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8C_529/2024 (d) du 27.03.2025 – Frais d’expertise judiciaire à charge de l’administration – Absence de motivation du tribunal cantonal sur le montant retenu

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_529/2024 (d) du 27.03.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Frais d’expertise judiciaire à charge de l’administration / 43 LPGA

Absence de motivation du tribunal cantonal sur le montant retenu / 61 LPGA

 

Résumé
Dans l’arrêt 8C_529/2024, le Tribunal fédéral s’est prononcé sur la question de savoir si c’est à juste titre que le tribunal cantonal avait mis à la charge de l’office AI les frais d’une expertise judiciaire s’élevant à 14’200 francs. Il a jugé que, si la mise à charge en soi n’était pas contestée, l’instance cantonale avait omis de motiver de manière suffisante le montant retenu, notamment au regard des honoraires facturés et de la jurisprudence relative aux tarifs applicables. Le Tribunal fédéral a rappelé que le tarif MEDAS [COMAI] pouvait servir de référence, sans toutefois lier les tribunaux, et que toute dérogation devait être dûment justifiée. En l’absence d’une telle motivation, le Tribunal fédéral a renvoyé la cause au tribunal cantonal afin qu’il examine plus précisément les notes d’honoraires des experts et rende une nouvelle décision sur le montant devant être supporté par l’office AI.

 

Faits

Assuré, né en 1993, a déposé une demande AI le 05.07.2019. L’office a notamment ordonné des mesures d’intervention précoce, ainsi qu’une expertise pluridisciplinaire (neurologie, rhumatologie, médecine interne et psychiatrie). Par décision du 4 juillet 2022, l’office AI a nié le droit de l’assuré à des mesures de réadaptation et à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 25.07.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et reconnaissant le droit de l’assuré à une rente entière dès le 01.02.2020, à une rente de 68% dès le 01.06.2022 et une rente de 59% dès le 01.11.2022. La cour cantonale a en outre mis à la charge de l’office AI les frais des expertises judiciaires ordonnées, réalisées en neuropsychologie et en psychiatrie, pour un montant total de 14’200 francs.

 

TF

Consid. 2.1
Est uniquement litigieuse la question de savoir si l’autorité cantonale a violé le droit fédéral en imposant l’office AI la prise en charge des frais de l’expertise judiciaire à hauteur de 14’200 francs. Il n’est pas contesté que les conditions pour une mise à charge des frais sont remplies en l’espèce (voir à ce sujet ATF 143 V 269 consid. 3.3 ; 140 V 70 consid. 6.1 ; 139 V 496 consid. 4.4 ; arrêt 9C_325/2024 du 24 octobre 2024 consid. 6.1.1, destiné à la publication). Il peut donc être renoncé à des développements à ce sujet.

Consid. 2.2
S’agissant de la mise à charge aux offices AI des frais d’expertises judiciaires pluridisciplinaires, il manquait une base légale fédérale permettant à l’OFAS de conclure avec les MEDAS [COMAI] des conventions tarifaires applicables également aux procédures de recours de première instance (ATF 143 V 269 consid. 6.2.2). Les offices AI doivent assumer, dans le cadre des principes définis par l’ATF 139 V 496, l’intégralité des frais de l’expertise judiciaire. Le tarif convenu par l’OFAS avec les MEDAS peut toutefois servir de ligne directrice à laquelle les parties doivent se référer. Cela à l’instar d’une directive ou d’une ordonnance administrative, qui ne lie pas le tribunal, mais doit néanmoins être prise en considération, pour autant qu’elle permette une solution adaptée au cas d’espèce (cf. ATF 141 III 401 consid. 4.2.2). Cela signifie qu’il convient d’exposer les raisons pour lesquelles, dans le cas concret, les forfaits prévus par le tarif en question ne suffiraient pas, et qu’on ne saurait non plus recourir simplement à la catégorie Tarmed D (« expertise présentant un degré de difficulté supérieur à la moyenne ») ou même E (« cas exceptionnellement difficiles ») (ATF 143 V 269 consid. 7.3).

Consid. 3.1
L’office AI recourant fait valoir que l’autorité cantonale a conclu qu’au cours de la procédure administrative, l’état de fait n’avait pas été suffisamment clarifié et que cette lacune dans les investigations devait être comblée dans le cadre de la procédure judiciaire. C’est pour cette raison que les frais d’expertise de 14’200 francs devaient être supportés par l’office AI. L’instance cantonale aurait, d’une part, omis d’examiner les honoraires du psychiatre et du neuropsychologue et, d’autre part, elle n’aurait pas exposé, en violation de son devoir de motivation au sens de l’art. 61 al. 1 let. h LPGA, quelles instructions de l’OFAS pourraient servir de ligne directrice pour ces investigations conformément à la jurisprudence du Tribunal fédéral. Entre-temps, un accord a été conclu avec l’OFAS concernant l’établissement d’expertises bidisciplinaires, qui pourrait servir de référence. Cet accord contient également des dispositions sur la rémunération, avec en annexe des tarifs supplémentaires et des explications relatives à la rémunération des expertises bidisciplinaires, selon lesquelles un examen neuropsychologique est considéré uniquement comme une investigation complémentaire. Il s’agirait donc d’une expertise psychiatrique monodisciplinaire avec un examen neuropsychologique complémentaire.

Consid. 3.2
L’office AI recourant fait valoir à juste titre que le montant de 14’200 francs dépasse ce à quoi l’on peut s’attendre habituellement, l’investigation complémentaire neuropsychologique ayant à elle seule été estimée à 5’200 francs. Dans l’arrêt 9C_573/2023 du 23 juillet 2024 consid. 8.4, le Tribunal fédéral est parvenu à une conclusion similaire pour une expertise psychiatrique dont les frais allégués s’élevaient à 16’560 francs (voir également les autres exemples cités dans l’arrêt précité : arrêts 8C_98/2023 du 10 août 2023 : 10’000 francs [publié partiellement in : SVR 2023 UV n° 52 p. 184] ; 8C_60/2023 du 14 juillet 2023 : 11’352.50 francs ; arrêt 9C_13/2012 du 20 août 2012 : 6’774 francs ainsi que l’arrêt 9C_492/2021 du 23 août 2022, état de fait let. B et consid. 7 : 5’500 francs).

Consid. 4.1
Comme le fait valoir à juste titre l’office AI, l’instance cantonale a constaté, en ce qui concerne la mise à charge des frais d’expertise d’un montant de 14’200 francs, uniquement que ceux-ci devaient être supportés par l’administration en raison de l’établissement incomplet des faits dans la procédure administrative.

Consid. 4.2
Eu égard aux frais d’expertise s’élevant au total à 14’200 francs, l’instance cantonale aurait été tenue, au vu de ce qui précède, de motiver la mise à charge d’un tel montant (cf. consid. 2.2 supra). Même s’il faut admettre qu’elle s’est appuyée pour ce faire sur la note d’honoraires figurant dans le dossier cantonal, établie par le neuropsychologue pour un montant de 5’200 francs, ainsi que sur la note d’honoraires non détaillée du psychiatre s’élevant à 9’000 francs, cela ne ressort pas de l’arrêt attaqué. Aucune discussion concernant les honoraires facturés n’a eu lieu, ce qui aurait pourtant été indiqué, ne serait-ce qu’en raison de leur montant (cf. consid. 2.2 et 3.2 supra).

Dans ces circonstances, il se justifie de renvoyer la cause à l’instance précédente afin qu’elle examine les notes d’honoraires et qu’elle rende une nouvelle décision sur le montant des honoraires d’expertise devant être pris en charge par l’office AI. Aucun motif n’est exposé dans le recours pour justifier une réduction de moitié laissée à l’appréciation du Tribunal fédéral ; il n’y a donc pas lieu d’entrer en matière sur ce point. Le recours est fondé sur le point principal.

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_529/2024 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_529/2024 (d) du 27.03.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/06/8c_529-2024)

8C_395/2024 (d) du 26.03.2025 – Frais d’expertise judiciaire à charge de l’administration – Absence de motivation du tribunal cantonal sur le montant retenu

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_395/2024 (d) du 26.03.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Frais d’expertise judiciaire à charge de l’administration / 43 LPGA

Absence de motivation du tribunal cantonal sur le montant retenu / 61 LPGA

 

Résumé
Dans l’arrêt 8C_395/2024, le Tribunal fédéral s’est prononcé sur la légalité de la décision de l’instance cantonale mettant à la charge de l’office AI les frais d’une expertise judiciaire monodisciplinaire psychiatrique, incluant une évaluation neuropsychologique, d’un montant total de CHF 24’171.65. Il a jugé que l’instance cantonale avait violé le droit fédéral en ne motivant pas de manière suffisante ce montant, lequel dépassait nettement les coûts usuellement observés pour des expertises similaires (cf. ATF 143 V 269 consid. 7.3 ; 9C_573/2023 consid. 8.4). Le Tribunal fédéral a rappelé que le tarif MEDAS [COMAI] pouvait servir de référence, sans toutefois lier les tribunaux, et que toute dérogation devait être dûment justifiée. Le recours de l’office AI a été admis et la cause renvoyée à l’instance cantonale pour nouvelle décision sur la prise en charge des frais.

 

Faits

Assuré, né en 1963, a déposé une demande AI le 07.07.2004. L’office AI lui a reconnu le droit à une rente entière d’invalidité dès le 01.11.2004 (invalidité de 100%). Ce droit avait été confirmé lors de révisions menées en 2006 et en 2010.

Après que l’assuré était retourné en Tunisie, l’OAIE a procédé à une révision à l’automne 2014. Dans le cadre de ses investigations, il avait requis une expertise psychiatrique.

En avril 2017, l’assuré a repris un domicile dans le canton de Bâle-Campagne. Par décision du 27.06.2017, l’office AI a supprimé la rente entière au motif d’une révision procédurale, au motif qu’il n’y avait jamais eu de schizophrénie paranoïde grave et que l’assuré avait toujours conservé sa capacité de travail. Le tribunal cantonal a admis le recours annulant et renvoyant la cause pour instruction complémentaire.

Une nouvelle expertise psychiatrique a été mise en œuvre. Le nouvel expert est parvenu à la même conclusion que la précédente experte psychiatre. Par nouvelle décision, et après l’échec des mesures de réinsertion, l’office AI a supprimé la rente entière avec effet à la fin du mois suivant la notification de cette décision.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 11.04.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal. La cour cantonale a mis à charge de l’office AI les frais de l’expertise judiciaire, pour un montant total de CHF 24’171.65 (y compris les coûts de l’examen neuropsychologique).

 

TF

Consid. 2.1
Est uniquement litigieuse la question de savoir si l’autorité cantonale a violé le droit fédéral en imposant à l’office AI la prise en charge des frais de l’expertise judiciaire monodisciplinaire à hauteur de CHF 24’171.65. Il n’est pas contesté que les conditions pour une mise à charge des frais sont remplies en l’espèce (cf. à ce sujet ATF 143 V 269 consid. 3.3 ; 140 V 70 consid. 6.1 ; 139 V 496 consid. 4.4 ; arrêt 9C_325/2024 du 24 octobre 2024 consid. 6.1.1, destiné à la publication). Il peut donc être renoncé à des développements à ce sujet.

Consid. 2.2
S’agissant de la mise à charge aux offices AI des frais d’expertises judiciaires pluridisciplinaires, il manquait une base légale fédérale permettant à l’OFAS de conclure avec les MEDAS [COMAI] des conventions tarifaires applicables également aux procédures de recours de première instance (ATF 143 V 269 consid. 6.2.2). Les offices AI doivent assumer, dans le cadre des principes définis par l’ATF 139 V 496, l’intégralité des frais de l’expertise judiciaire. Le tarif convenu par l’OFAS avec les MEDAS peut toutefois servir de ligne directrice à laquelle les parties doivent se référer. Cela à l’instar d’une directive ou d’une ordonnance administrative, qui ne lie pas le tribunal, mais doit néanmoins être prise en considération, pour autant qu’elle permette une solution adaptée au cas d’espèce (cf. ATF 141 III 401 consid. 4.2.2). Cela signifie qu’il convient d’exposer les raisons pour lesquelles, dans le cas concret, les forfaits prévus par le tarif en question ne suffiraient pas, et qu’on ne saurait non plus recourir simplement à la catégorie Tarmed D (« expertise présentant un degré de difficulté supérieur à la moyenne ») ou même E (« cas exceptionnellement difficiles ») (ATF 143 V 269 consid. 7.3).

