AI : le Conseil fédéral prévoit d’examiner le remplacement d’expressions critiquées dans les prochaines révisions de loi

AI : le Conseil fédéral prévoit d’examiner le remplacement d’expressions critiquées dans les prochaines révisions de loi

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 15.09.2023 consultable ici

 

Un certain nombre d’expressions utilisées dans la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI) peuvent être perçues comme péjoratives ou ambiguës. Le Conseil fédéral entend profiter des prochaines révisions de la loi pour examiner les expressions concernées et les remplacer si c’est possible et pertinent. Tel est le constat de son rapport à ce sujet adopté le 15 septembre 2023. Il renonce à un projet législatif entièrement consacré à la modernisation de la LAI sur le plan linguistique, qui entraînerait une charge de travail importante.

 

Certaines expressions utilisées dans la loi sur l’assurance-invalidité font l’objet de critiques depuis plusieurs années. Selon la langue, des expressions telles que «invalidité», «impotence», «handicapé(e)», «infirmité» ou «malformation» peuvent être perçues comme péjoratives. Par ailleurs, l’expression «rente pour enfant» peut prêter à confusion, en particulier en allemand, car elle se réfère à une rente octroyée aux adultes bénéficiaires d’une rente AI ayant des enfants.

 

Défi linguistique et législatif assorti d’une charge de travail élevée

Le Conseil fédéral reconnaît en particulier dans son rapport que les réserves émises à l’encontre des expressions perçues par les personnes concernées comme péjoratives et obsolètes sont fondées. Cependant, trouver de bonnes expressions de remplacement représenterait un véritable défi.

En effet, les expressions alternatives retenues devraient remplir une multitude de critères. Elles devraient notamment s’intégrer dans la systématique terminologique de plusieurs domaines du droit suisse qui devrait en outre rester compatible avec le droit international. Les nouvelles expressions devraient éviter toute confusion avec des prestations déjà existantes, elles devraient être claires et n’entraîner aucune modification matérielle des dispositions légales. Par ailleurs, il faudrait trouver dans chacune des langues officielles une solution qui représente une nette amélioration par rapport au statu quo, sans oublier qu’une expression peut être perçue différemment d’une région linguistique à une autre.

Le remplacement d’expressions dans la LAI représenterait une charge de travail très importante non seulement pour la Confédération mais également pour les cantons et les communes, ainsi que pour les organes privés. Il ne s’agirait pas seulement d’adapter de nombreuses lois et ordonnances, mais aussi un grand nombre de textes officiels et autres documents. Le remplacement de l’expression «invalidité» et d’autres termes entraînerait en outre une modification de la Constitution ce qui exigerait une votation populaire. Les conventions de sécurité sociale internationales devraient également être modifiées, en accord avec les États contractants. Il en ressort qu’une telle démarche engendrerait des coûts considérables, même s’il n’est pas possible de les évaluer de manière concrète.

 

Mise en œuvre de manière ponctuelle à l’occasion de futures modifications de la LAI

Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, le Conseil fédéral s’exprime contre un projet législatif unique visant le seul remplacement des expressions critiquées. Il continuera néanmoins à traiter la modernisation linguistique de la LAI dans le cadre des futures révisions de la loi. Lorsque les dispositions affectées par les futures révisions comporteront des expressions problématiques, ces dernières feront l’objet d’un nouvel examen approfondi. Dans la mesure du possible et s’il y a lieu, une alternative adéquate sera proposée.

Le rapport du Conseil fédéral a été élaboré sur mandat de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des États (postulat 20.3002) par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), en collaboration avec les Services linguistiques centraux de la Chancellerie fédérale. Le Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées y a également contribué. Les organisations d’aide aux personnes handicapées Inclusion Handicap, AGILE.CH, insieme Schweiz, Procap Suisse et Pro Infirmis ont été consultées pour l’élaboration d’une liste des expressions critiquées.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 15.09.2023 consultable ici

Modernisation de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité sur le plan linguistique – Rapport du Conseil fédéral donnant suite au postulat 20.3002 de la CSSS-E du 17 janvier 2020 disponible ici

 

Indemnités journalières en cas de rechute d’un accident initialement non assuré par la LAA: le Conseil fédéral lance la procédure de consultation

Indemnités journalières en cas de rechute d’un accident initialement non assuré par la LAA: le Conseil fédéral lance la procédure de consultation

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 15.09.2023 consultable ici

 

Lors de sa séance du 15 septembre 2023, le Conseil fédéral a lancé la procédure de consultation relative à la modification de la loi sur l’assurance-accidents (LAA) afin de donner suite à la motion 11.3811 Darbellay «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents». La modification vise à garantir le versement des indemnités journalières par l’assurance-accidents dans les cas où l’incapacité de travail est due à une rechute ou aux séquelles tardives d’un accident survenu lorsque l’assuré était plus jeune et donc pas encore assuré à l’assurance-accidents.

Si une personne qui n’exerce pas encore d’activité professionnelle subit un accident, les frais médicaux sont pris en charge par sa caisse-maladie. Plus tard, si elle souffre d’une rechute ou de séquelles tardives alors qu’elle a intégré le monde du travail, cette personne ne bénéficiera pas d’indemnités journalières de la LAA. En vertu des dispositions légales actuelles, elle n’a en effet pas droit aux prestations de la LAA, l’accident initial n’ayant pas été assuré. Cette personne devra donc se tourner vers sa caisse-maladie, qui prendra en charge les frais médicaux aux conditions de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal). La perte de gain sera quant à elle assurée par l’employeur, mais pour une durée déterminée. Les indemnités journalières de la LAA ne seront donc pas versées.

La motion 11.3811 Darbellay «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents» adoptée par le Parlement a pour but de changer cet état de fait. Le Conseil fédéral propose donc de modifier la LAA afin de prévoir que les rechutes et les séquelles tardives dont souffre un assuré à la suite d’un accident qui n’a pas été assuré par la LAA et qui est survenu avant l’âge de 25 ans, soient également considérées comme étant des accidents non professionnels. Il propose également que les rechutes et les séquelles tardives susmentionnées donnent naissance à un droit aux indemnités journalières durant 720 jours au plus.

Il est proposé que les indemnités journalières nées de cette nouvelle disposition soient subsidiaires aux autres types d’indemnités pour perte de gain et donc versées par l’assureur uniquement lorsque l’obligation de l’employeur de verser le salaire s’éteint et qu’un droit aux indemnités journalières d’une quelconque assurance perte de gain n’existe plus. Ce nouveau risque à charge des assureurs présentera un coût maximal estimé à 17 millions de francs par année. Il sera financé par une très légère adaptation des primes, celles-ci devant légalement s’avérer conformes aux risques. On estime qu’une augmentation maximale de 0,5% des primes nettes des accidents non professionnels interviendra.

La procédure de consultation dure du 15 septembre 2023 au 15 décembre 2023.

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 15.09.2023 consultable ici

Motion Darbellay 11.3811 «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents» consultable ici

Rapport du 28.03.2018 relatif au classement de la motion 11.3811 Darbellay «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents» consultable in FF 2018 2407

Rapport explicatif du 15.09.2023 relatif à l’ouverture de la procédure de consultation disponible ici

Projet de modification de la LAA disponible ici

Vue d’ensemble des modifications prévues par rapport au droit en vigueur consultable ici

 

Indennità giornaliere in caso di ricadute di un infortunio inizialmente non assicurato dalla LAINF: il Consiglio federale avvia la procedura di consultazione, Comunicato stampa dell’UFSP del 15.09.2023 disponibile qui

Taggelder bei Rückfall nach einem ursprünglich nicht durch das UVG versicherten Unfall: Der Bundesrat eröffnet das Vernehmlassungsverfahren, Medienmitteilung des BfG vom 15.09.2023 hier verfügbar

 

4A_556/2022 (d) du 04.04.2023 – Respect de l’envoi du recours dans les délais – 143 al. 1 CPC / Dépôt d’un envoi A-Plus, affranchi par WebStamp, au guichet de la Poste suisse après l’heure limite de dépôt

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_556/2022 (d) du 04.04.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Respect de l’envoi du recours dans les délais / 143 al. 1 CPC

Dépôt d’un envoi A-Plus, affranchi par WebStamp, au guichet de la Poste suisse après l’heure limite de dépôt – Droit d’être entendu – Preuve de l’envoi le dernier jour du délai

 

Procédure cantonale

Recourant, qui n’était pas représenté par un avocat, a fait appel d’une décision auprès du Obergericht du canton de Schaffhouse.

La cour cantonale n’est pas entrée en matière sur le recours. Elle a considéré que le délai de recours de 30 jours n’avait pas été respecté. Le délai a commencé à courir le 24 août 2022 et a expiré le 22 septembre 2022. L’enveloppe contenant l’acte de recours est affranchie avec un « WebStamp » et ne porte pas de cachet postal. Il ressort du suivi de l’envoi que celui-ci est arrivé le samedi 24 septembre 2022 dans la boîte postale du Tribunal cantonal. Étant donné qu’un envoi en courrier A Plus est généralement distribué le jour ouvrable suivant, il faut partir du principe que le recourant a remis le recours à la Poste suisse le vendredi 23 septembre 2022. Il n’a ni fait valoir ni prouvé une remise antérieure à la poste dans le délai de recours.

 

TF

Consid. 2.1
Selon l’art. 143 al. 1 CPC, les actes doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai soit au tribunal soit à l’attention de ce dernier, à la poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse. Le critère décisif pour qu’un acte écrit soit déposé dans les délais n’est donc pas l’arrivée de la requête au tribunal le dernier jour du délai (principe dit de réception), mais sa remise à la Poste suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (principe dit d’expédition ; arrêt 5A_536/2018 du 21 septembre 2018 consid. 3.2 ; message du 28 juin 2006 relatif au code de procédure civile suisse [CPC], BBI 2006 7221, p. 7308 ch. 5.9.3 [ndt : pour la version française : FF 2006 6841, p. 6919] ; cf. ATF 145 V 90 consid. 6.1.1 sur la LPGA).

