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8C_24/2022 (d) du 20.09.2022 – Notion d’accident – Rappel des notions du facteur extérieur et du caractère extraordinaire – 6 LAA – 4 LPGA / Rupture partielle du tendon d’Achille en montant les escaliers

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_24/2022 (d) du 20.09.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Notion d’accident – Rappel des notions du facteur extérieur et du caractère extraordinaire / 6 LAA – 4 LPGA

Rupture partielle du tendon d’Achille en montant les escaliers

 

Assuré, né en 1956, travaille depuis 2016 comme directeur d’une société anonyme. Le 23.10.2019, il a subi une rupture partielle du tendon d’Achille, pour laquelle l’assurance-accidents a nié la notion d’accident en raison de l’absence d’un facteur extérieur extraordinaire et de modifications dégénératives (décision du 09.03.2020, confirmée sur opposition le 15.10.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2020.00257 – consultable ici)

En ce qui concerne l’événement litigieux du 23.10.2019, l’instance cantonale a constaté que l’assuré a transporté à bout de bras de la nourriture, de la vaisselle et des harasses de la maison à la voiture et vice-versa en empruntant un escalier en béton comportant trois marches d’environ 20 cm de haut. La troisième fois, il s’est contenté de poser la pointe du pied gauche sur une marche, a voulu suivre ou monter avec le pied droit et s’est affaissé en raison de la charge, sans pour autant tomber. Le lendemain, les médecins ont diagnostiqué une rupture partielle importante du tendon d’Achille (90%), qui a été réparée par la suite par voie chirurgicale. Dans son appréciation, le tribunal cantonal a confirmé l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire, étant donné que le déroulement normal des mouvements lors de la montée des escaliers a été perturbé par un « faux pas » dans les escaliers, au sens d’un mouvement non coordonné.

Par jugement du 11.11.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant l’existence d’un accident.

 

TF

Consid. 3.1
Conformément à l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle, sauf disposition contraire de la loi. Selon l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physi­que, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort.

Consid. 3.2
Le facteur extérieur est la caractéristique centrale de tout événement accidentel ; il est le pendant de la cause interne – constitutive de la notion de maladie (ATF 134 V 72 consid. 4.1.1). Selon la jurisprudence, le facteur extérieur est extraordinaire lorsque – selon un critère objectif – il ne se situe plus dans le cadre de ce qui est quotidien et habituel pour le domaine de vie concerné (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1; 134 V 72 consid. 4.1; SVR 2022 UV Nr. 13 p. 55, 8C_430/2021 consid. 2.3; SVR 2021 UV Nr. 28 p. 132, 8C_534/2020 consid. 4.1; SVR 2017 UV Nr. 18 S. 61, 8C_53/2016 consid. 3.1). Le caractère extraordinaire du facteur extérieur peut notamment consister en un mouvement non coordonné. L’existence d’un facteur extérieur est en principe admise en cas de « mouvement non coordonné », à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement « non programmé », lié à l’environnement extérieur. Dans le cas d’un tel mouvement non coordonné, le facteur extérieur extraordinaire doit être admis, car le facteur extérieur – modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1; SVR 2021 UV Nr. 21 p. 101, 8C_586/2020 consid. 3.3; SVR 2020 UV Nr. 35 p. 141, 8C_671/2019 consid. 2.3). C’est le cas, par exemple, lorsque la personne assurée trébuche, glisse ou se cogne contre un objet, ou lorsque, pour éviter de glisser, elle adopte ou tente d’adopter une attitude de protection réflexe (arrêts 8C_783/2013 du 10 avril 2014 consid. 4.2 ; 8C_749/2008 du 15 janvier 2009 consid. 3.2).

En revanche, l’apparition de douleurs en tant que telle ne constitue pas un facteur extérieur (dommageable) au sens de la jurisprudence (ATF 129 V 466 consid. 4.2.1 ; arrêt 8C_456/2018 du 12 septembre 2018 consid. 6.3.2).

En règle générale, les effets qui résultent de processus quotidiens ne peuvent pas être considérés comme la cause d’une atteinte à la santé (ATF 134 V 72 consid. 4.1).

Il convient en outre de noter que la notion médicale de traumatisme ne se recoupe pas avec la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA, qui relève du droit des assurances (arrêts U 199/03 vom 10 mai 2004 consid. 1, non publié in : ATF 130 V 380; SVR 2011 UV Nr. 11 p. 39, 8C_693/2010 consid. 7; 8C_589/2021 du 17 décembre 2021 consid. 5.5).

Ce qui est donc déterminant, c’est que le facteur extérieur se démarque de la norme des effets de l’environnement sur le corps humain (ATF 134 V 72 consid. 4.3.1; SVR 2015 UV Nr. 6 p. 21, 8C_231/2014 consid. 2.3).

Consid. 5.2
Selon la jurisprudence, monter des escaliers constitue un acte de la vie quotidienne et une sollicitation physiologique du corps sans danger potentiel accru (arrêts 8C_40/2017 du 11 avril 2017 consid. 6 ; 8C_766/2010 du 15 juin 2011 et la référence à l’ATF 129 V 466 consid. 4.2.2). Le fait de monter et de descendre de manière répétée d’une plateforme de 10 à 20 cm de haut lors d’une séance de step aérobic, sans sauter, ne constitue pas non plus une situation de danger accru. Le simple fait de monter ou de descendre d’un stepper dans le cadre d’une chorégraphie d’aérobic n’entraîne pas non plus un mouvement incontrôlable. Il en irait autrement si le stepper glissait lors du mouvement de descente (arrêt 8C_11/2015 du 30 mars 2015 consid. 3.2). Une chute dans les escaliers (arrêt 8C_40/2017 du 11 avril 2017 consid. 6) ainsi qu’un faux pas avéré lors de la montée des escaliers doivent être considérés comme un facteur extérieur extraordinaire (arrêt U 236/98 du 3 janvier 2000 consid. 3b). Le caractère extraordinaire, et donc l’existence d’un accident, doit toutefois être nié même en cas de blessure sportive sans événement particulier (cf. ATF 130 V 117 consid. 2.2; SVR 2014 UV Nr. 21 p. 67, 8C_835/2013 consid. 5.1; arrêt 8C_570/2019 du 8 novembre 2019 consid. 3.2).

Consid. 5.3
L’instance cantonale a considéré que le fait de « ne pas se tenir correctement » dans l’escalier constituait un mouvement non coordonné, dans le sens d’un facteur extérieur extraordinaire. Un faux pas ou même une chute ne sont pas établis. L’assuré n’allègue pas avoir manqué une marche, avoir perdu l’équilibre ou avoir marché dans le vide sans appui. Il ne fait pas non plus valoir que la conception de l’escalier était particulière ou qu’il se trouvait dans un état particulier (p. ex. humide ou verglacé) en raison d’influences de l’environnement. Au contraire, il a monté un petit escalier normal en tenant quelque chose à la main. Ce processus n’a rien d’inhabituel, même s’il n’a posé que la partie avant du pied et non toute la surface du pied sur la marche. L’affaissement du talon sur la marche inférieure ne dépasse pas le cadre de ce à quoi on peut s’attendre dans la situation initiale et ne constitue pas un incident particulier. Malgré l’atteinte à la santé qui s’est produite, le seul abaissement du talon lors de la montée quotidienne d’un escalier, sans que le déroulement ne soit en outre perturbé, ne remplit pas les exigences relatives au facteur extérieur indispensable à l’affirmation de la notion d’accident au sens de l’art. 4 LPGA.

Consid. 5.4
En résumé, le tribunal cantonal a violé le droit fédéral en concluant à l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire au sens de l’art. 4 LPGA et donc à un accident.

Consid. 6.1
Le tribunal cantonal ne s’est prononcé que sur la question de savoir s’il s’agissait d’un accident au sens de l’art. 6 al. 1 LAA et a renoncé à donner des explications sur l’obligation de verser des prestations sous l’angle d’une des affections énumérées à l’art. 6 al. 2 LAA. Une décision réformatrice n’est donc pas possible (cf. ATF 140 III 24 consid. 3.3). En annulant le jugement attaqué, l’affaire doit être renvoyée à l’instance cantonale pour un examen matériel de ces conditions et un nouveau jugement (cf. ATF 146 V 51 consid. 9.1 ; arrêt 8C_445/2021 du 14 janvier 2022 consid. 3.1).

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_24/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_24/2022 (d) du 20.09.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/10/8c_24-2022)

 

8C_444/2021 (f) du 29.04.2022 – Revenu sans invalidité d’une personne au chômage – ESS – niv. de compétences 2 – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_444/2021 (f) du 29.04.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité d’une personne au chômage – ESS – niv. de compétences 2 / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1960, fromager de formation, a travaillé depuis 1994 dans le secteur de la vente d’automobiles neuves et d’occasion, en dernier lieu pour la société B.__ SA, où il occupait le poste de responsable du parc automobile d’occasions. Son contrat de travail a été résilié au 30 juin 2014 pour des motifs économiques.

Le 27.05.2016, l’assuré, alors au bénéfice d’indemnités chômage, a fait une chute alors qu’il roulait à scooter. Il en est résulté une fracture du plateau tibial gauche de type Schatzker V.

L’évolution du cas a été marquée par la présence d’une gonarthrose gauche tricompartimentale post-traumatique. A l’issue d’un examen par le médecin-conseil, ce dernier a indiqué que la situation était stabilisée, l’ancienne activité de vendeur de voitures n’étant toutefois plus exigible. Dans une activité effectuée majoritairement en position assise, sans limitation au niveau des membres supérieurs, sans déplacements de façon répétée dans des escaliers, sans devoir monter sur des échelles, s’accroupir ou se mettre à genoux, avec un port de charges occasionnel jusqu’à 10 kilos maximum, la capacité de travail de l’assuré était entière sans baisse de rendement. Le taux d’atteinte à l’intégrité s’élevait à 25%.

Par décision du 10.10.2019, confirmée sur opposition le 05.12.2019, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 10% dès le 01.10.2019, ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 25%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/449/2021 – consultable ici)

Par jugement du 12.05.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 28% dès le 01.10.2019.

 

TF

Consid. 1.2
Dans sa décision du 10.10.2019, confirmée sur opposition le 05.12.2019, l’assurance-accidents a reconnu à l’assuré une rente fondée sur un taux d’invalidité de 10%. L’assuré ayant recouru contre cette décision devant la juridiction cantonale en demandant à titre principal l’octroi d’une rente fondée sur un degré d’invalidité de 65%, l’assurance-accidents a conclu, dans son mémoire de réponse, au rejet du recours, respectivement à ce que le taux d’invalidité de 10% qu’elle avait reconnu soit confirmé. Cette conclusion a été confirmée à plusieurs reprises.

Consid. 1.3
Selon l’art. 61 let. d LPGA, le tribunal cantonal des assurances n’est pas lié par les conclusions des parties; il peut réformer, au détriment du recourant, la décision attaquée ou accorder plus que ce que le recourant avait demandé; il doit cependant donner aux parties l’occasion de se prononcer ou de retirer le recours. Il eût par conséquent été admissible que l’assurance-accidents demande au tribunal d’accorder à l’assuré moins (pas de droit à une rente) que ce qu’elle avait elle-même accordé dans la décision attaquée (cf. ATF 138 V 339 consid. 2.3.2.1).

L’assurance-accidents n’a toutefois jamais conclu à ce que la juridiction cantonale constate l’absence de droit à une rente, soit moins que ce qu’elle avait elle-même reconnu à l’assuré en lui allouant une rente fondée sur un taux d’invalidité de 10%, soit le taux minimum pour ouvrir le droit à une rente de l’assurance-accidents (art. 18 al. 1 LAA). Ce n’est que devant le Tribunal fédéral que l’assurance-accidents a pris pour la première fois la conclusion tendant à l’absence de tout droit à une rente, laquelle est par conséquent irrecevable (ATF 138 V 339 consid. 2.3.3; 136 V 362 consid. 4.2).

Consid. 1.4
En revanche, la conclusion subsidiaire de l’assurance-accidents tendant à reconnaître à l’assuré le droit à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 20% est recevable. Il convient dès lors d’entrer en matière sur le recours, qui satisfait par ailleurs aux exigences formelles de recevabilité.

