4A_427/2019+4A_435/2019 (f) du 28.01.2020 – Indemnité journalière LCA – Somme de salaire fixe pour un indépendant – Assurance de sommes / Versement de rentes d’invalidité et concours avec les IJ LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_427/2019+4A_435/2019 (f) du 28.01.2020

 

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Indemnité journalière LCA – Somme de salaire fixe pour un indépendant – Assurance de sommes

Versement de rentes d’invalidité et concours avec les IJ LCA

 

En 2011, l’assuré, conseiller indépendant en environnement intérieur de bâtiments, a souscrit auprès de A.__ SA (ci-après : l’assureur ou la compagnie d’assurance) une assurance contre le risque de perte de gain en cas de maladie et d’accident, soumise à la loi fédérale sur le contrat d’assurance (LCA). En cas de maladie, la police prévoit le droit à des indemnités journalières correspondant à 100% de la « somme de salaire fixe » (48’000 fr. par an) pendant « 730 jours par cas sous déduction du délai d’attente », celui-ci étant de 30 jours.

Le 21.07.2014, l’assuré a informé la compagnie d’assurance qu’il était totalement incapable de travailler depuis le 01.07.2014 en raison d’une maladie. Le 29.07.2014, il a subi une intervention chirurgicale en vue de l’ablation d’une tumeur nerveuse bénigne en dehors de la moelle épinière. A partir du 31.07.2014, soit à l’échéance du délai d’attente de trente jours, l’assureur a versé à l’assuré des indemnités journalières de 131 fr. 50 (48’000 fr. / 365 jours).

Le 12.11.2014, l’assuré a déposé une demande AI. Par la suite, plusieurs médecins se sont prononcés sur l’état de santé de l’assuré et sa capacité de travail.

Le 21.01.2016, la compagnie d’assurance, se référant à deux projets de décisions de l’office AI refusant l’octroi d’une rente en faveur de l’assuré, a indiqué qu’elle cesserait le paiement des indemnités journalières à partir du 01.02.2016. Par lettre du 05.02.2016, l’assuré a vainement réclamé le maintien du versement des indemnités journalières.

Le 02.06.2016, l’assuré a indiqué à la compagnie d’assurance qu’il remplissait les conditions prévues pour prétendre à des indemnités journalières puisque, selon le rapport établi par le Prof. C.__, il était incapable d’exercer son activité habituelle. L’assureur lui a répondu, par pli du 17.06.2016, qu’il partageait l’avis du Prof. C.__ quant au fait que l’activité habituelle n’était plus exigible. Cependant, il estimait que l’assuré était pleinement capable d’exercer une activité légère et adaptée.

Le 26.07.2017, l’Office AI pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE), qui avait repris la gestion du dossier AI compte tenu du nouveau domicile à l’étranger de l’assuré, a octroyé à l’assuré une demi-rente d’invalidité d’un montant mensuel de 912 fr. à compter du 01.07.2015.

 

Procédure cantonale

L’assuré a conclu au paiement de la somme de 18’198 fr., intérêts en sus, après prise en compte des prestations AI perçues entre le 01.02.2016 et le 31.07.2016 (23’670 – 5’472 [6 x 912]).

La cour cantonale, en procédant à l’interprétation des CGA, a constaté que le contrat d’assurance prévoit le versement d’indemnités journalières en faveur de l’assuré même lorsque celui-ci ne subit aucune perte effective sur le plan économique, puisque le montant de l’indemnité journalière varie exclusivement en fonction du degré d’incapacité de travail de l’assuré. Elle en a conclu qu’il s’agissait d’une assurance de sommes.

Les juges cantonaux ont considéré que l’assuré était totalement incapable d’exercer son activité habituelle d’indépendant. A cet égard, ils ont souligné que la compagnie d’assurance avait elle-même reconnu que l’assuré n’était plus apte à poursuivre son activité habituelle. Dans la mesure où elle n’avait pas formellement sommé l’assuré de reprendre une activité adaptée dans un délai approprié, la compagnie d’assurance ne pouvait pas interrompre le versement des indemnités journalières. L’assuré avait dès lors droit, après le délai d’attente de 30 jours, à 730 indemnités journalières de 131 fr. 50 chacune. L’assuré ayant déjà perçu 550 indemnités journalières entre le 31.07.2014 et le 31.01.2016, le montant encore dû s’élevait à 23’670 fr. (180 [730 – 550] x 131 fr. 50). Toutefois, la cour cantonale a estimé qu’il y avait lieu, selon les CGA, d’imputer sur ledit montant les demi-rentes d’invalidité versées à l’assuré, non pas à partir du 01.02.2016 comme le réclamait l’assuré, mais dès juillet 2015 – date du début du droit à la demi-rente d’invalidité – et ce jusqu’au 30.07.2016, date d’échéance du droit aux indemnités journalières. Le demandeur avait ainsi droit à 11’814 fr. (23’670 – 11’856 fr. [13 x 912 fr.]).

Par jugement du 10.07.2019, la cour cantonale a partiellement admis la demande et condamné l’assurance à verser à l’assuré la somme de 11’814 fr., avec intérêts à 5% l’an dès le 01.05.2016. Elle a fixé l’indemnité pour les dépens à 1’800 fr. dans la mesure où le demandeur avait partiellement obtenu gain de cause.

 

TF

La compagnie d’assurance fait valoir que l’autorité cantonale aurait violé les CGA en considérant qu’elle devait des indemnités journalières entières du 01.02.2016 au 30.07.2016, sous déduction de la demi-rente d’invalidité. A l’en croire, l’indemnité journalière due s’élèverait en réalité à 65 fr. 75 (131 fr. 50 / 2).

En l’espèce, l’autorité cantonale a retenu que le droit à une indemnité journalière ne suppose pas que l’assuré subisse une perte effective sur le plan économique, dès l’instant où un montant journalier forfaitaire est prévu en fonction du seul degré de l’incapacité de travail de l’assuré, celle-ci étant définie comme l’impossibilité d’exercer sa profession actuelle (art. 12, 13 et 16 CGA). Il s’agit dès lors d’une assurance de sommes. La cour cantonale a constaté que l’assuré présentait une incapacité totale d’exercer son activité habituelle. Aussi, est-ce à juste titre que l’autorité cantonale a considéré que l’assuré pouvait prétendre à des indemnités journalières entières soit de 131 fr. 50 chacune.

 

L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir imputé les demi-rentes d’invalidité dues pour la période du 01.07.2015 au 31.01.2016 sur le montant des indemnités journalières dues pour la période du 01.02.2016 au 31.07.2016.

Dans le cas d’une assurance de personnes conçue comme une assurance de sommes, l’assuré peut cumuler les prétentions en versement des indemnités journalières prévues par le contrat d’assurance avec d’autres prétentions en raison du même événement dommageable; la prestation de l’assureur de sommes est due indépendamment du point de savoir si l’ayant droit reçoit des prestations de la part d’autres assureurs ou d’un tiers responsable; la surindemnisation de l’ayant droit est possible et, conformément à l’art. 96 LCA, les droits que l’ayant droit aurait contre des tiers en raison du sinistre ne passent pas à l’assureur. Les prestations versées par un assureur social ne peuvent pas être imputées sur les allocations journalières dues par l’assureur privé à moins, évidemment, que les conditions générales d’assurance ne prévoient une telle imputation (ATF 133 III 527 consid. 3.2.5).

En l’espèce, l’art. 28 CGA prévoit certes la possibilité pour l’assureur d’exiger le remboursement des indemnités journalières versées à l’assuré lorsque celui-ci a aussi perçu des prestations d’un assureur social. Cependant, à teneur de ladite clause, le « remboursement porte sur un montant correspondant à la rente due au cours de la même période. » Or, dans sa demande en paiement, le recourant a réclamé le paiement des indemnités journalières dues pour la période comprise entre le 01.02.2016 et le 29.07.2016. Aussi est-ce à tort que la cour cantonale a tenu compte des demi-rentes d’invalidité se rapportant à la période comprise entre le 01.07.2015 et le 31.01.2016.

Au surplus, lorsqu’elle a été invitée à se déterminer sur le contenu du dossier AI de l’assuré, la compagnie d’assurance n’a jamais déclaré compenser les montants dus avec la prétention en remboursement des demi-rentes d’invalidité perçues par l’assuré entre le 01.07.2015 et le 31.01.2016, ni a fortiori chiffré sa créance compensante. Dans ces conditions, la cour cantonale a erré en déduisant du montant dû à l’assuré les rentes d’invalidité relatives à la période comprise entre le 01.07.2015 et le 31.01.2016.