Le délai peut être utilisé jusqu’à la dernière minute du jour. Toutefois, il incombe à l’expéditeur de prouver qu’il a déposé sa demande dans les temps. Il lui incombe donc de prouver qu’il a remis sa requête à la poste avant 24 heures le dernier jour du délai en cours. La preuve est en général apportée par le cachet de la poste (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 ; 142 V 389 consid. 2.2 ; arrêts 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 2 ; 5A_972/2018 du 5 février 2019 consid. 4.1). Dans la mesure où le dépôt à la poste a lieu après la fermeture des guichets et qu’il est donc évident que le cachet de réception sera à une date ultérieure, l’expéditeur doit, sur la base de la présomption selon laquelle la date du cachet correspond à celle de la remise, prendre des dispositions appropriées en matière de preuve pour affirmer qu’il a déposé l’envoi dans une boîte aux lettres la veille de l’apposition du cachet ou même avant, afin de renverser la présomption (arrêts 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 2 ; 5A_503/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un avocat doit être conscient du risque que son courrier ne soit pas oblitéré le jour même s’il ne le dépose pas au guichet de la poste, mais le dépose dans une boîte aux lettres après la fermeture du guichet. Si un avocat crée une telle incertitude procédurale quant au respect du délai, il doit offrir spontanément (« unaufgefordert ») et avant l’expiration du délai de recours des moyens de preuve pour affirmer le respect du délai, par exemple en mentionnant sur l’enveloppe que l’envoi postal a été déposé dans une boîte aux lettres peu avant l’expiration du délai en présence de témoins (ATF 147 IV 526 consid. 3.1 et les références ; arrêts 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 2 et les références ; 5A_185/2022 du 21 décembre 2022 consid. 6 et les références ; 5A_965/2020 du 11 janvier 2021 consid. 4.2.3 et les références ; 5A_503/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4.1 et les références).

Consid. 2.2
L’instance inférieure s’est référée à cette jurisprudence dans la décision attaquée.

Le recourant n’a toutefois pas déposé son acte de recours dans une boîte aux lettres après la fermeture des guichets, créant ainsi une incertitude procédurale. Au contraire, il a incontestablement déposé son acte de recours auprès de la Poste sous la forme d’un envoi A-Post-Plus. Avec cette méthode d’envoi, la lettre est munie d’un numéro comme pour une lettre recommandée et expédiée en courrier A. L’envoi est enregistré électroniquement par la Poste et il peut ensuite être suivi grâce au système de recherche «Track & Trace» mis à disposition par la Poste (ATF 144 IV 57 consid..3.1 ; 142 III 599 consid. 2.2). Comme pour une lettre recommandée, la preuve de la remise à temps de l’envoi postal peut donc être facilement apportée ultérieurement dans le cas d’une lettre A-Post Plus (arrêt 1C_581/2015 du 10 novembre 2015 consid. 2.3 ; Tano Barth, Le Courrier A Plus, Anwaltsrevue 2019, p. 127 ss ch. 7). Dans ce sens, la Poste vante également le fait que le courrier A-Post-Plus représente la possibilité de suivre le déroulement du processus d’expédition « de l’envoi postal à la distribution » (Factsheet de la Poste Suisse sur A-Post-Plus, disponible sur https://www.post.ch/de/briefe-versenden/briefe-schweiz/a-post-plus).

La remise du recours par le recourant en tant qu’envoi A-Post-Plus se distingue donc fondamentalement de la constellation dans laquelle un avocat dépose son courrier dans une boîte aux lettres après la fermeture des guichets. Si la Poste accepte une requête d’une partie en tant qu’envoi en courrier A-Plus, la partie n’a aucune raison de douter de la ponctualité de la remise de l’envoi par la Poste Suisse et de faire des allégations spontanées sur la ponctualité de la requête et d’offrir des moyens de preuve à cet effet (cf. concernant la remise d’un envoi au guichet des clients commerciaux de la Poste pendant les heures d’ouverture, récemment arrêt 4A_466/2022 du 10 février 2023 consid. 4.2). Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de décider si une partie non représentée par un avocat – comme le recourant dans la procédure de première instance – pouvait exiger une telle chose (question laissée ouverte dans l’arrêt 5A_965/2020 du 11 janvier 2021 consid. 4.3).

Consid. 2.3.1
L’instance inférieure et l’intimée invoquent le fait que le plaignant a remis l’envoi à la Poste après « l’heure limite de dépôt publiée publiquement », créant ainsi une incertitude.

Il n’est pas nécessaire de clarifier la date exacte de l’«heure limite de dépôt publiée» de l’office de poste dans le cas concret, car cela n’a aucune importance. Avec ce que l’on appelle l’heure limite de réception, la Poste règle la date jusqu’à laquelle certains envois doivent lui être remis pour qu’elle puisse distribuer l’envoi au destinataire dans le cadre de son offre de prestations. Elle règle par exemple la date jusqu’à laquelle un envoi doit parvenir à la Poste pour qu’il soit distribué le jour ouvrable suivant (cf. arrêt 8C_237/2017 du 4 octobre 2017 consid. 5.2.1 sur la pratique irritante [«irritierenden Praxis»] de l’«antidatage» par la Poste). Cette heure limite de réception interne de la Poste n’est pas pertinente pour déterminer si une requête a été remise à temps à la Poste suisse au sens de l’art. 143 CPC. Le seul élément déterminant est que l’envoi a été remis à la poste suisse le dernier jour du délai (consid. 2.1 supra). La partie n’a pas à s’intéresser de la question de savoir si la Poste peut distribuer à temps l’envoi qui a été déposé après l’heure limite de dépôt, conformément à son offre de prestations, car c’est le principe de l’expédition qui s’applique (à ce sujet, consid. 2.1 supra).

L’heure limite de dépôt ne modifie pas non plus les exigences procédurales décrites ci-dessus à l’égard d’une partie : si la Poste accepte (après l’heure limite de dépôt) l’envoi au guichet postal en tant qu’envoi A-Post-Plus, la partie n’a pas à douter de la remise en temps voulu de la requête en mains de la Poste. Elle ne doit pas non plus, dans ce cas, formuler spontanément des affirmations sur la ponctualité de la remise et proposer des moyens de preuve à cet effet.

Consid. 2.3.2
L’instance inférieure mentionne dans la procédure de consultation que le recourant a utilisé la solution d’affranchissement en ligne «WebStamp» sans indication de date et qu’il a ainsi sciemment accepté une incertitude quant à la ponctualité.

Cet argument est également infondé, car le recourant n’a pas simplement affranchi sa requête avec un «WebStamp» sans date, mais il a déposé son courrier à la poste en tant qu’envoi A-Post-Plus. Dans cette situation, il n’a pas créé d’incertitude procédurale et n’a pas eu à douter de la ponctualité du dépôt postal.

Consid. 2.3.3
Ainsi, le requérant n’était pas tenu de présenter spontanément, avant l’expiration du délai de recours, des allégations et des moyens de preuve attestant que son recours avait été introduit en temps utile.

Consid. 2.4
Selon les faits sur lesquels l’instance précédente a fondé sa décision de non-entrée en matière, la requête du recourant était arrivée le samedi 24 septembre 2022 dans la case postale de la Cour cantonale. L’instance inférieure s’est appuyée pour cela sur les indications du suivi des envois de la Poste. Contrairement à la promesse de la Poste (consid. 2.2 supra), ce suivi n’indiquait que le moment de la distribution, et non celui du dépôt. L’enveloppe ne portait pas de timbre postal avec la date, l’envoi ayant été affranchi avec un «WebStamp» sans indication de la date. Aucune date ne figure non plus sur l’autocollant de suivi de l’envoi A-Post Plus. L’instance inférieure ne disposait donc d’aucun indice concret sur le moment où le recourant a déposé l’acte de recours.

Si le dossier ne contient aucune indication sur le moment du dépôt postal et que l’acte de recours parvient à l’instance cantonale seulement deux jours après l’expiration du délai, comme c’est le cas en l’espèce, celle-ci ne peut pas se contenter de faire des suppositions sur le moment du dépôt en se basant sur la date de réception et de ne pas entrer en matière sur le recours sur cette base. Le droit d’être entendu au sens de l’art. 29 al. 2 Cst. garantit au recourant que, dans une telle situation, l’autorité le consulte afin qu’il puisse s’exprimer sur la date de dépôt de la requête et présenter d’éventuels moyens de preuve (cf. ATF 139 III 364 consid. 3.2.3 ; 115 Ia 8 consid. 2c ; arrêts 5A_185/2022 du 21 décembre 2022 consid. 6 ; 5A_28/2015 du 22 mai 2015 consid. 3.1.1). Cela garantit que le recourant puisse s’acquitter de son obligation d’alléguer et de prouver qu’il a déposé sa requête dans les délais (considérant 2.1).

Le grief de la violation du droit d’être entendu s’avère fondé.

 

Le TF admet le recours.

 

 

Arrêt 4A_556/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 4A_556/2022 (d) du 04.04.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/4a_556-2022)

 

Vers une assurance perte de gain obligatoire en cas de maladie

Vers une assurance perte de gain obligatoire en cas de maladie

 

Communiqué de presse du Parlement du 14.09.2023 consultable ici

 

Les employeurs devraient être obligés d’assurer leurs employés contre la perte de gain en cas de maladie. Le National a soutenu jeudi par 95 voix contre 87 une motion centriste qui veut combler une lacune. Le Conseil des Etats devra se prononcer.

Un nombre croissant d’employeurs ne concluent pas d’assurance perte de gain en cas de maladie. Les entreprises versent un salaire pour un temps limité, fixé par la jurisprudence de certains cantons. C’est une lacune dans notre système des assurances sociales, selon Marco Romano (Centre/TI).

Certes, la lacune touche proportionnellement peu de travailleurs. Pour les personnes concernées, les conséquences s’avèrent toutefois si graves que beaucoup d’entre elles doivent demander l’aide sociale lorsque c’est possible, surtout en cas de maladie de longue durée, selon le Tessinois.

Grâce à une solution équilibrée pour toutes les parties et présentant des coûts minimaux divisés équitablement entre l’employé et l’employeur (ce que font déjà la plupart des entreprises), tout le monde y gagne; sans oublier les gains que cela représente pour l’État, puisque moins de personnes ont recours à l’aide sociale.

Un compromis équilibré pourrait donc être de rendre obligatoire l’assurance perte de gain en cas de maladie non professionnelle, en donnant la possibilité à l’assuré de s’assurer individuellement lorsque ses rapports de travail prennent fin et en obligeant l’assureur à accepter les demandes des employeurs. La durée de l’indemnité devrait être d’au moins 720 jours sur une période de 900 jours.

 

Conseil fédéral opposé

Le Conseil fédéral a expliqué à plusieurs reprises qu’il privilégie le maintien de la réglementation en vigueur, fondée principalement sur des solutions négociées entre les partenaires sociaux. Même sans assurance obligatoire, la perte de gains en cas de maladie temporaire est largement couverte par les assurances d’indemnités journalières. L’assurance facultative offre une protection suffisante pour la plupart des salariés.

