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4A_123/2020 (f) du 30.07.2020 – Diffusion d’un communiqué à des partenaires et fournisseurs de l’employeur sur le licenciement de l’employé (directeur général adjoint) – Atteinte à la personnalité et atteinte à la réputation professionnelle de l’employé – 328 CO – 28 ss CC / Indemnité pour tort moral – 49 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_123/2020 (f) du 30.07.2020

 

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Diffusion d’un communiqué à des partenaires et fournisseurs de l’employeur sur le licenciement de l’employé (directeur général adjoint) – Atteinte à la personnalité et atteinte à la réputation professionnelle de l’employé / 328 CO – 28 ss CC

Indemnité pour tort moral / 49 CO

Publication d’un rectificatif / 28a al. 2 CC

 

La société B.__ SA fabrique des pièces destinées à l’horlogerie et à d’autres produits de luxe. Par contrat de travail du 30.06.2014, elle a engagé A.__ en qualité de directeur général adjoint pour une durée indéterminée. Celui-ci était doté d’une longue expérience professionnelle dans le domaine des produits de luxe, mais n’avait qu’une expérience minime en matière d’horlogerie ; l’administratrice de la société l’a engagé pour ses qualités de gestionnaire.

Par courrier du 26.08.2015, l’employeuse a licencié le prénommé pour le 31.10.2015, en le libérant de l’obligation de travailler dès le 31.08.2015.

Dans la foulée, l’employeuse a adressé le communiqué suivant à ses partenaires et fournisseurs [soulignements à l’instar du texte original, réd.] : « Concerne : Communication adressée à nos partenaires et fournisseurs concernant la résiliation du contrat de travail de Monsieur A.__ / (…) nous vous communiquons la résiliation du contrat de travail de Monsieur A.__ pour le 31 octobre 2015. Nous vous informons également du fait que Monsieur A.__ a été libéré de l’obligation de travailler durant le délai de congé et qu’il ne fait dès lors plus partie du personnel de notre société dès et y compris le 31 août 2015. Nous nous en remettons au professionnalisme de chacun et nous ne doutons pas que vous tiendrez compte de cette information de manière rigoureuse dans le cadre de vos relations avec notre société. Nous attirons votre attention sur le fait qu’étant donné la fin des rapports contractuels de cet employé, votre devoir de confidentialité vaut désormais également à l’égard de A.__. La direction de la société se tient bien entendu à votre disposition pour répondre à toute question relative à la présente communication. (…) »

L’employé licencié a à son tour adressé le message électronique suivant aux fournisseurs de l’employeuse : « (…) Le Roi est mort… Longue vie à la Reine! / Chers partenaires et pour certains amis, Il me plaît à penser que vous avez été surpris de recevoir il y a quelques jours un communiqué annonçant la radiation de mon contrat. Et bien vous allez rire… étant en arrêt maladie durant cette semaine précisément suite à une intervention chirurgicale, j’ai été informé de cette gentille missive ‘en live’ par vous-mêmes! (…) Beaumarchais avait donc raison… ‘Empressons-nous de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer’! Après deux années, Madame C.__ [administratrice de la société, réd.] a donc décidé de reprendre la barre de son bateau ce qui est finalement dans la normale des choses, seule la méthode est discutable! (…) »

En octobre 2015, une société spécialisée dans le recrutement des cadres a annoncé à l’employé que sa cliente avait souhaité interrompre leurs pourparlers pourtant avancés, suite au communiqué de l’employeuse qui semblait mettre très sérieusement en doute son intégrité.

En novembre 2015, une entreprise a signifié à l’employé qu’elle renonçait à collaborer avec lui en raison de ce même communiqué, qui pouvait être la suite d’une faute professionnelle. Elle n’entendait pas prendre un quelconque risque pour son image.

Le travailleur congédié s’est trouvé incapable de travailler, de sorte que l’échéance du contrat a été repoussée au 31.01.2016. En mars 2016, il a fondé sa propre société de conseils, qu’il prodigue dans le domaine du luxe à l’exclusion de l’horlogerie.

 

Procédures cantonales

Selon ses dernières conclusions, il prétendait à l’indemnisation de ses jours de vacances non pris (9’846 fr. 70) ainsi qu’à une indemnité de 40’000 fr. pour le préjudice causé par l’atteinte grave à sa personnalité. Il exigeait en outre qu’un rectificatif fût publié dans diverses revues, et adressé à tous les destinataires du communiqué par lequel l’employeuse avait annoncé son licenciement. Par jugement du 25.02.2019, le Tribunal civil a rejeté la demande.

Par jugement du 29.01.2020, rejet de l’appel de l’employé par le tribunal cantonal (arrêt n° 44; PT16.035908-191699 – consultable ici).

 

TF

L’art. 328 CO enjoint à l’employeur de respecter la personnalité du travailleur. Cette disposition concrétise en droit du travail la protection qu’offrent les art. 28 ss CC contre les atteintes aux droits de la personnalité.

L’atteinte, au sens des art. 28 ss CC, est réalisée par tout comportement humain, tout acte de tiers qui cause d’une quelconque manière un trouble aux biens de la personnalité d’autrui en violation des droits qui la protègent (ATF 136 III 296 consid. 3.1 p. 302; 120 II 369 consid. 2 p. 371). Il y a violation de la personnalité notamment lorsque l’honneur d’une personne est terni, lorsque sa réputation sociale et professionnelle est dépréciée (ATF 143 III 297 consid. 6.4.2 p. 308; 129 III 715 consid. 4.1 p. 722).

L’atteinte portée aux biens de la personnalité entraîne une modification de l’état de ces biens, que l’on appelle lésion (Verletzung/lesione; cf. les versions allemande et italienne de l’art. 28 CC; PIERRE TERCIER, Le nouveau droit de la personnalité, 1984, n° 573). Il n’est pas nécessaire que l’honneur soit effectivement lésé; il suffit que le comportement incriminé soit propre à ternir celui-ci (FRANZ RIKLIN, Der straf- und zivilrechtliche Ehrenschutz im Vergleich, in RPS 1983 p. 36; en droit pénal, cf. ATF 103 IV 22 consid. 7 p. 23). Cela étant, pour qu’il y ait atteinte au sens de l’art. 28 CC, la perturbation doit présenter une certaine intensité (STEINAUER/FOUNTOULAKIS, Droit des personnes physiques et de la protection de l’adulte, 2014, n° 554; ANDREAS MEILI, in Basler Kommentar, 6e éd. 2018, n° 38 ad art. 28 CC; THOMAS GEISER, Die Persönlichkeitsverletzung insbesondere durch Kunstwerke, 1990, p. 97 s.; cf. aussi ATF 129 III 715 consid. 4.1 p. 723).

L’atteinte à la personnalité peut avoir des répercussions sur le patrimoine ou le bien-être de la victime, et lui occasionner ainsi un préjudice. Il sied à cet égard de distinguer l’atteinte à la personnalité du préjudice qu’elle peut entraîner (TERCIER, op. cit., nos 572-575; STEINAUER/FOUNTOULAKIS, op. cit., no 555; MEILI, op. cit., n° 41 ad art. 28 CC). La première (atteinte) est l’objet des actions défensives énoncées à l’art. 28a al. 1 CC, tandis que le second (préjudice) est l’objet des actions réparatrices mentionnées à l’art. 28a al. 3 CC. Un rapport de causalité naturelle et adéquate doit être établi entre l’atteinte à la personnalité et le préjudice invoqué (TERCIER, op. cit., nos 1857 ss, 2014 et 2134; STEINAUER/FOUNTOULAKIS, op. cit., nos 555, 601, 608 et 614).

 

In casu, le communiqué de l’employeuse a inspiré aux juges cantonaux les réflexions suivantes:

  • L’employeuse avait mis en exergue le terme « résiliation », et le fait que celle-ci prenait effet « dès et y compris le 31 août 2015 » ; ce faisant, elle avait insisté sur le fait que l’employé ne faisait plus partie du personnel de l’entreprise, avec effet immédiat. Une telle accentuation pouvait induire toutes sortes de spéculations quant aux motifs du licenciement, et potentiellement porter atteinte à la réputation de la personne concernée. Deux témoins avaient relevé le caractère brutal et surprenant du communiqué. Deux autres témoins avaient attesté de l’influence négative qu’il pouvait exercer sur des employeurs potentiels dans le milieu concerné – soit un milieu relativement fermé dans lequel tout se sait. Cependant, en réaction à ce communiqué, l’employé avait adressé une réponse d’un goût douteux aux fournisseurs. Selon un cinquième témoin, il n’était pas sérieux d’envoyer un tel message dans ce milieu, sauf à « se tirer une balle dans le pied ».
  • Si le communiqué litigieux de l’employeuse était susceptible de porter atteinte à l’avenir professionnel de l’employé, la réaction pour le moins inadéquate de l’intéressé était aussi de nature à lui causer du tort. Le lien de causalité naturelle entre le comportement de l’employeuse et l’atteinte invoquée n’était pas établi. Le fait que l’employé n’avait jusqu’à son engagement aucune expérience dans l’horlogerie pouvait aussi influer sur son parcours dans le secteur.
  • Par surabondance, le travailleur n’avait pas établi avoir subi une atteinte sérieuse à sa personnalité, respectivement à son avenir professionnel. Il n’était pas établi qu’il n’aurait plus pu exercer dans le domaine du luxe comme par le passé. Il n’avait pas non plus démontré, par certificat médical ou autre preuve à l’appui, qu’il aurait subi le dommage allégué.

En s’interrogeant sur le lien de causalité entre le comportement de l’employeuse (diffusion d’un communiqué sur le licenciement) et « l’atteinte invoquée » par le travailleur congédié, le tribunal cantonal s’est en réalité placé sur le terrain des actions réparatrices. Il est question d’avenir professionnel, et de l’influence négative du communiqué auprès d’employeurs potentiels. Une atteinte à la réputation professionnelle peut empêcher un travailleur de retrouver un emploi dans le milieu concerné, et justifier le cas échéant des dommages-intérêts. La cour cantonale a toutefois exclu une telle prétention au motif que le lien de causalité naturelle entre la diffusion du communiqué et le prétendu préjudice faisait défaut (pour une affaire de ce type, cf. arrêt 5A_170/2013 du 3 octobre 2013 consid. 7.2). La question de la causalité naturelle ressortit au fait ; or, l’employé se borne à mettre en exergue les deux courriers attestant des refus d’emploi imputés au communiqué de l’employeuse, sur un mode appellatoire dépourvu du grief d’arbitraire qui exclut déjà toute rediscussion. Au demeurant, on ne voit pas que l’autorité cantonale aurait enfreint le droit fédéral en excluant une prétention en dommages-intérêts sur la base d’un état de fait aussi peu étayé. Devant le Tribunal fédéral, l’employé lui-même ne parle plus que de préjudice moral.

 

L’indemnité pour tort moral (art. 49 CO) suppose que l’atteinte à la personnalité revête une certaine gravité, objective et subjective. Savoir si l’atteinte est suffisamment importante pour justifier une somme d’argent dépend des circonstances du cas concret ; le juge dispose à cet égard d’un vaste pouvoir d’appréciation que le Tribunal fédéral revoit avec retenue (ATF 129 III 715 consid. 4.4 p. 725; cf. aussi ATF 115 II 156 consid. 1; arrêt 4A_482/2017 du 17 juillet 2018 consid. 4.1). En l’occurrence, les deux instances vaudoises ont considéré que l’employé n’avait pas établi la gravité des souffrances physiques ou psychiques consécutives à l’atteinte subie par la diffusion du communiqué litigieux. Force est d’admettre qu’une telle analyse n’appelle aucune critique. Pour pouvoir l’infléchir, il eût fallu s’appuyer sur un état de fait autre. Or, une fois encore, l’employé ne le remet pas valablement en question en se bornant à soutenir que les grandes souffrances sont le plus souvent silencieuses et en évoquant des certificats médicaux qui attesteraient d’un état dépressif ou d’une anxiété. Dans ces circonstances, une violation de l’art. 49 CO ne saurait être retenue – ce qui n’exclut pas encore que le communiqué de l’employeuse ait pu attenter à la personnalité de l’employé, cette question souffrant en l’occurrence de rester indécise.

 

L’employé a encore sollicité la publication d’un rectificatif dans diverses revues, et la communication de celui-ci aux destinataires du courrier litigieux émis par l’employée à propos de son licenciement. Cette mesure prévue par l’art. 28a al. 2 CC vise à éliminer les conséquences d’une atteinte illicite à la personnalité; elle est soumise aux principes d’adéquation et de proportionnalité. Le requérant doit justifier d’un intérêt suffisant  (ausreichend) à une telle mesure, intérêt qui n’est pas nécessairement émoussé par un long écoulement du temps (cf. ATF 135 III 145 consid. 5.1 p. 151; 104 II 1 consid. 4, à propos de la publication d’un jugement; arrêt 5A_639/2014 du 8 septembre 2015 consid. 11.2.1; arrêt précité 5A_170/2013 consid. 5.3; MEILI, op. cit., n° 10 ad art. 28a CC; TERCIER, op. cit., n° 1007). En l’espèce, on ne saurait inférer de circonstances aussi nébuleuses que les conditions précitées seraient réalisées. L’employé s’est plaint essentiellement de l’effet néfaste du communiqué sur son avenir professionnel ; il a toutefois fondé sa propre société en mars 2016, un mois après la fin de son délai de congé, sans avoir justifié d’aucune recherche d’emploi. De surcroît, un temps important s’est écoulé, ne serait-ce qu’entre le communiqué litigieux et le prononcé du jugement de première instance. Enfin, on ignore tout du contenu que le rectificatif sollicité devrait revêtir. Pour ce motif déjà, la prétention fondée sur l’art. 28a al. 2 CC pouvait être rejetée.

