8C_679/2020 (f) du 01.07.2021 – Détermination du revenu sans invalidité et du nombre d’heures hebdomadaires de travail (selon CCT) / Revenu d’invalide selon ESS –Abattement 0% – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_679/2020 (f) du 01.07.2021

 

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Détermination du revenu sans invalidité et du nombre d’heures hebdomadaires de travail (selon CCT) / 16 LPGA

Revenu d’invalide selon ESS –Abattement 0% / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1960, isoleur, a reçu le 15.11.2017 un paquet d’isolation sur le dos. Les examens d’imagerie de la colonne dorsale réalisés le jour même ont mis en évidence une fracture comminutive peu déplacée du processus épineux de la vertèbre C7, une fracture non déplacée de la 1e côte à gauche, un tassement cunéiforme de la vertèbre D5 et un bon alignement vertébral. Un traitement conservateur a été instauré.

La tentative de reprise de l’activité professionnelle ayant échoué, le médecin d’arrondissement a considéré, au vu de l’aspect physique de la profession d’isoleur et des douleurs persistantes, qu’un changement d’activité professionnelle était à envisager. Le 10.04.2019, ce même médecin a précisé qu’il n’y avait plus de capacité de travail dans la profession d’isoleur; l’assuré était par contre à même d’exercer une activité professionnelle adaptée, à la journée entière et sans baisse de rendement.

Les mesures d’ordre professionnel de l’assurance-invalidité ont pris fin le 28.07.2019, avec un résultat d’exigibilité totale dans une activité adaptée respectant les limitations fonctionnelles. Par décision du 17.12.2019, l’office AI a refusé d’accorder une rente d’invalidité à l’assuré au motif que celui-ci ne présentait qu’un taux d’invalidité de 8%.

Par décision du 15.10.2019, confirmée sur opposition le 18.11.2019, l’assurance-accidents a nié tout droit à une rente d’invalidité dans la mesure où l’assuré ne subissait aucune perte de gain, le revenu d’invalide de 67’743 fr. dépassant le revenu de 63’514 fr. qu’il réaliserait sans l’accident. Par la même décision, elle lui a accordé une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 5%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/814/2020 – consultable ici)

Par jugement du 29.09.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité basée sur un taux d’invalidité de 11% à partir du 01.08.2019.

 

TF

Consid. 5.1
Pour déterminer le revenu sans invalidité, il convient d’établir ce que l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. Partant de la présomption que l’assuré aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité, ce revenu se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en prenant en compte également l’évolution des salaires jusqu’au moment de la naissance du droit à la rente (ATF 135 V 297 consid. 5.1; 134 V 322 consid. 4.1; 129 V 222 consid. 4.3.1). Le salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré comprend tous les revenus d’une activité lucrative (y compris les gains accessoires et la rémunération des heures supplémentaires effectuées de manière régulière) soumis aux cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants (AVS; arrêt 8C_574/2019 du 28 février 2020 consid. 3 et la référence). En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_748/2008 du 10 juin 2009 consid. 5.2.1). Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (ATF 133 V 549 consid. 6.1; arrêt 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.2.2). On rappellera cependant que l’évaluation de l’invalidité par l’assurance-invalidité n’a pas de force contraignante pour l’assureur-accidents (ATF 131 V 362 consid. 2.3); de même, l’assurance-invalidité n’est pas liée par l’évaluation de l’invalidité de l’assurance-accidents au sens de l’ATF 126 V 288 (ATF 133 V 549; arrêt 8C_239/2020 du 19 avril 2021 consid. 8.2).

Pour établir le salaire réalisé en dernier lieu et son évolution subséquente, on se fondera en premier lieu sur les renseignements fournis par l’employeur (arrêt 8C_443/2018 du 30 janvier 2019 consid. 2.1; THOMAS FLÜCKIGER, Basler Kommentar UVG, 2019, n° 21 ad art. 18 LAA). Tant pour les personnes salariées que pour celles de condition indépendante, on peut également se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’AVS (arrêt 8C_443/2018 du 30 janvier 2019 consid. 2.1; FLÜCKIGER, loc. cit.; cf. arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.2.2; 8C_9/2009 du 10 novembre 2009, in SVR 2010 IV n° 26 p. 79).

Consid. 5.2.1
L’assurance-accidents avait établi le revenu sans invalidité (63’514 fr.) sur la base de la déclaration de sinistre, soit une durée de travail hebdomadaire de 41 heures à 26 fr. bruts l’heure, pour 52 semaines par an, part au 13e salaire en sus, et sur la base des renseignements de l’ancien employeur concernant les augmentations de 0.89 fr. par heure pour l’année 2018 et 0.61 fr. par heure pour 2019.