En conclusion, le recours déposé par l’assuré doit être admis et le jugement attaqué réformé en ce sens que la compagnie d’assurance est condamnée à payer à l’assuré la somme de 18’198 fr., avec intérêts à 5% l’an dès le 01.05.2016, ce montant correspondant aux indemnités journalières dues entre le 01.02.2016 et le 29.07.2016 (23’670 [180 jours x 131 fr. 50]), sous déduction des demi-rentes d’invalidité versées au cours de cette même période (5’472 fr. [6 x 912 fr.]).

 

Le TF admet le recours de l’assuré et rejette le recours de l’assurance.

 

 

Arrêt 4A_427/2019+4A_435/2019 consultable ici

 

 

4A_58/2019 (f) du 13.01.2020 – Dies a quo de l’intérêt moratoire – 41 LCA – 100 LCA – 102 ss CO / Exigibilité de la créance

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_58/2019 (f) du 13.01.2020

 

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Dies a quo de l’intérêt moratoire / 41 LCA – 100 LCA – 102 ss CO

Exigibilité de la créance

 

L’employeur de l’assurée avait contracté pour cette dernière une assurance d’indemnités journalières en cas de maladie auprès de B.__ SA. Le 25.01.2016, il a annoncé à cette société d’assurances que l’assurée était en incapacité de travail totale depuis le 21.01.2016. L’incapacité a tout d’abord été attestée par un spécialiste FMH en médecine interne générale puis par un spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. Ces derniers ont, dans leurs rapports respectifs, diagnostiqué un état anxio-dépressif sévère.

La société d’assurances a chargé la Clinique X.__ d’établir une expertise qui a été effectuée par une psychiatre auprès de cet établissement. Le 18.06.2016, ce médecin a indiqué à la société d’assurances que l’assurée disposait d’une pleine capacité de travail. Elle a diagnostiqué un trouble de l’adaptation avec une prédominance de la perturbation d’autres émotions, en cours de rémission.

La société d’assurances, qui avait commencé à verser des indemnités journalières dès le 21.03.2016, a interrompu ses prestations après le 21.06.2016. Par courrier du 20.07.2016, elle a informé l’assurée que, vu le rapport du médecin-expert, les conditions pour la prise en charge de son cas n’étaient plus remplies.

Le médecin généraliste traitant a attesté d’une totale incapacité de travail pour une durée d’un mois dès le 28.06.2016 en raison de douleurs lombaires et cervicales, avec des difficultés à se mobiliser. Mandaté par la compagnie d’assurances, un spécialiste en médecine interne et pneumologie auprès de la Clinique X.__ a pour sa part retenu une incapacité de travail de dix jours pour cet épisode de cervico-dorso-lombalgies, tout en soulignant que l’examen clinique était strictement normal.

Le psychiatre traitant a confirmé son premier diagnostic, non sans relever une péjoration de l’état de l’assurée, contestant les conclusions de l’expert psychiatre.

Le médecin généraliste traitant a également confirmé son diagnostic et répété que l’assurée était en totale incapacité de travail. Il a joint un rapport d’imagerie par résonance magnétique.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1216/2018 – consultable ici)

Le 15.11.2016, l’assurée a saisi la Cour de justice d’une demande contre la compagnie d’assurances. En dernier lieu, elle a conclu au paiement de 206’770 fr. 20 avec intérêts à 5% l’an dès le 20.03.2017, date moyenne.

Le 29.03.2017, l’assurée a informé la Cour que l’office AI lui avait reconnu une incapacité de travail totale dès le 01.01.2016. Une rente entière d’invalidité devait lui être octroyée dès le 01.01.2017.

La Cour de justice a chargé une spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie de réaliser une expertise judiciaire. Cette dernière a retenu les diagnostics de dépression sévère sans symptômes psychotiques et de personnalité anankastique. Elle a notamment procédé à un examen neuropsychologique. Elle s’est ralliée à l’avis du psychiatre traitant quant à la capacité de travail de l’assurée, jugeant que celle-ci avait été réduite à néant depuis le mois de janvier 2016. Elle a également exposé les raisons pour lesquelles les conclusions de la première expert psychiatre ne pouvaient à son sens être suivies.

La société d’assurances a indiqué qu’elle se ralliait aux conclusions de l’expertise judiciaire et reconnaissait ainsi le droit de l’assurée aux indemnités journalières querellées.

Par arrêt du 20.12.2018, la Cour de justice a admis la demande. Elle a retenu que l’assurée était incapable de travailler dès le 21.01.2016 et en tout cas jusqu’au 19.01.2018, terme de la couverture de 730 jours prévue par l’assurance. Elle a condamné la société d’assurances à verser un montant de 170’885 fr. à l’assurée, portant intérêts dès le 06.11.2018.

 

TF

Devant l’autorité précédente, l’assurée avait indiqué comme point de départ le 20.03.2017 (échéance moyenne). Les juges cantonaux ont retenu le 06.11.2018 en articulant les raisons suivantes : c’était seulement à réception du rapport d’expertise judiciaire que la société d’assurances avait pu se convaincre du droit de l’assurée à toucher des indemnités journalières au-delà du 21.06.2016 – date à laquelle les versements avaient été interrompus. Après cette date, différents certificats d’arrêt de travail avaient été établis ; toutefois, leurs conclusions étaient diamétralement opposées à celles des experts de la Clinique X.__. La société d’assurances pouvait ainsi concevoir des doutes sur l’étendue de ses obligations et ce, jusqu’à l’obtention du rapport d’expertise judiciaire, dont on pouvait admettre qu’il avait été reçu le 09.10.2018. La créance était échue quatre semaines plus tard par l’effet de l’art. 41 al. 1 LCA, soit le 06.11.2018.

 

Aux termes de l’art. 41 al. 1 LCA, la créance qui résulte du contrat d’assurance est échue quatre semaines après le moment où l’assureur a reçu les renseignements de nature à lui permettre de se convaincre du bien-fondé de la prétention. Les « renseignements » au sens de l’art. 41 LCA visent des questions de fait, qui doivent permettre à l’assureur de se convaincre du bien-fondé de la prétention de l’assuré (cf. l’intitulé de l’art. 39 LCA). Ils correspondent aux devoirs de déclaration et de renseignement institués par les art. 38 et 39 LCA (cf. ATF 129 III 510 consid. 3 p. 512 ; arrêts 4A_489/2017 du 26 mars 2018 consid. 4.3; 4A_122/2014 du 16 décembre 2014 consid. 3.5; ROLAND BREHM, Le contrat d’assurance RC, 1997, nos 512 et 515 s.). Le délai de délibération de quatre semaines laissé à l’assureur ne court pas tant que l’ayant droit n’a pas suffisamment fondé sa prétention ; tel est par exemple le cas lorsque, dans l’assurance contre les accidents, l’état de santé véritable de l’ayant droit n’est pas éclairci parce que ce dernier empêche le travail des médecins (ARRÊT 4A_307/2008 DU 27 NOVEMBRE 2008 CONSID. 6.3.1; JÜRG NEF, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über den Versicherungsvertrag, 2001, n° 15 ad art. 41 LCA).

Le débiteur d’une obligation exigible est mis en demeure par l’interpellation du créancier (art. 102 al. 1 CO en lien avec l’art. 100 al. 1 LCA). L’intérêt moratoire de 5% l’an (art. 104 al. 1 CO) est dû à partir du jour suivant celui où le débiteur a reçu l’interpellation, ou, en cas d’ouverture d’une action en justice, dès le lendemain du jour où la demande en justice a été notifiée au débiteur (arrêt 5C.177/2005 du 25 février 2006 consid. 6.1). Toutefois, lorsque l’assureur refuse définitivement, à tort, d’allouer des prestations, on admet, par analogie avec l’art. 108 ch. 1 CO, qu’une interpellation n’est pas nécessaire ; l’exigibilité et la demeure sont alors immédiatement réalisées (arrêt 4A_16/2017 du 8 mai 2017 consid. 3.1; arrêt précité 4A_122/2014 consid. 3.5; arrêts 4A_206/2007 du 29 octobre 2007 consid. 6.3; 5C.18/2006 du 18 octobre 2006 consid. 6.1 in fine ; cf. NEF, op. cit., n° 20 in fine ad art. 41 LCA, et GROLIMUND/VILLARD, in Basler Kommentar, Nachführungsband 2012, n° 20 ad art. 41 LCA).

Est donc litigieux le moment à compter duquel l’assureur a reçu les renseignements de nature à lui permettre de se convaincre du bien-fondé des prétentions de l’assurée.

