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8C_682/2021 (d) du 13.04.2022 – Stabilisation de l’état de santé – 19 LAA / Mesures d’intervention précoces ne sont pas des mesures de réadaptation / Capacité de travail exigible pour une atteinte à la main dominante

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2021 (d) du 13.04.2022

 

Consultable ici (arrêt non destiné à la publication)

Cf. notre commentaire en fin d’article

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Stabilisation de l’état de santé – Fin du droit aux indemnités journalières et traitement médical / 19 LAA

Mesures d’intervention précoces ne sont pas des mesures de réadaptation

Capacité de travail exigible pour une atteinte à la main dominante – Pas de nécessité de décrire précisément les activités concrètes encore possibles / 16 LPGA

Parallélisation du revenu sans invalidité d’un chauffeur – Prise en compte de la table T17 et non TA1

Pas de motif à un changement de jurisprudence pour le revenu d’invalide selon l’ESS

Abattement sur le revenu d’invalide selon ESS – Critère de l’âge

 

Assuré, né en 1964, était employé depuis le 01.04.2014 comme chauffeur par la société B.__ Sàrl. Le 13.09.2018, il a subi une blessure par perforation d’un ongle à la main gauche. Il a été opéré à plusieurs reprises, la dernière fois le 11.10.2018.

Le 31.08.2019, l’employeur a résilié le contrat de travail de l’assuré pour le 31.10.2019.

L’assurance-accidents a considéré que l’assuré était apte au travail et au placement à plein temps dès le 01.11.2019 dans le cadre du profil d’exigibilité. Afin de prendre en compte une période d’adaptation, elle a accepté de ne suspendre les indemnités journalières qu’au 31.12.2019. Par décision du 16.10.2019, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit à une rente en raison de l’absence d’incapacité de gain due à l’accident, ainsi que le droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité, car il n’y avait pas d’atteinte importante à l’intégrité physique.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2020.00221 – consultable ici)

Par jugement du 26.08.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal concernant la suspension des frais de traitement et des indemnités journalières ainsi que l’absence de droit à une rente. Concernant le droit à une IPAI, la cour cantonale a annulé la décision litigieuse en admettant partiellement le recours, renvoyant l’affaire à l’assurance-accidents afin de procéder aux investigations nécessaires.

 

TF

Consid. 2
S’agissant de l’IPAI, l’instance cantonale a renvoyé l’affaire à l’assurance-accidents afin de procéder aux investigations médicales complémentaires. Il s’agit là – contrairement aux prétentions rejetées par le tribunal cantonal – d’une décision incidente qui n’entraîne toutefois pas de préjudice au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF, mais simplement une prolongation de la procédure ne remplissant pas ce critère (ATF 140 V 282 consid. 2 ; 139 V 99). Par conséquent, le recours ne peut d’emblée pas être admis dans la mesure où il demande une indemnité pour atteinte à l’intégrité.

Le Tribunal fédéral rappelle que l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité ne dépend pas de celle du taux d’invalidité lors de l’examen du droit à la rente (ATF 115 V 147 consid. 1 ; arrêt 8C_544/2020 du 27 novembre 2020 consid. 4.2.2 et la référence).

 

Consid. 5.1
Le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme. Le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (art. 19 al. 1 LAA).

La question de savoir si l’on peut admettre une amélioration notable de l’état de santé se détermine notamment – mais pas exclusivement – en fonction de l’augmentation ou du rétablissement de la capacité de travail à laquelle on peut s’attendre, dans la mesure où celle-ci est affectée par l’accident. Le terme «notable» indique donc que l’amélioration espérée par un autre traitement médical (approprié) au sens de l’art. 10 al. 1 LAA doit être importante (ATF 134 V 109 consid. 4.3 ; SVR 2020 UV n° 24 p. 95, 8C_614/2019 consid. 5.2 s. ; arrêt 8C_183/2020 du 22 avril 2020 consid. 2.3 et consid. 4.3.2). Des améliorations insignifiantes ne suffisent pas, pas plus que la simple possibilité d’une amélioration (RKUV 2005 n° U 557 p. 388, U 244/04 consid. 3.1 ; arrêt 8C_344/2021 du 7 décembre 2021 consid. 7.2). Dans ce contexte, l’état de santé de la personne assurée doit être évalué de manière pronostique et non sur la base de constatations rétrospectives. L’évaluation de cette question juridique se fonde en premier lieu sur les renseignements médicaux concernant les possibilités thérapeutiques et l’évolution de la maladie, qui sont généralement compris sous la notion de pronostic (SVR 2020 UV n° 24 p. 95, 8C_614/2019 consid. 5.2 ; arrêt 8C_604/2021 du 25 janvier 2022 consid. 5.2).

Consid. 5.2
L’instance cantonale a considéré, en appréciant le dossier médical et en motivant sa décision de manière détaillée, que l’évaluation du Dr C.__ du 12.09. 2019, selon laquelle la stabilité de l’état de santé était atteint et que la poursuite du traitement ne permettrait plus de l’améliorer de manière décisive, semblait plausible. Par conséquent, la clôture du cas avec la cessation du droit aux frais médicaux en septembre 2019 et aux indemnités journalières à la fin 2019 est donc correcte.

Consid. 6.2.1
Le 27.08.2019, l’office AI a accordé à l’assuré des mesures d’intervention précoce sous la forme d’un cours de formation de conducteur de camion/bus d’un montant total de CHF 24’468, qui devait être achevé au plus tard en été 2020. Elle a pris en charge les coûts jusqu’à un plafond maximal de CHF 19’900. Les autres frais étaient à la charge de l’assuré.

Consid. 6.2.2
Les mesures d’intervention précoce ont pour but de maintenir à leur poste les assurés en incapacité de travail ou de permettre la réadaptation des assurés à un nouveau poste au sein de la même entreprise ou ailleurs (art. 7d al. 1 LAI ; arrêt 8C_837/2019 du 16 septembre 2020 consid. 5.3). Les cours de formation en particulier visent à augmenter les chances de réadaptation de l’assuré, dans le respect du principe de proportionnalité (cf. Circulaire sur la détection et l’intervention précoces [CDIP], ch. marg. 3012.2). De telles mesures d’intervention précoce ne constituent pas des mesures de réadaptation (cf. CDIP, ch. 3003 ; arrêt 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 4.3.3). La cour cantonale a donc conclu à juste titre que l’assurance-accidents n’était pas tenue d’attendre la fin des mesures d’intervention précoce pour clore le cas.

 

Consid. 8.1 [résumé]
Les limitations fonctionnelles ont été définis en 2019 lors du séjour dans une clinique de réadaptation : pas de port de charges de plus de 15 à 25 kg de manière répétitive ni au-dessus de la taille, sans activité impliquant une importante force ou répétitive de la main gauche et sans exposition de celle-ci à des coups, des secousses ou des vibrations. Il a été établi que l’assuré ne peut utiliser sa main gauche (dominante) au-delà d’un usage comme main auxiliaire.

Consid. 8.2.1 [résumé]
Selon l’assuré, la perte de capacité fonctionnelle [funktionellem Leistungsvermögen] ne doit pas être prise en compte de manière théorique, mais de manière individuelle et dans le cadre d’activités concrètes.

Consid. 8.2.2
Il convient d’objecter à cela que l’assuré est limité pour des raisons de santé à la main gauche dominante. Le marché du travail équilibré déterminant (art. 16 LPGA ; ATF 134 V 64 consid. 4.2.1) comprend des activités qui n’impliquent pas ou que très peu l’utilisation de la main dominante (p. ex. comme main de soutien). On pense ici aux activités simples de surveillance, de vérification et de contrôle ainsi qu’à l’utilisation et à la surveillance de machines ou d’unités de production (semi-)automatiques (arrêts 8C_366/2021 du 10 novembre 2021 consid. 6.8.2 et 8C_450/2014 du 24 juillet 2014 consid. 7.2). Il n’est pas nécessaire de concrétiser davantage les activités de renvoi raisonnablement exigibles (ATF 138 V 457 consid. 3.1 ; arrêt 8C_381/2010 du 5 octobre 2010 consid. 3.2 ; cf. aussi consid. 12.2 ci-après). Etant donné qu’il n’y a pas de sollicitation importante de la main gauche dans le cadre de tels travaux, l’instance cantonale n’a pas violé le droit fédéral, en appréciant les rapports médicaux, en partant du principe que la capacité de travail résiduelle était entièrement exploitable pour des activités plus légères que celles décrites dans le profil d’exigibilité de la clinique de réadaptation.

 

Consid. 10.1
Pour déterminer le revenu – hypothétique – sans invalidité, il faut en règle générale se baser sur le salaire réalisé en dernier lieu par la personne assurée avant l’atteinte à la santé, en tenant compte de l’évolution des salaires, car l’expérience empirique montre que l’activité exercée jusqu’alors aurait été poursuivie sans atteinte à la santé. Des exceptions ne peuvent être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 145 V 141 consid. 5.2.1, 139 V 28 consid. 3.3.2).

Consid. 10.2
L’instance cantonale a considéré que, selon la confirmation de la société B. __ Sàrl, l’assuré aurait obtenu en 2019 un revenu annuel de CHF 62’000. Ce revenu constitue la base du revenu sans invalidité. Il serait inférieur d’environ 7% au revenu usuel dans la branche, extrapolé à l’année 2019, de CHF 66’367, selon l’ESS 2018, tableau TA1, pour les hommes de la branche « Transports et entreposage » (ch. 49-53), niveau de compétence 1 (activités simples de nature physique ou artisanale). C’est pourquoi il convient de procéder à la parallélisation ou d’augmenter le revenu de valide de 2%, après déduction de la limite de tolérance de 5%, pour le porter à CHF 63’240 (sur la parallélisation, cf. ATF 141 V 1, 135 V 58 et 297).

Consid. 10.4.1
L’assuré a travaillé comme chauffeur auprès de l’entreprise B.__ Sàrl. Dans le cadre de la parallélisation, l’instance cantonale a comparé son revenu dans dite activité titre avec celui de la branche « Transports et entreposage » (ch. 49-53) selon le tableau TA1 de l’ESS (cf. consid. 10.2 ci-dessus). Il faut toutefois convenir avec l’assuré que pour déterminer le salaire d’un chauffeur, il ne faut pas se référer à la branche 49-53 « Transports et entreposage » du tableau TA1 de l’ESS, car celle-ci comprend, outre les transports terrestres qui sont les seuls déterminants en l’espèce, également les transports maritimes et aériens. Le revenu des chauffeurs doit plutôt être déterminé sur la base du tableau ESS T17, groupe professionnel 83 « Conducteurs/trices de véhicules et d’engins lourds de levage et de manœuvre » (arrêts 9C_38/2019 du 9 mai 2019 consid. 3.4.3 et 8C_300/2015 du 10 novembre 2015 consid. 7.2).

Consid. 10.4.2
Les juges cantonaux ont considéré à juste titre que les revenus du recourant en 2020, année pour laquelle le droit à la rente devait être examiné, étaient déterminants.

Pour les hommes âgés d’au moins 50 ans dans le groupe professionnel 83 « Conducteurs/trices de véhicules et d’engins lourds de levage et de manœuvre », le revenu moyen selon la table ESS T17 s’élevait en 2018 à CHF 5’917 par mois, soit CHF 71’004 par an. Dans la division économique correspondante « Transports et entreposage » (ch. 49-53), la durée hebdomadaire usuelle de travail dans l’entreprise comptait en moyenne 42,4 heures en 2020 (OFS, Durée usuelle de travail par division économique, en heures par semaine, tableau T03.02.03.01.04.01 ; cf. aussi arrêt 9C_38/2019 du 9 mai 2019 consid. 3.4.3). L’indice des salaires nominaux pour les hommes dans le domaine « Transport et entreposage » était de 100,4 points en 2018 et de 101,1 points en 2020 (tableau T1.1.15, Indice des salaires nominaux, hommes, 2016-2020). Il en résulte pour l’année 2020 un revenu de valide usuel dans la branche de CHF 75’789 en chiffres arrondis.

