Archives par mot-clé : Revenu d’invalide

8C_13/2017 (d) du 21.06.2017 – Revenu d’invalide – 16 LPGA / Obligation de réduire le dommage – Exigibilité – Retraite anticipée en cas de maintien d’emploi vs Changement d’emploi exigible

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_13/2017 (d) du 21.06.2017

 

NB : Traduction personnelle ; seul le texte de l’arrêt fait foi.

Consultable ici

 

Revenu d’invalide / 16 LPGA

Obligation de réduire le dommage – Exigibilité – Retraite anticipée en cas de maintien d’emploi vs Changement d’emploi exigible

 

Assuré, né en 1958, maçon, a été victime d’une blessure à l’œil le 20.12.2012 causée par une blessure par balle lors de la chasse aux lapins au Portugal (blessure par balle pénétrante à droite). Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents octroie, en plus d’une IPAI de de 28%, une rente d’invalidité de 31% à compter du 01.05.2015.

 

Procédure cantonale

Selon l’exigibilité posée par l’ophtalmologue-conseil, l’assuré serait en mesure de travailler à 100% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. Néanmoins, malgré sa blessure à l’œil, il est resté employé comme maçon par son employeur précédent. Le tribunal cantonal n’a pas considéré comme exigible un changement d’emploi, adapté au handicap. La cour cantonale a ainsi retenu le salaire encore perçu dans son activité de maçon auprès de son employeur actuel comme revenu d’invalidité.

La cour cantonale inférieure a pris en considération la durée de l’emploi existant depuis 2007 et la volonté de l’employeur de continuer à employer l’assuré jusqu’à la retraite anticipée à l’âge de 60 ans. En raison de l’atteinte à la santé et de la réduction des performances qui en a résulté, la rémunération a été réduite en conséquence à 60% du salaire qui aurait été versé sans dite atteinte. Le tribunal cantonal a conclu qu’il fallait partir du principe qu’il s’agissait d’une relation de travail particulièrement stable et qu’aucun salaire social n’était versé. Dans un autre emploi, il ne s’attendait pas à une augmentation significative du revenu du travail pour la période d’activité restante de plus de trois ans jusqu’à la retraite anticipée. En ce qui concerne la possibilité de prendre une retraite anticipée et le soutien prévu à cet effet sous la forme d’une rente de transition, la cour cantonale a estimé qu’il n’était pas raisonnable d’abandonner l’activité antérieure au profit d’une activité adaptée, compte tenu des difficultés pour trouver un nouvel emploi en raison de l’invalidité existante.

Par jugement du 15.11.2016, admission du recours par le tribunal cantonal, portant le taux d’invalidité à 40%.

 

TF

Avant de requérir des prestations, entreprendre de son propre chef tout ce qu’on peut raisonnablement attendre d’elle pour atténuer le mieux possible les conséquences de son invalidité. C’est pourquoi un assuré n’a pas droit à une rente lorsqu’il serait en mesure, au besoin en changeant de profession, d’obtenir un revenu excluant une invalidité ouvrant droit à une rente. Le point de savoir si une mesure peut être exigée d’un assuré doit être examiné au regard de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret. Cela vaut également lorsqu’il s’agit de passer d’une activité rémunérée exercée depuis des années à un emploi sur le marché général du travail qui peut être plus approprié compte tenu des limitations fonctionnelles, ou même de renoncer à une activité exercée en tant qu’indépendant avec sa propre entreprise. Par circonstances subjectives, il faut entendre en premier lieu l’importance de la capacité résiduelle de travail ainsi que les facteurs personnels tels que l’âge, la situation professionnelle concrète ou encore l’attachement au lieu de domicile. Parmi les circonstances objectives doivent notamment être pris en compte l’existence d’un marché du travail équilibré et la durée prévisible des rapports de travail (SVR 2010 IV Nr. 11 S. 35, 9C_236/2009 consid. 4.1 et 4.3; 2007 IV Nr. 1 S. 1, arrêts I 750/04 du 5 avril 2006 consid. 5.3 ; 9C_834/2011 du 2 avril 2012 consid 2 et 8C_482/2010 du 27 septembre 2010 consid. 4.2).

Sur la base des salaires statistiques (ESS) et avec un abattement de 10% pour les troubles oculaires, l’assuré pourrait obtenir un revenu d’invalide de CHF 60’090 s’il exerçait une activité adaptée à son handicap. Comparé au revenu sans invalidité de CHF 86’550, le taux d’invalidité est de 31%. Si l’on prend le revenu d’invalide celui effectivement perçu dans l’activité de maçon, le degré d’invalidité est de 40%.

 

Le marché du travail équilibré offre un éventail d’emplois diversifiés, ce qui permet de trouver un emploi approprié même avec le handicap de l’assuré. Le fait que ce dernier ait – selon ses propres dires – toujours travaillé pendant 31 ans comme maçon et n’ait aucune formation professionnelle ne l’empêche pas de s’orienter vers une nouvelle profession et de procéder aux nécessaires recherches d’emploi. Les difficultés qui peuvent se présenter et qui peuvent entraîner certains inconvénients sont des circonstances qui ne rendent pas un tel changement inexigible. Ils doivent être acceptés dans le cadre de l’obligation de diminuer le dommage qui incombe à l’assuré ayant droit à des prestations d’assurance.

Le refus de l’assuré de changer de profession est compréhensible compte tenu de la possibilité d’une retraite anticipée à l’âge de 60 ans. Toutefois, l’assuré ne peut pas s’attendre à ce que l’assurance-accidents prenne en charge la baisse de salaire par le fait qu’il s’abstienne d’exercer une activité exigible. Cela conduirait à une situation inéquitable par rapport aux assurés qui n’ont pas la possibilité de prendre une retraite anticipée.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_13/2017 consultable ici

 

 

8C_475/2017 (d) du 05.12.2017 – Revenu d’invalide effectivement réalisé après mesures AI inférieur au revenu d’invalide exigible possible sur le marché du travail (salaire usuel de la branche) – 16 LPGA / Marché équilibré du travail – Obligation de réduire le dommage

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_475/2017 (d) du 05.12.2017

 

NB : Traduction personnelle ; seul le texte de l’arrêt fait foi.

Consultable ici

 

Revenu d’invalide effectivement réalisé après mesures AI inférieur au revenu d’invalide exigible possible sur le marché du travail (salaire usuel de la branche) / 16 LPGA

Marché équilibré du travail – Obligation de réduire le dommage

 

Assurée, née en 1964, employée de l’hôpital B.__ à partir du 01.04.2001, a annoncé le 04.11.2008 un problème avec un désinfectant, entraînant incapacité totale de travail dès le 29.09.2008. Le 23.11.2009, une décision d’inaptitude a été établie, déclarant l’assurée inapte à effectuer des travaux impliquant une exposition au désinfectant Terralin Protect avec effet rétroactif au 01.11.2009. L’AI a pris en charge un cours de base « Codage médical » et un cours pour débutants, que l’assurée a suivi avec succès. L’office AI a nié le droit à une rente d’invalidité. Le 15.09.2014, l’assurée est entrée en fonction chez C.__. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit à une indemnité pour changement d’occupation dès le 01.03.2014 ainsi qu’à une rente d’invalidité, mais a accordé une IPAI de CHF 9’450.

 

Procédure cantonale

Selon la cour cantonale, il faut tenir compte du revenu perçu dans l’accomplissement du travail actuel, car on peut supposer qu’il s’agit d’une relation de travail stable (emploi d’un an et demi) et que l’assurée met pleinement à profit sa capacité de travail restant ; il n’y a en outre pas d’indication à un salaire sociale. Pour la juridiction cantonale, le fait que le salaire effectif est inférieur au revenu exigible selon l’ESS et que l’assurée obtenir un revenu plus élevé auprès de son ancien employeur ou un autre emploi ne change rien. Étant donné qu’il n’est pas certain que l’assurée puisse actuellement augmenter son pensum à 100%, l’affaire doit être renvoyée à l’assurance-accidents afin qu’elle clarifie ce point et, s’il est possible d’augmenter le pensum, qu’elle prenne en compte le salaire actuel à 100% ; dans la négative, l’assurance-accidents doit déterminer le revenu pour une activité exercée à 30% conformément au tableau T17 de l’ESS et détermine ensuite le droit à la rente.

Par jugement du 17.05.2017, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition de l’assurance-accidents et renvoyant la cause pour instruction et pour déterminer le droit à la rente au sens des considérants.

 

TF

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée à condition, entre autres, que l’activité mette pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible. Ce n’est pas le cas si l’assuré pourrait gagner, sur le marché du travail équilibré, un revenu plus élevé que celui effectivement perçu. Sur ce marché du travail hypothétique, un changement d’emploi est également exigible s’il est très difficile, voire impossible, pour l’assuré de trouver un emploi correspondant, en raison des conditions économiques du marché du travail réel. La prise en compte de ce revenu hypothétique plus élevé se fonde moins sur l’obligation de réduire le dommage que sur le fait que l’assurance-accidents ne doit compenser que la perte de salaire causée par l’atteinte à la santé en lien avec l’accident (SVR 2012 UV Nr. 3 p. 9 consid. 2.3, 8C_237/2011 ; cf. aussi Ueli Kieser, ATSG-Kommentar, 3. Aufl. 2015, N. 52 zu Art. 16 ATSG).

