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8C_799/2023 (f) du 03.09.2024 – Stabilisation de l’état de santé / Estimation de l’IPAI – Valeur probante de l’appréciation médicale du médecin-conseil

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_799/2023 (f) du 03.09.2024

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Estimation de l’IPAI – Valeur probante de l’appréciation médicale du médecin-conseil / 24 LAA – 25 LAA

 

Le 19.07.2017, assuré, né en 1972, a été victime d’un accident dans un parc d’attractions. Alors qu’il était assis sur un rocher, il a été projeté en l’air par un jet d’eau et a chuté de quelques mètres sur le sol. La chute lui a causé des fractures lombaires (en L1, L2 et L4).

L’assurance-accidents a pris en charge les frais médicaux et a versé l’indemnité journalière jusqu’au 30.06.2020, considérant qu’à partir de cette date, la poursuite du traitement médical ne pourrait pas apporter d’amélioration significative à l’état de santé consécutif à l’accident. Par décision du 19.06.2020, elle a refusé de lui allouer une rente d’invalidité, en raison d’un taux d’invalidité de 2%, soit insuffisant pour ouvrir le droit à une telle prestation. En revanche, elle lui a reconnu le droit à une IPAI de 15%. Saisie d’une opposition, elle l’a rejetée, tout en modifiant légèrement le calcul du taux d’invalidité; elle indiquait en outre que le droit de l’assuré à des prestations en lien avec une rechute serait examiné séparément (décision sur opposition du 26.11.2021).

 

Procédure cantonale (arrêt AA 8/22 et 41/22 – 116/2023 – consultable ici)

Par jugement du 02.11.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.3.1
En ce qui concerne d’abord la question de la stabilisation de l’état de santé, il sied de rappeler que le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (art. 19 al. 1 LAA). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Il ne suffit pas qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_682/2023 et 8C_695/2023 du 24 avril 2024 consid. 3.1.1 et les références).

Consid. 3.3.2
En l’espèce, les juges cantonaux ont confirmé que l’état de santé de l’assuré était stabilisé en mai 2020 (et qu’il était en mesure de travailler à un taux de 100% dans une activité adaptée), en se fondant sur l’appréciation du Dr E.__, médecin-conseil, du 25.05.2020, confirmée par le Dr C.__, médecin-conseil, le 05.05.2021. Ils ont relevé que les médecins consultés n’avaient pas d’autre traitement médical à proposer en dehors de l’ablation du matériel d’ostéosynthèse (toutefois refusée par l’assuré), d’un traitement conservateur et de la physiothérapie, ce qui ne constituait pas des traitements susceptibles d’améliorer notablement l’état de santé de celui-ci (référence faite à l’arrêt U 551/06 du 14 décembre 2017 consid. 7.3). Ainsi, faute d’amélioration possible, le cas de l’assuré devait être considéré comme stabilisé au printemps 2020. Les médecins de la Clinique F.__ avaient d’ailleurs évoqué une stabilisation médicale dans un délai de deux à trois mois après le séjour de l’assuré du 15.01.2020 au 11.02.2020. La stabilisation avait en outre été reconnue par l’assuré lui-même lors d’une consultation de l’appareil locomoteur du 05.05.2020 et par la voix de son avocat dans son opposition du 24.08.2020.

Consid. 3.3.4
En faisant valoir que les médecins dont il invoque les rapports ne constateraient pas clairement la stabilisation de son état de santé en mai 2020, l’assuré ne démontre pas, ni même ne prétend, que l’on pouvait encore attendre de la continuation d’un traitement médical une sensible amélioration de son état de santé au sens de l’art. 19 al. 1 LAA. En l’occurrence, dans aucun des rapports cités par lui, il n’appert qu’un traitement médical était encore envisagé au moment où l’assurance-accidents a mis fin aux prestations temporaires. D’ailleurs, dans son rapport relatif à la consultation du 05.05.2020, le Dr G.__ (chef de clinique à la Clinique F.__) ne préconise même plus la continuité de la physiothérapie. Enfin, contrairement à ce que fait valoir l’assuré, dans son rapport du 06.10.2021, le Dr D.__, médecin praticien, ne soutient pas que seule une expertise permettrait de savoir si l’état de santé était stabilisé ou non au moment déterminant. Il se limite à indiquer qu’une expertise serait certainement nécessaire pour examiner si la péjoration de l’équilibre sagittale intervient ou non sur une structure déjà atteinte non touchée par le traumatisme, question qui tout au plus relève de la procédure ouverte à l’annonce de la rechute en automne 2020.

 

Consid. 3.5.1
Pour ce qui est de l’IPAI, la cour cantonale a confirmé le taux de 15% retenu par l’assurance-accidents sur la base des conclusions du Dr E.__, médecin-conseil, du 18.05.2020, lequel s’est référé à la table 7 du barème d’indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA dans les affections de la colonne vertébrale (fourchette basse de la catégorie de douleurs ++). Elle a relevé que ce taux avait été confirmé par le Dr C.__, médecin-conseil, dans son évaluation du 05.05.2021. L’assuré ne pouvait opposer à cette appréciation les conclusions du Dr D.__ du 25.11.2020 estimant le taux de l’atteinte à 30%, dès lors que ce médecin additionnait deux facteurs qui ne pouvaient pas être cumulés et que ses conclusions concernaient la période postérieure à la rechute. Ainsi, il convenait de suivre l’avis du premier médecin-conseil qui n’était remis en doute par aucun autre avis médical circonstancié et objectivé.

 

Consid. 3.5.3
En l’occurrence, les conclusions relatives à l’IPAI du 18.05.2020 du Dr E.__ – qui a examiné personnellement l’assuré en octobre 2019 – font partie de son appréciation globale du 25.05.2020, laquelle tient compte des pièces jusqu’au 11.05.2020 et non jusqu’en février comme le soutient l’assuré. Son avis n’est pas dépourvu de motivation dès lors que le médecin indique la table sur laquelle il s’est fondé et, à l’intérieur de celle-ci, l’atteinte retenue (degré et échelle d’appréciation des douleurs), en précisant que le taux tient compte d’un état préexistant et de l’évolution à moyen terme. A cet égard, les critiques de l’assuré sur le descriptif lacunaire de l’accident (absence de mention d’un atterrissage sur sol rocailleux) sont dépourvues de pertinence, l’IPAI ne s’examinant pas au regard du déroulement d’un accident mais à l’aune des lésions subies. Quant aux rapports médicaux qu’il invoque, ils ne contiennent aucune estimation de l’atteinte à l’intégrité. Enfin, comme l’ont relevé les juges cantonaux, l’appréciation du Dr D.__ du 25.11.2020 (soit après l’annonce de la rechute) relève d’un cumul erroné entre un taux de 15% pour des fractures de catégorie 10-20° et un taux de 15% pour une spondylodèse. Or, selon la table 7 appliquée par ce médecin, les taux décrits sous fractures cervicales, dorsales ou lombaires comprennent précisément les cas de spondylodèse, cyphose ou scoliose. C’est bien ce qu’explique le Dr C.__ dans son rapport relatif à l’examen du 05.05.2021, qui ne contredit pas expressément l’appréciation du Dr E.__ mais tient compte de l’état de santé au jour de l’examen (et donc postérieur à l’annonce de la rechute). En conclusion, l’assuré échoue à mettre en doute le taux de 15% retenu par les juges cantonaux, sur la base des conclusions du Dr E.__ du 18.05.2020.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_799/2023 consultable ici

 

8C_782/2023 (f) du 06.06.2024 – Fin du droit aux indemnités journalières – Stabilisation de l’état de santé / Vraisemblance du revenu sans invalidité / Revenu d’invalide – Pas d’abattement pour permis B / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_782/2023 (f) du 06.06.2024

 

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Fin du droit aux indemnités journalières – Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Vraisemblance du revenu sans invalidité / 16 LPGA

Revenu d’invalide – Pas d’abattement pour permis B / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1987, gérant de l’entreprise B.__ Sàrl (ci-après: la société), qu’il avait fondée et qui avait été inscrite au registre du commerce le 07.02.2017. Le 17.10.2018, il a été victime d’un accident sur l’autoroute, en Italie, alors qu’il était passager d’un véhicule.

Par décision du 10.02.2022, confirmée sur opposition le 24.05.2022, l’assurance-accidents lui a octroyé une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 20% mais lui a dénié le droit à une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’invalidité de 9% n’ouvrait pas le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 73/22 – 110/2023 – consultable ici)

Par jugement du 12.10.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Il ne suffit pas qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_682/2023 du 24 avril 2024 consid. 3.1.1 et les références).

Consid. 3.2.2 [résumé]
L’assuré soutient principalement que l’opération chirurgicale recommandée n’était pas exigible. Cependant, il ne démontre pas qu’un autre traitement médical aurait pu améliorer sensiblement son état de santé. Il ne conteste pas non plus la stabilisation de son état au 01.11.2022, conformément à l’art. 19 al. 1 LAA. Au contraire, il cite un rapport de la médecin-conseil, du 12.07.2021, selon lequel aucun traitement chirurgical ni médical ne pourrait améliorer de manière notable son état de santé. Par ailleurs, si l’on considérait que l’intervention chirurgicale était exigible et susceptible d’améliorer sensiblement l’état de santé de l’assuré, celui-ci ne pourrait s’en prévaloir – tout en refusant de s’y soumettre – dans le but de maintenir son droit aux indemnités journalières.

