Archives par mot-clé : Rente d’invalidité

9C_660/2024 (f) du 27.06.2025 – Capacité de travail exigible – Rapport du médecin traitant probant – Mauvaise lecture par le médecin du SMR / Appréciation arbitraire des faits et des preuves par le tribunal cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_660/2024 (f) du 27.06.2025

 

Consultable ici

 

Capacité de travail exigible – Rapport du médecin traitant probant – Mauvaise lecture par le médecin du SMR / 16 LPGA – 43 LPGA

Appréciation arbitraire des faits et des preuves par le tribunal cantonal

 

Résumé
Assurée, née en 1982, souffrant d’un syndrome de type angiome Klippel-Trenaunay de la jambe droite. L’office AI a nié le droit à des mesures professionnelles et à la rente, confirmé par la juridiction cantonale. Sur la base des pièces, le Tribunal fédéral a été retenu que le SMR avait mal interprété l’avis de l’angiologue traitant, qui a précisé qu’il ne serait pas possible de travailler assise une journée complète et a limité la capacité à environ quatre heures par jour. L’appréciation cantonale des preuves a été jugée arbitraire; une expertise médicale indépendante doit être mise en œuvre et la cause a été renvoyée à l’office AI.

 

Faits
En octobre 2021, assurée, née en 1982, a présenté une demande de prestations de l’assurance-invalidité. Elle y indiquait souffrir depuis la naissance d’un syndrome de type angiome Klippel-Trenaunay sur toute la jambe droite. Après avoir en particulier sollicité des renseignements auprès des médecins traitants de l’assurée, qu’il a soumis à son SMR, l’office AI a nié le droit de l’intéressée à des mesures d’ordre professionnel et à une rente.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 15.10.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Les juges cantonaux ont d’abord constaté que le médecin traitant spécialiste en médecine interne générale et en angiologie avait indiqué que l’assurée disposait d’une capacité de travail de 50% dans son activité habituelle de responsable de fabrication auprès de D.__ Sàrl, respectivement de 100% dans une activité entièrement adaptée à ses limitations fonctionnelles. Ils ont ensuite considéré qu’aucune raison ne permettait de « s’écarter » de l’appréciation probante du médecin du SMR, selon laquelle l’assurée disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité légère et adaptée. En particulier, l’avis de l’angiologue traitant ne contredisait pas les conclusions du médecin du SMR quant à l’exigibilité de l’exercice à 100% d’une activité entièrement adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assurée, à savoir un emploi sédentaire où celle-ci pourrait rester assise toute la journée et le cas échéant effectuer des pauses régulières pour allonger sa jambe droite. Après avoir confirmé le taux d’invalidité arrêté par l’office intimé à 38%, la juridiction cantonale a finalement nié le droit de l’assurée à une rente, ainsi qu’à des mesures de réadaptation.

Consid. 5.1
En l’occurrence, en ce qu’elle a considéré que l’avis du médecin traitant spécialiste en médecine interne générale et en angiologie ne contredisait pas les conclusions du médecin du SMR, selon lesquelles une activité entièrement adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assurée était exigible à 100%, la juridiction cantonale a apprécié arbitrairement les faits et les preuves. Elle s’est fondée sur l’avis du médecin du SMR, qui, appelé à se prononcer au sujet des conclusions de l’angiologue traitant, avait admis que son confrère avait apprécié la situation de sa patiente en ce sens qu’elle disposait d’une capacité de travail de 50% au maximum « dans l’activité habituelle (plutôt debout) » et de 100% « dans une activité plutôt assise ».

Or tels ne sont pas les propos de l’angiologue traitant. Dans son rapport, le médecin traitant n’a en effet pas indiqué que l’assurée disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée (même assise ou plutôt assise). Après avoir d’abord rappelé qu’en 2008, il s’était adressé à l’employeur de sa patiente afin de lui signifier qu’elle « devrait avoir au moins 50% de son activité en position assise », l’angiologue traitant a décrit l’« évolution sur 13 ans », en faisant état d’une « diminution de la capacité de travail lié[e] aux douleurs du [membre inférieur droit] de plus en plus importantes ». Dans ce contexte, le médecin traitant a indiqué que l’atteinte angiomateuse du réseau veineux profond ne pouvait bénéficier d’aucun traitement en dehors de la contention et de l’hygiène veineuse et qu’il « ne serait pas possible de travailler assise une journée complète »; il a précisé à ce propos qu’il pensait clairement que l’on ne pouvait pas attendre de l’assurée plus de quatre heures par jour de travail dans son activité et dans toute activité d’ailleurs. À cet égard, la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle cette « précision » de l’angiologue traitant ne reposait sur aucune explication et semblait dès lors être principalement fondée par la relation de confiance particulière le liant à sa patiente, ne peut pas être suivie.

Consid. 5.2
On rappellera que le fait, tiré de l’expérience de la vie, qu’en raison du lien de confiance (inhérent au mandat thérapeutique) qui l’unit à son patient, le médecin traitant est généralement enclin à prendre parti pour celui-ci (ATF 135 V 465 consid. 4.5; 125 V 351 consid. 3a/cc) ne libère pas le juge de son devoir d’apprécier correctement les preuves, ce qui suppose de prendre également en considération les rapports versés par l’assuré à la procédure. Le juge doit alors examiner si ceux-ci mettent en doute, même de façon minime, la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance. Lorsque, comme en l’occurrence, une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis motivé d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes quant à la fiabilité et à la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis. Il y a lieu de mettre en oeuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA (ou une expertise judiciaire; ATF 135 V 465 consid. 4.5 et 4.6; arrêt 9C_553/2023 du 14 novembre 2024 consid. 3.2 et les références). Aussi la cause doit-elle être renvoyée à l’office AI pour ce faire. Le recours est bien fondé.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_660/2024 consultable ici

 

 

 

8C_55/2025 (f) du 28.05.2025 – Gain assuré pour la rente d’invalidité LAA – Gain assuré après une période de chômage / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA – 24 al. 1 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_55/2025 (f) du 28.05.2025

 

Consultable ici

 

Gain assuré pour la rente d’invalidité LAA – Gain assuré après une période de chômage / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA – 24 al. 1 OLAA

Calcul du gain assuré – Année précédant l’accident divisée en plusieurs périodes

 

Résumé
Assurée, engagée dans une boulangerie le 25.10.2018, qui s’est blessée à la main droite le 29.01.2019. Dans l’année précédant l’accident, elle a perçu des indemnités de chômage (jusqu’en 05.2018), puis des prestations cantonales en cas de maladie jusqu’à l’engagement. En raison d’un précédant accident, elle a perçu des IJ LAA du 26.11.2018 au 28.01.2019, l’accident litigieux étant survenu le 29.01.2019. Le gain assuré a été calculé en divisant l’année précédant l’accident en plusieurs périodes et non en annualisant le salaire mensuel (x13) comme vendeuse dans la boulangerie. Le recours de l’assurance-accidents est admis.

 

Faits
Assuré a été engagée en qualité de vendeuse auprès de la boulangerie B.__ à compter du 25.10.2018. Le 29.01.2019, elle s’est blessée à la main droite en tentant de récupérer un objet tombé dans un pétrin de boulangerie.

Par décision du 10.10.2022, l’assurance-accidents a mis un terme, au 13.04.2022, au paiement des indemnités journalières ainsi qu’aux soins médicaux et a alloué à l’assurée une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 44’450 francs. Par décision du 02.03.2023, elle a nié le droit à une rente d’invalidité. Le 23.01.2024, l’assurance-accidents a partiellement admis les oppositions formées contre les décisions précitées, en ce sens qu’elle a reconnu le droit de l’assurée à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 22% à compter du 01.05.2022, calculée sur la base d’un gain assuré de 28’790 fr. 25.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1038/2024 – consultable ici)

Par jugement du 18.12.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition litigieuse en ce sens que le montant du gain assuré était fixé à 68’100 francs.

 

TF

Consid. 4.1
Les rentes sont calculées d’après le gain assuré (art. 15 al. 1 LAA). Est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (art. 15 al. 2, seconde phrase, LAA). L’art. 22 al. 4 OLAA prévoit notamment que si les rapports de travail ont duré moins d’une année, le salaire reçu au cours de cette période est converti en gain annuel (deuxième phrase); on présume que l’assuré aurait travaillé toute l’année aux mêmes conditions. La règle de l’art. 22 al. 4, deuxième phrase, OLAA a pour but de combler les lacunes de salaire, du point de vue temporel, résultant du fait que la personne assurée n’a pas perçu de salaire pendant toute l’année précédant l’accident. Elle est applicable lorsque, notamment, la personne assurée n’a pas travaillé toute l’année par exemple en raison d’un changement d’activité ou de reprise d’un emploi ou lorsqu’elle a obtenu un congé non payé durant l’année qui a précédé l’accident (VOLLENWEIDER/BRUNNER, in Basler Kommentar zum UVG, 2019, n. 76 ad art. 15; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Soziale Sicherheit, SBVR, vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 957 n. 182).

Consid. 4.2
Conformément à la délégation de compétence de l’art. 15 al. 3 LAA, le Conseil fédéral a édicté des dispositions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux. Ces dispositions ont pour but d’atténuer la rigueur de la règle du dernier salaire reçu avant l’accident, lorsque cette règle pourrait conduire à des résultats inéquitables ou insatisfaisants (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 959 n. 183). Pour les rentes, l’art. 24 al. 1 OLAA prévoit que si, au cours de l’année qui précède l’accident, le salaire de l’assuré a été réduit par suite de service militaire, de service civil, de service de protection civile, ou par suite d’accident, de maladie, de maternité, de chômage ou de réduction de l’horaire de travail, le gain assuré est celui que l’assuré aurait reçu sans la survenance de ces éventualités. En d’autres termes, l’art. 24 al. 1 OLAA vise les situations dans lesquelles l’assuré a subi, durant l’année de référence, une perte de salaire en raison de l’une des éventualités énumérées (ATF 137 V 405 consid. 4.4). Le but de cette disposition consiste à prévoir une réglementation spéciale en faveur des assurés qui, pour une période déterminée, sont privés d’une moyenne constante de temps de travail en raison d’un événement empêchant de manière involontaire la « durée normale du travail » (ATF 114 V 113 consid. 3a).

Consid. 5 [résumé]
Les juges cantonaux ont examiné la situation de l’assurée pour l’année ayant précédé l’accident (29.01.2018-28.01.2019). Selon l’extrait de compte individuel, l’assurée avait perçu des indemnités de chômage d’avril 2017 à mai 2018 ; de juin à septembre 2018, elle n’avait perçu ni indemnité ni revenu. Le premier gain après le chômage provenait de la nouvelle activité auprès de la boulangerie B.__ dès le 25.10.2018, dans le cadre d’un contrat de durée indéterminée et pour un revenu mensuel de 4’500 fr., versé treize fois l’an (contrat de travail du 25.10.2018; déclaration d’accident du 17.04.2019). Selon les fiches de salaires, elle avait perçu des indemnités journalières LAA du 26.11.2018 au 28.01.2019 et avait repris le travail le 29.01.2019, jour de l’accident. Il a été retenu que, même si une période de chômage avait bien existé dans l’année de référence, l’accident était survenu après la reprise d’une activité lucrative nouvelle, prévue pour une durée indéterminée, et mieux rémunérée que l’activité antérieure au chômage (gain total de 1’881 fr. pour janvier-mars 2017). Dans ces circonstances, la règle spéciale de l’art. 24 al. 1 OLAA ne trouvait pas application pour tenir compte du revenu perçu avant le chômage. En revanche, le salaire de la nouvelle activité ayant été réduit par suite d’accident, il y avait lieu d’appliquer l’art. 24 al. 1 OLAA afin de prendre en considération le gain que l’assurée aurait réalisé sans cet événement, le gain assuré déterminant se fondant exclusivement sur le revenu dû auprès de la boulangerie B.__ et devant être annualisé selon l’art. 22 al. 4, deuxième phrase, OLAA. Au gain annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. x 13) il convenait d’ajouter les allocations familiales pour deux enfants, soit 9’600 fr. (400 fr. x 2 x 12), de sorte que le gain assuré s’élevait à 68’100 fr., ce qui justifiait de renvoyer la cause à l’assurance-accidents pour un nouveau calcul de la rente d’invalidité fondé sur ce montant.

Consid. 6 [résumé]
L’assurance-accidents conteste le montant retenu et soutient qu’il devrait être tenu compte, au titre du gain assuré, du revenu réalisé avant le chômage, en application de l’art. 24 al. 1 OLAA. Le raisonnement des juges cantonaux ne correspondrait ni à la volonté du législateur et du Conseil fédéral, ni à la jurisprudence, et procéderait d’une interprétation erronée de l’arrêt 8C_879/2008 du 5 février 2009 – cité par la doctrine (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 966 n. 188) – aux termes duquel, pour la période de chômage durant l’année précédant l’accident, il faudrait se baser sur le salaire réalisé avant le chômage et, dès la reprise du travail, sur le gain réalisé auprès du nouvel employeur, le fait qu’un assuré perçoive ensuite un salaire supérieur ou inférieur n’étant pas déterminant. La méthode cantonale placerait l’assurée dans une situation plus favorable que celle qui existerait sans la période de chômage et contreviendrait, sans motif valable, aux principes de l’équivalence (primes-prestations) et de l’égalité de traitement. Il conviendrait au contraire de scinder l’année précédant l’accident en deux périodes : la période de chômage (29.01.2018–24.10.2018, soit 269 jours), dont le gain assuré devrait être calculé sur la base du revenu de 1’881 fr. 75 réalisé avant le chômage, adapté à l’évolution des salaires 2018 (5’824 fr. 70), et la période auprès de la boulangerie B.__ pour les jours restants (15’226 fr.). En ajoutant les allocations familiales de 9’600 fr., le gain assuré total se chiffrerait à 30’650 fr. 70.

