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9C_165/2022 (d) du 16.03.2023, publié aux ATF 149 V 106 – Pas d’application de la loi sur l’égalité aux rapports de prévoyance et montant minimal du taux d’intérêt moratoire réglementaire

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_165/2022 (d) du 16.03.2023, publié aux ATF 149 V 106

 

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_165/2022 consultable ici et ATF 149 V 106 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 162 (ch. 1127) consultable ici

 

Pas d’application de la loi sur l’égalité aux rapports de prévoyance et montant minimal du taux d’intérêt moratoire réglementaire / 8 LPP – 26 LPP – 104 CO – 2 LEg

 

Le champ d’application matériel de la loi sur l’égalité se limite aux rapports de travail et ne s’étend pas aux rapports de prévoyance. Le taux d’intérêt moratoire fixé par le règlement ne peut pas être inférieur au taux d’intérêt minimal LPP.

Dans cet arrêt, le TF examine deux questions : l’application de la loi sur l’égalité aux rapports de prévoyance et le montant minimal du taux d’intérêt moratoire réglementaire.

Suite à une surassurance, une personne assurée voit sa rente d’invalidité et sa rente pour enfant de la prévoyance professionnelle réduites. La personne assurée, qui travaille à temps partiel, recourt contre cette décision au motif d’une discrimination indirecte. En effet, en tant que personne travaillant à temps partiel, la déduction de coordination non réduite la désavantagerait de manière inadmissible et ce désavantage concernerait principalement les femmes. Par analogie, le calcul de la surindemnisation serait contraire au principe de l’interdiction de discrimination prévu par la loi sur l’égalité. En outre, elle demande que les prestations impayées soient rémunérées à un taux de 5% et non selon le règlement de l’institution de prévoyance qui ne qui ne prévoit pas de droit à un intérêt moratoire.

Le TF considère que les institutions de prévoyance sont libres de prévoir dans leurs règlements une réduction de la déduction de coordination en cas de travail à temps partiel. En revanche, le TF refuse d’étendre le champ d’application de la loi sur l’égalité aux rapports de prévoyance dans le sens où l’on pourrait en déduire un droit à la réduction de la déduction de coordination en cas de travail à temps partiel, car cette loi s’applique exclusivement aux rapports de travail.

En ce qui concerne la question et le niveau du taux d’intérêt moratoire réglementaire, le TF indique que, par analogie avec le droit privé, les débiteurs en droit administratif doivent payer des intérêts moratoires, sauf si la loi en dispose autrement, et que le taux d’intérêt minimal LPP est déterminé en fonction du rendement réalisable des placements usuels sur le marché. Si l’intérêt moratoire prévu par le règlement de prévoyance est inférieur au taux d’intérêt minimal LPP, cela va à l’encontre de l’idée de compensation des avantages ou des inconvénients des intérêts moratoires. Le TF conclut donc que la disposition réglementaire relative aux intérêts moratoires n’est pas admissible.

 

Arrêt 9C_165/2022 consultable ici et ATF 149 V 106 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 162 (ch. 1127) consultable ici

 

8C_275/2023 (f) du 18.10.2023 – Notion d’accident – Gelure aux doigts et aux orteils lors de l’ascension du Cervin – 4 LPGA / Caractère extraordinaire – Examen de la jurisprudence en matière de lésions provoquées par le froid

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_275/2023 (f) du 18.10.2023

 

Consultable ici

 

Notion d’accident – Gelure aux doigts et aux orteils lors de l’ascension du Cervin / 4 LPGA

Caractère extraordinaire – Examen de la jurisprudence en matière de lésions provoquées par le froid

 

Le 09.10.2021, vers 3h30, l’assuré, né en 1983, a entamé depuis la cabane Hörnli l’ascension de la face nord du Cervin par la voie Schmidt, avec un compagnon de cordée. Après avoir atteint le sommet, les deux alpinistes ont rejoint le bivouac de Solvay vers 6h30 le 10.10.2021 et ont dormi quelques heures. A leur réveil, vers midi, ils ont remarqué qu’ils avaient des gelures sévères aux extrémités et ont appelé les secours. Héliportés à l’Hôpital C.__, ils ont ensuite été transférés à l’Hôpital D.__, où le diagnostic de gelures des orteils et des doigts a été posé chez l’assuré. Ces lésions ont conduit à l’amputation de l’ensemble des orteils du pied droit et à l’amputation partielle d’un doigt de la main gauche et de trois doigts de la main droite.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé d’octroyer des prestations à l’assuré, au motif que l’événement survenu les 9 et 10 octobre 2021 ne pouvait pas être qualifié d’accident et que les atteintes subies ne constituaient pas des lésions corporelles assimilées à un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 24/22 – 32/2023 – consultable ici)

Par jugement du 13.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1
L’assurance-accidents est en principe tenue d’allouer ses prestations en cas d’accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte et, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur; il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 129 V 402 consid. 2.1).

Consid. 3.1.2
Suivant la définition même de l’accident, le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Dès lors, il importe peu que le facteur extérieur ait entraîné des conséquences graves ou inattendues. Le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu’il excède le cadre des événements et des situations que l’on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d’habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 134 V 72 consid. 4.1).

Consid. 3.2
La jurisprudence en matière de lésions provoquées par le froid, correctement exposée par la juridiction cantonale, peut être résumée ainsi.

Consid. 3.2.1
L’ancien Tribunal fédéral des assurances s’est tout d’abord penché sur les atteintes dues à la chaleur. Il a retenu qu’une insolation, un coup de soleil ou un coup de chaleur ne résultaient pas de l’action d’un facteur extérieur extraordinaire et ne répondaient donc pas, en règle générale, à la notion d’accident. Il en allait toutefois différemment lorsque les effets dommageables se produisaient ensuite d’événements extraordinaires, par exemple si un assuré se cassait une jambe, ne pouvait plus bouger et était exposé au soleil. Ce n’était que dans de tels cas exceptionnels qu’une insolation, un coup de soleil ou un coup de chaleur pouvaient être qualifiés d’accident (ATF 98 V 165).

Consid. 3.2.2
Par la suite, le Tribunal fédéral des assurances a appliqué par analogie la jurisprudence précitée aux affections causées par le froid. Il avait à juger le cas d’une personne qui, lors d’une randonné à ski entre 3’500 et 3’600 mètres d’altitude, avait subi des gelures aux mains. Niant l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire, les juges fédéraux ont considéré que les conditions météorologiques décrites par l’intéressé (à savoir des températures très froides et un fort vent) se situaient dans le cadre de ce à quoi l’on pouvait s’attendre lors d’une randonnée en haute montagne, au mois de mars et à une altitude de plus de 3’500 mètres. Rien n’indiquait non plus que les gelures étaient dues à un événement extérieur significatif (comme par exemple une jambe cassée ou une chute dans une crevasse suivie d’une hypothermie). En l’absence de circonstances particulières faisant apparaître l’exposition au froid comme un événement inhabituel, il ne s’agissait pas d’un accident (arrêt U 109/86 du 21 avril 1987 consid. 3, in RAMA 1987 n° U 25 p. 373).

Consid. 3.2.3
Le Tribunal fédéral des assurances a également examiné le cas d’un assuré victime d’engelures à huit doigts ensuite d’une excursion en haute montagne. Il était admis que les engelures avaient été provoquées par l’action du froid consécutive à la déchirure de gants en laine et à l’utilisation d’une seconde paire de gants qui, par un effet de compression, avait brusquement et rapidement altéré la microcirculation, déclenchant un processus d’hypothermie, lequel avait occasionné les lésions observées en l’espace de quelques dizaines de minutes. Les juges fédéraux ont estimé que ces circonstances, imprévisibles, excédaient le cadre de ce qui pouvait raisonnablement être classé comme habituel dans les activités de montagne. Les atteintes subies par l’intéressé n’étaient pas imputables aux seuls effets climatiques, mais à la déchirure imprévue de gants en laine appropriés à l’activité. Dans des conditions normales, à savoir en l’absence de cet événement imprévisible, l’atteinte à la santé ne se serait pas produite, de sorte qu’il convenait d’admettre la condition du caractère extraordinaire du facteur extérieur. La condition de la soudaineté était également remplie (arrêt U 430/00 du 18 juillet 2001 consid. 4).

Consid. 3.2.4
Dans un cas plus récent, le Tribunal fédéral a rappelé que les effets de la météo échappent à la notion d’accident lorsqu’ils entraînent des insolations, des coups de soleil, des coups de chaleur ou des gelures. En l’occurrence, il s’agissait d’un individu mort d’hypothermie alors qu’il effectuait une randonnée de plusieurs jours en Islande. L’hypothermie avait été causée par un rapide changement de temps, caractérisé par de fortes pluies, du vent, du brouillard et des températures proches du point de congélation. Le Tribunal fédéral a confirmé que le critère du caractère extraordinaire du facteur extérieur n’était pas rempli. La météo exceptionnellement mauvaise, évoquée par le gardien du parc, ne dépassait pas ce qui était quotidien ou habituel dans les hautes terres d’Islande et n’avait donc pas un caractère extraordinaire. Le fait que l’assuré n’ait pas pu se mettre à l’abri sur le chemin de randonnée, choisi par beau temps, ou quitter le terrain de lave en raison de la visibilité réduite par le brouillard n’y changeait rien (arrêt 8C_268/2019 du 2 juillet 2019 consid. 6).

 

Consid. 4
En l’espèce, les juges cantonaux ont constaté qu’au moment où l’assuré et son compagnon de cordée avaient quitté la cabane Hörnli, le 9 octobre 2021 vers 3h30, la température avoisinait les 0°C et le vent était limité, si bien que les conditions pouvaient être considérées comme favorables. Selon l’assuré, la cordée aurait été confrontée à un orage soudain en fin d’après-midi, alors qu’elle se trouvait à 200 mètres du sommet. Un vent ascendant violent serait venu frapper son visage et arracher l’une de ses guêtres, causant des gelures soudaines aux yeux et une hypothermie des extrémités. Sans option de retraite, la cordée aurait terminé son ascension puis rejoint le bivouac de Solvay à 6h30 le lendemain. Au réveil vers midi, les alpinistes se seraient rendu compte qu’ils présentaient des gelures sévères aux extrémités. La cour cantonale a toutefois retenu qu’il ne ressortait pas des pièces produites en cours de procédure, de manière objective et plausible, que la cordée aurait été confrontée à un phénomène orageux au cours de son ascension.