Le revenu sans invalidité de l’assuré auprès de B.__ Sàrl de CHF 62’000 en 2019 donne, arrondi à l’année 2020, CHF 61’574 (indice des salaires nominaux pour les hommes dans le secteur « Transport et entreposage » de 101,8 points en 2019 et de 101,1 points en 2020) et est donc inférieur de 19%, en chiffres arrondis, au revenu de valeur usuel dans la branche de CHF 75’789. Le montant de CHF 62’000 doit donc être parallélisé ou augmenté de 14% pour atteindre CHF 70’680, après déduction de la limite de tolérance de 5%.

 

Consid. 11.1
Le revenu d’invalide que l’assuré peut obtenir malgré son atteinte à la santé est également contesté. Si, après la survenance de l’atteinte à la santé, la personne assurée n’a pas repris d’activité lucrative ou en tout cas pas une nouvelle activité que l’on peut raisonnablement exiger d’elle, les salaires statistique de l’ESS peuvent être pris en compte (ATF 143 V 295 consid. 2.2).

La déduction sur les salaires statistiques selon l’ATF 126 V 75 doit tenir compte du fait que des caractéristiques personnelles et professionnelles telles que le type et l’ampleur du handicap, l’âge, les années de service, la nationalité ou la catégorie d’autorisation de séjour et le taux d’occupation peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire et que, selon les caractéristiques, l’intéressé ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne, même sur un marché du travail équilibré. La déduction ne doit toutefois pas être automatique. Elle doit être évaluée globalement, en tenant compte des circonstances du cas d’espèce et dans les limites du pouvoir d’appréciation, et ne doit pas dépasser 25% (ATF 146 V 16 consid. 4.1).

 

Consid. 12.1
L’assuré fait valoir que l’instance cantonale s’est basée sur un profil théorique d’exigibilité sans mentionner d’activités professionnelles concrètes et sans discuter des critères subjectifs et objectifs d’exigibilité dans le cas d’espèce, et qu’elle conclut à un revenu d’invalide qui devrait être supérieur au revenu sans invalidité. Cela ne correspond ni à un marché du travail équilibré ni à un marché du travail réel. Cette pratique, qui prend en compte des profils d’exigibilité théoriques sans concrétisation au cas par cas, est critiquée dans la littérature. L’ancien juge fédéral Ulrich Meyer serait d’avis qu’il faudrait réduire les salaires statistiques en cas d’invalidité de 15 à 25%, de manière uniforme et linéaire (Plaidoyer 4/2021 p. 12).

Consid. 12.2
Comme relevé au consid. 8.2.2 supra, le revenu d’invalide pouvant raisonnablement être obtenu malgré l’atteinte à la santé doit être déterminé par rapport à un marché du travail équilibré, sans qu’il soit nécessaire de poser des exigences excessives quant à la concrétisation des possibilités de travail et des perspectives de gain (ATF 138 V 457 consid. 3.1). Les motifs pour un changement de jurisprudence ne sont pas démontrés par l’assuré et ne sont pas manifestes (à ce sujet, cf. ATF 145 V 304 consid. 4.4). Au contraire, dans l’ATF 8C_256/2021 du 9 mars 2022, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’existait à l’heure actuelle aucune raison objective sérieuse de modifier la jurisprudence selon laquelle le point de départ pour le calcul du revenu d’invalide sur la base de valeurs statistiques est en principe la valeur centrale ou médiane de l’ESS. Pour les raisons évoquées dans cet arrêt, il n’y a logiquement pas non plus de raison de réduire uniformément et linéairement les salaires statistiques de 15 à 25%.

Consid. 12.3
Ainsi, le revenu d’invalide calculé par la cour cantonale sur la base de la table ESS TA1 2018, ligne Total, hommes, niveau de compétence 1, reste à CHF 5’417 par mois, respectivement de CHF 65’004 par an, comme base de départ. Dans le domaine « Total », la durée hebdomadaire de travail usuelle dans les entreprises était en moyenne de 41,7 heures en 2020 (OFS, Durée de travail usuelle dans les entreprises par division économique, en heures par semaine, tableau T03.02.03.01.04.01). L’indice des salaires nominaux pour les hommes dans le domaine « Total » était de 101,5 points en 2018 et de 103,2 points en 2020 (tableau T1.1.15, indice des salaires nominaux, hommes, 2016-2020,). Cela donne pour l’année 2020 un revenu d’invalide arrondi à CHF 68’902.

Consid. 13.1
L’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch ») (ATF 146 V 16 consid. 4.2 ; arrêt 8C_239/2021 du 4 novembre 2021 consid. 5.1.2). Il ne résulte pas de la jurisprudence qu’une déduction selon l’ATF 126 V 75 est en principe injustifiée lorsque seule la capacité fonctionnelle de la main dominante est entravée. C’est pourquoi le Tribunal fédéral a renoncé, dans une jurisprudence de longue date, à introduire un critère selon lequel une déduction selon l’ATF 126 V 75 ne pourrait a priori être admise que si le membre supérieur dominant était fonctionnellement limité (arrêt 8C_500/2020 du 9 décembre 2020 consid. 3.2.3).

Consid. 13.2.1
L’assuré fait grief que l’abattement sur le salaire statistique est d’au moins 15% en raison du choix limité d’activités de référence, de la nécessité de prendre des pauses et d’autres effets de réduction du salaire tels que l’âge, la formation professionnelle, etc. L’abattement serait également supérieur à 15%, car l’instance cantonale n’a justement pas tenu compte des caractéristiques personnelles dans le cadre de la parallélisation.

Consid. 13.2.2
Dans la mesure où l’assuré renvoie à cet égard à ses arguments dans le recours de première instance, cela est irrecevable (ATF 143 V 168 consid. 5.2.3, 134 II 244 ; arrêt 8C_542/2021 du 26 janvier 2022 consid. 6).

Consid. 13.2.3
L’âge n’a qu’une importance limitée dans le contexte de l’abattement pour cause d’atteinte à la santé. La jurisprudence a souligné à plusieurs reprises que, selon les enquêtes de l’ESS, l’âge a même plutôt tendance à augmenter le salaire des hommes dans la tranche d’âge de 50 à 64/65 ans pour les postes sans fonction de cadre. La question de savoir si et dans quelle mesure cela vaut également pour les assurés qui, en raison de leur invalidité, doivent se réorienter professionnellement à un âge avancé, peut rester expressément ouverte ici. En l’espèce, il n’y a en tout cas pas d’éléments indiquant que l’assuré, en raison de son âge, devrait s’attendre à un salaire inférieur sur le marché général du travail par rapport à d’autres employés de sa catégorie d’âge. De telles circonstances ne sont d’ailleurs pas mentionnées dans le recours.

Le fait que la recherche d’un emploi puisse être plus difficile en raison de l’âge est un facteur étranger à l’invalidité qui n’est généralement pas pris en compte dans l’abattement (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1). Par conséquent, si un abattement sur le salaire statistique en raison de l’âge ne peut pas être justifiée, la question de savoir quel serait le moment déterminant pour l’examen du droit à une éventuelle déduction du salaire statistique en raison de l’âge avancé peut rester ouverte (ATF 146 V 16 consid. 7.1 ; cf. aussi ATF 8C_466/2021 du 1er mars 2022 consid. 3.6.2). Il en va de même pour la question de savoir si la caractéristique « âge » a une quelconque importance dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire au regard de l’art. 28 al. 4 OLAA (cf. arrêt 8C_466/2021 du 1er mars 2022 consid. 3.6.1 et les références).

 

Consid. 13.2.4
Par ailleurs, l’assuré ne démontre pas de manière convaincante quelles caractéristiques personnelles devraient conduire à un abattement supérieur celui de 15% estimé par la cour cantonale. Au vu de ce qui précède, cet abattement est maintenu. Cela conduit à un revenu d’invalide arrondi à CHF 58’567 (68’902 francs x 0.85 [cf. consid. 12.3 supra]).

Comparé au revenu sans invalidité de CHF 70’680 (cf. consid. 10.4.2 supra), il en résulte un taux d’invalidité arrondi à 17% (pour l’arrondi, cf. ATF 130 V 121), ce qui conduit à une rente d’invalidité correspondante à partir du 01.01.2020.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

 

Commentaires et remarques

Parallélisation et CCT

De jurisprudence constante, il n’y a pas lieu à majorer le revenu sans invalidité lorsque celui-ci est supérieur au salaire usuel de la branche déterminé selon le salaire minimum d’embauche d’une convention collective de travail (arrêts du Tribunal fédéral 8C_310/2018 du 18 décembre 2018 consid. 6.1 et 6.2 ; 8C_643/2016 du 25 avril 2017 consid. 4.3 et les références ; 8C_537/2016 du 11 avril 2017 consid. 6.1 et 6.2).

Il existe des dispositions complémentaires à l’accord national pour les entreprises membres de la section zurichoise de l’ASTAG et les Routiers Suisses, sections Zürich, Zürich Oberland, Schaffhausen-Nordostschweiz. Le salaire mensuel d’un chauffeur, catégorie D, après 4 années de service dans la profession, est de CHF 4’735. Nous ne savons en revanche pas si l’employeur (B.__ Sàrl) est membre de l’ASTAG.

 

Utilisation du tableau T17 pour une activité de chauffeur

Au consid. 10.4.1 du présent arrêt, le Tribunal fédéral se réfère au tableau T17 et non au TA1 pour examiner la parallélisation.

La référence faite à l’arrêt 9C_38/2019 consid. 3.4.3 nous surprend. Dans dite affaire, l’instance cantonale et l’office AI avait utilisé – à tort ou à raison – le tableau T17 pour fixer le revenu sans invalidité d’un chauffeur. Sauf erreur de notre part, il n’était nullement question d’utiliser le T17 car les transports maritimes et aériens étaient compris dans la ligne 49-53 (voire 49-52) du TA1.

Tel n’est pas le cas en revanche de l’arrêt 8C_300/2015, reprenant la même argumentation que le présent arrêt. Dans l’arrêt 8C_300/2015, se pose la question de savoir si le T17 a été utilisé pour prouver que, même avec un salaire plus élevé que celui issu du TA1, le taux minimum d’invalidité nécessaire pour le droit à la rente d’invalidité n’était pas atteint (10% pour un cas LAA ; 7% in casu).

 

Tableaux de l’ESS TA1 et T17

Le tableau TA1 concerne les salaires mensuels bruts (valeur médiane) selon les branches économiques, le niveau de compétences et le sexe, du secteur privé. Quant à lui, le tableau T17 se rapporte aux salaires mensuels bruts (valeur médiane) selon les groupes de professions, l’âge et le sexe, du secteur privé et du secteur public (Confédération, cantons, districts, communes, corporations) ensemble.

Pour le revenu d’invalide, le Tribunal fédéral a rappelé à réitérées reprises que la table T17 n’entrait pas en considération pour le revenu d’invalide lorsque la personne assurée n’a pas accès au secteur public (arrêts du Tribunal fédéral 8C_256/2021 du 9 mars 2022 – destiné à la publication – consid. 6.2 ; I 773/04 du 6 février 2006 consid. 5.2 ; RAMA 2000 n° U 405 p. 400 consid. 3b ; cf. également arrêt du Tribunal fédéral 8C_212/2018 du 13 juin 2018 consid. 4.4.2 ; 9C_72/2017 du 19 juillet 2017 consid. 4.2.3) ; en pareille situation, seul le tableau TA1_tirage_skill_level entrait en ligne de compte (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 31/05+I 32/05 du 20 mars 2006 consid. 6.3.1).

Deux questions nous viennent à l’esprit :

  • la première est de savoir si l’assuré avait accès aux emplois du secteur public dans son activité de chauffeur (par analogie de la jurisprudence relative à l’utilisation de la table T17) ;
  • la seconde est de savoir, puisque la table T17 (secteurs privé et public ensemble) a été privilégiée, si le tableau T1 (secteur privé et secteur public [Confédération, cantons, districts, communes, corporations] ensemble) pourrait être utilisé en lieu et place de la TA1 pour déterminer le revenu d’invalide.

