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8C_587/2020 (d) du 05.02.2021 – Causalité naturelle – Statu quo sine – Cause aléatoire ou occasionnelle – 6 LAA / Divergences des médecins – Expertise médicale judiciaire nécessaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_587/2020 (d) du 05.02.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt du TF fait foi

 

Causalité naturelle – Statu quo sine – Cause aléatoire ou occasionnelle / 6 LAA

Divergences des médecins – Expertise médicale judiciaire nécessaire

 

Assuré, né en 1989, électricien, est victime le 03.02.2017 d’une chute en faisant du snowboard. Le médecin traitant, spécialiste FMH en médecine interne générale, a diagnostiqué un traumatisme abdominal contondant.

Le 23.03.2017, l’assuré a subi une « révision de l’aine avec réparation d’une hernie inguinale gauche ». Sur la base des documents médicaux obtenus et de l’appréciation de son spécialiste en chirurgie, l’assurance-accidents a refusé la demande de garantie concernant l’opération du 23.03.2017. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a confirmé qu’elle n’était pas tenue de verser des prestations, motif pris que les hernies inguinales n’étaient pas prises en charge par l’assurance-accidents, se référant à l’avis médicale de son médecin d’arrondissement.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 12.08.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré aux prestations pour l’opération du 23.03.2017 et ses suites immédiates.

 

TF (consid. 6)

Divergences des médecins – Expertise externe

La cour cantonale a douté du rapport du médecin de l’assurance-accidents, raison pour laquelle elle ne s’est pas fondée sur celle-ci. Il est vrai que les avis divergents des médecins de l’assuré peuvent au moins jeter un léger doute sur l’évaluation du médecin de l’assureur. Cependant, ces opinions ne sont également pas exemptes de contradictions.

Dès lors que les effets de l’accident sur le lipome préexistant ou sur les plaintes qui ont rendu nécessaire l’opération du 23.03.2017 sont discutés de manière controversée entre les médecins, il est nécessaire de procéder à une expertise externe, contrairement à l’avis de la cour cantonale. Une telle expertise est également nécessaire parce que tous les médecins impliqués n’ont pas suffisamment abordé le fait que la raison de l’opération du 23.03.2017 était les douleurs existant depuis l’accident du 03.02.2017. La question de savoir si le lipome est devenu symptomatique à la suite de la chute de snowboard ou si une intervention chirurgicale aurait été nécessaire au même moment sans l’accident ne peut être tranchée sur la base des documents médicaux disponibles.

 

Causalité naturelle

Selon la jurisprudence, l’exigence d’un lien de causalité naturelle est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que l’atteinte à la santé ne serait pas survenue au même moment, sans l’accident. Un événement accidentel à l’origine de l’atteinte à la santé a pour effet de donner droit à des prestations même si l’atteinte en question se serait probablement produite tôt ou tard même sans l’événement assuré, de sorte que l’accident n’était qu’une condition sine qua non en ce qui concerne le moment où l’atteinte est survenue.

La situation est différente si l’accident n’est qu’une cause aléatoire ou occasionnelle (« Gelegenheits- oder Zufallsursache ») qui permet à un état antérieur de se manifester, dont la réalisation aurait pu s’activer en tout temps spontanément, l’accident n’ayant aucune signification indépendante sous l’angle du lien de cause à effet (SVR 2012 UV Nr. 8 S. 27, 8C_380/2011 consid. 4.2.1; ANDREAS TRAUB, Natürlicher Kausalzusammenhang zwischen Unfall und Gesundheitsschädigung bei konkurrierender pathogener Einwirkung: Abgrenzung der wesentlichen Teilursache von einer anspruchshindernden Gelegenheits- oder Zufallsursache, in: SZS 2009 S. 479).

Un événement a donc le caractère d’une cause partielle donnant droit aux prestations si le risque résultant de la cause globale pathogène potentielle n’était pas auparavant présent à un point tel que le facteur déclenchant apparaîtrait comme étant, en quelque sorte, arbitraire et interchangeable. En revanche, l’effet lié à l’accident – si le contexte déclencheur a été établi – correspond à une cause aléatoire ou occasionnelle (faisant obstacle à l’indemnisation) s’il rencontre un état antérieur si instable et précaire que la survenue d’une atteinte (organique) aurait pu être attendue à tout moment, que cela soit en raison du processus de l’état maladif antérieur ou en raison de toute autre cause aléatoire. Si un autre facteur de perturbation (« Belastungsfaktor ») alternatif quotidien aurait pu causer la même atteinte à la santé presque au même moment, l’accident n’apparaît pas comme un élément causal significatif, mais comme une cause interchangeable (« austauschbarer Anlass ») ; l’assurance-accidents n’a pas à intervenir (arrêt 8C_669/2019 du 25 mars 2020 consid. 4.2 et la référence à SVR 2012 UV Nr. 8 S. 27, 8C_380/2011 consid. 4.2.2).