Les rapports des médecins traitants attestaient d’un état anxio-dépressif sévère et d’une incapacité de travail totale. Qui plus est, dans son exposé du 27.04.2016, le psychiatre traitant a effectué une anamnèse précise du contexte dans lequel a surgi l’état maladif, décrit les symptômes et le traitement en cours. L’assurée s’est soumise sans discuter à l’ « expertise » requise par la société d’assurances en juin 2016. Ses médecins traitants ont encore confirmé leur premier diagnostic et l’incapacité de travail totale. Force est d’admettre que ce faisant, l’assurée s’est acquittée à satisfaction du devoir de transmettre à la compagnie d’assurances tous les renseignements de nature à lui permettre de se convaincre du bien-fondé de ses prétentions. Si cette dernière a choisi de mandater une psychiatre expert afin de réaliser un contre-rapport, on ignore tout des motifs ayant déterminé ce choix. En particulier, il n’apparaît pas que les rapports produits par l’assurée aient été incomplets ou contradictoires, que l’anamnèse fondée sur les renseignements de l’intéressée ait été lacunaire ou inexacte. On ne tiendra pas rigueur à la société d’assurances de s’être tournée vers un établissement auquel de graves manquements ont ensuite été reprochés (cf. ATF 144 V 258 consid. 2.3), puisque la médiatisation de cette affaire est intervenue ultérieurement. Il n’en demeure pas moins que l’ « expertise » psychiatrique banalisait voire occultait certains signes cliniques et anamnésiques, selon l’experte judiciaire, reproches qui avaient déjà été formulés par le psychiatre traitant. La compagnie d’assurances s’est du reste enferrée dans sa position même après que l’office AI eut décidé d’octroyer une rente AI. Or, l’assureur ne peut pas retarder à loisir l’exigibilité de la créance en prétextant qu’il n’est lui-même pas convaincu du bien-fondé des prétentions émises par l’assuré (cf. arrêt 5C.97/1989 du 22 novembre 1990 consid. 4, in RBA XVIII no 7 p. 35 litt. b; cf. ROELLI/KELLER, Kommentar zum Schweizerischen Bundesgesetz über den Versicherungsvertrag, t. I, 2e éd. 1968, p. 588).

On ne saurait suivre la thèse de la société d’assurances selon laquelle l’expertise judiciaire aurait apporté des éléments nouveaux qui seuls lui auraient permis d’acquérir une conviction. En effet, l’experte judiciaire n’a fait que confirmer le diagnostic du psychiatre traitant. Certes, elle a étayé ce diagnostic par les résultats d’un examen neuropsychologique. Toutefois, si elle considérait vraiment que la réalisation d’un tel examen était cruciale, la société d’assurances aurait dû le requérir d’emblée, ce qu’elle n’a pas fait (cf. NEF, op. cit., n° 13 ad art. 41 LCA; ROELLI/KELLER, op. cit., p. 566 in fine et s.). Elle a beau jeu, a posteriori, d’invoquer qu’il serait prétendument incontournable, de sorte qu’elle ne saurait être suivie sur ce point. Partant, dans cette constellation particulière, la juridiction cantonale ne pouvait pas inférer que les renseignements propres à convaincre du bien-fondé de la prétention auraient été obtenus à réception seulement du rapport d’expertise judiciaire en octobre 2018. Il faut bien plutôt retenir que la société d’assurances était déjà en demeure avant d’en prendre connaissance.

S’agissant des indemnités journalières afférentes à la période du 22.06.2016 au 15.11.2016, l’assurée estime que le dies a quo des intérêts moratoires correspond au lendemain de la réception par la société d’assurances de la demande en justice, soit le 19.11.2016. L’on pourrait se demander s’ils ne courent pas à partir d’une date antérieure, mais ce débat n’a pas lieu d’être puisque le Tribunal fédéral est lié par les conclusions de la recourante.

Quant aux indemnités journalières relatives à la période du 16.11.2016 au 19.01.2018, l’assurée conclut au versement d’intérêts moratoires à compter d’une date moyenne, soit le 20.06.2017. La société d’assurances ne s’y oppose pas en soi, puisque son unique argument tient au rapport d’expertise judiciaire qui, seul, lui aurait permis de se forger une conviction. Cette date peut donc également être retenue.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 4A_58/2019 consultable ici

 

 

Le Conseil fédéral décide d’une réglementation uniforme pour le remboursement du matériel de soins

Le Conseil fédéral décide d’une réglementation uniforme pour le remboursement du matériel de soins

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 27.05.2020 consultable ici

 

Le Conseil fédéral a décidé qu’à l’avenir, le matériel de soins sera remboursé de manière uniforme dans toute la Suisse. Les assureurs devront le prendre en charge indépendamment du fait qu’il soit utilisé par un professionnel de soins ou par une autre personne. Le Conseil fédéral a adopté le message correspondant lors de sa séance du 27.05.2020.

L’assurance obligatoire des soins (AOS) prévoit actuellement de rembourser séparément le matériel que les patients utilisent directement, ou avec l’aide d’intervenants non professionnels, et qui figure sur la liste des moyens et appareils (LiMA). Par contre, une rémunération séparée n’est pas prévue pour le matériel de soins qu’utilise le personnel soignant dans les établissements médico-sociaux (EMS) et pour les soins ambulatoires (p. ex. aides pour l’incontinence, matériel de pansement). Le Conseil fédéral entend abolir la distinction entre les deux modes d’utilisation et assurer ainsi le financement du matériel de soins utilisé dans le secteur ambulatoire et dans les EMS. Le remboursement sera assuré exclusivement par le biais de l’AOS, ce qui écarte le risque que les patients n’aient pas accès au matériel de soins requis faute de couverture des coûts.

La réglementation proposée par le Conseil fédéral clarifie les modalités de facturation pour les fournisseurs de prestations et les assureurs et permet un remboursement uniforme du matériel de soins dans toute la Suisse. Elle élimine ainsi les redondances entre les assureurs maladie et les cantons dans le contrôle des factures ainsi que les différenciations par type d’utilisation exigées par le droit actuel.

 

Moins de coûts pour les cantons et les communes

La réglementation décidée par le Conseil fédéral devra être inscrite dans la loi fédérale sur l’assurance maladie (LAMal). Les cantons et les communes seront soulagés d’un montant estimé à 65 millions de francs, qui sera pris en charge par l’AOS.

 

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 27.05.2020 consultable ici

Message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (Rémunération du matériel de soins), version provisoire, disponible ici

Modification de la LAMal (Rémunération du matériel de soins), projet, disponible ici

 

 

Coronavirus : Modification urgente de la loi fédérale sur l’assurance-chômage

Coronavirus : Modification urgente de la loi fédérale sur l’assurance-chômage

 

Communiqué de presse du Département fédéral de l’économie du 27.05.2020 consultable ici

 

Lors de sa séance du 27.05.2020, le Conseil fédéral a décidé de modifier la loi fédérale sur l’assurance-chômage afin de permettre le versement des 14,2 milliards de francs annoncés le 20.05.2020. Il sera demandé au Parlement de traiter cette modification de manière urgente lors de la session d’automne 2020 afin de désendetter le fonds de l’assurance-chômage et éviter ainsi une hausse des cotisations à l’assurance chômage.

Avec l’approbation le 20.05.2020 d’un financement additionnel de 14,2 milliards pour l’assurance-chômage, le Conseil fédéral a créé des conditions cadres pour éviter une hausse des cotisations à l’assurance-chômage dès le 01.01.2021. Ce financement additionnel devra être avalisé par le Parlement lors de la session d’été 2020.

Pour être effectif, un tel financement additionnel nécessite une base légale. Suite à la consultation des Commissions compétentes qui se sont exprimées en faveur d’une loi urgente, le Conseil fédéral a décidé de modifier la LACI et de proposer une procédure extraordinaire afin que les chambres fédérales puissent entériner la modification relative au financement additionnel au plus vite, soit au cours de la session d’automne 2020. Cette modification devra assurer que seuls les coûts effectifs de la réduction de l’horaire de travail liés à la crise du COVID 19 soient financés par les finances fédérales.

Afin de garantir cette procédure extraordinaire, une brève procédure de consultation sur un projet de modification de la LACI sera ouverte avant la pause estivale. Une fois finalisé, le message y relatif sera présenté au Conseil fédéral pour approbation puis transmis au Parlement avant la session d’automne.

 

 

Communiqué de presse du Département fédéral de l’économie du 27.05.2020 consultable ici

 

 

Le Conseil fédéral veut améliorer la sécurité des travailleurs dans la construction

Le Conseil fédéral veut améliorer la sécurité des travailleurs dans la construction

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 27.05.2020 consultable ici

 

Le Conseil fédéral souhaite actualiser les règles concernant la protection des travailleurs lors de travaux de construction. Lors de sa séance du 27.05.2020, il a décidé d’envoyer en consultation un projet de révision totale de l’ordonnance sur la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction (OTConst). L’objectif est d’améliorer la clarté et la sécurité juridique dans ce domaine. L’entrée en vigueur est prévue pour le 01.07.2021.

L’ordonnance actuelle date de 2005 et ne satisfait plus aux exigences actuelles, notamment en raison des importantes avancées technologiques de ces dernières années. Certaines formulations se révèlent par ailleurs trop vagues pour une mise en œuvre optimale.