Consid. 3.1
L’office AI recourant fait valoir à juste titre que les frais réclamés dans la note d’honoraires pour l’expertise judiciaire monodisciplinaire (comportant 32 pages, d’une longueur moyenne), y compris une évaluation neuropsychologique, s’élevant à un total de CHF 24’171.65, dépassaient de manière significative les coûts habituellement attendus pour ce type d’expertise.

Dans l’arrêt 9C_573/2023 du 23 juillet 2024, consid. 8.4, le Tribunal fédéral est arrivé à une conclusion similaire pour une expertise psychiatrique de CHF 16’560.– (cf. à ce sujet les autres exemples mentionnés dans l’arrêt précité : arrêts 8C_98/2023 du 10 août 2023  : CHF 10’000.– [partiellement publié in : SVR 2023 UV n° 52 p. 184] ; 8C_60/2023 du 14 juillet 2023 : CHF 11’352.50 ; arrêt 9C_13/2012 du 20 août 2012 : CHF 6’774.– ainsi que l’arrêt 9C_492/2021 du 23 août 2022 : CHF 5’500.–).

De manière cohérente, l’office AI recourant expose de façon compréhensible qu’au cours des trois dernières années, elle a supporté des coûts de CHF 4’200.– et CHF 10’315.– pour des expertises judiciaires psychiatriques monodisciplinaires, et qu’une expertise judiciaire monodisciplinaire psychiatrique avec évaluation neuropsychologique avait coûté CHF 11’058.–. Les expertises judiciaires somatiques monodisciplinaires se situaient entre CHF 1’100.– et CHF 5’570.–. Pour des expertises judiciaires bidisciplinaires, elle avait pris en charge des montants de CHF 10’159.– à CHF 12’655.–. Même les expertises judiciaires pluridisciplinaires avaient été moins onéreuses, avec des coûts compris entre CHF 16’088.– et CHF 19’890.–, que la présente expertise monodisciplinaire. Aucun motif compréhensible ne permet de justifier un tel montant pour la présente expertise judiciaire, d’autant que l’instance cantonale ne s’est pas exprimée sur ce point. Aucun besoin accru de clarification, justifiant les coûts nettement plus élevés par rapport à d’autres expertises judiciaires, n’était discernable. Les frais invoqués devaient ainsi être qualifiés d’arbitraires et, en définitive, ne pouvaient être soutenus, de sorte que l’instance précédente, en violant son devoir de motivation sur ce point, avait enfreint le droit fédéral.

Consid. 4
Dans l’arrêt attaqué, l’instance cantonale a uniquement considéré, au sujet de la mise à charge des frais de l’expertise judiciaire, que les coûts de CHF 24’171.65 se composaient de la note d’honoraires du psychiatre d’un montant de CHF 23’709.55 pour l’établissement de l’expertise, ainsi que des frais des analyses de laboratoire à hauteur de CHF 462.10. Elle n’a pas motivé, en violation du droit fédéral, la mise à charge des frais dans leur globalité (cf. déjà cité arrêt 9C_573/2023 consid. 8.4).

Dès lors que la cour cantonale a, dans le cadre de la procédure devant la dernière instance, exprimé son accord avec un renvoi de la cause pour qu’elle puisse s’en saisir plus en détail, il se justifie sans autre de lui renvoyer la cause à cette fin. Elle devra examiner la note d’honoraires, procéder si nécessaire à de nouvelles investigations et statuer à nouveau sur le montant des frais de l’expertise judiciaire à mettre à la charge de la recourante. Le recours est fondé.

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_395/2024 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_395/2024 (d) du 26.03.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/06/8c_395-2024)

 

 

9C_84/2024+9C_92/2024 (f) du 15.04.2025 – Objet du litige en procédure cantonale – 73 LPP / Calcul de l’avoir projeté vs avoir de vieillesse constitué – Critère de calcul du salaire assuré

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_84/2024+9C_92/2024 (f) du 15.04.2025

 

Consultable ici

 

Objet du litige en procédure cantonale / 73 LPP

Calcul de l’avoir projeté vs avoir de vieillesse constitué – Critère de calcul du salaire assuré / 24 LPP

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours de l’assuré relatif au calcul de sa rente d’invalidité LPP. Il a jugé que les juges cantonaux avaient violé le droit en refusant de déterminer le salaire assuré de l’assuré au motif que des cotisations antérieures étaient prescrites. S’agissant d’un avoir de vieillesse projeté – pertinent pour le calcul d’une rente d’invalidité selon l’art. 24 LPP – le TF a rappelé qu’il s’agit d’un montant hypothétique indépendant de la prescription des cotisations passées. Il a ainsi renvoyé la cause à l’instance cantonale pour examiner la prise en compte du salaire variable et des frais de représentation dans le salaire assuré et pour statuer sur une éventuelle surindemnisation.

 

Faits

Assuré, né en 1970, marié et père de quatre enfants nés en 2004, 2006, 2007 et 2010, avait exercé une activité pour B.__ Asset Management SA (ci-après : l’ex-employeuse) du 01.01.2007 au 31.12.2015. À ce titre, il était affilié à la Caisse de retraite du groupe B.__ (ci-après: la caisse de pensions) pour la prévoyance professionnelle, ainsi qu’à la Fondation de prévoyance complémentaire du même groupe (ci-après: la Fondation complémentaire ou la FPC).

L’office AI lui a reconnu le droit à une rente entière d’invalidité, assortie de quatre rentes complémentaires pour enfant, avec effet au 01.06.2015.

La caisse de pensions a informé l’assuré qu’il avait droit, dès le 01.06.2015, à une rente entière d’invalidité professionnelle et à des rentes pour enfants, prestations qui seraient versées dès le 01.05.2016, en raison du maintien du salaire jusqu’au 31.12.2015, puis du versement d’indemnités journalières jusqu’au 13.05.2016. Le montant annuel de la rente d’invalidité était fixé à 146’388 francs et celui de chaque rente pour enfant à 36’600 francs, soit un total de 292’788 francs. Toutefois, pour éviter que le cumul des prestations n’excède le 100% du dernier salaire déterminant de l’assuré, ces montants étaient réduits à 56’748 francs pour la rente principale et à 14’196 francs pour chaque rente d’enfant, compte tenu des prestations de l’AI. Le salaire annuel présumé perdu était estimé à 186’804 francs, soit le dernier salaire déterminant de 170’004 francs, augmenté des allocations familiales. La caisse a en outre versé un capital invalidité de 340’008 francs, le montant du compte de préfinancement de retraite anticipée (206’795 fr. 65) ainsi que le remboursement des cotisations pour la période du 01.06.2015 au 31.12.2015 (7’933 fr. 45). L’assuré a contesté la réduction fondée sur la surindemnisation, mais la caisse a maintenu sa position.

Quant à la Fondation complémentaire, elle a octroyé une rente d’invalidité de 100’000 francs par an dès le 14.05.2016, ainsi que son capital de retraite, d’un montant de 630’239 fr. 95.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1041/2023 – consultable ici)

Le 22.12.2020, l’assuré a ouvert action contre la caisse de pensions, concluant initialement au paiement de 821’590 francs, intérêts en sus, ainsi qu’à des rentes annuelles dès 2021. Il a ensuite élargi ses conclusions, notamment en demandant l’appel en cause de son ex-employeuse et la reconstitution de son avoir de retraite. La juridiction cantonale a partiellement admis la demande le 19.12.2023 : elle a reconnu le droit de l’assuré à percevoir, dès le 01.05.2016, une rente annuelle totale de 292’788 francs, condamné la caisse de pensions à lui verser 837’248 francs (pour 2016–2020) et 538’308 francs (pour 2021–2023), avec intérêts, ainsi qu’à poursuivre le versement des rentes dès janvier 2024.

 

TF

Consid. 4.1
À la suite des premiers juges, on rappellera que lorsque le litige porte sur une contestation opposant un ayant droit à une institution de prévoyance (art. 73 al. 1 LPP), l’action est ouverte à l’initiative du premier nommé par une écriture qui doit désigner l’institution de prévoyance visée et contenir des conclusions ainsi qu’une motivation ; c’est elle qui déclenche l’ouverture de la procédure et détermine l’objet du litige et les parties en cause (maxime de disposition). L’état de fait doit être établi d’office selon l’art. 73 al. 2 LPP seulement dans le cadre de l’objet du litige déterminé par la partie demanderesse. La maxime inquisitoire ne permet pas d’étendre l’objet du litige à des questions qui ne sont pas invoquées (ATF 129 V 450 consid. 3.2; cf. aussi arrêt B 72/04 du 31 janvier 2006 consid. 1.1). Dans les limites de l’objet du litige tel qu’il a été déterminé par les conclusions de la demande et les faits invoqués à l’appui de celle-ci, le juge de première instance n’est toutefois pas lié par les prétentions des parties ; il peut ainsi adjuger plus ou moins que demandé à condition de respecter leur droit d’être entendues (ATF 139 V 176 consid. 5.1 et les arrêts cités ; cf. aussi arrêt 9C_496/2022 du 18 juin 2024 consid. 5.1.2).

Consid. 4.2 [résumé]
L’assuré reproche aux juges cantonaux d’avoir déterminé l’objet du litige sur la base d’un examen superficiel et lacunaire de ses écritures, en déclarant irrecevables une partie de ses conclusions, soit celles portant sur la période du 01.06.2015 au 30.04.2016. L’argumentation de l’assuré est mal fondée.

Contrairement à ce qu’allègue l’assuré, les juges cantonaux se sont fondés sur ses propres écritures du 22.12.2020, dans lesquelles il sollicitait le versement de rentes d’invalidité à compter de cette date seulement. Ce n’est que dans ses écritures du 22.05.2023 qu’il a pour la première fois étendu ses prétentions à la période du 01.06.2015 au 30.04.2016. Dès lors, la juridiction cantonale a à juste titre déclaré irrecevables ces conclusions nouvelles, postérieures à la détermination initiale de l’objet du litige. Conformément à la jurisprudence précédemment rappelée (consid. 4.1 supra), c’est en principe la demande de l’assuré du 22.12.2020 qui détermine l’objet du litige et non les écritures qu’il a déposées ultérieurement. Le Tribunal fédéral constate qu’aucune demande relative à des prestations dues avant le 01.05.2016 n’a été formulée dans les écritures du 02.09.2021, contrairement à ce que soutient à tort l’assuré.

Consid. 5 [résumé]
La Caisse de retraite du groupe B.__ est une institution de prévoyance de droit privé pratiquant une prévoyance dite enveloppante, soit couvrant à la fois la part obligatoire et surobligatoire. Ses prestations dépassent celles minimales prévues par la LPP, notamment par un traitement déterminant supérieur au salaire coordonné et un seuil de surindemnisation fixé à 100% du traitement annuel brut. La caisse de pension dispose d’une large liberté dans la définition de son régime, sous réserve du respect des principes d’égalité, de proportionnalité et de non-arbitraire. Elle applique un plan en primauté de cotisations, conformément à la LFLP.

Consid. 6 [résumé]
Les juges cantonaux ont d’abord écarté toute augmentation du salaire assuré, retenant que les cotisations antérieures au 02.09.2016 étaient prescrites et qu’aucun salaire n’avait été versé après le licenciement au 31.12.2015. En conséquence, aucune modification de l’avoir de vieillesse ni des rentes d’invalidité n’était possible. En matière de surindemnisation, ils ont intégré la part variable du salaire et les frais de représentation au gain présumé perdu, estimé à 379’064 fr. 50. Les prestations versées par la Fondation complémentaire n’ont pas été prises en compte, car financées par l’assuré. Constatant que les rentes perçues ne dépassaient pas ce montant, les juges ont nié l’existence d’une surindemnisation et condamné la caisse de pensions à verser 1’375’556 fr. pour 2016–2023, puis 292’788 fr. par an dès 2024.

Consid. 8.1 [résumé]
À la suite de l’instance précédente, on rappellera que, selon l’art. 24 LPP (dans sa version applicable jusqu’au 31 décembre 2021), la rente d’invalidité est calculée sur la base de l’avoir de vieillesse accumulé jusqu’à la survenance de l’invalidité, augmenté des bonifications futures calculées sur le dernier salaire coordonné. Ce salaire correspond à la part du revenu comprise dans une fourchette déterminée, sur laquelle les cotisations LPP sont prélevées et partagées entre employeur et employé.

Consid. 8.2 [résumé]
Selon le règlement de prévoyance 2016 (art. 33) et celui de 2012 (art. 32), la rente complète d’invalidité est obtenue en multipliant l’avoir projeté à la retraite par le taux de conversion. L’avoir projeté inclut l’avoir constitué à la date de l’invalidité, augmenté des bonifications (avec intérêts) qui auraient été versées jusqu’à l’âge ordinaire de retraite si l’assuré était resté en service avec son dernier traitement. Ce dernier, déterminant pour le calcul, a été fixé à 186’804 fr. (170’004 fr. de salaire fixe plus 16’800 fr. d’allocations familiales).

Consid. 8.3
En l’occurrence, le litige concerne une part salariale qui dépasse incontestablement le montant du salaire coordonné prévu à l’art. 8 al. 1 LPP, si bien qu’il relève exclusivement de la prévoyance plus étendue (cf. ATF 140 V 145 consid. 3). S’agissant d’une contestation opposant un affilié à une institution de prévoyance de droit privé, les parties sont liées par un contrat innommé (sui generis) dit de prévoyance. Le règlement de prévoyance constitue le contenu préformé de ce contrat, à savoir ses conditions générales, auxquelles l’assuré se soumet expressément ou par actes concluants. Il doit ainsi être interprété selon les règles générales sur l’interprétation des contrats (ATF 140 V 145 consid. 3.3 et les arrêts cités).

Consid. 8.4.1
Dans la mesure où la rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle est calculée en fonction d’un avoir de vieillesse hypothétique, qui se compose de l’avoir de vieillesse déjà épargné par l’assuré jusqu’à la survenance de l’invalidité et des bonifications de vieillesse qui s’y seraient ajoutées en cas de poursuite du travail jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite (cf. règlement de prévoyance ; s’agissant de la prévoyance obligatoire, art. 24 al. 2-4 LPP; consid. 8.1 et 8.2 supra), il est en l’occurrence nécessaire de connaître le montant du salaire assuré de l’assuré au titre de la prévoyance professionnelle auprès de la Caisse de retraite du groupe B.__. Les bonifications de vieillesse afférentes aux années futures sont en effet calculées sur la base du dernier traitement cotisant. L’argumentation de l’assuré, selon laquelle la juridiction cantonale devait déterminer le montant de son salaire assuré auprès de la caisse de pensions, indépendamment du point de savoir si les prétentions qu’il avait faites valoir à l’encontre de son ex-employeuse étaient ou non prescrites, est dès lors bien fondée. Certes, si la détermination de l’avoir de vieillesse constitué au jour de la reconnaissance de l’invalidité peut théoriquement se heurter à une hypothétique prescription (que la juridiction cantonale a admise et que l’assuré conteste) – dès lors que le montant de l’avoir de vieillesse dépend du caractère recouvrable ou non de créances de cotisations échues -, le calcul de la part de l’avoir de prévoyance projeté correspondant aux bonifications de vieillesse afférentes aux années futures, en revanche, échappe par définition à une quelconque problématique de prescription. Il s’agit en effet d’un aspect qui ne dépend pas du caractère par hypothèse recouvrable ou non de créances de cotisations échues, mais de la détermination, théorique, d’un avoir de prévoyance projeté, donc futur, comme le fait valoir l’assuré.

Consid. 8.4.2
Partant, en considérant que la prescription des cotisations dues par l’ex-employeuse de l’assuré avait pour conséquence que l’avoir de vieillesse et par conséquent le montant des rentes d’invalidité demeuraient inchangés, les juges cantonaux ont violé le droit.

En particulier, la jurisprudence à laquelle ils se sont référés, à savoir l’ATF 140 V 154 consid. 7.3, n’est pas applicable au calcul d’une rente d’invalidité, comme c’est le cas en l’occurrence. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a en effet considéré qu’au regard de la relation étroite entre les cotisations et le montant des prestations de vieillesse de la prévoyance obligatoire, on ne saurait admettre le droit à des prestations de vieillesse calculées en fonction de bonifications de vieillesse afférentes à une période d’assurance pendant laquelle des cotisations correspondantes n’ont pas été et ne doivent plus être versées (consid. 7). À cet égard, la rente de vieillesse est calculée en pour-cent de l’avoir de vieillesse acquis par l’assuré au moment où celui-ci atteint l’âge ouvrant le droit à la rente (cf. art. 14 al. 1 LPP, ainsi que, s’agissant du régime mis en place par la caisse de pensions); un avoir de vieillesse hypothétique n’entre dès lors pas en ligne de compte, contrairement à ce qui est le cas pour le calcul d’une rente d’invalidité (cf. art. 24 al. 3 let. b et al. 4 LPP). La notion d’avoir de vieillesse hypothétique (ou « avoir de retraite projeté » selon le règlement de prévoyance) n’a de sens, en effet, que si le cas d’assurance (décès ou invalidité) survient avant l’âge terme de la vieillesse. Dans un tel cas, on prend en compte la période future pendant laquelle l’assuré et son employeur n’ont pas été en mesure de verser des cotisations (voir par analogie, en matière de prévoyance obligatoire, l’art. 24 al. 3 let. b LPP [relatif au montant de la rente d’invalidité], auquel renvoie l’art. 21 al. 1 LPP [relatif au montant de la rente de veuve et de la rente d’orphelin]; cf. arrêt B 51/02 du 13 septembre 2002 consid. 2.4).

Consid. 8.5
Compte tenu de ce qui précède, la cause doit être renvoyée aux juges cantonaux afin qu’ils examinent le montant du salaire assuré de l’assuré au titre de la prévoyance professionnelle auprès de la caisse de pensions, singulièrement le point de savoir si, et le cas échéant dans quelle mesure, la part variable de la rémunération et les frais de représentation doivent être inclus dans le salaire assuré du prénommé. Ce n’est qu’ultérieurement qu’ils pourront statuer sur le montant du gain présumé perdu de l’assuré, en relation avec la question d’une éventuelle surindemnisation. Il convient dès lors d’admettre partiellement le recours de l’assuré (cause 9C_84/2024), dans la mesure où la cause n’est pas en état d’être jugée et nécessite un renvoi à l’instance précédente; l’arrêt entrepris doit être annulé en conséquence. Dans cette mesure, la conclusion subsidiaire de la caisse de pensions en renvoi de la cause à la juridiction précédente pour nouvelle décision ou complément d’instruction (cause 9C_92/2024) se révèle bien fondée.

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_84/2024+9C_92/2024 consultable ici

 

9C_645/2024 (f) du 16.04.2025 – Tribunal arbitral des assurances / 89 LAMal – Garantie d’un juge indépendant et impartial – Récusation du juge arbitre désigné / 30 al. 1 Cst. – 6 par. 1 CEDH

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_645/2024 (f) du 16.04.2025

 

Consultable ici

 

Tribunal arbitral des assurances / 89 LAMal

Garantie d’un juge indépendant et impartial – Récusation du juge arbitre désigné / 30 al. 1 Cst. – 6 par. 1 CEDH

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de A.__ dirigé contre le refus de récusation d’un juge arbitre désigné par une caisse-maladie dans une procédure devant le Tribunal arbitral des assurances. Il a jugé, à la lumière de l’art. 89 al. 4 LAMal et des garanties d’un tribunal impartial prévues par les art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH, qu’aucune apparence objective de partialité ne résultait ni des anciens rapports professionnels de B.__ avec l’assureur maladie, interrompus depuis près de dix ans, ni de son activité actuelle non dirigeante au sein de santésuisse. Le TF a confirmé que les exigences en matière d’indépendance sont allégées pour les juges arbitres désignés par les parties, dès lors que leur désignation s’inscrit dans une composition paritaire voulue par le législateur.

 

Faits

Le 20.04.2021, trois caisses-maladies ont saisi le Tribunal arbitral d’une demande en réparation d’un dommage dirigée contre A.__. Par la suite, une des caisses-maladies a repris les droits et obligations des deux autres assureurs, lesquels ont été radiés du Registre du commerce à la suite de fusions.

Dans le cadre de la procédure arbitrale, la caisse-maladie a désigné B.__, responsable de formation pour la Suisse romande auprès de santésuisse, en qualité d’arbitre. Le prénommé a accepté sa nomination. A.__ s’y est opposé et a demandé la récusation du juge arbitre désigné. La caisse-maladie a persisté dans son choix.

Par décision du 15.10.2024 (arrêt ATAS/799/2024), la Délégation du Tribunal arbitral des assurances en matière de récusation a rejeté la demande de récusation dans la mesure de sa recevabilité.

 

TF

Consid. 2.2
Selon l’art. 89 al. 1 LAMal, le Tribunal arbitral des assurances est compétent pour juger des litiges entre assureurs et fournisseurs de prestations. Aux termes de l’art. 89 al. 4 LAMal, les cantons fixent la procédure qui doit être simple et rapide; le tribunal arbitral établit avec la collaboration des parties les faits déterminants pour la solution du litige; il administre les preuves nécessaires et les apprécie librement.

Consid. 2.3
Dans le canton de Genève, la procédure applicable devant le Tribunal arbitral des assurances est prévue par les art. 39 ss de la loi d’application de la LAMal (LaLAMal; rs/GE J 3 05). D’après l’art. 45 al. 3 LaLAMal, les dispositions de la loi genevoise sur la procédure administrative (LPA; rs/GE E 5 10) s’appliquent, notamment en ce qui concerne la récusation des membres du tribunal arbitral. Les causes de récusation sont énoncées à l’art. 15A al. 1 LPA. Au-delà des causes de récusation objectives visées aux let. a à e de cette disposition, se récuse le juge qui pourrait être prévenu de toute autre manière, notamment en raison d’un rapport d’amitié ou d’inimitié avec une partie ou son représentant (art. 15A al. 1 let. f LPA).

Consid. 2.4
La garantie d’un juge indépendant et impartial telle qu’elle résulte des art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH – lesquels ont, de ce point de vue, la même portée – permet, indépendamment du droit de procédure (en l’occurrence l’art. 15A al. 1 LPA), de demander la récusation d’un magistrat dont la situation ou le comportement est de nature à susciter des doutes quant à son impartialité. Elle vise à éviter que des circonstances extérieures à la cause ne puissent influencer le jugement en faveur ou au détriment d’une partie. Elle n’impose pas la récusation uniquement lorsqu’une prévention effective est établie, car une disposition interne de la part du juge ne peut être prouvée; il suffit que les circonstances donnent l’apparence d’une prévention et fassent redouter une activité partiale du magistrat; cependant, seules les circonstances objectivement constatées doivent être prises en considération, les impressions purement individuelles n’étant pas décisives (ATF 144 I 159 consid. 4.3 et les arrêts cités).

De jurisprudence constante, des liens d’amitié ou une inimitié peuvent créer une apparence objective de partialité à condition qu’ils soient d’une certaine intensité. En revanche, des rapports de voisinage, des études ou des obligations militaires communes ou des contacts réguliers dans un cadre professionnel ne suffisent en principe pas. Plus généralement, pour être à même de trancher un différend avec impartialité, un juge ne doit pas se trouver dans la sphère d’influence des parties (ATF 144 I 159 consid. 4.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.1
En ce qui concerne les juges du Tribunal arbitral cantonal, il convient de tenir compte de l’art. 89 al. 4 LAMal. Avec cette disposition, le législateur a voulu laisser la possibilité aux cercles intéressés mentionnés de faire participer au sein des tribunaux arbitraux des personnes de confiance, afin de transmettre les connaissances spécifiques en la matière et faire connaître les aspects particuliers de la branche si bien que les circonstances parlant en faveur ou en défaveur des parties puissent pleinement être prises en considération et être soigneusement appréciées.

Selon la jurisprudence, le droit à un juge impartial vaut certes aussi pour les juges arbitres siégeant aux côtés du président. En raison de leurs liens avec les cercles intéressés, ces juges ne peuvent guère, d’expérience, apparaître comme entièrement indépendants. Il est inhérent au système prévu que les représentants désignés par les parties vont avant tout essayer de s’engager pour que les prétentions et les besoins de leur cercle d’intérêts soient pris en considération dans un procès, en raison de leurs relations avec la partie correspondante. De même, ils vont sans doute se donner la peine de mettre en évidence les circonstances qui parlent en faveur de la partie impliquée dans le litige. De tels juges arbitres ne sont donc guère indépendants de la même manière que l’est le juge d’un autre tribunal étatique qui n’est pas composé de manière paritaire, ce qui vaut cependant aussi pour la partie adverse. Ceci doit être accepté comme conséquence de la conception de l’art. 89 al. 4 LAMal voulue par le législateur, qui prévoit que deux cercles d’intérêts se font face dans le tribunal arbitral; dans cette mesure, l’indépendance du tribunal arbitral n’est pas seulement garantie par l’indépendance individuelle des juges arbitres mais également par la composition paritaire. En conséquence, pour les juges arbitres désignés par les parties, il n’y a pas lieu de poser les mêmes exigences sévères à leur indépendance que pour les autres juges (ATF 124 V 22 consid. 5a; arrêt 9C_535/2021 du 13 mai 2022 consid. 2.3; REGINA KIENER, Richterliche Unabhängigkeit Verfassungsrechgliche Anforderungen an Richter und Gerichte, 2001, p. 117 ss).

La participation paritaire ne constitue cependant pas une défense unilatérale des intérêts d’une partie au procès. Le juge arbitre ne peut se voir comme l’avocat d’une partie revêtu de la robe du juge et défendre unilatéralement les seuls intérêts de la partie qui lui est proche du point de vue professionnel. La partialité, et donc l’obligation de se récuser, doivent toujours être admises lorsque le juge arbitre exerce des fonctions auprès d’une des parties impliquées dans le procès. Pour des motifs compréhensibles, la partie adverse peut avoir l’impression qu’un tel juge arbitre a un intérêt direct à ce que cette partie obtienne gain de cause. Ceci vaut pour les organes mais de manière identique pour chaque fonctionnaire ou collaborateur (RAMA 1997 n° KV 14 p. 309 consid. 5b [arrêt K 49/97 du 31 juillet 1997], et les références aux ATF 114 V 292 et ATF 115 V 257). Selon la jurisprudence (voir l’aperçu dans l’arrêt K 29/04 du 29 juillet 2004 consid. 2.3), l’obligation de récusation est régulièrement admise pour des personnes qui sont des membres dirigeants d’une association d’assureurs ou d’une organisation de fournisseurs de prestations (arrêts 9C_535/2021 du 13 mai 2022 consid. 2.3; 9C_149/2007 du 4 juin 2007 consid. 4.2 et les références).

Consid. 4.2.1
Tout d’abord, au regard de la jurisprudence sur l’art. 89 al. 4 LAMal rappelée ci-avant (consid. 4.1 supra), l’appréciation de l’instance cantonale peut être partagée en tant qu’elle a admis que l’existence de longs rapports de service avec la caisse-maladie impliquée dans le procès, mais il y a plus de dix ans environ au moment de la désignation du juge arbitre en cause, ne suffisait pas à justifier à elle seule la suspicion de partialité de celui-ci. Vu le nombre d’années écoulées depuis la fin des rapports de travail entre B.__ et la caisse-maladie, le fait que le prénommé avait travaillé longtemps pour l’intimée ne constitue pas un motif de récusation (comp. arrêt K 127/01 du 26 juin 2003 consid. 3.2.1, où une durée de cinq ans et plus depuis la fin des rapports de travail examinés a été jugée suffisante pour nier le devoir de récusation).

Consid. 4.2.2
Ensuite, B.__ est, dans le cadre de ses fonctions au sein de santésuisse, amené à entretenir des contacts réguliers avec des responsables de formation, intervenants et experts actifs au sein du groupe de la caisse-maladie, dont fait partie l’intimée. On constate par ailleurs que le prénommé n’est pas un organe ou un membre exerçant une fonction dirigeante de santésuisse (dont le but est de préserver et de représenter, en tant qu’association faîtière représentative, les intérêts communs de ses membres ainsi que de s’investir pour la sauvegarde d’une assurance-maladie libérale).

Selon les indications qu’il a données au Tribunal arbitral, B.__ travaille pour le département formation de santésuisse, ce qui le met en contact avec tous les assureurs-maladie soutenant et encourageant la formation de leurs collaboratrices et collaborateurs, « c’est à dire pratiquement tous en Suisse romande ». Or si l’activité du prénommé, qui n’implique pas de fonction au sein de l’organe dirigeant de santésuisse, comprend forcément des contacts et des relations avec les assureurs-maladie faisant appel à santésuisse pour la formation de leurs collaboratrices et collaborateurs, elle n’entraîne pas une proximité qualifiée ou des liens particuliers avec le groupe de la caisse-maladie, puisqu’il s’agit avant tout de coordonner la formation des personnes concernées dans le domaine de l’assurance-invalidité, sans lien avec la stratégie du groupe ou de ses membres à l’égard des fournisseurs de prestations ou avec des dossiers concrets de ceux-ci, singulièrement de la caisse-maladie impliquée dans la présente procédure.

C’est en vain que le recourant soutient à ce sujet que « des liens de fidélité et de confiance particuliers subsistent nécessairement entre un ancien cadre et son ex-employeur pour lequel il a travaillé pendant 20 ans. Ce d’autant qu’en l’occurrence, ces liens sont entretenus par des contacts réguliers ». Ce faisant, il omet que les rapports de travail entre le juge arbitre et la caisse-maladie qui l’a choisi ont pris fin depuis près de dix ans au moment de la désignation et que l’activité exercée depuis lors par B.__ pour santésuisse n’implique pas de liens avec la caisse-maladie tels qu’ils créeraient une apparence de prévention de sa part.

Consid. 4.3
En conséquence de ce qui précède, la décision entreprise ne repose par sur une violation des garanties prévues par les art. 29 al. 1 et 30 Cst., ainsi que l’art. 6 par. 1 CEDH, en lien avec l’art. 89 al. 4 LAMal.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 9C_645/2024 consultable ici

 

8C_686/2024 (f) du 04.04.2025 – Causalité naturelle – Déchirure du ménisque / Avis divergent du médecin-conseil et du chirurgien orthopédique traitant

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_686/2024 (f) du 04.04.2025

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Déchirure du ménisque / 6 LAA – 36 LAA

Avis divergent du médecin-conseil et du chirurgien orthopédique traitant

 

Assurée, née en 1966 et exerçant comme consultante prévente, qui, le 03.04.2022, s’est tordu la cheville gauche au bas d’un escalier puis est tombée en avant sur les genoux, sur le carrelage.

Une IRM du genou droit réalisée le 12.04.2022 a révélé une fine bursite infra-patellaire superficielle et une déchirure horizontale oblique du ménisque interne. L’IRM du genou gauche du 11.05.2022 n’a mis en évidence aucune lésion traumatique. Le 19.09.2022, le chirurgien orthopédique traitant a pratiqué une arthroscopie du genou droit avec méniscectomie externe partielle, résection de synovite antérieure et antéro-interne puis suture du ménisque interne. Dans son rapport du 16.11.2022, le chirurgien orthopédique a attribué ces lésions à l’accident du 03.04.2022, mentionnant également un antécédent d’arthroscopie du genou gauche en 2010. Dans son avis du 23.12.2022, le médecin-conseil a estimé que l’assurée présentait une déchirure du ménisque dégénérative préexistante. Selon lui, l’assurée avait subi une contusion des genoux – qui n’avait pas provoqué la déchirure du ménisque – et le statu quo sine était atteint à six semaines de l’accident.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin au versement des prestations d’assurance avec effet au 15.05.2022, au motif que les troubles qui subsistaient au genou droit n’étaient plus dus à l’accident du 03.04.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2023 170 – consultable ici)

Par jugement du 16.10.2024, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1
Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose notamment, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle et adéquate. Dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, en cas d’atteinte à la santé physique, la causalité adéquate se recoupe largement avec la causalité naturelle, de sorte qu’elle ne joue pratiquement pas de rôle (ATF 123 V 102; 122 V 417; 118 V 286 consid. 3a; 117 V 359 consid. 5d/bb). Un rapport de causalité naturelle doit être admis lorsque le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière. Il n’est pas nécessaire que cet événement soit la cause unique, prépondérante ou immédiate de l’atteinte à la santé. Il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il se présente comme la condition sine qua non de cette atteinte (ATF 148 V 356 consid. 3; 148 V 138 consid. 5.1.1; 142 V 435 consid. 1).

Consid. 3.1.2
En vertu de l’art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident. Lorsqu’un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l’assurance-accidents d’allouer des prestations cesse si l’accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l’accident. Tel est le cas lorsque l’état de santé de l’intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l’accident par suite d’un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n’est pas rétabli, l’assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l’état maladif préexistant, dans la mesure où il s’est manifesté à l’occasion de l’accident ou a été aggravé par ce dernier (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les arrêts cités). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (ATF 146 V 51 consid. 5.1 in fine; arrêt 8C_675/2023 du 22 mai 2024 consid. 3).

Consid. 3.1.3
Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis motivé d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en oeuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.5 et 4.6).

Consid. 3.2
Dans un arrêt publié aux ATF 146 V 51, le Tribunal fédéral a examiné les répercussions de la modification législative relative aux lésions corporelles assimilées à un accident (art. 6 al. 2 LAA dans sa teneur en vigueur dès le 1 er janvier 2017). Il s’est notamment penché sur la question de savoir quelle disposition était désormais applicable lorsque l’assureur-accidents avait admis l’existence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA et que l’assuré souffrait d’une lésion corporelle comprise dans la liste de l’art. 6 al. 2 LAA. Le Tribunal fédéral a admis que dans l’hypothèse où une telle lésion est imputable à un accident, l’assureur-accidents doit prendre en charge les suites de la lésion en cause sur la base de l’art. 6 al. 1 LAA, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il soit établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’accident ne constitue plus, même très partiellement, la cause naturelle et adéquate de la lésion. En revanche, en l’absence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA, l’assureur-accidents est en principe tenu de verser des prestations pour une lésion corporelle comprise dans la liste de l’art. 6 al. 2 LAA, à moins qu’il ne prouve que cette lésion est due principalement à l’usure ou à une maladie. Cela étant, lorsque l’assureur-accidents fournit la preuve qu’un accident n’est pas une cause, même très partielle, d’une lésion corporelle de la liste et qu’il n’existe par ailleurs pas d’indice qu’un événement survenu après l’accident pourrait constituer une cause possible de cette lésion, la preuve que celle-ci est due de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie est par là-même apportée (ATF 146 V 51 consid. 9.1 et 9.2).

Consid. 4.1 [résumé]
La cour cantonale a qualifié l’événement du 03.04.2022 d’accident au sens de l’art. 4 LPGA, point non contesté par les parties, et a admis le lien de causalité entre les contusions aux genoux et cet accident. Elle s’est ensuite penchée sur l’origine traumatique de la déchirure méniscale droite, en s’appuyant sur l’IRM du 12.04.2022, un test de Lachman positif qui révélait, selon les juges cantonaux, une probable rupture (partielle) du ligament croisé antérieur (LCA) confirmée lors de l’arthroscopie du 19.09.2022.

Les juges cantonaux ont retenu que les images IRM et les explications du chirurgien traitant démontraient l’origine accidentelle des lésions (déchirures du ménisque interne/externe et du LCA), malgré des signes dégénératifs chroniques. Ils ont souligné que le chirurgien traitant avait rapidement procédé à une méniscectomie avec suture plutôt que d’avoir recours à un traitement conservateur.

Le tribunal cantonal a encore souligné que le fait que le médecin-conseil mettait en avant des signes dégénératifs préexistants ne suffisait pas à expliquer la déchirure extrêmement complexe de la corne antérieure du ménisque interne et la déchirure partielle du LCA, surtout chez une assurée encore jeune. Sur la base de son évaluation, la cour cantonale a considéré que la déchirure du ménisque du genou droit était due à l’accident. Elle est parvenue à la conclusion que l’assureur-accidents était tenu de verser des prestations au-delà du délai de six semaines.

Consid. 4.3.1
Pour le chirurgien orthopédique traitant – dont les explications sont convaincantes selon la juridiction cantonale -, le traumatisme du 03.04.2022 est à l’origine de la déchirure du ménisque interne du genou droit. Ce spécialiste relève qu’à l’IRM du 12.04.2022 le radiologue n’a, à aucun moment, décrit une lésion dégénérative de ce genou mais uniquement une déchirure méniscale. L’assurée présente une déchirure grave du ménisque interne avec un arrachement de la corne antérieure secondaire à l’accident, sans évidence d’un état antérieur. De surcroît, selon lui, on ne suture pas les ménisques dans le cadre de lésions dégénératives. Le chirurgien énonce également suivre l’assurée depuis octobre 2009, laquelle ne s’est jamais plainte d’un quelconque problème de son genou droit.

Consid. 4.3.2
Selon le médecin-conseil, l’assurée présentait déjà une lésion méniscale du genou droit avant l’événement du 03.04.2022. En effet, l’IRM réalisée le 12.04.2022 mettait en évidence une lésion linéaire, horizontale oblique, soit une lésion dégénérative, qui évolue sur deux à quatre ans. Selon le rapport du radiologue, la contusion du genou n’avait provoqué qu’une fine bursite prépatellaire, sans épanchement, sans lésion ligamentaire ni oedème osseux. Une contusion ne provoquait pas de déchirure méniscale ni de chondropathie. Les images de l’arthroscopie du 19.09.2022 confirmaient également l’état dégénératif du ménisque interne et la chondropathie. Le médecin-conseil a maintenu que la bursite due à la contusion guérissait habituellement en six semaines.

Consid. 4.3.3 [résumé]
En l’état, les opinions du médecin-conseil et du chirurgien traitant divergent quant à l’interprétation des imageries et l’existence d’un état dégénératif préexistant. Le premier fonde son analyse sur sa propre lecture commentée de l’IRM du 12.04.2022 et de l’arthroscopie du 19.09.2022, tandis que le second s’en tient strictement au rapport radiologique initial, soulignant que ni lui ni le médecin-conseil ne sont radiologues.

Le désaccord porte également sur le mécanisme lésionnel : le médecin-conseil exclut qu’un choc direct puisse provoquer une déchirure méniscale, alors que le chirurgien affirme son origine nécessairement traumatique. Ce dernier a toutefois nuancé sa position, en procédure cantonale, en reconnaissant l’incertitude sur le mécanisme exact (choc direct ou rotation) lors de la chute.

Cela étant, la juridiction cantonale ne pouvait, sans autre mesure d’instruction, interpréter elle-même les clichés de l’IRM du 12.04.2022 pour en déduire les signes dégénératifs et les signes traumatiques. Elle ne pouvait par ailleurs se fier sans autre à l’avis du chirurgien orthopédique traitant, dès lors qu’il fait état de considérations juridiques en énonçant que lorsqu’il y a une chute et une déchirure du ménisque, il s’agit toujours d’un accident selon l’art. 6 LAA. Enfin, on rappellera que la manifestation de symptômes douloureux après la survenance d’un accident ne suffit pas, à elle seule, à établir un rapport de causalité naturelle avec l’accident (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc »; ATF 142 V 325 consid. 2.3.2.2; 119 V 335 consid. 2b/bb).

Consid. 4.3.4
Les avis contradictoires – et impossibles à départager sans connaissances médicales spécialisées – du médecin-conseil et du chirurgien orthopédique traitant ne permettent pas de se prononcer quant à l’existence d’un lien de causalité naturelle entre la déchirure méniscale du genou droit et l’accident du 03.04.2022. La cause doit être examinée plus en détail, de sorte qu’elle sera renvoyée à l’assurance-accidents pour mise en œuvre d’une expertise auprès d’un spécialiste en chirurgie orthopédique, qui s’adjoindra s’il l’estime nécessaire l’aide d’un spécialiste en radiologie. Il appartiendra à l’expert de déterminer si l’événement du 03.04.2022 est une cause, même très partielle, de la déchirure du ménisque interne du genou droit, au degré de la vraisemblance prépondérante, ou si cette atteinte est exclusivement dégénérative. L’assurance-accidents rendra ensuite une nouvelle décision sur le droit aux prestations de l’assurée au-delà du 15.05.2022. En ce sens, le recours se révèle bien fondé.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_686/2024 consultable ici

 

8C_461/2024 (f) du 26.03.2025 – Gain assuré pour l’indemnité journalière LAA / Salaire déterminant pour les associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives / Associé d’une Sàrl après l’accident

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_461/2024 (f) du 26.03.2025

 

Consultable ici

 

Gain assuré pour l’indemnité journalière LAA / 15 LAA

Salaire déterminant pour les associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives / 22 al. 2 let. c OLAA

Associé d’une Sàrl après l’accident – Vraisemblance de la qualité d’associé de la Sàrl au moment de l’accident

 

L’assuré, né en 1972, occupait un emploi à 90% comme gérant d’immeubles chez B.__. À la suite d’un accident de ski survenu le 13.02.2022 entraînant une tétraplégie complète, il a demandé le 19.05.2022 à son assurance-accidents une majoration de son gain assuré. Cette demande concernait un revenu hypothétique de 22’425 fr. 60 lié à son activité parallèle depuis l’été 2020 au sein de la société C.__ Sàrl (exploitant un bar à vin dont les associés inscrits au registre du commerce étaient alors D.__ et E.__), bien qu’aucun salaire n’ait été effectivement perçu,

L’assuré a invoqué l’art. 22 al. 2 let. c OLAA, soutenant avoir travaillé environ 80 heures mensuelles comme co-gérant. Il a produit une attestation de D.__ (10.05.2022) mentionnant un versement de 40’000 fr. en juillet 2020 pour l’acquisition de parts sociales, ainsi qu’une déclaration de E.__ (11.05.2022) confirmant l’assuré avait régulièrement travaillé en qualité de co-gérant de la société C.__ Sàrl à hauteur d’environ 80 heures par mois depuis le mois de juillet 2020.

L’assurance-accidents a rejeté sa demande le 10.06.2022, soulignant que l’assuré n’était ni inscrit au registre du commerce comme associé-gérant, ni déclaré à l’AVS pour cette activité, et absent de la police d’assurance de C.__ Sàrl. Malgré l’argumentation de l’assuré le 15.06.2022 sur son acquisition de parts sociales et le rapport particulier avec l’employeur, les décisions du 09.08.2022 et 21.10.2022 ont confirmé le refus de majoration du gain assuré.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 130/22 – 75/2024 – consultable ici)

Par jugement du 02.07.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 15 LAA, les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré (al. 1). Est réputé tel, pour le calcul des indemnités journalières, le dernier salaire que l’assuré a reçu avant l’accident (al. 2). L’alinéa 3 lettre c de cette disposition confère au Conseil fédéral la compétence d’édicter des prescriptions sur le gain assuré pris en considération lorsque l’assuré ne gagne pas, ou pas encore, le salaire usuel dans sa profession.

Selon l’art. 22 al. 2 OLAA, est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS, sous réserve, en particulier, des membres de la famille de l’employeur travaillant dans l’entreprise, des associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives, pour lesquels il est au moins tenu compte du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux (art. 22 al. 2 let. c OLAA). Le but de cette réglementation est d’éviter que les assurés qui se trouvent dans un rapport particulier avec leur employeur et, de ce fait, perçoivent un gain inférieur à celui qu’ils pourraient réaliser normalement sur le marché du travail, ne soient désavantagés lorsqu’ils ont droit à des prestations de l’assurance-accidents (arrêt 8C_14/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3).

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a refusé de reconnaître l’existence d’une activité régulière du recourant au sein de C.__ Sàrl avant l’accident du 13.02.2022, faute de preuves atteignant le degré de vraisemblance prépondérante. Elle a relevé l’absence totale de cotisations AVS déclarées pour cette société sur le compte individuel de l’assuré, le fait que ce dernier n’avait jamais été déclaré par le biais de la police d’assurance-accidents de cette société et qu’aucune annonce n’ayant au demeurant été faite à la caisse supplétive.

Aucun document probant (emploi du temps, correspondance, etc.) n’a été produit pour étayer les 80 heures mensuelles alléguées. L’assuré n’a notamment pas fourni les enregistrements horaires requis par l’art. 21 CCNT pour les hôtels/restaurants, convention qu’il invoquait paradoxalement pour calculer son salaire hypothétique. Les juges cantonaux ont précisé que cette disposition ne prévoit aucune exception pour les cadres.

Les difficultés financières liées à la pandémie avancées pour justifier l’absence de rémunération n’ont été corroborées par aucun document comptable. La qualification de stagiaire a été écartée dès lors qu’il n’expliquait pas quel métier ou titre il visait, et en l’absence de patente conforme à l’art. 8 de la loi cantonale sur les débits de boissons. En outre, la CCNT prévoyait une rémunération obligatoire des stagiaires, laquelle faisait défaut chez l’assuré.

L’assuré ne disposait par ailleurs pas de la qualité d’associé-gérant à la date de l’accident. La cession des parts sociales n’est intervenue que le 01.06.2023 (avec approbation de l’assemblée à cette date), et l’inscription au registre du commerce seulement le 13.12.2023. Le tribunal cantonal a souligné que la cession requérait un écrit et une validation collective, conditions non remplies avant l’accident. Enfin, aucun lien familial avec les associés n’a été établi.

En définitive, les juges cantonaux ont considéré que les éléments versés au dossier ne permettaient pas d’établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré était gérant, associé ou employé de C.__ Sàrl au moment de l’accident, ni qu’un lien familial ne fût établi avec l’un des gérants ou associés de cette société.

Consid. 5.2.1 [résumé]
L’assuré invoque une violation de son droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.) et du principe inquisitoire, reprochant à la juridiction cantonale d’avoir mené une instruction incomplète sur son activité présumée au sein de C.__ Sàrl. Il estime que la cour cantonale aurait dû solliciter des preuves complémentaires si elle doutait de cette activité, d’autant que l’assureur n’avait pas contesté son existence lors de la décision sur opposition.

Consid. 5.2.2
Le droit d’être entendu découlant de l’art. 29 al. 2 Cst. comprend notamment le droit pour le justiciable de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Selon la maxime inquisitoire, il appartient au juge qui dirige la procédure de dire quels sont les faits pertinents et d’administrer les preuves propres à les établir. Il peut ainsi renoncer à procéder à des mesures d’instruction lorsqu’il parvient à la conclusion qu’elles ne sont pas décisives pour la solution du litige ou qu’elles ne pourraient l’amener à modifier son opinion. Ce refus d’instruire ne viole le droit d’être entendu des parties que si l’appréciation anticipée de la pertinence du moyen de preuve offert à laquelle le juge a ainsi procédé est entachée d’arbitraire (cf. sur cette notion, ATF 148 II 465 consid. 8.1; 148 I 145 consid. 6.1). Le principe de la maxime inquisitoire ne lui interdit donc pas de procéder à une appréciation anticipée des preuves déjà recueillies pour évaluer la nécessité d’en administrer d’autres (ATF 130 III 734 consid. 2.2.3; arrêt 1P.145/1999 du 5 octobre 1999 consid. 3a).

Consid. 5.2.3 [résumé]
La cour cantonale a justifié son refus d’auditionner E.__ en estimant disposer d’éléments suffisants pour trancher. Elle a relevé que ce témoin s’était déjà exprimé par écrit et que son audition n’aurait pas modifié l’appréciation des faits, déjà dûment établi par les pièces du dossier. Les juges cantonaux ont ainsi procédé à une appréciation anticipée des preuves.

Pour ce qui a trait à l’instruction de la cause, la juge instructrice a requis de l’assuré un certain nombre de documents destinés à étayer ses allégations relatives à son activité pour le compte de la société C.__ Sàrl. On ne voit pas à quelle mesure d’instruction supplémentaire aurait dû ou pu procéder la cour cantonale. Les faits déterminants pour l’issue du litige ont été établis. Que la juridiction cantonale n’ait finalement pas suivi la version de l’assuré ne dénote pas un défaut d’instruction. On ne discerne ainsi aucune violation du droit d’être entendu ou de la maxime inquisitoire. Le grief est rejeté.

Consid. 6.1 [résumé]
L’assuré conteste la définition restrictive de la qualité d’associé retenue par la cour cantonale, qui conditionne celle-ci à l’inscription au registre du commerce. Il invoque l’art. 22 al. 2 let. c OLAA, soutenant que sa participation économique effective à la société C.__ Sàrl depuis juillet 2020. Par ailleurs, l’exigence de l’inscription au registre du commerce ne ressort pas de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA.

Il souligne avoir notamment agi comme co-gérant et endossé le risque économique de l’entreprise. Il était donc bel et bien dans une relation spéciale avec son employeur, raison pour laquelle il avait accepté de travailler sans percevoir de salaire en raison des mauvais résultats économiques de la société.

Il relève aussi une inégalité de traitement inadmissible entre les associés déjà inscrits au registre du commerce et ceux qui ne le sont pas encore, alors qu’ils seraient matériellement dans la même situation (prise de décisions, gestion de la société, fardeau du risque économique).

Consid. 6.2
On ne saurait suivre l’assuré lorsqu’il affirme qu’il devait être reconnu comme associé de la société C.__ Sàrl depuis juillet 2020. Il ressort en effet des constatations de la juridiction cantonale que la cession des parts sociales de la société C.__ Sàrl achetées par l’assuré à D.__ en 2020 n’a eu lieu que le 01.06.2023, selon le contrat de cession de parts sociales du même jour. Une telle cession requiert en outre l’approbation de l’assemblée des associés (art. 786 CO), laquelle n’a été donnée que lors de l’assemblée du 01.06.2023, soit postérieurement à la date de l’accident. La cession des parts sociales n’a donc pas pu déployer ses effets avant cette date, étant par ailleurs observé que l’assuré n’a été inscrit au registre du commerce que six mois plus tard, le 13.12.2023. Vu ce qui précède, c’est à juste titre que la cour cantonale a retenu que l’assuré n’était pas un associé de la société C.__ Sàrl au moment de l’accident, de sorte que l’art. 22 al. 2 let. c OLAA ne lui était pas applicable pour ce motif déjà.

On relèvera encore que tel qu’il est formulé par l’assuré, le grief tiré d’une violation du principe de l’égalité de traitement ne satisfait manifestement pas aux exigences accrues de motivation imposées par l’art. 106 al. 2 LTF en matière de griefs constitutionnels (ATF 146 I 62 consid. 3; 143 IV 500 consid. 1.1; 142 III 364 consid. 2.4). En effet, c’est justement parce qu’il n’avait pas encore acquis la qualité d’associé conformément aux art. 785 ss CO que l’assuré ne pouvait pas être considéré comme tel au sens de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA, indépendamment de son inscription ou non au registre du commerce. L’assuré admet qu’il n’a perçu aucun salaire soumis à cotisation et n’a produit aucune pièce propre à démontrer qu’un tel salaire aurait au moins été convenu. Un salaire ne peut donc pas être pris en considération dans le gain assuré – l’art. 22 al. 2 let. c OLAA n’étant pas applicable – indépendamment du point de savoir si l’assuré a ou non exercé une activité pour C.__ Sàrl. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les griefs de l’assuré relatifs aux constatations de faits du jugement cantonal sur ce point.

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_461/2024 consultable ici

 

8C_347/2024 (f) du 07.01.2025 – Indemnités journalières LAA et rente AI – Surindemnisation – Frais d’avocat nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation – 69 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_347/2024 (f) du 07.01.2025

 

Consultable ici

 

Indemnités journalières LAA et rente AI – Surindemnisation / 68 LPGA – 69 LPGA

Frais supplémentaires – Frais d’avocat nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation / 69 al. 2 LPGA

 

Assuré, né en 1973, a subi des accidents de la circulation routière en janvier 2007 et en février 2014, qui ont entraîné des lésions au fémur droit et à la hanche droite. L’assurance-accidents a pris en charge ces deux accidents et a versé des indemnités journalières du 24.05.2007 au 17.09.2007, puis du 17.09.2014 au 31.05.2017. L’assuré a par ailleurs été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité de l’assurance-invalidité du 01.07.2015 au 31.05.2017. Le 22.05.2017, il est décédé, laissant pour héritiers légaux son épouse B.__ ainsi que leurs deux enfants mineurs.

Statuant le 27.08.2020, l’assurance-accidents a reconnu une surindemnisation de 42’571 fr. 70 en faveur de l’assuré pour la période du 17.09.2014 au 31.05.2017, ce montant devant être compensé avec les arrérages de l’assurance-invalidité. Par décision sur opposition du 18.08.2022, l’assurance-accidents a partiellement admis l’opposition de B.__ et fixé le montant de la surindemnisation à 36’287 fr. 70.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 107/22 – 45/2024 – consultable ici)

Par jugement du 07.05.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que le montant de la surindemnisation a été fixé à 33’025 fr. 75.

 

TF

Consid. 3.2.1
L’art. 69 al. 1 LPGA pose le principe de la concordance des droits (« Kongruenzprinzip »). Selon ce principe, qui a une portée générale dans l’assurance sociale (ATF 142 V 75 consid. 6.3.1), les prestations sociales concomitantes concordent lorsque les assureurs sociaux sont tenus à verser des prestations de même nature et but, pour la même période, pour la même personne et pour le même événement dommageable (arrêt 8C_748/2023 du 6 juin 2024 consid. 4.1.2 et les références citées).

Consid. 3.2.2
Les frais supplémentaires au sens de l’art. 69 al. 2 LPGA sont des frais qui ne peuvent pas être couverts par des prestations sociales. En font notamment partie les frais d’avocat engagés par un assuré, pour autant qu’ils aient été occasionnés par le cas d’assurance. Concrètement, il s’agit des frais d’avocat nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation. Les frais visant à obtenir des prestations d’une assurance responsabilité civile, par exemple, en sont exclus. En outre, seules les dépenses nécessaires doivent être prises en compte, de sorte que les frais d’avocat dépassant le cadre habituel ne peuvent pas être pris en considération; cela vaut aussi bien pour les frais avant le procès que pour les frais causés par une procédure judiciaire, ces derniers pouvant être pris en compte uniquement dans la mesure où ils n’ont pas été couverts par une indemnité de partie (ATF 139 V 108 consid. 5.7 et 6).

Consid. 3.2.3
L’art. 69 al. 2 LPGA fixe une limite de surindemnisation, laquelle est augmentée en tenant compte de certains postes de dommage et de frais non assurés. Ces postes n’étant pas assurés, ils ne sont pas, par la force des choses, congruents avec les prestations d’assurances sociales prises en compte dans le calcul de la surindemnisation. L’art. 69 al. 2 LPGA a uniquement pour objet la limite de surindemnisation et n’a aucun effet sur le point de savoir quelles prestations sont, selon le principe de la concordance des droits, en concours au sens de l’art. 69 al. 1 LPGA. En d’autres termes, l’extension de la limite de surindemnisation à des éléments non assurés ne remet pas en cause le principe de la concordance des droits (arrêt 9C_480/2022 du 29 août 2024, destiné à la publication, consid. 8.3.2).

Consid. 4 [résumé]
Les juges cantonaux ont confirmé que seuls les frais d’avocats nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales influant sur le calcul de la surindemnisation étaient pris en compte. Les listes de frais liées à des procédures pénales et privées indépendantes ont été écartées.

Concernant la liste n° 1637 (« Procès – hernies inguinales »), les opérations jusqu’au 23.09.2015 avaient déjà été indemnisées dans le cadre de l’assistance judiciaire à hauteur de 2’396 fr. 50. Le solde s’élevait à 340 fr. 20, TVA comprise. Ce montant devait être inclus dans le calcul de surindemnisation. Concernant la liste n° 1094 (« Litige LAA et complémentaire LAA »), il y avait lieu de tenir compte uniquement des opérations qui, au degré de la vraisemblance prépondérante, pouvaient être rattachées à la procédure menée par l’assurance-accidents, soit un montant de 1’235 fr. 56.

Concernant les frais liés à l’office AI, le temps facturé (8 heures et 20 minutes) était excessif et devait être réduit à deux heures, représentant un montant de 646 fr. 20. Seules étaient admises les démarches effectuées auprès de l’OAI ayant un impact direct sur la procédure d’assurance-accidents et sur le calcul de surindemnisation. Enfin, pour la période du 9 juin 2020 au 22 août 2022, les frais admissibles (création de listes, analyses, entretiens téléphoniques et correspondances avec l’assurance-accidents, opposition et examen de la décision sur opposition) s’élevaient à 1’040 fr. Au total, les frais d’avocat retenus étaient ainsi de 3’261 fr. 95, ramenant la surindemnisation à 33’025 fr. 75 (36’287 fr. 70 moins 3’261 fr. 95 [arrondis]).

Le tribunal cantonal a précisé que les frais postérieurs au décès de l’assuré (mai 2017) pouvaient être considérés s’ils concernaient la procédure d’assurance-accidents. Enfin, l’aide apportée par l’épouse avant le décès n’a pas été retenue, faute de perte concrète de revenus.

Consid. 5.1
L’assurance-accidents soutient que l’activité du conseil de l’épouse de l’assuré aurait visé à obtenir des prestations correspondant à la période de référence allant du 17.09.2014 au 31.05.2017, de sorte que les démarches effectuées en dehors de ce cadre temporel ne devraient pas faire partie des frais supplémentaires au sens de l’art. 69 al. 2 LPGA. Il serait contraire à cette disposition et au principe de la concordance des droits de faire abstraction de cette période de référence, en considérant que les frais d’avocat antérieurs et postérieurs à celle-ci et au décès de l’assuré peuvent être pris en compte dans le calcul de surindemnisation.

Consid. 5.2
Cette critique est mal fondée. Faute d’être couverts par des prestations sociales, les frais supplémentaires selon l’art. 69 al. 2 LPGA ne peuvent pas, par définition, être soumis au principe de la concordance des droits ancré à l’art. 69 al. 1 LPGA (cf. consid. 3.2.2 in initio et 3.2.3 supra). Dans ces conditions, on ne saurait limiter les frais d’avocat inclus dans le calcul de surindemnisation à ceux relatifs au travail accompli durant la période correspondant à l’octroi des prestations d’assurances. Seul est décisif le point de savoir si les frais d’avocat – qu’ils soient antérieurs, contemporains ou postérieurs à la période d’indemnisation – étaient ou non nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de la surindemnisation (cf. consid. 3.2.2 supra).

Consid. 6.1 [résumé]
L’assurance-accidents, invoquant une violation de l’art. 69 al. 2 LPGA ainsi qu’une appréciation arbitraire des preuves, reproche aux juges cantonaux d’avoir inclus dans le calcul de surindemnisation des frais d’avocat non nécessaires à l’obtention des prestations sociales déterminantes.

Consid. 6.2.1
Les frais d’avocat portant sur la période entre le 9 juin 2020 et le 22 août 2022 (« création listes opérations et courrier [assureur LAA] », « analyse calcul surindemnisation [assureur LAA] et entretien tél. [assureur LAA] », « opposition [assureur LAA] », « courrier [assureur LAA] » et « examen décision sur opposition et dossier, détermination cliente »), totalisant un montant de 1’040 fr., se rapportent à la procédure de surindemnisation. Or cette procédure ne visait pas en tant que telle à obtenir les prestations d’assurances à prendre en compte dans le calcul de surindemnisation, à savoir les indemnités journalières de l’assurance-accidents et la rente d’invalidité de l’assurance-invalidité. Les frais d’avocat qui y sont liés sortent du cadre défini par la jurisprudence, selon laquelle les frais d’avocat inclus dans le calcul de surindemnisation se limitent aux dépenses nécessaires à l’obtention des prestations d’assurances déterminantes pour le calcul de surindemnisation (cf. consid. 3.2.2 supra). C’est donc en violation de l’art. 69 al. 2 LPGA que le tribunal cantonal a comptabilisé dans ce calcul le montant de 1’040 fr. relatif aux frais d’avocat engagés dans le cadre de la procédure de surindemnisation. Bien fondé, le grief de l’assurance-accidents portant sur ce montant doit être admis.

Consid. 6.2.2
S’agissant de la liste n° 1094 (« Litige [assureur LAA] et [complémentaire LAA] »), la juridiction cantonale n’a pris en considération que les opérations en lien avec la procédure auprès de l’assurance-accidents. Celle-ci ne conteste pas que les opérations retenues à ce titre par les juges cantonaux, pour un montant total de 1’235 fr. 56, portent bien sur cette procédure. Elle n’expose pas – et on ne voit pas – en quoi ces opérations n’auraient pas été nécessaires à l’obtention des indemnités journalières. Contrairement à ce qu’elle semble penser, le fait que les frais d’avocat aient été engagés avant un procès ou en vue d’un procès ne constitue pas en soi une raison de les exclure du calcul de surindemnisation; le point décisif est de savoir si les démarches de l’avocat dépassent le cadre habituel (cf. consid. 3.2.2 supra), ce que l’assurance-accidents ne soutient pas. L’instance précédente a donc inclus à bon droit le montant de 1’235 fr. 56 dans les frais supplémentaires au sens de l’art. 69 al. 2 LPGA.

Consid. 6.2.3
Il en va de même du montant de 340 fr. 20 correspondant à la liste n° 1637 (« Procès – hernies inguinales »). L’assurance-accidents se limite à indiquer que « rien ne permet de penser que les opérations effectuées […] correspondaient effectivement à des démarches visant à obtenir les prestations d’assurances sociales déterminantes pour le calcul de surindemnisation », sans expliquer précisément en quoi les opérations effectuées entre le 20 juin 2016 et le 19 décembre 2017 auraient été étrangères à un tel but ou en quoi l’avocat de l’épouse de l’assuré aurait exécuté son mandat en excédant le cadre habituel.

Consid. 6.2.4
Enfin, le raisonnement des juges cantonaux, qui les a amenés à retenir un montant de 646 fr. 20 en lien avec les opérations auprès de l’OAI, ressort clairement de l’arrêt entrepris. Ils ont en effet expliqué pour quelle raison le temps indiqué par le conseil de l’épouse de l’assuré devait être ramené de 8 heures et 20 minutes à deux heures, en précisant que le montant de 646 fr. 20 correspondait à deux heures au tarif horaire de 300 fr., à quoi s’ajoutait la TVA. Le grief tiré d’une violation de l’obligation de motiver (sur cette notion, cf. arrêt 8C_388/2023 du 10 avril 2024 consid. 7.2 et les arrêts cités) s’avère mal fondé. Pour le reste, l’assurance-accidents n’expose pas en quoi les opérations comptabilisées par la cour cantonale n’auraient pas été nécessaires à l’obtention de prestations déterminantes dans le calcul de surindemnisation.

Consid. 6.3
Au vu de ce qui précède, le montant de la surindemnisation fixé par les premiers juges doit être augmenté de 1’040 fr., passant ainsi de 33’025 fr. 75 à 34’065 fr. 75. Le recours doit donc être partiellement admis et l’arrêt cantonal ainsi que la décision sur opposition du 18 août 2022 réformés en ce sens que le montant de la surindemnisation est fixé à 34’065 fr. 75. Le recours est rejeté pour le surplus.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_347/2024 consultable ici

 

8C_628/2024 (f) du 25.03.2025 – Capacité de travail exigible – Valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_628/2024 (f) du 25.03.2025

 

Consultable ici

 

Capacité de travail exigible – Valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire / 16 LPGA – 44 LPGA

 

Assurée, née en 1974 et titulaire d’une formation d’employée de commerce, a exercé en tant que comptable indépendante sous une raison individuelle créée en septembre 2013, jusqu’à la faillite de cette dernière en février 2020. En janvier 2020, elle a sollicité des prestations auprès de l’office AI, invoquant un trouble bipolaire de type 2 et un syndrome douloureux somatoforme persistant, diagnostiqués depuis 2002.

L’office AI a ordonné plusieurs mesures d’instruction, incluant la collecte d’avis médicaux et une expertise pluridisciplinaire (avec volets en médecine interne, rhumatologie, psychiatrie et bilan neuropsychologique). Dans leur rapport du 13 mai 2022, les experts ont conclu à une capacité de travail, définie par le volet psychiatrique, de 0% entre décembre 2019 et février 2022 et de 50% dès mars 2022, dans toute activité. Une enquête économique complémentaire a été réalisée pour évaluer l’activité indépendante.

Se fondant sur l’avis de son SMR, aux termes duquel l’assurée présentait une capacité de travail similaire dans toute activité, y compris dans l’activité habituelle, l’office AI a admis que le taux d’invalidité se confondait avec celui de l’incapacité de travail. Par décision du 26.07.2023, procédant à une comparaison en pour-cent, l’office AI a reconnu à l’assuré le droit à une rente entière d’invalidité à partir du 01.07.2020 puis à une demi-rente d’invalidité dès le 01.03.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/737/2024 – consultable ici)

Par jugement du 27.09.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal et maintien du droit à une rente entière d’invalidité dès le 01.03.2022.

 

TF

Consid. 4 [résumé]
La cour cantonale a mis en doute la valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire, soulignant que l’évaluation d’une capacité de travail durable de 50% dès fin février 2022 paraissait contredite par les données médicales. Bien que l’état psychique de l’assurée se soit partiellement amélioré après ses hospitalisations en 2021-2022, les scores de dépression (BDI-II : 29) et d’anxiété (échelle de Hamilton : 23) indiquaient toujours une pathologie sévère. La conclusion de l’expert, selon laquelle l’assurée avait recouvré une capacité de travail durable de 50% dès la fin de sa dernière hospitalisation ne convainquait pas, dès lors que cet expert faisait état, de décembre 2019 à février 2022, d’une évolution trop chaotique et de périodes d’amélioration trop courtes ou trop fluctuantes pour attester d’une amélioration pérenne. De plus, l’anamnèse dressée par l’expert psychiatre indiquait des difficultés dans le classement des archives des anciens clients de l’assurée, difficultés qui avaient également été relevées lors de l’enquête économique effectuée en août 2022, soit près de cinq mois plus tard. La juridiction cantonale a encore souligné que la psychiatre traitante avait attesté d’une incapacité totale de travail de l’assurée depuis qu’elle la suivait (octobre 2022).

Sur le plan somatique, le constat du rhumatologue – qui excluait tout impact incapacitant des diagnostics de fibromyalgie, syndrome lombo-vertébral chronique ou obésité – a été jugé insuffisamment motivé. La cour cantonale a notamment relevé l’absence d’examen concret des répercussions fonctionnelles de ces pathologies et l’omission d’analyser spécifiquement la fibromyalgie conformément à la jurisprudence, ni lors de l’évaluation consensuelle.

Cela étant, la cour cantonale a considéré qu’il n’était pas indispensable de compléter l’instruction. S’appuyant sur les limitations fonctionnelles établies (difficultés à mobiliser ses ressources pendant un long moment, mauvaise gestion de son stress, fatigabilité, difficultés de concentration, d’attention et de mémoire de travail) et le bilan neuropsychologique révélant des atteintes cognitives moyennes, la cour cantonale a estimé que l’activité habituelle de comptable – exigeant de fortes capacités attentionnelles – n’était pas la mieux adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assurée et qu’une profession moins exigeante sur le plan intellectuel correspondait mieux aux aptitudes de cette dernière.

Elle a dès lors rejeté la méthode de comparaison en pour-cent utilisée par l’office AI au profit de la méthode ordinaire de comparaison des revenus, s’appuyant sur l’ESS 2020. Elle a évalué le revenu d’invalide à l’aide de la table TA1_tirage_skill_level, ligne « total », appliquant le niveau de compétences 1 puis le niveau 2, et tenant compte d’une capacité de travail de 50% « en partant de l’hypothèse que les conclusions des experts […] au sujet de la capacité de travail […] soient probantes ». Elle a conclu que dans toutes les hypothèses, le taux d’invalidité n’était pas inférieur à 70%.

Consid. 6.1
En l’occurrence, la cour cantonale a considéré que les experts ne motivaient pas de façon suffisante leurs conclusions sur la capacité de travail ; elle n’en a pas pour autant formellement nié le caractère probant.

Cela étant, elle a émis des doutes sur le caractère durable de l’amélioration de l’état de santé psychique de l’assurée et sur sa capacité à travailler à 50% dès le 01.03.2022. Ses doutes résultaient de ses constatations relatives à la situation médicale, où elle reprenait le contenu du volet psychiatrique de l’expertise du 13.05.2022, qu’elle comparait aux lettres de sortie des récentes hospitalisations de l’assurée (séjour au service de psychiatrie adulte de l’Hôpital B.__ du 30.11.2021 au 10.01.2022; séjour à la Clinique C.__ du 08.02.2022 au 28.02.2022), à ses déclarations lors de l’enquête économique effectuée en août 2022 et à l’avis de la psychiatre traitante qui la suivait depuis octobre 2022.

La juridiction cantonale a également mis en doute le fait que l’activité habituelle de comptable apparaisse comme réellement adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assurée. Pour autant, elle a renoncé à compléter l’instruction, laissant ouverte la question de la valeur probante de l’expertise, tout comme celle de la capacité de travail dont disposait l’assurée dès le 01.03.2022. Elle a ensuite retenu, nonobstant ses doutes, que l’assurée n’était en mesure que de reprendre à 50% une activité professionnelle adaptée à ses limitations fonctionnelles – l’activité exercée précédemment étant exclue dans ce contexte -, ce qui justifiait d’appliquer la méthode ordinaire de comparaison des revenus pour l’évaluation de l’invalidité.

En procédant ainsi, la juridiction cantonale a agi de manière contradictoire et arbitraire. Elle ne pouvait pas, sans nier la valeur probante de l’expertise ni compléter l’instruction par une nouvelle expertise, s’écarter des constatations des experts relatives à la capacité résiduelle de travail de l’assurée dans l’activité habituelle. On rappellera, comme le fait du reste valoir l’office AI recourant, que la capacité de travail dont dispose l’assurée dès le 01.03.2022 – dans son activité habituelle de comptable et dans une activité adaptée – a une influence sur l’évaluation du revenu d’invalide, et corollairement sur la quotité de la rente. Eu égard aux doutes – fondés – sur cet aspect, ainsi que sur la question de l’amélioration – durable ou non – de l’état de santé de l’assurée au 01.03.2022 (art. 88a al. 1 RAI), l’instruction médicale doit être complétée.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et la décision, la cause étant renvoyée à l’office AI pour mise en œuvre d’une nouvelle expertise et nouvelle décision.

 

Arrêt 8C_628/2024 consultable ici

 

8C_344/2024 (f) du 26.03.2025 – Valeur probante d’une expertise médicale – 44 LPGA / Divergences entre les appréciations d’observation professionnelle et médicales

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_344/2024 (f) du 26.03.2025

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’une expertise médicale / 44 LPGA

Divergences entre les appréciations d’observation professionnelle et médicales

 

Assuré né en 1996, titulaire d’un CFC d’informaticien, entame en 2017 une formation complémentaire de technicien en informatique interrompue le 20.12.2018 à la suite d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Le 06.02.2019, il dépose une demande AI.

L’office AI lui a octroyé successivement plusieurs mesures : observation professionnelle (02.06.2020 – 31.08.2020), entraînement progressif au travail en tant qu’informaticien (01.09.2020 – 30.11.2020), soutien à la recherche d’emploi (08.01.2021 – 02.05.2021) et placement à l’essai au sein de la société C.__ Sàrl avec coaching (03.05.2021 – 15.07.2021). La réintégration de l’assuré sur le marché du travail n’ayant pas réussi, l’Office AI met fin à l’aide au placement le 16.07.2021.

Par préavis du 27.04.2022, l’office AI a indiqué son intention de rejeter la demande de rente, estimant le degré d’invalidité inférieur à 30%. L’assuré a contesté cette décision les 02.05.2022 et 07.06.2022, tout en bénéficiant d’un mandat de soutien auprès de la fondation D.__ d’août 2022 à février 2023.

Le SMR a ordonné une expertise bidisciplinaire, confiée aux Dr E.__ (neurologue FMH) et Dr F.__ (psychiatre-psychothérapeute FMH), certifiés SIM. Leur rapport du 24.01.2023 a conduit l’office AI à allouer à l’assuré, par décision du 16.05.2023, un trois quarts de rente d’invalidité à partir du 01.12.2020.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 28.05.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Le tribunal peut accorder une pleine valeur probante à une expertise mise en œuvre dans le cadre d’une procédure administrative au sens de l’art. 44 LPGA, aussi longtemps qu’aucun indice concret ne permet de douter de son bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4; 125 V 351 consid. 3b/bb). En effet, au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d’expertise (ATF 124 I 170 consid. 4), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l’administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu’un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion distincte de celle exprimée par les experts. Il n’en va différemment que si ces médecins traitants font état d’éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l’expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l’expertise (arrêt 8C_816/2023 du 28 août 2024 consid. 3.2 et l’arrêt cité).

Consid. 2.4
Par ailleurs, il appartient avant tout aux médecins, et non aux spécialistes de l’orientation professionnelle, de se prononcer sur la capacité de travail d’un assuré souffrant d’une atteinte à la santé et sur les éventuelles limitations résultant de celles-ci (ATF 140 V 193 consid. 3.2; arrêts 9C_462/2022 du 31 mai 2023 consid. 4.2.2.1; 9C_441/2019 du 28 octobre 2019 consid. 3.1). Cependant, les organes d’observation professionnelle ont pour fonction de compléter les données médicales en examinant concrètement dans quelle mesure l’assuré est à même de mettre en valeur une capacité de travail et de gain sur le marché du travail (arrêt 9C_1035/2009 du 22 juin 2010 consid. 4.1, in SVR 2011 IV n° 6 p. 17). Au regard de la collaboration étroite, réciproque et complémentaire, selon la jurisprudence, entre les médecins et les organes d’observation professionnelle (cf. ATF 107 V 17 consid. 2b), on ne saurait toutefois dénier toute valeur aux renseignements d’ordre professionnel recueillis à l’occasion d’un stage pratique pour apprécier la capacité résiduelle de travail de l’assuré en cause. En effet, dans les cas où les appréciations (d’observation professionnelle et médicale) divergent sensiblement, il incombe à l’administration, respectivement au tribunal de confronter les deux évaluations et, au besoin, de requérir un complément d’instruction (arrêts 9C_68/2017 du 18 avril 2017 consid. 4.4.2; 9C_512/2013 du 16 janvier 2014 consid. 5.2.1 et les arrêts cités).