Si nous devons arriver à la conclusion que l’évaluation du médecin interne à l’assurance n’est pas fiable, il doit procéder à des clarifications supplémentaires. En retenant, sur la base des appréciations des médecins traitant, que le lien de causalité naturelle entre l’accident du 03.02.2017 et l’intervention chirurgicale du 23.03.2017, sans procéder à une nouvelle appréciation médicale, la cour cantonale a violé le droit fédéral.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et renvoie la cause au tribunal cantonal pour mise en œuvre d’une expertise médicale judiciaire.

 

 

Arrêt 8C_587/2020 consultable ici

 

 

Remarques : nous sommes conscients que notre traduction est imparfaite ; il a été difficile de trouver les mots adéquats en français. Nous sommes à l’écoute de toute proposition de meilleure traduction.

 

L’arrêt 8C_380/2011 n’a été cité qu’une fois en français (8C_867/2014 consid. 4.2) ; quant à l’arrêt 8C_669/2019, il n’a été repris dans aucune affaire en français.

 

Proposition de citation : 8C_587/2020 (d) du 05.02.2021 – Causalité naturelle – Statu quo sine – Cause aléatoire ou occasionnelle, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/05/8c_587-2020)

8C_164/2020 (f) du 01.03.2021 – Lien de causalité naturelle entre un CRPS et l’accident / Troubles psychiques – Causalité adéquate – 6 LAA / Mécanicien-électricien heurté par une valve métallique le projetant en arrière sur plusieurs mètres – Moyen stricto sensu

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_164/2020 (f) du 01.03.2021

 

Consultable ici

 

Lien de causalité naturelle entre un CRPS et l’accident – Rappel / 6 LAA

Troubles psychiques – Causalité adéquate / 6 LAA

Mécanicien-électricien heurté par une valve métallique le projetant en arrière sur plusieurs mètres – Moyen stricto sensu

 

Assuré, né en 1962, mécanicien-électricien, a été victime d’un accident le 07.06.2009 : il a été heurté au thorax par une valve métallique d’un silo mélangeur sous pression qu’il était en train de dévisser et a été projeté en arrière sur plusieurs mètres ; cette pièce mesurait environ 30 cm de diamètre sur 60 cm de profondeur et pesait environ 10 kilos. A l’Hôpital C.__, où l’assuré est resté en observation durant 24 heures, l’on a diagnostiqué une contusion du thorax, du coude gauche et de l’auriculaire droit. L’absence de fracture et d’hématome au thorax a été confirmée par un scanner du 28 septembre 2009 ; cet examen a en revanche montré un remaniement arthrosique des articulations sterno-costales.

Si l’évolution a été favorable en ce qui concerne le coude et l’auriculaire, l’assuré a continué à se plaindre de douleurs thoraciques importantes malgré la médication antalgique (Tramal), ce qui a motivé un séjour du 09.12.2009 au 19.01.2010 à la Clinique Romande de réadaptation (CRR). IRM du sternum et scintigraphie osseuse : résultats témoignant des suites d’une contusion osseuse sans mise en évidence d’une fracture. Les médecins de la CRR ont également observé des croyances erronées et des anticipations anxieuses chez l’assuré. L’assuré a repris le travail dans une activité légère à 30% le 25.01.2010.

Dès le mois d’avril 2010, l’assuré a été suivi par le professeur D.__, spécialiste en anesthésiologie, qui a retenu des signes compatibles avec un CRPS (complex regional pain syndrom ou syndrome douloureux régional complexe) et qui a procédé le 03.09.2010 à l’implantation d’un stimulateur médullaire.

Nouvel arrêt de travail 100% dès le 13.08.2010 ; l’assuré n’a plus repris le travail depuis lors. Consilium neurologique : le spécialiste en neurologie a observé une zone d’hypoesthésie tactile et douloureuse globale (dorso-latéro-antérieure) à la hauteur des vertèbres thoraciques T1 à T9, qui, selon lui, était difficilement explicable par un processus de contusions des structures nerveuses superficielles tel qu’évoqué par le professeur D.__ en l’absence d’une fracture ou d’une autre pathologie importante.

Expertise pluridisciplinaire à l’Hôpital M.__ : au titre de diagnostics neurologiques, ils ont notamment retenu un CRPS avec lésion post-traumatique des nerfs intercostaux T2-T5 à gauche et T3-T7 à droite. L’assurance-accidents a soumis cette expertise pour avis à ses médecins de son Centre de compétences, qui ont réfuté le diagnostic de CRPS. Nouvelle expertise, auprès d’un neurologue et d’un psychiatre : après concertation, ces médecins ont conclu à un syndrome douloureux somatoforme persistant ; pour la contusion thoracique, le neurologue a fixé le statu quo ante une année après l’accident.

