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ATF 148 V 174 – 8C_256/2021 (d) du 09.03.2022 – Détermination du revenu d’invalide – Méthode générale de comparaison des revenus – 28 LAI (dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021) – 16 LPGA / Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 (d) du 09.03.2022, publié aux ATF 148 V 174

 

Arrêt 8C_256/2021 consultable ici

ATF 148 V 174 consultable ici 

 

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Interdiction des véritables nova / 99 LTF

Détermination du revenu d’invalide – Méthode générale de comparaison des revenus / 28 LAI (dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021) – 16 LPGA

Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

 

Assuré, né en 1964, a déposé une première demande AI le 11.12.2001, en raison d’une luxation de l’épaule droite. L’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière limitée dans le temps, du 01.11.2002 au 31.10.2003. La décision de l’AI a été confirmée par le tribunal cantonal par jugement du 22.12.2010.

Le 25.06.2012, l’assuré a déposé une nouvelle demande AI. L’office AI a procédé aux investigations usuelles ainsi qu’à la mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire et d’une expertise de médecine du trafic. Par décision du 08.04.2014, l’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente d’invalidité à compter du 01.12.2012. Par communication du 24.04.2014, l’office AI a invalidé la décision du 08.04.2014, qui n’était pas encore entrée en force, en se fondant sur l’évaluation de la médecine du trafic. Par décision du 05.05.2014, l’office AI a réclamé la restitution des rentes déjà versées, d’un montant de 10’110 francs. Par décision du 25.06.2014, le droit à une rente d’invalidité a été nié. Tant le tribunal cantonal que le Tribunal fédéral (arrêt 8C_406/2015 du 31.08.2015) ont rejeté le recours déposé contre cette décision.

Le 17.10.2014, l’assuré a déposé une demande de mesures professionnelles auprès de l’office AI puis, le 22.02.2016, une nouvelle demande de prestations, se référant aux opérations qu’il a subies à l’épaule et à la colonne cervicale ainsi qu’aux attaques de panique et à la dépression dont il souffrait depuis 2012. Après de nouvelles investigations, dont une expertise médicale, l’office AI a octroyé à l’assuré un quart de rente d’invalidité à compter du 01.09.2018, par décision du 03.07.2020.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 16.03.2021, admission partiel du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à un quart de rente dès le 01.12.2017, une rente entière à partir du 01.03.2018, trois-quarts de rente à partir du 01.08.2018 et un quart de rente dès le 01.11.2018.

 

TF

L’assuré a recouru contre le jugement. L’office AI conclut au rejet du recours. Sur invitation du Tribunal fédéral, l’OFAS a pris position le 14.06.2021 sur les questions soulevées lors du symposium Weissenstein « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen » du 05.02.2021. Dans sa requête du 24.06.2021, l’OFSP a renoncé à prendre position. Le 30.06.2021, l’assuré s’est déterminé sur la prise de position de l’OFAS.

Par requête du 15.11.2021, l’assuré a fait parvenir la préimpression de la publication prévue dans la RSAS « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler. Sur invitation du Tribunal fédéral, l’office AI a pris position le 09.12.2021, l’OFAS le 21.12.2021 et l’OFSP le 23.12.2021. Le 14.01.2022, l’assuré a déposé une requête qualifiée de « quadruplique ».

Le Tribunal fédéral a tenu une délibération publique le 09.03.2022.

 

Interdiction des véritables nova – 99 LTF

Consid. 2.1
Le recours au Tribunal fédéral doit en principe être déposé dans un délai de 30 jours (art. 100 al. 1 LTF). Dans ce délai, il doit indiquer les motifs et être accompagné des moyens de preuve (art. 42 al. 1 LTF). Sauf exceptions (cf. art. 43 LTF), il n’est pas admissible de compléter la motivation du recours après l’expiration du délai (ATF 134 IV 156 consid. 1.6 ; arrêt 8C_467/2021 du 13 août 2021 consid. 1.1).

Consid. 2.2
Aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente (art. 99 al. 1 LTF), ce qui doit être exposé plus en détail dans le recours. Les véritables nova, c’est-à-dire les faits et moyens de preuve survenus postérieurement au prononcé de la décision entreprise ou qui n’ont été produits qu’après celle-ci, ne sont pas admissibles devant le Tribunal fédéral (ATF 143 V 19 consid. 1.2 et les références). Ne sont pas concernés par l’interdiction des nova selon l’art. 99 al. 1 LTF les faits connus de tous et notoires pour le tribunal, comme par exemple la littérature spécialisée accessible à tous (arrêts 9C_224/2016 du 25 novembre 2016 consid. 2.1, non publié in : ATF 143 V 52, mais in : SVR 2017 KV n° 9 p. 39 ; 9C_647/2018 du 1er février 2019 consid. 2 ; Johanna Dormann, Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 3e éd. 2018, n. 43 et 53 ad art. 99 LTF).

Consid. 2.3
La requête de l’assuré du 15.11.2021, déposée spontanément plus de quatre mois après la réplique, constitue dans une large mesure un complément inadmissible au mémoire de recours et, à cet égard, ne doit en principe pas être prise en considération. L’objectif principal de cette requête était la remise de l’article « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr phil Schwegler, publié entre-temps dans la RSAS 2021 p. 287 ss. Il s’agit là d’une littérature spécialisée accessible à tous, qui n’est pas concernée par l’interdiction des nova. On peut toutefois se demander si cela s’applique également aux nouveaux tableaux Niveau de compétence (NC [KN en allemand]) 1 « light » (annexes 3a et 3b) et NC 1 « light-moderate » (annexes 4a et 4b) présentés en annexe, sur lesquels se base l’article. Il n’est toutefois pas nécessaire de répondre de manière définitive à la question de savoir ce qu’il en est, comme le montrent les considérants ci-après. Les arguments de l’assuré dans sa requête qualifiée de « quadruplique » ne peuvent pas non plus être pris en considération, dans la mesure où ils constituent également un complément inadmissible au mémoire exposant les motifs du recours.

 

Méthode générale de comparaison des revenus

Consid. 4.1
Le 01.01.2022, la loi fédérale révisée sur l’assurance-invalidité (LAI) est entrée en vigueur (Développement continu de l’AI [DCAI] ; modification du 19.06.2020, RO 2021 705, FF 2017 2535). La décision sur laquelle se fonde l’arrêt ici attaqué a été rendue avant le 01.01.2022. Conformément aux principes généraux du droit intertemporel et des faits déterminants dans le temps (cf. notamment ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 ; 129 V 354 consid. 1 et les références), les dispositions de la LAI et celles du règlement sur l’assurance-invalidité (RAI) sont donc applicables dans la version qui était en vigueur jusqu’au 31.12.2021.

Consid. 4.2
Le tribunal cantonal a exposé à juste titre les dispositions déterminantes pour l’évaluation du droit à la rente en l’espèce (art. 28 LAI dans sa version valable jusqu’au 31.12.2021), notamment celles relatives à l’incapacité de gain (art. 7 LPGA), à l’invalidité (art. 8 al. 1 LPGA en relation avec l’art. 4 al. 1 LAI) ainsi qu’à la détermination du taux d’invalidité selon la méthode générale de comparaison des revenus (art. 16 LPGA). Les explications relatives aux règles de révision applicables par analogie lors de la nouvelle demande (art. 17 al. 1 LPGA ; ATF 141 V 585 consid. 5.3 in fine et les références) sont également correctes. Il y est renvoyé.

Consid. 5.1
En ce qui concerne le moment du début de la rente, l’instance précédente a tout d’abord expliqué qu’en raison de l’incapacité de travail de 20% à prendre en compte depuis le 05.02.2015, le délai d’attente était considéré comme ouvert à cette date ; il a été rempli le 18.12.2017. Etant donné qu’au plus tôt du droit possible de la rente, l’incapacité de travail n’était que de 40% en moyenne, l’assuré avait droit à un quart de rente à partir du 01.12.2017, qui devait être augmenté à une rente entière au 01.03.2018 en application de l’art. 88a al. 2 RAI.

Pour déterminer le degré d’invalidité sur la base d’une comparaison des revenus, le tribunal cantonal s’est ensuite basé, en ce qui concerne le revenu d’invalide, sur les données issues de l’ESS 2018 publiée par l’OFS. Il a pris en compte la valeur centrale du tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé, total, hommes, niveau de compétence 1 de 5417 francs et a calculé – en l’adaptant au temps de travail hebdomadaire usuel de 41,7 heures et en le calculant sur une année entière – un revenu d’invalide de 67’766.67. francs pour un taux d’occupation de 100%. En tenant compte de la perte de gain de 2% à prendre en considération sur le revenu de valide ainsi que de l’abattement 10% accordée par l’office AI pour les limitations, l’instance précédente a calculé un revenu d’invalide de 23’908.09 francs pour un taux d’occupation de 40% et de 35’862.12 francs pour un taux d’occupation de 60%. Elle a constaté que les résultats des expertises mandatées par Coop Protection Juridique SA sur la question de l’accès équitable aux prestations d’invalidité, présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 et invoqués par l’assuré, ne permettaient pas de calculer le revenu d’invalide selon un autre mode. L’application concrètement demandée du quartile le plus bas [Q1] au lieu du salaire médian comme valeur de référence n’entre pas en ligne de compte en raison de la jurisprudence claire du Tribunal fédéral. S’agissant de l’abattement, la jurisprudence prévoit explicitement une déduction au maximum de 25% sur la valeur médiane en raison de l’atteinte à la santé. L’office AI a suffisamment tenu compte des caractéristiques correspondantes en appliquant une déduction de 10%. Sur la base de la comparaison entre le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide, le tribunal cantonal a constaté une perte de gain de 44’350.60 francs ou un taux d’invalidité de 65% en chiffres arrondis à partir du 01.05.2018 et une perte de gain de 32’396.57 francs ou un taux d’invalidité de 47% en chiffres arrondis à partir du 01.08.2018, ce qui a conduit, en application de l’art. 88a al. 2 RAI, à l’octroi de la rente (avec augmentation et diminution).

Consid. 5.2
L’assuré se plaint d’une violation du droit dans la détermination du revenu d’invalide. Dans son recours, il se réfère à nouveau aux résultats de l’enquête présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 et fait valoir que les recherches les plus récentes prouvent que l’application de la valeur médiane de l’ESS pour déterminer le revenu d’invalide rend impossible un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité. La pratique judiciaire en la matière est discriminatoire, car les personnes handicapées sont systématiquement désavantagées, ce qui viole les art. 6, 8 et 14 CEDH ainsi que l’art. 8 Cst. Dans le cas concret, les conséquences du handicap sur le revenu d’invalide ne sont pas prises en compte avec un abattement de 10%. Si le calcul de ce revenu était conforme au droit, il faudrait – en plus de la déduction pour les causes physiques – partir du quartile inférieur Q1 du tableau 9 ou 10 de l’ESS 2016, hommes, niveau de compétence 1, colonne 9/travailleurs auxiliaires. Cela donnerait – indexé pour 2018 et adapté au temps de travail hebdomadaire habituel de l’entreprise de 41,7 heures – un revenu annuel de 59’196 francs pour un taux d’occupation de 100%, de 20’884.35 francs pour un taux d’occupation de 40% et de 31’327.52 francs pour un taux d’occupation de 60%. En comparaison avec le revenu sans invalidité, il en résulte à partir du 01.05.2018 une perte de gain de 47’377.34 francs, soit un taux d’invalidité de 69,4%, et à partir du 01.08. 2018 une perte de gain de 36’931.69 francs, soit un taux d’invalidité arrondi à 54%, ce qui sert de base aux prestations de rente demandées.

Dans une autre requête, l’assuré indique ensuite que les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » figurant en annexe de la contribution de la RSAS « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn » confirment les conclusions scientifiques des expertises présentées lors du symposium Weissenstein et donc l’effet discriminatoire de la pratique actuelle.

 

Détermination du revenu d’invalide

Consid. 6
Dans son argumentation, l’assuré – en s’appuyant sur les résultats d’analyse des expertises commandées par Coop Protection Juridique SA présentés lors du symposium Weissenstein du 05.02.2021 ainsi que, en complément, sur les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » mentionnés – fait valoir en premier lieu et pour l’essentiel que la jurisprudence actuelle relative à la détermination du revenu d’invalide viole le droit et est discriminatoire. Il reste à examiner ci-après s’il y a lieu de modifier cette jurisprudence.

Pour une meilleure compréhension, nous présentons tout d’abord les bases juridiques déterminantes dans le cas présent pour la détermination du degré d’invalidité ainsi que la jurisprudence actuelle relative à la détermination du revenu d’invalide :

Consid. 6.1
Conformément à l’art. 16 LPGA, pour déterminer le degré d’invalidité, on met en relation le revenu de l’activité lucrative que l’assuré aurait pu obtenir, après la survenance de l’invalidité et après avoir suivi le traitement médical et d’éventuelles mesures de réadaptation, en exerçant une activité pouvant raisonnablement être exigée de lui sur le marché équilibré du travail (revenu d’invalide) avec le revenu de l’activité lucrative qu’il aurait pu obtenir s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité).

Consid. 6.2
Conformément à la jurisprudence actuelle, la détermination du revenu d’invalide contestée en l’espèce doit se fonder en premier lieu sur la situation professionnelle et lucrative dans laquelle se trouve concrètement la personne assurée. Si, après la survenance de l’invalidité, elle exerce une activité lucrative dans le cadre de laquelle – de manière cumulative – les rapports de travail particulièrement stables et que l’on peut supposer qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible, et si, en outre, le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, le salaire effectivement réalisé est en principe considéré comme le revenu d’invalide.

En l’absence d’un tel revenu, notamment parce que la personne assurée n’a pas repris d’activité lucrative après la survenance de l’atteinte à la santé ou, en tout cas, n’a pas repris d’activité lucrative raisonnablement exigible de sa part, il est possible, selon la jurisprudence, de se référer aux salaires figurant dans les tables de l’ESS (ATF 143 V 295 consid. 2.2 ; 135 V 297 consid. 5.2). En règle générale, c’est la ligne Total qui est appliquée (consid. 5.1 de l’arrêt 9C_237/2007 du 24 août 2007, non publié dans l’ATF 133 V 545 ; arrêt 9C_206/2021 du 10 juin 2021 consid. 4.4.2). Selon la pratique, la comparaison des revenus effectuée sur la base de l’ESS doit ensuite se baser sur le groupe de tableaux A (salaires bruts standardisés) (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa), en se référant habituellement au tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé (ATF 126 V 75 consid. 7a ; arrêts 8C_124/2021 du 2 août 2021 consid. 4.4.1 et 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1).

Ce principe n’est toutefois pas absolu et connaît des exceptions. Conformément à la jurisprudence, il peut tout à fait se justifier de se baser sur le tableau TA7, resp. T17 (à partir de 2012), si cela permet de déterminer plus précisément le revenu d’invalide et si le secteur public est également ouvert à la personne assurée (cf. arrêts 8C_124/2021 du 2 août 2021 consid. 4.4.1 et 8C_111/2021 du 30 avril 2021 consid. 4.2.1 et les références).

Lors de l’utilisation des salaires bruts standardisés, il convient, selon la jurisprudence, de partir à chaque fois de la valeur dite centrale (médiane) (ATF 126 V 75 consid. 3b/bb ; arrêt 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1).

Consid. 6.3
Si le revenu d’invalide est déterminé sur la base de données statistiques sur les salaires, comme notamment l’ESS, la valeur de départ ainsi relevée doit, selon la jurisprudence actuelle, être éventuellement réduite. Il s’agit ainsi de tenir compte du fait que des caractéristiques personnelles et professionnelles telles que le type et l’ampleur du handicap, l’âge, les années de service, la nationalité ou la catégorie de séjour et le taux d’occupation peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire (ATF 142 V 178 consid. 1.3 ; 124 V 321 consid. 3b/aa) et que, selon les circonstances, la personne assurée ne peut exploiter la capacité de travail restante qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, même sur un marché du travail équilibré (ATF 135 V 297 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. 5b/aa i.f.). L’abattement ne doit toutefois pas être automatique. Il doit être estimé globalement, en tenant compte des circonstances du cas d’espèce, dans les limites du pouvoir d’appréciation, et ne doit pas dépasser 25% (ATF 135 V 297 consid. 5.2 ; 134 V 322 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. 5b/bb-cc). La jurisprudence actuelle accorde notamment un abattement sur le revenu d’invalide lorsqu’une personne assurée est limitée dans ses capacités, même dans le cadre d’une activité non qualifiée physiquement légère. D’éventuelles limitations liées à la santé déjà comprises dans l’évaluation médicale de la capacité de travail ne doivent pas être prises en compte une seconde fois dans l’appréciation de l’abattement, conduisant sinon à une double prise en compte du même facteur (sur l’ensemble : ATF 146 V 16 consid. 4.1 s. et les références).

