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9F_5/2018 (f) du 16.08.2018, destiné à la publication – Révision d’un arrêt du Tribunal fédéral – 123 al. 2 let. a LTF / Irrégularités lors de l’établissement d’expertises de l’AI par une clinique genevoise – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9F_5/2018 (f) du 16.08.2018, destiné à la publication

 

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Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.09.2018 consultable ici

 

Révision d’un arrêt du Tribunal fédéral / 123 al. 2 let. a LTF

Irrégularités lors de l’établissement d’expertises de l’AI par une clinique genevoise / 44 LPGA

 

Assurée déposant en avril 2013 une seconde demande AI, après un premier refus. Au cours de l’instruction, l’office AI a obtenu copie du rapport du 21.03.2014 de l’expertise psychiatrique réalisée par la clinique S.__ sur mandat de l’assureur perte de gain de l’ancien employeur de l’assurée. Le docteur B.__, spécialiste en psychiatrie, y avait diagnostiqué un trouble obsessionnel compulsif et un trouble de l’adaptation, auquel s’associait une personnalité anankastique. Il avait retenu que ces troubles étaient sans incidence sur la capacité de travail de l’assurée, qui était entière depuis le 01.07.2013. Fort de ces conclusions, l’office AI a rejeté la demande de prestations. Le recours de l’assuré a été rejeté en instance cantonale.

Le Tribunal fédéral a examiné si la juridiction cantonale avait fait preuve d’arbitraire en suivant les conclusions d’une expertise psychiatrique réalisée par la clinique S.__ sur mandat de l’assureur perte de gain. Il a considéré que l’appréciation de l’autorité cantonale de recours selon laquelle cette expertise avait valeur probante et pouvait être suivie malgré les évaluations divergentes des médecins traitants de l’assurée était exempte d’arbitraire. En particulier, l’assurée n’avait pas mis en évidence des éléments objectivement vérifiables qui auraient été ignorés par l’expert et suffisamment pertinents pour remettre en cause le point de vue des premiers juges (arrêt du Tribunal fédéral 9C_587/2016 du 12.12.2016).

Par acte posté le 11.05.2018, l’assurée a présenté une demande en révision de l’arrêt du 12.12.2016. Elle conclut à l’annulation de cet arrêt et à ce que le Tribunal fédéral statue à nouveau dans le sens suivant: l’arrêt du Tribunal cantonal fribourgeois est annulé et, à titre principal, une rente entière d’invalidité est allouée à l’assurée ; à titre subsidiaire, la cause est renvoyée à l’autorité judiciaire cantonale pour complément d’instruction sur le plan médical.

 

TF

L’art. 123 al. 2 let. a LTF prévoit que la révision peut être demandée dans les affaires civiles et dans les affaires de droit public, si le requérant découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu’il n’avait pas pu invoquer dans la procédure précédente, à l’exclusion des faits ou moyens de preuve postérieurs à l’arrêt. La jurisprudence a précisé que ces faits doivent être pertinents, c’est-à-dire de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt attaqué et à aboutir à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 143 V 105 consid. 2.3 p. 107; 143 III 272 consid. 2.2 p. 275 et les arrêts cités).

En droit des assurances sociales, une évaluation médicale effectuée dans les règles de l’art revêt une importance décisive pour l’établissement des faits pertinents (ATF 122 V 157 consid. 1b p. 159). Elle implique en particulier la neutralité de l’expert, dont la garantie vise à assurer notamment que ses conclusions ne soient pas influencées par des circonstances extérieures à la cause et à la procédure (cf. ATF 137 V 210 consid. 2.1.3 p. 231), ainsi que l’absence de toute intervention à l’insu de l’auteur de l’expertise, les personnes ayant participé à un stade ou à un autre aux examens médicaux ou à l’élaboration du rapport d’expertise devant être mentionnées comme telles dans celui-ci. Or les manquements constatés au sein du « département expertise » par le Tribunal fédéral dans la procédure relative au retrait de l’autorisation de la clinique S.__ soulèvent de sérieux doutes quant à la manière dont des dizaines d’expertises ont été effectuées au sein de cet établissement (arrêt 2C_32/2017 consid. 7.1) et portent atteinte à la confiance que les personnes assurées et les organes de l’assurance-invalidité étaient en droit d’accorder à l’institution chargée de l’expertise (voir aussi arrêt 8C_657/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.2.2). Dès lors, de même que l’organe d’exécution de l’assurance-invalidité ou le juge ne peut se fonder sur un rapport médical qui, en soi, remplit les exigences en matière de valeur probante (sur ce point, cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352) lorsqu’il existe des circonstances qui soulèvent des doutes quant à l’impartialité et l’indépendance de son auteur, fondés non pas sur une impression subjective mais une approche objective (ATF 137 V 210 consid. 6.1.2 p. 267; 132 V 93 consid. 7.1 p. 109 et la référence; arrêt 9C_104/2012 du 12 septembre 2012 consid. 3.1), il n’est pas admissible de reprendre les conclusions d’une expertise qui a été établie dans des circonstances ébranlant de manière générale la confiance placée dans l’institution mandatée pour l’expertise en cause.

En l’occurrence, l’expertise, sur laquelle s’est essentiellement appuyée la juridiction cantonale pour nier le droit de l’assurée à des prestations d’invalidité et qui a été prise en considération dans la procédure principale par le Tribunal fédéral pour juger de la conformité au droit de l’appréciation des preuves cantonale, a été réalisée à une époque où le responsable médical du « département expertise » modifiait illicitement le contenu de rapports. En conséquence, cette expertise ne peut pas servir de fondement pour statuer sur le droit de l’assurée aux prestations de l’assurance-invalidité. Peu importe le point de savoir si ledit responsable est concrètement intervenu dans la rédaction du rapport du docteur B.__, voire en a modifié le contenu à l’insu de son auteur, parce qu’il n’est en tout état de cause pas possible d’accorder pleine confiance au rapport du 21 mars 2014, établi sous l’enseigne de la clinique S.__. Les exigences liées à la qualité de l’exécution d’un mandat d’expertise médicale en droit des assurances sociales ne pouvaient être considérées comme suffisamment garanties au sein du « département expertise » de celle-ci (sur l’importance de la garantie de qualité de l’expertise administrative, SUSANNE LEUZINGER, Die Auswahl der medizinischen Sachverständigen im Sozialversicherungsverfahren [Art. 44 ATSG], in Soziale Sicherheit – Soziale Unsicherheit, Mélanges à l’occasion du 65ème anniversaire de Erwin Murer, 2010, p. 438).

Les faits en cause sont de nature à modifier l’état de fait à la base de l’arrêt dont l’assurée demande la révision, dès lors que, eussent-ils été connus du Tribunal fédéral, ils auraient conduit celui-ci à donner une autre issue au litige, singulièrement à nier que l’expertise suivie par la juridiction cantonale pût servir de fondement pour le refus de prestations. Sur le rescindant, il s’impose dès lors d’annuler l’arrêt rendu le 12.12.2016 par la IIe Cour de droit social dans la cause 9C_587/2016.

 

Le TF admet la demande de révision de l’assurée, annule le jugement cantonal et la décision AI et renvoie la cause à l’office AI pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

 

 

Arrêt 9F_5/2018 consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.09.2018 consultable ici

 

Voir également :

Une clinique genevoise sanctionnée par le Département de la santé

L’OFAS ne collabore plus depuis 2015 avec la clinique Corela

Interpellation Häsler 18.3188 « Dépendance économique des établissements spécialisés dans l’expertise médicale »

8C_657/2017 (f) du 14.05.2018 – Causalité naturelle – Valeur probante d’une expertise médicale réalisée par la Clinique Corela – 6 LAA – 44 LPGA

 

 

9C_839/2017 (f) du 24.04.2018 – Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_839/2017 (f) du 24.04.2018

 

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Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1956, a travaillé comme employé à plein temps des services généraux d’une banque dès le 17.01.2000. Après avoir été victime d’un accident de moto le 05.10.2012, il a subi plusieurs interventions chirurgicales notamment au membre inférieur gauche et à l’épaule droite. L’assuré a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 30.11.2012. Il bénéficie d’une préretraite depuis le 01.02.2014.

L’office AI a fait verser à son dossier l’expertise orthopédique mise en œuvre par l’assurance-accidents. Dans un rapport établi le 03.06.2015, le spécialiste en chirurgie orthopédique et en chirurgie de la main a diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – une limitation fonctionnelle douloureuse permanente de l’épaule et du poignet droit, des gonalgies gauches sus-condyliennes externes à l’effort et une rhizarthrose bilatérale avancée (symptomatique à gauche). Même en prenant en considération les traitements chirurgicaux proposés (une arthrodèse radio-carpienne et une ablation du matériel d’ostéosynthèse au genou gauche), le médecin a indiqué que la capacité de travail de l’assuré était définitivement nulle dans son activité habituelle de manutentionnaire polyvalent ; l’assuré pouvait en revanche reprendre une activité à 100% ne nécessitant pas de mouvement répétitif ou d’effort du membre supérieur droit dès juin 2015. Le chirurgien traitant a indiqué pour sa part que son patient pouvait reprendre son activité habituelle à un taux d’activité entre 50 et 100% dès le 14.07.2015, avec une baisse de rendement à définir.

L’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière de l’assurance-invalidité du 01.10.2013 au 31.03.2014, un quart de rente du 01.04.2014 au 31.12.2014, une rente entière du 01.01.2015 au 31.07.2015, puis un quart de rente dès le 01.08.2015.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/897/2017 – consultable ici)

Par jugement du 16.10.2017, admission partielle du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Après avoir examiné l’ensemble des circonstances concrètes de la cause, en particulier le parcours professionnel de l’assuré qui l’a amené à pratiquer différentes activités professionnelles, les premiers juges ont retenu qu’il exerçait déjà certaines des activités compatibles avec ses limitations fonctionnelles dans son activité habituelle de manutentionnaire polyvalent. Ils en ont déduit que l’assuré disposait des connaissances, des compétences et de l’expérience nécessaires pour exercer de telles activités légères (huissier, caissier, employé de scannage, etc.), sans qu’une formation ou une orientation professionnelle ne soit nécessaire.