Tout d’abord, il n’était pas fait mention, dans les premières pièces versées au dossier de l’assurance-accidents (à savoir les rapports médicaux de l’Hôpital D.__ ainsi que les réponses données par l’assuré aux questions de l’intimé le 01.11.2021), d’un phénomène météorologique soudain et violent, mais bien plutôt d’une exposition prolongée au froid et à des vents violents, avec l’apparition des premiers symptômes dans l’après-midi. En outre, les données issues de la montre GPS de l’assuré montraient une ascension régulière, voire légèrement plus rapide sur la fin. Malgré un temps d’arrêt d’environ une demi-heure vers 18h, ces données n’indiquaient pas une immobilisation totale de la cordée, celle-ci étant légèrement redescendue au cours de cette période. Elles ne permettaient pas d’attribuer l’interruption de l’ascension à la survenance d’un orage. Enfin, selon une attestation de MétéoSuisse – relative aux conditions météorologiques des 9 et 10 octobre 2021 pour la région du Cervin – sollicitée par le juge instructeur, le temps était clair, sans nuage ni précipitations; l’occurrence d’orage et de précipitations sur la face nord du Cervin le 9 octobre 2021 vers 16h30 était exclue; le vent soufflait sur cette face avec une vitesse modérée, estimée à 40 km/h environ; le ciel était clair et sans nuages; la température était d’environ -7°C (température ressentie de -17°C); la survenue d’un phénomène localisé caractérisé par l’apparition soudaine de vents violents pouvait être quasiment exclue.

L’instance cantonale en a conclu qu’il n’était pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré avait été confronté à des circonstances extraordinaires particulières, qui seraient venues s’ajouter aux conditions météorologiques auxquelles sont habituellement confrontés les alpinistes en haute montagne (froid et vent) et à la durée particulièrement longue de l’ascension entreprise. Partant, les circonstances qui avaient entraîné l’atteinte à la santé ne relevaient pas d’un accident, faute de caractère extraordinaire du facteur extérieur dommageable.

 

Consid. 5.2.2
S’agissant des conditions météorologiques, l’assuré a initialement indiqué à l’assurance-accidents qu’un « vent très fort et froid » avait commencé à souffler dans l’après-midi du 9 octobre 2021, alors que la cordée se trouvait proche du sommet, à environ 4’200 mètres d’altitude. Dans son opposition, puis dans son recours cantonal, il a parlé d’un « violent orage inattendu » à 200 mètres du sommet. Dans son attestation du 29 juillet 2022, critiquée par l’assuré, MétéoSuisse a dit « exclure l’occurrence de précipitations dans la face nord du Cervin le 9 octobre 2021 vers 16h30 et en particulier d’orage », et « également quasiment exclure la survenue d’un phénomène localisé caractérisé par l’apparition soudaine de vents violents ». MétéoSuisse a donc exclu la survenance d’un orage, tel qu’évoqué par l’assuré dès le stade de l’opposition, et a mis sérieusement en doute l’apparition soudaine de vents violents. Sur cette base et compte tenu des données de la montre GPS de l’assuré ainsi que des premières déclarations de celui-ci, la cour cantonale a retenu que l’intéressé et son compagnon de cordée n’avaient été confrontés ni à un phénomène orageux ni, de manière générale, à des conditions météorologiques qui sortiraient du cadre habituel prévalant en haute montagne, caractérisé par le froid et le vent. Cette appréciation, qui repose sur un faisceau d’indices, ne prête pas le flanc à la critique. Dans ses écritures, l’assuré ne fait plus allusion à un orage, mais uniquement à un vent violent qui serait soudainement apparu, mettant en cause sur ce point l’attestation de MétéoSuisse. Or, même à suivre l’assuré, un vent fort et changeant, voire soudain, en haute montagne ne saurait de toute manière être assimilé à un phénomène inhabituel, de surcroît à 4’200 mètres d’altitude. Les conditions météorologiques auxquelles a été confronté l’assuré n’ont pas un caractère extraordinaire au sens de la jurisprudence afférente à l’art. 4 LPGA.

Consid. 5.2.3
L’assuré n’a pas non plus dû faire face à d’autres circonstances imprévisibles en l’absence desquelles les atteintes qu’il a subies ne se seraient pas produites. En ce qui concerne plus particulièrement la perte d’une guêtre à la jambe droite, force est de constater que l’intéressé en a fait état tardivement, au stade du recours cantonal. Quoi qu’il en soit, il est constant qu’il a subi des gelures à l’ensemble des orteils des deux pieds et que quatre doigts ont dû être partiellement amputés, de sorte que l’on ne peut pas retenir, sous l’angle de la vraisemblance prépondérante, que les lésions seraient imputables à la perte de cette guêtre.

Consid. 5.2.4
Au vu de ce qui précède, l’audition du compagnon de cordée de l’assuré, en vue de confirmer la survenue d’un vent violent et la perte d’une guêtre par ce dernier, n’apparaissait pas nécessaire. Il en allait de même de l’expertise sollicitée par l’assuré, dès lors que même s’il fallait retenir que les engelures étaient dues à une brève exposition à un vent violent par temps froid, le caractère extraordinaire d’une telle exposition en haute montagne devrait de toute manière être nié. L’autorité précédente n’a donc pas versé dans l’arbitraire en ne donnant pas suite aux réquisitions de preuve de l’assuré (cf. ATF 145 I 167 consid. 4.1; 144 II 427 consid. 1.3; 141 I 60 consid. 3.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_275/2023 consultable ici

 

9C_31/2022 (d) du 24.07.2023 – Prévoyance professionnelle – Versement d’un capital-décès en cas d’invalidité partielle (rétroactive) d’un assuré décédé

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_31/2022 (d) du 24.07.2023

 

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_31/2022 consultable ici
(arrêt à 5 juges, non publié)

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 162 (ch. 1126) consultable ici

 

Versement d’un capital-décès en cas d’invalidité partielle (rétroactive) d’un assuré décédé / art. 15 LPP – 34 al. 1 let. b LPP – 11 al. 1 OPP 2 – 14 OPP 2 – 15 OPP 2

 

Selon le Tribunal fédéral, la totalité de l’avoir de vieillesse, c’est-à-dire aussi bien la partie «active» que la partie «passive», est pertinente pour calculer le capital-décès dans la présente affaire.

Dans une décision rendue après le décès de l’assuré survenu le 11 février 2020, l’office AI alloue à ce dernier une demi-rente AI avec effet rétroactif du 1er janvier au 29 février 2020. Par la suite, l’institution de prévoyance verse à la partenaire de l’assuré un capital-décès correspondant à la partie «active» de l’avoir de vieillesse (50%), mais refuse toute prestation supérieure à ce montant. Elle fonde sa décision sur la disposition du règlement qui prévoit que le capital-décès correspond à l’avoir disponible sur le compte de vieillesse au jour du décès de l’assuré. Elle part du principe qu’en vertu des art. 14 al. 4 et 15 OPP 2, l’avoir de vieillesse de l’assuré au jour de son décès se limite à la partie correspondant à la poursuite de l’activité lucrative à 50% (aussi appelé compte de vieillesse «actif»). La partenaire de l’assuré décédé s’y oppose. Elle considère que, selon le règlement de prévoyance, la totalité du compte de vieillesse doit être retenue pour le calcul du capital-décès, c’est-à-dire non seulement la partie «active» du compte de vieillesse, mais aussi la partie correspondant à l’invalidité partielle (aussi appelée compte de vieillesse «passif»).

Dans le cas d’espèce, le TF a considéré ce qui suit : l’institution de prévoyance doit continuer de tenir jusqu’à l’âge de la retraite le compte de vieillesse de l’assuré invalide auquel elle verse une rente (art. 14 al. 1 OPP 2). Selon l’art. 15 OPP 2, l’institution de prévoyance divise l’avoir de vieillesse en deux parts égales lorsque l’assuré touche une demi-rente d’invalidité. Elle continue de tenir jusqu’à l’âge de la retraite la partie de l’avoir de vieillesse correspondant à l’invalidité partielle (compte de vieillesse «passif»), comme le prévoit l’art. 14 OPP 2, et assimile la partie de l’avoir correspondant à la poursuite de l’activité lucrative à celle d’un assuré valide. L’art. 14 al. 4 OPP 2 règle uniquement le cas où l’invalidité d’un assuré percevant une rente disparaît avant qu’il n’atteigne l’âge de la retraite. L’OPP 2 ne prévoit aucune disposition pour le cas de figure considéré ici, à savoir celui d’un assuré qui décède avant d’avoir perçu de rente AI. Elle ne précise pas non plus ce qui doit advenir du compte de vieillesse «passif» dans un tel cas. Contrairement à l’avis défendu par l’institution de prévoyance, ni les art. 14 et 15 OPP 2 ni le règlement de prévoyance ne prévoient que la partie «passive» du compte de vieillesse revienne à l’institution et soit exclue du capital-décès.

Le TF arrive à la conclusion que, selon le règlement de prévoyance, la partenaire n’a pas seulement droit à un capital-décès correspondant à la partie «active» de l’avoir de vieillesse, mais également à un montant supplémentaire correspondant à la partie «passive» du compte de vieillesse.

 

Arrêt 9C_31/2022 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 162 (ch. 1126) consultable ici

 

9C_160/2023 (f) du 17.10.2023 – Dépôt d’une nouvelle demande AI – Délai octroyé (plus de 3 mois) à l’assuré pour rendre vraisemblable l’aggravation de l’état de santé et la modification de l’invalidité – 87 RAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_160/2023 (f) du 17.10.2023

 

Consultable ici

 

Dépôt d’une nouvelle demande AI – Plausibilité de la modification de l’invalidité de manière à influencer ses droits / 87 RAI

Délai octroyé (plus de 3 mois) à l’assuré pour rendre vraisemblable l’aggravation de l’état de santé et la modification de l’invalidité – Refus d’entrer en matière faute de preuve déposée par l’assuré

 

Assuré, né en 1976, victime d’un accident le 30.04.2014, entraînant une rupture du LCA associée à une déchirure de la corne moyenne du ménisque externe.