L’assurance-accidents a mis, par décision du 29.05.2018 confirmée sur opposition, a mis fin avec effet immédiat à la prise en charge du traitement médical et entériné l’arrêt du versement des indemnités journalières au 18.07.2011 (précédente décision annulée par le tribunal cantonal).

 

Procédure cantonale (arrêt AA 133/18 – 14/2020 – consultable ici)

Par jugement du 27.01.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Lien de causalité naturelle entre un CRPS et l’accident

Le Tribunal fédéral rappelle que, pour admettre l’existence d’un lien de causalité naturelle entre un CRPS et l’accident, qu’il est déterminant qu’on puisse conclure, en se fondant sur les constats médicaux effectués en temps réel, que la personne concernée a présenté, au moins partiellement, des symptômes typiques du CRPS durant la période de latence de six à huit semaines après l’accident (voir les arrêts 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 et 8C_177/2016 du 22 juin 2016).

En l’occurrence, il n’y a pas de motif de mettre en cause l’appréciation de la cour cantonale selon laquelle les conclusions des experts neurologues de l’Hôpital M.__ dans le sens d’une confirmation d’un CRPS ne sauraient être suivies. Ces médecins ont retenu ce diagnostic en considération de la combinaison des symptômes sensitifs, vaso- et sudomoteurs et des douleurs thoraciques extrêmement invalidantes. Ils ont précisé que ce diagnostic permettait d’expliquer l’ensemble des symptômes présentés par l’assuré par opposition aux autres diagnostics différentiels, tels que des douleurs neuropathiques d’origine périphérique ou centrale (polyneuropathies, radiculopathies, douleur post-zostérien, lésion médullaire etc.). Toutefois, comme l’a relevé à juste titre la cour cantonale en se fondant sur les objections des médecins du Centre de compétences de l’assurance-accidents, si les neurologues de l’Hôpital M.__ ont bien observé au moment de leur examen une allodynie, ils n’ont constaté aucune sudation, œdème, rougeur ou changement de coloration de la peau, ni trouble moteur ou changement trophique. De plus, l' »impression de froideur » décrite par l’assuré n’avait pas fait l’objet d’une confirmation par des mesures. Ces considérations, que l’assuré ne discute au demeurant pas sérieusement, permettent de considérer qu’il manque des indices cliniques pertinents pour le diagnostic selon les critères dits de Budapest.

Les arguments médicaux sont convaincants et permettent d’écarter l’éventualité de séquelles neurologiques notables. Pour le reste, on peut constater que les médecins de la CRR n’avaient retenu aucune contre-indication à une augmentation progressive de la capacité de travail de l’assuré à la fin de l’année 2010, que le docteur S.__ a confirmé une guérison totale sur le plan anatomique, et, enfin, que l’assuré présente une arthrose sterno-costale qui n’a pas pu être attribuée à l’événement accidentel. Aussi peut-on s’en tenir à la fixation du statu quo ante au 18.07.2011 comme reconnu par l’assurance-accidents en ce qui concerne les conséquences de la contusion thoracique du 07.06.2009, étant précisé que le médecin-expert neurologue a considéré que ce statu quo ante était déjà atteint une année après l’accident.

 

Troubles psychiques – Causalité adéquate

On ne voit pas de motif de ranger l’accident du 07.06.2009 dans la catégorie des accidents moyens à la limite des cas graves. L’assuré a été heurté directement au thorax par une valve métallique d’une machine sous pression, ce qui lui a occasionné une contusion thoracique. Compte tenu de la nature de cette lésion, on doit retenir que les forces mises en jeu sur son thorax au moment de l’accident étaient d’importance moyenne. La qualification de la cour cantonale concernant le degré de gravité de l’accident peut donc être confirmée.

Partant, il faut un cumul de trois critères sur les sept ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante pour que la causalité adéquate soit admise (SVR 2010 UV n° 25 p. 100 [8C_897/ 2009] consid. 4.5; arrêt 8C_663/2019 du 9 juin 2020 consid. 3.2). Or, si le critère du caractère particulièrement impressionnant de l’événement du 07.06.2009 peut être reconnu, il n’a pas revêtu à lui seul une intensité suffisante pour l’admission du rapport de causalité adéquate. Quant aux deux autres critères invoqués, ils ne sont pas réalisés. En effet, les douleurs de l’assuré sont entretenues par son état psychique et on ne peut pas parler dans son cas d’un traitement médical pénible sur une longue durée. On notera que tous les médecins ont recommandé que l’assuré se soumette à un sevrage du Tramal.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_164/2020 consultable ici

 

 

9C_324/2020 (f) du 05.02.2021 – Lésions dentaires chez une assurée de 78 ans à la suite d’un accident / Causalité naturelle– Atteinte à la santé en grande partie imputable à un état antérieur massif (in casu : parodontite de sévère à très sévère) / Cause partielle / Causalité adéquate en cas de lésions dentaires et physiques