Consid. 7.1
Les critiques de l’assurance-accidents relatives à la détermination du gain assuré sont fondées. En effet, on ne peut suivre le point de vue de la cour cantonale selon lequel l’art. 24 al. 1 OLAA serait inapplicable lorsque la personne assurée perçoit dans sa nouvelle activité un revenu qui est supérieur à celui obtenu avant son chômage. Ce raisonnement traduit une interprétation erronée de la jurisprudence. Il ressort à cet égard du considérant 3b de l’arrêt U 108/92 rendu le 4 août 1993 par le Tribunal fédéral des assurances, partiellement publié dans RAMA 1994 n° U 179 p. 32, et qui a été confirmé par l’arrêt 8C_879/2008 du 5 février 2009, que le gain assuré ne peut être déterminé, après une période de chômage, uniquement sur la base du salaire perçu dans la nouvelle activité, en annualisant ce montant. On précisera encore, s’agissant particulièrement de l’arrêt 8C_879/2008, que le litige soumis au Tribunal fédéral portait sur le calcul du gain annuel assuré d’une personne qui, dans l’année précédant l’accident, avait repris une nouvelle activité lucrative après une période de chômage, dans un poste dans lequel elle percevait un revenu inférieur à celui qu’elle avait obtenu pour l’activité exercée avant le chômage. Le salaire effectivement perçu dans la nouvelle activité était déterminant pour le calcul du gain assuré à partir du début des relations de travail correspondantes. En effet, le salaire n’était plus diminué en raison du chômage. En revanche, pour la période antérieure à l’exercice de cette activité, le gain assuré devait être déterminé en fonction du revenu réalisé avant le chômage. En vertu de l’art. 24 al. 1 OLAA, ce gain était également valable pour la période de chômage qui a suivi (consid. 3.2; cf. également FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 964 n. 186).

Consid. 7.2
Il convient encore de rectifier d’office les constatations de la cour cantonale quant au fait que l’assurée n’a perçu ni indemnité ni revenu entre juin et septembre 2018 qui sont manifestement erronées. Il ressort des décomptes de prestations figurant au dossier qu’entre avril 2017 et mai 2018, l’assurée a bénéficié d’indemnités journalières de l’assurance-chômage puis, jusqu’en octobre 2018, d’indemnités versées par le Service des prestations cantonales en cas de maladie (PCM) de l’Office cantonal genevois de l’emploi (OCE) (pour les prestations cantonales en cas d’incapacité passagère, totale ou partielle, de travail: cf. art. 8 ss de la loi cantonale genevoise en matière de chômage du 11 novembre 1983 [LMC]; RS/GE J 2 20). Dès lors que les prestations cantonales en cas de maladie couvrent l’une des éventualités énumérées à l’art. 24 al. 1 OLAA – qui définit de manière exhaustive les pertes de salaire temporaires à prendre en compte pour déterminer le gain assuré déterminant -, cette disposition s’applique pour cette période.

Consid. 7.3
Ainsi, durant l’année qui a précédé l’accident, entre le 29.01.2018 et le 28.01.2019, l’assurée a perçu des indemnités de chômage puis des indemnités pour perte de gain maladie, avant de reprendre un emploi à plein temps auprès de la boulangerie B.__. Au vu de la jurisprudence exposée au considérant 7.1, pour déterminer le gain assuré, il convient donc de diviser cette année en plusieurs périodes.

Consid. 7.3.1
Au cours d’une première période, à savoir entre le 29.01.2018 et mai 2018, le salaire a été réduit en raison du chômage. Il se justifie de se fonder sur le revenu que l’assurée réalisait avant son chômage, soit le montant de 1’881 fr. 75 perçu entre janvier et mars 2017, conformément aux fiches de salaires transmises par l’ancien employeur. Ce montant s’applique non seulement à la période de chômage, mais également à la période de maladie qui a suivi, en vertu de l’art. 24 al. 1 OLAA. Pris en considération pour 269 jours (du 29.01.2018 au 24.10.2018) et adapté selon l’indexation des salaires nominaux en 2018 (+0.5%; tableau T1.2.15, ligne total), on obtient un gain assuré de 5’575 fr. 05 ([1’881 fr. 75 + 0.5% / 3 x 12] / 365 x 269).

Consid. 7.3.2
Pour la période du 25.10.2018 au 28.01.2019 (soit 96 jours), le revenu annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. x 13) auprès de la boulangerie B.__ est à prendre en compte. Non contesté par les parties, il est fait application de l’art. 24 al. 1 OLAA pour cette période, lors de laquelle l’assurée a également perçu pour un temps des indemnités en raison d’un (autre) accident. Le gain assuré équivaut ainsi à 15’386 fr. 30 (58’500 fr. / 365 x 96).

Consid. 7.3.3
En tenant compte des allocations familiales de 9’600 fr. (cf. art. 22 al. 2 let. b OLAA) – reconnues par l’assurance-accidents -, le gain annuel assuré de l’assurée doit être fixé à 30’561 fr. 35 (5’575 fr. 05 + 15’386 fr. 30 + 9’600 fr.).

Consid. 7.4
L’assurance-accidents a conclu a un gain annuel assuré (supérieur) de 30’650 fr. 70. Il y a lieu de confirmer ce montant. En effet, le Tribunal fédéral, qui est lié par les conclusions que les parties prennent devant lui, ne peut allouer davantage ou autre chose que demandé, ni moins que ce qu’une partie a reconnu devoir (GRÉGORY BOVET, Commentaire de la LTF, 3 e éd., n° 7 ad art. 107). Il ne se justifie pas de sortir du cadre délimité par les conclusions de l’assurance-accidents.

Consid. 7.5
En conclusion, le recours se révèle bien fondé et l’arrêt attaqué doit être réformé en ce sens que le montant du gain annuel assuré servant de base de calcul à la rente d’invalidité de 22% est fixé à 30’650 fr. 70.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_55/2025 consultable ici

 

 

8C_419/2024 (f) du 26.05.2025 – Rente d’invalidité – Rechute – Capacité de travail exigible – Effets secondaires habituels et notoirement connus de la forte médication antalgique prescrite à l’assurée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_419/2024 (f) du 26.05.2025

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Rechute / 16 LPGA – 11 OLAA

Capacité de travail exigible – Effets secondaires habituels et notoirement connus de la forte médication antalgique prescrite à l’assurée

Valeur probante de l’expertise médicale judiciaire – Frais d’expertise judiciaire à charge de l’assurance-accidents

 

Résumé
À la suite d’un accident survenu en 1988 et de multiples interventions à la hanche gauche, l’état de santé s’est aggravé dès 2016 sous forme de coxodynies chroniques, avec boiterie de type Trendelenburg, limitations marquées (positions tolérées < 30 minutes, périmètre de marche < 20 minutes) et effets secondaires d’une forte médication antalgique. L’expertise judiciaire a confirmé la cohérence de ces atteintes avec le traumatisme et les chirurgies, retenu qu’une capacité de 50% avait subsisté jusqu’en 2018, puis qu’aucune activité, même sédentaire avec alternance des positions, n’était plus exigible en raison des douleurs et des troubles de la concentration et de la vigilance. La cour cantonale a accordé une « rente entière », après stabilisation fin septembre 2019, et a mis les frais d’expertise à la charge de l’assureur-accidents en raison de lacunes et contradictions des appréciations médicales administratives. Le recours de l’assureur-accidents a été rejeté par le TF.

Cf. également mon commentaire en fin d’article.

 

Faits
Le 03.08.1988, l’assurée, née en 1969 et employée comme téléphoniste, a perdu la maîtrise de son véhicule et a percuté un arbre, ce qui lui a occasionné une fracture comminutive diaphysaire du fémur gauche ainsi qu’une fracture trimalléolaire à gauche. Par décision du 12.11.1990, l’assurance-accidents lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 15%, sans rente dès lors que les séquelles ne réduisaient pas sa capacité de gain de manière importante.

En raison d’un raccourcissement du fémur gauche et d’un défaut d’axe de rotation dus aux suites de la première opération, elle a annoncé plusieurs rechutes (1991, 1992, 1994, 1995), prises en charge. Par décision du 28.02.1997, une rente d’invalidité LAA a été octroyée dès le 01.11.1996, fondée sur une incapacité de gain de 50%.

Le 30.08.2016, l’employeuse auprès de laquelle l’assurée travaillait comme téléopératrice à 50% a communiqué une nouvelle rechute de l’accident du 03.08.1988. En incapacité de travail totale, elle se plaignait de douleurs lombaires basses et de douleurs à la hanche gauche et a consulté plusieurs spécialistes. Selon ceux-ci, il existait deux problématiques : l’une lombaire (mal-alignement lombo-sacré avec hypolordose L4–S1), l’autre à la hanche gauche (insuffisance chronique des abducteurs sur rupture des tendons moyen et petit; dégénérescence graisseuse du moyen fessier, stade IV selon Goutallier).

En avril 2017, le docteur F.__ a pratiqué une arthrodèse L4–S1. L’assurance-accidents a refusé de prester pour les troubles du dos, mais a accepté la prise en charge de l’opération du 20.02.2018 par le docteur E.__ (exploration de la péri-hanche gauche avec cure de hernie fasciale et bursectomie trochantérienne) ainsi que l’incapacité en découlant. Selon ce médecin, l’intervention avait amélioré la fonction de la hanche, mais des douleurs persistaient autour de la péri-hanche gauche.

En août 2019, le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique, a procédé à un examen final. Dans son rapport du 02.09.2019, complété le 30.09.2019, il a considéré l’état stabilisé et a retenu des limitations fonctionnelles (pas de marche et de station debout ou assise prolongées supérieures à 30 minutes, pas d’accroupissement et d’agenouillement, port de charges extrêmement limité, position assise limitée à 20 minutes). Tout en relevant que de moindres surcharges mécaniques entraînaient des douleurs rendant toute activité impossible et nécessitant une période de repos de plusieurs mois, il a indiqué qu’une activité sédentaire avec alternance assise/debout était exigible. Il a estimé qu’il n’y avait pas lieu de revoir le taux d’atteinte à l’intégrité de 15% fixé en 1990.

L’assurance-accidents a mis fin au paiement des soins médicaux et des indemnités journalières dès le 01.10.2019. Par décision du 21.11.2019, elle a refusé d’augmenter la rente d’invalidité LAA, considérant l’absence d’aggravation notable. L’assurée a formé opposition, en produisant notamment un rapport du docteur G.__ du 23.06.2020 faisant état d’une lésion évolutive de la hanche et de la fesse gauches depuis l’accident, entraînant une incapacité de travail majeure. Sur la base d’une nouvelle appréciation du médecin-conseil du 27.11.2020, l’assurance-accidents a écarté l’opposition (décision sur opposition du 11.12.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/513/2024 – consultable ici)

Dans le cadre de son recours, l’assurée a produit plusieurs rapports médicaux, dont un rapport du 10.07.2018 du docteur F., selon lequel elle souffrait essentiellement d’une douleur fessière gauche et les lombalgies, certes liées à une atteinte dégénérative, étaient également influencées par la boiterie en rapport avec la lésion de la musculature fessière gauche.

La cour cantonale a mis en œuvre une expertise médicale judiciaire (mandat au professeur J.).

Par arrêt du 26.06.2024, la cour cantonale a admis partiellement le recours en ce sens que l’assurée a droit à une rente entière d’invalidité LAA dès le 01.10.2019 et a mis les frais de l’expertise judiciaire, par 7’754 fr. 40, à la charge de l’assurance-accidents.

 

TF

Consid. 3
(…) S’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, on rappellera que le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et la référence citée).

Consid. 4 [résumé]
En substance, l’expert judiciaire a constaté que les tendinopathies des fessiers, la hernie du fascia lata, la bursite prétronchantérienne, l’ossification hétérotopique (opérée en 2012) ainsi que l’insuffisance chronique des adducteurs avec rupture des muscles moyen et petit fessiers (opérée en 2018) étaient en relation de causalité avec les interventions chirurgicales à la hanche gauche et avec la boiterie de type Trendelenburg à gauche, source de surcharge musculaire. Il a retenu qu’une aggravation était survenue depuis 2016 sous la forme de coxodynies chroniques prédominant sur les lombalgies, empêchant de rester assise/couchée/debout plus de 30 minutes, d’effectuer des accroupissements, limitant la force et la mobilité du membre inférieur gauche et réduisant le périmètre de marche à moins de 20 minutes; la station assise le dos droit était impossible en raison de tensions trochantériennes influençant les maux de dos; la montée des escaliers se faisait marche par marche et le port de charges était limité. Les plaintes et limitations décrites étaient cohérentes avec les lésions anatomiques, explicables par le traumatisme et les chirurgies subies.

Interpellé sur la capacité de travail dans l’activité habituelle en lien (probable) avec l’accident de 1988 et son évolution, il a déclaré qu’au vu de l’examen clinique et de l’anamnèse, l’assurée, qui avait pu maintenir une capacité de 50% jusqu’en 2018, n’était plus en mesure de reprendre son activité professionnelle, cette incapacité étant en lien direct avec les coxodynies gauches. À la question de la capacité dans une activité adaptée, il a répondu qu’aucune activité n’était compatible avec des douleurs chroniques obligeant à changer de position tous les quarts d’heure et avec l’usage d’opiacés susceptibles d’entraîner des troubles de la concentration et de la vigilance.