1ère demande AI déposée le 12.01.2015. Par décision du 11.12.2018, octroi d’une rente entière d’invalidité pour la période limitée du 01.07.2015 au 31.12.2017. Par jugement du 11.02.2021, le tribunal cantonal a rejeté le recours que l’assuré avait formé contre cette décision

2ème demande AI déposée le 16.06.2020. Dans un projet de décision du 29.09.2021, l’office AI a fait savoir à l’assuré qu’il envisageait de ne pas entrer en matière sur sa demande de prestations, dès lors qu’il n’avait pas rendu plausible que son invalidité s’était modifiée de manière à influencer ses droits. A la demande de l’assuré, l’office AI lui a accordé, le 13.12.2021, une ultime prolongation du délai échéant le 15.01.2022 pour déposer des pièces médicales et étayer sa demande. Le 14.01.2022, l’assuré a demandé un nouveau délai de 30 jours pour déposer des pièces. Par décision du 18.01.2022, l’office AI a refusé d’entrer en matière sur la demande, en l’absence de modification notable de la situation médicale.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 21/22 – 10/2023 – consultable ici)

Par jugement du 11.01.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
En vertu de l’art. 87 al. 2 et 3 RAI, lorsque la rente a été refusée parce que le taux d’invalidité était insuffisant, la nouvelle demande ne peut être examinée que si l’assuré rend plausible que son invalidité s’est modifiée de manière à influencer ses droits. Cette exigence doit permettre à l’administration qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations entrée en force d’écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l’assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans alléguer une modification des faits déterminants (ATF 133 V 108 consid. 5.2 et 5.3; 130 V 64 consid. 5.2.3; 117 V 198 consid. 4b et les références). Lorsqu’elle est saisie d’une nouvelle demande, l’administration doit commencer par examiner si les allégations de l’assuré sont, d’une manière générale, plausibles. Si tel n’est pas le cas, l’affaire est liquidée d’entrée de cause et sans autres investigations par un refus d’entrer en matière (ATF 117 V 198 consid. 3a).

 

Consid. 3.1
Dans un premier grief, d’ordre formel, l’assuré reproche à l’office AI d’avoir violé son droit d’être entendu dès lors qu’il lui a accordé, le 13.12.2021, une ultime prolongation du délai au 15.01.2022 pour déposer des pièces médicales et étayer sa demande. Il soutient qu’il est notoire que les médecins sont surchargés et qu’il n’est pas rare que l’obtention d’un rapport médical puisse prendre plus de trois mois. L’assuré en déduit que le rapport du docteur B.__ du 21.01.2022 (établi juste après le refus d’entrer en matière) aurait dû être pris en compte.

Consid. 3.2
La jurisprudence relative à une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité, dûment rappelée dans l’arrêt entrepris, requiert que l’assuré présente des éléments suffisants pour rendre plausible une aggravation de l’état de santé (cf. art. 87 al. 2 et 3 RAI). En effet, le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’autorité (art. 43 al. 1 LPGA), ne s’applique pas à une telle procédure, de sorte que la juridiction de première instance est tenue d’examiner le bien-fondé de la décision de non-entrée en matière de l’office AI en fonction uniquement des documents produits jusqu’à la date de celle-ci (ATF 130 V 64 consid. 5.2.5; arrêt 9C_576/2021 du 2 février 2022 consid. 3.2).

A partir du 29.09.2021, jour où l’office AI a fait savoir à l’assuré qu’il n’avait pas rendu plausibles les faits qu’il alléguait, l’intéressé a bénéficié d’un délai de plus de trois mois (compte tenu d’une ultime prolongation accordée à sa demande le 13.12.2021) pour se déterminer et déposer ses moyens de preuve. En pareilles circonstances (proximité temporelle de la précédente décision de refus; allégués non documentés), un tel délai précédant un refus d’entrée en matière doit être qualifié de raisonnable. S’il fallait suivre le raisonnement de l’assuré, l’administration devrait suspendre indéfiniment le traitement de ce genre de demandes (voir par ex. l’arrêt I 67/02 du 2 décembre 2003 consid. 5). L’office AI n’a donc pas violé le droit de l’assuré d’être entendu en statuant le 18.01.2022 sur la base du dossier dont il disposait.

 

Consid. 4.2
Les juges cantonaux ont constaté que les diagnostics mentionnés par le docteur B.__ étaient connus, mais qu’ils n’étaient pas documentés par un examen clinique récent et un statut actualisé. Ils ont retenu que ce médecin, qui n’est ni orthopédiste ni rhumatologue, renvoyait à un rapport du professeur C.__ du mois de mai 2019 qui lui-même n’apportait pas d’élément nouveau.

L’argumentation de l’assuré, qui se fonde essentiellement et vainement sur le certificat du docteur B.__ du 21.01.2022, ne permet pas de remettre en cause l’appréciation que l’instance précédente a faite du certificat médical que le même médecin avait établi le 23.03.2021, ni d’en établir le caractère arbitraire. En niant que l’assuré eût rendu plausible une aggravation de son état de santé susceptible d’influencer ses droits, la juridiction cantonale n’a ni établi les faits de manière inexacte ou arbitraire, ni violé le droit fédéral. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter de ses considérations.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_160/2023 consultable ici

 

8C_613/2022 (d) du 06.10.2023 – Automutilation – 37 al. 1 LAA / Valeur probante de l’expertise médicale pluridisciplinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_613/2022 (d) du 06.10.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Automutilation / 37 al. 1 LAA

Valeur probante de l’expertise médicale pluridisciplinaire

 

Assurée, pizzaiola née en 1983, s’est blessée le 03.02.2018 au pied gauche sur le bord d’une marche d’escalier (perforation avec une barre de fer). Traitement initial aux services des urgences. Par la suite, le médecin de famille a refermé la plaie, d’abord laissée ouverte, mais qui s’est rouverte dix jours plus tard et a entraîné par la suite de nombreux traitements en raison d’un trouble de la cicatrisation.

Expertise pluridisciplinaire (orthopédie, psychiatrie et neurologie) mise en œuvre par l’assurance-accidents. Rapport d’expertise du 30.09.2020 et rapport complémentaire du 30.03.2021. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a suspendu les prestations avec effet rétroactif au 29.10.2020, en se basant sur les évaluations des experts. Elle a expliqué que l’automutilation de l’assurée avait entraîné des complications qui avaient nécessité d’autres traitements. Les troubles actuels ne seraient, selon toute vraisemblance, pas en lien de causalité avec l’accident du 03.02.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2021.502 – consultable ici)

Par jugement du 16.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assurée conteste en premier lieu la valeur probante (cf. ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 125 V 351 consid. 3a) de l’expertise pluridisciplinaire. Elle fait valoir qu’il aurait encore fallu faire appel à un expert en plaies ainsi qu’à un médecin spécialisé en infectiologie.

Consid. 4.2
Les experts disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix des méthodes d’examen (cf. par ex. les arrêts 8C_260/2016 du 13 juillet 2016 consid. 5.1 et les références; 8C_780/2014 du 25 mars 2015 consid. 5.1 et les références). Le choix des examens médicaux spécialisés à effectuer en fait également partie (arrêt 8C_820/2016 du 27 septembre 2017 consid. 5.5 et les références). Il appartient donc aux personnes chargées de l’expertise de décider si le recours à d’autres spécialités est nécessaire (arrêt 8C_495/2021 du 16 mars 2022 consid. 4.3 et les référence). Selon le texte introductif de l’expertise, l’assurance-accidents a accordé aux experts du centre d’expertises la possibilité de faire appel à d’autres spécialistes, après consultation avec elle. Les experts ont manifestement estimé être en mesure d’évaluer de manière définitive l’état de santé avec les disciplines de l’orthopédie, de la psychiatrie et de la neurologie, raison pour laquelle on ne peut pas reprocher à l’instance cantonale d’avoir accordé à l’expertise une valeur probante même en l’absence de spécialistes supplémentaires.

 

Consid. 5.2
Selon l’art. 37 al. 1 LAA, l’automutilation et le suicide présupposent un acte intentionnel. Le dol éventuel est également suffisant (ATF 143 V 285 consid. 4.2.4). La question de savoir si l’on est en présence d’une automutilation s’apprécie selon le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante, usuel en droit des assurances sociales. En l’occurrence, compte tenu des difficultés pratiques de preuve, il ne faut pas poser d’exigences excessives à la preuve d’une automutilation volontaire (arrêts 8C_828/2019 du 17 avril 2020 consid. 4.4.1 ; 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.4 et les références). Contrairement au suicide, l’automutilation ne bénéficie pas de la présomption naturelle selon laquelle, en raison de la puissance de l’instinct de conservation, il faut généralement partir du principe qu’un tel acte est involontaire (cf. arrêts 8C_591/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.1 ; 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.3 et 2.4).

 

Consid. 5.3.1
Les médecins experts ont pris connaissance du rapport du médecin traitant, le professeur E.__, spécialiste en chirurgie. Celui-ci s’est exprimé sur les résultats qui, selon lui, indiquaient une automutilation. Dans le cadre de l’anamnèse, le centre d’expertises a contacté le professeur E.__ par téléphone. Il a confirmé une nouvelle fois ce qui avait déjà été dit dans le rapport d’opération. Il a fait remarquer que lors de la révision de la plaie, des germes tout à fait inhabituels pour des infections cutanées (deux germes intestinaux et Klebsiella) avaient été mis en évidence. En outre, lors d’une intervention chirurgicale, il avait découvert au microscope un point de piqûre dorsal par rapport à la blessure initiale, raison pour laquelle il avait soupçonné une automutilation avec un instrument en forme d’aiguille. Par la suite, il a administré le « scotchcast » pendant le traitement chirurgical et a ainsi étanchéifié toute la zone d’infection. L’assurée n’a ensuite plus pu manipuler la plaie. Pendant ce temps, la situation s’est calmée et aucune autre infection n’est survenue. Selon le professeur E.__, il a été frappé par le fait que la dernière infection était survenue alors que l’assurée n’était pas sous surveillance médicale ou thérapeutique. Cette circonstance a clairement renforcé ses soupçons d’une infection auto-infligée.

L’expert orthopédique a rapporté que la blessure subie par l’assurée le 03.02.2018 aurait guéri au plus tard après six à neuf mois, même en cas d’apparition d’une infection dans la profondeur de la jambe gauche. L’état déplorable constaté lors des examens était exclusivement lié à la maladie. Il ressort de l’expertise psychiatrique que l’automutilation est un trouble auto-infligé (CIM-10 F68.10). Le psychiatre a précisé que le seul critère diagnostique à remettre en question était la condition selon laquelle le comportement manifesté ne pouvait pas être mieux expliqué par un autre trouble psychique (p. ex. un trouble délirant ou un autre trouble psychotique). Il a conclu qu’il existait chez l’assurée une suspicion de trouble de la personnalité borderline (CIM-10 F60.31). Les automutilations sont relativement fréquentes dans ce trouble. De plus, selon le rapport de sortie de la clinique F.__, des phénomènes psychotiques et de déréalisation auraient été observés chez l’assurée. Cependant, dans les troubles de la personnalité borderline ainsi que dans les troubles psychotiques, les comportements d’automutilation ne sont généralement pas dissimulés. De plus, dans le cas d’automutilations liées à des troubles mentaux, l’assistance médicale n’est généralement pas l’objectif premier de la personne concernée. Dans le cas d’espèce, la simulation évidente d’un trouble a apparemment eu pour effet de la considérer comme handicapée, et par conséquent, aucune activité professionnelle ne lui serait plus exigible dans ce contexte. Les circonstances présentes plaident donc plutôt contre une automutilation due à un trouble mental.

