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9C_344/2020 (d) du 22.02.2021 – Rappel de la procédure de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire en assurance-invalidité – 44 LPGA – 72bis RAI / Contestation relative à la sélection du centre d’expertise doit être soulevée le plus tôt possible – Principe de la bonne foi

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_344/2020 (d) du 22.02.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt du TF fait foi

 

Rappel de la procédure de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire en assurance-invalidité / 44 LPGA – 72bis RAI

Une désignation consensuelle des experts (et non par attribution aléatoire) n’est pas conforme à la jurisprudence

Contestation relative à la sélection du centre d’expertise doit être soulevée le plus tôt possible – Principe de la bonne foi

 

Assuré, né en 1969, dernier emploi d’agent de sécurité. Demande AI déposée le 03.05.2011, consécutivement à un accident survenu le 02.11.2010. Expertise pluridisciplinaire (orthopédique-traumatologique-rhumatologique, neurologique et psychiatrique) mise en œuvre par l’office AI. Décision de refus de rente le 18.07.2019.

 

Procédure cantonale

L’assuré soutient que le rapport d’expertise du COMAI ne devrait pas être retenu, car le centre d’expertise n’a pas été choisi aléatoirement, en violation de l’art. 72bis al. 2 RAI [il y a eu une désignation consensuelle entre l’office AI et l’assuré]. La cour cantonale est arrivée à la conclusion que l’assuré est capable à 100% de travailler dans une activité adaptée. Par jugement du 23.04.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Procédure de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire en AI

Au sens de l’art. 43 al. 1 LPGA, l’assureur examine les demandes, prend d’office les mesures d’instruction néces­saires et recueille les renseignements dont il a besoin. Les renseignements donnés oralement doivent être consignés par écrit. Si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties, conformément à l’art. 44 LPGA. Les parties peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. Les expertises comprenant trois ou plus de trois disciplines médicales doivent se dérouler auprès d’un centre d’expertises médicales lié à l’office fédéral par une convention (art. 72bis al. 1 RAI). L’attribution du mandat d’expertise doit se faire de manière aléatoire (art. 72bis al. 2 RAI).

Conformément à la jurisprudence, le choix de l’expert pour les évaluations COMAI polydisciplinaires doit toujours être fait de manière aléatoire (ATF 138 V 271 consid. 1.1 p. 274 s., 139 V 349 consid. 5.2.1 p. 354).

Dans un premier temps, l’office AI informe l’assuré qu’une expertise doit être réalisée ; il lui indique en même temps le type d’expertise envisagé (poly- ou mono- ou bi-disciplinaire) ainsi que les disciplines médicales et les questions d’expertise envisagées. À ce stade, la personne assurée peut soulever des objections de fond quant à l’évaluation en tant que telle ou à la nature ou à la portée de l’évaluation (exemples : deuxième avis inutile, choix inapproprié des disciplines médicales envisagées).

Dans un deuxième temps, l’office AI communique à la personne assurée le centre d’expertise attribué par tirage au sort (via la plateforme d’attribution SuisseMed@P développée par l’OFAS, par laquelle l’ensemble du processus d’obtention d’une expertise est géré et contrôlé) et les noms des experts, y compris les titres de spécialistes. Par la suite, l’assuré a la possibilité de soulever des objections personnelles matérielles ou formelles (ATF 139 V 349 consid. 5.2.2 p. 355 s.).

Ce modèle d’attribution est destiné à neutraliser les craintes générales de dépendance et de partialité découlant des conditions-cadres du système d’expertise (ATF 139 V 349 consid. 5.2.2.1 p. 355).

En raison de ces règles de procédure, il n’y a pas de place pour une nomination consensuelle des experts dans les expertises polydisciplinaires. Un accord consensuel peut en principe se révéler approprié, dans des cas particuliers, pour accroître l’acceptation des expertises COMAI polydisciplinaires, notamment auprès des assurés. Toutefois, ce n’est pas une raison pour renoncer à la désignation aléatoire ou pour n’y recourir que si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un centre d’expertise. Etant donné que seuls les centres d’expertise qui remplissent les critères de reconnaissance (organisationnelle et professionnelle) de l’OFAS sont autorisés à établir des expertises polydisciplinaires pour l’AI, l’office AI ne peut en principe refuser les COMAI proposés par l’assuré que pour des raisons d’économie de procédure et est donc largement obligé de suivre les propositions de l’assuré. Si une désignation consensuelle des experts devait être régulièrement envisagée/recherchée, cela établirait à nouveau une sélection du centre d’expertise axée sur le résultat, ce que le principe de l’aléatoire consacré par l’art. 72bis al. 2 RAI vise précisément à empêcher (cf. ATF 140 V 507 consid. 3.2 p. 511 ss).

 

Contestation de la détermination du centre d’expertise

Sur la base du principe de bonne foi, qui s’applique également aux particuliers, et de l’interdiction de l’abus de droit (art. 5 al. 3 Cst. ; ATF 137 V 394 consid. 7.1 p. 403 et les références), la jurisprudence du Tribunal fédéral exige que les objections procédurales soient soulevées le plus tôt possible, c’est-à-dire à la première occasion après avoir pris connaissance un défaut. Il est contraire à la bonne foi de ne soulever des irrégularités de ce type qu’à un stade ultérieur de la procédure ou même dans une procédure ultérieure si l’objection aurait pu être établie et contestée auparavant. Une partie qui intervient dans la procédure sans soulever un vice de procédure à la première occasion perd généralement le droit d’invoquer la disposition procédurale prétendument violée à un stade ultérieur (voir ATF 135 III 334 consid. 2.2 p. 336 ; ATF 134 I 20 consid. 4.3.1 p. 21 ; ATF 132 II 485 consid. 4.3 p. 496 s. ; ATF 130 III 66 consid. 4.3 p. 75 ; chacun avec références ; arrêt 1C_630/2014 du 18 septembre 2015 consid. 3.1). Ainsi, notamment, les motifs de récusation présentés tardivement ne sont pas à prendre en compte ou sont frappés de péremption (ATF 143 V 66 consid. 4.3 p. 69 ; 140 I 271 consid. 8.4.5 p. 276 ; SVR 2006 UV n° 20 p. 70 consid. 4.5, U 303/05).

Selon les constatations de fait de la cour cantonale, l’assuré était déjà représenté au moment de la détermination du centre d’expertise. Il n’a toutefois pas soulevé le grief de la sélection illicite du centre d’expertise dans la procédure administrative – pas même de manière informelle (cf. également arrêt 9C_174/2020 du 2 novembre 2020 consid. 6.2.2, destiné à la publication) – mais l’a soulevée pour la première fois dans le recours devant la cour cantonale. Comme les juges cantonaux l’ont estimé à juste titre, ce grief a donc été soulevé avec retard/hors délai. Il n’y a pas de raisons apparentes pour lesquelles la jurisprudence selon laquelle les objections procédurales doivent être soulevées le plus tôt possible, c’est-à-dire à la première occasion après avoir pris connaissance d’un défaut, ne devrait pas s’appliquer à la sélection juridiquement incorrecte d’un centre d’expertise (cf. également arrêt 8C_635/2018 du 21 décembre 2018 consid. 5.3). Si même le droit de faire valoir un motif formel de récusation est périmé en cas d’allégation tardive, cela doit d’autant plus s’appliquer dans des cas comme en l’espèce où il n’y a qu’une désignation consensuelle des experts – même si elle est inadmissible selon la jurisprudence. Dans un cas comme dans l’autre, il n’est pas acceptable qu’un assuré attende d’avoir connaissance de l’évaluation des experts avant de soulever le vice, et donc de ne le signaler que s’il n’est pas d’accord avec dite évaluation.

La cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral lorsqu’elle a établi les faits médicaux en tenant compte de l’expertise. La capacité établie de travailler dans une activité adaptée n’entraînant pas un degré d’invalidité justifiant une rente, c’est à juste titre que la cour cantonale a confirmé la décision de refus de prestations de l’office AI.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_344/2020 consultable ici

Proposition de citation : 9C_344/2020 (d) du 22.02.2021 – Procédure de la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire en assurance-invalidité, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/04/9c_344-2020)

 

9C_333/2020 (f) du 23.02.2021 – Prévoyance surobligatoire – Réticence – Examen en fonction des dispositions statutaires et réglementaires / Connexité temporelle et matérielle d’une maladie évoluant par poussées (schizophrénie) – Pas d’interruption malgré une période de 12 mois sans incapacité de travail

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_333/2020 (f) du 23.02.2021

 

Consultable ici

 

Prévoyance surobligatoire – Réticence – Examen en fonction des dispositions statutaires et réglementaires

Connexité temporelle et matérielle d’une maladie évoluant par poussées (schizophrénie) – Pas d’interruption du lien malgré une période de 12 mois sans incapacité de travail / 23 LPP

 

Assurée, née en 1973, a bénéficié de prestations de l’assurance-invalidité du 01.05.1999 au 30.04.2015 (droit à une demi-rente d’invalidité jusqu’au 30.04.2000, puis à une rente entière). Elle était atteinte d’un trouble schizo-affectif de type dépressif (en rémission au moment de l’examen), sur personnalité schizoïde et obsessionnelle, entraînant une limitation partielle de la capacité de travail. Pendant cette période, l’assurée a travaillé pour le compte de la Fondation C.__, d’abord en qualité d’éducatrice de l’enfance à 25% dès le 01.08.2006, puis à 100%, en tant que directrice du jardin d’enfants/jardinière d’enfants, à partir du 01.08.2014. A ce titre, elle a été assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de l’institution de prévoyance dès le 01.08.2014.

Au mois de septembre 2015, l’assurée a présenté une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité. La Fondation C.__ a adressé à l’institution de prévoyance une demande d’exemption de cotisations en faveur de son employée en février 2016, en indiquant que celle-ci était en incapacité totale de travail depuis le 18.08.2015. Les rapports de travail ont pris fin avec effet au 30.06.2016. Par courrier du 03.10.2016, l’institution de prévoyance a informé l’assurée qu’en raison d’une violation de l’obligation de déclarer, elle résiliait le contrat pour les prestations non obligatoires en relation avec les problèmes de santé qui n’avaient pas été communiqués au début de l’assurance. Par décision du 09.11.2017, l’office AI a reconnu le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité à compter du 01.12.2017, en précisant qu’une décision relative à la période du 01.03.2016 au 30.11.2017 lui parviendrait ultérieurement.

Le 26.02.2018, l’assurée s’est adressée à l’institution de prévoyance en vue d’obtenir le versement des prestations d’invalidité obligatoires et surobligatoires. Celle-ci a nié toute obligation de prester (courrier du 16.04.2018). En bref, elle a considéré que le cas d’assurance était survenu avant le début de l’affiliation de l’assurée auprès d’elle, et que l’intéressée avait par ailleurs commis une réticence en répondant par la négative à différentes questions concernant son état de santé au moment de sa demande d’affiliation.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 29/18 – 6/2020 – consultable ici)

La juridiction de première instance a d’abord examiné le point de savoir si l’institution de prévoyance était en droit de résilier le contrat de prévoyance pour toutes les prestations non obligatoires, en raison d’une réticence. Au vu de la mention d’une pleine capacité de travail dans la demande d’affiliation à la prévoyance professionnelle du 16.06.2015, et des réponses manifestement fausses ou incomplètes de l’assurée figurant dans le questionnaire de santé qu’elle avait signé le 05.07.2015, elle a considéré que la caisse de pensions était en droit de résilier l’assurance surobligatoire et de limiter ses prestations à la prévoyance professionnelle obligatoire, ce qu’elle avait fait dans le délai utile après avoir eu connaissance de la réticence. Les juges cantonaux ont ensuite admis l’existence d’un lien de connexité matérielle et temporelle entre les troubles psychiques que présentait l’assurée avant le début de sa couverture d’assurance auprès de l’institution de prévoyance et l’incapacité de travail ayant débuté dès le 18.08.2015, avec pour conséquence qu’ils ont nié que la caisse de pensions fût tenue à prestations.