 

Revenu sans invalidité

Consid. 4.2.2
Le choix du niveau de compétence est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 4.2.3
Depuis la dixième édition de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêts 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.1; 9C_901/2017 du 28 mai 2018 consid. 3.3). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4; 9C_370/2019 du 10 juillet 2019 consid. 4.1 et les références).

Consid. 4.2.4
Selon les constatations de la cour cantonale, l’assuré a occupé la fonction de chef de vente du 01.02.2008 au 31.12.2008 auprès de D.__ et celle de responsable du parc de voitures d’occasion du 01.02.2003 au 31.01.2008, puis du 01.01.2009 au 30.06.2014 au service du B.__ SA, son dernier employeur, où il était chargé de la gestion de la vente/reprise des véhicules d’occasion, y compris lors des expositions extérieures, comme le salon de la voiture d’occasion. En l’occurrence, la dernière activité exercée par l’assuré coïncide avec la définition du niveau de compétence 2, puisque la gestion d’un parc automobile d’occasions relève principalement de la vente. En ce qui concerne l’expérience professionnelle de plusieurs années dont peut se prévaloir l’assuré – sans formation commerciale ni autres qualifications particulières acquises pendant l’exercice de la profession -, elle ne justifie pas à elle seule un classement supérieur au niveau de compétence 2 dès lors que dans la plupart des secteurs professionnels, un diplôme ou du moins des formations et des perfectionnements (formalisés) sont exigés (cf. arrêts 8C_581/2021 du 19 janvier 2022 consid. 4.4; 9C_148/2016 du 2 novembre 2016 consid. 2.2).

Consid. 4.2.5
Pour calculer le revenu sans invalidité de l’assuré, il convient dès lors de prendre pour base le salaire mensuel auquel peuvent prétendre les hommes dans la branche 45-46 au niveau de compétence 2, soit 5’570 fr., montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen dans la branche (42,3 heures par semaine) et à l’indice des salaires nominaux (+ 0,4% en 2017 et + 0,6% en 2018 et 0% en 2019), ce qui aboutit à un revenu sans invalidité de 71’391 fr. 83 par année.

 

Revenu d’invalide

Consid. 4.3.2
Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des circonstances du cas particulier constitue une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement, tandis que l’étendue de l’abattement justifié dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2).

Consid. 4.3.3
En l’espèce, il est indéniable que l’assuré doit s’attendre à des pertes de salaire, étant donné qu’il ne peut plus être employé que pour des travaux légers, exécutés principalement en position assise, pour lesquels il ne peut en outre ni soulever ni porter des poids de plus de 10 kg, et ce seulement ponctuellement. Il faut en outre tenir compte du fait qu’il n’a plus accès qu’au marché du travail des personnes qui débutent dans une entreprise et qui n’ont pas encore d’expérience professionnelle dans la nouvelle activité. De plus, il ne lui restait que relativement peu d’années de service avant d’atteindre la limite d’âge AVS (5 ou 6 ans à partir de la stabilisation de son état de santé en 2019). Si l’on tient compte de ces facteurs influençant le salaire, un abattement de 10% sur le revenu d’invalide, tel qu’opéré par l’assurance-accidents et confirmé – quoique, avec une motivation différente – par le cour cantonale, échappe à la critique.

Consid. 4.3.4
Compte tenu d’un revenu sans invalidité de 71’391 fr. 83 et d’un revenu d’invalide de 64’718 fr. 98, la comparaison des revenus donne une invalidité de 9%, le taux de 9,34% étant arrondi au pour cent inférieur (ATF 130 V 121 consid. 3.2). Ce résultat correspond à la conclusion principale de l’assurance-accidents tendant à l’absence de toute rente, laquelle est irrecevable (cf. consid. 1.3 supra). Toutefois, cette conclusion comprend, conformément au principe « a maiore minus », l’octroi d’une rente d’un taux inférieur au taux de 28% alloué par la cour cantonale, indépendamment du fait que l’assurance-accidents a pris une conclusion subsidiaire tendant à l’octroi d’une rente d’invalidité de 20% (fondée sur l’hypothèse, non réalisée en l’espèce, d’un revenu sans invalidité calculé sur la base d’un niveau de compétence 3 et sur l’absence de tout abattement sur le revenu d’invalide). Il convient dès lors de confirmer la décision sur opposition du 05.12.2019 par laquelle l’assurance-accidents avait alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 10%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_444/2021 consultable ici

 

8C_514/2021 (f) du 27.04.2022, publié ATF 148 V 225 – Récusation d’un expert – Apparence de prévention – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_514/2021 (f) du 27.04.2022, publié aux ATF 148 V 225

 

Arrêt consultable ici et ATF 148 V 225 consultable ici

 

Récusation d’un expert – Apparence de prévention / 44 LPGA

Médecin-conseil et médecin-expert partageant les locaux et les frais d’un petit cabinet de groupe

 

Assuré, victime d’une chute à vélo le 05.08.2018, se réceptionnant sur l’épaule droite, occasionnant une fracture non déplacée du trochiter droit et une fracture de l’extrémité dorsale du radius gauche. L’assurance-accidents a soumis le cas à son médecin-conseil, le docteur C.___, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, qui a conclu à un lien de causalité certain entre lesdites fractures et l’accident du 05.08.2018 et a escompté une reprise d’activité pour fin 2018.

Dans un avis du 28.01.2019, le médecin-conseil a situé le statu quo sine au plus tard à l’arthro-IRM du 08.01.2019, qui montrait selon lui que la fracture du trochiter était guérie et que le reste était dégénératif. Par décision du 06.02.2019, l’assurance-accidents a signifié à l’assuré la prise en charge des prestations légales jusqu’au 08.01.2019 inclus, les traitements au-delà de cette date n’étant en revanche plus en rapport avec l’événement du 05.08.2018.

L’assuré, sous la plume de sa protection juridique, a fait opposition à cette décision. Le médecin-conseil a préconisé la mise en œuvre d’une expertise qu’il proposait de confier au docteur E.___, au docteur F.___ ou au docteur G.___, tous spécialistes en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur.

Par communication du 16.08.2019, Helsana a informé l’assuré qu’une expertise était mise en œuvre auprès du docteur E.___ et que l’examen y relatif interviendrait le 11.09.2019, un délai au 06.09.2019 étant imparti à l’intéressé pour faire part d’éventuelles remarques, objections ou questions complémentaires.

Dans son rapport du 12.11.2019, l’expert E.___ a estimé que le statu quo sine avait été retrouvé avant l’opération de l’épaule droite du 06.06.2019 et que l’état de la coiffe des rotateurs n’était manifestement pas en lien de causalité naturelle avec l’accident, mais avec un état pathologique préexistant.

Le 28.01.2020, l’assuré a contesté les conclusions de l’expert E.___. Dans un avis du 27.05.2020, le médecin-conseil a lui écarté les nouvelles appréciations apportées par l’assuré. Par décision sur opposition du 14.07.2020, Helsana a confirmé sa décision du 06.02.2019.

Lors d’un entretien téléphonique du 24.07.2020 avec l’assurance-accidents, l’avocat, nouveau conseil de l’assuré, a critiqué l’octroi de mandats d’expertise au docteur E.___ alors même que ce médecin et le docteur C.___ (médecin-conseil) étaient associés, et a remis en cause l’impartialité et l’indépendance de l’expert. Il a proposé l’annulation de la décision sur opposition du 14.07.2020 et la mise en œuvre d’une nouvelle expertise neutre, ce que Helsana a refusé par courriel du 28.07.2020 en se référant à un arrêt valaisan du 13.03.2013 « confirm[ant] l’indépendance et l’impartialité du Dr E.___ ». Par courriel du 29.07.2020, le mandataire de l’assuré a relevé que cet arrêt ne portait pas sur la question qu’il avait soulevée et qu’il allait donc déposer un recours.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 83/20 – 77/2021 – consultable ici)

L’assuré a recouru contre la décision sur opposition du 14.07.2020. L’assurance-accidents a conclu au rejet du recours. Elle a produit une prise de position du médecin-conseil du 02.11.2020 contenant les déclarations suivantes: « Je précise que je ne suis pas l’associé du Dr E.___. Notre cabinet n’est pas une S[à]rl ou SA. Nous ne faisons que partager les locaux et les frais qui en découlent, mais notre travail et nos revenus sont indépendants. Ceci signifie que je ne suis pas impliqué dans les choix et décisions de mon confrère, que cela soit concernant [s]es patients ou [s]es expertises ».

La cour cantonale a d’abord examiné si le motif de récusation avait été invoqué tardivement. Elle a relevé que l’assuré n’avait aucune obligation générale – légale ou jurisprudentielle – d’effectuer des recherches quant à la personne de l’expert, singulièrement quant aux liens entretenus par ce dernier avec d’autres praticiens et avec le médecin-conseil plus spécifiquement. On ne pouvait par ailleurs pas reprocher à l’assuré de ne pas avoir immédiatement réagi lorsqu’il s’était rendu dans les locaux partagés par le médecin-expert et le médecin-conseil le jour de l’expertise le 11.09.2019, quand bien même le nom de ces médecins figurait à l’entrée du cabinet. En effet, l’assuré n’avait jamais été examiné personnellement par le médecin-conseil et avait tout au plus eu connaissance du nom de celui-ci à la lecture de certaines correspondances de l’assurance-accidents (notamment un courrier du 17.12.2018 et la décision du 06.02.2019, adressés à l’assuré alors non représenté) largement antérieures à l’expertise. De telles circonstances n’étaient à l’évidence pas propres à lui faire garder en mémoire l’identité exacte du médecin-conseil de l’assureur, ni à faire le rapprochement avec le docteur C.___ le jour de l’expertise. Ce rapprochement n’avait en définitive été fait que fortuitement à la faveur d’un changement de mandataire dans les suites de la décision sur opposition du 14.07.2020, après quoi le motif de récusation en découlant avait été directement invoqué devant l’assurance-accidents puis auprès du tribunal cantonal, soit un enchaînement chronologique qui n’apparaissait en rien contraire au principe de la bonne foi.

Examinant le bien-fondé du motif de récusation soulevé par l’assuré à l’encontre de l’expert E.___, la cour cantonale a constaté qu’il était admis que les docteurs C.___ et E.___ exploitaient ensemble un cabinet de groupe et que c’était le premier qui, initialement, avait proposé de confier un mandat d’expertise au second tout en avançant également le nom de deux autres confrères. Quand bien même le docteur C.___ avait ultérieurement indiqué que le docteur E.___ et lui-même se limitaient à partager des locaux et les frais y relatifs tout en demeurant indépendants dans l’exercice de leurs activités respectives, une telle constellation était de nature à créer objectivement l’apparence d’une prévention. Force était en effet de constater que deux spécialistes exploitant un même cabinet de groupe – qui plus est, un cabinet de petite taille impliquant des contacts autrement plus fréquents et étroits que ceux d’experts œuvrant au sein d’un même centre d’expertise – avaient en définitive été sollicités par l’assurance-accidents aux fins d’émettre des appréciations décisives pour le sort de la cause. Sous cet angle, le motif de récusation invoqué apparaissait donc fondé.

Par jugement du 08.07.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour complément d’instruction dans le sens des considérants et nouvelle décision.

 

TF

Faits C.b.
Par ordonnance du 04.11.2021, le juge instructeur a requis de l’assurance-accidents la production d’une liste anonymisée des cas dans lesquels elle a désigné le docteur E.___ comme expert indépendant (art. 44 LPGA) dans un dossier relevant de l’assurance-accidents depuis le 01..01.2010, avec indication des honoraires de l’expert.