Consid. 5 [résumé]
La cour cantonale a considéré que l’expertise judiciaire répondait aux réquisits jurisprudentiels permettant de lui reconnaître une pleine valeur probante et qu’il n’y avait aucun motif de s’en écarter. Se fondant sur les conclusions du professeur J.__, elle a retenu que l’état de santé de l’assurée en lien avec l’accident de 1988 s’était aggravé au point de la rendre incapable d’exercer une quelconque activité professionnelle. Partant, elle a jugé que l’assurée, dont l’état s’était stabilisé à la fin septembre 2019, avait droit à une « rente entière » d’invalidité à compter du 1er octobre 2019.

Consid. 6.2 [résumé]
Selon la jurisprudence, c’est la tâche du médecin de porter un jugement sur l’état de santé, en particulier d’indiquer dans quelle mesure celui-ci a évolué et pour quelles activités l’assuré est incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2; 125 V 256 consid. 4 et les arrêts cités).

La lecture des considérations de l’expert judiciaire montre qu’il constate une aggravation des séquelles depuis 2016 et qu’il considère, vu l’importance et le caractère difficilement contrôlable des coxodynies obligeant à changer de position tous les quarts d’heure, que la capacité de travail est désormais marginale et, partant, inexploitable. En cela, l’expert judiciaire a porté un jugement sur l’évolution de l’état de santé et la capacité de travail de l’assurée qui relève de son champ de compétence quoi qu’en dise l’assurance-accidents.

On peut au demeurant relever que, dans ses appréciations médicales, le médecin-conseil a lui-même souligné que de moindres surcharges mécaniques étaient de nature à entraîner des douleurs rendant toute activité impossible et nécessitant une période de repos et de traitement de l’ordre de quelques mois. C’est d’ailleurs un des motifs qui ont conduit la cour cantonale à ordonner une expertise judiciaire, y voyant une contradiction avec le fait que le médecin-conseil avait néanmoins conclu à l’exigibilité d’une activité sédentaire avec alternance assise/debout.

Quant aux troubles de la concentration et de la vigilance évoqués par l’expert judiciaire, il s’agit d’effets secondaires habituels et notoirement connus de la forte médication antalgique prescrite à l’assurée.

Il s’ensuit qu’en l’absence de raisons de s’écarter de l’expertise judiciaire (cf. consid. 3 supra), la cour cantonale était fondée à en suivre les conclusions.

Consid. 8.2
Selon la jurisprudence, les frais d’expertise peuvent être mis à la charge de l’assurance-invalidité ou de l’assureur-accidents lorsque les résultats de l’instruction mise en oeuvre dans la procédure administrative n’ont pas une valeur probatoire suffisante pour trancher des points juridiquement essentiels (ATF 139 V 225 consid. 4.3; 137 V 210 consid. 4.4.1 et 4.4.2). Cette règle ne saurait toutefois entraîner la mise systématique des frais d’une expertise judiciaire à la charge de l’autorité administrative. Encore faut-il que l’autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l’expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d’instruction administrative. En d’autres termes, il doit exister un lien entre les défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mettre en oeuvre une expertise judiciaire. En revanche, lorsque l’autorité administrative a respecté le principe inquisitoire et fondé son opinion sur des éléments objectifs convergents ou sur les conclusions d’une expertise qui répondait aux exigences jurisprudentielles, la mise à sa charge des frais d’une expertise judiciaire ordonnée par l’autorité judiciaire de première instance, pour quelque motif que ce soit (à la suite par exemple de la production de nouveaux rapports médicaux ou d’une expertise privée), ne saurait se justifier (ATF 143 V 269 consid. 3.3; 140 V 70 consid. 6.1; 139 V 496 consid. 4.4).

Consid. 8.3 [résumé]
En l’espèce, la cour cantonale a motivé la mise à charge des frais par des lacunes caractérisées dans les appréciations du médecin-conseil relevées dans son ordonnance d’expertise, qui avaient rendu nécessaire une expertise judiciaire. L’assurance-accidents ne discute pas cette motivation et se borne à affirmer que son médecin-conseil s’est prononcé « de manière approfondie ». On ne peut que confirmer le point de vue cantonal : les considérations du médecin-conseil ont varié et manquent de cohérence. Dans ses appréciations de septembre 2019, il souligne que de moindres surcharges mécaniques risquent de provoquer une incapacité de travail de longs mois, ce qui contredit l’exigibilité d’une reprise d’activité professionnelle dans la même mesure qu’auparavant; dans son appréciation de novembre 2020, il admet des limitations plus conséquentes mais les attribue ni au membre inférieur gauche ni au rachis, évoquant une surcharge due à un déséquilibre bassin–rachis et à une dysplasie fémoro-acétabulaire, diagnostic absent du dossier. Dans ces conditions, l’avis du médecin-conseil, sur lequel reposait la décision sur opposition, ne pouvait avoir valeur probante et une instruction complémentaire s’imposait. L’appréciation sur dossier produite par l’assureur-accidents en procédure cantonale ne saurait y pallier. Les frais de l’expertise judiciaire ont donc été mis à juste titre à la charge de l’assurance-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_419/2024 consultable ici

 

 

Commentaire

A mes yeux, cet arrêt présente un double intérêt.

Premièrement, il confirme le rôle essentiel du médecin-expert dans l’évaluation de la capacité résiduelle de travail. Le médecin-expert reste dans son champ de compétence lorsqu’il conclut à l’inexistence d’une capacité de travail exploitable. En l’espèce, les limitations fonctionnelles et les douleurs chroniques, attestées médicalement et démontrées par un examen clinique complet, constituent précisément la matière sur laquelle le médecin doit se prononcer. Le médecin-expert peut ainsi conclure à l’inexistence d’une capacité de travail exploitable (consid. 6.2 de l’arrêt du Tribunal fédéral). Par conséquent, lorsque l’expert judiciaire constate que les douleurs, la nécessité de changer continuellement de position et d’autres limitations rendent toute activité impraticable, ses conclusions s’imposent au juge, sauf contradiction manifeste ou lacune patente.

Deuxièmement, l’arrêt souligne l’importance particulière des effets secondaires d’une médication antalgique lourde, comme la morphine et ses dérivés (cf. l’arrêt du tribunal cantonal ATAS/513/2024 consid. 4.1.5). Ces substances sont notoirement connues pour altérer la concentration et la vigilance (consid. 6.2 de l’arrêt du Tribunal fédéral). Le Tribunal fédéral rappelle qu’il s’agit d’éléments médicaux objectivement constatables et parfaitement intégrés dans l’analyse de la capacité de travail. En d’autres termes, on ne saurait examiner exclusivement les limitations fonctionnelles « mécaniques » (comme la boiterie ou la réduction du périmètre de marche) sans considérer simultanément les conséquences induites par la médication indispensable au contrôle des douleurs. Il incombe donc au médecin-expert, au médecin traitant ou au médecin-conseil d’évaluer ces effets secondaires et d’en tenir compte dans les limitations fonctionnelles et dans l’estimation de la capacité de travail exigible.

En définitive, cet arrêt apporte une clarification précieuse. D’une part, le médecin-expert agit dans son rôle lorsqu’il conclut à l’absence de toute capacité de travail exploitable en raison de limitations sévères. D’autre part, une forte médication antalgique doit être prise en compte dans l’évaluation de la capacité de travail, ses effets secondaires étant notoirement connus.

 

 

9C_707/2020 (f) du 11.05.2021 – Décès de la personne assurée en cours d’instruction de la demande AI – Sort des prestations – Succession / Pas de nullité de la décision du fait du décès – antérieure – de la personne assurée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_707/2020 (f) du 11.05.2021

 

Consultable ici

 

Décès de la personne assurée en cours d’instruction de la demande AI – Sort des prestations – Succession / 560 CC – 566 CC

Pas de nullité de la décision du fait du décès – antérieure – de la personne assurée

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a jugé qu’en cas de décès de l’assurée en cours d’instruction d’une demande de prestations AI, la décision peut valablement être rendue postérieurement au décès et notifiée à la succession. Le droit à la rente d’invalidité, n’étant pas strictement personnel, entre dans la succession s’il existe encore au moment du décès. Les héritiers, ayant accepté la succession, sont pleinement titulaires des droits de la défunte et peuvent se voir notifier tant le projet que la décision. La notification à la succession ne viole ni les règles de procédure ni le droit d’être entendu, dès lors que les héritiers ont été mis en mesure de s’exprimer avant la décision et qu’ils ont reçu les informations nécessaires, même si le projet de décision manquait de précision quant à sa forme.

Faits
Au début du mois de mars 2017, l’employeur a signalé à l’AI le cas de son employée A.__, née en 1955 et atteinte d’un cancer. À la suite du dépôt d’une demande de prestations en juillet 2017, l’office AI a recueilli plusieurs avis médicaux. Il a également obtenu des renseignements économiques de l’employeur.

L’assurée est décédée en 2018, et ses filles, B.__ et C.__, ont accepté la succession. Le 25.09.2018, la caisse de pension a informé B.__ qu’elle lui verserait un capital de 209’946 fr. 95 en lien avec le décès de leur mère. Le 26.04.2019, l’office AI a transmis un projet de décision à la Justice de Paix, indiquant son intention d’octroyer une rente entière d’invalidité à l’assurée dès le 01.01.2018, sur la base d’un taux d’invalidité de 100%, une incapacité de travail étant médicalement attestée dès avril 2015; la prestation devait être limitée au 30.04.2018. Une copie de la décision a été adressée notamment à B.__, C.__ et à la caisse de pension.

Par courrier du 09.07.2019, la caisse de pension a demandé à C.__ la restitution du capital versé par erreur, n’ayant pas eu connaissance d’une demande AI en cours, feu l’assurée ne pouvant plus être considérée comme membre salariée mais comme membre pensionnée. Par décision du 15.08.2019, l’office AI a reconnu le droit de feu l’assurée à une rente entière d’invalidité du 01.01.2018 au 30.04.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 305/19 – 308/2020 – consultable ici)

Par jugement du 02.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1 [résumé]
Le litige porte sur la validité de la décision du 15.08.2019, B.__ et C.__, recourantes, soutenant sa nullité de plein droit au motif que le projet de décision du 26.04.2019 se rapportait à une personne décédée depuis le 13.04.2018. Selon elles, cette irrégularité entachait également la décision subséquente.

Consid. 2.2
Conformément à l’art. 31 al. 1 CC, la personnalité finit avec la mort. Au jour du décès, les héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession (art. 560 CC). Le droit à une rente de l’assurance-invalidité n’est pas un droit strictement personnel (cf. ATF 99 V 165 consid. 2b), de sorte qu’il entre dans la succession, dans la mesure où il existe (soit est encore en suspens) au moment du décès (ATF 136 V 7 consid. 2.1.2; Hans Michael Riemer, Vererblichkeit und Unvererblichkeit von Rechten und Pflichten im Privatrecht und im öffentlichen Recht, recht 1/2006, p. 31).

Comme l’a retenu à juste titre la juridiction cantonale, au décès de l’assurée, ses deux filles – qui ont accepté leur qualité d’héritières (cf. art. 566 CC) – ont acquis de plein droit l’universalité de la succession et sont devenues pleinement titulaires des droits et obligations de la défunte, y compris de la prétention à la rente d’invalidité (cf. ATF 141 V 170 consid. 4.3). Le fait que le projet de décision, puis la décision sur la prestation de l’assurance-invalidité n’ont pas été rendus du vivant de l’assurée n’est pas déterminant et ne conduit pas à la nullité du prononcé du 15.08.2019. L’argumentation des recourantes sur ce point méconnaît qu’en vertu du principe de la saisine prévu par l’art. 560 al. 1 CC, les héritiers « entrent directement et automatiquement dans les relations juridiques de l’auteur de la succession » (SANDOZ, Commentaire romand, Code civil II, n° 7 ad art. 560 CC) et que l’objet de la succession porte aussi sur les expectatives de droit (art. 560 al. 2 CC; SANDOZ, op. cit., n° 18 ad art. 560 CC). Dans ces circonstances, l’office AI, qui avait été saisi d’une demande de prestations de l’assurée, était en droit de rendre une décision postérieurement au décès de celle-ci, portant sur le droit de feu l’assurée à une rente de l’assurance-invalidité pour la période déterminante, s’étendant jusqu’à la fin du mois d’avril 2018 (cf. art. 30 LAI).

Contrairement à ce que prétendent par ailleurs les recourantes, le projet de décision du 26.04.2019 et la décision du 15.08.2019 n’ont pas été notifiés « à une personne défunte » mais à la succession de feu l’assurée, le premier à l’adresse de la Justice de Paix compétente, la seconde à l’adresse de l’hoirie, au domicile de B.__. Leur grief tiré d’une nullité de plein droit de la décision administrative est mal fondé.

Consid. 3.2 [résumé]
Après avoir pris connaissance du décès de l’assurée, l’office AI s’était renseigné auprès de la Justice de Paix (courrier du 12.04.2019), laquelle lui avait communiqué, le 18.04.2019, les noms et adresses des héritières ayant accepté la succession. Ces dernières prenaient dès lors la place de la défunte dans la procédure (consid. 2.2 supra). Le projet aurait donc dû leur être formellement adressé, comme cela fut fait pour la décision du 15.08.2019. Toutefois, selon les constatations non contestées, elles ont bien reçu copie du projet et en ont eu connaissance, ce qui leur a permis de prendre connaissance de la position de l’office AI, y compris des modalités d’opposition. Malgré l’imprécision de l’adresse (« Mesdames, Messieurs »), le contenu et l’objet du projet étaient clairs, à savoir l’octroi d’une rente en faveur de feu l’assurée, avec indication de la possibilité de faire valoir des objections. Leur argument selon lequel elles n’auraient pas compris qu’elles pouvaient se déterminer ne saurait être retenu.