Par jugement du 02.04.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Réticence

Pour admettre que l’intéressée avait commis une réticence, ils se sont en effet fondés sur l’art. 4 du règlement selon lequel la caisse de pensions remet un questionnaire de santé aux personnes à assurer à titre surobligatoire et une déclaration de santé complète et véridique est la condition d’admission dans l’assurance; la disposition règlementaire précise par ailleurs que la caisse peut réduire les prestations au minimum légal en cas de violation de l’obligation de renseigner, en l’annonçant à la personne concernée dans les trois mois après en avoir eu connaissance. A cet égard, selon la jurisprudence, à laquelle la juridiction cantonale s’est dûment référée, dans le domaine de la prévoyance plus étendue, la réticence et ses conséquences doivent en effet être examinées en fonction des dispositions statutaires et réglementaires valables au moment où a été conclu le contrat de prévoyance; ce n’est qu’en l’absence de telles dispositions que les institutions de prévoyance sont fondées à se départir du contrat de prévoyance en cas de réticence, par application analogique des art. 4 ss LCA (ATF 130 V 9 consid. 2.1 in fine p. 12 et consid. 4-5 p. 13 ss; cf. aussi arrêts 9C_606/2017 du 14 mars 2018 consid. 3.2 et 9C_532/2014 du consid. 3.1). Aussi, compte tenu des dispositions réglementaires applicables en l’espèce, l’argumentation de l’assurée selon laquelle ses déclarations dans le questionnaire de santé ne peuvent pas être constitutives d’une réticence parce qu’elle aurait remis celui-ci plus d’un mois après la confirmation par l’institution de prévoyance de son affiliation, est mal fondée. L’art. 4 du règlement de prévoyance prévoit en effet expressément que l’admission dans l’assurance est subordonnée à la condition que la personne à assurer remplisse un tel questionnaire. Or selon les constatations de la juridiction cantonale, qui ne sont pas remises en cause par les parties, le questionnaire lui a été remis en même temps que la confirmation de son entrée dans la caisse de pensions, avec l’invitation de le remplir. L’affiliation (sans réserve de santé) était dès lors soumise à la condition que l’assurée effectue une déclaration de santé complète et véridique; le fait qu’elle a renvoyé le questionnaire plus d’un mois plus tard n’est pas déterminant.

A la suite des premiers juges, on constate que l’assurée a répondu par la négative aux questions de savoir, notamment, si elle présentait une incapacité totale ou partielle de travail à la date de sa première affiliation, percevait une rente, prenait des médicaments à intervalles réguliers ou avait dû arrêter partiellement ou totalement de travailler du fait d’une maladie ou d’un accident pendant plus de quatre semaines au cours des cinq dernières années. On ne voit pas en quoi, en particulier cette dernière question, ne serait pas précise ou présenterait un caractère équivoque. La question fait en effet référence à une incapacité totale ou partielle de travailler d’une durée de plus de quatre semaines au cours des cinq dernières années. A cet égard, on rappellera que l’assurée a bénéficié d’une rente entière de l’assurance invalidité du 01.05.2000 au 30.04.2015 et qu’elle a travaillé à temps partiel avant le 01.08.2014. Il ressort par ailleurs des constatations cantonales – que l’assurée ne conteste pas – qu’elle avait indiqué à l’assurance-invalidité, en décembre 2009, que son activité professionnelle exercée alors à un taux de 25% constituait le maximum qu’elle pouvait faire pour garder le fragile équilibre qui était le sien et qu’elle n’avait par la suite pas augmenté le taux d’activité avant août 2014. L’assurée ne pouvait ainsi ignorer, au moment où elle a rempli le questionnaire de santé en été 2015, que sa capacité de travail n’avait pas été entière durant les cinq dernières années ou qu’elle avait perçu une rente (en relation avec les questions 2 et 7 du questionnaire). Partant, quoi qu’en dise l’assurée, c’est sans arbitraire que les juges cantonaux ont considéré qu’en répondant par la négative à cette question, elle avait donné de faux renseignements, avec pour conséquence que l’institution de prévoyance était en droit de résilier l’assurance surobligatoire et de limiter ses prestations à la prévoyance obligatoire.

 

Connexité temporelle et matérielle

Les parties ne contestent pas l’existence d’un lien de connexité matériel entre le trouble schizo-affectif de type dépressif, sur personnalité schizoïde et obsessionnelle, en raison duquel l’assurée s’est vu reconnaître le droit à une rente de l’assurance-invalidité du 01.05.1999 au 30.04.2015 et l’incapacité durable de travail survenue en août 2015, qui est à l’origine de l’invalidité actuelle.

Certes, comme le fait valoir l’assurée en se référant à l’arrêt 9C_76/2015 du 18 décembre 2015 consid. 4.2, le recouvrement d’une capacité de travail de plus de 80% dans une activité lucrative adaptée durant plus de trois mois constitue un indice important en faveur de l’interruption du lien de connexité temporelle que seuls des éléments objectifs importants peuvent remettre en cause. Cela étant, comme l’ont dûment rappelé les juges cantonaux, cette durée de trois mois doit être relativisée lorsque l’activité en question doit être considérée comme une tentative de réinsertion, en particulier lorsque l’invalidité résulte d’une maladie évoluant par poussées, telle que la sclérose en plaque ou la schizophrénie. Lorsque les tableaux cliniques sont caractérisés par des symptômes évoluant par vagues, avec une alternance des périodes d’exacerbation et de rémission, même une phase plus longue pendant laquelle la personne assurée avait pu reprendre le travail n’implique pas forcément une amélioration durable de l’état de santé et de la capacité de travail si chaque augmentation de la charge professionnelle entraîne après quelque temps, en règle générale, une recrudescence des symptômes conduisant à une nouvelle incapacité de travail notable. La jurisprudence essaie d’en tenir compte en accordant une signification particulière aux circonstances de chaque cas d’espèce (arrêt 9C_515/2019 du 22 octobre 2019 consid. 2.1.1; 9C_575/2018 du 15 avril 2019 consid. 4.1 et les arrêts cités).

On rappellera que les constatations de la juridiction cantonale relatives à l’incapacité de travail résultant d’une atteinte à la santé relèvent d’une question de fait et ne peuvent être examinées par le Tribunal fédéral que sous un angle restreint, dans la mesure où elles reposent sur une appréciation concrète des circonstances du cas d’espèce. Les conséquences que tire l’autorité précédente des constatations de fait quant à la connexité temporelle sont en revanche soumises, en tant que question de droit, au plein pouvoir d’examen du Tribunal fédéral (arrêt 9C_214/2019 du 12 décembre 2019 consid. 4.1 et la référence).

 

Pour admettre que le lien de connexité temporelle entre les troubles psychiques en raison desquels l’assurée a bénéficié d’une rente de l’assurance-invalidité dès le mois de mai 1999 et l’incapacité de travail ayant débuté dès le 18.08.2015 n’avait pas été interrompu pendant la période d’activité professionnelle à 100% du 01.08.2014 au 18.08.2015, les juges cantonaux ont d’abord considéré que cette période d’activité avait constitué une tentative de reprise du travail. Après avoir constaté que l’assurée avait travaillé à 100% dès le 01.08.2014, sans présenter d’incapacité de travail médicalement attestée avant le 18.08.2015, la juridiction cantonale a admis que l’incapacité durable de travail médicalement attestée dès cette dernière date trouvait sa cause dans l’activité professionnelle exercée à 100% dès le 1er août 2014, qui avait progressivement entraîné un épuisement des ressources de l’assurée et une augmentation des symptômes. Dans le contexte d’un trouble schizo-affectif évoluant sous la forme de « poussées-rémissions », présent depuis de nombreuses années et ayant justifié l’octroi d’une rente entière de l’assurance-invalidité jusqu’au 30.04.2015, soit pendant encore les neuf premiers mois de la période d’activité à 100% de l’assurée, les juges cantonaux ont considéré que le seul fait que cette atteinte à la santé n’ait pas entraîné de période d’arrêt de travail ou de diminution du taux d’activité pendant une année n’était pas suffisant pour interrompre le lien de connexité temporelle.

D’une part, pour parvenir à la conclusion que l’activité exercée par l’assurée à 100% dès août 2014 constituait une tentative de réinsertion, les juges cantonaux se sont fondés sur des éléments objectifs importants. Il ressort à cet égard de leurs constatations, qui ne sont pas contestées par l’assurée, que lorsqu’elle avait postulé pour cet emploi à 100%, elle était bien consciente du fait que cette augmentation du taux d’activité pouvait la déstabiliser et qu’elle n’était pas certaine de pouvoir tenir sur le long terme, ce dont elle avait fait part à l’office AI au moment de son engagement (cf. rapport d’entretien du 07.05.2014). La juridiction cantonale s’est également référée à un rapport de la doctoresse D.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du 13.03.2014, qui suivait l’assurée depuis novembre 2003. Selon le médecin, une reprise du travail à 100% était possible, à raison de quatre heures de présence quotidienne et de quatre heures de planification libre, une présence de 8 heures quotidiennes n’étant pas exigible.

Un autre élément objectif important en faveur d’une tentative de reprise d’un emploi à plein temps résidait également dans le fait que l’office AI avait poursuivi le versement de la rente entière dont l’assurée était titulaire jusqu’au 30.04.2015. On ajoutera que lors d’un entretien, le 07.05.2014, dans les locaux de l’office AI, l’assurée avait en outre été informée que l’activité qu’elle avait l’intention de débuter à 100% en août 2014 était un projet de reprise, et que son droit à la rente allait être maintenu pendant le début de l’activité pour s’assurer du caractère durable de celle-ci (rapport d’entretien du 07.05.2014). Compte tenu de ce qui précède, les considérations de la juridiction cantonale selon lesquelles l’activité exercée à 100% dès le 01.08.2014 était une tentative de réinsertion n’apparaissent pas insoutenables. Au moment de l’engagement, il existait en effet de sérieux doutes quant au point de savoir si l’exercice d’une activité professionnelle à plein temps était adapté à l’état de santé de l’assurée.

 

D’autre part, on ne saurait reprocher à la juridiction cantonale d’avoir considéré que le fait que l’assurée n’avait pas été en incapacité de travail durant la tentative de réinsertion initiée en août 2014, avant le 18.08.2015, était insuffisant pour interrompre le lien de connexité temporelle. Lorsque l’atteinte à la santé se caractérise par une alternance des périodes d’exacerbation et de rémission, comme c’est le cas en l’espèce, des troubles psychiques présentés par l’assurée, une période de plusieurs mois pendant laquelle la personne assurée est en mesure d’exercer une activité professionnelle à plein temps ne signifie pas nécessairement que l’état de santé et la capacité de travail se sont durablement améliorés lorsque l’augmentation de la charge professionnelle entraîne après quelque temps une recrudescence des symptômes conduisant à une nouvelle incapacité de travail notable (arrêts 9C_515/2019 et 9C_578/2018 cités). Or en l’occurrence, c’est précisément la reprise du travail à 100% en août 2014 qui a provoqué l’incapacité durable de travail à compter du mois d’août 2015. On constate en effet, à la suite des juges cantonaux, que la doctoresse D.__ a indiqué que sa patiente avait commencé à présenter des signes de décompensation sous forme de symptômes somatiques et psychiques au printemps 2015 et que durant les vacances d’été, l’anxiété s’était généralisée et que tous les symptômes étaient devenus plus percutants (rapport du 05.10.2015). Dans un rapport du 27.11.2015, le docteur E.__, spécialiste en médecine interne générale, qui suivait l’assurée depuis le mois de mars 2014, avait pour sa part fait état d’une tentative de reprise du travail à 100% avec un épuisement progressif au plan émotionnel, et précisé que les longues vacances d’été n’avaient pas permis de rétablir l’équilibre préexistant.

En indiquant que son employeur n’avait pas fait preuve de sollicitude particulière envers elle et que son engagement ne reposait pas sur des considérations sociales, dès lors qu’il n’était pas au courant des problèmes de santé passés de son employée, et qu’il n’avait jamais observé quoi que ce fût de particulier, l’assurée ne remet pas en cause les constatations des juges cantonaux fondées sur le dossier médical. Elle ne démontre pas en quoi la juridiction cantonale aurait fait preuve d’arbitraire en admettant que son état de santé et sa capacité de travail ne s’étaient pas durablement améliorés, si bien que le lien de connexité temporelle entre les troubles psychiques qu’elle présentait avant le début de sa couverture d’assurance auprès de l’institution de prévoyance et l’incapacité durable de travail ayant débuté dès le 18.08.2015 n’avait pas été interrompu.