Le moment où la question de la mise en valeur de la capacité (résiduelle) de travail pour un assuré proche de l’âge de la retraite sur le marché de l’emploi doit être examiné correspond à celui auquel il a été constaté que l’exercice (partiel) d’une activité lucrative était médicalement exigible (ATF 138 V 457 consid. 3.3 p. 461 et consid. 3.4 p. 462). Au moment déterminant où le médecin-expert a constaté la pleine capacité de travail de l’assuré dans une activité adaptée, celui-ci était âgé de 59 ans. L’assuré n’avait dès lors pas encore atteint l’âge à partir duquel le Tribunal fédéral admet qu’il peut être plus difficile de se réinsérer sur le marché du travail (ATF 143 V 431 consid. 4.5.2 p. 433). Aussi, si l’âge de l’assuré peut limiter dans une certaine mesure ses possibilités de retrouver un emploi, on ne saurait considérer qu’il rend à lui seul cette perspective illusoire au point de procéder à une analyse globale de sa situation au sens de l’ATF 138 V 457.

L’argumentation de l’assuré ne met finalement nullement en évidence des circonstances susceptibles d’établir que la juridiction cantonale aurait violé le droit fédéral en opérant un abattement de 15% sur le salaire statistique retenu au titre de revenu d’invalide. En particulier, le simple fait que l’assuré cite une cause dans laquelle le Tribunal administratif fédéral a admis, dans un cas particulier, un taux d’abattement de 20% pour une personne âgée de 59 ans (arrêt du Tribunal administratif fédéral C-1020/2014 du 9 juin 2016 consid. 11.3) ne saurait établir que l’autorité précédente a commis un excès de son pouvoir d’appréciation ou qu’elle aurait abusé de celui-ci dans le cas d’espèce.

Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter de l’appréciation globale de l’autorité précédente concernant la réduction (de 15%) à opérer sur le revenu d’invalide.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_839/2017 consultable ici

 

 

8C_298/2018 (f) du 05.07.2018 – Demande de récusation des juges cantonaux puis juges fédéraux niés / Déni de justice nié – 29 al. 2 Cst. / Témérité des recours – Démarches procédurières – Avertissement des recourants par le Tribunal fédéral

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_298/2018 (f) du 05.07.2018

 

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Demande de récusation des juges cantonaux puis juges fédéraux niés

Déni de justice nié / 29 al. 2 Cst.

Témérité des recours – Démarches procédurières – Avertissement des recourants par le Tribunal fédéral

 

Par arrêt du 03.08.2015 (ATAS/579/2015), la Chambre des assurances sociales a déclaré irrecevable un recours formé par les époux A.___ et B.___, en tant qu’il portait sur les allocations familiales versées par Unia au Service de protection des mineurs, et l’a rejeté pour le surplus.

Les époux ont déposé un acte intitulé « demande de récusation et demande de révision » contre l’arrêt susmentionné. Ces demandes ont fait l’objet de deux arrêts cantonaux, l’un sur la question de la révision (ATAS/944/2015) et l’autre sur celle de la récusation (ATAS/328/2016).

Contre le premier arrêt, les époux ont déposé une « demande de révision avec demande de récusation », laquelle a été déclarée irrecevable par décision d’une délégation des juges de la Cour de justice en matière de récusation (ci-après: l’autorité en matière de récusation) (ATAS/438/2016).

Contre la décision précitée, les époux ont déposé une « requête de récusation provisoire », déclarée irrecevable le 15.08.2016 (ATAS/623/2016), puis une « demande de révision avec un motif qui est une demande de récusation définitive », déclarée irrecevable le 27.10.2017 (ATAS/956/2017), toutes deux par l’autorité en matière de récusation.

Les époux ont déposé deux actes contre la décision du 27.10.2017. Premièrement, ils ont formé un recours en matière de droit public devant le Tribunal fédéral, qui l’a déclaré irrecevable par arrêt du 11.01.2018 (cause 8C_883/2017). Deuxièmement, ils ont déposé une écriture intitulée « demande en révision contenant un motif qui est une demande de récusation », laquelle a été déclarée irrecevable par décision de l’autorité en matière de récusation du 20.02.2018 (ATAS/154/2018).

Dans la décision attaquée, les juges cantonaux ont constaté que la décision du 27.10.2017 n’était pas définitive lorsque les époux en ont demandé la révision. En effet, le délai de recours au Tribunal fédéral n’était pas encore échu. Aussi, la demande de révision n’était-elle pas recevable, eu égard à l’art. 80 de la loi [du canton de Genève] sur la procédure administrative (LPA; RS/GE E 5 10), en vertu duquel la voie de la révision n’est ouverte qu’aux décisions définitives.

En outre, à supposer que la décision du 27.10.2018 fût définitive, la demande de révision n’était pas fondée. En effet, le grief soulevé par les intéressés semblait se rapporter aux développements juridiques prétendument viciés et défavorables à leur thèse. Or, statuer en défaveur d’une partie n’était pas constitutif de prévention.

S’agissant du grief de déni de justice, l’autorité cantonale n’avait pas à examiner les conclusions des époux sur le fond ni à répondre à l’ensemble de leur argumentation, dès lors qu’elle a déclaré leur écriture irrecevable en raison du caractère non définitif de la décision dont ils demandaient la révision. Partant, quoi qu’en disent les époux, on voit mal comment l’examen de leurs griefs était susceptible d’entraîner l’admission de leur demande. Par ailleurs, les premiers juges ont répondu, de manière subsidiaire, à l’argumentation des époux.

Quant aux griefs suivants, ce n’est pas parce qu’ils déposent des demandes de révision et/ou de récusation que leurs actes ne répondent à aucune condition de recevabilité. En outre, il ne suffit pas d’affirmer, de manière péremptoire, que l’art. 80 LPA ne s’appliquait pas à leur demande de révision/récusation pour démontrer une application arbitraire du droit cantonal. Quoi qu’il en soit, la cour cantonale a expliqué que le motif de prévention invoquée à l’appui de la demande de révision n’était pas admissible, ce que les époux n’ont purement et simplement pas l’intention d’accepter. En se plaignant de l’absence de détermination des magistrats qu’ils estiment prévenus, les époux perdent une nouvelle fois de vue que les demandes de récusation répondent à des conditions de recevabilité et qu’il ne suffit pas de requérir la récusation d’un magistrat pour que la procédure prévue à cet effet soit d’emblée mise en œuvre (sur le sujet cf. AUBRY GIRARDIN, Commentaire de la LTF, 2 e éd. 2014, n° 13-17 ad art. 36 LTF).

Dans la présente procédure, les époux demandent également la récusation des juges Maillard, Frésard et Wirthlin « en raison d’un conflit d’intérêts avec les causes 8F_3/2018 et 8C_883/2017 ». La Cour de droit social du Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de leur expliquer que la participation à une procédure antérieure devant le Tribunal fédéral ne constitue pas à elle seule un motif de récusation (art. 34 al. 2 LTF; cf. arrêt 8F_4/2017 du 3 mars 2017 et ordonnance du 31 octobre 2016 dans la cause 8F_13/2016).

 

Le TF relève enfin que l’arrêt de la Chambre des assurances sociales du 03.08.2015 a été le point de départ de nombreuses procédures, tant au niveau cantonal qu’au niveau fédéral. Selon les juges précédents, la Cour de justice a été saisie pour la cinquième fois à la suite de l’arrêt précité et a rendu cinq décisions dans des compositions de juges différentes qui ont toutes conclu à l’irrecevabilité, respectivement au rejet des requêtes déposées par les époux. Le Tribunal fédéral s’est prononcé tout autant de fois dans ce même contexte de procédures. A plusieurs reprises, il a attiré l’attention des recourants sur le caractère abusif ou procédurier de leurs écritures (cf. ordonnances et arrêts rendus dans les causes 8F_13/2016, 8F_4/2017 et 8F_3/2018). Force est de constater que les recourants ne tirent aucune leçon des mises en garde qui leur sont adressées. Dans ces conditions, les recourants sont formellement avertis que, s’ils persistent dans leurs démarches procédurières, ils s’exposeront au prononcé d’une amende d’ordre de 2’000 francs au plus, voire de 5’000 francs en cas de récidive (cf. art. 33 al. 2 LTF).

 

Le TF rejette le recours des époux.

 

 

Arrêt 8C_298/2018 consultable ici

 

 

9C_101/2018 (f) du 21.06.2018 – Paiement des frais de procédure – 63 PA – 21 PA / Transfert de l’avance de frais depuis un compte d’une banque étrangère

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_101/2018 (f) du 21.06.2018

 

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Paiement des frais de procédure / 63 PA – 21 PA

Transfert de l’avance de frais depuis un compte d’une banque étrangère

 

Par décision du 29.09.2017, l’office AI a rejeté une demande de prestations de l’assurée, domiciliée en France.

 

Procédure cantonale

Saisi d’un recours de l’assurée, le Tribunal administratif fédéral, Cour III, l’a déclaré irrecevable au motif que l’avance de frais requise n’avait pas été acquittée dans le délai imparti (jugement du 04.01.2018).

 

TF

Selon l’art. 63 al. 4 PA (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2007, applicable par renvoi de l’art. 37 LTAF), l’autorité de recours – son président ou le juge instructeur – perçoit du recourant une avance de frais équivalant aux frais de procédure présumés; elle lui impartit pour le versement de cette créance un délai raisonnable en l’avertissant qu’à défaut de paiement elle n’entrera pas en matière. Aux termes de l’art. 21 al. 3 PA (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2007, identique à celle de l’art. 48 al. 4 LTF et applicable par renvoi de l’art. 37 LTAF), le délai pour le versement d’avances est observé si, avant son échéance, la somme due est versée à La Poste Suisse ou débitée en Suisse d’un compte postal ou bancaire en faveur de l’autorité.

Le moment déterminant pour constater l’observation ou l’inobservation du délai est celui auquel la somme a été versée en faveur de l’autorité à La Poste Suisse (que ce soit au guichet d’un bureau de poste ou lors d’un transfert depuis l’étranger) ou celui auquel l’ordre de paiement en faveur de l’autorité a été débité du compte postal ou bancaire du recourant ou de son mandataire (cf. Message concernant la révision totale de l’organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2001 p. 4096 s.). Le fait que la somme en cause n’a pas été créditée dans le délai imparti sur le compte de la juridiction concernée n’est pas décisif au regard du droit fédéral si le montant requis a effectivement été débité du compte bancaire du recourant ou de son avocat avant l’échéance du délai prévu (cf. arrêt 1F_34/2011 du 17 janvier 2012 consid. 2.3.2 in SJ 2012 I 229).

