9C_126/2021 (f) du 29.03.2022 – Conditions d’assurance – Condition de la durée minimale de cotisations – 36 al. 1 LAI / Pas d’intérêt digne de protection de l’assurée à faire constater son (éventuel) degré d’invalidité, en relation avec une hypothétique demande de prestations complémentaires au sens de l’art. 4 al. 1 let. d LPC

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_126/2021 (f) du 29.03.2022

 

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Conditions d’assurance – Condition de la durée minimale de cotisations / 36 al. 1 LAI

Pas d’intérêt digne de protection de l’assurée à faire constater son (éventuel) degré d’invalidité, en relation avec une hypothétique demande de prestations complémentaires au sens de l’art. 4 al. 1 let. d LPC

 

Assurée, née en 1968, ressortissante du Kosovo, mariée et mère de trois enfants nés en 1995, 1997 et 1999, est arrivée en Suisse en juillet 2008. Elle a travaillé en tant que couturière jusqu’en 1995 et n’a plus exercé d’activité professionnelle depuis lors.

Demande AI déposée le 18.08.2016. Dans un rapport du 30.03.2017, le médecin du SMR a attesté une incapacité totale de travail depuis le mois de mars 2010 en raison de son état de santé. L’office AI a mis en œuvre une enquête économique sur le ménage, réalisée le 24.08.2017. A la lumière de celle-ci et en application de la méthode spécifique d’évaluation de l’invalidité, l’office AI a nié le droit à la rente par décision du 19.10.2017, car le total des empêchements rencontrés dans la tenue du ménage était inférieur à 40% (38,7%).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1280/2020 – consultable ici)

Bien que la juridiction cantonale ait admis que la condition de la durée de cotisations au sens de l’art. 36 LAI n’était pas remplie, elle a néanmoins jugé que la question du taux d’invalidité revêtait une importance pratique sous l’angle d’un éventuel droit aux prestations complémentaires en vertu de l’art. 4 al. 1 let. d LPC. Confirmant le taux des empêchements dans les travaux habituels (38,7%), elle a renvoyé la cause à l’office AI afin qu’il constate le degré d’invalidité de l’assurée en application de la méthode mixte.

Par jugement du 22.12.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, renvoyant la cause à l’office AI pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

 

TF

Préjudice irréparable – 93 LTF

Consid. 2.2
Puisqu’il renvoie la cause à l’office AI pour qu’il réexamine le taux d’invalidité de l’assurée en application de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, en lieu et place de la méthode spécifique, et rende une nouvelle décision, l’arrêt attaqué tranche de manière définitive une question de droit matériel portant sur le statut de l’assurée.

En obligeant l’office AI à appliquer la méthode mixte, cet arrêt contient des instructions impératives qui ne lui laissent plus aucune latitude de jugement pour la suite de la procédure, de sorte que l’office AI sera tenu de rendre une décision qui, selon lui, est contraire au droit fédéral. En cela, il subit un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF, si bien qu’il y a lieu d’entrer en matière sur son recours (cf. arrêt 9C_36/2013 du 21 juin 2013 consid. 1.3).

 

Condition de la durée minimale de cotisations – 36 al. 1 LAI

Consid. 3
Selon l’art. 36 al. 1 LAI, a droit à une rente ordinaire l’assuré qui, lors de la survenance de l’invalidité, compte trois années au moins de cotisations. D’après l’art. 4 al. 1 let. d LPC, les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à des prestations complémentaires dès lors qu’elles auraient droit à une rente de l’AI si elles justifiaient de la durée de cotisation minimale requise à l’art. 36 al. 1 LAI.

Consid. 5.1
La condition de la durée minimale de cotisations (cf. art. 36 al. 1 LAI) fait défaut, ce qui n’est pas contesté. Il convient dès lors d’examiner si l’assurée dispose d’un intérêt digne de protection à faire néanmoins constater son (éventuel) degré d’invalidité, en relation avec une hypothétique demande de prestations complémentaires au sens de l’art. 4 al. 1 let. d LPC.