Le fait de comparer des chiffres issus de statistiques provenant d’échantillonnage différents semble peu satisfaisant. Comme l’adage populaire le souligne avec raison, « c’est comparé des pommes avec des poires ».

Si le raisonnement du Tribunal fédéral devait être suivi de façon stricte, des difficultés risquent d’apparaître pour la détermination des revenus sans invalidité et d’invalide dès qu’une ligne du tableau TA1 englobe d’autres professions. Nous pensons par exemple aux lignes 41-43 « Construction » (englobant toutes les activités liées à la construction), 45-46 « Commerce de gros; com. et rép. d’automobiles », 49-52 « Transp. terrestres, par eau, aériens; entreposage » et 77,79-82 « Activités de services admin. (sans 78) ».

 

Revenu d’invalide – Niveau de compétences

Depuis l’ESS 2012, le niveau de compétences 1 correspond aux « tâches physiques ou manuelles simples » et le niveau de compétences 2 aux « tâches pratiques telles que la vente/ les soins/ le traitement de données et les tâches administratives/ l’utilisation de machines et d’appareils électroniques/ les services de sécurité/ la conduite de véhicules ».

Pour l’examen de la parallélisation, en utilisant le tableau TA1 et la ligne 49-53 « Transports et entreposage », il aurait été judicieux de prendre le niveau de compétences 2. On pourrait reprocher le fait que le salaire issu du tableau TA1 est inférieur à celui issu du T17.

 

 

 

Arrêt 8C_682/2021 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_682/2021 (d) du 13.04.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/06/8c_682-2021)

 

 

4A_271/2021 (f) du 07.02.2022 – Assurance ménage Objets de valeur / Justification des prétentions – Perte d’une montre de CHF 165’000 – 39 LCA / Violation du contrat – 45 LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_271/2021 (f) du 07.02.2022

 

Consultable ici

 

Assurance ménage Objets de valeur

Justification des prétentions – Perte d’une montre de CHF 165’000 / 39 LCA

Violation du contrat / 45 LCA

 

En 2013 ou 2014, l’assuré a acheté une montre valant 165’000 fr. à la société horlogère H.__ SA.

Le 22.12.2014, il a contracté auprès d’une compagnie d’assurances une assurance ménage couvrant notamment les dommages causés par le vol, la perte ou la disparition d’objets de valeur. Il a déclaré à ce titre la montre précitée en précisant que ce bijou valant 165’000 fr. était en or rouge 18 carats, assorti de 445 brillants.

Le 28.12.2015, l’assuré a annoncé la perte de sa montre à la compagnie d’assurances. Il a expliqué avoir constaté cette perte le 26.12.2015 après avoir livré des marchandises de Genève à Fribourg. L’incident était probablement survenu lors du chargement ou du déchargement. Il avait dû s’accrocher à quelque chose et provoquer l’ouverture du bracelet de la montre, lequel se fermait au moyen d’un aiguillon.

Le 26.01.2016, l’assuré a rempli une déclaration de perte sur le site Internet www.easyfind.com (application en ligne du Service suisse des objets trouvés).

Le 17.02.2016, la compagnie d’assurances lui a demandé de fournir l’écrin de la montre « volée », le contrat de vente et la preuve du paiement. Le 29.02.2016, elle lui a envoyé un rappel en l’invitant à transmettre dans les quinze jours le certificat de la montre « volée », son écrin, le contrat de vente et la preuve du paiement. L’assuré a répondu que « l’écrin de la montre volée » serait remis lors du règlement du sinistre; quant au contrat de vente et à la preuve du paiement, ils n’étaient « pas disponible[s] ».

La société d’assurances a encore demandé à d’autres reprises la production du certificat d’authenticité original, de l’écrin, du contrat de vente et d’une preuve de paiement. En vain.

Dans une missive du 28.04.2016, la compagnie a rappelé à l’assuré le contenu de l’art. 39 LCA en lui fixant un délai au 09.05.2016 pour produire les quatre éléments précités, non sans l’avertir qu’une fois cette échéance passée, elle ne fournirait aucune prestation. Constatant que l’assuré ne s’était pas exécuté, elle lui a signifié le 11.05.2016 qu’il était déchu de ses droits aux prestations. L’assuré a répondu le même jour qu’elle pouvait passer voir l’écrin de la montre à son bureau et qu’il ne possédait au surplus aucune facture ni contrat de vente.

 

Procédure cantonale

Le 17.11.2017, l’assuré a assigné la compagnie d’assurances en conciliation devant la Chambre patrimoniale vaudoise. Il a ensuite déposé une demande en paiement de 165’000 fr.

Entendue comme témoin, l’administratrice de la société horlogère a jugé possible que la pique du fermoir apposé sur le bracelet d’une de leurs montres se détache à la faveur d’un accrochage banal ou d’une mauvaise insertion de la pique dans le fermoir.

L’assuré a été débouté en première instance comme en appel.

 

TF

Consid. 2.1
L’assuré a conclu une assurance « ménage » régie par la loi fédérale sur le contrat d’assurance (LCA), qui couvrait notamment la perte d’objets de valeur. Il a déclaré avoir perdu sa montre valant 165’000 fr.

Conformément à l’art. 8 CC, il devait prouver les faits sous-tendant sa prétention contre la compagnie d’assurances (ATF 130 III 321 consid. 3.1), en particulier la forme et l’étendue de son dommage – comme le rappelle l’art. B2 let. b CGA. Par ailleurs, l’art. 39 LCA prévoit une obligation de renseigner ici renforcée par le contrat d’assurance (cf. art. B1 let. c CGA). Ces deux questions doivent être distinguées, bien qu’étant liées puisque la fourniture de renseignements sert à établir la prétention (WILLY KÖNIG, Der Versicherungsvertrag, in TDP VII/2, 1979, p. 530-532).

Lorsque l’ayant droit enfreint son obligation de renseigner, la sanction découlant de la LCA n’est qu’indirecte, à savoir que les prétentions d’assurance restent inexigibles aussi longtemps que l’assureur n’a pas obtenu les renseignements requis (cf. art. 41 al. 1 LCA; VINCENT BRULHART, Droit des assurances privées, 2e éd. 2017, n. 744 et 746; JÜRG NEF, in Basler Kommentar, Bundesgesetz über den Versicherungsvertrag (VVG), 2011, nos 15-16 ad art. 39 LCA; ROELLI/KELLER, Kommentar zum Schweizerischen Bundesgesetz über den Versicherungsvertrag, vol. I, 1968, p. 565 s.).

Ceci dit, les parties peuvent prévoir d’autres sanctions: l’art. 39 al. 2 LCA, dans sa teneur actuelle comme dans la version en vigueur à l’époque (cf. RO 24 [1908] 749), énonce ce qui suit:
« 2 Il peut être convenu:
-..]
2. que, sous peine d’être déchu de son droit aux prestations de l’assurance, l’ayant droit devra faire les communications prévues à l’alinéa 1er et à l’alinéa 2, chiffre 1er, du présent article, dans un délai déterminé suffisant. Ce délai court du jour où l’assureur a mis par écrit l’ayant droit en demeure de faire ces communications, en lui rappelant les conséquences de la demeure. »

Dans son ancienne teneur (RO 24 751 et art. 103a LCA), l’art. 45 al. 1 aLCA, jadis intitulé « Violation du contrat sans faute du preneur d’assurance ou de l’ayant droit », limitait ainsi la liberté contractuelle existant en la matière:
 » 1 Lorsqu’une sanction a été stipulée pour le cas où le preneur d’assurance ou l’ayant droit violerait l’une de ses obligations, cette sanction n’est pas encourue s’il résulte des circonstances que la faute n’est pas imputable au preneur ou à l’ayant droit. »

L’ayant droit pouvait donc faire obstacle à la clause de déchéance en prouvant son absence de faute (arrêts 4A_14/2021 du 15 février 2021 consid. 7.2; 4A_490/2019 du 26 mai 2020 consid. 5.3.4; 4A_349/2010 du 29 septembre 2010 consid. 4.2; NEF, op. cit., no 17 ad art. 39 LCA et nos 9-11 ad art. 45 LCA; ROELLI/KELLER, op. cit., p. 573 et 576; cf. aussi BRULHART, op. cit., n° 748; KÖNIG, op. cit., p. 531). En revanche, la clause s’appliquait sans égard au lien de causalité que le manquement pouvait avoir avec le dommage, sauf disposition contractuelle contraire (arrêt précité 4A_349/2010 consid. 4.2; NEF, op. cit., nos 15-16 ad art. 39 LCA; PASCAL GROLIMUND, Obliegenheiten: Alte und neue Abgrenzungs- und Anwendungsfragen, REAS 2020 p. 127 ch. III; MARKUS SCHMID, Die VVG-Revision aus der Sicht der Anwaltschaft, REAS 2020 p. 306 s. ch. VIII); une telle solution n’était pas du goût de tous les auteurs (cf. par exemple ALFRED MAURER, Schweizerisches Privatversicherungsrecht, 3e éd. 1995, p. 309 et KÖNIG, op. cit., p. 559 s.).

Désormais, le nouvel art. 45 al. 1 LCA, intitulé « Violation du contrat », contient une réserve en ce sens:
« 1 […], cette sanction n’est pas encourue dans les cas suivants:
a. il résulte des circonstances que la violation n’est pas imputable au preneur d’assurance ou à l’ayant droit;
b. le preneur d’assurance apporte la preuve que la violation n’a pas eu d’incidence sur le sinistre et sur l’étendue des prestations dues par l’entreprise d’assurance. »

Dans les versions allemande et italienne, les lettres a et b sont séparées par la conjonction de coordination  » oder « / « o « .

En d’autres termes, l’assureur ne pourra désormais plus refuser ou réduire ses prestations si l’intéressé établit que la violation des obligations n’a eu aucune incidence sur la survenance du sinistre ou sur l’étendue des prestations (cf. Révision de la LCA, Rapport explicatif du 6 juillet 2016 ch. 2.1.8 ad art. 45, accessible sur le site Internet www.admin.ch > Droit fédéral > Procédures de consultation > terminées > 2016 > DF des finances; Message du 28 juin 2017 concernant la révision de la LCA, FF 2017 p. 4777 i.f. et s. [peu clair dans les trois langues] et p. 4798 s. ad art. 45 al. 1).

 

Consid. 2.2
La Cour d’appel a trouvé deux motifs indépendants de rejeter la prétention émise par l’assuré/ayant droit:

  • D’une part, il n’avait pas prouvé son dommage.
    On pouvait certes admettre, sous l’angle de la vraisemblance prépondérante, qu’il avait démontré avoir acquis une montre valant 165’000 fr. avant de conclure le contrat d’assurance. Ce fait résultait d’une attestation rédigée par la société horlogère et du témoignage de son administratrice. La question n’était pas pour autant réglée.

    En effet, l’assuré devait encore prouver qu’il était toujours propriétaire de la montre au moment de sa prétendue perte, et établir sa valeur. Ces deux éléments importaient pour arrêter le montant de l’indemnisation. Or, il n’avait produit aucune preuve significative. Tout au plus avait-il proposé une photographie le révélant paré d’une montre à son poignet, mais cette pièce ne comportait aucune date et n’attestait pas de façon certaine qu’il s’agissait réellement de la montre litigieuse. En outre, il n’avait pas produit, comme requis, l’écrin de la montre et le certificat d’authenticité original. Or, ces deux éléments eussent constitué des indices concrets d’un droit de propriété actuel, à l’aune de la vraisemblance prépondérante; il était en effet usuel de transférer une montre de luxe avec son écrin et l’original du certificat d’authenticité.

  • D’autre part, en refusant systématiquement de fournir les deux pièces requises, l’assuré avait violé son devoir d’information. L’art. 9 de l' »Information à la clientèle » contenait une clause de déchéance des droits à la prétention, concrétisant l’art. 39 al. 2 ch. 2 LCA. La compagnie d’assurances avait satisfait aux exigences formelles prévues par cette disposition, si bien que la sanction contractuelle était applicable.