 

En conclusion, en admettant que l’assurée n’était pas assurée auprès de l’institution de prévoyance lorsque l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité est survenue, avec pour conséquence qu’elle a nié l’obligation de l’institution de prévoyance d’allouer des prestations d’invalidité, la juridiction cantonale n’a pas procédé à une appréciation manifestement insoutenable des circonstances particulières du cas d’espèce et, partant, n’a pas violé l’art. 23 LPP et la jurisprudence y relative.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_333/2020 consultable ici

 

 

8C_186/2020 (i) du 26.06.2020 – Révision d’une rente d’invalidité – Revenu d’invalide – 17 LPGA – 16 LPGA / Rappel relatif à l’utilisation de l’ESS – TA1_tirage_skill_level / Conditions pour s’écarter du tableau TA1 et pour appliquer la table T17

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_186/2020 (i) du 26.06.2020

 

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt original fait foi

Consultable ici

 

Révision d’une rente d’invalidité – Revenu d’invalide / 17 LPGA – 16 LPGA

Rappel relatif à l’utilisation de l’ESS – TA1_tirage_skill_level

Conditions pour s’écarter du tableau TA1 et pour appliquer la table T17

 

Assurée, née en 1954, serveuse dans un hôtel-restaurant, a fait une chute en skiant le 28.01.1991, entraînant une fracture des vertèbres D8 et D9 et nécessitant une spondylodèse D7-D10 en novembre 1991. L’assurance-accidents a octroyé une rente d’invalidité au taux de 50% depuis le 01.11.1993. De 1995 à 2007, l’assuré a suivi un traitement intensif de physiothérapie en stationnaire ou en « Day Hospital » pendant 2 à 3 semaines consécutives par an. Ce traitement a été pris en charge par l’assurance-accidents.

Le 26.01.2017, l’assureur-accidents a procédé à la révision de la rente d’invalidité et mis en œuvre une expertise médicale. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a réduit le degré d’invalidité à 26% à compter du 01.08.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt 35.2019.12 – consultable ici)

Le tribunal cantonal a relevé que l’assureur-accidents a appliqué le tableau T17 2014, secteur des activités de bureau/administratives, indexé à 2018. Le tribunal cantonal a constaté que l’assurée avait été serveuse du 01.04.1976 jusqu’à l’accident du 28.01.1991. De 1992 à 2008, elle a travaillé dans un grotto dirigé par sa sœur. L’assurée a déclaré que ses horaires de travail ne correspondaient pas à ceux d’une serveuse normale, mais comprenaient des tâches administratives. Sa sœur ayant cessé son activité entrepreneuriale, elle a été inscrite au chômage à partir du 01.01.2009 ; à partir du 01.04.2009, elle a également travaillé comme « secrétaire auxiliaire » dans une boucherie et comme « réceptionniste auxiliaire » dans un hôtel à Locarno. Sans activité lucrative depuis l’automne 2015, l’assuré a perçu des indemnités de chômage de 2009 à 2017 [pour la période 2009-2015 : gain intermédiaire].

Le Tribunal cantonal a rappelé qu’en l’absence d’un revenu effectivement réalisé le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques du tableau TA1 [de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS)]. Il existe des exceptions à ce principe lorsque le revenu d’invalide peut être déterminer plus précisément et lorsque le secteur public est ouvert à l’assuré en plus du secteur privé.

Compte tenu des antécédents professionnels de l’assurée, le tribunal cantonal n’a pas accepté l’application de la ligne 4 [« Employé(e)s de type administratif »] du tableau T17, car il a considéré que le secteur public n’était pas ouvert à l’assurée en plus du secteur privé dans le domaine du travail administratif. Tout en prenant en considération l’expérience professionnelle de l’assurée, la cour cantonale a conclu que le revenu de l’invalide pouvait être établi de manière plus précise en appliquant les données statistiques du secteur économique 77-82 (« Activités de services admin. et de soutien »), niveau de qualification 2, du tableau TA1.

Par jugement du 05.02.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, fixant le degré d’invalidité à 43% dès le 01.08.2018.

 

TF

L’application correcte des tableaux des ESS, à savoir le choix du tableau applicable et du niveau de compétence, est une question de droit que le Tribunal fédéral réévalue librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4 p. 297 ; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399). L’ESS s’appuie à son tour sur la Nomenclature générale des activités économiques (NOGA) pour classer les activités en fonction des activités économiques (arrêt 9C_480/2016 du 10 novembre 2016 consid. 5.2).

Lorsque les tableaux ESS sont applicables, les salaires mensuels contenus dans le tableau TA1, total secteur privé, sont généralement utilisés ; il s’agit de la statistique des salaires bruts standardisés, valeur moyenne ou centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b), et à partir de l’ESS 2012 le tableau TA1_tirage_skill_level doit être utilisé au lieu de TA_b (ATF 143 V 295 consid. 4.2.2 p. 302 ss ; 142 V 178 consid. 2.5.3.1 p. 184 ss).

Dans certains cas, cependant, il peut être nécessaire de se référer aux revenus statistiques réalisé dans un secteur de l’économie (secteur 2 [production] ou 3 [services]) ou même à une branche économique en particulier. Tel sera le cas s’il est plus objectif de tenir compte dans le cas concret d’une exploitation de la capacité de travail exigible, notamment pour les assurés qui, avant l’atteinte à la santé, travaillaient dans un domaine pendant de nombreuses années et qu’une activité dans un autre domaine n’entre pas en ligne de compte.

Lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s’écarter de la table TA1 pour se référer à la table TA7 (anciennement TA7 ; « Secteur privé et secteur public ensemble »), si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide (ou sans invalidité) et que le secteur en question est adapté et exigible (arrêts 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2 et 4.3, 8C_212/2018 du 13 juin 2018 consid. 4.4.1 et les références et 9C_237/2007 du 24 août 2007 consid. 5.1, non publié dans ATF 133 V 545). Par exemple, il est justifié de s’écarter du tableau TA1 lorsque l’activité précédente n’est plus exigible de la part de l’assuré et qu’il est tenu de chercher un nouveau domaine d’activité, seulement si on pense qu’en principe tout le champ d’action du marché du travail est disponible (cf. 9C_237/2007 consid. 5.2).

Dans le cas d’espèce, l’assurée était, au moment de l’accident, serveuse dans un restaurant-hôtel. Elle a transmis le contrat de travail avec la boucherie (valable du 01.04.2009 au 31.12.2011) le 22.05.2018. Elle a déclaré que « mon travail consistait à recueillir les commandes par téléphone ou oralement, à préparer les livraisons de marchandises, à contrôler les factures des fournisseurs, à encaisser ou payer en espèces les factures et à gérer le courrier et la correspondance en attendant l’arrivée de la secrétaire. Je travaillais du lundi au samedi uniquement sur appel et selon les horaires comme attesté à l’assurance chômage du 01.04.2009 au 31.12.2011 ». Des attestations, il résulte un temps de travail mensuel compris entre 11,50 heures et 36 heures. L’assurée a également transmis ses contrats de travail avec l’hôtel de 2009 à 2015. Elle a décrit son activité comme suit : « Le travail de secrétaire de réception et de petit-déjeuner comprenait la notification et l’enregistrement dans le PC de l’arrivée et du départ des clients, la facturation ou le paiement en espèces ou par carte de crédit, la préparation du plan quotidien pour les petits-déjeuners et le rangement des chambres, la commande de produits divers pour le petit-déjeuner et le nettoyage, le contrôle des chambres, la réponse au téléphone ou par e-mail des demandes et réservations des chambres, le traitement général de la correspondance, l’ouverture de l’hôtel pour les petits-déjeuners ou la fermeture le soir à 20h00/21h00. Je remplaçais mes employeurs pendant leur absence. » Les relevés des salaires annuels font mention de 157.5h en 2009, 160.2h en 2010, 198.5h en 2011, 168.5h en 2012, 640.0h en 2013, 640.0h en 2014 et 517.4h en 2015.

 

Tout d’abord, il n’est pas possible d’accorder un poids spécifique au fait que l’assuré a fréquenté un gymnase. En effet, il est bien connu que dans le canton du Tessin, le gymnase n’était pas une école secondaire, mais seulement l’un des deux choix (gymnase ou école secondaire) prévus par la scolarité obligatoire au Tessin après la cinquième année (voir aussi le règlement scolaire cantonal, dans Scuola ticinese, année I, n° 4, série III, avril 1972, page 4 ; disponible sur https://www4.ti.ch/decs/ds/pubblicazioni/edizioni-precedenti/1972-1980/). Il ne peut pas non plus être soutenu que l’assurée a assumé des tâches de « grande responsabilité » chez ses employeurs. Elle n’a jamais exercé de fonctions de direction : elle a d’abord débuté son activité professionnelle comme serveuse dans un restaurant, puis a effectué, à temps partiel, des tâches principalement administratives, mais toujours sous la supervision d’autres personnes, dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration ou du commerce de détail. L’assureur-accidents n’a pas démontré que les conditions pour s’écarter de la règle selon laquelle il faut en principe utiliser le tableau TA1 pour l’application des salaires statistiques sont réunies.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_186/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_186/2020 (i) du 26.06.2020 – Revenu d’invalide – Conditions pour s’écarter du tableau TA1 et pour appliquer la table T17, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/04/8c_186-2020)

 

9C_500/2020 (f) du 01.03.2021 – Droit aux mesures d’ordre professionnel – 17 LAI / Détermination du revenu sans invalidité lorsque la perte de l’emploi est due à des motifs étrangers à l’invalidité – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_500/2020 (f) du 01.03.2021

 

Consultable ici

 

Droit aux mesures d’ordre professionnel / 17 LAI

Détermination du revenu sans invalidité lorsque la perte de l’emploi est due à des motifs étrangers à l’invalidité / 16 LPGA

 

Par décision du 20.02.2019, l’office AI a rejeté la demande de prestations déposée en février 2018 par l’assuré, né en 1965. En bref, en se fondant sur l’ensemble des éléments médicaux recueillis, il a considéré que l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles dès le 13.11.2017. Au terme d’une comparaison des revenus avec et sans invalidité, tirés de données statistiques, le taux d’invalidité de l’assuré s’élevait à 15%, soit un taux insuffisant pour ouvrir le droit tant à une rente d’invalidité qu’à des mesures d’ordre professionnel, de telles mesures n’étant au demeurant pas nécessaires dans la situation de l’assuré, selon l’administration.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/461/2020 – consultable ici)

Si la cour cantonale a confirmé le revenu d’invalide fixé par l’office AI à 57’036 fr. en se référant aux données statistiques (ESS 2016, TA1, tous secteurs confondus [total], niveau 1, hommes, compte tenu d’une réduction de 15% pour tenir compte des limitations fonctionnelles), elle a en revanche considéré que le revenu sans invalidité devait être déterminé concrètement, en se fondant sur le revenu moyen réalisé par l’assuré durant les cinq dernières années d’activité au service de B.__ SA, de 2008 à 2012, réactualisé en 2016, soit 75’876 fr. Compte tenu de ce montant (et non de 67’102 fr. comme retenu par l’administration en se fondant sur les données statistiques de l’ESS 2016), l’assuré présentait un taux d’invalidité de 24,83% ([75’876 fr. – 57’036 fr.] / 75’876 fr. x 100 = 24,83%).

Par jugement du 20.05.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision en tant qu’elle nie à l’assuré le droit à une mesure d’ordre professionnelle et renvoyant la cause à l’office AI.

 

TF

Droit aux mesures d’ordre professionnel

Le seuil minimum fixé par la jurisprudence pour ouvrir le droit à une mesure de reclassement est une diminution de la capacité de gain de 20% environ (ATF 139 V 399 consid. 5.3 p. 403; 130 V 488 consid. 4.2 p. 489; 124 V 108 consid. 2b p. 110; arrêt 9C_320/2020 du 6 août 2020 consid. 2.2 et les références).