En cas de transfert de l’avance de frais depuis un compte d’une banque étrangère, il faut non seulement vérifier que le débit dudit compte a été effectué avant l’échéance fixée par l’autorité, mais aussi que dans ce même délai, l’avance a été créditée sur le compte de l’autorité ou, à tout le moins, qu’elle est entrée dans la sphère d’influence de l’auxiliaire (banque ou La Poste Suisse) désigné par celle-ci. Dans cette dernière hypothèse (entrée temporaire du montant dans la sphère d’influence de l’auxiliaire sans que le compte de l’autorité n’ait été crédité), il est par ailleurs nécessaire d’examiner à qui, du justiciable et de sa banque étrangère ou de l’autorité et de son auxiliaire, l’échec de transfert au destinataire final est imputable. S’il est établi que la cause de l’échec se trouve auprès du justiciable et/ou de sa banque étrangère, il faudra encore vérifier si l’erreur pouvait passer pour être excusable ou si, au contraire, elle a été grossière au point qu’on ne puisse s’attendre de la banque de l’autorité qu’elle se renseigne pour tenter néanmoins d’attribuer le montant au compte du destinataire final de la transaction, à savoir l’autorité créancière (cf. arrêts 9C_94/2008 du 30 septembre 2008 consid. 6 in SVR 2009 IV n° 17 p. 45; 2C_1022/2012 du 25 mars 2013 consid. 6.3.3-6.3.6 et les références in RDAF 2013 II 186).

 

In casu, le délai de paiement est arrivé à échéance le 06.12.2017. L’assurée soutient avoir effectué le versement le 24.11.2017 et produit un ordre de paiement l’attestant. Sur demande du Tribunal fédéral, PostFinance a expliqué que le virement de 800 fr. avait été effectué le 24.11.2017 mais que le montant avait été rejeté dans la mesure où le numéro de compte (30-217609-6) ne correspondait pas au titulaire mentionné dans l’ordre de paiement (SwissPost au lieu de Bundesverwaltungsgericht). Comme l’a ensuite confirmé le Tribunal administratif fédéral, le n° IBAN indiqué dans l’avis d’opéré de la banque de l’assurée était correct. Elle avait en revanche indiqué La Poste suisse comme destinataire du virement.

La seule erreur commise par l’assurée et/ou par sa banque est excusable. En effet, on relèvera à cet égard que le libellé de la facture pouvait lui-même engendrer une certaine confusion dès lors qu’il mentionne à la fois un destinataire ainsi qu’une banque destinataire. On ajoutera que le n° IBAN désignait clairement l’autorité judiciaire précédente et qu’étant donné l’important trafic de paiement en faveur de cette autorité, PostFinance pouvait ou devait déjà se douter du destinataire réel du versement (cf. arrêt 9C_636/2009 du 26 novembre 2009 consid. 5). De surcroît, dans la mesure où le motif de paiement (n° de la facture) était indiqué, elle pouvait très aisément vérifier et exclure qu’elle-même était le destinataire du paiement contrairement au contenu de l’avis d’opéré.

 

Le TF admet le recours de l’assuré et annule le jugement du TAF.

 

 

Arrêt 9C_101/2018 consultable ici

 

 

1C_184/2018 (f) du 26.07.2018 – Retrait du permis de conduire d’un conducteur souffrant d’un handicap de mobilité / Devoir de prudence – Infraction moyennement grave – 16b LCR / Discrimination indirecte – 8 al. 2 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_184/2018 (f) du 26.07.2018

 

Consultable ici

 

Retrait du permis de conduire d’un conducteur souffrant d’un handicap de mobilité

Devoir de prudence – Infraction moyennement grave / 16b LCR

Discrimination indirecte / 8 al. 2 Cst.

 

A.___ est titulaire d’un permis de conduire pour véhicules, notamment de catégories B et F, depuis le 12.07.1973. Le fichier des mesures administratives en matière de circulation routière ne contient aucune inscription le concernant. Souffrant d’un handicap aux jambes, il ne peut pas se déplacer à pied sur un chemin en déclivité.

Le 24.02.2017 à 23h00, A.___ circulait à Lausanne ; il a obliqué vers la droite, afin d’entrer dans la ruelle perpendiculaire à l’avenue de Sévelin, à une vitesse de 20 km/h. Au coin de la rue, s’élevaient des palissades de chantier masquant quelque peu la visibilité des conducteurs souhaitant tourner à droite. Inattentif, A.___ n’a pas remarqué la présence d’une piétonne qui se tenait immobile au commencement de la ruelle, en bordure droite de la chaussée, et n’a pas pu arrêter son véhicule. Il s’en est suivi un heurt entre l’avant de la voiture et la piétonne : sous l’effet du choc, cette dernière a été légèrement projetée avant de tomber sur le sol ; ressentant des douleurs à un pied, elle a été examinée par les ambulanciers, mais son état n’a pas nécessité une conduite à l’hôpital.

Par ordonnance pénale du 11.08.2017, A.___ a été reconnu coupable d’infraction simple à la LCR et condamné à une amende de 250 francs. Il lui était reproché une inattention et une circulation à une vitesse inadaptée ne permettant pas de s’arrêter à la distance à laquelle porte sa visibilité. Cette condamnation n’a pas été contestée.

Par décision du 23.08.2017, le Service des automobiles (SAN) a retiré à A.___ son permis de conduire pour une durée d’un mois en application de l’art. 16b al. 2 let. a LCR. Sur réclamation de l’intéressé, cette décision a été confirmée.

 

Procédure cantonale (arrêt CR.2017.0054 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que A.___ ne s’était pas conformé à son devoir de prudence : il n’a pas adapté sa vitesse en raison du fait que la visibilité n’était pas bonne (art. 32 al. 1 LCR) ; il n’a pas voué son attention à la route et à la circulation (art. 3 al. 1 OCR) ; il a circulé à une vitesse qui l’empêchait de s’arrêter sur la distance à laquelle portait sa visibilité (art. 4 al. 1 OCR).

La cour cantonale a considéré que tant la mise en danger de la sécurité d’autrui que la faute ne pouvaient être qualifiées de légères. Sur le premier point, les juges cantonaux ont retenu que la piétonne impliquée n’avait, par chance, pas subi de blessure grave après avoir été percutée par le véhicule et ont ajouté que les conséquences auraient été bien pires si la victime s’était retrouvée juste devant le véhicule qui prenait le virage à une vitesse de 20 km/h. Quant à la gravité de la faute, l’instance cantonale a considéré que l’automobiliste devait ici être particulièrement attentif à cause de sa visibilité réduite en raison des palissades de chantier et de sa vitesse trop élevée au regard des circonstances.

Par arrêt du 07.03.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal. Les juges cantonaux ont également confirmé que le handicap de l’intéressé ne permettait pas de descendre en dessous de la durée minimale de retrait de permis prévue par la loi.

 

TF

Infraction de moyenne gravité

A ses art. 16a à 16c, la LCR distingue les infractions légères, moyennement graves et graves. Selon l’art. 16a al. 1 LCR, commet une infraction légère la personne qui, en violant les règles de la circulation routière, met légèrement en danger la sécurité d’autrui et à laquelle seule une faute bénigne peut être imputée. Commet en revanche une infraction grave selon l’art. 16c al. 1 let. a LCR la personne qui, en violant gravement les règles de la circulation routière, met sérieusement en danger la sécurité d’autrui ou en prend le risque. Entre ces deux extrêmes, se trouve l’infraction moyennement grave, soit celle que commet la personne qui, en violant les règles de la circulation routière, crée un danger pour la sécurité d’autrui ou en prend le risque (art. 16b al. 1 let. b LCR). Le législateur conçoit cette dernière disposition comme l’élément dit de regroupement : elle n’est ainsi pas applicable aux infractions qui tombent sous le coup des art. 16a al. 1 let. a et 16c al. 1 let. a LCR.

Dès lors, l’infraction est toujours considérée comme moyennement grave lorsque tous les éléments constitutifs qui permettent de la privilégier comme légère ou au contraire de la qualifier de grave ne sont pas réunis. Tel est par exemple le cas lorsque la faute est grave et la mise en danger bénigne ou, inversement, si la faute est légère et la mise en danger grave (ATF 136 II 447 consid. 3.2 p. 452). Ainsi, par rapport à une infraction légère, où tant la mise en danger que la faute doivent être légères, on parle d’infraction moyennement grave dès que la mise en danger ou la faute n’est pas légère.

L’absence de tout dommage ensuite d’un accident de circulation n’est synonyme ni de faute légère ni de mise en danger bénigne. Le heurt entre le véhicule de A.___ et la piétonne s’est produit à la vitesse non négligeable de 20 km/h dans un contexte de mauvaise visibilité due tant à l’heure avancée de la nuit qu’à la configuration particulière des lieux ; la violence du choc est attestée par le fait que la piétonne a été projetée avant de retomber sur le sol et qu’elle a, dans un premier temps tout au moins, ressenti des douleurs à un pied.

Si les juges cantonaux ont évoqué les conséquences lourdes qu’aurait pu avoir cet accident pour la piétonne, ils ne s’en sont pas moins uniquement fondés sur les faits établis par la procédure et se sont référés à plusieurs précédents de jurisprudence, en particulier en matière de heurt entre véhicules automobiles à petite vitesse (10-15 km/h), que A.___ ne prend pas même la peine de discuter. Dans de telles circonstances, A.___ ne peut pas affirmer que sa faute de circulation était légère et que, cumulativement, la mise en danger créée par l’emploi de son véhicule dans de telles circonstances était bénigne.

Sur le vu de ce qui précède, le raisonnement de la cour cantonale retenant la commission d’une infraction de moyenne gravité et confirmant le retrait du permis de conduire pour une durée d’un mois correspondant au minimum légal (art. 16b al. 2 let. a LCR) ne prête pas le flanc à la critique et doit être confirmé.