Consid. 3
La critique de l’état de fait doit cibler des éléments pertinents pour le sort de la cause (cf. art. 97 al. 1 i.f. LTF). En outre, dans la mesure où elle porte sur l’appréciation des preuves, l’assuré doit soulever le grief d’arbitraire (art. 9 Cst.) et expliquer de façon circonstanciée en quoi les juges d’appel auraient versé dans ce travers (cf. par ex. ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266; 133 II 249 consid. 1.4.3 p. 255).

L’assuré méconnaît en bonne partie ces principes et ne soulève aucun argument qui fasse mouche :

  • De son point de vue, la compagnie d’assurances aurait omis d’alléguer qu’il n’était plus propriétaire de la montre au moment de sa perte, et que sa demande relative à l’écrin et au certificat original de la montre visait précisément à établir la persistance de son droit de propriété. En réalité, il incombait à l’assuré d’alléguer et de prouver les faits sous-tendant sa prétention. Au surplus, préciser quels faits devaient être prouvés pour établir sa créance, ou juger de la pertinence des documents réclamés par l’assureur revenait à trancher des questions relevant du droit (à l’instar du degré de preuve requis) ou de l’appréciation des preuves, mais ne nécessitait en tout cas pas des allégations.
  • La Cour d’appel aurait méconnu que la photo produite datait du 01.05.2015.

    L’assuré a certes soutenu lors d’une réunion avec l’assureur que le cliché portait cette date (le premier jugement s’en fait du reste l’écho), ce qui ne signifie pas encore que tel était bien le cas. De surcroît, l’assuré ne contre pas le second argument des juges cantonaux, qui n’étaient même pas certains que ladite photo représentât la montre assurée. On ajoutera que le prétendu sinistre n’est censé être survenu qu’à la fin du mois de décembre 2015.

  • Ces mêmes juges n’ont pas méconnu que l’assuré avait fini par proposer le 11.05.2016 de présenter l’écrin de la montre à son bureau, et on peut lui donner acte du fait qu’il a rappelé avoir fait cette proposition dans un courrier ultérieur – tout en répétant qu’il ne voyait aucune raison de le remettre à l’assurance tant qu’elle ne l’aurait pas indemnisé. Ces indications n’ont toutefois pas la portée impérieuse que leur prête l’assuré, que ce soit au niveau de l’appréciation des preuves ou du devoir d’information.
  • Enfin, il faut concéder à l’assuré que dans son premier courrier du 17.02.2016, la compagnie d’assurances lui a demandé de fournir « le certificat et/ou la facture de la montre volée », en plus de l’écrin, de « la preuve de paiements » et du contrat de vente. Cette précision reste toutefois sans incidence pour l’issue de la cause.

 

Consid. 4
L’on gardera à l’esprit que la Cour d’appel a trouvé deux raisons distinctes de rejeter la demande en paiement de l’assuré, dont la première résidait dans l’absence de preuve du dommage.

Or, force est d’admettre que l’assuré ne parvient pas à remettre en cause le bien-fondé de cette analyse-ci.

Tout d’abord, il ne soulève aucune critique quant au degré de preuve appliqué (vraisemblance prépondérante).

Ensuite, il se borne à contester pro forma l’analyse selon laquelle il avait en définitive échoué à établir la perte de sa montre. Vu les circonstances nébuleuses et étranges dans lesquelles la montre avait prétendument été perdue, on pouvait effectivement admettre que la production de l’écrin et de l’original du certificat d’authenticité eussent fourni des indices sérieux que l’assuré ne s’était pas défait volontairement du bijou.

Au surplus, déterminer si l’assuré avait prouvé son dommage ressortissait à l’appréciation des preuves. Or, l’argumentation proposée dans son mémoire, outre qu’elle est peu étayée, ne parvient pas à insuffler le moindre sentiment d’arbitraire. Certes, dans un premier temps, la compagnie d’assurances a demandé le certificat et/ou la facture de la montre (ainsi que son écrin, le contrat de vente et la preuve du paiement), ce qui pouvait laisser entendre qu’elle mettait l’accent sur l’acquisition de la propriété de la montre. Cela étant, elle a ensuite réclamé plus d’une fois l’écrin et l’original du certificat d’authenticité, en particulier dans son ultimatum du 28.04.2016; la pertinence de ses réquisitions vient d’être confirmée. L’assuré a étrangement répondu qu’il montrerait l’écrin lors du règlement du sinistre, qu’il avait déjà produit une copie du certificat à la conclusion de l’assurance, ou encore que sa cocontractante s’était mal comportée et utilisait des mesures d’enquête dépourvues de bienveillance. Or, son attitude – décrite de façon plus détaillée dans les décisions cantonales, qui révèlent aussi des explications peu convaincantes quant au refus de fournir d’autres pièces et des signes d’un esprit rebelle -, conjuguée à l’incongruité de la thèse selon laquelle il aurait porté une montre aussi chère et raffinée, garnie de plus de 400 brillants, pour effectuer un transport de marchandises, laissait aux juges cantonaux toute liberté de constater sans arbitraire l’échec de la preuve de la perte dudit objet de valeur. Peu importe que l’assuré ait finalement proposé de présenter l’écrin à son bureau alors que l’ultimatum avait expiré. Au surplus, si la Cour d’appel s’est distanciée de la compagnie d’assurances et des premiers juges en tenant pour prouvée l’acquisition de la montre, on ne saurait pour autant lui reprocher d’avoir versé dans l’arbitraire en refusant d’épouser plus avant la thèse de l’assuré selon laquelle il avait établi la perte de cette montre.

En bref, le premier argument proposé par la Cour d’appel ne heurte en rien le droit fédéral.

 

Consid. 5
Les considérations qui précèdent privent d’objet les griefs dénonçant de prétendues violations de l’art. 39 al. 2 ch. 2 LCA et des CGA, respectivement un soi-disant abus de droit, puisqu’ils ciblent une argumentation alternative dont le bien- ou mal-fondé ne modifie en rien l’issue du procès.

Cela étant, les moyens soulevés appellent par surabondance deux brèves réflexions:

Consid. 5.1
L’assuré conteste que les parties aient convenu d’une clause de déchéance: rien de tel ne pourrait se déduire de l’art. 9 de l' »Information à la clientèle ».

L’art. 39 al. 2 LCA est clair: une convention doit prévoir que l’ayant droit est déchu de son droit aux prestations de l’assurance (« il peut être convenu »/ « Der Vertrag kann verfügen »/ « Il contratto può disporre »). Les textes allemand et italien évoquent la perte du droit aux prestations (« Verlust des Versicherungsanspruches »/ « perdita del diritto derivante dall’assicurazione »).

L’art. 9 de l' »Information à la clientèle » ne prévoit certes pas la déchéance du droit aux prestations, mais précise que la société d’assurances sera « libérée de ses engagements ». Dans la mesure où ceux-ci consistent principalement à verser l’indemnisation prévue par la police en cas de réalisation du sinistre, une telle formulation devrait en tout cas priver l’assuré de son droit à être dédommagé pour le sinistre, et partant conduire au rejet de sa demande en paiement (cf. mutatis mutandis arrêt 4C.314/1992 du 11 décembre 2001 consid. 3a et 3b/bb, qui voit dans une clause similaire [l’assureur « est libér[é] de ses obligations « ] l’institution d’une déchéance des droits de l’assuré; dans le même ordre d’idées arrêt 5C.55/2005 du 6 juin 2005 let. A.a i.f. et consid. 3.1, cité dans l’arrêt 4A_490/2019 consid. 5.10.3.1).

Consid. 5.2
L’assuré reproche aussi aux juges cantonaux d’avoir méconnu la teneur complète de l’art. 9 de l' »Information à la clientèle », qui libérerait selon lui l’assureur sauf dans deux hypothèses, soit l’absence de faute ou l’absence d’influence sur le dommage.

Il semble bien que cette disposition, interprétée selon le principe de la confiance, permette à l’ayant droit de tenir en échec la clause de déchéance, soit en prouvant son absence de faute, soit en démontrant l’absence de causalité entre son défaut de collaboration et le dommage. Ce principe apparaît aussi à l’art. 7 des Dispositions communes. A défaut de grief, l’autorité précédente ne s’est pas prononcée sur la question du lien de causalité entre le manquement et la survenance ou l’étendue du sinistre. Il est superflu d’en discourir plus avant, dans le présent contexte.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_271/2021 consultable ici

 

9C_274/2021 (f) du 22.02.2022 – Procédures d’action selon l’art. 73 LPP – Obligation d’alléguer les faits pertinents dans la demande en justice

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_274/2021 (f) du 22.02.2022

 

Consultable ici

 

Procédures d’action selon l’art. 73 LPP – Obligation d’alléguer les faits pertinents dans la demande en justice

Pas de violation des art. 9 et 29 Cst. par la Cour cantonale ayant renoncé à fixer au recourant un délai pour pallier les carences de sa demande

 

Par mémoire du 12.08.2019, l’assuré la Cour de justice cantonale d’une demande dirigée une Fondation LPP, tendant à la reconnaissance de son droit à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle obligatoire (« rente invalidité LPP ») avec intérêts moratoires, la suspension de la procédure étant requise jusqu’à droit connu quant aux prestations allouées par l’office de l’assurance-invalidité.

La Cour de justice a constaté, pour l’essentiel, que la demande du 12.08.2019 comportait un état de fait « plus que lacunaire » et n’était « aucunement motivée », le demandeur ne donnant aucune indication quant à l’atteinte à sa santé ni quant aux motifs pour lesquels la Fondation LPP devait intervenir. Par ailleurs, la juridiction cantonale a relevé l’absence même d’éléments suffisants lui permettant de se prononcer sur sa propre compétence. Elle a ainsi considéré que les conditions de recevabilité prévues par l’art. 89B LPA faisaient défaut.  La juridiction cantonale a déclaré irrecevable la demande par arrêt du 01.04.2021 (arrêt ATAS/314/2021).

 

TF

Consid. 4.1
Les procédures d’action selon l’art. 73 LPP ne font pas suite à une procédure administrative aboutissant à une décision initiale. A l’instar des actions civiles, elles nécessitent donc l’exposé de tous les faits et moyens de preuve pertinents pour pouvoir juger, sur le fond, du droit ou de la créance invoquée. S’il est certes exact, comme le fait valoir l’assuré, que le principe inquisitoire vaut également dans le cadre de la procédure en matière de prévoyance professionnelle (art. 73 al. 2 LPP), ce principe se trouve limité par l’obligation de collaborer des parties. Ces dernières doivent présenter les faits pertinents, ce qui implique que les allégations y relatives, voire la contestation de certains faits, doivent figurer dans leurs écritures. Cela vaut d’autant plus lorsqu’elles sont, comme c’est ici le cas, représentées par un avocat (ATF 138 V 86 consid. 5.2.3 et les références; arrêt 9C_48/2017 du 4 septembre 2017 consid. 2.2.2).

Consid. 4.2
En l’espèce,
on constate à la suite de la Cour de justice que la demande du 12.08.2019 ne permettait pas de comprendre sur la base de quel état de fait l’assuré faisait valoir une prétention. La partie « II. Faits » de la demande comporte une énumération de faits sans lien apparent entre eux ou avec la prestation réclamée. Il n’en ressort en particulier aucun élément quant à la nature d’une éventuelle atteinte à la santé dont souffrirait l’assuré (victime, selon ses indications, d’un accident le 14.09.1994), ni sur la date à laquelle celle-ci serait intervenue et aurait entraîné une incapacité de travail voire une invalidité. La seule mention qu’une procédure de l’assurance-invalidité serait en cours depuis août 2016 ne suffit pas à cet égard; en l’absence de toute indication en relation avec des circonstances déterminantes pour la reconnaissance du droit à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle (cf. art. 23 ss LPP), on voit mal quelle(s) preuve (s) la juridiction cantonale aurait été tenue d’administrer. Cela vaut d’autant plus que l’assuré indique lui-même avoir déposé des « demandes identiques » devant les tribunaux d’autres cantons (Valais, Vaud, Berne, Fribourg), admettant ainsi pour le moins implicitement la nature largement indéterminée de la prétention qu’il entend faire valoir à l’encontre de la Fondation LPP.