Sous l’angle de la protection contre les notifications irrégulières (cf. ATF 122 I 97 consid. 3a/aa; 111 V 149 consid. 4c et les références), il ne ressort pas que les recourantes aient été effectivement induites en erreur par une notification uniquement en copie. Le projet leur ayant été communiqué plus de trois mois avant la décision, elles disposaient de suffisamment de temps pour faire valoir leurs objections, y compris pour envisager un retrait de la demande. Le grief tiré de la violation du droit d’être entendu est mal fondé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner l’argument des recourantes quant à l’absence de possibilité de réparer le prétendu vice, voire la validité ou la portée d’un retrait de la demande de prestations qui n’a pas eu lieu jusqu’au prononcé de la décision administrative.

Consid. 4
Vu le motif soulevé par les recourantes en lien avec une « violation manifeste des principes applicables à l’évaluation de l’invalidité », le litige porte ensuite sur le bien-fondé du droit à la rente entière d’invalidité en faveur de feu l’assurée du 01.01.2018 au 30.04.2018.

Consid. 4.3
Invoquant une violation du droit fédéral et l’arbitraire dans la constatation des faits, les recourantes soutiennent que la répartition des champs d’activités propres à l’application de la méthode mixte d’évaluation aurait dû être de 50% pour l’activité lucrative et de 50% pour l’accomplissement des travaux ménagers (au lieu de 80% et 20%). Par ailleurs, l’assurée n’aurait présenté aucune invalidité pour la part ménagère mais seulement une invalidité de 50% pour la part professionnelle (50% d’un 50% ou encore 75% d’un 100%), de sorte que le taux d’invalidité maximal qui pouvait être retenu était de 25%, insuffisant pour ouvrir le droit à une rente d’invalidité.

Consid. 4.3.1 [résumé]
En l’espèce, la constatation cantonale selon laquelle l’assurée aurait exercé une activité lucrative à 80%, avec une part ménagère de 20%, ne relève pas de l’arbitraire. L’assurée avait par ailleurs déclaré, dans un questionnaire du 25.09.2017, qu’en l’absence d’atteinte à la santé, elle aurait continué à travailler à 80% ou 66%, ce dernier chiffre correspondant probablement au taux d’activité usuel dans l’enseignement public. Les affirmations contraires des recourantes sont donc mal fondées.

Consid. 4.3.2 [résumé]

Les recourantes contestaient le taux d’invalidité de 100% retenu dans la sphère professionnelle par les juges cantonaux.

Leur critique des rapports médicaux est infondée. Le Dr F.__, spécialiste en médecine interne, oncologie et hématologie, avait expliqué de manière circonstanciée l’évolution négative de la maladie justifiant les limitations fonctionnelles. De même, la prétendue absence de motivation du rapport du Dr I.__, spécialiste en médecine interne et médecin traitant, repose sur une lecture incomplète : ce dernier avait mentionné une fatigue intense en lien avec les traitements oncologiques lourds (chimiothérapie et radiothérapie) consécutifs au diagnostic posé en avril 2015.

Consid. 4.3.3 [résumé]
S’il ressort de la déclaration que l’assurée avait encore exercé partiellement une activité d’enseignement au début de l’année 2018, cela ne rend pas arbitraire la constatation d’une incapacité totale médicalement attestée dès le 01.01.2018. L’attestation du directeur, cohérente avec ses déclarations antérieures valorisant le courage de l’assurée et l’effet moral positif de quelques heures d’activité hebdomadaire, ne contredit pas les conclusions médicales, notamment celles du Dr F.__, du Dr I.__ et du SMR, attestant une incapacité totale en lien avec une aggravation clinique (progression des métastases nécessitant de nouveaux traitements). L’audition de l’employeur sollicitée par les recourantes n’aurait pas remis en cause ces éléments médicaux, rendant une instruction complémentaire inutile.

En tout état de cause, même s’il y avait lieu d’admettre que l’assurée aurait disposé d’une capacité de travail exigible de 25% tout au plus à partir du 01.01.2018 – équivalente à celle retenue pour la période antérieure -, il en résulterait un taux d’invalidité supérieur à celui de 25% invoqué par les recourantes. Indépendamment d’un éventuel empêchement pour le champ d’activités ménagères, une incapacité de travail de 75% pour la sphère professionnelle conduirait à un taux d’invalidité global de 60% ouvrant le droit à une rente d’invalidité.

 

Le TF rejette le recours de B.__ et C.__.

 

Arrêt 9C_707/2020 consultable ici

 

9C_244/2020 (f) du 05.01.2021 – Octroi initial de la rente d’invalidité limitée dans le temps / Mesures de nouvelle réadaptation / Réadaptation par soi-même – Obligation de réduire le dommage

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_244/2020 (f) du 05.01.2021

 

Consultable ici

 

Octroi initial de la rente d’invalidité limitée dans le temps / 17 LPGA – 88a al. 1 RAI

Mesures de nouvelle réadaptation (MNR) des bénéficiaires de rente / 8a LAI

Réadaptation par soi-même – Obligation de réduire le dommage

 

Assuré, né en 1983, marié et père de deux enfants, a travaillé en dernier lieu comme marqueur routier. En février 2017, il a présenté une demande de prestations de l’assurance-invalidité; il y indiquait être en incapacité de travail depuis le 15.08.2016, en raison d’une ostéonécrose avasculaire de la tête fémorale droite. L’office AI a mis en place une mesure d’intervention précoce. L’assuré s’est ensuite inscrit à l’assurance-chômage dès le 01.01.2018 et l’office AI lui a accordé une aide au placement.

A la suite d’une nouvelle incapacité de travail survenue le 29.01.2018 (récidive de hernie discale L5-S1), la caisse cantonale de chômage a mis un terme à l’indemnisation du chômage avec effet au 28.02.2018. Le 30.04.2018, l’assuré a informé l’office AI que son état de santé était à nouveau satisfaisant et a sollicité une aide au placement. L’administration lui a indiqué qu’il remplissait les conditions pour bénéficier d’une mesure de placement, et qu’elle l’informerait des démarches ultérieures et en particulier de la date d’un premier entretien. L’assuré a ensuite requis une mesure de reclassement professionnel le 30.08.2018, demande qu’il a renouvelée les 18.09.2018 et 07.11.2018. Dans l’intervalle, l’administration a recueilli des renseignements médicaux, qu’elle a soumis au médecin au Service médical régional de l’AI (SMR), qui a conclu à l’exigibilité d’une activité adaptée à 100% à partir du 24.06.2018. Après lui avoir octroyé une mesure d’orientation professionnelle dès le 14.01.2019 et un placement à l’essai dès le 14.04.2019, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité du 01.08.2017 au 30.09. 2018, assortie de deux rentes pour enfant.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 193/19 – 55/2020 – consultable ici)

Par jugement du 20.02.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2
En l’espèce, il ressort des constatations cantonales que l’assuré avait recouvré une capacité totale de travail dans une activité adaptée (travail simple et répétitif dans le domaine industriel léger ou dans la vente simple, par exemple) depuis le 24.06.2018, et qu’à partir de cette date, il n’était pas dans l’attente du début d’une formation professionnelle ou d’un reclassement. L’assuré ne remet pas en cause ces constatations. Les juges cantonaux ont également constaté que la mesure d’orientation professionnelle qui a débuté le 14.01.2019 n’avait pas pour but de déterminer si l’assuré était en mesure de mettre à profit sa capacité de travail dans une activité adaptée, mais bien de lui accorder un soutien dans ses démarches de recherche d’un emploi adapté (à ce sujet, voir arrêt 9C_707/2018 du 26 mars 2019 consid. 4.2), comme l’avait expressément indiqué l’office AI dans sa correspondance du 11.03.2019. En conséquence, c’est à bon droit que les juges cantonaux ont confirmé la suppression du droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité au 30.09.2018 (art. 17 al. 1 LPGA, art. 88a al. 1 RAI).

Consid. 4.3
L’assuré ne peut pas être suivi lorsqu’il soutient qu’il avait droit à la poursuite du versement de la rente d’invalidité au-delà du 30.09.2018, que ce soit par une application analogique de l’art. 8a LAI ou de la jurisprudence selon laquelle, dans certaines situations, des mesures d’ordre professionnel se révèlent nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique, avant de procéder à la réduction ou à la suppression du droit à une rente de l’assurance-invalidité.

Consid. 4.3.1
S’agissant d’abord de l’application des règles en matière de mesures de nouvelle réadaptation des bénéficiaires de rente (art. 8a LAI), si l’assuré admet que sa situation diffère des cas visés par celles-ci, il soutient cependant qu’il serait possible, dans son cas, de s’inspirer de ces règles pour prolonger son droit à la rente jusqu’au 14.01.2019. Quoi qu’en dise l’assuré, comme l’ont dûment rappelé les juges cantonaux, en présence d’une modification notable de l’état de santé ou de la situation professionnelle, l’office AI révise la rente, c’est-à-dire qu’il l’augmente, la réduit ou la supprime, étant rappelé que l’art. 17 LPGA sur la révision d’une rente en cours s’applique également à la décision par laquelle une rente échelonnée dans le temps est accordée avec effet rétroactif. Ce n’est que lorsqu’il n’y a pas de modification notable de l’état de santé ou de la situation professionnelle d’un bénéficiaire d’une rente d’invalidité, que l’office AI examine s’il serait possible d’améliorer la capacité de gain par des mesures appropriées (cf. Message relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [6e révision, premier volet] du 24 février 2010, FF 2010 1647 [1672 s.]). Au vu de la pleine capacité de travail recouvrée par l’assuré dans une activité adaptée dès le 24.06.2018, c’est dès lors en vain qu’il se prévaut d’une application analogique de l’art. 8a LAI.

Consid. 4.3.2
Contrairement à ce que soutient ensuite l’assuré, le seul fait qu’un assuré soit empêché de trouver un emploi adapté à son handicap ou ses limitations fonctionnelles ne suffit pas pour reconnaître le droit à des mesures de réadaptation. La réadaptation par soi-même est en effet un aspect de l’obligation de diminuer le dommage et prime aussi bien le droit à une rente que celui à des mesures de réadaptation (arrêts 9C_304/2020 du 8 juillet 2020 consid. 3; 9C_163/2009 du 10 septembre 2010 consid. 4.2.2 et les arrêts cités). En tant que l’assuré se réfère aux exceptions dans lesquelles la jurisprudence admet que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique, préalablement à la réduction ou à la suppression du droit à une rente de l’assurance-invalidité (cf. arrêts 9C_308/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2; 9C_517/2016 du 7 mars 2017 consid. 5.2 et les arrêts cités), son argumentation n’est pas non plus pertinente. Bien que cette jurisprudence soit également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5 p. 211 ss), elle ne concerne toutefois que les assurés qui sont âgés de 55 ans révolus ou qui ont bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins, ce qui n’est pas le cas de l’assuré.

Consid. 4.3.3
Certes, comme le fait également valoir l’assuré, la suppression de son droit à la rente est intervenue le 30.09.2018, soit avant la reconnaissance de son droit à une mesure d’orientation professionnelle dès le 14.01.2019. Cela étant, contrairement à ce qu’il soutient, l’office AI n’a pas tardé à se prononcer sur son droit à des mesures d’ordre professionnel, ni interrompu le « processus global de réadaptation » de manière inopportune. Il ressort à cet égard des constatations cantonales que l’assuré a, par le biais de son mandataire, sollicité des mesures de réadaptation dès le mois d’août 2018 (correspondances des 30.08.2018, 18.09.2018 et 07.11.2018), soit après le recouvrement d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée dès le 24.06.2018. Auparavant, l’assuré s’était limité à demander une aide au placement (courrier du 30.04.2018), ce qu’il ne conteste du reste pas. Partant, l’office AI, et à sa suite, les juges cantonaux, n’ont pas méconnu les principes relatifs à la réadaptation.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_244/2020 consultable ici

 

Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI

Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI

 

Article de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg, Tabea Kaderli paru in Sécurité sociale CHSS du 19.09.2024 consultable ici

 

Depuis l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves en 2015, les offices AI examinent avec plus d’ouverture le droit à la rente en cas de troubles psychiques. Aujourd’hui, cette catégorie d’assurés constitue près de la moitié de l’effectif des bénéficiaires de rente.

Depuis 2015, le Tribunal fédéral (TF) a progressivement introduit la procédure structurée d’administration des preuves pour les demandes liées à des troubles psychiques. Cette procédure permet à l’AI d’examiner le droit à la rente des assurés concernés. Comme les conséquences de troubles psychiques sur la capacité de travail de l’assuré sont plus difficiles à établir que celles d’affections d’ordre somatique, les offices AI évaluent cette capacité en se fondant sur certains indicateurs. Ces derniers couvrent, d’une part, la gravité de l’atteinte à la santé, la personnalité et le contexte social dans lequel évolue l’assuré, ainsi que les interactions entre ces trois facteurs. D’autre part, ces indicateurs se rapportent au comportement de l’assuré dans son quotidien, en thérapie et pendant les mesures de réadaptation (ces observations renseignant sur la «cohérence» de l’assuré, voir OFAS 2024, Annexe 1).

De plus, avec la procédure structurée d’administration des preuves, le TF a abandonné l’hypothèse selon laquelle certains troubles psychiques ne sauraient être invalidants, ou alors seulement dans des cas exceptionnels.

 

Changement de paradigme à partir de 2015

En 2015, le TF n’a d’abord introduit la procédure structurée d’administration des preuves que pour les affections psychosomatiques (ATF 141 V 281). Auparavant, l’AI partait du principe que de telles maladies n’entraînaient une invalidité que dans des cas exceptionnels, car elles étaient considérées comme étant en principe curables (présomption de surmontabilité).