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_324/2020 (f) du 05.02.2021

 

Consultable ici

 

Lésions dentaires chez une assurée de 78 ans à la suite d’un accident / 4 LPGA – 1 al. 2 lit. b LAMal – 28 LAMal – 31 al. 2 LAMal

Lien de causalité naturelle entre l’accident et l’atteinte à la santé – Atteinte à la santé en grande partie imputable à un état antérieur massif (in casu : parodontite de sévère à très sévère) / Cause partielle

Causalité adéquate en cas de lésions dentaires et physiques

Pas d’arbitraire dans l’appréciation des preuves et l’établissement des faits

 

Assurée, née en 1939, a chuté sur le visage le 12.06.2017, ce qui a notamment entraîné des dommages dentaires (fractures des racines des dents 12 et 21, luxations des dents 11, 12 et 21, subluxation de la dent 22).

Le 26.06.2017, le dentiste traitant, a établi un devis de 10’373 fr. 40 pour la réalisation d’un pont pour quatre incisives et deux implants. Après avoir soumis le cas à son médecin-conseil, la caisse-maladie a fait savoir à l’assurée qu’elle allait refuser la prise en charge du traitement tel que devisé par le dentiste traitant vu l’état parodontal préexistant, car l’accident n’expliquait pas les dégâts constatés.

Par décision, confirmée sur opposition, la caisse-maladie a refusé d’intervenir.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/230/2020 – consultable ici)

Examinant les divergences de vues entre les médecins-conseils de l’assureur et les dentistes de l’assurée, les juges cantonaux ont admis que le dossier ne permettait pas de considérer qu’une sollicitation quotidienne normale, soit l’acte de mastiquer, aurait entraîné une luxation, une subluxation ou encore une fracture des dents en question, à peu près au même moment que l’accident. Même si les dents étaient déjà branlantes avant l’accident, rien au dossier ne justifiait de retenir que le fait de mastiquer les aurait déplacées ou entraîné une fracture de la racine en juin 2017. Les juges cantonaux en ont déduit que l’accident ne constituait pas une cause fortuite, de sorte que le lien de causalité naturelle devait être admis, de même que le lien de causalité adéquate puisque les conditions pour admettre son interruption étaient identiques.

Par jugement du 16.03.2020, admission partielle du recours, annulation de la décision litigieuse, constant que l’atteinte dentaire était en lien de causalité avec l’accident assuré. La cause est renvoyée à la caisse-maladie pour instruction et décision sur le montant de la prise en charge.

 

TF

En ce qui concerne l’exigence d’un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’accident et l’atteinte à la santé, la responsabilité de l’assurance ne peut être exclue au motif qu’une atteinte à la santé est en grande partie imputable à un état antérieur massif et que l’événement accidentel n’a qu’une importance secondaire (cf. ATF 129 V 177 consid. 3.1 p. 181, 402 consid. 4.3.1 p. 406 et les arrêts cités; arrêt 9C_242/2010 du 29 novembre 2010 consid. 3.2). En présence d’un état antérieur, ce n’est que si une sollicitation quotidienne aurait pu causer les mêmes dommages au même moment en raison de cet état que la causalité naturelle peut être niée (arrêt 9C_242/2010 cité consid. 3.2).

 

Selon la jurisprudence, l’arbitraire dans l’appréciation des preuves et l’établissement des faits ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution serait envisageable ou même préférable. Le Tribunal fédéral n’annule la décision attaquée que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, qu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté, ou encore lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité (cf. ATF 141 I 49 consid. 3.4 p. 53 et les arrêts cités). Pour qu’une décision soit annulée au titre de l’arbitraire au sens de l’art. 9 Cst., il ne suffit pas qu’elle se fonde sur une motivation insoutenable; encore faut-il qu’elle apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 137 I 1 consid. 2.4 p. 5 et les arrêts cités). En ce qui concerne plus précisément l’appréciation des preuves et l’établissement des faits, il y a arbitraire lorsque l’autorité ne prend pas en compte, sans aucune raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3 p. 266).

 

En ce qui concerne l’état de la dentition au moment de l’accident, la caisse-maladie soutient que si l’assurée avait croqué normalement des aliments, ses incisives se seraient luxées ou subluxées, car ces dents ne supportaient plus une charge normale en raison de l’état d’avancement de la parodontite. On ne saurait toutefois suivre ce raisonnement à la lumière des déclarations de son médecin-conseil. En effet, ce dernier a retenu que l’assurée pouvait encore croquer doucement avec ses incisives (l’attache osseuse étant de 3mm), car la résistance existait encore avant l’accident même si elle était fortement diminuée. Lors de l’audience d’enquêtes, le médecin-conseil a certes qualifié la parodontite de sévère à très sévère et indiqué que le pronostic était clairement mauvais. Néanmoins, s’agissant de la mobilité des dents, il a précisé qu’il ne pouvait pas contredire les affirmations du dentiste traitant, selon lequel il n’y avait aucune mobilité des incisives avant l’accident, même si ce fait pouvait être suspecté. De plus, si le dentiste-conseil s’est étonné du pronostic évoqué par le dentiste traitant, qui était d’avis que les dents auraient encore été en place dans cinq ans, il ne l’a cependant pas contredit quant à cette durée.

En l’espèce, il incombait à la partie recourante d’établir en quoi les premiers juges auraient constaté les faits de manière manifestement inexacte en n’ayant pas retenu qu’une sollicitation quotidienne des dents aurait pu produire les mêmes dommages à peu près au moment de l’accident. L’affirmation de la caisse-maladie selon laquelle « les incisives de l’assurée étaient condamnées » ne suffit pas. A la lumière des avis médicaux qui lui étaient soumis, la juridiction cantonale n’a pas tiré de constatations insoutenables en écartant cette éventualité, nonobstant la fragilité avérée des dents en raison de l’étendue de la perte osseuse (parodontite). L’instance cantonale pouvait ainsi admettre que l’état antérieur de la dentition n’avait constitué qu’une cause partielle de la perte des incisives et que celles-ci n’auraient pas été endommagées de la même manière sans l’accident.

 

Quant au lien de causalité adéquate, la caisse-maladie se réfère à la jurisprudence en matière de cas dentaires (ATF 114 V 169 consid. 3b p. 171). En tant qu’elle se réfère à une condition particulière concernant la causalité adéquate, elle semble ignorer que la jurisprudence prévoit une analogie entre la causalité naturelle et la causalité adéquate dans ce domaine (arrêt 9C_242/2010 cité consid. 3.3 avec la référence à l’ATF 114 V 169). Une violation du droit fédéral à cet égard ne saurait être reprochée aux juges cantonaux.

 

Le TF rejette le recours de la caisse-maladie.

 

 

Arrêt 9C_324/2020 consultable ici

 

 

8C_289/2020 (f) du 17.02.2021 – destiné à la publication – Pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident soient élucidées – Rappel / 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_289/2020 (f) du 17.02.2021, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident soient élucidées – Rappel / 6 LAA

 

Assuré, né en 1969, maçon, a été victime le 18.06.2012 d’un accident de travail. Il procédait à un marquage du sol en contrebas d’une pente où était située une pelle mécanique, dos à la machine qui se trouvait à une distance d’environ 4 à 5 mètres, lorsque celle-ci a glissé en bas de la pente et que son godet a percuté l’assuré au niveau des jambes. L’assuré a subi une fracture oblique de la diaphyse de la jambe droite ainsi qu’une fracture plurifragmentaire spiroïde et distale du tibia gauche associée à une fracture plurifragmentaire du péroné du même côté. Les suites ont été marquées par des complications cutanées bilatérales, nécessitant en août 2012 une excision d’ulcère avec débridement et fermeture de plaie, ainsi que par un retard de consolidation des fractures des deux jambes, ce qui a exigé d’autres interventions chirurgicales en 2013.

En raison de la persistance de douleurs aux membres inférieurs et des difficultés à la marche, l’assuré a séjourné du 19.08.2014 au 09.09.2014 à la Clinique D.__. Dans le rapport de sortie, les médecins de cet établissement ont fait état, outre les diagnostics somatiques, d’un trouble de l’adaptation avec réaction anxieuse de type post-traumatique. Le 16.06.2015, le médecin d’arrondissement a retenu que l’état de santé était stabilisé, a confirmé la capacité entière de travail médico-théorique dans une activité adaptée et a fixé le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité à 15%. Il a maintenu son appréciation le 13.10.2016, après avoir constaté l’ablation du matériel d’ostéosynthèse du côté droit (18.01.2016), puis le 14.06.2018, ensuite de l’ablation du matériel d’ostéosynthèse du tibia gauche avec neurolyse du nerf saphène interne de la jambe gauche du 18.12.2017.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une IPAI de 15% et une rente d’invalidité d’un taux de 23% à compter du 01.08.2018. Elle a refusé de tenir compte d’une éventuelle incapacité de travail sur le plan psychique, faute d’un lien de causalité adéquate.

 

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a à son tour examiné s’il existait un lien de causalité adéquate entre l’évènement accidentel et des troubles psychiques. Les juges cantonaux ont qualifié l’accident de moyennement grave à la limite des cas graves et ont admis le critère de la durée anormalement longue du traitement médical, sans examiner si les autres critères étaient également remplis.