 

Retrait du permis de conduire pour une personne souffrant d’un handicap de mobilité

Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de se pencher sur la question de la compatibilité d’un retrait de permis de conduire d’une personne handicapée avec le principe de l’interdiction de la discrimination posé à l’art. 8 al. 2 Cst. (arrêt 6A.38/2006 du 7 septembre 2006 consid. 3.2). Ainsi, dans le cas d’un conducteur paraplégique se déplaçant en fauteuil roulant et dont le permis avait été retiré pour une durée de trois mois pour infraction grave à la LCR, il avait été retenu que les conséquences de ce retrait étaient essentiellement de nature économique et consistaient dans le coût des transports jusqu’au lieu de travail ; sur ce point, le conducteur handicapé n’était pas plus touché qu’un autre conducteur privé de permis de conduire qui, en raison de sa situation personnelle, géographique et financière, ou, par exemple de ses horaires de travail, serait contraint de recourir aux services de taxis, faute de pouvoir utiliser les transports publics ou un autre moyen de locomotion. Le Tribunal fédéral a eu l’occasion de rendre d’autres décisions allant dans le même sens. Celles-ci insistaient sur la volonté exprimée par le législateur de rendre désormais incompressibles les durées minimales de retrait du permis de conduire (art. 16 al. 3 2e phr. LCR), ce qui a pour corollaire d’exclure la possibilité de réduire cette durée minimale, notamment en faveur des conducteurs pour lesquels l’usage d’un véhicule adapté à leur handicap compense des difficultés de mobilité physique ; il a été fait référence aux débats parlementaires qui ont expressément exclu une telle exception pour les personnes handicapées ; a aussi été mentionnée la possibilité de fixer la date d’exécution du retrait en tenant compte du handicap physique (arrêts 1C_83/2008 du 16 octobre 2008 consid. 2.1; 1C_593/2013 du 25 juin 2013 consid. 2 et 1C_95/2014 du 13 juin 2014 consid. 4.3).

La doctrine spécialisée reprend cette jurisprudence sans la critiquer, insistant sur la volonté d’uniformité de la loi actuelle tout en évitant d’introduire des exceptions par voie d’interprétation en faveur de certaines catégories de conducteurs (Bussy/Rusconi/Jeanneret/Kuhn/ Mizel/Müller, Code suisse de la circulation routière commenté, 4e éd. 2015, n. 4.1 ad art. 16 LCR; CÉDRIC MIZEL, Droit et pratique illustrée du retrait du permis de conduire, 2015, n. 73.3.2 p. 532 s.; Philippe Weissenberger, Kommentar Strassenverkehrsgesetz und Ordnungsbussengesetz, 2e éd. 2015, n. 32 s. ad art. 16 LCR; Bernhard Rütsche, in Niggli/Probst/Waldmann [éd.], Basler Kommentar LCR, 2014, n. 91-95 ad art. 16 LCR, et en particulier la note de bas de page n. 148). Seuls MARKUS SCHEFER et CAROLINE HESS-KLEIN reprochent au Tribunal fédéral de ne pas avoir examiné, dans l’arrêt 6A.38/2006 précité, la question de savoir si, dans ce genre de situations, il n’existerait pas une discrimination indirecte : à les suivre, les conséquences d’un retrait de permis sont en effet les mêmes pour tous les conducteurs paraplégiques, mais elles ne sont pas nécessairement les mêmes pour tous les conducteurs non affligés d’un handicap; un tel examen aurait dû être entrepris par le Tribunal fédéral (Schefer/Hess-Klein, Behindertengleichstellungsrecht, 2014, p. 523 et la note de bas de page n. 271).

L’art. 8 al. 2 Cst. interdit non seulement la discrimination directe, mais également la discrimination indirecte. Une telle discrimination existe lorsque la réglementation, qui ne désavantage pas directement un groupe déterminé, défavorise particulièrement par ses effets et sans justification objective, les personnes appartenant à ce groupe. Ainsi, aux termes de l’art. 2 al. 2 2ème hypothèse LHand, il y a inégalité lorsqu’une différence de traitement nécessaire au rétablissement d’une égalité de fait entre les personnes handicapées et les personnes non handicapées fait défaut. Eu égard à la difficulté de poser des règles générales et abstraites permettant de définir pour tous les cas l’ampleur que doit revêtir l’atteinte subie par un groupe protégé par l’art. 8 al. 2 Cst. par rapport à la majorité de la population, la reconnaissance d’une situation de discrimination ne peut résulter que d’une appréciation de l’ensemble des circonstances du cas particulier. En tout état de cause, l’atteinte doit revêtir une importance significative, le principe de l’interdiction de la discrimination indirecte ne pouvant servir qu’à corriger les effets négatifs les plus flagrants d’une réglementation étatique (ATF 142 V 316 consid. 6.1.2 p. 323 s; 138 I 205 consid. 5.5 p. 213 s.; Eleonor Kleber, La discrimination multiple, 2015, p. 156 s. et les réf.).

En raison de son handicap, A.___ se trouve certes dans une situation moins favorable que d’autres automobilistes, dénués de handicap, qui font l’objet d’un retrait de permis. Il allègue en effet qu’il n’est pas en mesure – en raison de la forte déclivité du terrain – de se rendre à pied à l’arrêt des transports publics le plus proche de son domicile. Pour couvrir cette distance d’un km environ, il ne pourrait pas non plus emprunter une bicyclette, un vélo électrique ou un vélomoteur comme le ferait un autre usager en pleine possession de ses moyens.

De tels inconvénients ne touchent cependant pas uniquement les personnes handicapées ; ils peuvent aussi concerner d’autres conducteurs dont l’équilibre – notamment en raison de leur âge ou pour d’autres motifs personnels – ne leur permettrait pas d’envisager l’emploi d’un moyen de transport à deux roues. En ce sens, on ne saurait affirmer que la sanction litigieuse aurait un impact disproportionné sur une personne en raison de sa seule appartenance à un groupe protégé. En outre, il ne faut pas perdre de vue que la mesure litigieuse est limitée dans le temps à un mois, ce qui ne paraît pas compatible avec le caractère durable inhérent à tout handicap et aux conséquences de celui-ci sur la vie en société (art. 1 al. 2 CDPH [RS 0.109] et 2 al. 1 LHand; Schefer/Hess-Klein, op. cit., p. 17 s.). On ne saurait dans ces circonstances parler d’atteintes d’une importance significative pour la personne concernée. Il appartient à celle-ci pendant cette brève période d’organiser son emploi du temps et ses déplacements, comme doivent d’ailleurs le faire beaucoup d’autres conducteurs frappés par un retrait de permis, sans que de tels inconvénients n’aient un impact durable sur leur vie professionnelle et sociale. Enfin, comme l’a déjà rappelé le Tribunal fédéral en d’autres occasions semblables, le recourant aurait pu sans difficulté échapper à cette mesure administrative en respectant la prudence imposée par les circonstances.

Au vu de ce qui précède, la mesure litigieuse ne consacre pas de discrimination à l’encontre de A.___. A cet égard, il ne démontre pas en quoi l’art. 8 CEDH et les dispositions de la CDPH – la question du caractère  self executing de ce dernier traité ayant été laissé indécise par la jurisprudence (arrêt 5A_228/2018 du 30 avril 2018 consid. 4.2.3 et les réf.) – lui procureraient une meilleure protection que l’art. 8 Cst. Il apparaît au contraire que les normes spécifiques visant à éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées sont conçues pour s’inscrire dans la durée et n’ont pas vocation à régler des situations de courte durée telles que celle dénoncée par A.___.

 

Le TF rejette le recours de l’automobiliste.

 

 

Arrêt 1C_184/2018 consultable ici

 

 

Conditions d’assurance / 36 al. 1 LAI (en vigueur jusqu’au 31.12.2007) Incapacité de travail avant l’arrivée en Suisse Expertise médicale sur une période remontant à plus de 30 ans – Appréciation rétrospective de la situation – Valeur probante donnée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_291/2018 (f) du 03.08.2018

 

Consultable ici

 

Conditions d’assurance / 36 al. 1 LAI (en vigueur jusqu’au 31.12.2007)

Incapacité de travail avant l’arrivée en Suisse

Expertise médicale sur une période remontant à plus de 30 ans – Appréciation rétrospective de la situation – Valeur probante donnée

 

Assurée, née en 1954 au Brésil, arrivée en Suisse en septembre 1985, ayant épousé un citoyen suisse le 29.11.1985. Le 01.04.2010, elle a requis de l’office AI l’octroi d’une rente en raison d’une schizophrénie bipolaire chronique dont elle souffrait depuis 1983.

Après plusieurs procédures (9C_230/2012, 9C_262/2015) et expertises, de nombreux indices convergeaient pour conclure qu’au moins une incapacité de travail de 40% avait dû exister à partir de 1981, voire avant, même s’il n’était pas possible de l’affirmer « avec une certitude à 100% ». Par décision, l’office AI a rejeté la demande de prestations, les conditions générales d’assurance n’étant pas remplies.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 246/17 – 58/2018 – consultable ici)

Par jugement du 26.02.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Par son argumentation, l’assurée conteste la possibilité de faire établir, par le biais d’une expertise médicale, l’étendue de sa capacité de travail pour une période antérieure à son arrivée en Suisse, cela de manière rétrospective. Cette approche ne se concilie pourtant pas avec l’arrêt du Tribunal fédéral du 05.09.2012 (9C_230/2012), singulièrement avec les considérants 2.1 et 3, selon lesquels le renvoi pour instruction complémentaire avait précisément été ordonné afin de trancher cette question dont dépend l’issue du litige ; la mission de l’expert consistait à s’exprimer sur la situation qui prévalait dans les années quatre-vingt et à dire si l’assurée était à cette époque-là capable ou non de travailler nonobstant son affection psychique (cf. arrêt 9C_262/2015 du 08.01.2016 consid. 6.1).

Il n’est effectivement pas rare dans le domaine de l’assurance-invalidité que l’évaluation médicale de la capacité de travail doive porter sur une période remontant à plusieurs années dans le passé, ce qui suppose une appréciation rétrospective de la situation, à l’aide des données du dossier et de l’examen de la personne concernée.

L’expert a rempli la tâche qui lui était dévolue, apportant des réponses claires et motivées aux questions qui lui étaient posées. Le fait qu’il a mis en évidence la difficulté de répondre aux questions des parties quant à une incapacité de travail remontant à plus de trente ans ne permet pas de qualifier de « pures spéculations » les conclusions du médecin. Celles-ci reposent sur des explications convaincantes en fonction notamment du diagnostic posé et des données anamnestiques.