Contrairement à ce qu’il soutient ensuite, il n’appartenait pas à la Cour de justice de faire d’emblée verser le « dossier AI » à la procédure pour le consulter et y chercher les éléments susceptibles de fonder la prétention invoquée. Par ailleurs, le fait que la juridiction cantonale aurait déjà été appelée à statuer dans la « procédure AI » n’est pas déterminant. L’assuré perd en effet de vue qu’il s’agit d’une procédure distincte de celle qu’il a initiée en matière de prévoyance professionnelle et qu’il lui appartenait, dès lors, en vertu des exigences de l’art. 89B LPA (en relation avec l’art. 73 LPP) et de son devoir de collaborer, d’alléguer les faits pertinents dans la demande en justice. Le grief d’une violation de l’art. 73 al. 2 LPP tombe dès lors à faux, tout comme celui d’arbitraire dans l’application de l’art. 89B al. 1 let. a LPA. C’est en effet sans arbitraire que la Cour de justice a considéré que la norme cantonale exigeait un exposé succinct des faits ou des motifs invoqués et non pas seulement la mention de divers faits sans aucune indication quant à leur rapport avec le droit prétendu. Or un tel exposé faisait défaut dans la demande du 12.08.2019. Il en va de même, du reste, des « motifs invoqués », l’indication générale du lien fonctionnel entre l’assurance-invalidité et la prévoyance professionnelle ne suffisant pas à comprendre les raisons pour lesquelles la Fondation LPP serait appelée à prester; la seule mention du fait qu’elle était apparemment l’institution de prévoyance auprès de laquelle était affilié l’ancien employeur de l’assuré ne suffit pas à cet égard.

 

Consid. 5.1
La garantie constitutionnelle de l’accès à la justice n’est pas en cause en l’occurrence, car le justiciable reste libre d’introduire une nouvelle demande en justice à la suite d’une décision d’irrecevabilité, rendue en raison du défaut de réalisation des conditions formelles de l’action. Ce droit d’action n’est limité que par les délais de prescription de droit matériel (art. 41 LPP; ATF 129 V 27 consid. 2.2). Le grief de la violation de l’art. 29 Cst. sous cet angle est dès lors mal fondé, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la question de savoir s’il a été formulé conformément aux exigences de motivation accrues de l’art. 106 al. 2 LTF.

Consid. 5.2
Ensuite, l’art. 89B al. 3 LPA dont l’assuré invoque la violation est une règle de procédure de droit cantonal. Le Tribunal fédéral n’en revoit l’application que sous l’angle limité de l’arbitraire. Cette disposition prévoit que « Si la lettre ou le mémoire n’est pas conforme à ces règles, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice impartit un délai convenable à son auteur pour le compléter en indiquant qu’en cas d’inobservation la demande ou le recours est écarté. » L’instance précédente l’a interprétée à la lumière des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA – qui prévoient l’octroi d’un délai supplémentaire pour régulariser un acte de recours respectivement une opposition – ainsi que de la jurisprudence s’y rapportant. Selon le Tribunal fédéral, les conditions de l’octroi d’un délai supplémentaire en vertu des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA ne sont en principe pas réalisées lorsque la partie est représentée par un avocat ou un mandataire professionnel, sauf si ce dernier ne disposait plus de suffisamment de temps à l’intérieur du délai légal non prolongeable de recours pour motiver ou compléter la motivation insuffisante d’une écriture initiale, typiquement parce qu’il a été mandaté tardivement (ATF 134 V 162 consid. 5.1; arrêts 8C_817/2017 du 31 août 2018 consid. 4; 9C_191/2016 du 18 mai 2016 consid. 4.2.1; cf. ég. ATF 142 V 152 consid. 2.3 et 4.5).

En l’occurrence, on ne saurait reprocher à la Cour de justice d’avoir fait preuve d’arbitraire en renonçant à impartir un délai à l’assuré pour compléter son écriture, respectivement de n’avoir pas assorti le délai pour s’exprimer sur la réponse de la Fondation LPP d’une mention selon laquelle il lui appartenait de compléter sa demande sous peine d’irrecevabilité, comme le fait valoir en vain l’assuré. Ce dernier ne se trouvait en effet pas dans la situation dans laquelle son mandataire aurait pu invoquer avoir été consulté peu avant l’échéance d’un délai de recours, respectivement avoir dû agir rapidement pour un autre motif. A cet égard, son argument selon lequel son mandataire aurait été pressé par le temps parce que le droit à des intérêts moratoires de la part de la Fondation LPP ne naîtrait qu’à partir de la date de l’introduction de sa demande en justice ne saurait en aucun cas être suivi. Admettre une telle argumentation reviendrait en effet à faire fi des exigences de recevabilité d’une action en justice et à reconnaître qu’il serait loisible de rechercher quiconque en justice en se limitant à quelques allégations de fait sans relation suffisante avec la prétendue créance. Une telle démarche empêcherait notamment la partie défenderesse de prendre utilement position quant au bien-fondé de la demande; relevant d’un abus de droit, elle ne saurait être protégée. Il suffit, pour le surplus, de rappeler à la suite de la juridiction cantonale que le droit d’action prévu par l’art. 73 al. 1 LPP n’est soumis à l’observation d’aucun délai.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_274/2021 consultable ici

 

 

4A_179/2021 (d) du 20.05.2022 – destiné à la publication – La ville de Zurich n’assume aucune responsabilité pour un accident impliquant un tramway et un piéton

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_179/2021 (d) du 20.05.2022, destiné à la publication

 

Communiqué de presse du TF du 16.06.2022 disponible ici

Arrêt consultable ici

 

La ville de Zurich n’assume aucune responsabilité pour un accident impliquant un tramway et un piéton

 

La ville de Zurich n’est pas responsable du grave accident impliquant un piéton et un tramway des transports publics de Zurich (VBZ). Le piéton se trouvait à un arrêt de tramways – les yeux rivés sur son téléphone portable – lorsqu’il s’est soudainement engagé dans la zone des voies, sans regarder à gauche, et a été percuté par le tramway. Comme il y a une faute grave de la part du blessé, la ville de Zurich est déchargée de sa responsabilité civile en matière de droit ferroviaire. Le Tribunal fédéral admet le recours de la ville de Zurich et annule l’arrêt de la Cour suprême du canton de Zurich.

Le 20 février 2019, le piéton se trouvait à un arrêt de tramways, dos à un tramway des VBZ qui était en train d’arriver. Le piéton avait son regard fixé sur son téléphone portable lorsqu’il s’est soudainement engagé dans la zone des voies, sans regarder à gauche. Il a été percuté par le tramway et grièvement blessé. Il a ensuite réclamé une indemnité à la ville de Zurich, en tant que détentrice des VBZ. En 2020, le Tribunal de district de Zurich a admis la responsabilité de principe de la ville selon la loi sur les chemins de fer. La Cour suprême zurichoise a confirmé cette décision en 2021.

Le Tribunal fédéral admet le recours de la ville de Zurich, annule l’arrêt de la Cour suprême et rejette l’action (partielle) du blessé. Selon la loi sur les chemins de fer, les détenteurs d’une entreprise ferroviaire répondent en principe du dommage si les risques caractéristiques liés à l’exploitation du chemin de fer entraînent un accident dans lequel un être humain est blessé ou tué, ou dans lequel un dommage est causé à une chose. Le détenteur est libéré de la responsabilité civile si le comportement de la personne lésée doit être considéré comme la cause principale de l’accident, de sorte que le lien de causalité adéquate est rompu. Selon la loi sur la circulation routière, le tramway a en principe la priorité sur les piétons. Dans la circulation routière, il faut partir du principe que la personne lésée a commis une faute grave si elle ne respecte pas les règles élémentaires de prudence, respectivement si elle agit de manière «extrêmement imprudente». Cela se mesure au comportement d’une personne moyenne.

Dans le cas concret, le piéton a fait preuve d’une négligence grave en fixant son regard sur son téléphone portable et – distrait par cela – en s’engageant soudainement sur les voies du tramway, sans observer auparavant à gauche. L’accident s’est produit par beau temps et sur une route sèche, sur une ligne droite avec une bonne visibilité. Les piétons pouvaient facilement repérer de loin les tramways qui s’approchaient. La ville de Zurich n’avait pas non plus à mieux sécuriser l’arrêt de tramways. De plus, le blessé connaissait bien les lieux. Il est vrai que les piétons penchés sur leur téléphone portable font aujourd’hui partie du paysage urbain quotidien. Cependant, cela ne change rien au fait que les piétons doivent eux aussi faire preuve de l’attention requise par le trafic urbain. Le blessé aurait dû détourner son regard de son téléphone portable et regarder de tous les côtés. Au lieu de cela, il n’a même pas fait preuve d’un minimum d’attention. Son comportement contraire au code de la route et extrêmement imprudent constituait donc la cause principale de l’accident.

 

 

Arrêt 4A_179/2021 – destiné à la publication – consultable ici

Communiqué de presse du TF du 16.06.2022 disponible ici

 

 

 

8C_579/2021 (f) du 27.01.2022 – Assurance militaire – Intérêts moratoires – 9 al. 2 LAM – 26 al. 2 LPGA / Pas de violation du principe de la bonne foi – 5 al. 3 Cst. – 9 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_579/2021 (f) du 27.01.2022

 

Consultable ici

 

Assurance militaire – Intérêts moratoires / 9 al. 2 LAM – 26 al. 2 LPGA

Pas de violation du principe de la bonne foi / 5 al. 3 Cst. – 9 Cst.

 

Assuré couvert par l’assurance militaire contre le risque d’accidents et de maladies. Dès le 04.04.2003, il s’est trouvé en incapacité totale de travail et l’assurance militaire lui a versé des indemnités journalières puis lui a alloué une rente d’invalidité de 90%, renouvelée régulièrement, à compter du 01.08.2005. Il a également perçu une rente entière de l’assurance-invalidité à partir du 01.08.2003.

Par décision incidente du 19.05.2017, confirmée le 09.06.2017, l’office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE) a prononcé la suspension du versement de la rente d’invalidité avec effet immédiat, au motif que l’assuré avait travaillé comme directeur d’une société depuis 2010 au moins et qu’il avait siégé au conseil d’administration d’une autre depuis février 2000.

Dans le cadre d’une procédure de révision, l’OAIE a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire ; dans un rapport du 29.06.2017, les experts ont conclu à une capacité de travail de l’assuré de 50% dans toute activité.

Par décision incidente du 30.06.2017, l’assurance militaire a prononcé à son tour la suspension du versement de la rente d’invalidité avec effet au 01.08.2017, en raison d’un défaut de collaboration de l’assuré en vue de se soumettre à l’expertise pluridisciplinaire ainsi que de soupçons d’exercice d’une activité lucrative non déclarée de sa part depuis de nombreuses années; un éclaircissement était nécessaire à la fois sur le plan médical et sur celui de l’exercice éventuel d’une activité lucrative. Cette décision incidente a été confirmée par arrêt rendu le 07.12.2017 par la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève.

Le 29.03.2018, l’assurance militaire a informé l’assuré qu’elle entendait réduire sa rente d’invalidité à 50% dès le 01.08.2017, dès lors que sa capacité de travail avait été évaluée à 50% dans l’activité exercée initialement.