 

Revenu sans invalidité

Le revenu hypothétique de la personne valide (revenu sans invalidité au sens de l’art. 16 LPGA) se détermine en établissant au degré de la vraisemblance prépondérante ce qu’elle aurait effectivement pu réaliser au moment déterminant si elle était en bonne santé. Il doit être évalué de la manière la plus concrète possible ; c’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par la personne assurée avant l’atteinte à la santé, en tenant compte de l’évolution des salaires jusqu’au moment de la naissance du droit à la rente (ATF 134 V 322 consid. 4.1 p. 325; 129 V 222 consid. 4.3.1 p. 224 et les références). Toutefois, lorsque la perte de l’emploi est due à des motifs étrangers à l’invalidité, le salaire doit être établi sur la base de valeurs moyennes (arrêts 9C_247/2015 du 23 juin 2015 consid. 5.1; 9C_212/2015 du 9 juin 2015 consid. 5.4 et les arrêts cités; cf. aussi arrêts 8C_728/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.1 et 9C_501/2013 du 28 novembre 2013 consid. 4.2). Autrement dit, n’est pas déterminant pour la fixation du revenu hypothétique de la personne valide le salaire que la personne assurée réaliserait actuellement auprès de son ancien employeur, mais bien plutôt celui qu’elle réaliserait si elle n’était pas devenue invalide (arrêt 9C_394/2013 du 27 septembre 2013 consid. 3.3 et les références).

Le raisonnement de la juridiction cantonale selon lequel le revenu obtenu par l’assuré dans l’activité de monteur de production auprès de B.__ SA jusqu’en mars 2013 correspondait le mieux à ce qu’il aurait pu gagner s’il n’était pas invalide, puisqu’il s’agissait du gain qu’il aurait effectivement réalisé s’il avait été en bonne santé n’est pas fondé. Il ne prend en effet pas en considération le fait que l’assuré a perdu son emploi pour des motifs étrangers à l’invalidité, comme le soutient à juste titre l’office AI. L’assuré était en effet sans emploi depuis mars 2013 et a perçu des indemnités de l’assurance-chômage du 05.04.2013 au 31.12.2014, à la suite de quoi il s’est adressé à l’Hospice général afin de bénéficier d’une aide financière au début de l’année 2015, n’ayant pas retrouvé un travail. Dans la demande de prestations de l’assurance-invalidité du 27.02.2018, l’assuré a par ailleurs indiqué qu’il présentait une incapacité de travail depuis le 01.01.2015 – celle-ci n’ayant été cependant reconnue par l’office AI qu’à partir du 13.11.2017 – et aucune pièce figurant au dossier ne fait état d’une incapacité de travail qui serait survenue antérieurement à cette date. A la lecture de la lettre de licenciement du 10.01.2013, on constate du reste que l’ancien employeur de l’assuré n’a pas fait mention d’éventuels problèmes médicaux qui auraient motivé le licenciement. Dans ces circonstances, dans la mesure où la fin des rapports de travail n’était pas liée à une raison médicale, on ne peut admettre que l’assuré aurait poursuivi son activité auprès du même employeur.

Par conséquent, c’est à tort que les juges cantonaux se sont fondés sur le revenu effectif perçu par l’assuré jusqu’en 2013 plutôt que sur le salaire statistique pour fixer le revenu sans invalidité. Le montant arrêté à ce titre à 67’102 fr. par l’office AI ne prête pas à discussion.

Au vu du revenu sans invalidité de 67’102 fr. et du revenu d’invalide de 57’036 fr. (retenu par la juridiction cantonale et non contesté par les parties), le taux d’invalidité de l’assuré doit être fixé à 15% ([67’102 fr. – 57’036 fr.] / 67’102 fr. x 100 = 15%). Ce taux étant inférieur au seuil de 20% minimum requis pour ouvrir le droit à un reclassement, l’assuré ne saurait y prétendre.

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_500/2020 consultable ici

 

 

9C_15/2020 (d) du 10.12.2020 – Revenu d’invalide – Capacité de travail exigible – Marché équilibré du travail – 16 LPGA / Capacité de travail de 80% en home office exigible

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_15/2020 (d) du 10.12.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt original fait foi

 

Revenu d’invalide – Capacité de travail exigible – Marché équilibré du travail / 16 LPGA

Capacité de travail de 80% en home office exigible

 

Après deux précédents refus de l’office AI, l’assurée, née en 1970, a déposé une nouvelle demande AI en mars 2014. L’office AI a mis en œuvre les investigations usuelles ainsi qu’une expertise confiée à un spécialiste en médecine interne générale et rhumatologie et un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Par décision du 15.08.2018, l’office AI a rejeté la demande (degré d’invalidité de 20%).

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2018.00702 – consultable ici)

Comme l’office AI, la cour cantonale a retenu la valeur probante à l’expertise bidisciplinaire. D’un point de vue rhumatologique, depuis la fin de l’année 2013, il existe une diminution de la capacité de travail maximale de 40% travail dans l’activité habituelle dans le domaine administratif ainsi que dans une activité adaptée, en raison des conséquences de la luxation congénitale de la hanche gauche. Selon les médecins-experts, la diminution de la capacité de travail est d’au maximum 20% pour les activités pouvant être réalisées à domicile (home office).

La cour cantonale a évalué l’invalidité sur une capacité de travail de 60%, estimant qu’une capacité de travail de 80% dans des activités ne pouvant être exercées qu’à domicile n’était pas économiquement viable. L’instance cantonale n’a pas tenu compte du revenu tiré d’une activité indépendante en tant que cartographe, car celui-ci ne serait pas supérieur au revenu provenant d’un emploi dans le secteur commercial exercé à 60%.

Les revenus à comparer sont calculés sur la base du même salaire statistique, (comparaison dite en pourcentage). Partant, sur la base d’une incapacité de travail de 40%, il en résulte un degré d’invalidité de 40%, ouvrant le droit à un quart de rente d’invalidité. Les juges cantonaux ont laissé ouverte la question de savoir si un abattement sur le salaire statistique était justifié, car même un abattement de 15% ne modifiait pas le droit de l’assurée à un quart de rente.

Par jugement du 14.11.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et reconnaissant le droit à l’assurée à un quart de rente d’invalidité dès le 01.09.2014.

 

TF

Dans le cadre d’une nouvelle demande, les règles de révision sont applicables par analogie (au lieu de beaucoup : arrêt 9C_682/2017 du 6 septembre 2018 E. 4.2.1). Si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée (art. 17 al. 1 LPGA).

Au considérant 6, le Tribunal fédéral examine si la cour cantonale a violé le droit fédéral en niant la viabilité économique d’une capacité de travail de 80% en home office.

La possibilité pour une personne assurée d’utiliser la capacité restante sur le marché du travail équilibré dépend des circonstances concrètes du cas particulier. Selon la jurisprudence, les éléments déterminants sont le type et la nature de l’atteinte à la santé et ses conséquences, l’effort d’adaptation prévisible et, dans ce contexte, également la structure de la personnalité, les talents et compétences existants, la formation, la carrière professionnelle ou l’applicabilité de l’expérience professionnelle de l’activité habituelle (arrêt 9C_650/2015 du 11 août 2016 consid. 5.3 et les références). Le marché du travail équilibré est une question théorique, de sorte que l’on ne peut pas supposer à la légère que la capacité restante est inutilisable (arrêts 8C_442/2019 du 20 juillet 2019 consid. 4.2 et 9C_485/2014 du 28 novembre 2014 consid. 3.3.1). Il y a présomption de l’inexploitabilité de la capacité de travail résiduelle lorsque l’activité exigible ne peut être exercée que sous une forme tellement restreinte qu’elle n’existe pratiquement pas sur le marché équilibré du travail ou que son exercice suppose de la part de l’employeur des concessions irréalistes et que, de ce fait, il semble d’emblée exclu de trouver un emploi correspondant (arrêts 9C_644/2019 du 20 janvier 2020 consid. 4.2 et les références ; 8C_759/2018 du 13 juin 2019 consid. 7.1 et les références).

La cour cantonale a considéré que le point de vue de l’office AI, selon lequel l’assurée pouvait pleinement exercer son activité habituelle en home office, ne pouvait être accepté, d’autant plus qu’il n’existait pas de demande réaliste pour une telle activité lucrative sur le marché du travail équilibré en question.

Dans la mesure où la formulation « entièrement en home office » implique que l’assurée ne quitte pas (du tout) son domicile lorsqu’elle exerce son activité lucrative, l’instance cantonale ne peut être suivie. Ce n’était pas l’hypothèse de l’office AI et cela ne résulte pas non plus – sous cette forme – de l’évaluation de l’expert. La cour cantonale a également indiqué, en se référant aux commentaires du rapport d’expertise, que l’assurée était capable de conduire régulièrement (seul) une voiture. Au vu de cette constatation de la cour cantonale, on ne voit pas pourquoi il ne serait pas raisonnable pour l’assurée – même dans le cadre de sa capacité exigible de 80% pour les activités de home office – de se rendre au moins occasionnellement sur le lieu de l’entreprise pour y effectuer des travaux ou s’y rendre à des rendez-vous.

L’office AI fait remarquer à juste titre que le marché équilibré du travail (théorique), déterminant dans ce cas, offre – surtout dans le secteur commercial – divers emplois qui peuvent aussi être exercés en grande partie en home office, car ils ne sont pas liés à un lieu de travail précis. L’exigibilité de la capacité de travail de 80% est donc à retenir. La conclusion contraire de la cour cantonale n’est pas conforme au droit fédéral.

 

Abattement

Au vu de ce qui précède, s’agissant de l’évaluation de l’invalidité, il est nécessaire de supposer une capacité de travail de 80% dans l’activité commerciale habituelle de l’intéressée, dont la majeure partie doit être exercée en home office. A l’instar de l’office AI et du tribunal cantonal, les revenus à comparer (sans invalidité et d’invalide) peuvent être déterminés sur la base du même salaire statistique. Le fait que l’activité se fasse en home office n’empêche pas l’application des salaires statistiques pour le revenu d’invalidité. Toutefois, cette circonstance peut, si nécessaire, être prise en compte dans le cadre de l’abattement sur le salaire statistique.

Dans le cas d’une comparaison en pourcentage et de l’hypothèse d’une capacité de travail exigible de 80%, un abattement de 25% serait nécessaire pour aboutir à un degré d’invalidité ouvrant le droit à la rente (art. 28 al. 2 LAI). En l’état, aucune déduction de 25 % n’est justifiée sur la seule base de cette limitation (activité en home office) – aucun autre aspect pertinent pour la déduction n’a été soulevé en dernière instance.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_15/2020 consultable ici

 

Remarque/Commentaire :

La notion de marché équilibré du travail est une notion théorique et abstraite qui sert de critère de distinction entre les cas tombant sous le coup de l’assurance-chômage et ceux qui relèvent de l’assurance-invalidité. Elle implique, d’une part, un certain équilibre entre l’offre et la demande de main d’œuvre et, d’autre part, un marché du travail structuré de telle sorte qu’il offre un éventail d’emplois diversifiés, tant au regard des exigences professionnelles et intellectuelles qu’au niveau des sollicitations physiques (ATF 110 V 273 consid. 4b p. 276 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_813/2015 du 31 mai 2016, consid. 3.2 ; I 350/89 du 30 avril 1991 consid. 3b, in : RCC 1991 p. 329.).

Pour évaluer l’invalidité, il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si un invalide peut être placé eu égard aux conditions concrètes du marché du travail – ce qui revient à l’assurance-chômage – mais uniquement de se demander s’il pourrait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de travail lorsque les places de travail disponibles correspondent à l’offre de la main d’œuvre (arrêt du Tribunal fédéral I 198/97 du 7 juillet 1998 consid. 3b et les références, in : VSI 1998 p. 293).

Le fait d’étendre la notion du marché travail équilibré également à une activité exercée en télétravail (home office) semble discutable. Bien que l’année 2020 fut un tournant pour l’acceptation du home office, il semble peu probable que nombre d’employeurs offrent des places de travail uniquement en télétravail. Le Tribunal fédéral anticipe peut-être l’avenir mais, au moment déterminant pour la cause, cela nous semble excessif.