Le Conseil fédéral n’a connaissance d’aucune source qui indiquerait une baisse du nombre d’assurances pour perte de gains. C’est pourquoi il maintient sa position selon laquelle, même sans assurance obligatoire, la perte de gains est suffisamment couverte grâce aux assurances d’indemnités journalières. Il n’a pas été entendu.

 

Communiqué de presse du Parlement du 14.09.2023 consultable ici

Motion Romano 21.4209 «Assurance perte de gain obligatoire en cas de maladie» consultable ici

 

9C_298/2022 (f) du 26.07.2023 – Détermination du revenu sans invalidité d’un manager – Examen de la prise en compte d’un bonus (« variable bonus component ») – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_298/2022 (f) du 26.07.2023

 

Consultable ici

 

Détermination du revenu sans invalidité d’un manager – Examen de la prise en compte d’un bonus (« variable bonus component ») / 16 LPGA

 

Assuré, en dernier lieu en tant que « Manager Risk Assurance, (…)  » de novembre 2013 à juillet 2015. A la suite d’un arrêt de travail depuis le mois d’octobre 2014 (qui a donné lieu au versement d’indemnités de l’assureur perte de gain en cas de maladie de l’employeur), l’assuré a déposé en août 2015 une demande de prestations de l’assurance-invalidité, en invoquant notamment une très importante fatigabilité, ainsi que des troubles neuropsychologiques apparus en lien avec un accident de la circulation survenu en novembre 2009.

Expertise pluridisciplinaire : les experts ont conclu à une capacité résiduelle de travail de 50% dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée, depuis le 08.10.2014 (appréciation consensuelle du spécialiste en médecine interne générale, du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et du spécialiste en médecine interne générale). L’office AI a, par décision du 09.07.2021, reconnu le droit de l’assuré à trois quarts de rente depuis le 01.02.2016.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 290/21 – 150/2022 – consultable ici)

Dans le cadre de la comparaison des revenus, la juridiction a retenu que les perspectives de développement de carrière évoquées par l’assuré en relation avec l’expertise privée qu’il avait produite ne pouvaient pas être prises en considération pour déterminer le revenu sans invalidité. Elles reposaient en effet sur de simples hypothèses qui n’étaient pas étayées par des éléments concrets. De plus, les juges cantonaux n’ont pas tenu compte d’un bonus de 16’800 fr., ainsi que d’une somme forfaitaire de 6’000 fr., mentionnés dans une lettre de promotion adressée à l’assuré par son dernier employeur en juin 2014. Si ces éléments figuraient certes sur ce courrier, ainsi que sur le certificat de prévoyance, rien ne permettait d’affirmer que l’assuré percevait concrètement ces montants. En effet, ni le questionnaire de l’employeur rempli à la demande de l’office AI, ni l’extrait du compte individuel de l’assuré, pas plus que les calculs effectués par l’assureur perte de gain en cas de maladie ne faisaient état de ces montants supplémentaires en sus du salaire annuel de 120’300 fr.

Par jugement du 16.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 1.2
En ce qui concerne la comparaison des revenus (art. 16 LPGA), la constatation des deux revenus hypothétiques à comparer est une question de fait, dans la mesure où elle repose sur une appréciation concrète des preuves; il s’agit en revanche d’une question de droit si elle se fonde sur l’expérience générale de la vie (ATF 137 V 64 consid. 1.2; arrêt 9C_835/2019 du 20 octobre 2020 consid. 5.1).

 

Consid. 4.2.2
On rappellera qu’en ce qui concerne le revenu sans invalidité, est déterminant le salaire qu’aurait effectivement réalisé l’assuré sans atteinte à la santé, selon le degré de la vraisemblance prépondérante. En règle générale, on se fonde sur le dernier salaire réalisé avant l’atteinte à la santé, compte tenu de l’évolution des circonstances à l’époque où est né le droit à la rente (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2; arrêt 9C_271/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3.3.1).

Consid. 4.2.3
En n’incluant pas le montant de 16’800 fr. (« target bonus ») mentionné dans la lettre de promotion de l’ancien employeur de l’assuré datée de juin 2014, dans le revenu sans invalidité, la cour cantonale a procédé à une constatation manifestement inexacte des faits. Il ressort en effet de cette lettre que l’assuré a été promu à la fonction de « Manager » à partir du 1er juillet 2014 avec un salaire annuel de 120’300 fr. assorti d’une somme de 16’800 fr. comme « variable bonus component », l’objectif final de salaire étant de 137’100 fr. Si le bonus cible constituait certes un montant variable en fonction des performances du collaborateur et de l’entreprise, selon les indications données en cours de procédure par l’ancien employeur, la société a non seulement annoncé un salaire annuel de 137’100 fr. à la caisse de pension, mais elle a également indiqué, dans le questionnaire de l’employeur du 22 septembre 2015, une « Gratifikation » pour l’année 2014. Il en découle que l’ancien employeur entendait concrètement verser un bonus à l’assuré, qui a apparemment perçu un montant s’ajoutant à son salaire de base à titre de gratification. Celle-ci correspondait sans doute aux mois de juillet à septembre 2014, l’incapacité de travail, qui a débuté à partir d’octobre 2014, expliquant que l’employeur n’a plus indiqué de gratification pour l’année 2015. Celui-ci a par ailleurs confirmé au cours de la procédure administrative que le principe du salaire assorti d’un bonus cible était resté le même dans l’entreprise. L’extrait du compte individuel de l’assuré pour l’année 2014 n’est par ailleurs pas déterminant à cet égard, puisque le revenu inscrit ne correspond pas à une année complète sans atteinte à la santé, des indemnités de l’assureur perte de gain en cas de maladie, qui ne sont pas soumises à l’AVS (cf. art. 6 al. 2 let. b RAVS), ayant été versées à l’assuré.

Dans ces circonstances, l’appréciation de la juridiction cantonale selon laquelle le dossier ne comprenait pas d’éléments suffisants pour admettre que l’assuré percevait concrètement un bonus ne peut être suivie, puisqu’elle ne repose pas sur l’ensemble des indications de l’ancien employeur quant au nouveau salaire de l’assuré à partir du 1er juillet 2014, qui doivent être prises en considération en tenant compte de la survenance de l’incapacité de travail dès octobre 2014. Par conséquent, on peut admettre, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’employeur aurait versé le bonus cible à l’assuré en l’absence d’invalidité, dès lors aussi qu’il avait déclaré le nouveau salaire (y compris le « target bonus », soit un total de 137’100 fr.) de son employé à sa caisse de pension.

Consid. 4.3
En tenant compte d’un revenu sans invalidité de 137’100 fr. et d’un revenu avec invalidité de 40’670 fr. tel que retenu par la juridiction cantonale, le degré d’invalidité de l’assuré s’élève à 70% (70,33%). Il ouvre ainsi un droit à une rente entière d’invalidité (art. 28 al. 2 LAI) depuis le 1er février 2016, étant précisé que le début du droit à la rente n’est pas contesté.

Au vu de ce résultat, il n’y a pas lieu d’examiner ni le grief de l’assuré relatif à l’inclusion de la somme forfaitaire de 6’000 fr. dans le revenu sans invalidité, ni celui consistant à critiquer le « revenu d’invalide trop élevé ».

Consid. 5
Ensuite de ce qui précède, la conclusion de l’assuré visant à l’octroi d’une rente entière d’invalidité à compter du 1er février 2016 est bien fondée. L’arrêt attaqué doit être réformé en ce sens.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_298/2022 consultable ici

 

8C_359/2021 (d) du 07.07.2021 – Suicide par pendaison – Capacité de discernement au moment de l’acte chez un assuré atteint d’un trouble affectif bipolaire / 37 al. 1 LAA – 48 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_359/2021 (d) du 07.07.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Suicide par pendaison – Capacité de discernement au moment de l’acte chez un assuré atteint d’un trouble affectif bipolaire / 37 al. 1 LAA – 48 OLAA

 

Assuré, né en 1973, employé en dernier lieu en tant que directeur d’un centre de santé. Le 04.11.2017, il s’est pendu dans sa salle de bain.

Par courrier du 07.12.2017, l’assurance-accidents a informé l’ex-employeur qu’elle ne verserait aucune prestation d’assurance – à l’exception du remboursement des frais funéraires – étant donné que l’assuré avait volontairement mis fin à ses jours et qu’il fallait partir du principe qu’il n’était pas totalement incapable d’agir raisonnablement au moment de l’acte.

A la demande de la compagne de feu l’assuré, l’assurance-accidents a demandé un rapport à l’ancien médecin traitant, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Par décision du 06.09.2018, elle a nié son obligation de prestation, à l’exception des frais funéraires déjà pris en charge. La partenaire a fait opposition à cette décision au nom de leur fils commun, transmettant une expertise psychiatrique datée du 22.12.2018. Par décision sur opposition du 18.12.2019, l’assurance-accidents a maintenu sa décision.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2020.00024 – consultable ici)

Par jugement du 10.03.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Il est établi que l’événement du 04.11.2017 était un suicide. En revanche, il est contesté et doit être examiné si l’assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement au moment où il a agi.

Consid. 2.2
Si l’assuré a provoqué intentionnellement l’atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d’assurance n’est allouée, sauf l’indemnité pour frais funéraires (art. 37 al. 1 LAA). Cette réglementation ne s’applique pas lorsque l’assuré, dont il est prouvé qu’il a voulu se suicider, était totalement incapable, sans faute de sa part, d’agir raisonnablement au moment de l’acte (art. 48 OLAA ; cf. sur la légalité de cette disposition : ATF 140 V 220 consid. 3.2 et consid. 3.3.1 ; 129 V 95).