Par décision du 11.12.2018, confirmée sur opposition le 12.02.2020, l’assurance militaire a refusé le paiement d’intérêts moratoires sur le montant de 45’682 fr. 65 versé le 05.04.2018 et correspondant à la rente d’invalidité due pour la période d’août 2017 à avril 2018.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/715/2021 – consultable ici)

Par jugement du 30.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’art. 9 al. 2 de la loi fédérale sur l’assurance militaire du 19 juin 1992 (LAM) – dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020 et donc applicable ratione temporis au cas d’espèce conformément à la disposition transitoire de l’art. 82a LPGA – dispose qu’en dérogation à l’art. 26 al. 2 LPGA, un intérêt n’est dû qu’en cas de comportement dilatoire ou illicite de l’assurance militaire. L’obligation de payer un intérêt de retard n’existe que lorsque l’administration viole grossièrement ses devoirs, car sinon chaque décision erronée en matière de fixation de prestations pourrait donner lieu à des intérêts moratoires, ce que le législateur a précisément voulu éviter. L’art. 9 al. 2 LAM s’applique aux décisions de refus de prestations qui violent la loi ainsi qu’aux décisions en matière de prestations rendues au mépris d’éléments de fait essentiels ou fondées sur une instruction manifestement insuffisante (arrêt 8C_472/2016 du 6 juin 2017 consid. 5.3, non publié in ATF 143 V 231, et les références).

Consid. 3.2
En l’espèce, les juges cantonaux ont retenu que l’on ne pouvait pas reprocher à l’assurance militaire d’avoir adopté un comportement délibérément dilatoire en versant les arriérés début avril 2018 après avoir pris connaissance des résultats de l’expertise fin juillet 2017. L’assurance militaire n’avait pas non plus commis d’acte illicite.

 

Consid. 4.1
Aux termes de l’art. 5 al. 3 Cst., les organes de l’État et les particuliers doivent agir de manière conforme aux règles de la bonne foi. De ce principe général découle notamment le droit fondamental du particulier à la protection de sa bonne foi dans ses relations avec l’État, consacré à l’art. 9 Cst., dont le Tribunal fédéral contrôle librement le respect (ATF 147 IV 274 consid. 1.10.1 et la référence). Le principe de la bonne foi protège le justiciable, à certaines conditions, dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances reçues des autorités, lorsqu’il a réglé sa conduite d’après des décisions, des déclarations ou un comportement déterminé de l’administration (ATF 141 V 530 consid. 6.2; 131 II 627 consid. 6.1).

Selon la jurisprudence, un renseignement ou une décision erroné de l’administration peuvent obliger celle-ci à consentir à un administré un avantage contraire à la réglementation en vigueur, à condition que (1) l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard de personnes déterminées, (2) qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de ses compétences et (3) que l’administré n’ait pas pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu. Il faut encore (4) que l’administré se soit fondé sur les assurances ou le comportement dont il se prévaut pour prendre des dispositions auxquelles il ne saurait renoncer sans subir de préjudice, (5) que la réglementation n’ait pas changé depuis le moment où l’assurance a été donnée et (6) que l’intérêt à l’application du droit n’apparaisse pas prépondérant (ATF 143 V 95 consid. 3.6.2; 137 I 69 consid. 2.5.1).

Consid. 4.2
En l’espèce, l’assuré soutient que l’assurance militaire lui aurait promis de manière concrète, dans sa réponse du 28.08.2017 au recours interjeté conte la décision incidente du 30.06.2017, qu’il recevrait des intérêts moratoires sur les montants suspendus de sa rente. Dès lors que le versement de tels intérêts serait commun dans le domaine des assurances sociales, il n’aurait pas pu, même représenté par un mandataire professionnel, se rendre compte de l’erreur de l’assurance militaire. En raison de la promesse de l’assurance militaire, il aurait renoncé à recourir au Tribunal fédéral contre l’arrêt de la Chambre des assurances sociales du 07.12.2017, de sorte qu’il aurait adopté un comportement préjudiciable à ses intérêts sur lequel il ne pourrait plus revenir. Enfin, les conditions de fait et de droit n’auraient pas changé entre la promesse et la décision refusant l’octroi d’intérêts moratoires, et le respect de la promesse de l’assurance militaire importerait plus que la bonne application de la loi.

Consid. 4.3
Dans sa réponse du 28.08.2017, l’assurance militaire s’est limitée à citer le passage d’un arrêt du Tribunal fédéral portant sur le versement d’une rente de l’assurance-invalidité et de ses intérêts ensuite de la suspension de la rente durant une procédure de révision (arrêt 9C_45/2010 du 12 avril 2010 consid. 1.2), dans l’intention de contester l’existence d’un préjudice irréparable et par conséquent la recevabilité du recours cantonal. On ne voit pas que ce seul renvoi à un extrait de la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière d’assurance-invalidité, qui constituait un simple argument pour conclure à l’irrecevabilité du recours, puisse être assimilé à une assurance faite à l’assuré qu’il percevrait des intérêts moratoires sur la rente d’invalidité due pour la période durant laquelle son versement a été suspendu. Au demeurant, il n’apparaît pas crédible que l’assuré ait renoncé à recourir contre l’arrêt du tribunal cantonal du 07.12.2017 sur la base du contenu de la réponse du 28.08.2017, de sorte que le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_579/2021 consultable ici

 

9C_782/2020 (f) du 09.11.2021 – Maintien de la prévoyance au-delà de l’âge légal de la retraite – 33b LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_782/2020 (f) du 09.11.2021

 

Consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

Maintien de la prévoyance au-delà de l’âge légal de la retraite / 33b LPP

 

Ayant choisi de bénéficier d’une pension de retraite partielle et de poursuivre son activité lucrative à temps partiel au service du même employeur, le recourant est resté assuré pour son activité lucrative résiduelle auprès de l’institution de prévoyance de son employeur après l’âge ordinaire de la retraite.

Le litige porte sur le paiement des cotisations au 2e pilier de la part du recourant du fait de son affiliation à la prévoyance après l’âge ordinaire de la retraite.

Le TF rappelle tout d’abord que, selon l’art. 13 al. 1 lit. a LPP, les hommes ont droit à des prestations de vieillesse dès qu’ils ont atteint l’âge de 65 ans. Il est précisé à l’art. 13 al. 2 LPP qu’en dérogation à l’al. 1, les dispositions réglementaires de l’institution de prévoyance peuvent prévoir que le droit aux prestations de vieillesse prend naissance dès le jour où l’activité lucrative prend fin. Par ailleurs, d’après l’art. 33b LPP (activité lucrative après l’âge ordinaire de la retraite), l’institution de prévoyance peut prévoir dans son règlement la possibilité pour les assurés de demander le maintien de leur prévoyance jusqu’à cessation de leur activité lucrative, mais au plus tard jusqu’à l’âge de 70 ans.

Dans la présente affaire, la poursuite de l’activité lucrative à 50%, à teneur du contrat de travail, a eu pour conséquence l’obligation pour le recourant de cotiser à la prévoyance professionnelle dans cette mesure.

Le TF considère que le recourant a signé sans réserve le contrat de travail dans lequel les déductions légales étaient mentionnées, notamment à la caisse de prévoyance. De plus, il était stipulé dans ledit contrat que les honoraires étaient soumis, le cas échéant, à l’AVS/AI/APG/AC, à la retenue pour l’assurance-accidents et à la prévoyance professionnelle (LPP) selon les dispositions légales et règlements en vigueur. Le TF relève à cet égard qu’il était loisible au recourant de renoncer à poursuivre son activité aux conditions proposées si elles ne lui convenaient pas, et de quitter ses fonctions à l’âge ordinaire de la retraite. Quoi qu’il en soit, le recourant a travaillé à temps partiel au service de son employeur en touchant sa rente partielle de vieillesse, soit durant près d’une année. Le TF considère que dans cet intervalle, le recourant s’est tacitement (et donc volontairement) soumis à la réglementation qu’il conteste.

 

 

Arrêt 9C_782/2020 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

 

9C_61/2021+9C_197/2021 (f) du 01.03.2022 – Assurance obligatoire auprès de plusieurs institutions de prévoyance et invalidité partielle: survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité – 23 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_61/2021+9C_197/2021 (f) du 01.03.2022

 

Consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

Assurance obligatoire auprès de plusieurs institutions de prévoyance et invalidité partielle: survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité / 23 LPP

 

L’institution de prévoyance, qui n’était pas tenue de verser des prestations d’invalidité parce que l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité n’avait pas eu d’incidence sur les rapports de travail concernés, n’a pas non plus l’obligation de verser des prestations lorsque la personne n’est plus assurée auprès d’elle au moment de l’aggravation ultérieure de l’invalidité.

X a exercé différentes activités professionnelles à temps partiel, notamment pour le compte de M. et I. Dans le cadre de ces emplois, il a été affilié pour la prévoyance professionnelle respectivement auprès de la Caisse de pensions M. et de la Caisse I. La Caisse de pensions M. a refusé d’allouer des prestations d’invalidité à X. au motif que son atteinte à la santé n’avait pas influencé son activité auprès de l’employeur M.

Le TF rappelle tout d’abord que, selon l’ATF 129 V 132 consid. 4.3.3, lorsqu’un assuré devient invalide à 50% et abandonne pour cette raison l’un de ses emplois, conservant l’autre au même taux que précédemment, l’institution de prévoyance de l’employeur restant peut être tenue à prestations en cas d’augmentation ultérieure de l’incapacité de travail pour les mêmes raisons de santé lorsque cette augmentation survient à un moment où l’intéressé est assuré auprès d’elle et a une incidence sur les rapports de travail avec l’employeur concerné. Or, il résulte de cet arrêt que l’institution de prévoyance libérée de l’obligation de verser des prestations d’invalidité parce que l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité n’avait pas eu d’incidence sur les rapports de travail concernés, ne peut être tenue de verser des prestations, en cas d’aggravation ultérieure de l’invalidité pour les mêmes raisons de santé lorsque la personne n’est alors plus assurée auprès d’elle.

En l’espèce, X. a été affilié à titre obligatoire auprès de la Caisse de pensions M. de janvier 2013 à fin décembre 2014, mais non plus postérieurement à cette date. De plus, l’aggravation de son état de santé, qui trouve sa cause dans la sclérose en plaques ayant occasionné une incapacité de travail en avril 2013, est survenue en 2018, soit à un moment où il n’était plus assuré auprès de la caisse recourante. Dans ces circonstances, une obligation de prester de la caisse recourante ne pourrait être reconnue que si l’incapacité de travail initiale avait eu une incidence sur l’emploi exercé par l’intimé pour le compte de M. et pour lequel il était assuré auprès de la Caisse M., conformément à l’art. 23 let. a LPP. Or, selon le TF, X. n’a pas démontré qu’il aurait présenté une incapacité de travail durable dans le cadre de son emploi pour le compte de M. dès le début de sa maladie en 2013, soit pendant la période d’affiliation auprès de la recourante. Aucun des médecins consultés n’a fait état d’une incapacité de travail durable dans l’activité exercée pour le compte de M. De plus, la diminution du taux d’occupation pour M. s’est accompagnée notamment d’une augmentation du taux d’occupation pour I. ainsi que du suivi d’une formation.

En définitive, dès lors que l’intimé X. n’a pas subi d’incapacité de travail déterminante dans son emploi pour le compte de M. pendant la durée de son affiliation auprès de la Caisse M. au sens de l’art. 23 let. a LPP, à la suite de l’atteinte à la santé qui s’est manifestée en 2013, la caisse recourante ne saurait être tenue de prendre en charge l’aggravation de l’invalidité intervenue en 2018, soit à un moment où X. ne lui était plus affilié.

 

 

Arrêt 9C_61/2021+9C_197/2021 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

 

2C_575/2020 (f) et 2C_34/2021 (f) du 30.05.2022 – Arrêts concernant le service de transport «Uber» et le service de livraison de repas «Uber Eats»

Arrêts du Tribunal fédéral 2C_575/2020 (f)  et 2C_34/2021 (f) du 30.05.2022, destinés à la publication

 

Communiqué de presse du TF du 03.06.2022 consultable ici

Arrêt 2C_575/2020 consultable ici

Arrêt 2C_34/2021 consultable ici

 

Arrêts concernant le service de transport «Uber» et le service de livraison de repas «Uber Eats»

 

Le Tribunal fédéral rend deux arrêts concernant respectivement le service de transport «Uber» et le service de livraison de repas «Uber Eats». La société «Uber Switzerland GmbH» («Uber CH»), de siège à Zurich, et, en outre, dans une des procédures, la société néerlandaise «Uber B.V.», avaient contesté deux arrêts de la Cour de justice du canton de Genève. Selon le Tribunal fédéral, la Cour de justice n’est pas tombée dans l’arbitraire concernant le service de transport en retenant une relation de travail entre les chauffeurs Uber opérant à Genève et «Uber B.V.». Le Tribunal fédéral rejette le recours correspondant. S’agissant du service de livraison de repas, le Tribunal fédéral conclut que les livreurs doivent certes être considérés comme des employés, mais qu’il n’y a en revanche pas de contrat de location de services avec les restaurateurs. Il admet partant le recours relatif à cette cause.