 

Le TF rejette le recours de l’employé.

 

 

Arrêt 4A_123/2020 consultable ici

 

 

Accident de moto lors d’un stage d’entraînement motocycliste organisé par une école de conduite sur un circuit – Séance de pilotage non chronométrée Réduction des prestations en espèces pour entreprise téméraire absolue / 39 LAA – 50 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_81/2020 (f) du 03.08.2020

 

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Accident de moto lors d’un stage d’entraînement motocycliste organisé par une école de conduite sur un circuit – Séance de pilotage non chronométrée

Réduction des prestations en espèces pour entreprise téméraire absolue / 39 LAA – 50 OLAA

 

Assuré, né en 1972, a suivi les 01.08.2017 et 02.08.2017 un stage d’entraînement motocycliste organisé par une école de conduite sur un circuit, lors duquel il a subi un accident le 02.08.2017. Après un traitement et une opération en urgence à l’Hôpital B.__, où ont notamment été diagnostiquées une tétraplégie et une fracture complexe des vertèbres C6 et C7, il a été transféré au Centre C.__.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a prononcé une réduction de 50% de toutes les prestations en espèces en relation avec l’accident du 02.08.2017, au motif que l’atteinte à la santé subie lors de cet accident était la conséquence d’une entreprise téméraire absolue.

 

Procédure cantonale

L’accident – survenu lors d’une session de conduite libre (en allemand: « freies Fahren ») – s’est produit dans le cadre d’un cours avec certaines instructions ; au moment de l’accident l’assuré circulait librement sur le circuit, sans être encadré étroitement par des instructeurs. La moto de l’assuré était un engin puissant, la vitesse n’était pas limitée lors des sessions de conduite libre et les manœuvres de dépassement non risquées n’étaient pas d’emblée proscrites ; il apparaissait donc hautement improbable qu’une distance constante ait pu être maintenue entre les participants tout au long de la séance. La vidéo présente au dossier révélait d’ailleurs le passage de cinq motards sur une durée de 15 secondes, de sorte que les déclarations d’un instructeur (dans un rapport du 12.10.2017) selon lesquelles l’intervalle entre l’assuré et les autres participants était d’au moins 300 mètres apparaissaient peu vraisemblables.

Les juges cantonaux ont considéré que les participants qui circulaient en même temps que l’assuré ne roulaient pas à une vitesse modérée et se suivaient à une distance trop courte pour permettre au motard suivant de s’arrêter en cas de chute ; une collision multiple avait en l’occurrence pu être évitée parce que l’assuré était largement sorti de la piste en chutant. L’accident semblait découler d’une erreur de pilotage, la survenance d’un problème technique sur l’engin ne pouvant toutefois pas être exclue. Quoi qu’il en fût, c’était surtout le risque de chute en lui-même qui était décisif dans l’appréciation des circonstances pour évaluer l’existence d’une entreprise téméraire. Selon la cour cantonale, le fait de conjuguer la difficulté de négocier un virage à une vitesse illimitée, à des dépassements autorisés et à la présence simultanée d’autres participants sur un même circuit s’apparentait à n’en pas douter à une entreprise téméraire absolue. Au demeurant, l’encadrement de la manifestation, avec un briefing de sécurité tous les matins, un médecin, une ambulance et des commissaires de poste aux points stratégiques du circuit, attestait des risques potentiels encourus par les pilotes.

Par jugement du 04.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces; la réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Fondé sur cette norme de délégation de compétence, l’art. 50 OLAA prévoit qu’en cas d’accidents non professionnels dus à une entreprise téméraire, les prestations en espèces sont réduites de moitié; elles sont refusées dans les cas particulièrement graves (al. 1). Les entreprises téméraires sont celles par lesquelles l’assuré s’expose à un danger particulièrement grave sans prendre de mesures destinées à ramener celui-ci à des proportions raisonnables ou sans pouvoir prendre de telles mesures; toutefois, le sauvetage d’une personne est couvert par l’assurance même s’il peut être considéré comme une entreprise téméraire (al. 2).

La jurisprudence qualifie d’entreprises téméraires absolues celles qui, indépendamment de l’instruction, de la préparation, de l’équipement et des aptitudes de l’assuré, comportent des risques particulièrement importants, même si elles sont pratiquées dans les conditions les moins défavorables. Il en va de même des activités risquées dont la pratique ne répond à aucun intérêt digne de protection (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524 et les références). D’après la jurisprudence, la participation à des courses motorisées est considérée comme une entreprise téméraire absolue qui motive, dans l’assurance des accidents non professionnels, le refus ou la réduction des prestations en espèces. Il en est ainsi, par exemple, de la participation à une course automobile de côte ou en circuit (ATF 113 V 222; 112 V 44), à une compétition de moto-cross (RAMA 1991 n° U 127 p. 221, U 5/90) ou encore à une course de moto tout-terrain (enduro) sur une portion chronométrée d’un parcours (arrêt 8C_388/2017 du 6 février 2018).

D’autres activités non dénuées d’intérêt comportent des risques élevés, qui peuvent toutefois être limités à un niveau admissible si l’assuré remplit certaines exigences sur le plan des aptitudes personnelles, du caractère et de la préparation. A défaut, l’activité est qualifiée de téméraire et l’assurance-accidents est en droit de réduire ses prestations conformément aux art. 39 LAA et 50 OLAA. On parle dans ce cas d’entreprise téméraire relative, en ce sens que le refus ou la réduction des prestations dépend du point de savoir si l’assuré était apte à l’exercer et a pris les précautions nécessaires pour limiter les risques à un niveau admissible (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524). Peuvent constituer des entreprises téméraires relatives le canyoning (ATF 125 V 312), la plongée, y compris la plongée spéléologique dans une source (ATF 134 V 340; 96 V 100), l’alpinisme et la varappe (ATF 97 V 72, 86), ou encore le vol delta (ATF 104 V 19). Selon le degré de difficulté et le niveau de risque dans un cas particulier, il n’est pas exclu de qualifier l’une ou l’autre de ces activités d’entreprise téméraire absolue (ATF 134 V 340 consid. 3.2.3 p. 345).

La Commission ad hoc des sinistres LAA a établi à l’intention des assureurs-accidents une recommandation en matière d’entreprises téméraires (recommandation n° 5/83 du 10 octobre 1983 complétée le 27 juin 2018, consultable sur le site de l’Association suisse des assureurs [ASA]: https://www.svv.ch/fr). Cette recommandation contient une liste des entreprises considérées comme des entreprises téméraires absolues. Sont notamment considérées comme telles les courses de moto, y compris l’entraînement, ainsi que la moto sur circuit (hors cours de formation à la sécurité routière). De telles recommandations n’ont toutefois pas valeur d’ordonnance administrative ni de directives d’une autorité de surveillance aux autorités d’exécution de la loi; il s’agit de simples recommandations qui ne lient pas le juge (ATF 114 V 315 consid. 5c p. 318).

Le Tribunal fédéral s’est prononcé plus spécifiquement à deux reprises sur la notion d’entreprise téméraire absolue en rapport avec des séances d’entraînement motocycles sur circuit.

  • Dans un arrêt 8C_472/2011 du 27 janvier 2012, le Tribunal fédéral a considéré qu’on ne saurait d’emblée affirmer que la pratique de la moto sur circuit, en dehors de toute compétition, constituait une entreprise téméraire absolue, dès lors qu’en soi, le risque inhérent à cette pratique n’était guère plus élevé que la conduite sur route. En effet, le pilote était soumis au danger que pouvaient provoquer les autres usagers, tandis qu’un circuit était en principe libre des obstacles que constituait la circulation et était en général spécialement aménagé pour atténuer les conséquences des erreurs ou des chutes. La question devait donc être résolue en fonction des conditions dans lesquelles la séance de pilotage s’était déroulée (consid. 4). Il a considéré que même si les séances de pilotage sur circuit ne faisaient pas l’objet d’un chronométrage, elles n’en impliquaient pas moins une certaine recherche de vitesse, sans quoi elles ne présenteraient guère d’intérêt. A l’abri des contraintes de la circulation routière, elles donnaient au pilote la possibilité de rouler bien au-delà des limitations de vitesse qu’imposait la conduite sur route. Elles lui permettaient d’adopter la meilleure trajectoire sur circuit, de s’entraîner aux techniques de freinage et de positionnement sur la moto. Elles lui offraient aussi l’occasion de tester ses propres limites et celles de sa machine. Le fait de rouler en groupe était de nature à susciter une certaine émulation, voire à favoriser un esprit de compétition. Le risque de chute n’était pas négligeable, même pour un pilote expérimenté. En outre, lorsque plusieurs motos roulaient à des distances très rapprochées et à des vitesses élevées, de surcroît sur une portion de circuit sans visibilité à l’arrière, une chute présentait un danger particulièrement grave, tout d’abord pour la victime, qui risquait d’être percutée de plein fouet, et ensuite pour les pilotes qui suivaient de près et qui risquaient à leur tour de chuter. Un tel danger ne pouvait guère être maîtrisé par le personnel d’encadrement. Si la séance pouvait être stoppée par le lever d’un drapeau ou par un feu, cette mesure n’intervenait qu’après coup (consid. 5.2). Il fallait dès lors admettre qu’un accident survenu dans de telles conditions résultait de la réalisation d’un risque inhérent et particulièrement important au genre d’une telle manifestation et que la séance de pilotage au cours de laquelle l’accident assuré était survenu constituait une entreprise téméraire absolue (consid. 5.3).

 

  • Le Tribunal fédéral a confirmé cette jurisprudence dans un arrêt 8C_217/2018 du 26 mars 2019, publié in SVR 2019 UV n° 33. Il a constaté dans ce cas d’espèce que les 30 participants étaient répartis entre quatre groupe et que les départs se faisaient par « grappes » de six à sept personnes. La vitesse n’était pas limitée, la présence de 30 motocyclistes sur un circuit de 4,627 km (comportant quatorze virages) permettait une distance théorique de 154 mètres entre chaque participant. Il a retenu que celle-ci ne pouvait pas être maintenue pendant la durée de la séance, au cours de laquelle les dépassements étaient permis, et qu’elle apparaissait en outre insuffisante au vu des vitesses élevées qui pouvaient être atteintes sur le circuit. En effet, les pilotes roulaient à une vitesse moyenne de 125 km/h, des pointes de 200 km/h étant atteintes à certains endroits. Une vitesse aussi élevée n’était pas sans risques eu égard notamment à la présence d’autres pilotes sur le circuit. Il n’était en outre pas décisif, dans l’appréciation du cas, que la chute ait eu lieu dans un virage, là où la vitesse était inférieure à la moyenne, dès lors que la difficulté du pilotage d’une moto résidait surtout dans la manière de négocier le virage (vitesse d’entrée, trajectoire, accélération). Le fait que la manifestation était encadrée, avec un « briefing » de sécurité tous les matins, une salle d’observation, deux postes de secours pourvus d’ambulances et de nombreux commissaires de piste le long du circuit – lesquels intervenaient au bénéfice des participants suivants si un accident venait à se produire sur la partie du circuit dont ils avaient la surveillance, mais par la force des choses avec un certain décalage dans le temps – n’était pas non plus déterminant (consid. 3 et 5.2). Relevant que les circonstances du cas d’espèce ne différaient guère de celles qui étaient à la base de l’arrêt 8C_472/2011, le Tribunal fédéral a conclu que la séance de pilotage au cours de laquelle l’accident assuré était survenu constituait une entreprise téméraire absolue et que l’assureur était en droit de réduire ses prestations de moitié (consid. 5.3 et 5.4).

 

En l’occurrence, si dans les arrêts 8C_472/2011 et 8C_217/2018 le Tribunal fédéral a certes examiné les circonstances dans lesquelles les séances de pilotage s’étaient déroulées afin d’apprécier si l’activité était constitutive d’une entreprise téméraire, c’est précisément pour déterminer si le risque de chute encouru lors de ces séances pouvait mener à qualifier l’entreprise de téméraire. Les juges cantonaux pouvaient en l’espèce considérer à bon droit que les circonstances du cas d’espèce étaient comparables à celles des précédents jugés par le Tribunal fédéral. En effet, la vitesse n’était pas limitée lors des séances de conduite libre auxquelles avait participé l’assuré. Le fait que la séance de pilotage n’était pas chronométrée n’est pas déterminant, comme l’a déjà jugé le Tribunal fédéral dans l’arrêt 8C_472/2011, puisqu’elle n’en impliquait pas moins une certaine recherche de vitesse de ses participants, sans quoi elle ne présenterait guère d’intérêt. Il importe donc peu de savoir si l’assuré a eu lui-même l’intention de rechercher une vitesse élevée, intention que ne lui a au demeurant nullement prêté la cour cantonale qui s’est bornée à se référer à un considérant de l’arrêt 8C_217/2018. En outre, quand bien même l’assuré se trouvait au moment de l’accident à une distance adéquate des autres participants, une telle distance n’était clairement pas maintenue entre les participants pendant toute la séance de la conduite libre. Il ressort en effet de la vidéo produite au dossier que dans chacune des paires de motards qui roulaient respectivement devant et derrière l’assuré, l’un semblait rouler dans la roue de l’autre. Peu importe donc qu’il n’y ait pas eu de départ en masse, puisqu’une distance adéquate ne pouvait pas être maintenue une fois la course démarrée. Au surplus, l’encadrement de la manifestation avec un médecin, une ambulance et des commissaires de pistes au points stratégiques du circuit – qui au demeurant atteste des risques encourus par les pilotes – ne permettait qu’une intervention après coup. Enfin, on ne voit pas ce que l’assuré entend tirer à son avantage du fait que sa moto ne fait pas partie de la catégorie des motos sportives, dont on peut raisonnablement déduire qu’elles sont tout aussi adaptées – si ce n’est davantage – à la conduite sur circuit que les motos de route.