 

Proposition de citation : 9C_15/2020 (d) du 10.12.2020 – Capacité de travail de 80% en home office exigible, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/03/9c_15-2020)

8C_289/2020 (f) du 17.02.2021 – destiné à la publication – Pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident soient élucidées – Rappel / 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_289/2020 (f) du 17.02.2021, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident soient élucidées – Rappel / 6 LAA

 

Assuré, né en 1969, maçon, a été victime le 18.06.2012 d’un accident de travail. Il procédait à un marquage du sol en contrebas d’une pente où était située une pelle mécanique, dos à la machine qui se trouvait à une distance d’environ 4 à 5 mètres, lorsque celle-ci a glissé en bas de la pente et que son godet a percuté l’assuré au niveau des jambes. L’assuré a subi une fracture oblique de la diaphyse de la jambe droite ainsi qu’une fracture plurifragmentaire spiroïde et distale du tibia gauche associée à une fracture plurifragmentaire du péroné du même côté. Les suites ont été marquées par des complications cutanées bilatérales, nécessitant en août 2012 une excision d’ulcère avec débridement et fermeture de plaie, ainsi que par un retard de consolidation des fractures des deux jambes, ce qui a exigé d’autres interventions chirurgicales en 2013.

En raison de la persistance de douleurs aux membres inférieurs et des difficultés à la marche, l’assuré a séjourné du 19.08.2014 au 09.09.2014 à la Clinique D.__. Dans le rapport de sortie, les médecins de cet établissement ont fait état, outre les diagnostics somatiques, d’un trouble de l’adaptation avec réaction anxieuse de type post-traumatique. Le 16.06.2015, le médecin d’arrondissement a retenu que l’état de santé était stabilisé, a confirmé la capacité entière de travail médico-théorique dans une activité adaptée et a fixé le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité à 15%. Il a maintenu son appréciation le 13.10.2016, après avoir constaté l’ablation du matériel d’ostéosynthèse du côté droit (18.01.2016), puis le 14.06.2018, ensuite de l’ablation du matériel d’ostéosynthèse du tibia gauche avec neurolyse du nerf saphène interne de la jambe gauche du 18.12.2017.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une IPAI de 15% et une rente d’invalidité d’un taux de 23% à compter du 01.08.2018. Elle a refusé de tenir compte d’une éventuelle incapacité de travail sur le plan psychique, faute d’un lien de causalité adéquate.

 

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a à son tour examiné s’il existait un lien de causalité adéquate entre l’évènement accidentel et des troubles psychiques. Les juges cantonaux ont qualifié l’accident de moyennement grave à la limite des cas graves et ont admis le critère de la durée anormalement longue du traitement médical, sans examiner si les autres critères étaient également remplis.

Finalement, la cour cantonale a constaté que l’état du dossier ne permettait de statuer ni sur le rapport de causalité naturelle, ni sur l’influence de la pathologie psychiatrique sur la capacité résiduelle de travail et sur la quotité de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Par conséquent, elle a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire, en particulier pour établir la nature des troubles psychiques (diagnostics), l’éventuel rapport de causalité naturelle de ces troubles et l’accident ainsi que leur influence sur la capacité résiduelle de travail de l’assuré et sur la question de l’éventuel octroi d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité. En outre, le tribunal cantonal a estimé qu’une analyse globale s’avérerait judicieuse, vu qu’on était en présence de séquelles physiques additionnelles entraînant des limitations fonctionnelles.

Par jugement du 20.04.2020, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Dans la mesure où le caractère naturel et le caractère adéquat du lien de causalité doivent être remplis cumulativement pour octroyer des prestations d’assurance-accidents, la jurisprudence admet de laisser ouverte la question du rapport de causalité naturelle dans les cas où ce lien de causalité ne peut de toute façon pas être qualifié d’adéquat (ATF 135 V 465 consid. 5.1 p. 472). En revanche, la manière dont ont procédé les juges cantonaux, consistant à reconnaître un rapport de causalité adéquate avant que les questions de fait relatives à la nature des troubles psychiques en cause et à leur causalité naturelle soient élucidées, ne saurait être confirmée.

Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de dire qu’il n’est pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques d’un assuré avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées au moyen d’une expertise psychiatrique concluante (arrêts 8C_192/2018 du 12 mars 2019 consid. 6; 8C_685/2015 du 13 septembre 2016 consid. 4.2, in: SVR 2017 UV n° 4 p. 11; cf. IRENE HOFER, in: Basler Kommentar ATSG, 2020, n° 78 ad art. 4 LPGA). D’une part, un tel procédé est contraire à la logique du système. En effet, le droit à des prestations découlant d’un accident suppose tout d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Ainsi, on ne peut pas retenir qu’un accident est propre, sous l’angle juridique, à provoquer des troubles psychiques éventuellement incapacitants sans disposer de renseignements médicaux fiables sur l’existence de tels troubles, leurs répercussions sur la capacité de travail et leur lien de causalité avec cet accident. D’autre part, la reconnaissance préalable d’un lien de causalité adéquate est un élément de nature à influencer, consciemment ou non, le médecin psychiatre dans son appréciation du cas, et donc le résultat d’une expertise psychiatrique réalisée après coup s’en trouverait biaisé (arrêts 8C_192/2018 du 12 mars 2019 précité consid. 6; 8C_685/2015 du 13 septembre 2016 précité consid. 4.2, in: SVR 2017 UV n° 4 p. 11).

En l’occurrence, pour ces mêmes raisons, il est prématuré que le Tribunal fédéral se prononce sur les griefs soulevés par l’assurance-accidents. Un tel examen n’aurait de sens que si l’on pouvait d’emblée nier l’existence d’un rapport de causalité adéquate, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Sans préjuger de cette question, il convient donc d’annuler le chiffre 1 du dispositif du jugement cantonal en tant qu’il renvoie aux considérants sur la question de la causalité adéquate. La cause sera renvoyée à l’assurance-accidents afin qu’elle procède à une instruction complémentaire globale dans le sens ordonné par l’autorité cantonale. En fonction du résultat de cette instruction, l’assurance-accidents se prononcera à nouveau notamment sur le lien de causalité adéquate et naturelle, et rendra une nouvelle décision sur le droit aux prestations de l’assuré.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et la décision litigieuse, renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_289/2020 consultable ici

 

 

5A_917/2020 (f) du 12.02.2021 – Retard à statuer du premier juge sur la requête d’assistance judiciaire – Caractère raisonnable du délai dans lequel la cause doit être traitée / Décision relative à l’assistance judiciaire gratuite relève matériellement du droit administratif

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_917/2020 (f) du 12.02.2021

 

Consultable ici

 

Retard à statuer du premier juge sur la requête d’assistance judiciaire – Caractère raisonnable du délai dans lequel la cause doit être traitée

Décision relative à l’assistance judiciaire gratuite relève matériellement du droit administratif

 

Procédure oppose depuis le 04.12.2019 leurs parents non mariés B.__ et A.__ devant le Président du Tribunal civil de l’arrondissement de la Gruyère. Dans sa réponse du 16.12.2019, le père a requis l’assistance judiciaire totale, avec effet au 09.10.2019 ; le 24.01.2020, il a produit des pièces complémentaires à l’appui de cette requête.

Le Président du tribunal a tenu deux audiences, les 24.01.2020 et 20.05.2020. Le 21.05.2020, le conseil du père a produit sa liste de frais au titre de l’assistance judiciaire ; le lendemain, ce magistrat lui a répondu qu’il procéderait à leur fixation une fois que le jugement serait définitif et exécutoire.

Le 09.06.2020, le Président du tribunal a prononcé son jugement sous forme d’un dispositif ; il a homologué une convention conclue lors de la dernière audience, qui prévoit notamment que chaque partie assume la moitié des frais judiciaires ainsi que ses propres dépens, sous réserve de l’assistance judiciaire.

 

Procédure cantonale (arrêt 101 2020 347 + 348 – consultable ici)

Le 29.08.2020, le père a formé un recours pour « retard injustifié/déni de justice » ; il a conclu à l’octroi de l’assistance judiciaire totale pour la procédure au fond – son conseil étant désigné comme avocat d’office -, avec effet au 09.10.2019, ainsi que pour la procédure de recours.

Statuant le 28.09.2020, la Ie Cour d’appel civil du Tribunal cantonal a rejeté le recours, en invitant « cependant » le premier juge à statuer, « sans délai et prioritairement », sur les requêtes d’assistance judiciaire des deux parties (ch. I) ; en outre, elle a rejeté la requête d’assistance judiciaire totale du recourant pour la procédure de recours cantonale (ch. II).

 

TF

Dans l’appréciation du caractère raisonnable du délai dans lequel la cause doit être traitée, il faut tenir compte, entre autres éléments, du comportement du justiciable ; il incombe à celui-ci d’entreprendre ce qui est en son pouvoir pour que l’autorité fasse diligence, « que ce soit en l’invitant à accélérer la procédure ou en recourant, le cas échéant, pour retard injustifié » (ATF 130 I 312 consid. 5.2; récemment, parmi d’autres : arrêts 2C_341/2020 du 19 janvier 2021 consid. 5.2; 2C_227/2020 du 21 août 2020 consid. 9.2, in : Pra 2021 n° 2; 1B_122/2020 du 20 mars 2020 consid. 3.1; 5D_205/2018 du 24 avril 2019 consid. 4.3.1). Il s’agit là de conditions alternatives (« ou »), et non cumulatives ; autrement dit, le justiciable n’est pas tenu de s’adresser d’abord au juge qui diffère indument sa décision, le recours pour déni de justice étant précisément l’un des moyens d’accélérer la procédure (cf. récemment :  ordonnance 5A_573/2020 du 10 septembre 2020 consid. 3.2).

En outre, le comportement du justiciable doit être apprécié avec moins de rigueur en procédure pénale et administrative que dans un procès civil, où les parties doivent faire preuve d’une « diligence normale » pour activer la procédure (ATF 130 I 312 consid. 5.2 et les références). Or, la requête sur laquelle le premier juge a tardé à statuer d’une manière injustifiée concerne une procédure opposant directement le justiciable à l’État (ATF 140 III 501 consid. 4.1.2; 139 III 334 consid. 4.2), et non un procès civil ordinaire entre deux particuliers ; même lorsqu’elle s’inscrit dans un procès civil, la décision relative à l’assistance judiciaire gratuite relève ainsi matériellement du droit administratif (arrêt 5P.489/1997 du 13 février 1998 consid. 2b, in : RDAF 1998 I 322 = Pra 1998 n° 80).

 

Pour le surplus, l’inaction que la juridiction précédente impute au recourant n’est nullement avérée.

Certes, l’intéressé n’a rien « entrepris » lorsque le premier juge a accusé réception, le 22.05.2020, de sa liste de frais ; il n’avait cependant pas à le faire, puisque ce magistrat lui avait répondu qu’il procéderait « à la fixation une fois que le jugement serait devenu définitif et exécutoire », étant ajouté que l’avis de dispositif du 09.06.2020 se prononce sur les frais et dépens de la procédure au fond, « sous réserve de l’assistance judiciaire ». Sous cet angle, le reproche de l’autorité précédente heurte manifestement le principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.). Enfin, on ne discerne pas la pertinence d’une « intervention spontanée » du recourant aux observations déposées le 01.09.2020 par le Président du tribunal, alors que le recours pour retard injustifié était pendant.

Vu ce qui précède, le refus de l’assistance judiciaire pour la procédure de recours cantonale ( cf. supra, consid. 2.1 in fine) repose sur le même motif erroné. Le chiffre II du dispositif de l’arrêt entrepris doit dès lors être annulé.

 

Le TF admet partiellement le recours.

 

 

Arrêt 5A_917/2020 consultable ici

 

 

9C_139/2020 (f) du 10.02.2021 – Rémunérations versées par une entreprise suisse à une société sous-traitante sise au Portugal – Paiement des cotisations sociales à la charge de l’entreprise helvétique / 12 Règl. (CE) n° 883/2004 –13 Règl. (CE) n° 883/2004

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_139/2020 (f) du 10.02.2021

 

Consultable ici

 

Rémunérations versées par une entreprise suisse à une société sous-traitante sise au Portugal – Paiement des cotisations sociales à la charge de l’entreprise helvétique / 12 Règl. (CE) n° 883/2004 –13 Règl. (CE) n° 883/2004

 

 

A.__ SA (ci-après: la société), ayant pour but notamment l’étude et la réalisation d’installations frigorifiques, de climatisation, de ventilation et de pompes à chaleur, a été inscrite au Registre du commerce genevois en 1999. Son administrateur est C.__. La société a été affiliée en tant qu’employeur à la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après: la caisse de compensation) en mai 1999.

