8C_595/2018 (f) du 29.11.2018 – Indemnité de chômage – Début de la période d’indemnisation / Perte de travail à prendre en considération – 8 al. 1 LACI / Résiliation anticipée des rapports de travail – 11 al. 3 LACI – 10h OACI / Prestations volontaires versées par l’employeur – 11a LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_595/2018 (f) du 29.11.2018

 

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Indemnité de chômage – Début de la période d’indemnisation

Perte de travail à prendre en considération / 8 al. 1 LACI

Résiliation anticipée des rapports de travail par l’employeur / 11 al. 3 LACI – 10h OACI

Prestations volontaires versées par l’employeur / 11a LACI

 

Assurée, en qualité de responsable « finances et administration » à partir du 01.09.2015, percevait un salaire annuel fixe de 135’000 fr., alloué en treize mensualités, ainsi qu’un salaire annuel variable de 15’000 fr. calculé en fonction de la réalisation des objectifs.

Par lettre du 29 février 2016, résiliation par l’employeur des rapports de travail avec effet immédiat au motif que l’intéressée avait gravement manqué à ses obligations. L’employeur lui a en outre indiqué allouer, à bien plaire, un montant de 30’000 fr. non remboursable, au titre de soutien à sa famille et afin qu’elle puisse assumer ses obligations dans l’attente de retrouver une nouvelle activité auprès d’un autre employeur.

L’assurée a requis des prestations de l’assurance-chômage à partir du 01.03.2016 en indiquant rechercher une activité à plein temps et en exposant avoir reçu de l’employeur une somme de 30’000 fr. lors de la résiliation des rapports de travail, au titre de prestation financière supplémentaire au salaire. Selon l’attestation de l’employeur, la durée du délai de congé était de six mois et le dernier salaire mensuel perçu de 11’000 fr. Sur demande de la caisse de chômage, l’assurée a notamment indiqué qu’elle avait finalement renoncé à ouvrir une action en dommages-intérêts pour non-respect du délai de congé et que le montant de 30’000 fr. versé par l’employeur consistait en une indemnité de départ.

Par décision, confirmée sur opposition, la caisse de chômage a reporté le début du droit à l’indemnité de chômage du 01.03.2016 au 01.06.2016, motif pris que l’indemnité de 30’000 fr., qui correspondait à trois mois de salaire, avait pour effet de différer d’autant le début du droit dans la mesure où le délai de congé de six mois n’avait pas été respecté.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 220/16 – 149/2018 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que le paiement par l’employeur de la somme de 30’000 fr. était indépendant de toute procédure judiciaire et consistait en une indemnité exceptionnelle, allouée à bien plaire afin de soutenir la famille de l’assurée. Ainsi la nature du licenciement avec effet immédiat n’a pas été modifiée par cette allocation et l’employeur n’a reconnu aucune responsabilité en relation avec la résiliation des rapports de travail. En outre la lettre de résiliation indique que les droits des parties sont réservés, ce qui permet d’admettre que les parties ne se sont pas engagées à renoncer à agir en justice. Etant donné la formulation de l’engagement contenu dans la lettre, il n’est pas établi que l’employeur aurait refusé de payer l’indemnité promise si l’assurée avait contesté son licenciement.

Par jugement du 21.08.2018, admission du recours par le tribunal cantonal. La cour cantonale a retenu que le délai-cadre relatif à la période d’indemnisation avait commencé à courir le 01.03.2016.

 

TF

L’assuré a droit à l’indemnité de chômage si, entre autres conditions, il subit une perte de travail à prendre en considération (art. 8 al. 1 let. b LACI). Il y a lieu de prendre en considération la perte de travail lorsqu’elle se traduit par un manque à gagner et dure au moins deux journées de travail consécutives (art. 11 al. 1 LACI). Il existe un certain nombre de dispositions qui visent à coordonner les règles du droit du travail avec l’ouverture du droit à l’indemnité de chômage (sur ces questions cf. ATF 143 V 161 consid. 3).

En premier lieu, la perte de travail pour laquelle le chômeur a droit au salaire ou à une indemnité pour cause de résiliation anticipée des rapports de travail n’est pas prise en considération (art. 11 al. 3 LACI). En conséquence, l’assurance ne verse en principe pas d’indemnités si le chômeur peut faire valoir des droits à l’encontre de son employeur pour la période correspondant à la perte de travail invoquée. On entend par « droit au salaire » au sens de cette disposition, le salaire dû pour la période postérieure à la résiliation des rapports de travail, soit le salaire dû en cas de non-respect du délai de congé (art. 335c CO) ou en cas de résiliation en temps inopportun (art. 366c CO). Quant à la notion de « résiliation anticipée des rapports de travail », elle vise principalement des prétentions fondées sur les art. 337bet 337c al. 1 CO (voir BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n. 28 et 34 ad art. 11 LACI). Il peut aussi s’agir d’une prestation en espèces versée par l’employeur et destinée à compenser, pour les employés qui quittent leur fonction avant l’âge légal, la perte des avantages économiques découlant de la préretraite (voir ATF 139 V 384).

