et capacité de discernement au moment de l’acte / 37 al. 1 LAA – 48 OLAA – 16 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_517/2024 (f) du 28.08.2025

 

Consultable ici

 

Suicide, traitement médicamenteux (Citalopram et Dalmadorm) et capacité de discernement au moment de l’acte / 37 al. 1 LAA – 48 OLAA – 16 CC

Expertise judiciaire pharmacologique – Capacité de discernement ne peut être attestée que par un-e psychiatre

 

Résumé
Un assuré a été retrouvé pendu à son domicile peu après l’introduction d’un traitement antidépresseur au Citalopram. Son épouse et ses enfants soutenaient qu’il avait agi sans discernement en raison d’effets indésirables liés au médicament. Après avoir refusé ces prestations, l’assurance-accidents avait vu sa décision annulée par la juridiction cantonale, laquelle s’était fondée sur une expertise pharmacologique concluant à une altération significative du discernement de l’assuré.

Le Tribunal fédéral a jugé que cette expertise, d’ordre pharmacologique uniquement, ne suffisait pas à établir une incapacité totale de discernement au moment du passage à l’acte. Considérant que seul un psychiatre pouvait se prononcer sur ce point, il a estimé que l’instruction demeurait incomplète. L’arrêt cantonal a été annulé et la cause renvoyée pour mise en œuvre d’une expertise psychiatrique, puis nouvelle décision sur le droit éventuel aux prestations.

 

Faits
Assuré, né en 1974, marié et père de deux enfants nés en 2005 et 2010, travaillait comme délégué médical. Depuis 2015, il avait été suivi par un psychiatre pour une dépression, traitée par médicaments, avec une amélioration initiale suivie d’une rechute en novembre 2016. Le psychiatre traitant lui avait alors prescrit un traitement antidépresseur (Citalopram et Dalmadorm).

Le 25.11.2016, son épouse partie au travail et son fils aîné à l’école, l’assuré avait amené son fils cadet à l’école avant de rentrer à la maison pour travailler. À son retour du travail à 17h45, l’épouse avait découvert le corps de son époux, lequel s’était pendu dans un appentis de la cave de leur villa.

L’assurance-accidents avait mené des investigations, notamment en s’entretenant avec l’épouse du défunt, et recueilli les avis du psychiatre traitant et du psychiatre-conseil. Par décision du 13.07.2017, elle avait refusé toute prestation, hormis les frais funéraires, considérant que le décès résultait d’un acte volontaire.

La veuve et ses enfants, représentés par un avocat, avaient formé opposition, soutenant que l’assuré était dénué de discernement au moment de son suicide à la suite de la prise de l’antidépresseur Citalopram. Ils avaient en outre contesté la valeur du rapport du psychiatre-conseil, estimé incomplet, et requis une expertise psychiatrique externe. L’assurance-accidents avait rejeté l’opposition le 29.01.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 44/18 – 84/2024 – consultable ici)

Saisi d’un recours, le tribunal cantonal avait ordonné une expertise pharmacologique confiée au Dr H.__, lequel avait conclu, dans son rapport du 29 décembre 2021, à une participation significative du Citalopram dans le geste suicidaire. Après la production des déterminations de l’assurance-accidents et du rapport de sa médecin-conseil, spécialiste en chirurgie générale et traumatologie, la juridiction cantonale avait, par arrêt du 18 juillet 2024, admis le recours, annulé la décision sur opposition et renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle fixe les prestations de survivants dues à la veuve et aux orphelins, tout en mettant les frais d’expertise, d’un montant de 3’000 francs, à la charge de l’assurance-accidents.

 

TF

Consid. 3.1
Il est établi que le décès de l’assuré était la conséquence d’un suicide. Est en revanche litigieuse la question de savoir si, au moment de l’acte, celui-ci était totalement incapable de se comporter raisonnablement, respectivement privé de sa capacité de discernement, sans faute de sa part.

Consid. 3.2
L’arrêt entrepris expose correctement les règles légales (art. 4 LPGA, 6 al. 1 et 37 al. 1 LAA, 48 OLAA) et la jurisprudence sur les conditions dans lesquelles les suites d’un suicide sont prises en charge par l’assurance-accidents; il suffit d’y renvoyer. Il rappelle à juste titre que le suicide comme tel n’est un accident assuré, conformément à l’art. 48 OLAA, que s’il a été commis dans un état d’incapacité de discernement au sens de l’art. 16 CC. Pour qu’un assureur-accident soit tenu de verser des prestations, il faut établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, l’existence d’une maladie psychique ou d’un trouble sévère de la conscience. Cela implique la preuve de symptômes psychopathologiques tels que des idées délirantes, des hallucinations, un état de stupeur dépressif (état d’agitation aiguë avec tendance suicidaire), un raptus (état d’excitation soudaine en tant que symptôme d’un trouble psychique), ou autres manifestations similaires. Le motif de suicide ou de la tentative de suicide doit découler directement de cette symptomatologie psychiatrique. Autrement dit, l’acte ne doit pas seulement apparaître disproportionné mais insensé (arrêts 8C_791/2023 du 18 juin 2024 consid. 3.2; 8C_359/2021 du 7 juillet 2021 consid. 2.3; HANS KIND, Suizid oder « Unfall » ?, Die psychiatrischen Voraussetzungen für die Anwendung von Art. 48 UVV, RSAS 1993, p. 291). L’incapacité de discernement n’est donc pas appréciée dans l’abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l’acte (principe de la relativité du discernement; voir par exemple ATF 150 III 147 consid. 7.3).