A la suite d’un contrôle d’employeur effectué auprès de la société le 13.09.2017, la caisse de compensation a constaté que celle-ci avait rémunéré la société portugaise D.__ pour des travaux de sous-traitance en Suisse durant les années 2013, 2014 et 2016. Elle a invité A.__ SA à lui transmettre des attestations A1 relatives à la législation applicable en matière de sécurité sociale dans l’Union européenne, tant pour la société portugaise que pour les salariés détachés du Portugal en Suisse pour l’exécution des travaux. Par décisions, confirmées sur opposition, la caisse de compensation a réclamé à la société les cotisations AVS/AI/APG/AC/AMat et les contributions aux allocations familiales dues pour les années 2013, 2014 et 2016, en lien avec les montants versés à D.__. Elle a fixé le montant des reprises sur salaires à 260’325 fr. pour l’année 2013, 281’748 fr. pour 2014 et 624’510 fr. pour 2016. Ces montants conduisaient à des factures complémentaires de 46’137 fr. 85 pour 2013, 42’690 fr. 30 pour 2014, et 100’123 fr. 05 pour 2016.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1135/2019 – consultable ici)

La juridiction cantonale a constaté que la société avait sous-traité divers travaux, en 2013, 2014 et 2016, à D.__, une entreprise sise au Portugal, et que des employés de celle-ci étaient venus travailler en Suisse. Dans la mesure où la société ne s’était pas souciée de la situation en matière d’assurances sociales de la société portugaise et n’avait pas produit une copie de l’attestation A1 émise par l’organisme de sécurité sociale portugais compétent confirmant la soumission des employés de cette société aux assurances sociales portugaises, les juges cantonaux ont considéré que l’activité déployée par l’entreprise sous-traitante portugaise en Suisse devait être analysée sous l’angle du droit suisse, conformément à la règle posée par l’art. 11 par. 3 let. a du règlement n° 883/2004. Après avoir constaté que le risque économique avait été encouru par la société pour les travaux effectués par les ouvriers portugais sur divers chantiers qu’elle devait terminer, et que rien ne laissait penser que D.__ aurait été très libre dans son organisation, la juridiction cantonale est parvenue à la conclusion que les travailleurs portugais avaient exercé une activité dépendante pour le compte de la société. Au vu de l’absence d’éléments tangibles de preuve sur le nombre d’employés de D.__ venus travailler en Suisse et sur le matériel prétendument fourni par celle-ci et ses frais de fonctionnement, la cour cantonale a considéré que l’intégralité des sommes versées par la société à la société portugaise devait être considérée comme du salaire soumis à cotisations, de sorte qu’elle a confirmé le montant des arriérés de cotisations réclamés par la caisse de compensation.

Par jugement du 10.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal, renvoyant la cause à la caisse de compensation pour examen de la demande de remise de la société puis décision sur cette question

 

TF

Au regard du caractère transfrontalier des faits déterminants, il est incontesté que le litige doit être résolu à la lumière des dispositions de droit européen auquel renvoie l’annexe II de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681), à savoir en particulier le Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (RS 0.831.109.268.1; ci-après: règlement n° 883/2004) et son règlement d’exécution, le Règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement (CE) n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (RS 0.831.109.268.11; ci-après: règlement n° 987/2009), applicables pour la Suisse dès le 1er avril 2012 (ATF 143 V 81 consid. 5 p. 86).

 

Contrairement à ce que soutient d’abord la société, « tous les critères de rattachement » ne permettent pas, en l’espèce, d’établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que « le lieu d’exercice de l’activité salariée des employés de la société [portugaise] était bien au Portugal », et donc qu’ils étaient demeurés assujettis au régime de sécurité sociale portugais.

Sous l’angle d’abord de l’art. 12 du règlement n° 883/2004, qui énonce les règles particulières applicables en cas de détachement de travailleurs, on constate qu’aucune copie de l’attestation A1, qui aurait été émise par l’organisme de sécurité sociale portugais compétent confirmant la soumission des employés aux assurances sociales portugaises, ne figure au dossier, alors que la société n’a fourni aucune information sur l’identité des ressortissants portugais avec lesquels elle a convenu d’une sous-traitance et ayant travaillé sur ses chantiers, ni sur la situation de la société portugaise et de ses employés en matière d’assurances sociales. Quoi qu’en dise la société, le fait qu’il appartenait en principe à la société portugaise ou aux travailleurs venant du Portugal de requérir l’attestation A1 auprès des autorités portugaises dans une situation de détachement (cf. art. 19 par. 2 du règlement n° 987/2009), et non pas à elle, n’est pas déterminant en l’espèce. Dans un premier temps, la caisse de compensation n’a certes procédé à aucune vérification à cet égard dans le cadre de la coopération prévue par l’art. 76 du règlement n° 883/2004, en se limitant à indiquer à la société que les reprises étaient justifiées puisque A.__ SA n’avait pas produit l’attestation A1. En procédure cantonale, elle a toutefois pris des renseignements par le biais de l’OFAS. Celui-ci a indiqué, après avoir entrepris les vérifications nécessaires auprès des autorités portugaises compétentes, qu’aucune attestation A1 n’avait été émise pour un employeur du nom de D.__. L’éventualité du détachement de travailleurs portugais au sens de l’art. 12 du règlement n° 883/2004 ne saurait dès lors être admise.

 

S’agissant ensuite de l’éventualité prévue par l’art. 13 par. 1 let. a du règlement n° 883/2004, selon lequel la personne qui exerce normalement une activité salariée dans deux ou plusieurs Etats membres est soumise à la législation de l’Etat membre de résidence, si elle exerce une partie substantielle de son activité dans cet Etat membre, auquel se réfère la société, elle n’est pas non plus établie au degré de la vraisemblance prépondérante. A l’inverse de ce que soutient A.__ SA, l’affirmation selon laquelle la société portugaise aurait maintenu les moyens nécessaires à l’exercice de son activité au Portugal pendant que « ses deux seuls et uniques employés » se trouvaient en Suisse, ne suffit pas pour établir que les intéressés étaient soumis à la législation de leur Etat de résidence au sens de la disposition de droit européen.

Tout au long de la procédure administrative et de première instance, la société n’a apporté aucun indice ou élément tangible qui aurait rendu vraisemblable que les deux ressortissants portugais – dont elle a admis la présence sur ses propres chantiers – auraient exercé leur activité également dans leur Etat de résidence. Se limitant à alléguer qu’elle avait traité avec la société portugaise en question, dont les « deux seuls et uniques employés » auraient travaillé avec elle, elle n’a produit aucune pièce ni donné aucune indication qui auraient permis d’identifier ces personnes, voire les responsables de D.__.

Dans ces circonstances, en l’absence de toute indication concrète sur l’identité des ressortissants portugais en cause, une instruction complémentaire à cet égard n’aboutirait à aucun résultat effectif, de sorte que la société doit se laisser opposer le fait que l’allégation d’une activité également exercée par les travailleurs en cause au Portugal au sens de l’art. 13 par. 1 du règlement n° 883/2004 n’est pas établie. A ce sujet, elle invoque en vain avoir ignoré devoir « entreprendre des démarches, pour des employés d’une autre entreprise ». En tant que société active dans le domaine de la construction et du second-œuvre, elle ne saurait ignorer les obligations qui lui incombent en matière de sous-traitance à un prestataire de services étranger (cf. en particulier l’art. 8c de l’ordonnance du 21 mai 2003 sur les travailleurs détachés en Suisse [Odét; RS 823.01], selon lequel le devoir de diligence de l’entrepreneur contractant lui impose de prendre les dispositions contractuelles et organisationnelles nécessaires afin d’être en mesure d’exiger des sous-traitants censés effectuer des travaux dans le cadre ou à la fin de la chaîne contractuelle qu’ils démontrent leur respect des conditions minimales de salaire et de travail).

En conséquence de ce qui précède, c’est à bon droit que les juges cantonaux ont admis que la situation devait être résolue en appliquant le principe général de l’art. 11 par. 3 let. a du règlement n° 883/2004, selon lequel la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat membre, et donc, que le droit suisse était applicable.

 

La société allègue finalement, à titre subsidiaire, que même à considérer que le droit suisse est applicable en l’espèce, les rémunérations qu’elle a versées à D.__ comprenaient, en sus des salaires, d’autres frais encourus par la société portugaise (frais liés au déplacement depuis le Portugal, à l’hébergement et à la nourriture pendant la durée de l’exécution des travaux, ainsi qu’au matériel nécessaire à l’exécution du contrat de sous-traitance, charges sociales portugaises et marge de la société portugaise). En se référant aux salaires prévus par la CCT métallurgie GE, elle considère que les reprises sur salaires ne pouvaient porter que sur une somme de 80’000 fr. en 2013, 120’000 fr. en 2014 et 192’000 fr. en 2016.

L’argumentation subsidiaire de la société ne peut pas être suivie. En l’occurrence, A.__ SA a transmis à la caisse de compensation diverses factures libellées au nom de la société portugaise. Dans chacune d’elles, il est fait mention d’un montant total correspondant au travail effectué en Suisse (« várias tarefas de instalação ne Suiça »), sans aucune autre précision. En ce qu’elle se contente d’affirmer qu’en considérant que le montant total des factures constitue du salaire, « on arrive à des salaires astronomiques et fant[ai]sistes », qui ne correspondent pas à la réalité du marché, et que seuls deux travailleurs seraient venus travailler sur divers de ses chantiers en Suisse, la société n’établit pas que les montants facturés comprendraient des éléments autres que les salaires. L’indication du nombre de travailleurs ne figure par ailleurs que dans trois factures (soit, deux travailleurs pour les mois de mars et avril 2014, respectivement un travailleur pour les mois de mai à juillet et août à novembre 2014), si bien que l’on ne saurait reprocher à la cour cantonale d’avoir considéré qu’il n’était pas établi « au vu des sommes en jeu » que seuls deux employés au maximum avaient travaillé en Suisse sur les chantiers de la société. Compte tenu de son devoir de collaborer à l’instruction, il incombait à la société de démontrer, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les montants versés comprenaient également d’autres frais que les salaires. Partant, faute d’éléments tangibles de preuve sur le nombre d’employés venus travailler en Suisse et sur le matériel prétendument fourni par la société portugaise sous-traitante et ses frais de fonctionnement, c’est à bon droit et sans arbitraire que la juridiction cantonale a considéré que l’intégralité des sommes versées par la société aux personnes (non identifiées) ayant signé les factures devait être considérée comme du salaire soumis à cotisations.

 

Le TF rejette le recours de la société.

 

 

Arrêt 9C_139/2020 consultable ici

 

 

9C_57/2020 (f) du 16.02.2021 – Notification de décisions de prestations complémentaires envoyées à l’assuré incapable de discernement, dépourvu de représentant légal / Vice de procédure particulièrement grave – Décisions entachées de nullité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_57/2020 (f) du 16.02.2021

 

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Notification de décisions de prestations complémentaires envoyées à l’assuré incapable de discernement, dépourvu de représentant légal

Vice de procédure particulièrement grave – Décisions entachées de nullité

Pas de représentation de l’assuré par l’établissement où il séjourne, qui s’occupe de ses affaires, est autorisé à requérir les prestations complémentaires au nom de l’assuré et à les percevoir

 

Assuré, né en 1971, souffre d’un retard mental et réside au Village de D.__ depuis septembre 2001, où la Fondation D.__ (ci-après : la fondation) accueille des personnes en situation de handicap. A partir du 01.01.2001, il a bénéficié de prestations complémentaires fédérales et cantonales à sa rente de l’assurance-invalidité (décision du Service des prestations complémentaires [ci-après : le SPC] du 03.01.2001), puis, uniquement de prestations complémentaires fédérales, depuis le 01.01.2009 (décision du 12.12.2008). Dès son arrivée au Village de D.__, les décisions d’octroi de prestations complémentaires lui ont été envoyées à l’adresse de la fondation.