Dans ces circonstances, à l’instar des précédents jugés par le Tribunal fédéral, le risque de chute d’un pilote en raison d’une erreur de pilotage, particulièrement dans les virages, avec de graves conséquences, n’était pas négligeable, et ce quand bien même les conditions météorologiques étaient bonnes. L’accident subi par l’assuré résulte ainsi de la réalisation d’un risque inhérent et particulièrement important au genre de la manifestation à laquelle il a participé, sans que des mesures destinées à ramener ce risque à des proportions raisonnables puissent être prises. En conséquence, la séance de pilotage au cours de laquelle l’accident est survenu constituait bien une entreprise téméraire absolue et l’assureur était fondé à réduire ses prestations de moitié.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_81/2020 consultable ici

 

 

8C_76/2020 (f) du 07.09.2020 – Notion d’accident niée – Tentative de suicide confirmée / 4 LPGA – 37 al. 1 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_76/2020 (f) du 07.09.2020

 

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Notion d’accident niée – Tentative de suicide confirmée / 4 LPGA – 37 al. 1 LAA

 

Assurée, née en 1964, exerçait une activité de podologue indépendante à un taux d’activité de 50% et était assurée à titre facultatif contre le risque d’accident selon la LAA. Le matin du 14.11.2016, il était prévu qu’elle se rende en train à un centre psychiatrique semi-hospitalier pour y être soignée pendant cinq semaines. Vers 9h50, à un arrêt CFF, elle a été heurtée et gravement blessée au genou droit par un train, alors qu’elle était allongée, légèrement recroquevillée, de manière longitudinale entre les rails du chemin de fer. A l’hôpital, ont été constatées de graves blessures au genou droit, au fémur droit et au bas de la jambe, une intoxication alcoolique avec une alcoolémie de 2,2 g o/oo et une suicidalité aigüe.

Après diverses mesures d’instruction, notamment l’obtention de divers rapports médicaux, du rapport de police et de l’ordonnance de classement de la procédure pénale ouverte ensuite de l’événement du 14.11.2016, l’assurance-accidents a refusé la prise en charge de l’événement du 14.11.2016, au motif qu’il s’agissait d’une tentative de suicide commise en état de discernement.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a estimé qu’il existait un faisceau d’indices permettant de retenir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les atteintes subies par l’assurée le 14.11.2016 du fait du passage du train sur les voies entre lesquelles elle se trouvait étendue résultaient d’une tentative de suicide. Certes, comme personne n’avait précisément vu ce qui s’était passé, une chute accidentelle sur les voies ne pouvait pas d’emblée être exclue. Cependant, le passé de l’assurée, marqué par de nombreuses crises avec menaces de suicide – la dernière remontant au 27.10.2016 –, en relation avec le fait que, selon le conducteur du train, elle était couchée au milieu des voies et n’avait pas réagi à l’arrivée du train et au bruit du freinage d’urgence, montrait qu’il ne pouvait pas s’agir d’une simple chute. Du reste, les rapports médicaux consécutifs à cet événement ne rapportaient aucune lésion qui pourrait être liée à une éventuelle chute sur les voies de train. De même, on peinait à comprendre comment l’assurée aurait pu se trouver exactement entre les voies de chemin de fer en cas de simple chute depuis le quai de gare.

Au surplus, rien au dossier n’étayait la thèse d’une perte de connaissance de l’assurée étendue juste entre les voies. Le conducteur du train, qui, sur question du chef de circulation, avait accepté d’aller voir la personne restée entre les voies, avait même parlé à l’assurée, qui lui avait répondu avant de se mettre à crier.

Par ailleurs, l’assurée avait consulté un psychiatre à cinq reprises entre le 14.10.2016 et le 02.11.2016 tout en lui téléphonant de nombreuses fois. Certes, ce spécialiste avait indiqué qu’il n’avait pas pu mettre en évidence d’arguments convaincants pour une suicidalité aigüe et imminente pendant toute la période de suivi. Cet avis était toutefois relativisé par les propos tenus par l’assurée lorsque la police était intervenue le 27.10.2016 à son domicile dans le cadre d’un différend de couple ; en effet, les agents avaient alors découvert l’assurée en pleurs et très perturbée, et une ambulance avait été demandée en raison de ses propos selon lesquels elle voulait mettre un terme à sa vie en se jetant sous un train.

Enfin, le compagnon de l’assurée avait indiqué à la police que celle-ci ressentait une certaine pression à l’idée d’être hospitalisée, que dans les heures qui avaient précédé le passage du train, elle avait essayé de le contacter téléphoniquement à plusieurs reprises pour finalement, alors qu’il l’avait rappelée, l’invectiver et lui dire qu’elle en avait « marre de tout » ; à la question de savoir si elle lui avait écrit un message avant le passage à l’acte ce jour-là, il a répondu que non mais qu’au téléphone elle lui avait dit qu’elle voulait s’en aller. Relevant que ce complément accréditait aussi la thèse d’une tentative de suicide, les juges cantonaux ont retenu que l’assurée ne s’était pas retrouvée couchée entre les deux voies fortuitement ou par accident, mais avait tenté de s’ôter la vie.

Par jugement du 01.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal, considérant que l’événement du 14.11.2016 devait être qualifié, au degré de vraisemblance prépondérante, comme une tentative de suicide qui n’avait pas été commise dans un état de totale incapacité de discernement.

 

TF

Est réputé accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). Aux termes de l’art. 37 al. 1 LAA, si l’assuré a provoqué intentionnellement l’atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d’assurance n’est allouée, sauf l’indemnité pour frais funéraires. Toutefois, selon l’art. 48 OLAA, même s’il est prouvé que l’assuré entendait se mutiler ou se donner la mort, l’art. 37 al. 1 LAA n’est pas applicable si, au moment où il a agi, l’assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement, ou si le suicide, la tentative de suicide ou l’automutilation est la conséquence évidente d’un accident couvert par l’assurance.

Selon la jurisprudence, lorsqu’il y a doute sur le point de savoir si la mort (ou l’atteinte à la santé) est due à un accident ou à un suicide (ou à une tentative de suicide), il faut se fonder sur la force de l’instinct de conservation de l’être humain et poser comme règle générale la présomption naturelle du caractère involontaire de la mort (ou de l’atteinte à la santé), ce qui conduit à admettre la thèse de l’accident. Le fait que l’assuré s’est volontairement enlevé la vie (ou a volontairement attenté à sa vie) ne sera considéré comme prouvé que s’il existe des indices sérieux excluant toute autre explication qui soit conforme aux circonstances. Il convient donc d’examiner dans de tels cas si les circonstances sont suffisamment convaincantes pour que soit renversée la présomption du caractère involontaire de la mort (ou de l’attein-te à la santé). Lorsque les indices parlant en faveur d’un suicide (ou d’une tentative de suicide) ne sont pas suffisamment convaincants pour renverser objectivement la présomption qu’il s’est agi d’un accident, c’est à l’assureur-accidents d’en supporter les conséquences (arrêts 8C_453/2016 du 1er mai 2017 consid. 2; 8C_773/2016 du 20 mars 2017 consid. 3.3; 8C_591/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.1; 8C_324/2010 du 16 mars 2011 consid. 3.2; 8C_550/2010 du 6 septembre 2010 consid. 2.3).

 

Selon le Tribunal fédéral, l’appréciation de la cour cantonale ne peut qu’être partagée, nonobstant l’argumentation contraire de l’assurée. Le fait que la surveillance 24h/24 mise en place à l’hôpital dans les jours qui ont suivi l’événement du 14.11.2016 en raison du risque de suicide a ensuite été levée ne contredit pas la thèse de la tentative de suicide. Il en va de même du fait qu’à l’issue de l’intervention de la police du 27.10.2016, le médecin de piquet auquel la patrouille avait fait appel n’a pas préconisé de placement à des fins d’assistance.

C’est par ailleurs à tort que l’assurée prétend que lorsqu’elle a dit à son compagnon le jour du drame qu’elle voulait « s’en aller », elle aurait pu faire référence à une envie de s’éloigner de lui : en effet, la déclaration du compagnon a été faite en réponse à la question de savoir si l’assurée lui avait écrit un message avant le passage à l’acte ce jour-là, et cette déclaration est d’autant moins équivoque qu’il a mentionné plusieurs tentatives de suicide.

Le fait que le compagnon de l’assurée a déclaré qu’il ne comprenait pas le geste, dans la mesure où elle avait préparé tous les sacs pour se rendre à l’hôpital et était allée jusqu’à la gare avec ceux-ci, n’est pas de nature à exclure la thèse de la tentative de suicide ni même à l’affaiblir.

Quant à l’absence de réaction de l’assurée à l’approche du train, malgré le bruit généré par le freinage d’urgence, il ne saurait s’expliquer par un prétendu état second dans lequel se serait trouvée l’assurée, laquelle a été capable de parler au conducteur du train après le choc. L’hypothèse de l’assurée selon laquelle ce serait en raison d’un état second provoqué par la consommation d’alcool et la prise de médicaments qu’elle aurait chuté sur la voie où elle serait restée en position recroquevillée apparaît peu plausible au regard de l’absence de toute lésion pouvant accréditer une telle chute et de la position de l’assurée, qui était allongée de manière longitudinale entre les rails du chemin de fer. La circonstance que, selon la passante qui l’a croisée peu avant les faits, l’assurée était agenouillée sur le quai en train de chercher quelque chose dans son sac et pleurait ne permet pas davantage d’affirmer, comme le fait l’assurée, qu' »une mauvaise chute due à un état second sur les rails paraît être l’explication la plus probable ». Au contraire, au vu de l’ensemble des éléments discutés ci-dessus, c’est bien la thèse de la tentative de suicide qui, au degré de vraisemblance prépondérante requis en droit des assurance sociales (cf. ATF 144 V 427 consid. 3.2 p. 429; 137 V 334 consid. 3.2 p. 338; 138 V 218 consid. 6 p. 221 s.), doit être retenue.

Dès lors qu’il n’est plus contesté devant le Tribunal fédéral que l’assurée n’était pas privée de sa capacité de discernement au moment de l’acte, c’est à bon droit que la cour cantonale a confirmé le refus de prester de l’assurance-accidents au regard de l’art. 37 al. 1 LAA.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_76/2020 consultable ici

 

 

6B_533/2020 (f) du 16.09.2020 – Conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) – Procédure pour le contrôle de l’alcool dans l’air expiré – 10a OCCR / Différence entre éthylotest et éthylomètre / Maintien de la qualité de mesure de l’éthylomètre – Aspects techniques et sécurité métrologique

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_533/2020 (f) du 16.09.2020

 

Consultable ici

 

Conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) – Procédure pour le contrôle de l’alcool dans l’air expiré / 10a OCCR

Différence entre éthylotest et éthylomètre

Maintien de la qualité de mesure de l’éthylomètre – Aspects techniques et sécurité métrologique

 

Le 15.07.2017, vers 2h35, alors qu’il circulait au volant d’un véhicule automobile, A.__ a été interpellé par la police dans le cadre d’un contrôle de routine. Un premier examen à l’éthylotest a été effectué sur place. Les agents ont relevé un taux d’alcool de 0,45 mg/l d’air expiré à 2h42. A.__ a ensuite été soumis à l’éthylomètre, qui a indiqué un taux de 0,46 mg/l à 3h02. Son permis de conduire a été immédiatement saisi et transmis à l’Office des véhicules cantonal.

Par ordonnance pénale du 18.09.2017, l’automobiliste a été déclaré coupable de conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) et condamné à 12 jours-amende à 30 fr. le jour, ainsi qu’aux frais de procédure. Ensuite de son opposition à l’ordonnance pénale, de son défaut à l’audience de première instance du 15.02.2018, puis de son recours à la Chambre pénale des recours du Tribunal cantonal contre la décision constatant le retrait de l’opposition et rayant la cause du rôle, l’affaire a été renvoyée en première instance.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 07.06.2019, la Juge pénale du Tribunal de première instance a notamment reconnu l’automobiliste coupable de conduite en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié). Elle l’a condamné à 22 jours-amende à 30 fr. le jour.

Ensuite de l’appel interjeté par l’automobiliste contre ce jugement, la Cour pénale du Tribunal cantonal, par jugement du 25.02.2020, a confirmé le jugement de première instance, reconnaissant l’intéressé coupable d’avoir conduit un véhicule automobile en état d’ébriété (taux qualifié ; 0,46 mg/l). La cour cantonale a prononcé la même peine que l’autorité de première instance.

 

TF

La cour cantonale a considéré qu’elle pouvait apprécier librement les éléments de preuve dont elle disposait (art. 10 al. 2 CPP; v. aussi sur ce principe en matière d’établissement de l’ébriété : ATF 129 IV 290 consid. 2.7 p. 295; 127 IV 172 consid. 3 p. 173 ss; 123 II 97 consid. 3c/bb p. 104 ss), cependant que l’automobiliste considère que ces preuves techniques ont été administrées en violation de règles de validité et ne seraient donc pas exploitables (art. 141 al. 2 CPP). Dès lors que le juge ne peut apprécier librement que le résultat de preuves exploitables juridiquement (ATF 133 I 33 consid. 2.1 p. 36 p. s.; THOMAS HOFER, in Basler Kommentar, Strafprozessordnung, 2e éd. 2014, nos 42 et 63 ad art. 10 CPP), il convient d’examiner tout d’abord si tel était bien le cas des preuves sur lesquelles la cour cantonale a fondé sa conviction.