Finalement, la cour cantonale a constaté que l’état du dossier ne permettait de statuer ni sur le rapport de causalité naturelle, ni sur l’influence de la pathologie psychiatrique sur la capacité résiduelle de travail et sur la quotité de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Par conséquent, elle a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire, en particulier pour établir la nature des troubles psychiques (diagnostics), l’éventuel rapport de causalité naturelle de ces troubles et l’accident ainsi que leur influence sur la capacité résiduelle de travail de l’assuré et sur la question de l’éventuel octroi d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité. En outre, le tribunal cantonal a estimé qu’une analyse globale s’avérerait judicieuse, vu qu’on était en présence de séquelles physiques additionnelles entraînant des limitations fonctionnelles.

Par jugement du 20.04.2020, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Dans la mesure où le caractère naturel et le caractère adéquat du lien de causalité doivent être remplis cumulativement pour octroyer des prestations d’assurance-accidents, la jurisprudence admet de laisser ouverte la question du rapport de causalité naturelle dans les cas où ce lien de causalité ne peut de toute façon pas être qualifié d’adéquat (ATF 135 V 465 consid. 5.1 p. 472). En revanche, la manière dont ont procédé les juges cantonaux, consistant à reconnaître un rapport de causalité adéquate avant que les questions de fait relatives à la nature des troubles psychiques en cause et à leur causalité naturelle soient élucidées, ne saurait être confirmée.

Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de dire qu’il n’est pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques d’un assuré avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées au moyen d’une expertise psychiatrique concluante (arrêts 8C_192/2018 du 12 mars 2019 consid. 6; 8C_685/2015 du 13 septembre 2016 consid. 4.2, in: SVR 2017 UV n° 4 p. 11; cf. IRENE HOFER, in: Basler Kommentar ATSG, 2020, n° 78 ad art. 4 LPGA). D’une part, un tel procédé est contraire à la logique du système. En effet, le droit à des prestations découlant d’un accident suppose tout d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Ainsi, on ne peut pas retenir qu’un accident est propre, sous l’angle juridique, à provoquer des troubles psychiques éventuellement incapacitants sans disposer de renseignements médicaux fiables sur l’existence de tels troubles, leurs répercussions sur la capacité de travail et leur lien de causalité avec cet accident. D’autre part, la reconnaissance préalable d’un lien de causalité adéquate est un élément de nature à influencer, consciemment ou non, le médecin psychiatre dans son appréciation du cas, et donc le résultat d’une expertise psychiatrique réalisée après coup s’en trouverait biaisé (arrêts 8C_192/2018 du 12 mars 2019 précité consid. 6; 8C_685/2015 du 13 septembre 2016 précité consid. 4.2, in: SVR 2017 UV n° 4 p. 11).

En l’occurrence, pour ces mêmes raisons, il est prématuré que le Tribunal fédéral se prononce sur les griefs soulevés par l’assurance-accidents. Un tel examen n’aurait de sens que si l’on pouvait d’emblée nier l’existence d’un rapport de causalité adéquate, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Sans préjuger de cette question, il convient donc d’annuler le chiffre 1 du dispositif du jugement cantonal en tant qu’il renvoie aux considérants sur la question de la causalité adéquate. La cause sera renvoyée à l’assurance-accidents afin qu’elle procède à une instruction complémentaire globale dans le sens ordonné par l’autorité cantonale. En fonction du résultat de cette instruction, l’assurance-accidents se prononcera à nouveau notamment sur le lien de causalité adéquate et naturelle, et rendra une nouvelle décision sur le droit aux prestations de l’assuré.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et la décision litigieuse, renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_289/2020 consultable ici

 

 

8C_516/2020 (f) du 03.02.2021 – Troubles musculo-squelettiques (TMS) – Tendinopathies du membre supérieur – Utilisation intensive du clavier et de la souris de son ordinateur – Maladie professionnelle niée – 9 al. 2 LAA / Fardeau de la preuve – l’assuré supporte les conséquences de l’impossibilité d’apporter la preuve de la causalité qualifiée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_516/2020 (f) du 03.02.2021

 

Consultable ici

 

Troubles musculo-squelettiques (TMS) – Tendinopathies du membre supérieur – Utilisation intensive du clavier et de la souris de son ordinateur

Maladie professionnelle niée / 9 al. 2 LAA

Fardeau de la preuve – l’assuré supporte les conséquences de l’impossibilité d’apporter la preuve de la causalité qualifiée

 