La référence par la cour cantonale à l’arrêt 9C_721/2010 du 15 novembre 2010 (publié dans le SVR 2011 IV Nr. 37 p. 109) ne change pas cette situation juridique ; en effet, le consid. 4.1.2 précise que les revenus réels ne peuvent servir de base comme revenu d’invalide que s’ils sont habituels dans l’industrie. Il convient plutôt de rappeler le consid. 3.3 de l’arrêt 8C_13/2017 du 21 juin 2017, selon lequel l’assuré doit tenir compte, comme revenu d’invalide, le salaire qu’il pourrait gagner sur le marché général du travail dans un poste exigible lors de l’évaluation de l’invalidité ; même s’il s’abstient de changer de profession ou d’emploi en raison de perspectives favorables au poste qu’il a eu jusqu’à présent, il ne peut pas s’attendre à ce que l’assurance-accidents indemnise la perte de salaire en raison de la renonciation à un revenu raisonnablement exigible.

Dans son poste actuel exercé à plein temps, l’assuré obtiendrait un salaire de CHF 72’000. Des investigations de l’assurance-accidents auprès de l’ancien employeur (hôpital B.__), il ressort que l’assuré pourrait percevoir un salaire annuel de CHF 95’900 pour le travail qu’elle effectue, sur la base du salaire de départ d’un codeur médical de la tranche salariale 15 avec une fourchette de salaire de CHF 75’893 à CHF 109’276, compte tenu de son expérience professionnelle, ce qui correspond à près de 88% du maximum de la fourchette de salaire. D’autres précisions apportées par l’assurance-accidents ont confirmé ce montant. Par exemple, dans les hôpitaux bernois, la réglementation salariale prévoit une fourchette de salaire de CHF 68’935 à CHF 110’296 pour les femmes débutant comme codeuses médicales et le contrat collectif de travail de l’hôpital de Zoug prévoit une fourchette de salaire de CHF 74’061 à CHF 113’620 pour les femmes. Ainsi, compte tenu des nombreuses années d’expérience professionnelle des assurés dans le système de santé, on peut supposer que ces deux grands employeurs potentiels (comme l’hôpital B.__ et par conséquent les autres hôpitaux cantonaux du canton de Zurich) fixeront également des salaires du même ordre de grandeur. L’hôpital B.__ a indiqué le salaire réalisable précisément en connaissance des limitations fonctionnelles spécifiques.

A l’aune de ce qui précède, il existe un tel écart entre le salaire du poste actuel et le revenu que l’assuré pourrait obtenir sur le marché du travail équilibré compte tenu de sa formation et de sa longue expérience que l’on ne peut pas dire que ce dernier ait un salaire habituel dans le secteur. L’assurée ne fait pas un usage exigible de sa capacité de travail restante, de sorte que le salaire de son employeur actuel ne peut servir pas de base à la détermination du revenu d’invalide. La décision en première instance n’est pas conforme au droit fédéral à cet égard.

En l’espèce, la seule raison pour laquelle le revenu effectivement gagné n’est pas pris en compte est que l’assuré n’utilise pas pleinement sa capacité de travail restante, en ce sens qu’elle exerce l’activité raisonnablement exigible, mais dans un emploi où elle ne gagne pas un salaire usuel dans la branche, se contentant d’un revenu très inférieur. Dans ces circonstances, l’utilisation du salaire normal de la branche de CHF 95’900 tel que calculé par l’assurance-accident n’est pas contestable. En particulier, cela répond également au principe selon lequel le revenu d’invalide doit être déterminée de la manière la plus concrète possible.

Si l’on compare le revenu sans invalidité de CHF 103’887 avec le revenu d’invalide raisonnablement exigible de CHF 95’900, on obtient un degré d’invalidité de 7,7%. Sur la base des éléments obtenus dans les cantons de Berne ou de Zoug, le taux d’invalidité serait encore plus faible. L’assuré n’a pas droit à une rente d’invalidité, le seuil de 10% n’étant pas atteint.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents et annule le jugement cantonal.

 

 

Arrêt 8C_475/2017 consultable ici

 

 

9C_459/2019 (f) du 05.11.2019 – Valeur probante d’une expertise – Evaluation d’une expertise pluridisciplinaire / Revenu d’invalide – ESS – Taux d’abattement modifié par le TF (passant de 5% à 15%) / Assuré de 52 ans – Atteinte au membre supérieur droit et aux cervicales – Capacité de travail exigible de 50%

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_459/2019 (f) du 05.11.2019

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’une expertise – Evaluation d’une expertise pluridisciplinaire

Revenu d’invalide – ESS – Taux d’abattement modifié par le TF (passant de 5% à 15%)

Assuré de 52 ans – Atteinte au membre supérieur droit et aux cervicales – Capacité de travail exigible de 50%

 

Assuré, né en 1962, a travaillé en dernier lieu comme chauffeur-livreur. Après s’être blessé notamment à l’épaule droite le 07.07.2013, il a subi une première intervention chirurgicale le 28.08.2013 (épaule droite), puis une seconde intervention le 22.05.2014 (laminectomie cervicale pour canal cervical très étroit avec myélopathie clinique et radiologique). Le cas a été pris en charge par son assureur-accidents. L’assuré a déposé une demande AI le 18.12.2013.

L’office AI a procédé aux investigations usuelles et a soumis l’assuré à une expertise pluridisciplinaire. Les médecins ont diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – des omalgies droites chroniques (avec rupture complète de la coiffe des rotateurs, notamment du tendon du muscle sus- et sous-épineux, avec suture du tendon du muscle sous-scapulaire, acromioplastie et bursectomie sous-acromiale en août 2013), des cervicalgies chroniques myélopathie cervicale avec syndrome tétrapyramidal et hémisyndrome sensitif gauche (avec status post laminectomie C3-C4 pour canal cervical étroit C3-C4 dans le cadre d’une malformation avec fusion C2-C3 et C5-C6 en mai 2014) et des douleurs chroniques du coude gauche, avec chondromatose radiologique. Selon les médecins, l’assuré était en mesure de travailler à mi-temps (50%) dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites depuis la fin de l’année 2014, soit six mois après l’intervention du 22.05.2014.

Du 20.03.2017 au 04.06.2017, l’assuré a participé à un stage d’orientation professionnelle.

Par décisions des 11.09.2017 et 27.09.2017, l’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.07.2014 au 28.02.2015, puis un quart de rente dès le 01.03.2015.

 

Procédure cantonale

En se fondant sur les conclusions de l’expertise mandatée par l’office AI, la juridiction cantonale a retenu que l’assuré pouvait exercer à 50% une activité professionnelle adaptée aux limitations fonctionnelles décrites par les experts dès la fin de l’année 2014. L’assuré avait d’ailleurs été en mesure de suivre à mi-temps un stage d’orientation professionnelle durant deux mois et demi (du 20.03.2017 au 04.06.2017). Les premiers cantonaux ont ajouté que l’assuré avait indiqué au terme du stage que la reprise d’une activité régulière l’avait aidé à mieux vivre ses problèmes de santé.

Par jugement du 03.06.2019, rejet des recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Valeur probante d’une expertise – Evaluation pluridisciplinaire

En l’espèce, les juges cantonaux ont constaté sans arbitraire que, dans leurs avis fournis par l’assuré lors du recours, les médecins posaient les mêmes diagnostics que ceux retenus par les experts et que seules leurs conclusions concernant la répercussion des atteintes à la santé de l’assuré sur sa capacité de travail étaient différentes.

Au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d’expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 p. 175), on ne saurait cependant mettre en cause les conclusions d’une expertise médicale du seul fait qu’un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contraire. Il n’en va différemment que si les médecins traitants font état d’éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l’expertise et qui sont suffisamment pertinents pour mettre en cause les conclusions de l’expertise. Or l’incapacité de travail mise en avant par les médecins traitants s’explique essentiellement par le fait qu’ils se fondent sur la manière dont l’assuré ressent et assume ses facultés de travail, notamment en ce qui concerne le port de charges (cinq kilos), alors que les experts ont établi ce qui était raisonnablement exigible le plus objectivement possible (dix kilos) dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites. Dans ces conditions, l’assuré n’expose pas que l’appréciation anticipée des preuves qui a conduit la juridiction cantonale à renoncer à mettre en œuvre une expertise judiciaire violerait l’interdiction de l’arbitraire, respectivement son droit d’être entendu, ni que ses offres de preuves seraient pertinentes ou de nature à influer sur la décision à rendre au sens de la jurisprudence. Il n’y a pas lieu de s’écarter des conclusions médicales suivies par les premiers juges.

En cas d’évaluation pluridisciplinaire, on ajoutera encore qu’il y a lieu de se fonder, en principe, sur l’appréciation globale de synthèse fondée sur un consilium entre les experts, au cours duquel les résultats obtenus dans chacune des disciplines sont discutés, et non sur celles, forcément sectorielles, des différentes consultations spécialisées. Contrairement à ce que prétend l’assuré, le fait que le spécialiste en neurologie a indiqué que l’assuré pouvait travailler à 100% dans une activité adaptée d’un point de vue neurologique n’est en rien contradictoire avec les conclusions finales de l’expertise. Singulièrement, les experts ont exposé de manière convaincante les raisons pour lesquelles l’assuré présentait une capacité de travail médico-théorique de 50% dans une activité adaptée d’un point de vue rhumatologique.

 

Abattement sur le salaire statistique

L’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci, notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72).