L’assuré évoque des contradictions entre les rapports médicaux pour justifier une expertise, mais son argument n’est pas fondé. Bien que la médecin-conseil ait noté le refus de l’assuré des propositions chirurgicales et l’absence de changement de l’angle de cyphotisation, cela n’est pas contradictoire avec l’avis du chirurgien traitant qui avait évoqué une possible intervention tout en reconnaissant qu’elle n’était pas exigible d’un point de vue assécurologique.

En conclusion, le grief de l’assuré est rejeté et la date de stabilisation de son état de santé est maintenue.

 

Consid. 4.2.1
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 139 V 176 consid. 5.3).

Consid. 4.2.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont constaté que deux mois après l’accident, la société avait informé l’assurance-accidents d’une augmentation rétroactive du salaire de l’assuré (son gérant) à CHF 6’900 par mois à partir du 01.08.2018, soit environ deux mois avant l’accident. Un avenant au contrat de travail non daté, signé par l’assuré en tant qu’employeur et employé, a été produit. Cependant, la déclaration de sinistre du 19.10.2018 mentionnait un salaire mensuel de CHF 5’000, jugé plus conforme au revenu effectif de l’assuré avant l’accident, considérant le certificat de salaire de CHF 50’187net pour 2017. Les juges ont rappelé l’art. 15 al. 2 LAA, prévoyant que le salaire déterminant pour le calcul des rentes est celui gagné durant l’année précédant l’accident. Ils ont validé la décision de la l’assurance-accidents de prendre en compte un salaire annuel de CHF 68’536 (CHF 5’272 x 13) comme revenu de valide, correspondant au salaire de la Convention nationale du gros œuvre pour 2021 mentionné dans le contrat de travail de l’assuré.

Consid. 4.3
Les considérations des juges cantonaux sont convaincantes et il convient de s’y rallier; un salaire mensuel de CHF 6’900 n’apparaît pas comme le montant le plus vraisemblable au regard des éléments mis en évidence par eux. Les explications de l’assuré sont soit incomplètes, soit confuses. En effet, s’il avait perçu en 2017 un salaire uniquement à partir de juillet, cela reviendrait à retenir un revenu moyen mensuel de plus de CHF 8’000 au vu du certificat de salaire 2017 mentionnant un revenu annuel net de CHF 50’187, ce qui se heurte au contenu du contrat de travail et à la prétendue augmentation de salaire (à CHF 6’900) dès le mois d’août 2018. Quant aux fiches de salaire, elles mentionnent un versement en espèces, sans que le dossier fasse état de quittance de paiement. Ces éléments sont autant de motifs qui ne plaident pas en faveur de l’assuré. Partant, les juges cantonaux étaient fondés à confirmer le choix de l’assurance-accidents de se référer aux salaires conventionnels, vu les allégations contestables de l’assuré et la faible force probante que l’on peut accorder aux pièces produites par lui.

 

Consid. 5.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 5.3
En l’occurrence, la cour cantonale a confirmé le taux d’abattement appliqué par l’assurance-accidents sur le revenu statistique « compte tenu de la situation de l’assuré ». Toutefois, à la lecture de l’arrêt attaqué, il n’est pas possible de saisir quel (s) facteur (s) de réduction entrent en considération pour eux. Quoi qu’il en soit, l’argumentation de l’assuré, en tant qu’il requiert une déduction de 25% liée au handicap, doit être rejetée.

Celui-ci ne conteste pas sa capacité totale de travail, sans diminution de rendement, dans une activité adaptée, ni les limitations fonctionnelles retenues, excluant les activités avec port de charges très légères (inférieures à 5 kg), les activités nécessitant une position statique (assis ou debout; alternance des positions nécessaire), la marche répétée ou prolongée et la position en porte-à-faux du rachis. Cela étant, compte tenu du large éventail d’activités légères offert dans le marché du travail, un certain nombre d’entre elles sont adaptées à de telles limitations et accessibles sans aucune formation particulière. L’on peut penser à des activités simples et répétitives dans le domaine industriel léger (par exemple montage, contrôle ou surveillance d’un processus de production; ouvrier à l’établi dans des activités simples et légères, etc.). Par conséquent et vu qu’une diminution de rendement n’a pas été retenue, un taux de 10% en raison du handicap peut être confirmé. Quant aux autres facteurs de réduction, ils n’entrent pas en considération (le permis B n’étant pas susceptible de réduire les perspectives salariales de l’assuré au regard de la nature des activités encore exigibles).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_782/2023 consultable ici

 

9C_162/2024 (f) du 31.07.2024 – Tâcherons et sous-traitants – Détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales / Maxime inquisitoire de la caisse de compensation – Pas de renversement du fardeau de la preuve

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_162/2024 (f) du 31.07.2024

 

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Tâcherons et sous-traitants – Détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

Maxime inquisitoire de la caisse de compensation – Pas de renversement du fardeau de la preuve

 

A.__ Sàrl (ci-après: la société) est affiliée en tant qu’employeur auprès d’une caisse de compensation. Un contrôle d’employeur portant sur la période de janvier 2017 à décembre 2021 a mis en évidence que la société avait opéré différents versements en espèces en faveur de B.__ Sàrl dans le courant de l’année 2020, pour un montant total de CHF 138’868, sans pouvoir produire de justificatifs détaillés. Par décision du 20.10.2022, confirmée sur opposition le 26.01.2023, la caisse de compensation a réclamé à A.__ Sàrl le paiement de CHF 21’371.75, correspondant à des cotisations sociales sur le montant payé à B.__ Sàrl, qualifié de salaires versés à des employés de la société.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2023 15 – consultable ici)

Par jugement du 26.01.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
L’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels applicables notamment à la détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales (art. 5 al. 2 et 9 al. 1 LAVS; ATF 140 V 108 consid. 6; 123 V 161 consid. 1 et les arrêts cités), ainsi que les règles sur l’administration et l’appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA). Il suffit d’y renvoyer.

Selon la jurisprudence, les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante. Leur activité ne peut être qualifiée d’indépendante que lorsque les caractéristiques de la libre entreprise dominent manifestement et que l’on peut admettre, d’après les circonstances, que l’intéressé traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail (arrêt 8C_597/2011 du 10 mai 2012 consid. 2.3 et les arrêts cités).

Un employeur peut faire exécuter un travail par une personne à laquelle il verse lui-même un salaire ou le confier à un tiers indépendant ou à une personne morale, qui emploie, le cas échéant, son propre salarié pour ce faire. Dans la seconde éventualité, l’indemnité versée au tiers pour l’exécution du travail ne constitue pas un salaire déterminant, mais la rémunération d’une activité indépendante voire ne constitue pas, dans le cas de la personne morale, un revenu soumis à cotisations. Des rapports de travail dont découlerait un salaire déterminant provenant d’une activité dépendante ne peuvent pas être conclus avec une personne morale. Lorsqu’un travail est confié à une personne morale, ce n’est pas l’indemnité en découlant qui est soumise à l’obligation de cotiser, mais le salaire que la personne morale verse à la personne physique qu’elle emploie (arrêt 8C_218/2019 du 15 octobre 2019 consid. 4.1.1).

Par ailleurs, une personne est libre de choisir la forme juridique de son activité et d’adopter par exemple la forme juridique de la société anonyme ou de la société à responsabilité limitée pour bénéficier, par exemple, d’une limitation de la responsabilité. Cependant, lorsqu’il existe des circonstances concrètes amenant à conclure que le statut juridique de la personne morale a été uniquement adopté pour des motifs liés au droit des assurances afin d’économiser des cotisations et que la personne morale n’exerçait pas d’activité entrepreneuriale proprement dite – du moins par rapport au donneur d’ordre -, l’indépendance juridique de la personne morale ne produit pas ses effets du point de vue du droit des assurances sociales (arrêt 8C_218/2019 précité consid. 4.2.2).

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a d’abord relevé que le fait qu’une personne morale, en l’occurrence une société à responsabilité limitée, délègue la réalisation de certains travaux à une autre société du même type ne présente en soi rien de répréhensible. Certains indices caractéristiques (montants élevés versés en espèces, recours à des tâcherons fréquent dans la branche) ont soulevé des doutes. A.__ Sàrl a versé 138’868 fr. en espèces à B.__ Sàrl sur quelques mois, une somme représentant une part importante de son chiffre d’affaires moyen (environ 367’000 fr. entre 2013 et 2019). De plus, le recours à des tâcherons est fréquent dans le domaine de la construction. Ces éléments ont créé une « présomption » que ces versements auraient pu être effectués dans le but d’économiser des cotisations sociales. La charge de prouver le contraire incombait à A.__ Sàrl.

L’instance cantonale a estimé que A.__ Sàrl n’avait pas réussi à démontrer, au degré de vraisemblance prépondérante, que ces versements n’avaient pas pour but d’économiser des cotisations. Par conséquent, elle a confirmé la décision de la caisse de compensation considérant que des cotisations sociales étaient dues par A.__ Sàrl sur les montants versés à B.__ Sàrl.

 

Consid. 5.1
La recourante reproche aux premiers juges d’avoir constaté les faits de manière manifestement inexacte et violé le droit fédéral, en particulier l’art. 5 al. 2 LAVS. Elle leur fait grief d’avoir nié qu’elle avait démontré, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’elle avait bien versé sa « rétribution à un employeur », alors qu’ils n’ont pas examiné tous les éléments déterminants pour la qualification d’une activité de dépendante ou d’indépendante, en application d’une « jurisprudence qui ne trouvait nullement sa place dans le cas d’espèce ». De l’avis de la société, la juridiction cantonale ne pouvait dès lors pas considérer que les montants qu’elle avait versés à la société sous-traitante devaient être assimilés à des salaires qu’elle aurait versés à ses propres « employés dépendants ».

