9C_354/2021 (d) du 03.11.2021 – Revenu sans invalidité sur la base de la dernière activité et non selon ESS / Revenu d’invalide selon ESS – niveau de compétences 4

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_354/2021 (d) du 03.11.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Revenu sans invalidité sur la base de la dernière activité et non selon ESS

Revenu d’invalide selon ESS – niveau de compétences 4

 

Assuré, né en 1967, a travaillé du 01.07.2011 au 30.04.2016 (licenciement par l’employeur) en tant qu’informaticien de gestion senior. En avril 2016, il a déposé une demande de prestations AI, en raison d’une dépression accompagnée de troubles psychosomatiques. L’office AI a accordé à l’assuré un quart de rente d’invalidité dès le 01.09.2018 sur la base d’un taux d’invalidité de 40%.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2020.00680 – consultable ici)

La cour cantonale a constaté qu’il peut être exigé de l’assuré qu’il exerce depuis mi-2016, à raison d’un taux d’occupation de 60%, respectivement de 100% en cas de limitation des prestations de 40%, aussi bien son activité habituelle qu’une activité adaptée à son état de santé.

L’instance précédente a renoncé à déterminer précisément le revenu de valide et le revenu d’invalide au motif que les deux valeurs comparatives devaient être calculées sur la base du même salaire statistique, le degré d’invalidité correspondant ainsi au degré d’incapacité de travail. Etant donné que l’on peut raisonnablement exiger de l’assuré qu’il exerce à plein temps aussi bien son activité habituelle qu’une activité adaptée avec un rendement de 60%, il en résulte un degré d’invalidité de 40%.

Par jugement du 12.05.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Revenu sans invalidité (consid. 5)

Il ressort du dossier que l’assuré a été en incapacité de travail totale en raison de troubles psychiques à partir du 05.10.2015, soit durant son emploi d’informaticien de gestion senior, poste qu’il occupait depuis le 01.07.2011. En décembre 2015, il a fait une tentative reprise de travail à 20%, qui a toutefois échoué (dernier jour de travail : 12.01.2016). Fin avril 2016, l’employeur a résilié le contrat de travail. Aucun élément du dossier ne permet de conclure, et l’office AI ne fait pas non plus valoir, que l’assuré n’aurait probablement pas poursuivi, en cas de maladie, l’activité qu’il exerce depuis des années en tant qu’informaticien de gestion senior. Il faut donc partir de l’hypothèse d’une carrière sans invalidité (de valide) auprès de cet employeur.

Dans ces circonstances, il est indiqué de se baser sur le dernier salaire perçu par l’assuré auprès de son dernier employeur pour déterminer le revenu sans invalidité. Selon le relevé de du compte individuel, celui-ci s’élevait en moyenne à 181’198 fr. par an entre le 01.07.2011 et le 31.12.2015 (2011 [6 mois] : CHF 89’631.- ; 2012 : CHF 187’179.- ; 2013 : CHF 196’050.-, 2014 : CHF 185’570.-, 2015 : CHF 156’961.-), ce qui, adapté au renchérissement intervenu depuis lors, donne pour l’année de référence 2016 (0,5%) un revenu de CHF 182’104.

 

Revenu d’invalide (consid. 6.2)

On peut se référer à la valeur indiquée dans le tableau T1_tirage_skill_level de l’ESS 2016 pour les hommes travaillant dans le niveau de compétences le plus élevé (c.-à-d. le niveau de compétences 4). Contrairement à l’avis exprimé dans le recours, ce n’est toutefois pas le salaire moyen de 9524 francs qui est pertinent, car il se base sur l’ensemble du secteur des services (ch. 45-96). Le salaire moyen de 9615 francs calculé pour le secteur de l’information et de la communication (ch. 58-63) est beaucoup plus spécifique à la situation professionnelle de l’assuré et donc déterminant. En tenant compte d’un temps de travail de 41,7 heures usuel dans la branche, cette valeur correspond, pour l’année de référence 2016, à un revenu de 120’283.65 francs pour un temps plein (9615 francs : 40 x 41,7 x 12), ce qui donne un revenu d’invalide de 72’170.20 francs pour un pensum de 60%, comme on peut raisonnablement l’exiger de l’assuré.

 

La comparaison des deux revenus (revenu sans invalidité : CHF 182’104 ; revenu d’invalide : CHF 72’170.20) aboutit à un taux d’invalidité de 60,37% resp. 60% (arrondi), ce qui donne droit à trois-quarts de rente. Le jugement attaqué, qui confirme le quart de rente octroyé par l’office AI, viole le droit fédéral et doit être annulé.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_354/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 9C_354/2021 (d) du 03.11.2021, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/02/9c_354-2021)

9C_653/2020 (f) du 03.09.2021 – Suppression par révision d’une allocation pour impotence grave – 42 LAI – 37 RAI – 17 LPGA / Déroulement de l’enquête à domicile non critiquable / Percevoir d’une API de longue date – Pas de violation des règles de la bonne foi

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_653/2020 (f) du 03.09.2021

 

Consultable ici

 

Suppression par révision d’une allocation pour impotence grave / 42 LAI – 37 RAI – 17 LPGA

Déroulement de l’enquête à domicile non critiquable

Percevoir d’une API de longue date – Pas de violation des règles de la bonne foi

Difficultés dans la tenue du ménage n’entrent pas en considération au titre des actes ordinaires de la vie dont il faut tenir compte pour évaluer l’impotence

 

Assuré, né en 1966, a été victime d’un accident de la circulation, à l’âge de 4 1/2 ans, qui a provoqué un TCC avec coma, un hémisyndrome moteur gauche, une paralysie totale du plexus brachial gauche avec luxation sternoclaviculaire gauche et une fracture de la 1ère côte gauche. En raison des séquelles de cet accident, il a bénéficié d’une rente entière de l’assurance-invalidité depuis le 01.11.1992, ainsi que d’une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.12.1987, puis de degré moyen depuis le 01.07.1992. Par décision du 09.03.2000, l’office AI lui a reconnu le droit à une allocation pour impotence grave depuis le 01.03.1998.

Le 07.12.2016, l’assuré a déposé une demande de contribution d’assistance. L’office AI a mis en œuvre une enquête à domicile ainsi qu’un examen neuropsychologique.

Par décision du 29.03.2019, l’office AI a supprimé l’allocation pour impotent dès la fin du mois suivant la notification de la décision. Par une autre décision du même jour, l’administration a refusé l’octroi d’une contribution d’assistance.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 105 + 106  – consultable ici)

Les juges cantonaux ont comparé la situation qui prévalait au moment de la décision d’octroi de l’allocation pour impotent de degré grave, le 09.03.2000, avec celle qui se présentait au moment de la décision de suppression du 29.03.2019. Ils ont mis en évidence que les constatations faites lors de la visite domiciliaire étaient corroborées par les conclusions de l’expertise neuropsychologique, selon lesquelles l’assuré parvient désormais à effectuer seul et sans surveillance les actes ordinaires de la vie quotidienne, au prix d’une certaine lenteur. Ils ont constaté que nonobstant l’apparition de problèmes respiratoires, l’assuré avait, par la force des choses, réussi à se passer de l’aide quotidienne de ses proches, puisqu’il vivait seul depuis le décès de son père en février 2016. Ils ont retenu que les problèmes et difficultés rencontrés par l’assuré notamment dans la gestion de ses affaires administratives ou de son ménage constituaient des éléments qui ne faisaient pas partie des actes ordinaires de la vie susceptibles de justifier une allocation pour impotent.

Quant au besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie (art. 38 RAI), les juges cantonaux l’ont exclu compte tenu des constatations figurant dans le rapport d’enquête domiciliaire. En particulier, ils ont relevé que l’assuré pouvait communiquer sans aide, qu’il disposait d’une vie sociale et était en mesure de se déplacer aisément, alors que le risque d’isolement n’était pas avéré. Dès lors, les conditions d’une allocation pour impotent n’étaient plus justifiées.

Par jugement du 09.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.2

L’assuré se plaint ensuite du déroulement de l’enquête à domicile. Il soutient que l’office AI aurait dû demander à sa sœur, propriétaire de la maison familiale dans laquelle il habite, d’être présente lors de la visite des enquêteurs. A défaut, il s’est retrouvé seul face à deux fonctionnaires masculins de l’office AI, dont il présume qu’ils ne connaissaient rien à la gestion des tâches ménagères.

Cette argumentation n’est pas pertinente. D’une part, l’assuré invoque en vain une violation de la protection de la sphère privée de sa sœur (art. 13 al. 1 Cst.), dès lors que c’est lui seul qui est domicilié dans la maison familiale. D’autre part, le grief relatif aux compétences professionnelles de l’enquêteur et du collaborateur de l’office AI qui l’avait accompagné relève d’un simple parti pris à leur encontre, mais ne porte aucunement sur les critères objectifs posés par la jurisprudence (cf. ATF 140 V 543 consid. 3.2.1) qui ne sont pas abordés. Les juges cantonaux pouvaient donc se fonder sur les conclusions retenues dans le rapport d’enquête du 12 décembre 2017, aucun élément concret ne permettant de remettre en cause sa validité.

 

Consid. 5.3

L’assuré reproche ensuite à l’intimé d’avoir violé les règles de la bonne foi à son égard, car la qualité d’impotent qui lui avait été reconnue durant de très nombreuses années ne l’a subitement plus été, quand bien même son état de santé s’était aggravé.

Par ce grief, l’assuré semble plutôt invoquer une violation de l’art. 17 al. 2 LGPA. L’argumentation qu’il développe à ce sujet en énumérant les atteintes à la santé dont il souffre ne lui est toutefois d’aucun secours. En effet, en ce qui concerne le besoin d’aide de la part de tiers pour accomplir les actes ordinaires de la vie, le besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, le besoin d’une surveillance personnelle et de soins continus (cf. art. 37 et 38 RAI), l’assuré oppose sa propre appréciation de la situation pour évaluer l’impotence à celle des juges cantonaux, sans dire en quoi ceux-ci auraient administré et apprécié les preuves, puis établi les faits déterminants de manière arbitraire (cf. art. 97 al. 1 LTF). En particulier, il n’expose pas en quoi les constatations de l’instance cantonale seraient manifestement erronées, en tant qu’elle a admis qu’il avait réussi à se passer de l’aide quotidienne de ses proches, vivant seul depuis février 2016.