Assuré, né en 1986, exerce depuis le 01.10.2016 la profession de responsable de projets. Par déclaration de sinistre du 26.07.2019, il a annoncé souffrir d’une tendinite en précisant que lorsqu’il travaillait sur son ordinateur, il avait parfois des douleurs diverses à son avant-bras droit (troubles musculo-squelettiques). Il a produit un certificat médical établi le 19.07.2019 par son le médecin traitant, spécialiste en médecine générale, indiquant qu’il présentait de manière régulière des tendinopathies du membre supérieur droit, disparaissant lors des congés, et qu’il soupçonnait très fortement que le poste de travail en était la cause. Dans un rapport médical du 09.08.2019, le médecin traitant a relevé que dès le 02.08.2018, son patient avait souffert de tendinites des extenseurs des doigts et de la main droite, d’une épicondylite droite et d’omalgies droites. Dans le cadre de l’instruction menée par l’assurance-accidents, l’assuré a indiqué dans un questionnaire du 05.08.2019 que ses troubles étaient apparus au début 2017 lors de périodes d’utilisation intensive du clavier et de la souris de son ordinateur ; son poste de responsable de projets consistait en « analyse, tests et mise en service » ainsi qu’en « programmation sur ordinateur ».

L’assurance-accidents a sollicité l’avis des médecins de sa division médecine du travail. Dans une appréciation médicale du 15.08.2019, le spécialiste en médecine du travail et en médecine interne a estimé que les études actuelles ne permettaient pas de retenir une relation de causalité nettement prépondérante entre un trouble musculo-squelettique et l’utilisation d’un clavier ou d’une souris d’ordinateur, de sorte que les pathologies dont souffrait l’intéressé ne constituaient pas des maladies professionnelles au sens de la loi. Se fondant sur cette appréciation, l’assurance-accidents a refusé le droit à des prestations d’assurance par décision du 26.08.2019.

A la suite de l’opposition de l’assuré, l’assurance-accidents a soumis le cas à un spécialiste en médecine du travail et en chirurgie et médecin de la division de médecine du travail. Dans une appréciation médicale du 15.10.2019, celui-ci a relevé que les diagnostics évoqués par le médecin traitant n’étaient pas étayés par des constatations cliniques, de sorte qu’ils ne pouvaient pas être confirmés. A supposer qu’il faille examiner la causalité entre l’activité professionnelle et les affections présentées, il faudrait retenir qu’il n’était pas prouvé que celles-ci aient été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par le travail à l’écran. En effet, les études épidémiologiques s’accordaient sur le fait qu’une augmentation du risque par un facteur quatre – causalité qualifiée d’au moins 75% – chez les personnes exerçant une activité impliquant une utilisation accrue d’un ordinateur par rapport à la population dans son ensemble ne pouvait pas être prouvée. Se fondant sur cette appréciation, l’assurance-accidents a rejeté l’opposition par décision du 18.10.2019.

 

Procédure cantonale

Les juges cantonaux ont exposé que les diagnostics posés par le médecin traitant – soit une tendinite des extenseurs des doigts et de la main droite, une épicondylite et des omalgies droites – n’étaient pas objectivés par des examens échographiques ou de résonance magnétique, de sorte qu’ils n’étaient pas confirmés. Cela étant, le spécialiste en médecine du travail et en chirurgie et médecin de la division de médecine du travail avait néanmoins examiné la causalité entre les affections en question et l’activité professionnelle de l’assuré, qu’il avait niée en relevant notamment ce qui suit (traduction libre de l’allemand) : « Le point commun à toutes les études épidémiologiques est qu’une telle augmentation du risque par un facteur quatre ne peut pas être prouvée pour un travail à l’ordinateur. Il existe même des résultats de recherche qui montrent que le syndrome du tunnel carpien, par exemple, se produit moins fréquemment chez les personnes qui travaillent tous les jours à l’ordinateur que chez celles qui ne travaillent jamais à l’ordinateur. Le stress biomécanique sur les membres supérieurs causé par un travail prolongé au clavier et à la souris n’est ni qualitativement ni quantitativement suffisant pour causer effectivement plus de 75% des affections dont il est question ici. Bien que les mouvements de chaque doigt soient souvent monotones et toujours très répétitifs, la force nécessaire pour les déplacer est si faible qu’il n’y a pas d’altération de l’irrigation sanguine des gaines tendineuses, nécessaire au développement de la tendinite. En outre, les distances parcourues par les doigts, c’est-à-dire les déviations des mouvements, sont très faibles : des mouvements importants ont lieu dans les articulations de la base et du milieu des longs doigts et dans l’articulation de la selle du pouce. En outre, les muscles extenseurs de l’avant-bras, qui proviennent de l’épicondyle latéral du bras, et les muscles fléchisseurs de l’avant-bras, qui proviennent en partie de l’épicondyle médial du bras, sont rarement utilisés pour travailler au clavier, et ce sans effort significatif; l’articulation de l’épaule n’est pratiquement pas utilisée pour écrire un texte ou déplacer une souris ou une boule de commande, à l’exception de courts mouvements vers l’avant du bras dans l’articulation de l’épaule et de mouvements de rotation occasionnels. »

Se référant à un récent arrêt dans lequel le Tribunal fédéral a rappelé qu’il n’existe toujours pas de résultats de recherche suggérant une fréquence nettement plus élevée du syndrome des « repetitive strain injuries » (au niveau de la main) lors d’activités répétitives à l’ordinateur (arrêt 8C_149/2020 du 1er avril 2020 consid. 3.2), la cour cantonale a considéré qu’aucun élément ne permettait de remettre en cause les conclusions du médecin de la division de médecine du travail.