Les juges cantonaux ont constaté que l’assuré disposait d’un permis d’établissement et qu’il était âgé de 53 ans au moment où les médecins-experts se sont prononcés sur sa capacité de travail dans une activité médicalement adaptée. En se fondant sur le large éventail d’activités simples et répétitives n’impliquant pas de formation autre qu’une mise au courant initiale et offert par les secteurs de la production et des services, ils ont considéré qu’il n’était par ailleurs pas illusoire ou irréaliste d’admettre qu’il existait un nombre significatif de métiers qui pouvaient être exercés par l’assuré en dépit de ses limitations fonctionnelles. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont retenu que le taux d’abattement de 5% déterminé par l’office AI échappait à toute critique et devait être confirmé.

En l’espèce, les juges cantonaux ont omis de tenir compte de l’interdépendance des facteurs personnels et professionnels entrant en ligne de compte qui contribuent à désavantager l’assuré sur le marché du travail après une absence prolongée. Il est en effet notoire que les personnes atteintes dans leur santé, qui présentent des limitations même pour accomplir des activités légères, sont désavantagées sur le plan de la rémunération par rapport aux travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels ; ces personnes doivent généralement compter sur des salaires inférieurs à la moyenne (ATF 124 V 321 consid. 3b/bb p. 323). Aussi, en présence d’un assuré de plus de 50 ans, la jurisprudence insiste sur l’effet de l’âge combiné avec un handicap, qui doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret (arrêt 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.6 et la référence).

Or l’assuré, âgé de plus de 52 ans au moment déterminant de la comparaison des revenus, présente des limitations fonctionnelles objectives dans les activités professionnelles adaptées décrites par la juridiction cantonale (pouvoir alterner les positions aux heures au moins, éviter les travaux de force avec le membre supérieur droit, éviter les mouvements répétitifs de plus de 50% du temps de travail, éviter les mouvements d’élévation antérieure et d’abduction au-dessus de 70 degrés avec le membre supérieur droit) et qui ne sont nullement compensées par d’autres éléments personnels ou professionnels tels que la formation ou l’expérience professionnelle. En retenant un taux d’abattement de 5%, l’office AI, puis la juridiction cantonale, ont par conséquent sous-estimé les circonstances pouvant influer sur le revenu d’une activité lucrative dans une mesure qui excède le pouvoir d’appréciation qu’il convient de leur reconnaître. Une déduction globale de 15% tient en l’occurrence mieux compte des circonstances pertinentes du cas d’espèce.

Sur le vu de ce qui précède, il convient de corriger la comparaison des revenus à laquelle a procédé la juridiction cantonale. Aussi, compte tenu d’une déduction de 15%, le revenu d’invalide de l’assuré se monte annuellement à 28’242 fr. 60. Comparé avec un revenu sans invalidité de 62’140 fr., le degré d’invalidité de l’assuré s’élève à 55% (54.55%). Selon l’art. 28 al. 2 LAI, un tel taux d’invalidité donne droit à une demi-rente d’invalidité.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_459/2019 consultable ici

 

 

9C_502/2019 (f) du 06.11.2019 – Révision d’une rente entière d’invalidité – 17 LPGA / Modification sensible de l’état de santé – Etat de santé stable mais conséquences sur la capacité de gain notablement changées (accoutumance ou adaptation au handicap) / Renversement de la présomption selon laquelle on ne peut pas exiger d’un assuré qu’il se réintègre seul sur le marché du travail après avoir perçu une rente d’invalidité pendant quinze ans ou plus

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_502/2019 (f) du 06.11.2019

 

Consultable ici

 

Révision d’une rente entière d’invalidité / 17 LPGA

Modification sensible de l’état de santé – Etat de santé stable mais conséquences sur la capacité de gain notablement changées (accoutumance ou adaptation au handicap)

Renversement de la présomption selon laquelle on ne peut pas exiger d’un assuré qu’il se réintègre seul sur le marché du travail après avoir perçu une rente d’invalidité pendant quinze ans ou plus

 

Assuré, né en 1969, au bénéfice d’un quart de rente d’invalidité AI dès le 01.09.1997, puis d’une rente entière, assortie de rentes pour enfants, dès le 01.05.2000. Le droit à la prestation a été confirmé à plusieurs reprises, la dernière fois par communication du 10.01.2011.

Dans le cadre d’une procédure de révision initiée au mois de mars 2015, l’office AI a notamment soumis l’assuré à une expertise bidisciplinaire. Le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie n’a retenu aucun diagnostic incapacitant. Le spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie a pour sa part posé le diagnostic avec répercussion sur la capacité de travail d’ankylose du poignet gauche status post plusieurs interventions; il a conclu à une capacité de travail de 60% comme magasinier dans une entreprise de vitrerie, de 80% comme chauffeur, et de 100% dans une activité adaptée. L’administration a également fait bénéficier l’assuré d’un stage de réentraînement au travail du 16.10.2017 au 14.01.2018 ; cette mesure a été interrompue le 19.12.2017. Par décision du 02.05.2018, l’office AI a supprimé le droit à la rente de l’assuré à partir du 01.07.2018 (taux d’invalidité de 1%).

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2018 150 – consultable ici)

A la lumière des pièces médicales au dossier, la cour cantonale a analysé l’évolution de l’état de santé de l’assuré, en comparant la situation prévalant lors de l’octroi de la rente entière en 2002 (décision du 14.11.2002, faisant référence aux décisions des 17.04.2002 et 26.06.2002) avec celle existant au moment de la décision litigieuse du 02.05.2018. En se fondant sur l’expertise bidisciplinaire, les juges cantonaux ont constaté que l’état de santé de l’assuré s’était amélioré dans une mesure justifiant la suppression de son droit à une rente d’invalidité. La juridiction cantonale a ensuite considéré que l’assuré s’était réadapté par lui-même, puisqu’il avait repris une activité lucrative depuis plus de quatre ans, de sorte qu’il y avait lieu d’admettre qu’il était en mesure d’atténuer seul les conséquences de son invalidité dans le marché du travail équilibré. Partant, elle a nié que l’assuré se trouvât dans la situation dans laquelle une personne ayant bénéficié d’une rente d’invalidité depuis plus de quinze ans avait besoin de l’aide de l’assurance-invalidité pour se réadapter, en conséquence de quoi elle a confirmé la suppression de son droit à une rente entière d’invalidité avec effet au 01.07.2018.

Par jugement du 09.07.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Sur le plan psychiatrique, l’expert a répondu de manière affirmative à la question de savoir si une amélioration de l’état de santé était survenue. A cet égard, il ressort de ses constatations qu’il ne pouvait pas, au moment de son expertise, retenir le diagnostic de trouble dépressif récurrent, posé rétroactivement, dès 2000, par le psychiatre traitant de l’assuré. Le médecin-expert a indiqué qu’au moment de l’expertise l’assuré ne présentait aucune limitation psychique. Cette modification, singulièrement amélioration, de l’état de santé psychique de l’assuré constitue un motif de révision suffisant sous l’angle de l’article 17 LPGA.

Sur le plan somatique, comme le relève l’assuré, les limitations fonctionnelles dont a fait état l’expert rhumatologue en lien avec le poignet gauche sont proches de celles qui avaient justifié la reconnaissance, en 1999, du droit à un quart de rente d’invalidité dès le 01.09.1997.

Le Tribunal fédéral rappelle que la rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l’état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important, ce qui est en particulier le cas lorsque la capacité de travail s’améliore grâce à l’accoutumance ou une adaptation au handicap (ATF 141 V 9 consid. 2.3 p. 10 s. et les références).

En l’espèce, quoi qu’en dise l’assuré, l’expert rhumatologue a attesté « une augmentation de [l]a capacité de travail depuis 2014 », en indiquant, notamment que depuis cette date, les douleurs au poignet gauche ne font pas obstacle à l’exercice d’une activité professionnelle de chauffeur « tout au long de la journée et 5 jours sur 7 ». On peut y voir une accoutumance au handicap qui peut être prise en considération dans le cadre de la révision du droit à la rente de l’assuré.

Au regard des conclusions des deux experts, les constatations des juges cantonaux selon lesquelles une amélioration de l’état de santé et de la capacité de travail de l’assuré est intervenue depuis l’octroi de la rente entière d’invalidité en 2002 ne sont donc pas manifestement inexactes.

 

S’agissant ensuite du point de savoir si l’office AI pouvait supprimer le droit à la rente entière d’invalidité sans procéder à un examen plus étendu de la nécessité de mesures de réinsertion professionnelle, les griefs de l’assuré ne sont pas non plus fondés. La juridiction a retenu qu’au terme d’un examen concret de la situation de l’assuré, la reprise d’une activité lucrative depuis 2014 démontrait qu’il s’était réadapté par lui-même. A cet égard, les juges cantonaux ont constaté que l’assuré conduisait un bus scolaire, quatre fois par jour et cinq jours par semaine, représentant environ 2h30 de travail quotidien, et qu’il entraînait également une équipe de juniors en football un soir par semaine et les week-ends, ce qui correspondait « à un taux d’activité […] loin d’être anecdotique ».

Les constatations de la juridiction cantonale mettent en évidence que l’assuré disposait de capacités suffisantes lui permettant une réadaptation par lui-même. En effet, il a été en mesure de retrouver lui-même un emploi (à temps partiel), ce qui démontre son intégration sur le marché du travail (comp. notamment, arrêts 9C_508/2016 du 21 novembre 2016 consid. 6.2 et 8C_586/2014 du 22 décembre 2014 consid. 8.2). En tant qu’il soutient que « travailler durant quatre phases quotidiennes de 45 minutes chacune, séparées de pause d’environ 2 heures » n’équivaut pas à exercer une activité à plein temps avec un plein rendement, l’assuré s’en prend à l’étendue de la capacité de travail exigible de sa part et non à un élément ayant trait à sa capacité à réintégrer le marché du travail.