Du rapport d’enquête domiciliaire du 12.12.2017, il ressort que l’assuré est en mesure d’accomplir seul les actes ordinaires de la vie, certes parfois avec lenteur, mais en tout cas dans une mesure qui ne justifie plus le maintien de l’allocation pour impotent. Ces conclusions été corroborées par le rapport d’expertise neuropsychologique, selon lequel l’assuré nécessitait seulement l’aide ponctuelle de sa sœur pour certains soins du corps et la préparation de repas élaborés. Quant aux difficultés observées dans la tenue du ménage, elles n’entrent pas en considération au titre des actes ordinaires de la vie dont il faut tenir compte pour évaluer l’impotence. De plus, en tant qu’il se limite à invoquer le « chaos total » régnant dans son habitat, l’assuré ne remet pas sérieusement en cause les constatations de la juridiction cantonale sur l’absence de besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_653/2020 consultable ici

 

 

9C_239/2021 (f) du 14.12.2021 – Valeur probante du rapport d’expertise – 44 LPGA / Assuré de plus de 55 ans – Exigibilité sans examen préalable de mesures de réadaptation

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_239/2021 (f) du 14.12.2021

 

Consultable ici

 

Valeur probante du rapport d’expertise / 44 LPGA

Assuré de plus de 55 ans – Exigibilité sans examen préalable de mesures de réadaptation

 

1e demande AI le 15.05.1987 : assuré, manœuvre, présentant les séquelles incapacitantes d’une fracture-luxation du coude gauche. Les mesures de réadaptation mises en œuvre durant la procédure ayant permis à l’assuré de retrouver un emploi qui excluait le versement d’une rente d’invalidité, le dossier a été classé le 13.10.1992.

2e demande le 05.06.2008 : considérant que les suites de deux opérations réalisées à cause d’une rechute de l’atteinte au coude gauche n’empêchaient pas l’exercice, à plein temps mais avec diminution de rendement de 20%, d’une activité adaptée qui excluait le droit à la rente, l’office AI a rejeté la nouvelle requête de prestations (décision du 12.02.2009, confirmée tant au niveau cantonal que fédéral [arrêt 9C_467/2012 du 25.02.2013]).

3e demande le 07.11.2016 : se fondant essentiellement sur une expertise pluridisciplinaire réalisée (rapport du 15.01.2019), dont les auteurs avaient pris position sur les critiques émises par les médecins traitants, l’administration a à nouveau nié le droit de l’intéressé à une rente d’invalidité (décision du 22.11.2019).

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2020 8 – consultable ici)

Par jugement du 22.02.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Valeur probante du rapport d’expertise

Pour reconnaître valeur probante à l’expertise administrative, la juridiction cantonale s’est fondée en tout point sur les exigences tirées de la jurisprudence en la matière. Pour le reste, elle a expliqué de manière convaincante les raisons pour lesquelles elle faisait siennes les conclusions de l’expertise (à savoir, le fait que l’expert psychiatre a expliqué d’une façon circonstanciée pourquoi il excluait les diagnostics retenus par le psychiatre traitant, que l’avis de ce dernier était succinct et peu motivé, que l’expert, spécialiste en chirurgie orthopédique, avait également détaillé les raisons pour lesquelles il se distançait de l’avis des médecins traitants au sujet des seules questions controversées quant à l’exigibilité d’une activité adaptée ou à l’existence d’une détérioration de la situation et que tous les médecins consultés s’entendaient pour attester une capacité résiduelle de travail).

Or l’assuré se contente de présenter sa propre version des faits qui s’écarte ou complète celle constatée dans l’arrêt attaqué sans démontrer qu’elle serait manifestement inexacte ou arbitraire. Cette façon d’argumenter ne remplit pas les exigences de motivation dès lors que fait défaut une critique circonstanciée de l’appréciation de la juridiction cantonale (cf. ATF 145 V 188 consid. 2 et les références), dont il n’y a pas lieu de s’écarter.

 

Assuré de plus de 55 ans – Examen préalable de mesures de réadaptation

L’assuré fait enfin grief à la juridiction de première instance de ne pas avoir mis œuvre des mesures de réadaptation en raison de son âge (56 ans) à l’époque de la décision litigieuse et de son incapacité de travailler depuis plusieurs années.

Cette argumentation n’est pas fondée. L’assuré omet effectivement de prendre en compte que la jurisprudence citée à l’appui de son grief (cf. l’arrêt 9C_276/2020 du 18 décembre 2020) implique nécessairement la réduction ou la suppression d’une rente d’invalidité ou bien l’allocation d’une rente échelonnée et/ou limitée dans le temps (cf. ATF 145 V 209 consid. 5), ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_239/2021 consultable ici

 

 

8C_627/2021 (d) du 25.11.2021 – Abattement sur le revenu d’invalide fixé selon l’ESS

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_627/2021 (d) du 25.11.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide – Capacité de travail entière avec baisse de rendement de 30% (CT exigible : 70%)

Abattement sur le revenu d’invalide fixé selon l’ESS / 16 LPGA

Pas d’abattement en raison de l’âge (même si cotisations LPP plus élevées) ni pour les difficultés linguistiques et analphabétisme

 

Assuré, né en 1964, a été employé en dernier lieu du 01.10.2010 au 05.09.2017 en tant qu’ouvrier du bâtiment. Son dernier jour de travail a été le 09.07.2015. Le 15.07.2015, il a subi une décompression microchirurgicale du disque L5/S1 gauche. Le 05.11.2015, l’assuré a déposé une demande AI. D’autres opérations du dos ont eu lieu les 14.03.2016 et 14.09.2016. L’office AI a accordé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.07.2016 au 30.09.2017 et une demi-rente d’invalidité du 01.10.2017 au 31.12.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2021.00339 – consultable ici)

Par jugement du 08.10.2020, le tribunal cantonal a partiellement admis le recours de l’assuré, réformant la décision en ce sens que le droit de l’assuré à une rente entière du 01.07.2016 au 30.09.2017, un trois-quarts de rente du 01.10.2017 au 31.12.2018 et un quart de rente à partir du 01.01.2019 lui est reconnu (dispositif ch. 1).

Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours formé par l’assuré contre cette décision. Il a annulé le chiffre 1 du dispositif du jugement cantonal dans la mesure où il concernait le droit à un quart de rente à partir du 01.01.2019. Il a renvoyé l’affaire à la juridiction cantonale pour nouvelle décision (arrêt 8C_761/2020 du 29 avril 2021).

Par jugement du 29.06.2021, le tribunal cantonal a confirmé le ch. 1 du dispositif de son jugement du 08.10.2020. Sur le plan médical, l’instance cantonale a considéré en substance que les rapports du médecin du SMR, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, avaient valeur de preuve. Le médecin du SMR a démontré de manière compréhensible que l’assuré n’était plus capable de travailler dans son activité habituelle d’ouvrier du bâtiment et que l’assuré avait une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée à partir du 28.06.2017 et à 70% dès le 17.09.2018 (présence toute la journée avec rendement réduit de 30% en raison d’un besoin accru de pauses).

 

TF

Sur la base de l’arrêt de renvoi du Tribunal fédéral 8C_761/2020 du 29.04.2021 (ci-après : arrêt de renvoi), il est établi, sur la base du rapport du médecin du SMR, que l’assuré est capable de travailler à 70% dans des activités légères adaptées à son état de santé, avec une présence toute la journée (rendement réduit de 30% en raison d’un besoin accru de pauses) (sur le caractère contraignant des arrêts de renvoi du Tribunal fédéral, cf. ATF 135 III 334 consid. 2 ; 117 V 237 consid. 2a ; cf. également arrêt 8C_530/2019 du 20 novembre 2019 consid. 4). En outre, selon l’arrêt de renvoi, le revenu d’invalide doit être calculé sur la base du tableau TA1 de l’ESS 2016, valeur centrale des salaires mensuels bruts des hommes dans le domaine « Total » du secteur privé, niveau de compétences 1. Le revenu raisonnablement exigible est ainsi de 46’762 francs par an (taux d’occupation de 70%).

Selon l’arrêt de renvoi, l’instance cantonale devait uniquement juger si un abattement devait être effectuée sur ce revenu de 46 762 francs, conformément à l’ATF 126 V 75.

Consid. 5.2

Il est peut-être vrai que les travailleurs avec un rendement réduit utilisent l’infrastructure de l’employeur de manière plus inefficace et donc plus coûteuse que les travailleurs ayant un rendement illimité. Toutefois, il n’existe pas d’indices suffisants pour que cet effet ne soit pas compensé par les avantages de la présence du travailleur toute la journée (cf. arrêt 8C_211/2018 du 8 mai 2018 consid. 4.4 et les références). Il n’y a pas de raison apparente de déroger à cette règle (à ce sujet, cf. ATF 145 V 304 consid. 4.4).

 

Consid. 6.2

L’assuré fait valoir que les charges salariales plus élevées pour les cotisations patronales de prévoyance professionnelle ne sont pas prises en compte dans le salaire médian de l’ESS et que ce désavantage ne peut pas être compensé par des ressources, des compétences et/ou des capacités supérieures à la moyenne. Au contraire, l’assuré ne pourrait offrir sur le marché que des prestations inférieures à la moyenne. Un employeur aurait pour lui, par rapport à un jeune qui débute, des coûts supérieurs de plus de 6% rien que pour les cotisations LPP.

Selon le TF : Le seul fait qu’il y ait des charges salariales plus élevées et une durée d’activité plus courte ne justifie pas une déduction en raison du facteur « âge », car cela vaut pour tous les travailleurs et ne tient pas compte du cas particulier. En l’absence de bases statistiques fiables montrant les désavantages salariaux de l’âge avancé en cas de perte d’emploi, il n’est entre-temps pas possible d’en juger de manière générale et abstraite (arrêt 8C_841/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.2.2.3).

 

Consid. 6.3

L’instance cantonale a considéré, eu égard à l’âge de l’assuré, qu’il avait travaillé pendant de nombreuses années comme ouvrier du bâtiment et qu’il avait également de l’expérience dans d’autres branches (service, cuisine, agriculture). Il pourrait profiter de sa longue expérience sur le marché du travail équilibré, d’autant plus qu’il dispose d’un très bon certificat de travail de son dernier employeur. Rien n’indique que sa capacité d’adaptation et d’apprentissage soit altérée. De même, au vu de son parcours professionnel réussi, rien n’indiquerait que ses capacités de négociation seraient limitées et qu’il serait concrètement désavantagé dans sa recherche d’emploi par rapport à d’autres candidats.