Deux ans plus tard, le TF a étendu la procédure structurée d’administration des preuves à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409). De plus, en cas de dépression légère à modérée, la résistance au traitement n’était plus une condition obligatoire pour qu’un droit à la rente soit examiné de plus près (ATF 143 V 418). En 2019, le TF a finalement reconnu qu’une addiction était également à classer parmi les «états pathologiques» (ATF 145 V 215). C’est depuis cette date que la procédure structurée d’administration des preuves a été mise en œuvre pour les addictions. Auparavant, la dépendance n’était prise en compte par l’AI que si elle était à l’origine d’une maladie invalidante ou d’un accident, ou si, à l’inverse, elle survenait à la suite d’une maladie.

Quel a été l’impact de ces évolutions de la jurisprudence ? C’est la question à laquelle tente de répondre une étude commandée par l’Office fédéral des assurances sociales (Bolliger et al. 2024). L’étude a tout d’abord analysé les effets de la procédure structurée d’administration des preuves sur la méthode de travail des offices AI lors de l’examen des rentes. Ensuite, elle a analysé les documents des offices AI de cinq cantons et conduit des entretiens avec leurs collaborateurs, avec les SMR, ainsi qu’avec les conseillers juridiques des assurés dans les cinq cantons concernés par l’étude. Puis, plusieurs analyses statistiques descriptives et multivariées ont permis de vérifier s’il existait des indices selon lesquels les évolutions de l’interprétation juridique auraient entraîné une hausse notable du nombre de nouvelles rentes.

 

Des décisions plus faciles à comprendre

L’analyse montre que la procédure structurée d’administration des preuves a sensiblement modifié la démarche de fond adoptée par les offices AI dans l’examen du droit à la rente. Les personnes interrogées considèrent que l’évaluation de la capacité de travail est mieux structurée, bien que plus complexe.

Dans l’ensemble, les modifications jurisprudentielles ont contribué à libérer les instructions des préjugés sur ses résultats et à clarifier le processus décisionnel. Bien que certaines personnes externes à l’AI déplorent un usage trop «mécanique» des indicateurs, les décisions de l’AI sont, aux dires des personnes interrogées, plus adéquates que précédemment, en particulier pour ce qui concerne l’addiction, mais également la dépression légère à moyenne. Selon elles, c’est parce qu’un examen approfondi du droit à la rente n’est plus exclu ou entravé par le seul fait du diagnostic.

Le rapprochement entre exigences juridiques et réalité médicale attendu après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves est également perceptible dans les pratiques quotidiennes de l’AI (cf. Jörg Jeger, Die neue Rechtsprechung zu psychosomatischen Krankheitsbildern – eine Stellungnahme aus ärztlicher Sicht, Jusletter du 13 juillet 2015). Quelques-unes des personnes interrogées ont cependant émis des critiques, faisant observer une tendance au retour à une jurisprudence fondée sur le diagnostic, c’est-à-dire à des décisions rendues sur la seule base du diagnostic disponible, sans analyses approfondies et menées au cas par cas des conséquences concrètes de la maladie sur la capacité de travail de l’assuré (cf. aussi Jörg Jeger, BGE 148 V 49: ist das Bundesgericht rückfällig geworden? Gedanken aus medizinischer Sicht, Jusletter du 10 octobre 2022).

 

La compétence professionnelle reste déterminante

L’examen du droit à la rente dans les cas de troubles psychiques demeure néanmoins un exercice complexe, même avec la procédure structurée d’administration des preuves. La compétence professionnelle des centres d’expertises, des SMR, des offices AI et des tribunaux reste cruciale pour une collecte, une description et une interprétation complètes et non biaisées des informations nécessaires.

Pour les acteurs interrogés, c’est l’indicateur «personnalité» (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles) qui est le plus délicat. Des expertises de haute qualité sont indispensables pour pouvoir évaluer au plus juste les interactions entre la personnalité et la maladie – souvent en raison notamment des lacunes que présentent, sur ce point, les rapports médicaux et les rapports destinés aux assurances.

L’examen de cohérence constitue un autre défi. Il est en effet compliqué d’évaluer la capacité de travail d’un assuré en s’appuyant sur son comportement au sein de son ménage ou dans ses loisirs. En outre, il est parfois difficile complexe de déterminer si une participation insuffisante à une thérapie ou à une réadaptation est la conséquence d’une faible souffrance ou si elle découle de la pathologie de l’assuré.

Les personnes interrogées internes et externes à l’AI mentionnent toutes que les expériences et les opinions individuelles des acteurs compétents continuent d’influencer l’instruction et son résultat. L’exemple le plus frappant est le seuil à partir duquel l’addiction est considérée comme une maladie ainsi que l’interprétation de ses effets.

 

Une augmentation disproportionnée

La proportion des nouvelles rentes octroyées à la suite de troubles psychiques par rapport au total des nouvelles rentes a fortement augmenté après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves, passant de 42% en 2017 à 49% en 2021. Cette hausse s’avère disproportionnée même si l’on tient compte des mutations dans la structure de l’effectif des nouvelles rentes concernant l’âge, le sexe, la nationalité et la région linguistique.

Derrière les mutations structurelles se cachent majoritairement des nouvelles rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes (code 646 de la statistique des infirmités et des prestations). Dans cette catégorie, on trouve probablement aussi de nombreuses personnes souffrant de maladies psychosomatiques ou de dépression, ce qui correspond aux diagnostics pour lesquels le TF a, à partir de 2015, facilité l’accès à un examen de la rente ne préjugeant pas des résultats. L’analyse statistique n’a cependant pas permis de mettre de tels cas en évidence de manière distincte.

D’autres maladies psychiques comme la schizophrénie, les accès maniaques dépressifs et les psychoses ont également contribué à l’augmentation des nouvelles rentes liées à une affection psychique, mais dans une mesure moins prononcée que les troubles réactifs du milieu ou psychogènes. L’augmentation de ces maladies psychiques n’a en effet commencé que plus tard, vers 2020.

C’est environ deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves que l’on peut constater une hausse disproportionnée du nombre de nouvelles rentes liées à des troubles psychiques. Elle est particulièrement marquée chez les moins de 35 ans et a commencé plus tôt chez les femmes que chez les hommes, et dans les cantons latins (2015) que dans les cantons alémaniques (2019).

 

Est-il devenu plus facile d’obtenir une rente de l’AI ?

Il semble plausible que les changements de la jurisprudence ici examinés, qui ont mené à un examen plus ouvert du droit à la rente depuis 2015, aient accru la probabilité d’obtenir une rente AI en cas de troubles psychiques. C’est ce que laisse à penser l’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes dues à des troubles psychiques. Il n’est cependant pas possible d’apporter la preuve statistique que ces modifications soient à l’origine de cette augmentation. En effet, les données disponibles ne fournissent pas d’informations sur la mise en œuvre de la procédure structurée d’administration des preuves et ne permettent pas d’identifier de manière fiable les rentes octroyées en raison d’infirmités psychosomatiques ou de dépressions.

Afin de permettre aux analyses statistiques d’apporter des réponses plus précises concernant les raisons de l’évolution du nombre de nouvelles rentes (comme un transfert de nouvelles rentes accordées à la suite de troubles non psychiques vers des nouvelles rentes accordées à la suite de troubles psychiques), il serait nécessaire d’identifier systématiquement les lacunes des bases de données disponibles et de les combler de manière ciblée.

 

Résumé du rapport de recherche n° 5/24 « Entwicklung der Neurenten in der Invalidenversicherung: gemischte Methode, Sucht- und psychische Erkrankungen » (en allemand avec résumé en français, en italien et en anglais) de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg et Tabea Kaderli

 

Questions de recherche et procédure

L’étude poursuivait deux objectifs : elle a d’abord examiné les effets des modifications juridiques sur l’octroi des rentes AI pour différents groupes d’assurés. Des analyses statistiques descriptives et multivariées ont permis de vérifier s’il existait des indices selon lesquels les modifications juridiques auraient entraîné une augmentation notable du nombre de nouvelles rentes. Ensuite, l’étude a analysé les effets de la procédure structurée d’administration des preuves sur la méthode de travail des offices AI lors de l’examen des rentes. Cette partie de l’étude s’est appuyée sur des analyses de documents et des entretiens avec des collaborateurs des offices AI et des services médicaux régionaux (SMR) ainsi qu’avec des conseillers juridiques externes à l’AI dans cinq cantons. Les conclusions principales de l’étude sont résumées ci-dessous.

 

Examen des rentes par les offices AI selon la procédure structurée d’administration des preuves

  • Offices AI et SMR – collaborer plutôt que coexister

La procédure structurée d’administration des preuves n’a modifié le déroulement de la procédure AI que de manière ponctuelle. Elle a cependant conduit à une intensification des échanges entre les SMR et les praticiens du droit. Les arrêts principaux du Tribunal fédéral ont toutefois induit un rapprochement des perspectives de la médecine et de l’application du droit, ce qui (avec une routine croissante) a en partie rendu ces échanges moins nécessaires. Depuis l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves, certains offices AI accordent probablement plus d’importance aux informations issues de la procédure de réadaptation, car le comportement de l’assuré à ce stade en dit potentiellement long sur ses souffrances.

 

  • L’examen de la rente est plus systématique, mais reste un défi

L’approche des offices AI concernant le contenu de l’examen de la rente a sensiblement changé avec la procédure structurée d’administration des preuves. Les personnes interrogées considèrent que l’évaluation de la capacité de travail est plus complexe, mais mieux structurée ; elles estiment par ailleurs que le fait de se concentrer non plus sur le diagnostic, mais sur les conséquences concrètes, est plus adéquat. Les personnes interrogées mentionnent deux éléments qui tendent à complexifier l’évaluation : premièrement, l’indicateur du diagnostic de la personnalité et des ressources personnelles. De bonnes expertises semblent ici particulièrement importantes pour la collecte d’informations et une appréciation correcte de l’interaction entre la personnalité et la maladie, notamment parce que les documents disponibles sont souvent lacunaires à cet égard. Le deuxième élément concerne l’examen de la cohérence : tirer des conclusions sur la capacité de travail à partir de différentes activités dans des domaines de vie comparables n’est pas chose aisée. En outre, il est parfois difficile de déterminer si une participation insuffisante à un traitement ou à une réadaptation est la conséquence d’une faible souffrance ou si elle a d’autres causes.

 

  • Une approche plus ouverte concernant les résultats et davantage de transparence, mais des éléments subjectifs toujours présents

Tant les offices AI que les conseillers juridiques externes estiment que la procédure structurée d’administration des preuves a globalement contribué à des instructions préjugeant moins des résultats, mais certains conseillers déplorent une application trop mécanique des indicateurs. Les deux parties mentionnent que les expériences et les opinions individuelles des acteurs compétents continuent d’influencer l’instruction. L’exemple le plus frappant est le seuil à partir duquel la toxicomanie est considérée comme une maladie ainsi que l’interprétation de ses effets. De manière générale, la procédure structurée d’administration des preuves a renforcé la transparence des décisions relatives aux rentes. Quant à savoir si ces dernières sont mieux acceptées par les assurés, les personnes interrogées ont toutefois donné des réponses contrastées.

 

  • Des décisions plus adéquates

Sur la base de leurs expériences, les personnes interrogées estiment que, dans l’ensemble, l’AI prend des décisions plus adéquates qu’auparavant, en particulier concernant les toxicomanies, mais aussi pour les maladies psychosomatiques et les dépressions légères à modérées : elles expliquent cette appréciation par le fait que le diagnostic ne suffit plus à exclure ou à entraver un examen approfondi de la rente. Certaines personnes interrogées ont toutefois fait remarquer de manière critique que, pour les dépressions, les décisions relatives aux rentes avaient tendance à se fonder à nouveau davantage sur le diagnostic, s’éloignant ainsi de l’analyse des effets concrets dans chaque cas particulier.

 

Évolution des nouvelles rentes pour cause de maladie psychique

  • Augmentation disproportionnée des nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques (à l’exclusion des toxicomanies) deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves

Les analyses statistiques effectuées montrent que les nouvelles rentes pour raisons psychiques (à l’exclusion des toxicomanies) ont augmenté de manière disproportionnée au cours de la période 2019 à 2021, et ce même en tenant compte de l’évolution de la composition structurelle des nouveaux bénéficiaires de rente. Cela se reflète dans la part des nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques par rapport à l’ensemble des nouvelles rentes. Celle-ci augmente régulièrement, passant de 42% en 2017 à 49% en 2021, ce qui signifie que la part des nouvelles rentes octroyées pour des raisons non psychiques ne cesse de diminuer. Alors que, par rapport à la population assurée, la part des nouvelles rentes pour toutes les autres causes d’invalidité reste stable depuis 2018 à environ 1,7 pour mille, elle est passée durant la même période de 1,2 à 1,6 pour mille pour les nouvelles rentes d’origine psychique. Alors qu’en 2017 encore, la majorité des nouvelles rentes étaient octroyées pour des invalidités sans lien avec une maladie psychique, en 2021, les nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques sont presque aussi nombreuses que celles accordées pour toutes les autres causes d’invalidité.

Derrière ce transfert se cachent principalement des rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes, que les offices AI documentent avec le code d’infirmité AI 646 (code 646). Dans cette catégorie, on trouve probablement aussi de nombreuses personnes souffrant de maladies psychosomatiques et de dépression, c’est-à-dire les diagnostics pour lesquels le Tribunal fédéral a, à partir de 2015, facilité l’accès à un examen de la rente ne préjugeant pas des résultats. Pour ces rentes, l’augmentation disproportionnée a déjà commencé à partir de 2018. Si le nombre de nouvelles rentes dues à d’autres maladies psychiques augmente également, cette tendance est toutefois moins marquée que pour les rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes (code 646) et a été observée un peu plus tard (à partir de 2020).