L’assurance-accidents a produit un tableau dont il résulte les éléments suivants: Sur la période allant du 01.09.2009 au 31.08.2021, le docteur E.___ a rendu 169 rapports d’expertise (dont environ 10% sont des rapports d’expertise complémentaire) dans des dossiers relevant de l’assurance-accidents dans lesquels l’assurance-accidents l’a désigné comme expert au sens de l’art. 44 LPGA sur proposition du docteur C.___ (étant précisé que celui-ci a parfois proposé plusieurs noms d’experts); il a encaissé à ce titre des honoraires pour un montant total de 562’920 fr. 90. Sur ces douze années, il a ainsi effectué pour l’assurance-accidents une moyenne de 14 expertises ou compléments d’expertise par année (avec un plus haut de 30 en 2010 et un plus bas de 1 en 2020) et a encaissé un montant annuel moyen de 46’910 fr. à titre d’honoraires d’expert.

 

Consid. 3.1
Selon l’art. 44 LPGA, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties; celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. La communication du nom de l’expert doit notamment permettre à l’assuré de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il pourrait disposer d’un motif de récusation. Lorsque l’intéressé soulève des objections quant à la personne de l’expert, l’assureur doit se prononcer à leur sujet avant Ie commencement de l’expertise (ATF 146 V 9 consid. 4.2.1 et les références).

Consid. 3.2
Si un motif de récusation n’est découvert qu’au moment de la réalisation de l’expertise ou après celle-ci, le motif de récusation doit être invoqué dès que possible, soit en principe dès que le plaideur a connaissance du motif, faute de quoi il est réputé avoir tacitement renoncé à s’en prévaloir (JACQUES OLIVIER PIGUET, in Dupont/Moser-Szeless [édit.], Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, Bâle 2018, n° 47 ad art. 44 LPGA). Il est en effet contraire au principe de la bonne foi d’attendre l’issue d’une procédure pour ensuite, à l’occasion d’un recours, tirer argument d’un motif de récusation qui était connu auparavant (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3; 139 III 120 consid. 3.2.1; 136 III 605 consid. 3.2.2).

Consid. 3.3
Les objections que peut soulever l’assuré à l’encontre de la personne de l’expert peuvent être de nature formelle ou matérielle; les motifs de récusation formels sont ceux prévus par la loi (cf. art. 36 al. 1 LPGA); d’autres motifs, tels que le manque de compétence dans le domaine médical retenu ou encore un manque d’adéquation personnelle de l’expert, sont de nature matérielle (ATF 132 V 93 consid. 6.5; arrêt 9C_180/2013 du 31 décembre 2013 consid. 2.3; JACQUES OLIVIER PIGUET, op. cit., n° 24 ad art. 44 LPGA).

Consid. 3.4
S’agissant des motifs de récusation formels d’un expert, il y a lieu selon la jurisprudence d’appliquer les mêmes principes que pour la récusation d’un juge (ATF 137 V 210 consid. 2.1.3; 132 V 93 consid. 7.1; 120 V 357 consid. 3a), qui découlent directement du droit constitutionnel à un tribunal indépendant et impartial garanti par l’art. 30 al. 1 Cst. – qui en la matière a la même portée que l’art. 6 par. 1 CEDH (ATF 134 I 20 consid. 4.2) – respectivement, pour un expert, des garanties générales de procédure de l’art. 29 al. 1 Cst., qui assure à cet égard une protection équivalente à celle de l’art. 30 al. 1 Cst. (arrêts 8C_452/2020 du 7 octobre 2021 consid. 2.3.1; 5A_484/2015 du 2 octobre 2015 consid. 2.3.2 et les références).

Un expert passe ainsi pour prévenu lorsqu’il existe des circonstances propres à faire naître un doute sur son impartialité. Dans ce domaine, il s’agit toutefois d’un état intérieur dont la preuve est difficile à apporter. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de prouver que la prévention est effective pour récuser un expert. Il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l’expert. L’appréciation des circonstances ne peut pas reposer sur les seules impressions de l’expertisé, la méfiance à l’égard de l’expert devant au contraire apparaître comme fondée sur des éléments objectifs (ATF 132 V 93 consid. 7.1; 120 V 357 consid. 3a et les références). Compte tenu de l’importance considérable que revêtent les expertises médicales en droit des assurances sociales, il y a lieu de poser des exigences élevées à l’impartialité de l’expert médical (ATF 132 V 93 consid. 7.1 in fine; 120 V 357 consid. 3b in fine).

Consid. 3.5
Selon la jurisprudence, le fait qu’un expert, médecin indépendant, ou une institution d’expertises sont régulièrement mandatés par un organe de l’assurance sociale, le nombre d’expertises ou de rapports confiés à l’expert, ainsi que l’étendue des honoraires en résultant ne constituent pas à eux seuls des motifs suffisants pour conclure au manque d’objectivité et à la partialité de l’expert (ATF 137 V 210 consid. 1.3.3 et les références; arrêt 9C_343/2020 du 22 avril 2021 consid. 4.3; cf. aussi arrêt 8C_112/2010 du 17 août 2010 consid. 4.1).

Consid. 4.3
Si l’avocate employée de la protection juridique qui a représenté l’assuré dès février 2019 savait, par les pièces du dossier, que le docteur C.___ était intervenu comme médecin-conseil de l’assurance-accidents, il n’est pas prétendu qu’elle savait, lorsqu’elle a reçu la communication du 16.08.2019 proposant de confier une expertise au docteur E.___, que ce dernier exerçait au sein du même cabinet que le docteur C.___. Par ailleurs, bien que l’on soit en droit d’attendre d’un assuré ou de son mandataire qu’il s’intéresse à la personne de l’expert proposé par l’assureur en vue de soulever un éventuel motif de récusation, l’avocate de la protection juridique n’avait en l’espèce aucune obligation générale – comme l’a relevé à juste titre la cour cantonale – d’effectuer des recherches quant à la personne du docteur E.___, plus particulièrement quant aux liens que celui-ci entretiendrait avec l’assurance-accidents et/ou avec le médecin-conseil. Quant à l’assuré lui-même, s’il avait bien pu avoir connaissance du nom du médecin-conseil à la lecture de certaines correspondances qui lui avaient été adressées en décembre 2018 et février 2019 alors qu’il n’était pas encore représenté, il n’est pas établi qu’il aurait eu ce nom encore à l’esprit lorsqu’il s’est rendu le 11.09.2019 au cabinet du docteur E.___ pour l’expertise. Ce n’est ainsi que lorsqu’il a consulté le nouvel avocat à la suite de la décision sur opposition du 14.07.2020 que l’assuré a eu connaissance des éléments lui permettant d’invoquer ce motif de récusation, ce que son mandataire a fait sans délai auprès de l’assurance-accidents, puis – ensuite du refus de celle-ci d’entrer en matière – à l’appui d’un recours contre la décision sur opposition. L’arrêt attaqué échappe ainsi à la critique en tant qu’il retient que le motif de récusation a été invoqué en temps utile.

Consid. 5.3
La situation de deux médecins spécialistes en chirurgie orthopédique qui partagent les locaux et les frais d’un petit cabinet de groupe n’est pas comparable à celle de deux médecins psychiatres qui œuvrent parallèlement au sein d’un même centre d’expertise pluridisciplinaire. En effet, l’appartenance à un même centre d’expertise, qui n’implique normalement pas une présence régulière dans les mêmes locaux, n’est pas de nature à favoriser des liens plus étroits que ceux pouvant exister entre des spécialistes qui se croisent à l’occasion hors de leur lieu de travail habituel (cf. arrêt 8C_1058/2010 précité consid. 4.6). Il en va en revanche différemment de deux médecins qui, à l’instar des docteurs C.___ et E.___, travaillent tous les jours dans les mêmes locaux au sein d’un petit cabinet de groupe dont ils partagent les frais. De tels contacts quotidiens doublés d’une communauté d’intérêts économiques à travers le partage des frais constituent des éléments objectifs suffisants – au vu des exigences élevées posées à l’impartialité des experts médicaux (cf. consid. 3.4 supra) – pour faire naître à tout le moins une apparence de prévention lorsque l’un des associés est désigné comme expert par un assureur accidents alors que son associé a déjà émis un avis médical sur le cas en tant que médecin-conseil dudit assureur. C’est ainsi à bon droit que la cour cantonale a, au vu de ces éléments, retenu une apparence de prévention de l’expert E.___.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_514/2021 consultable ici et ATF 148 V 225 consultable ici

 

8C_71/2022 (d) du 17.08.2022 – Maladie professionnelle – Gonarthrose pour un carreleur – 9 LAA / Evaluation de la durée d’exposition dans un Etat étranger (en l’occurrence le Canada) avec lequel il n’existe pas de convention avec la Suisse

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_71/2022 (d) du 17.08.2022

 

Consultable ici

 

Maladie professionnelle – Gonarthrose pour un carreleur / 9 LAA

Evaluation de la durée d’exposition dans un Etat étranger (en l’occurrence le Canada) avec lequel il n’existe pas de convention avec la Suisse

 

Assuré, né en 1963, était employé à plein temps depuis le 01.11.2019 par B.__ SA en tant que carreleur. Par déclaration du 22.01.2020, l’employeur a informé l’assurance-accidents que l’assuré avait des problèmes récurrents au genou depuis novembre 2019. L’assurance-accidents a procédé aux investigations d’usage.

Selon les informations qu’il a fournies, l’assuré a exercé une activité professionnelle de carreleur au Canada de 1990 à 2010. Il aurait également exercé cette profession après son arrivée en Suisse en 2010. Le spécialiste en médecine du travail de l’assurance-accidents a conclu dans son évaluation du 22.04.2020 que l’assuré exerçait, en tant que carreleur, une activité à genoux, dont on sait qu’elle constitue un facteur de risque pour le développement d’une gonarthrose. En raison de la prévalence élevée de cette pathologie dans la population générale, qui augmente avec l’âge, de la mise en évidence de différentes modifications dégénératives au niveau de l’articulation du genou pour une sollicitation en moyenne identique et de la sollicitation cumulée de l’articulation du genou de 11’000 heures (activité professionnelle assurée pendant 10 ans en Suisse), la gonarthrose droite n’a pas été causée de manière nettement prépondérante par l’activité professionnelle.

Par décision du 24.04.2020, confirmée sur opposition le 10.11.2020, l’assurance-accidents a notifié à l’assuré que les conditions de l’art. 9 al. 2 LAA (maladie causée exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle) n’étaient pas remplies.

 

Procédure cantonale (arrêt UV 2020/86 – consultable ici)

Le tribunal cantonal a considéré que, conformément au principe du rapport de causalité de l’assurance-accidents, c’est la couverture d’assurance au moment de la survenance de la cause du dommage ou de l’événement assuré qui est déterminante pour la question de l’obligation de verser des prestations, et non la survenance du dommage. Dans ce contexte, le Tribunal fédéral avait conclu que la couverture d’assurance requise pour l’obligation de prestation au sens de l’art. 9 al. 3 LAA dépendait du fait que la personne atteinte par la maladie avait été assurée pendant la période d’exposition déterminante et non pas au moment où la maladie s’était déclarée (référence à l’arrêt 8C_383/2019 du 5 septembre 2019 consid. 4.1.2). Selon une jurisprudence constante, la totalité de l’activité professionnelle exercée doit être prise en compte pour déterminer la durée d’exposition, y compris la partie qui n’a pas été accomplie dans le cadre d’une activité assurée par la LAA (référence à l’ATF 119 V 200). Il ressort du dossier que l’assuré a exercé une activité professionnelle ininterrompue de carreleur depuis 1990. Dans ce métier à risque pour le développement d’une gonarthrose, il a largement dépassé la durée minimale d’exposition de 17’000 heures indiquée par le spécialiste en médecine du travail (évaluation de la médecine du travail du 22.04.2020) pour l’hypothèse d’une maladie nettement prépondérante d’origine professionnelle. Par conséquent, il s’agit d’une maladie professionnelle au sens de l’art. 9 al. 2 LAA, raison pour laquelle l’assurance-accidents doit assumer l’atteinte à la santé qui en résulte.

Par jugement du 21.12.2021, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies (art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux. Le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Selon l’alinéa 2, sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle. Selon l’alinéa 3, sauf disposition contraire, la maladie professionnelle est assimilée à un accident professionnel dès le jour où elle s’est déclarée. Une maladie professionnelle est réputée déclarée dès que la personne atteinte doit se soumettre pour la première fois à un traitement médical ou est incapable de travailler (art. 6 LPGA).