Entre le 04.12.2015 et le 22.02.2016, la fondation a informé à 3 reprises le SPC qu’elle avait constaté, en remplissant la dernière demande de révision périodique, que le prix de pension pris en compte à titre de dépenses reconnues dans toutes les décisions de prestations complémentaires rendues depuis le 01.01.2012 avait été fixé à 47’450 fr., alors que le prix de pension s’était en réalité élevé à un montant supérieur. Le SPC a expliqué qu’en raison d’une erreur de saisie informatique commise en 2001, le prix de pension n’avait pas été adapté depuis lors, et que la situation allait être corrigée pour le futur, à compter de janvier 2016, conformément aux principes régissant la reconsidération des décisions entrées en force. Après que la fondation a requis du SPC qu’il rendît une décision formelle, celui-ci a répondu que dans la mesure où la fondation n’était pas concernée par la prise en compte d’un prix de pension erroné, que l’assuré ou ses représentants légaux ne s’étaient pas manifestés auprès de lui et que les décisions erronées étaient entrées en force, il n’entrerait pas en matière sur la demande de reconsidération pour la période antérieure au 01.01.2016.

A la suite du décès de la mère de l’assuré, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant a instauré une curatelle de portée générale en faveur de l’intéressé (ordonnance du 30.09.2016). Par l’intermédiaire de l’avocate mandatée par ses co-curateurs, l’assuré a demandé au SPC de constater la nullité de toutes les décisions rendues à son égard de 2001 à 2015, au motif que celles-ci ne lui avaient pas été valablement notifiées. Le 19.06.2018, le SPC a confirmé son refus d’entrer en matière sur la demande de reconsidération pour la période antérieure à janvier 2016. Dans la mesure où le courrier du 19.06.2018 ne présentait pas les caractéristiques que doit revêtir une décision, la mandataire de l’assuré a prié le SPC de rendre une décision répondant aux exigences légales.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1092/2019 – consultable ici)

Le 17.08.2018, l’assuré a formé « recours » contre la « décision » du 19.06.2018 devant le tribunal cantonal compétent.

Par jugement du 26.11.2019, la juridiction cantonale a rejeté la demande d’appel en cause de la fondation, déclaré irrecevable le recours en tant qu’il est dirigé contre un refus de reconsidération du SPC, et l’a rejeté pour le surplus.

 

TF

On constate que les décisions rendues par le SPC entre 2001 et 2015 ont bien été adressées à l’assuré, à son lieu de résidence à la fondation.

Il ressort des constatations des juges cantonaux que l’assuré était incapable de discernement et n’a jamais pu s’occuper de ses affaires administratives, ce que celui-ci fait précisément valoir, et que le SPC ne conteste pas (sur la capacité de discernement, cf. ATF 144 III 264 consid. 6 p. 271 ss; arrêt 8C_538/2017 du 30 novembre 2017 consid. 3). Il ne dispose dès lors pas de l’exercice des droits civils (art. 13 CC a contrario et 17 CC; ATF 77 II 7 consid. 2 p. 9; arrêt 5A_81/2015 du 28 mai 2015 consid. 4.1), et n’était donc pas en mesure de désigner un représentant volontaire (art. 32 CO), par exemple en la personne d’un de ses parents. L’assuré n’a pas non plus eu de représentants légaux une fois devenu majeur, avant que ne soit instaurée une curatelle en sa faveur à la suite du décès de sa mère survenu en juillet 2016. On ajoutera qu’il n’a apparemment pas fait l’objet d’une mesure maintenant l’autorité parentale au sens de l’art. 385 al. 3 aCC (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2012, RO 1977 237; cf. aussi art. 14 al. 2 Tit. fin. CC).

A la lecture du jugement entrepris, on constate que si la cour cantonale a admis que les décisions avaient été valablement notifiées à l’assuré, à son adresse à la fondation, elle n’a pas abordé la question de la représentation de l’assuré.

En l’occurrence, le fait qu’en sa qualité d’établissement où séjourne l’assuré et qui s’occupe en permanence de ses affaires, la fondation soit autorisée à requérir les prestations complémentaires au nom de l’assuré (art. 20 al. 1 OPC-AVS/AI en relation avec l’art. 67 al. 1 RAVS), à percevoir directement ces prestations (art. 20 al. 1 LPGA, 1 al. 2 OPGA et 22 al. 1 LPCC) et à se voir notifier les décisions y relatives (art. 10 RPFC et 12 al. 3 RPCC-AVS/AI) n’implique pas qu’elle fût également habilitée à représenter l’assuré en ce qui concerne les prestations complémentaires. En l’absence de pouvoir de représentation, la fondation n’était pas autorisée à recevoir de façon valable, sur le plan juridique, des décisions de prestations complémentaires au nom et pour le compte de l’assuré. A cet égard, on rappellera que la légitimation du tiers de contester des décisions de manière indépendante et en son propre nom (cf. ATF 138 V 292 consid. 4.3.1 p. 297; 130 V 560 consid. 4.3 p. 568; arrêt 8C_338/2013 du 12 août 2013 consid. 3.2) n’entraîne pas un pouvoir de représentation.

On constate ainsi que les décisions de prestations complémentaires rendues par le SPC entre 2001 et 2015 et envoyées à l’assuré, à son adresse à la fondation, ont été notifiées à une personne incapable de discernement, qui était dépourvue de représentant légal. En conséquence, lesdites décisions ne sont pas parvenues valablement à l’assuré (cf., sur la condition de la capacité de discernement pour recevoir une déclaration de volonté entraînant des effets juridiques, voire un acte juridique, BUCHER/AEBI-MÜLLER, in Berner Kommentar, Zivilgesetzbuch, Art. 11-19d ZGB, 2e éd. 2017, n. 86 ad art. 12 CC). Or en présence d’un vice de procédure particulièrement grave, les décisions sont entachées de nullité. A cet égard, il n’y a lieu d’admettre la nullité, hormis les cas expressément prévus par la loi, qu’à titre exceptionnel, lorsque les circonstances sont telles que le système d’annulabilité n’offre manifestement pas la protection nécessaire; entrent principalement en considération comme motifs de nullité de graves vices de procédure ainsi que l’incompétence qualifiée de l’autorité qui a rendu la décision. La nullité d’un acte étatique doit être relevée d’office par toute autorité (ATF 130 III 430 consid. 3.3 p. 434; 122 I 97 consid. 3a/aa p. 98 s. et les références; arrêt 5A_364/2012 du 20 décembre 2012 consid. 5.2.1). Compte tenu de l’importance de la protection des personnes incapables de discernement, la nullité des décisions en cause doit être constatée (cf. arrêts U 485/06 du 19 juillet 2007 consid. 2; K 66/89 du 28 août 1990 consid. 3c/ee), également sous l’angle de la sécurité du droit (ATF 132 II 21 consid. 3.1 p. 27 et les arrêts cités).

Au vu de la nullité des décisions rendues entre 2001 et 2015 par le SPC à l’égard de l’assuré, la cause doit lui être renvoyée pour qu’il statue à nouveau sur le droit de celui-ci à des prestations complémentaires pour la période antérieure au 01.01.2016 conformément aux dispositions légales, notamment celles sur l’extinction du droit aux prestations.

 

 

Le TF admet le recours de l’assuré, annule le jugement cantonal et renvoie la cause au SPC pour qu’il statue à nouveau sur le droit aux prestations complémentaires de l’assuré pour la période antérieure à 2016.

 

 

Arrêt 9C_57/2020 consultable ici

 

 

127 V 219 (f) du 10.08.2001 – Droit d’un assuré de consulter le dossier (dès 2003 : 47 LPGA) / Langue de l’expertise – Droit de l’assuré à l’exécution de l’expertise dans sa langue maternelle, pour autant qu’il s’agisse d’une des langues officielles de la Confédération / Traduction du rapport d’expertise (allemand => français)

Arrêt du Tribunal fédéral 127 V 219 (f) du 10.08.2001

 

ATF 127 V 219 consultable ici

 

Droit d’un assuré de consulter le dossier (dès 2003 : 47 LPGA)

Langue de l’expertise – Droit de l’assuré à l’exécution de l’expertise dans sa langue maternelle, pour autant qu’il s’agisse d’une des langues officielles de la Confédération

Traduction du rapport d’expertise (allemand => français)

 

Assuré, domicilié dans l’un des trois districts francophones du canton de Berne, au bénéfice d’une demi-rente AI (invalidité 50%) depuis le 01.06.1993.

L’assuré ayant demandé à bénéficier d’une rente entière en raison d’une aggravation de son invalidité, il a notamment dû se soumettre à une expertise auprès du Centre d’observation médicale de l’AI (COMAI). Ayant reçu de ce dernier des documents rédigés en allemand, il a protesté et l’Office AI du canton de Berne lui a fait envoyer des formulaires rédigés en français. Le 04.01.2000, l’assuré s’est adressé au COMAI pour demander « poliment » à pouvoir se faire examiner par des médecins ou dans un hôpital de sa région, déclarant qu’il avait peur de se présenter « devant une commission médicale de langue allemande, comprenant mal (son) dossier ». Répondant à sa lettre le 14.01.2000, l’Office AI indiquait notamment: « Selon renseignements pris auprès de ce centre, la question de la langue ne pose pas de problème. Les experts peuvent s’entretenir en français ». En date du 23.03.2000, le COMAI a livré son rapport, rédigé en allemand et long de onze pages, plus deux rapports annexes, de respectivement six et quatre pages, également en allemand.

Le 17.05.2000, l’Office AI a demandé à l’assuré de l’autoriser à transmettre le rapport d’expertise à ses médecins traitants. Deux jours plus tard, ledit office lui a fait part d’un préavis aux termes de laquelle il était prévu de maintenir son droit à une demi-rente d’invalidité, soit, en fait, de rejeter sa demande d’augmentation de la rente. Le 22.05.2000, l’assuré a répondu à l’Office AI qu’il faisait « objection » à cette décision, car il estimait qu’il y avait eu « vices de forme dans la procédure suivie par le centre d’observation médical de X », ses « droits élémentaires de patient » n’ayant pas été respectés. En guise de réponse, l’Office AI lui a écrit pour l’inviter à préciser par écrit quels points du préavis il contestait et pour quelles raisons exactement.

L’assuré a écrit à l’Office AI pour lui faire part de ses griefs. En particulier, il se plaignait d’avoir été examiné par des médecins ne parlant et ne comprenant pas le français, de sorte qu’il avait dû s’entretenir avec eux par le truchement d’une traductrice, ce qui était particulièrement malvenu en ce qui concerne l’examen psychiatrique. L’office lui a répondu en indiquant d’une part qu’il faisait parvenir une copie de l’expertise du COMAI à son médecin traitant et, d’autre part, que pour la question de la langue, il constatait qu’une traductrice professionnelle et qualifiée avait servi d’interprète lors des examens, comme il l’avait souhaité.

Par lettres des 12.07.2000 et 28.07.2000, l’assuré a demandé à l’Office AI de lui faire parvenir le rapport d’expertise en français, ce que l’office a refusé, en précisant que « seules la correspondance et les décisions peuvent être envoyées en français ». Par décision du 18.08.2000, l’Office AI a rejeté la demande de révision et maintenu le droit de l’assuré à une demi-rente.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 14.12.2000, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Droit de consulter le dossier [ATF 127 V 219 consid. 1]

L’assuré qui se voit refuser par un organe de l’assurance sociale le droit de consulter son dossier dans le cadre d’une procédure le concernant doit contester ce refus devant le juge des assurances sociales (arrêt non publié M. du 16 septembre 1999, C 418/98).

Les juges cantonaux, en se référant notamment à THOMAS LOCHER, Grundriss des Sozialversicherungsrechts, 2e édition, Berne 1997, p. 343-344, ont rejeté le grief en considérant que selon l’interprétation traditionnelle, il n’y a pas de violation du droit d’être entendu lorsque l’autorité administrative refuse d’envoyer des copies du dossier à un administré non représenté par un avocat, tout en autorisant une consultation du dossier au siège de l’autorité (ATF 108 Ia 7 consid. 2b; cf. dans la doctrine récente les développements de MICHELE ALBERTINI, Der verfassungsmässige Anspruch auf rechtliches Gehör im Verwaltungsverfahren des modernen Staates, thèse Berne 1999, p. 249 ss).