Consid. 3.3
Pour établir l’absence de capacité de discernement, il ne suffit pas de considérer l’acte de suicide et, partant, d’examiner si cet acte est déraisonnable. Il convient bien plutôt d’examiner, compte tenu de l’ensemble des circonstances, en particulier du comportement et des conditions d’existence de l’assuré avant le suicide, s’il était raisonnablement en mesure d’éviter ou non de mettre fin ou de tenter de mettre fin à ses jours. Il n’y a pas lieu d’imposer des exigences strictes pour prouver l’incapacité de discernement; celle-ci est réputée établie lorsqu’un acte suicidaire motivé par des pulsions irrésistibles semble plus probable qu’un acte encore largement rationnel et volontaire (arrêt 8C_359/2021 du 7 juillet 2021 consid. 2.4 avec renvois).

Consid. 3.4
Celui qui prétend des prestations d’assurance doit, en cas de suicide ou de tentative de suicide, apporter la preuve de l’incapacité de discernement au moment de l’acte au sens de l’art. 16 CC (arrêts 8C_791/2023 du 18 juin 2024 consid. 3.4; 8C_359/2021 du 7 juillet 2021 consid. 2.5; 8C_662/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3.2; RAMA 1996 n° U 247 p. 168 consid. 2a, 1988 n° U 55 p. 361 consid. 1b). Dans la procédure en matière d’assurance sociale, régie par le principe inquisitoire, les parties ne supportent pas le fardeau de l’administration des preuves. Les parties assument néanmoins le fardeau de la preuve en ce sens qu’elles supportent les conséquences de l’éventuelle absence de preuve des faits dont elles entendent déduire un droit. Cette règle de preuve ne s’applique toutefois que lorsqu’il est impossible, en se fondant sur l’appréciation des preuves recueillies conformément au principe inquisitoire, d’établir un état de fait qui apparaisse au moins vraisemblablement correspondre à la réalité (ATF 138 V 218 consid. 6; 117 V 261 consid. 3b).

Consid. 3.5
Les constatations relatives à l’état de santé mentale d’une personne, la nature et l’importance d’éventuels troubles de l’activité de l’esprit, le fait que la personne concernée pouvait se rendre compte des conséquences de ses actes et pouvait opposer sa propre volonté aux personnes cherchant à l’influencer, relèvent de l’établissement des faits. En revanche, la conclusion que le juge en a tirée quant à la capacité, ou non, d’agir raisonnablement relève du droit et le Tribunal fédéral la revoit librement (ATF 144 III 264 consid. 6.2.1; 124 III 5 consid. 4; 117 II 231 consid. 2c).

Consid. 3.6
On rappellera, s’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, que le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux de ses conclusions (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2; 125 V 351 consid. 3b/aa), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4).

Consid. 4.1 [résumé]
La juridiction cantonale a constaté que l’assuré souffrait d’un trouble dépressif récurrent, dont les premiers signes remontaient à 2007. En avril 2015, devant l’aggravation des symptômes anxio-dépressifs, son médecin généraliste lui avait prescrit un traitement associant de la Paroxétine (Deroxat), du chlordiazepoxide (Tranxilium) et de l’oxazepam (Seresta). Ce traitement, ayant provoqué une aggravation de l’état et l’apparition d’une idéation suicidaire, avait été interrompu après deux semaines. L’assuré avait alors été adressé au Centre K.__ pour une décompensation anxieuse et dépressive avec idéation suicidaire; un traitement ambulatoire avait été instauré, posant les diagnostics de dysthymie et de trouble dépressif chronique de degré moyen. L’assuré avait bénéficié d’un arrêt de travail et du Tranxilium lui avait été prescrit, ce qui avait conduit à une amélioration de la symptomatologie.