L’augmentation du nombre de nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques intervient environ deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves. Elle ne peut donc pas s’expliquer uniquement par la recrudescence des nouvelles demandes, notamment du fait que ces dernières n’ont pas brusquement augmenté après l’introduction de la nouvelle procédure. Alors que le nombre de nouvelles rentes dues à des causes non psychiques est resté à peu près stable durant la période 2017 à 2020 malgré l’augmentation des nouvelles demandes, les offices AI ont enregistré sur la même période une hausse des rentes d’origine psychique. En d’autres termes, à partir de 2018 et 2020, le nombre de rentes octroyées chaque année pour des raisons psychiques croît plus rapidement que celui des autres rentes.

L’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes d’origine psychique concerne davantage les jeunes jusqu’à 34 ans, tant chez les femmes que chez les hommes. Pour les infirmités documentées par le code 646, ce phénomène a toutefois été observé un peu plus tôt chez les femmes, à savoir dès 2015, contre 2019 pour les hommes. De même, cette tendance est plus précoce dans les cantons latins, où elle s’amorce dès 2015, alors qu’elle n’a été observée qu’à partir de 2019 dans les cantons alémaniques.

 

Évolution des nouvelles rentes pour cause de toxicomanie

  • Forte augmentation du nombre de nouvelles rentes codées comme toxicomanie à partir de 2019

Les résultats disponibles permettent de constater que le nombre de nouvelles rentes codées comme toxicomanie a augmenté suite à l’arrêt principal du Tribunal fédéral. En effet, ils révèlent une hausse soudaine de ces rentes pour l’année 2020. Entre 2013 et 2019, leur nombre était stable, augmentant nettement à partir de 2020. Ainsi, en 2021, près de 400 nouvelles rentes ont été octroyées sur la base de ce code. La part de ces nouvelles rentes par rapport à l’ensemble des nouvelles rentes est ainsi passée de 0,6% en 2018 à 2,2% en 2021.

En revanche, il n’est pas clair s’il s’agit d’un transfert (les mêmes personnes auraient déjà reçu une rente avant 2019, mais sous un autre code d’infirmité) ou d’une augmentation de la probabilité d’octroi d’une rente (des personnes qui ne recevaient pas de rente dans l’ancien système en reçoivent désormais une) ou si, suite à l’arrêt du Tribunal fédéral, davantage de personnes souffrant de toxicomanie ont déposé une demande auprès de l’AI. Il est également possible que ces trois causes soient toutes impliquées dans l’augmentation observée. Les déclarations des collaborateurs des offices AI interrogés dans le cadre de cette étude corroborent en effet cette hypothèse. Sur l’ensemble des rentes octroyées par l’AI, les nouvelles rentes pour cause de toxicomanie représentent toutefois toujours une part négligeable. La période d’observation étant trop courte, il n’est pas encore possible de déterminer si l’augmentation se poursuivra dans les années à venir ou si le nombre de rentes pour toxicomanie restera désormais stable.

 

Nouvelles rentes et révisions de la rente pour les personnes travaillant à temps partiel

  • L’accès facilité aux rentes pour les personnes travaillant à temps partiel profite surtout aux femmes

Les analyses statistiques montrent très clairement que l’adaptation du RAI entrée en vigueur le 1er janvier 2018, qui s’applique à toutes les personnes exerçant une activité lucrative à temps partiel et accomplissant par ailleurs des travaux habituels (art. 27bis, al. 2 à 4, RAI dans la version valable jusqu’au 31 décembre 2021), a entraîné une hausse soudaine du nombre de nouvelles rentes et de révisions de rente en utilisant la méthode mixte comme méthode de calcul. Cette augmentation des nouvelles rentes avec méthode mixte se reflète également dans la part des nouvelles rentes appliquant cette méthode. Celle-ci est d’abord passée de 9% à 13% avant de se stabiliser à 12% dès 2019. L’accès facilité profite en grande partie aux femmes qui travaillent à temps partiel et s’occupent du ménage. En raison de la méthode mixte, la part des personnes vivant dans un ménage d’une seule personne et celle des personnes divorcées ont progressivement augmenté parmi les nouveaux bénéficiaires de rente.

 

Conclusion

La procédure structurée d’administration des preuves a conduit à un examen plus ouvert du droit à la rente pour les maladies psychiques pour lesquelles ce droit n’était auparavant guère envisagé ou alors uniquement à titre exceptionnel. Ce constat est également valable pour la toxicomanie. L’examen des rentes n’en demeure pas moins exigeant. La compétence professionnelle des acteurs impliqués dans les centres d’expertises, les SMR, les offices AI et les tribunaux reste décisive pour que les informations nécessaires soient collectées, décrites et interprétées de manière complète et non biaisée.

Les analyses effectuées sur l’évolution des nouvelles rentes indiquent que l’abandon de la présomption de surmontabilité des affections psychosomatiques en 2015, l’introduction généralisée de la procédure structurée d’administration des preuves pour toutes les maladies psychiques ainsi que l’obligation d’examiner le droit aux prestations également en cas de dépression légère à modérée sans résistance au traitement en 2017 ont eu des répercussions sur la probabilité d’obtenir une rente en raison d’une maladie psychique. Il n’est toutefois pas possible d’apporter la preuve statistique que l’augmentation des rentes pour maladies psychiques est liée de manière causale à ces modifications juridiques. En effet, les données disponibles ne fournissent pas d’informations sur la mise en œuvre de la procédure structurée d’administration des preuves et ne permettent pas d’identifier de manière fiable les octrois de rentes en raison d’infirmités psychosomatiques et de dépressions. Il reste à voir comment les nouvelles rentes évolueront au cours des prochaines années afin d’obtenir, d’un point de vue statistique, une image plus concluante des raisons possibles de l’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes pour maladies psychiques. L’évolution à venir des taux de perception des rentes des cohortes de nouveaux bénéficiaires fourniront notamment de précieuses indications.

Afin de permettre à l’avenir aux analyses statistiques de donner des réponses plus précises concernant les modifications des nouvelles rentes, comme le transfert de nouvelles rentes pour troubles non psychiques vers de nouvelles rentes pour troubles psychiques, il serait nécessaire d’identifier systématiquement les lacunes existantes dans les bases de données et de les combler de manière ciblée.

 

Christian Bolliger/Madleina Ganzeboom/Jürg Guggisberg/Tabea Kaderli, Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI, paru in Sécurité sociale CHSS du 19.09.2024 consultable ici

Rapport de recherche n° 5/24 « Entwicklung der Neurenten in der Invalidenversicherung: gemischte Methode, Sucht- und psychische Erkrankungen » (en allemand avec résumé en français, en italien et en anglais) de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg et Tabea Kaderli consultable ici

 

8C_90/2024 (f) du 05.08.2024 – Rente transitoire / Jurisprudence de l’AI pour les assurés de plus de 55 ans non applicable au domaine de la LAA / Revenu d’invalide selon ESS (niv. 1) – Pas d’abattement pour la mauvaise maîtrise du français, le manque de formation professionnelle

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_90/2024 (f) du 05.08.2024

 

Consultable ici

 

Rente transitoire / 19 al. 3 LAA – 30 OLAA

Jurisprudence de l’AI pour les assurés de plus de 55 ans non applicable au domaine de la LAA

Revenu d’invalide selon ESS (niv. 1) / 16 LPGA

Pas d’abattement pour la mauvaise maîtrise du français, le manque de formation professionnelle

 

Assuré, né en 1961, ouvrier dans la construction depuis 1992. Le 02.05.2018, alors qu’il se trouvait dans une fouille de canalisation, il a été partiellement enseveli par l’effondrement d’un bord, ce qui a entraîné des fractures de l’hémi-bassin droit, de la partie droite du sacrum et de l’apophyse de L5 à droite. Le 04.06.2018, il a subi une intervention chirurgicale (stabilisation de l’anneau pelvien antérieur avec une plaque de reconstruction). En cours de traitement, l’assuré s’est également plaint de troubles urologiques, érectiles et psychiques.

Le 30.10.2018, il a déposé une demande de prestations auprès l’office AI.

Le 16.09.2021, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle considérait que sa situation était stabilisée et qu’elle mettait un terme au paiement des frais médicaux et de l’indemnité journalière au 30.11.2021. Par décision du 20.09.2021, confirmée sur opposition le 22.04.2022, elle lui a octroyé une rente fondée sur un taux d’invalidité de 15% dès le 01.12.2021 et a refusé de lui allouer une IPAI. L’assurance-accidents a notamment considéré, sur la base de l’appréciation de son médecin d’arrondissement, que compte tenu des seules atteintes (orthopédiques et neurologiques) en lien de causalité avec l’accident, l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles.

Statuant le 12.01.2023, l’office AI, constatant que l’assuré présentait une incapacité de travail totale dans toute activité professionnelle, lui a accordé une rente entière d’invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 89 – consultable ici)

Par jugement du 21.12.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
Se plaignant d’une violation du droit fédéral, l’assuré reproche à la juridiction cantonale de ne pas avoir appliqué la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d’assurance-invalidité relative aux assurés de plus de 55 ans et aux mesures d’ordre professionnel, qui conduirait à l’octroi d’une rente fondée sur un taux d’invalidité de 100%.

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). L’art. 19 al. 3 LAA précise que le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur la naissance du droit aux rentes lorsque l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré, mais que la décision de l’assurance-invalidité quant à la réadaptation professionnelle intervient plus tard. Aux termes de l’art. 30 al. 1 OLAA, lorsqu’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré, mais que la décision de l’AI concernant la réadaptation professionnelle n’interviendra que plus tard, une rente sera provisoirement allouée dès la fin du traitement médical; cette rente est calculée sur la base de l’incapacité de gain existant à ce moment-là. Le droit s’éteint: dès la naissance du droit à une indemnité journalière de l’AI (let. a); avec la décision négative de l’AI concernant la réadaptation professionnelle (let. b); avec la fixation de la rente définitive (let. c).

L’octroi d’une rente provisoire suppose notamment qu’un droit à des mesures de réadaptation professionnelle de l’AI soit sérieusement envisagé. Tel est le cas lorsque, au moment où l’assureur-accidents rend sa décision sur opposition, l’AI n’a pas encore statué de manière définitive sur des mesures de réadaptation professionnelle qui sont en cours d’examen (arrêt 8C_347/2014 du 15 octobre 2014 consid. 3.2; THOMAS FLÜCKIGER, in: Frésard-Fellay/Leuzinger/Pärli [éd.], Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 52 ad art. 19 LAA). Par ailleurs, la décision de l’AI à venir doit porter sur des mesures qui sont de nature à influencer le taux d’invalidité déterminant pour la rente de l’assurance-accidents (arrêts 8C_424/2023 du 21 février 2024 consid. 5.2; 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 4.3.1 et les références; THOMAS FLÜCKIGER, op. cit., n°18 et 53 ad art. 19 LAA).

Consid. 4.1.2
Selon la jurisprudence applicable en assurance-invalidité (cf. arrêts 9C_177/2023 du 26 mars 2024 consid. 6.2; 9C_303/2022 du 31 mai 2023 consid. 5.2 et les arrêts cités), il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence, qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut pas, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, l’office de l’assurance-invalidité doit vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si celui-ci a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste.

Consid. 4.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont estimé que la jurisprudence précitée (cf. consid. 4.1.2 supra) invoquée par l’assuré ne s’appliquait pas à l’assurance-accidents, car celle-ci ne prévoit pas de mesures d’ordre professionnel parmi ses prestations. De plus, cette jurisprudence concerne la réduction ou suppression de rentes d’invalidité, ce qui n’était pas pertinent dans le cas présent. La fin du versement des indemnités journalières de l’assurance-accidents ne pouvait pas être assimilée à une réduction ou suppression de rente AI. L’office AI avait considéré que la réinsertion professionnelle de l’assuré était irréaliste et avait donc immédiatement octroyé une rente, d’autant plus que l’assuré souffrait de troubles non couverts par l’assurance-accidents. Par ailleurs, l’assuré avait demandé une retraite anticipée à l’âge de 60 ans (01.12.2021), rendant toute reconversion professionnelle improbable. Dès lors, il ne pouvait pas invoquer les dispositions relatives à la rente transitoire, qui visent à soutenir une reconversion professionnelle. Le fait que l’office AI n’avait pas encore statué sur les mesures de réadaptation n’empêchait pas l’assurance-accidents de clore le dossier.

Consid. 4.4
La relation entre la fixation de la rente d’invalidité par l’assureur-accidents et la réadaptation professionnelle en matière d’assurance-invalidité est exhaustivement réglée aux art. 19 al. 3 LAA et 30 OLAA. En l’espèce, rien n’indique que des mesures d’ordre professionnel aient été en cours d’examen par l’office AI au moment de la décision sur opposition du 22.04.2022. L’assuré, qui avait pris sa retraite anticipée au moment où cette décision sur opposition a été rendue, n’expose d’ailleurs pas quelle mesure aurait été concrètement envisagée et dans quel but, que ce fût antérieurement ou postérieurement à cette décision. Il ne soutient même pas avoir sollicité la moindre mesure. On notera qu’aucune des situations visées par la jurisprudence susmentionnée en matière d’assurance-invalidité (cf. consid. 4.1.2 supra) – en particulier la réduction ou la suppression du droit à la rente de l’assurance-invalidité – n’étaient données, de sorte que l’office AI n’avait pas à faire application de cette jurisprudence. On ne voit donc pas qu’au moment où l’assurance-accidents a rendu sa décision sur opposition, elle devait compter avec une future décision de l’office AI portant sur des mesures de réadaptation professionnelle ayant une potentielle incidence sur le taux de la rente d’invalidité en assurance-accidents, qui devait être fixé en tenant compte des seuls troubles en lien de causalité avec l’accident du 02.05.2018, à savoir les atteintes orthopédiques et neurologiques, à l’exclusion des affections psychiques, urologiques et érectiles.