Consid. 5.2
Sur le principe, la jurisprudence a reconnu l’existence d’un tel intérêt digne de protection (cf. art. 59 LPGA en liaison avec l’art. 28 al. 2 LAI), lorsque le taux d’invalidité est déterminant pour savoir si et, le cas échéant, dans quelle mesure il convient de prendre en compte un revenu hypothétique pour fixer les prestations complémentaires (par analogie arrêt 9C_822/2011 du 3 février 2012 consid. 3.2.3).

Dans le cas d’espèce, – et contrairement à la situation exposée dans l’arrêt 9C_822/2011 cité ci-dessus – il ne ressort toutefois ni de l’arrêt attaqué ni des pièces du dossier que l’assurée aurait saisi le Service des prestations complémentaires du canton de Genève (SPC) d’une demande de telles prestations, indépendamment du sort de sa demande de rente d’invalidité. Si cela devait être le cas, les questions préliminaires telles que le statut de l’assurée et le revenu hypothétique à prendre en considération, notamment, pourraient de toute façon être librement tranchées par le SPC dans le cadre d’une décision relative au droit de l’assurée à des prestations complémentaires. En effet, il appartiendrait aux organes désignés par les cantons pour fixer et verser les prestations complémentaires (cf. art. 21 al. 1 LPC) – et non pas à l’office AI – de se prononcer sur le droit éventuel de l’assurée à des prestations complémentaires prévues par la LPC, singulièrement à des prestations indépendantes d’une rente de l’AVS ou de l’AI (« rentenlose Ergänzungsleistung »). L’examen des conditions matérielles du droit à une telle prestation ne dépend pas alors d’une décision (de refus) préalable des organes d’exécution de l’assurance-invalidité, sinon un office de l’assurance-invalidité ou une caisse de compensation devrait toujours examiner la demande de prestations complémentaires avant l’organe compétent selon la LPC (Ralph Jöhl / Patricia Usinger-Egger, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, in Soziale Sicherheit [SBVR], 3ème éd., n° 25 p. 1723).

En d’autres termes, de manière générale, aussi longtemps que l’autorité compétente pour se prononcer à titre principal sur certaines questions n’a pas rendu de décision à leur sujet, une autre autorité peut examiner ces questions à titre préliminaire et rendre une décision, de sorte qu’il n’y a pas de place pour une décision de constatation sur les questions préliminaires (cf. arrêt 9C_528/2010 du 17 novembre 2011 consid. 4.2.2 avec les références).

Consid. 5.3
Il s’ensuit que l’office AI n’aurait pas dû nier le droit à la rente en raison du degré d’invalidité inférieur à 40% qu’il avait établi, mais uniquement parce que la condition de la durée minimale de cotisations de trois ans (cf. art. 36 al. 1 LAI) n’était pas remplie. Par conséquent, l’instance précédente aurait dû confirmer la décision en son dispositif par substitution de motifs, d’autant qu’en l’absence d’une demande de prestations complémentaires au sens de l’art. 4 al. 1 let. d LPC, il n’existe aucun intérêt actuel à faire constater le taux d’invalidité de l’assurée, en particulier dans le cadre du complément d’instruction que les premiers juges ont ordonné. En ce sens, le recours est bien fondé.

Consid. 5.4
Dans sa décision, l’office AI a fixé le statut de l’assurée (ménagère sans activité lucrative) ainsi que son taux d’invalidité (38,7%). Comme ces éléments font partie de la motivation de cette décision et qu’ils ne sont pas définitivement tranchés par le présent arrêt, ils ne lient pas le SPC (cf. arrêt 9C_528/2010 précité, consid. 4.2.3).

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme par substitution de motifs la décision AI.

 

 

Arrêt 9C_126/2021 consultable ici

 

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