 

Aux termes de l’art. 141 al. 2 CPP, les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves. L’art. 141 al. 3 CPP prévoit en revanche que les preuves administrées en violation de prescriptions d’ordre sont exploitables. Lorsque la loi ne qualifie pas elle-même une disposition de règle de validité, la distinction entre une telle règle et une prescription d’ordre s’opère en prenant principalement pour critère l’objectif de protection auquel est censée ou non répondre la norme. Si la disposition de procédure en cause revêt une importance telle pour la sauvegarde des intérêts légitimes de la personne concernée qu’elle ne peut atteindre son but que moyennant l’invalidation de l’acte de procédure accompli en violation de cette disposition, on a affaire à une règle de validité (ATF 144 IV 302 consid 3.4.3 p. 310; 139 IV 128 consid. 1.6 p. 134; Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057, p. 1163).

Il convient donc de déterminer la portée des règles dont l’automobiliste critique le non-respect.

Selon l’art. 91 LCR, est puni de l’amende quiconque conduit un véhicule automobile en état d’ébriété (al. 1 let. a). Est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque conduit un véhicule automobile en état d’ébriété et présente un taux d’alcool qualifié dans le sang ou dans l’haleine (al. 2 let. a).

L’ordonnance de l’Assemblée fédérale concernant les taux limites d’alcool admis en matière de circulation routière dispose, à son article premier, qu’un conducteur est réputé incapable de conduire pour cause d’alcool (état d’ébriété) lorsqu’il présente un taux d’alcool dans le sang de 0,5 gramme pour mille ou plus (let. a), ou un taux d’alcool dans l’haleine de 0,25 milligramme ou plus par litre d’air expiré (let. b). Selon l’art. 2 de cette ordonnance, sont considérés comme qualifiés un taux d’alcool dans le sang de 0,8 gramme pour mille ou plus (let. a), ou un taux d’alcool dans l’haleine de 0,4 milligramme ou plus par litre d’air expiré (let. b). L’art. 55 LCR prescrit que les conducteurs de véhicules, de même que les autres usagers de la route impliqués dans un accident, peuvent être soumis à un alcootest (al. 1). Une prise de sang doit être ordonnée si la personne concernée présente des indices laissant présumer une incapacité de conduire qui n’est pas imputable à l’alcool (let. a), s’oppose ou se dérobe à l’alcootest ou fait en sorte que cette mesure ne puisse atteindre son but (let. b) ou exige une analyse de l’alcool dans le sang (let. c). Une prise de sang peut être ordonnée si le contrôle au moyen de l’éthylomètre est impossible ou s’il est inapproprié pour constater l’infraction (al. 3bis). Ce dernier alinéa, entré en vigueur le 1er octobre 2016, crée la base légale permettant de reconnaître force probante à la constatation de l’ébriété par la mesure du taux d’alcool dans l’air expiré, au moyen d’un éthylomètre (Message du Conseil fédéral concernant Via sicura, le programme d’action de la Confédération visant à renforcer la sécurité routière, du 20 octobre 2010, FF 2010 7703 ss, ch. 1.3.2.16). Cela a mis fin au système de la « primauté de la prise de sang » (v. ATF 129 IV 290 consid. 2.7 p. 295).

Aux termes de l’art. 10a al. 1 OCCR, le contrôle de l’alcool dans l’air expiré peut être effectué au moyen d’un éthylotest au sens de l’art. 11 (let. a) ou d’un éthylomètre au sens de l’art. 11a (let. b). Dans cette teneur de la norme, le vocable « éthylotest », désigne ce que le texte dénommait antérieurement « éthylomètre », à la différence que cet appareil affichait, après conversion à l’aide d’un facteur 2000, l’alcoolémie exprimée en g/kg (pour-mille) de sang et non le taux d’alcool dans l’haleine exprimé en g/l d’air expiré. Selon la terminologie actuelle, l’éthylotest est un instrument de mesure qui détermine la concentration massique d’alcool dans l’air expiré et l’éthylomètre celui qui détermine et affiche, de manière redondante et dans des conditions d’échantillonnage contrôlées, la concentration massique d’alcool dans l’air expiré (art. 3 let. c et d de l’ordonnance du DFJP du 30 janvier 2015 sur les instruments de mesure d’alcool dans l’air expiré; OIAA; RS 941.210.4; v. aussi THOMAS BRIELLMANN, Atemalkoholmessung aus rechtsmedizinischer Sicht, Jahrbuch zum Strassenverkehrsrecht 2018, p. 274 ss). En cas de recours à l’éthylotest, l’art. 11 OCCR précise que le contrôle peut avoir lieu au plus tôt après un délai d’attente de 20 minutes (al. 1 let. a), ou après que la personne contrôlée s’est rincé la bouche, conformément aux indications éventuelles du fabricant de l’appareil (al. 1 let. b). Il y a lieu d’effectuer deux mesures. Si elles divergent de plus de 0,05 mg/l, il faut procéder à deux nouvelles mesures. Si la différence dépasse de nouveau 0,05 mg/l et s’il y a des indices de consommation d’alcool, il y a lieu d’effectuer un contrôle au moyen d’un éthylomètre ou d’ordonner une prise de sang (al. 2). Le résultat inférieur des deux mesures est déterminant. La personne concernée peut reconnaître celui-ci par sa signature, notamment s’il correspond, pour les personnes qui conduisaient un véhicule automobile, à 0,25 mg/l ou plus, mais moins de 0,40 mg/l (al. 3 let. a). Conformément à l’art. 11a OCCR, le contrôle effectué au moyen d’un éthylomètre peut avoir lieu au plus tôt après un délai d’attente de dix minutes (al. 1). Si l’éthylomètre décèle la présence d’alcool dans la bouche, il faut attendre au moins cinq minutes supplémentaires pour effectuer le contrôle (al. 2). Les éthylotests et éthylomètres doivent répondre aux exigences de l’Ordonnance du 15 février 2006 sur les instruments de mesure (OIMes; RS 941.210) et des prescriptions d’exécution du Département fédéral de justice et police (art. 11 al. 4 et 11a al. 3 OCCR). L’OFROU en règle le maniement (art. 11 al. 5 et 11a al. 4 OCCR).

En application de cette délégation de compétence, l’OFROU a précisé, s’il en était besoin, que les éthylotests et les éthylomètres doivent être utilisés conformément à la notice d’emploi du fabricant (art. 19 Ordonnance de l’OFROU concernant l’ordonnance sur le contrôle de la circulation routière [OOCCR-OFROU] du 22 mai 2008). Aucune déduction n’est appliquée aux valeurs affichées par ces deux types d’appareils (art. 20 OOCCR-OFROU).

Les instruments de mesure destinés à la détermination officielle de faits matériels pour lesquels le Département fédéral de justice et police a édicté dans une ordonnance les prescriptions nécessaires spécifiques (cf. OIAA précitée), sont également soumis à l’OIMes (art. 3 al. 1 let. a ch. 5 et let. b OIMes). Dite ordonnance règle, outre la mise sur le marché, les contrôles ultérieurs permettant de garantir que ces appareils continuent à répondre aux exigences fixées initialement pendant toute la durée de leur utilisation (art. 20 OIMes), soit le contrôle ultérieur de la stabilité (art. 24 OIMes). Les procédures destinées à maintenir la stabilité de mesure sont décrites dans l’Annexe 7 à l’OIMes, soit en particulier la vérification ultérieure, avec, au besoin délivrance d’un certificat de vérification ou de conformité (Annexe 7 OIMes ch. 1.3) et l’étalonnage, avec contrôle du respect des erreurs maximales tolérées et délivrance d’un certificat d’étalonnage (Annexe 7 OIMes ch. 6.3).

L’OOCCR-OFROU, de même que l’OCCR (art. 11 al. 4 et 11a al. 3 OCCR), renvoient en outre aux règles de l’OIAA, qui déterminent notamment les exigences spécifiques afférentes aux instruments de mesure d’alcool dans l’air expiré et les procédures destinées à maintenir la stabilité de mesure de ces instruments (art. 1 let. a et c OIAA). Conformément à ces règles, les éthylomètres doivent répondre aux exigences essentielles fixées à l’annexe 1 de l’OIMes et à l’annexe 3 OIAA (art. 8 OIAA), qui concernent en particulier l’étendue des mesures, les conditions de fonctionnement nominales ainsi que les erreurs maximales tolérées. Ces instruments doivent être soumis à diverses procédures destinées à assurer le maintien de la stabilité de mesure. Sur ce point, l’art. 10 OIAA renvoie également à l’OIMes et l’art. 24 al. 3 de cette dernière ordonnance réserve les règles ressortant des ordonnances sur les instruments de mesure spécifiques quant aux procédures applicables à chaque instrument de mesure ainsi que la fréquence des contrôles (art. 24 al. 3 OIMes). S’agissant des éthylomètres, en particulier, l’art. 10 OIAA soumet ces appareils à la vérification ultérieure conformément à l’annexe 7 ch. 1 OIMes (v. aussi l’annexe 4 ch. 1 OIAA), effectuée chaque année par METAS ou par un laboratoire de vérification habilité (let. a), à l’entretien (annexe 7 ch. 7 OIMes) ainsi qu’à l’ajustage (annexe 7 ch. 8 OIMes), réalisés au minimum une fois par an par une personne compétente (let. b et c). Quant au ch. 1 de l’Annexe 4 OIAA (Vérifications initiale et ultérieure), il dispose que les éthylomètres sont vérifiés dans des conditions de laboratoire. Les erreurs maximales tolérées lors de la vérification ultérieure équivalent aux deux tiers des erreurs maximales tolérées dans les conditions de fonctionnement nominales définies à l’annexe 3 ch. 4. Cette norme réserve toutefois à METAS de déterminer la procédure de vérification ultérieure au cas par cas selon le type d’instrument mesureur (ch. 1.1). La méthode de Dubowski telle qu’elle est décrite dans la recommandation OIML R 126 doit être employée pour créer des mélanges d’alcool (ch. 1.2). En cas de dysfonctionnement de l’appareil ou de doutes quant à la précision des mesures, les éthylotests et les éthylomètres ne peuvent être réutilisés qu’après avoir subi une procédure de maintien de la stabilité de mesure conformément à l’OIAA, soit un entretien au sens de l’art. 6, let. b, OIAA et un ajustage au sens de l’art. 6, let. c, OIAA pour les éthylotests (let. a), une vérification ultérieure au sens de l’art. 10, let. a, OIAA, un entretien au sens de l’art. 10, let. b, OIAA et un ajustage au sens de l’art. 10, let. c, OIAA pour les éthylomètres (let. b).

On retiendra de ce dispositif réglementaire complexe et tout au moins partiellement redondant, que l’éthylomètre doit, en plus de l’entretien et de l’ajustage, faire l’objet d’une vérification annuelle, qui doit être effectuée par METAS ou un laboratoire habilité et qu’il incombe à METAS de déterminer la procédure de vérification ultérieure des éthylomètres, au cas par cas.

 

En ce qui concerne tout d’abord l’éthylotest, l’automobiliste souligne, en particulier, qu’une seule mesure du taux d’alcool dans son haleine a été réalisée à l’aide de cet instrument, et que celui-ci avait été contrôlé le 13.07.2016 par METAS, soit plus d’une année avant la date du contrôle routier du 15.07.2017. Il en conclut que l’appareil n’aurait plus respecté les exigences réglementaires à cette date.

 

Ces développements de l’automobiliste ne convainquent pas. En effet, que l’art. 6 let. a OIAA prescrive qu’il soit procédé annuellement à un contrôle par METAS ou un laboratoire de vérification habilité ne signifie pas que cet intervalle doive impérativement être computé de quantième à quantième des mois correspondants de deux années consécutives. L’exigence d’annualité du contrôle ne serait pas manifestement méconnue si la durée de validité du certificat s’étendait à la fin du dernier mois de validité, comme cela paraît être la pratique de METAS (v. le certificat de vérification No 232-25694 du 13.07.2016, « valable jusqu’au 31 juillet 2017 »).

Quoi qu’il en soit, dès lors qu’une seule mesure a été effectuée au moyen de l’éthylotest et que le résultat était, de surcroît, supérieur à la limite au-delà de laquelle le conducteur ne peut plus reconnaître le résultat du test (cf. art. 11 al. 3 OCCR), cette question souffre de demeurer indécise, pour les motifs qui suivent.

 

La seconde mesure a été réalisée à l’aide d’un éthylomètre. Pour répondre aux critiques de l’automobiliste, la cour cantonale a constaté que l’appareil « Lion intoxilyzer®9000 », utilisé lors du contrôle du 15.07.2017, avait été étalonné le 07.03.2017 dans le laboratoire du fabricant. Elle en a conclu que la procédure suivie pour assurer le maintien de la stabilité de mesure de cet appareil répondait aux exigences fixées par l’art. 10 OIAA.

Il est, tout d’abord, constant qu’aucun certificat n’établit que l’éthylomètre utilisé lors du contrôle de l’automobiliste a fait l’objet d’un contrôle ultérieur annuel par METAS dans l’année précédant le 15.07.2017. On ignore, du reste, si une année s’était écoulée depuis la vérification initiale de cet appareil et seul figure au dossier le certificat de calibrage établi ensuite d’une réparation par le fabriquant. On ignore toutefois aussi si le laboratoire de cette entreprise britannique est habilité et si ce calibrage répond aux exigences d’un contrôle ultérieur au sens du ch. 1.1 de l’annexe 4 à l’OIAA.