 

En conséquence de ce qui précède, c’est sans arbitraire et sans violation du droit fédéral que la juridiction cantonale a admis que la présomption selon laquelle on ne peut pas exiger d’un assuré qu’il se réintègre seul sur le marché du travail après avoir perçu une rente d’invalidité pendant quinze ans ou plus, avait été renversée. La suppression du droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité avec effet au 01.07.2018 est conforme au droit.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_502/2019 consultable ici

 

 

9C_441/2019 (f) du 28.10.2019 – Exigences du profil d’exigibilité médico-théorique fixées par les experts médicaux vs Avis du service de réadaptation de l’AI / Capacité de travail exigible – Limitations fonctionnelles importantes – Existence d’une activité exigible sur le marché équilibré du travail niée – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_441/2019 (f) du 28.10.2019

 

Consultable ici

 

Exigences du profil d’exigibilité médico-théorique fixées par les experts médicaux vs Avis du service de réadaptation de l’AI

Capacité de travail exigible – Limitations fonctionnelles importantes – Existence d’une activité exigible sur le marché équilibré du travail niée / 16 LPGA

 

Assurée, née en 1978, titulaire notamment d’un CFC d’aide familiale obtenu à la suite d’un reclassement de l’AI, travaillait à 80% pour un service d’aide et de soins à domicile. Au mois d’octobre 2015, elle a déposé une demande de prestations AI. Elle y indiquait souffrir d’une sclérose en plaques et être en arrêt de travail depuis le 03.07.2015.

Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a soumis l’assurée à une expertise bidisciplinaire (neurologie et psychiatrie). Après avoir également diligenté une enquête économique sur le ménage et l’activité lucrative, l’administration a octroyé à l’assurée trois quarts de rente d’invalidité à compter du 01.07.2016.

 

Procédure cantonale

Le tribunal cantonal a constaté que l’assurée dispose d’une capacité de travail nulle dans l’activité habituelle d’aide familiale, en raison de troubles de l’équilibre, d’un trouble de la concentration, ainsi que d’une fatigue accrue, mais de 50% dans une activité adaptée.

Se référant à l’avis du service de réadaptation de l’AI, selon lequel les exigences du profil d’exigibilité médico-théorique fixées par les experts médicaux n’étaient pas réalisables sur le marché primaire de l’emploi, une réintégration n’étant tout au plus possible que dans un cadre protégé, le tribunal cantonal a nié l’existence d’une activité exigible sur le marché équilibré du travail.

Par jugement du 19.05.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision et reconnaissance d’un droit de l’assuré à une rente entière dès le 01.07.2016.

 

TF

Comme le relève à juste titre l’office AI en se référant à l’arrêt 9C_646/2016 du 16 mars 2017 consid. 4.2.2, c’est aux experts médicaux qu’il appartient d’évaluer l’état de santé de la personne assurée et les répercussions de celui-ci sur la capacité de travail (ATF 140 V 193 consid. 3.2 p. 195 s.). Il est également exact que le Tribunal fédéral a jugé que les données médicales l’emportent en principe sur les constatations qui peuvent être faites notamment à l’occasion d’un stage d’observation professionnelle, lesquelles sont susceptibles d’être influencées par des éléments subjectifs liés au comportement de la personne assurée (arrêt 9C_323/2018 du 20 août 2018 consid. 4.2 et les références). Ces principes ne signifient cependant pas que le médecin a la compétence de statuer en dernier ressort sur les conséquences de l’atteinte à la santé sur la capacité de travail. Son rôle consiste à prendre position sur l’incapacité de travail, à savoir à procéder à une évaluation qu’il motive de son point de vue le plus substantiellement possible. Les données médicales constituent un élément important pour l’appréciation juridique de la question des travaux pouvant encore être exigés de l’assuré. Elles peuvent si nécessaire être complétées pour évaluer la capacité fonctionnelle pouvant être mise économiquement à profit par l’avis des spécialistes de l’intégration et de l’orientation professionnelles (ATF 140 V 193 consid. 3.2 p. 195 s. et les arrêts cités). Dans les cas où les appréciations (d’observation professionnelle et médicale) divergent sensiblement, il incombe à l’administration, respectivement au tribunal – conformément au principe de la libre appréciation des preuves – de confronter les deux évaluations et, au besoin de requérir un complément d’instruction (arrêts 9C_68/2017 du 18 avril 2017 consid. 4.4.2; 9C_512/2013 du 16 janvier 2014 consid. 5.2.1 et les arrêts cités).

Dans la mesure où ce n’est pas le profil d’exigibilité qui est litigieux, mais l’existence d’une activité adaptée correspondant à celui-ci sur le marché équilibré du travail, et au vu de la jurisprudence rappelée, on ne saurait reprocher à la juridiction de première instance d’avoir considéré que les informations fournies par le service de réadaptation complétaient utilement les données médicales en montrant, concrètement, que l’assurée n’était plus à même de mettre en valeur de manière significative la capacité de travail résiduelle retenue sur le plan médico-théorique.

 

Par ailleurs, le service de réadaptation a examiné si une activité adaptée aux limitations de l’assurée décrites par les médecins existait concrètement sur le marché équilibré du travail. Sa conclusion prend en considération les limitations décrites par les médecins-experts. A cet égard, les experts ont indiqué qu’un profil d’exigibilité dans une activité adaptée devait être défini pour l’assurée, avec des limitations importantes, et qu’une activité avec plus qu’une légère sollicitation du sens de l’équilibre était exclue, tout comme des activités faisant davantage appel à la capacité de concentration et à la capacité d’assumer de nouveaux contenus. Dès lors que le service de réadaptation s’est fondé sur les données médicales, une observation professionnelle concrète n’apparaissait pas nécessaire. Tout au long de la procédure, l’office AI n’a du reste pas donné d’exemples d’une activité adaptée correspondant à la capacité résiduelle de travail médico-théorique de l’assurée de 50% et à ses limitations fonctionnelles, tout en admettant que l’éventail des activités exigibles était nettement réduit.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_441/2019 consultable ici

 

 

8C_370/2017 (f) du 15.01.2018 – Capacité de travail exigible – 16 LPGA / Appréciation du médecin traitant vs appréciation du médecin-conseil – Ad mise en œuvre d’une expertise médicale afin de départager les opinions

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_370/2017 (f) du 15.01.2018

 

Consultable ici

 

Capacité de travail exigible / 16 LPGA

Appréciation du médecin traitant vs appréciation du médecin-conseil / Ad mise en œuvre d’une expertise médicale afin de départager les opinions

 

Assuré, né en 1953, opérateur de production, a été victime, le 04.02.2012, d’une chute sur l’épaule droite en glissant sur une plaque de glace. Une IRM pratiquée le 24.02.2012 a mis en évidence une déchirure intra-tendineuse du tendon du sous-scapulaire sans désinsertion. L’assuré a repris son activité à 50% dès le 16.04.2012, puis à 100% à compter du 14.05.2012.

Le 02.10.2013, l’assuré a annoncé une rechute à partir du 30.09.2013. Il a été opéré le 07.01.2014 (ténodèse du biceps, suture du muscle sus-épineux et sub-scapulaire, décompression sous-acromiale et résection de l’articulation acromio-claviculaire de l’épaule droite).

Dans un rapport du 11.05.2015, le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique, a tout d’abord indiqué que le cas n’était pas stabilisé et qu’il était peu probable que l’assuré puisse reprendre son travail habituel, tout en soulignant qu’une capacité de travail même dans une activité adaptée était pratiquement nulle étant donné les douleurs au repos et nocturnes de l’assuré. Ultérieurement, le chirurgien orthopédiste traitant a constaté que sous physiothérapie l’évolution était clairement favorable ; le patient présentait des douleurs lors de mouvements plutôt dans l’extrême mais pas en-dessous de l’horizontale et n’avait plus de douleur au repos (rapport du 11.11.2015).

Le 29.01.2016, le médecin-conseil a considéré que le cas était stabilisé et que si l’assuré ne pouvait plus reprendre son travail habituel, il était désormais apte à travailler dans un métier adapté aux limitations fonctionnelles (sans port ou soulèvement de charges de plus de 5 kg avec le membre supérieur droit, en évitant les mouvements de l’épaule droite au-delà de l’horizontale, les métiers qui impliquaient des mouvements répétitifs de celle-ci et en travaillant à hauteur d’établi).

Par décision du 08.03.2016, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 10% mais a refusé de lui allouer une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’incapacité de gain n’atteignait pas le minimum légal de 10%.

A l’occasion d’un contrôle du 27.04.2016, le médecin traitant a fait état d’une évolution défavorable avec une persistance de douleurs très importantes lors de la mobilisation de l’épaule et une incapacité totale de travail pour toute activité manuelle même légère. Prenant position sur cette appréciation, le médecin-conseil a indiqué ne pas partager l’avis de ses confrères ; les lésions anatomiques constatées ne permettaient pas de retenir que l’assuré était inapte à reprendre une activité professionnelle. L’assurance-accidents a confirmé la décision.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2016 141 – consultable ici)

L’orthopédiste-traitant a examiné l’assuré à deux reprises et a exprimé l’avis que la situation clinique était stagnante du point de vue des douleurs et de la fonction au niveau du membre supérieur droit (avec des pics de douleurs tout de même moins intenses). Il a conclu que l’assuré n’était pas capable d’exercer une activité manuelle même légère au risque de causer une péjoration de l’état actuel de l’épaule droite.