À la suite de cet épisode, il avait été suivi par son psychiatre traitant, qui lui avait prescrit de l’agomélatine (Valdoxan) et de l’oxazepam (Seresta) en réserve, permettant une reprise de l’activité professionnelle. En novembre 2016, dans un contexte professionnel tendu et après l’aggravation progressive d’une humeur dépressive avec anxiété, insomnie et idées suicidaires, l’assuré avait consulté son psychiatre traitant le 21.11.2016. Celui-ci avait diagnostiqué un épisode dépressif moyen et prescrit du Citalopram et du Dalmadorm. Après avoir célébré sans incident l’anniversaire de son fils aîné le 23 novembre, l’assuré avait présenté dès le lendemain un état mélancolique marqué, associant mutisme, apathie, anorexie et retrait social. Le 25.11.2016, son épouse partie au travail, l’assuré avait accompagné son cadet à l’école comme convenu, étant prévu qu’il travaille ensuite depuis son domicile. Cependant, rentré à la maison, il avait mis fin à ses jours en se pendant avec une lanière en plastique dans un appentis de la cave de la maison familiale, sans laisser de message d’adieu.

Consid. 4.2.1 [résumé]
La juridiction cantonale a relevé que, selon l’expertise pharmacologique du docteur H.__, les antidépresseurs appartenant à la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), tels que le Citalopram, pouvaient provoquer chez certains patients dépressifs un passage à l’acte suicidaire. Ce risque survenait en particulier au début du traitement, lorsque l’activation psychique induite par le médicament apparaissait avant que ne s’améliorent l’humeur et les pensées dépressives, processus nécessitant plusieurs semaines. L’expert a expliqué que cette activation pouvait entraîner une tension intérieure, un sentiment d’inconfort, de l’anxiété, une agitation mentale, une impatience, des bouffées de panique ou de désespoir, voire une «envie impérieuse d’en finir à tout prix».

Il a ajouté que ce traitement induisait souvent une forme de détachement émotionnel, en dissociant les événements vécus et les idées des émotions qu’ils devraient susciter. Ce détachement pouvait aider un patient à prendre de la distance face à ses difficultés, mais aussi altérer sa prise de conscience des conséquences de ses actes et son empathie. Ces complications comportementales représentaient le versant psychique d’un « syndrome sérotoninergique », pouvant s’accompagner de signes neurologiques tels que tremblements, hypertonie musculaire, réflexes ostéo-tendineux hyper-vifs, agitation motrice, accélération du transit, nausées et perte d’appétit.

Consid. 4.2.2 [résumé]
Le docteur H.__, après avoir mentionné plusieurs études sur la suicidalité induite par les antidépresseurs, a indiqué que retenir un rôle causal d’un médicament psychotrope dans le déclenchement d’un comportement funeste revenait à se convaincre que ce comportement aurait été significativement moins susceptible de survenir en l’absence d’exposition à la substance incriminée. Selon les critères pharmacologiques, un doublement du risque basal est considéré comme indiquant un impact « significatif » d’un médicament sur l’occurrence d’un événement indésirable.

En l’espèce, les éléments cliniques et épidémiologiques réunis permettaient de retenir un lien causal entre la prise de Citalopram et le passage à l’acte suicidaire. L’expert a souligné la proximité temporelle entre le début du traitement et le suicide, les signes cliniques apparus la veille, l’absence de préméditation, de message d’adieu ou d’explications, ainsi que la contradiction entre l’estime exprimée par l’assuré envers sa famille et la gravité de son geste. Ces aspects correspondaient au tableau typique d’une toxicité comportementale induite par le traitement.

Il a également noté que des antécédents familiaux de dépression et de comportements suicidaires, la possibilité d’un trouble cyclique de l’humeur et une mauvaise tolérance antérieure à la Paroxétine constituaient des facteurs de risque supplémentaires. Enfin, l’expert a rappelé qu’un risque suicidaire préexiste chez tout patient dépressif, mais que ce risque augmente significativement dans les jours et semaines suivant l’introduction d’un antidépresseur sérotoninergique tel que le Citalopram. Sur cette base, l’expert a conclu qu’il était vraisemblable, à plus de 50 %, que l’assuré présentait une altération de sa capacité de discernement, au moment du passage à l’acte, et que son acte n’était ainsi pas volontaire.

Consid. 4.3 [résumé]
Les juges cantonaux ont procédé à une comparaison entre l’appréciation de la médecin-conseil et celle de l’expert H.__. Ils ont rappelé que la question de savoir si l’assuré s’était suicidé dans un état d’incapacité de discernement devait être tranchée selon le degré de la vraisemblance prépondérante, puisqu’il était impossible d’établir avec certitude les circonstances exactes du passage à l’acte. S’ils ont reconnu que certaines formulations de l’expert pouvaient prêter à confusion, notamment l’emploi des termes «possible» et «vraisemblable», ils ont retenu que ses conclusions demeuraient claires et cohérentes. Selon lui, le Citalopram avait provoqué, au degré de la vraisemblance prépondérante, le passage à l’acte de l’assuré.

La médecin-conseil, en revanche, s’était essentiellement fondée sur sa propre interprétation des faits, jugée peu convaincante. Elle avait minimisé la sensibilité antérieure de l’assuré aux antidépresseurs sérotoninergiques, alors même qu’en 2015, une telle médication avait aggravé les idées suicidaires au point de motiver l’arrêt du traitement et d’envisager une hospitalisation. Les juges cantonaux ont souligné que ces antécédents démontraient que l’assuré appartenait à la catégorie de patients réagissant mal à ce type de médicament, lequel accentuait son état dépressif et ses pensées suicidaires.

Ils ont également constaté que la médecin-conseil n’avait pas pris en compte le changement brutal d’attitude observé la veille du décès, son épouse l’ayant retrouvé le soir amorphe et sans appétit, élément qui plaidait également en faveur d’effets indésirables des antidépresseurs, comme en 2015. Ces éléments affaiblissaient les objections formulées par la médecin-conseil et confirmaient la pertinence des conclusions de l’expert H.__. En conséquence, l’instance cantonale a retenu, sur la base de cette expertise, que l’assuré était privé de sa capacité de discernement au moment du suicide.

Consid. 6.1
L’expert H.__ a certes indiqué que la prise de Citalopram avait considérablement augmenté le risque de suicide dans le cas de l’assuré (de l’ordre de 2 à 10 fois le risque de base lié au seul trouble psychiatrique et à la personnalité du patient). Toutefois, il ne suffit pas qu’il existe un lien de causalité entre la prise de Citalopram et le suicide. Pour qu’un accident soit reconnu, il faut que la personne soit totalement incapable de discernement au moment du passage à l’acte. À la question de savoir si le Citalopram était en mesure d’altérer la capacité de discernement, l’expert H.__ a répondu qu’il pouvait induire des modifications du fonctionnement psychique impactant la manière d’apprécier une situation et de prendre des décisions en conséquence. Même si l’on peut admettre que la prise de Citalopram ait pu altérer la capacité de discernement de l’assuré, il n’est pas possible d’en inférer que l’assuré ait été totalement privé de sa capacité de discernement au moment du passage à l’acte. À aucun moment l’expert n’a constaté que la capacité de discernement de l’assuré avait totalement disparu.

Comme le fait valoir l’assurance-accidents recourante, l’expert a conclu que l’incapacité de discernement n’était probablement pas « totale ». Il a également précisé que les antidépresseurs ne provoquaient pour ainsi dire pas de délire, de confusion ni d’état crépusculaire propres à abolir complètement la capacité de discernement. Cela étant, si d’un point de vue psychologique, la capacité de discernement présente tous les degrés possibles, allant de la pleine capacité à tous les niveaux de diminution, jusqu’à l’absence totale de discernement (HANS KIND, op. cit., p. 277), d’un point de vue juridique en revanche, il n’existe pas de gradation dans l’appréciation de la capacité de discernement: la capacité de discernement est suffisante ou non, elle existe ou n’existe pas au moment déterminant par rapport à un acte donné (YVES DONZALLAZ, Traité de droit médical, Vol. III, 2021, n° 7020 p. 3383). Par conséquent, on ne peut pas parler, en relation avec un acte déterminé, de divers niveaux de capacité de discernement (STEINAUER/FOUNTOULAKIS, Droit des personnes physiques et de la protection de l’adulte, Berne 2014, n° 90 p. 30).

Consid. 6.2
En l’occurrence, l’expert en pharmacologie a évoqué l’hypothèse d’un « raptus mélancolique » induit ou tout au moins facilité par la prise du Citalopram. En d’autres termes, il a constaté que la prise de Citalopram pouvait provoquer un raptus. Cela étant, seul un psychiatre pouvait attester que l’assuré ait été privé subitement de toute possibilité de se déterminer raisonnablement au moment où il s’est suicidé (cf. consid. 3.2 supra), un pharmacologue n’étant pas habilité à faire une telle constatation. Il résulte de ce qui précède que le rapport d’expertise pharmacologique ne permet pas à lui seul de retenir avec un degré de vraisemblance prépondérante une incapacité de discernement de l’assuré décédé au moment de son passage à l’acte.

On relèvera à ce propos que la veuve et ses enfants avaient demandé la mise en oeuvre d’une expertise psychiatrique au stade de la procédure d’opposition puis une expertise bidisciplinaire (psychiatrique et pharmacologique) au stade de la procédure de recours cantonale. La juridiction cantonale a fait droit à cette requête en désignant le professeur H.__, tout en lui laissant le choix, s’il l’estimait nécessaire, de s’adjoindre le concours d’un expert psychiatre, ce qu’il n’a pas fait. Il convient dès lors de constater que l’instruction est restée lacunaire, en l’absence d’un expert psychiatre.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et renvoie l’instance cantonale pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

 

Arrêt 8C_517/2024 consultable ici

 

 

8C_154/2025 (f) du 11.08.2025 – Activité accessoire à temps partiel en sus d’une activité à 100% – Prise en compte du revenu de l’activité accessoire dans le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_154/2025 (f) du 11.08.2025

 

Consultable ici

 

Activité accessoire à temps partiel en sus d’une activité à 100% – Prise en compte du revenu de l’activité accessoire dans le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide / 16 LPGA

 

Résumé
Le Tribunal fédéral rappelle qu’un revenu provenant d’une activité accessoire ne peut être intégré au calcul du degré d’invalidité que si l’on peut admettre que l’assuré aurait continué à le percevoir sans atteinte à la santé et s’il dispose médicalement de la capacité d’exercer une activité accessoire adaptée.