La mesure effectuée à l’aide de l’éthylomètre a force probante, même pour établir un taux d’alcool qualifié, si le conducteur contrôlé ne demande pas une prise de sang. Cette conséquence doit être mise en relation avec la fiabilité des mesures offerte par l’appareil, qui découle du contrôle effectué par la machine des conditions de l’analyse (température, pression, présence d’alcool dans la bouche) et du caractère redondant de la mesure, effectuée selon deux procédés indépendants l’un de l’autre : une analyse électrochimique et une mesure optique dans l’infrarouge. Du point de vue toxicologico-forensique, le fait qu’un appareil de ce type mesure correctement l’alcool dans l’haleine et fournisse des valeurs correctes ne soulève guère de doute (BEAT HAURI, Atemalkoholbestimmung aus juristicher Sicht, Jahrbuch zum Strassenverkehrsrecht 2018, p. 260). Le résultat fourni par un éthylotest, qui n’offre pas les mêmes garanties, n’a quant à lui jamais force probante à lui seul. La valeur la plus faible de deux mesures convergentes ne peut, dans une plage de résultats déterminée (notamment pour des valeurs comprises entre 0,25 et 0,39 mg/l d’air expiré s’agissant de la conduite d’un véhicule automobile), constituer la preuve d’une infraction que si elle a été reconnue par le conducteur. A défaut, et en particulier sitôt franchi le seuil de 0,4 mg/l, il doit être fait usage de l’éthylomètre et, subsidiairement, de la prise de sang (cf. art. 11 et 12 al. 1 let. a ch. 1 et 2 OCCR; v. aussi BRIELLMANN, op. cit. p. 274).

Il faut ainsi considérer que l’introduction du contrôle de l’air expiré à titre d’élément de preuve, à laquelle les instituts de médecine légale se sont opposés (moins en raison de la fiabilité des résultats des mesures des taux d’alcool que des problèmes de corrélation entre taux d’alcool dans l’haleine et dans le sang; BRIELLMANN, op. cit., p. 274), implique l’utilisation d’appareils de mesure techniquement très développés, mesurant le taux d’alcool dans l’air expiré avec deux méthodes fondamentalement différentes, qui garantissent que le résultat soit automatiquement corrigé de l’influence de facteurs tels que la température du corps, la température ambiante et la quantité d’air expiré. La force probante du contrôle au moyen de l’éthylomètre fonde le constat officiel des faits matériels (FF 2010 p. 7733 s. ch. 1.3.2.16; v. aussi supra consid. 3.2). Cette dimension métrologique revêt ainsi une importance particulière et est en lien immédiat avec le caractère scientifique de la preuve et la fiabilité des résultats obtenus. Ce sont en effet les contrôles et calibrages réguliers par METAS qui doivent garantir la qualité des appareils et la précision des mesures (BRIELLMANN, op. cit. p. 275). Le respect des règles relatives au contrôle de la stabilité de mesure des appareils, joue ainsi un rôle matériel central et déploie ses effets en procédure pénale dès lors qu’il s’agit de garantir la force probante du résultat de l’analyse. Contrairement aux exigences relatives, par exemple, à l’établissement d’un rapport sur le déroulement du contrôle de la capacité de conduire, qui peuvent en fonction des circonstances concrètes être appréhendées comme de simples exigences de forme (cf. arrêt 6B_571/2019 du 17 juillet 2019 consid. 1.4), celles ayant trait au contrôle du maintien de la stabilité des instruments de mesure tendent notamment à créer les conditions nécessaires pour garantir la sécurité métrologique lors de la détermination de grandeurs mesurables (art. 1 let. a OIMes). La portée de telles règles excède celle de simples prescriptions d’ordre et touche à la validité même de la preuve administrée.

De manière générale, l’infraction en cause, tenant à avoir conduit un véhicule en état d’ébriété (taux d’alcool qualifié) revêt une certaine gravité. La répression de ce délit de mise en danger abstraite protège la sécurité routière et indirectement la vie et l’intégrité physique (cf. ATF 138 IV 258 consid. 3 p. 264 ss). Elle peut être punie de la privation de liberté jusqu’à trois ans ou d’une peine pécuniaire (art. 91 al. 2 LCR). Elle n’atteint donc pas le niveau de gravité d’un crime et ne constitue donc pas, de manière abstraite, une infraction grave au sens de l’art. 141 al. 2 in fine CPP (cf. arrêt 6B_1468/2019 du 1er septembre 2020 consid. 1.3.1 destiné à la publication; ATF 137 I 218 consid. 2.3.5.2). De surcroît, dans une perspective plus concrète, le taux d’alcool mesuré dans l’haleine (0,45 g/l) était, en l’espèce, encore relativement proche de la limite du cas qualifié (0,4 g/l) et la peine infligée (22 jours-amende), nonobstant le concours avec d’autres infractions, est demeurée dans les premiers degrés de l’échelle des peines pécuniaire. Cette appréciation des circonstances de l’espèce conduit ainsi également à exclure l’usage de la preuve obtenue au mépris des règles de validité.

 

La conclusion qui précède s’impose, d’une part, en ce qui concerne la mesure effectuée par éthylomètre, le maintien de la qualité de mesure de cet appareil n’étant pas démontré. Elle s’impose également quant au résultat fourni par la mesure à l’éthylotest, qui n’a été ni répétée ni reconnue par l’automobiliste et qui, de toute manière, ne constitue pas une preuve recevable au-delà du seuil du taux d’alcool qualifié dans l’haleine (cf. art. 11 al. 3 OCCR). Enfin, la réglementation relative aux appareils de mesure ne prévoit pas non plus qu’une mesure effectuée par un éthylomètre puisse être « vérifiée » par une autre mesure à l’aide d’un éthylotest et moins encore que le maintien de la qualité de mesure d’un éthylomètre puisse être contrôlé par un simple utilisateur au moyen d’un éthylotest dans les conditions d’un contrôle de police, qui ne sont pas comparables à celles d’un laboratoire de mesure. Nonobstant sa liberté d’appréciation en la matière, la cour cantonale ne pouvait ainsi appuyer son constat d’un taux d’alcool qualifié dans l’haleine de l’automobiliste, fondé sur les éléments dont elle disposait, par la constatation que les deux appareils avaient donné « un résultat peu ou prou identique ». La cour ne disposait pas non plus d’autres indices extérieurs.

Il est vrai que les éléments relevés par la cour cantonale (existence d’un certificat de calibration récent de l’éthylomètre et cohérence des mesures effectuées au moyen des deux appareils) ne parlent pas en faveur de mesures erronées, lors mêmes qu’elles ne répondent pas aux exigences réglementaires permettant de leur reconnaître force probante. En particulier, le certificat établi par le fabriquant de l’appareil après une réparation suggère que l’appareil a été calibré à cette occasion. Toutefois, savoir si ce certificat atteste bien de la conformité du maintien de la qualité de mesure avec les exigences légales suisses est une question essentiellement technique que le juge ne peut résoudre par lui-même, mais qui relève de la compétence de METAS, à qui il incombe de fixer les exigences du contrôle ultérieur des éthylomètres, qui peut reconnaître des contrôles de maintien de la stabilité de mesure effectués à l’étranger (art. 24 al. 4 OIMes) et qui peut être interpellé en cas de contestation de résultats de mesures (art. 29 OIMes). La cause n’est, dès lors, pas en état d’être jugée. Il convient de la renvoyer à la cour cantonale afin qu’elle complète l’instruction en interpellant METAS sur la question du respect des prescriptions pertinentes en matière de maintien de la qualité de la mesure de l’éthylomètre utilisé en l’espèce et l’éventuelle reconnaissance du certificat de calibrage délivré par le constructeur.

 

Le TF admet le recours de l’automobiliste (sur ce point), annule la décision cantonale en tant qu’elle déclare l’automobiliste coupable d’infraction à la LCR pour avoir conduit un véhicule automobile en état d’ébriété (taux qualifié) le 15.07.2017 et renvoie la cause à la cour cantonale afin qu’elle complète l’instruction, qu’elle se prononce à nouveau sur ce point et fixe à nouveau la peine pécuniaire.

 

 

Arrêt 6B_533/2020 consultable ici

 

 

8C_364/2019 (f) du 09.07.2020 – Restitution d’allocations familiales indûment touchées – 25 al. 1 LPGA / Remise de l’obligation de restituer refusée – Absence de la bonne foi / Obligation d’annoncer toute modification des circonstances déterminantes – 31 al. 1 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_364/2019 (f) du 09.07.2020

 

Consultable ici

 

Restitution d’allocations familiales indûment touchées / 25 al. 1 LPGA

Remise de l’obligation de restituer refusée – Absence de la bonne foi

Obligation d’annoncer toute modification des circonstances déterminantes / 31 al. 1 LPGA

 

A.__, enseignant, a bénéficié d’allocations familiales versées par la caisse d’allocations familiales (ci-après : la caisse) pour son fils B.__, né en 2013, dès l’arrivée de celui-ci et de sa maman C.__ en Suisse, le 01.08.2014. Le divorce de A.__ et de C.__ a été prononcé en date du 26.05.2015. La convention de divorce prévoit notamment que le lieu de résidence du fils sera à l’étranger dès le 01.08.2015, que le père versera pour son fils, à titre de contribution d’entretien, une somme de 1000 fr. et que les allocations familiales lui sont acquises dès le 01.08.2015.

Le 12.10.2017, A.__ a déposé une demande d’allocations familiales, accompagnée de la convention de divorce du 26.05.2015, en faveur de son deuxième fils D.__, né en juillet 2017 de son union avec E.__.

Par décision du 18.12.2017, confirmée sur opposition, la caisse a exigé la restitution d’un montant de 4650 fr., correspondant aux prestations versées indûment du 01.08.2015 au 30.11.2017 en faveur de B.__ (7000 fr.), après déduction des allocations dues en faveur de D.__ du 01.07.2017 au 31.12.2017 (2350 fr.).

Le 02.03.2018, A.__ a déposé une demande de remise de l’obligation de restituer. La caisse a refusé d’accorder la remise, par décision confirmée sur opposition, au motif que l’assuré ne pouvait pas se prévaloir de sa bonne foi. Elle a ainsi renoncé à examiner la condition de la situation difficile.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a considéré que l’on pouvait aisément déduire de la convention de divorce du 26.05.2015, d’une part, que le montant de la contribution d’entretien en faveur du fils B.__ avait été fixé en fonction de l’attribution des allocations familiales et, d’autre part, que ni la juge, ni les mandataires n’avaient prêté attention au fait que le changement de domicile du fils impliquait la fin du droit aux allocations familiales en sa faveur. Ainsi, on ne pouvait pas reprocher trop sévèrement à l’assuré d’avoir omis d’annoncer à la caisse les changements relatifs à sa situation familiale. En effet, bien que la caisse soit l’autorité compétente pour décider du droit aux allocations familiales, il n’en demeurait pas moins que l’assuré pouvait, de bonne foi, croire que celles-ci continueraient à lui être versées, dès lors que cette question avait été fixée par une convention de divorce homologuée par une juge. Partant, l’omission fautive ne constituait qu’une violation légère du devoir d’annoncer, et la bonne foi de l’assuré devait être admise.

Par jugement du 30.04.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et renvoyant la cause à la caisse pour examen de la condition de la situation difficile et nouvelle décision sur ce point.

 

TF

Selon l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut pas être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile. Ces deux conditions matérielles sont cumulatives et leur réalisation est nécessaire pour que la remise de l’obligation de restituer soit accordée (ATF 126 V 48 consid. 3c p. 53; arrêt 9C_638/2014 du 13 août 2015 consid. 4.1).

Selon la jurisprudence, l’ignorance, par le bénéficiaire des prestations, du fait qu’il n’avait pas droit aux prestations ne suffit pas pour admettre sa bonne foi. Il faut bien plutôt que le requérant ne se soit rendu coupable non seulement d’aucune intention malicieuse, mais aussi d’aucune négligence grave. Il s’ensuit que la bonne foi, en tant que condition de la remise, est exclue d’emblée lorsque les faits qui conduisent à l’obligation de restituer – comme par exemple une violation du devoir d’annoncer ou de renseigner – sont imputables à un comportement dolosif ou à une négligence grave. On parlera de négligence grave lorsque l’ayant droit ne se conforme pas à ce qui peut raisonnablement être exigé d’une personne capable de discernement dans une situation identique et dans les mêmes circonstances (cf. ATF 110 V 176 consid. 3d p. 181). On peut attendre d’un assuré qu’il décèle des erreurs manifestes et qu’il en fasse l’annonce à la caisse (arrêt 9C_189/2012 du 21 août 2012 consid. 4 et les références). En revanche, le bénéficiaire peut invoquer sa bonne foi lorsque l’acte ou l’omission fautive ne constitue qu’une violation légère de l’obligation d’annoncer ou de renseigner (ATF 138 V 218 consid. 4 p. 220 s.; 112 V 97 consid. 2c p. 103; 110 V 176 consid. 3c p. 180). L’examen de l’attention exigible d’un ayant droit qui invoque sa bonne foi relève du droit et le Tribunal fédéral revoit librement ce point (ATF 122 V 221 consid. 3 p. 223; 102 V 245 consid. b p. 246).

En vertu de l’art. 31 al. 1 LPGA, l’ayant droit, ses proches ou les tiers auxquels une prestation est versée sont tenus de communiquer à l’assureur ou, selon les cas, à l’organe compétent toute modification importante des circonstances déterminantes pour l’octroi d’une prestation. L’obligation d’annoncer toute modification des circonstances déterminantes est l’expression du principe de la bonne foi entre administration et administré (ATF 140 IV 11 consid. 2.4.5 p. 17 et les références).

Le fait que l’assuré ait pu raisonnablement déduire de la convention de divorce qu’il avait toujours droit aux allocations familiales pour son fils B.__, une fois celui-ci installé à l’étranger, n’est pas suffisant pour admettre sa bonne foi. Il lui incombait en l’occurrence de signaler ce changement de situation à la caisse, tout comme son divorce, conformément à l’art. 31 al. 1 LPGA. Or en omettant de le faire, alors même que l’obligation d’annoncer toute modification susceptible d’influer sur le droit aux prestations – comme un changement de résidence des enfants ou un changement d’état civil – figurait dans la demande de prestations qu’il a remplie le 23.09.2014 et que cette obligation était rappelée dans la décision d’octroi de prestations du 11.11.2014, l’assuré a fait preuve de négligence grave, excluant sa bonne foi.