Consid. 6.4
Enfin, la jurisprudence actuelle tient également compte, lors de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA, du fait qu’une personne assurée percevait un revenu nettement inférieur à la moyenne dans l’activité qu’elle exerçait lorsqu’elle était en bonne santé, et ce pour des raisons étrangères à l’invalidité (p. ex. faible niveau de formation scolaire, absence de formation professionnelle, connaissances insuffisantes de l’allemand, possibilités d’embauche limitées en raison du statut de saisonnier), pour autant qu’il n’existe aucun indice permettant de penser qu’elle ne désirait pas s’en contenter délibérément. Cela permet de respecter le principe selon lequel les pertes de salaire dues à des facteurs étrangers à l’invalidité ne doivent pas être prises en compte, ou alors d’égale manière pour les deux revenus à comparer (ATF 141 V 1 consid. 5.4 et les références). En pratique, le parallélisme peut être effectué soit au regard du revenu sans invalidité en augmentant de manière appropriée le revenu effectivement réalisé ou en se référant aux données statistiques, soit au regard du revenu d’invalide en réduisant de manière appropriée la valeur statistique (ATF 134 V 322 consid. 4.1 et les références). Selon la jurisprudence actuelle, il ne faut toutefois intervenir que si le revenu sans invalidité est inférieur de plus de 5% par rapport au revenu médian usuel dans la branche, le parallélisme ne devant être effectué que dans la mesure où l’écart en pour cent dépasse la valeur limite de pertinence de 5% (cf. ATF 135 V 297 consid. 6.1 et les références).

Consid. 6.5
L’application correcte de l’ESS, notamment le choix du tableau ainsi que le recours au niveau déterminant (niveau de compétence ou d’exigence), est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement. En revanche, l’existence de conditions concrètement nécessaires, telles qu’une formation spécifique et d’autres qualifications, déterminante pour le choix d’un tableau donné de l’ESS, relève de l’établissement des faits. De même, l’utilisation des chiffres du tableau déterminant de l’ESS sur la base de ces éléments est une question de faits (ATF 143 V 295 consid. 2.4 et les références).

Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique, qu’il soit justifié par les limitations fonctionnelles ou par un autre motif, est une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement. En revanche, l’étendue de l’abattement (indiqué dans le cas concret) est une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2 et les références).

Consid. 6.6
Après avoir exposé les bases juridiques applicables au cas d’espèce, il convient de souligner qu’en raison du système de rentes linéaire – introduit par la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 01.01.2022 –, la détermination du degré d’invalidité au pourcentage près a désormais une grande importances, contrairement au système de l’échelonnement des rentes prévus jusqu’ici par l’art. 28 al. 2 LAI. L’art. 28a al. 1 LAI délègue désormais au Conseil fédéral la compétence de définir par voie d’ordonnance les règles et les critères de détermination du revenu avec et sans invalidité (p. ex. quand il faut se baser sur les valeurs réelles et quand il faut se baser sur les salaires statistiques ou quelle table doit être appliquée), qui reposaient jusqu’à présent en grande partie sur la jurisprudence. De même, le Conseil fédéral procède aux corrections découlant de la jurisprudence pour ces revenus (p. ex. critères à prendre en compte pour une déduction en raison du handicap et montant de la déduction correspondante). Il s’agit notamment de limiter la marge d’interprétation des offices AI et des tribunaux cantonaux, de garantir une unité de doctrine dans toute la Suisse et d’éviter autant que possible les litiges portés devant les tribunaux à propos de l’évaluation de l’invalidité (cf. message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [Développement continu de l’AI] du 15 février 2017, FF 2017 2363, en particulier 2493 et 2549 [en allemand : FF 2017 2535, en particulier 2668 et 2725]).

 

Examen de l’opportunité du changement de jurisprudence

Consid. 7
Un changement de jurisprudence doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs, lesquels, sous l’angle de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne. Un changement ne se justifie que lorsque la solution nouvelle procède d’une meilleure compréhension du but de la loi, repose sur des circonstances de fait modifiées, ou répond à l’évolution des conceptions juridiques (ATF 147 V 342 consid. 5.5.1 ; 146 I 105 consid. 5.2.2 ; 145 V 50 consid. 4.3.1 ; 141 II 297 consid. 5.5.1 ; 140 V 538 consid. 4.5 et les références).

Consid. 8.1
En ce qui concerne les motifs d’un changement de jurisprudence, le recours s’appuie pour l’essentiel sur l’expertise statistique « Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung » du bureau BASS du 8 janvier 2021 (auteurs : Jürg Guggisberg, Markus Schärrer, Céline Gerber et Severin Bischof ; ci-après: expertise BASS) ainsi que sur l’avis de droit « Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung » du 22 janvier 2021 (ci-après : avis de droit) et ses conclusions « Fakten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten ‘Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung’  » du 27 janvier 2021 (ci-après : conclusions de l’avis de droit), tous deux rédigés par Prof. Dr. iur. Gächter, Dr. iur. Egli, Dr. iur. Meier et Dr. iur. Filippo. Ces derniers résultats de recherche – selon l’assuré – démontrent que l’application de la valeur médiane de l’ESS rend impossible un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité et que la pratique des tribunaux place systématiquement les personnes handicapées dans une situation moins favorable et qu’elle est donc discriminatoire.

Consid. 8.1.1
Ainsi, il ressort de l’expertise BASS du 8 janvier 2021 que les personnes souffrant de problèmes durables à la santé perçoivent des salaires significativement plus bas que les personnes en bonne santé. Les salaires médians des tableaux de l’ESS reflètent largement les salaires des personnes en bonne santé. Le salaire médian des tableaux comme référence pour le revenu des invalides est fictif dans la mesure où il n’est effectivement atteint que par une minorité des personnes concernées. Enfin, des facteurs importants liés au salaire qui ne sont pas pris en compte pourraient réduire massivement les chances de certaines personnes concernées d’atteindre un salaire médian. La seule prise en compte du niveau de compétence ne suffit pas à déterminer le niveau de salaire.

Consid. 8.1.2
Les experts ayant participé à l’avis de droit du 22 janvier 2021 et aux conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 s’accordent ensuite sur dix thèses selon lesquelles la pratique judiciaire actuelle empêche un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité (rentes et mesures de réadaptation) :

« 1. La notion de « marché du travail équilibré » a été insidieusement renforcée par la pratique administrative et judiciaire pour devenir une considération largement fictive, qui ne tient plus compte des changements durables de la situation réelle du marché du travail au détriment des assurés.

  1. La question de savoir si la capacité de travail attestée par le médecin peut être utilisée sur le marché du travail (équilibré) ne peut être qu’affirmative ou négative. Les circonstances concrètes du cas d’espèce ne peuvent être prises en compte que dans le cadre d’une réglementation efficace des cas de rigueur, ce qui n’est jusqu’à présent pas suffisamment appliqué dans la pratique administrative et judiciaire.
  2. L’évaluation de la capacité de travail à partir de l’âge de 60 ans ou pour des profils de travail qui n’existent que si l’employeur fait preuve de complaisance sociale (« emplois de niche ») est éloignée de la réalité et n’est pas acceptable pour les assurés.
  3. Si l’on recourt à des données statistiques sur les salaires (ESS) pour déterminer le revenu d’invalide, ces valeurs moyennes et médianes doivent être adaptées au cas particulier. Dans la pratique administrative et judiciaire actuelle, il existe à cet effet plus d’une douzaine de caractéristiques dont il est régulièrement tenu compte par une déduction de 5 à 25% du salaire indiqué dans le tableau. La suppression (presque) totale de l’abattement sur le salaire statistique, prévue par la révision de l’AI (Développement continu de l’AI), entraînerait par conséquent un durcissement massif de la pratique en matière de rentes.
  4. La pratique administrative et judiciaire relative à l’abattement sur le salaire statistique est tentaculaire et incohérente, ce qui rend très difficile une application juridiquement équitable et sûre des caractéristiques pertinentes pour la déduction.
  5. L’exercice du pouvoir d’appréciation en matière d’abattement se heurte à des limites en raison des dispositions juridiques très vagues et n’est en outre soumis qu’à un contrôle judiciaire limité.
  6. Les données salariales de l’ESS utilisées englobent donc également un grand nombre de profils de postes inadaptés, qui ont tendance à être rémunérés plus fortement en raison de la pénibilité physique du travail, ce qui conduit à un revenu hypothétique d’invalide surestimé et donc à un degré d’AI plus faible.
  7. Les données salariales de l’ESS reposent sur les revenus de personnes en bonne santé. Or, il est possible de démontrer statistiquement que les personnes atteintes dans leur santé gagnent entre 10 et 15% de moins que les personnes en bonne santé exerçant la même activité.
  8. Le droit à des mesures professionnelles de l’AI – en premier lieu le reclassement – dépend de la perte de gain à laquelle on peut s’attendre, raison pour laquelle des salaires statistiques de l’ESS trop élevés (cf. thèses 7 et 8) se révèlent également être un obstacle au mandat de réadaptation de l’assurance-invalidité.
  9. Selon le Tribunal fédéral, l’utilisation des tables ESS existantes ne devrait être qu’une solution transitoire en raison de divers défauts. Dans le cadre du Développement continu de l’AI, ces défauts risquent d’être cimentés et renforcés à long terme, risquant de réduire encore davantage l’évaluation de l’invalidité à une fiction. »

Consid. 8.1.3
Comme solution pour un accès équitable aux prestations de l’assurance-invalidité, les experts proposent, dans un premier temps, de se baser immédiatement sur le quartile le plus bas (salaire Q1). La deuxième étape consiste à élaborer des barèmes sur la base de profils d’exigence ou d’activités appropriées et à fixer temporairement des abattements clairs et réalistes applicables immédiatement. Dans un troisième temps, il conviendrait d’exploiter les potentiels de l’ESS (différenciations par branche économique, région, formation, âge, etc.) et d’autoriser immédiatement – c’est-à-dire dans le cadre du Développement continu de l’AI – des abattements temporaires dans les tableaux pour les facteurs susceptibles de réduire le salaire en cas de changement de poste pour des raisons de santé.

 

Consid. 8.2
L’assuré fait en outre remarquer que la Prof. em. Riemer-Kafka et al. sont parvenus à la même conclusion dans une contribution (Invalideneinkommen Tabellenlöhne, in: Jusletter vom 22. März 2021). Dans cette contribution, les auteurs sont également partis du principe que les valeurs médianes de l’ESS pour les personnes atteintes dans leur santé se situaient en dehors de la réalité et que les tables de l’ESS se concentraient sur les personnes en pleine possession de leurs moyens. Il serait nécessaire d’affiner les tables de l’ESS et d’appliquer de manière plus différenciée les abattements liés à l’état de santé aux circonstances réelles, dans le but d’obtenir une égalité de traitement lors de l’évaluation du degré d’invalidité. La pratique actuelle du Tribunal fédéral s’éloigne de cette réalité et conduit à une inégalité de traitement. Le niveau de compétences 1 comprend de nombreuses activités physiques généralement pénibles qui ne peuvent habituellement plus être exigées des assurés concernés. Les personnes atteintes dans leur santé ne sont en outre pas géographiquement mobiles, raison pour laquelle la référence à l’ESS pour l’ensemble de la Suisse sans différenciation régionale du salaire n’est pas appropriée pour ces personnes. Une possibilité d’évaluation différenciée du degré d’invalidité serait de prendre en compte les valeurs quartiles de l’ESS. Une autre solution consisterait à appliquer des barèmes en fonction de la profession ou de la formation, ou encore des barèmes conformes à l’invalidité.

 

Consid. 8.3
Enfin, dans son mémoire complémentaire du 15.11.2021, l’assuré renvoie à l’article « Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn ». Il fait notamment valoir que les nouvelles tables KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » mentionnées dans l’annexe relative à l’ESS TA1_tirage_skill_level corroborent les conclusions scientifiques des expertises présentées lors du symposium Weissenstein et donc l’effet discriminatoire de la pratique actuelle. Ainsi, dans le tableau TA1, après élimination des facteurs de distorsion et des activités physiquement pénibles, on constate des salaires médians plus bas, en particulier pour les hommes. La différence de salaire ainsi calculée entre le KN 1 et le KN1 « light-moderate » est d’environ 5 %, et même de 16 % par rapport au KN1 « light ».

 

Consid. 9.1
La détermination du degré d’invalidité est réglée par l’art. 16 LPGA et donc, dans les grandes lignes, par la loi. Sur la base de cette disposition (en relation avec l’art. 7 al. 1 LPGA), le point de référence pour l’évaluation de l’invalidité dans le domaine de l’activité lucrative est le marché du travail supposé équilibré (ATF 147 V 124 consid. 6.2), contrairement au marché du travail effectif. Le fait de se référer au marché du travail équilibré selon l’art. 16 LPGA sert également à délimiter le domaine des prestations de l’assurance-invalidité de celui de l’assurance-chômage (ATF 141 V 351 consid. 5.2). Le marché du travail équilibré est une notion théorique et abstraite. Elle ne tient pas compte de la situation concrète du marché du travail, englobe également, en période de difficultés économiques, des offres d’emploi effectivement inexistantes et fait abstraction de l’absence ou de la diminution des chances des personnes atteintes dans leur santé de trouver effectivement un emploi convenable et acceptable. Il englobe d’une part un certain équilibre entre l’offre et la demande d’emploi ; d’autre part, il désigne un marché du travail qui, de par sa structure, laisse ouvert un éventail de postes différents (ATF 134 V 64 consid. 4.2.1 avec référence ; 110 V 273 consid. 4b ; cf. arrêt 8C_131/2019 du 26 juin 2019 consid. 4.2.2). Le marché du travail équilibré comprend également les emplois dits de niche, c’est-à-dire les offres d’emploi et de travail pour lesquelles les personnes handicapées peuvent compter sur une certaine obligeance de la part de l’employeur. On ne peut toutefois pas parler d’opportunité de travail lorsque l’activité raisonnablement exigible n’est possible que sous une forme si limitée qu’elle est pratiquement inconnue sur le marché équilibré du travail ou qu’elle n’est possible qu’avec la complaisance irréaliste d’un employeur moyen et que la recherche d’un emploi correspondant semble donc d’emblée exclue (SVR 2021 IV n° 26 p. 80, 8C_416/2020 E. 4 ; cf. Christoph Frey/Nathalie Lang, in : Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 72 ad art. 16 LPGA).

Avec le concept d’un marché du travail équilibré, le législateur part donc du principe que même les personnes atteintes dans leur santé ont accès à un emploi correspondant à leurs capacités (restantes). Même si l’éventail des offres d’emploi et de travail s’est modifié au cours des dernières décennies, notamment en raison de la désindustrialisation et des mutations structurelles, il n’est pas permis de s’écarter du concept de marché du travail équilibré prescrit par la loi en se référant à des possibilités d’emploi ou à des conditions concrètes du marché du travail. Dans cette mesure, la critique des experts mentionnée au considérant 8.1.2 (thèse 1), selon laquelle la notion de marché du travail équilibré a été insidieusement renforcée par la pratique administrative et judiciaire pour devenir une considération largement fictive, ne peut pas constituer un motif de modification de la jurisprudence.

 

Consid. 9.2
Jusqu’à présent, la détermination des revenus de l’activité lucrative sur lesquels se fonde la comparaison des revenus prévue à l’art. 16 LPGA (revenus sans invalidité et d’invalide) n’était pas réglée par la loi. La jurisprudence exposée aux considérants 6.2 à 6.5 s’est formée et développée au fil des ans.

Consid. 9.2.1
Conformément à la jurisprudence actuelle, on se base en premier lieu sur la situation professionnelle concrète, en ce sens que la détermination du revenu sans invalidité se fonde sur le gain réalisé dans l’activité exercée jusqu’alors et que celle du revenu d’invalide se base sur la situation professionnelle et lucrative dans laquelle se trouve la personne assurée après la survenance de l’invalidité.

S’il n’est pas possible de déterminer le revenu sans invalidité et/ou d’invalide selon les circonstances du cas d’espèce, on se base subsidiairement sur les statistiques salariales, en règle générale sur les salaires des tables de l’ESS. Dans ce sens, l’utilisation des ESS dans le cadre de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA est, selon une jurisprudence constante, l’ultima ratio (cf. ATF 142 V 178 consid. 2.5.7 et les références) et n’est en principe pas contestée. Les ESS reposent sur une enquête menée tous les deux ans auprès des entreprises en Suisse ; elles s’appuient donc sur des données complètes et concrètes du marché effectif du travail et reflètent l’ensemble des salaires en Suisse.

Lorsque le Tribunal fédéral utilise les salaires bruts standardisés de l’ESS, il se base sur la valeur dite centrale (médiane), ce qui signifie qu’une moitié des salariés gagne moins et l’autre moitié gagne plus. En règle générale, le salaire médian est inférieur à la moyenne arithmétique (« salaire moyen ») dans la répartition des salaires (revenus) et, en comparaison, il est relativement peu sensible [statistiquement parlant] à la prise en compte de valeurs extrêmes (salaires très bas ou très élevés) (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa et la référence ; arrêt 8C_58/2021 du 30 juin 2021 consid. 4.1.1). Ce revenu médian peut donc en principe servir de valeur de référence pour déterminer le revenu d’invalide sur un marché du travail équilibré, en partant du principe que les personnes atteintes dans leur santé ont également accès à un emploi correspondant à leurs capacités (restantes).

