8C_801/2021 (f) du 28.06.2022 – Revenu d’invalide – ESS – Niveau de compétences 2 / 16 LPGA – 18 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_801/2021 (f) du 28.06.2022

 

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Revenu d’invalide – ESS – Niveau de compétences 2 / 16 LPGA – 18 LAA

 

Assuré engagé par la société B.__ SA sur la base d’un contrat de mission temporaire en tant qu’aide monteur en lignes aériennes. Le 18.12.2007, alors qu’il était monté sur le toit d’une maison, sa ceinture s’est décrochée lorsqu’il tirait sur le câble de téléphone et il a fait une chute de 5 mètres. Il a subi un polytraumatisme avec une fracture type Burst de L1, une fracture du bassin branche illio-ischio-pubienne gauche, une fracture luxation du coude gauche (Mason III), une fracture comminutive du radius distal gauche (Gustilo I) et une fracture comminutive du radius distal droit, atteintes qui ont été traitées par voie chirurgicale. Ensuite d’un reclassement professionnel, l’assuré a obtenu un CFC d’automaticien et a été engagé à un taux d’activité de 100% par l’entreprise C.__ SA en juillet 2011. Par décision du 28.06.2012, l’assurance-accidents lui a alloué une IPAI d’un taux de 22% et lui a refusé le droit à une rente d’invalidité, au motif que les suites de l’accident ne réduisaient pas sa capacité de gain de manière importante.

Rechute annoncée en mars 2015. L’employeur ayant résilié le contrat de travail avec l’assuré, une orientation professionnelle et plus spécifiquement des stages d’évaluation dans le domaine de la planification électrique ont été mis en place par l’assurance-invalidité. A deux reprises, soit le 05.12.2017 puis le 18.01.2018, l’assuré a été percuté par une voiture au niveau du coude droit.

L’assurance-accidents a rendu le 25.03.2020 une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a reconnu à l’assuré le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 14%, calculé, en ce qui concerne le revenu d’invalide, sur la base des salaires statistiques de l’ESS et en tenant compte d’un niveau de compétence 2. Elle lui a également alloué une IPAI complémentaire de 23%.

 

Procédure cantonale

Pour déterminer le revenu d’invalide, les juges cantonaux se sont fondés sur le salaire mensuel brut de 5417 fr. tiré du tableau TA1 de l’ESS 2018, niveau de compétence 1, Total, Hommes. Ils ont en particulier retenu qu’en raison des séquelles accidentelles, l’assuré ne pouvait plus accomplir son activité habituelle d’automaticien à plein temps et qu’il ne pouvait pas non plus mettre à profit les compétences acquises dans cette profession dans une activité adaptée correspondant au niveau de compétence 2.

Par jugement du 05.11.2021, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité fondée sur un taux de 18%.

 

TF

Consid. 2.3
Depuis la 10e édition des ESS (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. L’accent est ainsi mis sur le type de tâches que la personne concernée est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications (niveau de ses compétences) et non plus sur les qualifications en elles-mêmes. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf groupes de profession (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques ou manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement de données et les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_268/2021 du 15 octobre 2021 consid. 3.2.1 avec renvoi à l’arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4 et les références).

Consid. 3.3
Le choix du niveau de compétence applicable dans le cadre de l’utilisation des tableaux statistiques de l’ESS est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 3.4
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, si la personne assurée ne peut plus effectuer l’activité exercée avant la survenance de l’invalidité, l’application du niveau de compétence 2 se justifie uniquement si elle dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêts 8C_131/2021 du 2 août 2021 consid. 7.4.1, publié in SVR 2022 UV n° 3 p. 7; 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.3.1; 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2 et l’arrêt cité).

Cela a récemment été admis dans le cas d’un entrepreneur de jardinage indépendant qui avait travaillé pendant de nombreuses années en tant que contremaître (arrêt 8C_276/2021 du 2 novembre 2021 consid. 5.4.1), chez une vendeuse de textiles qui avait terminé son apprentissage avec d’excellentes notes et avait ensuite rapidement accédé à un poste de responsable de filiale (arrêt 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 5.3 à 5.7), chez un gérant et directeur d’une entreprise de construction qui disposait à la base d’une formation de charpentier et qui avait fait une formation continue pour devenir contremaître et directeur de projet (arrêt 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2), chez un charpentier indépendant qui, au sein de son entreprise, effectuait aussi des tâches administratives et qui était responsable de quatre collaborateurs et de deux apprentis (arrêt 8C_732/2018 du 26 mars 2019 consid. 8.2) ou encore chez un assuré qui n’avait pas de diplôme d’apprentissage mais qui était chef d’une entreprise dans l’industrie de la construction et avait, avant son atteinte à la santé, un revenu nettement supérieur à celui qu’il aurait pu obtenir en tant qu’employé (arrêt 8C_457/2017 du 11 octobre 2017).

En revanche, dans le cas d’un carreleur qui, durant les 30 ans de son activité lucrative indépendante, n’avait jamais effectué des tâches administratives, le Tribunal fédéral a considéré que l’assuré ne disposait pas de compétences ou de connaissances particulières et qu’il fallait donc déterminer le revenu d’invalide en appliquant le niveau de compétence 1 (arrêt 8C_227/2018 du 14 juin 2018 consid. 4.2.2). Il en a fait de même dans le cas d’une assurée qui avait travaillé de nombreuses années en tant qu’infirmière mais qui n’avait pas de formation commerciale ni d’expérience dans ce domaine (arrêt 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.3).

Consid. 3.5
Au vu de cette jurisprudence, il y a lieu d’admettre que le niveau de formation et l’expérience acquise par l’assuré justifient que son revenu d’invalide soit déterminé sur la base du niveau de compétence 2 des statistiques salariales de l’ESS. En effet, sur le plan professionnel, il ressort des constatations de la cour cantonale et du dossier de l’assuré que celui-ci a suivi le lycée technique à D.__ et qu’il a ensuite intégré l’Armée de l’Air E.__, où il a fait une formation de parachutiste. Arrivé en Suisse en 2006, il a travaillé dans le cadre de contrats de missions temporaires comme aide monteur en lignes aériennes jusqu’au 18 décembre 2007, jour de son accident. En 2008, sous l’égide de l’assurance-invalidité, il a effectué une formation d’automaticien. Pendant six ans, il a exercé ce métier, dans lequel il était chargé d’études de schémas électropneumatiques et de câblage électrique et pneumatique des machines.

Sur le plan médical, il est constant qu’ensuite de la rechute en 2015, l’assuré n’a pas pu reprendre son ancienne activité d’automaticien. Le médecin-conseil a d’ailleurs confirmé que cette activité n’est plus exigible. Il a toutefois relevé que les limitations fonctionnelles de l’assuré étaient probablement compatibles avec l’activité de planificateur-électricien telle qu’elle avait été envisagée par ce dernier et l’assurance-invalidité. Peu importe à cet égard que cette formation n’ait finalement pas pu être réalisée pour des raisons budgétaires, dès lors qu’il s’agit de déterminer le revenu d’invalide hypothétique. On relèvera en outre que l’activité d’automaticien que l’assuré a exercée pendant plusieurs années était non seulement composé de travaux manuels, mais également de travaux conceptuels et administratifs. D’après les déclarations de l’assuré, il recevait des projets et devait faire des plans, des schémas électropneumatiques et choisir le matériel. Or, rien n’empêche qu’il mette à profit les compétences et connaissances acquises dans le cadre de son activité d’automaticien dans un autre domaine tombant sous le large éventail d’activités pratiques prévues par le niveau de compétence 2, dont font notamment partie les tâches administratives (cf. consid. 2.3 supra). C’est dès lors à tort que la cour cantonale a déterminé le revenu d’invalide sur la base du niveau de compétence 1 des salaires statistiques de l’ESS.

Consid. 3.6
Par conséquent, le taux d’invalidité doit être recalculé. Comme l’a relevé à juste titre la cour cantonale, il convient de se référer aux salaires statistiques de l’ESS de l’année 2018, la décision sur opposition ayant été rendue postérieurement à la publication de ceux-ci (cf. ATF 143 V 295 consid. 4.1.2 et 4.1.3 et les références). Il faut ensuite se fonder sur le salaire auquel peuvent prétendre les hommes (« Total ») du niveau de compétence 2, soit 5649 fr. par mois, montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen (41,7 heures par semaine) ainsi qu’à l’indice des salaires nominaux (+ 0.9% en 2019; + 0,8% en 2020). De ce montant, les parties s’accordent à déduire 15% à titre d’abattement. Le revenu d’invalide s’élève ainsi à 61’094 fr. 13 par année. Compte tenu d’un revenu sans invalidité – non contesté – de 71’370 fr., il résulte un taux d’invalidité de 14.9%, qui doit être arrondi au pour-cent supérieur de 15% (ATF 130 V 121 consid. 3.2).

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_801/2021 consultable ici

 

 

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