 

Le TF admet le recours de la caisse d’allocations familiales, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de la caisse.

 

 

Arrêt 8C_364/2019 consultable ici

 

 

9C_825/2019 (f) du 10.08.2020 – Affiliation à la LPP d’un travailleur invalide à 70% – 2 LPP – 1j al. 1 let. d OPP 2 / Droit aux prestations LPP soumis aux conditions légales, qui doivent être respectées même si la situation en découlant peut paraître insatisfaisante sur le plan social

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_825/2019 (f) du 10.08.2020

 

NB : arrêt à 5 juges, non destiné à la publication

Consultable ici

 

Affiliation à la LPP d’un travailleur invalide à 70% / 2 LPP – 1j al. 1 let. d OPP 2

Droit aux prestations LPP soumis aux conditions légales, qui doivent être respectées même si la situation en découlant peut paraître insatisfaisante sur le plan social

 

A la suite d’un accident subi le 18.06.1975, A.__, né en 1955, a été mis au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité depuis le 01.06.1976 (taux d’invalidité de 70%). Il a repris l’exercice d’une activité lucrative à temps partiel à partir de 1980 et a notamment été engagé en qualité d’aide de bureau à 50%, dès le 01.03.2008. Dans le cadre de cette activité, il a perçu des salaires annuels bruts allant de 25’955 fr. 70 en 2009 à 31’673 fr. 90 en 2018.

A plusieurs reprises, A.__ a requis son affiliation à la Caisse de pensions. Cette dernière a refusé de l’affilier, en dernier lieu par un courrier du 13.11.2018. En bref, elle a considéré que les personnes invalides au sens de l’assurance-invalidité à raison de 70% au moins ne peuvent pas être assurées pour la prévoyance professionnelle.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 29 – consultable ici)

A.__ a ouvert action devant le tribunal cantonal et conclu à ce que la Caisse de pensions soit tenue de l’affilier à son régime de pensions avec effet au 01.03.2008.

Par jugement du 11.11.2019, rejet de l’action par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 2 LPP, sont soumis à l’assurance obligatoire les salariés qui ont plus de 17 ans et reçoivent d’un même employeur un salaire annuel supérieur à 21’330 francs (al. 1). Le Conseil fédéral définit les catégories de salariés qui, pour des motifs particuliers, ne sont pas soumis à l’assurance obligatoire (al. 4, 2ème phrase). Conformément à cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 1j al. 1 let. d OPP 2, à teneur duquel notamment les personnes invalides au sens de l’assurance-invalidité à raison de 70% au moins ne sont pas soumises à l’assurance obligatoire. Ces personnes ne peuvent pas se faire affilier à titre facultatif (art. 1j al. 3 et 4 OPP 2 a contrario).

Aux termes de l’art. 3 de la loi du canton de Fribourg du 12 mai 2011 sur la Caisse de prévoyance du personnel de l’Etat (LCP; RSF 122.73.1), la Caisse participe à l’assurance obligatoire prévue par la LPP et fournit des prestations conformément à la présente loi et à ses règlements, mais au moins les prestations prévues par la LPP. L’art. 2 al. 1 du Règlement du 22 septembre 2011 sur le régime de pensions de la Caisse de prévoyance du personnel de l’Etat de Fribourg (RRP) prévoit que les personnes salariées engagées pour une durée d’un an ou plus sont obligatoirement assurées au régime de pensions au plus tôt le 1er janvier de l’année qui suit celle où elles ont eu 17 ans révolus si leur activité est présumée régulière ou durable. Selon l’art. 3 let. d RRP, ne sont pas assurées dans le régime de pensions les personnes salariées qui sont invalides à raison de 70% au moins au sens de la loi fédérale du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité (LAI).

Dans l’ATF 118 V 158 consid. 4c p. 164 s., confirmé dans l’ATF 123 V 262 consid. 2a et b p. 205, le Tribunal fédéral a jugé que l’art. 1 al. 1 let. d aOPP 2 (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2005, reprise dès le 1er janvier 2006 à l’art. 1j al. 1 let. d OPP 2 [Modification de l’OPP 2 du 10 juin 2005, RO 2005 4279]) n’était pas contraire à la loi. Il a en particulier exposé que dès lors que certaines personnes au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité avaient encore la possibilité, par la mise en valeur de leur capacité résiduelle de gain, de réaliser un salaire supérieur à la limite de coordination et pouvaient ainsi prétendre une rente entière de la prévoyance professionnelle, il s’était agi, par l’adoption de l’art. 1 al. 1 let. d OPP 2, d’éviter qu’une institution de prévoyance ne dût fournir des prestations pour un cas d’assurance survenu antérieurement à l’affiliation. Il eût en effet été contraire à un principe fondamental en matière d’assurances de couvrir un risque déjà réalisé, principe qui n’était aucunement étranger à l’esprit et au but d’une assurance obligatoire.

C’est à juste titre que A.__ soutient d’abord que l’art. 1j al. 1 let. d OPP 2 n’est utile, sous l’angle d’une éventuelle obligation de l’institution de prévoyance de prester pour un cas survenu antérieurement à l’affiliation, que dans l’hypothèse où une personne perçoit déjà une rente entière de la prévoyance professionnelle. Le risque qu’une institution de prévoyance doive s’acquitter d’une rente entière d’invalidité pour une personne qui est devenue invalide à 70% au moins avant son affiliation est en principe, pour reprendre ses termes, « entièrement éliminé » par l’art. 23 let. a LPP, qui subordonne le droit à des prestations d’invalidité, entre autres conditions, à celle que l’intéressé fût assuré lors de la survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité. Cela ne suffit cependant pas pour considérer « inutile » la disposition réglementaire en cause et pour refuser de l’appliquer. En effet, la situation des personnes au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité, à savoir les personnes invalides à 70% ou plus, n’est pas similaire à celle des personnes non invalides ou invalides à moins de 70%, qui ne perçoivent pas de rente d’invalidité ou seulement une rente partielle. Pour la première catégorie de personnes, le risque invalidité est en effet déjà entièrement survenu, alors que pour les secondes, ce risque ne s’est pas réalisé, ou s’est seulement partiellement réalisé. Dans l’assurance-invalidité et la prévoyance professionnelle, il existe à cet égard une fiction que le risque d’invalidité s’est entièrement réalisé à partir d’un taux d’invalidité de 70%, en ce sens qu’une personne invalide à 70% au moins perçoit de ce fait une rente entière d’invalidité (art. 28 al. 2 LAI, art. 24 al. 1 let. a LPP). Or la couverture d’un risque déjà survenu entrerait en contradiction avec le principe d’assurance selon lequel un risque déjà survenu n’a pas à être couvert par une assurance (Bulletin de la prévoyance professionnelle N° 75 du 6 juillet 2004, édité par l’Office fédéral des assurances sociales, ch. 444 Entrée en vigueur au 1er janvier 2005 de la 2ème étape de la révision de la LPP, Modification de l’OPP 2 – Commentaire, p. 13).

Par ailleurs, la rente de l’assurance-invalidité se calcule en prenant en considération le revenu de l’assuré correspondant à une incapacité de gain totale, au moment où est survenue une incapacité de gain d’au moins 70%, indépendamment du taux effectif qui dépasse cette limite. Dès lors, pour les personnes au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité qui ont encore la possibilité, par la mise en valeur de leur capacité résiduelle de gain, de réaliser un salaire supérieur à la limite de coordination (art. 2 al. 1 et art. 7 LPP), la création de nouveaux rapports de travail peut ainsi avoir pour conséquence d’assurer un salaire plus élevé que celui qui aurait pu être assuré sans invalidité (cf. MARKUS MOSER, Die Zweite Säule und ihre Tragfähigkeit, 1992, p. 36 s.; HANS-ULRICH STAUFFER, Die berufliche Vorsorge, 3e éd., 2019, n° 673). La fiction selon laquelle les personnes invalides à 70% ou plus ont droit à une rente entière d’invalidité (art. 28 al. 2 LAI, art. 24 al. 1 let. a LPP) ne concerne à l’inverse pas les personnes invalides à moins de 70%. Celles-ci se voient en effet octroyer seulement une fraction de rente (trois quarts de rente, une demi-rente ou un quart de rente), en fonction de leur taux effectif d’invalidité (cf. art. 28 al. 2 LAI, art. 24 al. 1 let. b-d LPP), d’où la nécessité de leur laisser la possibilité d’assurer leur capacité résiduelle de gain dans la prévoyance professionnelle.

En conséquence, la différence de traitement introduite par l’art. 1j al. 1 let. d OPP 2, qui est également prévue par l’art. 3 let. d RRP, trouve sa justification dans le fait que pour les personnes visées par ces dispositions, le risque invalidité est déjà entièrement survenu. Elle ne contrevient dès lors pas à l’art. 8 al. 1 Cst., même dans l’hypothèse où la personne invalide à 70% ou plus ne perçoit pas de rente de la prévoyance professionnelle.

A.__ ne peut finalement rien tirer en sa faveur du fait qu’il est « choquant » que les personnes qui sont devenues invalides à 70% au moins avant d’avoir pu commencer à travailler soient exclues de la prévoyance professionnelle, quand bien même leur capacité de travail résiduelle leur permet de réaliser un revenu supérieur à la limite de coordination prévue par l’art. 2 al. 1 LPP. Le droit aux prestations de la prévoyance professionnelle est en effet soumis aux conditions légales, qui doivent être respectées même si la situation en découlant peut paraître insatisfaisante sur le plan social (cf. ATF 118 V 158 consid. 4d p. 165 s.). Par ailleurs, si le Tribunal fédéral a considéré, qu’en pratique, l’art. 1 al. 1 let. d aOPP 2 (art. 1j al. 1 let. d OPP 2 depuis le 1er janvier 2006) concerne surtout les personnes invalides qui tentent de reprendre une activité professionnelle et qui continuent de bénéficier d’une rente (entière) de l’assurance-invalidité, il n’a pas exclu que cette disposition pût s’appliquer lorsque l’assuré qui perçoit une rente (entière) de l’assurance-invalidité est durablement en mesure de mettre en valeur sa capacité résiduelle de gain (ATF 118 V 158 consid. 4d p. 166).

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 9C_825/2019 consultable ici

 

 

8C_139/2020 (d) du 30.07.2020 – Revenu sans invalidité d’un chauffeur de taxi indépendant / Revenu d’invalide – Capacité de travail exigible de 60% – Besoin de pauses supplémentaires – Pas d’abattement sur le salaire statistique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_139/2020 (d) du 30.07.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt original fait foi.

 

Comparaison des revenus – Taux d’invalidité / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un chauffeur de taxi indépendant

Revenu d’invalide – Capacité de travail exigible de 60% – Besoin de pauses supplémentaires – Pas d’abattement sur le salaire statistique

Marché équilibré du travail – ESS ligne « Total » niv. de compétences 1

 

Assuré, né en 1965, chauffeur de taxi depuis septembre 2003, victime d’un accident de la circulation le 16.05.2009. Depuis janvier 2010, il a repris, à temps partiel, son activité de chauffeur de taxi. En avril 2011, il a fondé une société et a travaillé comme chauffeur de taxi indépendant. Par la décision du 01.09.2011, l’office AI a nié le droit à la rente.

Le 30.12.2011, l’assuré a été impliqué d’un accident de la circulation ; il a déposé une nouvelle demande le 10.09.2013. Par décision du 26.06.2014, octroi d’une rente entière limitée dans le temps (mars 2014 à mai 2014).

L’assuré a déposé une nouvelle demande AI, en raison d’une dégradation de son état de santé. Après expertise bidisciplinaire, octroi d’une rente entière du 01.06.2016 au 30.04.2017 et quart de rente AI du 01.05.2017 au 30.09.2017.

 

Procédure cantonale

En tant qu’indépendant, l’assuré avait déclaré des revenus s’élevant à CHF 53’094 en 2011, dont CHF 44’000 pour son emploi dans son entreprise, qu’il a commencé en avril 2011. Le salaire mensuel moyen d’avril à décembre 2011 était donc de CHF 4’888.90. Cela correspond à un revenu annuel de CHF 58’666.80 avec – selon l’assuré – une charge de travail journalière de 10 heures. En tenant compte de l’évolution du salaire nominal des hommes, le revenu sans invalidité serait de CHF 60’688.45 pour 2016 et de CHF 60’932.20 pour 2017. Compte tenu des antécédents professionnels de l’assuré, ce revenu sans invalidité semble également généreux.

Le revenu d’invalide a été évalué sur la base du tableau TA1, ligne « Total », niveau de compétences 1. Avec une capacité de travail de 60% en 2017, la cour cantonale a estimé le revenu d’invalide à CHF 40’472.80. Un abattement sur le salaire statistique n’était pas justifiée.

Par jugement du 27.12.2019, réformation de la décision par le tribunal cantonal (reformatio in peius), dans le sens où l’assuré a droit à une rente entière du 01.06.2016 au 31.12.2016.

 

TF

Revenu sans invalidité

Pour déterminer le revenu qu’aurait obtenu l’assuré sans l’atteinte à la santé, il faut en principe se baser sur salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, éventuellement adapté à l’évolution des salaires, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Les exceptions doivent être établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2 p. 30 ; arrêt 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 4.1).