Selon le TF (consid. 6.3.2) : L’argument selon lequel ses activités antérieures dans le service, la cuisine et l’agriculture remontent à trop longtemps et ne peuvent plus être exigées de lui en raison de son état de santé n’est pas pertinent. En effet, cela ne change rien au fait que, selon la constatation des juges cantonaux qui n’est pas manifestement erronée, il dispose d’une longue expérience professionnelle dont il peut profiter sur un marché du travail équilibré. En particulier, il dispose d’une longue familiarité avec les postes de travail en Suisse depuis les années 1983 à 2000 et depuis janvier 2003 jusqu’à son dernier jour de travail le 09.07.2015. L’assuré ne fait pas valoir que son revenu en Suisse avant la survenance de l’invalidité ne correspondait pas aux revenus usuels de la branche ou qu’il était inférieur à la moyenne (cf. aussi ATF 146 V 16 consid. 6.2.3 et consid. 7.2.2). Il n’y a pas non plus de raison de supposer qu’il aurait été désavantagé sur le plan salarial dans une activité lucrative légère adaptée à son état de santé.

 

Consid. 7

L’assuré objecte en outre qu’après plus de 31 ans d’activité professionnelle en Suisse, il ne parle pas l’allemand. Cela le pénalise par rapport à ses concurrents sur le marché du travail, et ce aussi bien en ce qui concerne la communication et l’employabilité dans l’entreprise que la capacité de négociation. L’office AI n’aurait même pas pu lui proposer un placement, faute de connaissances linguistiques. Pour la recherche d’un emploi, il a dû faire appel à un prestataire de services qu’il a lui-même payé. L’analphabétisme va bien au-delà du manque de connaissances linguistiques et écrites. Il n’entre donc pas en ligne de compte pour des tâches de bureau et des fonctions de surveillance.

Selon le TF (consid. 7.2) : Au vu de l’activité lucrative que l’on peut raisonnablement attendre de l’assuré dans le niveau de compétence le plus bas, à savoir le niveau 1, il n’est pas possible de justifier dans la pratique un abattement sur le revenu statistique en raison de difficultés linguistiques ou d’analphabétisme (arrêts 8C_151/2020 du 15 juillet 2020 consid. 6.3.4 et 8C_328/2011 du 7 décembre 2011 consid. 10.2). Compte tenu également des activités professionnelles qu’il exerce depuis de nombreuses années en Suisse, on ne voit pas pourquoi l’assuré ne serait pas en mesure d’exercer des activités physiques légères ne nécessitant pas de connaissances linguistiques ou scolaires particulières (cf. consid. 6.3 ci-dessus ; arrêt 8C_370/2020 du 15 octobre 2020 consid. 11.2.2.1).

Le fait que la recherche d’emploi de l’assuré est rendue plus difficile pour des raisons linguistiques est, d’une part, étranger à l’invalidité et, d’autre part, sans pertinence dans le cadre de la question de l’abattement.

 

En conclusion, le TF confirme l’absence d’abattement et rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_627/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_627/2021 (d) du 25.11.2021 – Abattement sur le revenu d’invalide fixé selon l’ESS, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/02/8c_627-2021)

9C_338/2021 (f) du 18.11.2021 – Refus de prise en charge, à titre de prestations couvertes par la LAMal, des coûts de l’huile de cannabis utilisée à titre thérapeutique

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2021 (f) du 18.11.2021

 

Consultable ici

 

Refus de prise en charge, à titre de prestations couvertes par la LAMal, des coûts de l’huile de cannabis utilisée à titre thérapeutique / 25 al. 2 let. b LAMal – 32 ss LAMal – 52 al. 1 LAMal – 34 OAMal – 35a OAMal – 63 ss OAMal – 29 ss OPAS

Absence de bénéfice thérapeutique élevé en l’espèce

Rappel que l’efficacité doit être démontrée selon des méthodes scientifiques

 

Assurée, souffrant notamment d’une arthrite rhumatoïde occasionnant de fortes douleurs, a présenté à sa caisse-maladie une demande de prise en charge pour de l’huile de cannabis, par l’intermédiaire de son médecin traitant. Par décision, confirmée sur opposition, la caisse-maladie a rejeté la demande.

 

Procédure cantonale (arrêt AM 39/20 – 17/2021 – consultable ici)

Retenant que le traitement en cause est une formule magistrale au sens de l’art. 9 al. 2 let. b de la Loi fédérale du 15 décembre 2000 sur les médicaments et les dispositifs médicaux (Loi sur les produits thérapeutiques [LPTh]), dont le principe actif (le tétrahydrocannabinol) ne figure pas dans la liste des médicaments avec tarifs (LMT), la juridiction cantonale a examiné s’il remplissait les conditions posées par l’art. 71b al. 1 OAMal, en relation avec l’art. 71a al. 1 let. b OAMal, pour être pris en charge par l’assurance obligatoire des soins. Elle a nié cela en considérant que le traitement par huile de cannabis ne remplissait pas la condition du bénéfice thérapeutique élevé (au sens de l’art. 71a al. 1 let. b OAMal).

Par jugement du 27.04.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon la jurisprudence, dûment rappelée par les juges cantonaux, la question de savoir s’il existe un bénéfice thérapeutique élevé – en tant que condition pour la prise en charge d’un médicament ne figurant pas dans la liste des spécialités ou d’une préparation magistrale (cf. art. 71b al. 1 OAMal, en relation avec l’art. 71a al. 1 let. b OAMal) – est une question de droit, qui doit être jugée en fonction non seulement du cas d’espèce, mais aussi d’un point de vue général. La preuve doit être apportée au moyen d’études cliniques publiées ou au moyen d’autres résultats scientifiques publiés (ATF 144 V 333 consid. 11.1.3 et les références citées).

Or en l’occurrence, l’assurée ne démontre pas, pas plus qu’elle ne l’allègue, que des études répondant aux critères scientifiques exigés par la LAMal établiraient que l’huile de cannabis présente un bénéfice thérapeutique élevé, que ce soit en lien avec l’arthrite rhumatoïde dont elle est atteinte ou en relation avec le traitement d’autres pathologies. A cet égard, comme l’ont expliqué de manière circonstanciée les premiers juges, en se référant notamment au Rapport du Conseil fédéral en réponse à la motion Kessler (14.4164) « Traiter les personnes gravement malades avec du cannabis » du 7 juillet 2018, en l’état actuel des connaissances, les preuves scientifiques sont globalement insuffisantes pour répondre aux exigences du droit de l’assurance-maladie pour une prise en charge des coûts pour les médicaments à base de cannabis. Seule l’efficacité du Sativex®, pour l’atténuation des symptômes de spasticité modérée à sévère due à une sclérose en plaques, a pu être démontrée. On ajoutera que dans le cadre de la révision de la Loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup), l’absence de données permettant d’établir l’efficacité des médicaments à base de cannabis a à nouveau été constatée par le Conseil fédéral, qui a indiqué que ces médicaments ne sont donc pas remboursés par l’assurance-maladie obligatoire des soins (cf. Message du 24 juin 2020 concernant la modification de la loi fédérale sur les stupéfiants [Médicaments à base de cannabis], FF 2020 5875 [5876 et 5883-5884]). Cette modification, qui a été adoptée le 19 mars 2021 (Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes [Loi sur les stupéfiants, LStup], Modification du 19 mars 2021, FF 2021 666), vise essentiellement à lever l’interdiction légale de commercialiser, à des fins médicales, des stupéfiants ayant des effets de type cannabique en vue de simplifier leur utilisation et ne porte pas sur les questions relatives au remboursement, qui relèvent du droit de l’assurance-maladie (FF 2020 5875 [5876, 5887 et 5902]).

Pour le surplus, en ce qu’elle s’apparente à une demande de changement de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l’argumentation de l’assurée, selon laquelle la jurisprudence relative aux « cas d’application des art. 71 ss OAMal » devrait être précisée afin que les effets bénéfiques d’un traitement soient appréciés à l’aune de son efficacité ressentie par le patient, c’est-à-dire en se fondant sur des éléments « essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, subjectifs », n’est pas non plus fondée. Un changement de jurisprudence ne se justifie, en principe, que lorsque la nouvelle solution procède d’une meilleure compréhension de la ratio legis, repose sur des circonstances de fait modifiées ou répond à l’évolution des conceptions juridiques; sinon, la pratique en cours doit être maintenue. Un changement doit par conséquent reposer sur des motifs sérieux et objectifs qui, dans l’intérêt de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne (ATF 144 V 72 consid. 5.3.2; 142 V 112 consid. 4.4 et les références). Ces conditions ne sont pas remplies en l’espèce. Les critiques développées par l’assurée ne tiennent en effet pas compte du fait que selon l’art. 32 al. 1 LAMal, les prestations remboursées par l’assurance-maladie sociale doivent être efficaces, appropriées et économiques et que l’efficacité doit être démontrée selon des méthodes scientifiques. Or en l’espèce, l’efficacité de l’huile de cannabis n’est pas établie d’un point de vue général, que ce soit sous l’angle de l’art. 32 LAMal ou de l’art. 71a OAMal, en relation avec l’art. 71b OAMal. En conséquence les coûts du traitement litigieux ne doivent pas être pris en charge par l’assurance obligatoire des soins.

En l’absence d’études cliniques publiées ou d’autres résultats scientifiques publiés établissant que l’huile de cannabis présente un bénéfice thérapeutique élevé, c’est à bon droit que les premiers juges ont laissé ouverte la question de savoir s’il existait, en l’espèce, une alternative thérapeutique, quoi qu’en dise l’assurée à cet égard. Pour cette même raison, c’est en vain que l’assurée rappelle les motifs pour lesquels le traitement à base d’huile de cannabis lui a été prescrit (diagnostics de maladies graves engageant son pronostic vital et nécessité d’assouvir le besoin vital de se nourrir, notamment). L’existence d’un bénéfice thérapeutique élevé contre une maladie susceptible d’être mortelle pour l’assuré ou de lui causer des problèmes de santé graves et chroniques, ainsi que l’absence d’alternative thérapeutique au sens de l’art. 71a al. 1 lit. b OAMal, en relation avec l’art. 71b al. 1 OAMal, sont en effet des conditions qui doivent être remplies de manière cumulative pour fonder l’obligation de l’assurance obligatoire des soins de prendre en charge les coûts d’un médicament prêt à l’emploi autorisé par l’institut qui ne figure pas dans la liste des spécialités.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_338/2021 consultable ici

 

 

9C_308/2017 (d) du 17.05.2018 – Travailleur dépendant vs indépendant – Statut de cotisant AVS / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_308/2017 (d) du 17.05.2018, publié aux ATF 144 V 111

 

Arrêt 9C_308/2017 consultable ici
ATF 144 V 111 consultable ici

Paru in : Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS – Sélection de l’OFAS – no 63 (disponible ici)

 

Travailleur dépendant vs indépendant – Statut de cotisant AVS / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

 

Le litige porte sur la question de savoir si le travail à temps partiel de l’assurée dans un institut en tant que psychothérapeute est une activité indépendante ou salariée.