Consid. 3.1 [résumé]
Les juges cantonaux ont accordé une pleine force probante au rapport d’expertise bidisciplinaire du 24.01.2023, tant sur le plan formel que matériel. Ils ont retenu que l’assuré présentait une phobie sociale, un probable syndrome d’Asperger et des séquelles d’un AVC survenu quatre ans auparavant, sans déficit sensitivomoteur mais avec une fatigue persistante, une fatigabilité accrue et des troubles neuropsychologiques durables.

La juridiction cantonale a fait sienne l’appréciation consensuelle des experts, qui ont estimé la capacité de travail à 50% dans l’activité habituelle et entre 60% et 70% dans une activité adaptée, à savoir une activité évitant le stress et exercée dans un milieu de travail bienveillant, avec peu d’exposition au regard des autres et le moins possible de contacts avec la clientèle ou des collègues, ainsi que de changements de collègues, de clients ou encore de responsables.

Sur cette base, le taux d’invalidité a été fixé à 61% dès le 01.12.2021, ouvrant droit à un trois-quarts de rente d’invalidité.

Consid. 3.2 [résumé]
L’assuré reproche à la juridiction inférieure d’avoir fondé son jugement sur une expertise du 24.01.2023 qu’il juge lacunaire et inexacte. Il relève que le psychiatre expert a évoqué un syndrome d’Asperger « à confirmer » sans en examiner l’incidence sur la capacité de travail. Les juges cantonaux auraient également écarté les conclusions du psychiatre traitant de l’assuré, du 19.06.2023, en retenant un rapport de complaisance de la part de ce dernier, alors qu’il serait le seul à s’être intéressé au diagnostic d’Asperger, à l’avoir confirmé et à s’être exprimé sur les limitations de la capacité de travail en lien avec ce diagnostic.

L’assuré dénonce l’absence dans l’expertise d’éléments clés des rapports d’observation professionnelle, notamment ceux de la Fondation B.__ concernant ses limitations sur le marché ordinaire. Il souligne une contradiction dans l’évaluation du rendement à 50-60% par l’Orif, calculé sur une base horaire réduite à 60%, ce qui ramènerait sa capacité réelle à 30-36%.

L’assuré critique en outre le fait que les juges cantonaux aient suivi les conclusions de l’expert-psychiatre concernant sa capacité de travail en dépit du fait que celles-ci divergeaient de celles issues des rapports d’observation professionnelle et que l’expert-psychiatre ne se soit pas exprimé au sujet de ces divergences. L’assuré argue également que sa capacité de travail est nulle sur le premier marché de l’emploi, les conditions-cadres spécifiées par les experts dans une activité adaptée étant typiques de celles d’un atelier protégé, ce que les juges cantonaux n’auraient pas retenu.

Consid. 4.1
Les griefs de l’assuré à l’encontre du jugement entrepris, en tant qu’il reconnaît une pleine valeur probante à l’expertise bidisciplinaire ordonnée par l’office AI, sont fondés dans une large mesure.

Dans la partie « résumé médico-assécurologique commun », en particulier, cette expertise mentionne le rapport final de l’Orif du 19.07.2021 en indiquant que le rendement de l’assuré y était évalué entre 50 et 60%. Comme le souligne l’assuré, elle omet de préciser que ce rendement limité n’était obtenu que sur une activité exercée à 60%, ce qui entraîne une présentation erronée de la capacité de travail effective de l’assuré constatée par l’Orif (30 à 36%, et non 50 à 60%). Certes, l’expert-psychiatre et l’expert-neurologue mentionnent ensuite que la précédente activité était exercée à raison de quatre heures par jour seulement. Toutefois, l’ambiguïté demeure, dès lors qu’ils font état d’une capacité de travail de 40 à 60% dans cette activité sans discuter des constatations effectuées lors des stages professionnels, relatives à une capacité de travail notablement inférieure et qui sont à peine évoquées. L’expert-psychiatre n’expose par ailleurs pas comment il aboutit pour sa part au constat d’une capacité de travail globale de 40 à 60% dans cette activité, tout en admettant une performance globale réduite dans la même mesure sur un temps de présence limité à quatre heures par jour, ce qui paraît contradictoire.

Enfin, au regard de la capacité de travail tout de même très limitée constatée lors de stages sous l’égide de l’assurance-invalidité dans un environnement déjà très bienveillant, les constatations de l’expert-psychiatre relatives à une capacité de travail de 70 à 80% dans une activité exercée à plein temps, divergent manifestement de celles effectuées par l’Orif, même si l’on prend en considération les limitations mentionnées par l’expert, relatives à la nécessité d’un employeur présentant une bienveillance supérieure à la norme, ainsi que d’éviter autant que possible le regard des autres et les impératifs d’interaction sociale régulière, de même que les contacts avec les collègues ou la clientèle aussi restreints que possible, même par téléphone. L’expert-psychiatre ne pouvait passer purement et simplement sous silence ces divergences.

Selon les juges cantonaux, l’expert-psychiatre a estimé de manière convaincante que les troubles psychiques de l’assuré ne sont que faiblement incapacitants, en mettant en relief les ressources conséquentes dont il disposait. Il avait ainsi pu terminer sa scolarité et obtenir un certificat fédéral de capacité, disposait de très bonnes compétences en informatique, apprenait rapidement, était consciencieux, discipliné et réaliste, mais aussi méthodique, analytique et orienté vers les détails. Il pouvait également compter sur le soutien de sa famille. En outre, toujours selon la Cour cantonale, l’expert-psychiatre avait considéré que la capacité de travail de l’assuré pouvait encore être améliorée par une prise en charge plus serrée et spécifique des troubles d’anxiété sociale, avec une intensification de la médication. Sur ce dernier point, on doit toutefois constater que l’expert-psychiatre a évoqué un probable syndrome d’Asperger, en laissant ce diagnostic ouvert dès lors qu’il devrait être confirmé par de plus amples investigations.

Or il est pour le moins prématuré de se prononcer sur les possibilités de prise en charge médicale et d’amélioration des symptômes ainsi que de la capacité résiduelle de travail, notamment par un traitement médicamenteux, sans préalablement vérifier la pertinence du diagnostic de syndrome d’Asperger, comme le relève à juste titre l’assuré. Par ailleurs, en ce qui concerne les ressources de l’assuré, les juges cantonaux, comme l’expert-psychiatre, ont dans une large mesure retranscrit la description qu’en faisait lui-même l’assuré dans son curriculum vitae. Cela prête à discussion et il aurait convenu d’en vérifier la pertinence, ou du moins de l’étayer par les observations faites lors des stages professionnels.

Enfin, l’assuré a produit en instance cantonale un rapport de la Fondation D.__, qui constate l’échec de toutes les tentatives d’insertion professionnelle de l’assuré pendant un accompagnement de six mois et recommande une activité auprès d’un employeur bienveillant non pas sur le premier marché du travail, mais sur le « deuxième marché du travail », autrement dit dans un milieu protégé. Les juges cantonaux ont totalement passé sous silence ces conclusions, qui paraissent, comme les constatations de l’Orif, difficilement compatibles avec la capacité résiduelle de travail de 70 à 80% constatée par l’expert-psychiatre sur le marché primaire de l’emploi, même auprès d’un employeur bienveillant et en limitant autant que possible tous contacts sociaux.

Consid. 4.2
Il ressort de ce qui précède que l’expertise bidisciplinaire présente des lacunes que l’on ne peut ignorer, dans la mesure où l’anamnèse socio-professionnelle comporte des imprécisions notables et où les experts, en particulier l’expert-psychiatre, n’exposent pas de manière claire pourquoi ils se distancient de l’évaluation de la capacité de travail lors des stages professionnels effectués par l’assuré.

Au vu de leurs constatations peu claires, pour autant qu’elles ne soient pas même contradictoires, relatives à la capacité de travail dans les activités effectuées pendant ces stages, il n’est d’ailleurs pas sûr qu’ils aient pris la mesure des empêchements présentés par l’assuré, quand bien même ils en ont retenu que les contacts sociaux devaient être limités autant que possible.

L’analyse des ressources de l’assuré est relativement sommaire, se limitant au constat d’une scolarité obligatoire et de l’obtention d’un certificat fédéral de capacité ainsi qu’à la retranscription des qualités que se prête l’assuré dans son curriculum vitae ainsi qu’à la référence à un soutien par la famille et le réseau de soins.

Le diagnostic psychiatrique reste également à préciser, ce qui ne permet pas de tirer de conclusions sur les possibilités d’amélioration des symptômes et de la capacité de travail par un traitement, contrairement à ce que les juges cantonaux ont pris en considération dans leur appréciation.

Dans ces conditions, la juridiction cantonale ne pouvait pas, sans arbitraire, attribuer une pleine valeur probante à l’expertise et statuer sans autre mesure d’instruction, en passant également sous silence les conclusions du rapport de la Fondation D.__. La cause lui sera donc renvoyée afin qu’elle ordonne une nouvelle expertise bidisciplinaire et statue à nouveau.

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_344/2024 consultable ici

 

5A_336/2023 (d) du 17.07.2024 – Mariage conclu sous le régime de la séparation de biens – Partage de la prévoyance – Prise en compte des retraits EPL – Indemnité équitable / 123 CC – 124e al. 1 CC – 207 al. 1 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_336/2023 (d) du 17.07.2024, publié aux ATF 150 III 353

 

Arrêt 5A_336/2023 consultable ici et ATF 150 III 353

Résumé issu du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 166 ch. 1155

 

Mariage conclu sous le régime de la séparation de biens – Partage de la prévoyance – Prise en compte des retraits EPL – Indemnité équitable / 123 CC – 124e al. 1 CC – 207 al. 1 CC

 

Le retrait anticipé au titre de l’encouragement à la propriété du logement (EPL) est soumis au partage de la prévoyance. Lorsque, à la dissolution d’un mariage conclu sous le régime de la séparation de biens, un des deux conjoints a atteint l’âge de référence et perçoit une rente de vieillesse au moment du dépôt de la demande de divorce, le montant du retrait EPL ne peut être partagé par moitié du fait de la séparation de biens, mais donne droit à une indemnité équitable en vertu de l’art. 124e CC. Le montant du retrait EPL ne peut toutefois pas être simplement partagé par moitié, car il faut tenir compte de la part dont il a été fait théoriquement usage pendant le mariage.

Dans la présente affaire, il s’agit de déterminer si un retrait anticipé pour la propriété du logement effectué pendant le mariage est soumis au partage de la prévoyance lorsque les conjoints ont choisi le régime matrimonial de la séparation de biens et que le conjoint tenu de fournir une compensation a déjà atteint l’âge de référence.

En principe, le retrait EPL sort du circuit de la prévoyance dès la survenance du cas de prévoyance vieillesse, et l’avoir retiré devient un élément de la fortune du preneur de prévoyance. Dans la liquidation du régime matrimonial, un tel retrait est généralement partagé entre les conjoints. Cependant, lorsque, comme en l’espèce, le régime de la séparation des biens ne permet pas un tel partage, une indemnité équitable est due (art. 124e CC). Selon le TF, cette indemnité représente une compensation pour le fait que la rente de vieillesse à partager est, en raison du retrait EPL, inférieure à celle qui aurait été versée si le divorce avait été prononcé avant la survenance du cas de prévoyance.

Le TF parvient à la conclusion qu’un retrait EPL ne peut pas être simplement partagé par moitié, car une partie a théoriquement déjà été utilisée pendant le mariage. Pour calculer le montant de l’indemnité prévue à l’art. 124e CC, le TF détermine la rente qui aurait résulté du montant du retrait EPL si celui-ci était resté dans le circuit de la prévoyance. Le montant de cette rente hypothétique est capitalisé jusqu’à l’entrée en force du divorce. La différence entre la rente capitalisée et le montant du retrait initial constitue la valeur à prendre en compte pour déterminer l’indemnité équitable. Le point de départ dans la détermination de l’indemnité équitable est le partage par moitié de l’avoir de prévoyance (art. 124e CC en relation avec l’art. 123 CC). Le TF renvoie l’affaire à l’instance précédente en lui demandant de fixer le montant de l’indemnité équitable conformément à l’arrêt.

 

Arrêt 5A_336/2023 consultable ici et ATF 150 III 353