Le point de savoir si une personne subit une incapacité de travail (au sens de l’art. 28 al. 1 let. b LAI en relation, depuis le 1er janvier 2003, avec l’art. 6 LPGA) constitue une question de fait à laquelle doit répondre l’administration ou le juge, à l’aide des observations médicales recueillies. Les faits y relatifs doivent être établis selon le degré de la vraisemblance prépondérante (sur cette notion, ATF 135 V 39 consid. 6.1), « l’application par analogie de l’art. 16 CC, soit une présomption de capacité » – telle que souhaitée par l’assurée – étant incompatible avec ladite règle de preuve du droit des assurances sociales et ne trouvant, au demeurant, aucune assise normative ou jurisprudentielle.

Pour le surplus, l’expert a retenu une pathologie cyclique et récurrente, ainsi qu’une incapacité de travail totale antérieure de plusieurs années à son arrivée en Suisse. Il a fait état de la première décompensation psychique en 1981 et expliqué de manière convaincante, à la lumière également des deux hospitalisations de 1981 et de 1984 évoquées par l’assurée, les raisons pour lesquelles celle-ci devait être considérée comme « une véritable atteinte combinée sur le plan psychotique comme bipolaire avec une fragilité consécutive » ayant un caractère durable et entraînant une incapacité de travail d’au moins 40% à partir de 1981. L’affirmation de l’assurée selon laquelle sa maladie lui aurait laissé « un long répit » ensuite de la première hospitalisation ne suffit pas à démontrer en quoi la constatation d’une incapacité de travail dès 1981 serait insoutenable et procéderait d’une administration et d’une appréciation des preuves contraires au droit (art. 61 let. c LPGA et 97 al. 1 LTF).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_291/2018 consultable ici

 

 

8C_766/2017+8C_773/2017 (f) du 30.07.2018 – Troubles psychiques et causalité adéquate – Chute d’environ 4 mètres – 6 LAA / Revenu d’invalide fixé selon l’ESS – 18 LAA – 16 LPGA / Abattement – Critère de l’âge – Mono-manuel

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_766/2017+8C_773/2017 (f) du 30.07.2018

 

Consultable ici

 

Troubles psychiques et causalité adéquate – Chute d’environ 4 mètres / 6 LAA

Critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident – Réception latérale n’est pas forcément plus traumatisante qu’une chute verticale

Revenu d’invalide fixé selon l’ESS / 18 LAA – 16 LPGA

Abattement – Critère de l’âge / Pas mono-manuel la main non dominante conservant une fonction de stabilisation et port de charge de 1 kg maximum

 

Assuré, né en 1965, arrivé en Suisse en 2007, où il a travaillé comme ouvrier dans le bâtiment. Le 15.12.2011, l’assuré a été victime d’un accident professionnelle, glissant et tombant d’environ 4 mètres (du premier étage au rez-de-chaussée). La chute a provoqué une fracture-luxation du coude gauche et une instabilité postéro-externe du coude gauche sur rupture du ligament huméro-ulnaire externe et fracture de la coronoïde.

Par décision du 17.11.2016, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’incapacité de gain de 22% à partir du 01.11.2016, ainsi qu’à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) fondée sur un taux de 12%. Le revenu d’invalide a été fixé sur la base des DPT.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/848/2017 – consultable ici)

En relation avec les troubles psychiques allégués par l’assuré, la juridiction cantonale a refusé la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique, permettant éventuellement d’établir un rapport de causalité naturelle avec l’accident, au motif qu’un lien de causalité adéquate ferait de toute façon défaut (cf. ATF 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140 et 403 consid. 5c/aa p. 409). L’accident a été classé dans la catégorie des accidents de gravité moyenne, stricto sensu ; les juges cantonaux ont qu’un seul des critères, celui de la durée de l’incapacité de travail, entrait en ligne de compte (sans toutefois revêtir une intensité particulière).

Selon l’appréciation de l’instance cantonale, les DPT choisies n’étaient pas toutes compatibles avec les limitations fonctionnelles de l’assuré. Les juges cantonaux ont retenu un taux d’abattement de 20% motif pris qu’en 2016, année d’ouverture du droit à la rente, l’assuré était âgé de 51 ans, qu’outre ses limitations fonctionnelles, sa main gauche ne conservait qu’une fonction accessoire de stabilisation et, enfin, qu’il était détenteur d’un permis B.

Par jugement du 03.10.2017, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’incapacité de gain de 25% et à une IPAI d’un taux de 25% également.

 

TF

Troubles psychiques et causalité adéquate

L’examen du critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances de l’espèce. La survenance d’un accident de gravité moyenne présente toujours un certain caractère impressionnant pour la personne qui en est victime, ce qui ne suffit pas en soi à conduire à l’admission de ce critère (arrêts 8C_96/2017 du 24 janvier 2018 consid. 5.1; 8C_1007/2012 du 11 décembre 2013 consid. 5.4.1).

En l’occurrence, la position dans laquelle un assuré chute ou se reçoit au sol pourrait, selon les circonstances, entraîner l’admission du critère invoqué.

En l’espèce, le fait d’être tombé sur le côté (d’environ 4 mètres) ne saurait, objectivement, conférer à l’accident un caractère particulièrement impressionnant ou dramatique. Lorsqu’un assuré glisse et chute, comme c’est le cas en l’espèce, une réception latérale n’est pas forcément plus traumatisante qu’une chute verticale. Pour le surplus, l’assuré n’invoque pas d’autres circonstances qui permettraient de remplir le critère en cause et la solution des premiers juges n’apparaît pas critiquable eu égard à la casuistique développée par le Tribunal fédéral en cas de chute (cf. arrêt 8C_657/2013 du 3 juillet 2014 consid. 5.4 et les arrêts cités).

En ce qui concerne le traitement médical, l’assuré a été hospitalisé du 15.12.2011 au 05.01.2012, a subi trois interventions chirurgicales du coude gauche les 16.12.2011, 23.12.2011 et 31.12.2011, puis une ablation du fixateur externe le 07.02.2012. Le traitement s’est poursuivi principalement sous la forme de séances de physiothérapie et de médication antalgique. En raison d’une raideur post-traumatique et gêne sur matériel d’ostéosynthèse, l’assuré a subi une nouvelle intervention chirurgicale le 19.11.2013 (AMO et arthrolyse du coude), nécessitant une hospitalisation jusqu’au 19.12.2013 en raison d’un épanchement intra-articulaire du coude très important et d’un œdème. Enfin, il a été soumis à une opération de neurolyses des nerfs ulnaire et médian au coude et poignet gauches le 10.02.2015. Par ailleurs, l’assuré a séjourné à la Clinique romande de réadaptation du 22.07.2014 au 28.08.2014 pour une évaluation multidisciplinaire et professionnelle. Les médecins de la clinique ont retenu comme diagnostic principal des thérapies physiques et fonctionnelles pour douleurs et raideur du coude gauche et précisé, en particulier, que les plaintes et limitations fonctionnelles étaient objectivables. Dans ces circonstances, les critères afférents à la durée et l’intensité du traitement médical et aux douleurs physiques persistantes paraissent dès l’abord réalisés.

En revanche, le critère du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques n’est pas donné. En effet, ce critère ne se mesure pas uniquement au regard de la profession antérieurement exercée par l’assuré. Ainsi, il n’est pas rempli lorsque l’assuré est apte, même après un certain laps de temps, à exercer à plein temps une activité adaptée aux séquelles accidentelles qu’il présente (p. ex. arrêt 8C_208/2016 du 9 mars 2017 consid. 4.1.2).

En fin de compte, seuls deux critères (à savoir la durée anormalement longue du traitement médical et les douleurs physiques persistantes) entrent en considération. Cependant, aucun d’entre eux ne revêt une intensité particulière. Par conséquent, la condition du cumul de trois critères au moins – pour qu’un lien de causalité adéquate entre les troubles psychiques et un accident de gravité moyenne soit admis (arrêt 8C_96/2017 du 24 janvier 2018 consid. 4.3 in fine et les arrêts cités) – fait défaut.

 

Revenu d’invalide fixé selon l’ESS – Abattement

Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (cf. ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79 s.). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 126 V 75 précité consid. 5b/bb p. 80; arrêts 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 3.1; 8C_883/2015 du 21 octobre 2016 consid. 6.2.1).

L’étendue de l’abattement (justifié dans un cas concret) constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72 s. et l’arrêt cité), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (cf. ATF 135 III 179 consid. 2.1 p. 181; 130 III 176 consid. 1.2 p. 180).

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juge des assurances sociales ne peut, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 précité consid. 5.2 p. 73 et l’arrêt cité).

C’est en vain que l’assurance-accidents reproche à la cour cantonale de s’être écartée du taux reconnu par elle dans sa détermination en procédure cantonale. En effet, c’est sous l’angle de l’opportunité de la décision administrative que le juge des assurances sociales ne peut substituer sa propre appréciation à celle de l’administration sans motif pertinent. Or, l’assurance-accidents ne s’est pas prononcée sur l’étendue de l’abattement dans sa décision sur opposition dès lors qu’elle avait fixé le revenu d’invalide sur la base de descriptions de postes de travail (DPT). Pour le surplus, la CNA ne conteste pas l’appréciation des premiers juges, selon laquelle les DPT choisies n’étaient pas toutes compatibles avec les limitations fonctionnelles de l’assuré, et sur le principe en tout cas, le changement de méthode d’évaluation n’est pas critiquable (cf. arrêt 8C_199/2017 du 6 février 2018 consid. 5.2). En conclusion, l’étendue de l’abattement a été déterminée pour la première fois dans le jugement entrepris, de sorte que la cour cantonale pouvait s’écarter librement du taux admis par la CNA dans sa réponse au recours.

Bien que l’âge soit inclus dans le cercle des critères déductibles depuis la jurisprudence de l’ATF 126 V 75 – laquelle continue de s’appliquer (cf. arrêt 9C_470/2017 du 29 juin 2018 consid. 4.2) – il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Encore récemment, le Tribunal fédéral a rappelé que l’effet de l’âge combiné avec un handicap doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels tels que la formation et l’expérience professionnelle de l’assuré concerné (arrêt 8C_227/2017 précité consid. 5).