Conformément à l’accord entre l’institut et la personne assurée, cette dernière peut utiliser une salle de thérapie et l’infrastructure du cabinet de psychothérapie pour une journée et demie par semaine, moyennant une contribution forfaitaire aux coûts. La personne assurée figure sur la page d’accueil de l’institut en tant que membre de l’équipe clinique. Cela signifie qu’il n’y a ni frais de publicité ni investissements substantiels. Bien que l’assurée doive supporter le risque de recouvrement et de ducroire, en cas de défaillance économique, moyennant un délai de préavis convenu de trois mois, elle peut se libérer dans un délai relativement court, sans perte de substance (pas d’obligation en ce qui concerne les salaires des salariés ou les locations à long terme). De ce fait, la personne assurée n’a pas à supporter de risque d’entreprise (consid. 6.2.1).

Certains éléments parlent en faveur de l’indépendance de l’assuré en matière d’organisation du travail (libre choix des patients et détermination des honoraires, pas d’interdiction de concurrence). Par contre, toutes les séances de thérapie ont lieu à l’Institut, ce qui révèle une incorporation de facto du point de vue de l’organisation du travail. Par ailleurs, en plus du nom de la personne assurée l’adresse de l’Institut figure également sur les factures, ce qui empêche de conclure que la personne apparaît envers les tiers comme agissant en son propre nom. Il en va de même pour la seule présence publicitaire de l’assurée se trouvant sur la page d’accueil de l’Institut (consid. 6.3.1). L’accord, selon lequel l’assurée participe « autant que possible » à des réunions cliniques internes et à des formations continues, indique également que l’assurée exerce une activité dépendante, car cela sert à satisfaire aux exigences qualitatives de l’institution et conduit à une intégration économique et scientifique (consid. 6.3.3.3). Est considéré en outre comme révélateur d’une relation de subordination comparable à un rapport salarié, le fait que la personne assurée doit se conformer à une obligation extrêmement étendue d’assurer les exigences qualitatives de l’institut et de contribuer au développement de nouveaux services aux patients (consid. 6.3.4). Selon le Tribunal fédéral, les critères en présence ne parviennent pas à faire pencher la balance du côté d’une l’activité lucrative indépendante, partant, la personne assurée est considérée comme étant salariée (consid. 6.4).

 

 

Arrêt 9C_308/2017 consultable ici
ATF 144 V 111 consultable ici

Paru in : Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS – Sélection de l’OFAS – no 63 (disponible ici)

Rechtsprechung des Bundesgerichts zum AHV-Beitragsrecht (Auswahl des BSV) – Nr. 63 : AHV-rechtliches Beitragsstatut

 

 

9C_436/2021 (d) du 10.12.2021 – Cotisations AVS – Obligation de cotiser au titre de la propriété immobilière initialement dans la fortune commerciale / 4 al. 1 LAVS – 9 al. 1 LAVS – 17 RAVS – 18 al. 2 LIFD

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_436/2021 (d) du 10.12.2021

 

Consultable ici

Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS – Sélection de l’OFAS no 77 du 19.01.2022 disponible ici

 

Cotisations AVS – Obligation de cotiser au titre de la propriété immobilière initialement dans la fortune commerciale / 4 al. 1 LAVS – 9 al. 1 LAVS – 17 RAVS – 18 al. 2 LIFD

 

Si la propriété immobilière se trouve initialement dans la fortune commerciale et qu’après des investissements, il faut partir du principe qu’elle est désormais utilisée principalement à des fins privées, elle doit continuer à être attribuée à la fortune commerciale jusqu’à son transfert dans la fortune privée. Jusqu’à ce moment-là, les revenus y afférents sont soumis à l’obligation de cotiser. Cas d’application de la jurisprudence de l’ATF 140 V 241 consid. 4.2 et de l’ATF 134 V 250 consid. 5.2 (consid. 4.3).

En 1993, le requérant a repris de son père une entreprise de construction, qu’il a poursuivie jusqu’en 2020. Sur le terrain qui lui appartenait se trouvait un atelier à usage professionnel sur lequel des appartements ont été construits par la suite. En 2004, il est devenu propriétaire de l’immeuble et a fait construire pour lui-même un appartement en attique.

La qualification du bien immobilier est contestée devant le Tribunal fédéral. S’il fait partie de la fortune privée, aucune cotisation n’est due sur les revenus correspondants. En revanche, s’il s’agit d’une fortune commerciale, les revenus sont soumis à cotisations.

L’instance précédente reconnaît que les revenus locatifs de l’immeuble et de l’appartement situé en attique habité par le propriétaire parlent, certes, en faveur d’une utilisation principalement privée, mais qu’il n’y a pas eu de transfert fiscal dans la fortune privée jusqu’à la période déterminante de 2015. De plus, le financement par des tiers est important et la surface commerciale est plus grande que la surface utilisée à des fins privées.

Le Tribunal fédéral renvoie à sa jurisprudence de l’ATF 140 V 241 et de l’ATF 134 V 250 concernant le traitement en matière de cotisations de la propriété immobilière gérée dans la fortune commerciale lorsque l’activité commerciale est abandonnée. Tant que le transfert juridique de l’immeuble de la fortune commerciale à la fortune privée et la soumission à impôts et à cotisations correspondante du bénéfice de transfert n’ont pas eu lieu, les revenus provenant d’immeubles commerciaux sont considérés comme des revenus d’activité lucrative et sont soumis à l’obligation de cotiser (E. 4.2).

Cette jurisprudence s’applique également aux cas où, après des investissements, il faut partir du principe que l’utilisation de l’immeuble est désormais principalement privée (consid. 4.3).

 

 

Arrêt 9C_436/2021 consultable ici

Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS – Sélection de l’OFAS no 77 du 19.01.2022 disponible ici

 

Centre de déclaration au sujet des expertises de l’AI : Graves défauts de qualité des expertises médicales

Centre de déclaration au sujet des expertises de l’AI : Graves défauts de qualité des expertises médicales

 

Communiqué de presse d’Inclusion Handicap du 26.01.2022 consultable ici

 

Il ressort d’une évaluation du Centre de déclaration en matière d’expertises de l’AI que certains instituts d’expertise et expert-e-s maintes fois cités n’ont pas respecté certaines conditions de base essentielles à l’établissement d’une expertise. La grande majorité des personnes concernées fait état d’un mauvais climat lors de l’entretien, du désintérêt à leur égard et de manquements dans le déroulement de l’entretien. Par conséquent, l’association faîtière des organisations de personnes handicapées demande à la commission d’assurance qualité, qui fait office d’organe de surveillance, ainsi qu’aux responsables au sein de l’AI d’analyser la collaboration avec les instituts d’expertise et les expert-e-s qui ne respectent pas les standards de qualité minimaux.

Les expertises médicales jouent un rôle déterminant dans l’évaluation de la capacité de travail des personnes en situation de handicap et donc aussi de leurs droits à une rente de l’AI. C’est pourquoi il est d’une très haute importance que le processus d’expertise soit équitable. Or, l’évaluation des déclarations faites par des personnes assurées entre fin février 2020 et fin octobre 2021 met en évidence de graves défauts de qualité de la part de certains instituts d’expertises et expert-e-s épinglés par un grand nombre de personnes assurées. 74% des personnes concernées qualifient le climat durant l’entretien de très mauvais ou mauvais. 87% d’entre elles signalent même que les expert-e-s ne se sont aucunement ou quasiment pas intéressés à leur atteinte à la santé, leur handicap ou toute autre limitation de leurs capacités. Dans un mauvais climat lors de l’entretien, sans intérêt manifesté à l’égard de la personne examinée et avec des manquements dans le déroulement de l’entretien, il n’est en effet pas possible d’établir des expertises qui soient d’une qualité suffisante.

 

Nouvelles dispositions de l’AI certes importantes, mais insuffisantes à elles seules

Les nouvelles réglementations des expertises médicales, p. ex. l’amélioration de la transparence par l’enregistrement sonore de l’entretien d’expertise, doivent être saluées. « Les nouveautés applicables depuis le 1.1.2022 n’améliorent toutefois pas à elles seules la situation de l’ensemble des personnes assurées », dit Petra Kern, cheffe du Département Assurances sociales chez Inclusion Handicap. « Les instituts d’expertise et les expert-e-s douteux sont connus de tous. Il convient donc d’analyser la collaboration avec eux. Les cas basés sur leurs expertises doivent être passés au crible et le droit à la rente des personnes concernées est à réexaminer. » Inclusion Handicap s’engage afin que la commission d’assurance qualité des expertises médicales, qui vient d’être créée, définisse les critères et processus d’expertise de sorte à faciliter l’éviction des expertises d’une qualité insuffisante.

 

Soutien aux personnes concernées lors de l’attribution des expertises AI

Les expertises sont trop souvent attribuées et rédigées dans le but qu’il n’en résulte si possible aucune rente AI. Selon la nouvelle réglementation applicable depuis le 1.1.2022, les expertises monodisciplinaires de l’AI ne donnent lieu à une procédure de conciliation que si la personne se prononce activement contre l’expert-e désigné-e par l’AI. Or, cela ne change malheureusement pas grand-chose au fait que certains offices AI attribuent les mandats d’expertise de façon volontairement axée sur le résultat. Il est d’autant plus important que les personnes assurées aient le moyen d’éviter les expert-e-s peu sérieux. À cette fin, Inclusion Handicap met à disposition sur son site Web, avec effet immédiat, des informations et aides concernant le processus d’attribution des expertises et la marche à suivre en cas de récusation de l’expert-e.

 

Infobox Centre de déclaration

Des articles parus dans les médias fin 2019 ont mis en lumière de façon réitérée un certain nombre de dysfonctionnements dans le domaine des expertises médicales. Ils ont donné lieu à plusieurs interventions politiques au Parlement. Par la suite, le conseiller fédéral Alain Berset a annoncé le lancement d’une enquête externe chargée d’analyser ces dysfonctionnements et de déterminer les mesures à prendre. Les résultats sont disponibles depuis l’automne 2020. Inclusion Handicap a salué le lancement de cette analyse externe et mis en ligne, début 2020, un Centre de déclaration en matière d’expertises de l’AI. Entre février 2020 et octobre, plus de 700 déclarations ont été recensées, émanant de personnes assurées, de leurs représentant-e-s légaux et médecins traitants. L’évaluation de 613 déclarations effectuées par des personnes assurées entre fin février 2020 et fin octobre 2021 a permis de détecter un grand nombre de dysfonctionnements. Le rapport, dont certains passages ont été noircis pour des raisons de protection des données, peut être obtenu ici. Le Centre de déclaration reste opérationnel.