Cette opinion n’est plus compatible avec les principes développés par la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à la communication des données personnelles dans le domaine des assurances sociales. On ne voit pas, en effet, ce qui justifierait de traiter différemment l’assuré qui demande à un assureur social de lui communiquer par écrit les données personnelles le concernant, indépendamment de prétentions fondées sur le droit des assurances, et celui qui présente cette requête dans le cadre de l’instruction d’une demande de prestations. Or, si dans le premier cas la jurisprudence lui reconnaît un tel droit (ATF 125 II 323 consid. 3b et les références), il n’y a aucune raison de le lui refuser dans le second.

Peu importe, à cet égard, ce que prévoit la réglementation spécifique au domaine concerné en matière de communication du dossier. S’agissant de l’assurance-invalidité, l’art. 73bis al. 4 RAI donne à l’OFAS la compétence d’édicter des instructions « sur les détails de la procédure… de consultation du dossier », ce qu’il a fait dans sa circulaire sur l’obligation de garder le secret et sur la communication des données dans le domaine de l’AVS/AI/APG/PC/AF. Dans sa version valable depuis le 1er janvier 2001, cette circulaire prévoit la possibilité de communiquer les données personnelles à la personne concernée (ch. m. 25 ss), y compris, en principe, quand il s’agit de renseignements et de dossiers médicaux (ch. m. 36). Une réglementation analogue figurait antérieurement aux ch. m. 18 et 25 de la circulaire valable lorsque les faits déterminants en l’espèce se sont produits. Au demeurant, de telles directives administratives, selon une jurisprudence constante, n’ont pas valeur de règles de droit et ne lient pas le juge (ATF 125 V 379 consid. 1c).

Par ailleurs, lorsqu’il a demandé à recevoir une copie du rapport d’expertise, l’assuré n’était pas assisté par un avocat. Il est vrai que l’Office AI a communiqué le rapport en question à son médecin traitant. Pourtant, à aucun moment l’office n’a prétendu que la connaissance, par l’assuré, du rapport d’expertise était de nature à lui être dommageable, ce qui, selon les instructions de l’OFAS (ancien ch. m. 25 et actuel ch. m. 36 de la circulaire précitée), aurait pu justifier l’envoi du rapport au médecin traitant plutôt qu’à l’assuré (comp. art. 8 al. 3 LPD). Or, ici encore, on ne voit pas pourquoi il faudrait se montrer plus restrictif que dans le cadre de la législation fédérale sur la protection des données, de sorte qu’on ne saurait considérer, en principe, que la communication au médecin traitant de l’assuré d’une copie d’un rapport d’expertise épuise le droit de ce dernier à la communication écrite d’un tel document (comp. ATF 123 II 541 consid. 3d).

On ajoutera qu’un auteur a récemment soutenu que le droit de se faire remettre une copie du rapport d’expertise dont on a fait l’objet, dans le domaine de l’assurance-invalidité, peut se déduire directement de la garantie constitutionnelle du droit d’être entendu (STÉPHANE BLANC, La procédure administrative en assurance-invalidité, thèse Fribourg 1999, p. 281, qui se fonde sur la thèse d’ALEXANDER DUBACH, Das Recht auf Akteneinsicht, Zurich 1990, p. 165, dont l’opinion est à vrai dire plus nuancée et se rapporte à un cas assez particulier traité par la jurisprudence [consid. 4 non publié de l’arrêt ATF 105 Ia 285 ]).

Quoi qu’il en soit, au vu de ce qui précède, le refus de l’Office AI de communiquer au recourant personnellement une copie du rapport d’expertise médicale du COMAI du 23 mars 2000 n’était pas justifié, de sorte que sur ce point le recours apparaît bien fondé.

 

Langue de l’expertise – Traduction du rapport d’expertise [ATF 127 V 219 consid. 2]

Aux termes de l’art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de sa langue. D’autre part, la liberté de la langue est garantie (art. 18 Cst.). Selon l’art. 70 al. 1 Cst., les langues officielles de la Confédération sont l’allemand, le français et l’italien, le romanche étant aussi langue officielle pour les rapports que la Confédération entretient avec les personnes de langue romanche. Les cantons déterminent leurs langues officielles (art. 70 al. 2, première phrase Cst.). Selon l’art. 6 de la Constitution du canton de Berne (RSB 101.1), le français et l’allemand sont les langues nationales et officielles de ce canton (al. 1er); le français est la langue officielle dans le Jura bernois (al. 2 let. a) et toute personne peut s’adresser dans la langue officielle de son choix aux autorités compétentes pour l’ensemble du canton (al. 4).

D’après la jurisprudence rendue sous l’empire de la Constitution de 1874, la liberté de la langue faisait partie des libertés non écrites de la Constitution fédérale. Elle garantit l’usage de la langue maternelle, ou d’une autre langue proche, voire de toute langue de son choix. Lorsque cette langue est en même temps une langue nationale, son emploi était en outre protégé par l’art. 116 al. 1 aCst. (ATF 122 I 238 consid. 2a et b, ATF 121 I 198 consid. 2a, ATF 106 Ia 302 consid. 2a). Dans les rapports avec les autorités toutefois, la liberté de la langue est limitée par le principe de la langue officielle. En effet, sous réserve de dispositions particulières (par exemple les art. 5 par. 2 et 6 par. 3 lettre a CEDH), il n’existe en principe aucun droit à communiquer avec les autorités dans une autre langue que la langue officielle (Praxis 2000 no 40 p. 217 consid. 3). Ces principes ont été formalisés dans la Constitution de 1999, notamment aux art. 18 et 70 (cf. MARCO BORGHI, La liberté de la langue et ses limites, in: DANIEL THÜRER/JEAN-FRANÇOIS AUBERT/JÖRG-PAUL MÜLLER [éd.], Droit constitutionnel suisse, Zurich 2001, § 38).

En l’espèce, il est constant que l’assuré est un francophone établi dans le Jura bernois. Dès le début de la procédure d’expertise ordonnée par l’Office AI, il a demandé à pouvoir se faire examiner par des médecins ou dans un hôpital de sa région, déclarant qu’il avait peur de se présenter « devant une commission médicale de langue allemande, comprenant mal (son) dossier ». Cette question a été au centre du différend qui l’oppose à l’Office AI, indépendamment du problème de fond. Or, on ne comprend pas pourquoi l’office s’est obstiné, dans ces circonstances, à faire examiner l’assuré par les médecins d’un COMAI situé en Suisse alémanique, alors que de tels centres existent aussi en Suisse romande. Il paraît s’être agi, en l’occurrence, d’une mesure purement vexatoire, sans aucune justification objective, d’ordre médical notamment.

Or, compte tenu du statut particulier de cette institution propre à l’assurance-invalidité et de l’importance de son rôle dans l’instruction des faits d’ordre médical (cf. l’art. 72bis RAI et ATF 123 V 177 consid. 4), on doit exiger de la part des organes d’exécution le strict respect des droits fondamentaux des assurés qui doivent, dans le cadre de leur obligation de collaborer à l’établissement des faits pertinents, se soumettre à une expertise auprès d’un tel Centre d’observation médicale. La liberté de la langue d’une part et la garantie de ne pas subir de discrimination en raison de sa langue d’autre part s’inscrivent au rang de ces droits.

Cela ne signifie cependant pas qu’un assuré peut demander dans tous les cas qu’une expertise médicale soit conduite et rédigée dans une langue qu’il comprend. Il faut, à cet égard, s’en tenir à la règle d’après laquelle, on l’a vu, seules les langues officielles de la Confédération peuvent être utilisées dans les relations avec les autorités (cf. ALBERTINI, op.cit., p. 342 ss). Restent réservées les règles procédurales relatives à l’assistance d’un interprète qui ne sont toutefois pas en cause ici.

Dès lors, quand un assuré qui doit se soumettre à une expertise dans un COMAI demande à l’office compétent de désigner un centre d’observation médicale où l’on s’exprime dans l’une des langues officielles de la Confédération qu’il maîtrise, il y a lieu, en principe, de donner suite à sa requête, à moins que des raisons objectives justifient une exception. A défaut, l’assuré a le droit non seulement d’être assisté par un interprète lors des examens médicaux – comme cela a d’ailleurs été le cas en l’espèce – mais encore d’obtenir gratuitement une traduction du rapport d’expertise du COMAI.

Certes, la jurisprudence ne reconnaît pas à un assuré ou à son mandataire le droit de se faire traduire les pièces du dossier rédigées dans une langue qu’il ne maîtrise pas ou de manière seulement imparfaite (RCC 1983 p. 392; arrêt non publié V. du 3 novembre 1992, I 50/92). Sur ce point, le jugement attaqué est conforme à la loi. Mais, comme on l’a vu, ce n’est pas la question qui se pose ici.

En l’occurrence, l’Office AI n’a jamais soutenu qu’il existait une raison quelconque empêchant que l’expertise du recourant ait lieu dans un COMAI situé en Suisse romande, alors même que celui-ci l’avait demandé dès qu’il a été informé qu’il devrait se soumettre à une telle expertise.

C’est dès lors à bon droit que l’assuré se plaint de n’avoir pu obtenir de l’Office AI une traduction française du rapport établi par le COMAI. Le recours est bien fondé sur ce point également.

Aussi convient-il d’annuler le jugement attaqué ainsi que la décision administrative et d’inviter l’Office AI à faire parvenir à l’assuré, à bref délai, une copie du rapport susmentionné, accompagnée d’une traduction en langue française. L’office reprendra ensuite l’instruction de la cause au fond, après avoir donné à l’assuré recourant l’occasion de s’exprimer sur le contenu de cette expertise médicale.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

ATF 127 V 219 consultable ici

Arrêt I 78/01 consultable ici

 

 

 

Remarque : liberté est prise de rappeler cet ancien arrêt du TF, d’il y a 20 ans. Lorsque l’assuré, non représenté, demande la copie de son dossier, il arrive encore que l’office AI ne le lui adresse pas malgré l’art. 47 al. 1 lit. a LPGA ou n’envoie les pièces médicales au médecin traitant, même lorsque l’atteint n’est que strictement somatique (art. 47 al. 2 LPGA est généralement évoqué par les assureurs sociaux pour des données de la sphère psychique).

 

Dans la pratique, arrive-t-il souvent que des italophones demandent à pouvoir être examiné dans leur langue ? Font-ils référence à l’ATF 127 V 219 pour ce faire ? La problématique de la langue a toute son importance en particulier dans les expertises psychiatriques (cf. arrêts du TF I 28/06 du 26.04.2006 consid. 3.1 ; I 664/01 du 16.01.2004 consid. 5.1.2 ; I 357/02 du 07.05.2003 consid. 3.3 ; U 348/01 du 05.07.2002 consid. 2c).

 

A noter qu’il y a lieu de se plaindre de ce grief rapidement (arrêts du TF I 443/03 du 05.08.2004 consid. 3.3 ; I 245/00 du 30.12.2003 consid. 4.1.1 ; I 25/03 du 07.11.2003 consid. 4.2) et qu’il ne faut pas attendre la procédure de recours (cf. arrêts du TF 8C_430/2020 du 15.12.2020 consid. 2.2 ; 8C_432/2020 du 15.12.2020 consid. 2.2 ; 9C_37/2011 du 20.06.2011 consid. 4.2 ; I 313/03 du 31.03.2004 consid. 3 ; I 808/02 du 12.08.2003 consid. 2.1 ; I 790/02 du 02.07.2003 consid. 2.2) ou d’indiquer que, lors d’un premier examen, des difficultés de communication étaient déjà présentes (arrêt du TF U 369/02 du 06.08.2003 consid. 3.2).

 

Si l’examen est réalisé dans la langue maternelle de l’assuré, qui doit être une des langues officielles de la Confédération, il faudra également traduire le rapport dans la langue officielle du canton (ATF 128 V 34 ; arrêts du TF 9C_37/2011 du 20.06.2011 consid. 4.1 ; I 313/03 du 31.03.2004 consid. 4).

 

Si l’examen s’est déroulé en français mais que le rapport est rédigé en allemand, l’assuré est en droit d’en demander la traduction (cf. arrêt du TF I 657/04 du 20.10.2005).

 

Traduction des rapports établis par la division Médecine des assurances de la CNA : les principes tirés des ATF 127 V 219 et 128 V 34 sont applicables par analogie (arrêt du TF 8C_90/2014 du 19.12.2014).