Ensuite, dans le prolongement de l’art. 11 al. 3 LACI, l’art. 10h OACI contient une réglementation spécifique pour la perte de travail à prendre en considération en cas de résiliation anticipée des rapports de travail d’un commun accord. Dans ce cas, la perte de travail, pendant la période correspondant au délai de congé ou jusqu’au terme prévu par le contrat dans l’hypothèse d’un contrat à durée déterminée, n’est pas prise en considération tant que les prestations de l’employeur couvrent la perte de revenu afférant à cette période (al. 1). Lorsque les prestations de l’employeur dépassent le montant des salaires dus à l’assuré jusqu’au terme ordinaire des rapports de travail, les dispositions concernant les prestations volontaires de l’employeur selon l’art. 11a LACI sont applicables (al. 2).

Enfin, selon l’art. 11a LACI, la perte de travail n’est pas prise en considération tant que des prestations volontaires versées par l’employeur couvrent la perte de revenu résultant de la résiliation des rapports de travail (al. 1). Ces prestations volontaires de l’employeur sont toutefois prises en compte pour la part qui dépasse le montant maximum visé à l’art. 3 al. 2 LACI (al. 2). Ce montant maximum est actuellement de 148’200 fr. (art. 3 al. 2 LACI en corrélation avec l’art. 22 al. 1 OLAA). Lorsqu’elles dépassent ce montant, les prestations volontaires repoussent donc dans le temps le délai cadre-d’indemnisation, ouvrant ainsi une période de carence. La notion de « prestations volontaires » de l’employeur au sens de l’art. 11a LACI est définie négativement : il faut entendre les prestations allouées en cas de résiliation des rapports de travail régis par le droit privé ou par le droit public qui ne constituent pas des prétentions de salaire ou d’indemnités selon l’art. 11 al. 3 LACI (art. 10a OACI). Il s’agit, dans un sens large, des indemnités qui excèdent ce à quoi la loi donne droit à la fin du contrat de travail, en particulier des indemnités de départ destinées à compenser les conséquences de la perte de l’emploi (sur ces divers points, voir RUBIN, op. cit., n. 5 ad art. 11a LACI; ALFRED BLESI, Abgangsentschädigungen des Arbeitgebers: Ungereimtheiten im Arbeitslosenversicherungsrecht, in: DTA 2006 p. 93).

Il résulte en résumé de ce qui précède que certaines pertes de gain qui surviennent à la fin des rapports de travail n’en sont pas réellement si l’assuré peut récupérer les sommes perdues auprès de l’employeur (art. 11 al. 3 LACI et art. 10h OACI). Il s’agit d’inciter le salarié à faire valoir ses prétentions auprès de l’employeur et à empêcher ainsi que celui-ci ne fasse supporter à l’assurance-chômage les salaires ou indemnités qu’il est tenu de payer (RUBIN, op. cit., n. 2 ad art. 11 LACI). La perte de travail n’est pas non plus prise en considération si des prestations volontaires couvrent une perte de revenu découlant de la résiliation des rapports de travail. Il s’agit, en particulier, d’éviter une indemnisation à double. Les prestations ne sont cependant prises en compte qu’à partir d’un certain seuil, afin de ne pas dissuader les employeurs de proposer des plans sociaux (RUBIN, op. cit., n. 2 ad art. 11a LACI; VINCENT CARRON, Fin des rapports de travail et droit aux indemnité de chômage; retraite anticipée et prestations volontaires de l’employeur, in: Panorama en droit du travail, Rémy Wyler [éd.], 2009, p. 679).

Selon le TF, le montant litigieux versé par l’employeur ne peut être qualifié d’indemnité à laquelle a droit un travailleur licencié de façon immédiate et en l’absence de justes motifs au sens de l’art. 337c al. 1 CO. En particulier, la décision de l’employeur de verser l’indemnité de 30’000 fr., non remboursable, au titre de soutien à la famille de l’assurée, dans l’attente d’une nouvelle activité, ne permet pas d’inférer que le congé avec effet immédiat n’était pas justifié. Cela étant, le versement litigieux ne peut être assimilé à une indemnité pour cause de résiliation anticipée des rapports de travail ayant pour effet de compenser en partie le salaire que l’intimée aurait perçu si les rapports de travail avaient pris fin à l’échéance du délai de congé de six mois (cf. art. 337c al. 1 CO).

L’indemnité litigieuse n’entre ainsi pas dans le champ d’application de l’art. 11 al. 3 LACI ni dans celui de l’art. 10h OACI et doit être qualifiée de prestation volontaire de l’employeur au sens de l’art. 11a LACI. Comme elle n’atteint de loin pas le seuil requis de 148’200 fr. pour ouvrir un délai de carence avant le paiement de l’indemnité de chômage, son versement ne reporte pas la naissance du droit aux prestations de l’assurance-chômage.

 

Le TF rejette le recours de la Caisse cantonale de chômage.

 

 

Arrêt 8C_595/2018 consultable ici

 

 

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