 

 

Communiqué de presse d’Inclusion Handicap du 26.01.2022 consultable ici

Rapport d’évaluation des déclarations au sujet des expertises AI consultable ici

 

 

9C_295/2021 (d) du 23.11.2021 – Expertise médicale et besoin du recours à un interprète – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_295/2021 (d) du 23.11.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Expertise médicale et besoin du recours à un interprète / 44 LPGA

Pas de recours nécessaire à un interprète pour un assuré ayant des connaissances linguistiques suffisamment élaborées

 

Assuré, né en 1966 et ayant grandi au Pakistan, a travaillé de 1988 à 2010 principalement comme aide de cuisine dans des restaurants en France et en Allemagne, avant de venir en Suisse en 2011. Du 1er novembre 2011 au 31 janvier 2018 (licenciement par l’employeur), il a été employé en tant qu’aide de cuisine ou collaborateur d’équipe au ménage dans un restaurant. Il a également travaillé dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie.

En novembre 2017, l’assuré a déposé une demande AI en raison de cervicobrachialgies résistantes au traitement. L’office AI a procédé aux investigations usuelles et a également consulté le dossier constitué par l’assurance d’indemnités journalières en cas de maladie. Une expertise pluridisciplinaire a été mise en œuvre (rapport du 24.04.2020). Par décision du 19.10.2020, l’office AI a nié tout droit à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2020.00816 – consultable ici)

Se fondant sur l’expertise pluridisciplinaire du 24.04.2020, l’instance cantonale a constaté que l’assuré présentait depuis mai 2017 une incapacité de travail totale dans son activité habituelle et une incapacité de travail de 20% dans une activité adaptée.

Les juges cantonaux ont constaté que l’assuré, qui séjourne en Suisse depuis 2011, disposait de connaissances linguistiques suffisamment élaborées et que, par conséquent, le recours à un interprète n’était pas nécessaire dans les domaines spécialisés non psychiatriques dans lesquels l’examen était au premier plan.

La comparaison des revenus effectuée par l’office AI sur cette base est correcte et le droit à une rente doit en conséquence être nié.

Par jugement du 30.03.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Expertise médicale et interprète

Consid. 4.1.1

L’expert doit décider, dans le cadre de l’exécution soigneuse de son mandat, si un examen médical dans la langue maternelle de la personne expertisée ou si le recours à un traducteur s’impose dans un cas particulier. Une importance particulière est accordée à la meilleure compréhension possible entre l’expert et la personne assurée dans le cadre d’examens psychiatriques. Dans ce cas, une bonne exploration présuppose des connaissances linguistiques approfondies de part et d’autre. Si l’expert ne maîtrise pas la langue de la personne expertisée, il semble médicalement et objectivement nécessaire qu’il fasse appel à une aide à la traduction (arrêts 9C_362/2020 du 21 octobre 2020 consid. 3.3.1; 8C_578/2014 du 17 octobre 2014 consid. 4.2.5; 9C_509/2010 du 4 février 2011 consid. 4.1.1; I 748/03 du 3 mars 2004 consid. 2.1). Les lignes directrices de qualité pour les expertises psychiatriques d’assurance de la Société suisse de psychiatrie et psychothérapie SSPP (disponibles sur www.psychiatrie.ch) prévoient que « [l]e mandant signale au préalable les difficultés linguistiques connues, ce qui permet d’avoir recours dès le début à des interprètes professionnels pour les personnes expertisées de langue étrangère » [dans la version française des lignes directrices ; dans la version allemande (reprise le TF) : « Dies zieht den niederschwelligen Einsatz von professionellen Dolmetschern bei fremdsprachigen Exploranden nach sich »].

La question de savoir si, dans les circonstances concrètes et en fonction des éléments exposés, la compréhension linguistique entre l’expert et la personne expertisée est suffisamment possible pour garantir la fiabilité de l’expertise relève de l’appréciation des preuves et donc de la constatation des faits. La valeur probante de l’expertise n’est pas amoindrie lorsque les circonstances permettent d’exclure que l’absence de traduction ait eu un impact important sur l’appréciation de l’expert (arrêts 9C_362/2020 du 21 octobre 2020 consid. 3.3.1 ; 8C_578/2014 du 17 octobre 2014 consid. 4.2.6).

 

Consid. 4.1.4

Le fait que le rapport d’expertise neurochirurgicale mentionne que l’assuré dispose certes d’un langage relativement nuancé, mais qu’il répond parfois très lentement ou par des silences ne plaide pas non plus en faveur de la nécessité d’un interprète. En effet, cette déclaration d’expertise prouve que l’assuré peut s’exprimer de manière claire et précise, et rien n’indique dans ce contexte que le ralentissement dans les réponses ou le silence aux questions posées par l’expert aurait été dû à des connaissances linguistiques insuffisantes.

 

Consid. 4.1.5

Il convient toutefois d’approuver l’assuré dans la mesure où l’expertise rhumatologique mentionne des difficultés de compréhension avec le passage « tout n’est pas toujours compris, il n’y avait pas d’interprète présent » (dans le paragraphe « Observations du comportement et apparence extérieure »). Toutefois, il est question ailleurs d’une compréhension en allemand (dans le paragraphe « compréhension linguistique ») ou de « connaissances assez bonnes en allemand » (dans le paragraphe « ressources »). Dans la mesure où il y a eu des lacunes linguistiques, celles-ci semblent avoir été de nature secondaire, car la section « Questionnement », où elles auraient eu le plus d’impact, ne donne aucune indication à ce sujet. Au contraire, les descriptions détaillées de l’assuré, reproduites à cet endroit, donnent l’impression que sa capacité de communication n’était pas entravée. Par ailleurs, l’experte en rhumatologie aurait mentionné s’il y avait eu une incapacité linguistique compliquant l’établissement du diagnostic et l’évaluation de la capacité de travail et pertinente à cet égard.

 

Consid. 4.1.6

Enfin, les explications fournies dans les expertises dans les domaines de la neurologie et de la médecine interne confirment que les connaissances linguistiques ne constituaient pas un obstacle à une expertise fiable. Selon ces expertises, la compréhension linguistique pouvait se faire sans problème en allemand ou en allemand avec un accent étranger ; aucune restriction n’a été constatée.

 

Consid. 4.1.7

Il en résulte que les constatations de l’instance cantonale concernant les possibilités de compréhension de l’assuré ne sont pas manifestement erronées (insoutenables, arbitraires ; cf. ATF 144 V 20 consid. 4.2 ; 135 II 145 consid. 8.1). Elles ne reposent pas non plus sur une violation du droit, raison pour laquelle elles restent contraignantes pour le Tribunal fédéral. L’instance cantonale a reconnu, conformément au droit fédéral, que le recours à un interprète n’était pas nécessaire dans les domaines non psychiatriques.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_295/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 9C_295/2021 (d) du 23.11.2021 – Expertise médicale et besoin du recours à un interprète, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/01/9c_295-2021)

4A_330/2021 (d) du 05.01.2022, destiné à la publication – Absence de couverture d’assurance pour une perte d’exploitation due à la pandémie de coronavirus

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_330/2021 (d) du 05.01.2022, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

 

Absence de couverture d’assurance pour une perte d’exploitation due à la pandémie de coronavirus

Conditions générales d’assurance faisant partie intégrante du contrat – Règle dite de l’insolite

Interprétation des conditions générales – Règle dite de l’ambiguïté (règle « in dubio contra assicuratorem »)

 

La société B.__ SA exploite un restaurant et bar. Elle a conclu auprès de A.__ SA une « Assurance commerce PME ». Selon la police du 17.08.2018, l’assurance Choses (assurance mobilière) comprend également, sous la rubrique « Autres risques », l’assurance pour perte d’exploitation et frais supplémentaires à la suite d’une épidémie, jusqu’à un montant maximal de 2’000’000 fr. ainsi qu’une franchise de 200 fr.

Le 16.03.2020, le Conseil fédéral a qualifié la situation en Suisse en rapport avec la propagation du coronavirus de situation extraordinaire au sens de l’art. 7 de la loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (loi sur les épidémies ; LEp). Il a ordonné la fermeture des établissements ouverts au public, en particulier les restaurants et les bars, avec effet au 17.03.2020 (art. 6 al. 2 let. b et c de l’ordonnance 2 sur les mesures de lutte contre le coronavirus [COVID-19] ; [ordonnance COVID-19 2 ; modification du 16.03.2020]). Les établissements de restauration et les bars n’étaient à nouveau accessibles au public qu’à partir du 11.05.2020, sous réserve de conditions restrictives (art. 6 al. 3 let. b bis de l’ordonnance 2 COVID-19 [étape de transition 2 : établissements de restauration ; modification du 08.05.2020]).

La fermeture de l’établissement à partir du 18.03.2020 a entraîné un manque à gagner pour B.__ SA. Le 18.03.2020, elle a calculé un dommage de perte d’exploitation à attendre jusqu’au 30.04.2020 de 75’397 francs et a demandé à l’assurance, par courrier du 19.03.2020, de fournir les prestations assurées. Par courriel du 23.03.2020 et par lettre du 25.03.2020, l’assurance A.__ SA a refusé de verser des prestations en rapport avec le coronavirus.

 

Procédures cantonales

Le 21 avril 2020, B.__ SA a intenté une action partielle auprès du tribunal compétent (tribunal de commerce du canton d’Argovie), demandant à ce que l’assurance soit obligée de lui verser 40 000 francs pour la perte d’exploitation et les frais supplémentaires dus à l’épidémie, avec un intérêt de 5% à compter du jour du dépôt de l’action. Elle s’est réservé le droit de faire valoir d’autres prétentions.

Par jugement du 17.05.2021, le tribunal de commerce a admis la demande – à l’exception du début des intérêts moratoires – et a obligé l’assurance à payer à la demanderesse la somme de 40’000 francs, majorée d’un intérêt de 5% à compter du 24.04.2020 (arrêt HOR.2020.18).

 

TF

Les conditions complémentaires applicables à l’« Assurance commerce PME » sont divisées en deux rubriques : Dans la première, figurent les dispositions relatives aux risques en principe couverts (« Sont assurés »), dans la deuxième, celles relatives aux exclusions de couverture (« Ne sont pas assurés »).