Dans leur avis complémentaire, les experts ont à nouveau confirmé que le trouble de la cicatrisation avait été causé par une automutilation. Il est difficile de déterminer quand celle-ci a commencé. Au plus tard depuis que le professeur E.__ a pris en charge le traitement chirurgical et pris des mesures (« Scotchcast »), le soupçon d’automutilation s’est renforcé.

Consid. 5.3.2
La cour cantonale a reconnu qu’il était établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les limitations encore présentes reposaient sur une automutilation intentionnelle. L’assurée ne présente aucun élément concret qui contredise l’appréciation des preuves de la juridiction cantonale. Elle expose essentiellement sa propre vision de la manière dont le trouble de la cicatrisation s’est développé, comment interpréter les documents médicaux, et quelles conclusions en tirer. Cela n’est pas suffisant pour rendre l’appréciation de la cour cantonale contraire au droit fédéral (arrêt 8C_380/2022 du 27 décembre 2022 consid. 11.1 et la référence).

L’assurée affirme notamment que le canal de piqûre, dont le professeur E.__ et les médecins-experts déduiraient l’automutilation, serait dû au fait que des abcès auraient été percés à la fois à l’hôpital et à la clinique F.__. Or, comme elle le constate elle-même, cela n’est pas documenté dans les rapports respectifs. De plus, l’allégation de la recourante selon laquelle les professionnels de la santé l’auraient traitée à plusieurs reprises sans gants d’hygiène n’est pas étayée. En outre, l’instance cantonale a correctement constaté que, pour les médecins-experts, il était resté incertain depuis quand exactement les germes inhabituels étaient présents dans la plaie.

Ils sont toutefois partis du principe que cela avait été le cas au plus tard à partir de la date du traitement par le professeur E.__ (date de l’opération : 17.02.2020). On ne voit pas dans quelle mesure le tribunal cantonal aurait violé le droit fédéral en se basant sur le moment fixé par l’expertise pour déterminer le moment de l’automutilation. Comme le fait remarquer à juste titre l’assurée, il n’est pas exclu que la contamination de la plaie ait eu lieu plus tôt, mais cela ne changerait rien en sa faveur quant à la fin du droit aux prestations à compter du 29.10.2020.

Pour la même raison, le renvoi de l’assurée au rapport de la clinique F.__ du 21.11.2019 et le reproche qui y est lié, à savoir qu’une manipulation (de la plaie) n’était pas reconnaissable à l’époque, est sans objet. A ce sujet également, il convient de noter que les médecins-experts n’ont admis l’existence d’une automutilation qu’à une date ultérieure et que l’assurance-accidents a en conséquence cessé de prester qu’en octobre 2020.

 

Consid. 5.4.1
Au vu de ce qui précède, l’instance cantonale a, dans une appréciation anticipée des preuves (arrêt 144 V 361 consid. 6.5), renoncé à d’autres investigations, conformément au droit fédéral. Conformément à l’expertise pluridisciplinaire, la cour cantonale a jugé que les troubles encore présents étaient attribuables à l’automutilation, position qui peut être suivie. La conclusion du tribunal cantonal selon lequel les causes dues à l’accident, étayées par les résultats de l’expertise, auraient guéri sans conséquences notables au plus tard neuf mois après l’événement du 03.02.2018, en l’absence du trouble auto-infligé, n’est pas non plus critiquable. Comme l’a à juste titre retenu la cour cantonale, il faut partir du principe que l’atteinte à la santé a été auto-infligée (au moins par dol éventuel) (cf. art. 37 al. 1 LAA et consid. 5.2 ci-dessus).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_613/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_613/2022 (d) du 06.10.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/11/8c_613-2022)

 

9C_123/2022 (f) du 28.11.2022 – Dysphorie de genre – Traitement chirurgicale faciale consistant en un rabotage de l’arcade sourcilière – Caractères sexuels secondaires / Caractère efficace, approprié et économique du traitement médical

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_123/2022 (f) du 28.11.2022

 

Consultable ici

 

Dysphorie de genre – Traitement chirurgicale faciale consistant en un rabotage de l’arcade sourcilière – Caractères sexuels secondaires

Notion de maladie – Caractère efficace, approprié et économique du traitement médical / 3 LPGA – 32 al. 1 LAMal

Valeur probante des rapports médicaux

 

A la suite d’une dysphorie de genre due à son identité transgenre, l’assurée, née de sexe masculin, a entrepris une procédure de changement de sexe. Son acte de naissance a été modifié en janvier 2020 en ce sens qu’elle est de sexe féminin.

Le 18.10.2019, l’assurée a requis, par l’intermédiaire d’un spécialiste en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique, la prise en charge d’une chirurgie faciale consistant en un rabotage de l’arcade sourcilière, afin de féminiser le front. Elle a subi cette intervention sans attendre la garantie de paiement de la caisse-maladie qui, par décision du 03.07.2020, confirmée sur opposition le 07.12.2020, a refusé la prise en charge des coûts y afférents. En bref, la caisse-maladie a considéré que les arcades sourcilières ne faisaient pas partie des caractères sexuels secondaires et que les arcades sourcilières de l’assurée n’étaient pas particulièrement saillantes. Leur rabotage ne permettait pas d’obtenir un bénéfice thérapeutique clair et de diminuer les souffrances de l’intéressée, si bien que l’opération ne remplissait pas les critères d’efficacité et d’adéquation

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1372/2021 [arrêt de principe] – consultable ici)

Par jugement du 16.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
La doctrine médicale et en matière d’anthropologie médico-légale produite par l’assurée et par la caisse-maladie ne relève pas – en tant que littérature spécialisée accessible par tout un chacunde l’interdiction des moyens de preuve nouveaux au sens de l’art. 99 al. 1 LTF, selon lequel aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté en procédure fédérale, à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente (arrêt 9C_131/2021 du 24 novembre 2021 consid. 2 [in: SVR, 2022 KV n° 9 p. 52] et les arrêts cités). Cela étant, elle n’est pas utile pour juger de la présente cause.

Consid. 3.1
Le litige porte sur le droit de l’assurée à la prise en charge par la caisse-maladie, à titre de prestations couvertes par la LAMal, des coûts de la chirurgie de rabotage des arcades sourcilières qu’elle a subie en octobre 2019 dans le cadre d’une dysphorie de genre (ou transsexualisme; CIM-10 F 64.0).

Consid. 3.3
On rappellera également, à la suite des juges cantonaux, que l‘opération de changement de sexe en cas de dysphorie de genre (ou troubles de l’identité sexuelle) doit être envisagée de façon globale tant pour des raisons physiques que psychologiques. Aussi, lorsque les conditions justifiant l’opération chirurgicale évoquée sont réalisées, les interventions complémentaires visant à modifier les caractères sexuels secondaires font en principe partie des prestations obligatoires devant être mises à la charge des assureurs-maladie, pour autant que les conditions de l’art. 32 al. 1 LAMal soient réalisées (ATF 142 V 316 consid. 5.1; 120 V 463 consid. 6b).

Les caractères sexuels primaires différents chez les femmes et chez les hommes désignent l’ensemble des organes génitaux qui permettent la reproduction et apparaissent in utero après quelques semaines de gestation. On les distingue des caractères sexuels secondaires qui confèrent également à l’individu une apparence féminine ou masculine mais apparaissent à la puberté. Sous l’angle médical, sont notamment mentionnés à cet égard l’apparition d’une pilosité du visage ainsi que d’autres parties du corps, la mue de la voix due à une modification du larynx ou l’augmentation du volume musculaire pour les hommes et le développement de la poitrine ainsi que des capacités de sécrétion lactée ou l’apparition des cycles menstruels chez les femmes (cf. dictionnaire médical Pschyrembel Online, sous www.pschyrembel.de, ad Geschlechtsmerkmale). Il existe encore des particularités physiques qui ont un rôle important du point de vue esthétique et participent en principe de l’apparence féminine ou masculine d’un individu. Il en va ainsi d’une calvitie d’une ampleur typiquement masculine. Dans le contexte d’une dysphorie de genre avec indication d’opération de changement de sexe, une particularité physique qui serait incompatible avec l’apparence féminine ou masculine recherchée doit être assimilée à un caractère sexuel secondaire. Le traitement visant à y remédier doit alors être pris en charge par l’assurance obligatoire des soins comme c’est le cas d’une intervention complémentaire destinée à modifier un caractère sexuel secondaire pour autant que cette mesure fasse partie d’un programme thérapeutique global établi en fonction de tous les éléments recueillis et puisse être considérée comme efficace, appropriée et économique à l’intérieur de ce plan. En principe, la prise en charge des coûts entre alors en considération pour une prestation qui ne constitue en soi pas une mesure à la charge de l’assurance obligatoire des soins (arrêt 9C_331/2020 du 29 septembre 2020 consid. 5.2.2, in: SVR 2022 KV n° 6 p. 35; ATF 142 V 316 consid. 5.2 et la référence).

 

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a d’abord considéré que les arcades sourcilières ne correspondent pas à la définition restrictive, selon elle, des caractères sexuels secondaires appliquée par le Tribunal fédéral, si bien que leur rabotage n’est en principe pas à la charge de l’assurance-maladie des soins. Elle a ensuite examiné la question de savoir si la proéminence des arcades sourcilières de l’assurée, avant leur correction, constitue une particularité physique incompatible avec une apparence féminine pouvant être assimilée à un caractère sexuel secondaire. Elle a nié cela en se fondant sur l’avis du médecin-conseil de la caisse-maladie et a considéré pour le surplus qu’il n’était pas utile de mettre en œuvre une expertise médicale. Dans la mesure où une incompatibilité avec une apparence féminine n’a pas été établie, les juges cantonaux ont nié que les coûts de l’intervention litigieuse puissent être mis à la charge de la caisse-maladie.

Consid. 5.1
Quoi qu’en disent d’abord les parties, le point de savoir si les arcades sourcilières doivent être qualifiées de caractère sexuel secondaire ou de particularité physique ayant un rôle important du point de vue esthétique et participant en principe de l’apparence féminine ou masculine d’un individu peut en l’espèce être laissé ouvert. En effet, dans les deux hypothèses, une intervention complémentaire ne peut être mise à la charge de l’assurance obligatoire des soins pour autant que les conditions de l’art. 32 al. 1 LAMal soient réalisées (consid. 3.3 supra). Pour cette raison déjà, c’est en vain que l’assurée reproche à la juridiction de première instance de ne pas l’avoir entendue sur son revirement de jurisprudence. Si la juridiction cantonale a certes considéré dans un arrêt rendu le 22 mai 2018 (ATAS/423/2018) que les arcades sourcilières étaient à qualifier de caractère sexuel secondaire, elle a alors retenu que la nécessité d’une intervention de correction de cet attribut doit être niée si, dans le cas concret, il n’est pas particulièrement développé, et en tout cas pas au point de provoquer une souffrance ou de participer à la détresse de la patiente. A cet égard, dans le cadre du traitement de la dysphorie de genre, l’objectif thérapeutique recherché doit être non seulement d’accéder au désir de la personne concernée de changer de sexe mais aussi de soulager les effets négatifs du diagnostic, c’est-à-dire de procurer à la personne concernée un bien-être subjectif en éliminant ou en réduisant le malaise et la détresse cliniquement significatifs liés aux difficultés d’ordre somatique et psychique rencontrés lors d’une réassignation sexuelle. Cet objectif implique le fait de donner à la personne concernée une apparence extérieure correspondant à son nouveau sexe (cf. p. ex. ATF 120 V 463 consid. 6b). Il ne relève toutefois pas du seul désir de l’intéressée. Au contraire, encore faut-il que le caractère sexuel secondaire dont la modification est envisagée présente une apparence typique de l’autre sexe que celui attribué, faute de quoi l’opération projetée relèverait de la chirurgie esthétique (à ce propos, cf. ATF 138 V 131 consid. 5.1).

Consid. 5.2.1
Pour parvenir à la conclusion que la protubérance des arcades sourcilières de l’assurée n’était pas incompatible avec une apparence féminine, la juridiction cantonale a apprécié les différents rapports médicaux versés au dossier, ainsi que les photos prises par le spécialiste en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique avant et après l’intervention chirurgicale. Elle a d’abord constaté que ni les médecins interrogés ni la psychologue de l’assurée n’avaient voulu se prononcer sur la question de savoir si les arcades sourcilières de leur patiente étaient incompatibles avec une apparence féminine et a supposé que s’ils avaient jugé la protubérance supra-orbitale comme totalement incompatible avec une apparence féminine, ils n’auraient pas hésité à l’affirmer. Le médecin-conseil de la caisse-maladie, spécialiste en médecine légale, avait en revanche conclu, en se fondant sur les photos avant et après l’opération prises par le chirurgien plastique, que les arcades sourcilières de l’assurée n’étaient pas particulièrement proéminentes et qu’il n’était pas médicalement attesté qu’elles conféraient une apparence masculine à l’intéressée. Quant au chirurgien plastique, il avait qualifié le souhait de sa patiente de subir une intervention de rabotage des arcades sourcilières de compréhensible dans le cas d’espèce et indiqué que la protubérance supra-orbitale était très marquée et avait un aspect très masculin. Confrontés aux avis médicaux divergents du chirurgien et du médecin-conseil, les juges cantonaux ont examiné les photos et conclu qu’elles ne permettaient pas de constater que les arcades sourcilières de l’assurée étaient incompatibles avec une apparence féminine. Ils ont ensuite expliqué que dans la mesure où l’intervention litigieuse ne relève pas d’une question technique ou d’évaluation médicale d’une atteinte à la santé, mais d’une appréciation très subjective d’une apparence, une expertise médicale n’était pas nécessaire en l’espèce. Selon l’instance cantonale, un expert ne pourrait en effet se prononcer que sur la base des mêmes photos.

Consid. 5.2.2
Quoi qu’en dise l’assurée, l’appréciation de la juridiction cantonale n’est pas arbitraire. Parmi les médecins consultés, seul le chirurgien plastique a indiqué qu’avant son intervention, la protubérance des arcades sourcilières était très marquée et avait un aspect très masculin. En revanche, l’endocrinologue traitant a indiqué ne pas être en mesure de juger si les arcades sourcilières de sa patiente étaient « formellement compatibles ou incompatibles avec une apparence féminine avant l’intervention ». De son côté, le médecin-conseil a nié que les arcades sourcilières de l’assurée lui avaient conféré une apparence masculine. Dans ces circonstances, on ne saurait qualifier de manifestement inexactes les constatations cantonales selon lesquelles il n’est pas établi que la protubérance des arcades sourcilières de l’assurée est incompatible avec une apparence féminine, les juges cantonaux ayant par ailleurs eux-mêmes apprécié les photographies au dossier.

L’intervention litigieuse n’était donc pas nécessaire pour atteindre l’objectif thérapeutique visé dans le cadre du traitement de la dysphorie de genre, à savoir principalement le fait de donner à la personne concernée une apparence extérieure correspondant à son nouveau sexe. A cet égard, l’objectif thérapeutique visé ne doit pas seulement être examiné sous l’angle subjectif de la personne en traitement, mais également sous l’angle objectif. L’attribut dont la modification est envisagée doit en effet présenter une apparence typique de l’autre sexe que celui attribué, faute de quoi l’opération projetée relève de la chirurgie esthétique (consid. 5.1 supra). On ajoutera qu’une apparence extérieure correspondant au nouveau sexe ne signifie pas une apparence correspondant à l’idéal de beauté du nouveau sexe. Ainsi, dans un cas particulier, le Tribunal fédéral a considéré que lorsque l’hormonothérapie, dans le cadre d’une dysphorie de genre, a permis un accroissement mammaire correspondant à l’apparence caractéristique d’une poitrine du genre féminin, l’assureur-maladie n’avait pas à prendre en charge une intervention visant à une augmentation mammaire. En d’autres termes, une intervention chirurgicale qui avait pour but premier de contribuer à rendre la poitrine de l’intéressée plus belle ou plus conforme aux mensurations idéales ne constituait pas une prestation obligatoire (arrêt 9C_255/2016 du 17 février 2017 consid. 6).

Consid. 5.2.3
En conséquence de ce qui précède, les coûts de l’intervention subie par l’assurée n’ont pas à être pris en charge par l’assurance-maladie (art. 32 LAMal). Compte tenu des différents avis médicaux, ainsi que des autres pièces au dossier, la juridiction cantonale était en droit de se forger une conviction sans nouvelle mesure d’instruction. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_123/2022 consultable ici

 

9F_9/2023 (f) du 17.10.2023 – Règlement amiable lors de la procédure devant la CourEDH – Révision d’un arrêt du TF pour violation de la CEDH – 122 LTF / Rente de veuf au-delà du 18e anniversaire du benjamin

Arrêt du Tribunal fédéral 9F_9/2023 (f) du 17.10.2023

 

Consultable ici

 

Règlement amiable lors de la procédure devant la CourEDH – Révision d’un arrêt du TF pour violation de la CEDH / 122 LTF

Rente de veuf au-delà du 18e anniversaire du benjamin / 24 al. 2 LAVS

 

A la suite du décès de son épouse, le veuf, né en 1963 et père de trois enfants (nés en 1993, 1995 et 1998), s’est vu octroyer une rente de veuf dès le 01.05.2015 par la caisse de compensation. Par décision du 07.03.2016, confirmée sur opposition le 15.06.2017, la caisse de compensation a, en application de l’art. 24 al. 2 LAVS, mis fin au versement de la prestation au 31.03.2016, au motif que la benjamine de l’intéressé avait atteint l’âge de 18 ans révolus.

Les recours formés par le veuf successivement contre cette décision devant la cour cantonale, puis contre l’arrêt de celle-ci du 21.12.2017 devant le Tribunal fédéral (arrêt 9C_119/2018 du 04.04.2018) ont été rejetés.

Par requête du 25.04.2018 (requête n° 20341/18), le veuf a saisi la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après: la CourEDH), invoquant un grief tiré d’une violation de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH (discrimination fondée sur le sexe dans l’allocation d’une rente de veuf). Par décision du 17.05.2023, rectifiée le 29.06.2023, la CourEDH a pris acte de l’accord intervenu entre le veuf et la Suisse. Elle a rayé la requête du rôle conformément à l’art. 39 CEDH (résolution adoptée le 21.09.2023).

 

Demande de révision de l’arrêt du TF 9C_119/2018

Consid. 2.1
En vertu de l’art. 122 let. a in fine LTF, dans sa version en vigueur à partir du 1er juillet 2022 (RO 2022 289), la révision d’un arrêt du Tribunal fédéral pour violation de la CEDH peut être demandée si la CourEDH a constaté, dans un arrêt définitif (art. 44 CEDH), une violation de la CEDH ou de ses protocoles, ou a conclu le cas par un règlement amiable (art. 39 CEDH). Si les parties parviennent à un règlement amiable lors de la procédure devant la CourEDH, celle-ci rend une décision au sens des art. 39 par. 3 CEDH et 43 par. 3 du Règlement du 4 novembre 1998 de la Cour européenne des droits de l’homme (RS 0.101.2). En pareil cas, le délai de 90 jours prévu par l’art. 124 al. 1 let. c LTF – qui ne mentionne pas l’éventualité du règlement amiable – pour la demande de révision devant le Tribunal fédéral court à compter du prononcé de la décision de radiation de la CourEDH (DENYS, Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 6 ad art. 122 et 124 LTF). En outre, le requérant doit avoir la qualité pour former une demande de révision et, notamment, disposer d’un intérêt actuel à obtenir un nouveau jugement sur le point litigieux (ATF 144 I 214 consid. 2.1 et les références).

Consid. 2.2
Partie à la procédure ayant abouti à l’arrêt du Tribunal fédéral dont la révision est demandée, le requérant bénéficie de la qualité pour agir et d’un intérêt actuel à obtenir le réexamen de sa cause ensuite de la décision de la CourEDH, sous réserve du consid. 3.3 ci-après. Par ailleurs, la CourEDH a rayé la requête du rôle, car les parties étaient parvenues à un règlement amiable conformément aux art. 39 par. 3 CEDH et 43 par. 3 du règlement de la CourEDH. Pour le surplus, la demande de révision est recevable à la forme et déposée en temps utile.

Consid. 3.1
Le motif de révision de l’art. 122 LTF suppose, de surcroît, outre que les parties soient parvenues à un accord, qu’une indemnité ne soit pas de nature à remédier aux effets de la violation (let. b) et que la révision soit nécessaire pour remédier aux effets de la violation (let. c).

Consid. 3.2
En l’espèce, dans l’arrêt 9C_119/2018, le Tribunal fédéral a rejeté le recours formé par le veuf, jugeant qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter de la jurisprudence selon laquelle la suppression de la rente d’un conjoint survivant à la majorité du dernier enfant n’entrait pas dans le champ d’application de l’art. 8 CEDH, de sorte que la situation ne se prêtait pas à un examen sous l’angle de l’art. 14 CEDH (ATF 139 I 257).

Dans l’affaire Beeler c. Suisse, la Grande Chambre de la CourEDH a admis le 11.102022 qu’un litige portant sur le droit à une rente de veuf de l’assurance-vieillesse et survivants suisse au-delà de la majorité du dernier enfant entrait dans le champ d’application de l’art. 8 par. 1 CEDH sous l’angle du droit au respect de la vie familiale (arrêt Beeler c. Suisse du 11 octobre 2022, n° 78630/12, § 73 ss; cf. aussi sur les critères pertinents quant au point de savoir « ce qui tombe sous l’empire de l’art. 8 CEDH en matière de prestations sociales » § 66 ss). A la suite de cet arrêt, conformément à la décision de la CourEDH du 17 mai 2023, rectifiée le 29 juin 2023, la Suisse et le requérant sont parvenus à un accord amiable, réservant la question de la réparation du dommage matériel pour le requérant résultant de l’interruption du versement de la rente du veuf au moment où son dernier enfant a atteint l’âge de la majorité. La Suisse a en outre constaté dans ce règlement amiable que la présente affaire soulevait une question similaire à celle de l’affaire Beeler c. Suisse. Dans ces circonstances, la réparation du dommage matériel ayant été réservée, la révision est nécessaire pour remédier aux effets de la violation. Il y a dès lors lieu d’admettre le motif de révision et de procéder conformément à l’art. 128 al. 1 LTF, en d’autres termes, d’annuler le ch. 2 du dispositif de l’arrêt 9C_119/2018 et de statuer à nouveau sur le recours à la lumière de l’accord amiable et de l’arrêt Beeler contre Suisse du 11 octobre 2022.

Consid. 3.3
En revanche, dans le cadre du règlement amiable, la Suisse a versé au requérant la somme de 4’996 euros (environ 5’000 fr.) afin de couvrir l’ensemble des frais et dépens encourus par celui-ci dans les procédures internes et devant la Cour à raison des faits qui ont donné lieu à l’introduction de la requête. Le requérant ne saurait dès lors obtenir la révision du ch. 3 du dispositif de l’arrêt 9C_119/2018, en tant qu’il met des frais de procédure de 500 fr. à sa charge. Sur ce point, le requérant ayant déjà été indemnisé, la demande de révision est irrecevable (art. 122 let. b LTF).

Consid. 4.1
La Grande Chambre de la CourEDH a jugé dans l’arrêt Beeler c. Suisse que le Gouvernement suisse n’avait pas démontré qu’il existait des considérations très fortes ou des « raisons particulièrement solides et convaincantes » propres à justifier à l’art. 24 al. 2 LAVS la différence de traitement fondée sur le sexe entre les veufs et les veuves. Selon cette disposition, outre les causes d’extinction mentionnées à l’art. 23 al. 4 LAVS, le droit à la rente de veuf s’éteint lorsque le dernier enfant atteint l’âge de 18 ans. La Grande Chambre de la CourEDH a retenu dès lors que l’inégalité de traitement entre les veufs et les veuves ne saurait reposer sur une justification raisonnable et objective (au sens de l’art. 14 CEDH, combiné avec l’art. 8 CEDH).

Il convient de prendre acte de l’interprétation de l’art. 14 CEDH, combiné avec l’art. 8 par. 1 CEDH, donnée par la Grande Chambre de la CourEDH. Appliqué à la lumière de ces principes, l’art. 24 al. 2 LAVS ne repose dès lors pas sur une justification raisonnable et objective susceptible de permettre un traitement différent du requérant et recourant après le 18e anniversaire de son plus jeune enfant. Aussi, la rente de veuf du recourant octroyée sur la base de l’art. 23 LAVS ne devait pas prendre fin lorsque le dernier de ses enfants a atteint l’âge de 18 ans et devait continuer à être versée (cf. Bulletin de l’OFAS n° 460 du 21 octobre 2022 à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC, ch. 2). Le droit à sa rente de veuf est maintenu au-delà du 31 mars 2016. Cela conduit à l’annulation de l’arrêt cantonal du 21 décembre 2017 et de la décision sur opposition de la caisse de compensation du 15 juin 2017, ainsi qu’au renvoi de la cause à ladite caisse afin qu’elle fixe le montant du droit à la rente de veuf au-delà du 31 mars 2016 ainsi que les paiements rétroactifs y relatifs, avec intérêts moratoires (cf. Bulletin de l’OFAS précité, ch. 2), étant précisé que le recourant a indiqué s’être remarié entre-temps.

Consid. 4.2
Dans la mesure où l’accord amiable prévoit déjà une indemnisation couvrant l’ensemble des frais et dépens encourus par l’intéressé dans les procédures internes, il n’y a pas lieu de revenir sur la réparation des frais et dépens de la procédure cantonale et fédérale antérieure (consid. 3.3. supra).

 

Consid. 5. 

Le requérant obtient gain de cause sur le principe de la révision.

Au vu des circonstances, il y a lieu de renoncer exceptionnellement à percevoir des frais judiciaires (art. 66 al. 1, 2e phrase, LTF). L’intimée versera au requérant une indemnité à titre de dépens (art. 68 al. 1 et 2 LTF).

 

Arrêt 9F_9/2023 consultable ici

 

8C_704/2022 (d) du 27.09.2023 – Lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical – 6 al. 3 LAA / Causalité naturelle et adéquate

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_704/2022 (d) du 27.09.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical / 6 al. 3 LAA

Causalité naturelle et adéquate

 

Assurée, née en 1996, employée depuis le 1er octobre 2016 dans le cadre d’un contrat d’apprentissage en tant que cuisinière diététique auprès d’un hôpital. Le 18.09.2017, elle a subi un traumatisme par distorsion du genou droit lors d’un exercice de gymnastique. Le bilan radiologique a mis en évidence une rupture du LCA, qui a fait l’objet d’une intervention chirurgicale le 23.10.2017. Fin décembre 2017, l’assurée a subi un nouveau traumatisme par distorsion. De nouvelles interventions chirurgicales ont eu lieu les 08.03.2018, 30.05.2018, 31.07.2018 et 28.08.2018.

Sur les conseils du médecin-conseil de l’assurance-accidents, l’assurée s’est rendue à la clinique C.__ pour un deuxième avis. Là, un mauvais positionnement de la plastie du ligament croisé a été constaté et une nouvelle opération a été réalisée le 07.12.2018. Malgré un séjour stationnaire du 03.03.2019 au 18.04.2019 au centre de rééducation D.__, des douleurs permanentes, accentuées en fonction de l’effort, ainsi qu’une limitation de l’extension ont toutefois persisté. En raison de l’évolution, des examens neurologiques ont été effectués. Du 06.01.2020 au 27.03.2020, l’assurée a derechef été hospitalisée, cette fois-ci à la clinique E.__, où elle a une nouvelle fois chuté le 06.02.2020. Aucun progrès significatif n’a été réalisé. Après une consultation dans un centre pour la maladie de Parkinson/les troubles de la mobilité, à l’automne 2020, un nouveau séjour de réadaptation à la clinique G.__ a été réalisé du 03.01.2021 au 27.03.2021. Entre-temps, l’assurée se déplaçait en grande partie en fauteuil roulant.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a procédé à la clôture du cas au 30.11.2020.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a confirmé la clôture du cas au 30.11.2020, étant donné qu’à cette date, il n’y avait plus d’amélioration notable à attendre d’un traitement supplémentaire des troubles, dans la mesure où ils étaient d’origine somatique. Le trouble de la marche développé n’avait pas d’explication neurologique et structurelle, aucun substrat organique n’avait pu être trouvé pour les douleurs dont se plaignait l’assurée. Le tribunal cantonal a examiné la question de savoir s’il existait un lien de causalité adéquate entre les troubles organiques non prouvés objectivement et les accidents subis, conformément à la pratique relative aux conséquences psychiques des accidents. Les événements devaient à chaque fois être qualifiés de légers et le lien de causalité adéquate devait donc être niée d’emblée. Tout au plus l’événement de fin décembre 2017, pour lequel on ne dispose toutefois pas de données en temps réel, pourrait, s’il s’agissait d’une chute dans les escaliers, être classé parmi les accidents de gravité moyenne, mais à la limite des accidents légers. Un lien de causalité adéquate avec les plaintes encore existantes le 30.11.2020 devait également être nié. A cet égard, l’instance cantonale a notamment considéré que les troubles ne pouvaient plus être expliqués objectivement sur le plan organique après la rééducation au printemps 2019. Par conséquent, les critères de la durée anormalement longue du traitement médical, des douleurs physiques persistantes et du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques ne sont notamment pas remplis. La cour cantonale a en outre rejeté, faute de lien de causalité adéquate, l’obligation de prestation invoquée par l’assurée sur la base de l’art. 6 al. 3 LAA en raison d’une erreur de traitement médical lors de la plastie ligamentaire du 23.10.2017.

Par jugement du 26.10.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Au sens de l’art. 6 al. 3 LAA, l’assurance alloue en outre ses prestations pour les lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical (art. 10). Le sens et le but de cette disposition est que l’assureur-accidents assume le risque pour les mesures médicales qu’il a prises en charge ; le corollaire de l’obligation de traitement et de la soumission de l’assuré à cette obligation est ainsi établi.

La responsabilité s’étend aux atteintes à la santé imputables à des mesures de traitement prises à la suite d’un accident. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une erreur de traitement, ni que la notion d’accident soit remplie, ni qu’il y ait une faute professionnelle, ni même qu’il y ait objectivement une violation du devoir de diligence du médecin. Ainsi, la complication médicale est également assurée au sens d’une conséquence indirecte de l’accident, et ce même dans le cas des complications les plus rares et les plus graves. L’assureur ne verse pas non plus de dommages-intérêts au sens du droit de la responsabilité civile, mais fournit des prestations d’assurance selon la LAA (ATF 128 V 169 consid. 1c).

Comme il ne s’agit pas de conséquences d’un accident, mais d’un traitement médical, il n’y a pas lieu d’appliquer une évaluation de la causalité adéquate selon la jurisprudence relative aux conséquences psychiques d’un accident en tenant compte de critères liés à l’accident (ATF 115 V 133), mais de recourir à la formule générale d’adéquation. En d’autres termes, il faut se demander si le traitement qui n’a éventuellement pas été effectué lege artis est en soi susceptible, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, de provoquer un résultat du type de celui qui s’est produit, autrement dit si la survenance de ce résultat apparaît généralement comme favorisée par l’événement (ATF 129 V 177 consid. 3 et 4 ; SVR 2007 UV n° 37 p. 125 avec références, U 292/05 consid. 3.1 ; arrêt 8C_288/2007 du 12 mars 2008 consid. 6.1).

Consid. 3.3
Il convient d’ajouter que la preuve du lien de causalité naturelle doit être apportée en premier lieu par les indications des professionnels de la santé (SVR 2016 UV n° 18 p. 55, 8C_331/2015 E. 2.2.3.1 ; arrêt 8C_287/2020 du 27 avril 2021 consid. 3.1). […]

 

Consid. 5
Le recours est dirigé en premier lieu contre le fait que l’instance cantonale a renoncé à une clarification plus approfondie des douleurs et des limitations de mouvement persistant depuis le premier accident du 18.09.2017 et qu’elle a également nié l’obligation de prester de l’assurance-accidents sur la base de l’art. 6 al. 3 LAA, faute de lien de causalité adéquate.

En examinant le lien de causalité adéquate requis pour l’obligation de verser des prestations selon la pratique relative aux conséquences psychiques d’un accident (ATF 115 V 133), le tribunal cantonal a violé le droit fédéral. Lors de l’évaluation d’une éventuelle responsabilité selon l’art. 6 al. 3 LAA, c’est plutôt la formule générale d’adéquation qui s’applique et il est déterminant de savoir si, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, une mesure médicale qui a échoué est en soi susceptible de provoquer un résultat du genre de celui qui s’est produit (cf. consid. 3.2 supra). Si l’appréciation du lien de causalité adéquate par l’instance cantonale s’avère erronée dans la procédure de recours devant le Tribunal fédéral et que le lien de causalité adéquate devait être retenu, il conviendra, conformément à la pratique, d’ordonner des investigations supplémentaires sur les questions qui se posent du point de vue factuel concernant la nature des troubles (diagnostic, caractère invalidant) ainsi que leur lien de causalité naturelle, avant de se prononcer définitivement à ce stade sur le lien de causalité adéquate (ATF 148 V 138 consid. 5).

La question de savoir si l’assurée a éventuellement subi un dommage dans le cadre de l’intervention chirurgicale du 23.10.2017 n’a pas été clarifiée à ce jour de manière juridiquement satisfaisante, pas plus que la question de savoir si, dans l’affirmative, les troubles persistants par la suite sont en lien de causalité naturelle avec la complication médicale. Même si les troubles ne devaient pas être causés par une lésion lors de l’opération, des investigations supplémentaires sont nécessaires quant à leur étiologie. Certes, des examens approfondis ont été effectués dans des cliniques spécialisées. Cependant, les médecins traitants n’avaient pas besoin d’éclaircissements à ce sujet, mais les évaluations diagnostiques servaient avant tout à évaluer les possibilités thérapeutiques. Pour que l’assureur-accidents soit tenu de verser des prestations – éventuellement au-delà du 30.11.2020 -, il est toutefois indispensable de clarifier la nature des limitations. Compte tenu de la complexité de l’évolution, l’assurance-accidents a notamment renoncé à tort à soumettre le dossier à son médecin-conseil pour un examen plus approfondi.

L’affaire doit être renvoyée à l’assurance-accidents pour un examen complet, également indispensable pour les questions juridiques qui se posent, et pour qu’elle rende une nouvelle décision sur son obligation de prester.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_704/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_704/2022 (d) du 27.09.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/11/8c_704-2022)

 

9C_493/2022 (f) du 28.09.2023 – Prestations complémentaires – Dessaisissement de fortune et capacité de discernement – Diminution de patrimoine causée par une infraction pénale

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_493/2022 (f) du 28.09.2023

 

Consultable ici

 

Prestations complémentaires – Condition de la fortune / 9a LPC – 11a LPC

Notion de dessaisissement de fortune (17b OPC-AVS/AI) et capacité de discernement (16 CC) – Prêt sans condition de CHF 585’000

Acte déraisonnable indice d’un défaut de discernement

Diminution de patrimoine causée par une infraction pénale

 

Par ordonnance du 06.07.2021, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après: le TPAE) a institué une curatelle de représentation et de gestion en faveur de l’assurée, née en 1941, et désigné Maître X.__ aux fonctions de curateur.

Le 13.10.2021, l’assurée a déposé une demande de prestations complémentaires à sa rente de l’assurance-vieillesse et survivants, par l’intermédiaire de son curateur. Dans le courrier accompagnant la demande, le curateur indiquait que la santé psychique de la prénommée était très inquiétante et qu’une admission dans un lieu de vie sécurisé était urgente; il y précisait également que l’assurée avait prêté, sans aucune garantie, la quasi-totalité de son disponible financier à B.__, domiciliée en Espagne, et qu’il ignorait si les prêts seraient remboursés. Par décision, confirmée sur opposition, le Service des prestations complémentaires (ci-après: le SPC) a rejeté la demande. En bref, il a considéré que la fortune nette de l’assurée était évaluée à 599’992 fr. 60, une fois pris en compte les prêts octroyés à hauteur de 585’000 fr., et que l’intéressée n’avait pas démontré avoir été victime de tromperie lors de l’octroi des prêts successifs, ni que la créance était irrécupérable; en tout état de cause, même si la créance ne pouvait pas effectivement être récupérée, elle devait être prise en compte sous l’angle d’un dessaisissement de fortune.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/818/2022 – consultable ici)

L’assurée a, par l’intermédiaire de son curateur, interjeté recours le 19.11.2021. Le 14.01.2022, le curateur a informé la juridiction cantonale du dépôt, le jour même, d’une plainte pénale à l’encontre de B.__. Après avoir notamment requis des renseignements auprès de la médecin traitante de l’assurée et tenu des audiences d’enquêtes au cours desquelles elle a entendu deux témoins, la cour cantonale a rejeté le recours (arrêt du 19.09.2022).

 

TF

Consid. 4.2
La capacité de discernement doit être présumée et que celui qui en allègue l’absence doit prouver l’incapacité de discernement au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. art. 16 CC; ATF 124 III 5 consid. 1b; arrêts 9C_28/2021 du 4 novembre 2021 consid. 5.2; 5A_914/2019 du 15 avril 2021 consid. 3.2). En revanche, lorsque l’expérience de la vie conduit à présumer (par exemple pour les jeunes enfants, en présence de certaines affections psychiques ou pour les personnes affaiblies par l’âge) que la personne en cause, en fonction de sa constitution, ne doit pas être jugée capable de discernement, la preuve est considérée comme suffisamment rapportée et la présomption renversée. L’autre partie peut alors tenter de prouver un intervalle de lucidité (cf. ATF 124 III 5 consid. 1b; arrêt 6B_869/2010 du 16 septembre 2011 consid. 4.2).

La présomption d’incapacité de discernement concerne, selon la jurisprudence, les cas dans lesquels la personne en cause se trouve, au moment d’agir, diminuée psychiquement de manière durable en raison de l’âge ou de la maladie, comme cela est notoirement le cas en présence de démences séniles (syndrome psycho-organique avec pour cause une artériosclérose sénile, trouble délirant persistant ou démence sénile de type Alzheimer, p. ex.; cf. arrêt 5A_951/2016 du 14 septembre 2017 consid. 3.1.3.1 et les arrêts cités; arrêt 5A_926/2021 du 19 mai 2021 consid. 3.1.1.1). L’incapacité de discernement n’est, en revanche, pas présumée et doit, partant, être prouvée, par exemple chez une personne d’un âge avancé qui n’est que faible, atteinte dans sa santé et confuse par moment, chez une personne qui ne souffre que d’absences sporadiques ensuite d’une apoplexie ou encore qui ne souffre que de trous de mémoire liés à l’âge (arrêt 5A_951/2016 cité consid. 3.1.3.1 et les références). Un simple doute sur l’état mental ne suffit pas à renverser la présomption de capacité de discernement (arrêt 6B_869/2010 précité consid. 4.5).

Consid. 4.3
Les juges cantonaux n’ont pas déduit « une prétendue absence de troubles du seul fait que la Dre C.__ a[va]it indiqué qu’elle ne pouvait pas se prononcer sur les troubles de sa patiente en 2017, vu les rendez-vous médicaux plus espacés ». Selon leurs constatations, le médecin traitant n’avait pas observé, lors des consultations durant la période des prêts, une incapacité de sa patiente à gérer ses propres affaires. A la suite de la juridiction cantonale, force est d’admettre que la Dre C.__ n’a mis en évidence aucun élément objectif permettant de remettre en cause la capacité de discernement de l’assurée durant les années 2017 à 2019, même si elle a indiqué qu’elle ne pouvait se prononcer sur la capacité de sa patiente à gérer ses affaires. Elle a fait état d’une « situation se détériorant rapidement » durant la période postérieure, à compter de 2021, voire déjà 2020, qui l’a conduite à signaler sa patiente auprès du TPAE le 17 mai 2021. La Dre C.__ a en effet rapporté qu’elle avait observé objectivement en consultation une perte rapide dans l’autogestion en janvier 2021, qui était probablement déjà présente en 2020, selon l’anamnèse établie à l’époque, même si cela ne ressortait pas à ce moment à l’occasion des consultations. Partant, l’argumentation de l’assurée ne démontre pas en quoi les constatations de fait des juges cantonaux, fondées sur le rapport du médecin traitant, en relation avec sa capacité de discernement entre 2017 et 2019, soit à l’époque du dessaisissement de fortune, seraient manifestement inexactes ou arbitraires.

Consid. 4.4
L’assurée ne peut pas davantage être suivie lorsqu’elle affirme que les témoignages de D.__ et de E.__, qui la connaissent depuis de nombreuses années, démontrent son « incapacité de discernement claire » en 2017 déjà. Si D.__ a certes indiqué que, selon elle, A.__ « n’avait pas toute sa capacité de discernement au moment d’octroyer les prêts », elle ne l’a pas vue durant la période en cause, puisqu’elle s’est occupée d’elle uniquement à partir de l’année 2021, voire 2020. Dès lors déjà que les constatations de D.__ concernent une période postérieure à celle des prêts, c’est sans arbitraire, ni violation du droit, que la juridiction cantonale a considéré que son témoignage ne permettait pas de remettre en question la capacité de discernement de l’assurée entre 2017 et 2019.

Quant à E.__, qui a rendu visite à A.__ à raison d’une fois par semaine entre 2017 et 2019, elle a mentionné s’être aperçue dès 2018 que son amie était confuse, que celle-ci mélangeait les choses et qu’elle se trompait de dates, en précisant également que, selon elle, si l’assurée avait été en pleine santé, elle n’aurait jamais octroyé un prêt si important. Ces éléments ne suffisent cependant pas pour admettre, au moment des prêts, un état durable d’altération mentale lié à l’âge ou à la maladie, en présence duquel la personne en cause est en principe présumée dépourvue de la capacité d’agir raisonnablement (cf. consid. 4.2 supra). Les considérations de personnes proches quant à l’ampleur et au caractère peu raisonnable des prêts que l’assurée a accordés ne sauraient du reste l’emporter sur les constatations médicales figurant au dossier, en l’occurrence celles de la Dre C.__, qui ne fait pas mention d’un état durable d’altération mentale ni d’une incapacité de discernement pour la période antérieure à 2021, voire à 2020.

Consid. 4.5
C’est également en vain que l’assurée affirme que « la remise des fonds en elle-même est déjà un signe évident d’incapacité de discernement ». Elle allègue à ce propos que tout simplement personne, à part quelqu’un qui n’a plus sa faculté d’agir raisonnablement, « aurait remis l’entier de sa fortune, soit plus de 500’000 fr., à une brève connaissance, pour des activités en Espagne, sans aucune garantie ». Cette argumentation est mal fondée, dès lors qu’une personne peut agir de manière déraisonnable sans être dépourvue de la capacité de discernement. Une personne n’est en effet privée de discernement au sens de la loi que si sa faculté d’agir raisonnablement est altérée, en partie du moins, par l’une des causes énumérées à l’art. 16 CC (ATF 117 II 231 consid. 2a; cf. aussi arrêt 8C_916/2011 du 8 janvier 2013 consid. 2.2). Or une telle cause n’est pas établie à l’époque déterminante à laquelle les prêts ont été accordés, au vu des indications médicales au dossier (consid. 4.3 supra).

Il est vrai que les juges cantonaux ont retenu qu’« il y a lieu d’admettre qu’aucune personne raisonnable n’aurait, dans la même situation et les mêmes circonstances octroyé, un tel prêt ». Si un acte déraisonnable peut dans certaines circonstances constituer un indice d’un défaut de discernement (arrêt 5A_910/2021 du 8 mars 2023 consid. 6.2.3 et les arrêts cités), en l’occurrence, cet indice est insuffisant à lui seul. L’appréciation de la juridiction cantonale se rapporte du reste au caractère déraisonnable du prêt octroyé par l’assurée, en relation avec la jurisprudence selon laquelle si l’octroi d’un prêt ne saurait être assimilé à un dessaisissement de fortune, dès lors qu’il fonde un droit au remboursement, il faut cependant réserver l’hypothèse où, au regard des circonstances concrètes du cas d’espèce, il apparaît dès le départ que ce prêt ne sera pas remboursé (arrêts 9C_333/2016 du 3 novembre 2016 consid. 4.3.3; 9C_180/2010 du 15 juin 2010 consid. 5.2 et les arrêts cités). Le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 5
Le grief de l’assurée tiré d’un établissement inexact des faits et d’une violation des art. 11a LPC et 17 OPC-AVS/AI, en ce que la juridiction cantonale n’a pas examiné la « problématique de diminution de patrimoine causée par une infraction pénale », est en revanche bien fondé.

Selon la jurisprudence, une diminution du patrimoine due à des actes punissables (p. ex. escroquerie) ne peut en effet pas être qualifiée de dessaisissement de fortune, étant donné que le propre d’une telle diminution du patrimoine est précisément que la victime de l’acte punissable n’est pas consciente de l’ampleur du risque de l’investissement réalisé ou qu’elle est trompée astucieusement à ce sujet (arrêts 9C_180/2010 précité consid. 5.2; 8C_567/2007 du 2 juillet 2008 consid. 6.5). Or en l’espèce, bien que dûment informés par le curateur de l’assurée du dépôt d’une plainte pénale à l’encontre de B.__, le 14 janvier 2022, les juges cantonaux n’ont pas tenu compte de ce fait, qui avait pourtant une importance décisive pour l’issue du litige. La plainte semble comprendre des éléments suffisamment concrets pour justifier un examen des faits invoqués sous l’angle pénal. En conséquence, la cause doit leur être renvoyée afin qu’ils instruisent le point de savoir si la diminution de patrimoine de l’assurée a été provoquée par un acte punissable, en se fondant, le cas échéant, sur l’issue de la procédure pénale.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_493/2022 consultable ici

 

8C_326/2023 (d) du 06.10.2023 – Chute sur l’épaule – Coiffe des rotateurs – Causalité naturelle / 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_326/2023 (d) du 06.10.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Chute sur l’épaule – Coiffe des rotateurs – Causalité naturelle / 6 LAA

 

Assuré, né en 1978, plâtrier. Le 05.01.2021, il a glissé dans un escalier verglacé alors qu’il travaillait. En tombant, il s’est fait une contusion au coccyx et à l’avant-bras droit. Sans consulter un médecin, il a d’abord cessé son travail. En raison de douleurs persistantes, il s’est rendu le 11.01.2021 au service des urgences de l’hôpital C.__, où une contusion du rachis lombaire et une luxation acromio-claviculaire de degré I-II à l’épaule droite ont été diagnostiquées et où une incapacité de travail totale a été attestée du 05.01.2021 au 02.02.2021. Par courrier du 01.04.2021, l’assurance-accidents a reconnu son obligation de verser des prestations en ce qui concerne les conséquences de l’accident pour une durée limitée, du 05.01.2021 jusqu’au 04.04.2021 et a ensuite renvoyé l’assuré à la compétence de la caisse-maladie pour la suite du traitement médical. Par décision du 11.02.2022, confirmée par décision sur opposition le 10.08.2022, l’assurance-accidents a maintenu la clôture du cas au 04.04.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.319 disponible ici)

L’instance cantonale a considéré qu’il fallait se fonder sur les appréciations médicales – probantes – du dossier des 01.04.2021 et 12.01.2022 du médecin-conseil. Les constatations peropératoires effectuées le 31.03.2021 permettent de conclure au degré de la vraisemblance prépondérante à une contusion de l’épaule qui a entraîné une aggravation passagère de l’état dégénératif antérieur avec une discrète brèche osseuse dans la zone du tuberculum minus. Tant le tendon du biceps altéré par la dégénérescence que la rupture de la coiffe des rotateurs réparée lors de l’opération du 31.03.2021 n’auraient, selon toute vraisemblance, pas de lien de causalité avec l’accident. Non seulement ces résultats peropératoires mais également le fait que l’assuré ne se soit rendu au service des urgences pour un premier traitement médical que six jours après la chute dans les escaliers invoquée comme cause de l’accident plaident contre la causalité de l’accident pour la problématique de l’épaule persistante après le 04.04.2021.

La cour cantonale s’est penchée de manière approfondie sur les appréciations de la causalité naturelle et a expliqué les raisons pour lesquelles les appréciations des médecins traitants n’étaient pas en mesure d’éveiller des doutes, même minimes, sur le résultat des preuves et pourquoi il n’y avait pas lieu d’attendre d’autres mesures probatoires dans le cadre d’une appréciation anticipée des preuves des éléments nouveaux essentiels à la décision.

Par jugement du 06.04.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Il est établi et incontesté que l’épaule droite contusionnée lors de l’accident présente un état dégénératif antérieur qui, selon l’anamnèse, n’a provoqué aucun symptôme jusqu’au 05.01.2021. Selon le rapport du médecin, ni l’opération du 31.03.2021 ni l’opération de révision de septembre 2021 n’ont eu d’effet positif durable sur les douleurs dont l’assuré se plaint depuis lors.

Consid. 3.2
L’assuré n’apporte aucun élément susceptible de remettre sérieusement en question l’appréciation des preuves et la constatation des faits pertinents en droit effectuées par l’instance cantonale. En particulier, ses objections ne sont pas de nature à éveiller des doutes, même minimes, quant à l’appréciation du médecin-conseil ou à invalider l’argumentation de l’instance cantonale.

L’évaluation du lien de causalité naturelle par le médecin-conseil répond aux réquisits jurisprudentiels (cf. arrêt 8C_167/2021 du 16 décembre 2021 consid. 4.1 avec références ; cf. en outre, concernant la position défendue par swiss orthopädics : arrêt 8C_62/2023 du 16 août 2023 consid. 5.2.2 avec référence à SVR 2021 UV no 34 p. 154, 8C_672/2020 E. 4.5 avec références).

L’assuré se réfère à plusieurs reprises au rapport de son chirurgien traitant du 23.03.2021. Il n’avait toutefois pas encore connaissance des résultats peropératoires du 31.03.2021. Ces résultats ont en revanche été appréciés par le médecin-conseil dans son évaluation du dossier du 12.01.2022. Contrairement à la description de l’assuré, c’est précisément le chirurgien traitant qui a indiqué le 23.03.2021 que l’état de santé s’était plutôt détérioré sous physiothérapie, raison pour laquelle l’assuré souhaitait alors une démarche proactive concernant la planification de l’opération du 31.03.2021. Les publications citées par l’assuré ne modifient pas la valeur probante des appréciations médicales sur dossier du médecin-conseil. En particulier, il ne fait pas valoir et il n’apparaît pas que l’événement accidentel aurait entraîné une aggravation déterminante de l’état dégénératif préexistant.

 

Consid. 5
Le recours étant manifestement mal fondé, il doit être considéré comme voué à l’échec au sens de l’art. 64 al. 1 LTF (arrêt 8C_300/2021 du 23 juin 2021 consid. 6 avec référence). La requête d’assistance judiciaire gratuite doit par conséquent être rejetée.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_326/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_326/2023 (d) du 06.10.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/11/8c_326-2023)