Consid. 9.2.2
Afin de tenir compte du fait qu’une personne atteinte dans sa santé ne peut, dans certaines circonstances, mettre à profit sa capacité de travail résiduelle qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, même sur un marché du travail équilibré, la jurisprudence actuelle accorde, lors de la détermination du revenu d’invalide basé sur les données statistiques, la possibilité d’un abattement allant jusqu’à 25%. Cette déduction permet de tenir compte des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier qui justifient une réduction du salaire médian.

L’abattement revêt une importance primordiale en tant qu’instrument de correction lors de la fixation d’un revenu d’invalide aussi concret que possible – ce que reconnaissent également les experts dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 (p. 181, n. 687) et dans les conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 (p. 33, n. 93). Le Tribunal fédéral est et a toujours été conscient du fait que l’ESS recense des revenus effectivement réalisés par des personnes le plus souvent non handicapées (ATF 139 V 592 consid. 7.4).

L’expertise BASS n’apporte donc rien de nouveau en ce qui concerne la constatation que l’ESS contient principalement des revenus de personnes en bonne santé. Il met toutefois en évidence les dimensions quantitatives de l’écart des salaires des personnes atteintes dans leur santé et favorise la prise en compte du quartile inférieur Q1 plutôt que de la valeur centrale ou médiane. Jusqu’à présent, le Tribunal fédéral a explicitement refusé – en se référant à la possibilité d’un abattement en raison du handicap – de se baser sur le quartile inférieur Q1 de la valeur statistique au lieu du salaire médian ESS tant pour compenser les pertes liées au handicap que pour tenir compte des différences salariales régionales (arrêt 8C_190/2019 du 12 février 2020 consid. 4.1 et les références).

Outre l’abattement sur le salaire statistique, le parallélisme, en tant qu’autre instrument de correction, poursuit également le but de tenir compte du cas particulier lors de la comparaison des revenus par rapport à une considération standardisée. Dans la mesure où l’assuré fait valoir, en se référant à la critique des experts mentionnée au consid. 8.1.2 ci-dessus (thèses 5 et 6), que la pratique des tribunaux, notamment en matière d’abattement, est excessive et incohérente, il convient d’objecter que le taux de l’abattement indiqué dans le cas concret constitue une question d’appréciation et ne peut être corrigé en dernière instance qu’en cas d’excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou en abusant de celui-ci (cf. consid. 6.5 ci-dessus).

Dans la mesure où la jurisprudence du Tribunal fédéral ne permet pas de déduire quelle déduction est appropriée pour quelles caractéristiques dans un cas concret, elle démontre simplement – mais toujours – si une certaine déduction constitue ou non une erreur de droit dans l’exercice du pouvoir d’appréciation.

Consid. 9.2.3
En résumé, pour déterminer le degré d’invalidité de la manière la plus réaliste possible au moyen d’une comparaison des revenus au sens de l’art. 16 LPGA, la jurisprudence actuelle s’oriente subsidiairement, en l’absence de données salariales concrètes, sur les valeurs centrales ou médianes de l’ESS, qui reflètent un marché du travail équilibré. Les possibilités de déduction sur le salaire statistique et de parallélisation constituent des instruments de correction pour une prise en compte adaptée au cas individuel par rapport à une prise en compte standardisée.

La question de savoir dans quelle mesure la détermination du revenu d’invalide sur la base des valeurs médianes de l’ESS, éventuellement corrigées par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire, n’a pas été soulevée de manière étayée dans le recours et n’apparaît pas clairement au regard des arguments avancés par l’assuré. Il ne ressort pas non plus de l’expertise BASS du 8 janvier 2021, ni de l’expertise juridique du 22 janvier 2021, ni des conclusions de l’expertise juridique du 27 janvier 2021, que le fait de partir de la valeur médiane, éventuellement corrigée par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire. Au contraire, les experts dans l’avis de droit et dans les conclusions de l’avis de droit soulignent eux-mêmes l’importance primordiale de l’abattement en tant qu’instrument de correction pour la fixation d’un revenu d’invalide aussi correct que possible. A cet égard, il convient de relever que, d’une part, le salaire médian est en partie atteint par des personnes atteintes dans leur santé et que, d’autre part, les instruments de correction actuels, notamment la possibilité de réduire jusqu’à 25% la valeur médiane, permettent de déterminer un revenu d’invalide inférieur au quartile inférieur Q1.

Il n’y a donc pas de motifs sérieux et objectifs pour modifier la jurisprudence relative au revenu d’invalide déterminé sur la base de données statistiques. On ne peut notamment pas partir du principe que le fait de se baser sur le quartile inférieur Q1 au lieu de la valeur médiane correspond à une meilleure compréhension du but de la loi, à une modification des circonstances de fait ou à l’évolution des conceptions juridiques, comme cela serait nécessaire pour un changement de jurisprudence.

Ce constat est illustré par l’assurance-accidents, dans laquelle le degré d’invalidité est également déterminé selon l’art. 16 LPGA. Le Tribunal fédéral part du principe de l’uniformité de la notion d’invalidité (ATF 133 V 549 consid. 6.1 ; cf. Christoph Frey/Nathalie Lang, op. cit., n. 2, 5 et 79 concernant l’art. 16 LPGA). Se baser sur le quartile inférieur Q1 plutôt que sur la valeur médiane pour déterminer le revenu d’invalide d’un assuré victime d’un accident qui ne peut plus exercer son activité habituelle aurait pour conséquence l’attribution fréquente d’une rente d’invalidité de l’assurance-accidents – étant donné qu’un degré d’invalidité de 10% est déjà déterminant pour l’octroi d’une rente (art. 18 al. 1 LAA). Dans ce contexte, on est surpris que l’OFSP ait renoncé à prendre position sur le recours [Vernehmlassung], faute d’être concerné.

 

Consid. 9.2.4
Enfin, même si les nouveaux tableaux KN 1 « light » et KN 1 « light-moderate » relatifs à l’ESS TA1_tirage_skill_level, mentionnés dans l’annexe de la revue RSAS précitée, n’étaient pas qualifiés de véritables nova (cf. consid. 2.2 et 2.3 ci-dessus), ils ne constituent pas non plus un motif sérieux et objectif pour modifier la jurisprudence relative au revenu d’invalide déterminé sur la base de données statistiques. On peut se référer dans une large mesure au considérant précédent. Dans son mémoire complémentaire, l’assuré ne démontre pas non plus en quoi le calcul du revenu d’invalide sur la base des valeurs médianes du tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS, éventuellement corrigées par un abattement lié au handicap et/ou une parallélisation, serait discriminatoire. Se contenter de renvoyer à de nouveaux tableaux avec des valeurs médianes corrigées ne suffit pas à cet effet, d’autant plus que les écarts allégués de 5% pour le tableau KN 1 « light-moderate » et de 16 % pour le KN 1 « light » peuvent être pris en compte avec les instruments de correction actuels, notamment avec la possibilité d’une déduction de la valeur médiane pouvant atteindre 25%.

En outre, le salaire médian selon le tableau TA1_tirage_skill_level est également atteint par des personnes atteintes dans leur santé – comme mentionné ci-dessus – et n’est pas une valeur fantaisiste. Les auteurs de la contribution parlent, à propos des deux nouveaux tableaux, d’un instrument développé sur une base scientifique et interdisciplinaire qui devrait contribuer à la discussion sur le développement de salaires comparatifs plus conformes à l’invalidité, qui pourrait peut-être même convaincre les instances chargées d’appliquer le droit et qui pourrait être utilisé dans la pratique dans l’intérêt d’une plus grande justice et d’un traitement équitable (RSAS 2021 p. 295).

Dans leurs prises de position, l’OFAS et l’OFSP indiquent que le Conseil fédéral a reconnu la nécessité d’agir dans ce sens et qu’il a chargé l’OFAS, dans le cadre du Développement continu de l’AI, d’examiner s’il était possible de développer des bases de calcul spécifiquement adaptées à l’assurance-invalidité. Dans le cadre de cet examen, l’OFAS tiendra bien entendu compte de l’analyse du bureau BASS, de l’avis de droit du Prof. Dr. iur. Gächter et al. ainsi que de l’étude de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler. Selon l’OFAS, il convient de noter que les corrections proposées, notamment pour la dernière étude mentionnée, se concentrent sur les personnes assurées souffrant de troubles physiques. L’accent des nouvelles bases de calcul pour les salaires statistiques est donc mis sur l’élimination des activités qui représentent une (lourde) charge physique. Il convient toutefois de noter que, dans l’assurance-invalidité, près de la moitié des bénéficiaires de rentes souffrent de troubles psychiques à l’origine de leur incapacité de gain et que les travaux physiques pénibles demeurent en soi exigibles pour ces assurés. Selon l’OFAS, il conviendra donc d’examiner entre autres comment la solution proposée se répercutera sur l’ensemble des assurés, également sous l’angle de l’égalité de traitement, si elle est compatible avec le concept d’un marché du travail équilibré, comment elle devrait être coordonnée avec les instruments de correction actuels et, enfin, si et comment elle s’intègre dans la structure de l’évaluation de l’invalidité selon le Développement continu de l’AI. Pour ce faire, il faudrait analyser et développer d’éventuels nouveaux tableaux en tenant compte du cadre légal, des conséquences financières et des répercussions sur les autres assurances sociales.

En l’état actuel des choses, on ne peut donc pas partir du principe que le fait de se baser sur les valeurs médianes corrigées des nouveaux tableaux au lieu de la valeur médiane actuelle du tableau TA1_tirage_skill_level correspond à une meilleure compréhension du but de la loi, à une modification des circonstances de fait ou à l’évolution des conceptions juridiques.

Consid. 9.2.5
En résumé, à l’aune de ce qui précède, les conditions d’une modification de la jurisprudence ne sont pas remplies. On ne peut toutefois pas en déduire que la jurisprudence ne peut pas évoluer – notamment sous une situation juridique révisée – puisque le Tribunal fédéral a déjà constaté que des démarches étaient en cours en vue d’un setting plus précis concernant l’utilisation de l’ESS dans l’assurance-invalidité (ATF 142 V 178 consid. 2.5.8.1). Dans ce sens, l’examen de tableaux plus différenciés pour déterminer notamment le revenu d’invalide sur la base de valeurs statistiques constitue un pas dans la bonne direction. Il convient de saluer le fait que, comme le mentionne l’OFAS, les relevés et les analyses de l’expertise BASS du 8 janvier 2021, de l’avis de droit du 22 janvier 2021, des conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 ainsi que de la contribution de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler publiée dans la RSAS doivent dans ce cadre être pris en considération.

 

Consid. 9.3
Enfin, une modification de la jurisprudence n’est pas non plus opportune compte tenu de la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 01.01.2022. Même si la situation juridique concernant la détermination du revenu d’invalide des personnes atteintes dans leur santé peut ne pas être satisfaisante en tous points, il convient de constater que la critique fondamentale formulée dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 et dans les conclusions de l’avis de droit du 27 janvier 2021 est essentiellement dirigée contre certaines parties de la révision de l’AI (Développement continu de l’AI). Les enquêtes et analyses correspondantes seront intégrées – tout comme celles contenues dans la contribution de la Prof. em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler – dans l’examen du développement de bases de calcul spécifiquement adaptées à l’assurance-invalidité qui doit être effectué dans le cadre du Développement continu de l’AI (cf. consid. 9.2.4 ci-dessus).

Il n’est pas possible dans le cadre de la présente procédure de se pencher plus en détail sur la révision entrée en vigueur le 01.01.2022, étant donné que le présent cas doit être tranché selon l’ancien droit. Dans la mesure où la critique porte sur la jurisprudence actuelle, il n’est pas indiqué de la modifier, notamment au vu de la durée d’application limitée par la révision entrée en vigueur entre-temps.

 

Consid. 10 [non publié aux ATF 148 V 174]
Les conditions d’un changement de jurisprudence n’étant pas remplies, il reste à examiner si l’instance cantonale a violé le droit fédéral en déterminant le revenu d’invalide de l’assuré.

Consid. 10.1 [non publié aux ATF 148 V 174]
Le fait de se référer à l’ESS n’est pas contesté. Dans la mesure où l’assuré fait valoir un revenu d’invalide en tant que travailleur non-qualifié, niveau de compétence 1, quartile inférieur Q1 selon le tableau 9 ou 10 de l’ESS, il ne soulève pas de griefs concrets à l’encontre du tableau TA1_tirage_skill_level utilisé par l’instance cantonale, mais à l’encontre de l’utilisation de la valeur médiane qui y est indiquée. Le fait de se référer au tableau TA1_tirage_skill_level, à la ligne « Total » et à la valeur centrale (médiane) correspond toutefois à la jurisprudence. Selon les considérations ci-dessus, il n’y a aucune raison de s’en écarter et de se baser sur le quartile inférieur Q1.

Consid. 10.2 [non publié aux ATF 148 V 174]
L’assuré fait valoir que l’abattement de 10% ne tient pas suffisamment compte des conséquences du handicap sur le revenu d’invalide ; en plus de la déduction, il faudrait se baser sur le quartile inférieur Q1. Il ressort du consid. 10.1 ci-dessus qu’il ne faut pas se baser sur le quartile Q1. L’étendue de l’abattement (indiqué dans le cas concret) est une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (cf. consid. 6.5 ci-dessus).

Le tribunal cantonal a confirmé l’abattement de 10% retenu par l’office AI en raison des limitations fonctionnelles. Il a expliqué que la limitation du port de charges avec la main droite dominante, l’interdiction de monter sur des échelles et des échafaudages ainsi que d’utiliser des machines dangereuses, la recommandation d’éviter les contacts sociaux continus et le fait que le port de charges très légères devait être alterné avaient déjà été pris en compte lors de la description de l’activité encore exigible et n’imposaient pas de limitations supplémentaires dans le cadre d’une activité adaptée.

Sa structure simple et son QI de 61 ont été pris en compte dans l’évaluation neuropsychologique et ont conduit, dans l’évaluation globale de l’incapacité de travail, à une prise en compte partiellement cumulative des différentes limitations dans les différentes disciplines médicales, raison pour laquelle une prise en compte supplémentaire est également exclue ici.

La présence maximale de cinq à huit heures ne change en rien le rendement de 40 ou 60% pour un taux d’occupation de 100%, raison pour laquelle l’office AI n’a, à juste titre, pas tenu compte d’un abattement en raison d’une activité à temps partiel.

Enfin, l’âge de l’assuré ne constitue pas un motif supplémentaire d’abattement. La situation actuelle due au Covid-19 n’est pas un motif pour s’écarter temporairement du marché du travail équilibré.

Consid. 10.3 [non publié aux ATF 148 V 174]
En résumé, les arguments avancés dans le recours ne font pas apparaître l’arrêt attaqué comme arbitraire ou contraire d’une autre manière au droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_256/2021 consultable ici

ATF 148 V 174 consultable ici 

 

Proposition de citation : 148 V 174 – Détermination du revenu d’invalide, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/04/8c_256-2021-148-v-174)

 

 

8C_445/2021 (f) du 14.01.2022 – Chute sur l’épaule – Lésion de la coiffe des rotateurs – 4 LPGA – 6 al. 1 LAA vs 6 al. 2 LAA / Causalité naturelle – Controverse scientifique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_445/2021 (f) du 14.01.2022

 

Consultable ici

 

Chute sur l’épaule – Lésion de la coiffe des rotateurs / 4 LPGA – 6 al. 1 LAA vs 6 al. 2 LAA

Causalité naturelle – Controverse scientifique

 

Assurée travaillant à temps partiel (40%) comme aide-vendeuse.

Le 23.02.2018, elle a fait une chute dans les escaliers, se réceptionnant sur le genou gauche et l’épaule droite. Diagnostics retenus aux urgences : plaie profonde du genou de 7 cm de longueur et contusion de l’épaule droite sans fracture, précisant que l’assurée présentait au niveau de cette épaule « une impotence fonctionnelle sur douleur ».

Une IRM de l’épaule droite réalisée le 03.05.2018 a mis en évidence une tendinopathie sévère du sous-épineux s’étendant jusqu’à la jonction musculo-tendineuse, une fissure transfixiante de 3 mm à l’insertion du bord antérieur du sus-épineux, une bursite sous-acromiale, ainsi qu’une probable entorse d’un os acromial. En juin 2018, le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur consulté a notamment retenu une déchirure transfixiante des tendons des sus-épineux et sous-épineux et posé l’indication d’une intervention chirurgicale. Le 14.08.2018, l’assurée a subi une arthroscopie avec ténotomie du biceps, synovectomie, décompression sous-acromiale sans acromioplastie et reconstruction de la coiffe (2 tendons double rangée; 4 ancres).

Requis de se prononcer sur le lien de causalité entre l’accident et les troubles à l’origine de l’intervention, le médecin-conseil a déclaré que l’assurée présentait très certainement un état préexistant précaire de son épaule droite. Selon lui, en raison de l’action vulnérante de l’événement et de la documentation radiologique et d’imagerie, la symptomatologie avait seulement été révélée – et non pas causée – par la contusion subie le 23.02.2018 et aurait pu débuter n’importe quand, soit spontanément, soit en réponse à d’autres événements ordinaires ou extraordinaires de la vie tels que des efforts ou des contusions bénignes; pour une contusion, le statu quo sine était atteint un mois après l’accident.

Sur cette base, l’assurance-accidents a mis fin au versement de ses prestations avec effet au 23.03.2018, par décision du 02.10.2018.

L’assurée a formé opposition contre cette décision en produisant un rapport du chirurgien traitant. Ce praticien y indiquait que l’IRM de l’épaule droite du 03.05.2018 montrait « un mélange de signes dégénératifs et de signes d’un traumatisme aigu avec rupture traumatique et accidentelle des deux tendons de la coiffe des rotateurs ». Il contestait l’avis du médecin-conseil pour les raisons suivantes: premièrement, l’assurée était jeune (43 ans) et avait subi une chute majeure; deuxièmement, elle n’avait pas de problème à l’épaule avant l’accident, si bien que dans une telle constellation, une déchirure transfixiante de la coiffe des rotateurs était très peu vraisemblable malgré quelques signes dégénératifs coexistants; troisièmement, plusieurs tendons de la coiffe des rotateurs présentaient une trophicité normale et il existait une infiltration graisseuse partielle de moins de 25% du muscle sous-épineux associé à un état oedémateux du tendon du sous-épineux du foot print jusqu’à la jonction musculo-tendineuse, ce qui était un signe spécifique pour des lésions du muscle et du tendon décrits par la littérature et était compatible avec une lésion à la suite d’un accident survenu en février 2018.

L’assurance-accidents a alors soumis le dossier de l’assurée à un deuxième de ses médecins-conseil. Dans une appréciation du 08.04.2019, ce médecin a réfuté les arguments de son confrère: il ne s’agissait pas d’un accident avec une énergie cinétique élevée, l’assurée ayant fait une simple chute de sa hauteur; l’existence de calcifications intra-tendineuses correspondait à des lésions de tendinite chronique et ancienne, soit à une pathologie dégénérative qui, en dépit du jeune âge de l’assurée, préexistait à l’accident; des lésions diffuses des tendons de la coiffe et une infiltration graisseuse du corps musculaire témoignaient de la survenue d’une rupture bien antérieure. L’ensemble de ces lésions constituait un état antérieur que la contusion de l’épaule avait déstabilisé de façon temporaire. Eu égard à cet état dégénératif préexistant, le second médecin-conseil a fixé à trois mois la durée de récupération fonctionnelle de la contusion.

Le 29.04.2019, l’assurance-accidents a partiellement admis l’opposition en ce sens qu’elle a prolongé la prise en charge du cas jusqu’au 23.05.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 69/19 – 53/2021 – consultable ici)

La cour cantonale n’a pas été convaincue par les explications du premier médecin-conseil, selon lequel le mécanisme de l’accident n’était pas approprié pour solliciter les tendons de la coiffe des rotateurs au-delà de leur point de rupture. Ce dernier avait sous-estimé l’importance de l’événement accidentel: l’assurée n’était pas simplement tombée de sa hauteur mais avait fait une chute dans les escaliers qui lui avait occasionné une contusion et une dermabrasion au niveau de l’épaule ainsi qu’une plaie profonde au genou gauche. Une telle chute comportait en soi un risque potentiel de blessures graves, notamment à l’épaule, et ne pouvait pas être qualifiée de bénigne. Par ailleurs, les deux médecins-conseils avaient passé sous silence que l’assurée avait présenté une impotence immédiate de son épaule droite. Or, d’après la littérature médicale la plus récente (Alexandre Lädermann et al., Lésions transfixiantes dégénératives ou traumatiques de la coiffe des rotateurs, in Swiss Medical Forum, 2019, p. 263), une atteinte immédiate de la mobilité active en élévation ou en rotation externe, ou encore le développement d’une épaule pseudoparalytique était classiquement retrouvée après un accident. Il n’était certes pas contestable que l’assurée présentait un certain nombre de lésions dégénératives préexistantes. Toutefois, les deux médecins-conseil avaient fourni une appréciation médicale indifférenciée de la situation de l’assurée, sans procéder à une analyse détaillée de chaque lésion constatée. Leur raisonnement, fondé sur la seule présence d’atteintes dégénératives préexistantes, ne permettait pas d’exclure que certaines lésions aient pu trouver leur origine dans l’événement traumatique subi, d’autant que le chirurgien traitant avait précisé que l’infiltration graisseuse partielle de moins de 25% du muscle, observée en mai 2018, était compatible avec une lésion survenue en février 2018. En conclusion, la cour cantonale a retenu qu’il existait une relation de causalité probable entre l’accident et la déchirure transfixiante des tendons des sus-épineux et sous-épineux. Au vu de l’art. 36 al. 1 LAA, c’était donc à tort que l’assurance-accidents avait refusé de prester au-delà du 23.05.2018.

Par jugement du 10.05.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition.

 

TF

Consid. 3
Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où l’accident assuré est survenu après cette date, le nouveau droit s’applique.

Aux termes de l’art. 6 LAA dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle (al. 1); l’assurance alloue aussi ses prestations pour les lésions corporelles suivantes, pour autant qu’elles ne soient pas dues de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie: [a. à e.]; f. les déchirures de tendons; [g. à h.] (al. 2); l’assurance alloue en outre ses prestations pour les lésions causées à l’assuré victime d’un accident lors du traitement médical (al. 3).

Dans un arrêt publié aux ATF 146 V 51, le Tribunal fédéral a examiné les répercussions de la modification législative relative aux lésions corporelles assimilées à un accident. Il s’est notamment penché sur la question de savoir quelle disposition était désormais applicable lorsque l’assureur-accidents avait admis l’existence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA et que l’assuré souffrait d’une lésion corporelle au sens de l’art. 6 al. 2 LAA. Le Tribunal fédéral a admis que dans cette hypothèse, l’assureur-accidents devait prendre en charge les suites de la lésion en cause sur la base de l’art. 6 al. 1 LAA; en revanche, en l’absence d’un accident au sens juridique, le cas devait être examiné sous l’angle de l’art. 6 al. 2 LAA (ATF 146 V 51 consid. 9.1, résumé dans la RSAS 1/2020 p. 33 ss.; arrêt 8C_169/2019 du 10 mars 2020 consid. 5.2).

En l’espèce, il est admis que la chute de l’assurée dans les escaliers du 23.02.2018 répond à la définition légale de la notion d’accident dans le domaine des assurances sociales. Par ailleurs, les investigations médicales ont mis à jour (entre autres) une déchirure transfixiante de deux tendons de la coiffe des rotateurs. Ces lésions constituent des lésions assimilées à un accident au sens de l’art. 6 al. 2 LAA. Au vu de la jurisprudence susmentionnée, c’est à juste titre que la cour cantonale a examiné la question du droit aux prestations de l’assurée à l’aune de l’art. 6 al. 1 LAA et on peut renvoyer à son arrêt en ce qui concerne le rappel, dans ce contexte, de l’art. 36 al. 1 LAA ainsi que des notions de statu quo ante/statu quo sine applicables lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident en raison d’un état maladif préexistant (cf. ATF 146 V 51 consid. 5.1 in fine).

Consid. 4.2
L’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir apprécié les avis médicaux et constaté les fait pertinents de manière arbitraire. […] Ce serait à tort que la cour cantonale a fait grand cas de l’existence d’une impotence initiale en s’appuyant sur un article du docteur Lädermann. Au demeurant, l’avis de ce médecin ne ferait pas autorité, dans la mesure où d’autres auteurs retiennent que la présence d’une impotence ne signifie pas que l’on se trouve en présence d’une déchirure accidentelle de la coiffe des rotateurs (Luzi Dubs, Bruno Soltermann, Josef E. Brandenberg, Philippe Luchsinger, Evaluation médicale ciblée après traumatisme de l’épaule – Causes des lésions isolées de la coiffe des rotateurs et leur diagnostic médical d’assécurologie, in Infoméd/Medinfo, n° 2021/1, p. 2 ch. 2).

Consid. 4.3
Contrairement à ce que soutient l’assurance-accidents, il ne ressort pas de la jurisprudence fédérale qu’un traumatisme consistant en un choc direct sur l’épaule ne serait jamais de nature à causer une lésion de la coiffe des rotateurs. Dans l’arrêt le plus récent cité par l’assurance-accidents (8C_59/2020 du 14 avril 2020), le Tribunal fédéral a justement souligné que la question faisait l’objet d’une controverse dans la littérature médicale récente (voir le consid. 5.4 de cet arrêt). Il a considéré qu’il n’y avait pas lieu de donner une trop grande importance au critère du mécanisme accidentel pour l’examen du lien de causalité, eu égard aux difficultés à reconstituer avec précision le déroulement de l’accident sur la base des déclarations de la victime. Il convenait bien plutôt, sous l’angle médical, de mettre en présence et de pondérer entre eux les différents critères pertinents plaidant en faveur ou en défaveur du caractère traumatique de la lésion, de manière à déterminer l’état de fait présentant une vraisemblance prépondérante (voir également l’arrêt 8C_672/2020 du 15 avril 2021 consid. 4.1.3 et 4.5).

En l’occurrence, les médecins-conseils de l’assurance-accidents et le chirurgien traitant ne s’accordent que sur un seul point, à savoir que l’assurée présente des signes dégénératifs à son épaule droite; on peut également noter qu’aucun d’entre eux n’a mentionné l’atteinte fonctionnelle initiale chez l’assurée en tant qu’élément à prendre en compte pour se prononcer sur le lien de causalité. Leurs prises de position respectives quant à l’importance et à la portée à donner, dans leur examen de cette question, à l’état antérieur préexistant associé à d’autres facteurs tels que l’action vulnérante de l’événement, l’âge et l’absence de problèmes à l’épaule avant l’accident, de même que l’interprétation de l’imagerie (en particulier relative au pourcentage d’infiltration graisseuse du muscle sous-épineux), sont tellement divergentes qu’il apparaît difficile de les départager sans connaissances médicales spécialisées. En effet, on ne voit pas, dans les explications avancées de part et d’autre, de motifs reconnaissables pour le juge qui justifieraient d’écarter d’emblée un avis au profit de l’autre en raison d’une valeur probante insuffisante. On ignore également si tous les facteurs médicalement déterminants ont effectivement été pris en compte.

Aussi, dans la mesure où le cas de l’assurée a été réglé sans avoir recours à une expertise et où il existe bien des doutes sur la fiabilité et la validité des constatations des médecins-conseils de l’assurance-accidents, on se trouve dans la situation visée par la jurisprudence qui impose de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant. Vu qu’il appartient en premier lieu à l’assureur-accidents de procéder à des instructions complémentaires pour établir d’office l’ensemble des faits déterminants et, le cas échéant, d’administrer les preuves nécessaires avant de rendre sa décision (art. 43 al. 1 LPGA; ATF 132 V 368 consid. 5; arrêt 8C_412/2019 du 9 juillet 2020 consid. 5.4 et ses références), la cause ne sera pas renvoyée à l’autorité cantonale, comme le requiert l’assurance-accidents, mais à cette dernière, afin qu’elle mette en œuvre une expertise dans une procédure au sens de l’art. 44 LPGA et rende une nouvelle décision sur le droit aux prestations de l’assurée au-delà du 23.05.2018. En ce sens, le recours se révèle bien fondé.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_445/2021 consultable ici

 

8C_673/2020 (f) du 25.06.2021 – Chute sur l’épaule – Lésion de la coiffe des rotateurs – 4 LPGA – 6 al. 1 LAA (teneur avant le 01.01.2017) – 9 al. 2 OLAA / Rechute – Causalité naturelle – Controverse entre médecins

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_673/2020 (f) du 25.06.2021

 

Consultable ici

 

Chute sur l’épaule – Lésion de la coiffe des rotateurs / 4 LPGA – 6 al. 1 LAA (teneur avant le 01.01.2017) – 9 al. 2 OLAA

Rechute – Causalité naturelle – Controverse entre médecins

 

Assuré, né en 1979, comptable, a chuté à vélo le 16.06.2013, se réceptionnant sur l’épaule gauche. Consulté le 18.06.2013, le spécialiste en médecine générale a diagnostiqué une contusion de l’épaule gauche et a prescrit six séances de physiothérapie.

Le 02.06.2014, l’assuré a annoncé une rechute de cet accident. A l’issue d’une arthro-IRM de l’épaule gauche réalisée le 14.07.2014, le spécialiste en radiologie a posé le diagnostic de tendinopathie d’insertion du sus-épineux et de bursite sous-acromiale discrète. Le spécialiste en chirurgie orthopédique consulté par l’assuré a retenu une suspicion de lésion partielle du tendon du sus-épineux de l’épaule gauche. L’assurance-accidents a alloué les prestations d’assurance pour les suites de l’accident du 16.06.2013.

Le 01.09.2016, l’assuré a consulté un spécialiste en chirurgie de l’épaule, en raison de douleurs persistantes à l’épaule gauche. Ce médecin a diagnostiqué une probable lésion de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche et a préconisé une arthro-IRM, laquelle a mis en évidence, le 23.09.2016, un conflit sous-acromial avec fissuration centimétrique intra-tendineuse de l’enthèse du supra-épineux occupant plus de 80% de son épaisseur associée à une bursite sous-acromiale. Une nouvelle arthro-IRM, réalisée le 10.04.2017, a confirmé la déchirure du tendon du supra-épineux. Le spécialiste en chirurgie de l’épaule a alors préconisé une réparation arthroscopique du tendon du sus-épineux. L’assurance-accidents a soumis le cas au médecin-conseil, qui a indiqué que la relation de causalité entre l’accident du 16.06.2013 et les lésions constatées en septembre 2016 et en avril 2017 était tout au plus possible.

Par décision du 02.10.2017, l’assurance-accidents a refusé d’allouer toutes nouvelles prestations d’assurance pour les suites de l’accident du 16.06.2013.

Dans le cadre de l’opposition, l’assuré a produit un rapport des deux médecins, respectivement spécialiste en médecine interne et spécialiste en chirurgie de l’épaule et du coude. Se fondant sur un nouveau rapport du médecin-conseil, confirmant son appréciation précédente, l’assurance-accidents a rejeté l’opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 39/18 – 143/2020 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que la rupture du tendon du sus-épineux sur près de 80% de son épaisseur objectivée pour la première fois par l’IRM du 23.09.2016 constituait une déchirure tendineuse, de sorte qu’elle devait être assimilée à un accident au sens de l’art. 9 al. 2 let. f OLAA. Elle a retenu que les deux avis du médecin-conseil ne permettaient pas de conclure à une cause exclusivement dégénérative, condition pour écarter la lésion assimilable à l’accident. En effet, il suffisait qu’un facteur extérieur fût une cause possible de la lésion, au moins à titre partiel, pour qu’une lésion assimilée à un accident fût admise. Cette assimilation devait être retenue même si elle avait, pour l’essentiel, une origine vraisemblablement maladive ou dégénérative, pour autant qu’une cause extérieure eût au moins déclenché les symptômes dont souffrait l’assuré. Or selon les juges cantonaux, tel était le cas pour ce dernier, dès lors qu’il avait été asymptomatique avant la chute accidentelle survenue le 16.06.2013 et qu’il ne ressortait d’aucune pièce au dossier que son épaule gauche présentait des lésions dégénératives préexistantes. Par ailleurs, la chute avait au moins partiellement déclenché tant la dégradation de l’état de l’épaule gauche que les douleurs ayant persisté depuis lors de manière fluctuante au fil du temps et des traitements, allant crescendo de 2013 à 2014, avant une nouvelle recrudescence algique rapportée dès le milieu de l’année 2015. La cour cantonale a conclu que dans la mesure où la déchirure du tendon du sus-épineux de l’épaule gauche de l’assuré était réputée imputable à l’accident du 16.06.2013, il incombait à l’assurance-accidents de la prendre en charge, même si cette atteinte avait pu trouver sa genèse dans la présence de troubles dégénératifs.

Par jugement du 24.09.2020, admission du recours par le tribunal cantonal et annulation de la décision sur opposition, l’assurance-accidents devant prendre en charge les suites de l’accident du 16.06.2013.

 

TF

Consid. 3
Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. A juste titre, la cour cantonale a retenu que dans la mesure où l’événement litigieux était survenu avant cette date, le droit de l’assuré aux prestations d’assurance pour la rechute de cet événement était soumis à l’ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015; RO 2016 4375). Les dispositions visées seront donc citées ci-après dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016.

Selon l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu’il ne serait pas survenu de la même manière (ATF 129 V 177 consid. 3.1; 129 V 402 consid. 4.3.1; 119 V 335 consid. 1; 118 V 286 consid. 1b et les références).

Aux termes de l’art. 6 al. 2 LAA, le Conseil fédéral peut inclure dans l’assurance-accidents des lésions corporelles qui sont semblables aux conséquences d’un accident. En vertu de cette délégation de compétence, il a édicté l’art. 9 al. 2 OLAA, selon lequel certaines lésions corporelles sont assimilées à un accident même si elles ne sont pas causées par un facteur extérieur de caractère extraordinaire, pour autant qu’elles ne soient pas manifestement imputables à une maladie ou à des phénomènes dégénératifs. La liste exhaustive de l’art. 9 al. 2 OLAA mentionne les déchirures de tendons (let. f).