Dans la rubrique « Sont assurés », la clause B1 stipule, sous le titre mis en évidence « Epidémie », que les dommages sont assurés « à la suite de mesures ordonnées par une autorité compétente suisse ou liechtensteinoise en vertu de dispositions légales, afin d’empêcher la propagation de maladies transmissibles par : a) la fermeture ou la mise en quarantaine d’entreprises ou de parties d’entreprises ainsi que des restrictions de l’activité de l’entreprise […] ».

Dans la rubrique « Ne sont pas assurés », la clause B2 décrit, également sous le titre mis en évidence « Epidémie », les risques qui sont exclus de la couverture d’assurance dans ce domaine. Selon cette clause, ne sont pas assurés « les dommages dus aux virus de l’influenza et aux maladies à prions (tremblante du mouton, maladie de la vache folle, Creutzfeldt-Jakob, etc.) ainsi qu’aux agents pathogènes pour lesquels les niveaux de pandémie 5 ou 6 de l’OMS sont applicables au niveau national ou international ».

Selon les constatations non contestées de l’instance cantonale, ces niveaux de pandémie se trouvent dans le « WHO global influenza preparedness plan » de 2005, rédigé en anglais, et se présentent comme suit : « Phase 5: Larger cluster (s) but human-to-human spread still localized, suggesting that the virus is becoming increasingly better adapted to humans, but may not be fully transmissible (substantial pandemic risk). Phase 6: Pandemic: increased and sustained transmission in general population ».

Les parties conviennent que la classification des pandémies en six phases ou niveaux selon le plan précité de l’OMS était déjà obsolète avant la conclusion du contrat d’assurance ici litigieux, qui se situe entre le 12.10.2017 (proposition de B.__ SA) et le 17.08.2018 (établissement de la police par l’assurance), et qu’elle n’était plus utilisée. Depuis 2013, l’OMS suit un système de quatre phases de pandémie. Les pandémies seraient depuis lors décrites par l’OMS de manière dynamique et leur déroulement serait représenté dans un graphique, ce qui ressortirait du manuel de l’OMS « Pandemic influenza risk management » de mai 2017.

En revanche, est contesté le passage de la clause B2 des conditions complémentaires, selon lequel les dommages ne sont pas couverts, entre autres « en raison d’agents pathogènes pour lesquels les niveaux 5 ou 6 de pandémie de l’OMS sont applicables au niveau national ou international », excluant la couverture pour le dommage de B.__ SA en relation avec le coronavirus (Covid-19). Cela soulève la question de la validité des conditions complémentaires en tant que conditions générales et de leur contenu.

 

Les conditions générales sont des dispositions contractuelles qui ont été préformulées de manière générale en vue de la conclusion future d’un grand nombre de contrats (cf. arrêts 4A_47/2015 du 2 juin 2015 consid. 5.1 ; 4C.282/2003 du 15 décembre 2003 consid. 3.1 ; 4P.135/2002 du 28 novembre 2002 consid. 3.1).

 

Conditions générales d’assurance faisant partie intégrante du contrat – Règle dite de l’insolite

Les conditions générales ne s’appliquent que et dans la mesure où les parties les ont reprises expressément ou implicitement pour leur contrat (ATF 118 II 295 consid. 2a ; arrêts 4A_47/2015 du 2 juin 2015 consid. 5.1 ; 4A_548/2013 du 31 mars 2014 consid. 3.3.1 ; 4C.282/2003 du 15 décembre 2003 consid. 3.1). Dans un premier temps, il convient donc de vérifier si les conditions générales font partie intégrante du contrat.

Consid. 2.1.1
Les conditions générales ne s’appliquent que s’il n’existe pas d’accords individuels dérogeant aux conditions générales (primauté de l’accord individuel ; ATF 135 III 225 consid. 1.4 ; 125 III 263 consid. 4b/bb ; 123 III 35 consid. 2c/bb ; arrêt 4A_503/2020 du 19 janvier 2021 consid. 5.3 et les références).

Consid. 2.1.2
Les conditions générales ne peuvent faire l’objet d’un consensus que si, lors de la conclusion du contrat, la partie qui y a consenti a au moins eu la possibilité de prendre connaissance de leur contenu d’une manière raisonnable (règle dite de l’accessibilité ; cf. ATF 139 III 345 consid. 4.4 ; 77 II 154 consid. 4 p. 156 ; arrêt 4A_47/2015 du 2 juin 2015 consid. 5.4.1). Pour le contrat d’assurance, l’art. 3 al. 2 LCA précise en outre que le preneur d’assurance doit être en possession des conditions générales d’assurance lorsqu’il fait la proposition de contrat d’assurance ou qu’il l’accepte.

Consid. 2.1.3
Si la partie a accepté globalement la reprise des conditions générales, c’est-à-dire sans les lire, sans en prendre connaissance ou en comprendre la portée (acceptation dite globale ; ATF 119 II 443 consid. 1a ; 109 II 452 consid. 4 ; arrêt 4C.282/2003 du 15 décembre 2003 consid. 3.1), la validité des conditions générales est limitée par la règle dite de l’insolite [Ungewöhnlichkeitsregel] : En vertu du principe de la confiance, celui qui incorpore des conditions générales dans le contrat doit s’attendre à ce que son partenaire contractuel n’adhère pas à ces clauses insolites (arrêt 4A_499/2018 du 10 décembre 2018 consid. 3.3.3). En conséquence, des clauses insolites, sur l’existence desquelles l’attention du cocontractant n’a pas été spécialement attirée, sont soustraites de l’adhésion censée donnée globalement à des conditions générales (ATF 138 III 411 consid. 3.1 ; 135 III 1 consid. 2.1, 225 consid. 1.3 ; 119 II 443 consid. 1a). Pour déterminer si une clause est insolite, il faut se placer du point de vue de celui qui y consent, au moment de la conclusion du contrat (ATF 138 III 411 consid. 3.1 ; 135 III 1 consid. 2.1 ; 119 II 443 consid. 1a) en tenant compte des circonstances du cas d’espèce (ATF 135 III 1 consid. 2.1 ; 119 II 443 consid. 1a).

Consid. 2.1.3.1
La règle de l’insolite est un instrument de la théorie du consensus (arrêt 4A_499/2018 du 10 décembre 2018 consid. 3.3.2). Elle concrétise le principe de la confiance (ATF 138 III 411 consid. 3.1 ; 135 III 1 consid. 2.1 p. 7). Celui-ci a pour but de protéger la bonne foi dans les relations commerciales et ne vise pas en premier lieu à protéger la partie la plus faible ou inexpérimentée contre la partie la plus forte ou expérimentée. Pour que la règle de l’insolite s’applique, il n’est donc pas nécessaire que l’auteur du consentement soit une partie faible ou inexpérimentée. Même une partie contractante plus forte et expérimentée dans les affaires ou la branche peut être surprise par une clause reprise globalement dans des conditions générales et invoquer la règle de l’insolite (arrêt 4A_499/2018 du 10 décembre 2018 consid. 3.3.2 et les références). Néanmoins, la position et l’expérience de la personne qui donne son consentement ne sont pas sans importance, mais jouent un rôle pour déterminer si la clause est subjectivement insolite.

Consid. 2.1.3.2
La clause des conditions générales doit d’abord être subjectivement insolite pour la partie qui l’accepte. Il faut notamment tenir compte de la connaissance des affaires et de la branche par la personne qui donne son accord : moins elle a d’expérience des affaires ou de la branche, plus une clause aura de chances d’être insolite pour elle (arrêt 4A_499/2018 du 10 décembre 2018 consid. 3.3.3). Ainsi, des clauses usuelles dans la branche économique en question peuvent être inhabituelles pour une personne qui y est étrangère, mais pas pour une personne la connaissant (ATF 138 III 411 consid. 3.1 ; 119 II 443 consid. 1a). La connaissance de la branche ou l’expérience commerciale n’exclut toutefois pas nécessairement le caractère insolite. Même pour une personne connaissant la branche ou ayant de l’expérience dans les affaires, une clause des conditions générales peut, dans certaines circonstances, être insolite (arrêt 4A_499/2018 du 10 décembre 2018 consid. 3.3.3).

Consid. 2.1.3.3
Outre le caractère subjectif, la clause en question doit objectivement présenter un contenu qui déroge à la nature de l’affaire pour que la règle de l’insolite s’applique. Elle doit donc être objectivement insolite. Cette condition est remplie lorsqu’elle en modifie de manière essentielle la nature ou sort notablement du cadre légal d’un type de contrat. Plus une clause porte préjudice à la position juridique du partenaire contractuel, plus elle sera susceptible d’être qualifiée d’insolite (ATF 138 III 411 consid. 3.1 ; 135 III 1 consid. 2.1, 225 consid. 1.3).

Pour les contrats d’assurance, il faut également tenir compte des attentes légitimes en matière de couverture (ATF 138 III 411 consid. 3.1 ; arrêts 4A_232/2019 du 18 novembre 2019 consid. 2.2 ; 4A_48/2015 du 29 avril 2015 consid. 2.1). De même, la règle de l’insolite s’applique lorsque la clause a pour effet de réduire drastiquement la couverture d’assurance décrite par la désignation et la publicité, au point que les risques les plus fréquents ne sont plus couverts (ATF 138 III 411 consid. 3.1 ; arrêts 4A_176/2018 du 6 août 2018 consid. 4.2 ; 4A_152/2017 du 2 novembre 2017 consid. 4.3 ; 4A_187/2007 du 9 mai 2008 consid. 5.4.2 ; 5C.134/2004 du 1er octobre 2004 consid. 4.2 ; 5C.53/2002 du 6 juin 2002 consid. 3.1).

Consid. 2.1.3.4
Le Tribunal fédéral examine librement, en tant que question de droit, l’application de la règle de l’insolite (art. 106 al. 1 LTF ; ATF 142 V 466 consid. 6.2 ; 140 V 50 consid. 2.3). Il est en principe lié par les constatations des tribunaux cantonaux sur les circonstances extérieures ainsi que sur la connaissance et la volonté des parties (art. 105 al. 1 LTF ; ATF 138 III 411 consid. 3.4).

 

Interprétation des conditions générales

Consid. 2.2.1
Les conditions générales doivent en principe être interprétées selon les mêmes principes que les autres dispositions contractuelles (ATF 142 III 671 consid. 3.3 ; 135 III 1 consid. 2). Ce qui est donc déterminant, c’est en premier lieu la volonté réelle et commune des parties ; dans un second lieu, si une telle intention ne peut être établie, les déclarations des parties doivent être interprétées selon le principe de la confiance (ATF 142 III 671 consid. 3.3 ; 140 III 391 consid. 2.3).