 

Consid. 4.2
L’assurance-accidents – recourante – fait valoir que, dans le cadre de la reconnaissance d’une maladie professionnelle au sens de l’art. 9 al. 2 LAA, les activités professionnelles et donc les durées d’exposition dans un Etat étranger (en l’occurrence le Canada) avec lequel il n’existe pas de convention avec la Suisse (comme par exemple avec les Etats de l’UE) ne devraient pas être pris en compte. Contrairement à l’avis du tribunal cantonal, il ne résulte pas de l’ATF 119 V 200 que des périodes d’exposition durant lesquelles la personne assurée n’était pas obligatoirement assurée contre les accidents doivent être prises en compte dans tous les cas. Au contraire, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a jugé, uniquement au regard du droit intertemporel (entrée en vigueur de la LAA le 1er janvier 1984), qu’en l’absence de disposition limitant la durée dans le temps, il fallait entendre par activité professionnelle au sens de l’art. 9 al. 2 LAA l’ensemble de l’activité professionnelle, donc également celle exercée avant le 1er janvier 1984. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

En outre, les arrêts du TFA et du Tribunal fédéral cités par l’instance cantonale ne permettent pas d’étayer son avis selon lequel il faut tenir compte des périodes d’exposition pendant lesquelles la personne concernée n’était pas obligatoirement assurée en LAA. Le Tribunal fédéral a notamment confirmé dans l’ATF 126 V 186 consid. 2b que l’évaluation de l’exposition (ou de la durée du travail) devait prendre en compte l’ensemble de l’activité professionnelle, y compris, le cas échéant, celle exercée avant le 1er janvier 1984. Ensuite, il ressort également de l’arrêt U 20/04 du 17 janvier 2005 consid. 3.3, que l’obligation de l’assurance-accidents de verser des prestations en cas de maladie professionnelle dépend du fait que la personne concernée était assurée pendant qu’elle était exposée à la substance dangereuse ou qu’elle effectuait le travail à l’origine de la maladie.

 

Selon le Tribunal fédéral :
Consid. 4.3
Les arguments de l’assurance-accidents méritent d’être pleinement approuvés. Contrairement à l’avis de la cour cantonale, il n’est pas du tout conforme à la jurisprudence de tenir compte, lors de l’évaluation de la durée d’exposition, des périodes pendant lesquelles la personne concernée n’a pas été assurée obligatoirement contre les accidents. Au contraire, dans l’arrêt 8C_383/2019 du 5 septembre 2019 consid. 4.1.2 cité par l’instance cantonale, le Tribunal fédéral a de nouveau précisé qu’en cas de maladie professionnelle, l’action de la substance dangereuse ou l’exécution du travail responsable de la maladie, en bref l’exposition (danger), n’est pas moins importante que l’apparition de la maladie. L’obligation de prester dépend donc du fait que la personne atteinte par la maladie ait été assurée ou non pendant l’exposition déterminante. La couverture d’assurance continue donc de déployer ses effets chez la personne malade au-delà de la fin de l’assurance, si la maladie ne se déclare que plus tard ; elle déploie dans cette mesure un effet ultérieur/subséquent, mais pas un effet antérieur. L’argumentation du tribunal cantonal, selon laquelle toutes les activités, même non assurées, doivent être prises en compte, reviendrait donc à dire que l’assuré, arrivé en Suisse en 2010, pourrait prétendre à des prestations même avant la couverture d’assurance. Cela ne ressort pas de la jurisprudence, ni de l’ATF 119 V 200. Le recours doit être admis.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement du tribunal cantonal et confirme la décision sur opposition du 10.11.2020.

 

 

Arrêt 8C_71/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_71/2022 (d) du 17.08.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/10/8c_71-2022)

 

8C_801/2021 (f) du 28.06.2022 – Revenu d’invalide – ESS – Niveau de compétences 2 / 16 LPGA – 18 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_801/2021 (f) du 28.06.2022

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – ESS – Niveau de compétences 2 / 16 LPGA – 18 LAA

 

Assuré engagé par la société B.__ SA sur la base d’un contrat de mission temporaire en tant qu’aide monteur en lignes aériennes. Le 18.12.2007, alors qu’il était monté sur le toit d’une maison, sa ceinture s’est décrochée lorsqu’il tirait sur le câble de téléphone et il a fait une chute de 5 mètres. Il a subi un polytraumatisme avec une fracture type Burst de L1, une fracture du bassin branche illio-ischio-pubienne gauche, une fracture luxation du coude gauche (Mason III), une fracture comminutive du radius distal gauche (Gustilo I) et une fracture comminutive du radius distal droit, atteintes qui ont été traitées par voie chirurgicale. Ensuite d’un reclassement professionnel, l’assuré a obtenu un CFC d’automaticien et a été engagé à un taux d’activité de 100% par l’entreprise C.__ SA en juillet 2011. Par décision du 28.06.2012, l’assurance-accidents lui a alloué une IPAI d’un taux de 22% et lui a refusé le droit à une rente d’invalidité, au motif que les suites de l’accident ne réduisaient pas sa capacité de gain de manière importante.

Rechute annoncée en mars 2015. L’employeur ayant résilié le contrat de travail avec l’assuré, une orientation professionnelle et plus spécifiquement des stages d’évaluation dans le domaine de la planification électrique ont été mis en place par l’assurance-invalidité. A deux reprises, soit le 05.12.2017 puis le 18.01.2018, l’assuré a été percuté par une voiture au niveau du coude droit.

L’assurance-accidents a rendu le 25.03.2020 une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a reconnu à l’assuré le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 14%, calculé, en ce qui concerne le revenu d’invalide, sur la base des salaires statistiques de l’ESS et en tenant compte d’un niveau de compétence 2. Elle lui a également alloué une IPAI complémentaire de 23%.

 

Procédure cantonale

Pour déterminer le revenu d’invalide, les juges cantonaux se sont fondés sur le salaire mensuel brut de 5417 fr. tiré du tableau TA1 de l’ESS 2018, niveau de compétence 1, Total, Hommes. Ils ont en particulier retenu qu’en raison des séquelles accidentelles, l’assuré ne pouvait plus accomplir son activité habituelle d’automaticien à plein temps et qu’il ne pouvait pas non plus mettre à profit les compétences acquises dans cette profession dans une activité adaptée correspondant au niveau de compétence 2.

Par jugement du 05.11.2021, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité fondée sur un taux de 18%.

 

TF

Consid. 2.3
Depuis la 10e édition des ESS (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. L’accent est ainsi mis sur le type de tâches que la personne concernée est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications (niveau de ses compétences) et non plus sur les qualifications en elles-mêmes. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf groupes de profession (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques ou manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement de données et les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_268/2021 du 15 octobre 2021 consid. 3.2.1 avec renvoi à l’arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4 et les références).

Consid. 3.3
Le choix du niveau de compétence applicable dans le cadre de l’utilisation des tableaux statistiques de l’ESS est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 3.4
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, si la personne assurée ne peut plus effectuer l’activité exercée avant la survenance de l’invalidité, l’application du niveau de compétence 2 se justifie uniquement si elle dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêts 8C_131/2021 du 2 août 2021 consid. 7.4.1, publié in SVR 2022 UV n° 3 p. 7; 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.3.1; 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2 et l’arrêt cité).

Cela a récemment été admis dans le cas d’un entrepreneur de jardinage indépendant qui avait travaillé pendant de nombreuses années en tant que contremaître (arrêt 8C_276/2021 du 2 novembre 2021 consid. 5.4.1), chez une vendeuse de textiles qui avait terminé son apprentissage avec d’excellentes notes et avait ensuite rapidement accédé à un poste de responsable de filiale (arrêt 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 5.3 à 5.7), chez un gérant et directeur d’une entreprise de construction qui disposait à la base d’une formation de charpentier et qui avait fait une formation continue pour devenir contremaître et directeur de projet (arrêt 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2), chez un charpentier indépendant qui, au sein de son entreprise, effectuait aussi des tâches administratives et qui était responsable de quatre collaborateurs et de deux apprentis (arrêt 8C_732/2018 du 26 mars 2019 consid. 8.2) ou encore chez un assuré qui n’avait pas de diplôme d’apprentissage mais qui était chef d’une entreprise dans l’industrie de la construction et avait, avant son atteinte à la santé, un revenu nettement supérieur à celui qu’il aurait pu obtenir en tant qu’employé (arrêt 8C_457/2017 du 11 octobre 2017).

En revanche, dans le cas d’un carreleur qui, durant les 30 ans de son activité lucrative indépendante, n’avait jamais effectué des tâches administratives, le Tribunal fédéral a considéré que l’assuré ne disposait pas de compétences ou de connaissances particulières et qu’il fallait donc déterminer le revenu d’invalide en appliquant le niveau de compétence 1 (arrêt 8C_227/2018 du 14 juin 2018 consid. 4.2.2). Il en a fait de même dans le cas d’une assurée qui avait travaillé de nombreuses années en tant qu’infirmière mais qui n’avait pas de formation commerciale ni d’expérience dans ce domaine (arrêt 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.3).

Consid. 3.5
Au vu de cette jurisprudence, il y a lieu d’admettre que le niveau de formation et l’expérience acquise par l’assuré justifient que son revenu d’invalide soit déterminé sur la base du niveau de compétence 2 des statistiques salariales de l’ESS. En effet, sur le plan professionnel, il ressort des constatations de la cour cantonale et du dossier de l’assuré que celui-ci a suivi le lycée technique à D.__ et qu’il a ensuite intégré l’Armée de l’Air E.__, où il a fait une formation de parachutiste. Arrivé en Suisse en 2006, il a travaillé dans le cadre de contrats de missions temporaires comme aide monteur en lignes aériennes jusqu’au 18 décembre 2007, jour de son accident. En 2008, sous l’égide de l’assurance-invalidité, il a effectué une formation d’automaticien. Pendant six ans, il a exercé ce métier, dans lequel il était chargé d’études de schémas électropneumatiques et de câblage électrique et pneumatique des machines.

Sur le plan médical, il est constant qu’ensuite de la rechute en 2015, l’assuré n’a pas pu reprendre son ancienne activité d’automaticien. Le médecin-conseil a d’ailleurs confirmé que cette activité n’est plus exigible. Il a toutefois relevé que les limitations fonctionnelles de l’assuré étaient probablement compatibles avec l’activité de planificateur-électricien telle qu’elle avait été envisagée par ce dernier et l’assurance-invalidité. Peu importe à cet égard que cette formation n’ait finalement pas pu être réalisée pour des raisons budgétaires, dès lors qu’il s’agit de déterminer le revenu d’invalide hypothétique. On relèvera en outre que l’activité d’automaticien que l’assuré a exercée pendant plusieurs années était non seulement composé de travaux manuels, mais également de travaux conceptuels et administratifs. D’après les déclarations de l’assuré, il recevait des projets et devait faire des plans, des schémas électropneumatiques et choisir le matériel. Or, rien n’empêche qu’il mette à profit les compétences et connaissances acquises dans le cadre de son activité d’automaticien dans un autre domaine tombant sous le large éventail d’activités pratiques prévues par le niveau de compétence 2, dont font notamment partie les tâches administratives (cf. consid. 2.3 supra). C’est dès lors à tort que la cour cantonale a déterminé le revenu d’invalide sur la base du niveau de compétence 1 des salaires statistiques de l’ESS.

Consid. 3.6
Par conséquent, le taux d’invalidité doit être recalculé. Comme l’a relevé à juste titre la cour cantonale, il convient de se référer aux salaires statistiques de l’ESS de l’année 2018, la décision sur opposition ayant été rendue postérieurement à la publication de ceux-ci (cf. ATF 143 V 295 consid. 4.1.2 et 4.1.3 et les références). Il faut ensuite se fonder sur le salaire auquel peuvent prétendre les hommes (« Total ») du niveau de compétence 2, soit 5649 fr. par mois, montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen (41,7 heures par semaine) ainsi qu’à l’indice des salaires nominaux (+ 0.9% en 2019; + 0,8% en 2020). De ce montant, les parties s’accordent à déduire 15% à titre d’abattement. Le revenu d’invalide s’élève ainsi à 61’094 fr. 13 par année. Compte tenu d’un revenu sans invalidité – non contesté – de 71’370 fr., il résulte un taux d’invalidité de 14.9%, qui doit être arrondi au pour-cent supérieur de 15% (ATF 130 V 121 consid. 3.2).