Les modifications les plus importantes portent sur la hauteur de chute et sur les échafaudages. Des incohérences au niveau des prescriptions relatives aux protections contre les chutes dans différents chapitres de l’ordonnance sont en effet source d’incertitudes. La révision de l’ordonnance prévoit par exemple d’uniformiser à deux mètres la hauteur de chute à partir de laquelle il convient de prendre des mesures de protection. Le chapitre sur les échafaudages a aussi été entièrement revu, dans la mesure où de nombreuses prescriptions figurent désormais dans les normes européennes et ne doivent par conséquent plus être fixées dans une ordonnance fédérale.

La procédure de consultation est ouverte jusqu’au 18.09.2020.

 

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 27.05.2020 consultable ici

Rapport explicatif de l’OFSP sur la révision de l’ordonnance sur les travaux de construction disponible ici

Ordonnance sur la sécurité et la protection de la santé des travailleurs dans les travaux de construction (Ordonnance sur les travaux de construction, OTConst), projet de modification, disponible ici

 

 

Le Conseil fédéral adopte de nouvelles règles de la circulation routière et prescriptions en matière de signalisation

Le Conseil fédéral adopte de nouvelles règles de la circulation routière et prescriptions en matière de signalisation

 

Communiqué de presse de l’Office fédéral des routes (OFROU) du 20.05.2020 consultable ici

 

Lors de sa séance du 20.05.2020, le Conseil fédéral a adopté la révision des ordonnances sur les règles de la circulation routière et sur la signalisation routière. Ces modifications concernent différents domaines. À titre d’exemple, il sera à l’avenir obligatoire de former un couloir de secours sur les autoroutes en cas de bouchons et d’appliquer le principe de la fermeture Éclair en cas de suppression de voies. En ce qui concerne la mobilité douce, les enfants auront le droit, jusqu’à l’âge de 12 ans, de rouler à vélo sur le trottoir en l’absence de piste ou de bande cyclable. Le Conseil fédéral a mis en vigueur ces modifications au 01.01.2021.

Les modifications d’ordonnances poursuivent deux objectifs : la fluidité du trafic et la sécurité routière. Ce faisant, le Conseil fédéral répond aussi à des interventions parlementaires.

 

Mesures concernant la circulation des véhicules

Lorsqu’une voie devra être fermée sur une autoroute, c’est le principe de la fermeture Éclair qui s’appliquera désormais. Les automobilistes seront tenus de laisser les véhicules roulant sur la voie coupée se rabattre sur la voie ouverte. L’objectif est ainsi d’éviter que les conducteurs se placent trop tôt sur la voie restante lors de suppressions de voies, comme c’est souvent le cas aujourd’hui. Le trafic pourra alors mieux s’écouler. Le non-respect du principe de la fermeture Éclair sera puni d’une amende d’ordre.

Par ailleurs, il sera obligatoire à l’avenir de former un couloir de secours : en cas d’embouteillages, les automobilistes devront laisser suffisamment de place pour les véhicules de secours entre la voie de gauche et la voie de droite ou, sur les routes à trois voies, entre la voie de gauche et les deux voies de droite, sans empiéter sur la bande d’arrêt d’urgence. Le non-respect de cette obligation sera puni d’une amende d’ordre.

Si le devancement par la droite de véhicules sur l’autoroute n’était autorisé jusqu’à maintenant qu’en présence de deux files parallèles, il sera également permis à l’avenir si seulement une file de véhicules s’est formée sur la voie de gauche ou, sur les autoroutes à trois voies, sur la voie du milieu. De cette manière, le trafic pourra s’écouler plus longtemps sur les deux voies. Par contre, le dépassement par la droite (déboîter sur la voie de droite et se rabattre sur la gauche juste après) reste proscrit. Une telle manœuvre sera punie d’une amende d’ordre.

 

Mesures en faveur de la mobilité douce

Les cyclistes et les conducteurs de cyclomoteurs pourront désormais tourner à droite au feu rouge, pour autant que la signalisation les y autorise. Une autre modification concerne l’utilisation des trottoirs par les enfants circulant à vélo. À ce jour, seuls les élèves de l’école enfantine ont le droit d’y pédaler. À l’avenir, les enfants pourront rouler à vélo sur le trottoir jusqu’à l’âge de douze ans, mais uniquement en l’absence de piste ou de bande cyclable. Le Conseil fédéral est conscient que la présence accrue de jeunes cyclistes sur les trottoirs est susceptible de déranger les piétons, mais cette nouvelle réglementation contribue à la sécurité routière, puisqu’elle permet d’éviter que des enfants ne se fassent percuter par des voitures.

Une autre modification permettra à l’avenir d’aménager un sas pour cyclistes au moyen d’un marquage au sol devant des installations de signaux lumineux, même en l’absence de bande cyclable. Par ailleurs, une signalisation des déviations pour la mobilité douce sera mise en place.

 

Mesures concernant les véhicules en stationnement

Pour ce qui est du stationnement, le symbole « Station de recharge » est désormais créé. Il permettra de désigner les aires de stationnement équipées d’une station de recharge pour les véhicules électriques. Les cases de stationnement disposant d’un tel équipement pourront dorénavant être peintes en vert, ce qui répond à une demande du Parlement (motion 17.4040 du Groupe vert’libéral « Zones vertes pour les véhicules électriques »). Ce marquage permettra de trouver des stations de recharge plus facilement.

Des aires de stationnement délimitées par un marquage au sol pourront désormais être réservées aux vélos au moyen du pictogramme du vélo, sans qu’une signalisation supplémentaire soit nécessaire, comme c’était le cas jusqu’ici.

Le champ d’application du signal « Parcage contre paiement » sera étendu à tous les véhicules. Ainsi, des cases de stationnement payantes pourront aussi être introduites pour les motocycles, les cyclomoteurs et les vélos électriques rapides.

 

Entrée en vigueur

Les modifications d’ordonnance entrent en vigueur le 1er janvier 2021. Elles seront parfois précisées dans des normes VSS.

 

Autres modifications en vigueur au 1er janvier 2021

Dans l’ordonnance sur les routes nationales, le Conseil fédéral a levé l’interdiction de servir et de vendre de l’alcool sur les aires de ravitaillement des autoroutes. Il répond ainsi à une motion de la Commission des transports et des télécommunications du Conseil national (17.3267).

Par ailleurs, des facilités sont introduites pour certaines voitures automobiles lourdes (dont le poids total dépasse 3500 kg) : les services de transfusion sanguine seront exemptés de l’interdiction de circuler le dimanche et la nuit, et les véhicules vétérans ne tomberont pas sous l’interdiction de circuler le dimanche.

La vitesse maximale autorisée des véhicules automobiles légers avec remorque dont le poids n’excède pas 3,5 t passera de 80 à 100 km/h, pour autant que la remorque et le véhicule tracteur soient autorisés à rouler à cette vitesse.

Une adaptation de l’ordonnance du DETEC sur les zones 30 et les zones de rencontre permettra également de déroger exceptionnellement au principe de la priorité de droite. Il sera en effet possible à l’avenir d’aménager des rues cyclables prioritaires dans ces zones. Si l’introduction d’un signal spécial « Rue cyclable » a été écartée, la rue cyclable pourra malgré tout être signalisée par le marquage au sol d’un grand pictogramme de vélo.

Les instructions du DETEC concernant les marques particulières sur la chaussée sont complétées de telle sorte qu’un marquage puisse signaler un danger lié à la circulation d’un tramway ou d’un chemin de fer routier au niveau d’un passage pour piétons. Une expérimentation menée avec le concours de villes concernées a montré que cette mesure était bénéfique pour la sécurité routière. Les instructions précitées prévoient également la possibilité de signaliser des endroits de traversée appropriés par des « empreintes de pas ». Cette marque sera apposée sur le trottoir et utilisée par exemple dans les zones 30, étant donné que des passages pour piétons ne peuvent y être peints que dans des cas exceptionnels.

 

 

Communiqué de presse de l’Office fédéral des routes (OFROU) du 20.05.2020 consultable ici

Modification des règles de la circulation routière et des prescriptions en matière de signalisation (OCR, OSR, OAO, ORN), Commentaires, disponible ici

Modification des règles de la circulation et des prescriptions en matière de signalisation, Commentaires relatifs aux actes relevant de la compétence du DETEC, disponible ici

 

 

9C_17/2020 (d) du 30.03.2020 – Parallélisation des revenus à comparer pour un indépendant – 16 LPGA / Examen de l’ensemble de la biographie professionnelle

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_17/2020 (d) du 30.03.2020

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Consultable ici

 

Parallélisation des revenus à comparer pour un indépendant / 16 LPGA

Examen de l’ensemble de la biographie professionnelle

 

Assuré, né en 1964, a travaillé pour la dernière fois comme gérant d’un café-bar (statut d’indépendant). Après avoir bénéficié d’une rente entière d’invalidité du 01.10.2008 au 31.03.2009 en raison d’une lésion traumatique au genou, il a déposé une nouvelle demande AI en décembre 2014, invoquant une maladie diagnostiquée au printemps 2014. L’office AI a clarifié le statut de l’emploi et a réalisé une expertise pluridisciplinaire. Octroi d’une rente entière du 01.06.2015 au 31.03.2017. Dès le 01.04.2017, l’administration a refusé le droit à une rente (degré d’invalidité : 34 %).