Pour ce faire, il faut partir du texte des déclarations, qui ne doivent toutefois pas être appréciées isolément, mais en fonction de leur sens concret (ATF 146 V 28 consid. 3.2 ; 142 III 671 consid. 3.3 ; 140 III 391 consid. 2.3). Même si le texte semble clair à première vue, il ne faut donc pas s’en tenir à une interprétation purement littéral (ATF 131 III 606 consid. 4.2 ; 130 III 417 consid. 3.2 ; 129 III 702 consid. 2.4.1 ; 127 III 444 consid. 1b). Les déclarations des parties doivent au contraire être interprétées de la manière dont elles pouvaient et devaient être comprises en fonction de leur formulation et de leur contexte ainsi que de l’ensemble des circonstances (ATF 146 V 28 consid. 3.2 ; 145 III 365 consid. 3.2.1 ; 144 III 327 consid. 5.2.2.1).

Le tribunal doit également tenir compte du but poursuivi par l’auteur de la clause, tel que le destinataire pouvait et devait la comprendre de bonne foi (ATF 146 V 28 consid. 3.2 ; 142 III 671 consid. 3.3 ; 140 III 391 consid. 2.3). Pour l’interprétation d’une disposition contractuelle rédigée par une partie contractante, il est donc déterminant de savoir quel objectif l’autre cocontractant pouvait et devait raisonnablement y reconnaître, en tant que partenaire commercial de bonne foi (arrêts 4A_203/2019 du 11 mai 2020 consid. 3.3.2.2., non publié dans ATF 146 III 254 ; 4A_652/2017 du 24 août 2018 consid. 5.1.2 ; 4C.443/1996 du 26 mars 1997 consid. 2a).

En règle générale, il faut partir du principe que le destinataire de la clause pouvait supposer que son auteur visait une convention raisonnable et approprié (arrêt 4A_652/2017 du 24 août 2018 consid. 5.1.2 ; 4C.443/1996 du 26 mars 1997 consid. 2a).

Le Tribunal fédéral examine cette interprétation objective des déclarations de volonté en tant que question de droit, étant entendu qu’il est en principe lié par les constatations du tribunal cantonal concernant les circonstances extérieures ainsi que la connaissance et la volonté des parties (art. 105 al. 1 LTF ; ATF 146 V 28 consid. 3.2 ; 144 III 93 consid. 5.2.3 ; 142 III 671 consid. 3.3).

Consid. 2.2.2
Les clauses ambiguës des conditions générales doivent être interprétées en cas de doute au détriment de la partie qui les a rédigées (règle dite de l’ambiguïté [Unklarheitsregel ; règle « in dubio contra stipulatorem »]). Dans les conditions générales d’assurance, les clauses ambiguës doivent donc être interprétées contre l’assureur en tant que leur auteur (ATF 146 III 339 consid. 5.2.3 ; 133 III 61 consid. 2.2.2.3 ; 133 III 607 E. 2.2 ; 124 III 155 E. 1b) [règle « in dubio contra assicuratorem »]. Pour le contrat d’assurance, l’art. 33 LCA concrétise cette règle en ce sens que l’assureur répond de tous les événements qui portent en eux les caractéristiques du risque assuré, à moins que le contrat n’exclue certains événements d’une manière précise et non équivoque (arrêt 4A_92/2020 du 5 août 2020 consid. 3.2.2). Il appartient donc à l’assureur de délimiter la portée de l’engagement qu’il entend prendre (ATF 135 III 410 consid. 3.2 ; 133 III 675 E. 3.3 ; concernant l’art. 33 LCA, cf. également l’arrêt 4A_153/2015 du 25 juin 2015 consid. 4.1).

La règle de l’ambiguïté ne s’applique toutefois qu’à titre subsidiaire, lorsque tous les autres moyens d’interprétation échouent (ATF 133 III 61 consid. 2.2.2.3 ; 122 III 118 consid. 2a et consid. 2d ; arrêts 4A_279/2020 du 23 février 2021 consid. 6.2 ; 4A_81/2020 du 2 avril 2020 consid. 3.1). Pour que cette règle s’applique, il ne suffit pas que les parties soient en litige sur la signification à donner à une déclaration; encore faut-il que celle-ci puisse de bonne foi être comprise de différentes façons (ATF 118 II 342 consid. 1a) et qu’il soit impossible de lever autrement le doute créé, faute d’autres moyens d’interprétation (arrêts 4A_92/2020 du 5 août 2020 consid. 3.2.2 ; 4A_186/2018 du 4 juillet 2019 consid. 4.1 ; 4A_152/2017 du 2 novembre 2017 consid. 4.2).

Comme pour l’application de la règle de l’insolite, le Tribunal fédéral examine librement l’application de la règle de l’ambiguïté en tant que question de droit.

 

Dans le cas d’espèce

En résumé, l’instance cantonale est arrivée à la conclusion que la clause B2 litigieuse des conditions complémentaires n’est pas (objectivement) insolite. Le fait que les niveaux de pandémie de l’OMS n’aient pas été décrits ou déterminés de manière détaillée ne nuit pas à la reprise de la clause dans le contrat. Le document de l’OMS définissant ces niveaux était accessible au public sur Internet au moment de la conclusion du contrat et l’est toujours aujourd’hui. Par ailleurs, la clause B2 n’a pas un contenu qui déroge à la nature de l’affaire. Elle ne sort pas du cadre légal du type de contrat, puisque les exclusions de couverture se retrouvent dans de nombreux contrats du droit des assurances privées. Cette clause ne modifie pas non plus la nature du contrat d’assurance. La clause n’est qu’une des nombreuses dispositions des conditions complémentaires qui limitent la prestation d’assurance en excluant certains risques de la couverture sous le titre « Ne sont pas assurés ».

 

Consid. 4.2.4
Selon les constatations non contestées de l’instance cantonale, la société B.__ SA a conclu avec la compagnie d’assurances A.__ SA une « Assurance commerce PME », comprenant une assurance Choses (assurance mobilière) ainsi qu’une assurance d’entreprise et accidents. L’assurance Choses comprend également, sous la rubrique « Autres risques », l’assurance pour perte d’exploitation et frais supplémentaires à la suite d’une épidémie. Il ne peut donc pas être retenu que les parties aient conclu une véritable « assurance épidémie ».

Consid. 4.2.5
L’épidémie n’est qu’un risque parmi d’autres couverts par l’assurance conclue par B.__ SA. En revanche, la couverture dans ce domaine est exclue pour les dommages dus à des « agents pathogènes pour lesquels les niveaux de pandémie 5 ou 6 de l’OMS sont applicables au niveau national ou international ». Cette exclusion ne réduit pas la couverture telle que décrite par « Assurance commerce PME » dans la mesure où les risques les plus fréquents ne seraient plus couverts. Au contraire, avec l’exclusion de la pandémie, un risque rare – risque spécial pour les dommages dus à des « agents pathogènes pour lesquels les niveaux de pandémie 5 ou 6 de l’OMS sont applicables au niveau national ou international » – est exclu de la couverture d’assurance – à savoir du risque d’épidémie assuré.

Comme l’a considéré à juste titre l’instance cantonale, cette clause d’exclusion est l’une des nombreuses dispositions des conditions complémentaires dans lesquelles la compagnie d’assurances A.__ SA a limité sa prestation d’assurance, ce qui ne modifie pas fondamentalement le caractère de « Assurance commerce PME » et ne la ferait pas sortir dans une mesure importante du cadre légal du type de contrat. B.__ SA ne démontre pas suffisamment dans quelle mesure, dans ces circonstances concrètes du cas d’espèce, des attentes légitimes de couverture au sens de la jurisprudence du Tribunal fédéral auraient été déçues. Pour qu’une clause soit insolite, il ne suffit pas qu’elle limite le risque assuré, car même le preneur d’assurance moyen sait qu’une assurance ne couvre pas tous les risques. De même, B.__ SA devait s’attendre à ce que, dans le cadre de son « Assurance commerce PME », la compagnie d’assurances A.__ SA exclut la couverture de risques spécifiques – notamment en relation avec des épidémies.

B.__ SA n’est donc pas en mesure de démontrer que la clause B2 des conditions complémentaires, contestée en l’espèce, est objectivement insolite.

 

L’instance cantonale a ensuite interprété la clause B2. Elle n’a pas fait de constatations effectives sur la volonté interne des parties, mais a interprété la disposition sous le titre « interprétation objective » selon le principe de la confiance.

Consid. 5.1
Les juges cantonaux ont considéré d’une part que la clause B2 n’avait pas de sens en soi et qu’elle s’avérait incompréhensible. Si la compagnie d’assurances A.__ SA avait voulu déclarer applicables les niveaux 5 et 6 de pandémie de l’OMS, qui ne sont en principe plus valables, elle n’aurait pas dû se contenter de les mentionner. Au contraire, elle aurait été obligée d’inclure les « catalogues de critères ou définitions correspondants » dans le texte du contrat ou au moins d’indiquer un lien Internet valable. Comme elle a omis de le faire, les anciens niveaux 5 et 6 de pandémie de l’OMS n’auraient pas été intégrés dans le contrat d’assurance et ne pourraient pas être utilisés pour justifier l’exclusion de la couverture.

Selon le Tribunal fédéral : Ce point de vue ne peut être suivi. Il est certes exact que l’interprétation selon le principe de la confiance doit se fonder sur le texte du contrat. Mais celui-ci ne doit pas être interprété isolément. De même, le texte du contrat ne doit pas être compréhensible par lui-même, comme si l’interprétation devait se fonder uniquement sur le texte du contrat et ne pas tenir compte de toutes les autres circonstances. La déclaration doit plutôt être interprétée de la manière dont elle pouvait et devait être comprise en fonction de son libellé et de son contexte ainsi que de l’ensemble des circonstances.

 

Consid. 5.2.1
D’autre part, l’instance cantonale a considéré que les conditions de la clause B2 n’étaient pas remplies. Pour ce faire, elle s’est penchée sur le libellé de la clause et l’a interprétée en relation avec la clause B1 des conditions complémentaires.

Consid. 5.2.2
En revanche, la compagnie d’assurances A.__ SA fait valoir à juste titre que l’instance cantonale n’a pas tenu compte de tous les moyens d’interprétation dans cette appréciation et qu’elle s’est principalement fondée sur le libellé de la clause B2. Si toutes les circonstances constatées dans la décision de l’instance cantonale sont prises en compte dans l’interprétation de la clause B2 des conditions complémentaires, il en résulte une interprétation contraire.