Les juges cantonaux se sont fondés essentiellement sur l’avis du médecin-conseil qu’ils ont préféré à l’appréciation du chirurgien orthopédiste traitant, lequel avait retenu une incapacité complète de travail pour toute activité manuelle même légère. D’après la juridiction cantonale, le médecin traitant n’avait pas véritablement distingué les causes à l’origine de ce constat. A l’instar des autres médecins qui s’étaient prononcés sur les perspectives professionnelles de l’assuré, il avait principalement mentionné des facteurs étrangers à l’accident susceptibles de compromettre le retour de l’assuré sur le marché du travail, en particulier l’âge de ce dernier. Or, seules les conséquences concrètes de l’accident relevaient de la responsabilité de l’assureur-accidents. Par conséquent, s’il existait une éventuelle incapacité de travail, celle-ci découlait de facteurs dont l’assurance-accidents n’avait pas à répondre.

Par jugement du 07.04.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

La jurisprudence (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee p. 354) a posé le principe que le seul fait que les médecins de l’assurance sont employés de celle-ci ne permet pas de conclure à l’existence d’une prévention et d’un manque d’objectivité. Si un cas d’assurance est jugé sans rapport d’un médecin externe à l’assurance, l’appréciation des preuves doit être soumise à des exigences strictes. L’existence d’un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l’assurance, doit conduire le tribunal à demander des éclaircissements (ATF 122 V 157 consid. 1d p. 162).

En application du principe de l’égalité des armes, l’assuré a le droit de présenter ses propres moyens de preuve pour mettre en doute la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l’assurance. Il s’agit souvent de rapports émanant du médecin traitant ou d’un autre médecin mandaté par l’assuré. Ces avis n’ont pas valeur d’expertise et, d’expérience, en raison de la relation de confiance liant le patient à son médecin, celui-ci va plutôt pencher, en cas de doute, en faveur de son patient. Ces constats ne libèrent cependant pas le tribunal de procéder à une appréciation complète des preuves et de prendre en considération les rapports produits par l’assuré, afin de voir s’ils sont de nature à éveiller des doutes sur la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l’assurance.

Il résulte de ce qui précède que les rapports des médecins employés de l’assurance sont à prendre en considération tant qu’il n’existe aucun doute, même minime, sur l’exactitude de leurs conclusions (ATF 135 V 465 consid. 4.7 p. 471; voir aussi l’arrêt 8C_796/2016 du 14 juin 2017 consid. 3.3).

 

En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que l’instruction de la cause ne permet pas de trancher entre les opinions de ces spécialistes, en particulier de se prononcer sur la capacité de travail de l’assuré. On ne peut pas d’emblée retenir que seuls des facteurs étrangers à l’atteinte à la santé, notamment l’âge de l’assuré, compromettent la reprise d’une activité professionnelle. Le médecin traitant a certes indiqué, dans un rapport du 24.03.2015, qu’il lui semblait peu probable que l’assuré puisse reprendre un jour son activité « surtout au vu de son âge ». Il n’a cependant pas retenu ce facteur dans ses rapports ultérieurs pour justifier l’incapacité de travail totale de l’assuré. On en est fondé à considérer que par rapport à la situation qui prévalait en mars 2015, ce médecin est d’avis que la situation a évolué défavorablement, contrairement à son pronostic initial.

Dans ces circonstances, il subsiste un doute à tout le moins léger quant à la pertinence de l’avis du médecin-conseil. Il se justifie dès lors, conformément à la jurisprudence, de renvoyer la cause aux premiers juges pour qu’ils ordonnent une expertise médicale afin de départager les opinions du médecin-conseil, d’une part, et du médecin traitant, d’autre part.

 

Le TF admet le recours de l’assuré, annule le jugement du tribunal cantonal et lui renvoie la cause pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_370/2017 consultable ici

 

 

8C_809/2018 (f) du 05.11.2019 – Revenu d’invalide – 16 LPGA / Tribunal cantonal s’écartant sans raison valable des DPT retenues par l’assurance-accidents

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_809/2018 (f) du 05.11.2019

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide / 16 LPGA

Tribunal cantonal s’écartant sans raison valable des DPT retenues par l’assurance-accidents

 

Assurée, née en 1963, polisseuse à plein temps et concierge à raison de huit heures par semaine (activité accessoire), a été victime de deux accidents : le 30.05.2008 (lésion subtotale du versant articulaire du tendon du sus-épineux et une fine bursite sous-acromiale épaule droite) et le 15.06.2014 (fracture de la tête radiale gauche et un traumatisme de l’épaule gauche avec une fissuration focale du tendon sus-épineux en regard de son insertion humérale).

L’assureur-accidents a rendu une décision le 13.03.2015, confirmée sur opposition, par laquelle il a alloué à l’assurée une rente d’invalidité de 22% avec effet rétroactif au 01.07.2014.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/960/2018 – consultable ici)

L’assurance-accidents a partiellement acquiescé au recours, considérant que le droit à la rente d’invalidité n’avait – à tort – pas été examiné en tenant compte des séquelles de l’accident du 15.06.2014.

L’assurance-accidents a admis qu’elle devait tenir compte des limitations fonctionnelles résultant des accidents des 30.05.2008 et 15.06.2014, à savoir: pas de port de charges de plus de 5 kg, de travail prolongé ou répétitif avec les bras au-dessus du plan des épaules (horizontale), de travaux nécessitant de la force au niveau des épaules ou avec les membres supérieurs en porte-à-faux de façon prolongée ou répétitive, ou encore exigeant l’utilisation d’outils lourds ou provoquant des vibrations. Elle a de ce fait produit des nouvelles DPT (n° 504571: emballeuse manuelle; n° 362411: collaborateur de production sur machines automatiques; n° 491288: ouvrière de fabrication sur machine; n° 597315: collaborateur de production [ouvrier]; n° 11576: collaborateur de production [soudure Laser]), sur lesquelles elle s’est fondée pour retenir un revenu d’invalide de 57’487 fr. 60. En comparant ce revenu avec un revenu sans invalidité de 82’604 fr. (obtenu par l’addition du revenu principal et accessoire de l’assurée indexé jusqu’en 2016), elle est parvenue à un taux d’invalidité de 30%.

La cour cantonale s’est écartée du revenu d’invalide retenu par l’assureur-accidents. Elle a considéré que la DPT n° 504571 (emballeuse manuelle) n’était pas compatible avec les limitations fonctionnelles de l’assurée, dès lors qu’elle impliquait des travaux répétitifs paraissant nécessiter une position des bras en porte-à-faux, alors que les médecins d’arrondissement avaient souligné l’obligation d’avoir les bras en appui. En outre, les quatre autres DPT concernaient des activités répétitives des bras qui n’étaient pas suffisamment détaillées pour qu’il soit possible de conclure de manière certaine à leur compatibilité avec les limitations fonctionnelles de l’assurée. Aussi a-t-elle considéré ne pas pouvoir se rallier aux DPT sélectionnées par l’assurance-accidents. Les juges cantonaux ont fixé le revenu avec invalidité à 45’596 fr. par année, sur la base de l’ESS et après prise en compte d’un abattement de 20% pour tenir compte des limitations fonctionnelles et de l’âge de l’assurée.

Par jugement du 18.10.2018, admission du recours par le tribunal cantonal, considérant que l’assurée avait droit à une rente d’invalidité de 43% dès le 01.11.2016, et renvoi de la cause à l’assurance-accidents qu’elle statue sur le droit aux prestations pour la période du 01.07.2014 au 31.10.2016.

 

TF

En l’espèce, la décision querellée est basée sur des doutes de la cour cantonale concernant la compatibilité des activités proposées par les DPT avec les limitations fonctionnelles retenues pour l’assurée. La juridiction cantonale relève en effet que le poste d’emballeuse manuelle (DPT n° 504571) « parait » impliquer une position des bras en porte-à-faux et que pour les autres DPT, « on ne peut en tous cas pas exclure que ces activités exigent des mouvements que l’intéressée n’est pas en mesure de réaliser ». Cette argumentation n’est fondée sur aucun élément concret mais sur des apparences et des suppositions. Or, en l’occurrence, on ne saurait voir de position en porte-à-faux des bras dans la fonction d’emballeuse manuelle (DPT n° 504571) où l’activité consiste à placer dans un carton qui défile sur un tapis roulant, un ou plusieurs objets légers, se trouvant à hauteur de table. S’agissant des quatre autres DPT, outre le fait qu’elles n’impliquent pas de port de charges de plus de 5 kg, il ne ressort pas des tâches décrites qu’elles entraîneraient des mouvements que l’intéressée ne serait pas en mesure de réaliser. En effet, la DPT n° 362411 (collaborateur de production sur machines automatiques) est décrite comme le montage de circuits imprimés et de modules électroniques. La DPT n° 491288 (ouvrière de fabrication sur machine) consiste à positionner des petites pièces sur une machine avec presse de 3 à 4 kg maximum, et la DPT n° 597315 (collaborateur de production [ouvrier]) à rectifier et à procéder à la finition de pièces destinées à l’horlogerie ou au domaine médical. Quant à la DPT n° 11576 (collaborateur de production [soudure Laser]), il est indiqué qu’en étant assis à son poste de travail, l’employé charge une soudeuse automatique, ce qui nécessite « un peu de sensibilité dans les doigts » pour poser la pièce à souder – qui pèse quelques grammes – dans le bon sens et « de bons yeux ». Ces activités ne sollicitent pas particulièrement les épaules et n’entraînent pas une position des membres supérieurs en porte-à-faux régulière ou répétitive.

Dans de telles circonstances, la juridiction cantonale s’est écartée sans raison valable des DPT.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, réforme le jugement cantonal en ce sens que l’assurée a droit à une rente d’invalidité de 30% dès le 01.11.2016.

 

 

Arrêt 8C_809/2018 consultable ici

 

 

8C_661/2018 (f) du 28.10.2019 – Revenu sans invalidité d’un salarié et unique associé gérant de sa Sàrl (café-restaurant) / Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement – Pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal – Critère de l’âge en assurance-accidents (question laissée encore ouverte)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_661/2018 (f) du 28.10.2019

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un salarié et unique associé gérant de sa Sàrl (café-restaurant)

Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement – Pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal – Critère de l’âge en assurance-accidents (question laissée encore ouverte)

Abattement 5% en raison des limitations fonctionnelles (pas de gros efforts, port occasionnel de charges de maximum 8 kg, pas de montée/ descente d’escaliers, pas de travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules)

 

Assuré, né en 1959, a suivi une école hôtelière à l’étranger. Arrivé en Suisse dans les années 1980, il a travaillé dans différents restaurants avant de fonder le 30.08.2013 sa propre société, B.__ Sàrl, dont il était salarié et unique associé gérant, en vue d’exploiter le café-restaurant C.__.

Le 12.08.2014, l’assuré a fait une chute à scooter. Il a subi une intervention pour une fracture multifragmentaire de l’humérus proximal gauche et une rupture complète du tendon patellaire gauche. Une IRM de l’épaule droite a révélé une rupture quasi complète des tendons des sus- et sous-épineux, une bursite sous-acromiale-deltoïdienne modérée ainsi que des atteintes dégénératives de l’articulation acromio-claviculaire. En incapacité de travail totale depuis l’accident, l’assuré a repris son activité à 30% le 02.03.2015. Il n’a jamais pu augmenter ce taux, ce qui l’a conduit par la suite à remettre l’exploitation du restaurant à un tiers.

Dans le cadre de la demande AI déposée le 03.02.2015, l’office AI a procédé à une enquête économique. Selon le rapport y relatif, le restaurant, situé au centre du village, fonctionnait assez bien et offrait une ouverture hebdomadaire de 80 heures ; avant l’accident, la Sàrl employait en sus de l’assuré quatre autres personnes dont une serveuse à 70% ; depuis lors, il y avait eu une baisse de fréquentation et le chiffre d’affaires avait diminué, ce qui avait obligé l’assuré à diminuer également son personnel. L’assuré se versait un salaire mensuel brut de 4’500 fr. treize fois l’an (58’500 fr.). Un bénéfice de 48’640 fr. ressortait des comptes d’exploitation de la société pour la période allant de septembre 2013 à décembre 2014. D’après la comparaison des champs d’activité, l’assuré présentait une incapacité de travail de 46,88%. L’office AI a alloué à l’assuré un quart de rente depuis le 01.08.2015. Cette décision a été confirmée le 27.08.2018 par le tribunal cantonal.

L’assurance-accidents a mis en œuvre une expertise confiée à un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. S’agissant de la capacité de travail, l’assuré était limité pour assumer les gros efforts, porter des charges, monter et descendre des escaliers et des échelles ainsi que pour les travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules. Dans une profession de gérant d’un hôtel et d’un restaurant consistant essentiellement en un travail administratif, de gestion des stocks, à l’ordinateur, de surveillance et de contrôle, l’assuré pourrait travailler à 100%. Il pouvait occasionnellement effectuer des efforts et soulever des charges de moins de 8 kg.

L’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’invalidité (1%) était insuffisant pour ouvrir le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a déterminé le revenu sans invalidité en se fondant sur les attestations de salaires transmises par la caisse de compensation (ci-après : la caisse). Elle a retenu que le salaire annuel de l’assuré pour son activité de gérant du café-restaurant C.__ s’élevait à 58’500 fr. (4’500 fr. par mois versé 13 fois l’an) et a admis qu’il aurait été maintenu tel quel en 2016, moment de la naissance du droit à la rente, dès lors que le restaurant était en début d’exploitation. A ce salaire de base, la cour cantonale a estimé qu’il fallait ajouter le bénéfice du restaurant qui, selon elle, était entièrement attribuable à l’assuré. Elle a constaté que l’extrait du compte individuel AVS de l’intéressé indiquait un montant de 33’434 fr. en 2014 et a considéré que ce montant représentait le bénéfice que celui-ci s’était versé. Cependant, les comptes d’exploitation de la Sàrl recueillis dans le cadre de la procédure AI mentionnaient un résultat de 48’640 fr. pour la période allant de septembre 2013 à décembre 2014 (16 mois), soit un bénéfice moyen de 36’480 fr. rapporté à une année (48’640 fr. x 12/16). Toujours selon la cour cantonale, c’était ce dernier montant qui devait être pris en compte dans la mesure où « un tel bénéfice pouvait raisonnablement être envisagé pour 2016 ». Le revenu sans invalidité de l’assuré se montait donc à 94’980 fr. (58’500 fr. + 36’480 fr.).

Pour ce qui est du revenu d’invalide, la cour cantonale s’est référée aux ESS 2012, en prenant pour base le salaire que peuvent prétendre des hommes dans des tâches physiques ou manuelles simples (niveau de compétence 1) dans le secteur privé. Après adaptation à l’évolution des salaires et à la durée normale du travail dans les entreprises en 2016, il en résultait un montant annuel de 66’954 fr. 40 en 2016. En outre, la cour cantonale n’a pas confirmé le taux d’abattement de 5% retenu par l’assurance-accidents pour tenir compte du handicap de l’assuré mais l’a fixé à 15% « en raison des limitations physiques et de la situation personnelle » de ce dernier. Le revenu d’invalide s’établissait ainsi à 56’911 fr. 20.

Par jugement du 27.08.2018, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision sur opposition octroi d’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 40% ainsi que d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 35%

 

TF

Revenu sans invalidité

Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir ce que l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Tant pour les personnes salariées que pour celles de condition indépendante, on peut se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) (arrêt 8C_9/2009 du 10 novembre 2009, in SVR 2010 IV n° 26 p. 79; arrêt 9C_771/2017 du 29 mai 2018 consid. 3.6). En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité ; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_748/2008 du 10 juin 2009 consid. 5.2.1). Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (cf. ATF 133 V 549 consid. 6.1 p. 553).

Il est établi que l’assuré était à la fois salarié et associé-gérant de la société B.__ Sàrl dont il détenait toutes les parts sociales. En considération de cette situation, l’assurance-accidents ne remet pas en cause la prise en compte, dans le revenu sans invalidité, à la fois d’un salaire versé par la société à l’assuré et d’un montant à titre de part aux bénéfices auquel ce dernier peut prétendre en tant qu’associé-gérant de la Sàrl comme le prévoit l’art. 798 al. 1 CO (voir aussi ch. 2010 des Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG [DSD] dans leur teneur en vigueur au 1er janvier 2014).

L’extrait des comptes individuels AVS rassemblés fait état d’un revenu de 19’500 fr. pour les mois de septembre à décembre 2013, respectivement de 33’434 fr. pour toute l’année 2014 ; une somme de 54’000 fr. a également été comptabilisée puis extournée par cette caisse pour l’année 2014. La somme portée en compte sur cette période se monte donc à 52’934 fr. (19’500 fr. + 33’434 fr.). Le montant de 19’500 fr. pour 2013 correspond à un salaire de 4’500 fr. versé sur quatre mois, y compris le treizième salaire au prorata. On ne voit pas que le montant de 33’434 fr. comptabilisé pour 2014 corresponde à un versement de bénéfice de la Sàrl à l’assuré. Il n’y a aucun indice dans ce sens au dossier et il est regrettable que la seule pièce à disposition pour l’année 2014 soit une attestation du total des salaires de l’ensemble du personnel de la Sàrl ne comportant aucun détail. En l’absence de toute autre comptabilisation au compte individuel pour 2014 – le montant de 54’000 fr. ayant été extourné -, il ne peut toutefois s’agir que d’un montant obtenu par l’assuré à titre de salaire de janvier 2014 jusqu’à la survenance de l’accident en cause (12.08.2014), étant précisé qu’aucune cotisation AVS n’est perçue sur les indemnités journalières que l’assurance-accidents a versées par la suite. Le fait que le montant de 33’434 fr. ne corresponde pas exactement au versement d’un salaire mensuel de 4’500 fr. plus la part du 13e salaire pour la période du 01.01.2014 au 12.08.2014 n’empêchait pas l’autorité cantonale, dès lors qu’il est constant que l’assuré s’octroyait un salaire annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. versé treize fois l’an), de retenir que l’assuré se serait attribué un salaire annuel d’au moins 58’500 fr. au moment déterminant. Quant à la part aux bénéfices, il ressort des documents comptables produits que le résultat d’exploitation de la société B.__ Sàrl pour la période allant du 01.09.2013 au 31.12.2014 était de 48’639 fr. 71. Compte tenu de ce chiffre, on peut raisonnablement admettre que l’assuré se serait versé en sus de son salaire un montant annuel de 36’480 fr. (48’640 fr. x 12/16) à titre de part de bénéfice en rapport avec son travail si l’accident ne l’avait pas empêché de continuer à gérer le restaurant. Le montant du revenu sans invalidité de 94’980 fr. retenu par la cour cantonale échappe ainsi à la critique.