 

Consid. 5.2
L’argumentation de la recourante est en partie bien fondée. On ne voit tout d’abord pas sur quelle disposition légale ou jurisprudence l’autorité judiciaire de première instance fonde une « présomption » – à l’aune de laquelle elle a essentiellement examiné la cause – quant au but d’économie des cotisations sociales en cas de versements d’une personne morale à une autre, en présence de certains éléments caractéristiques; l’arrêt qu’elle cite (8C_218/2019 du 15 octobre 2019) ne comprend pas de considération correspondante. Ensuite, il incombait à la caisse de compensation et, à sa suite à l’instance précédente, d’examiner concrètement les caractéristiques de l’activité déployée par la société sous-traitante pour le compte de la recourante, ce qu’elles ont précisément manqué de faire en l’occurrence. L’arrêt entrepris ne contient en effet aucune constatation quant au point de savoir notamment qui de A.__ Sàrl ou de B.__ Sàrl supportait le risque économique de l’activité en cause. Or la jurisprudence selon laquelle les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante (consid. 3.2 supra) ne signifie pas que le principe de l’instruction (art. 43 et 61 let. c LPGA) ne s’applique pas ou seulement sous une forme atténuée. Au contraire, il faut en principe procéder à un examen approfondi des circonstances particulières de chaque cas. De même, il ne faut pas poser d’exigences excessives quant à l’obligation de collaborer de la personne physique ou morale (au sens de l’art. 28 LPGA) à laquelle on s’adresse en tant qu’employeur. Il n’y a pas de renversement du fardeau de la preuve et le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante, habituel en droit des assurances sociales, s’applique (cf. arrêt H 191/05 du 30 juin 2006 consid. 4.1 et les références).

Par ailleurs, lorsqu’une personne exerce simultanément plusieurs activités lucratives, il faut examiner pour chacune d’elles si le revenu en découlant est celui d’une activité indépendante ou salariée, même si les travaux sont exécutés pour une seule et même entreprise (ATF 122 V 172 consid. 3b; 104 V 126 consid. 3b). En particulier, pour les activités exercées dans le secteur principal ou secondaire de la construction, il est important de déterminer, entre autres éléments, qui répond des travaux mal exécutés vis-à-vis du maître d’ouvrage ou du propriétaire de l’ouvrage. Il s’agit ici de savoir si le tâcheron peut être considéré comme un partenaire commercial qui traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail (cf. arrêt H 191/05 précité consid. 4.1 et les références). En l’occurrence, l’arrêt entrepris ne contient aucune constatation sur ce point.

Consid. 5.3
Dans la mesure où les éléments qui auraient permis d’évaluer la relation contractuelle entre la recourante et B.__ Sàrl font largement défaut en l’espèce, la cause n’est pas en état d’être jugée. En particulier, les pièces produites par la recourante (essentiellement trois factures établies par B.__ Sàrl, par lesquelles elle facture à A.__ Sàrl le total des heures effectuées, sous la mention « Heure de régie », sans donner d’autres précisions), ne permettent pas de conclure que l’activité déployée par la société sous-traitante (et son personnel) pour le compte de la recourante en 2020 aurait été un travail dépendant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS. Par ailleurs, selon les constatations cantonales, non contestées par la recourante, celle-ci n’a pas produit les contrats ou accords avec la société sous-traitante, ainsi que les preuves d’adjudication et des contrats avec les maîtres d’ouvrage ou les architectes (notamment en raison du fait que les travaux qu’elle avait confiés à B.__ Sàrl l’avaient été en vertu d’un contrat oral). Dans ces circonstances, la caisse de compensation devra procéder à des clarifications complémentaires et rendre ensuite une nouvelle décision sur l’obligation litigieuse de la recourante de payer les cotisations sociales sur les rémunérations qu’elle a versées à la société sous-traitante. Le recours est bien fondé sur ce point.

 

Le TF admet partiellement le recours de la société.

 

 

Arrêt 9C_162/2024 consultable ici

 

9C_631/2023 (f) du 24.06.2024 – Calcul de la rente de vieillesse – art. 52 Règl. 883/2004 / Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_631/2023 (f) du 24.06.2024

 

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Calcul de la rente de vieillesse / art. 52 Règl. 883/2004

Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal – Egalité de traitement et discrimination basée sur le handicap / 8 al. 1 Cst. – 8 al. 2 Cst. – 8 CEDH – 14 CEDH

 

Assurée, ressortissante portugaise née en 1957, a travaillé et accompli des périodes de cotisations au Portugal de 1972 à 1988, puis en Suisse d’octobre 1988 jusqu’à son accession à l’âge de la retraite en 2021. Par décision du 15.09.2021, confirmée sur opposition le 03.06.2022, la caisse de compensation lui a alloué une rente de vieillesse de CHF 1’057 par mois dès le 01.09.2021. Le calcul de la rente tenait compte d’un revenu annuel moyen déterminant de CHF 38’718, de cinq ans de bonifications pour tâches éducatives et d’une échelle de rente 27 déterminée en fonction d’une durée de cotisations de vingt-six ans et trois mois.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2022 108 – consultable ici)

Par jugement du 30.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
La cour cantonale a confirmé le droit de l’assurée à une rente de vieillesse de CHF 1’057 par mois. Elle a considéré que, dans le cadre de la coordination européenne des systèmes de sécurité sociale, la caisse de compensation était en droit d’effectuer un calcul « autonome » de la rente, conformément à l’art. 52 par. 1 let. a du Règlement (CE) n° 883/2004 (RS 0.831.109.268.1), sans tenir compte des périodes de cotisations accomplies au Portugal, conformément à la jurisprudence constante (ATF 133 V 329 consid. 4.4; 131 V 371 consid. 5, 6 et 7.1; 130 V 51 consid. 5; arrêts 9C_368/2020 du 9 juin 2021 consid. 5 in: SVR 2021 AHV n° 22 p. 71; 9C_9/2018 du 19 juin 2018 consid. 3.2).

La juridiction a également relevé que, bien que l’assurée ait exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) le 01.06.2002, elle ne pouvait pas se prévaloir d’une disposition plus favorable de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal (RS 0.831.109.654.1; ci-après: la convention Suisse-Portugal) dans la mesure où il n’en existait pas.

 

Consid. 3.2 [résumé]
L’assurée ne conteste pas l’application de l’art. 52 par. 1 let. a du règlement n° 883/2004, mais critique la décision des juges cantonaux concernant la convention Suisse-Portugal. Elle argue que si elle avait été invalide à l’âge de la retraite en Suisse (64 ans), sa rente suisse de vieillesse aurait dû inclure les périodes de cotisations au Portugal, selon l’art. 12 al. 2 de la convention, n’ayant pas encore atteint l’âge de la retraite au Portugal (66 ans et 6 mois).

L’assurée soutient que cette disposition crée une inégalité de traitement (art. 8 al. 1 Cst.) et une discrimination basée sur le handicap (art. 8 al. 2 Cst. et 14 CEDH en lien avec l’art. 8 CEDH). Elle affirme que la convention traite différemment les ressortissants portugais en bonne santé et ceux devenus invalides avant l’âge de la retraite, installés en Suisse avant le 01.06.2002, sans justification objective.

Elle conclut que les juges auraient dû prendre en compte ses périodes de cotisations au Portugal dans le calcul de sa rente, appliquant ainsi une échelle de rente complète ou supérieure à l’échelle 27.

 

Consid. 4.1
Selon l’art. 8 al. 1 Cst., tous les être humains sont égaux devant la loi. Le principe de l’égalité exige que ce qui est semblable soit traité de manière identique et que ce qui est dissemblable soit traité de manière différente. Ainsi, un acte normatif viole l’art. 8 Cst. lorsqu’il établit des distinctions qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard des faits à réglementer ou qu’il omet d’opérer des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances (cf. ATF 149 I 125 consid. 5.1).

Consid. 4.2
Selon l’art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique. Il y a discrimination lorsqu’une personne est traitée juridiquement de manière différente uniquement en raison de son appartenance à un groupe particulier qui, historiquement ou dans la réalité sociale actuelle, souffre d’exclusion ou de dépréciation. Le principe de non-discrimination n’interdit pas pour autant toute distinction basée sur l’un des critères énumérés à l’art. 8 al. 2 Cst. de manière non exhaustive. Mais l’usage d’un tel critère fait naître une présomption de différenciation inadmissible qui ne peut être renversée que par une justification qualifiée (cf. ATF 147 I 89 consid. 2.1; 145 I 73 consid. 5.1).

L’art. 14 CEDH n’offre pas à l’assurée une protection plus étendue que le principe de l’égalité garanti à l’art. 8 Cst. (cf. ATF 148 I 160 consid. 8.1).