En tout état de cause, l’assuré perd de vue que la rente provisoire doit aussi être fixée d’après la méthode de comparaison des revenus et que dans ce cadre, l’activité raisonnablement exigible ne correspond pas forcément à l’activité habituelle (arrêt 8C_99/2023 du 7 août 2023 consid. 4.2 et les arrêts cités). En l’espèce, au moment de la décision sur opposition, l’assuré bénéficiait selon l’assurance-accidents et la cour cantonale d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses restrictions fonctionnelles. À ce propos, l’assuré n’émet aucune critique à l’encontre de l’appréciation du médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents. Il n’y a donc pas de raison de s’en écarter. En outre, contrairement à ce qu’il affirme, l’office AI ne lui a pas accordé une rente entière d’invalidité en prenant en considération les seuls troubles causés par l’accident du 02.05.2018. Il a fondé sa décision sur une incapacité de travail totale dans toute activité, en soulignant que l’assurance-accidents avait, pour sa part, tenu compte des seules séquelles de l’accident pour retenir une pleine capacité de travail dans une activité adaptée. Au demeurant, l’assureur-accidents n’est pas lié par l’évaluation de l’invalidité de l’assurance-invalidité (ATF 131 V 362 consid. 2.3; arrêt 8C_493/2022 du 8 mars 2023 consid. 4.5), tout comme l’évaluation de l’invalidité par l’assurance-accidents n’a pas de force contraignante pour l’assurance-invalidité (ATF 133 V 549). L’assuré ne peut donc pas prétendre à une rente – qu’elle soit provisoire ou définitive – fondée sur un taux d’invalidité de 100% du fait de son incapacité de travail dans son activité habituelle d’ouvrier dans la construction.

Pour le reste, on ne voit pas ce que pourrait tirer l’assuré de la jurisprudence en matière d’assurance-invalidité dont il se prévaut. Celle-ci ne s’adresse pas aux assureurs-accidents, lesquels ne sont pas compétents pour octroyer des mesures de réadaptation professionnelle. Aussi, la fin du versement de l’indemnité journalière par l’assureur-accidents ne peut aucunement être corrélée à une quelconque obligation de sa part découlant de cette jurisprudence. Il s’ensuit que le grief du recourant est mal fondé.

 

Consid. 5.1.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 5.1.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb; arrêt 8C_682/2023 du 24 avril 2024 consid. 4.1.2.2 et l’arrêt cité).

Consid. 5.1.3
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

 

Consid. 5.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont confirmé l’abattement de 10% appliqué par l’assurance-accidents. Ils ont refusé d’augmenter ce taux en raison de sa qualité d’étranger. Les lacunes linguistiques en français et le manque de formation professionnelle avaient déjà été intégrés, l’assurance-accidents ayant utilisé le niveau de compétence 1 de l’ESS (activités ne nécessitant ni formation ni expérience professionnelle) pour calculer le revenu d’invalide.

Consid. 5.4
Le raisonnement de la cour cantonale échappe à la critique. L’assuré, au bénéfice d’un permis d’établissement et vivant en Suisse depuis de nombreuses années au moment de la décision sur opposition de l’assurance-accidents, n’est pas prétérité par rapport à une personne de nationalité suisse (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/cc; arrêts 8C_454/2023 du 19 décembre 2023 consid. 5.4; 8C_883/2015 du 21 octobre 2016 consid. 6.3.2; 8C_738/2012 du 20 décembre 2012 consid. 6.2). Par ailleurs, sa mauvaise maîtrise du français et des autres langues nationales ainsi que son manque de formation professionnelle ne sont pas déterminants dans le contexte d’activités du niveau de compétence 1, qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifiques (cf. arrêts 8C_454/2023 précité consid. 5.4; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 9C_550/2019 du 19 février 2020 consid. 4.3; 9C_898/2017 du 25 octobre 2018 consid. 3.4). En confirmant le taux d’abattement de 10% retenu par l’assurance-accidents, le tribunal cantonal n’a commis ni excès ni abus de son pouvoir d’appréciation.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_90/2024 consultable ici

 

8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication – DCAI – Évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS – instruments de correction insuffisants

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 23.07.2024 consultable ici

 

DCAI – Évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS – instruments de correction insuffisants / 26bis RAI

 

La réglementation, introduite début 2022 et en vigueur jusqu’à fin 2023, concernant l’évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS est en partie contraire au droit fédéral. Les instruments pour corriger le salaire statistique de l’ESS déterminant dans un cas concret, afin de tenir compte de la situation de la personne assurée, sont insuffisants. Si nécessaire, il convient donc de recourir en complément à la pratique du Tribunal fédéral en la matière appliquée jusqu’à présent.

En 2023, le Tribunal des assurances sociales du canton de Bâle-Ville a octroyé à un assuré une rente fondée sur un taux d’invalidité de 59% à partir de juin 2022. Une révision de la loi fédérale et du règlement sur l’assurance-invalidité (LAI, RAI) était alors entrée en vigueur au 1er janvier 2022. Pour évaluer le taux d’invalidité, le tribunal a procédé à une comparaison des revenus, comme la loi le prévoit: le salaire que l’assuré pourrait obtenir après la survenance de l’invalidité en exerçant une activité que l’on peut raisonnablement exiger de sa part (revenu d’invalide) est comparé au salaire qu’il aurait pu réaliser s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité). Le tribunal a déterminé le revenu d’invalide de l’assuré sur la base des salaires statistiques de l’ESS (enquête bisannuelle sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique). Compte tenu de la situation particulière de l’assuré, il a appliqué une déduction de 15% sur le salaire de référence de l’ESS.

L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a recouru contre le jugement cantonal auprès du Tribunal fédéral. Il a conclu à l’allocation d’une rente fondée sur un taux d’invalidité de 57% seulement, au motif que l’art. 26bis RAI, dans sa version modifiée entrée en vigueur début 2022 (cette disposition a de nouveau été modifiée au 1er janvier 2024), autorisait une déduction de maximum 10% sur le salaire statistique de l’ESS (dans le cas où la personne invalide ne pouvait travailler qu’à un taux de 50% ou moins).

Le Tribunal fédéral rejette le recours de l’OFAS. Pour les cas antérieurs à la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 1er janvier 2022, il a développé une jurisprudence relative à la détermination du revenu d’invalide sur la base des salaires statistiques de l’ESS. Afin de tenir compte de la situation particulière des personnes invalides, les salaires de référence de l’ESS pouvaient être corrigés. Une déduction maximale de 25% pouvait être opérée; une correction additionnelle était envisageable uniquement si la personne assurée percevait déjà avant la survenance de l’invalidité, sans le vouloir, un revenu nettement inférieur à la moyenne en raison de facteurs étrangers à l’invalidité (« parallélisme »).

En adoptant l’art. 26bis RAI, le Conseil fédéral a exclu dans une large mesure les possibilités de déduction fondées sur cette jurisprudence. Après une analyse globale, le Tribunal fédéral estime que le régime de déduction sur le salaire statistique de l’ESS, tel que prévu de manière exhaustive dans le RAI, n’est pas compatible avec le droit fédéral. Il ressort notamment des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LAI que la jurisprudence du Tribunal fédéral appliquée jusqu’à présent devait être pour l’essentiel reprise au niveau réglementaire et que la méthode d’évaluation du taux d’invalidité devait en principe rester inchangée. En tant qu’auteur du règlement, le Conseil fédéral a toutefois choisi une autre voie. Il y a des raisons de penser que le législateur avait et était en droit d’avoir d’autres attentes concernant la mise en œuvre de la LAI dans le RAI. Dans la mesure où, en raison des circonstances du cas d’espèce, il y a un besoin d’adapter le salaire statistique de l’ESS au-delà de ce qu’offrent les instruments de correction du RAI, il convient de faire appel, en complément, à la jurisprudence appliquée jusqu’à présent par le Tribunal fédéral. L’arrêt attaqué n’est donc pas critiquable dans son résultat.

 

NB : l’arrêt sera traduit par mes soins prochainement, avec probablement quelques commentaires personnels.

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 23.07.2024 consultable ici

 

9C_540/2023 (f) du 03.06.2024 – Montant de la rente AVS succédant à une rente AI – 33bis LAVS / Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal – ALCP et Règlement (CE) n° 883/2004

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_540/2023 (f) du 03.06.2024

 

Consultable ici

 

Montant de la rente AVS succédant à une rente AI / 33bis LAVS

Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal – ALCP et Règlement (CE) n° 883/2004

 

Assuré, né en octobre 1956 au Portugal. Il y a travaillé et accompli des périodes de cotisations jusqu’à son entrée en Suisse le 02.04.1987, cotisant depuis lors au système suisse d’assurances sociales. Souffrant des séquelles d’un accident survenu le 09.10.1991, il a été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité à compter du 01.10.1992. Sa rente s’élevait à CHF 2’390 par mois depuis le 01.01.2021 et était calculée en fonction d’une durée de cotisations de quinze ans, de l’échelle de rente 44, de bonifications pour tâches éducatives (2.5), d’un revenu annuel moyen déterminant de 67’398 fr. et d’une durée de cotisations pour ce dernier de quatre ans et cinq mois. Elle tenait compte des périodes de cotisations au Portugal et d’un supplément pour veuvage (décision du 24.02.2021). Ayant atteint l’âge de la retraite, la caisse de compensation (ci-après: la caisse) lui a accordé une rente de vieillesse de CHF 1’310 par mois depuis le 01.11.2021. La rente était calculée en fonction d’une durée de cotisations de trente-quatre ans et cinq mois, de l’échelle de rente 34, de bonifications pour tâches éducatives (3.0), d’un revenu annuel moyen déterminant de 24’378 fr. et d’une durée de cotisations pour ce dernier de trente-trois ans et sept mois. Elle ne tenait plus compte des périodes de cotisations au Portugal mais toujours d’un supplément pour veuvage.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2023 32 – consultable ici)

Par jugement du 06.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
La rente d’invalidité accordée à l’assuré tenait compte des périodes de cotisations au Portugal, conformément à l’art. 12 par. 1 de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal (RS 0831.109.654.1; ci-après: la convention Suisse-Portugal). Le système de cette convention, dite de « type A », se caractérise par le principe du risque, selon lequel l’invalide qui en remplit les conditions reçoit une seule rente d’invalidité (au lieu de deux rentes partielles versées par les assurances des deux pays concernés [rentes partielles calculées au prorata des périodes d’assurance accomplies; convention dite de « type B »]). Cette rente unique est versée par l’assurance à laquelle l’assuré est affilié lors de la survenance de l’invalidité (en l’espèce la Suisse). L’assurance prend en considération la totalité des périodes de cotisations, y compris celles qui ont été accomplies dans l’autre pays (cf. ATF 130 V 247 consid. 4). La rente de vieillesse de l’assuré, qui a en l’occurrence succédé à sa rente d’invalidité, a en revanche été calculée sur la base des seules cotisations à l’assurance suisse. La caisse intimée a procédé au calcul comparatif prévu par l’art. 33bis al. 1 LAVS. Selon cette disposition, les rentes de vieillesse ou de survivants sont calculées sur la base des mêmes éléments que la rente d’invalidité à laquelle elles succèdent s’il en résulte un avantage pour l’ayant droit. L’administration n’a cependant pas appliqué cette disposition dans la mesure où elle n’avait relevé aucun avantage pour l’assuré.

Consid. 5.1
Les premiers juges sont partis du principe que, dans la mesure où l’assuré avait exercé son droit à la libre circulation en 1987 et où il avait bénéficié d’une rente d’invalidité depuis le mois d’octobre 1992, il fallait se référer à la convention Suisse-Portugal pour trancher le litige. Ils n’ont pas examiné si la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale mise en place à la suite de l’entrée en vigueur le 01.06.2002 de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) pouvait s’appliquer en l’espèce.

Consid. 5.2
On relèvera au préalable que, jusqu’au 31.03.2012, les parties à l’ALCP appliquaient entre elles le Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (RO 2004 121; ci-après: le règlement n° 1408/71). Une décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31 mars 2012 (RO 2012 2345) a actualisé le contenu de l’Annexe II à l’ALCP avec effet au 01.04.2012. Il a été prévu, en particulier, que les Parties appliqueraient désormais entre elles le Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, modifié par le Règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (ci-après: le règlement n° 883/2004; RS 0.831.109.268.1). L’art. 153a al. 1 LAVS, dans sa teneur en vigueur depuis le 01.01.2017, renvoie à ces règlements de coordination.

Consid. 5.3
Il ressort des constatations cantonales que l’assuré a atteint l’âge de la retraite en Suisse en octobre 2021 (au Portugal en avril 2023), que son droit à la rente suisse de vieillesse est né le 01.11.2021 et que la décision administrative le constatant a été rendue le 05.10.2021. Ces événements, survenus postérieurement à l’entrée en vigueur de l’ALCP, tombent dans le champ d’application temporel de cet accord et des règlements de coordination qui en découlent (cf. art. 1 par. 1 de l’annexe II à l’ALCP – intitulée « Coordination des systèmes de sécurité sociale », fondée sur l’art. 8 de l’accord et faisant partie intégrante de celui-ci [art. 15 ALCP] – en relation avec la section A de cette annexe), en particulier du règlement n° 883/2004. La rente de vieillesse, dont le calcul est en l’espèce litigieux, est en outre comprise dans le champ d’application matériel du règlement n° 883/2004 selon son art. 3 par. 1 let. d. Enfin, le champ d’application personnel du règlement n° 883/2004 est manifestement rempli dans la mesure où, selon l’art. 2 par. 1 dudit règlement, celui-ci s’applique notamment aux ressortissants de l’un des États membres qui – comme l’assuré qui a accompli des périodes de cotisations tant au Portugal qu’en Suisse – sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres.

Le litige relève ainsi de la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale mise en place à la suite de l’entrée en vigueur de l’ALCP, ce que les premiers juges auraient dû examiner d’office.