 

Revenu d’invalide

Dans la mesure où les données de l’ESS pour l’année 2014 étaient déjà disponibles au moment de la saisine de la cour cantonale, celle-ci aurait dû se référer à cette version plus récente. En effet, le moment de la naissance du droit à la rente est le 01.05.2016 et il y a lieu de se rapprocher le plus exactement possible du montant que la personne assurée est susceptible d’obtenir sur le marche équilibré du travail (cf. arrêt 9C_673/2010 du 31 mars 2011 consid. 3.4). Il faut donc se fonder sur le salaire statistique mensuel brut total de 5’312 fr. (TA1_skill_level ESS 2014). Compte tenu d’un horaire de travail moyen usuel dans les entreprises de 41,7 heures en 2016 et de l’évolution des salaires nominaux chez les hommes de 2014 à 2016 (0,3% en 2015; 0,6% en 2016; voir le tableau T39 « Evolution des salaires nominaux, des prix à la consommation et des salaires réels », 1976-2009 et 2010-2017), on obtient un revenu annuel de 67’052 fr.

 

Taux d’abattement

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juge des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration ; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 précité consid. 5.2 p. 73 et l’arrêt cité).

S’agissant du taux d’abattement sur le salaire statistique, la cour cantonale n’a pas précisé plus avant quel était le motif relevant de la situation personnelle de l’assuré qui l’a conduite à s’écarter du taux initialement retenu par l’assurance-accidents. On peut penser qu’elle entendait prendre en considération l’âge de celui-ci (57 ans en 2016), les autres facteurs tels que la nationalité, la catégorie d’autorisation de séjour, les années de service ou le taux d’occupation n’entrant manifestement pas en ligne de compte. Toutefois, l’âge d’un assuré ne constitue pas en lui-même un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant de la naissance du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Encore récemment (arrêt 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 5), le Tribunal fédéral a insisté sur ce point et a affirmé que l’effet de l’âge combiné avec un handicap doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels.

En l’espèce, la cour cantonale n’a pas examiné en quoi les perspectives salariales de l’assuré seraient concrètement réduites sur le marché du travail équilibré à raison de son âge, compte tenu des circonstances du cas particulier. Cela étant, au vu du parcours de l’assuré et compte tenu du fait que les activités simples envisagées (du niveau de compétence 1) ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis. Il n’est donc pas nécessaire de décider aujourd’hui si l’âge d’un assuré constitue même un critère susceptible de justifier un abattement sur le salaire statistique dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire compte tenu de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA, question laissée ouverte par le Tribunal fédéral dans plusieurs arrêts récents (voir, en dernier lieu, l’arrêt 8C_878/2018 du 21 août 2019 consid. 5.3.1 et les références citées).

Pour la même raison (la catégorie d’activités concernée), le taux d’abattement lié au handicap déjà opéré par l’assurance-accidents ne pouvait pas être revu à la hausse par la cour cantonale. La question de savoir s’il se justifie de procéder à un abattement sur le salaire statistique à ce titre dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées. Une réduction pour ce motif n’entre en considération que si, dans un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. en dernier lieu arrêt 8C_122/2019 du 10 septembre 2019 consid. 4.3.1.4 et les arrêts cités). En l’espèce, il ressort de l’expertise médicale que l’assuré est en mesure d’exercer une activité à plein temps sans diminution de rendement si l’activité respecte pleinement ses limitations fonctionnelles ; celles-ci concernent les gros efforts, le port de charges (s’il n’est pas occasionnel et s’il est supérieur à 8 kg), la montée et la descente d’escaliers ainsi que les travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules. Si de telles limitations excluent les travaux lourds, on ne voit pas qu’elles restreindraient de manière significative les activités légères, en tout cas pas dans une mesure qui justifierait un abattement supérieur à 5%.

Partant, la cour cantonale n’avait pas de motif pertinent pour substituer son appréciation à celle de l’assurance-accidents. Avec un abattement de 5%, le revenu d’invalide se monte à 63’699 fr.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, réformant le jugement cantonal en ce sens que le taux d’invalidité est fixé à 33%.

 

 

Arrêt 8C_661/2018 consultable ici

 

 

8C_873/2018 (f) du 22.07.2019 – Rente d’invalidité – Revenu d’invalide dans la profession apprise – 16 LPGA / Changement de carrière professionnelle après l’accident – Pas d’application de l’art. 28 al. 1 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_873/2018 (f) du 22.07.2019

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Revenu d’invalide dans la profession apprise / 16 LPGA

Changement de carrière professionnelle après l’accident – Pas d’application de l’art. 28 al. 1 OLAA

 

Le 08.09.1992, l’assurée a été victime d’une chute à cyclomoteur, tombant sur son épaule droite dans un talus. A cette époque, elle effectuait un apprentissage d’employée de commerce. Le médecin consulté a diagnostiqué une périarthrite post-traumatique et prescrit un traitement conservateur.

En 1995, l’assurée a terminé son apprentissage avec l’obtention d’un CFC d’employée de commerce. A partir d’avril 1996, elle a travaillé à plein temps dans une banque. Elle a ensuite diminué son temps de travail pour suivre une formation pré-professionnelle en percussion classique au conservatoire (1998). A partir d’août 2000, elle a arrêté son activité d’employée de commerce pour se consacrer entièrement à sa formation musicale (études en section professionnelle), tout en donnant en parallèle des cours privés à des élèves et en collaborant avec divers orchestres. En automne 2003, elle a définitivement dû abandonner ses études musicales en raison de problèmes à son épaule droite.

Entre 1995 et fin 2010, l’assurée a subi cinq interventions à son épaule droite qui ont été prises en charge à titre de rechutes de l’accident initial de 1992. En mai 1998, elle s’est vu allouer une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 10%. Pour faire le point sur l’état de santé de l’assurée après la cinquième opération, l’assurance-accidents a mis sur pied une expertise médicale. Le médecin-expert a indiqué qu’il était encore trop tôt pour savoir si le taux d’atteinte à l’intégrité devait être revu à la hausse.

Par lettre du 22.03.2013, l’assurée a requis de l’assurance-accidents de réviser le taux d’atteinte à l’intégrité et de statuer sur son droit à une rente LAA. Faisant valoir qu’elle avait dû abandonner ses études musicales en raison des séquelles à son épaule droite, elle a demandé que son degré d’invalidité soit évalué en fonction du revenu qu’elle aurait pu obtenir en qualité d’enseignante de musique diplômée.

Une nouvelle expertise médicale a été réalisée. Le médecin-expert a posé les diagnostics d’épaule droite multi-opérée et status post transposition du grand pectoral, de status post-arthroscopie de l’épaule et du poignet gauches et d’hyperlaxité constitutionnelle. Il a déclaré que seul le premier diagnostic était en relation de causalité probable avec l’accident du 08.09.1992. A la question de savoir quelle était l’incapacité de travail résultant de cet événement dans l’activité professionnelle d’employée de commerce, le médecin a répondu qu’un certain nombre d’activités ne seraient pas possibles et qu’il fallait tenir compte de certaines limitations fonctionnelles dans le choix de cette activité: le port de charges n’était pas recommandé au-dessus du buste (classement par exemple); les gestes répétitifs étaient à proscrire pour le membre supérieur droit; les postures prolongées en rotation externe également; l’usage de l’épaule droite était limité en durée et en force. Prenant position sur les limitations fonctionnelles décrites dans cette expertise, le médecin-conseil de l’assurance-accidents a considéré qu’avec des moyens ergonomiques adaptés et en tenant compte d’une accoutumance au handicap avec le temps, la capacité de travail de l’assurée était totale comme employée de commerce.

Par décision confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé, d’allouer une rente LAA et de procéder à une révision du taux d’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2017 281 – consultable ici)

Le médecin traitant de l’assurée a souligné que sa patiente présentait une diminution de la force et surtout une limitation de la mobilité de la rotation externe de l’épaule droite. Elle devait éviter le port de charges de 5 kg, les positions statiques prolongées où le bras doit être soutenu longuement par la musculature de l’épaule (telles que l’utilisation prolongée de l’ordinateur), ainsi que les mouvements répétitifs (sortir et rentrer des dossiers). Le médecin-conseil de l’assurance-accidents a indiqué qu’il n’était pas d’accord avec les remarques de son confrère. Une diminution de la force de l’épaule droite n’avait aucune incidence sur des activités de bureau. En outre, de telles activités n’impliquaient pas, pour les membres supérieurs, des positions monotones en continu et il était possible d’aménager le poste de travail.

Par jugement du 05.11.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

A titre préalable, on observera que c’est à juste titre que l’assurée ne prétend plus que l’évaluation de son invalidité devrait être examinée en fonction d’une carrière d’enseignante de musique diplômée, en application de la disposition spéciale de l’art. 28 al. 1 OLAA. En effet, le cas de figure visé par cette disposition n’est pas réalisé en l’espèce dès lors qu’elle n’a pas été empêchée, à cause de son invalidité, d’achever la formation d’employée de commerce qu’elle avait entreprise au moment de son accident. Par ailleurs, une nouvelle activité lucrative différente de celle exercée auparavant ne saurait être prise en considération que dans la mesure où des indices concrets de changement de profession existaient avant l’accident déjà (SVR 2013 UV n° 4 p. 13, arrêt 8C_145/2012). Tel n’est manifestement pas le cas, si bien qu’il y a lieu d’examiner si l’assurée subit une perte de gain dans l’exercice d’une activité d’employée de commerce compte tenu de l’état de son épaule droite après sa cinquième opération.