Consid. 2.3
La capacité de discernement de la personne assurée doit être examinée par rapport à l’acte concret en question et en appréciant les conditions objectives et subjectives qui prévalaient au moment de son accomplissement (cf. sur l’ensemble : arrêt 8C_496/2008 du 17 avril 2009 consid. 2.3). Le fait que l’acte ait été commis sans conscience [cognition] ni volonté [volition] n’est pas déterminant ; en effet, il faut toujours constater une intention, ne serait-ce que sous la forme d’une impulsion de volonté totalement irréfléchie; sinon, il n’y a pas de suicide ou de tentative de suicide. Ce qui est déterminant, c’est uniquement de savoir si, au moment décisif, il existait un minimum de capacité de réflexion pour une gestion critique et consciente des processus endothymiques (c’est-à-dire avant tout des processus instinctifs internes). Pour que l’assureur-accidents soit tenu de verser des prestations, il faut qu’une maladie mentale ou un trouble grave de la conscience soit établi au degré de la vraisemblance prépondérante. Cela signifie qu’il faut prouver l’existence de symptômes psychopathologiques comme par exemple la folie, les hallucinations, la stupeur dépressive (état d’excitation soudaine avec tendance au suicide), le raptus (état d’excitation soudaine comme symptôme d’un trouble psychique), etc. Le suicide ou la tentative de suicide doit avoir pour origine une maladie mentale symptomatique ; en d’autres termes, l’acte doit être «insensé». Un simple geste «disproportionné», au cours duquel le suicidaire apprécie unilatéralement et précipitamment sa situation dans un moment de dépression et de désespoir ne suffit pas à admettre l’incapacité de discernement (arrêts 8C_916/2011 du 8 janvier 2013 consid. 2 ; 8C_936/2010 du 14 juin 2011 consid. 3.1 ; dans les deux cas avec référence à HANS KIND, Suizid oder « Unfall », Die psychiatrischen Voraussetzungen für die Anwendung von Art. 48 UVV, SZS 1993 p. 291). Le caractère accidentel d’un acte suicidaire doit par conséquent être nié s’il peut simplement être qualifié de disproportionné et qu’il existe qu’une incapacité totale de discernement à cet égard (RKUV 1996 n° U 267 p. 309, U 165/94 consid. 2b).

Consid. 2.4
Pour établir l’absence de capacité de discernement, il ne suffit pas de considérer l’acte suicidaire et, partant, d’examiner si cet acte est déraisonnable, inconcevable ou encore insensé. Il convient bien plutôt d’examiner, compte tenu de l’ensemble des circonstances, en particulier du comportement et des conditions d’existence de l’assuré avant le suicide, s’il était raisonnablement en mesure d’éviter ou non de mettre fin ou de tenter de mettre fin à ses jours. Le fait que le suicide en soi s’explique seulement par un état pathologique excluant la libre formation de la volonté ne constitue qu’un indice d’une incapacité de discernement (RAMA 1996 n° U 267 p. 309 E. 2b ; arrêt U 256/03 du 9 janvier 2004 consid.. 3.2). Il n’y a pas lieu de poser des exigences strictes quant à sa preuve ; elle est considérée comme apportée lorsqu’un acte suicidaire commandé par des pulsions irrésistibles et apparaît comme plus vraisemblable qu’une action encore largement rationnelle et volontaire (arrêts 9C_81/2014 du 20 mai 2014 ; 8C_496/2008 du 17 avril 2009 consid. 2.3 in fine et les références).

Consid. 2.5
En cas de suicide ou de tentative de suicide, le bénéficiaire des prestations doit prouver qu’il était incapable de discernement au sens de l’art. 16 CC au moment des faits (SVZ 68 2000 S. 202, U 54/99; RKUV 1996 Nr. U 247 S. 168, U 21/95 consid. 2a, Urteil 8C_256/2010 vom 22. Juni 2010 consid. 3.2.1). Dans le cadre du procès en matière d’assurances sociales, dominé par le principe inquisitoire, il n’incombe toutefois pas aux parties un fardeau subjectif de la preuve au sens de l’art. 8 CC. Le fardeau de la preuve n’existe que dans la mesure où, en cas d’absence de preuve, la décision est rendue au détriment de la partie qui voulait déduire des droits des faits non prouvés. Cette règle de preuve n’intervient toutefois que lorsqu’il s’avère impossible, dans le cadre du principe inquisitoire, d’établir sur la base d’une appréciation des preuves un état de fait qui a au moins la vraisemblance prépondérante de correspondre à la réalité (ATF 117 V 261 consid. 3b et la référence ; SVR 2016 UV no 31 p. 102, 8C_662/2015 consid. 3.2 et la référence).

Consid. 3
La cour cantonale a considéré que ni le rapport du psychiatre traitant ni l’expertise privée n’indiquaient que l’assuré a subi des épisodes psychotiques. De même, rien dans les descriptions de la compagne n’indiquait que l’assuré avait partiellement ou totalement perdu le contact avec la réalité en raison de sa maladie. Au contraire, la veille de l’événement, il a entrepris certaines activités, comme faire changer les pneus de la voiture, faire des pizzas et manger avec son fils. Le 4 novembre 2017, il s’est suicidé entre 13h20 et 19h20. Sa compagne et son fils s’étaient alors rendus à Bâle pour une rencontre prévue avec des amis. Après avoir pris congé de sa compagne, l’assuré lui avait encore envoyé l’adresse nécessaire par SMS et lui avait fait savoir qu’il se sentait très mal. Après avoir demandé des précisions, il n’a pas jugé nécessaire que sa compagne fasse appel à un médecin. Le tribunal cantonal a conclu de ces descriptions qu’il n’y avait pas non plus d’indices de l’existence de symptômes psychotiques le jour du décès. Enfin, compte tenu de la démarche délibérée et planifiée de l’assuré lors de son suicide par pendaison, la cour cantonale a considéré qu’un acte raisonné (même s’il était disproportionné) et volontaire était plus vraisemblable qu’un acte suicidaire entièrement guidé par des pulsions irrésistibles.

Consid. 4.1
Dans un rapport non daté, reçu par l’assurance-accidents le 29.06.2018, le dernier psychiatre traitant de l’assuré a pris position sur des questions de l’assureur. Il a indiqué avoir traité l’assuré de manière épisodique à partir de juin 2015 jusqu’à son décès le 04.11.2017 et n’avoir jamais eu l’intention de l’hospitaliser en psychiatrie. Il a mentionné comme diagnostics un trouble affectif bipolaire, épisode actuel de dépression sévère sans symptômes psychotiques (CIM-10 F31.4) et un trouble bipolaire II (CIM-10 F31.80). Durant son traitement, l’assuré n’a jamais souffert de symptômes psychotiques au sens psychopathologique strict. En particulier, il n’y a jamais eu d’hallucinations, de délire ou de stupeur dépressive ou catatonique. Début novembre 2017, l’assuré aurait souffert d’un épisode dépressif majeur. Au moment du dernier examen (c’est-à-dire la veille du suicide), il a clairement écarté une tendance suicidaire aiguë.

Consid. 4.2
Dans le rapport d’expertise du 22.12.2018, établi à l’initiative de la compagne de l’assuré, le médecin a constaté que, sur la base des informations détaillées fournies par la compagne, il fallait partir du principe que l’assuré présentait une instabilité psychique importante au moment de l’acte suicidaire, ce qui, dans le cadre du diagnostic posé, permettait uniquement de conclure qu’avant son décès, il se trouvait soit (I) au milieu d’un changement de phase entre un état dépressif (CIM-10 F31.4) à un trouble hypomaniaque (CIM-10 F31.0) et éventuellement à nouveau à un trouble dépressif le jour de son décès, soit (II) à un épisode mixte (CIM-10 F31.6). Les deux possibilités seraient liées à un risque de suicide important. Ce médecin a en outre répondu par l’affirmative à la question de savoir si l’assuré était, selon toute vraisemblance, totalement incapable d’agir raisonnablement au moment du suicide. Comme le montre clairement l’interrogatoire de la partenaire, l’assuré ne souffrait pas seulement d’une grave maladie maniaco-dépressive (CIM-10 F31), mais aussi d’un manque de conscience de la maladie et du traitement qui l’accompagnait. Ces deux caractéristiques doivent être considérées comme des expressions de la maladie et ne sont donc pas contrôlables. Par conséquent, au moment du suicide, l’assuré n’était pas en mesure de comprendre les faits médicaux de sa propre maladie et d’en tirer des conclusions appropriées, comme par exemple la nécessité d’un traitement (hospitalier) spécifique au trouble (absence de capacité à traiter les informations). De même, il n’aurait pas été en mesure d’évaluer l’importance de la suicidalité dans le cadre de sa propre maladie et d’en tirer des conclusions appropriées, comme par exemple le recours à des offres d’aide en cas de crise suicidaire en cours de développement (manque de capacité d’autodétermination et d’expression). L’expert privé a en outre souligné qu’en tant que médecin, l’assuré aurait dû avoir des connaissances approfondies tant sur la maladie maniaco-dépressive que sur le risque de suicidalité qui l’accompagne. Néanmoins, le 04.11.2017, il était totalement incapable d’établir un accès rationnel à ces connaissances, garantissant ainsi sa survie. Cela montre clairement l’étendue de la perte de capacité de discernement due à la maladie. En résumé, le suicide de l’assuré devait être considéré comme un événement impulsif lié à la maladie dans le cadre d’une maladie maniaco-dépressive grave (CIM-10 F31), l’assuré étant certes encore capable, le 04.11.2017, d’actes suicidaires ciblés, mais ne pouvant plus en comprendre la signification et les conséquences (perte de la capacité de discernement).

Consid. 5.1
La conclusion tirée par l’instance cantonale, selon laquelle il n’y avait pas, au degré de la vraisemblance prépondérante, de symptômes psychopathologiques graves qui auraient été de nature, au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral, à abolir totalement la capacité de discernement au moment de l’acte de suicide, n’est pas critiquable. Comme l’a constaté à juste titre le tribunal cantonal, il n’existe aucun indice concret permettant de conclure que l’assuré se trouvait immédiatement avant l’acte suicidaire en question dans un état psychique extrême et qu’il était de ce fait totalement incapable de discernement. De tels indices ne ressortent ni du rapport du médecin-traitant ni de l’expertise privée.

Consid. 5.2.1
Il est certes vrai que le psychiatre traitant n’a apparemment jamais remis le dossier médical demandé et que la fréquence des traitements ne ressort pas de sa prise de position. On ne voit cependant pas ce que la compagne de feu l’assuré veut en déduire en sa faveur. Ainsi, il ressort clairement de la prise de position de l’ancien psychiatre traitant que l’assuré n’a jamais souffert de symptômes psychotiques au sens psychopathologique strict durant toute la période de traitement, même pas la veille du suicide. En particulier, selon le psychiatre traitant, son patient n’a à aucun moment présenté des hallucinations, un délire ou une stupeur dépressive ou catatonique. Sur la base de ces indications claires, il n’y a rien à redire au fait que l’instance cantonale n’ait pas ordonné d’autres investigations.

Consid. 5.2.2
Il est possible que l’assuré se trouvait avant son décès – comme le postule l’expert privé – au milieu d’un changement de phase, passant d’un trouble dépressif à un trouble hypomaniaque, puis de nouveau à un trouble dépressif le jour de son décès, ou qu’il souffrait d’un épisode mixte. Mais cela ne suffit pas à établir avec le degré de preuve requis que l’assuré souffrait, au moment de l’acte suicidaire, de symptômes psychopathologiques tels que délire, hallucinations, stupeur dépressive (état d’excitation soudaine avec tendance au suicide), raptus (état d’excitation soudaine comme symptôme d’un trouble psychique) ou autres, qui auraient fait apparaître l’acte non seulement comme disproportionné, mais aussi comme «insensé» (cf. consid. 2.3 supra). Or, de tels symptômes psychopathologiques sont une condition préalable à l’admission d’une incapacité totale de discernement (cf. HANS KIND, op. cit., p. 291). Lorsque l’expert privé part du principe que l’assuré n’avait pas conscience de sa maladie et de son traitement au moment de l’acte suicidaire, cela est en contradiction avec les déclarations de la compagne à l’expert, selon lesquelles, pendant ses phases dépressives, l’assuré avait une capacité de compréhension, dans le sens d’une conscience de la maladie. Dans de telles phases, il y a eu des moments où l’assuré a adopté une attitude de recherche d’aide. A cet égard, on ne voit pas pourquoi l’assuré n’aurait pas été en mesure de comprendre les aspects médicaux de sa propre maladie alors que son humeur était manifestement de plus en plus sombre.

Consid. 5.2.3
Il n’est certes pas possible de conclure directement à la capacité de discernement de l’assuré en raison de l’exécution déterminée de l’acte suicidaire, d’autant plus qu’il n’est pas rare qu’une personne soit capable de discernement pour les actes précédant ou préparant le suicide ou la tentative de suicide, mais qu’elle apparaisse incapable de discernement pour l’acte de suicide lui-même, qui peut reposer sur des motifs et un contexte psychique tout à fait différents (cf. arrêt U 395/01 du 1er juillet 1993 consid. 5b). Or, l’instance cantonale – malgré toute la tragédie inhérente – n’a pas ignoré à juste titre le fait que, selon la présomption fondée sur des indices de la compagne de l’assuré, une première tentative de suicide avait échoué (juste) avant la tentative de suicide à l’issue fatale.

Consid. 5.2.4
Dans l’ensemble, l’évaluation de l’expert privé de l'(in)capacité de discernement de l’assuré au moment de l’acte suicidaire, qui s’appuie essentiellement sur l’anamnèse de la compagne de l’assuré et sur un risque de suicide généralement plus élevé chez les personnes souffrant de troubles affectifs bipolaires, semble plutôt spéculative. Comme l’a relevé le tribunal cantonal, le suicide de l’assuré peut certes être interprété, dans le sens des explications de l’expert privé, comme un événement impulsif lié à une maladie dans le cadre d’une grave maladie maniaco-dépressive. Mais une capacité de discernement complètement abolie n’est pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante. Contrairement à ce que la compagne de feu l’assuré veut faire croire, l’instance cantonale n’est donc pas parvenue à cette conclusion sur la base du seul rapport succinct du psychiatre traitant de l’époque, mais en procédant à une appréciation convaincante du dossier disponible. Etant donné qu’il n’y avait pas lieu d’attendre de nouveaux éléments pertinents pour la décision de la part d’investigations supplémentaires, le tribunal cantonal a renoncé à d’autres mesures d’administration des preuves dans le cadre d’une appréciation anticipée des preuves (ATF 136 I 229 consid. 5.3).

Consid. 5.3
A l’aune de ce qui précède, les faits pertinents ont été correctement et complètement établis conformément au principe inquisitoire (art. 43 al. 1 LPGA ; art. 61 let. c LPGA) et le tribunal cantonal a apprécié les preuves conformément au droit fédéral. C’est pourquoi, en raison de l’absence de preuve (consid. 2.5 supra), la décision est défavorable au recourant en ce qui concerne la preuve de l’incapacité totale de discernement au moment du suicide (cf. art. 37 al. 1 LAA en relation avec l’art. 48 OLAA), qui doit être apportée avec le degré de vraisemblance prépondérante, et qui a tenté d’en déduire un droit plus étendu à des prestations d’assurance selon la LAA. L’arrêt attaqué est donc maintenu.

 

Le TF rejette le recours de la compagne de feu l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_359/2021 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_359/2021 (d) du 07.07.2021, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/8c_359-2021)

 

Pour plus de détails sur le suicide en assurances sociales, cf. l’article paru in Jusletter 30.03.2020

 

4A_327/2016 (d) du 27.09.2016, publié aux ATF 142 III 767 – Droit aux indemnités journalières maladie LCA – Convention de libre passage (CLP) – Pas de notion d’assurance rétroactive – 9 aLCA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_327/2016 (d) du 27.09.2016, publié aux ATF 142 III 767

 

ATF 142 III 767 consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Droit aux indemnités journalières maladie LCA – Convention de libre passage (CLP) – Pas de notion d’assurance rétroactive / 9 aLCA

 

TF

Consid. 7.1
La Convention de libre passage (CLP) est un accord entre les assureurs ; ceux-ci ne sont pas (directement) liés entre eux par l’art. 9 LCA, étant donné que l’art. 9 LCA concerne la conclusion du contrat d’assurance, c’est-à-dire la relation entre l’assureur et l’assuré ou le preneur d’assurance. La doctrine présente différentes opinions sur la manière de classer juridiquement cette CLP. Selon l’avis de l’Association Suisse d’Assurances elle-même, il ne s’agit pas d’un vrai contrat au bénéfice de tiers qui accorde aux assurés un droit direct contre les assureurs concernés. Dans cette mesure, il n’y a pas de conflit avec l’art. 9 LCA (Thomas Mattig, Freizügigkeit in der Krankentaggeldversicherung nach VVG, in: Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 106 s. ; suivi par Häberli/Husmann, Krankentaggeld, versicherungs- und arbeitsrechtliche Aspekte, 2015, p. 208). Selon un autre avis, le contenu de l’accord fait partie « de manière évidente du contrat collectif individuel [respectif] », car la CLP engage tous les principaux assureurs d’indemnités journalières LCA à fournir ces prestations. Toutefois, dans la mesure où la CLP promet une couverture pour des événements qui remplissent les conditions de l’art. 9 LCA, la personne assurée ne peut pas faire valoir de droit contractuel à l’encontre de l’assureur, mais tout au plus un droit à des dommages-intérêts, si tant est qu’il faille lui reconnaître un droit de créance autonome (Gebhard Eugster, Vergleich der Krankentaggeldversicherung [KTGV] nach KVG und nach VVG, in: Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 72 f.)

L’assuré soutient qu’il s’agit d’un contrat au bénéfice de tiers. Il fonde son argumentation sur l’art. 5 al. 1 CLP, selon lequel le nouvel assureur doit accorder les conditions de passage prévue par la CLP sans demande particulière du preneur d’assurance. Cette disposition indique que le nouvel assureur a cette obligation, mais elle ne précise pas envers qui – cette question n’est justement pas résolue.

La question de savoir s’il s’agit d’un contrat au bénéfice de tiers peut finalement rester ouverte ici. En effet, en application de la CLP, l’art. 9 al. 1 lit. a des Conditions générales d’assurance (ci-après: CGA) de la compagnie d’assurance dispose qu’il n’y a pas de couverture d’assurance pour les maladies qui existent au moment de l’entrée en service ou du début de l’assurance, tant qu’elles entraînent une incapacité de travail, « sauf si [la compagnie d’assurance] ne doive garantir le maintien de la couverture d’assurance en vertu d’accords de libre passage entre assureurs ». Dans la mesure où la CLP oblige à prendre en charge un cas de sinistre en cours ou une rechute, le contrat d’assurance lui-même confère ainsi aux assurés un droit direct correspondant à l’encontre de la compagnie d’assurance intimée. Il est donc décisif de savoir si la CLP contient des dispositions dont le contenu contrevient à l’interdiction de l’assurance rétroactive selon l’art. 9 LCA et qui, en conséquence, ne peuvent pas être convenues entre l’assureur et l’assuré ou le preneur d’assurance (par exemple – comme c’est le cas ici – en incluant la CLP dans les CGA).

 

Consid. 7.2
En l’espèce,  il n’est plus contesté que l’incapacité de travail à partir du 14 mars 2014 constitue une rechute.

Cette situation est couverte par l’art. 4 al. 2 CLP, selon lequel le nouvel assureur doit prendre en charge le sinistre en cours (voir également l’exemple correspondant dans Mattig, op. cit., p. 105). L’art. 4 al. 4 CLP contient en outre une disposition spécifique concernant la rechute. Si l’on considère isolément la nouvelle relation d’assurance avec l’assureur du nouvel employeur, cela constituerait un cas d’assurance rétroactive interdite selon l’art. 9 LCA (comme le soutient également Mattig, op. cit., p. 106 ; Eugster, op. cit., p. 73 ; Häberli/Husmann, op. cit., p. 208), si cela était également applicable ici.

Or, limiter l’analyse au seul contrat d’assurance avec l’assureur du nouvel employeur ignore le fait qu’il s’agit ici d’une coordination entre deux assureurs collectifs. C’est pourquoi il convient d’examiner s’il est conforme au sens et au but de l’art. 9 LCA d’interdire également une telle réglementation de coordination. L’assuré invoque implicitement ce point de vue lorsqu’il affirme qu’il s’agit d’une reprise de contrat (de l’ancien contrat d’assurance) par le nouvel assureur et non d’une assurance rétroactive. Il ne s’agit manifestement pas d’une reprise de contrat à proprement parler, car l’ancien contrat d’assurance n’est pas repris dans son intégralité. Il s’agit plutôt d’un problème de «prolongation de la couverture», c’est-à-dire de la responsabilité pour les sinistres en cours au-delà de la fin du contrat d’assurance. Dans le cas d’une véritable prolongation de la couverture, l’incapacité de travail survient après la fin des rapports de travail (ou de la durée du contrat).

Dans la pratique, les CGA des différents assureurs régissent ces cas de manière très différente. Par exemple, selon le chiffre 6 des CGA d’un assureur, la couverture d’assurance s’éteint à la fin des rapports de travail (c’est-à-dire lorsque l’assuré quitte le cercle des personnes assurées) ; une telle disposition laisse finalement ouverte la question de savoir comment la prolongation de la couverture est réglée (Stephan Fuhrer, Kollektive Krankentaggeldversicherung – aktuelle Fragen, in : Jahrbuch SGHVR 2014 p. 88 et note de bas de page 73, en se référant expressément au chiffre 6 de ces CGA). Dans une affaire où l’incapacité de travail était déjà survenue pendant la période d’assurance précédente et persistait à la fin de la relation de travail (cas d’assurance dit étendu ; cf. Fuhrer, op. cit., p. 87), le Tribunal fédéral a reconnu qu’en l’absence de clauses contractuelles contraires, l’assuré conserve son droit aux prestations même après la fin de la relation d’assurance et ce jusqu’à l’épuisement de la durée des prestations (ATF 127 III 106 consid. 3b ; cf. aussi Eugster, op. cit., p. 63). Certains estiment en outre qu’une disposition des CGA selon laquelle, dans les «cas d’assurance étendus», l’assureur ne doit plus verser de prestations lorsque le travailleur quitte l’entreprise assurée, serait inhabituelle et donc inadmissible (Fuhrer, op. cit., p. 89 s.).

En tout état de cause, rien ne s’opposerait à ce que l’ancien assureur d’indemnités journalières collectives assume expressément la prolongation de la couverture pour les sinistres en cours ou les rechutes. La réglementation contenue dans la CLP n’est rien d’autre, sur le fond, que la garantie d’une telle prolongation de la couverture pour les maladies qui existaient dans l’ancien rapport de travail et ayant déjà entraîné une incapacité de travail. Comme l’assuré le mentionne à juste titre, le fait qu’il s’agisse d’une prolongation de la couverture selon le contrat d’assurance en vigueur jusqu’alors ressort également du fait que les prestations doivent être versées selon les conditions du contrat existant auprès de l’ancien assureur et non selon le nouveau contrat d’assurance ; et ce aussi bien en ce qui concerne le montant de l’indemnité journalière, le délai d’attente et la durée des prestations (art. 4 al. 2 CLP) qu’en ce qui concerne la prise en compte des indemnités journalières déjà versées par l’ancien assureur dans la durée des prestations (art. 4 al. 4 CLP). On ne voit pas pourquoi un accord entre les assureurs, selon lequel le nouvel assureur assume cette prolongation de la couverture à la place de l’ancien assureur, aux conditions de l’ancien contrat d’assurance et de manière limitée à la durée des prestations de ce dernier, ne serait pas admissible sur le fond.

Il ne s’agit pas d’une « opération de contournement » interdite (cf. toutefois Eugster, op. cit., p. 72 à la note 76). Dans un cas de passage de l’assurance collective d’indemnités journalières à l’assurance individuelle d’indemnités journalières (du même assureur), dans laquelle l’assureur avait repris en tant qu’assureur individuel une éventuelle prolongation de la couverture résultant de l’assurance collective, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’y avait pas dans ce cas d’assurance rétroactive interdite, car la rechute en question était déjà assurée dans l’assurance collective (arrêt 4A_39/2009 du 7 avril 2009 consid. 3.5.2).

Par conséquent, l’assuré a droit, sur la base de l’art. 9 al. 1 lit. a CGA en relation avec l’art. 4 al. 2 et 4 de la CLP, à ce que la compagnie d’assurance intimée fournisse à son égard les prestations relevant de la prolongation de couverture aux conditions de l’ancien contrat d’assurance et limitées à la durée des prestations de celui-ci ; cela ne constitue aucunement une infraction à l’art. 9 LCA.

 

ATF 142 III 767 consultable ici

 

Proposition de citation : ATF 142 III 767, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/142_III_767)

 

 

Motion Weichelt 23.3920 «Assurance-maladie. Mettre fin au système antisocial de la prime par tête» – Avis du Conseil fédéral

Motion Weichelt 23.3920 «Assurance-maladie. Mettre fin au système antisocial de la prime par tête» – Avis du Conseil fédéral

 

Consultable ici

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé de soumettre au Parlement un projet de modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie qui prévoie des primes en fonction du revenu et de la fortune.

 

Développement

Les primes de l’assurance-maladie ne sont plus supportables pour une grande partie de la population. L’idée initiale de la réduction des primes, qui permet d’alléger la charge des ménages, ne fonctionne pas assez bien. Lors de l’introduction de la réduction des primes, le Conseil fédéral et le Parlement ont promis de mesurer son efficacité sociopolitique par rapport à un objectif d’une charge de 8% au maximum du revenu imposable des ménages. Ces 8% correspondent à peu près à 6% du revenu disponible. Or, outre que l’objectif de solidarité et d’allégement suffisant pour les ménages n’est pas atteint, la charge administrative est énorme.

Quand on parle d’évolution des coûts, c’est la différence entre les primes et les coûts qui est déterminante. Lors de l’introduction de la loi fédérale sur l’assurance-maladie, les primes de l’assurance obligatoire des soins couvraient 29,9% des coûts de la santé ; aujourd’hui, elles en financent 37,9%. Si les primes augmentent, c’est aussi parce que nous finançons de plus en plus le système de santé par les primes. Si nous ne financions que 29,9% des coûts par les primes comme en 1996, celles-ci seraient aujourd’hui 21% plus basses.

Mettre les primes et les coûts sur le même plan occulte les questions de financement. Les hausses de primes qui s’annoncent pour l’automne 2023 feront particulièrement souffrir les ménages à faible revenu dans un système qui fait de plus en reposer le financement sur les primes par tête.

Les coûts de la santé en Suisse s’élèvent à 11% du produit intérieur brut. Un pays riche comme le nôtre peut les assumer en faisant preuve de solidarité, à condition qu’ils soient véritablement utilisés pour la santé de la population. Les moyens doivent être utilisés à bon escient et la charge doit être répartie équitablement sur la population. Il faut donc un financement plus important par l’État et l’impôt et un changement de système, qui supprime les primes par tête.

 

Avis du Conseil fédéral du 30.08.2023

La loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) prévoit qu’une assurance prélève des primes égales auprès des personnes qu’elle assure. Elle échelonne les montants des primes selon les différences des coûts cantonaux (art. 61, al. 1 et 2, LAMal). Le Parlement a introduit la réduction individuelle des primes (RIP) pour corriger les inégalités socio-politiques de cette prime par tête. En conséquence, les cantons accordent des subsides aux personnes de condition économique modeste (art. 65, al. 1, LAMal).

Comme le Conseil fédéral l’a exposé dans sa réponse à l’interpellation de la Reussille 22.3647 « Hausse des primes. Un nouveau système s’impose », l’approche actuelle tient compte du revenu. Les réductions proviennent de contributions de la Confédération et des cantons, qui les financent principalement via les impôts. De plus, les cantons couvrent également une partie des coûts des traitements hospitaliers stationnaires.

Plusieurs interventions et initiatives ont déjà proposé de fixer les primes en fonction du revenu (p. ex. iv. pa. 96.470 Spielmann, iv. ct. 02.305 Jura, iv. pa. 07.465 Groupe socialiste et mo. 11.4094 Chopard-Acklin). Le Parlement les a rejetées. Similairement, en mars 2007, le peuple a refusé l’initiative populaire « Pour une caisse-maladie unique et sociale » (05.089), qui demandait la même chose.

Le Conseil fédéral continue de défendre une stratégie de financement duale :

  • d’une part, la solidarité entre les genres, les générations et les états de santé ;
  • d’autre part, un correctif sociopolitique, la réduction individuelle des primes.

Ainsi, les mesures de redistribution ne masquent pas l’évolution des coûts dans l’assurance-maladie.

Selon le libellé de la motion, il faut conserver les primes, c.-à-d. les contributions payées par les personnes assurées. Si elles étaient fixées en fonction du revenu et de la fortune, il faudrait s’attendre à une augmentation des charges administratives, liée à l’échelonnement des primes par canton et par région (une pratique déjà autorisée, cf. art. 61, al. 2 et 2bis, LAMal).

Le Conseil fédéral entend mieux promouvoir la réduction individuelle des primes. C’est pourquoi, dans le cadre du contre-projet à l’initiative d’allègement des primes du Parti socialiste (21.063), il propose que chaque canton apporte une contribution minimale à cet effet. Le Parlement débat actuellement cet objet, qui permettrait de garder les primes abordables pour les milieux défavorisés.

Pour ces raisons, le Conseil fédéral maintient sa réponse au postulat Fridez 23.3089 « Quid du financement à long terme des coûts de la santé ? » : il n’estime toujours pas opportun de modifier le système de fond en comble en introduisant une fixation des primes en fonction du revenu et de la fortune.

 

Proposition du Conseil fédéral du 30.08.2023

Rejet

 

 

Motion Weichelt 23.3920 «Assurance-maladie. Mettre fin au système antisocial de la prime par tête» consultable ici

 

Mozione Weichelt 23.3920 “Assicurazione malattie. Basta con il sistema antisociale dei premi individuali” disponibile qui

Motion Weichelt 23.3920 «Schluss mit den unsozialen Kopfprämien bei der Krankenversicherung» hier verfügbar

 

La prise en charge par l’AI de mesures médicales pour les enfants atteints d’une infirmité congénitale sera améliorée

La prise en charge par l’AI de mesures médicales pour les enfants atteints d’une infirmité congénitale sera améliorée

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 06.09.2023 consultable ici

 

L’AI pourra rembourser certains moyens et appareils diagnostiques ou thérapeutiques même s’ils ne figurent pas sur la liste des prestations payées par l’assurance-maladie. Lors de sa séance du 6 septembre 2023, le Conseil fédéral a adopté la modification du règlement sur l’assurance-invalidité concernant la prise en charge de mesures médicales par l’assurance-invalidité. Dans la pratique, les offices AI remboursent déjà des prestations n’y figurant pas ou dont le prix dépasse le tarif défini. Le règlement est modifié afin de garantir la conformité du droit.

Depuis la dernière révision de l’assurance-invalidité (AI), les moyens et appareils diagnostiques ou thérapeutiques remboursés par l’AI doivent figurer sur la liste des prestations remboursées par l’assurance-maladie (LAMal) dans le but d’harmoniser la pratique entre les deux assurances. L’AI se réfère à la liste des moyens et appareils (LiMA) pour le type de prestations et les tarifs maximaux remboursés au titre de mesures médicales. Pour être admises sur cette liste, les prestations sont évaluées sous l’angle des critères «efficaces, appropriés et économiques» (critères EAE) conformément à la loi sur l’assurance-invalidité et à l’assurance-maladie.

Ce printemps, cette nouvelle disposition, introduite début 2022, a suscité des incertitudes concernant les coûts qui dépassent les montants maximaux prévus dans la LiMA. Plus de 300 familles avec enfants atteints d’infirmités congénitales se sont vues facturer la différence de prix directement par un fournisseur de produits médicaux. L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a immédiatement réagi en s’assurant que les familles soient déchargées de tout supplément de coût et a fait le nécessaire pour que l’AI continue de prendre en charge la totalité des frais des examens et des soins indispensables à leur enfant. Le 14 avril 2023, l’OFAS a chargé les offices AI de contacter et de rembourser (rétroactivement si nécessaire) les familles devant assumer le supplément de coût mentionné ici.

A la lumière de cette situation, le Conseil fédéral a décidé de procéder à une évaluation de la base légale et de sa conformité au droit. Il est parvenu à la conclusion qu’une adaptation était nécessaire. En effet, il s’avère que l’utilisation de la LiMA en tant que référence pour l’application des critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité (critères EAE) à la prise en charge du coût des moyens et appareils est justifiée. Toutefois, l’application de la liste est réglementée de manière trop restrictive. Il doit être possible de procéder à tout moment à un examen au cas par cas dans la décision de prise en charge d’appareils ne figurant pas dans la liste. C’est la raison pour laquelle le Conseil fédéral a adopté une modification de la disposition concernée dans le règlement sur l’assurance-invalidité (RAI).

 

Suppression de la condition de figurer à la liste pour un remboursement

Le RAI est adapté de sorte à ne plus lier le remboursement des moyens et appareils diagnostiques ou thérapeutiques à l’obligation stricte de figurer sur la LiMA. Il s’agit ici d’ancrer dans l’ordonnance la pratique déjà suivie par les offices AI. En effet, l’AI a aujourd’hui déjà la possibilité de rembourser des prestations dont le prix dépasse les tarifs de la LiMA ou qui ne sont pas mentionnées sur cette liste.

L’OFAS va également examiner la possibilité de conclure des conventions tarifaires avec des associations de professions médicales et paramédicales afin de simplifier les demandes de remboursement. En l’absence de telles conventions, la LiMA continuera de servir de référence pour vérifier que les critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité (EAE) sont respectés lors de la prise en charge des moyens et appareils. Un examen au cas par cas restera cependant toujours possible lorsqu’un appareil ne figure pas sur la liste et que cela s’avère médicalement indiqué.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 06.09.2023 consultable ici

Projet de modification du RAI et rapport explicatif du 06.09.2023  consultable ici

 

Migliore assunzione da parte dell’AI dei provvedimenti sanitari per i bambini affetti da infermità congenite, Comunicato stampa dell’UFAS del 06.09.2023 disponibile qui

Medizinische Massnahmen bei Kindern mit Geburtsgebrechen: Vergütung durch IV wird verbessert, Medienmitteilung des BSV vom 06.09.2023 hier verfügbar

 

9C_223/2022 (i) du 15.05.2023, destiné à la publication – Calcul de la prestation complémentaire – Revenus déterminants (mère invalide et enfant apprentie) – Franchise sur le revenu lucratif de l’assuré vs du ménage / 11 al. 1 lit. a LPC (dans sa version dès le 01.01.2021)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_223/2022 (i) du 15.05.2023, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Calcul de la prestation complémentaire – Revenus déterminants (mère invalide et enfant apprentie) – Franchise sur le revenu lucratif de l’assuré vs du ménage / 11 al. 1 lit. a LPC (dans sa version dès le 01.01.2021)

 

Assurée au bénéfice d’une rente AI et de prestations complémentaires depuis 2015.

Le 18.12.2020, la caisse de compensation lui a communiqué le montant de la prestation complémentaire pour 2021, soit 1’526 fr. par mois – en plus du remboursement de la prime de l’assurance maladie – calculé selon la nouvelle loi en vigueur depuis le 01.01.2021, qui était plus favorable pour elle. En particulier, la caisse de compensation a déduit la franchise de 1’500 fr. du revenu d’activité – nul – de l’assurée, et non de celui de sa fille (apprentie), qui bénéficie également d’une rente pour enfants de l’AI et vit dans le même ménage. Les décisions ultérieures de la caisse de compensation ont confirmé le montant de la prestation. L’opposition de l’assurée a été rejetée par la caisse de compensation.

 

Procédure cantonale (arrêt 33.2021.14 – consultable ici)

Par jugement du 14.03.2022, admission du recours par le tribunal cantonal. La cour cantonale a renvoyé la cause à la caisse de compensation afin de procéder à un nouveau calcul de la prestation complémentaire au sens des considérants, notamment que le montant de la franchise de 1’500 fr. soit déduit du salaire net de la fille apprentie ou de celui du ménage familial, et non pas uniquement de celui de la mère ; la déduction du revenu de la mère n’apporterait aucun avantage à l’assurée car il est nul.

 

TF

Consid. 3.1
Le litige concerne le montant des prestations complémentaires versées à l’assurée à compter du 01.01.2021. L’assurée, qui bénéficie d’une rente d’invalidité de 62% et de prestations complémentaires, ne perçoit aucun revenu provenant d’une activité lucrative. En revanche, sa fille, qui reçoit une rente pour enfants de l’AI, vit avec elle et perçoit un revenu en tant qu’apprentie. Le litige porte essentiellement sur le calcul du revenu de l’activité lucrative réalisé par la fille de l’assurée, soit le seul revenu provenant de l’exercice d’une activité lucrative dans le ménage, en particulier sur la déduction ou non de la franchise de 1’500 fr. sur ce revenu.

Consid. 3.3.1
Le 1er janvier 2021, la modification de la loi fédérale sur les prestations complémentaires de vieillesse, de survivants et d’invalidité (LPC), soit la réforme des PC du 22 mars 2019 (RO 2020 585 ; FF 2016 7249 [pour les versions françaises]), est entrée en vigueur. En cas de modification de la législation, le droit applicable est en principe celui en vigueur au moment de la réalisation de l’état de fait qui doit être apprécié sur le plan juridique ou qui produit des conséquences juridiques, sauf dispositions particulières de droit transitoire (ATF 148 V 21 consid. 5.3 et les références). Or, des dispositions transitoires de la modification du 22 mars 2019 (réforme des PC) et de la modification du 20 décembre 2019, il résulte en substance, pour autant que cela soit pertinent dans le cas d’espèce, que l’ancien droit reste applicable pendant trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la modification aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels la réforme des PC entraîne, dans son ensemble, une diminution de la prestation complémentaire annuelle ou la perte du droit à la prestation complémentaire annuelle.

Consid. 3.3.2
La présente affaire concerne le droit aux prestations complémentaires pour l’année 2021. Selon les constatations du tribunal cantonal, il en ressort que la caisse de compensation a effectué le calcul selon les deux droits en question et que, pour le nouveau droit, le montant de la prestation complémentaire est en tout état de cause plus élevé (avec ou sans déduction de la franchise sur le revenu de la fille). La conclusion de la cour cantonale selon laquelle le nouveau droit est applicable en vertu des dispositions transitoires des 22 mars et 20 décembre 2019 mérite donc d’être confirmée.

Consid. 5.1
Il n’est pas contesté que la fille de l’assurée, apprentie en formation vivant en ménage commun avec sa mère, percevant une rente pour enfant de l’AI, n’a pas de droit propre à des prestations complémentaires mais doit être prise en compte dans le calcul des prestations complémentaires de sa mère, bénéficiaire d’une rente d’invalidité et sans revenu provenant d’une activité professionnelle. Pour être complet, il convient de préciser qu’il ressort du dossier que le taux d’invalidité de l’assurée était, en 2021, de 62% et que, compte tenu de son état de santé, elle n’exerçait aucune activité professionnelle ; un éventuel calcul de revenu au sens de l’art. 14a OPC-AVS/AI n’entre donc pas en ligne de compte. Il n’est également pas contesté qu’un calcul commun doit être effectué pour déterminer les prestations complémentaires de l’assurée. Les dépenses reconnues et les revenus déterminants de la fille de l’assurée doivent être additionnés à ceux de la mère (cf. art. 9 al. 2 LPC, qui n’est d’ailleurs pas concerné par la réforme de 2019). En effet, la prestation complémentaire vise à garantir le minimum vital de la famille d’un assuré seulement si chaque membre de la famille n’est pas en mesure de réaliser un revenu permettant de couvrir les dépenses nécessaires à leurs besoins vitaux.

Consid. 5.2
La question de la manière dont le seul revenu du ménage provenant d’une activité lucrative, c’est-à-dire celui de la fille apprentie, doit être pris en compte dans le calcul du droit à la prestation complémentaire de la mère, reste à examiner. L’art. 11 al. 1 LPC énumère les revenus qui peuvent être pris en compte. L’interprétation de l’art. 11 al. 1 LPC est litigieuse.

Consid. 5.3
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique). La décision matériellement correcte doit être prise dans le contexte législatif, orientée vers un résultat satisfaisant au regard de la ratio legis. Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme (à ce sujet, cf. ATF 148 II 299 consid. 7.1 et les références). Lorsque plusieurs interprétations sont possibles, il opte pour celle qui correspond le mieux aux exigences constitutionnelles. En effet, à moins que le contraire ne résulte clairement du texte ou du sens de la disposition, le Tribunal fédéral, bien qu’il ne puisse pas examiner la constitutionnalité des lois fédérales (art. 190 Cst.), part du principe que le législateur fédéral ne propose pas de solutions contraires à la Constitution (ATF 136 II 149 consid. 3).

Consid. 5.4
L’art. 11 al. 1 lit. a LPC en vigueur depuis le 1er janvier 2021 prévoit que les revenus déterminants comprennent « deux tiers des ressources en espèces ou en nature provenant de l’exercice d’une activité lucrative, pour autant qu’elles excèdent annuellement 1000 francs pour les personnes seules et 1500 francs pour les couples et les personnes qui ont des enfants ayant droit à une rente d’orphelin ou donnant droit à une rente pour enfant de l’AVS ou de l’AI; pour les conjoints qui n’ont pas droit aux prestations complémentaires, le revenu de l’activité lucrative est pris en compte à hauteur de 80%; pour les personnes invalides ayant droit à une indemnité journalière de l’AI, le revenu de l’activité lucrative est intégralement pris en compte ». Si, selon le droit en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, tous les revenus provenant d’une activité professionnelle des personnes prises en compte dans le calcul des prestations complémentaires étaient additionnés et calculés comme revenu pris en compte à concurrence de deux tiers du montant dépassant 1’000 fr. pour les personnes seules et 1’500 fr. pour les couples et les personnes qui ont des enfants ayant droit à une rente d’orphelin ou donnant droit à une rente pour enfant de l’AVS ou de l’AI, avec la réforme, il a été précisé que la franchise ne doit plus être prise en compte dans le revenu de l’activité lucrative du conjoint qui n’a pas droit aux prestations complémentaires, dont le salaire sera pris en compte à hauteur de 80%. Avec la réforme des prestations complémentaires du 22 mars 2019 en vigueur à partir du 1er janvier 2021, seule la méthode de calcul du revenu provenant de l’activité lucrative des conjoints qui n’ont pas droit aux prestations complémentaires a été modifiée. Leur revenu doit désormais être calculé à 80% et sans déduction de franchise. Pour le reste, la disposition est demeurée identique à celle en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020. Pour la résolution du cas d’espèce, l’interprétation de l’art. 11 al. 1 lit. a, première phrase, LPC, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2021, est litigieuse.