Savoir si l’événement assuré et l’atteinte en question sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait que l’administration, ou le cas échéant le juge, examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d’ordre médical, et qui doit être tranchée à la lumière de la règle du degré de vraisemblance prépondérante (ATF 142 V 435 consid. 1 et les références).

Lorsqu’un cas d’assurance est réglé sans avoir recours à une expertise externe, l’appréciation des preuves est soumise à des exigences sévères: s’il existe un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l’assurance, il y a lieu de procéder à des investigations complémentaires (ATF 139 V 225 consid. 5.2; 135 V 465 consid. 4.4). En effet, si la jurisprudence a reconnu la valeur probante des rapports médicaux des médecins-conseils, elle a souligné qu’ils n’avaient pas la même force probante qu’une expertise judiciaire ou une expertise mise en œuvre par un assureur social dans une procédure selon l’art. 44 LPGA (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et les références).

Consid. 4.2
L’assurance-accidents ne conteste pas que la déchirure du tendon du sus-épineux constatée pour la première fois à l’IRM du 23.09.2016 constitue une lésion assimilée à un accident au sens de l’art. 9 al. 2 OLAA. Elle fait cependant valoir que, selon la jurisprudence, il y a lieu de conclure à une lésion exclusivement maladive ou dégénérative si la lésion corporelle (assimilée) ne peut pas être rattachée à l’accident en cause (arrêt 8C_61/2016 du 19 décembre 2016 consid. 5.1 et les arrêts cités). Or selon l’assurance-accidents, la déchirure du tendon du sus-épineux de l’épaule gauche de l’assuré ne pouvait pas être rattachée à l’accident du 16.06.2013 car cette lésion visible tant à l’IRM du 10.04.2017 qu’à l’arthro-IRM du 23.09.2016 était récente; en effet, les deux examens précités montraient une bonne trophicité sans infiltration graisseuse des différents corps musculaires de la coiffe des rotateurs, signant une lésion présente depuis moins d’une année.

Consid. 4.3
L’assuré conteste ce point de vue. Il fait valoir que l’appréciation du médecin-conseil, selon laquelle la bonne trophicité sans infiltration graisseuse des différents corps musculaires de la coiffe des rotateurs observée sur les IRM de 2016 et 2017 laissait supposer que la lésion était récente, ne tiendrait pas compte des autres avis médicaux au dossier. En effet, le spécialiste en chirurgie de l’épaule et du coude indiquait que l’IRM réalisée en 2014 montrait déjà une rupture quasi transfixiante du tendon du sus-épineux, ce qui corroborait l’appréciation du premier chirurgien orthopédique consulté, lequel avait déjà posé le diagnostic de suspicion d’une lésion partielle du tendon du sus-épineux de l’épaule gauche dans son rapport du 08.10.2014. En outre, selon la doctrine médicale versée au dossier, la question de l’infiltration graisseuse de la musculature de la coiffe des rotateurs était sujette à interprétation, celle-ci pouvant du reste n’apparaître qu’après trois ou quatre ans, toutes situations – accidentelle et non accidentelle – confondues (cf. A. Lädermann et al., Lésions transfixiantes dégénératives ou traumatiques de la coiffe des rotateurs, Forum médical suisse 2019, p. 264). En tout état de cause, l’assuré fait valoir que même si la lésion devait être considérée comme récente, il ne ferait aucun doute que l’accident du 16.06.2013 avait eu une influence sur cette lésion, le médecin-conseil ayant elle-même admis un lien de causalité possible.

Consid. 4.4
En l’occurrence, d’après le médecin-conseil, l’accident du 16.06.2013 avait tout au plus aggravé passagèrement des lésions préexistantes de nature dégénérative déjà présentes sur les radiographies de l’épaule et sur l’arthro-IRM du 14.07.2014. L’assuré n’avait pas consulté de spécialiste en 2013 ni en 2014 et aucune indication opératoire n’avait été retenue à cette époque. C’est l’arthro-IRM du 23.09.2016 qui avait révélé une rupture du tendon du sus-épineux. La comparaison entre l’IRM du 14.07.2014 et celle du 23.09.2016 montrait que la chute du 16.06.2013 n’avait pas entraîné la rupture de 80% du tendon du sus-épineux constatée à l’IRM du 23.09.2016.

De leur côté, les médecins de l’assuré ont constaté que l’assuré ne présentait pas d’antécédents au niveau de son épaule gauche et que l’IRM du 14.07.2014 montrait déjà une rupture quasi transfixiante du tendon du sus-épineux. Ce n’était toutefois que deux ans plus tard qu’une lésion quasi complète du tendon du sus-épineux avait été confirmée par les IRM du 23.09.2016 et du 10.04.2017. L’absence d’infiltration graisseuse des différents corps musculaires de la coiffe des rotateurs constatée à l’IRM de 2017 permettait de conclure à une étiologie traumatique de la lésion.

Prenant à nouveau position, le médecin-conseil a indiqué que l’IRM du 14.07.2014 avait montré une hétérogénéité avec un amincissement et un hypersignal T1 et T2 de l’extrémité du tendon à son insertion humérale, sans que le radiologue évoque une rupture même partielle de ce tendon. La musculature était décrite de trophicité normale. La bonne trophicité et l’absence d’involution graisseuse des différents corps musculaires de la coiffe des rotateurs constatés lors de l’IRM du 10.04.2017 excluaient totalement la présence d’une lésion du tendon du sus-épineux présente depuis près de quatre ans car l’involution graisseuse apparaissait environ une année après la rupture du tendon.

Consid. 4.5
Vu les avis contradictoires – et impossibles à départager sans connaissances médicales spécialisées – du spécialiste traitant et du médecin-conseil quant à l’existence d’un lien de causalité entre la déchirure du tendon du sus-épineux de l’assuré et l’accident du 16.06.2013, force est de constater que l’instruction de la cause ne permet pas de statuer sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance en lien avec la lésion précitée. Dans ces circonstances, il se justifie de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle mette en œuvre une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.6) afin de départager les opinions de ces deux médecins et rende un nouvel arrêt.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à l’instance inférieure pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_673/2020 consultable ici

 

8C_626/2021 (f) du 19.01.2022 – Maladie professionnelle – Silicose – Lien de causalité / Qualifications médicales des médecins de la CNA/Suva

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_626/2021 (f) du 19.01.2022

 

Consultable ici

 

Maladie professionnelle – Silicose – Lien de causalité / 9 LAA

Qualifications médicales des médecins de la CNA/Suva

 

Assuré, né en 1978, a travaillé depuis le 13.07.2013 comme employé d’exploitation. Avant son arrivée en Suisse, il avait exercé différentes activités au Portugal, notamment dans des carrières de pierres ou dans des entreprises de construction. Par courrier du 23.11.2018, il a déclaré à l’assurance-accidents être en incapacité de travail et souffrir d’une maladie professionnelle.

L’assurance-accidents a procédé aux éclaircissements usuels, en rapport avec l’activité professionnelle de l’assuré et produits de nettoyage utilisés par l’entreprise. Dans l’appréciation médicale du 18.06.2019, le docteur C.__, médecin-conseil, spécialiste en médecine du travail et en médecine interne, a retenu que l’assuré souffrait d’une silicose associée à une vasculite à ANCA (anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles) et que cette affection était secondaire à ses activités exercées au Portugal. Compte tenu du fait qu’une exposition aux poussières de silice n’était pas attestée en Suisse, la responsabilité de l’assurance-accidents n’était pas engagée. Se fondant sur cette appréciation, l’assurance-accidents a refusé le droit à des prestations d’assurance par décision, confirmée sur opposition.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 19.07.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies (art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux; le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Se fondant sur cette délégation de compétence – à laquelle renvoie l’art. 14 OLAA -, le Conseil fédéral a dressé à l’annexe 1 de l’OLAA la liste des substances nocives, d’une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d’autres part. Ces substances et travaux, ainsi que les affections dues à ceux-ci, sont énumérés de manière exhaustive (arrêt 8C_800/2019 du 18 novembre 2020 consid. 3.1.1 et la référence).

Selon la jurisprudence, l’exigence d’une relation prépondérante requise par l’art. 9 al. 1 LAA est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l’action d’une substance nocive ou à certains travaux mentionnés à l’annexe 1 de l’OLAA (ATF 133 V 421 consid. 4.1 et les références).

Aux termes de l’art. 9 al. 2 LAA, sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle. Il s’agit là d’une clause générale visant à combler les lacunes qui pourraient résulter de ce que la liste dressée par le Conseil fédéral à l’annexe 1 de l’OLAA ne mentionne pas soit une substance nocive qui a causé une maladie, soit une maladie qui a été causée par l’exercice de l’activité professionnelle (ATF 119 V 200 consid. 2b; 117 V 354 consid. 2b; 114 V 109 consid. 2b et les références).

 

Qualifications médicales des médecins de la CNA/Suva

S’agissant tout d’abord des qualifications médicales du docteur C.__, c’est à juste titre que la cour cantonale a relevé que ce praticien est titulaire d’une spécialisation en médecine du travail ainsi qu’en médecine interne, de sorte qu’il dispose des connaissances suffisantes pour se prononcer sur l’existence d’un lien de causalité entre les troubles respiratoires de l’assuré et l’activité professionnelle assurée. On ne voit d’ailleurs pas en quoi un spécialiste en pneumologie serait plus compétent qu’un spécialiste en médecine du travail pour se prononcer sur l’existence d’une maladie professionnelle. En effet, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les médecins de la CNA sont considérés, de par leur fonction et leur position professionnelle, comme étant des spécialistes en matière de traumatologie respectivement de maladie professionnelle, indépendamment de leur spécialisation médicale (cf. arrêts 8C_59/2020 du 14 avril 2020 consid. 5.2; 8C_316/2019 du 24 octobre 2019 consid. 5.4).

S’il est vrai que le docteur C.__ n’a pas examiné l’assuré personnellement pour arriver à la conclusion que les troubles respiratoires de celui-ci n’étaient pas dus à une activité professionnelle exercée en Suisse, ses appréciations tiennent néanmoins compte de l’intégralité du dossier médical. Un examen personnel n’aurait au demeurant pas permis d’apporter de clarification quant au diagnostic de silicose pulmonaire posé par la doctoresse F.__, puis remis en question par le docteur D.__. Quoi qu’il en soit, aucun des spécialistes consultés n’attribue les troubles pulmonaires de l’assuré à l’exercice de son activité professionnelle au sein de l’entreprise assurée.

 

Maladie professionnelle et lien de causalité

Ainsi, si la doctoresse F.__ a posé le diagnostic de silicose, elle semble l’attribuer avant tout à l’exposition professionnelle de l’assuré dans les carrières au Portugal. Elle n’a en tout cas pas évoqué l’activité de l’assuré auprès de l’entreprise B.__ SA dans ce contexte, et encore moins conclu à l’existence d’un lien de causalité entre la silicose et celle-ci. Quant à la toux chronique diagnostiquée en juillet 2020, la pneumologue a indiqué que la sémiologie de cette affection était évocatrice d’un asthme déclenché par l’effort et n’avait pas de lien avec les autres diagnostics. Si elle en a conclu qu’il s’agissait « d’un asthme aggravé au travail » par « l’exposition à des produits chimiques ou des facteurs physiques comme la vapeur », cela n’est pas pertinent pour le litige, dans la mesure où elle n’énonce aucune substance nocive mentionnée à l’annexe 1 de l’OLAA (ch. 1). Même s’il fallait considérer qu’il s’agit d’une affection de l’appareil respiratoire (ch. 2 let. b annexe 1 OLAA), il n’existe aucun indice – l’assuré ne prétendant pas le contraire – que celui-ci aurait effectué des travaux dans les poussières de coton, de chanvre, de lin, de céréales et de leurs farines, d’enzymes, de moisissures et dans d’autres poussières organiques lors de son activité auprès de l’entreprise assurée.

L’assuré ne saurait en outre tirer un argument en sa faveur du rapport du docteur D.__. Ce spécialiste a relevé que le diagnostic de silicose pulmonaire lui semblait moins probable, compte tenu, d’une part, de la faible exposition professionnelle (trois ans d’activité comme machiniste au Portugal, activité à distance de la poussière selon les dires du patient) et, d’autre part, de la faible latence entre le début de l’exposition et le diagnostic (soit au maximum 5 ans entre 2010 et 2015), ce qui le faisait reconsidérer le diagnostic de sarcoïdose ou d’une autre pneumopathie interstitielle. Quant à la vasculite à ANCA, il n’existait pas de cas décrit dans la littérature en lien avec une activité dans la production de fromage. Cette activité ne pouvait en particulier pas générer de pneumopathie interstitielle ni de vasculite. L’exposition aux produits de nettoyage et de désinfections utilisé par l’entreprise n’était en outre pas connue, selon les fiches de données de sécurité, pour engendrer une quelconque toxicité respiratoire chronique et ne nécessitait pas de protection respiratoire particulière.

En résumé, il n’existe en l’occurrence aucun indice qui permettrait de mettre en doute, même de façon minime (ATF 145 V 97 consid. 8.5), la fiabilité et la pertinence des constatations du docteur C.__, si bien que l’assurance-accidents, puis les juges cantonaux, étaient fondés à nier le caractère de maladie professionnelle aux troubles annoncés par l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_626/2021 consultable ici

 

 

8C_256/2021 du 09.03.2022 – Fixation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques résultant de l’ESS – Une modification de la jurisprudence n’est pas indiquée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 du 09.03.2022

 

Communiqué de presse du TF du 09.03.2022 consultable ici

NB : L’arrêt sera accessible dès qu’il aura été rédigé sur le site internet du TF (date encore inconnue)

 

Fixation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques résultant de l’ESS – Une modification de la jurisprudence n’est pas indiquée

 

Le Tribunal fédéral ne juge pas opportun de modifier sa jurisprudence en vigueur jusqu’à présent relative à la détermination du degré d’invalidité sur la base des salaires statistiques résultant de l’ESS. Il n’existe pas de raisons factuelles sérieuses pour modifier la pratique. Les instruments de correction appliqués jusqu’à aujourd’hui sont d’une importance capitale pour la détermination correcte du degré d’invalidité. Compte tenu de la modification de la loi fédérale et de l’ordonnance sur l’assurance-invalidité, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, un changement de pratique ne serait de toute façon pas opportun à l’heure actuelle.

Le degré d’invalidité d’une personne est généralement déterminé en comparant ses revenus : le revenu que la personne devenue invalide gagne ou pourrait gagner en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée d’elle malgré son invalidité (revenu d’invalide) est comparé avec celui qu’elle aurait pu obtenir si elle n’était pas invalide (revenu sans invalidité). Le degré d’invalidité est déterminé sur la base de la perte de revenu ainsi calculée. Si des chiffres concrets sont disponibles – c’est-à-dire si la personne concernée exerce une activité professionnelle avant ou après le début de l’invalidité – ces chiffres sont généralement utilisés comme base. Si, en revanche, la personne invalide n’exerce pas d’activité ou n’exerce aucune activité que l’on peut raisonnablement attendre d’elle, on peut, selon la jurisprudence appliquée jusqu’à présent, se référer aux salaires statistiques de l’ESS (Enquête bisannuelle sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique). Il faut généralement prendre la valeur médiane des salaires bruts standardisés (valeur médiane = valeur centrale, la moitié gagne moins, l’autre moitié gagne plus). Lors de l’application des salaires statistiques pour déterminer le revenu d’invalide, on se fonde sur un «marché du travail équilibré» (équilibre entre l’offre et la demande) et non sur la situation concrète du marché du travail. A l’aune des circonstances personnelles, une déduction («abattement pour facteurs personnels et professionnels») peut alors être effectuée sur le salaire statistique, jusqu’à un maximum de 25 %. Un correctif supplémentaire est possible si la personne concernée percevait déjà un revenu nettement inférieur à la moyenne pour des raisons étrangères à son invalidité avant que celle-ci ne survienne («parallélisation des revenus»).

Dans le cas d’espèce, une personne recourt contre la fixation de son degré d’invalidité selon cette pratique appliquée sous le droit de l’assurance-invalidité en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Elle fait valoir que la jurisprudence dans ce domaine serait discriminatoire. Selon les dernières recherches scientifiques [1], les personnes invalides seraient systématiquement moins bien loties avec la prise en compte de la valeur médiane de l’ESS. Les salaires statistiques refléteraient largement les salaires des personnes en bonne santé. Afin de prendre en compte de manière adéquate les conséquences de l’invalidité lors de la fixation du revenu d’invalide, les experts suggéreraient, entre autres, de se référer au quartile inférieur des salaires statistiques (quartile inférieur = valeur du quart, un quart gagne moins, trois quarts gagnent plus) plutôt qu’à la valeur médiane. En outre, il conviendrait d’établir les salaires sur la base d’activités appropriées et d’établir immédiatement des déductions claires et réalistes sur le salaire statistique.