Cette question s’apprécie d’abord à l’aune des renseignements médicaux. C’est en effet la tâche du médecin d’indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est incapable de travailler. En l’occurrence, le médecin-expert, qui avait à se prononcer sur l’exigibilité de l’activité d’employée de commerce, a décrit des limitations fonctionnelles mais n’en a déduit aucune incapacité de travail ni diminution de rendement liées, en particulier, à l’utilisation d’un ordinateur (en raison par exemple de la nécessité d’aménager des pauses ou d’une moindre résistance à la fatigue). Le médecin-traitant n’a pas non plus attesté une diminution de la capacité de travail. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l’assurée, on ne voit pas en quoi les considérations du médecin-conseil sur la compatibilité d’une activité d’employée de commerce avec les limitations fonctionnelles existantes ne seraient pas concluantes. Il n’est en effet pas douteux qu’il existe des postes comprenant des tâches suffisamment variées pour éviter une position statique fixe pendant une période prolongée et qu’il est possible de limiter une surcharge pour les membres supérieurs par la mise en place de mesures ergonomiques appropriées. Cela étant, l’existence d’une incapacité de gain de 10% ne repose que sur les propres allégations de l’assurée, ce qui est insuffisant à fonder le droit à une rente LAA.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_873/2018 consultable ici

 

 

8C_342/2018 (f) du 30.07.2019 – Revenu d’invalide – 16 LPGA / Vraisemblance de l’existence d’un salaire dit « social » niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_342/2018 (f) du 30.07.2019

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide / 16 LPGA

Vraisemblance de l’existence d’un salaire dit « social » niée

 

Assuré, né en 1952, occupait un poste d’ouvrier-chauffeur auprès du service cantonale des routes, transports et cours d’eau (ci-après : le SRTC). Son engagement remontait à 1979. Le 14.12.2006, à la suite d’un faux-mouvement en utilisant un marteau pneumatique, l’assuré a subi une lésion au niveau de son épaule droite (déchirure partielle du tendon du sus-épineux). Il a pu reprendre son activité professionnelle à 100% dès le 02.04.2007.

Le 12.03.2014, il a annoncé une rechute (rupture transfixiante du tendon du sus-épineux de l’épaule droite). L’assuré n’ayant pas pu reprendre son activité, le médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents a indiqué qu’une activité adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assuré (pas de port et de soulèvement de charges ni d’activité au-dessus du plan des épaules avec le membre supérieur droit) devait pouvoir être trouvée au sein de l’administration cantonale. Le supérieur hiérarchique de l’assuré a proposé à ce dernier un poste de travail en tant qu’« homme à tout faire » pour l’atelier de fabrication de panneaux du SRTC ainsi que pour l’aide à la circulation de ses équipes de marquage. Le médecin d’arrondissement a confirmé l’exigibilité médicale de cette activité. L’assurance-accidents a mis fin au versement de l’indemnité journalière dès le 03.08.2015, date à laquelle l’assuré était, selon elle, en mesure de mettre en valeur une pleine capacité de travail dans l’activité adaptée.

Le 20.11.2015, l’assuré a adressé une lettre à l’assurance-accidents dans laquelle il se plaignait de la gestion de son dossier, à savoir que son activité adaptée était « bidon » et non rentable et que ses douleurs étaient exacerbées par le travail. Il mentionnait que ses chefs ne savaient pas que lui faire faire et qu’après avoir nettoyé des véhicules légers pendant une semaine avec un seul bras, il avait été délégué au ponçage des panneaux de signalisation. Après un séjour hospitalier afin de parfaire le traitement antalgique et d’évaluer les capacités professionnelles résiduelles, la situation était stabilisée du point de vue des aptitudes fonctionnelles liées au travail. En outre, le pronostic de réinsertion dans une activité adaptée respectant les limitations fonctionnelles retenues était favorable.

Le 12 février 2016, l’assuré a derechef écrit à l’assurance-accidents pour lui faire part de ses griefs à l’encontre de sa nouvelle activité. En particulier, il estimait son rendement à 25% au maximum et le fait de toucher un « salaire social de près de 75% » le perturbait. Après avoir exercé pendant plus de 36 ans une activité manuelle et lourde, l’activité de substitution lui paraissait aussi inutile qu’ennuyeuse. Le 01.03.2016, l’assuré a remis à son supérieur une lettre demandant au service du personnel sa mise à la retraite dès le 01.06.2016. Le 22.03.2016, le supérieur hiérarchique de l’assuré a précisé à l’inspecteur de l’assurance-accidents que les tâches effectuées par l’assuré au sein de l’unité de signalisation n’étaient pas occupationnelles ni inutiles à l’Etat du Valais. Il ne s’agissait pas d’un « poste social » créé pour occuper l’assuré.

Dans un courrier du 31.05.2016, le chef du SRTC et l’adjointe du chef du Service des ressources humaines ont confirmé que la fonction occupée par l’assuré à partir du 03.08.2015 au sein du groupe Signalisation était rémunérée selon la classe 19, comme l’était son ancienne activité d’ouvrier-chauffeur.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a indiqué que les séquelles accidentelles de l’assuré ne l’empêchaient pas de poursuivre sa nouvelle activité, rémunérée de manière identique à celle déployée auparavant. Partant, l’assureur-accidents niait le droit à une rente d’invalidité mais reconnaissait une atteinte à l’intégrité correspondant à un taux de 15%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 20.03.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal. La juridiction cantonale a conclu que l’assuré n’avait pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante requis que sa rémunération contenait une composante de salaire social.

 

TF

Le revenu d’invalide doit en principe être évalué en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. Le salaire effectivement réalisé ne peut cependant être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide que si trois conditions cumulatives sont remplies:

  • l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé doit reposer sur des rapports de travail particulièrement stables;
  • cette activité doit en outre permettre la pleine mise en valeur de la capacité résiduelle de travail exigible;
  • le gain obtenu doit enfin correspondre au travail effectivement fourni et ne pas contenir d’éléments de salaire social (cf. ATF 139 V 592 consid. 2.3 p. 594 s.; 135 V 297 consid. 5.2 p. 301; 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475).

La preuve de l’existence d’un salaire dit « social » est toutefois soumise à des exigences sévères, parce que, selon la jurisprudence, l’on doit partir du principe que les salaires payés équivalent normalement à une prestation de travail correspondante (ATF 141 V 351 consid. 4.2 p. 353; 117 V 8 consid. 2c/aa p. 18). Des liens de parenté ou l’ancienneté des rapports de travail peuvent constituer des indices de la possibilité d’un salaire social (arrêt 9C_371/2013 du 22 août 2013 consid. 4.1 et la référence).

 

 

L’assuré fait valoir que, même si un employé de l’unité de Signalisation devait être rémunéré en classe 19, il ne pouvait bénéficier de cette classe de salaire puisqu’il n’avait été affecté qu’au « ponçage de panneaux », soit un aspect très limité de la fonction d’ouvrier au sein du groupe Signalisation. Il reproche aux premiers juges de ne pas avoir donné suite à sa requête portant sur l’audition du chef du SRTC alors que ce dernier aurait pu établir que l’emploi au sein du groupe Signalisation en tant que « ponceur de panneaux » ne pouvait en aucun cas bénéficier de la classe de traitement 19. Il y voit à la fois une violation de la maxime d’office (art. 61 let. c LPGA) et une violation de son droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.).

Dans son correctif apporté au courriel de l’assuré, le chef de la section Personnel, Administration et Finances du SRTC a notamment biffé les termes d’« activité occupationnelle mise à disposition pour éviter un licenciement » utilisés par l’assuré pour décrire son poste de « ponçeur de panneaux » et les a remplacés par « activité plus adaptée au handicap de [l’assuré], en accord avec le représentant de [l’assurance-accidents] ». Le chef de la section Personnel, Administration et Finances du SRTC a confirmé que l’assuré avait bénéficié de la même classe salariale pour son activité au sein de l’unité « Signalisation » que pour celle qu’il occupait précédemment comme ouvrier spécialisé. Il a en outre biffé les termes utilisés par l’assuré, d’après lesquels « ce poste supplémentaire n’est pas nécessaire et le fait d’avoir offert provisoirement une petite occupation dans le secteur Signalisation n’a été possible que parce que l’unité de personnel [de l’assuré] était toujours disponible dans le secteur entretien des routes ».

Selon le Tribunal fédéral, on ne saurait déduire de ces précisions que le travail fourni dans sa nouvelle activité au sein de l’unité Signalisation ne pouvait en aucun cas bénéficier de la classe de salaire 19. En particulier, le fait qu’il exerçait dans son nouveau poste une activité « plus adaptée à son handicap » ne permet pas d’inférer que la rémunération perçue par l’assuré n’équivalait pas aux prestations de travail correspondantes. L’assuré n’apporte aucun élément concret permettant de penser qu’il n’était pas en mesure de fournir la contrepartie du salaire perçu ou que son rendement était limité.

Le TF conclut que l’existence d’un salaire dit « social » n’apparaît pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_342/2018 consultable ici