En l’espèce, la cour cantonale n’a pas examiné en quoi les perspectives salariales de l’assuré seraient concrètement réduites sur le marché du travail équilibré à raison de son âge, compte tenu des circonstances du cas particulier. Une telle façon de faire, en particulier lorsque l’âge en cause (51 ans) est relativement éloigné de celui de la retraite, n’est pas conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral. En outre, pour fixer le revenu d’invalide, la juridiction cantonale s’est fondée sur le revenu auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives dans le secteur privé pour un niveau de qualification 1 selon l’ESS 2014. Cette valeur statistique s’applique à tous les assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne activité parce qu’elle est physiquement trop astreignante pour leur état de santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans des travaux légers (voir parmi d’autres, arrêt 9C_633/2017 du 29 décembre 2017 consid. 4.3 et les arrêts cités). Pour ces assurés, ce salaire statistique est suffisamment représentatif de ce qu’ils seraient en mesure de réaliser en tant qu’invalides dès lors qu’il recouvre un large éventail d’activités variées et non qualifiées, ne requérant pas d’expérience professionnelle spécifique, ni de formation particulière, si ce n’est une phase initiale d’adaptation et d’apprentissage (p. ex. arrêt 8C_227/2018 du 14 juin 2018 consid. 4.2.3.3). Partant, il n’apparaît pas d’emblée que l’âge de l’assuré, son permis B ou encore son manque d’expérience dans une nouvelle profession, soient susceptibles, au regard de la nature des activités encore exigibles, de réduire ses perspectives salariales.

Enfin, contrairement à ce que soutient l’assuré, il n’est pas dans la situation d’un mono-manuel, dès lors que sa main gauche (non dominante) conserve une fonction de stabilisation et permet occasionnellement un port de charge de 1 kg maximum.

Compte tenu de ce qui précède, il convient de réduire l’abattement admis par la cour cantonale. En l’occurrence, une déduction globale de 15% tient suffisamment compte des circonstances pertinentes du cas d’espèce. Cela étant, en procédant à un abattement de 15% sur le revenu d’invalide constaté par les premiers juges (67’021 fr.), on obtient un revenu de 56’967 fr. 75. Comparé au revenu sans invalidité de 71’155 fr., le taux d’invalidité de l’assuré s’élève à 20% (19,93%). Même si ce taux est inférieur au degré d’invalidité de 22% reconnu par l’assurance-accidents, ce dernier doit être confirmé (art. 107 al. 1 LTF).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré, admet le recours de l’assurance-accidents et reconnaît le droit de l’assuré à une rente d’invalidité de 22%.

 

 

Arrêt 8C_766/2017+8C_773/2017 consultable ici

 

 

9C_232/2018 (f) du 08.06.2018 – Garanties de procédure judiciaire – Composition irrégulière du tribunal – 30 al. 1 Cst. / Composition du Tribunal arbitral – 89 LAMal – 42 LaLAMal/GE

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_232/2018 (f) du 08.06.2018

 

Consultable ici

 

Garanties de procédure judiciaire – Composition irrégulière du tribunal / 30 al. 1 Cst.

Composition du Tribunal arbitral / 89 LAMal – 42 LaLAMal/GE

 

Par arrêt du 12.12.2017 (9C_778/2016), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours en matière de droit public formé par A.__ contre le jugement du Tribunal arbitral des assurances de la République et canton de Genève (ci-après: le Tribunal arbitral) du 16.09.2016. Il a réformé le jugement en ce sens que A.__, en sa qualité de prestataire de soins, était condamnée à restituer, pour l’année 2013, la somme de 96’930 fr. à différentes caisses-maladie. Il a en outre renvoyé la cause à l’autorité précédente pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure antérieure.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/88/2018 – consultable ici)

Statuant le 06.02.2018, la Présidente suppléante du Tribunal arbitral a mis les frais du Tribunal et l’émolument à la charge, d’une part, de A.__ à hauteur de 5’736 fr. 80 et, d’autre part, à la charge des caisses-maladie, prises conjointement et solidairement, à hauteur de 12’210 fr. 45; elle a par ailleurs compensé les dépens.

 

TF

Selon l’art. 30 al. 1 Cst., toute personne dont la cause doit être jugée dans une procédure judiciaire a droit à ce qu’elle soit portée devant un tribunal établi par la loi, compétent, indépendant et impartial. Autrement dit, cette disposition confère au justiciable le droit de voir les litiges auxquels il est partie soumis à un tribunal régulièrement constitué d’après une organisation judiciaire et une procédure déterminées par un texte légal (ATF 131 I 31 consid. 2.1.2.1 p. 34; 129 V 335 consid. 1.3.1 p. 338 et les références).

Dans le domaine de l’assurance-maladie, l’art. 89 al. 1 et 4 première et deuxième phrases LAMal, prévoit que le Tribunal arbitral, compétent pour les litiges entre assureurs et fournisseurs de prestations et désigné par les cantons, se compose d’un président neutre et de représentants en nombre égal des assureurs d’une part, et des fournisseurs de prestations concernés, d’autre part. Selon la jurisprudence, la composition paritaire du Tribunal arbitral sous la présidence d’un membre neutre, prévue à l’art. 89 al. 4 LAMal, est une caractéristique essentielle de la procédure devant le Tribunal arbitral et doit être suivie par les cantons (art. 49 al. 1 Cst.). Le caractère paritaire doit être respecté par le tribunal arbitral pour toutes les décisions d’ordre matériel, y compris lorsqu’il examine l’entrée en matière sur une demande, statue sur celle-ci et la déclare irrecevable à défaut de compétence en raison de la matière; une décision rendue par un juge unique peut tout au plus être envisagée en cas de retrait de recours ou de transaction (arrêt [du Tribunal fédéral des assurances] K 139/04 du 29 mars 2006 consid. 3.3.1 non publié in ATF 132 V 303; arrêt 9C_149/2007 du 4 juin 2007 consid. 2.2.2).

L’art. 42 LaLAMal (loi [de la République et canton de Genève] du 29 mai 1997 d’application de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [LaLAMal; RSG J 3 05]) sur la composition du Tribunal arbitral, prévoit qu’il siège à trois juges, y compris le président; le droit cantonal ne prévoit aucune exception (cf. art. 39 à 46 LaLAMal).

La décision entreprise a été rendue par un juge unique. Comme l’admet du reste le Tribunal arbitral, elle a été prononcée dans une composition irrégulière. En effet, l’art. 42 LaLAMal prévoit que le Tribunal arbitral statue dans une composition à trois juges, ce qui est conforme au nombre minimum prévu par l’art. 89 al. 4 LAMal. Le droit cantonal ne prévoit par ailleurs aucune exception quant à une composition inférieure à trois juges. De plus, le jugement attaqué porte sur les frais et dépens et a été prononcé accessoirement à la décision sur le fond; il ne s’agit donc pas d’une décision purement formelle au sens de la jurisprudence rappelée ci-avant. Partant, le Tribunal arbitral aurait dû statuer dans une composition à trois juges. Le grief est dès lors bien fondé.

 

Compte tenu des circonstances, il n’est pas perçu de frais judiciaires (art. 66 al. 1 deuxième phrase LTF). Le canton de Genève versera à A.__ une indemnité de dépens (art. 66 al. 3 en relation avec l’art. 68 al. 4 LTF). Les intimées, qui s’en sont remis à justice dans une brève écriture, n’ont pas droit à des dépens.

 

Le TF admet le recours de A.__, annule le jugement du Tribunal arbitral des assurances de la République et canton de Genève et renvoie la cause à cette autorité pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_232/2018 consultable ici

 

 

6B_390/2018 (f) du 25.07.2018 – Lésions corporelles graves par négligence – 125 al. 1 CP / Lésion de la verge de type amputation du gland survenue au cours d’une circoncision – Imprévoyance coupable niée – 12 al. 3 CP / Lien de causalité naturelle et adéquat entre les actes post amputation et les lésions

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_390/2018 (f) du 25.07.2018

 

Consultable ici

 

Lésions corporelles graves par négligence / 125 al. 1 CP

Lésion de la verge de type amputation du gland survenue au cours d’une circoncision – Imprévoyance coupable niée / 12 al. 3 CP

Lien de causalité naturelle et adéquat entre les actes post amputation et les lésions

 

Faits

Le 24.02.2014, X.___ et son fils C.___ ont rencontré A.___, spécialiste FMH en urologie exerçant en qualité de médecin indépendant à la Permanence D.___ (ci-après: la Permanence), lors d’un rendez-vous d’information au sujet d’une circoncision rituelle.

Le 31.07.2014, vers 20h00, A.___ et une infirmière au sein de la Permanence ont reçu X.___ et son fils en vue de procéder à l’opération de circoncision prévue sur ce dernier, alors âgé de quatre ans. Ils leur ont rappelé les étapes de l’opération et le fait qu’il était préférable que X.___ maintienne son garçon des deux mains, reste assis près de lui pour le rassurer et s’abstienne de prendre des photos lors de l’incision, l’enfant n’étant que localement anesthésié. Ce nonobstant, X.___ a pris de nombreux selfies avec son fils et immortalisé la plupart des étapes de la circoncision, sur lesquels l’enfant apparaît toujours calme et immobile. Au moment précis où, tenant le bistouri de la main droite, A.___ a initié le geste chirurgical, qui n’a duré qu’une ou deux secondes, l’enfant a bougé son bassin, de sorte que le gland a échappé à la prise gauche du médecin, qui l’a lâché, le coupant complètement de la main droite. Le gland et le prépuce sectionnés sont restés attachés à la pince Kocher utilisée par le médecin pour tenir le prépuce.

L’urologue a immédiatement entrepris une chirurgie reconstructive. Il a effectué une anastomose circonférentielle de l’urètre aux quatre points cardinaux, avant de procéder à la suture du gland lui-même. Ne disposant pas de sonde urinaire Foley de taille adaptée, la Permanence étant en rupture de stock, A.___ l’a remplacée par un fin tuyau Butterfly, qu’il a temporairement inséré dans l’extrémité du pénis pour servir de tuteur lors de la reconstruction. Après avoir suturé, il a expliqué au père qu’une complication était survenue et qu’il fallait transporter l’enfant à l’Hôpital, afin de poser la sonde servant à drainer l’urine, ce que X.___ n’a pas voulu, préférant attendre l’arrivée de son épouse. Dans l’intervalle, l’urologue a pratiqué une autre circoncision pendant 30 minutes dans la salle attenante. La mère de l’enfant n’arrivant pas, l’urologue s’est rendu aux urgences pédiatriques de l’Hôpital afin d’obtenir la sonde adéquate, en vain, la recommandation lui ayant été faite de venir avec l’enfant. Ce matériel n’étant pas disponible à la pharmacie, l’urologue est retourné à la Permanence vers 22h00 et a finalement convaincu X.___ de se rendre à l’Hôpital, où l’enfant a été hospitalisé le 01.08.2014 peu après minuit.

L’enfant est resté hospitalisé du 01.08.2014 au 27.08.2014. Selon l’avis et la lettre de sortie de l’Hôpital, des points de suture séparés sur tout le périmètre de ce qui semblait être la base du gland étaient observés au status d’entrée. Le diagnostic principal était une lésion de la verge de type amputation du gland avec suture directe survenue au cours d’une circoncision. Le patient avait présenté des complications, soit une fistule urétrale au niveau du sillon balanopréputial, face ventrale de la verge, ligne médiane, ainsi qu’une suspicion de sténose du méat avec jet urinaire bifide, voire trifide. C.___ avait subi quatre interventions. Au status de sortie, les médecins notaient une verge avec une impression de saut de calibre au niveau de l’ancien sillon balanopréputial, avec un gland réépithélialisé, rosé, comportant quelques traces de fibrine. La plaie circonférentielle des sutures ne suintait pas. Le méat à l’apex était difficilement visualisable, compte tenu de la présence de deux orifices millimétriques donnant l’impression d’une sténose secondaire du méat. La fistule n’était pas visible en dehors des mictions.

S’agissant du suivi postopératoire, les médecins ont confirmé, à l’automne 2014, que l’évolution de la cicatrisation était satisfaisante. A l’examen clinique, le gland était parfaitement coloré, mais il existait une fistule punctiforme. Par ailleurs, l’enfant présentait un rythme mictionnel de type pollakiurie (une quinzaine de mictions par jour) et avait du mal à uriner debout.

Environ 16 mois après l’amputation, l’évolution était stable. La vascularisation du gland était satisfaisante. Le déficit volumique du membre sur le côté latéral droit n’évoluerait certainement plus. La fistule située au niveau du sillon balanopréputial persistait. L’enfant avait pris des habitudes mictionnelles favorables.

L’enfant a été hospitalisé du 28.10.2016 au 03.11.2016 à la suite d’une intervention chirurgicale visant à fermer la fistule urétro-cutanée post amputation du gland. D’un point de vue urologique, l’évolution était favorable, dès lorsqu’il n’y avait plus de fistule et que l’enfant avait un bon jet urinaire, ce qui signifiait qu’il n’y avait pas de sténose. Il n’était pas encore possible de quantifier précisément une éventuelle perte de sensibilité du gland. S’agissant de la forme générale de son pénis, il y avait une petite perte de substance latérale du gland qui donnait une forme un peu « carré-bossue » à celui-ci, mais l’aspect était globalement satisfaisant et le problème était relativement discret. Quant à l’évolution future des lésions physiologiques, la réapparition de fistules était possible, le risque de récidive étant usuellement de 5 à 10%, voire moins. Le problème de sténose devrait être suivi tout au long de la croissance et de la puberté car, le tissu cicatriciel n’étant pas de même nature, il y avait un risque de resserrement.

Par ailleurs, l’enfant a fait l’objet d’un suivi psychologique. L’évolution psychologique de l’enfant était positive, dans la mesure où la thérapeute avait pu distinguer une diminution de la symptomatologie, soit des troubles du sommeil et du comportement, ainsi que de l’anxiété. La poursuite du suivi était nécessaire car la santé psychologique de C.___ restait fragile et la symptomatologie réapparaissait ponctuellement.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 13.04.2017 (JTDP/401/2017), le Tribunal de police du canton de Genève a acquitté l’urologue du chef de lésions corporelles graves par négligence et a débouté X.___ de ses conclusions civiles.

Par arrêt du 26.02.2018 (AARP/58/2018), la Chambre pénale d’appel et de révision a rejeté l’appel de X.___ contre ce jugement.

 

TF

Lien de causalité naturelle et adéquat entre les actes post amputation et les lésions

L’infraction de lésions corporelles par négligence, sanctionnée par l’art. 125 CP, suppose la réalisation de trois conditions: une négligence, une atteinte à l’intégrité physique et un lien de causalité naturelle et adéquate entre ces deux éléments. Les interventions médicales réalisent les éléments constitutifs objectifs d’une lésion corporelle en tout cas si elles touchent à une partie du corps (par exemple lors d’une amputation) ou si elles lèsent ou diminuent, de manière non négligeable et au moins temporairement, les aptitudes ou le bien-être physiques du patient. Cela vaut même si ces interventions étaient médicalement indiquées et ont été pratiquées dans les règles de l’art (ATF 124 IV 258 consid. 2 p. 260 s.).

Toute atteinte à l’intégrité corporelle, même causée par une intervention chirurgicale, est ainsi illicite à moins qu’il n’existe un fait justificatif. Dans le domaine médical, la justification de l’atteinte ne peut en principe venir que du consentement du patient, exprès ou que l’on peut présumer (ATF 124 IV 258 consid. 2 p. 260). L’exigence de ce consentement découle ainsi du droit à la liberté personnelle et à l’intégrité corporelle. Il suppose, d’une part, que le patient ait reçu du médecin, en termes clairs, intelligibles et aussi complets que possible, une information sur le diagnostic, la thérapie, le pronostic, les alternatives au traitement proposé, les risques de l’opération, les chances de guérison, éventuellement sur l’évolution spontanée de la maladie et les questions financières, notamment relatives à l’assurance (ATF 133 III 121 consid. 4.1.2 p. 129). Il faut, d’autre part, que la capacité de discernement du patient lui permette de se déterminer sur la base des informations reçues (ATF 134 II 235 consid. 4.1 p. 237).

En procédure pénale, il incombe à l’accusation de prouver une violation du devoir d’information du médecin. Le fardeau de la preuve du consentement éclairé du patient, en tant qu’il constitue un fait objectif justificatif, incombe au prévenu, qui y satisfait déjà en rendant vraisemblables ses allégations (arrêt 6B_910/2013 du 20 janvier 2014 consid. 3.3 et les arrêts cités).

La cour cantonale a distingué la circoncision du prépuce de la prise en charge subséquente. Elle a retenu que les atteintes subies par C.___ (amputation du gland, fistule, risque de sténose, hospitalisation et soins nécessités pour la santé physique et psychique de l’enfant) ne résultaient pas des actes du médecin pratiqués post amputation, mais de la circoncision qui ne s’était pas déroulée comme prévu. Dans la mesure où le lien de causalité naturelle et adéquat entre les actes du médecin pratiqués post amputation et les atteintes à la santé du patient faisait défaut, la question de savoir si le recourant avait donné son accord à l’anastomose, ou, en l’absence d’un tel consentement, s’il aurait accepté l’opération en ayant été dûment informé, pouvait souffrir de rester indécise. Il n’était pas davantage nécessaire de déterminer si ces divers actes étaient constitutifs d’imprévoyances coupables.

C’est en se fondant sur une appréciation des moyens de preuve dénuée d’arbitraire que la cour cantonale a conclu à l’absence de lien de causalité naturelle entre les lésions de l’enfant et les actes du médecin pratiqués post amputation. Etant établi que seule la circoncision est en lien de causalité avec les atteintes subies, c’est à raison que la cour cantonale a considéré que la question de savoir s’il existait un fait justificatif n’était pertinente qu’en ce qui concernait cette seule intervention. A cet égard, l’intervention de circoncision a fait l’objet d’un consentement éclairé. Il s’ensuit, d’une part, que l’acte qui a atteint l’intégrité physique et psychique de C.___ repose bien sur un fait justificatif ; d’autre part, qu’il est sans objet de savoir si X.___ a consenti à l’anastomose pratiquée par A.___ sur son fils, ou encore de déterminer si les gestes post ablation relèvent d’une imprévoyance coupable, puisqu’ils n’ont pas causé l’atteinte à l’intégrité corporelle.

 

 

Imprévoyance coupable lors de la circoncision

Selon l’art. 12 al. 3 CP, agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L’imprévoyance est coupable quand l’auteur n’a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle. Un comportement viole le devoir de prudence lorsque l’auteur, au moment des faits, aurait pu et dû, au vu des circonstances, de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte qu’il mettait en danger des biens juridiquement protégés de la victime et qu’il excédait les limites du risque admissible (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 p. 140; 135 IV 56 consid. 2.1 p. 64 et les références citées).

La cour cantonale a constaté que X.___ avait pris beaucoup de photographies et qu’il semblait que ce soit le geste de son bras, à l’évidence pour prendre un cliché, qui avait causé le mouvement de bassin de son fils. Cela étant, A.___ avait d’emblée déclaré que s’il permettait aux parents de photographier l’avant et l’après d’une circoncision rituelle, il leur interdisait expressément de le faire durant la phase délicate de l’incision, ce qu’il avait clairement expliqué au père, qui l’avait bien compris. Dans la mesure où l’attention du père avait été spécifiquement attirée sur la nécessaire immobilité du patient durant l’excision, à réitérées reprises par l’urologue et son assistante, l’anesthésie n’étant que locale, il n’apparaissait pas que le médecin avait violé les règles de la prudence en décidant de pratiquer son acte nonobstant l’excitation du père, étant rappelé qu’il s’agissait d’un acte hautement symbolique aux yeux de ce dernier. Aussi, le bon sens pouvait raisonnablement suffire à donner au médecin l’assurance que l’intéressé allait se plier à ses instructions, dans l’intérêt de son fils, et cesser, ne fût-ce que l’espace d’une seconde, de prendre des clichés. La cour cantonale d’en conclure que l’amputation du gland était le résultat fortuit – bien qu’hautement regrettable – d’une conjonction de facteurs, qui ne pouvait être mise en relation avec aucune violation des règles de l’art ou d’un devoir de prudence du médecin.

Le père fait valoir que le médecin aurait dû stopper l’intervention dès lors qu’il voyait qu’il continuait de prendre des photos et que la sécurité de l’opération était dès lors compromise. Il ne conteste cependant pas que l’urologue et son assistante lui avaient demandé à plusieurs reprises de ne pas prendre de photos lors de l’incision, et qu’il avait bien compris ces consignes. Dans ces circonstances, la cour cantonale pouvait retenir que le risque que l’enfant bouge au moment de l’incision était imprévisible pour l’urologue, qui ne pouvait pas s’attendre à ce que le père prenne une photo au moment même de l’incision. La cour cantonale n’a dès lors pas violé le droit fédéral en excluant une imprévoyance coupable.