Lors de sa séance publique du 9 mars 2022, le Tribunal fédéral rejette le recours. Les arguments invoqués ne justifient pas un changement de jurisprudence. La détermination du degré d’invalidité est essentiellement régie par la loi. Avec la notion de marché du travail équilibré (selon l’article 16 LPGA), le législateur part du principe que des emplois correspondant aux capacités des personnes atteintes dans leur santé leur sont accessibles. On ne peut s’écarter de ce concept juridique en se référant à des possibilités d’emploi concrètes ou des conditions concrètes du marché du travail. La détermination des revenus avec et sans invalidité n’était jusqu’à présent pas réglementée en détail par la loi. Selon la jurisprudence appliquée jusqu’à présent, il s’agit avant tout de tenir compte des circonstances concrètes, c’est-à-dire du salaire effectivement gagné avant ou après le début de l’invalidité. Ce n’est que lorsque cela n’est pas possible que les statistiques salariales sont utilisées, généralement les salaires issus de l’ESS. Le recours à l’ESS pour déterminer le degré d’invalidité est donc l’«ultima ratio». L’ESS se base sur une enquête menée tous les deux ans auprès des entreprises en Suisse. Elle se fonde donc sur des données complètes et concrètes issues du marché du travail réel. La valeur médiane des salaires bruts standardisés de l’ESS, qui doit être prise comme base selon la jurisprudence du Tribunal fédéral appliquée jusqu’à présent, convient en principe comme valeur de départ pour la détermination du revenu d’invalide. Afin de tenir compte du fait qu’une personne handicapée ne peut mettre en valeur sa capacité de travail restante, même sur un marché du travail équilibré, qu’avec la perspective d’un salaire inférieur à la moyenne, la jurisprudence prévoit la possibilité d’une déduction allant jusqu’à 25 % du salaire statistique. Cette déduction («abattement pour facteurs personnels et professionnels») constitue un correctif capital pour déterminer le revenu d’invalide de la manière la plus concrète possible. Compte tenu de la possibilité d’effectuer un abattement, le Tribunal fédéral a jusqu’à présent expressément refusé de prendre comme base le quartile inférieur du salaire statistique. Un autre correctif est la parallélisation. Cela permet également de tenir compte du cas particulier lors de la comparaison des revenus. On ne voit pas dans quelle mesure la détermination du revenu d’invalide sur la base de la valeur médiane de l’ESS, corrigée le cas échéant par les deux instruments précités, serait discriminatoire.

Le fait que les conditions d’un changement de jurisprudence ne sont pas réunies à ce jour ne signifie pas que la jurisprudence – en particulier à l’aune de la révision de la loi fédérale et de l’ordonnance sur l’assurance-invalidité – ne pourra pas évoluer à l’avenir. Une modification de la jurisprudence à l’heure actuelle ne serait toutefois pas opportune, même ensuite de l’entrée en vigueur de la révision en question, laquelle concerne l’utilisation des salaires statistiques pour la comparaison des revenus ainsi que les instruments de correction. Le Tribunal fédéral n’a pas à se prononcer sur ce point dans le cas d’espèce.

 

 

[1] Entre autres, l’expertise statistique «Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung» de l’Office d’études du travail et de la politique sociale (BASS SA) ; l’avis juridique «Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» et les conclusions qui en ont été tirées par le Prof. Dr. iur. Gächter, le Dr. iur. Egli, le Dr. iur. Meier et le Dr. iur. Filippo; remarques complémentaires «Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn» du Prof. em. Riemer Kafka et du Dr. phil. Schwegler

 

 

Communiqué de presse du TF du 09.03.2022 consultable ici

Bestimmung des Invaliditätsgrades anhand der LSE-Tabellenlöhne – Änderung der Rechtsprechung nicht angezeigt, Medienmitteilung des Bundesgerichts, 09.03.2022

Determinazione del grado d’invalidità sulla base dei salari delle tabelle RSS – cambiamento di giurisprudenza non opportuno, Comunicato stampa del Tribunale federale, 09.03.2022

 

 

8C_171/2021 (f) du 14.12.2021 – Revenu d’invalide – Utilisation des DPT au-delà du 01.01.2019 / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_171/2021 (f) du 14.12.2021

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – Utilisation des DPT au-delà du 01.01.2019 / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1953, menuisier de formation, a exercé sa profession en qualité d’indépendant.

Après divers accidents et procédures judicaires, l’assurance-accidents a, par décision du 20.11.2014 confirmée sur opposition, reconnu l’assuré apte à travailler à 100% comme menuisier en atelier, de sorte qu’elle ne pouvait pas lui accorder une rente d’invalidité; en revanche, le droit à des indemnités pour atteinte à l’intégrité complémentaires de 12.5% pour l’épaule droite et de 5% pour le coude gauche pouvait lui être reconnu.

Par jugement du 15.03.2018, le tribunal cantonal a admis le recours interjeté par l’assuré contre la décision sur opposition, qu’elle a annulée. La cour cantonale a considéré, en substance, que l’assurance-accidents n’avait pas tenu compte de la baisse de rendement de 25% invoquée par l’employeur C.___ SA et lui a enjoint d’effectuer une recherche de postes de travail parfaitement adaptés aux handicaps de l’assuré.

Dans une nouvelle décision du 06.08.2018, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a retenu un revenu avec invalidité de 63’726 fr. sur la base des statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS; niveau de compétences 2), en tenant compte d’un abattement de 10% pour les limitations fonctionnelles que présentait l’assuré; constatant que la comparaison de ce revenu avec le gain de 68’249 fr. réalisable sans l’accident faisait apparaître un taux d’invalidité de 6.6%, elle a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 18.01.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Revenu d’invalide – Utilisation des DPT au-delà du 01.01.2019

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible -, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS ou sur les données salariales résultant des DPT établies par la CNA (ATF 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). La jurisprudence ne laisse pas le choix de la méthode à la CNA, mais lui impose de faire recours aux DPT, à moins que les circonstances du cas d’espèce y fassent obstacle et qu’il ne lui soit pas possible de trouver, parmi la documentation disponible, le nombre requis de postes de travail pouvant entrer en ligne de compte pour l’assuré concerné (arrêts 8C_199/2017 du 6 février 2018 consid. 5.1; 8C_443/2016 du 11 août 2016 consid. 5.3; UELI KIESER, ATSG-Kommentar, 4e éd. 2020, n° 88 ad art. 16 LPGA). En procédure cantonale, il appartient à la juridiction cantonale d’examiner si l’évaluation de l’invalidité sur la base des DPT était conforme au droit et, si tel n’est pas le cas, de renvoyer la cause à la CNA ou de déterminer le revenu d’invalide sur la base de l’ESS (ATF 139 V 592 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.2; arrêt 8C_607/2020 du 6 mai 2021 consid. 5.2).

On rappellera également que, malgré le fait que la CNA n’actualise plus les DPT depuis le 01.01.2019 (CHRISTOPH FREY/NATHALIE LANG, in: Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, n. 56 ss ad art. 16 LPGA; cf. arrêt 8C_517/2019 du 26 septembre 2019 consid. 6), les principes énoncés ci-dessus s’appliquent toujours au contrôle des décisions de rente fondées sur les DPT (arrêt 8C_315/2020 du 24 septembre 2020 consid. 3.2).

 

Par jugement du 15.03.2018, la cour cantonale a admis le recours contre la décision sur opposition et a renvoyé le dossier à l’assurance-accidents pour nouvelle décision. A ce propos, elle a notamment exposé ce qui suit (consid. 2.3) : « Afin de déterminer la perte de gain à la date déterminante, [l’assurance-accidents] aurait dû effectuer une recherche de postes de travail parfaitement adaptés aux handicaps de l’assuré – dont pouvaient faire partie des emplois de menuisier exclusivement à l’établi – et comparer le salaire moyen ainsi obtenu au revenu, adapté à l’évolution des salaires, que l’assuré percevait dans son activité de menuisier pour C.___ SA avant l’accident de juin 2020 ». Par-là, la cour cantonale a invité concrètement l’assurance-accidents à entreprendre des recherches dans les DPT.

Dans sa décision du 06.08.2018, l’assurance-accidents a pourtant établi le revenu avec invalidité à l’aide des valeurs statistiques des ESS. Bien que l’assuré ait critiqué par la suite (tant dans son opposition que dans son recours subséquent au tribunal cantonal) que le jugement du 15.03.2018 n’aurait pas été respecté et que l’instruction requise par le tribunal n’aurait pas été faite, l’assurance-accidents s’est bornée à alléguer dans la décision sur opposition du 20.12.2018 ainsi que dans ses écritures au tribunal cantonal qu’elle avait été confrontée à l’impossibilité de verser au dossier – comme requis par les juges valaisans – des DPT parfaitement adaptées aux limitations fonctionnelles. Dans leur jugement du 18.01.2021, les juges cantonaux ont simplement « pris acte » qu’il n’y avait pas de poste parfaitement adapté. Malgré les critiques pertinentes et constantes de l’assuré, ils ont toutefois omis toute instruction ultérieure et ils n’ont pas non plus vérifié si le jugement de renvoi du 15.03.2018 avait été respecté. Les allégations de l’assuré ne paraissent donc pas dénuées de fondement. Toutefois, cela ne peut pas amener à annuler le jugement attaqué. Contrairement à ce que l’assuré soutient, il n’y a pas lieu, en cas de litige, de comparer les résultats obtenus par les deux méthodes (soit à l’aide des DPT ou des valeurs statistiques de l’ESS) et de se fonder sur celui qui est le plus favorable à l’assuré (ATF 129 V 472 consid. 4.2.1; arrêt 8C_610/2017 du 3 avril 2018 consid. 4.2), dès lors qu’il n’existe pas en droit des assurances sociales un principe selon lequel le doute profite à l’assuré (« in dubio pro assicurato »; ATF 134 V 315 consid. 4.5.3).

Pour compléter l’état de fait et éviter un renvoi à l’instance cantonale, le Tribunal fédéral a, par avis du 16.09.2021, invité l’assurance-accidents à produire tous documents établissant les recherches effectuées pour trouver des DPT parfaitement adaptées aux handicaps de l’assuré ainsi que le résultat de ces recherches et à déposer des observations éventuelles (cf. art. 55 al. 1 et 2 LTF; art. 50 PCF; cf. arrêt 9C_53/2008 du 18 février 2009 consid. 3.1). L’assurance-accidents a répondu le 29.09.2021 qu’elle avait été confrontée à l’impossibilité de rechercher, trouver et verser au dossier de telles DPT et qu’elle ne disposait ainsi pas des pièces requises. De plus, comme elle n’avait actuellement plus recours à la méthode des DPT, il lui était techniquement impossible de faire toute nouvelle recherche à ce jour. L’assuré n’a pas déposé d’observations par rapport à ces déterminations. On peut dès lors partir du fait que des DPT parfaitement adaptées aux handicap de l’assuré n’existent pas et – vu que les DPT ne sont plus actualisés – qu’une recherche ne peut plus être effectuée. Dans ces circonstances, il ne peut en définitive pas être reproché à la cour cantonale de s’être appuyée sur les valeurs statistiques de l’ESS.

Les griefs de l’assuré quant à l’abattement retenu (10%) ont été écarté par le Tribunal fédéral (consid. 5.2).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_171/2021 consultable ici

 

9C_338/2021 (f) du 18.11.2021 – Refus de prise en charge, à titre de prestations couvertes par la LAMal, des coûts de l’huile de cannabis utilisée à titre thérapeutique

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_338/2021 (f) du 18.11.2021

 

Consultable ici

 

Refus de prise en charge, à titre de prestations couvertes par la LAMal, des coûts de l’huile de cannabis utilisée à titre thérapeutique / 25 al. 2 let. b LAMal – 32 ss LAMal – 52 al. 1 LAMal – 34 OAMal – 35a OAMal – 63 ss OAMal – 29 ss OPAS

Absence de bénéfice thérapeutique élevé en l’espèce

Rappel que l’efficacité doit être démontrée selon des méthodes scientifiques

 

Assurée, souffrant notamment d’une arthrite rhumatoïde occasionnant de fortes douleurs, a présenté à sa caisse-maladie une demande de prise en charge pour de l’huile de cannabis, par l’intermédiaire de son médecin traitant. Par décision, confirmée sur opposition, la caisse-maladie a rejeté la demande.

 

Procédure cantonale (arrêt AM 39/20 – 17/2021 – consultable ici)

Retenant que le traitement en cause est une formule magistrale au sens de l’art. 9 al. 2 let. b de la Loi fédérale du 15 décembre 2000 sur les médicaments et les dispositifs médicaux (Loi sur les produits thérapeutiques [LPTh]), dont le principe actif (le tétrahydrocannabinol) ne figure pas dans la liste des médicaments avec tarifs (LMT), la juridiction cantonale a examiné s’il remplissait les conditions posées par l’art. 71b al. 1 OAMal, en relation avec l’art. 71a al. 1 let. b OAMal, pour être pris en charge par l’assurance obligatoire des soins. Elle a nié cela en considérant que le traitement par huile de cannabis ne remplissait pas la condition du bénéfice thérapeutique élevé (au sens de l’art. 71a al. 1 let. b OAMal).

Par jugement du 27.04.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon la jurisprudence, dûment rappelée par les juges cantonaux, la question de savoir s’il existe un bénéfice thérapeutique élevé – en tant que condition pour la prise en charge d’un médicament ne figurant pas dans la liste des spécialités ou d’une préparation magistrale (cf. art. 71b al. 1 OAMal, en relation avec l’art. 71a al. 1 let. b OAMal) – est une question de droit, qui doit être jugée en fonction non seulement du cas d’espèce, mais aussi d’un point de vue général. La preuve doit être apportée au moyen d’études cliniques publiées ou au moyen d’autres résultats scientifiques publiés (ATF 144 V 333 consid. 11.1.3 et les références citées).

Or en l’occurrence, l’assurée ne démontre pas, pas plus qu’elle ne l’allègue, que des études répondant aux critères scientifiques exigés par la LAMal établiraient que l’huile de cannabis présente un bénéfice thérapeutique élevé, que ce soit en lien avec l’arthrite rhumatoïde dont elle est atteinte ou en relation avec le traitement d’autres pathologies. A cet égard, comme l’ont expliqué de manière circonstanciée les premiers juges, en se référant notamment au Rapport du Conseil fédéral en réponse à la motion Kessler (14.4164) « Traiter les personnes gravement malades avec du cannabis » du 7 juillet 2018, en l’état actuel des connaissances, les preuves scientifiques sont globalement insuffisantes pour répondre aux exigences du droit de l’assurance-maladie pour une prise en charge des coûts pour les médicaments à base de cannabis. Seule l’efficacité du Sativex®, pour l’atténuation des symptômes de spasticité modérée à sévère due à une sclérose en plaques, a pu être démontrée. On ajoutera que dans le cadre de la révision de la Loi fédérale du 3 octobre 1951 sur les stupéfiants et les substances psychotropes (LStup), l’absence de données permettant d’établir l’efficacité des médicaments à base de cannabis a à nouveau été constatée par le Conseil fédéral, qui a indiqué que ces médicaments ne sont donc pas remboursés par l’assurance-maladie obligatoire des soins (cf. Message du 24 juin 2020 concernant la modification de la loi fédérale sur les stupéfiants [Médicaments à base de cannabis], FF 2020 5875 [5876 et 5883-5884]). Cette modification, qui a été adoptée le 19 mars 2021 (Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes [Loi sur les stupéfiants, LStup], Modification du 19 mars 2021, FF 2021 666), vise essentiellement à lever l’interdiction légale de commercialiser, à des fins médicales, des stupéfiants ayant des effets de type cannabique en vue de simplifier leur utilisation et ne porte pas sur les questions relatives au remboursement, qui relèvent du droit de l’assurance-maladie (FF 2020 5875 [5876, 5887 et 5902]).

Pour le surplus, en ce qu’elle s’apparente à une demande de changement de la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, l’argumentation de l’assurée, selon laquelle la jurisprudence relative aux « cas d’application des art. 71 ss OAMal » devrait être précisée afin que les effets bénéfiques d’un traitement soient appréciés à l’aune de son efficacité ressentie par le patient, c’est-à-dire en se fondant sur des éléments « essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, subjectifs », n’est pas non plus fondée. Un changement de jurisprudence ne se justifie, en principe, que lorsque la nouvelle solution procède d’une meilleure compréhension de la ratio legis, repose sur des circonstances de fait modifiées ou répond à l’évolution des conceptions juridiques; sinon, la pratique en cours doit être maintenue. Un changement doit par conséquent reposer sur des motifs sérieux et objectifs qui, dans l’intérêt de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne (ATF 144 V 72 consid. 5.3.2; 142 V 112 consid. 4.4 et les références). Ces conditions ne sont pas remplies en l’espèce. Les critiques développées par l’assurée ne tiennent en effet pas compte du fait que selon l’art. 32 al. 1 LAMal, les prestations remboursées par l’assurance-maladie sociale doivent être efficaces, appropriées et économiques et que l’efficacité doit être démontrée selon des méthodes scientifiques. Or en l’espèce, l’efficacité de l’huile de cannabis n’est pas établie d’un point de vue général, que ce soit sous l’angle de l’art. 32 LAMal ou de l’art. 71a OAMal, en relation avec l’art. 71b OAMal. En conséquence les coûts du traitement litigieux ne doivent pas être pris en charge par l’assurance obligatoire des soins.