En ce qui concerne le service de transport «Uber», le Service genevois de police du commerce et de lutte contre le travail au noir a décidé en 2019 qu’«Uber B.V.» devait être qualifiée d’exploitant d’entreprise de transport au sens de la loi cantonale genevoise sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur. En tant que telle, «Uber B.V.» devait respecter les obligations légales correspondantes, en particulier celles relatives à la protection sociale des chauffeurs et aux conditions de travail en usage dans leur secteur d’activité. Il a été fait interdiction à l’entreprise (et, en tant que de besoin, également à «Uber CH») de poursuivre ses activités, tant que la situation ne serait pas conforme au droit. Les autorités genevoises ont communiqué leur décision à différentes autorités fédérales et d’autres autorités genevoises, en particulier celles en charge de la mise en œuvre de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP). La Cour de justice du canton de Genève a confirmé cette décision. Elle a en substance considéré que les chauffeurs Uber actifs à Genève étaient liés à «Uber B.V.» par un contrat de travail, de sorte que cette société devait être qualifiée d’entreprise de transport.

Concernant «Uber Eats», l’Office cantonal de l’emploi genevois a décidé en 2019 que le service de livraison de repas devait être qualifié de location de services, relevant de la loi fédérale sur le service de l’emploi et la location de services (LSE). «Uber CH» devait par conséquent inscrire sa succursale de Genève au Registre du commerce de Genève et demander une autorisation conformément aux exigences de la LSE. La Cour de justice du canton de Genève a également confirmé cette décision.

Pour ce qui a trait au service de transport «Uber» (procédure 2C_34/2021), le Tribunal fédéral rejette le recours d’«Uber CH» et «Uber B.V.». Comme le litige porte sur l’application du droit cantonal, la cognition du Tribunal fédéral est limitée à l’arbitraire et aux griefs constitutionnels invoqués. Selon le Tribunal fédéral, il n’est pas arbitraire de retenir que les chauffeurs Uber opérant à Genève étaient liés à la société «Uber B.V.» par un contrat de travail, compte tenu des caractéristiques des relations contractuelles. Partant, il n’est pas insoutenable de qualifier «Uber B.V.» d’entreprise de transport au sens de la législation cantonale genevoise. Le Tribunal fédéral n’a pas à déterminer dans la présente cause si le système mis en place par «Uber B.V.» est conforme à l’ALCP. Il reviendra aux autorités compétentes de se prononcer sur ce point.

S’agissant du service de livraison de repas «Uber Eats» (procédure 2C_575/2020), le Tribunal fédéral admet le recours d’«Uber CH» et annule la décision attaquée. Le Tribunal fédéral conclut qu’il n’y a pas de location de services. La location de services désigne des relations tripartites entre un employeur (bailleur), une entreprise locataire et un travailleur. Elle implique deux contrats : d’une part un contrat de travail (au sens des articles 319 ss du Code des obligations) entre le bailleur de services et le travailleur et, d’autre part, un contrat de location de services entre le bailleur et le locataire de services. Compte tenu des caractéristiques des relations contractuelles, le Tribunal fédéral retient qu’il existe une relation de travail entre Uber et les livreurs. En revanche, il n’y a pas de contrat de location de services entre Uber et les restaurateurs, à défaut en particulier d’un transfert du pouvoir de direction aux restaurateurs et d’une intégration des livreurs dans l’organisation des restaurants.

 

 

Arrêt 2C_575/2020 consultable ici

Arrêt 2C_34/2021 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 03.06.2022 consultable ici

 

 

9C_689/2020 (f) du 01.03.2022 – Conditions d’affiliation à l’assurance obligatoire des soins – Domicile en Suisse / Convention de sécurité sociale entre la Suisse et les Etats-Unis / Qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_689/2020 (f) du 01.03.2022

 

Consultable ici

 

Conditions d’affiliation à l’assurance obligatoire des soins – Domicile en Suisse / 3 LAMal – 1 al. 1 OAMal – 13 LPGA – 23 ss CC

Statut de travailleur détaché et attestation de détachement – Qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché

Convention de sécurité sociale entre la Suisse et les Etats-Unis

 

Madame A.A.__ et Monsieur C.A.__, ressortissants suisses, sont les parents de B.A.__ (née aux USA en janvier 2013). Madame A.A.__ et sa fille sont assurées auprès de la caisse-maladie pour l’assurance obligatoire des soins depuis respectivement janvier 2010 et janvier 2013.

Le 17.06.2016, C.A.__ a annoncé à la caisse-maladie que son épouse et leur fille avaient eu un accident de voiture le 14.05.2016 à l’étranger. Il a ensuite remis à l’assureur-maladie différentes factures d’un montant total de 406’873,17 dollars pour les soins médicaux reçus par son épouse et sa fille dans un hôpital aux USA. Après avoir pris des renseignements sur le domicile des assurées, la caisse-maladie a, par décision du 10.11.2016, annulé la couverture d’assurance de Madame A.A.__ au 31.12.2012, considérant que l’intéressée avait élu domicile aux Etats-Unis depuis plusieurs années, vraisemblablement depuis décembre 2012. Elle a également annulé la couverture d’assurance de leur fille au 30.01.2013, considérant que l’enfant n’avait jamais été soumis à l’assurance-maladie obligatoire suisse. Par ailleurs, elle a refusé la prise en charge des frais conformément aux factures remises pour des soins prodigués aux Etats-Unis à Madame A.A.__ et B.A.__ ensuite de l’accident du 14.05.2016; elle a encore décidé que les primes payées seront remboursées et s’est réservée le droit de demander le remboursement des prestations déjà versées.

Par décision sur opposition du 14.07.2017, la caisse-maladie a modifié la décision du 10.11.2016 en ce sens que Madame A.A.__ n’est plus soumise à l’assurance-maladie obligatoire suisse au-delà du 30.11.2013 et que la couverture d’assurance est annulée au 30.11.2013. Elle a confirmé pour le reste la décision précitée.

 

Procédure cantonale (arrêt AM 51/17 – 28/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a retenu que l’enfant B.A.__ ne s’était jamais constituée de domicile en Suisse, faute d’avoir été annoncée par ses parents dans une commune suisse de sa naissance (en janvier 2013) au 21.06.2016. En ce qui concerne Madame A.A.__, elle a constaté que le dossier contenait de nombreux indices plaidant en faveur d’un déplacement du centre des intérêts personnels de l’intéressée de la Suisse aux Etats-Unis de décembre 2013 à septembre 2016.

En ce qui concerne la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché, les juges cantonaux ont retenu que si les conditions d’un tel détachement sont remplies, la caisse de compensation concernée établit une attestation de détachement et la remet à l’employeur (qui la transmet ensuite à la personne détachée). La caisse de compensation concernée confirme par cette attestation que la législation suisse continue d’être appliquée au travailleur détaché pendant qu’il travaille dans l’autre Etat. En l’absence d’attestation de détachement, les recourantes ne pouvaient par conséquent pas se prévaloir du fait que les membres de la famille qui accompagnent un salarié détaché depuis la Suisse vers les Etats-Unis restent soumis à la législation suisse de sécurité sociale.

En ce qui concerne la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché, les juges cantonaux ont retenu que si les conditions d’un tel détachement sont remplies, la caisse de compensation concernée établit une attestation de détachement et la remet à l’employeur (qui la transmet ensuite à la personne détachée). La caisse de compensation concernée confirme par cette attestation que la législation suisse continue d’être appliquée au travailleur détaché pendant qu’il travaille dans l’autre Etat. En l’absence d’attestation de détachement, Madame A.A.__ et sa fille ne pouvaient par conséquent pas se prévaloir du fait que les membres de la famille qui accompagnent un salarié détaché depuis la Suisse vers les Etats-Unis restent soumis à la législation suisse de sécurité sociale.

Par jugement du 22.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.2
Selon l’art. 1 al. 1 OAMal, les personnes domiciliées en Suisse au sens des art. 23 à 26 CC sont tenues de s’assurer, conformément à l’art. 3 LAMal. A l’inverse de ce que la juridiction cantonale a retenu, Madame A.A.__ a établi en instance cantonale avoir annoncé la naissance de sa fille à la Direction de l’Etat civil du canton de Vaud et s’être vu remettre un certificat de famille en avril 2013. Indépendamment des circonstances de l’inscription postérieure dans les registres de l’état civil de la commune de C.__, Madame A.A.__ a pris soin de son enfant à sa naissance et le domicile de celui-ci est donc intrinsèquement lié à celui de sa mère. Dans la mesure où la juridiction cantonale a constaté, de manière à lier le Tribunal fédéral, que le domicile de A.A.__ était à C.__ jusqu’au 30.11.2013, il convient de modifier le jugement attaqué. En ce qui concerne le droit des assurances sociales, il est constaté que la fille B.A.__ partageait le domicile de sa mère et était donc domiciliée à C.__ jusqu’au 30.11.2013 et assurée auprès de la caisse-maladie jusqu’à cette date.

 

Consid. 6
Les recourantes demandent à pouvoir se prévaloir d’un assujettissement à l’AOS fondé sur les art. 3 al. 3 LAMal et 4 al. 1 OAMal, relatifs aux travailleurs détachés et aux membres de leur famille. Elles font valoir que les attestations de détachement mentionnées par la juridiction cantonale et délivrées par la caisse de compensation concernée ne possèdent qu’un caractère constatatoire, dès lors qu’elles ont essentiellement pour but de permettre au travailleur détaché de prouver, en cas de besoin, dans le pays étranger qu’il existe un assujettissement aux assurances sociales en Suisse. L’assujettissement à l’AOS devrait dès lors s’effectuer à l’aune de l’art. 4 OAMal.

 

Consid. 7.1
Selon l’art. 3 al. 1 LAMal, toute personne domiciliée en Suisse doit s’assurer pour les soins en cas de maladie, ou être assurée par son représentant légal, dans les trois mois qui suivent sa prise de domicile ou sa naissance en Suisse. En vertu de l’art. 3 al. 3 let. b LAMal, le Conseil fédéral peut étendre l’obligation de s’assurer à des personnes qui n’ont pas de domicile en Suisse, en particulier celles qui sont occupées à l’étranger par une entreprise ayant un siège en Suisse.

Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a édicté l’art. 4 OAMal (« Travailleurs détachés »). Aux termes de cette disposition, demeurent soumis à l’assurance obligatoire suisse les travailleurs détachés à l’étranger, ainsi que les membres de leur famille au sens de l’art. 3 al. 2 OAMal qui les accompagnent, lorsque: le travailleur était assuré obligatoirement en Suisse immédiatement avant le détachement (al. 1 let. a) et qu’il travaille pour le compte d’un employeur dont le domicile ou le siège est en Suisse (al. 1 let. b). Les membres de la famille ne sont pas soumis à l’assurance obligatoire suisse s’ils exercent à l’étranger une activité lucrative impliquant l’assujettissement à une assurance-maladie obligatoire (al. 2). L’assurance obligatoire est prolongée de deux ans. Sur requête, l’assureur la prolonge jusqu’à six ans en tout (al. 3). Pour les personnes considérées comme détachées au sens d’une convention internationale de sécurité sociale, la prolongation de l’assurance correspond à la durée de détachement autorisée par cette convention. La même règle s’applique aux autres personnes qui, en raison d’une telle convention, sont soumises à la législation suisse pendant un séjour temporaire à l’étranger (al. 4).