Étant donné que l’invalidité doit correspondre à l’incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée (cf. art. 8 al. 1 LPGA), il faut également tenir compte de la formation professionnelle qu’un assuré aurait normalement suivie. Selon la jurisprudence, les possibilités théoriques de développement professionnel ou d’avancement ne doivent être prises en considération que lorsqu’il est très vraisemblable qu’elles seraient advenues. Il convient, à cet égard, d’exiger la preuve d’indices concrets que l’assuré aurait obtenu dans les faits un avancement ou une augmentation corrélative de ses revenus, s’il n’était pas devenu invalide. Des indices concrets en faveur de l’évolution de la carrière professionnelle doivent exister. De simples déclarations d’intention de l’assuré ne suffisent pas (ATF 139 V 28 consid. 3.3.3.2 p. 31 ; arrêt 9C_868/2018 du 22 août 2019 consid. 3.1).

Pour déterminer le revenu sans invalidité, le principe de base est de prendre en compte ce que l’assuré gagnerait effectivement en tant que personne en bonne santé au moment considéré et non ce qu’il pourrait au mieux gagner en tant que travailleur salarié à temps plein (ATF 135 V 58 consid. 3.1 p. 59 ; arrêt 8C_194/2020 du 12 mai 2020 consid. 4.5).

En faisant référence au revenu tiré de la ligne « Total », niveau de compétence 1, du tableau TA1 de l’ESS, l’assuré ne prouve pas que le revenu sans invalidité estimé par le tribunal cantonal comme chauffeur de taxi indépendant dans une entreprise unipersonnelle est sensiblement inférieur à la moyenne. Une parallélisation des revenus à comparer est donc inutile.

Il n’est pas démontré que la détermination du revenu sans invalidité de CHF 60’932.20 pour 2017 repose sur une détermination manifestement incorrecte des faits ou une appréciation arbitraire des preuves.

 

Revenu d’invalide

En règle générale, le Tribunal fédéral refuse un abattement sur le salaire statistique si l’assuré est en mesure de travailler à plein temps mais avec un rendement réduit en raison d’un besoin accru de pauses (SVR 2014 IV Nr. 37 p. 130, 8C_7/2014 consid. 9.2 ; arrêt 8C_729/2019 du 25 février 2020 consid. 4.4).

Même si la capacité de travail résiduelle de l’assuré ne pourrait pas être pleinement mise en œuvre, il ne peut rien en tirer en sa faveur. Car il ne découle pas de la jurisprudence qu’un abattement doit nécessairement être effectué si seul une activité à temps partiel est raisonnablement exigible (arrêt 8C_712/2019 du 12 février 2020 consid. 5.2.2).

La question de savoir si un abattement sur le salaire statistique doit être effectué lorsqu’une personne assurée ne peut pas travailler à plein temps doit toujours être déterminée en fonction du degré d’occupation concret et des valeurs statistiques actuelles.

En l’espèce, le tribunal cantonal a considéré que les hommes ayant un taux d’activité de 50-74% gagnaient statistiquement 4,1% de moins que ceux ayant un taux d’activité de 100%, ce qui ne justifie toutefois pas un abattement dans la pratique. Il convient de le confirmer, d’autant plus que l’assuré ne reproche pas aux conclusions de la cour cantonale d’être manifestement erronées en ce qui concerne la base statistique (voir les arrêts 8C_151/2020 du 15 juillet 2020 consid. 6.3.2 ; 9C_223/2020 du 25 mai 2020 consid. 4.3.2 et 8C_12/2017 du 28 février 2017 consid. 5.5.2).

Des conclusions de l’expertise médicale, l’assuré ne peut pas, entre autres, soulever et porter de manière répétitive des charges jusqu’à 5 kg loin du corps et jusqu’à 8 kg près du corps sans aide technique. Le fait que tous les emplois légers à moyens du niveau de compétence 1 ne lui sont pas ouverts ne permet pas de conclure que ses chances d’emploi ne sont intactes par rapport à un concurrent en bonne santé que s’il accepte une baisse de salaire (voir arrêt 9C_223/2020 du 25 mai 2020 consid 4.3.3). Le marché du travail équilibré (déterminant ; cf. art. 16 LPGA ; ATF 138 V 457 consid. 3.1 p. 459 s., 110 V 273 consid. 4b p. 276) offre un grand nombre d’emplois différents. Il n’est pas établi que ces emplois ne comprennent aucune activité correspondant à l’exigibilité de l’assuré.

Étant donné que le niveau de compétences 1 est exigible, le manque de formation et d’expérience professionnelle dans le secteur des services invoqué par l’assuré ne justifie pas un abattement sur le salaire statistique (cf. arrêt 8C_314/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6.2).

Sans abattement, le revenu d’invalide de CHF 40’472.80 a été correctement évalué par la cour cantonale. Comparé au revenu sans invalidité de CHF 60’932.20, le degré d’invalidité est de 34% (pour l’arrondi, voir ATF 130 V 121).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_139/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_139/2020 (d) du 30.07.2020 – Revenu sans invalidité d’un chauffeur de taxi indépendant – Revenu d’invalide – Besoin de pauses supplémentaires, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/10/8c_139-2020)

 

9C_165/2020 (f) du 15.06.2020 – Reconsidération d’une décision d’octroi d’allocation pour impotent – 53 al. 2 LPGA / Doutes raisonnables sur le caractère erroné de la décision initiale / Divergence d’appréciation de l’un des aspects des conditions du droit à la prestation litigieuse pour une situation demeure exactement la même

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_165/2020 (f) du 15.06.2020

 

Consultable ici

 

Reconsidération d’une décision d’octroi d’allocation pour impotent / 53 al. 2 LPGA

Doutes raisonnables sur le caractère erroné de la décision initiale

Divergence d’appréciation de l’un des aspects des conditions du droit à la prestation litigieuse pour une situation demeure exactement la même

 

Assuré, né en 1971, souffrant d’un état dépressif moyen avec syndrome somatique (F32.11) survenu en relation avec un diagnostic de carcinome cortico-surrénalien, est au bénéfice d’une rente entière AI. Le droit aux prestations a été confirmé à deux reprises, en dernier lieu par communication du 03.04.2017.

1e révision du droit à la rente en avril 2014. Assuré a indiqué qu’il avait un besoin de soins durables et d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie. Rapport suite à l’enquête à domicile : l’assuré présente un besoin d’aide pour faire sa toilette (sollicitation et surveillance) et un besoin d’accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie. L’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.01.2013 (décision du 09.06.2015).

Révision d’office du droit à l’allocation pour impotent initiée en janvier 2018. Selon le rapport de la nouvelle enquête à domicile, la situation est exactement la même que lors de la visite de 2015 : l’assuré a un besoin d’aide pour faire sa toilette (sollicitation et surveillance) ; l’enquêteur n’a en revanche pas retenu le besoin régulier d’accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie, au motif que l’épouse de l’assuré, qui exerce une activité lucrative à temps partiel à raison de deux heures par jour, est en mesure d’apporter l’aide nécessaire en vertu de l’obligation de réduire le dommage. En se fondant sur ces conclusions, l’administration a reconsidéré sa décision du 09.06.2015 et supprimé le droit à l’allocation pour impotent de degré faible avec effet au 01.07.2019.

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a considéré que l’enquêtrice avait, en 2015, évalué le besoin objectif d’accompagnement du recourant pour faire face aux nécessités de la vie sans examiner la question de l’aide apportée par les membres de la famille et l’entourage. L’office AI avait ainsi fait une application non conforme au droit des dispositions relatives à l’évaluation du besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie en relation avec la prise en compte de l’aide exigible des proches. Dès lors que la situation médicale et factuelle était superposable à celle de 2015 et que le recourant présentait seulement un besoin d’aide dans un acte ordinaire de la vie (faire sa toilette), les premiers juges ont confirmé l’absence de droit à une allocation pour impotent dès le 01.07.2019 (jugement du 28.01.2020).

 

TF

Le grief tiré de la présence de « doutes raisonnables sur le caractère erroné de la décision initiale » est bien fondé.

Dans la mesure où la juridiction cantonale a considéré que les divergences entre les deux enquêtes économiques sur le ménage relèvent surtout d’une appréciation différente du taux de participation exigible de la part des membres de la famille, elle ne pouvait ensuite admettre que la décision du 09.06.2015, fondée sur le premier rapport d’enquête à domicile, était manifestement erronée.

Pour pouvoir qualifier une décision de manifestement erronée, il ne suffit pas que l’assureur social ou le juge, en réexaminant l’un ou l’autre aspect du droit à la prestation d’assurance, procède simplement à une appréciation différente de celle qui avait été effectuée à l’époque et qui était, en soi, soutenable. Le caractère inexact de l’appréciation doit bien plutôt résulter de l’ignorance ou de l’absence – à l’époque – de preuves de faits essentiels (ATF 140 V 77 consid. 3.1 p. 79 s.; arrêt 9C_308/2018 précité consid. 2.2 et les références). Or en retenant que la différence dans le résultat des deux enquêtes en question repose avant tout sur une divergence d’appréciation de l’un des aspects des conditions du droit à la prestation litigieuse, l’autorité cantonale de recours ne met pas en évidence le caractère inadmissible de la décision initiale de l’office AI.

Certes, on constate qu’en 2015, l’enquêtrice n’a pas expressément abordé la question de l’obligation de diminuer le dommage des membres de la famille, pour déterminer si et dans quelle mesure une aide était exigible d’eux. Cela étant, en ce qu’elle a indiqué que l’épouse de l’assuré avait dû réduire son taux d’activité de 100% à 50%, la collaboratrice de l’office AI a effectivement pris en considération l’aide que l’épouse indiquait devoir désormais fournir pour pallier l’incapacité de l’assuré à participer à la gestion des tâches ménagères en raison de son état de santé, sous l’angle de l’obligation de réduire le dommage des membres de la famille. Le fait que l’épouse a dû diminuer son taux d’activité pour s’occuper de son époux contribue en effet déjà à diminuer le dommage de manière déterminante. On ne saurait dès lors retenir qu’en accordant le droit à l’allocation pour impotent, le 09.06.2015, en se fondant sur les constatations ressortant du rapport d’enquête, l’office AI a rendu une décision entachée d’une inexactitude manifeste.

 

Le TF admet le recours de l’assuré et annule le jugement cantonal et la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_165/2020 consultable ici

 

 

6B_488/2020 (f) du 03.09.2020 – Escroquerie à l’assurance-chômage – 146 CP / Assuré résidant en France mentionnant une adresse en Suisse pour percevoir des prestations de l’assurance-chômage helvétique

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_488/2020 (f) du 03.09.2020

 

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Escroquerie à l’assurance-chômage / 146 CP

Assuré résidant en France mentionnant une adresse en Suisse pour percevoir des prestations de l’assurance-chômage helvétique

 

A.__, né en 1979, a été arrêté le 29.03.2017, dans le cadre d’une large enquête de police portant sur des cambriolages commis en Suisse romande. Il est alors apparu que le prénommé, officiellement domicilié à B.__ dans un appartement qu’il sous-louait à un tiers, habitait en réalité en France.

A.__ a bénéficié à deux reprises de prestations de l’assurance-chômage, soit entre 2004 et 2006, puis entre 2013 et 2015.

Son contrat de travail ayant été résilié pour fin décembre 2015, le prénommé s’est à nouveau inscrit auprès de l’ORP, le 08.12.2015, afin de bénéficier des prestations de l’assurance-chômage. Il a alors indiqué son adresse à B.__.

Par la suite, A.__ a signé divers courriers de convocation, soit entre janvier 2016 et mars 2017, sur lesquels était mentionnée son adresse à B.__. Il a en outre adressé à l’Office cantonal de l’emploi (ci-après : OCE) un certificat de travail, daté du 25.01.2016, mentionnant son domicile à B.__, et signé deux confirmations d’inscription auprès de l’ORP – datées du 07.03.2017 – comportant cette adresse, ainsi que la mention suivante : « par votre signature, vous confirmez avoir pris connaissance de ces données et de leur exactitude. Tout changement devra être communiqué à l’ORP dans les plus brefs délais ». Il a enfin reçu de nombreux courriers adressés par l’OCE à B.__, sans que ceux-ci fussent retournés à leur expéditeur avec la mention d’un changement d’adresse.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 03.07.2019, le tribunal correctionnel a condamné A.__, pour tentative de vol, vol, dommages à la propriété, dommages considérables à la propriété, violation de domicile, escroquerie, violation grave des règles de la circulation routière et infraction à la législation sur les étrangers, à une peine privative de liberté de dix mois.

Par arrêt du 02.03.2020 (arrêt AARP/92/2020), la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise a partiellement admis l’appel formé par A.__ et a réformé celui-ci en ce sens que le prénommé est condamné, pour tentative de vol, vol, dommages considérables à la propriété, violation de domicile, escroquerie, violation grave des règles de la circulation routière et infraction à la législation sur les étrangers, à une peine privative de liberté de neuf mois.

La cour cantonale a exposé que A.__ s’était inscrit au chômage en décembre 2015 afin de bénéficier de prestations de l’assurance concernée, indiquant une adresse à B.__. Selon les propres déclarations de l’intéressé, ce dernier avait déménagé en France durant la première moitié de l’année 2016, aux environs du mois de mai, cela sans indiquer de changement d’adresse. A.__ avait, à de nombreuses reprises, signé des courriers de convocation à des entretiens, sur lesquels figurait son adresse à B.__, validant ainsi celle-ci aux yeux de l’OCE. Il avait agi ainsi au moins à cinq reprises depuis la date approximative de son déménagement, confortant l’office dans son erreur quant à son domicile réel et à son droit d’obtenir des prestations de l’assurance-chômage. Il était en tous les cas certain que l’intéressé avait déjà déménagé en France le 07.03.2017, lorsqu’il avait signé deux confirmations d’inscription auprès de l’ORP mentionnant également son adresse en Suisse, alors même que les documents en question attiraient son attention sur l’obligation d’exactitude des données et sur le fait que tout changement devait être communiqué dans les plus brefs délais. A.__ avait donc adopté, à réitérées reprises, un comportement actif, punissable au regard de l’art. 146 al. 1 CP. En plus d’avoir été actif, le comportement de A.__ s’était révélé astucieux. Ce dernier avait laissé son nom sur la boîte à lettres de l’appartement de B.__, ainsi que sur la porte – sur laquelle le nom du nouveau locataire ne figurait pas -, durant près d’une année, ce qui avait permis à l’intéressé de relever son courrier, notamment les plis de l’OCE. A.__ savait ainsi qu’il serait difficile, voire impossible, pour les autorités de découvrir son déménagement en France, cela d’autant qu’il n’avait pas non plus annoncé le changement de domicile à l’Office cantonal de la population et des migrations. L’intéressé avait donc amené, par son comportement astucieux, l’OCE à lui verser indûment des prestations.