En l’absence d’études cliniques publiées ou d’autres résultats scientifiques publiés établissant que l’huile de cannabis présente un bénéfice thérapeutique élevé, c’est à bon droit que les premiers juges ont laissé ouverte la question de savoir s’il existait, en l’espèce, une alternative thérapeutique, quoi qu’en dise l’assurée à cet égard. Pour cette même raison, c’est en vain que l’assurée rappelle les motifs pour lesquels le traitement à base d’huile de cannabis lui a été prescrit (diagnostics de maladies graves engageant son pronostic vital et nécessité d’assouvir le besoin vital de se nourrir, notamment). L’existence d’un bénéfice thérapeutique élevé contre une maladie susceptible d’être mortelle pour l’assuré ou de lui causer des problèmes de santé graves et chroniques, ainsi que l’absence d’alternative thérapeutique au sens de l’art. 71a al. 1 lit. b OAMal, en relation avec l’art. 71b al. 1 OAMal, sont en effet des conditions qui doivent être remplies de manière cumulative pour fonder l’obligation de l’assurance obligatoire des soins de prendre en charge les coûts d’un médicament prêt à l’emploi autorisé par l’institut qui ne figure pas dans la liste des spécialités.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_338/2021 consultable ici

 

 

8C_405/2021 (f) du 09.11.2021 – Revenu d’invalide après réadaptation comme aide-comptable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_405/2021 (f) du 09.11.2021

 

Consultable ici

Cf. nos remarques et commentaires en fin d’article

 

Revenu d’invalide après réadaptation comme aide-comptable / 16 LPGA

Abattement sur le salaire statistique (examen de l’âge [53 ans] et des années de service)

 

Assurée, aide familiale à 80% depuis le 01.09.2002. Le 17.10.2007, elle a chuté dans les escaliers, se blessant principalement à l’épaule droite. Par décision, confirmée sur opposition le 03.02.2010, l’assurance-accidents a mis un terme à ses prestations d’assurance avec effet au 30.09.2009.

Le 11.11.2008, l’assurée a déposé une demande de prestations auprès de l’office de l’assurance-invalidité (ci-après: l’OAI).

Le 02.02.2010, en traversant la chaussée, l’assurée a heurté le bord d’un trottoir et a fait une chute, entraînant diverses contusions, dont à l’épaule droite. Elle a été licenciée avec effet au 31.08.2010. Par décision, confirmée sur opposition le 28.01.2011, l’assurance-accidents a mis fin au traitement médical dès le 18.02.2010 et à l’indemnité journalière à partir du 15.03.2010.

L’assurée a recouru contre la décision sur opposition du 28.01.2011 devant le tribunal cantonal. L’instance cantonale a mandaté le professeur C.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Par arrêt du 27.03.2013, la cour cantonale a partiellement admis le recours de l’assurée et a annulé la décision de l’assureur-accidents du 28.01.2011. Se fondant sur le rapport d’expertise du professeur C.__, elle a retenu que les troubles de l’épaule droite étaient en lien de causalité avec les deux événements accidentels des 17.10.2007 et 02.02.2010 et que l’assurée avait droit à des prestations de la part de l’assureur-accidents au-delà du 14.03.2010.

L’assurée a bénéficié d’un reclassement professionnel de l’assurance-invalidité. Dans ce cadre, elle a suivi une formation qui a pris fin le 30.04.2014 et a débouché sur l’obtention d’un certificat d’aide-comptable.

Après mise en œuvre une expertise pluridisciplinaire, l’OAI a, par décision du 16.04.2019, l’OAI, mis l’assurée au bénéfice d’une demi-rente d’invalidité dès le 01.08.2014, puis d’une rente entière à partir du 01.11.2015 en raison d’une pathologie psychiatrique.

Le 17.04.2019 et le 13.05.2019, l’assurée a communiqué cette décision à l’assurance-accidents et lui a demandé de statuer sur son droit aux prestations.

Par décision, confirmée sur opposition le 03.04.2020, l’assurance-accidents a refusé d’octroyer une rente d’invalidité à l’assurée, au motif que la comparaison des salaires sans (80’279 fr. 05) et avec invalidité (77’444 fr. 60) faisait apparaître un taux d’invalidité de 6,6%, inférieur au seuil de 10% ouvrant le droit à une rente. Elle lui a en revanche alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 12’600 fr., correspondant à 10% du montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/380/2021 – consultable ici)

La juridiction cantonale n’a pas remis en cause la stabilisation de l’état de santé de l’assurée au mois de juin 2012, ni sa capacité de travail entière, sans baisse de rendement, dans une activité adaptée, telle qu’une activité de bureau ou d’aide-comptable, sous réserve d’effort répété à hauteur de l’épaule ou au-dessus ainsi que du port de charges supérieures à 5 kilos.

S’agissant du revenu sans invalidité, les juges cantonaux ont considéré qu’il y avait lieu de se fonder sur le salaire que l’assurée aurait perçu en 2010, avant la survenance de son deuxième accident, soit un montant de 64’223 fr. 25 à 80% (selon les informations fournies par l’ancien employeur) et de l’indexer – après l’avoir converti à 100% (80’279 fr. 05) – jusqu’en 2014, année de naissance d’un éventuel droit à la rente, dès lors que les mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité avaient pris fin le 30.04.2014 (cf. art. 19 al. 1, 1e phrase, LAA). Il en résultait un salaire sans invalidité de 81’407 fr. 80.

En ce qui concerne le revenu d’invalide, la cour cantonale a considéré que l’assureur-accidents s’était fondé à juste titre sur les salaires statistiques ressortant de l’ESS, mais qu’il aurait dû retenir non pas la table T17 (salaire mensuel brut selon les groupes de professions, l’âge et le sexe – secteur privé et secteur public ensemble) de l’ESS 2016, mais la table TA1_skill_level (salaire mensuel brut selon les branches économiques, le niveau de compétences et le sexe – secteur privé) de l’ESS 2014, au vu de la naissance d’un éventuel droit à la rente au mois de juin 2014. Selon la cour cantonale, la table T17 (auparavant TA7) n’entrait pas en considération lorsque la personne assurée n’avait pas accès au secteur public. Or il ressortait du rapport de réadaptation professionnelle de l’OAI que l’assurée avait bénéficié d’un reclassement professionnel et avait obtenu un certificat d’aide-comptable, lequel attestait les compétences acquises dans le domaine de la comptabilité en entreprise uniquement. La maîtrise de la comptabilité dans un service public nécessitait une formation spécifique dont ne disposait pas l’assurée, de sorte qu’il était peu probable qu’elle puisse être engagée au sein d’une entité publique.

La cour cantonale s’est référée, dans la table TA1_skill_level de l’ESS 2014, au salaire mensuel auquel peuvent prétendre les femmes dans la branche « activités juridiques et comptables » (ligne 69-71) avec niveau de compétences 2. Elle a considéré que la branche en question comprenait les services comptables et de tenue de livres, comme la vérification des comptes, la préparation des états financiers et la tenue des livres à teneur de la nomenclature générale des activités économiques (Nomenclature générale des activités économiques [NOGA 2008] publiée par l’OFS, notes explicatives, p. 191), soit les tâches dans lesquelles l’assurée avait été formée d’après le rapport final à l’atelier du 26.11.2012 au 01.02.2013, ainsi que selon la note interne de l’OAI du 07.05.2014 relative au bilan de la mesure au sein du service de comptabilité E.__. Le salaire mensuel était de 6067 fr., montant que la cour cantonale a ensuite adapté à l’horaire de travail moyen dans la branche concernée (41,4 heures par semaine), ce qui aboutissait à un revenu d’invalide de 6279 fr. par mois (ou 75’348 fr. par année). A l’instar de l’assurance-accidents, les juges cantonaux n’ont procédé à aucun abattement sur le salaire d’invalide.

Ainsi, pour la cour cantonale, le taux d’invalidité – résultant de la comparaison des revenus sans invalidité (81’407 fr. 80) et avec invalidité (75’348 fr.) – s’élevait à 7,44%, arrondi à 7%, comme retenu par l’assurance-accidents.

Par jugement du 27.04.2021, admission (très) partielle du recours par le tribunal cantonal (intérêts moratoires de 5% l’an sur l’indemnité pour atteinte à l’intégrité de 12’600 fr., dès le 01.05.2016).

 

TF

Revenu d’invalide

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible -, le revenu d’invalide peut notamment être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS; ATF 129 V 472 consid. 4.2.1; 126 V 75 consid. 3b/bb).

Sans contester le recours à la table TA1_skill_level de l’ESS 2014 et le niveau de compétences 2 pour déterminer son revenu d’invalide, l’assurée invoque une mauvaise application du droit fédéral en tant que la cour cantonale s’est fondée sur le salaire de référence des branches 69-71 « Activités juridiques, comptables, de gestion, d’architecture, d’ingénierie » (6067 fr. par mois) plutôt qu’à la valeur statistique médiane figurant à la ligne « total » (4808 fr. par mois).

Lorsque les tables ESS sont appliquées, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1, à la ligne « total secteur privé »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b), étant précisé que, depuis l’ESS 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_skill_level et non pas le tableau TA1_b (ATF 142 V 178; arrêts 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4 et 8C_228/2017 du 14 juin 2017 consid. 4.2.2). Lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières; cette faculté reconnue par la jurisprudence concerne les cas particuliers dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Il y a en revanche lieu de se référer à la ligne « total secteur privé » lorsque l’assuré ne peut plus raisonnablement exercer son activité habituelle et qu’il est tributaire d’un nouveau domaine d’activité pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible (arrêts 8C_471/2017 du 16 avril 2018 consid. 4.2; 9C_142/2009 du 20 novembre 2009 consid. 4.1 et 9C_237/2007 du 24 août 2007 consid. 5.1, non publié à l’ATF 133 V 545).

En l’occurrence, la juridiction cantonale a constaté qu’avant son atteinte à la santé, l’assurée avait exercé diverses activités professionnelles dans des domaines aussi variés que la photographie, la bijouterie, comme aide-vétérinaire, puis dans les services d’aide et de soins à domicile (en tant qu’aide familiale). Après son second accident survenu en 2010, l’assurée avait en outre effectué un stage de découverte par le biais de l’assurance-chômage, suivi d’une formation de secrétariat du 14.03.2012 au 25.05.2012 et avait acquis un certificat avec mention. Selon la cour cantonale, il y avait lieu d’admettre que l’assurée disposait d’une certaine capacité d’adaptation sur le plan professionnel susceptible, le cas échéant, de compenser les désavantages compétitifs liés à son âge.

Compte tenu de ce qui précède, force est de constater qu’avant son atteinte à la santé, l’assurée ne s’est pas cantonnée à un seul domaine pendant de nombreuses années. Avant la survenance de son premier accident en octobre 2007, l’assurée n’exerçait en qualité d’aide familiale que depuis cinq ans et avait exercé diverses autres activités. L’assurée ne se trouve dès lors pas dans la situation particulière dans laquelle elle aurait travaillé de nombreuses années dans le même domaine d’activités avant son atteinte à la santé et où une activité dans un autre domaine n’entrerait pratiquement plus en ligne de compte, conditions pourtant requises par la jurisprudence pour s’écarter de la valeur médiane (« total secteur privé ») des salaires statistiques et se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (en l’occurrence le secteur 3 [services]), voire d’une branche particulière (en l’occurrence celle des « activités juridiques et comptables »). Pour cette raison déjà, la référence au salaire statistique d’une branche particulière apparaît contraire au droit.

En tout état de cause, il découle des notes explicatives de la nomenclature (NOGA 2008) que les activités juridiques et comptables visées par la ligne 69-71 de la table TA1 de l’ESS 2014 auxquelles s’est référée la cour cantonale requièrent un niveau de formation élevé et apportent aux utilisateurs des connaissances et compétences spécialisées. Or l’assurée ne dispose pas d’un diplôme de comptable, mais seulement d’un certificat d’aide-comptable obtenu après une formation effectuée par le biais d’un atelier chez D.__ du 26.11.2012 au 01.02.2013 puis d’un stage auprès de E.__ du 01.05.2013 au 31.10.2013. Par conséquent, le fait de se référer à cette branche d’activités ne reflète nullement sa réelle capacité de gain mais a bien plutôt pour effet de la pénaliser sur le plan salarial par rapport aux autres assurés dans une situation comparable. C’est dès lors en violation du droit fédéral que la cour cantonale ne s’est pas fondée, pour déterminer le revenu d’invalide de l’assurée, sur la valeur médiane (« total secteur privé ») du salaire statistique issu de la table TA1, niveau de compétences 2.

 

Abattement

Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des circonstances du cas particulier constitue une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement, tandis que l’étendue de l’abattement justifié dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1).

Il convient de relever à titre préliminaire que l’appréciation de l’assurance-invalidité ne lie pas l’assureur-accidents (ATF 131 V 362 consid. 2.3).

Selon la jurisprudence, l’âge d’un assuré ne constitue pas per se un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Le Tribunal fédéral a insisté sur ce point et a affirmé que l’effet de l’âge combiné avec un handicap doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels tels que la formation et l’expérience professionnelles de l’assuré concerné (voir l’arrêt 8C_439/2017 du 6 octobre 2017, dans lequel il a été jugé, à propos d’un assuré ayant atteint 62 ans à la naissance du droit à la rente, qu’il n’y avait pas d’indices suffisants pour retenir qu’un tel âge représentait un facteur pénalisant par rapport aux autres travailleurs valides de la même catégorie d’âge, eu égard aux bonnes qualifications professionnelles de celui-ci). En l’occurrence, l’assurée était âgée de 53 ans au moment de la naissance d’un éventuel droit à la rente. Il appert par ailleurs qu’avant la survenance de son premier accident, l’assurée avait travaillé dans des domaines variés et accompli plusieurs stages, de sorte qu’on peut admettre qu’elle dispose d’une certaine capacité d’adaptation sur le plan professionnel susceptible, le cas échéant, de compenser les désavantages compétitifs liés à son âge.

Quant à un éventuel handicap, il se présente sous la forme de limitations fonctionnelles (prohibition du port régulier de charges supérieures à 5 kg et d’effort répété à hauteur de l’épaule ou au-dessus). Toutefois, les experts mis en œuvre par l’OAI ont jugé que ces restrictions étaient parfaitement compatibles avec l’activité d’aide-comptable dans laquelle l’assurée avait été réadaptée, dès lors qu’elle pouvait exercer cette activité à plein temps, sans diminution de rendement.

Enfin, les années de service auprès de l’ancien employeur de l’assurée ne constituent pas un élément susceptible d’avoir un effet sur le montant du salaire auquel celle-ci pourrait prétendre sur le marché du travail. Au moment de la survenance de son second accident le 02.02.2010, l’assurée travaillait pour la Fondation B.__ depuis sept ans et demi, ce qui n’est pas une durée assez longue, en règle générale, pour bénéficier de conditions particulières liées à l’ancienneté, même pour une employée qualifiée du niveau de compétences 2 se trouvant en situation de réintégration professionnelle (voir l’arrêt 8C_610/2017 du 3 avril 2018, dans lequel aucun abattement n’a été appliqué sur le salaire d’invalide pour un assuré ayant travaillé comme chauffeur de bus au service du même employeur pendant neuf ans au moment de son accident et qui a ensuite bénéficié d’un reclassement professionnel d’aide-comptable).

Compte tenu de ce qui précède, la juridiction cantonale n’a pas violé le droit en ne procédant à aucun abattement sur le salaire statistique.

 

Pour déterminer le revenu sans invalidité (sic [il s’agit du revenu d’invalide]) de l’assurée, il convient dès lors de se fonder sur le revenu médian de 4808 fr. de la table TA1 (ESS 2014, total secteur privé) pour une femme avec un niveau de compétences 2. Adapté à la durée hebdomadaire normale de travail en 2014 (41,7 heures), ce montant doit être porté à 5012 fr. 34 (4808 x 41,7 / 40) par mois, soit à 60’148 fr. par année, ce qui représente le revenu d’invalide déterminant en 2014.

Par conséquent, le revenu d’invalide de 60’148 fr., comparé au revenu sans invalidité de 81’407 fr. 80 retenu par la juridiction cantonale et non contesté par l’assurée, aboutit à un taux d’invalidité de 26,11% ([81’407.80 – 60’148] / 81’407.80), arrondi à 26% (ATF 130 V 121 consid. 3.2), lequel ouvre le droit à une rente d’invalidité du même taux (art. 18 al. 1 LAA) à compter du 1er mai 2014.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée, réformant le jugement cantonal en ce sens que l’assurée a droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 26% à compter du 01.05.2014.

 

 

Arrêt 8C_405/2021 consultable ici

 

 

Remarques et commentaires :

Cet arrêt appelle à quelques commentaires et réflexions. Nous sommes surpris par le raisonnement quant au revenu d’invalide.

L’assurée a bénéficié de mesures AI, lui permettant d’acquérir un certificat d’aide-comptable. La formation délivrée comprenait la journalisation des écritures, l’établissement du bilan, l’établissement du compte d’exploitation de plusieurs entreprises issues de diverses branches, la passation des écritures de bouclement et de clôture, la gestion des salaires et des assurances sociales, la comptabilisation des opérations et factures assujetties à la TVA, y compris son décompte trimestriel, la familiarisation et l’utilisation du logiciels Crésus, ainsi que la tenue d’une comptabilité sur la base de pièces justificatives réelles (jugement cantonal ATAS/380/2021 du 27.04.2021, p. 12). Du stage réalisé, l’assurée avait pu participer aux écritures de bouclement, à la résolution des comptes, aux actifs/passifs transitoires, à la clôture annuelle et à l’ouverture d’une année de compte (dito).