Consid. 4.3
L’argumentation que l’assurée développe en l’occurrence n’est pas fondée. On relèvera préalablement que, contrairement à ce qu’elle postule pour établir une inégalité de traitement, les périodes de cotisations accomplies au Portugal ne sont pas nécessairement prises en compte dans le calcul de la rente suisse de vieillesse lorsque celle-ci se substitue à une rente suisse d’invalidité (cf. arrêt 9C_540/2023 du 3 juin 2024 consid. 6-8). L’assurée ne saurait dès lors déduire de cet élément une distinction injustifiée entre les ressortissants portugais valides et ceux invalides installés en Suisse avant le 01.06.2002. On ajoutera que si l’état de santé d’un individu est bien un critère en vertu duquel celui-ci ne doit pas subir une discrimination d’après l’art. 8 al. 2 Cst., il est toutefois parfaitement justifié qu’une réglementation portant notamment sur le calcul de prestations d’invalidité (comme l’art. 12 al. 1 de la convention Suisse-Portugal) ou de prestations de vieillesse venant se substituer à une rente d’invalidité (comme l’art. 12 al. 2 de ladite convention) prévoie une distinction entre les personnes valides et celles invalides. L’invocation et la reconnaissance d’une discrimination en raison du handicap dans un tel contexte reviendraient à vider la réglementation de toute sa raison d’être. On relèvera encore que, contrairement à ce que se limite à affirmer l’assurée sans l’établir, l’éventuelle prise en compte des périodes portugaises de cotisations dans le calcul de la rente suisse de vieillesse d’un ressortissant portugais invalide n’implique pas obligatoirement que sa rente sera plus élevée que celle du ressortissant portugais en bonne santé. En effet, le montant de la rente ne dépend pas seulement du nombre de périodes de cotisations mais également d’autres critères, tels que le montant du revenu annuel moyen, qui peut être plus élevé chez une personne valide dans la mesure où son état de santé ne limite pas ses possibilités de gain. Le ressortissant portugais invalide dont les périodes de cotisations dans son pays d’origine sont prises en compte dans le calcul de sa rente suisse de vieillesse n’est donc pas forcément avantagé par rapport à un ressortissant portugais en bonne santé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_631/2023 consultable ici

 

8C_121/2024 (f) du 06.08.2024 – Revenu sans invalidité d’un gérant d’une Sàrl – 16 LPGA / Fluctuations de revenus – Détermination du revenu sans invalidité – Moyenne du relevé des comptes individuels (CI)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_121/2024 (f) du 06.08.2024

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité d’un gérant d’une Sàrl / 16 LPGA

Fluctuations de revenus – Détermination du revenu sans invalidité – Moyenne du relevé des comptes individuels (CI)

 

Assuré, né en 1969, a travaillé en qualité de peintre, formellement employé par sa propre société à responsabilité limitée B.__, dont il est l’associé gérant unique depuis 2009. Le 08.03.2014, alors qu’il se trouvait sur un chantier, l’assuré a été agressé par un carreleur qui lui a assené un coup de poing à l’œil droit. Il a subi une fracture des os propres du nez qui a conduit à une intervention chirurgicale. Par la suite, l’assuré a présenté une atteinte à ses fonctions olfactive, visuelle et gustative.

L’assurance-accidents a initialement refusé de prester pour les troubles olfactifs et cognitifs de l’assuré au-delà du 24.07.2015. Après plusieurs recours et décisions, l’assurance a finalement admis un lien de causalité entre l’accident et les troubles olfactifs, mais a nié ce lien pour d’autres lésions. Elle a reconnu une capacité de travail totale dès le 01.08.2015. Le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours de l’assuré et a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour déterminer si les troubles olfactifs impactaient concrètement la capacité de gain de l’assuré au-delà du 31.07.2015 (8C_580/2021 du 20.04.2022).

En juillet 2022, l’assurance-accidents s’est procuré l’extrait de compte individuel de l’assuré affichant ses revenus soumis à cotisation et a analysé la comptabilité de sa société. Dans une note du 12.08.2022, elle a retenu que l’assuré avait un statut d’indépendant. Au vu des fortes fluctuations des salaires déclarés, le revenu sans invalidité devait être calculé sur une moyenne. Elle l’a fixé à CHF 60’387, ce qui correspondait à la moyenne des revenus de 2010 à 2013, chacun indexé à 2015. Le revenu d’invalide, fixé à CHF 66’652.40, était basé sur l’ESS) 2014 (TA1_tirage_skill_level, hommes, niveau 1). Aucun abattement n’était justifié. La comparaison des revenus ne révélait aucune perte de gain.

Par décision du 15.08.2022, l’assurance-accidents a repris son calcul d’invalidité et exclu le droit à une rente d’invalidité. Par décision sur opposition du 27.04.2023, l’assurance-accidents a rejeté l’opposition, mais admis un abattement de 5% sur la base de la nationalité et de l’autorisation de séjour de l’assuré. Le revenu d’invalide devait ainsi être fixé à CHF 63’319.49. La comparaison des revenus ne montrait pas de perte de gain.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/22/2024 – consultable ici)

Par jugement du 27.08.2015, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
L’arrêt attaqué expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs à l’évaluation de l’invalidité. Il présente notamment la jurisprudence selon laquelle le revenu sans invalidité s’évalue le plus concrètement possible, soit généralement d’après le dernier salaire perçu avant la survenance de l’atteinte à la santé. Il est toutefois possible de s’en écarter lorsqu’on ne peut le déterminer sûrement, notamment lorsqu’il est soumis à des fluctuations importantes; il faut alors procéder à une moyenne des gains réalisés sur une période relativement longue (arrêts 9C_651/2019 du 18 février 2020 consid. 6.2 et 9C_428/2009 du 13 octobre 2009 consid. 3.2.1; cf. ég. arrêt 8C_157/2023 du 10 août 2023 consid. 3.2 et les références). On peut ainsi y renvoyer.

Consid. 3.2
Il ressort de l’arrêt cantonal que l’extrait de compte individuel de l’assuré affichait des revenus soumis à cotisation de CHF 20’499 en 2006, CHF 38’730 en 2007, CHF 22’115 en 2008, CHF 55’746 en 2009, CHF 55’471 en 2010, CHF 55’471 en 2011, CHF 53’692 en 2012 et CHF 74’136 en 2013. Sur cette base, les juges cantonaux ont considéré que les revenus de l’assuré avaient subi des fluctuations importantes et qu’en se fondant sur les salaires soumis à cotisation sur une période de quatre ans, l’assurance-accidents avait établi le revenu sans invalidité de façon conforme aux principes dégagés par la jurisprudence. Le choix d’une telle période courant dès 2010 plutôt qu’une période plus longue était favorable à l’assuré dès lors que les salaires soumis à cotisation durant les années précédentes étaient largement inférieurs, hormis en 2009.

Consid. 3.3
L’appréciation de la cour cantonale ne prête pas flanc à la critique. En effet, les revenus perçus par l’assuré en 2013 dépassent de plus de 35% ceux qu’il a touchés depuis qu’il est l’associé unique de son entreprise, alors que ses revenus entre 2009 et 2012 ont varié de quelques centaines de francs. Sans préjuger des perspectives futures de l’assuré et de son entreprise, les gains de l’assuré en 2013 présentent une fluctuation importante par rapport aux années précédentes et ne permettent pas de déterminer avec certitude son revenu sans invalidité. La cour cantonale n’a ainsi pas violé le droit fédéral en considérant que l’assurance-accidents pouvait se fonder sur une moyenne des revenus pour déterminer le revenu sans invalidité. Comme elle l’a relevé, la période de quatre ans retenue à cet effet est par ailleurs favorable à l’assuré. Mal fondée, l’argumentation de l’assuré doit être écartée.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_121/2024 consultable ici

 

8C_218/2024 (f) du 13.06.2024 – Droit à l’indemnité chômage – Période de contrôle – Délai pour la remise du formulaire « Indications de la personne assurée » / 20 al. 3 LACI – 27a OACI – 29 al. 2 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_218/2024 (f) du 13.06.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Période de contrôle – Délai pour la remise du formulaire « Indications de la personne assurée » / 20 al. 3 LACI – 27a OACI – 29 al. 2 OACI

 

Un assuré né en 1963 s’est inscrit comme demandeur d’emploi à temps complet auprès de l’ORP le 18.11.2019, sollicitant des prestations de l’assurance-chômage. Le 29.03.2021, il a mentionné sur le formulaire « Indications de la personne assurée » (IPA) avoir obtenu des rémunérations pour des curatelles effectuées courant 2020. La caisse de chômage a demandé des précisions sur cette activité, notamment les heures consacrées, le nombre de mandats et les montants estimés pour 2021. En attendant ces informations, elle a suspendu le versement des indemnités journalières dès mars 2021, avertissant l’assuré du risque de déchéance de son droit à l’indemnité s’il ne se conformait pas à son obligation de collaborer.

Malgré plusieurs relances, l’assuré n’a pas fourni les informations demandées dans les délais impartis. La caisse a alors contacté l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (ci-après: APEA), qui a confirmé que l’assuré avait effectué douze curatelles depuis novembre 2019, avec des revenus en février et août 2021. Entre-temps, l’assuré s’est désinscrit du chômage le 18.06.2021.

Par décision du 17.12.2021, la caisse a nié le droit à l’indemnité de chômage depuis le 01.03.2021 et exigé le remboursement d’une avance de 4’000 fr. pour mars 2021. L’assuré s’est opposé et a fourni quelques documents relatifs à son activité de curateur. La caisse a rejeté cette opposition le 18.08.2023.

Le 31.08.2023, l’assuré a remis à la caisse toutes les décisions de nominations de l’APEA, les copies des fiches de salaires et rémunérations perçues, une estimation des montants qu’il toucherait pour 2021 ainsi qu’un tableau récapitulatif de ses mandats.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 12.03.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Aux termes de l’art. 20 al. 3 LACI, le droit à l’indemnité de chômage s’éteint s’il n’est pas exercé dans les trois mois suivant la fin de la période de contrôle à laquelle il se rapporte. Chaque mois civil constitue une période de contrôle (art. 27a OACI). Le délai prévu par l’art. 20 al. 3 LACI est un délai de péremption qui ne peut être ni prolongé ni interrompu, mais peut faire l’objet d’une restitution s’il existe une excuse valable pour justifier le retard (ATF 117 V 244 consid. 3; arrêt 8C_433/2014 du 16 juillet 2015 consid. 2.1 et l’arrêt cité).

Consid. 4.2
Conformément à l’art. 29 al. 2 OACI, pour faire valoir son droit à l’indemnité, l’assuré doit remettre à la caisse le formulaire « Indications de la personne assurée » (let. a), les attestations de gain intermédiaire (let. b) et les autres informations que la caisse de chômage exige pour l’examen du droit à l’indemnité (let. c). L’alinéa 3 prévoit qu’au besoin, la caisse lui impartit un délai approprié pour compléter le dossier et le rend attentif aux conséquences d’un manquement de sa part. Ce délai ne peut et ne doit être accordé que pour compléter les premiers documents et non pour pallier leur absence (arrêt 8C_433/2014 précité consid. 2.2).

Consid. 5 [résumé]

La juridiction cantonale a constaté que l’assuré n’avait pas respecté le délai de trois mois pour soumettre les documents nécessaires à son droit à l’indemnité. Bien qu’il manquait certains éléments, il aurait pu fournir une liste de ses curatelles, les décisions de nomination de l’APEA, ainsi que des estimations de revenus.

Ses déclarations sur le nombre de curatelles (deux) étaient inférieures aux douze mandats réellement gérés, indiquant un manque de volonté de collaborer. Les documents soumis en 2022 et le 31.08. 2023 étaient tardifs et ne justifiaient pas son absence de collaboration pendant la période de chômage. La juridiction a donc conclu que les conditions pour une restitution de délai selon l’art. 41 LPGA n’étaient pas remplies.

Consid. 6.1 [résumé]
L’assuré maintient avoir constamment collaboré avec la caisse de chômage et transmis tous les documents en sa possession, estimant ainsi devoir être protégé dans sa bonne foi. Il affirme avoir convenu avec la responsable juridique de la caisse d’envoyer les documents progressivement. Cependant, cette affirmation repose sur des faits non constatés par les juges cantonaux, sans que l’assuré ne démontre que les conditions des art. 97 al. 1 et 105 al. 2 LTF soient remplies.

L’assuré argue également que les sollicitations continues de la caisse pour l’envoi de documents s’opposaient à la négation de son droit aux indemnités. Toutefois, il omet de considérer que la caisse l’avait explicitement averti du risque de déchéance de son droit, après avoir suspendu le versement des indemnités.

En conséquence, le grief de l’assuré est écarté.

Consid. 6.2
Invoquant successivement l’arbitraire, le principe de proportionnalité et la violation de l’art. 29 al. 2 let. c OACI, l’assuré reproche ensuite aux juges cantonaux d’avoir retenu qu’il ne s’était pas conformé à son obligation de collaborer malgré l’envoi des documents dont il disposait, même après sa désinscription du chômage. Selon l’assuré, il n’était pas avéré que la caisse de chômage manquait d’éléments pour se déterminer sur sa situation financière, dès lors qu’elle avait pu établir un tableau Excel très précis lorsque l’APEA avait rendu sa décision, et elle aurait été d’accord d’attendre l’envoi des documents, consciente que le délai de trois mois en 2021 ne pouvait être respecté. En outre, à aucun moment il n’aurait été fait mention de l’urgence à transmettre les documents.

L’argumentation est mal fondée. En effet, les juges cantonaux ont considéré à juste titre qu’en refusant de fournir initialement les informations permettant à la caisse de chômage de se faire une idée d’ensemble de l’activité de curateur, l’assuré avait rendu impossible l’examen de son droit aux prestations. Singulièrement, ils ont constaté que le 26.06.2021, la caisse de chômage avait listé précisément les informations qui devaient encore lui être communiquées, avertissant une nouvelle fois l’assuré du risque de déchéance de son droit à l’indemnité s’il ne se conformait pas à son obligation de collaborer. En tout état de cause, l’assuré était objectivement en mesure d’établir une liste des curatelles exercées depuis novembre 2019, de fournir les décisions de nomination (caviardées), la durée d’activité par mandat et les rémunérations déjà obtenues, ainsi qu’une estimation des montants à percevoir, ceci avant le prononcé de la décision du 17.12.2021, ou à tout le moins jusqu’à la décision sur opposition du 18.08.2023. Or ces informations n’ont été produites que le 31.08.2023. On précisera à cet égard que les juges cantonaux n’avaient pas à prendre en considération les documents produits le 31.08.2023, dès lors qu’ils apprécient la légalité de la décision sur opposition d’après l’état de fait existant au moment où elle a été rendue (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références).

Cela étant, en tant que l’assuré soutient n’avoir transmis les éléments relatifs à sa rémunération qu’à réception des décisions de l’APEA, il ne démontre pas en quoi il aurait été dans l’impossibilité de remettre les autres informations dans le délai imparti. Il ne saurait bénéficier de circonstances qui justifieraient de ne pas appliquer les conséquences négatives découlant de l’art. 20 al. 3 LACI en relation avec l’art. 29 OACI. Partant, les juges cantonaux n’ont pas violé le droit fédéral en confirmant la négation du droit à l’indemnité de chômage pour la période courant à partir du 01.03.2021.

Consid. 6.3
Enfin, l’assuré se prévaut de sa bonne foi et de sa situation financière, en référence à l’art. 25 al. 1 LPGA auquel renvoie l’art. 95 al. 1 LACI, pour la restitution de l’avance de 4’000 fr. du mois de mars 2021. Or il s’agit de faits qui, d’une part, n’ont pas été allégués devant les juges cantonaux et, d’autre part, sortent de l’objet du litige dès lors qu’ils tendent à l’obtention de la remise de l’obligation de restituer, qu’il est loisible à l’assuré de demander dans les 30 jours à compter du prononcé du présent arrêt s’il estime que les conditions d’une telle remise sont remplies (cf. art. 25 al. 1, deuxième phrase, LPGA et art. 4 al. 4 OPGA).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_218/2024 consultable ici

 

8C_520/2023 (f) du 28.02.2024 – Valeur probante de l’expertise médicale – Contradiction entre les experts dans l’évaluation consensuelle – 44 LPGA / Vraisemblance d’un diagnostic somatique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_520/2023 (f) du 28.02.2024

 

Consultable ici

 

Valeur probante de l’expertise médicale – Contradiction entre les experts dans l’évaluation consensuelle / 44 LPGA

Vraisemblance d’un diagnostic somatique

 

L’assurée, née en 1970 et domiciliée en France, a travaillé en Suisse dans la gestion de projets. Elle a subi deux accidents : une blessure à la main gauche le 28.03.2015 et une collision frontale en voiture le 02.03.2017, causant diverses contusions.

L’office AI a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire (médecine interne, psychiatrie, neurologie et orthopédie). Dans leur rapport du 30.10.2018, les experts n’ont diagnostiqué aucune atteinte ayant un impact sur sa capacité de travail, estimant celle-ci complète sauf pour de courtes périodes après les accidents et lors d’hospitalisations.

Dans un avis du 05.02.2019, la médecin du SMR, s’écartant des conclusions des médecins experts, a retenu que l’assurée avait présenté une incapacité de travail totale du 02.03.2017 au 31.10.2018, en raison d’un probable syndrome douloureux régional complexe (SDRC) à la main gauche, la capacité de travail étant entière à compter de cette dernière date.

Par décisions du 18.01.2021, l’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE) a alloué à l’assurée un quart de rente d’invalidité pour la période du 01.10.2016 au 21.05.2017, une rente entière du 01.06.2017 au 31.01.2019, ainsi que les rentes pour enfants liées à ces prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt C-884/2021 – consultable ici)

Par jugement du 08.06.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 7.1 [résumé]
L’assurée conteste la décision de la juridiction de première instance, arguant d’un établissement inexact des faits et d’une appréciation arbitraire des preuves. Elle critique la primauté accordée aux conclusions des médecins experts sur les autres documents médicaux. Elle met en avant un rapport du Dr C.__, spécialiste en chirurgie thoracique, daté du 29.03.2019, qui pose un nouveau diagnostic : un syndrome du défilé thoracique à compensation neurogène et veineuse. Ce diagnostic, établi après un examen approfondi et des consultations avec d’autres spécialistes, expliquerait ses symptômes et remettrait en question le diagnostic d’entorse chondro-sternale. L’assurée souligne que ce nouveau diagnostic, ainsi que la proposition de prise en charge chirurgicale, démontreraient l’existence d’une pathologie somatique réelle, contrairement aux conclusions des experts. Elle argue que de nombreux documents médicaux confirment son incapacité de travail et ses limitations fonctionnelles. Elle estime que les experts, n’ayant pas eu connaissance de cette nouvelle appréciation, n’auraient pas dû être suivis dans leurs conclusions. Elle critique également le fait que les juges aient écarté les limitations fonctionnelles liées aux effets secondaires de sa médication.

 

Consid. 7.2.1
Selon les faits constatés par les premiers juges – qui lient le Tribunal fédéral – une IRM de la cage thoracique pratiquée le 05.07.2017 a mis en évidence une disjonction (ou entorse) chondro-sternale au niveau du premier arc à droite, associée à une importante réaction inflammatoire. Par la suite, ce diagnostic a été repris par plusieurs médecins, notamment ceux de la Clinique de réadaptation dans un rapport de sortie du 03.07.2018, certains, comme ceux de l’hôpital D.__, le qualifiant ou le mettant en lien avec une pseudarthrose.

Consid. 7.2.2
Il ressort en outre des constatations de la cour cantonale que les médecins experts ont fait état d’une douleur thoracique antérieure irradiant dans le membre supérieur droit, avec douleur non systématisée de la main droite depuis mars 2017 (pseudarthrose costale). Ils n’en ont toutefois déduit aucune incapacité de travail. Certaines de leurs explications – exposées dans l’arrêt entrepris – en lien avec la pathologie observée s’avèrent toutefois discordantes et donc peu convaincantes. Dans leur évaluation consensuelle, ils ont tout d’abord relevé, au plan orthopédique, que « la douleur costale droite séquellaire de l’accident de la circulation, avec pseudarthrose ostéo-chondrale de la première côte, et les douleurs de la main droite, [n’avaient] pas de substrat organique, la pseudarthrose [pouvant] provoquer une gêne mais pas [la] douleur ressentie par la personne assurée » (p. 8 du rapport). Ils ont ensuite indiqué, sur le plan neurologique, que « la douleur parfaitement crédible et objectivée radiologiquement d’une atteinte articulaire costo-sternale de l’articulation entre la première côte et le sternum, dans les suites du choc important que la personne assurée a subi, n'[était] pas discutable », en précisant que les conséquences fonctionnelles (impossibilité d’usage normal du membre supérieur droit) de cette atteinte n’étaient pas explicables par la simple douleur costo-sternale, qui restait aussi importante après une année d’évolution (p. 9 du rapport). Les experts semblent donc se contredire, en excluant d’abord que la pseudarthrose chondro-sternale puisse être à l’origine des douleurs de l’assurée, puis en imputant ces mêmes douleurs à cette atteinte costo-sternale objectivée par IRM. On peut se demander si les experts ont voulu distinguer l’existence ou non de douleurs dues à un substrat organique selon le point de vue orthopédique d’une part, et neurologique d’autre part; cela ne paraît toutefois pas être le cas, dès lors que même au plan neurologique, il est fait référence à une atteinte douloureuse articulaire. Quoi qu’il en soit, les experts ont ensuite exclu tout trouble sur le plan neurologique (p. 10 du rapport).

Consid. 7.2.3 [résumé]
Contrairement aux conclusions de l’expertise, plusieurs médecins ont rapporté des troubles neurologiques chez l’assurée. Le Dr E.__, anesthésiologue, a noté des douleurs sternales et des douleurs neurogènes au membre supérieur droit, avec une asymétrie de température et une tuméfaction de la main droite. La Dre F.__, neurologue, a mentionné des thoracodynies et brachialgies, évoquant une névralgie du nerf inter-costo-brachial, bien que l’examen électroneuromyographique, techniquement difficile, n’ait pu confirmer la pathologie.

Les médecins de l’hôpital D.__ ont diagnostiqué un déconditionnement sur douleur probablement neuropathique au membre supérieur droit, lié à une pseudarthrose chondro-sternale. Plusieurs médecins, dont la Dre F.__ et le Dr G.__, ont souligné la nécessité d’un traitement antalgique important, incluant une médication morphinique.

Consid. 7.2.4 [résumé]
C’est dans ce contexte que le Dr C.__ a émis deux avis sur le cas de l’assurée. Dans son premier avis du 20.03.2019, il a conclu à une entorse chondro-sternale du premier arc droit, sans lien apparent avec les brachialgies et troubles sensitifs décrits. Le 29.03.2019, après une analyse plus approfondie incluant la littérature médicale, la relecture de l’IRM et des discussions avec des collègues de différentes spécialités, il a proposé un nouveau diagnostic : un syndrome du défilé thoracique à composante neurogène et veineuse. Selon le Dr C.__, ce diagnostic expliquerait mieux l’ensemble des symptômes de l’assurée que la seule disjonction chondro-sternale. Il proposait, malgré le contexte psychologique et assécurologique défavorable, une résection de la première côte par voie transaxillaire droite, qui permettrait possiblement de soulager une partie des symptômes.

Les premiers juges ne pouvaient donc manifestement pas constater que le docteur C.__ ne faisait pas état d’éléments objectifs expliquant les plaintes de l’assurée. Quand bien même le syndrome du défilé thoracique n’est cité qu’à titre hypothétique et le rapport du 29.03.2019 est assez sommaire, l’avis du docteur C.__ fait naître, compte tenu des lacunes de l’expertise pluridisciplinaire (cf. consid. 7.2.2 supra) et des rapports faisant état d’une composante neurogène (cf. consid. 7.2.3 supra), de très sérieux doutes sur la pertinence des conclusions de l’expertise concernant l’origine et l’ampleur des atteintes thoraciques et au membre supérieur droit, ainsi que la capacité de travail qui en découle. On ajoutera que les médecine experts n’ont pas été confrontés aux avis postérieurs à leur expertise, en particulier à l’appréciation du docteur C.__.

En vue de lever ces doutes, un complément d’instruction est nécessaire, sous la forme d’une expertise judiciaire, compte tenu par ailleurs des discordances de l’expertise pluridisciplinaire mises en évidences au consid. 7.2.2. Etant donné la nature de l’affection évoquée par le docteur C.__ (syndrome du défilé thoracique à composante neurogène et veineuse), l’expertise devra comprendre un volet neurologique et un volet angiologique.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_520/2023 consultable ici

 

8C_291/2024 (f) du 02.09.2024 – Notion d’invalidité – Décision rendue par les autorités françaises relative au degré d’invalidité ne lie pas les autorités suisses / 7 LPGA – 8 LPGA – ALCP

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_291/2024 (f) du 02.09.2024

 

Consultable ici

 

Capacité de travail exigible – Valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire / 16 LPGA – 44 LPGA

Notion d’invalidité – Décision rendue par les autorités françaises relative au degré d’invalidité ne lie pas les autorités suisses / 7 LPGA – 8 LPGA – ALCP

 

Assuré, né en 1979, de nationalité française et domicilié en France, a été victime d’un accident de la circulation le 17.02.2016. Le 29.12.2016, dépôt d’une demande AI. Après avoir recueilli le dossier médical de l’assuré auprès de l’assurance-accidents et de l’assureur perte de gain, a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire (rhumatologie, médecine générale, psychiatrie, neurologie et neuropsychologie ; rapport du 06.09.2019). Les experts ont conclu à l’absence de limitations fonctionnelles et à une capacité de travail de 100 % dans l’activité habituelle dès le 17.05.2016.

Par projet de décision du 13.09.2019, l’office AI a informé l’assuré qu’il entendait rejeter sa demande de prestations AI. L’assuré ayant contesté ce projet de décision, l’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (ci-après: OAIE) a confirmé, par décision du 07.11.2019, le projet de décision du 13.09.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt C-6396/2019 – consultable ici)

Par jugement du 08.04.2024, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 5.1
L’expertise pluridisciplinaire du 06.09.2019 a conclu à l’absence de diagnostics et de limitations fonctionnelles ayant un impact sur la capacité de travail de l’assuré. Plusieurs diagnostics sans incidence sur la capacité de travail ont été retenus, notamment des troubles de personnalité, des céphalées, et divers problèmes physiques. L’expertise a établi que la capacité de travail de l’assuré était de 100% dans son activité habituelle et adaptée, sur les plans psychiatrique, neurologique et de médecine interne. En rhumatologie, la capacité de travail était de 100% dès le 17.05.2016, soit trois mois après l’accident. La cour cantonale a jugé que l’expertise pluridisciplinaire avait pleine valeur probante, les experts ayant examiné toutes les atteintes alléguées par l’assuré, motivé leurs conclusions de manière claire et circonstanciée, et pris en compte les rapports médicaux antérieurs pertinents. Les conclusions de l’expertise ont été confirmées par le médecin du SMR.

Consid. 5.3
Compte tenu de son pouvoir d’examen restreint, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de procéder une nouvelle fois à l’appréciation des preuves administrées, mais à la partie recourante d’établir en quoi celle opérée par l’autorité cantonale serait manifestement inexacte ou incomplète, ou en quoi les faits constatés auraient été établis au mépris des règles essentielles de procédure. En l’occurrence, la juridiction cantonale a rappelé que le rapport d’expertise pluridisciplinaire du 06.09.2019 avait pleine valeur probante et que les experts s’étaient prononcés sur l’ensemble de la documentation médicale pertinente ainsi que sur les atteintes alléguées par l’assuré. En se limitant à arguer qu’il y aurait lieu de réévaluer objectivement son taux invalidité en tenant compte des nombreux diagnostics retenus par ses médecins français, à savoir un syndrome cervico-céphalique avec raideur cervicale, un syndrome de stress post-traumatique sévère et une névrose post-traumatique sévère sans perspective évolutive, l’assuré ne tente nullement d’établir, au moyen d’une argumentation précise et étayée, le caractère insoutenable de la constatation des faits opérée par les premiers juges et de l’appréciation juridique qu’ils ont faite de la situation.