 

TF

Aux termes de l’art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d’escroquerie celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l’aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

L’escroquerie consiste à tromper la dupe. Pour qu’il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas; il faut qu’elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l’art. 146 CP, lorsque l’auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manoeuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu’il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n’est pas possible, ne l’est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l’auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu’elle renoncera à le faire en raison d’un rapport de confiance particulier (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 154 s.; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 79 s.). L’astuce n’est pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d’attention ou éviter l’erreur avec le minimum de prudence que l’on pouvait attendre d’elle. Il n’est cependant pas nécessaire qu’elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu’elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d’être trompée. L’astuce n’est exclue que si elle n’a pas procédé aux vérifications élémentaires que l’on pouvait attendre d’elle au vu des circonstances. Une co-responsabilité de la dupe n’exclut toutefois l’astuce que dans des cas exceptionnels (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 155; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 81).

La définition générale de l’astuce est également applicable à l’escroquerie en matière d’assurances et d’aide sociale. L’autorité agit de manière légère lorsqu’elle n’examine pas les pièces produites ou néglige de demander à celui qui requiert des prestations les documents nécessaires afin d’établir ses revenus et sa fortune, comme par exemple sa déclaration fiscale, une décision de taxation ou des extraits de ses comptes bancaires. En revanche, compte tenu du nombre de demandes d’aide sociale, une négligence ne peut être reprochée à l’autorité lorsque les pièces ne contiennent pas d’indice quant à des revenus ou à des éléments de fortune non déclarés ou qu’il est prévisible qu’elles n’en contiennent pas. En l’absence d’indice lui permettant de suspecter une modification du droit du bénéficiaire à bénéficier des prestations servies, l’autorité d’assistance n’a pas à procéder à des vérifications particulières (arrêts 6B_346/2020 du 21 juillet 2020 consid. 1.2; 6B_152/2020 du 1er avril 2020 consid. 3.2; 6B_1369/2019 du 22 janvier 2020 consid. 1.1.2).

L’infraction d’escroquerie se commet en principe par une action. Tel est le cas lorsqu’elle est perpétrée par actes concluants (ATF 140 IV 11 consid. 2.3.2 p. 14). L’assuré, qui a l’obligation de communiquer toute modification importante des circonstances déterminantes pour l’octroi d’une prestation, ne respecte pas cette obligation et continue à percevoir les prestations allouées initialement à juste titre, n’adopte pas un comportement actif de tromperie. Le fait de continuer à percevoir les prestations allouées ne saurait être interprété comme la manifestation positive – par acte concluant – du caractère inchangé de la situation. Il convient en revanche d’analyser la situation de façon différente lorsque la perception de prestations est accompagnée d’autres actions permettant objectivement d’interpréter le comportement de l’assuré comme étant l’expression du caractère inchangé de la situation. Tel sera le cas lorsque l’assuré ne répond pas ou pas de manière conforme à la vérité aux questions explicites de l’assureur destinées à établir l’existence de modification de la situation personnelle, médicale ou économique; il n’est en effet plus question alors d’une escroquerie par omission, mais d’une tromperie active (ATF 140 IV 206 consid. 6.3.1.3 p. 209 et les références citées).

 

A.__ admet avoir omis de communiquer son changement de domicile après avoir commencé à percevoir des prestations de l’assurance-chômage, mais conteste avoir commis tout acte de tromperie à cet égard.

Les confirmations d’inscription signées le 07.03.2017 par A.__ ont permis à celui-ci de se réinscrire auprès de l’OCE et comportaient les renseignements pertinents à cet égard, ainsi les coordonnées personnelles, l’état civil, le statut professionnel, le taux d’activité ou encore le lieu de travail. Ils précisaient en outre que, par sa signature, la personne concernée confirmait l’exactitude des données mentionnées. A cet égard, A.__ a bien – en signant ces documents faisant faussement état d’un domicile en Suisse – adopté un comportement actif visant à tromper la dupe, soit à faire accroire qu’il était domicilié dans ce pays.

Cette tromperie était bien astucieuse, car, en l’absence de toute annonce de changement de domicile par A.__, l’autorité ne disposait d’aucun indice qui lui aurait permis de suspecter une modification du droit de l’intéressé à bénéficier des prestations servies et n’avait pas à procéder à des vérifications particulières.

Dans la mesure où A.__ soutient qu’il n’aurait pas eu l’intention de tromper astucieusement l’OCE en confirmant faussement qu’il était domicilié en Suisse, celui-ci s’écarte de l’état de fait de la cour cantonale (cf. ATF 141 IV 369 consid. 6.3 p. 375), par lequel le Tribunal fédéral est lié (cf. art. 105 al. 1 LTF) et dont il ne prétend ni ne démontre qu’il aurait été arbitrairement établi (cf. art. 97 al. 1 LTF).

Cependant, comme le relève A.__, on ignore, à la lecture de l’arrêt attaqué, si des prestations de l’assurance-chômage lui ont été versées sur la base des documents signés le 07.03.2017, soit postérieurement à cette date encore. Il n’est ainsi pas possible, au vu de l’état de fait de la cour cantonale, d’examiner si l’infraction d’escroquerie a ou non été consommée. Le recours doit être admis sur ce point, l’arrêt attaqué annulé et la cause renvoyée à l’autorité cantonale afin que celle-ci complète son état de fait et examine à nouveau si A.__ a pu, par la tromperie astucieuse opérée le 07.03.2017, réaliser les éléments constitutifs d’une infraction à l’art. 146 al. 1 CP (cf. art. 112 al. 3 LTF).

 

Le TF admet le recours de A.__.

 

 

Arrêt 6B_488/2020 consultable ici

 

 

2C_243/2020 (f) du 25.06.2020 – Devoir professionnel de l’avocat – 12 LLCA / L’avocat doit s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants et de menacer d’un dépôt d’une plainte pénale sans aucun fondement

Arrêt du Tribunal fédéral 2C_243/2020 (f) du 25.06.2020

 

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Devoir professionnel de l’avocat / 12 LLCA

L’avocat doit s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants et de menacer d’un dépôt d’une plainte pénale sans aucun fondement

 

L’art. 12 let. a LLCA dispose que l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. Cette disposition constitue une clause générale, qui permet d’exiger de l’avocat qu’il se comporte correctement dans l’exercice de sa profession (ATF 144 II 473 consid. 4.1 p. 476 et les références citées). Elle ne se limite pas aux rapports professionnels de l’avocat avec ses clients, mais comprend aussi les relations avec les confrères et les autorités (ATF 144 II 473 consid. 4.1 p. 476). L’art. 12 let. a LLCA suppose l’existence d’un manquement significatif aux devoirs de la profession (ATF 144 II 473 consid. 4.1 p. 476).

En l’occurrence, il est reproché à l’avocat recourant d’avoir violé son devoir de diligence à trois reprises: tout d’abord en remettant à sa cliente qui se trouvait en détention un courrier de son concubin, puis en dénonçant disciplinairement à tort un confrère et, enfin, en menaçant ouvertement la directrice de C.__ Sàrl – Institut d’action et de développement en psychologie du trafic (ci-après: C.__) de poursuites pénales sans fondement, ainsi qu’en adoptant à l’égard de celle-ci un ton inacceptable pour un avocat.

 

Le premier devoir professionnel de l’avocat consiste à défendre les intérêts de ses clients et il dispose d’une large marge de manœuvre pour déterminer quels sont les moyens et les stratégies qui, selon lui, sont les plus aptes à réaliser ce but (ATF 144 II 473 consid. 4.3 p. 477; 131 IV 154 consid. 1.3.2 p. 158). L’avocat peut défendre les intérêts de ses clients de manière vigoureuse et s’exprimer de manière énergique et vive. Il n’est pas tenu de choisir la formulation la plus mesurée à l’encontre de la partie adverse, ni de peser tous ses mots. Une certaine marge d’exagération, voire même de provocation, doit ainsi être acceptée (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.2 p. 158; 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 278; arrêts 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 7.1.2; 2C_507/2019 du 14 novembre 2019 consid. 5.1.3; 2C_907/2017 du 13 mars 2018 consid. 3.2; 2C_620/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.2; 2C_103/2016 du 30 août 2016 consid. 3.2.1).

Tous les moyens ne sont toutefois pas permis. Un comportement inutilement agressif ne correspond pas à une manière d’exercer la profession avec soin et diligence au sens de l’art. 12 let. a LLCA (ATF 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 277; arrêt 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 5.1.3). L’avocat assume une tâche essentielle à l’administration de la justice, en garantissant le respect des droits des justiciables, et joue ainsi un rôle important pour le bon fonctionnement des institutions judiciaires au sens large. Il est partant tenu de s’abstenir de tout acte susceptible de remettre en cause la confiance qui doit pouvoir être placée dans la profession et faire montre d’un comportement correct dans son activité (ATF 144 II 473 consid. 4.3 p. 477 et les références; 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 277 s.). Il doit contribuer à ce que les conflits juridiques se déroulent de manière appropriée et professionnelle et s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.2 p. 158; arrêt 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 5.1.3 et les arrêts cités). L’avocat n’agit pas dans l’intérêt de son client s’il se livre à des attaques excessives inutiles, susceptibles de durcir les fronts et de conduire à une escalade dans le conflit (ATF 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 277; arrêt 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 5.1.3 et les arrêts cités).

Par ailleurs, l’avocat ne peut en règle générale se servir de moyens juridiques inadéquats pour exercer des pressions (cf. arrêts 2C_782/2015 du 19 janvier 2016 consid. 5.2; 2C_247/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.2; 2A.448/2003 du 3 août 2004 consid. 6; par ex. la menace du dépôt d’une plainte pénale: arrêts 2C_1180/2013 du 24 octobre 2014 consid. 4.1.1; 2P.130/1997 du 30 juin 1997 in RDAT 1998 I n. 10 p. 37 consid. 5 c).

 

En l’espèce, d’après le jugement entrepris, la directrice de C.__ avait été mandatée pour effectuer une expertise visant à déterminer l’aptitude à la conduite de l’un des clients du recourant. Insatisfait du résultat de cette expertise, l’avocat recourant avait notamment écrit à C.__ que l’expertise n’avait pas été réalisée dans les règles de l’art et que les conclusions étaient « iniques et arbitraires ». Par la suite, l’avocat recourant avait invoqué une inexécution du contrat de mandat. Après que la directrice de C.__ avait formé une dénonciation à la Chambre de surveillance, l’avocat recourant lui avait en outre adressé un courrier lui impartissant un unique délai pour la retirer, en se réservant le « droit d’envisager la piste pénale » et en citant l’art. 181 CP (contrainte).

On ne voit aucune utilité dans la bonne défense des intérêts d’un client à qualifier les conclusions d’une expertise « d’iniques ». En outre, il résulte de la lecture complète des critiques du recourant figurant au dossier (cf. art. 105 al. 2 LTF) que celui-ci s’en est pris, sans aucune raison, personnellement à l’experte, en lui reprochant notamment une « désinvolture » et une « vision arbitraire », au lieu de s’en tenir à une critique factuelle du contenu de l’expertise. Le fait que l’avocat recourant ait tenu ces propos non pas oralement dans le feu d’une séance mais par écrit, mode d’expression qui laisse en règle générale l’opportunité de la réflexion et de la mesure des mots employés, constitue une circonstance aggravante (cf. arrêt 2C_247/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.3). Il est impossible dans ces conditions de considérer que les critiques de l’avocat sont restées dans la mesure de l’acceptable comme il le prétend.

A cela s’ajoute que rien ne justifiait que l’avocat recourant exigeât de la directrice de C.__ le retrait de sa dénonciation auprès de la Chambre de surveillance, en précisant envisager la piste pénale le cas échéant. Si l’avocat recourant estimait que les écrits qu’il avait envoyés à la directrice de C.__ n’avaient aucun contenu inutilement vexatoire ou attentatoire à l’honneur, il n’avait qu’à le faire valoir devant la Commission de surveillance, dès lors que celle-ci avait déjà été saisie. L’avocat recourant prétend n’avoir fait que formuler une « réserve usuelle de la part d’un avocat ». L’argument frise la témérité. La menace du dépôt d’une plainte pénale sans aucun fondement – on ne voit en effet aucunement en quoi le fait que la directrice de C.__ se soit adressée à la Commission de surveillance aurait pu constituer une tentative de contrainte – afin d’obtenir le retrait d’une dénonciation est inacceptable (cf. arrêt 6B_275/2016 du 9 décembre 2016 consid. 4.2.2; ATF 120 IV 17 consid. 2 p. 19).

Sur le vu de ces circonstances, c’est à bon droit que le Tribunal cantonal a confirmé que l’avocat recourant avait violé son devoir de diligence par son comportement à l’égard de la directrice de C.__.

 

Le TF rejette le recours de l’avocat.

 

 

Arrêt 2C_243/2020 consultable ici