Des constatations cantonales, il ressort que l’assurée a été mise au bénéfice d’un reclassement par l’OAI par le biais d’une formation d’aide-comptable du 26.11.2012 au 01.02.2013, avec obtention d’un certificat d’aide-comptable, d’une formation pratique d’aide-comptable/assistante administrative du 01.05.2013 au 31.10.2013, d’une adaptation du poste sur le lieu de stage, d’une prolongation de la formation pratique du 01.11.2013 au 30.04.2014 ainsi que d’une formation sur WinBiz. Lors du bilan le 06.05.2014, l’entreprise avait considéré que l’assurée était pleinement employable dans l’activité d’aide-comptable. (jugement cantonal ATAS/380/2021 du 27.04.2021, p. 13).

Ainsi, après 17 mois de mesures AI, l’intéressée est capable, sous la supervision d’un comptable, de tenir la comptabilité courante d’une entreprise de l’ouverture des comptes jusqu’à la préparation des documents de clôture.

Par ailleurs, comme le relève lui-même le Tribunal fédéral, les experts mis en œuvre par l’OAI ont jugé que ces restrictions étaient parfaitement compatibles avec l’activité d’aide-comptable dans laquelle l’assurée avait été réadaptée, dès lors qu’elle pouvait exercer cette activité à plein temps, sans diminution de rendement.

Dans l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_610/2017 du 03.04.2018, l’assuré avait, lui aussi, été mis au bénéfice d’une formation d’aide-comptable, réalisée également à Genève. L’intéressé a obtenu un diplôme d’aide-comptable au mois de février 2015 puis il a bénéficié d’un stage pratique d’aide-comptable auprès du service de comptabilité des B.__ du 02.03.2015 au 31.08.2015. Pour déterminer le revenu d’invalide, l’assurance-accidents puis la cour cantonale se sont référés à la ligne 69-71 du tableau TA1, niveau de compétences 2, hommes, de l’ESS 2014 (arrêt 8C_610/2017 consid. 4.1). Le Tribunal fédéral a rejeté l’argument de l’assuré recourant pour l’utilisation de la branche « activités de service administratif sans activités liées à l’emploi » avec niveau de compétences 1 (ligne 77, 79-82 du tableau TA1 ESS) au lieu de la branche « activités juridiques, comptables de gestion » avec niveau de compétences 2 (ligne 69-71 du tableau TA1 ESS). Le TF a confirmé l’utilisation de la ligne 69-71 et conclu qu’on on ne voit pas pourquoi l’intéressé, au bénéfice d’un diplôme d’aide-comptable et après un stage pratique accompli auprès du service de comptabilité des B.________ du 02.03.2015 au 31.08.2015, serait cantonné à des tâches physiques ou manuelles simples relevant du niveau de compétence 1 (arrêt 8C_610/2017 consid. 4.3).

Dans l’arrêt 8C_405/2021 qui nous occupe aujourd’hui, la situation est similaire à celle ayant fait l’objet de l’arrêt 8C_610/2017. Au bénéfice d’une formation et d’un certificat d’aide-comptable, il semble correct de se référer à la ligne 69-71 englobant les activités comptables (branche économique 692000 selon NOGA08). Les juges cantonaux ont par ailleurs motivé les motifs les ayant conduits à prendre la ligne 69-71 et non la ligne 77,79-82 « Activités de services admin. (sans 78) » (jugement cantonal ATAS/380/2021 du 27.04.2021, consid. 14c).

La référence au parcours professionnel hétéroclite de l’assurée n’a pas sa place dans le cadre de la détermination après une formation réussie mise en œuvre par l’AI. Ce raisonnement peut se tenir pour le revenu sans invalidité (si ce dernier doit être déterminé sur la base de l’ESS). Le consid. 6.5 du présent arrêt (mention de « revenu sans invalidité » au lieu de « revenu d’invalide ») trahit peut-être la confusion entre les deux raisonnements.

Quant au niveau de compétences 2, il se justifie dans le revenu ESS comme aide-comptable (2 = tâches pratiques telles que le traitement de données et les tâches administratives).

En revanche, ce niveau de compétences ne se justifie pas si le revenu ESS est calculé sur la base de la ligne « Total », puisqu’il est fait abstraction des mesures AI octroyées dans la comptabilité. A la lecture de l’arrêt, il n’apparaît pas de son parcours professionnel antérieur que l’assurée pourrait mettre en valeur des connaissances particulières. Il aurait été alors plus logique de retenir, avec la ligne « Total », le niveau de compétences 1.

En résumé, les conclusions de la cour cantonale relatives au revenu d’invalide (tant l’utilisation du tableau TA1_skill_level de l’ESS 2014 que celle de la ligne 69-71) ne semblent pas critiquables.

 

Proposition de citation : 8C_405/2021 (f) du 09.11.2021 – Revenu d’invalide après réadaptation comme aide-comptable, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/01/8C_405-2021)

 

 

Lettre circulaire AI no 412 – Questions de procédure dans le cadre d’expertises médicales

Lettre circulaire AI no 412 – Questions de procédure dans le cadre d’expertises médicales

 

LCAI 412 du 20.01.2022 consultable ici
(version italienne / allemande)

 

  1. Examens neuropsychologiques et ECF

Dans le cadre d’une expertise médicale, des examens neuropsychologiques ou une évaluation des capacités fonctionnelles (ECF) peuvent être exigés directement par l’office AI ou inclus par l’expert ou le centre d’expertises mandaté. Dans les deux cas, le nom de l’expert en neuropsychologie ou de l’expert médical doit être communiqué à l’assuré, afin que ce dernier puisse faire valoir ses droits de participation (art. 44 al. 2 LPGA).

Les entretiens entre l’expert et l’assuré doivent faire l’objet d’enregistrements sonores, lesquels doivent être conservés dans le dossier de l’assureur (art. 44 al. 6 LPGA). L’entretien comprend l’anamnèse et la description par l’assuré de l’atteinte à sa santé (art. 7k al. 1 OPGA). Dans le cadre des examens neuropsychologiques et des ECF, il faut partir du principe qu’une anamnèse et une description par l’assuré de l’atteinte à sa santé ont lieu. Par conséquent, ces examens sont également soumis à l’obligation d’enregistrement sonore.

La partie consacrée aux tests psychologiques dans les examens psychiatriques, neurologiques et neuropsychologiques ou aux tests réalisés dans le cadre des ECF ne peut toutefois pas être enregistrée.

 

  1. Interruption de l’expertise lorsque la déclaration de renonciation fait défaut

Si l’assuré demande au moment de l’entretien à ce que celui-ci ne soit pas enregistré ou demande l’interruption de l’enregistrement en cours d’entretien, alors qu’aucune déclaration de renonciation n’a été déposée auprès de l’office AI, et si l’assuré ne souhaite pas faire valoir son droit à la destruction de l’enregistrement après l’entretien, l’expert interrompt l’entretien avec l’assuré et en informe l’office AI. L’office AI demande à l’assuré de lui remettre une déclaration de renonciation formellement correcte. Une fois que cela est fait, il faut convenir d’un nouveau rendez-vous avec le même expert.

 

  1. Enregistrement sonore réalisé par l’assuré sur support privé

Sur la base des dispositions légales relatives à l’enregistrement sonore de l’entretien entre l’assuré et l’expert et en particulier sur la base de l’art. 7k al. 5 OPGA, qui prévoit que l’enregistrement sonore doit être réalisé par l’expert conformément à des prescriptions techniques simples, il n’existe aucun intérêt digne de protection ni aucun droit de l’assuré à réaliser un enregistrement sonore sur un support privé.

 

 

Lettre circulaire AI no 412 du 20.01.2022 consultable ici

IV-Rundschreiben Nr. 412 : Verfahrensfragen im Rahmen von medizinischen Gutachten

Lettera circolare AI n. 412 : Questioni procedurali nel contesto di perizie mediche

 

8C_532/2021 (f) du 09.12.2021 – Réduction des prestations – Rixe – 39 LAA – 49 OLAA / Pas de participation à une rixe ou à une bagarre en l’espèce

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_532/2021 (f) du 09.12.2021

 

Consultable ici

 

Réduction des prestations – Rixe / 39 LAA – 49 OLAA

Pas de participation à une rixe ou à une bagarre en l’espèce

Assuré tournant le dos à son agresseur – Absence de causalité entre l’attitude de l’assuré et les coups reçus

 

Le 26.04.2019, l’employeur a fait parvenir à l’assurance-accidents une déclaration indiquant que le 21.04.2019, l’assuré avait été victime d’une agression dans laquelle avaient été impliqués lui-même, son ex-épouse et le nouveau conjoint de celle-ci. Selon le rapport de consultation aux urgences du 21.04.2019, l’assuré a subi de multiples contusions à l’épaule, à l’omoplate et au poignet gauches ainsi qu’au coccyx. Il a été en incapacité de travail totale depuis lors.

Il ressort des pièces de la procédure pénale ouverte à la suite de la plainte de l’assuré que le jour en question, après l’exercice de son droit de visite et accompagné de sa compagne D.__, il était venu ramener les enfants à son ex-épouse. Il avait garé sa voiture au bas de l’immeuble, sur son ancienne place de parc, désormais utilisée par son ex-épouse. Après avoir mis les enfants dans l’ascenseur, il était ressorti de l’immeuble et avait alors fumé une cigarette en compagnie de E.__, concierge de l’immeuble.

Selon la version des faits de A.__, il avait entendu la fenêtre de l’appartement de son ex-épouse s’ouvrir et F.__, le compagnon de celle-ci, crier qu’il était garé sur leur place de parc. Il lui avait rétorqué qu’il fumait sa cigarette et allait s’en aller. Constatant que F.__ était énervé et l’insultait, il avait alors déplacé sa voiture pour éviter d’envenimer la situation. F.__ avait alors surgi du bâtiment, l’avait traité notamment de « connard » et de « fils de pute » et l’avait bousculé. E.__ avait voulu s’interposer, mais l’assuré l’avait retenu en se mettant entre lui et F.__. D.__ s’en était aussi mêlée en enjoignant à F.__ de cesser ses insultes. Alors que l’assuré se trouvait face à E.__ pour le calmer et dos à F.__, ce dernier lui avait asséné un coup de pied à l’arrière de la cuisse gauche. Ensuite, alors que son amie était à nouveau intervenue verbalement et qu’il s’était interposé entre elle et F.__, ce dernier lui avait porté deux nouveaux coups de pied dans le genou gauche, puis trois à quatre violents coups sur le haut du dos.

E.__ et D.__ ont confirmé pour l’essentiel la version de l’assuré, à savoir que celui-ci s’était interposé entre eux-mêmes et F.__ et que ce faisant, il avait reçu des coups de pied et de « matraque » de son antagoniste.

Par ordonnance pénale du 02.08.2019, F.__ a été reconnu coupable de lésions corporelles simples, voies de fait et injures sur la base de l’état de fait suivant: « Le 21.04.2019, pour de futiles motifs, une dispute verbale a éclaté entre E.__ et F.__. Ce dernier a frappé [l’assuré], qui tentait de les séparer, à l’aide d’un objet contondant et à coups de pied (…) « .

La procédure pénale ouverte contre l’assuré, sur plainte de F.__, pour injures et menaces a été classée le 18.03.2020.

Par décision du 13.05.2020, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a réduit de 50% l’indemnité journalière due à l’assuré en raison de son incapacité de travail, au motif qu’il avait été blessé dans un accident non professionnel survenu lors d’une bagarre. Elle a retenu que l’assuré devait se rendre compte au vu de l’attitude de F.__ que la situation allait dégénérer et qu’il s’était par son comportement inscrit dans une logique de bagarre, placé dans une zone de danger et exposé au risque d’être blessé.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a constaté qu’il résultait des déclarations concordantes qu’initialement, la confrontation avait éclaté entre E.__ et F.__, puis, la compagne de l’assuré s’en étant mêlée, entre celle-ci et F.__. Les deux fois, l’assuré avait admis s’être interposé entre les protagonistes, tournant le dos à F.__ pour calmer E.__ d’abord, puis pour tempérer sa compagne ensuite. On ne pouvait dès lors pas suivre la thèse de l’assuré selon laquelle il serait intervenu pour « faire barrage de son corps » afin de protéger les siens. Tant E.__ que D.__ avaient démontré par leur réaction, à tout le moins verbale, à l’égard de F.__ qu’ils n’étaient pas des personnes sans défense. En s’interposant physiquement entre F.__ et E.__ d’abord, puis en intervenant dans l’échange d’invectives entre F.__ et sa compagne, l’assuré s’était délibérément placé dans la zone de danger exclue par l’assurance-accidents. En outre, l’assuré avait constaté dès le début de la scène, alors que F.__ était encore à sa fenêtre, que ce dernier se montrait belliqueux et prêt à en découdre. C’était la raison pour laquelle il avait choisi dans un premier temps de déplacer sa voiture et de quitter rapidement les lieux, pour selon ses propres termes « éviter d’envenimer la situation ». Il devait dès lors se rendre compte qu’il risquait une réaction violente de la part de F.__. En s’attardant pour terminer sa cigarette, puis s’immiscer dans la confrontation entre F.__ et E.__, l’assuré avait délibérément pris le risque que les choses dégénèrent à son désavantage jusqu’à être agressé physiquement. Il existait dès lors indéniablement un lien de causalité entre son comportement et les lésions qu’il avait subies, de sorte que l’intimée était fondée à réduire ses prestations en application de l’art. 49 al. 2 OLAA.

Par jugement du 18.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3

Aux termes de l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces; la réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l’art. 21, al. 1 à 3, LPGA. Fondé sur cette délégation de compétences, l’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu dans les circonstances suivantes: participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a); dangers auxquels l’assuré s’expose en provoquant gravement autrui (let. b); participation à des désordres (let. c).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral et de l’ancien Tribunal fédéral des assurances, la notion de rixe dans l’assurance-accidents est plus large que celle de l’art. 133 CP, même si elle en revêt les principales caractéristiques objectives (cf. ATF 104 II 281 consid. 3a; arrêt 5C.72/1994 du 13 mars 1995 consid. 3d; AUFDENBLATTEN, Die Beteiligung am Raufhandel, thèse Berne 1955, p. 52 ss). Par rixe ou bagarre, il faut entendre une querelle violente accompagnée de coups ou une mêlée de gens qui se battent (ATF 107 V 234 consid. 2a). Il y a participation à une rixe ou à une bagarre, au sens de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA, non seulement quand l’intéressé prend part à de véritables actes de violence, mais déjà s’il s’est engagé dans l’altercation qui les a éventuellement précédés et qui, considérée dans son ensemble, recèle le risque qu’on pourrait en venir à des actes de violence (ATF 107 V 234 consid. 2a; 99 V 9 consid. 1). Il s’agit d’éviter de pénaliser la communauté des assurés par la prise en charge collective de frais inhérents à la couverture d’un risque jugé indésirable (ATF 99 V 9 consid. 1). Il importe peu que l’assuré ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute, mais il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger (ATF 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_193/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3.1, publié in SVR 2020 UV n°12 p. 43; arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013 consid. 2 et les arrêts cités).

Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il faut que le comportement à sanctionner soit propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer une atteinte à la santé du genre de celle qui s’est produite (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2; arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013 consid. 2 et les arrêts cités; arrêts du Tribunal fédéral des assurances U 325/05 du 5 janvier 2006, consid. 1.2 non publié à l’ATF 132 V 27 mais in SVR 2006 UV n° 13 p. 45, et U 106/92 du 15 décembre 1994 consid. 6a; voir aussi arrêts 8C_702/2017 du 17 septembre 2018 consid. 3.2, publié in SVR 2019 UV n° 16 p. 58; 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3 et les arrêts cités).

 

Consid. 4.3

Au regard des faits tels qu’ils résultent du dossier et tels que la cour cantonale les a elle-même constatés, l’attitude de l’assuré ne peut pas être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre, même au sens large défini par la jurisprudence en matière d’assurance-accidents. En effet, seule une agression verbale de la part de F.__ à l’encontre de E.__ avait précédé les premiers coups portés par F.__ alors que l’assuré lui tournait le dos pour calmer E.__. On ne saurait dès lors retenir que l’assuré se serait engagé dans une altercation dont il aurait dû prévoir qu’on pourrait en venir à des actes de violence. Au surplus, le comportement de l’assuré, qui s’est fait agresser alors qu’il tentait de tempérer E.__ puis sa compagne et qu’il tournait le dos à son agresseur, n’apparaissait pas propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer une atteinte à la santé du genre de celle qu’il a subie. Une réduction des prestations selon l’art. 49 al. 2 OLAA ne se justifiait donc pas en l’espèce.

 

Le TF admet le recours de l’assuré et annule le jugement cantonal et la décision de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_532/2021 consultable ici