Consid. 5.4
C’est par ailleurs en vain que l’assuré se réfère à des décisions rendues par la caisse d’assurance maladie (CPAM) et la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) lui reconnaissant un état d’invalidité « réduisant des deux-tiers au moins ses capacités de travail et de gain » ainsi qu’une invalidité « Catégorie 2 » reconnaissant son incapacité d’exercer une quelconque profession à compter du 8 octobre 2019. Ces pièces ne sont en effet pas pertinentes pour l’issue du présent litige, parce que la reconnaissance par les autorités françaises compétentes d’une incapacité totale de travail n’aurait pas d’influence sur l’examen du droit à une rente de l’assurance-invalidité suisse. En effet, le degré d’invalidité d’un assuré qui prétend une telle prestation est déterminé exclusivement d’après le droit suisse, même lorsque, comme en l’espèce, les dispositions de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) sont applicables à la contestation devant les autorités suisses (ATF 130 V 253 consid. 2.4; arrêts 9C_315/2018 du 5 mars 2019 consid. 2.2, 9C_486/2022 du 17 août 2023 consid. 2.2). Contrairement à ce que soutient l’assuré, la décision rendue par les autorités françaises relative à son degré d’invalidité ne lie pas les autorités suisses en application de l’art. 46 par. 3 du Règlement CE n° 883/2004, dès lors que la concordance des conditions relatives au degré d’invalidité entre les législations suisse et française n’est pas reconnue à l’annexe VII.

Enfin les premiers juges ont dûment pris en considération les documents médicaux établis en France, dont ils ont apprécié la valeur probante comme ils l’ont fait pour les documents médicaux établis en Suisse.

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_291/2024 consultable ici

 

8C_158/2024 (f) du 02.09.2024 – Droit à l’indemnité de chômage / Aptitude au placement vs inaptitude au placement en cas d’exercice d’une activité indépendante

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_158/2024 (f) du 02.09.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité de chômage / 8 LACI

Aptitude au placement vs inaptitude au placement en cas d’exercice d’une activité indépendante / 15 al. 1 LACI

 

Assuré, né en 1966, est inscrit au registre du commerce en qualité d’associé gérant avec signature individuelle de la société B.__ Sàrl depuis le 12.11.2018. Cette société a pour but « le conseil en stratégie et la gestion d’entreprises ». L’assuré a œuvré en qualité d’indépendant pour B.__ Sàrl jusqu’au 31.03.2022. Dès le 01.04.2022, il a été engagé comme consultant salarié par C.__ Ltd avec siège à Dublin et a cessé son activité d’indépendant. Il a été licencié pour le 30.09.2022 en raison d’une restructuration.

Le 18.11.2022, l’assuré s’est inscrit auprès de l’ORP comme demandeur d’emploi à 100% et a sollicité une indemnité de chômage à partir du 17.11.2022. Le 30.11.2022, l’autorité cantonale de l’emploi l’a informé qu’elle examinait son aptitude au placement et lui a demandé de répondre à un questionnaire, ce qu’il a fait le 07.12.2022. Par une décision, confirmée sur opposition le 20.02.2023, la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM) a déclaré l’assuré inapte au placement. Elle a justifié cette décision en arguant que l’activité salariée de l’assuré avant son inscription n’était pas durable et que son objectif principal était de trouver des mandats pour travailler à plein temps comme indépendant. Les déclarations selon lesquelles il recherchait aussi un emploi salarié relevaient d’une réflexion consécutive à la réception de la décision et non de sa volonté première.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 30/23 – 21/2024 – consultable ici)

Par jugement du 02.02.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
Les juges cantonaux ont exposé correctement les règles relatives au droit à l’indemnité de chômage (art. 8 al. 1 LACI), à l’aptitude au placement (art. 15 al. 1 LACI; ATF 146 V 210 consid. 3.1, 123 V 214 consid. 3 et les références) et à l’inaptitude au placement en cas d’exercice d’une activité indépendante (ATF 112 V 326 consid. 1a et les références; arrêt 8C_577/2019 du 13 octobre 2020 consid. 4.1). Est notamment réputé inapte au placement l’assuré qui n’a pas l’intention ou qui n’est pas à même d’exercer une activité salariée, parce qu’il a entrepris – ou envisage d’entreprendre – une activité lucrative indépendante, cela pour autant qu’il ne puisse plus être placé comme salarié ou qu’il ne désire pas ou ne puisse pas offrir à un employeur toute la disponibilité normalement exigible. On peut ainsi se référer à l’arrêt cantonal.

 

Consid. 5 [résumé]
Les juges cantonaux ont relevé que l’assuré avait toujours privilégié son activité indépendante, comme en témoignaient ses déclarations et ses réponses au questionnaire de l’ORP, où il exprimait clairement son souhait de retrouver des mandats de consultant pour redevenir l’employé unique de sa société, B.__ Sàrl. L’assuré n’avait jamais manifesté l’intention de renoncer à son activité indépendante, n’ayant pas liquidé sa société, et avait effectué peu de recherches d’emploi salarié avant son inscription au chômage, indiquant une faible motivation pour ce type d’emploi. De plus, il avait affirmé lors des entretiens qu’il « réseautait » pour trouver des mandats, renforçant l’idée qu’il privilégiait son activité de consultant. Les juges cantonaux ont estimé que ses explications sur une éventuelle acceptation d’un emploi salarié étaient apparues seulement après la réception de la décision sur opposition et ne reflétaient pas sa volonté première. L’assuré n’avait pas démontré qu’il était prêt à abandonner son activité indépendante, qui constituait une aspiration professionnelle de longue date. Sur cette base, la cour cantonale a conclu qu’il n’était pas apte au placement et a confirmé la décision sur opposition.

 

Consid. 6.1 [résumé]
L’assuré reproche notamment à la cour cantonale d’avoir établi les faits de manière arbitraire. Il soutient que la cour a omis de tenir compte de certaines de ses réponses au questionnaire du 07.12.2022, qui montraient son intention de redevenir employé à 100 %, et non de privilégier une activité indépendante.

Consid. 6.2
Les critiques de l’assuré doivent être écartées. À la lumière du contexte qu’il a souhaité présenter en guise d’introduction au questionnaire du 07.12.2022 et prises dans leur ensemble, il ressort clairement des réponses apportées par l’assuré, d’une part, que lorsqu’il évoque sa volonté de redevenir employé, il se réfère à son activité en tant que salarié unique de B.__ Sàrl. D’autre part, lorsqu’il évoque ses activités indépendantes, il se réfère à sa participation dans un fitness à Londres (par exemple: « 10. Le revenu tiré de ces activités [indépendantes]. 10. Aucun revenu, le fitness est encore en développement et ne gagne pas d’argent « ). Pour le surplus, l’assuré se prévaut de faits et moyens de preuve nouveaux qui sont inadmissibles en vertu de l’art. 99 al. 1 LTF. Il n’y a ainsi pas lieu de s’écarter des faits retenus par les juges cantonaux et qui lient le Tribunal fédéral.

 

Consid. 7.1 [résumé]
L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir enfreint le droit fédéral en refusant de reconnaître son aptitude au placement, arguant qu’il avait exprimé sa disponibilité pour un emploi salarié à plein temps, rendant sans importance son activité indépendante. Il souligne que son licenciement chez C.__ était dû à des motifs économiques et non à une préférence pour l’indépendance. Le fait qu’il n’ait pas liquidé B.__ Sàrl n’était pas pertinent, et il explique que, vu son âge, il était plus difficile de trouver un emploi salarié, ce qui pouvait donner l’impression qu’il priorisait l’indépendance.

Consid. 7.2
L’argumentation de l’assuré ne convainc pas. Comme indiqué plus haut et à la suite des juges cantonaux, il résulte des réponses de l’assuré au questionnaire du 07.12.2022 qu’il avait pour objectif de trouver de nouveaux mandats lui permettant à nouveau de se consacrer à plein temps à sa société. Quant à son activité pour C.__ et au maintien de B.__ Sàrl en parallèle, l’assuré se contente d’opposer de façon appellatoire son appréciation de la situation à celle de l’instance cantonale, sans démontrer ou même avancer qu’il aurait envisagé de mettre un terme définitif à ses activités de consulting indépendantes par exemple pour rejoindre définitivement C.__ en tant qu’employé. On peut au contraire même se demander si cela serait compatible avec la nature temporaire des tâches de « consultant et/ou interim manager » (cf. introduction de l’assuré au questionnaire du 07.12.2022), respectivement de conseil stratégique, que l’assuré souhaite continuer d’exercer. En toute hypothèse, il s’agit là uniquement d’indices qui viennent renforcer l’objectif exprimé par l’assuré de maintenir son activité indépendante. Les arguments liés à l’âge de l’assuré apparaissent en outre comme des prétextes pour justifier a posteriori, respectivement changer le sens des réponses qu’il a fournies le 07.12.2022. Mal fondé, le grief doit être écarté. La cour cantonale pouvait ainsi, sans violer le droit fédéral, nier l’aptitude au placement de l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_158/2024 consultable ici

 

8C_219/2024 (f) du 28.08.2024 – Réduction des prestations – Notion de rixe niée / Lien indirect entre une agression violente et une altercation antérieure – Pertinence limitée de cette disposition

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_219/2024 (f) du 28.08.2024

 

Consultable ici

 

Réduction des prestations – Notion de rixe niée / 39 LAA – 49 al. 2 OLAA

Lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu

Lien indirect entre une agression violente et une altercation antérieure – Pertinence limitée de cette disposition

 

L’assuré, né en 1975, chef de salle, a fait annoncer à l’assurance-accidents qu’il avait « ressenti des gestes brutaux », sans souvenirs précis, alors qu’il rentrait chez lui en date du 23.08.2021, ce qui avait entraîné son hospitalisation le jour même jusqu’au 08.09.2021. Diagnostic principal : TCC dans un contexte d’éthylisation aiguë sur probable chute et agression, avec fracture oblique de l’os occipital gauche et hématome épidural en regard, contusion hémorragique fronto-temporale droite et fracture/enfoncement du mur antérieur du sinus maxillaire droit. Il a ensuite été transféré dans une clinique de réadaptation, où il a séjourné jusqu’au 21.09.2021. Un examen neurologique réalisé dans cet établissement a révélé une amnésie pré- et post-traumatique de plusieurs minutes avant l’événement du 23.08.2021 jusqu’à un jour après celui-ci. Le 01.10.2021, l’assuré a déclaré à l’assurance-accidents que ses souvenirs de la soirée du 23.08.2021 n’étaient pas clairs, qu’il avait chuté et reçu des coups, que d’autres personnes étaient impliquées et que la police avait été informée de l’incident.

Par décision, confirmée sur opposition le 22.07.2022, l’assurance-accidents a réduit de moitié ses prestations en espèces en raison des circonstances de l’accident, survenu au cours d’une bagarre. Selon l’assureur-accidents, les dépositions de certains témoins confirmaient que l’assuré avait échangé des propos violents avec son agresseur dans les moments ayant précédé l’accident.

 

Procédure cantonale

L’assuré a recouru contre cette décision sur opposition. Lors de l’instruction de son recours, il a demandé, le 03.01.2024, la suspension de la procédure dans l’attente d’un jugement pénal dans l’affaire PXX, dans laquelle il devait être entendu comme partie plaignante lors des débats prévus le 29.01.2024. L’assuré a transmis le jugement pénal le 28.02.2024.

Par jugement du 29.02.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
Selon l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut définir des dangers extraordinaires et des comportements téméraires qui justifient, dans l’assurance des accidents non professionnels, soit un refus, soit une réduction des prestations en espèces. Cette disposition permet de déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Sur cette base, l’art. 49 al. 2 OLAA prévoit que les prestations en espèces doivent être réduites d’au moins la moitié si un accident non professionnel survient dans les situations suivantes : participation à une rixe, sauf si l’assuré est blessé sans y participer activement ou en aidant une personne en danger (let. a) ; exposition volontaire à un danger en provoquant gravement autrui (let. b) ; ou participation à des désordres (let. c).

Consid. 3.2.1
La notion de rixe dans l’assurance-accidents est plus large que celle de l’art. 133 CP, même si elle en revêt les principales caractéristiques objectives (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2). Par rixe ou bagarre, il faut entendre une querelle violente accompagnée de coups ou une mêlée de gens qui se battent (ATF 107 V 234 consid. 2a). Il y a participation à une rixe ou à une bagarre, au sens de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA, non seulement quand l’intéressé prend part à de véritables actes de violence, mais déjà s’il s’est engagé dans l’altercation qui les a éventuellement précédés et qui, considérée dans son ensemble, recèle le risque qu’on pourrait en venir à des actes de violence (ATF 107 V 234 consid. 2a; 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_773/2021 du 24 mai 2022 consid. 3.2.2 et les arrêts cités). Il importe peu que l’assuré ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute, mais il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger (ATF 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_532/2021 du 9 décembre 2021 consid. 3.2 in fine et les arrêts cités). En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (arrêt 8C_773/2021 précité consid. 3.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 3.2.2
Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il faut que le comportement à sanctionner soit propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer une atteinte à la santé du genre de celle qui s’est produite (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2; arrêt 8C_532/2021 précité consid. 3.3 et les arrêts cités).

Consid. 3.2.3
Une responsabilité réduite, voire une incapacité de discernement de la personne assurée, ne peut être admise que dans des cas tout à fait exceptionnels. Aussi, une capacité de discernement réduite en raison de la consommation d’alcool n’exclut pas l’application de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA. Une responsabilité réduite peut en revanche être prise en compte dans le cadre du calcul de la réduction des prestations, qui doit être d’au moins 50% (arrêts 8C_579/2010 du 10 mars 2011 consid. 4; U 325/05 du 5 janvier 2006 consid. 1.2, non publié in ATF 132 V 27, et les références citées).

Consid. 3.2.4
Selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales n’est pas lié par les constatations de fait et l’appréciation du juge pénal. Il ne s’en écarte cependant que si les faits établis au cours de l’instruction pénale et leur qualification juridique ne sont pas convaincants, ou s’ils se fondent sur des considérations spécifiques au droit pénal qui ne sont pas déterminantes en droit des assurances sociales (ATF 143 V 393 consid. 7.2; 125 V 237 consid. 6a; arrêt 8C_773/2021 précité consid. 3.3 et l’arrêt cité).

Consid. 4 [résumé]
Dans cette affaire, la cour cantonale a établi qu’une bagarre avait éclaté entre l’assuré, D.__, et C.__, avant que ce dernier n’agresse physiquement l’assuré. Plusieurs témoins présents, E.__ et F.__, ainsi que D.__ lui-même, ont confirmé que C.__ avait frappé l’assuré, le faisant chuter, avant de lui asséner des coups supplémentaires. L’assuré ne se souvenait pas de ces événements en raison de son état d’alcoolémie.

Selon les juges cantonaux, dès lors que D.__ était impliqué dans la bagarre, l’assuré aurait pu et dû se rendre compte du danger et du risque que la situation dégénérât, compte tenu des événements ayant eu lieu en début de soirée. En effet, D.__ avait déclaré s’être pris la tête avec l’assuré dans un bar plus tôt dans la soirée, des clients ayant dû les séparer avant que chacun soit parti de son côté. Ces éléments, corroborés par l’acte d’accusation et les déclarations de l’assuré, indiquaient que l’assuré avait pris un risque en continuant dans cette direction, se plaçant ainsi dans une situation dangereuse. La cour cantonale a estimé que lorsque l’assuré rentrait chez lui et qu’il était arrivé en direction de D.__, qui était accompagné de C.__, il aurait dû se rendre compte qu’une nouvelle bagarre pouvait se produire.

Les juges cantonaux ont conclu que, par son comportement, l’assuré s’était placé dans une zone de danger exclue de l’assurance. Il ne pouvait pas se prévaloir de son taux d’alcoolémie élevé pour se disculper. La réduction de 50% des prestations par l’assureur-accidents a été jugée correcte, tenant compte d’une éventuelle réduction de discernement due à l’alcoolémie.

Consid. 6.2.1 [résumé]
Selon le jugement pénal, il y a eu une altercation violente le 23.08.2021 entre C.__ et l’assuré, à la suite d’une rencontre fortuite. Après une première dispute entre l’assuré et D.__ plus tôt dans la soirée, C.__, en ayant été informé, a intercepté l’assuré et l’a violemment agressé sans provocation. C.__ lui a assené un coup de poing qui a fait tomber l’assuré au sol, sa tête heurtant les pavés. Alors que l’assuré était inconscient, C.__ a poursuivi l’agression en lui donnant des coups de pied au ventre et à la tête, avec prise d’élan, le retournant sur le dos. Avant de fuir, il a jeté une table de terrasse vers la victime. Le tribunal pénal a qualifié ces actes de tentative de meurtre par dol éventuel, reconnaissant la gravité et l’intention potentielle de l’agresseur.

Consid. 6.2.2
Les faits constatés par le tribunal pénal – qui correspondent dans une large mesure à ceux retenus par la cour cantonale – se fondent sur les déclarations circonstanciées de l’un des principaux protagonistes (D.__), confirmées pour l’essentiel par C.__ lui-même. Il est ainsi notamment établi que celui-ci, à la vue de l’assuré qui remontait la rue dans sa direction, s’est dirigé vers lui avec l’intention manifeste de le frapper, au vu des propos que lui a prêtés D.__ (« Je vais le sécher »), dont il n’y a pas lieu de douter. Quand bien même on ne peut pas exclure que de brefs éclats verbaux aient précédé le premier coup, on ne saurait en déduire que l’assuré a contribué à envenimer la situation, puisque C.__ s’est approché de lui déjà dans le but d’en découdre et de le molester. En outre, tout indique que l’assuré s’est retrouvé dans la même rue que D.__ par hasard, alors qu’il rentrait chez lui. Aucun élément ne permet de retenir qu’il marchait dans sa direction et celle de C.__ dans l’idée de se confronter une nouvelle fois à D.__. Lorsqu’il est arrivé à leur hauteur, c’est d’ailleurs C.__ qui s’est avancé vers lui, et non pas lui qui s’est rapproché de D.__. Par ailleurs, il ne connaissait pas et n’avait jamais vu C.__ auparavant, de sorte que même s’il avait aperçu D.__ dans la rue en amont – ce qui n’est pas établi –, il ne pouvait pas s’attendre, en continuant simplement son chemin en direction de son domicile, à être victime d’une agression de la part d’un inconnu, malgré l’altercation l’ayant opposé à D.__ plus tôt dans la soirée. On ne voit pas non plus qu’il aurait eu la moindre possibilité de prendre la fuite pour échapper à l’agression imprévisible, gratuite et très violente de C.__. En somme, on ne peut pas retenir qu’il aurait pu et dû se rendre compte du danger que représentait son agresseur et qu’il aurait pu s’y soustraire, ni que son comportement était de nature à entraîner une telle agression. Dans ces conditions, l’assurance-accidents et le tribunal cantonal ont violé le droit fédéral en réduisant les prestations en espèces en application de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA. Le fait que l’agression de l’assuré, par une personne qui lui était inconnue, soit indirectement liée à une altercation qu’il avait eue plus tôt dans la soirée avec D.__, ne suffit pas à considérer que cette disposition serait pertinente en l’espèce.

Il s’ensuit que le recours doit être admis, avec pour conséquence l’annulation de l’arrêt attaqué et de la décision sur opposition.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_219/2024 consultable ici