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_801/2021 consultable ici

 

 

8C_167/2022 (d) du 18.08.2022 – Maladie professionnelle – Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA / Absences non prévisibles et difficilement calculables – Abattement de 10%

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_167/2022 (d) du 18.08.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Maladie professionnelle – Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA

Absences non prévisibles et difficilement calculables – Abattement de 10%

Arrondissement du taux d’invalide – Rappel de la jurisprudence

 

Assurée, née en 1967, travaillait depuis le 01.04.2004 comme cheffe du service de nettoyage pour un hôpital. En août 2012, des éruptions cutanées sont apparues pour la première fois sur le cou, le décolleté et le front. Le 17.03.2014, la dermatologue traitant a indiqué à l’employeur qu’un test épicutané avait révélé une sensibilisation à certains produits. L’assurance-accidents a reconnu la sensibilisation aux produits de nettoyage incriminés comme maladie professionnelle. L’assurance-accidents a rendu une décision d’inaptitude pour les activités dans le service de nettoyage. Elle a en outre versé les prestations légales (traitement médical, indemnités journalières, indemnités journalières de transition et indemnités pour changement d’occupation).

Se fondant sur une expertise dermatologique du 01.03.2018 demandée par l’assurance-invalidité, l’assurance-accidents a refusé le droit à une rente d’invalidité (taux d’invalidité de 7,52%) et à une indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2021.15)

Il ressort de l’expertise dermatologique que l’assurée est sensible, entre autres, à la colophane, au mélange de parabènes, à la tertiobutylhydroquinone, au gallate d’octyle, à la cocamidopropylbétaïne et aux produits de nettoyage (Sani Clonet W4f et Jontec 300). Se fondant sur les documents médicaux, le tribunal cantonal a estimé que seule la sensibilisation aux produits de nettoyage pouvait être reconnue comme maladie professionnelle, au degré de la vraisemblance prépondérante. Une capacité de travail de 100% a été retenue dans une activité adaptée, à savoir dans celle dans laquelle une éviction systématique des allergènes pouvait être prise en compte. Le tribunal cantonal a ensuite fixé le revenu d’invalide à CHF 49’212, sur la base de l’ESS 2018 (tableau TA1, niveau de compétence 1, femmes). Contrairement à l’assurance-accidents, l’instance cantonale a tenu compte d’un abattement de 10%. Comparé au revenu sans invalidité de CHF 59’558 – non contesté –, il subsistait un taux d’invalidité de 17.4%.

Par jugement du 20.10.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, octroyant à l’assurée une rente d’invalidité basée sur un taux d’invalidité de 17.4% à compter du 01.02.2018.

 

TF

Consid. 5.3.1
Selon la jurisprudence, des absences non prévisibles et difficilement calculables, telles que celles provoquées par des poussées de la maladie, peuvent justifier un abattement sur le salaire statistique. Il faut pour cela qu’il existe des circonstances qui augmentent très concrètement le risque d’absences au travail pour cause de maladie (arrêt 9C_42/2022 du 12 juillet 2022 consid. 4.5 et consid. 4.5.2 ; cf. également la casuistique du consid. 4.5.1 de l’arrêt précité). Les experts dermatologues sont certes partis du principe que l’on pouvait s’attendre à une bonne situation cutanée constante grâce à une éviction systématique des allergènes, au respect des mesures de protection énumérées et à une application régulière et constante de crème émolliente. Les experts ont en outre constaté que l’assurée devait en principe être considérée comme pleinement apte au travail dans des activités qui tiennent compte de l’exigence d’une éviction des allergènes. Toutefois, les experts considèrent – outre la sensibilisation aux produits de nettoyage – qu’une diminution de la capacité de travail, en termes de temps ou de performance [rendement], est également possible en raison de la sensibilisation aux autres substances, si le contact avec les allergènes provoque une recrudescence des troubles. L’expertise ne précise pas à quelle fréquence ni comment il faut s’attendre concrètement à ce que cela se produise. Il ressort du dossier médical que l’assurée a continué à présenter des troubles allergiques après avoir cessé son activité de nettoyage : Dans son rapport d’évolution du 09.03.2016, la dermatologue traitante a décrit que l’assurée, après avoir commencé en février 2016 un stage de vente initié par l’assurance-chômage, s’était présentée les 01.03.2016 et 04.03.2016 avec des lésions cutanées érythémateuses squameuses prononcées au niveau du visage et du cou au sens d’une dermatite exacerbée. Ces troubles ont entraîné une incapacité de travail de dix jours. Le 30.10.2018, la dermatologue traitante a ensuite indiqué que des exacerbations d’eczéma se produisaient régulièrement au contact de substances odorantes dans les lieux publics, lors d’achats ou dans les transports en commun, lors de travaux humides, au contact de la poussière et de la vapeur, parfois aussi dans l’environnement domestique. Selon la décision sur opposition, les substances allergènes sont également présentes – en partie « cachées » – dans de « nombreux matériaux utilisés quotidiennement », des médicaments, des cosmétiques et des denrées alimentaires. Dans ce contexte, la conclusion de l’instance cantonale, selon laquelle l’assurée – que ce soit en raison d’un contact avec des allergènes sur son lieu de travail ou dans sa vie privée – pourrait à nouveau, avec un certain risque, être absente dans le cadre d’un nouvel emploi (adapté), n’apparaît en tout cas pas contraire au droit fédéral. Il en va de même pour la prise en compte de cette circonstance dans la question de l’abattement sur le salaire statistique.

Consid. 5.3.2
On peut laisser ouverte la question de savoir si l’instance cantonale a tenu compte à tort des autres caractéristiques dans son estimation globale de l’abattement. Même si cela devait être le cas, il ne faudrait pas se baser sur l’abattement de la cour cantonale et la réduire. Le Tribunal fédéral devrait plutôt procéder à une nouvelle estimation globale de l’abattement sur la base des critères retenus à juste titre (arrêt 9C_14/2022 du 21 juillet 2022 consid. 5.3.1). Dans les cas où la jurisprudence a retenu un abattement en raison d’absences non prévisibles et difficilement calculables, celle-ci s’élevait à chaque fois à 10% (arrêts 9C_42/2022 du 12 juillet 2022 consid. 4.6 ; 9C_439/2020 du 18 août 2020 consid. 4.5.4 ; 8C_179/2018 du 22 mai 2018 consid. 4.2). Cela semble en fin de compte également approprié en l’espèce, de sorte que l’abattement retenu par le tribunal cantonal et le revenu d’invalide de CHF 49’212 qui en résulte s’avèrent en fin de compte conformes au droit fédéral. Le taux d’invalidité est de 17.4%.

Consid. 5.4
Le degré d’invalidité doit être arrondi au pourcentage supérieur ou inférieur selon les règles mathématiques reconnues. Pour un résultat jusqu’à x.49… %, il faut donc arrondir à x % (ATF 130 V 121 consid. 3.2). Cela vaut également dans l’assurance-accidents, même si l’arrondi à l’unité supérieure ou inférieure (hormis la valeur de référence de 10% [cf. art. 18 al. 1 LAA]) représente une perte ou un gain de quelques francs sur le montant mensuel de la rente en raison de l’arrondissement (ATF 130 V 121 consid. 3.3). En n’arrondissant pas le degré d’invalidité à 17%, mais en accordant à l’assurée une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 17.4%, l’instance cantonale a violé le droit fédéral. Par conséquent, l’assurée a droit à une rente d’invalidité basée sur un taux d’invalidité de 17% à partir du 01.02.2018.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_167/2022 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_167/2022 (d) du 18.08.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/09/8c_167-2022)

 

8C_596/2021 (d) du 12.07.2022, destiné à la publication – Chute en arrière en fauteuil roulant d’un paraplégique – Causalité indirecte – 6 LAA / 2e accident non assuré et lien avec le 1er accident assuré – Examen (en détail) du lien de causalité adéquate

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_596/2021 (d) du 12.07.2022, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Chute en arrière en fauteuil roulant d’un paraplégique – Causalité indirecte / 6 LAA

2e accident non assuré et lien avec le 1er accident assuré – Examen (en détail) du lien de causalité adéquate

 

Assuré, né en 1966, a été victime le 04.10.1989 d’une chute sur un chantier entraînant une paraplégie complète à partir de D7 ; il est depuis lors tributaire d’un fauteuil roulant pour se déplacer. L’assurance-accidents lui a accordé une rente d’invalidité à partir du 01.10.1993 fondée sur un taux d’invalidité de 66,66%, une allocation pour impotent à partir du 01.08.1993 ainsi qu’une IPAI de 90%.

Après que l’assuré s’est plaint de douleurs à l’épaule droite, attribuées à une blessure survenue le 27.04.2015 alors qu’il conduisait, une importante rupture de la coiffe des rotateurs à droite a été diagnostiquée le 04.02.2019. Le 14.02.2019, une intervention chirurgicale a eu lieu à l’épaule droite. L’assurance-accidents a refusé toutes prestations à cet égard dès le 07.02.2019, au motif que l’assuré n’était pas assuré auprès d’elle pour l’accident du 27.04.2015.

Le 09.07.2019, l’assuré a annoncé à l’assurance-accidents qu’en reculant avec son fauteuil roulant, il est tombé l’épaule gauche sur le sol. L’examen radiologique de l’articulation de l’épaule gauche du 16.07.2019 a montré, entre autres, une rupture complète du tendon du sous-épineux et sus-épineux, à la suite de quoi une opération de l’épaule gauche a été effectuée le 31.07.2019. Par décision du 13.12.2019, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié son obligation de verser des prestations au motif que l’assuré n’était pas assuré auprès d’elle pour les suites de l’accident du 08.07.2019 et qu’il n’existait pas non plus de lien de causalité avec l’accident du 04.10.1989.

 

Procédure cantonale (arrêt UV 2020/44 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu le lien de causalité naturelle entre l’accident du 04.10.1989 et la chute en fauteuil roulant du 08.07.2019. En effet, si l’assuré n’était pas tributaire d’un fauteuil roulant en raison de l’accident du 04.10.1989, respectivement de la paraplégie subie à cette occasion, il n’aurait pas pu tomber de ce fauteuil. En ce qui concerne le lien de causalité adéquate, l’instance cantonale a conclu que la chute du 08.07.2019 ne pouvait pas être suffisamment imputée à la paraplégie. Ce n’est pas la dépendance du fauteuil roulant et les déficits physiques qui en découlent qui auraient provoqué la chute, mais plutôt l’accrochage inattendu au bord du lit lors d’une marche arrière. La paraplégie existant depuis 30 ans et la dépendance du fauteuil roulant qui en découle ne semblaient donc pas, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, susceptibles de provoquer la nouvelle chute.

Par jugement du 30.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 6 al. 1 LAA, l’assureur-accidents alloue ses prestations en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle, sauf disposition contraire de la loi. L’obligation de l’assureur-accidents de fournir des prestations présuppose – entre autres – qu’il existe un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’événement accidentel et le dommage survenu (maladie, invalidité, décès). Cette condition est réalisée lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou qu’il ne serait pas survenu de la même manière ou au même moment (ATF 142 V 435 consid. 1 ; 129 V 177 consid. 3.1 et les références).

Un événement doit être considéré comme cause adéquate d’un résultat lorsque, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, il est en soi susceptible de provoquer un résultat du type de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat apparaissant donc généralement comme favorisée par l’événement (ATF 129 V 177 consid. 3.2 ; 125 V 461 consid. 5a et les références). L’objectif de politique juridique de la causalité adéquate est de limiter la responsabilité (ATF 145 III 72 consid. 2.3.1 ; 122 V 415 consid. 2c ; 117 V 369 consid. 4a). Elle sert de correctif à la notion de cause scientifique qui, dans certaines circonstances, a besoin d’être limitée pour être supportable pour la responsabilité juridique (ATF 145 III 72 consid. 2.3.1 ; 142 III 433 consid. 4.5 ; 122 V 415 consid. 2c). Dans le droit de l’assurance-accidents sociale, il s’agit, en relation avec des lésions, selon la jurisprudence, de parvenir dans le cadre d’une appréciation globale à une délimitation raisonnable et équitable, du point de vue de l’assurance, des accidents engageant ou excluant la responsabilité, en évaluant les indices qui parlent en faveur ou en défaveur de l’attribution – juridique – de certaines pertes de fonctions à l’accident (ATF 122 V 415 consid. 2c ; arrêt 8C_493/2021 du 4 mars 2022 consid. 3.3.6).

Selon la jurisprudence, l’assureur-accidents répond en principe de toutes les conséquences, y compris des dommages consécutifs indirects, qui ont un lien de causalité naturelle et adéquate avec un accident assuré (arrêts 8C_629/2013 du 29 janvier 2014 consid. 4 ; U 4/81 du 6 octobre 1981 consid. 2e).

Consid. 4.1
Il n’est pas contesté entre les parties que le recourant n’était plus assuré contre les accidents auprès de l’assureur-accidents au moment de la chute du 08.07.2019. Les parties s’accordent sur le fait que cette chute – nonobstant les troubles dégénératifs préexistants de l’épaule gauche – a été à l’origine de la rupture des tendons supra- et infra-épineux, et que ces lésions ont nécessité l’intervention chirurgicale du 31.07.2019. Parallèlement, il est également établi – sans contestation possible – que, selon la jurisprudence, une rechute ou des séquelles tardives n’entrent pas en ligne de compte (cf. sur l’ensemble SVR 2003 UV n° 14 p. 42, U 86/02 consid. 4.2 ; arrêts 8C_66/2016 du 9 mai 2016 consid. 4.3 ; 8C_934/2014 du 8 janvier 2016 consid. 3.3).

Consid. 4.2
En revanche, il est contesté et doit être examiné si la chute du fauteuil roulant du 08.07.2019 et les lésions à l’épaule gauche subies à cette occasion sont imputables, en tant que conséquence indirecte, au premier accident assuré du 04.10.1989 et justifient de ce fait une obligation de prester de l’assureur-accidents.

Consid. 6.1
En ce qui concerne tout d’abord le lien de causalité naturelle admis par l’instance cantonale, cette question de fait n’a été discutée ni dans la décision sur opposition ni dans les mémoires rédigés par la suite. Elle n’est pas non plus abordée devant le Tribunal fédéral, raison pour laquelle il n’est pas nécessaire d’approfondir ce point.

Comme dans la décision sur opposition, la causalité adéquate, c’est-à-dire la question d’appréciation (« normative ») de la pertinence juridique du premier accident du 04.10.1989 pour les conséquences de l’accident en question, est au centre du litige.

Consid. 6.2
La jurisprudence de la Haute Cour ne s’est plus penchée depuis longtemps sur la question de savoir si un deuxième accident non assuré est une conséquence causale adéquate d’un premier accident (assuré) et déclenche ainsi une obligation de prestation de l’assureur-accidents compétent pour le premier accident. Pour autant que l’on puisse voir, cette thématique n’a (plus) guère été abordée dans la doctrine (cf. p. ex. Alfred Maurer, Recht und Praxis der schweizerischen obligatorischen Unfallversicherung, 2. Aufl. 1963, p. 291 s.; Alfred Maurer, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, 1985, p. 464 s. und note de bas de page 1220, avec la référence à l’ATFA 1960 p. 158 [Squaratti]; Raoul Morell, Der Kausalbegriff in der Unfallversicherung, SZS 1965 p. 37; André Nabold, in: Hürzeler/Kieser [Hrsg.], Kommentar zum Schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, N. 64 zu Art. 6 UVG).

Consid. 6.3
Déjà dans l’arrêt Biel du 15 janvier 1919 (reproduit en partie dans Werner Lauber, Praxis des sozialen Unfallversicherungsrechts der Schweiz, 1928, p. 24 ss), le Tribunal fédéral des assurances de l’époque (aujourd’hui : la première et la deuxième cour de droit social du Tribunal fédéral) considérait qu’un autre accident non assuré apparaissait en tout cas comme une conséquence indirecte d’un accident antérieur lorsque :

  1. le deuxième accident survient pendant la période de guérison du premier accident ;
  2. l’assuré avait été privé de sa sphère d’influence et de ses habitudes de vie antérieures par l’accident précédent et l’était encore au moment du second accident ; et enfin
  3. l’assuré était exposé de manière accrue au risque d’un second accident en raison de l’état physique ou mental provoqué par le premier.

Dans ces trois conditions, il existe en général une grande probabilité que le deuxième accident ne se serait pas produit sans le premier ; le deuxième accident apparaît juridiquement comme une simple complication du premier, comme une perturbation du processus de guérison dont l’assureur doit d’emblée prévoir l’éventualité et dont il doit donc assumer les conséquences de la même manière que les conséquences directes du premier accident (consid. 6 de l’arrêt précité ; allant dans le même sens, l’arrêt dans la cause Hubler du 3 mai 1923 consid. 1 s.). Avec l’ATFA 1960 p. 158 (« Squaratti »), le Tribunal fédéral des assurances a expressément conçu la problématique des prestations d’assurance indépendantes des survivants comme un cas d’application de la causalité adéquate. En ce qui concerne les conditions posées par l’ancienne jurisprudence, il a constaté qu’elles se résumaient pour l’essentiel à la notion de la causalité adéquate. Il a toutefois laissé ouverte la question de savoir dans quelle mesure elles étaient déterminantes pour les prétentions de l’assuré lui-même (décédé lors du deuxième accident non assuré). Pour les droits propres des survivants, le seul élément déterminant est de savoir si le décès a eu un lien de causalité juridiquement pertinent avec le premier accident assuré, un tel lien pouvant également être indirect, pour autant que seule la qualité du lien soit suffisante (consid. 2 s. du jugement). Dans l’arrêt U 4/81 du 6 octobre 1981 consid. 2e, le Tribunal fédéral des assurances a évalué le lien de causalité adéquate entre un premier accident et un deuxième qui n’était plus assuré, sans en discuter le principe, en se référant à nouveau explicitement aux trois critères cumulatifs selon l’arrêt Biel du 15 janvier 1919. Dans l’arrêt U 71/97 du 6 juillet 1998, il a considéré, en se référant à l’ATFA 1960 p. 158, mais également sans discuter des principes, la formule générale de la causalité adéquate est en revanche déterminante pour l’évaluation de l’adéquation dans un cas comparable (consid. 2a, 2b et 4b de l’arrêt précité).

Consid. 7.1
L’instance cantonale a considéré que, selon la description des faits faite par l’assuré le 09.07.2019, il avait reculé la veille avec son fauteuil roulant. Ce faisant, il serait resté accroché  » d’une certaine manière » avec le fauteuil roulant au bord du lit et serait tombé sur l’épaule gauche. Il aurait instinctivement essayé de ménager son épaule droite opérée, raison pour laquelle il serait tombé sur l’épaule gauche.

Le tribunal cantonal a en outre expliqué que l’assuré se déplaçait en fauteuil roulant depuis l’accident du 04.10.1989. Au cours des nombreuses années qui ont précédé la chute du 08.07.2019, il s’est sans aucun doute habitué au fauteuil roulant et s’y est exercé. Les critères de la causalité adéquate ne sont donc pas remplis. L’accident n’a pas eu lieu pendant la période de guérison du premier accident et on ne peut pas non plus dire que l’assuré a continué à être privé de ses habitudes de vie et de son champ d’action après cette longue période. En effet, après 30 ans en fauteuil roulant, on peut sans autre supposer de nouvelles habitudes de vie et un nouveau champ d’action en tant que personne en fauteuil roulant. De plus, la dépendance du fauteuil roulant pendant de nombreuses années et l’accoutumance aux déficits physiques (en particulier la non-utilisation des membres inférieurs, la diminution de la force du tronc et de la stabilité) n’ont pas augmenté le risque d’accident de manière significative. La diminution de la force et de la stabilité du tronc invoquée par l’assuré doit être relativisée en ce sens qu’il a réussi à se tourner instinctivement sur le côté gauche pendant la chute. Ainsi, la chute du 08.07.2019 n’est plus suffisamment imputable à la paraplégie et ce n’est pas principalement la dépendance du fauteuil roulant et les déficits physiques qui en découlent qui ont provoqué la chute, mais plutôt l’accrochage inattendu au bord du lit lors de la marche arrière. La paraplégie existant depuis 30 ans et la dépendance au fauteuil roulant qui en découle ne semblent pas, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, être de nature à provoquer la chute en 2019 ; faute de causalité adéquate, l’assurance-accidents n’est donc pas tenue de verser des prestations pour les conséquences de l’accident survenu le 08.07.2019.

Consid. 7.3.1
Même selon l’ATFA 1960 p. 158, avec lequel la théorie du lien de causalité adéquate a fait son entrée dans le droit suisse des assurances sociales (Meyer-Blaser, Kausalitätsfragen auf dem Gebiet des Sozialversicherungsrechts, in SZS 1994 p. 82), le Tribunal fédéral des assurances a maintenu, dans son arrêt U 4/81 du 6 octobre 1981, la formule établie en 1919 au sens des trois conditions cumulatives. Dans l’arrêt U 71/97 du 6 juillet 1998, il s’est en revanche basé sur la formule générale de la causalité adéquate (cf. consid. 6.3 ci-dessus). L’instance cantonale s’est elle aussi quelque peu détachée de la jurisprudence fondée en 1919, en ce sens qu’elle a considéré que la formule générale de la causalité adéquate était déterminante dans son principe, mais qu’elle a finalement tenu compte des trois conditions cumulatives dans son appréciation de la causalité adéquate et les a toutes niées.

On peut laisser ouverte la question de savoir si la formule établie dans l’arrêt Biel du 15 janvier 1919 est un examen spécial de la causalité adéquate – à conserver le cas échéant – semblable par exemple à celui effectué en cas de séquelles d’accident insuffisamment démontrables sur le plan organique (cf. sur l’ensemble ATF 115 V 133), ou si – comme l’a indiqué le Tribunal fédéral des assurances dans l’ATFA 1960 p. 158 et comme l’a admis l’instance précédente – elle se fond dans la formule générale de la causalité adéquate : Comme l’assuré le reconnaît à juste titre, dans la présente constellation, même en cas d’examen selon la formule générale de la causalité adéquate, il est déterminant de savoir si l’état antérieur dû à l’accident, au sens de la paraplégie et de la dépendance du fauteuil roulant, avait entraîné un risque d’accident accru, c’est-à-dire un risque de chute accru. La question de savoir ce qu’il en est des deux autres conditions, que l’assuré considère comme alternatives et donc superflues en raison d’une formulation ambiguë dans l’arrêt attaqué, ne nécessite pas de discussion supplémentaire. Certes, on peut se demander dans quelle mesure l’examen de la question de savoir si le deuxième accident s’est produit pendant la phase de guérison du premier accident est approprié pour évaluer la causalité adéquate en cas de séquelles définitives d’un accident telles qu’une paraplégie. Mais comme la causalité adéquate doit être niée d’une manière ou d’une autre en raison de l’absence d’un risque d’accident accru (cf. consid. 7.3.2 ss. ci-après), il n’est pas nécessaire de s’étendre sur ce point.

Consid. 7.3.2
Dans l’ATFA 1960 p. 158, la situation de départ était fondamentalement différente : comme séquelles permanentes du premier accident, l’assuré souffrait de vertiges et d’accès de faiblesse qui pouvaient survenir à tout moment par surprise et qui lui faisaient craindre de tomber « dès qu’il se retournait dans la rue, se penchait ou regardait en l’air ». C’est précisément un vertige aussi soudain qui a provoqué la chute mortelle lors d’une randonnée en montagne dans une région à forte déclivité (faits, let. A, consid. 1 et 3 de l’arrêt précité). Dans le cas à juger en l’espèce, l’assuré était certes tributaire d’un fauteuil roulant au moment de la chute du 08.07.2019, mais cela depuis près de 30 ans déjà. Comme l’a constaté le tribunal cantonal, on peut sans autre supposer, en raison de cette longue période, qu’il s’était habitué entre-temps aux limitations physiques dues à la paraplégie et qu’il était habitué à l’utilisation du fauteuil roulant. L’assuré ne le conteste d’ailleurs pas en dernière instance. Des facteurs supplémentaires qui pourraient éventuellement être liés à une situation de danger accru en rapport avec le déplacement en fauteuil roulant (p. ex. montées et descentes, franchissement d’obstacles) ne sont pas invoqués dans le recours de dernière instance et ne sont pas non plus évidents compte tenu du lieu de l’accident dans la zone d’habitation. Au vu des circonstances, la conclusion de l’instance cantonale, selon laquelle il n’y avait pas de risque accru de chute en raison de la paraplégie ou de la dépendance du fauteuil roulant dans la situation du 08.07.2019 à juger ici, n’est donc pas contestable.

Consid. 7.3.3
Il ne ressort pas non plus de la publication produite par l’assuré dans le cadre de la procédure cantonale (Kerr, Der Schulterschaden und operative Therapieoptionen, in: Paracontact 3/2016 p. 20 s.) qu’il en soit autrement. On peut y lire que le déplacement en fauteuil roulant constitue la charge la plus dommageable pour l’articulation de l’épaule et que les ruptures de tendons chez les personnes en fauteuil roulant constituent de loin la lésion la plus fréquente au niveau de l’articulation de l’épaule. En outre, la publication cite également la « chute en arrière » comme une sollicitation quotidienne pouvant entraîner à long terme une lésion de l’épaule. Il est ainsi démontré que le déplacement en fauteuil roulant peut entraîner une usure accrue au niveau des épaules, sachant que de telles lésions d’usure seraient tout au plus pertinentes en relation avec des séquelles tardives – qui ne sont justement pas en cause ici (cf. consid. 4.1 ci-dessus) – de l’accident du 04.10.1989. On ne peut toutefois pas en déduire que, dans la situation du 08.07.2019 à juger ici, il existait un risque accru d’accident en raison du fauteuil roulant.

Consid. 7.4
Dans l’ensemble, l’accident du 04.10.1989, la paraplégie et la dépendance du fauteuil roulant ne revêtent donc pas une importance déterminante au point d’être susceptibles, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, de provoquer la nouvelle chute. Comme l’a reconnu à juste titre le tribunal cantonal, ce ne sont pas les conséquences de l’accident précédent qui étaient au premier plan, mais le fait de rester accroché de manière inattendue au bord du lit. Dans la mesure où il a nié le lien de causalité adéquate et l’obligation de l’assurance-accidents de verser des prestations, il n’y a pas de violation du droit fédéral.

Le tribunal cantonal et l’assurance-accidents ont pu renoncer, sans violer le principe de l’instruction (art. 43 al. 1 ; art. 61 let. c LPGA), aux clarifications supplémentaires demandées par l’assuré concernant le potentiel risque concret lié à l’utilisation permanente d’un fauteuil roulant manuel (sur l’appréciation anticipée admissible des preuves, cf. ATF 144 V 361 consid. 6.5), les bases factuelles nécessaires à l’examen de la causalité adéquate paraissant, à la lumière de ce qui précède, suffisamment établies.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_596/2021 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_596/2021 (d) du 12.07.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/09/8c_596-2021)

 

8C_551/2021 (d) du 23.03.2022 – Traitement médical à charge de l’assurance-accidents après la stabilisation de l’état de santé, sans rente d’invalidité – 19 al. 1 LAA – 21 LAA / Pas de changement de la jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_551/2021 (d) du 23.03.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Traitement médical à charge de l’assurance-accidents après la stabilisation de l’état de santé, sans rente d’invalidité / 19 al. 1 LAA – 21 LAA

Pas de changement de la jurisprudence

 

Assuré, né en 1981, employé depuis le 09.05.2005 comme agent d’exploitation à plein temps. Le 15.04.2011, son pied droit s’est retrouvé coincé entre deux palettes métalliques. Selon les premières constatations à l’hôpital, le diagnostic de contusion de l’articulation tibio-tarsienne supérieure droite a été posé. A partir de juin 2011, l’assuré a repris le travail à 100%.

Annonce de rechute en septembre 2012. Selon les médecins consultés, il existait des douleurs résiduelles, dépendantes de l’effort, après traumatisme par écrasement, avec suspicion de malformation artérioveineuse rétro-malléolaire avec irritation du nerf tibial. L’activité sportive provoquait des douleurs et le pied gonflait. La rechute a été prise en charge par l’assurance-accidents. Le cas fût clos par courrier du 24.06.2013.

Nouvelle annonce de rechute, le 05.02.2014, en raison d’importantes douleurs dans la région du pied droit qui duraient depuis un à deux mois. Le spécialiste en chirurgie et chirurgie vasculaire consulté a retenu qu’il s’agissait d’une fistule artério-veineuse traumatique symptomatique, conséquence vraisemblable du traumatisme par écrasement d’avril 2011. L’assurance-accidents a versé les prestations découlant de cette rechute.

Le 06.04.2018, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle participerait à hauteur de CHF 300 à l’abonnement de fitness, sans préjudice pour l’avenir. Dans un courrier du 15.01.2019, l’assurance-accidents a informé l’assuré de la stabilisation de l’état de santé. L’assurance-accidents était disposée, sans préjudice pour l’avenir, à prendre en charge du traitement antalgique. Par décision du 15.01.2019, une IPAI de 20% a été octroyée et a nié tout droit à une rente d’invalidité.

Le 05.06.2019, l’assuré a demandé à l’assurance-accidents de continuer à prendre en charge une partie des frais d’abonnement de fitness. Après plusieurs échanges d’écritures, l’assurance-accidents a rendu sa décision du 26.11.2019, confirmée sur opposition, selon laquelle aucune prestation ne serait versée pour la thérapie d’entraînement médical.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2020.00096 – consultable ici)

Par jugement du 17.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la conti­nuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase). Le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (phrase 2).

Consid. 2.3
Outre l’art. 19 al. 1, 2e phrase, LAA, il convient de tenir compte de l’art. 21 LAA pour les questions qui nous intéressent ici, à savoir la suspension simultanée des prestations temporaires et la clôture du cas. Selon son al. 1, lorsque la rente a été fixée, les prestations pour soins et remboursement de frais (art. 10 à 13) sont accordées à son bénéficiaire dans certains cas, énumérés à l’al. 1 let. a-d de cette disposition. C’est ce qui est prévu lorsque – toujours en plus de la perception d’une rente d’invalidité mentionnée dans le préambule – il souffre d’une maladie professionnelle (let. a), qu’il souffre d’une rechute ou de séquelles tardives et que des mesures médicales amélioreraient notablement sa capacité de gain ou empêcheraient une notable diminution de celle-ci (let. b), qu’il a besoin de manière durable d’un traitement et de soins pour conserver sa capacité résiduelle de gain  (let. c) ou qu’il présente une incapacité de gain et que des mesures médicales amélioreraient notablement son état de santé ou empêcheraient que celui-ci ne subisse une notable détérioration (let. d).

Consid. 3.1.1
La cour cantonale a considéré que, par la décision du 15.01.2019 entrée en force, l’assurance-accidents avait octroyé IPAI de 20 % et qu’elle avait nié un droit à une rente d’invalidité. Selon les juges cantonaux, la prise en charge partielle des frais d’un abonnement de fitness ne constitue pas un moyen auxiliaire au sens de l’art. 11 LAA. Dans l’ATF 143 V 148 cité par l’assuré, il s’agissait uniquement de savoir si le moyen auxiliaire attribué dans le cadre du traitement médical (contrôles réguliers de la vue ; adaptation ou remplacement des lunettes de vue) devait continuer à être accordé même en l’absence d’octroi d’une rente, ce à quoi le Tribunal fédéral a répondu par l’affirmative dans le cadre d’une garantie des droits acquis. Il a constaté au consid. 6.2 que la suppression d’une prestation n’est prévue à l’art. 19 al. 1, 2e phrase, LAA que pour le traitement médical et les indemnités journalières. Il a précisé que le traitement médical s’éteint logiquement avec la clôture du cas, car à ce moment-là, on ne peut plus attendre d’amélioration notable de la poursuite du traitement médical (consid. 5.3.1). En ce qui concerne le traitement médical et les indemnités journalières, il n’y a pas – contrairement aux arguments de l’assuré – de changement de jurisprudence du Tribunal fédéral par lequel une garantie des droits acquis aurait été affirmée au-delà de la clôture du cas (avec référence aux ATF 144 V 418 consid. 2.2 ; 134 V 109 consid. 4.2). Une interprétation téléologique ou systématique plus poussée de l’art. 19 al. 1, 2e phrase, en relation avec l’art. 21 LAA, serait superflue au vu de la jurisprudence citée et du libellé clair de la loi.

Consid. 3.1.2
L’instance cantonale a en outre considéré que, dans la mesure où l’obligation de prise en charge du traitement par l’assurance-accidents selon l’art. 21 LAA n’existait pas après la clôture du cas, il n’était pas nécessaire de discuter la question de savoir si la participation aux frais d’un abonnement de fitness ou l’entraînement autonome dans un centre de fitness devait être qualifié de traitement efficace, approprié et économique au sens de la loi. Il n’est toutefois pas contestable que les douleurs dont souffrent l’assuré sont bien compréhensibles au vu des résultats médicaux objectifs, ce que l’assurance-accidents a parfaitement reconnu en prenant en charge, sans préjudice pour l’avenir, les coûts des analgésiques au-delà de la clôture du cas et en accordant une IPAI de 20%. Ensuite, l’assuré est d’accord avec le fait que la réglementation légale en vigueur, selon laquelle seules les personnes assurées qui perçoivent une rente d’invalidité peuvent éventuellement avoir droit à un traitement médical plus étendu au sens de l’art. 21 LAA, peut conduire à des résultats qui semblent discutables. Toutefois, le législateur l’a prévu ainsi et il serait largement hors de la compétence du pouvoir judiciaire d’accorder, contrairement à la base légale claire, un traitement curatif après la clôture du cas même sans l’octroi d’une rente.

Consid. 3.2
Le recourant fait valoir que le tribunal cantonal n’a pas examiné de manière approfondie le libellé de l’art. 21 LAA et son application dans le cas d’espèce. La thérapie d’entraînement cofinancée depuis des années par l’assurance-accidents lui permet de continuer à exercer pleinement son métier physiquement éprouvant. L’instance cantonale se raccroche à la formulation du début de l’article 21 LAA, qui a manifestement été choisie par erreur. En ces temps du principe « la réadaptation plutôt que de la rente », il ne saurait être question qu’il soit moins bien loti, lui qui fait tout son possible et se trouve entièrement dans la vie active, qu’une personne assurée qui peut continuer à avoir droit à un traitement médical après la fixation d’une rente sur la base de l’art. 21 LAA. Le tribunal cantonal néglige le fait que l’assurance-accidents a clôturé et rouvert son dossier à plusieurs reprises (rechutes), mais qu’elle a toujours accordé la thérapie maintenant refusée, respectivement qu’elle ne l’a pas refusée initialement. Parallèlement, elle a toujours pris en charge les chaussures orthopédiques comme moyen auxiliaire. A y regarder de plus près, le cas présent peut être comparé sans autre à celui que le Tribunal fédéral a jugé dans l’ATF 143 V 148. La remise de lunettes précédée d’un contrôle et d’un traitement de la vue peut être assimilée à la prise en charge des coûts de la thérapie d’entraînement et, en fonction de son succès, à la prise en charge des chaussures orthopédiques.