Consid. 5.4
Cela étant, dans l’ATF 149 V 97, confirmant l’ATF 142 V 112 auquel s’est référé le tribunal cantonal, le Tribunal fédéral a relevé que l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 reprenait le principe de l’application des conventions de sécurité sociale plus favorables de l’art. 7 par. 2 let. c du règlement n° 1408/71 lorsqu’en particulier l’assuré avait, comme en l’espèce, exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP. Il a en outre considéré que la jurisprudence relative à l’applicabilité de ce principe, développée sous le régime du règlement n° 1408/71, restait applicable sous le régime du règlement n° 883/2004 (consid. 5.3).

Consid. 5.5
Il convient dès lors de déterminer, d’une part, quelles sont les conditions auxquelles une rente de vieillesse succède à une rente d’invalidité ou, selon les termes conventionnels, les conditions d’une conversion des prestations d’invalidité en prestations de vieillesse sous le régime du règlement n° 883/2004 et sous le régime de la convention Suisse-Portugal puis, d’autre part, lequel de ces deux régimes est le plus favorable à l’assuré.

Consid. 6.1
L’art. 48 du règlement n° 883/2004 prévoit la conversion de prestations d’invalidité en prestations de vieillesse selon les conditions prévues par la législation au titre de laquelle elles sont servies. Par ailleurs, l’institution, qui sert des prestations d’invalidité à un bénéficiaire admis à faire valoir son droit à des prestations de vieillesse en vertu de la législation d’un autre État membre, continue à verser les prestations d’invalidité tant que le bénéficiaire y a droit en vertu de la législation qu’elle applique. Ensuite, lorsque les prestations d’invalidité sont converties en prestations de vieillesse et que l’intéressé ne satisfait pas encore aux conditions de l’autre État pour avoir droit à ces mêmes prestations, l’intéressé bénéficie de la part de l’autre État membre de prestations d’invalidité à partir du jour de la conversion. Cette nouvelle disposition a succédé à l’art. 43 du règlement n° 1408/71. Elle y a seulement apporté des modifications d’ordre rédactionnel (Constanze Janda, in: Europäisches Sozialrecht, 8e éd. 2022, n° 1 ad art. 48 du règlement n° 883/2004, p. 428) et s’inscrit pleinement dans l’objectif de modernisation et de simplification du règlement n° 1408/71 essentiel à la mise en œuvre de la libre circulation des personnes (cf. ATF 149 V 97 consid. 5.3.3). Il n’y a dès lors pas de motif de remettre en cause la jurisprudence développée sous le régime du règlement n° 1408/71, exposée ci-après.

Consid. 6.2
Se référant notamment à l’art. 43 du règlement n° 1408/71, dans l’ATF 131 V 371, le Tribunal fédéral a été amené à examiner le cas de la conversion de la rente d’invalidité en rente de vieillesse d’une ressortissante néerlandaise, devenue suisse, qui avait accompli des périodes de cotisations aux Pays-Bas et en Suisse avant et après l’entrée en vigueur de l’ALCP. Il y a notamment retenu que les règlements de coordination n’obligeaient pas l’État, qui avait versé une rente d’invalidité intégrant les périodes d’assurance accomplies à l’étranger, à tenir compte desdites périodes pour le calcul de la rente de vieillesse qui la remplaçait. Aucune garantie de droits acquis n’était prévue pour le passage de la rente d’invalidité à la rente de vieillesse. La prise en compte des périodes de cotisations à l’étranger se faisait par le biais du versement par l’État, qui avait jusqu’alors été libéré du versement d’une prestation, d’une rente de vieillesse ou, si l’âge de la retraite prévu par cet État n’était pas atteint, d’une rente d’invalidité, sous réserve d’une solution bilatérale plus avantageuse (consid. 7-9).

Consid. 6.3
Il apparaît dès lors que, selon la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale applicable par l’entrée en vigueur de l’ALCP, l’assuré a droit à la conversion de sa rente suisse d’invalidité en une rente suisse de vieillesse calculée en fonction exclusivement des périodes suisses de cotisations dès qu’il a atteint l’âge de la retraite en Suisse de soixante-cinq ans (cf. art. 52 du règlement n° 883/2004 et la jurisprudence y relative, arrêt 9C_440/2019 du 2 mars 2020 consid. 3 avec la référence à l’ATF 130 V 51; cf. aussi ATF 131 V 371 consid. 6.4). Il ne peut en revanche pas prétendre une rente portugaise de vieillesse tant qu’il n’a pas atteint l’âge de la retraite au Portugal de soixante-six ans et six mois. Toutefois, dans l’intervalle de ces deux dates, il peut prétendre une rente portugaise transitoire d’invalidité, calculée en fonction des périodes portugaises de cotisations. Le cumul provisoire de la rente suisse de vieillesse et de la rente portugaise d’invalidité s’applique en l’occurrence, à moins que la convention Suisse-Portugal propose une solution plus favorable à l’assuré (voir consid. 7 infra). Il doit être procédé à un nouveau calcul de la rente suisse de vieillesse une fois atteint l’âge de la retraite au Portugal.

Consid. 6.4
Le Tribunal fédéral a en outre rappelé que la garantie des droits acquis prévue à l’art. 33bis al. 1 LAVS ne se rapportait pas au montant de la rente d’invalidité calculée en tenant compte des périodes d’assurance à l’étranger. La rente de vieillesse pouvait être inférieure à la rente d’invalidité perçue jusqu’alors sans que cela ne constitue une violation de l’art. 33bis al. 1 LAVS et le calcul comparatif se faisait en fonction des périodes suisses uniquement (ATF 133 V 329 consid. 4.3; 131 V 371 consid. 3).

 

Consid. 7.1
Comme l’assuré a exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP, il peut se prévaloir de l’application d’une convention de sécurité sociale plus favorable (cf. consid. 5.4 supra). Il faut donc déterminer si le système mis en place par la convention Suisse-Portugal est plus favorable que celui mis en place par l’ALCP.

Consid. 7.2
Selon l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal, les rentes ordinaires de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse venant se substituer à un rente d’invalidité, fixée selon le paragraphe précédent, sont calculées sur la base des dispositions légales suisses compte tenu exclusivement des périodes de cotisations suisses. Si toutefois les périodes d’assurance portugaise, compte tenu de l’art. 20 de la Convention et des dispositions d’autres Conventions internationales, n’ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation portugaise analogue, elles sont également prises en compte pour déterminer les périodes de cotisations qui doivent servir de base de calcul des rentes suisses susmentionnées. Selon l’art. 20 de la convention Suisse-Portugal, lorsqu’un ressortissant de l’une ou l’autre des Parties contractantes a été soumis successivement ou alternativement aux législations des deux Parties contractantes, les périodes de cotisations et les périodes assimilées accomplies selon chacune de ces législations sont totalisées, du côté portugais, dans la mesure où c’est nécessaire, pour l’ouverture du droit aux prestations qui font l’objet de la présente section, en tant que lesdites périodes ne se superposent pas. Cette disposition ne s’applique que si la durée de cotisations dans les assurances portugaises est au moins égale à douze mois.

Consid. 7.3
La juridiction cantonale a conclu que les périodes portugaises de cotisations ne devaient en l’occurrence pas être prises en compte dans le calcul de la rente de vieillesse de l’assuré. Elle a considéré que l’exception de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal n’était pas réalisée dans la mesure où l’assuré n’était pas définitivement privé de la possibilité d’obtenir une rente portugaise de vieillesse mais aurait droit à une telle rente, calculée sur la base des périodes portugaises de cotisations, lorsqu’il aurait atteint l’âge de soixante-six ans et six mois.

Consid. 7.4
Cette interprétation de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal ne peut pas être suivie. Dans l’ATF 112 V 145 consid. 2 ss – invoqué par l’assuré -, le Tribunal fédéral a recherché le sens qu’il fallait donner au membre de phrase « n’ouvre exceptionnellement pas droit à une prestation espagnole analogue » figurant à l’art. 9 par. 4 de la Convention de sécurité sociale du 13 octobre 1969 entre la Confédération suisse et l’Espagne (ci-après: la convention Suisse-Espagne), identique à l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal. Il est parvenu à la conclusion que, lorsqu’une rente de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse succède à une rente de l’assurance-invalidité calculée selon l’art. 9 par. 3 de la convention Suisse-Espagne, la totalisation des périodes espagnoles d’assurance et des périodes suisses de cotisations doit être appliquée, si elle est plus avantageuse pour l’assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre une prestation espagnole analogue au moment où s’ouvre le droit à une rente suisse. Si, par la suite, le droit de l’assuré à la prestation espagnole naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes suisses de cotisations, conformément à l’art. 9 par. 4 première phrase de la convention Suisse-Espagne.

Consid. 7.5
Dès lors que les textes des conventions Suisse-Portugal et Suisse-Espagne sont identiques, il n’y a pas lieu de faire une interprétation différente de l’art. 12 par. 2 de la convention Suisse-Portugal que celle qui a été faite de l’art. 9 par. 4 de la convention Suisse-Espagne dans l’ATF 112 V 145. La totalisation des périodes portugaises d’assurance et des périodes suisses de cotisations doit être appliquée, si elle est plus avantageuse pour l’assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre une prestation portugaise analogue au moment où s’ouvre le droit à une rente suisse. Si, par la suite, le droit de l’assuré à la prestation portugaise naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes suisses de cotisations, conformément à l’art. 12 par. 2 première phrase de la convention Suisse-Portugal. Cela signifie concrètement que l’assuré peut prétendre la prise en compte des périodes de cotisations au Portugal dans le calcul de sa rente de vieillesse jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge de la retraite au Portugal, pour autant que cette solution soit plus favorable au système mis en place par le règlement n° 883/2004.

 

Consid. 8
Ni la caisse intimée ni la juridiction cantonale n’ont examiné si le système de la convention Suisse-Portugal (consid. 7) est plus favorable à l’assuré que le système du règlement n° 883/2004 (consid. 6), étant précisé que la totalisation des périodes de cotisations selon le premier système ou le cumul de la rente suisse de vieillesse et de la rente portugaise d’invalidité selon le second système ne saurait s’appliquer après que l’assuré aura atteint l’âge de soixante-six ans et six mois. Un nouveau calcul devrait alors être effectué. À cet égard, le Tribunal fédéral a déjà considéré que le point de savoir quel système était plus favorable à l’assuré nécessitait un calcul comparatif fondé sur des informations dont l’obtention ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale (art. 7 de l’Arrangement administratif du 24 septembre 1976 fixant les modalités d’application de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal [RS 0.831.109.654.12]; art. 84 du règlement n° 1408/71; art. 76 ss du règlement n° 883/2004; art. 2 ss du Règlement [CE] n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale [RS 0.831.109.268.11]; ATF 149 V 97 consid. 5.4 et la référence). Il n’appartient au demeurant pas au Tribunal fédéral d’examiner ce point pour la première fois. En conséquence, il convient de rejeter la conclusion principale, en tant qu’elle postule le versement de la rente la plus favorable pour une durée indéterminée, et d’admettre la conclusion subsidiaire de renvoi. Il convient ainsi d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer la cause à l’administration pour qu’elle complète l’instruction dans le sens de ce qui précède et rende une nouvelle décision. Il n’y a pas lieu d’annuler la décision de rente litigieuse dont il n’est pas encore établi qu’elle soit contraire au droit.

Il n’est pas nécessaire de se prononcer sur les autres griefs de l’assuré dans la mesure où la caisse intimée devra justifier ses nouveaux calculs.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_540/2023 consultable ici

 

Marché équilibré du travail : feu vert pour l’adaptation des rentes invalidité à la situation réelle du marché du travail

Marché équilibré du travail : feu vert pour l’adaptation des rentes invalidité à la situation réelle du marché du travail

 

Communiqué de presse du Parlement du 28.06.2024 consultable ici

La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des États (CSSS-E) a décidé, par 10 voix et 3 abstentions, d’adhérer à la décision de sa commission sœur de donner suite à l’initiative parlementaire Kamerzin « Pour une prise en considération des possibilités d’emploi réelles des personnes atteintes dans leur santé » (23.448). Elle considère qu’il y a nécessité d’agir pour que les offices AI tiennent mieux compte de la réalité du marché du travail actuel et de l’existence d’emplois adaptés lorsqu’elles évaluent la perte de gain due à l’invalidité. Lors de l’élaboration du projet mettant en œuvre l’initiative, sa commission homologue devra examiner notamment la question de l’égalité de traitement des bénéficiaires entre des régions présentant des différences marquées en termes de possibilités d’emploi.

 

Communiqué de presse de Inclusion Handicap du 28.06.2024 consultable ici

Tout récemment, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a publié des informations sur la réadaptation professionnelle par l’AI et annoncé des résultats dans le principe positifs. En 2023, l’AI a soutenu environ trois fois plus de personnes dans leur réadaptation professionnelle qu’il y a encore une quinzaine d’années. Or, il est également important de se baser sur un marché du travail réaliste. C’est pourquoi on peut se féliciter vivement que la Commission sociale du Conseil des États (CSSS-E) ait donné suite à l’initiative parlementaire Kamerzin 23.448 lors de sa séance qui s’est étendue sur les deux derniers jours. L’initiative demande que l’AI, lors de l’évaluation des possibilités de gain des personnes concernées, s’oriente davantage selon les possibilités d’emploi existant réellement et non plus sur les possibilités de travail souvent fictives sur un marché du travail théoriquement équilibré. Cela rendra les décisions de l’AI plus compréhensibles et facilitera la réadaptation professionnelle.

 

Communiqué de presse du Parlement du 28.06.2024 consultable ici

Communiqué de presse de Inclusion Handicap du 28.06.2024 consultable ici