Faits
Assuré, né en 1991, au bénéfice d’un CFC de micro-mécanicien et d’une formation de technicien (ES), a été engagé en qualité de chef de secteur, à plein temps, par la société B.__ SA, à compter du 1er mars 2017. Depuis 2020, il exerçait en sus, à titre indépendant, une activité accessoire de mécanicien/serrurier à un taux de 20%. Pour ces deux activités, il était assuré contre le risque d’accident auprès du même assureur-accidents.

Le 05.01.2021, alors qu’il effectuait des travaux de bûcheronnage, l’assuré s’est pris la main gauche (dominante) dans la poulie d’un treuil, laquelle a été écrasée.

L’assuré a repris progressivement son activité salariée jusqu’à retrouver un plein temps au 04.01.2023. L’assurance-accidents a mis fin au versement des indemnités journalières et à la prise en charge des soins médicaux dès le 31.01.2023. Par décision du 25.07.2023, confirmée sur opposition, elle a refusé l’octroi d’une rente d’invalidité en retenant que le taux d’invalidité établi par comparaison des revenus restait inférieur au seuil de 10% ouvrant droit à la prestation, tout en lui reconnaissant une IPAI de 10%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 12.02.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3 [résumé]
La cour cantonale a constaté que l’évaluation médicale relative à la stabilisation, à l’activité adaptée et aux limitations fonctionnelles n’était pas contestée et qu’elle reposait sur l’avis probant du médecin-conseil. Elle a retenu que l’assuré n’était plus en mesure d’exercer son activité accessoire antérieure de mécanicien/serrurier indépendant à 20%, mais qu’il existait toutefois des motifs suffisants d’admettre qu’il aurait continué à percevoir un revenu complémentaire sans atteinte à la santé. Ce revenu devait donc être pris en compte dans le calcul tant du revenu sans invalidité que du revenu d’invalide. L’état de santé de l’assuré ne s’opposait pas à l’exercice d’une activité accessoire adaptée à 20%. Partant, l’assureur avait correctement intégré un revenu hypothétique accessoire de 20% selon les données de l’ESS pour déterminer le revenu sans invalidité.

Consid. 5.1
Selon la jurisprudence, le revenu obtenu avant l’atteinte à la santé doit être calculé compte tenu de tous ses éléments constitutifs, y compris ceux qui proviennent d’une activité accessoire, lorsque l’on peut admettre, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré aurait continué de percevoir de tels revenus sans l’atteinte à la santé. Ceux-ci doivent également être pris en considération dans le revenu d’invalide lorsqu’il est établi que l’assuré est toujours en mesure, sur le plan médical, de réaliser des revenus d’appoint (arrêts 8C_922/2012 du 26 février 2013 consid. 5.2; 8C_671/2010 du 25 février 2011 consid. 4.5 et 5, in: SVR 2011 IV n° 55 p. 163). De même qu’en ce qui concerne l’activité principale, il convient d’examiner sur la base des avis médicaux quelle activité accessoire est exigible au regard de l’état de santé et dans quelle mesure (arrêts 8C_765/2016 du 13 septembre 2017 consid. 4.5, in SVR 2018 UV n° 12 p. 29; 9C_883/2007 du 18 février 2008 consid. 2.3; U 130/02 du 29 novembre 2002 consid. 3.2.1, in RAMA 2003 n° U 476 p. 107).

Consid. 5.2
Il s’ensuit que la prise en considération, dans le revenu d’invalide, d’un revenu provenant d’une activité accessoire se justifie – pour autant que celle-ci soit exigible sur le plan médical – lorsque la personne assurée aurait continué de percevoir un tel revenu sans l’atteinte à la santé, à savoir lorsque le revenu sans invalidité en tient compte.

Comme pour l’assuré qui n’exerçait qu’une seule activité, devenue inadaptée après un accident, il convient également lorsqu’il s’agit d’une activité accessoire désormais inadaptée, de prendre en considération un revenu d’invalide correspondant à ce que pourrait réaliser l’assuré en exerçant une activité (accessoire) raisonnablement exigible. L’assuré ne peut donc pas se prévaloir du fait que son activité accessoire constituait un projet bien précis dans son domaine de compétences, respectivement qu’il n’aurait pas d’intérêt personnel à exercer une autre activité accessoire si l’ancienne n’est plus exigible. Cet aspect n’est pas déterminant lorsqu’il s’agit de déterminer le revenu d’invalide. Par ailleurs, si l’on admettait que le cumul des deux activités était temporaire et que l’assuré n’entendait pas travailler à plus de 100%, il faudrait également en tenir compte dans la détermination du revenu sans invalidité, en ne se fondant que sur une source de revenu. En effet, si le revenu sans invalidité se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’intéressé avant l’atteinte à la santé, on prend également en considération l’évolution du revenu réel en raison des circonstances personnelles (comme un changement de profession) lorsque ces circonstances apparaissent dûment établies (arrêt 8C_290/2013 du 11 mars 2014 consid. 6). De simples déclarations d’intention de la personne assurée ne suffisent toutefois pas (arrêts 8C_145/2012 du 9 novembre 2012 consid. 3.2; 9C_486/2011 du 12 octobre 2011 consid. 4.1 et les arrêts cités).

Consid. 5.3 [résumé]
La prise en considération d’un revenu d’appoint exercé en sus d’une activité principale suppose encore la capacité sur le plan médical d’exercer une activité accessoire. Le médecin-conseil conclut à une pleine capacité de travail dans une activité parfaitement adaptée, excluant toutefois la manipulation répétée de charges de plus de 5 kg avec la main gauche, ainsi que les travaux nécessitant de la dextérité, de la rapidité ou exposant à des chocs, vibrations ou variations de température. Le médecin n’a pas expressément reconnu une capacité à exercer une activité adaptée à un taux de 120% et il est peu probable qu’en retenant une pleine capacité de travail dans une activité adaptée, le médecin envisageait également l’exercice d’une activité accessoire supplémentaire de 20%.

On ne peut pas déduire une capacité de travail de 120% du fait que l’assuré a repris son poste de chef de secteur à plein temps, cette reprise s’inscrivant dans le cadre d’une mesure de réentraînement au travail prise en charge par l’AI et après un aménagement de son cahier des charges pour respecter ses limitations. Le médecin-conseil mentionne en outre l’apparition d’une tendinite au bras droit liée à la modification du niveau d’activité. On ne saurait retenir que les séquelles accidentelles n’ont aucune répercussion sur le retour au travail de l’assuré. Quoi qu’il en soit, c’est au médecin qu’il appartient de se prononcer sur le point de savoir si l’exercice d’une activité supplémentaire de 20% est exigible d’un point de vue médical.

Dans cette mesure, le grief est bien fondé. La cause devra dès lors être renvoyée à l’assurance-accidents pour qu’elle complète l’instruction sur cette question, par exemple en sollicitant à nouveau son médecin-conseil.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_154/2025 consultable ici

 

 

 

9C_343/2025 (d) du 08.08.2025 – Allocation pour mineur impotent – Notion de « soins particulièrement astreignants » – Allergie alimentaire et acte ordinaire « manger »

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_343/2025 (d) du 08.08.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Allocation pour mineur impotent – Notion de « soins particulièrement astreignants » / 9 LPGA – 42 LAI – 37 al. 3 RAI

Allergie alimentaire et acte ordinaire « manger »

 

Résumé
Un enfant de trois ans souffrant de dermatite atopique et d’allergies alimentaires a demandé une allocation pour impotent. L’office AI a refusé la prestation, décision confirmée par le tribunal cantonal. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours : il a considéré que ni les soins liés aux affections cutanées, ni le respect du régime alimentaire, ni le port de couches ne révélaient un besoin d’aide supérieur à celui d’un enfant du même âge sans atteinte à la santé.

 

Faits
Assuré, né en octobre 2020, souffre de dermatite atopique et de diverses allergies alimentaires. Sa mère a déposé, en février 2024, une demande d’allocation pour impotent destinée aux mineurs. Par décision du 09.07.2024, l’office AI a refusé le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 09.05.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Est réputée impotente toute personne qui, en raison d’une atteinte à sa santé, a besoin de façon permanente de l’aide d’autrui ou d’une surveillance personnelle pour accomplir des actes élémentaires de la vie quotidienne (art. 9 LPGA).

Les assurés impotents qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse ont droit à une allocation pour impotent. (art. 42, al. 1, LAI ; les conditions particulières applicables aux mineurs selon l’art. 42bis al. 3 LAI ne jouent aucun rôle en l’espèce). Il convient de distinguer entre l’impotence grave, moyenne et légère (art. 42 al. 2 LAI). Le montant de l’allocation pour impotent dépend du degré de l’impotence personnelle (art. 42ter al. 1, première phrase, LAI). Selon l’art. 42ter al. 3 LAI, l’allocation pour impotent destinée aux mineurs qui nécessitent en outre des soins particulièrement intensifs – ce qui suppose un besoin d’assistance d’au moins quatre heures par jour (cf. art. 39 RAI) – est majorée d’un supplément pour soins intensifs.

Consid. 2.1
Selon l’art. 37 al. 3 RAI, l’impotence est faible si l’assuré, même avec des moyens auxiliaires, a besoin de façon régulière et importante, de l’aide d’autrui pour accomplir au moins deux actes ordinaires de la vie (let. a), a besoin d’une surveillance personnelle permanente (let. b), ou a besoin de façon permanente, de soins particulièrement astreignants, exigés par l’infirmité de l’assuré (let. c). Les autres hypothèses de l’art. 37 al. 3 RAI (let. d et e) ne sont pas pertinentes en l’espèce.

Dans le cas des mineurs, seul est pris en considération le surcroît d’aide et de surveillance que le mineur handicapé nécessite par rapport à un mineur du même âge et en bonne santé (art. 37 al. 4 RAI).

Consid. 2.3.1
Les actes ordinaires de la vie se répartissent en six domaines : « se vêtir, se dévêtir », « se lever, s’asseoir, se coucher », « manger », « faire sa toilette », « aller aux toilettes » ainsi que « se déplacer (dans l’appartement, à l’extérieur) et entretenir les contacts sociaux » (cf. ATF 133 V 450 consid. 7.2 ; ch. 2020 de la Circulaire de l’Office fédéral des assurances sociales sur l’impotence, en vigueur depuis le 1er janvier 2022 [CSI ; sur la valeur des directives administratives, cf. arrêt 8C_669/2023 du 1er avril 2025 consid. 6.2, destiné à la publication ; ATF 148 V 385 consid. 5.2 ; 147 V 79 consid. 7.3.2]).

Consid. 2.3.2
Le besoin, de façon permanente, de soins particulièrement astreignants au sens de l’art. 37 al. 3 let. c RAI ne se rapportent pas aux actes ordinaires de la vie. Au contraire, tout comme l’exigence d’une surveillance personnelle permanente (art. 37 al. 2 let. b et al. 3 let. b RAI), il s’agit d’une aide médicale ou infirmière rendue nécessaire par l’état physique ou psychique de la personne assurée.

Ces soins peuvent être astreignants pour diverses raisons : ils le sont selon un critère quantitatif lorsqu’ils exigent beaucoup de temps ou entraînent des coûts particulièrement élevés. D’un point de vue qualitatif, ils peuvent l’être lorsque les soins doivent être prodigués dans des conditions difficiles, par exemple parce qu’ils sont particulièrement pénibles ou qu’ils doivent être prodigués à des heures inhabituelles (par exemple vers minuit) (SVR 2017 IV n° 43 p. 128, 8C_663/2016 E. 2.2.2 et les nombreuses références).

Un besoin de soins de plus de deux heures par jour est qualifié de particulièrement astreignants si des critères qualitatifs aggravants doivent aussi être pris en compte (SVR 2017 IV n° 43 p. 128, 8C_663/2016 consid. 2.2.3, avec renvoi aux arrêts I 314/92 du 28 janvier 1993 et I 142/86 du 25 mai 1987 ; cf. aussi ch. 2065 CSI). Selon la pratique administrative (cf. ch. 2066 ss CSI), si le besoin de soins est supérieur à trois heures par jour, l’aide peut être qualifiée d’astreignante si au moins un critère qualitatif (par ex. soins pendant la nuit) s’y ajoute. Un besoin de soins de quatre heures par jour ou plus est par principe considéré comme astreignant, même sans critère qualitatif supplémentaire.

Consid. 4.1
Il est établi et incontesté que l’assuré souffre de dermatite atopique et de diverses allergies alimentaires. En lien avec son impotence, aucune autre atteinte à la santé n’a été et n’est évoquée.

Consid. 4.2
Même si le recourant mentionne un « supplément d’efforts dans la prise en charge » ou un surcroît d’efforts pour la « surveillance personnelle », il ne fait pas valoir (de manière fondée) un besoin de surveillance personnelle permanente au sens de l’art. 37 al. 3 let. b RAI. Un tel besoin n’apparaît d’ailleurs pas.

Consid. 4.3
L’assuré ne soutient pas non plus que les soins supplémentaires liés à l’utilisation de bains à l’huile et de crèmes relipidantes (ainsi que le temps supplémentaire consacré à l’accompagnement lors des rendez-vous médicaux et thérapeutiques) constitueraient des soins constants et particulièrement astreignants au sens de l’art. 37 al. 3 let. c RAI (cf. consid. 2.3.2 supra). De tels soins ne ressortent pas non plus du dossier, aucun problème cutané grave ou complexe n’étant attestée.

Par conséquent, les critiques de l’assuré relatives à l’augmentation des soins corporels – consistant essentiellement en une violation alléguée du principe d’instruction et du droit d’être entendu, au motif que la personne chargée de l’évaluation de l’office AI aurait insuffisamment pris en compte le besoin accru de soins et que la juridiction cantonale n’aurait pas ordonné une nouvelle enquête sur place – sont dénuées de fondement.