Consid. 5.5
Il résulte du libellé de l’art. 11 al. 1 lit. a, première phrase, LPC que le revenu déterminant correspond en l’espèce aux deux tiers des ressources en espèces ou en nature provenant de l’exercice d’une activité lucrative, pour autant qu’elles excèdent annuellement 1’500 fr. pour les personnes qui ont des enfants donnant droit à une rente pour enfant de l’AI [éléments déterminants pour le cas d’espèce]. Le libellé de la disposition n’indique pas clairement si la franchise doit s’appliquer au revenu du requérant seul ou à celui du ménage. Il est donc nécessaire de recourir à d’autres méthodes d’interprétation.

L’interprétation historique de cette disposition, dans le cadre de la systématique du droit, permet de constater que la combinaison d’une déduction fixe – à savoir une franchise de 240 fr. pour les personnes seules et de 400 fr. pour les conjoints – et le calcul du solde du revenu – provenant d’une activité lucrative ou de rentes (à l’exception des rentes AVS et AI) – à hauteur des deux tiers « favorise particulièrement les personnes se trouvant dans une situation économique précaire, tout en les incitant à conserver une certaine activité lucrative ou à économiser en vue de l’octroi d’une rente ou d’une pension, étant donné que le revenu excédant le montant sujet à déduction ne conduit pas à une réduction proportionnelle de la prestation complémentaire » (Message du 21 septembre 1964 du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale relatif à un projet de loi sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité ; FF 1964 II 1786 ss, p. 1798 [ndt : pour la version française : FF 1964 II 705, p. 718]). Il existe donc à la fois un aspect social et un incitatif à conserver une activité lucrative, principalement pour les bénéficiaires de prestations complémentaires mais aussi pour les autres membres de la famille.

La disposition doit ensuite être mise en contexte, notamment pour le calcul du montant, puisque l’art. 9 al. 2 LPC prévoit que les revenus déterminants des membres de la famille sont en principe additionnés, et que l’al. 4 précise qu’il n’est pas tenu compte des enfants dont les revenus déterminants dépassent les dépenses reconnues. Du texte légal de la disposition il résulte un calcul global des revenus, une soustraction de la franchise et la prise en compte du résultat à concurrence des deux tiers. Un tel calcul est également prévu par la doctrine (voir CARIGIET/KOCH, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, 3e éd. 2021, pag. 208 ss). Le privilège est donc double et le but est de favoriser certains éléments du revenu. Le législateur avait déjà exprimé dans le message de 1964 la volonté d’éviter que l’exercice d’une activité lucrative modeste soit paralysé. En d’autres termes, l’intention du législateur, avec la prise en compte seulement partielle des revenus, était d’encourager les bénéficiaires des prestations complémentaires à exercer une activité lucrative sans être pénalisé par une diminution correspondante du montant de la prestation complémentaire (cf. MICHEL VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, 2015, n. 5 ad art. 11, p. 124 ; FF 1964 II 1798 [ndt : pour la version française : FF 1964 II 718]).

Toujours d’après le texte légal, il ressort que la franchise doit être prise en compte une seule fois (à ce sujet, voir également JÖHL/USINGER-EGGER, in SBVR, 3e éd. 2015, I. Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, n. 121, p. 1802). La doctrine a également déjà spécifié que le but de la franchise est un avantage socialement justifiée (cf. JÖHL/USINGER-EGGER, op. cit., n. 121 p. 1803: « Es handelt sich um eine sozial begründete Erleichterung »).

Consid. 5.6

Il s’agit maintenant de déterminer si la franchise doit être déduite uniquement du revenu effectif de l’activité lucrative de l’assuré (respectivement de tout revenu au sens de l’art. 14a OPC-AVS/AI) ou du revenu du ménage. La cour cantonale a procédé à un calcul commun au sens de l’art. 9 al. 2 LPC, c’est-à-dire conformément à l’art. 11a OPC-AVS/AI, en déduisant d’abord du revenu de l’activité lucrative de la fille de l’assurée les dépenses dûment justifiées pour son obtention (art. 10 al. 3 lit. a LPC) et les cotisations aux assurances sociales obligatoires prélevées sur le revenu (art. 10 al. 3 lit. c LPC). Ensuite, la franchise de 1’500 fr. a été déduite, car la fille vit avec sa mère, soit le parent qui a droit à une rente ; par conséquent, la prestation complémentaire est déterminée globalement avec la rente du parent (art. 7 al. 1 lit. b OPC-AVS/AI). Le montant intermédiaire a été retenu à hauteur des deux tiers, en tant que revenu privilégié (art. 11 al. 1 lit. a, première phrase, LPC). La cour cantonale a considéré en substance que la franchise devait être appliquée à ce revenu, n’ayant pas déjà pu être déduite concrètement d’un autre revenu privilégié, étant inexistant, c’est-à-dire celui de la mère, personne ayant droit aux prestations complémentaires.

Compte tenu également de ce qui est mentionné dans le considérant précédent, la franchise ne doit pas être prévue pour chaque personne incluse dans le calcul des prestations complémentaires et percevant un revenu d’une activité lucrative, mais seulement une fois par ménage, et il est donc indifférent de savoir sur quel revenu elle est déduite, à moins de se trouver dans une autre configuration prévue par la loi, c’est-à-dire dans l’un des deux cas où la franchise n’est pas de deux tiers (cf. art. 11, al. 1, lit. a, 2e et 3e phrases, LPC). En d’autres termes, dans le cas d’un calcul des deux tiers, celui-ci est effectué sur le revenu de l’activité lucrative qui dépasse la franchise du cas concret, après déduction des frais d’obtention du revenu. L’arrêt du Tribunal cantonal reflète également le calcul du législateur tel qu’il ressort du Message mentionné dans les FF 1964 II page 1800 précité [ndt : pour la version française : FF 1964 II 720], où le bénéficiaire de la prestation complémentaire était totalement invalide (il ne disposait que de revenus sous forme de rente) et où son épouse percevait un salaire, duquel la franchise a d’abord été déduite puis le montant restant a été retenu à hauteur des deux tiers. Par conséquent, la franchise doit être déduite une seule fois, car elle est établie pour le ménage et appliquée au ménage, mais elle ne doit pas être déduite en principe uniquement du revenu de l’activité lucrative du bénéficiaire des prestations complémentaires. La franchise ne s’applique donc pas au seul bénéficiaire des prestations complémentaires.

A cet égard, dans le commentaire des articles individuels contenu dans le Message du 16 septembre 2016 relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires (réforme des PC), on peut lire concernant l’art. 11 al. 1 lit. a LPC, relatif à la prise en compte du revenu provenant d’une activité lucrative, que « [d]ans le droit actuel, le calcul de la PC prend en compte à hauteur de deux tiers, après déduction d’une franchise, le revenu d’une activité lucrative de toutes les personnes considérées dans ce calcul. A l’avenir, cette règle s’appliquera uniquement aux personnes ayant elles-mêmes droit aux PC et aux enfants pour lesquels une rente pour enfant est versée. Le revenu d’une activité lucrative des conjoints n’ayant pas droit aux PC sera au contraire intégralement pris en compte » (FF 2016, p. 6775 s. [ndt : pour la version française : FF 2016 7249, p. 7320]). En effet, non seulement les revenus des bénéficiaires, mais aussi ceux des personnes incluses dans le calcul doivent être pris en compte pour déterminer le droit, étant donné que la prestation complémentaire garantit le minimum vital de la famille de l’assuré, conformément aux dispositions mentionnées précédemment.

Consid. 5.7
En conclusion, le revenu de l’activité d’apprentie de la fille de la bénéficiaire des prestations complémentaires – qui ne perçoit aucun revenu et auquel aucun revenu ne peut être imputé au sens de l’art. 14a OPC-AVS/AI –, diminué des frais d’obtention du revenu (art. 11a OPC-AVS/AI) et des cotisations aux assurances sociales (art. 10 al. 3 lit. c LPC), doit être réduit de la franchise de 1’500 fr., puis pris en compte à hauteur des deux tiers dans le revenu déterminant de la mère, en tant que revenu privilégié au sens de l’art. 11 al. 1 lit. a, première phrase, LPC.

Consid. 5.8
Il est également relevé que le ch. 3421.11 des DPC, version 15, en vigueur depuis le 1er janvier 2021 (sur la notion et la portée des Directives de l’OFAS, voir ATF 148 V 144 consid. 3.2.3 et 145 V 84 consid. 6.1.1 et les références), dans la mesure où il prévoit que « [l]es revenus lucratifs d’orphelins et d’enfants participant à la rente qui vivent dans le même ménage sont pris en compte à hauteur des deux tiers, sans déduction d’une franchise » est contraire à l’art. 11 al. 1 lit. a LPC. L’exclusion a priori de la déduction d’une franchise du revenu provenant de l’activité lucrative de l’enfant n’est possible que si le parent avec lequel il vit dans le même ménage obtient déjà un revenu provenant d’une activité lucrative (y compris un revenu hypothétique au sens de l’art. 14a OPC-AVS/AI, hypothèse non réalisée dans le cas d’espèce) supérieur au montant de la franchise à déduire (cf. URS MÜLLER, op. cit., n. 297 p. 119). Il en va de même de l’annexe 6 des DPC (« Facteurs pour la prise en compte du revenu de l’activité lucrative ») en vigueur depuis le 1er janvier 2021, où les facteurs pour le calcul du revenu provenant de l’activité lucrative ont été spécifiés, compte tenu des différentes situations familiales, afin d’appliquer l’art. 11 al. 1 lit. a LPC de manière claire et uniforme, dans la mesure où aucune franchise n’est prévue pour le revenu des enfants.

 

Le TF rejette le recours de la caisse de compensation.

 

Arrêt 9C_223/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_223/2022 (i) du 15.05.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/09/9c_223-2022)