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale s’est référée (implicitement) à l’évaluation des experts psychiatres, selon laquelle il était évident que l’assuré avait souffert, au début de sa vie adulte, d’un trouble de la personnalité ; il avait développé un manque d’orientation et une attitude négative envers ses parents et la société, ce qui s’était traduit par une consommation précoce d’alcool et de drogues, des comportements délinquants graves répétés ainsi qu’une peine de deux ans de prison. Dans ce contexte, le tribunal cantonal a estimé que, compte tenu de la biographie de l’assuré, on ne pouvait pas dire que celui-ci s’était contenté volontairement d’un revenu modeste. Les juges cantonaux ont ainsi procédé à une parallélisation des revenus à comparer.

Par jugement du 22.10.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et octroi d’un quart de rente d’invalidité dès le 01.04.2017.

 

TF

L’assuré a probablement obtenu le revenu le plus élevé de sa carrière en travaillant pour le National Zeitung. Toutefois, le recours ne permet pas de déterminer dans quelle mesure il ne s’agit pas d’un événement exceptionnel, d’autant plus que même les revenus annuels qui y ont été réalisés étaient inférieurs à la moyenne (pour 1994 : revenus inscrit au compte individuel : 53 132 francs ; moyenne statistique, adaptée à la durée hebdomadaire habituelle de travail de l’entreprise : 61 264 francs) [ESS 1994, TA 1.1.1, niveau d’exigence 4, hommes, papier et papeterie : Fr. 4909.- x 12 = Fr. 58’908.- x 41,6 /40]). L’évolution des salaires documentée depuis la fin de l’apprentissage de coiffeur de deux ans en 1983 n’est pas du tout constante. En fait, l’extrait du compte individuel ne montre pratiquement que des revenus nettement inférieurs à ceux obtenu au National Zeitung. Cela vaut surtout pour la période suivant immédiatement l’achèvement de la formation professionnelle (1984 : Fr. 342 ; 1985 : Fr. 3236 ; 1986 : Fr. 3000 ; 1987 : Fr. 3000 et Fr. 544), mais aussi en ce qui concerne les dernières inscriptions enregistrées avant que l’assuré ne prenne un emploi de serveur et de gérant adjoint dans le café-bar repris par la suite (2002 : Fr. 7623 ; 2003 : Fr. 8307).

En outre, l’emploi au National Zeitung a pris fin en 1997, soit environ dix-sept ans avant que l’incapacité de travail en question ne survienne au printemps 2014, et rien n’indique que l’assuré aurait renoncé à cette activité parce qu’il se contentait volontairement d’un revenu inférieur. On ne peut pas non plus dire, en ce qui concerne l’ensemble de la biographie professionnelle, qu’il aurait pu – comme le prétend l’office AI – obtenir un emploi « normalement » rémunéré dans divers domaines, alors qu’il n’avait à aucun moment pu prendre pied dans sa profession apprise de coiffeur. Enfin, la juridiction cantonale a tenu compte du fait que les facteurs intervenant dans la parallélisation des revenus ne doivent pas être repris dans le cadre de l’abattement sur le salaire statistique (ici : 15 %).

La juridiction cantonale était autorisée à procéder à une parallélisation des revenus sans enfreindre la loi.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_17/2020 consultable ici

Proposition de citation : 9C_17/2020 (d) du 30.03.2020 – Parallélisation des revenus à comparer pour un indépendant – Examen de l’ensemble de la biographie professionnelle, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/05/9c_17-2020)

 

9C_678/2019 (f) du 22.04.2020 – Rappel des notions de l’objet du litige et de l’objet de la contestation / Conditions pour l’extension de l’objet de la contestation par le tribunal cantonal / Principe de la bonne foi

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_678/2019 (f) du 22.04.2020

 

Consultable ici

 

Rappel des notions de l’objet du litige et de l’objet de la contestation

Conditions pour l’extension de l’objet de la contestation par le tribunal cantonal

Principe de la bonne foi

 

Assuré, né en 1974, vendeur, a requis l’octroi d’une mesure d’orientation professionnelle de l’AI, arguant souffrir des séquelles incapacitantes d’une atteinte neuropsychique. L’office AI a mis sur pied une expertise psychiatrique. L’expert a fait état d’un probable trouble dépressif récurrent et d’une possible décompensation psychotique en mars 2003 mais n’a pu se prononcer sur l’influence de ces maladies sur la capacité de travail, compte tenu des circonstances dépassant selon lui les possibilités d’une expertise effectuée par un expert seul. En dépit de l’impossibilité d’obtenir des précisions des médecins consultés par l’intéressé, l’office AI a accordé à l’assuré une rente entière à partir du 01.04.2004. Cette prestation a été confirmée à l’issue d’une première procédure de révision.

Lors de la seconde procédure de révision initiée le 28.04.2014, l’assuré a indiqué n’avoir plus de suivi thérapeutique ni de traitement médicamenteux depuis l’époque de sa première demande de prestations. Dès lors, l’office AI a mis en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique. Le médecin-expert a évalué la capacité de travail au moment de l’expertise à au moins 80% dans la dernière activité exercée et à 100% dans une activité adaptée, après des mesures d’aide à la réinsertion.

Sur la base des appréciations du médecin du SMR de l’AI, et de son Service de réadaptation, qui ne jugeait pas nécessaire l’allocation de mesures particulières compte tenu de l’âge de l’intéressé et de la durée d’octroi des prestations, l’administration a supprimé la rente versée jusqu’alors à compter du 01.04.2016 (décision du 23.02.2016).

Par courrier du 29.02.2016, le nouveau médecin traitant, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, a indiqué que, bien qu’il adhérât pour l’essentiel à l’évaluation du médecin-expert, il s’opposait à la suppression de la rente sans que ne fussent entreprises des mesures de réadaptation. L’office AI lui a répondu par lettre du 07.03.2016 que la « décision concernant la suppression de la rente [était] entrée en force le 23.02.2016 » mais que l’assuré pouvait le contacter pour les mesures de réadaptation.

Saisie le 22.06.2017 d’une nouvelle requête de l’assuré, l’administration a refusé d’entrer en matière dans la mesure où un changement notable de la situation n’avait pas été rendu plausible (décision du 25.09.2017).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/725/2019 – consultable ici)

L’intéressé a recouru contre la décision du 25.09.2017. Au terme de l’échange d’écritures, la juridiction cantonale a repris l’instruction de la procédure et interpellé l’office AI au sujet du courrier du médecin traitant du 29.02.2016, puis le médecin lui-même. La cour cantonale a ensuite informé l’office AI qu’une procédure portant le nouveau numéro de cause, concernant le recours du 29.02.2016 contre la décision du 23.02.2016, avait été ouverte ; elle lui a imparti un délai pour répondre, ce que l’office AI a fait. L’assuré s’est également déterminé.

La juridiction cantonale a considéré que le courrier du médecin-traitant constituait un recours. Elle a relevé à cet égard qu’il avait été adressé à l’office AI avant l’échéance du délai de recours mais ne lui avait pas été transmis comme objet de sa compétence même si la volonté du médecin d’agir en faveur de son patient ressortait suffisamment du courrier en question. Elle a encore constaté que cette volonté consistait à s’opposer à la suppression de la rente sans la mise en œuvre de mesures de réadaptation professionnelle et qu’elle s’inscrivait dans l’objet de la contestation défini par la décision du 23.02.2016 qui tranchait non seulement la question de la suppression de la rente mais également celle du refus de mesures de réadaptation. Elle a enfin pris en compte le fait que le médecin avait été mal renseigné sur l’entrée en force de la décision administrative qu’il entendait contester.

Par décision incidente du 11.10.2018, le tribunal cantonal a suspendu la première cause [en lien avec la décision du 25.09.2017]. Par jugement du 20.08.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et annulation de la décision du 23.02.2016.

 

TF

Concrètement, le tribunal cantonal a été saisi d’un recours de l’assuré contre la décision du 25.09.2017 portant sur le refus d’entrée en matière sur la nouvelle demande de prestations et a ouvert une procédure (cause no 1). Ni l’acte de recours déposé par l’assuré ni sa réplique ne contiennent d’arguments qui concerneraient le courrier du médecin-traitant du 29.02.2016 et viseraient à ce que cette correspondance soit considérée comme un acte de recours valablement dirigé contre la décision de suppression de rente du 23.02.2016 ; l’assuré n’a pas non plus présenté de conclusions qui imposeraient à la juridiction cantonale d’examiner le bien-fondé de tels arguments. Les premiers juges se sont toutefois saisis d’office de ces questions.

En procédure juridictionnelle administrative, ne peuvent en principe être examinés et jugés que les rapports juridiques à propos desquels l’autorité administrative compétente s’est prononcée préalablement d’une manière qui la lie sous la forme d’une décision. Dans cette mesure, la décision détermine l’objet de la contestation qui peut être déféré en justice par la voie d’un recours. Le juge n’entre donc pas en matière, sauf exception, sur des conclusions qui vont au-delà de l’objet de la contestation (ATF 134 V 418 consid. 5.2.1 p. 426 et les références). L’objet du litige dans la procédure de recours est le rapport juridique réglé dans la décision attaquée dans la mesure où, d’après les conclusions du recours, il est remis en question par la partie recourante. L’objet de la contestation (Anfechtungsgegenstand) et l’objet du litige (Streitgegenstand) sont identiques lorsque la décision administrative est attaquée dans son ensemble. En revanche, les rapports juridiques non litigieux sont certes compris dans l’objet de la contestation mais non pas dans l’objet du litige (cf. ATF 125 V 413 consid. 1b p. 414 s.; arrêt 2C_53/2017 du 21 juillet 2017 consid. 5.1). L’objet du litige peut donc être réduit par rapport à l’objet de la contestation. Il ne peut en revanche, sauf exceptions (consid. 4.4.1 infra), s’étendre au-delà de celui-ci (cf. ATF 136 II 457 consid. 4.2 p. 463; 136 II 165 consid. 5 p. 174).

En l’occurrence, la décision dont a été saisi le tribunal cantonal est la décision du 25.09.2017, qui avait pour objet la non-entrée en matière sur la nouvelle demande de prestations de l’assuré, au motif que ce dernier n’avait pas rendu plausible une modification notable de sa situation. Cette décision détermine donc l’objet de la contestation qui peut être déféré en justice. Dans son recours cantonal et sa réplique, l’assuré s’est essentiellement plaint du fait que l’office AI n’avait pas jugé plausible l’aggravation de son état de santé, pourtant dûment prouvée par acte médical, et n’avait pas procédé aux actes d’instruction qui s’imposaient. Il a conclu à l’annulation de la décision du 25.09.2017 et à l’octroi d’une rente entière, subsidiairement à des mesures de réadaptation. L’objet du litige, déterminé par ces conclusions, et l’objet de la contestation se confondent en l’espèce dans la mesure où, par ses différentes écritures, l’assuré remettait en cause l’intégralité de la décision litigieuse de non-entrée en matière. En examinant dans ce contexte le bien-fondé de la décision du 23.02.2016, singulièrement de la suppression de la rente, la juridiction cantonale a procédé à une extension de l’objet de la contestation dont il y a lieu d’examiner la conformité au droit.

 

Selon une jurisprudence constante rendue dans le domaine des assurances sociales, la procédure juridictionnelle administrative peut être étendue pour des motifs d’économie de procédure à une question en état d’être jugée qui excède l’objet de la contestation, c’est-à-dire le rapport juridique visé par la décision, lorsque cette question est si étroitement liée à l’objet initial du litige que l’on peut parler d’un état de fait commun et à la condition que l’administration se soit exprimée à son sujet dans un acte de procédure au moins. Les conditions auxquelles un élargissement du procès au-delà de l’objet de la contestation est admissible sont donc les suivantes :

  • la question (excédant l’objet de la contestation) doit être en état d’être jugée ;
  • il doit exister un état de fait commun entre cette question et l’objet initial du litige ;
  • l’administration doit s’être prononcée à son sujet dans un acte de procédure au moins ;
  • le rapport juridique externe à l’objet de la contestation ne doit pas avoir fait l’objet d’une décision passée en force de chose jugée (ATF 130 V 503 consid. 1.2 p. 503 et les références; arrêt 9C_678/2011 du 4 janvier 2012 consid. 3.3, in SVR 2012 IV n° 35 p. 136; arrêt 9C_636/2014 du 10 novembre 2014 consid. 3.1; voir aussi Ulrich Meyer/Isabel von Zwehl, L’objet du litige en procédure de droit administratif fédéral, in Mélanges Pierre Moor, 2005, n° 27 p. 446).

En l’espèce, les juges cantonaux ont étendu l’objet de la contestation sans respecter les conditions prévues par la jurisprudence citée.

L’objet initial du litige (le refus d’entrer en matière sur la nouvelle demande de l’assuré) n’est lié à la suppression de la rente que dans la mesure où le changement notable des circonstances justifiant d’entrer en matière sur la nouvelle demande de prestations doit être examiné par la comparaison des situations telles qu’elles existaient au moment de la décision du 23.02.2016 et de la décision du 25.09.2017. Il est douteux que ce lien soit suffisamment étroit pour qu’on puisse parler d’un état de fait commun au sens de la jurisprudence, à l’instar par exemple de ce que le Tribunal fédéral a admis dans des cas où l’autorité judiciaire cantonale avait statué sur les prestations d’un assuré pour une période allant au-delà de la limite temporelle fixée par la décision litigieuse (cf. arrêts 9C_248/2018 du 19 septembre 2018 consid. 5; 9C_803/2013 du 13 février 2014 consid. 2.1; 9C_948/2010 du 19 décembre 2011 consid. 6). Quoi qu’il en soit, le rapport juridique visé par la décision du 23.02.2016 (la suppression de la rente) n’est pas, singulièrement n’est plus en état d’être jugé.

En effet, ce rapport juridique a été définitivement tranché par la décision du 23.02.2016, par laquelle la rente entière d’invalidité versée à l’assuré depuis le 01.04.2004 a été supprimée à partir du 01.04.2016. Semblant vouloir contester ladite décision, le médecin-traitant s’est certes adressé dans le délai de recours à l’administration qui l’a mal renseigné, en lui indiquant que la décision était entrée en force le 23.02.2016. Cette erreur n’a néanmoins pas eu pour effet d’interrompre ou de suspendre le délai de recours contre la décision du 23.02.2016, qui est entrée en force.

Il est vrai qu’une autorité doit agir de façon conforme au principe de la bonne foi et se garder de communiquer des renseignements erronés sur le déroulement d’une procédure ou d’autres formalités à remplir. Le corollaire de cette règle est que les parties ne doivent subir aucun préjudice en raison d’une indication inexacte. Toutefois, la partie qui s’aperçoit de l’inexactitude d’un renseignement – ou aurait dû s’en apercevoir en prêtant l’attention commandée par les circonstances – ne saurait se prévaloir de la protection de sa bonne foi, en particulier lorsque cette inexactitude était décelable à la seule lecture du texte légal sans qu’il faille recourir à la consultation de la jurisprudence ou de la doctrine (cf. ATF 138 I 49 consid. 8.3 p. 53 s.; 129 II 361 consid. 7.1 p. 381; arrêt 4C.82/2006 du 27 juin 2006 consid. 4.1 et les références).

L’assuré ne s’est pas prévalu d’une violation du principe de la bonne foi en raison du renseignement erroné donné au médecin-traitant le 07.03.2016, que ce soit au cours de la procédure administrative initiée par sa nouvelle demande ou à l’occasion de la procédure de recours contre la décision du 25.09.2017. Il n’a alors pas requis de la juridiction cantonale qu’elle annulât la décision du 23.02.2016, indiquant au contraire qu’il n’avait pas recouru contre cette décision qui était entrée en force. De plus, il n’aurait pas été en position de se prévaloir avec succès de l’inexactitude en cause, dans la mesure où il aurait aisément pu se rendre compte que le renseignement de l’office AI était erroné : la date indiquée au médecin-traitant de l’entrée en force de la décision coïncidait avec celle à laquelle le prononcé a été rendu, alors que l’indication des voies de droit mentionnait la possibilité de recourir dans un délai de 30 jours à compter de sa notification. Ces circonstances impliquent que la décision du 23.02.2016 était entrée en force de chose décidée, de sorte qu’en étendant la contestation au-delà de celle qui lui était soumise pour examiner la suppression de la rente, la juridiction cantonale a violé les règles sur l’extension de l’objet de la contestation.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et rétablit la décision du 23.02.2016 de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_678/2019 consultable ici

 

 

8C_828/2019 (d) du 17.04.2020 – Automutilation (Artefakt) – Trouble factice – 37 al. 1 LAA / Assuré subissant plusieurs amputations chirurgicales de la main / Examen du lien de causalité adéquate entre l’accident initial [moyen à la limite des cas de peu de gravité] et les troubles psychiques – 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_828/2019 (d) du 17.04.2020

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi.

 

Consultable ici

 

Automutilation (Artefakt) – Trouble factice / 37 al. 1 LAA

Assuré subissant plusieurs amputations chirurgicales de la main

Examen du lien de causalité adéquate entre l’accident initial [moyen à la limite des cas de peu de gravité] et les troubles psychiques / 48 OLAA

 

Assuré, né en 1971, employé par une entreprise d’horticulture, a glissé le 18.09.2012 avec une tronçonneuse pendant des travaux de jardinage et s’est coupé au niveau du majeur de la main gauche. Il a subi une coupure du tendon extenseur au niveau de l’articulation IPP, qui a été traitée chirurgicalement le même jour par une suture du tendon extenseur et une arthrodèse temporaire.

Six semaines après l’opération, une infection est apparue. Les 06.11.2012 et 16.11.2012, des révisions chirurgicales ont eu lieu à l’hôpital, qui ont rapidement conduit à une réduction des symptômes.

Dans la suite du traitement, l’assuré s’est plaint à plusieurs reprises de douleurs s’étendant aux autres doigts et jusqu’à l’épaule. A plusieurs reprises, des rougeurs et des tuméfactions ont été constatés ou des infections suspectées. Cela a donné lieu à de nombreuses autres interventions chirurgicales, qui n’ont toutefois apporté aucune amélioration des plaintes et des symptômes ou seulement à court terme. En particulier, le 08.08.2013, le majeur gauche de l’assuré a été amputé au niveau de la base de la phalange puis, en raison de la persistance des plaintes, il a été procédé le 22.11.2013 à une « désarticulation » de l’articulation métacarpo-phalangienne [MCP] du majeur.

Le 15.04.2014, l’assuré a subi une révision de plaie et une amputation du 3e métacarpien dans une clinique à Belgrade. L’assurance-accidents a pris en charge cette opération à titre exceptionnel et sans préjudice. Le 18.08.2014, l’assuré a été amputé de l’index gauche, y compris du métacarpien, à Belgrade. Le 25.04.2016, l’assuré a subi l’amputation du pouce de la main gauche, toujours à Belgrade.

L’assurance-accidents a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. D’un point de vue psychiatrique, le diagnostic présumé est celui d’un trouble factice. Les experts ont considéré que l’automutilation de la part de l’assuré était vraisemblable.

Par décision confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a retenu que l’assuré s’était automutilé. En excluant cette automutilation, la stabilisation de l’état de santé avait été atteint à la mi-mars 2014 au plus tard. L’assurance-accidents a nié le droit aux prestations à compter du 01.04.2014. Une IPAI de 6% a été octroyée pour les seules séquelles de l’accident. Le droit à la rente a été refusé. L’assurance-accidents a, en outre, réclamé le remboursement des indemnités journalières indûment versées depuis le 01.04.2014, soit un total de de CHF 105’955.80.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a classifié l’accident, au cours duquel seul un doigt a été blessé, comme un événement de gravité moyenne à la limite des accidents de peu de gravité. Pour qu’on puisse admettre le caractère adéquat de l’atteinte psychique, il faut un cumul de quatre critères au moins parmi les sept consacrés par la jurisprudence ou que l’un des critères se manifeste avec une intensité particulière.

Les juges cantonaux ont estimé que la douleur prétendument persistante de l’assuré ne pouvait être attribuée à aucune cause organique. En particulier, un syndrome douloureux régional complexe (SDRC [complex regional pain syndrome – CRPS en anglais]) a été exclu. Le rapport sur le plan orthopédique et traumatologique énumère certaines majorations des symptômes et discrépances ; l’évolution des troubles est décrite comme étant caractérisée par une escalade difficile à expliquer, commençant par une lésion relativement simple et se terminant par de multiples mutilations de la main gauche. Le critère des douleurs physiques [organiques] persistantes n’ayant pu être déterminé de manière suffisamment objective, les critères de la durée anormalement longue du traitement médical, des difficultés apparues au cours de la guérison, des erreurs dans le traitement médical ou du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques ne pouvaient être liés aux prétendues persistantes douleurs. Tout au plus, les deux autres critères (circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident et la gravité ou la nature particulière des lésions physiques, compte tenu notamment du fait qu’elles sont propres, selon l’expérience, à entraîner des troubles psychiques) pourraient être retenus, de sorte que le lien de causalité adéquate doit être nié.

La juridiction cantonale a relevé qu’un grand nombre de rapports de sortie (de l’hôpital helvétique et des cliniques de Belgrade) ont attesté que les lésions avaient guéri sans complications après les opérations respectives. Le processus de guérison initialement sans problème est plus susceptible d’indiquer que les complications qui se sont produites à plusieurs reprises par la suite étaient dues à la « sphère d’action » [Handlungssphäre] de l’assuré. L’expert en orthopédie-traumatologie s’est également référé à des photographies datant du 31.05.2015, sur la base desquelles un « œdème de choc/de coups » [Klopferödem] ou l’effet de substances nuisibles pour la peau ne pouvait être exclu. En outre, les médicaments prescrits (y compris les analgésiques) n’ont pas pu être détectés dans le sérum sanguin lors de l’expertise médicale, ce qui est en contradiction avec le niveau de souffrance déclaré. Dans l’ensemble, les experts n’ont pas prouvé l’automutilation mais l’ont retenu au degré de la vraisemblance prépondérante.

Par jugement du 29.10.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Si l’assuré a provoqué intentionnellement l’atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d’assurance n’est allouée, sauf l’indemnité pour frais funéraires (art. 37 al. 1 LAA). Même s’il est prouvé que l’assuré entendait se mutiler ou se donner la mort, l’art. 37 al. 1 LAA n’est pas applicable si, au moment où il a agi, l’assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement, ou si le suicide, la tentative de suicide ou l’automutilation est la conséquence évidente d’un accident couvert par l’assurance (art. 48 OLAA).

L’art. 48 OLAA présuppose un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’accident et le suicide, la tentative de suicide ou l’automutilation, les critères relatifs aux suites psychogènes d’un accident (ATF 115 V 133) devant être appliqués pour l’examen de la causalité adéquate (ATF 120 V 352 consid. 5b p. 355 ss). Le caractère adéquat du lien de causalité suppose, par principe, que l’événement accidentel ait eu une importance déterminante dans le déclenchement des troubles psychiques. Il faut décider, sur la base de critères désignés comme pertinents par la jurisprudence, si le lien de causalité adéquate peut être retenu (ATF 120 V 352 consid. 4b p. 354 ; cf. également arrêt U 306/03 du 15 novembre 2004 consid. 2.4). Les critères du lien de causalité adéquate doivent être examinés abstraction faite des troubles psychiques (ATF 140 V 356 consid. 3.2 p. 359). Il n’est pas nécessaire que le comportement de l’assuré soit la seule cause déterminante du risque assuré, il suffit qu’il en soit la cause partielle (ATF 97 V 226 consid. 1c p. 230). Cela étant, il n’est pas nécessaire que l’accident ait été causé par l’assuré. Son comportement doit cependant avoir été à l’origine d’une aggravation des conséquences de l’accident (ATF 121 V 45 consid. 3c p. 50 ; 109 V 150 consid. 3b p. 153 s. ; KASPAR GEHRING, in: Hürzeler/Kieser [Hrsg.], UVG, 2018, N. 14 ad Art. 37 UVG).

Selon l’art. 37 al. 1 LAA, l’automutilation et le suicide supposent un acte intentionnel. Le dol éventuel suffit (ATF 143 V 285 consid. 4.2.4 p. 294). La preuve d’un acte volontaire est souvent difficile à rapporter et l’on appliquera à cet égard la règle de la vraisemblance prépondérante (arrêt 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.4 et les références). La présomption fondée sur l’instinct de survie de l’être humain selon laquelle, en cas de doute, la mort est due à un acte involontaire et donc à un accident ne vaut toutefois pas en cas d’automutilation (cf. arrêts 8C_591/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.1 ; 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.3 et 2.4).

Bien que l’expert psychiatre ait mentionné que l’assuré ne s’est pas ouvert à lui, de sorte qu’il n’a pas pu prouver le diagnostic d’un trouble factice, de nombreux éléments indiquent que tel est le cas. Selon l’expert psychiatre, la cause de l’automutilation peut non seulement être un trouble factice (c’est-à-dire un comportement pathologique, seulement partiellement conscient), mais aussi un comportement conscient et intentionnel. Selon l’expert, il n’y a pas non plus d’indices d’une restriction de la capacité de discernement qui pourrait éventuellement exclure l’application de l’art. 37 al. 1 LAA.

Bien que ne le disant pas expressément, le Tribunal fédéral retient comme vraisemblable l’automutilation.

S’agissant du lien de causalité adéquate entre l’accident et les troubles psychiques [examen en lien avec l’art. 48 OLAA], le Tribunal fédéral rejette les allégations et griefs de l’assuré à l’encontre du jugement cantonal.

Pour déterminer le moment à partir duquel la douleur évoquée ne doit plus être considérée comme suite de l’accident mais comme conséquence de l’automutilation, le tribunal cantonal a fondé sa décision sur l’évaluation du médecin-conseil, spécialiste en chirurgie. Ce dernier a déclaré qu’après le débridement des examens bactériologiques ont été effectués le 21.02.2014. Il n’y a eu aucune infection et aucun signe d’inflammation peropératoire n’avait été observé. La stabilisation de l’état de santé est donc atteinte deux à trois semaines après cette opération.

Le Tribunal fédéral rejette les griefs de l’assuré à l’encontre du jugement cantonal sur ce point également.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_828/2019 consultable ici

Proposition de citation : 8C_828/2019 (d) du 17.04.2020 – Automutilation (Artefakt) – Trouble factice, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/05/8c_828-2019)

 

8C_261/2019 (d) du 08.07.2019 – Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate – 6 LPGA / Examen de l’invalidité – 8 al. 1 LPGA – 18 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_261/2019 (d) du 08.07.2019

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Consultable ici

 

Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate / 6 LPGA

Examen de l’invalidité / 8 al. 1 LPGA – 18 LAA

 

Assurée, née en 1963, employée de commerce dans une fondation, a été victime d’un accident de la circulation. La force de la collision lui a fait cogner la tête contre la vitre latérale de sa voiture. Après le remorquage de la voiture, l’assuré a pris le train pour se rendre au travail. Une première consultation médicale a eu lieu le jour suivant. Son médecin traitant, spécialiste en médecine générale, a diagnostiqué un TCC léger, une distorsion de la colonne cervicale et diverses contusions ; il a attesté une incapacité de travail à 50% à partir du 11.02.2015.

Le 14.11.2017, l’assurance-accidents a mis un terme à l’allocation des prestations rétroactivement au 01.09.2016, en se basant notamment sur l’évaluation du dossier par son médecin-conseil, spécialiste en neurologie. L’assurance-accidents a renoncé au remboursement des prestations octroyées au-delà du 22.08.2017. L’opposition de l’assurée a été rejetée.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a estimé qu’au 01.09.2016, date de la fin des prestations, aucune amélioration significative de l’état de santé ne devait être attendue par la poursuite du traitement médical, de sorte que l’assurance-accidents a eu raison de clore l’affaire. En ce qui concerne les troubles à la colonne cervicale, elle a nié, sur la base de la jurisprudence relative au coup du lapin (ATF 134 V 109), un lien de causalité adéquate entre l’accident et une (éventuelle) incapacité de travail pour les troubles évoqués au-delà du 01.09.2016.

En l’absence de lien de causalité adéquate, le tribunal cantonal aurait pu laisser ouverte la question d’un lien de causalité naturelle (ATF 135 V 465 consid. 5.1 p. 472). Néanmoins, les juges cantonaux l’ont examinée et ont constaté que les troubles n’étaient plus « accidentels », mais de nature dégénérative, à compter du 01.09.2016.

Par jugement du 14.03.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

En principe, l’octroi de prestations au titre de l’assurance accidents obligatoire présuppose un accident professionnel, un accident non professionnel ou une maladie professionnelle (art. 6 al. 1 LAA). Toutefois, l’assureur accidents n’est responsable des atteintes à la santé que dans la mesure où celles-ci présentent un lien de causalité non seulement naturelle mais aussi adéquat avec l’événement assuré (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438 ; 129 V 177 consid. 3 p. 181). L’adéquation – en tant que limitation légale de la responsabilité de l’assureur-accidents résultant du lien de causalité naturelle – est pratiquement sans importance dans le domaine des lésions traumatiques objectivables d’un point de vue organique, car ici la causalité adéquate coïncide largement avec la causalité naturelle (ATF 134 V 109 consid. 2 p. 111 s. ; 127 V 102 consid. 5b/bb p. 103).

Sont considérés comme objectivables les résultats de l’investigation (médicale) susceptibles d’être confirmés en cas de répétition de l’examen, lorsqu’ils sont indépendants de la personne de l’examinateur ainsi que des indications données par le patient. Ainsi, on ne peut parler de lésions traumatiques objectivables d’un point de vue organique que lorsque les résultats obtenus sont confirmés par des investigations réalisées au moyen d’appareils diagnostiques ou d’imagerie et que les méthodes utilisées sont reconnues scientifiquement (ATF 138 V 248 consid. 5.1 p. 251 ; arrêt 8C_387/2018 du 16 novembre 2018 consid. 3.3). Si les troubles en cause sont en lien de causalité naturelle avec l’accident, mais non objectivement prouvés, l’évaluation de l’adéquation doit se fonder sur le cours ordinaire des choses et, le cas échéant, d’autres critères liés à l’accident doivent être inclus (ATF 134 V 109 consid. 2.1 p. 111 s.).

Si la personne assurée a subi un accident qui justifie l’application de la juridiction du coup du lapin, les critères spécifiés par l’ATF 134 V 109 consid. 10 p. 126 ss sont déterminants à cet égard. Si cette jurisprudence n’est pas applicable, les critères d’adéquation développés pour les troubles psychiques consécutifs à un accident (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140) doivent être appliqués (ATF 134 V 109 consid. 2.1 p. 111 s.). Si le lien de causalité avec l’accident est retenu, les critères développés dans l’ATF 130 V 352 puis 141 V 281 doivent être appliqués par analogie pour évaluer l’effet invalidant d’une lésion spécifique de la colonne cervicale sans déficit fonctionnel organique objectivable (voir ATF 141 V 574 ; selon l’ancienne jurisprudence : ATF 136 V 279 consid. 3.2.3 p. 283 en lien avec 141 V 281 consid. 4.2 p. 298).

Tous les troubles à la santé psychiques doivent être soumis à une procédure structurée conformément à l’ATF 141 V 281 (ATF 143 V 418) en ce qui concerne leurs effets sur les capacités. Pour des raisons d’égalité juridique, cela s’applique également – et indépendamment de leur caractère éventuellement organique – à l’évaluation de l’effet invalidant d’une lésion spécifique de la colonne cervicale sans déficit fonctionnel organique objectivable (voir ATF 141 V 574 ; voir déjà 136 V 279 consid. 3.2.3 p. 283, toujours dans le cadre de la pratique alors en vigueur de la surmontabilité selon ATF 130 V 352).

Contrairement à l’assurance-invalidité, régie par principe de la finalité, qui est axée sur l’évaluation de l’impact des atteintes à la santé, l’assurance-accidents présuppose l’existence d’un lien de causalité naturelle (dans le cas d’atteinte à la santé organique non objectivable, cf. ATF 138 V 248 consid. 4 p. 251) et adéquate entre ces derniers et l’accident.

Le lien de causalité (art. 6 al. 1 LAA) et la limitation de gain ou l’invalidité (art. 8 al. 1 LPGA en lien avec l’art. 18 LAA) représentent des conditions « de qualification » [Anspruchsvoraussetzungen] différentes et impliquent des questions complètement différentes avec des besoins de clarification ou d’examen différents. Ainsi, le Tribunal fédéral a récemment jugé que la procédure d’examen selon l’ATF 141 V 281 n’est pas conçue pour apporter la preuve d’un lien de causalité naturelle (arrêt 8C_181/2019 du 2 mai 2019 consid. 5.2). Par conséquent, l’examen de l’adéquation purement normatif, fondé sur des critères, poursuit un objectif différent – à savoir celui de limiter la responsabilité – de l’évaluation des répercussions fonctionnelles fondée sur une évaluation normative et structurée. Cela ne change rien au fait que des éléments de fait partiellement identiques sont pris en compte et que certains chevauchements peuvent apparaître avec des critères et indicateurs individuels (voir Thomas Gächter, Funktion und Kriterien der Adäquanz im Sozialversicherungsrecht, Personen-Schaden-Forum 2016, p. 36 ss). Donc, si le fait de nier le lien de causalité naturelle et adéquate signifie que cette condition préalable essentielle aux prestations fait déjà défaut, il n’est pas nécessaire de procéder à l’évaluation des répercussions fonctionnelles (voir ATF 141 V 574 consid. 5.2 p. 582 ; Kaspar Gehring, in Frey/Mosimann/Bollinger [Hrsg.]: AHVG-IVG, 2018, N. 58 ad Art. 4 ATSG).

Dès lors que l’instance cantonale a nié à la fois le lien de causalité naturelle et le lien de causalité adéquate, on ne peut objecter qu’elle n’a pas examiné plus avant l’existence d’une invalidité.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_261/2019 consultable ici

Proposition de citation : 8C_261/2019 (d) du 08.07.2019 – Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/05/8c_261-2019)