Consid. 5.2.2
Les juges cantonaux ont considéré que, par ce calcul, l’assurance-accidents paraissait sous-évaluer le revenu sans invalidité, puisqu’elle ne tenait pas compte de toutes les composantes du salaire, par exemple des heures supplémentaires et d’autres éléments de rémunération. De là, les juges cantonaux ont considéré que le revenu sans invalidité devait être fixé en prenant comme point de départ le revenu figurant dans l’extrait de compte individuel AVS, soit 65’277 fr. en 2016, et en tenant compte des augmentations de salaire attestées par l’ex-employeur. Ils ont ajouté que même à reprendre le calcul de l’assurance-accidents, et évoquant une « légère incertitude au sujet de l’horaire hebdomadaire de travail », il y aurait eu lieu de tenir compte d’un horaire de travail de 45 heures conformément au contrat de travail conclu le 20 juillet 2015.

Consid. 5.3
Les fiches de salaire pour les mois de novembre 2016 à octobre 2017, sur lesquelles l’assurance-accidents s’est appuyée, attestent un salaire horaire de 26 fr., les heures mensuelles effectuées ainsi qu’un montant forfaitaire de 150 fr. pour « Déplacement et Panier ». N’étant pas soumis aux cotisations AVS, ce montant n’a – à juste titre – pas été pris en compte dans le calcul du salaire, ni par l’assurance-accidents ni par la cour cantonale. En outre, l’assurance-accidents relève à raison que les fiches de salaire ne démontrent aucune heure supplémentaire, mais qu’il en ressort un nombre d’heures de 2053 pour un revenu brut de 57’824 fr. 39, part au 13e salaire incluse sur une période d’une année. Or ce nombre est inférieur au nombre d’heures annualisé retenu par l’assurance-accidents dans le cadre de l’estimation du gain présumable perdu, soit 2132 heures (52 semaines à 41 heures) et d’autant plus inférieur au nombre d’heures annualisé de 2340 qui résulte de l’hypothèse des juges cantonaux d’un horaire de 45 heures par semaine. A ce propos, il convient de retenir, avec l’assurance-accidents, que le nombre de 2340 heures de travail effectuées n’est pas documenté, et que même si un horaire de 45 heures par semaine peut apparaître certains mois, il n’est de loin pas constant et résulte des fluctuations de mois en mois en raison des périodes de travail. De surcroît, selon le contrat de travail, auquel les juges cantonaux font référence, l’assuré pouvait être amené à accomplir des heures supplémentaires « sans rémunération ou compensation ». Partant, les juges cantonaux ne peuvent pas être suivis dans leur conclusion que l’assurance-accidents n’aurait pas tenu compte de tous les éléments pertinents du salaire, aucun élément au dossier ne justifiant de s’écarter du revenu sans invalidité de 63’514 fr. retenu dans la décision du 18.11.2019.

 

Consid. 6.1
Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, les salaires fixés sur la base des données statistiques peuvent à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement, mais seulement lorsqu’il existe des indices qu’en raison d’un ou de plusieurs facteurs, l’intéressé ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne (ATF 146 V 16 consid. 4.1; 126 V 75 consid. 5b/aa). Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation; cf. ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêt 8C_732/2019 du 19 octobre 2020 consid. 3.4).

Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des circonstances du cas particulier constitue une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement, tandis que l’étendue de l’abattement justifié dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.2
La cour cantonale a appliqué un taux d’abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles de l’assuré, lesquelles excluaient les travaux lourds et restreignaient le spectre des activités – même légères – susceptibles d’être exercées. Elle a en revanche écarté ses difficultés linguistiques, sa nationalité étrangère et son âge comme circonstances ayant une influence négative sur sa capacité de gain dans la catégorie de salaire retenue.

Consid. 6.2.1
Le point de savoir s’il se justifie de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des limitations fonctionnelles dépend de la nature de celles-ci; une réduction à ce titre n’entre en considération que si, dans un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (arrêts 8C_732/2019 du 19 octobre 2020 consid. 4.5; 8C_549/2019 du 26 novembre 2019 consid. 7.7; 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.3.4.3). Aussi y a-t-il lieu de déterminer si les limitations fonctionnelles constituent un facteur qui obligerait l’assuré à mettre en valeur sa capacité de travail résiduelle sur le marché du travail à des conditions économiques plus défavorables que la moyenne, soit entraînant un désavantage salarial (arrêt 8C_860/2018 du 6 septembre 2019 consid. 6.3.3).

Consid. 6.2.2
En l’occurrence, force est de constater que les limitations fonctionnelles que présente l’assuré – pas de port de charges supérieures à 10 kg des deux côtés, alternance des positions assise et debout, sans sollicitation de la nuque en hyperextension/ hyperflexion – n’ont pas d’incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Au demeurant, les juges cantonaux ont eux-mêmes retenu dans le cadre de l’examen de l’exigibilité que l’activité de chauffeur-livreur était reconnue comme médicalement adaptée, sans contre-indication particulière et qu’il demeure, sur le marché du travail, un éventail suffisamment large d’activités simples et légères, ne nécessitant aucune formation particulière et dont un certain nombre sont adaptées aux troubles cervico-dorsaux de l’assuré. Il s’ensuit qu’un abattement sur le revenu d’invalide ne se justifie pas en l’espèce.

 

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_679/2020 consultable ici

 

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