Dans la mesure où les griefs soulevés à l’encontre de l’acquittement de l’intimé sont rejetés, les prétentions civiles du recourant doivent également être écartées. Le recourant ne saurait en particulier y voir un déni de justice de la cour cantonale.

 

Le TF rejette les griefs soulevés par X.___ à l’encontre de l’acquittement de l’urologue et écarte les prétentions civiles de X.___.

 

 

Arrêt 6B_390/2018 consultable ici

 

 

8C_219/2018 (f) du 05.07.2018 – Taux d’IPAI pour coxarthrose / 24 LAA – 36 OLAA / Prévisibilité de l’évolution future – Pose d’une prothèse totale de hanche (PTH) probable mais à une échéance inconnue (court/moyen/long terme)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_219/2018 (f) du 05.07.2018

 

Consultable ici

 

Taux d’IPAI pour coxarthrose / 24 LAA – 36 OLAA

Prévisibilité de l’évolution future – Pose d’une prothèse totale de hanche (PTH) probable mais à une échéance inconnue (court/moyen/long terme)

 

Assuré, maçon, a été victime d’un accident professionnel le 28.06.2013. Les médecins ont diagnostiqué une fracture du mur postérieur du cotyle gauche totalement incapacitante. La situation ayant dans un premier temps évolué favorablement, l’assuré a essayé de reprendre son travail à mi-temps. Toutefois, cette tentative s’est soldée par un échec en raison de la réapparition des douleurs en lien désormais avec le développement d’une coxarthrose post-traumatique d’après différents médecins traitants. L’exercice d’une activité adaptée étant encore exigible, l’assuré a tenté à nouveau de reprendre son emploi dans un cadre thérapeutique, mais en vain. Des mesures de réadaptation entreprises par l’office AI n’ont pas obtenu plus de succès. A défaut d’un traitement spécifique administré par ses médecins, l’assuré a été soumis à un examen médical. Le médecin d’arrondissement a considéré que la coxarthrose débutante justifiait l’octroi d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité d’un taux de 10% et autorisait la reprise d’un travail adapté à plein temps.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a reconnu le droit de l’intéressé à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’incapacité de gain de 23% à compter du 01.10.2015 et à une indemnité correspondant à une diminution de l’intégrité de 10%.

 

Procédure cantonale

Les juges cantonaux ont constaté qu’en retenant le taux inférieur (10%) prévu pour les cas d’arthrose moyenne par la « Table 5: Taux d’atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses » publiée par les médecins de la CNA, le médecin d’arrondissement avait pris en considération la péjoration prévisible de la coxarthrose qui était qualifiée de débutante. Ils se posaient cependant la question de savoir si l’implantation d’une prothèse totale de hanche pouvait être prise en compte au même titre. Le tribunal cantonal a déduit des divers éléments que l’évolution de la coxarthrose allait aboutir à la pose d’une prothèse totale de hanche et que la prévisibilité de cette intervention chirurgicale était acquise de sorte qu’il fallait en tenir compte dans la détermination du taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

Par jugement du 06.02.2018, admission partielle du recours par le tribunal cantonal. Il a annulé la décision sur opposition, uniquement en tant qu’elle portait sur le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, et a renvoyé la cause à l’assureur-accidents pour qu’il en complète l’instruction et rende une nouvelle décision qui tienne compte de l’évolution future de la coxarthrose. Il a confirmé la décision pour le surplus.

 

TF

Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite de l’accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA (RS 832.802), une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave.

D’après l’art. 25 al. 1 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital; elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 al. 2 LAA, le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité. Il a fait usage de cette délégation de compétence à l’art. 36 OLAA. Selon l’al. 2 de cette disposition réglementaire, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA. Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (cf. ATF 124 V 29 consid. 1b p. 32, 209 consid. 4a/bb p. 210; 113 V 218 consid. 2a p. 219) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. L’indemnité allouée pour les atteintes à l’intégrité désignées à l’annexe 3 de l’OLAA s’élève, en règle générale, au pourcentage indiqué du montant maximum du gain assuré (ch. 1 al. 1). Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2). La Division médicale de la CNA a établi des tables d’indemnisation en vue d’une évaluation plus affinée de certaines atteintes (Indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA). Ces tables n’ont pas valeur de règles de droit et ne sauraient lier le juge. Toutefois, dans la mesure où il s’agit de valeurs indicatives, destinées à assurer autant que faire se peut l’égalité de traitement entre les assurés, elles sont compatibles avec l’annexe 3 de l’OLAA (cf. ATF 124 V 209 consid. 4a/cc p. 211; 116 V 156 consid. 3a p. 157; arrêt U 245/96 du 30 décembre 1997 consid. 2a in RAMA 1998 n o U 296 p. 235).

Aux termes de l’art. 36 al. 4 OLAA, il est équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité; une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible. S’il y a lieu de tenir équitablement compte d’une aggravation prévisible de l’atteinte lors de la fixation du taux de l’indemnité, cette règle ne vise toutefois que les aggravations dont la survenance est vraisemblable et l’importance quantifiable (arrêt 8C_494/2014 du 11 décembre 2014 consid. 6.2 et la référence in SVR 2015 UV n° 3 p. 8).

 

Selon le Tribunal fédéral, le jugement cantonal n’est pas critiquable.

Compte tenu des documents médicaux disponibles, il est établi et admis de tous que la coxarthrose diagnostiquée, certes débutante, évolue et continuera d’évoluer négativement, raison pour laquelle une indemnité pour atteinte à l’intégrité d’un taux de 10% avait été octroyée à l’issue de la procédure administrative. Cependant, l’évolution continue de la pathologie peut déboucher à moyen ou long terme sur l’implantation d’une prothèse de hanche. Si cette éventualité n’est pas exclue par le médecin d’arrondissement, elle est pratiquement certaine pour les autres médecins consultés : le médecin adjoint de la clinique de chirurgie orthopédique de l’hôpital X.__ proposait l’opération de la hanche à titre de mesure thérapeutique alternative à un traitement conservateur ; le spécialiste en médecine interne générale affirmait la nécessité d’une telle opération mais la jugeait seulement prématurée ; le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur partageait cette dernière opinion.

Or, dans un cas similaire (cf. arrêt 8C_459/2008 du 4 février 2009 consid. 2 in SVR 2009 UV n° 27 p. 97), le Tribunal fédéral avait admis la prévisibilité d’une aggravation de l’atteinte à l’intégrité dans la mesure où l’expert mandaté avait jugé « possible d’envisager la mise en place d’une prothèse du genou » compte tenu de « l’évolution toujours défavorable de l’arthrose » (cf. consid. 2.2). La juridiction cantonale pouvait dès lors légitimement annuler la décision sur opposition, en tant qu’elle portait sur le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité, et inviter l’assureur-accidents à tenir compte d’une aggravation prévisible de la situation plus importante que celle retenue.

On ajoutera que les rapports médicaux disponibles ne permettent pas de déterminer l’importance de l’aggravation. Or, selon la jurisprudence, le taux d’une atteinte à l’intégrité dont l’aggravation est prévisible au sens de l’art. 36 al. 4 OLAA doit être fixé sur la base de constatations médicales (cf. arrêt 8C_459/2008 du 4 février 2009 consid. 2.3 in SVR 2009 UV n° 27 p. 97). En l’absence de telles constatations, les premiers juges ont donc eu raison de ne pas fixer eux-mêmes le taux de l’indemnité et ont à juste titre renvoyé la cause à l’assureur-accidents pour qu’il complète l’instruction sur ce point et rende une nouvelle décision.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_219/2018 consultable ici

 

 

 

Commentaire :

Nous nous permettons de sortir de notre réserve habituelle. Nous peinons à comprendre et, surtout, à être convaincu par le raisonnement du Tribunal fédéral.

A la lecture du considérant 5.2, il apparaît que l’assureur-accidents a soulevé le fait que le médecin-conseil a intégré à son raisonnement l’évolution de la maladie dont souffre l’assuré puisque ce médecin a évalué à 10% la diminution de l’intégrité – valeur équivalant au taux minimum prévu par la table d’indemnisation pour les arthroses moyennes – alors que la coxarthrose reconnue de tous n’était qualifiée que de débutante. Par ailleurs, l’assurance-accidents a précisé que tous les médecins interrogés en l’occurrence ont mentionné le caractère débutant et évolutif de la pathologie, sans pour autant retenir des signes justifiant une intervention chirurgicale et que dans l’hypothèse d’une endoprothèse secondaire (implantée en raison d’une situation évolutive et pas directement après l’accident), le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité dépendrait selon la jurisprudence constante de la gravité de l’arthrose avant l’implant.

Comme l’a fait valoir l’assureur-accidents, la gravité de l’arthrose avant l’implant ne saurait être quantifiée actuellement. En outre, la pose d’une prothèse de la hanche en raison d’une aggravation significative de la situation pourrait justifier le cas échéant une demande de révision.

Le Tribunal fédéral a renvoyé la cause à l’assureur-accidents pour déterminer derechef le taux de l’IPAI. La question qui demeure est de savoir comment déterminer actuellement la gravité de l’arthrose au moment où l’éventuelle PTH sera posée. Sans être médecin ni devin, nous ne voyons pas comment le taux d’IPAI peut être évalué, au degré de la vraisemblance prépondérante. Il est également fort à parier que si le taux retenu n’est pas le maximum selon la table IPAI n°5, le cas finira à nouveau devant les juges.

Se pose aussi la question des cas de fractures articulaires (en particulier au niveau du genou et de la hanche) avec un début d’arthrose ou d’état après rupture ligamentaire (au niveau du genou) engendrant une arthrose. L’arthrose ne pouvant être tout au plus ralentie par le traitement conservateur – sauf erreur de notre part –, comment les assureurs-accidents devront-ils procéder ? Et comment devront être sollicités, par les assurés ou leur défenseur, les médecins traitant par des questions très précises ?

Il serait intéressant de voir si, ultérieurement, notre Haute Cour confirmera ou pas cet arrêt.