Consid. 3.3
Les arguments de l’assuré n’atteignent pas le but recherché. A aucun moment, l’assurance-accidents n’a fait dépendre la remise de chaussures orthopédiques du succès de l’entraînement musculaire dans un centre de fitness. La situation de fait à juger en l’espèce doit donc être clairement distinguée de celle de l’ATF 143 V 148 invoqué, selon lequel l’octroi de l’adaptation ou du remplacement des lunettes avait été subordonné à des contrôles réguliers de la vue. L’assuré fait certes valoir implicitement que plusieurs médecins ont constaté que l’entraînement musculaire restait médicalement indiqué même après la clôture du cas. Il ne cite toutefois pas de pièce pertinente du dossier, mais limite pour l’essentiel sa démonstration à une répétition mot pour mot des arguments invoqués dans la procédure cantonale. Cela ne satisfait pas aux exigences de l’art. 42 al. 2, 1e phrase, LTF, selon lequel il faut exposer de manière concise en quoi l’arrêt attaqué viole le droit, raison pour laquelle il n’y a pas lieu de s’y attarder (cf. ATF 139 I 306 consid. 1.2). Le Tribunal fédéral renvoie aux considérants de l’instance cantonale, qui ne sont pas contestés. Il convient simplement d’y ajouter, à titre de clarification, que le changement de jurisprudence doit pouvoir s’appuyer sur des motifs objectifs sérieux, qui doivent être d’autant plus importants – surtout au regard de l’exigence de sécurité du droit – que l’application du droit, reconnue comme erronée ou obsolète, doit être considérée comme correcte depuis longtemps. Un changement de pratique ne peut en principe être justifié que si la nouvelle solution correspond à une meilleure connaissance du but de la loi, à une modification des circonstances extérieures ou à une évolution des conceptions juridiques (ATF 146 I 105 consid. 5.2.2 ; 145 V 50 consid. 4.3.1 ; 141 II 297 consid. 5.5.1 ; 140 V 538 consid. 4.5 et les références). Le recours ne permet pas d’établir, de manière même partielle, dans quelle mesure de telles circonstances seraient survenues depuis la notification de l’ATF 143 V 148.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_551/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_551/2021 (d) du 23.03.2022, Traitement médical à charge de l’assurance-accidents après la stabilisation de l’état de santé, sans rente d’invalidité, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/09/8c_551-2021)

8C_679/2020 (f) du 01.07.2021 – Détermination du revenu sans invalidité et du nombre d’heures hebdomadaires de travail (selon CCT) / Revenu d’invalide selon ESS –Abattement 0% – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_679/2020 (f) du 01.07.2021

 

Consultable ici

 

Détermination du revenu sans invalidité et du nombre d’heures hebdomadaires de travail (selon CCT) / 16 LPGA

Revenu d’invalide selon ESS –Abattement 0% / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1960, isoleur, a reçu le 15.11.2017 un paquet d’isolation sur le dos. Les examens d’imagerie de la colonne dorsale réalisés le jour même ont mis en évidence une fracture comminutive peu déplacée du processus épineux de la vertèbre C7, une fracture non déplacée de la 1e côte à gauche, un tassement cunéiforme de la vertèbre D5 et un bon alignement vertébral. Un traitement conservateur a été instauré.

La tentative de reprise de l’activité professionnelle ayant échoué, le médecin d’arrondissement a considéré, au vu de l’aspect physique de la profession d’isoleur et des douleurs persistantes, qu’un changement d’activité professionnelle était à envisager. Le 10.04.2019, ce même médecin a précisé qu’il n’y avait plus de capacité de travail dans la profession d’isoleur; l’assuré était par contre à même d’exercer une activité professionnelle adaptée, à la journée entière et sans baisse de rendement.

Les mesures d’ordre professionnel de l’assurance-invalidité ont pris fin le 28.07.2019, avec un résultat d’exigibilité totale dans une activité adaptée respectant les limitations fonctionnelles. Par décision du 17.12.2019, l’office AI a refusé d’accorder une rente d’invalidité à l’assuré au motif que celui-ci ne présentait qu’un taux d’invalidité de 8%.

Par décision du 15.10.2019, confirmée sur opposition le 18.11.2019, l’assurance-accidents a nié tout droit à une rente d’invalidité dans la mesure où l’assuré ne subissait aucune perte de gain, le revenu d’invalide de 67’743 fr. dépassant le revenu de 63’514 fr. qu’il réaliserait sans l’accident. Par la même décision, elle lui a accordé une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 5%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/814/2020 – consultable ici)

Par jugement du 29.09.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité basée sur un taux d’invalidité de 11% à partir du 01.08.2019.

 

TF

Consid. 5.1
Pour déterminer le revenu sans invalidité, il convient d’établir ce que l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. Partant de la présomption que l’assuré aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité, ce revenu se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en prenant en compte également l’évolution des salaires jusqu’au moment de la naissance du droit à la rente (ATF 135 V 297 consid. 5.1; 134 V 322 consid. 4.1; 129 V 222 consid. 4.3.1). Le salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré comprend tous les revenus d’une activité lucrative (y compris les gains accessoires et la rémunération des heures supplémentaires effectuées de manière régulière) soumis aux cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants (AVS; arrêt 8C_574/2019 du 28 février 2020 consid. 3 et la référence). En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_748/2008 du 10 juin 2009 consid. 5.2.1). Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (ATF 133 V 549 consid. 6.1; arrêt 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.2.2). On rappellera cependant que l’évaluation de l’invalidité par l’assurance-invalidité n’a pas de force contraignante pour l’assureur-accidents (ATF 131 V 362 consid. 2.3); de même, l’assurance-invalidité n’est pas liée par l’évaluation de l’invalidité de l’assurance-accidents au sens de l’ATF 126 V 288 (ATF 133 V 549; arrêt 8C_239/2020 du 19 avril 2021 consid. 8.2).

Pour établir le salaire réalisé en dernier lieu et son évolution subséquente, on se fondera en premier lieu sur les renseignements fournis par l’employeur (arrêt 8C_443/2018 du 30 janvier 2019 consid. 2.1; THOMAS FLÜCKIGER, Basler Kommentar UVG, 2019, n° 21 ad art. 18 LAA). Tant pour les personnes salariées que pour celles de condition indépendante, on peut également se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’AVS (arrêt 8C_443/2018 du 30 janvier 2019 consid. 2.1; FLÜCKIGER, loc. cit.; cf. arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.2.2; 8C_9/2009 du 10 novembre 2009, in SVR 2010 IV n° 26 p. 79).

Consid. 5.2.1
L’assurance-accidents avait établi le revenu sans invalidité (63’514 fr.) sur la base de la déclaration de sinistre, soit une durée de travail hebdomadaire de 41 heures à 26 fr. bruts l’heure, pour 52 semaines par an, part au 13e salaire en sus, et sur la base des renseignements de l’ancien employeur concernant les augmentations de 0.89 fr. par heure pour l’année 2018 et 0.61 fr. par heure pour 2019.

Consid. 5.2.2
Les juges cantonaux ont considéré que, par ce calcul, l’assurance-accidents paraissait sous-évaluer le revenu sans invalidité, puisqu’elle ne tenait pas compte de toutes les composantes du salaire, par exemple des heures supplémentaires et d’autres éléments de rémunération. De là, les juges cantonaux ont considéré que le revenu sans invalidité devait être fixé en prenant comme point de départ le revenu figurant dans l’extrait de compte individuel AVS, soit 65’277 fr. en 2016, et en tenant compte des augmentations de salaire attestées par l’ex-employeur. Ils ont ajouté que même à reprendre le calcul de l’assurance-accidents, et évoquant une « légère incertitude au sujet de l’horaire hebdomadaire de travail », il y aurait eu lieu de tenir compte d’un horaire de travail de 45 heures conformément au contrat de travail conclu le 20 juillet 2015.

Consid. 5.3
Les fiches de salaire pour les mois de novembre 2016 à octobre 2017, sur lesquelles l’assurance-accidents s’est appuyée, attestent un salaire horaire de 26 fr., les heures mensuelles effectuées ainsi qu’un montant forfaitaire de 150 fr. pour « Déplacement et Panier ». N’étant pas soumis aux cotisations AVS, ce montant n’a – à juste titre – pas été pris en compte dans le calcul du salaire, ni par l’assurance-accidents ni par la cour cantonale. En outre, l’assurance-accidents relève à raison que les fiches de salaire ne démontrent aucune heure supplémentaire, mais qu’il en ressort un nombre d’heures de 2053 pour un revenu brut de 57’824 fr. 39, part au 13e salaire incluse sur une période d’une année. Or ce nombre est inférieur au nombre d’heures annualisé retenu par l’assurance-accidents dans le cadre de l’estimation du gain présumable perdu, soit 2132 heures (52 semaines à 41 heures) et d’autant plus inférieur au nombre d’heures annualisé de 2340 qui résulte de l’hypothèse des juges cantonaux d’un horaire de 45 heures par semaine. A ce propos, il convient de retenir, avec l’assurance-accidents, que le nombre de 2340 heures de travail effectuées n’est pas documenté, et que même si un horaire de 45 heures par semaine peut apparaître certains mois, il n’est de loin pas constant et résulte des fluctuations de mois en mois en raison des périodes de travail. De surcroît, selon le contrat de travail, auquel les juges cantonaux font référence, l’assuré pouvait être amené à accomplir des heures supplémentaires « sans rémunération ou compensation ». Partant, les juges cantonaux ne peuvent pas être suivis dans leur conclusion que l’assurance-accidents n’aurait pas tenu compte de tous les éléments pertinents du salaire, aucun élément au dossier ne justifiant de s’écarter du revenu sans invalidité de 63’514 fr. retenu dans la décision du 18.11.2019.

 

Consid. 6.1
Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, les salaires fixés sur la base des données statistiques peuvent à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement, mais seulement lorsqu’il existe des indices qu’en raison d’un ou de plusieurs facteurs, l’intéressé ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne (ATF 146 V 16 consid. 4.1; 126 V 75 consid. 5b/aa). Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation; cf. ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêt 8C_732/2019 du 19 octobre 2020 consid. 3.4).

Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des circonstances du cas particulier constitue une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement, tandis que l’étendue de l’abattement justifié dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.2
La cour cantonale a appliqué un taux d’abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles de l’assuré, lesquelles excluaient les travaux lourds et restreignaient le spectre des activités – même légères – susceptibles d’être exercées. Elle a en revanche écarté ses difficultés linguistiques, sa nationalité étrangère et son âge comme circonstances ayant une influence négative sur sa capacité de gain dans la catégorie de salaire retenue.

Consid. 6.2.1
Le point de savoir s’il se justifie de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des limitations fonctionnelles dépend de la nature de celles-ci; une réduction à ce titre n’entre en considération que si, dans un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (arrêts 8C_732/2019 du 19 octobre 2020 consid. 4.5; 8C_549/2019 du 26 novembre 2019 consid. 7.7; 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.3.4.3). Aussi y a-t-il lieu de déterminer si les limitations fonctionnelles constituent un facteur qui obligerait l’assuré à mettre en valeur sa capacité de travail résiduelle sur le marché du travail à des conditions économiques plus défavorables que la moyenne, soit entraînant un désavantage salarial (arrêt 8C_860/2018 du 6 septembre 2019 consid. 6.3.3).

Consid. 6.2.2
En l’occurrence, force est de constater que les limitations fonctionnelles que présente l’assuré – pas de port de charges supérieures à 10 kg des deux côtés, alternance des positions assise et debout, sans sollicitation de la nuque en hyperextension/ hyperflexion – n’ont pas d’incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Au demeurant, les juges cantonaux ont eux-mêmes retenu dans le cadre de l’examen de l’exigibilité que l’activité de chauffeur-livreur était reconnue comme médicalement adaptée, sans contre-indication particulière et qu’il demeure, sur le marché du travail, un éventail suffisamment large d’activités simples et légères, ne nécessitant aucune formation particulière et dont un certain nombre sont adaptées aux troubles cervico-dorsaux de l’assuré. Il s’ensuit qu’un abattement sur le revenu d’invalide ne se justifie pas en l’espèce.

 

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_679/2020 consultable ici

 

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2022

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2022

 

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 01.09.2022 la 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2022 (+2.0%). Le tableau se trouve ici :

  • en français(estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux)
  • en italien(stima trimestrale dell’evoluzione dei salari nominali)
  • en allemand(Quartalschätzungen der Nominallohnentwicklung)

L’estimation de l’évolution des salaires est nécessaire afin d’indexer un revenu (sans invalidité / d’invalide) à 2022.