Consid. 5.2.2.1
Selon la clause B1 des conditions complémentaires, dans la rubrique « Sont assurés », sous le titre « Epidémie », sont assurés les dommages résultant de mesures ordonnées par une autorité compétente suisse ou liechtensteinoise en vertu de dispositions légales afin d’empêcher la propagation de maladies transmissibles. Les différentes mesures sont énumérées aux lettres a à h de la clause B1. Dans la rubrique « Ne sont pas assurés », la clause B2 figure également sous le titre « Epidémie ». D’un point de vue systématique, la clause B2 est donc liée à la clause B1 : La clause B1 définit les risques couverts par l’assurance en cas d’« épidémie » et la clause B2 exclut certains risques de la couverture.

Dans la clause B2, trois groupes d’événements sont exclus de la couverture d’assurance pour le risque « épidémie », à savoir les dommages dus aux « virus de la grippe », aux « maladies à prions (tremblante, maladie de la vache folle, Creutzfeldt-Jakob, etc.) » ainsi qu’aux « agents pathogènes pour lesquels les niveaux de pandémie 5 ou 6 de l’OMS sont applicables au niveau national ou international », ce qui est contesté ici. Ce dernier point se réfère à un système de niveaux de l’OMS, sans que ce système ne soit défini ou concrétisé dans les conditions complémentaires ou dans d’autres éléments du contrat.

Consid. 5.2.2.2
Selon les constatations de l’instance précédente, qui lient le Tribunal fédéral, on peut attendre d’un preneur d’assurance étranger à la branche qu’il sache ce qu’est une pandémie, à savoir une épidémie largement répandue, touchant des pays ou des régions entières ou une épidémie s’étendant à de grandes parties d’un pays ou d’un continent, une épidémie de grande ampleur.

Mais celui qui sait ce qu’est une pandémie peut voir dans le texte de la clause B2 que de telles pandémies sont classées en différents niveaux selon le système de l’OMS mentionné dans la clause B2, et que les niveaux 5 et 6 sont exclus de la couverture d’assurance. Si certains niveaux de pandémie sont exclus, B.__ SA pouvait comprendre de bonne foi que les niveaux de pandémie 5 et 6 désignaient les deux niveaux de pandémie les plus élevés, même si elle ne connaissait pas (en détail) le système des niveaux de pandémie de l’OMS. Un système de niveaux est généralement compréhensible. B.__ SA ne fait d’ailleurs pas valoir qu’une telle conclusion n’est pas admissible ou qu’elle aurait supposé qu’il y avait encore d’autres niveaux après le niveau 6. Au contraire, elle admet elle-même qu’il n’est « en soi pas fondamentalement faux » que, dans un système de niveaux, les niveaux les plus graves soient exclus de la couverture d’assurance et que la clause stipule « que les niveaux supérieurs ne sont pas couverts ».

Par conséquent, B.__ SA devait comprendre la clause B2 comme excluant de la couverture d’assurance les deux niveaux les plus élevés du système de niveaux pandémiques de l’OMS. Un tel résultat d’interprétation est également conforme à l’objectif visé par la compagnie d’assurances – que B.__ SA devait reconnaître en tant que partenaire commerciale de bonne foi –, c’est-à-dire exclure du risque d’épidémie par cette clause les manifestations les plus étendues d’une pandémie, à savoir les deux niveaux les plus élevés du système de classification des pandémies de l’OMS.

Consid. 5.2.2.3
L’instance cantonale défend le point de vue selon lequel ces niveaux de pandémie doivent être « en vigueur » ou « déterminants » ou qu’une autorité doit se référer aux niveaux de pandémie de l’OMS pour que l’exclusion de la couverture s’applique. Elle s’appuie pour cela sur le libellé de la clause, selon lequel les niveaux doivent être « applicables » au niveau national ou international. Une telle interprétation n’est pas convaincante:

Premièrement, un preneur d’assurance ne doit pas comprendre le terme « valent » exclusivement dans le sens de « ont une validité ». Au contraire, « valoir » peut aussi être interprété comme signifiant que quelque chose est estimé ou jugé d’une certaine manière. En conséquence, le preneur d’assurance B.__ SA pouvait aussi comprendre la formulation selon laquelle les niveaux de pandémie 5 et 6 de l’OMS sont valables dans le sens que l’exclusion de la couverture s’applique lorsqu’une pandémie est évaluée au niveau national ou international comme étant de niveau 5 ou 6 selon le système de niveaux de pandémie de l’OMS, sans que ces niveaux soient effectivement en vigueur au moment en question. Contrairement à l’avis de l’instance cantonale, on ne peut pas non plus déduire du texte de la clause qu’une telle évaluation d’une pandémie nécessite une annonce officielle par une autorité.

Deuxièmement, l’interprétation selon le principe de confiance ne peut de toute façon pas s’arrêter à une interprétation purement littérale. Il convient au contraire de tenir compte du contexte et de l’ensemble des circonstances. Il convient également de tenir compte de l’objectif visé par cette exclusion de couverture. Comme la compagnie d’assurances recourante le critique à juste titre, l’instance cantonale ne tient pas compte de l’objectif de la clause : L’exigence d’une référence des autorités aux niveaux de pandémie 5 et 6 de l’OMS n’est jamais remplie, ne serait-ce que parce que l’OMS a déjà modifié le système de classification des pandémies avant la conclusion du contrat d’assurance et que, par conséquent, ni l’OMS ni aucune autorité suisse ou liechtensteinoise n’a jamais fait référence à de tels niveaux de pandémie pendant la durée de validité du présent contrat d’assurance. L’absence d’annonce du niveau de pandémie 5 ou 6 est donc une conséquence du fait que le système de classification de l’OMS n’était déjà plus pratiqué au moment de la conclusion du contrat.

L’interprétation contraire – telle que défendue par l’instance cantonale – aurait donc pour conséquence que l’exclusion de la couverture décrite dans la clause B2 ne pourrait jamais s’appliquer et resterait donc lettre morte. Comme la compagnie d’assurances le fait valoir à juste titre, cela ne constitue toutefois pas une interprétation appropriée. En effet, cela signifierait que la compagnie d’assurances aurait voulu inclure dans le contrat une exclusion de couverture pour les pandémies qui, en réalité, ne pourrait jamais s’appliquer. Il devait également être clair pour le preneur d’assurance, en tant que partenaire commerciale de bonne foi, que la compagnie d’assurances ne voulait pas avoir recours à une telle disposition vide de sens. Il en va de même pour l’avis de l’instance cantonale selon lequel les niveaux 5 et 6 de pandémie de l’OMS devaient être en vigueur au niveau national ou international pour que la clause soit applicable. Cela a également conduit à ce que l’exclusion concrète de la couverture n’aurait jamais pu être appliquée, car le système de classification n’était plus utilisé. La clause B2 repose plutôt sur l’intention manifeste de la compagnie d’assurances d’exclure de la couverture d’assurance les pandémies les plus graves, c’est-à-dire celles qui remplissent les conditions du niveau de pandémie 5 ou 6 de l’OMS.

Compte tenu de l’objectif de la disposition, la manière dont il faut comprendre la clause B2 est donc claire : le preneur d’assurance pouvait et devait savoir que les risques les plus graves étaient exclus de la couverture des dommages en cas d’épidémies (clause B1), à savoir, selon la clause B2, les pandémies évaluées aux niveaux 5 et 6 de l’OMS.

Le fait que ce système de niveaux n’était déjà plus utilisé par l’OMS au moment de la conclusion du contrat ne change rien à ce résultat d’interprétation. On ne voit pas pourquoi la compagnie d’assurance n’aurait pas dû se référer aux anciens niveaux de pandémie de l’OMS pour décrire l’exclusion de la couverture d’assurance en cas d’épidémie.

Consid. 5.2.3
Il résulte également de ce qui précède que la clause ne peut pas être interprétée de bonne foi comme signifiant que les niveaux 5 et 6 de pandémie de l’OMS doivent être « en vigueur » ou « déterminants » ou qu’une autorité doit se référer à un niveau de pandémie de l’OMS pour que l’exclusion de la couverture s’applique. En conséquence, on ne peut pas non plus dire que la clause B2 peut être comprise de différentes manières selon les règles de la bonne foi. Au contraire, la signification de la clause B2 se révèle dans le contexte global, ce qui ne laisse aucune place à l’application de la règle de l’ambiguïté [règle « in dubio contra assicuratorem »]. Celle-ci ne s’applique qu’à titre subsidiaire, lorsque tous les autres moyens d’interprétation échouent.

Consid. 5.2.5
En résumé, selon la clause B2 des conditions complémentaires, sont notamment exclues de la couverture d’assurance les pandémies qui répondent aux critères définis par les niveaux 5 et 6 de pandémie de l’OMS.

Consid. 5.3
La compagnie d’assurances A.__ SA invoque le fait que la pandémie Corona (Covid-19) remplit toutes les conditions d’une pandémie de niveau 6 selon la définition pertinente de l’OMS. Les parties s’accordent à dire que la pandémie Covid-19 correspondrait « en substance » au niveau 5 ou 6 de la pandémie si les pandémies étaient encore classées selon l’ancien système de niveaux. En d’autres termes, la pandémie Covid-19 est jugée à l’unanimité et à juste titre par les parties comme une pandémie des niveaux de pandémie 5 ou 6 de l’OMS, de sorte qu’il n’y a pas de couverture d’assurance selon la clause B2, contrairement à l’avis de l’instance cantonale.

Consid. 5.4
Dans le présent procès, il convient d’examiner les prétentions invoquées par le preneur d’assurance. Il s’agit donc d’évaluer si la pandémie Covid-19 remplit les conditions du niveau 5 ou 6 selon le système des niveaux de pandémie de l’OMS et si, par conséquent, l’exclusion de la couverture selon la clause B2 des conditions complémentaires s’applique. Ces deux conditions sont clairement remplies. En revanche, il n’y a pas lieu de décider en l’espèce si d’autres événements remplissent ces niveaux ou, de manière générale, où il convient de tracer la limite entre la couverture d’assurance et l’exclusion dans le cadre de cette clause.

 

Le TF admet le recours de la compagnie d’assurances A.__ SA et annule le jugement du tribunal du commerce.

 

 

Arrêt 4A_330/2021 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 28.01.2022 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 4A_330/2021 (d) du 05.01.2022 – Absence de couverture d’assurance pour une perte d’exploitation due à la pandémie de coronavirus, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/02/4a_330-2021)