Consid. 7.2
Le Conseil fédéral ne définit pas à l’art. 4 OAMal la notion de personnes « occupées à l’étranger par une entreprise ayant un siège en Suisse » (art. 3 al. 3 let. b LAMal), mais renvoie aux conventions internationales de sécurité sociale. Pour les personnes considérées comme détachées au sens d’une telle convention, il précise à l’art. 4 al. 4 OAMal que la prolongation de l’assurance correspond à la durée de détachement autorisée par cette convention.

Consid. 8.1
La Suisse et les Etats-Unis d’Amérique ont souhaité, par le biais d’une convention internationale de sécurité sociale, permettre aux entreprises établies dans l’un des deux Etats de détacher leurs employés sur le territoire de l’autre Etat tout en les maintenant assurés dans leur pays d’origine (Message concernant l’approbation de la convention de sécurité sociale révisée entre la Confédération suisse et les Etats-Unis d’Amérique du 15 mai 2013, FF 2013 2961, 2963). A cet effet, ils ont conclu une première convention de sécurité sociale le 18 juillet 1979 (ci-après: la Convention 1979), en vigueur du 1er novembre 1980 (RO 1980 1671) au 31 juillet 2014 (RO 2014 2269), puis une nouvelle convention le 3 décembre 2012 (ci-après: la Convention), en vigueur depuis le 1er août 2014 (RS 0.831.109.336.1). Le champ d’application ratione materiae de ces deux conventions englobe l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité, mais pas l’assurance-maladie.

Consid. 8.2
Aux termes de l’art. 6 par. 2 de la Convention 1979, modifié par l’avenant du 1er juin 1988 (RO 1989 2251), une personne exerçant une activité lucrative salariée, détachée, pour une durée prévisible de cinq ans au maximum, sur le territoire de l’un des Etats contractants, par une entreprise ayant un établissement sur le territoire de l’autre Etat, demeure soumise, quelle que soit sa nationalité, uniquement aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de ce dernier Etat comme si elle exerçait son activité sur le territoire de cet Etat. Si, avant l’échéance des cinq ans, l’entreprise qui a requis le statut de détaché pour la personne désire obtenir une prolongation de ce statut en sa faveur, cette prolongation peut exceptionnellement être accordée si l’autorité compétente de l’Etat du territoire duquel la personne est détachée, ayant considéré cette demande de prolongation comme étant justifiée, l’a présentée à l’autorité compétente de l’autre Etat contractant et a obtenu l’accord de celle-ci. Le conjoint et les enfants accompagnant une personne détachée au sens des deux phrases précédentes du présent paragraphe demeurent soumis uniquement aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de l’Etat d’où est détaché le travailleur à condition qu’ils n’exercent pas d’activité lucrative salariée ou indépendante sur le territoire de l’autre Etat.

Selon l’art. 3 par. 1 de l’arrangement administratif du 20 décembre 1979 concernant les modalités d’application de la Convention 1979, dans les cas visés à l’art. 6 par. 2 de la Convention 1979, l’organisme de l’Etat contractant dont la législation est applicable établit sur requête de l’employeur un certificat attestant que le travailleur intéressé demeure soumis à cette législation. Le certificat établit la preuve que le travailleur n’est pas assuré obligatoirement selon la législation de l’autre Etat contractant.

Consid. 8.3
Aux termes de l’art. 7 par. 2, 1ère phrase, de la Convention, une personne exerçant une activité lucrative salariée pour un employeur ayant un établissement sur le territoire d’un Etat contractant, et qui est détachée par cet employeur, pour une durée prévisible de cinq ans au maximum, sur le territoire de l’autre Etat contractant, demeure soumise, quelle que soit sa nationalité, uniquement à la législation concernant l’assurance obligatoire du premier Etat comme si elle exerçait son activité sur le territoire de cet Etat.

Lorsque, en application du titre III, une personne, quelle que soit sa nationalité, reste soumise à la législation d’un des Etats contractants alors qu’elle travaille sur le territoire de l’autre Etat contractant, cela vaut également pour son conjoint et ses enfants, quelle que soit leur nationalité, qui résident avec la personne sur le territoire du second Etat contractant, à condition qu’ils n’exercent pas eux-mêmes d’activité lucrative sur le territoire de cet Etat (art. 11 par. 1 de la Convention). Lorsque, en application du par. 1, la législation suisse est applicable au conjoint et aux enfants, ils sont assurés dans l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité (art. 11 par. 2 de la Convention).

Selon l’art. 3 par. 1 et 3 de l’arrangement administratif du 3 décembre 2012 concernant les modalités d’application de la Convention, lorsque la législation d’un Etat contractant est applicable conformément à l’une des dispositions du titre III de la Convention, l’organisme de cet Etat contractant établit sur requête de l’employeur ou du travailleur indépendant un certificat attestant que l’employé ou le travailleur indépendant est soumis à sa législation et indiquant la durée de validité du certificat. Ce certificat sert de preuve pour exempter le travailleur de l’assujettissement obligatoire selon la législation de l’autre Etat contractant (par. 1). Les requêtes en vue d’une prolongation de la période de détachement ou d’une exception à l’art. 12 de la Convention doivent être présentées à l’autorité compétente de l’Etat contractant auquel on demande le maintien de l’assujettissement (par. 3).

Consid. 9
En ce qui concerne les formalités en cas de détachement d’un travailleur salarié, l’art. 3 respectivement de l’arrangement administratif du 20 décembre 1979 et de l’arrangement administratif du 3 décembre 2012 prévoit une réglementation traditionnelle calquée sur le modèle d’autres conventions bilatérales conclues par la Suisse. Les formalités en cas de détachement correspondent donc aux standards de coordination prévus par le droit européen et international des assurances sociales.

A cet égard, en relation avec le droit de l’Union européenne, le Tribunal fédéral a déjà rappelé que l’attestation concernant la législation de sécurité sociale applicable aux travailleurs détachés a un effet déclaratif et non pas constitutif (ATF 134 V 428 consid. 4, en relation avec l’art. 11 du règlement [CEE] n° 574/72 [RO 2005 3909]; arrêt 8C_475/2009 du 22 février 2010 consid. 5.1). En délivrant une telle attestation, la caisse de compensation compétente se borne à déclarer que le travailleur demeure soumis à la législation de sécurité sociale suisse tout au long d’une période donnée au cours de laquelle il effectue un travail sur le territoire de l’Etat d’accueil.

Ces principes doivent également être appliqués en l’occurrence, étant donné que les formalités en cas de détachement dans les relations entre la Suisse et les Etats-Unis sont similaires à celles prévalant dans les rapports entre la Suisse et l’Union européenne. En conséquence, l’absence d’attestation de détachement ne suffit pas à nier le statut de travailleur détaché. Aussi, en retenant que Madame A.A.__ et sa fille ne pouvaient se voir reconnaître le bénéfice de la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché du simple fait qu’elles n’avaient pas produit une telle attestation, les juges cantonaux ont violé le droit fédéral. Si le document n’a pas été requis, le maintien de la législation de sécurité sociale suisse durant l’exercice temporaire d’une activité professionnelle à l’étranger doit être examiné librement par l’autorité saisie d’un litige en matière de sécurité sociale. Les juges cantonaux devaient donc examiner librement si Monsieur C.A.__ remplissait les conditions pour se voir reconnaître la qualité de travailleur détaché pendant la période litigieuse. En cas de réponse positive, ils devaient ensuite examiner si l’épouse et la fille pouvaient prétendre le statut de membres de la famille d’un travailleur détaché et si elles demeuraient pour ce motif soumises aux dispositions légales concernant l’assurance obligatoire de l’Etat d’où est détaché le travailleur, en l’occurrence la Suisse selon l’argumentation des recourantes.

Consid. 10
Faute pour la juridiction cantonale d’avoir procédé à un examen matériel de la qualité de membres de la famille d’un travailleur détaché invoquée par les recourantes, le Tribunal fédéral n’est pas en mesure de se prononcer sur ce point en l’état. Il convient dès lors de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle examine les conditions des art. 3 LAMal et 4 OAMal, à la lumière du renvoi aux conventions de sécurité sociale entre la Suisse et les Etats-Unis, et, le cas échéant, procède à des mesures d’instruction complémentaires.

 

Le TF admet le recours de Madame A.A.__ et sa fille, annule le jugement cantonal, renvoyant la cause au tribunal cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_689/2020 consultable ici

 

 

9C_485/2021 (d) du 21.02.2022 – Capital-décès: exigence d’un ménage commun dans le cadre d’un partenariat de vie donnant droit à prestation (concrétisation de la jurisprudence) / 20a al. 1 lit. a LPP – 49 al. 2 ch. 3 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_485/2021 (d) du 21.02.2022

 

Consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

Capital-décès: exigence d’un ménage commun dans le cadre d’un partenariat de vie donnant droit à prestation (concrétisation de la jurisprudence) / 20a al. 1 lit. a LPP – 49 al. 2 ch. 3 LPP

 

La condition réglementaire de former un ménage commun est jugée également remplie lorsque les partenaires ne font ménage commun que pendant la fin de la semaine et les vacances, dans la mesure où, comme en l’espèce, ils vivent séparément durant les jours de travail pour des raisons professionnelles, et non pas pour de simples motifs d’ordre pratique.

En l’espèce, le litige oppose la sœur et la compagne du défunt au sujet du capital-décès de ce dernier. Le tribunal cantonal avait rejeté la demande de la sœur du défunt et ordonné le versement du capital-décès à la partenaire du défunt. La sœur du défunt a recouru auprès du TF, en faisant valoir notamment qu’il n’y aurait pas eu de communauté de vie ininterrompue en ménage commun au sens prévu par le règlement de l’institution de prévoyance.

Le TF rappelle à cet égard que les institutions de prévoyance sont autorisées à définir le cercle des ayants droit de manière plus étroite que le prévoit l’art. 20a al. 1 lit. a LPP, car la désignation comme bénéficiaires des personnes mentionnées par cet article relève de la prévoyance étendue (art. 49, al. 2, ch. 3, LPP en référence aux ATF 144 V 327, consid. 1.1, 142 V 233, consid. 1.1, 137 V 383, consid. 3.2 et 136 V 49, consid. 3.2). Les institutions de prévoyance sont ainsi habilitées à prévoir dans leur règlement une notion plus restrictive du partenariat de vie. Ainsi, il est admissible de prévoir que la communauté de vie doive se dérouler en ménage commun.

Se référant à la jurisprudence actuelle, le TF considère que, sous le titre de ménage commun, on ne peut pas s’attendre sans autre à une communauté d’habitation permanente et indivise dans un lieu de résidence fixe. En effet, une telle représentation ne tient pas compte des réalités économiques ni des changements de société actuels. Il est fréquent que, pour des raisons professionnelles ou de santé ou pour d’autres motifs dignes de protection, deux partenaires n’habitent pas ensemble de manière ininterrompue, mais seulement une partie de la semaine par exemple. Ce qui doit être déterminant, c’est la volonté manifeste des deux partenaires de faire ménage commun en partageant dans la mesure du possible le même lieu de résidence (ATF 137 V 383, consid. 3.3). De nos jours, le concept de ménage commun est à comprendre au sens large. Cependant, il est exclu en cas de domiciles séparés pour des motifs purement pratiques. Il faut donc des circonstances particulières qui rendent particulièrement difficile ou impossible la constitution d’un domicile commun (ATF 138 V 86, consid. 5.1, 5.1.2 et 5.1.3).

Sur cette base, le TF arrive à la conclusion qu’il y a eu, en l’espèce, un «ménage commun» et donc une communauté de vie au sens réglementaire, car la vie séparée pendant les jours de travail était due à des raisons professionnelles, et non à des motifs purement pratiques, selon la constatation contraignante des faits de l’instance cantonale. Ainsi, le TF confirme la décision du tribunal cantonal d’ordonner le versement du capital-décès à la compagne du défunt assuré.

 

 

Arrêt 9C_485/2021 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici