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8C_275/2023 (f) du 18.10.2023 – Notion d’accident – Gelure aux doigts et aux orteils lors de l’ascension du Cervin – 4 LPGA / Caractère extraordinaire – Examen de la jurisprudence en matière de lésions provoquées par le froid

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_275/2023 (f) du 18.10.2023

 

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Notion d’accident – Gelure aux doigts et aux orteils lors de l’ascension du Cervin / 4 LPGA

Caractère extraordinaire – Examen de la jurisprudence en matière de lésions provoquées par le froid

 

Le 09.10.2021, vers 3h30, l’assuré, né en 1983, a entamé depuis la cabane Hörnli l’ascension de la face nord du Cervin par la voie Schmidt, avec un compagnon de cordée. Après avoir atteint le sommet, les deux alpinistes ont rejoint le bivouac de Solvay vers 6h30 le 10.10.2021 et ont dormi quelques heures. A leur réveil, vers midi, ils ont remarqué qu’ils avaient des gelures sévères aux extrémités et ont appelé les secours. Héliportés à l’Hôpital C.__, ils ont ensuite été transférés à l’Hôpital D.__, où le diagnostic de gelures des orteils et des doigts a été posé chez l’assuré. Ces lésions ont conduit à l’amputation de l’ensemble des orteils du pied droit et à l’amputation partielle d’un doigt de la main gauche et de trois doigts de la main droite.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé d’octroyer des prestations à l’assuré, au motif que l’événement survenu les 9 et 10 octobre 2021 ne pouvait pas être qualifié d’accident et que les atteintes subies ne constituaient pas des lésions corporelles assimilées à un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 24/22 – 32/2023 – consultable ici)

Par jugement du 13.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1
L’assurance-accidents est en principe tenue d’allouer ses prestations en cas d’accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte et, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur; il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 129 V 402 consid. 2.1).

Consid. 3.1.2
Suivant la définition même de l’accident, le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Dès lors, il importe peu que le facteur extérieur ait entraîné des conséquences graves ou inattendues. Le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu’il excède le cadre des événements et des situations que l’on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d’habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 134 V 72 consid. 4.1).

Consid. 3.2
La jurisprudence en matière de lésions provoquées par le froid, correctement exposée par la juridiction cantonale, peut être résumée ainsi.

Consid. 3.2.1
L’ancien Tribunal fédéral des assurances s’est tout d’abord penché sur les atteintes dues à la chaleur. Il a retenu qu’une insolation, un coup de soleil ou un coup de chaleur ne résultaient pas de l’action d’un facteur extérieur extraordinaire et ne répondaient donc pas, en règle générale, à la notion d’accident. Il en allait toutefois différemment lorsque les effets dommageables se produisaient ensuite d’événements extraordinaires, par exemple si un assuré se cassait une jambe, ne pouvait plus bouger et était exposé au soleil. Ce n’était que dans de tels cas exceptionnels qu’une insolation, un coup de soleil ou un coup de chaleur pouvaient être qualifiés d’accident (ATF 98 V 165).

Consid. 3.2.2
Par la suite, le Tribunal fédéral des assurances a appliqué par analogie la jurisprudence précitée aux affections causées par le froid. Il avait à juger le cas d’une personne qui, lors d’une randonné à ski entre 3’500 et 3’600 mètres d’altitude, avait subi des gelures aux mains. Niant l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire, les juges fédéraux ont considéré que les conditions météorologiques décrites par l’intéressé (à savoir des températures très froides et un fort vent) se situaient dans le cadre de ce à quoi l’on pouvait s’attendre lors d’une randonnée en haute montagne, au mois de mars et à une altitude de plus de 3’500 mètres. Rien n’indiquait non plus que les gelures étaient dues à un événement extérieur significatif (comme par exemple une jambe cassée ou une chute dans une crevasse suivie d’une hypothermie). En l’absence de circonstances particulières faisant apparaître l’exposition au froid comme un événement inhabituel, il ne s’agissait pas d’un accident (arrêt U 109/86 du 21 avril 1987 consid. 3, in RAMA 1987 n° U 25 p. 373).

Consid. 3.2.3
Le Tribunal fédéral des assurances a également examiné le cas d’un assuré victime d’engelures à huit doigts ensuite d’une excursion en haute montagne. Il était admis que les engelures avaient été provoquées par l’action du froid consécutive à la déchirure de gants en laine et à l’utilisation d’une seconde paire de gants qui, par un effet de compression, avait brusquement et rapidement altéré la microcirculation, déclenchant un processus d’hypothermie, lequel avait occasionné les lésions observées en l’espace de quelques dizaines de minutes. Les juges fédéraux ont estimé que ces circonstances, imprévisibles, excédaient le cadre de ce qui pouvait raisonnablement être classé comme habituel dans les activités de montagne. Les atteintes subies par l’intéressé n’étaient pas imputables aux seuls effets climatiques, mais à la déchirure imprévue de gants en laine appropriés à l’activité. Dans des conditions normales, à savoir en l’absence de cet événement imprévisible, l’atteinte à la santé ne se serait pas produite, de sorte qu’il convenait d’admettre la condition du caractère extraordinaire du facteur extérieur. La condition de la soudaineté était également remplie (arrêt U 430/00 du 18 juillet 2001 consid. 4).

Consid. 3.2.4
Dans un cas plus récent, le Tribunal fédéral a rappelé que les effets de la météo échappent à la notion d’accident lorsqu’ils entraînent des insolations, des coups de soleil, des coups de chaleur ou des gelures. En l’occurrence, il s’agissait d’un individu mort d’hypothermie alors qu’il effectuait une randonnée de plusieurs jours en Islande. L’hypothermie avait été causée par un rapide changement de temps, caractérisé par de fortes pluies, du vent, du brouillard et des températures proches du point de congélation. Le Tribunal fédéral a confirmé que le critère du caractère extraordinaire du facteur extérieur n’était pas rempli. La météo exceptionnellement mauvaise, évoquée par le gardien du parc, ne dépassait pas ce qui était quotidien ou habituel dans les hautes terres d’Islande et n’avait donc pas un caractère extraordinaire. Le fait que l’assuré n’ait pas pu se mettre à l’abri sur le chemin de randonnée, choisi par beau temps, ou quitter le terrain de lave en raison de la visibilité réduite par le brouillard n’y changeait rien (arrêt 8C_268/2019 du 2 juillet 2019 consid. 6).

 

Consid. 4
En l’espèce, les juges cantonaux ont constaté qu’au moment où l’assuré et son compagnon de cordée avaient quitté la cabane Hörnli, le 9 octobre 2021 vers 3h30, la température avoisinait les 0°C et le vent était limité, si bien que les conditions pouvaient être considérées comme favorables. Selon l’assuré, la cordée aurait été confrontée à un orage soudain en fin d’après-midi, alors qu’elle se trouvait à 200 mètres du sommet. Un vent ascendant violent serait venu frapper son visage et arracher l’une de ses guêtres, causant des gelures soudaines aux yeux et une hypothermie des extrémités. Sans option de retraite, la cordée aurait terminé son ascension puis rejoint le bivouac de Solvay à 6h30 le lendemain. Au réveil vers midi, les alpinistes se seraient rendu compte qu’ils présentaient des gelures sévères aux extrémités. La cour cantonale a toutefois retenu qu’il ne ressortait pas des pièces produites en cours de procédure, de manière objective et plausible, que la cordée aurait été confrontée à un phénomène orageux au cours de son ascension.

Tout d’abord, il n’était pas fait mention, dans les premières pièces versées au dossier de l’assurance-accidents (à savoir les rapports médicaux de l’Hôpital D.__ ainsi que les réponses données par l’assuré aux questions de l’intimé le 01.11.2021), d’un phénomène météorologique soudain et violent, mais bien plutôt d’une exposition prolongée au froid et à des vents violents, avec l’apparition des premiers symptômes dans l’après-midi. En outre, les données issues de la montre GPS de l’assuré montraient une ascension régulière, voire légèrement plus rapide sur la fin. Malgré un temps d’arrêt d’environ une demi-heure vers 18h, ces données n’indiquaient pas une immobilisation totale de la cordée, celle-ci étant légèrement redescendue au cours de cette période. Elles ne permettaient pas d’attribuer l’interruption de l’ascension à la survenance d’un orage. Enfin, selon une attestation de MétéoSuisse – relative aux conditions météorologiques des 9 et 10 octobre 2021 pour la région du Cervin – sollicitée par le juge instructeur, le temps était clair, sans nuage ni précipitations; l’occurrence d’orage et de précipitations sur la face nord du Cervin le 9 octobre 2021 vers 16h30 était exclue; le vent soufflait sur cette face avec une vitesse modérée, estimée à 40 km/h environ; le ciel était clair et sans nuages; la température était d’environ -7°C (température ressentie de -17°C); la survenue d’un phénomène localisé caractérisé par l’apparition soudaine de vents violents pouvait être quasiment exclue.

L’instance cantonale en a conclu qu’il n’était pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré avait été confronté à des circonstances extraordinaires particulières, qui seraient venues s’ajouter aux conditions météorologiques auxquelles sont habituellement confrontés les alpinistes en haute montagne (froid et vent) et à la durée particulièrement longue de l’ascension entreprise. Partant, les circonstances qui avaient entraîné l’atteinte à la santé ne relevaient pas d’un accident, faute de caractère extraordinaire du facteur extérieur dommageable.

 

Consid. 5.2.2
S’agissant des conditions météorologiques, l’assuré a initialement indiqué à l’assurance-accidents qu’un « vent très fort et froid » avait commencé à souffler dans l’après-midi du 9 octobre 2021, alors que la cordée se trouvait proche du sommet, à environ 4’200 mètres d’altitude. Dans son opposition, puis dans son recours cantonal, il a parlé d’un « violent orage inattendu » à 200 mètres du sommet. Dans son attestation du 29 juillet 2022, critiquée par l’assuré, MétéoSuisse a dit « exclure l’occurrence de précipitations dans la face nord du Cervin le 9 octobre 2021 vers 16h30 et en particulier d’orage », et « également quasiment exclure la survenue d’un phénomène localisé caractérisé par l’apparition soudaine de vents violents ». MétéoSuisse a donc exclu la survenance d’un orage, tel qu’évoqué par l’assuré dès le stade de l’opposition, et a mis sérieusement en doute l’apparition soudaine de vents violents. Sur cette base et compte tenu des données de la montre GPS de l’assuré ainsi que des premières déclarations de celui-ci, la cour cantonale a retenu que l’intéressé et son compagnon de cordée n’avaient été confrontés ni à un phénomène orageux ni, de manière générale, à des conditions météorologiques qui sortiraient du cadre habituel prévalant en haute montagne, caractérisé par le froid et le vent. Cette appréciation, qui repose sur un faisceau d’indices, ne prête pas le flanc à la critique. Dans ses écritures, l’assuré ne fait plus allusion à un orage, mais uniquement à un vent violent qui serait soudainement apparu, mettant en cause sur ce point l’attestation de MétéoSuisse. Or, même à suivre l’assuré, un vent fort et changeant, voire soudain, en haute montagne ne saurait de toute manière être assimilé à un phénomène inhabituel, de surcroît à 4’200 mètres d’altitude. Les conditions météorologiques auxquelles a été confronté l’assuré n’ont pas un caractère extraordinaire au sens de la jurisprudence afférente à l’art. 4 LPGA.

Consid. 5.2.3
L’assuré n’a pas non plus dû faire face à d’autres circonstances imprévisibles en l’absence desquelles les atteintes qu’il a subies ne se seraient pas produites. En ce qui concerne plus particulièrement la perte d’une guêtre à la jambe droite, force est de constater que l’intéressé en a fait état tardivement, au stade du recours cantonal. Quoi qu’il en soit, il est constant qu’il a subi des gelures à l’ensemble des orteils des deux pieds et que quatre doigts ont dû être partiellement amputés, de sorte que l’on ne peut pas retenir, sous l’angle de la vraisemblance prépondérante, que les lésions seraient imputables à la perte de cette guêtre.

Consid. 5.2.4
Au vu de ce qui précède, l’audition du compagnon de cordée de l’assuré, en vue de confirmer la survenue d’un vent violent et la perte d’une guêtre par ce dernier, n’apparaissait pas nécessaire. Il en allait de même de l’expertise sollicitée par l’assuré, dès lors que même s’il fallait retenir que les engelures étaient dues à une brève exposition à un vent violent par temps froid, le caractère extraordinaire d’une telle exposition en haute montagne devrait de toute manière être nié. L’autorité précédente n’a donc pas versé dans l’arbitraire en ne donnant pas suite aux réquisitions de preuve de l’assuré (cf. ATF 145 I 167 consid. 4.1; 144 II 427 consid. 1.3; 141 I 60 consid. 3.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_275/2023 consultable ici

 

Dédommagement des victimes de l’amiante : ouverture de la consultation

Dédommagement des victimes de l’amiante : ouverture de la consultation

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 22.11.2023 consultable ici

 

La Suva devrait pouvoir soutenir financièrement la Fondation Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (EFA). Lors de sa séance du 22 novembre 2023, le Conseil fédéral a mis en consultation l’introduction un nouvel article de la loi sur l’assurance accident (LAA) afin de créer les conditions juridiques permettant à la Suva de participer au financement de la fondation.

La Fondation EFA a été créée pour indemniser financièrement les personnes souffrant de maladies liées à l’amiante qui ne sont pas couvertes par des prestations d’assurance. Toutefois, le financement de cette fondation s’est avéré de plus en plus difficile ces dernières années. Pour que celui-ci puisse être assuré à long terme, il convient de créer une nouvelle base légale afin que la Suva puisse contribuer à son financement.

Conformément au nouvel article 67b LAA, la Suva pourra verser exclusivement les excédents de recettes résultant de l’assurance contre les accidents et les maladies professionnels, de sorte que les primes d’assurance ne seront pas touchées. Le Conseil de la Suva a la compétence exclusive de décider si et dans quelle mesure la Fondation EFA doit être soutenue financièrement. L’entrée en vigueur de cette disposition est prévue pour le 1er janvier 2026.

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 22.11.2023 consultable ici

Fiche d’information «De l’interdiction de l’amiante aux premières indemnisations des victimes» disponible ici

Site de la Fondation EFA : https://www.stiftung-efa.ch/fr/

 

Indennizzazione delle vittime dell’amianto: apertura della consultazione, communicato stampa disponibile qui

Entschädigung von Asbestopfern: Eröffnung der Vernehmlassung, Medienmitteilung hier abrufbar

 

Assurance-accidents : charge allégée pour les associations sportives non professionnelles

Assurance-accidents : charge allégée pour les associations sportives non professionnelles

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 22.11.2023 consultable ici

 

À l’avenir, les sportifs et les entraîneurs employés par des clubs amateurs seront soumis à l’assurance-accidents obligatoire uniquement si leur salaire annuel dépasse un certain montant. Le Conseil fédéral a adopté la modification correspondante de l’ordonnance sur l’assurance-accidents (OLAA) lors de sa séance du 22 novembre 2023, le but étant de décharger financièrement le sport amateur. Cette modification entrera en vigueur le 1er juillet 2024.

En Suisse, en vertu de la loi fédérale sur l’assurance-accidents (LAA), tous les employés doivent être assurés contre les accidents. Pour les clubs sportifs amateurs, cependant, il est parfois difficile de trouver un assureur en raison du risque accru de blessures et des coûts élevés en cas d’accident. C’est pourquoi une nouvelle dérogation vient compléter l’OLAA.

À l’avenir, les associations sportives non professionnelles ne seront plus tenues d’assurer obligatoirement contre les accidents les sportifs et les entraîneurs dont le revenu annuel ne dépasse pas les deux tiers du montant minimal de la rente de vieillesse annuelle complète de l’AVS (soit 9800 francs en 2023). En cas d’accident, les personnes concernées seront couvertes par l’assurance contre les accidents non professionnels de leur employeur principal ou via la couverture accident de leur assureur-maladie. Cette dérogation s’applique pour autant qu’aucune personne ne perçoive un salaire plus élevé pour les fonctions mentionnées. Dès lors qu’une personne dépasse le montant de 9800 francs, toutes celles qui endossent les fonctions concernées doivent être assurées. Rien ne change pour les autres employés, par exemple le personnel de service et le personnel de nettoyage, qui restent soumis à l’obligation de s’assurer sans exception conformément à la LAA.

Cet allègement financier en faveur des associations sportives non professionnelles est le fruit du travail d’un groupe interdisciplinaire composé de représentants des assureurs-accidents et de Swiss Olympic. L’Office fédéral de la santé publique a participé aux travaux à titre consultatif.

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 22.11.2023 consultable ici

Rapport explicatif pour la procédure de consultation, octobre 2022 disponible ici

 

Le associazioni sportive amatoriali saranno sgravate finanziariamente dall’assicurazione infortuni, communicato stampa disponibile qui

Vereine des Breitensports werden bei der Unfallversicherung finanziell entlastet, Medienmitteilung hier abrufbar

 

8C_704/2022 (d) du 27.09.2023 – Lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical – 6 al. 3 LAA / Causalité naturelle et adéquate

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_704/2022 (d) du 27.09.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical / 6 al. 3 LAA

Causalité naturelle et adéquate

 

Assurée, née en 1996, employée depuis le 1er octobre 2016 dans le cadre d’un contrat d’apprentissage en tant que cuisinière diététique auprès d’un hôpital. Le 18.09.2017, elle a subi un traumatisme par distorsion du genou droit lors d’un exercice de gymnastique. Le bilan radiologique a mis en évidence une rupture du LCA, qui a fait l’objet d’une intervention chirurgicale le 23.10.2017. Fin décembre 2017, l’assurée a subi un nouveau traumatisme par distorsion. De nouvelles interventions chirurgicales ont eu lieu les 08.03.2018, 30.05.2018, 31.07.2018 et 28.08.2018.

Sur les conseils du médecin-conseil de l’assurance-accidents, l’assurée s’est rendue à la clinique C.__ pour un deuxième avis. Là, un mauvais positionnement de la plastie du ligament croisé a été constaté et une nouvelle opération a été réalisée le 07.12.2018. Malgré un séjour stationnaire du 03.03.2019 au 18.04.2019 au centre de rééducation D.__, des douleurs permanentes, accentuées en fonction de l’effort, ainsi qu’une limitation de l’extension ont toutefois persisté. En raison de l’évolution, des examens neurologiques ont été effectués. Du 06.01.2020 au 27.03.2020, l’assurée a derechef été hospitalisée, cette fois-ci à la clinique E.__, où elle a une nouvelle fois chuté le 06.02.2020. Aucun progrès significatif n’a été réalisé. Après une consultation dans un centre pour la maladie de Parkinson/les troubles de la mobilité, à l’automne 2020, un nouveau séjour de réadaptation à la clinique G.__ a été réalisé du 03.01.2021 au 27.03.2021. Entre-temps, l’assurée se déplaçait en grande partie en fauteuil roulant.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a procédé à la clôture du cas au 30.11.2020.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a confirmé la clôture du cas au 30.11.2020, étant donné qu’à cette date, il n’y avait plus d’amélioration notable à attendre d’un traitement supplémentaire des troubles, dans la mesure où ils étaient d’origine somatique. Le trouble de la marche développé n’avait pas d’explication neurologique et structurelle, aucun substrat organique n’avait pu être trouvé pour les douleurs dont se plaignait l’assurée. Le tribunal cantonal a examiné la question de savoir s’il existait un lien de causalité adéquate entre les troubles organiques non prouvés objectivement et les accidents subis, conformément à la pratique relative aux conséquences psychiques des accidents. Les événements devaient à chaque fois être qualifiés de légers et le lien de causalité adéquate devait donc être niée d’emblée. Tout au plus l’événement de fin décembre 2017, pour lequel on ne dispose toutefois pas de données en temps réel, pourrait, s’il s’agissait d’une chute dans les escaliers, être classé parmi les accidents de gravité moyenne, mais à la limite des accidents légers. Un lien de causalité adéquate avec les plaintes encore existantes le 30.11.2020 devait également être nié. A cet égard, l’instance cantonale a notamment considéré que les troubles ne pouvaient plus être expliqués objectivement sur le plan organique après la rééducation au printemps 2019. Par conséquent, les critères de la durée anormalement longue du traitement médical, des douleurs physiques persistantes et du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques ne sont notamment pas remplis. La cour cantonale a en outre rejeté, faute de lien de causalité adéquate, l’obligation de prestation invoquée par l’assurée sur la base de l’art. 6 al. 3 LAA en raison d’une erreur de traitement médical lors de la plastie ligamentaire du 23.10.2017.

Par jugement du 26.10.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Au sens de l’art. 6 al. 3 LAA, l’assurance alloue en outre ses prestations pour les lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical (art. 10). Le sens et le but de cette disposition est que l’assureur-accidents assume le risque pour les mesures médicales qu’il a prises en charge ; le corollaire de l’obligation de traitement et de la soumission de l’assuré à cette obligation est ainsi établi.

La responsabilité s’étend aux atteintes à la santé imputables à des mesures de traitement prises à la suite d’un accident. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait une erreur de traitement, ni que la notion d’accident soit remplie, ni qu’il y ait une faute professionnelle, ni même qu’il y ait objectivement une violation du devoir de diligence du médecin. Ainsi, la complication médicale est également assurée au sens d’une conséquence indirecte de l’accident, et ce même dans le cas des complications les plus rares et les plus graves. L’assureur ne verse pas non plus de dommages-intérêts au sens du droit de la responsabilité civile, mais fournit des prestations d’assurance selon la LAA (ATF 128 V 169 consid. 1c).

Comme il ne s’agit pas de conséquences d’un accident, mais d’un traitement médical, il n’y a pas lieu d’appliquer une évaluation de la causalité adéquate selon la jurisprudence relative aux conséquences psychiques d’un accident en tenant compte de critères liés à l’accident (ATF 115 V 133), mais de recourir à la formule générale d’adéquation. En d’autres termes, il faut se demander si le traitement qui n’a éventuellement pas été effectué lege artis est en soi susceptible, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, de provoquer un résultat du type de celui qui s’est produit, autrement dit si la survenance de ce résultat apparaît généralement comme favorisée par l’événement (ATF 129 V 177 consid. 3 et 4 ; SVR 2007 UV n° 37 p. 125 avec références, U 292/05 consid. 3.1 ; arrêt 8C_288/2007 du 12 mars 2008 consid. 6.1).

Consid. 3.3
Il convient d’ajouter que la preuve du lien de causalité naturelle doit être apportée en premier lieu par les indications des professionnels de la santé (SVR 2016 UV n° 18 p. 55, 8C_331/2015 E. 2.2.3.1 ; arrêt 8C_287/2020 du 27 avril 2021 consid. 3.1). […]

 

Consid. 5
Le recours est dirigé en premier lieu contre le fait que l’instance cantonale a renoncé à une clarification plus approfondie des douleurs et des limitations de mouvement persistant depuis le premier accident du 18.09.2017 et qu’elle a également nié l’obligation de prester de l’assurance-accidents sur la base de l’art. 6 al. 3 LAA, faute de lien de causalité adéquate.

En examinant le lien de causalité adéquate requis pour l’obligation de verser des prestations selon la pratique relative aux conséquences psychiques d’un accident (ATF 115 V 133), le tribunal cantonal a violé le droit fédéral. Lors de l’évaluation d’une éventuelle responsabilité selon l’art. 6 al. 3 LAA, c’est plutôt la formule générale d’adéquation qui s’applique et il est déterminant de savoir si, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, une mesure médicale qui a échoué est en soi susceptible de provoquer un résultat du genre de celui qui s’est produit (cf. consid. 3.2 supra). Si l’appréciation du lien de causalité adéquate par l’instance cantonale s’avère erronée dans la procédure de recours devant le Tribunal fédéral et que le lien de causalité adéquate devait être retenu, il conviendra, conformément à la pratique, d’ordonner des investigations supplémentaires sur les questions qui se posent du point de vue factuel concernant la nature des troubles (diagnostic, caractère invalidant) ainsi que leur lien de causalité naturelle, avant de se prononcer définitivement à ce stade sur le lien de causalité adéquate (ATF 148 V 138 consid. 5).

La question de savoir si l’assurée a éventuellement subi un dommage dans le cadre de l’intervention chirurgicale du 23.10.2017 n’a pas été clarifiée à ce jour de manière juridiquement satisfaisante, pas plus que la question de savoir si, dans l’affirmative, les troubles persistants par la suite sont en lien de causalité naturelle avec la complication médicale. Même si les troubles ne devaient pas être causés par une lésion lors de l’opération, des investigations supplémentaires sont nécessaires quant à leur étiologie. Certes, des examens approfondis ont été effectués dans des cliniques spécialisées. Cependant, les médecins traitants n’avaient pas besoin d’éclaircissements à ce sujet, mais les évaluations diagnostiques servaient avant tout à évaluer les possibilités thérapeutiques. Pour que l’assureur-accidents soit tenu de verser des prestations – éventuellement au-delà du 30.11.2020 -, il est toutefois indispensable de clarifier la nature des limitations. Compte tenu de la complexité de l’évolution, l’assurance-accidents a notamment renoncé à tort à soumettre le dossier à son médecin-conseil pour un examen plus approfondi.

L’affaire doit être renvoyée à l’assurance-accidents pour un examen complet, également indispensable pour les questions juridiques qui se posent, et pour qu’elle rende une nouvelle décision sur son obligation de prester.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_704/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_704/2022 (d) du 27.09.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/11/8c_704-2022)

 

8C_326/2023 (d) du 06.10.2023 – Chute sur l’épaule – Coiffe des rotateurs – Causalité naturelle / 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_326/2023 (d) du 06.10.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Chute sur l’épaule – Coiffe des rotateurs – Causalité naturelle / 6 LAA

 

Assuré, né en 1978, plâtrier. Le 05.01.2021, il a glissé dans un escalier verglacé alors qu’il travaillait. En tombant, il s’est fait une contusion au coccyx et à l’avant-bras droit. Sans consulter un médecin, il a d’abord cessé son travail. En raison de douleurs persistantes, il s’est rendu le 11.01.2021 au service des urgences de l’hôpital C.__, où une contusion du rachis lombaire et une luxation acromio-claviculaire de degré I-II à l’épaule droite ont été diagnostiquées et où une incapacité de travail totale a été attestée du 05.01.2021 au 02.02.2021. Par courrier du 01.04.2021, l’assurance-accidents a reconnu son obligation de verser des prestations en ce qui concerne les conséquences de l’accident pour une durée limitée, du 05.01.2021 jusqu’au 04.04.2021 et a ensuite renvoyé l’assuré à la compétence de la caisse-maladie pour la suite du traitement médical. Par décision du 11.02.2022, confirmée par décision sur opposition le 10.08.2022, l’assurance-accidents a maintenu la clôture du cas au 04.04.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2022.319 disponible ici)

L’instance cantonale a considéré qu’il fallait se fonder sur les appréciations médicales – probantes – du dossier des 01.04.2021 et 12.01.2022 du médecin-conseil. Les constatations peropératoires effectuées le 31.03.2021 permettent de conclure au degré de la vraisemblance prépondérante à une contusion de l’épaule qui a entraîné une aggravation passagère de l’état dégénératif antérieur avec une discrète brèche osseuse dans la zone du tuberculum minus. Tant le tendon du biceps altéré par la dégénérescence que la rupture de la coiffe des rotateurs réparée lors de l’opération du 31.03.2021 n’auraient, selon toute vraisemblance, pas de lien de causalité avec l’accident. Non seulement ces résultats peropératoires mais également le fait que l’assuré ne se soit rendu au service des urgences pour un premier traitement médical que six jours après la chute dans les escaliers invoquée comme cause de l’accident plaident contre la causalité de l’accident pour la problématique de l’épaule persistante après le 04.04.2021.

La cour cantonale s’est penchée de manière approfondie sur les appréciations de la causalité naturelle et a expliqué les raisons pour lesquelles les appréciations des médecins traitants n’étaient pas en mesure d’éveiller des doutes, même minimes, sur le résultat des preuves et pourquoi il n’y avait pas lieu d’attendre d’autres mesures probatoires dans le cadre d’une appréciation anticipée des preuves des éléments nouveaux essentiels à la décision.

Par jugement du 06.04.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Il est établi et incontesté que l’épaule droite contusionnée lors de l’accident présente un état dégénératif antérieur qui, selon l’anamnèse, n’a provoqué aucun symptôme jusqu’au 05.01.2021. Selon le rapport du médecin, ni l’opération du 31.03.2021 ni l’opération de révision de septembre 2021 n’ont eu d’effet positif durable sur les douleurs dont l’assuré se plaint depuis lors.

Consid. 3.2
L’assuré n’apporte aucun élément susceptible de remettre sérieusement en question l’appréciation des preuves et la constatation des faits pertinents en droit effectuées par l’instance cantonale. En particulier, ses objections ne sont pas de nature à éveiller des doutes, même minimes, quant à l’appréciation du médecin-conseil ou à invalider l’argumentation de l’instance cantonale.

L’évaluation du lien de causalité naturelle par le médecin-conseil répond aux réquisits jurisprudentiels (cf. arrêt 8C_167/2021 du 16 décembre 2021 consid. 4.1 avec références ; cf. en outre, concernant la position défendue par swiss orthopädics : arrêt 8C_62/2023 du 16 août 2023 consid. 5.2.2 avec référence à SVR 2021 UV no 34 p. 154, 8C_672/2020 E. 4.5 avec références).

L’assuré se réfère à plusieurs reprises au rapport de son chirurgien traitant du 23.03.2021. Il n’avait toutefois pas encore connaissance des résultats peropératoires du 31.03.2021. Ces résultats ont en revanche été appréciés par le médecin-conseil dans son évaluation du dossier du 12.01.2022. Contrairement à la description de l’assuré, c’est précisément le chirurgien traitant qui a indiqué le 23.03.2021 que l’état de santé s’était plutôt détérioré sous physiothérapie, raison pour laquelle l’assuré souhaitait alors une démarche proactive concernant la planification de l’opération du 31.03.2021. Les publications citées par l’assuré ne modifient pas la valeur probante des appréciations médicales sur dossier du médecin-conseil. En particulier, il ne fait pas valoir et il n’apparaît pas que l’événement accidentel aurait entraîné une aggravation déterminante de l’état dégénératif préexistant.

 

Consid. 5
Le recours étant manifestement mal fondé, il doit être considéré comme voué à l’échec au sens de l’art. 64 al. 1 LTF (arrêt 8C_300/2021 du 23 juin 2021 consid. 6 avec référence). La requête d’assistance judiciaire gratuite doit par conséquent être rejetée.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_326/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_326/2023 (d) du 06.10.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/11/8c_326-2023)

8C_662/2022 (f) du 25.08.2023 – Troubles psychiques – Causalité adéquate – Agression / Admission du critère du caractère particulièrement impressionnant de l’accident manifesté avec une intensité particulière / Admission de l’assistance juridique gratuite dans le cadre de l’opposition / 37 al. 4 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_662/2022 (f) du 25.08.2023

 

Consultable ici

 

Troubles psychiques – Causalité adéquate – Agression / 6 LAA

Admission du critère du caractère particulièrement impressionnant de l’accident manifesté avec une intensité particulière

Admission de l’assistance juridique gratuite dans le cadre de l’opposition / 37 al. 4 LPGA

 

Assurée, née en 1996, aide de cuisine. Dans la nuit du 08.08.2018 vers cinq heures du matin, l’assurée et trois de ses amies, dont C.__, ont subi une agression violente alors qu’elles quittaient un club et rejoignaient leur voiture. Elles y ont vu un homme pousser une femme puis la frapper violemment. Après s’être interposées pour porter secours à celle-ci, elles ont également été battues par cet individu, soudain rejoint par quatre autres agresseurs, dont l’un avait importuné l’assurée plus tôt dans le club. L’assurée et C.__ notamment ont été rouées de coups de poing et de pied. Leurs agresseurs ont continué à les frapper une fois qu’elles étaient tombées à terre. L’un d’eux avait des béquilles, dont il s’est servi pour frapper la première victime. Des témoins ont décrit que les agresseurs avaient donné des coups de pied comme des joueurs de football lors d’un tir au but, dans la tête de l’assurée notamment. Les assaillants n’ont pris la fuite qu’après l’arrivée de passants, dont trois se sont interposés pour les faire cesser leurs exactions. L’assurée a en particulier indiqué lors de ses dépositions devant la juge d’instruction qu’elle avait cru son amie C.__ morte, car elle était inerte au sol et n’avait pas réagi lorsqu’un faisceau lumineux avait été dirigé sur ses yeux et qu’elle lui avait passé de l’eau sur le visage.

A la suite de cette agression, l’assurée, ses amies et la première victime ont été conduites à l’hôpital. C.__, plongée dans le coma à la suite des coups, était alors dans un état critique et a dû subir une intervention en urgence. Chez l’assurée, les médecins ont relevé une fracture sous-condylienne droite mandibulaire et une fracture de la phalange d’un doigt à gauche. Elle se plaignait de douleurs au niveau de la face et de la mâchoire avec une ouverture de bouche limitée ainsi que de douleurs cervicales. Les médecins ont constaté en outre qu’elle était choquée. L’assurée a également été examinée par une psychiatre qui a rapporté des lésions au niveau du visage (ecchymoses griffures), une difficulté à ouvrir la bouche pour articuler, une anxiété liée à l’état de santé de son amie, alors prise en charge au bloc opératoire, ainsi qu’une thymie abaissée, un sentiment de colère et des pleurs. Les médecins de l’hôpital ont attesté une incapacité de travail totale de l’assurée jusqu’au 20.08.2018. L’assurée a repris son activité professionnelle le 20.08.2018.

Par courrier du 23.10.2019, la psychologue F.__ a indiqué à l’assurance qu’elle avait suivi l’assurée lors de huit séances du 20.08.2018 au 27.11.2018, date à laquelle l’assurée avait voulu faire une pause dans le traitement. En août 2018, l’assurée avait souhaité reprendre très rapidement le travail malgré l’avis très défavorable de la psychologue. Le 23.09.2019, elle avait recommencé la psychothérapie sur les conseils de l’experte judiciaire qui l’avait examinée dans le cadre de la procédure pénale. Le 14.01.2021, l’assurée a requis la prise en charge de la psychothérapie par l’assurance-accidents.

Par jugement du 19.05.2020, le Tribunal correctionnel de U.__ (F) a condamné quatre des agresseurs impliqués dans l’événement du 08.08.2018 à des peines de prison de respectivement cinq ans, huit ans, quatre ans et quatre ans, et a relaxé le cinquième. Il a alloué 10’000 euros à l’assurée en réparation de son préjudice moral.

Dans une décision du 27.05.2021, retenant que l’assurée s’était déplacée dans la direction de l’agresseur en lui demandant ce qu’il avait fait et en l’insultant alors qu’il s’éloignait, l’assurance-accidents a considéré que celle-ci s’était exposé à un énorme risque au vu des faits dont elle avait été témoin. Partant, l’assurance-accidents a décidé qu’elle réduirait ses prestations de 50% si l’assurée devait faire valoir une rechute ou des séquelles tardives de l’accident du 08.08.2018, mais qu’elle renonçait à appliquer cette mesure avec effet rétroactif. L’assurée ne s’est pas opposée à cette décision.

Dans un courrier du même jour, soit le 27.05.2021, l’assurance-accidents a indiqué à l’assurée qu’elle refusait la prise en charge du traitement psychologique. Par décision, confirmée sur opposition le 21.01.2022, l’assurance-accidents a refusé la prise en charge du traitement psychologique et psychiatrique prodigué depuis le 24.09.2019 en l’absence d’un lien de causalité adéquate avec l’évènement du 08.08.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/897/2022 – consultable ici)

Par jugement du 12.10.2022, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 6
En ce qui concerne le lien de causalité naturelle entre les troubles psychiques et l’évènement du 08.08.2018, la cour cantonale a retenu que celui-ci avait été établi de manière convaincante par le docteur G.__ de même que par les experts judiciaires français et qu’il n’était du reste pas contesté par l’assurance-accidents. En effet, le docteur G.__, spécialiste FMH en psychiatrie, a retenu qu’il paraissait incontestable qu’en lien direct avec l’évènement du 08.08.2018, l’assurée avait développé un état de stress post-traumatique avec un impact majeur sévère sur son quotidien et son fonctionnement. Le docteur H.__, médecin légiste, a constaté dans son expertise de l’assurée à la demande de la juge d’instruction que les séquelles physiques ne devaient pas donner lieu à un infirmité ou un préjudice, mais que les séquelles psychiques nécessitaient un traitement régulier (rapport du 12.10.2018). La psychologue I.__ a également réalisé une expertise de l’assurée à la demande de la juge d’instruction. Elle a diagnostiqué en substance un état de stress post-traumatique et a recommandé la prise en charge psychothérapeutique. Ni par sa simple allégation de ne jamais avoir admis un lien de causalité naturelle, ni par le fait que l’assurée avait repris le travail dix jours après l’évènement, l’assurance-accidents démontre en quoi la constatation de la cour cantonale serait manifestement erronée.

Consid. 7.1
Dans le cadre de l’examen de la causalité adéquate, la cour cantonale s’est interrogée sur la qualification de l’accident comme évènement de gravité moyenne retenue par l’assurance-accidents, à tout de moins si on analysait l’évènement dans son ensemble. Au vu du nombre d’agresseurs, de la violence des coups distribués – une des victimes s’étant retrouvée dans un état critique -, du déséquilibre des force en présence eu égard au fait que cinq hommes s’en sont pris à un groupe de femmes, cet accident semblait plutôt devoir être classé à la limite supérieure des accidents de gravité moyenne, voire dans les accidents graves. La cour cantonale a cependant considéré que cette question n’était pas déterminante pour l’issue du litige, puisque le lien de causalité adéquate devait être admis au motif que le critère du caractère particulièrement impressionnant revêtait en l’espèce une intensité telle qu’il suffisait à reconnaitre un lien de causalité adéquate entre l’évènement du 08.08.2018 et les troubles psychiques de l’assurance-accidents. En conclusion, l’assurance-accidents était tenue de prendre en charge les frais de traitement des troubles psychiques de l’assurée.

Consid. 7.2
L’assurance-accidents remet en cause d’abord la qualification de l’accident comme évènement de gravité moyenne à la limite des accidents graves voire de grave et non d’un accident de gravité moyenne stricto sensu, qui exige le cumul de trois critères jurisprudentiels sur sept pour admettre un lien de causalité adéquate. Elle soutient que cette qualification ne serait pas justifiée à la lumière de la jurisprudence fédérale concernant les agressions, dont certains arrêts figuraient dans l’arrêt attaqué à titre d’exemples d’évènements de gravité moyenne (les arrêts 8C_705/2020 du 28 avril 2021; 8C_357/2020 du 8 septembre 2020; 8C_595/2015 du 23 août 2016; 8C_1062/2009 du 31 août 2010; cf. également arrêt 8C_96/2017 du 24 janvier 2018). Selon l’assurance-accidents, ces cas seraient comparables à celui d’espèce. Avec la cour cantonale, on peut toutefois laisser indécise la question de la qualification de l’évènement pour les motifs qui suivent, étant rappelé qu’en présence d’un accident de gravité moyenne, un seul critère peut être suffisant pour admettre l’existence d’une relation de causalité adéquate, à condition que ce critère se soit manifesté de manière particulièrement marquante (arrêts 8C_361/2022 du 13 octobre 2022 consid. 3.3 et la référence).

 

Consid. 7.3
Il convient donc d’examiner ce qu’il en est du critère du caractère particulièrement impressionnant de l’accident qui, selon la cour cantonale, s’est manifesté ici avec une intensité particulière, alors que l’assurance-accidents en conteste entièrement la réalisation.

Consid. 7.3.1
La raison pour laquelle la jurisprudence a adopté le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident repose sur l’idée que de telles circonstances sont propres à déclencher chez la personne qui les vit des processus psychiques pouvant conduire ultérieurement au développement d’une affection psychique. C’est le déroulement de l’accident dans son ensemble qu’il faut prendre en considération. L’examen se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances d’espèce et non pas en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse. Il faut en effet observer qu’à tout accident de gravité moyenne est associé un certain caractère impressionnant, lequel ne suffit pas pour admettre l’existence du critère en question (arrêt 8C_96/2017 du 24 janvier 2018 consid. 5.1).

Consid. 7.3.2
La cour cantonale a considéré que l’agression avait eu lieu en pleine nuit, alors que l’assurée, ses amies et la première victime étaient seules face à un puis deux agresseurs, bientôt rejoints par trois autres assaillants semblant surgis de nulle part. Quand bien même l’assurée n’avait pas elle-même reçu de coup de béquille, un des agresseurs en portait et s’en était servi contre une des victimes, ce qui pouvait lui faire craindre le recours à cette arme contre elle. Toutes ses amies avaient également reçu des coups. L’assurée avait subi un déferlement de violences, qui l’avait fait tomber au sol, incapable de résister. Ses agresseurs avaient néanmoins continué à se déchaîner à coups de pied, dont la brutalité a été décrite de manière saisissante par plusieurs témoignages (coups de pied penalty). L’assurée avait même porté la marque d’une chaussure sur son visage. La fracture à la mâchoire, imputée par le médecin légiste à un impact direct, démontrait la force appliquée. Ses agresseurs n’avaient pas hésité à viser la tête, ce qui l’exposait à des lésions qui auraient pu s’avérer fatales, et qui pouvait la faire craindre pour sa vie. Simultanément, elle avait vu une de ses amies perdre connaissance à la suite d’un coup particulièrement violent. L’assurée l’avait crue morte. Les victimes n’avaient dû leur salut qu’à l’arrivée inopinée de passants, dont trois avaient dû intervenir pour faire fuir leurs attaquants. L’acharnement de cinq agresseurs, qui avaient passé à tabac plusieurs femmes dans un lieu désert, en pleine nuit, leur assénant notamment des coups de pied à la tête alors qu’elles étaient à terre, dont l’un s’était servi de sa béquille comme d’une arme sur une des victimes – circonstance aggravante retenue au plan pénal pour cet auteur -, avait indubitablement un caractère impressionnant très prégnant. De plus, quand bien même la couverture par la presse d’un événement n’était en soi pas juridiquement pertinente pour analyser ce critère, le très large écho médiatique que cette affaire a rencontré était également révélateur de son caractère dramatique. On ne saurait ici opposer à l’assurée, comme le faisait l’assurance-accidents, que son intervention démontrerait que l’événement n’était pas impressionnant. D’une part, elle avait tenté de s’interposer durant la première phase de l’agression, dont le caractère dramatique avait ensuite été décuplé par l’arrivée imprévisible d’autres agresseurs. D’autre part, le courage dont elle avait fait preuve pour porter secours à une inconnue ne signifiait nullement que cet évènement n’était pas effrayant. Force était ainsi de constater que le critère du caractère particulièrement impressionnant revêt dans la présente cause une intensité particulière.

Consid. 7.3.3
En relevant que l’assurée avait été en mesure de reprendre le travail après dix jours d’incapacité et que le traitement des lésions physiques avait été terminé à fin août 2018 l’assurance-accidents tente en vain de minimiser le caractère particulièrement impressionnant de l’évènement. D’une part, elle invoque, à vrai dire, des faits qui devraient être appréciés dans le cadre de l’examen des autres critères relevants pour l’admission d’un lien de causalité adéquate (cf. ATF 129 V 402; 115 V 133; 115 V 403). D’autre part, la circonstance que l’assurée n’a pas subi des blessures physiques plus sévères ne saurait écarter le fait que notamment les coups de pied contre sa tête comportaient un risque de lésions conséquentes voire mortelles.

Consid. 7.3.4
L’assurance-accidents cite en outre des cas dans lesquels le Tribunal fédéral a nié que le critère du caractère particulièrement impressionnant s’était manifesté de manière marqué. Elle mentionne notamment celui d’un homme victime d’une agression par un jeune homme non armé qui l’avait frappé des poings au visage et au dos durant plusieurs minutes (arrêt 8C_434/2013 du 7 mai 2014 consid. 7.2) et celui d’une femme projetée par terre avec une certaine force (arrêt U 138/04 du 16 février 2005). Contrairement à ce qu’elle soutient, ces cas ne sont pas pertinents et manifestement pas comparables à l’agression en cause, menée par cinq hommes, au cours de laquelle l’assurée s’est vue infliger des coups de pied à la tête et dont l’un des agresseurs était armé d’une béquille qu’il utilisait comme une matraque. En revanche, les cas d’agression cités par la cour cantonale, dans lesquels le critère a été admis, présentent davantage d’analogie avec le cas d’espèce en tant que les agressions étaient, comme ici, spécialement violentes et pouvaient faire craindre la victime pour sa vie ou du moins pour une perte importante et permanente de son intégrité corporelle (cf. notamment les arrêts 8C_480/2013 du 15 avril 2015, U 382/06 du 6 mai 2008 et U 36/07 du 8 mai 2007).

Consid. 7.4
Il s’ensuit que le critère du caractère particulièrement impressionnant est rempli d’une manière extraordinaire, suffisante à admettre à lui seul le lien de causalité adéquate, de sorte qu’il ne faut pas examiner les autres critères. Le jugement entrepris n’est ainsi pas critiquable en ce qui concerne la reconnaissance du lien de causalité adéquate.

 

Consid. 8.1
L’assurance-accidents soutient enfin que les premiers juges auraient violé l’art. 37 al. 4 LPGA en admettant que les circonstances du cas d’espèce justifieraient l’octroi de l’assistance juridique gratuite dans le cadre de l’opposition, tout en lui renvoyant la cause afin qu’elle instruise si la condition liée à l’indigence est réalisée. Cependant, l’assurance-accidents n’allègue pas que l’opposition aurait été dénuée de toutes chances de succès.

Consid. 8.2
La question de savoir s’il existe un lien de causalité adéquate, est une question de droit qui revête une certaine complexité pouvant justifier l’octroi de l’assistance juridique gratuite au sens de l’art. 37 al. 4 LPGA. En plus, l’administration dispose d’une certaine marge d’appréciation, notamment en ce qui concerne la qualification de la gravité de l’accident. Ceci peut requérir, comme le retient la cour cantonale, des connaissances spécialisées, excédant celles que l’on pouvait généralement attendre d’un assistant social, d’une association ou même d’un centre LAVI. Par ailleurs, les juges cantonaux ont également pris en considération l’attitude de l’assurance-accidents dans le cadre de la procédure administrative et ont estimé que sa manière de procéder était peu transparente. A ce propos, on observe en particulier que l’assurance-accidents a notifié la décision de réduction de prestation le même jour qu’elle a informé l’assurée (par simple courrier) de sa position sur la prise en charge des frais de traitement psychiatrique, contribuant ainsi à la complexité de la procédure. Ceci ressort notamment du fait que l’assurée, ne disposant pas de connaissances juridiques, ne s’est pas opposée à cette décision. Au surplus, la cour cantonale a tenu compte de la réticence de l’assurance-accidents à reconnaître la validité de la procuration signé le 05.07.2021 (sous prétexte que celle-ci ne mentionnait pas de litige précis), de son omission de communiquer le dossier à la mandataire et du fait qu’elle a notifié la décision du 31.08.2021 directement à l’assurée et non pas à son avocate. Ces faits ne concernent certes pas l’examen de la situation personnelle de l’assurée, toutefois, les premiers juges ont conclu à juste titre que ce procédé a dans les faits entravé ou à tout le moins compliqué l’exercice des droits de l’assurée. Au vu de l’ensemble de ces circonstances, la cour cantonale n’a pas violé l’art. 37 al. 4 LPGA en octroyant l’assistance juridique gratuite à l’assurée pour la procédure d’opposition.

 

Consid. 9
Finalement, la cour cantonale a retenu, dans les considérants de l’arrêt attaqué, que la décision de réduction du 27.05.2021 était douteuse sur le plan matériel et qu’on peinait à cerner l’intérêt digne de protection de l’assurance-accidents à rendre une telle décision de constatation (cf. art. 49 al. 2 LPGA; ATF 129 V 289 consid. 2.1 et 3.4; arrêt 2C_737/2010 du 18 juin 2011 consid. 4.6). Cette décision, qui n’a pas été attaquée par voie d’opposition dans les 30 jours, ne fait certes pas objet du présent litige. Toutefois, en se bornant à exprimer leur avis sur la nature et le bien-fondé de la décision, sans trancher sa validité, les premiers juges n’ont pas violé le droit fédéral, contrairement à ce que prétend l’assurance-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents

 

Arrêt 8C_662/2022 consultable ici

 

8C_605/2022 (f) du 29.06.2023 – Revenu d’invalide – Choix de la table ESS (TA1 vs T1) / Niveau de compétences 2 vs 1 / Revenu sans invalidité élevé – Pas de «parallélisation inversée»

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_605/2022 (f) du 29.06.2023

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – Choix de la table ESS (TA1 vs T1) / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 vs 1 – Eventuelles compétences acquises sur le plan administratif ne remplacent pas une formation commerciale ou bureautique

Revenu sans invalidité élevé – Pas de «parallélisation inversée»

 

Assurée est titulaire d’un CFC d’assistante en soins et santé communautaire obtenu en 2007 après avoir suivi une formation d’aide-soignante en France. Engagée le 01.11.2010 en tant qu’assistante en soins et santé communautaire. Accident de la circulation le 30.06.2015, lequel lui a notamment causé des lésions au niveau de l’épaule gauche. Après une interruption de travail suivie d’une reprise, elle a été en incapacité totale de travailler depuis le 01.02.2016.

Par décision sur opposition du 15.02.2019, l’assurance-accidents a mis fin au versement des indemnités journalières avec effet au 31.01.2019. Cette décision n’a pas été contestée.

Par décision, confirmée sur opposition le 25.06.2021, l’assurance-accidents a clôturé le cas, considérant que l’état de santé de l’assurée était stabilisé au 30.11.2019, date à partir de laquelle elle ne prendrait plus en charge les frais médicaux; elle a reconnu le droit de l’intéressée à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 22% dès le 01.12.2019 et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/792/2022 – consultable ici)

Par jugement du 09.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal reconnaissant le droit de l’assurée à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 47% à compter du 01.11.2018.

 

TF

Consid. 3
En ce qui concerne le revenu sans invalidité (en soi non contesté par les parties), les juges cantonaux ont retenu qu’en 2015, l’assurée travaillait pour l’institution B.__ à raison de 32 heures par semaine, soit à un taux d’activité de 80%. Le revenu annuel tiré de cette activité s’élevait à 73’918 fr. 75, ce qui correspondait à 92’398 fr. 45 à temps plein. Adapté à la hausse générale des salaires dans la branche économique « santé, hébergement médico-social et action sociale » entre 2015 et 2018 selon un taux de 1.014%, cela aboutissait à un revenu sans invalidité final de 93’335 fr. 35.

Pour le revenu avec invalidité, les juges cantonaux se sont fondés sur le salaire médian global des femmes, niveau de compétence 1, de la table TA1_tirage_skill_level (ci-après: TA1) de l’ESS, ce qui correspondait à un salaire mensuel de 4’371 fr., respectivement à un salaire annuel de 52’452 fr. pour 40 heures de travail hebdomadaires. Adapté à la durée normale hebdomadaire de travail en 2018 en Suisse, à savoir 41,7 heures, cela aboutissait à un salaire de référence en 2018 de 54’681 fr. 20 ([52’452/40] x 41.7). Sur la question d’un abattement sur le salaire statistique, les juges cantonaux ont confirmé le taux de 10% retenu par l’assurance-accidents. Le revenu hypothétique d’invalide de l’assurée en 2018 s’élevait donc à 49’213 fr. 10.

En conséquence, la cour cantonale a retenu un taux d’invalidité de 47,273% ([93’335.35 – 49’213.10] / 93’335.35 x 100), arrondi à 47%.

Consid. 4.1
L’assurance-accidents reproche à l’instance cantonale de s’être fondée sur le salaire médian global pour les femmes dans les emplois de niveau de compétence 1 de la table TA_1 de l’ESS 2018 plutôt que sur le salaire médian dans les emplois de niveau de compétence 2 dans la branche économique « Assurances » (ligne 65) de la table « T1_skill_level » (secteur privé et secteur public ensemble) (ci-après: T1) de l’ESS 2018.

A propos du choix de la table, l’assurance-accidents fait valoir qu’on ne saurait faire abstraction de l’historique professionnel de l’assurée, dans la mesure où le fait d’avoir déjà exercé un emploi durant huit ans dans le secteur public augmenterait de manière substantielle les chances de retrouver un emploi dans ce secteur, y compris dans un nouveau domaine d’activité. Le fait que l’assurée ait déjà exercé un emploi dans le secteur public permettrait de démontrer que celui-ci lui est également ouvert. La jurisprudence admettrait d’ailleurs que l’on peut se référer à la table T1 lorsque la personne assurée a exercé sa dernière activité dans le secteur public. En l’occurrence, l’assurance-accidents fait valoir qu’une activité adaptée à son état de santé après l’événement invalidant dans ce secteur serait également envisageable et qu’il serait en effet notoire que les directions de la santé des administrations cantonales et les offices AI emploient des collaborateurs administratifs ayant une formation de base dans le domaine médical ou paramédical.

En ce qui concerne la branche d’activités applicable, l’assurance-accidents fait valoir que l’assurée disposerait de solides connaissances médicales et paramédicales et d’une longue expérience professionnelle dans le domaine de la santé. Avant d’être engagée en qualité d’assistante en soins et santé communautaire par l’institution B.__ dès le 01.11.2010, l’assurée avait travaillé pendant de nombreuses années à la clinique C.__, d’abord comme aide-soignante puis comme assistante en soins et santé communautaire dès l’obtention de son CFC en 2007. Les compétences et l’expérience professionnelles de l’assurée dans le domaine de la santé correspondraient aux critères de plusieurs offres d’emploi dans le secteur des assurances (en référence aux pièces produites à l’appui de son recours et devant l’instance cantonale). La majorité des offres d’emploi pour des postes dans les services administratifs des assurances actives dans le domaine de la santé et dans les offices AI mettraient en effet l’accent sur la nécessité d’avoir achevé une formation dans le domaine médical ou paramédical et de disposer de plusieurs années d’expérience dans ce domaine. Les connaissances administratives, assécurologiques voire juridiques ne constitueraient qu’un atout supplémentaire. Il existerait ainsi sur un marché du travail équilibré des emplois dans le domaine des assurances pour lesquels l’assurée disposerait d’un profil adéquat et qui seraient dès lors raisonnablement exigibles de sa part.

 

Consid. 4.2.1
Selon la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base des données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ATF 148 V 419 consid. 5.2 et les arrêts cités). Dans ce cas, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 (secteur privé), à la ligne « total » (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). Toutefois, lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Cette faculté reconnue par la jurisprudence concerne les cas particuliers dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Il y a en revanche lieu de se référer à la ligne « total » secteur privé lorsque l’assuré ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’il est tributaire d’un nouveau domaine d’activité pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible (arrêt 8C_405/2021 du 9 novembre 2021 consid. 5.2.1 et les références). En outre, lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s’écarter de la table TA1 (secteur privé) pour se référer à une table portant sur les secteurs privé et public ensemble, si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et que le secteur en question est adapté et exigible (ATF 148 V 174 consid. 6.2; arrêts 8C_205/2021 du 4 août 2021 consid. 3.2.2; 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2).

Consid. 4.2.2
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêt 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 5.1.2 et les arrêts cités). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 précité consid. 4.2.3 et les arrêts cités). L’application du niveau 2 se justifie uniquement si la personne assurée dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêt 8C_801/2021 du 28 juin 2022 consid. 3.4 et les arrêts cités).

Consid. 4.2.3
En l’espèce,
après avoir relevé que la dernière activité exercée par l’assurée (en tant qu’assistante en soins et santé communautaire) relevait du secteur public, les juges cantonaux ont retenu que celle-ci était totalement incapable de travailler dans ce domaine d’activité au 01.11.2018, et que cette situation perdurerait à l’avenir (éléments qui ne sont pas contestés par l’assurance-accidents). Aussi, selon les juges cantonaux, dès lors que rien au dossier ne laissait spécifiquement penser que l’assurée pourrait retrouver plus facilement une place dans le secteur public dans un nouveau domaine d’activité, en comparaison avec un assuré moyen, il convenait d’avoir recours au tableau TA1. Pour déterminer le revenu d’invalide, c’était en effet la situation de l’assurée après la survenance de son invalidité qui était déterminante. Le fait que celle-ci ait autrefois exercé un emploi dans le secteur public ne signifiait donc pas automatiquement qu’il en serait de même à l’avenir.

Consid. 4.2.4
Ces considérations ne prêtent pas le flanc à la critique et il convient de s’y rallier. Certes, l’activité d’aide-soignante, respectivement d’assistante en soins et santé communautaire, peut s’exercer dans le secteur public. Il n’en reste pas moins qu’il est établi que l’assurée ne peut plus exercer son activité habituelle. On ajoutera, au demeurant, que l’activité d’aide-soignante de l’assurée auprès de la clinique C.__ relevait du secteur privé. En ce qui concerne ensuite la branche d’activité « Assurances », comme l’ont relevé les juges cantonaux, elle recouvre la souscription de contrats d’assurance de rente et d’autres formes de contrats d’assurance ainsi que l’investissement des primes pour constituer un portefeuille d’actifs financiers en prévision des sinistres futurs ainsi que la fourniture de services d’assurance et de réassurance directe (cf. notes explicatives de la nomenclature NOGA 2008). En l’occurrence, la formation d’aide-soignante et d’assistante en soins et santé communautaire, ainsi que l’expérience accumulée dans ce domaine, ne justifient en rien de se fonder sur cette branche d’activité. La faculté reconnue par la jurisprudence de se référer aux salaires de secteurs particuliers plutôt qu’à la ligne « total » concerne les cas dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Or, en l’espèce, l’assurée n’a pas travaillé dans le domaine des assurances pendant de nombreuses années. Même si elle pouvait hypothétiquement trouver un emploi dans le secteur administratif d’une assurance, en référence aux offres d’emploi produites par l’assurance-accidents, on ne peut pas encore en déduire que cette branche d’activité soit exigible de sa part, alors qu’il n’apparaît pas – en tout cas l’assurance-accidents ne le soutient pas – qu’elle aurait bénéficié de mesures de réadaptation dans ce secteur. C’est donc à raison que les juges cantonaux se sont référés à la ligne « total » de la table TA1, dès lors que l’assurée ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’elle est tributaire d’un nouveau domaine d’activités pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible.

 

Consid. 5.1
Par une argumentation subsidiaire, l’assurance-accidents soutient que les juges cantonaux auraient violé l’art. 16 LPGA en n’adaptant pas le revenu hypothétique d’invalide au moyen d’une « parallélisation inversée » des revenus. Elle soutient en résumé qu’avant l’accident, l’assurée percevait un revenu nettement supérieur au revenu médian des personnes au profil similaire, de sorte qu’il conviendrait d’augmenter le revenu hypothétique d’invalide dans la même proportion, en l’occurrence 36,80% (41,80% – 5% de marge tolérée). A cet égard, elle compare le revenu sans invalidité perçu auprès de l’institution B.__ en 2018, soit 93’335 fr. 35, et le salaire statistique médian d’une employée ayant prétendument les mêmes caractéristiques, soit 65’819 fr. 50 selon l’ESS 2018, T1, lignes 86-88 « domaines de la santé humaine et de l’action sociale », avec un niveau de compétence 2 et un horaire hebdomadaire de 41.6 heures.

Consid. 5.2
L’argumentation est mal fondée. En effet, la possibilité d’opérer un parallélisme des revenus a été introduite afin de ne pas défavoriser et éventuellement exclure du cercle des bénéficiaires de rente les personnes dont les revenus avant l’invalidité étaient nettement inférieurs aux salaires habituels de la branche pour des raisons étrangères à l’invalidité et sans que les personnes en question s’en contentent délibérément (sur le parallélisme des revenus cf. notamment ATF 134 V 322). Tel n’est précisément pas le cas de l’assurée et il n’y a aucun motif de pénaliser cette dernière pour tenir compte du fait qu’elle était éventuellement bien mieux rémunérée que la moyenne des salariés actifs dans son domaine de compétence. En outre, si le salaire perçu auprès de l’institution B.__ était (hypothétiquement) justifié par l’expérience ou d’autres qualités ou compétences personnelles de l’assurée, cela ne signifie pas encore qu’elle pourra mettre à profit ces caractéristiques de la même manière dans un nouveau domaine d’activité auprès d’un nouvel employeur. Contrairement à ce que soutient l’assurance-accidents de manière péremptoire, on ne voit pas que si une personne perçoit un salaire nettement supérieur à la moyenne dans l’activité exercée en bonne santé en raison de ses caractéristiques personnelles, tout indiquerait qu’elle serait également en mesure de réaliser un revenu largement supérieur à la moyenne ensuite de l’événement invalidant.

 

Consid. 6.1
Par une argumentation plus subsidiaire, l’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir également violé l’art. 16 LPGA en ne se fondant pas sur le niveau de compétence 2 pour fixer le revenu hypothétique d’invalide. Elle invoque à cet égard les compétences professionnelles de l’assurée et ses limitations fonctionnelles excluant un travail du membre supérieur gauche au-dessus de l’horizontale et le port de charges de plus de trois ou quatre kilos.

Consid. 6.2
Ce grief doit être rejeté. En effet, il n’est pas contesté que l’assurée ne peut plus exercer son activité habituelle d’aide-soignante, respectivement d’assistante en soins et santé communautaire, pour laquelle elle dispose d’une formation complète. Or rien au dossier n’indique qu’elle aurait, durant ses années d’activité, assuré des tâches administratives ou logistiques outrepassant largement l’administration de soins, qui, quoi qu’en dise l’assurance-accidents, constitue l’essentiel des tâches incombant aux professions susmentionnées (cf. a contrario arrêt 8C_202/2022 du 9 novembre 2022 consid. 4.4). En outre, les éventuelles compétences que l’assurée aurait acquises sur le plan administratif ne peuvent manifestement pas remplacer une formation commerciale ou bureautique. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser, à propos d’une infirmière qui ne pouvait plus exercer son activité habituelle et ne disposait pas de compétences professionnelles transposables dans un autre domaine, qu’il convenait de se référer au niveau de compétence 1 pour déterminer le revenu d’invalide (arrêt 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.2). Quant aux limitations fonctionnelles invoquées par l’assurance-accidents, elles ne présentent pas de contraintes majeures ou de spécificités telles qu’elles seraient incompatibles avec le large éventail d’activités légères du niveau de compétence 1 sur un marché équilibré du travail (sur cette notion, cf. arrêts 8C_240/2021 consid. 3; 9C_597/2018 du 18 janvier 2019 consid. 5.2 et les arrêts cités).

 

Le rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_605/2022 consultable ici

 

8C_50/2023 (f) du 14.09.2023 – Troubles dorsaux – Statu quo sine vel ante – 6 LAA / Valeur probante d’une expertise médicale judiciaire niée quant à la causalité naturelle

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_50/2023 (f) du 14.09.2023

 

Consultable ici

 

Troubles dorsaux – Statu quo sine vel ante / 6 LAA

Valeur probante d’une expertise médicale judiciaire niée quant à la causalité naturelle

 

Assuré, né en 1989, chauffeur-livreur, a été victime, le 08.05.2018, d’une agression. Le bilan radiologique effectué juste après l’accident, comprenant des radiographies du poignet droit ainsi que des scanners thoraco-abdominal et de la colonne cervicale, n’a pas mis en évidence de fracture, de lésion osseuse post-traumatique ni d’atteinte post-traumatique des organes infra-abdominaux. Le diagnostic de contusion du rachis dorso-lombaire a été retenu. En outre, ces examens ont révélé un antélisthésis de L5 de grade I de 4 mm sur lyse isthmique bilatérale.

Par décision du 11.02.2019, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations d’assurance avec effet au 28.02.2019, retenant que les troubles dont se plaignait encore l’assuré n’étaient pas suffisamment démontrables du point de vue organique et qu’il n’y avait pas de séquelle en lien de causalité adéquate avec l’accident. Par décision sur opposition du 16.04.2019, l’assurance-accidents a écarté l’opposition formée par l’assuré. Sur le plan somatique en particulier, elle a repris les conclusions de son médecin-conseil 1, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, qui a retenu en substance que le spondylolisthésis révélé par les examens réalisés le 08.05.2018 était sans rapport avec l’accident, que le diagnostic de contusion dorso-lombaire devait être retenu et qu’on pouvait raisonnablement estimer qu’au-delà de six mois, le lien de causalité entre les symptômes persistants et l’évènement initial était tout au plus possible.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1091/2022 – consultable ici)

La cour cantonale a ordonné une expertise médicale sur la question du lien de causalité entre les troubles de l’assuré et l’accident, qu’elle a confiée au professeur E.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Dans son rapport du 16.03.2022, l’expert a constaté pour l’essentiel que la spondylolyse était un état préexistant que l’accident avait probablement activé, sans l’avoir causé, provoquant des douleurs importantes et invalidantes, et que la situation n’était pas encore stabilisée sur le plan des lombalgies. L’assurance-accidents a produit une appréciation du 21.04.2022 de son médecin-conseil 2, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, qui critiquait les conclusions du professeur E.__. Invité par la cour cantonale à préciser certains points de son expertise, s’agissant de la stabilisation de l’état de santé et de la capacité de travail de l’assuré, le professeur E.__ a répondu qu’une activité adaptée serait exigible à 50% dès le 01.09.2022 et à 100% dès septembre 2023. Dans le cadre d’une nouvelle appréciation, le médecin-conseil de l’assurance-accidents soulignait l’absence d’éléments mettant en cause l’existence d’un statu quo sine atteint à six mois de l’accident.

Par jugement du 08.12.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, se ralliant aux conclusions du professeur E.__, annulant la décision sur opposition et reconnaissant le droit de l’assuré à des indemnités journalières complètes jusqu’au 31.08.2022, puis à des indemnités journalières correspondant à une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée du 01.09.2022 au 31.08.2023.

 

TF

Consid. 4.2
En vertu de l’art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident. Lorsqu’un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l’assurance-accidents d’allouer des prestations cesse si l’accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l’accident. Tel est le cas lorsque l’état de santé de l’intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l’accident par suite d’un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n’est pas rétabli, l’assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l’état maladif préexistant, dans la mesure où il s’est manifesté à l’occasion de l’accident ou a été aggravé par ce dernier (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les arrêts cités). Le seul fait que des symptômes douloureux ne se sont manifestés qu’après la survenance d’un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet évènement (raisonnement « post hoc ergo propter hoc »; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb; arrêt U 215/97 du 23 février 1999 consid. 3b, in RAMA 1999 n° U 341 p. 407). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (ATF 146 V 51 précité consid. 5.1 et les arrêts cités; arrêt 8C_606/2021 du 5 juillet 2022 consid. 3.2).

Consid. 4.3
S’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, on rappellera en plus que le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4; 125 V 351 E. 3a).

 

Consid. 7.1
En cas de lombalgies et lombosciatalgies, la jurisprudence admet qu’un accident a pu décompenser des troubles dégénératifs préexistants au niveau de la colonne lombaire, auparavant asymptomatiques. En l’absence d’une fracture ou d’une autre lésion structurelle d’origine accidentelle, elle considère toutefois que selon l’expérience médicale, le statu quo sine est atteint, au degré de la vraisemblance prépondérante, en règle générale après six à neuf mois, au plus tard après une année. Il n’en va différemment que si l’accident a entraîné une péjoration déterminante, ce qui doit être établi par des moyens radiologiques et se distinguer d’une évolution ordinaire liée à l’âge (cf. arrêts 8C_102/2021 du 26 mars 2021 consid. 6.3.1; 8C_408/2019 du 26 août 2019 consid. 3.3; 8C_726/2010 du 19 novembre 2010 consid. 3.4; 8C_326/2008 du 24 juin 2008 consid. 3.2 et 3.3; 8C_677/2007 du 4 juillet 2008 consid. 2.3.2, in SVR 2009 UV n° 1 p. 1; U 290/06 du 11 juin 2007 consid. 4.2.1, in SVR 2008 UV n° 11 p. 34; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 60/02 du 18 septembre 2002 consid. 3.2).

Consid. 7.2
En l’espèce, l’expert judiciaire et le médecin-conseil partagent l’avis qu’on est en présence d’un état préexistant, qui n’était pas causé par l’accident, faute de traumatisme sévère, l’assuré ayant chuté de sa hauteur. En effet, le professeur E.__ a expliqué, que la survenue d’un spondylolisthésis ou d’une spondylolyse lombaire post traumatique était comprise comme étant une lésion rare qui ne survenait que lors d’un traumatisme majeur (chute d’une hauteur de plusieurs mètres, collision sévère, écrasement). Le médecin-conseil a retenu que la théorie traumatique ne pouvait prospérer que lorsque le traumatisme était très sévère, ce dernier entrainant une fracture aiguë de l’isthme lors du mécanisme très violent. Il a noté en outre que le spondylolisthésis était un glissement de la vertèbre L5 sur le sacrum. Sur le plan médico-assécurologique, il n’avait pas été créé par l’évènement, ni même aggravé de façon définitive, en vraisemblance prépondérante. La mobilité du segment vertébral L5-S1 n’avait pas pu être aggravée par l’évènement à faible cinétique, évènement qui n’avait pas créé d’atteinte de surcroît.

En ce qui concerne l’état préexistant, ces deux praticiens sont rejoints par le premier médecin-conseil qui a relevé que le bilan radiologique effectué le 08.05.2018 n’avait pas mis en évidence de fracture, en particulier de fracture vertébrale dorso-lombaire, ou de lésion structurelle pouvant être mise en rapport avec le traumatisme. Au surplus, le docteur G.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, qui avait examiné l’assuré le 24.05.2019, a expliqué dans son rapport du même jour que le CT-Scanner thoraco-abdominal réalisé le 08.05.2018 montrait l’absence de lésion fracturaire avec la présence d’un antélisthésis de L5-S1 et une lyse isthmique bilatérale de L5. Il précisait qu’il était très fréquent de découvrir fortuitement des lyses isthmiques, qui étaient des lésions fréquentes pouvant atteindre jusqu’à 15% de la population et qui n’étaient que très rarement liées à des accidents. L’image de cette lyse isthmique ne faisait pas du tout penser à une lyse fracturaire; il s’agissait probablement d’une lésion présente depuis plusieurs années. Cette lésion n’expliquait pas à elle-même les problèmes du patient. Probablement, l’accident, avec le choc au niveau lombaire, pouvait provoquer des douleurs lombaires propres à aggraver une situation déjà précaire.

 

Consid. 7.3
Il ressort de ce qui vient d’être dit qu’en l’espèce, aucun élément médical objectif n’atteste l’existence d’une fracture ou d’une lésion structurelle attribuable à l’accident. En l’absence d’une telle lésion, la persistance de douleurs et d’une importante contracture musculaire ne suffit pas à constater, au degré de la vraisemblance prépondérante, une aggravation déterminante d’origine accidentelle. Dans ce contexte, les considérations du professeur E.__ relatives à l’absence de pertinence de la notion de statu quo sine, au motif que la spondylolyse isthmique reste dans la majorité des cas asymptomatique, ne peuvent pas être suivies car elles négligent les autres atteintes dégénératives constatées dans le cas d’espèce. Par ailleurs, le professeur E.__ n’expose pas en quoi les articles et ouvrages scientifiques qu’il cite feraient état de connaissances médicales nouvelles, postérieures à la jurisprudence citée ci-avant (consid. 7.1) et qui justifieraient de la remettre en cause.

Consid. 7.4
Vu ce qui précède, l’expertise du professeur E.__ ne permet pas de constater la persistance d’un rapport de causalité naturelle entre les lombalgies présentées par l’assuré et l’accident assuré, plus d’une année après cet accident. Contrairement à l’avis de l’assurance-accidents, elle suffit en revanche pour admettre la persistance d’un rapport de causalité pendant une année après l’accident, ce que la jurisprudence n’exclut pas. Sur ce point, l’assurance-accidents ne peut pas être suivie lorsqu’elle demande, en se référant aux avis de ses médecins-conseil, le constat d’un statu quo sine moins d’une année après l’accident. Le premier médecin-conseil a certes soutenu qu’un statu quo sine était atteint six mois déjà après l’accident, mais au terme d’une analyse très schématique, sans s’appuyer sur un examen clinique de l’assuré ni analyser en détail les constatations cliniques de ses confrères. Il en va de même du second médecin-conseil, qui a par ailleurs pris en considération, dans son analyse, une évolution de vie à 55 ans, alors que l’assuré était âgé de 29 ans au moment de l’accident. Dans ces conditions, les avis exprimés par ces deux médecins ne suffisent pas à établir, au degré de vraisemblance prépondérante, un statu quo sine moins d’une année après l’évènement accidentel.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_50/2023 consultable ici

 

8C_620/2022 (d) du 21.09.2023, destiné à la publication – Prestations en faveur des bénéficiaires non limitées dans le temps en fonction de l’âge en vertu de l’art. 21 al. 1 let. c LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_620/2022 (d) du 21.09.2023

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 26.10.2023 consultable ici

 

Prestations en faveur des bénéficiaires de rentes partiellement invalides ne sont pas limitées dans le temps en fonction de l’âge en vertu de l’art. 21 al. 1 let. c LAA

 

Le Tribunal fédéral admet le recours d’une bénéficiaire de rente partiellement invalide dont l’assurance-accidents a supprimé les prestations à sa charge une fois atteint l’âge ordinaire de la retraite. La lettre, la genèse, le contexte et l’interprétation téléologique de l’art. 21 al. 1 let. c LAA s’opposent dans l’ensemble à une limitation dans le temps, en fonction de l’âge, des prestations en faveur des bénéficiaires de rentes partiellement invalides.

L’assurance-accidents verse depuis plusieurs années une rente d’invalidité à la recourante partiellement invalide et a jusqu’ici également pris en charge les frais d’une physiothérapie à long terme visant à maintenir sa capacité résiduelle de gain. Par décision, puis décision sur opposition, l’assurance-accidents a supprimé ces prestations de soins ainsi que le remboursement des frais au 31 mai 2020, au motif que la recourante allait atteindre l’âge de 64 ans à mi-mai 2020 et, par conséquent, l’âge ordinaire de la retraite. Le Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich a rejeté le recours formé contre cette décision. Le Tribunal fédéral admet le recours et annule la décision attaquée ainsi que la décision sur opposition.

Le Tribunal fédéral s’est penché de manière approfondie sur la teneur de l’art. 21 al. 1 let. c LAA. Il ressort de la lettre claire de ladite disposition qu’il n’est, premièrement, pas exigé de la personne assurée qu’elle fasse effectivement usage de sa capacité résiduelle de gain. De même, rien n’indique que les prestations en nature en faveur des bénéficiaires de rentes partielles ne soient plus dues une fois l’âge de la retraite AVS atteint. Deuxièmement, le processus législatif n’apporte pas d’indications utiles à cet égard. Troisièmement, et contrairement à ce qui est le cas pour la rente de l’assurance-accidents, il n’existe pas de disposition légale relative aux conséquences de l’âge de la retraite AVS sur le droit aux prestations prévues à l’art. 21 al. 1 LAA. Du point de vue systématique, rien ne permet non plus de conclure à une restriction, voire une limitation temporelle liées à l’âge. Quatrièmement, au regard du sens et du but de la disposition, il apparaît peu probable que le législateur ait voulu, en opérant la distinction entre les let. c et d, limiter le droit au traitement médical des personnes âgées partiellement invalides. En effet, en cas d’invalidité totale, la prise en charge par l’assurance-accidents des frais de traitement des bénéficiaires de rente est accordée aux conditions clairement énoncées à la let. d, indépendamment de l’âge. Il n’y a ainsi pas de raison de répercuter sur l’assurance-maladie le remboursement des frais causés par un accident dans le cas de bénéficiaires de rente partiellement invalides, à partir de l’âge de la retraite AVS.

En résumé, tant la lettre de la disposition que sa genèse, son contexte et son interprétation téléologique s’opposent dans l’ensemble à une limitation dans le temps en fonction de l’âge, fondée sur l’art. 21 al. 1 let. c LAA, des prestations en faveur des bénéficiaires de rentes partiellement invalides. Par conséquent, l’assurance-accidents reste, jusqu’à nouvel ordre, tenue de prendre en charge les coûts d’une physiothérapie à long terme visant à maintenir la capacité résiduelle de gain.

 

Arrêt 8C_620/2022 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 26.10.2023 consultable ici

 

8C_39/2023 (f) du 14.07.2023 – Capacité de travail partielle et baisse de rendement post-TCC sévère – Pas d’abattement pour la capacité partielle ni la baisse de rendement – 19 LAA – 16 LPGA / Prise en charge des frais médicaux après stabilisation de l’état de santé

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_39/2023 (f) du 14.07.2023

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité / 19 LAA – 16 LPGA

Capacité de travail partielle et baisse de rendement post-TCC sévère – Pas d’abattement pour la capacité partielle ni la baisse de rendement

Prise en charge des frais médicaux après stabilisation de l’état de santé / 21 al. 1 LAA

 

Assuré, né en 1990, a débuté un apprentissage de cuisinier le 15.08.2006. Le 03.07.2008, il a été victime d’un accident alors qu’il circulait à scooter. Le diagnostic principal de polytraumatisme avec TCC sévère a été posé.

L’office AI a alloué à l’assuré une rente entière d’invalidité à compter du 01.09.2014.

Après expertise pluridisciplinaire (neurologie, psychiatrie et neuropsychologie), l’assureur-accidents a, par décision du 10.12.2019 confirmée sur opposition, alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 18% à compter du 01.01.2015 et une IPAI de 35%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 09.12.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens qu’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 27% à partir du 01.01.2015 a été octroyée à l’assuré et que le droit au « remboursement des frais médicaux liés à l’accident du 03.07.2008 » (plus précisément, selon les considérants, le droit au remboursement au-delà du 31.08.2015 des frais occasionnés par un traitement psychotrope et un suivi psychiatrique) lui a été reconnu

 

TF

Consid. 3.2
La cour cantonale a constaté que l’expert en neurologie avait indiqué que la seule affection limitant la capacité de travail de l’assuré était un syndrome neuropsychologique en lien avec une contusion cérébrale; dans l’activité habituelle comme dans une activité adaptée, la capacité de travail était de 80% avec une perte de rendement de 20%. Dans le même sens, l’expert en neuropsychologie avait fait état d’une capacité de travail de 80% avec un rendement de 80%, soit une capacité de travail équivalant à 64%. Selon l’experte en psychiatrie, la capacité de travail pouvait être fixée à 80% avec une diminution de rendement de 20 à 25%. L’expert en neurologie avait précisé qu’en consensus, une capacité résiduelle de travail de 60% (80% avec une diminution de rendement de 20 à 25%) avait été retenue. L’instance cantonale a estimé que sur la base de cette appréciation consensuelle, une capacité résiduelle de travail de 60% dans une activité adaptée pouvait être retenue.

Consid. 3.4
Au terme d’une appréciation consensuelle, les experts ont fait état d’une « capacité de travail de 60% (80% de capacité de travail en taux horaire avec une diminution de rendement de 20-25% sur ce 80%) « . Ce taux de 60%, qui correspond à une capacité de travail de 80% avec une diminution de rendement de 25% sur ce 80%, entre bien dans la fourchette d’une baisse de rendement de 20 à 25% évoquée par l’experte en psychiatrie puis reprise en consensus. Il n’y a donc pas lieu de s’en s’écarter, quand bien même les experts n’ont pas exposé pour quelle raison ils ont finalement privilégié – toujours en consensus – une baisse de rendement de 25%.

 

Consid. 4.1.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 4.1.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb; arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.1.3
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 4.1.4
Le critère du taux d’occupation réduit peut être pris en compte pour déterminer l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique d’invalide lorsque le travail à temps partiel se révèle proportionnellement moins rémunéré que le travail à plein temps. A cet égard, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de constater que le travail à plein temps n’est pas nécessairement proportionnellement mieux rémunéré que le travail à temps partiel; dans certains domaines d’activités, les emplois à temps partiel sont en effet répandus et répondent à un besoin de la part des employeurs, qui sont prêts à les rémunérer en conséquence (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc; arrêt 9C_18/2022 du 9 novembre 2022 consid. 3.2 et les arrêts cités). Cela étant, le travail à temps partiel peut, selon les statistiques, être synonyme d’une perte de salaire pour les travailleurs de sexe masculin (arrêt 9C_18/2022 précité consid. 3.2 in fine et les arrêts cités).

Consid. 4.2
La cour cantonale a fixé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS 2014, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes. S’agissant de l’abattement, elle a retenu que les facteurs de la nationalité, de l’âge et des années de service n’entraient pas en ligne de compte. Il en allait de même des limitations fonctionnelles, dont il avait déjà été tenu compte pour déterminer la capacité de travail. En revanche, dès lors que « dans une activité adaptée, non seulement le rendement, mais aussi la capacité de travail […] a[vait] fait l’objet d’une diminution par les médecins-experts », un abattement de 5% était justifié. Compte tenu d’une capacité résiduelle de travail de 60% et d’un abattement de 5%, le revenu d’invalide s’élevait à 37’991 fr. 95. En présence d’un revenu sans invalidité non contesté de 52’074 fr., il en résultait un taux d’invalidité (arrondi) de 27%.

Consid. 4.4
Selon les médecins-experts, l’assuré doit limiter les activités impliquant un rythme de travail soutenu, la gestion du stress et la prise de responsabilités; des activités sans pression temporelle et interactions sociales « confrontantes » doivent également être privilégiées, l’intéressé présentant par ailleurs un besoin d’encadrement, une tendance à la désorganisation, de la fatigabilité et des troubles de l’attention. Ce sont précisément ces limitations fonctionnelles qui ont amené les experts à conclure que l’assuré disposait d’une capacité de travail de 80% avec une baisse de rendement de 25%, soit une capacité équivalant à une activité à 60% (cf. consid. 3.4 supra), de sorte qu’un abattement en raison des limitations fonctionnelles est exclu, comme retenu à juste titre par les juges cantonaux. En revanche, c’est à tort que ceux-ci ont appliqué un abattement de 5% au seul motif que l’assuré ne disposait pas d’une pleine capacité de travail avec un plein rendement. Dès lors que pour calculer le revenu d’invalide, ils ont multiplié par 60% le revenu annuel pour une activité à plein temps issu de l’ESS, le travail à temps partiel ne se révèle pas proportionnellement moins rémunéré que le travail à plein temps (cf. consid. 4.1.4 supra). Le revenu d’invalide, qui ne peut faire l’objet d’aucun abattement, doit ainsi être corrigé et s’élève à 39’991 fr. 54. Compte tenu d’un revenu sans invalidité de 52’074 fr., le taux d’invalidité doit être fixé à 23%.

 

Consid. 5.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase).

Aux termes de l’art. 21 al. 1 LAA, lorsque la rente a été fixée, les prestations pour soins et remboursement de frais (art. 10 à 13) sont accordées à son bénéficiaire dans les cas suivants: lorsqu’il souffre d’une maladie professionnelle (let. a); lorsqu’il souffre d’une rechute ou de séquelles tardives et que des mesures médicales amélioreraient notablement sa capacité de gain ou empêcheraient une notable diminution de celle-ci (let. b); lorsqu’il a besoin de manière durable d’un traitement et de soins pour conserver sa capacité résiduelle de gain (let. c); lorsqu’il présente une incapacité de gain et que des mesures médicales amélioreraient notablement son état de santé ou empêcheraient que celui-ci ne subisse une notable détérioration (let. d). Selon la jurisprudence, l’art. 21 al. 1 let. d LAA s’applique uniquement aux bénéficiaires d’une rente d’invalidité qui présentent une incapacité totale de travail (ATF 124 V 52 consid. 4; arrêts 8C_601/2022 du 31 mars 2023 consid. 5.2; 8C_434/2020 du 26 octobre 2020 consid. 4.3 et les arrêts cités).

Consid. 5.2
Les juges cantonaux ont souligné que l’assurance-accidents avait mis un terme au paiement du traitement médical à partir du 01.09.2015. Dans leur rapport, les médecins-experts avaient évoqué l’instauration d’un traitement psychotrope ou d’une thérapie psychiatrique en cas de péjoration de l’état de santé de l’assuré. Dans ces conditions, celui-ci avait droit, en application de l’art. 21 al. 1 let. d LAA, au remboursement des frais médicaux occasionnés par ces traitements au-delà du 31.08.2015.

Consid. 5.3
L’assurance-accidents soutient qu’aucun expert n’aurait estimé que des mesures médicales pourraient améliorer notablement l’état de santé de l’assuré ou empêcher une notable détérioration dudit état de santé. En outre, il ne serait pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante qu’un traitement psychotrope ou un suivi psychiatrique seraient de nature à avoir un impact sur l’état de santé de l’assuré.

Consid. 5.4
Dès lors que l’assuré n’est pas en incapacité totale de travail, l’art. 21 al. 1 let. d LAA ne trouve pas application. Il ne résulte pas non plus des faits constatés par le tribunal cantonal que l’un des autres cas de figure – exhaustifs (arrêt 8C_601/2022 précité consid. 5.1.1 et la référence) – prévus à l’art. 21 al. 1 LAA se présenterait. S’agissant en particulier de l’art. 21 al. 1 let. c LAA, les médecins-experts n’ont pas indiqué que des soins durables étaient nécessaires pour conserver la capacité résiduelle de travail fixée à 60%. L’experte en psychiatrie s’est limitée à relever qu’en cas d’aggravation de l’état de santé, un traitement psychotrope ou un suivi psychologique pouvait être instauré. Par conséquent, c’est à tort que les juges cantonaux ont estimé que l’assuré avait droit au remboursement des frais médicaux postérieurs au 31.08.2015.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_39/2023 consultable ici