Consid. 4.4.1
Il reste donc à examiner une impotence (légère) au sens de l’art. 37 al. 3 let. a RAI, et plus particulièrement le besoin accru d’aide dans l’acte ordinaire de la vie « manger ».

Consid. 4.4.2
Selon le ch. 2038 CSI, la nécessité d’un régime alimentaire (par ex. chez les personnes atteintes de diabète ou de maladie cœliaque) ne fonde pas une impotence. Toutefois, selon l’arrêt 8C_912/2008 du 5 mars 2009, consid. 9.2, un besoin d’aide pertinent pour la fonction « manger » existe lorsqu’une alimentation spéciale ou un régime particulier est nécessaire pour des raisons médicales et que la personne assurée, pour des raisons de santé, n’est pas en mesure de s’y conformer.

Cette interprétation est conforme au raisonnement de la juridiction cantonale, selon lequel le refus d’admettre un besoin accru d’aide pour l’acte ordinaire de la vie « manger » reposait sur le constat que des enfants du même âge (environ trois ans) sans restriction alimentaire particulière nécessitaient eux aussi une aide comparable pour manger.

Consid. 4.4.3
L’assuré soutient essentiellement que le respect d’un régime alimentaire (ou l’éviction de certains aliments) implique, par rapport aux enfants en bonne santé, un besoin accru d’aide, intrinsèquement et indépendamment de l’âge. Il relève en outre que l’alimentation par sonde est reconnue comme générant un surcroît d’efforts dès son instauration.

Cependant, l’assuré n’explique pas en quoi le surcroît d’efforts qu’il allègue pour le respect d’un régime alimentaire serait important et comparable à celui que suppose une alimentation par sonde. Son argumentation ne contient aucun motif valable justifiant de s’écarter du principe figurant au ch. 2038 CSI (cf. les remarques en fin du consid. 2.3.1 précédent), ni de modifier la jurisprudence mentionnée au consid. 4.4.2 ci-dessus (cf. ATF 149 II 381, consid. 7.3.1 ; 149 II 354, consid. 2.3 ; 149 V 177, consid. 4.5). Il n’y a donc pas lieu d’aller plus avant sur ce point.

Consid. 4.4.4
Dans ce contexte, on ne voit pas pour quelle raison la décision de l’instance cantonale de renoncer à de nouvelles investigations violerait la maxime inquisitoire ou le droit d’être entendu (cf. sur l’appréciation anticipée des preuves : ATF 144 V 361, consid. 6.5 ; 136 I 229, consid. 5.3 ; arrêt 9C_298/2024 du 14 août 2024, consid. 5.2). Les arguments contestant la force probante de divers documents (en particulier la prise de position du SMR et le rapport d’enquête à domicile) ne portent pas sur les éléments décisifs (cf. consid. 4.2, 4.3 et 4.4.3 ci‑dessus) ; il n’y a pas lieu de les examiner plus avant.

Consid. 4.4.5
La question du besoin d’aide pour l’acte ordinaire de la vie « manger » n’est en définitive pas déterminante, car il convient de tenir compte d’un autre élément d’office dans l’application du droit.

Consid. 4.4.6
S’agissant d’un droit à une allocation pour impotent, un besoin d’aide pour l’acte ordinaire de la vie « aller aux toilettes » ne peut être pris en considération que dans la mesure où il est, au degré de la vraisemblance prépondérante, imputable à une atteinte à la santé. Cela ressort déjà du texte clair de l’art. 9 LPGA (dans ses versions allemande, française et italienne).

Le fait que l’assuré, lors de l’enquête sur place (à l’âge de trois ans et trois mois), portait des couches de jour comme de nuit et nécessitait une aide à cet égard n’a rien d’inhabituel, et encore moins de valeur pathologique en soi (cf. SVR 2012 KV n° 15 p. 57, arrêt 9C_567/2011, consid. 4.2.1, et les références), même si le chiffre 5 de l’annexe 2 de la CSI indique qu’un enfant de trois ans n’a généralement plus besoin de couches durant la journée. Ce fait n’a manifestement aucun lien de causalité avec la dermatite, une allergie alimentaire ou toute autre atteinte à la santé de l’assuré. Dès lors, la juridiction cantonale (comme l’office AI avant elle) a à tort admis un besoin d’aide important (supplémentaire) pour cet acte ordinaire de la vie.

Par conséquent, même si un besoin d’aide pour l’acte ordinaire « manger » devait être reconnu, il n’existerait de toute manière aucun droit à une allocation pour impotent, y compris au titre de l’art. 37 al. 3 let. a RAI. Le recours est infondé.

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_343/2025 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_343/2025 (d) du 08.08.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/10/9c_343-2025)