Les juges cantonaux ont ensuite estimé que l’argumentation de l’assuré relative à l’impossibilité mathématique d’obtenir un taux de 75% lorsque le groupe à prendre en considération était supérieur à 25% de la population était dénuée de pertinence. En effet, en ce qui concernait les preuves épidémiologiques, il s’agissait selon la jurisprudence de comparer la prévalence d’une maladie dans un groupe professionnel avec la prévalence de celle-ci dans la population en général, ce qui permettait potentiellement d’obtenir un ratio supérieur à quatre si la maladie n’était pas distribuée trop largement.

Enfin, la cour cantonale a relevé que s’il n’était certes pas exclu que les plaintes de l’assuré aient été déclenchées par son activité professionnelle, il fallait, pour conclure à une maladie professionnelle au sens de l’art. 9 al. 2 LAA, que le lien de causalité puisse être qualifié de nettement prépondérant. Or les avis des médecins de l’assurance-accidents, qui fondaient sous l’angle médical la décision de l’assurance-accidents et dont il résultait qu’il n’était pas possible de retenir un lien de causalité nettement prépondérant entre l’activité professionnelle de l’assuré et les troubles annoncés par celui-ci, satisfaisaient entièrement aux exigences jurisprudentielles relatives à la valeur probante de rapports médicaux. L’avis non étayé du médecin traitant, qui se bornait à affirmer que les pathologies présentées par son patient lui semblaient « liées de manière nettement prépondérante à son poste de travail », n’était pas propre à faire naître un doute sur les conclusions des médecins de l’assurance-accidents, de sorte que l’assurance-accidents était fondée à nier le caractère de maladie professionnelle aux troubles annoncés par l’assuré sans devoir ordonner d’expertise sur ce point.

Par jugement du 25.06.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Les prestations d’assurance sont en principe allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle (art. 6 al. 1 LAA).

 

Maladie professionnelle selon la liste / 9 al. 1 LAA

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies (art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux; le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a énuméré à l’annexe 1 de l’OLAA (RS 832.202), à laquelle renvoie l’art. 14 OLAA, les substances nocives et les maladies dues à certains travaux au sens de l’art. 9 al. 1 LAA (ATF 114 V 109 consid. 2a p. 110). Cette énumération est exhaustive (arrêt 8C_117/2016 du 27 janvier 2017 consid. 3.2.1; RAMA 1988 n° U 61, p. 447 consid. 1a).

En l’espèce, il n’est pas contesté que, comme l’a constaté l’autorité cantonale, les troubles annoncés par l’assuré dans sa déclaration de sinistre ne figurent pas dans la liste exhaustive des affections dues au travail contenue à l’annexe 1 de l’OLAA, de sorte que l’art. 9 al. 1 LAA ne saurait trouver application.

 

Maladie professionnelle / 9 al. 2 LAA

Aux termes de l’art. 9 al. 2 LAA, sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle. Il s’agit là d’une clause générale visant à combler les lacunes qui pourraient résulter de ce que la liste dressée par le Conseil fédéral à l’annexe 1 de l’OLAA ne mentionne pas soit une substance nocive qui a causé une maladie, soit une maladie qui a été causée par l’exercice de l’activité professionnelle (ATF 119 V 200 consid. 2b p. 201; 117 V 354 consid. 2b p. 355; 114 V 109 consid. 2b p. 110 et les références).

Selon la jurisprudence, la condition d’un lien exclusif ou nettement prépondérant au sens de l’art. 9 al. 2 LAA – parfois appelé causalité qualifiée – n’est réalisée que si la maladie a été causée à 75% au moins par l’exercice de l’activité professionnelle (ATF 126 V 183 consid. 2b p. 186; 119 V 200 consid. 2b p. 201; 116 V 136 consid. 5a p. 142; 114 V 109 consid. 3 p. 111 et les références). Le Tribunal fédéral a précisé que ce taux de 75% signifie, pour certaines affections qui ne sont pas typiques d’une profession déterminée, qu’il doit être démontré, sur la base des statistiques épidémiologiques ou des expériences cliniques, que les cas de lésions pour un groupe professionnel déterminé sont quatre fois plus nombreux que ceux enregistrés dans la population en général (ATF 126 V 183 consid. 4c p. 189; 116 V 136 consid. 5c p. 143; RAMA 2000 n° U 408 p. 407, arrêt 8C_757/2018 du 28 mars 2019 consid. 4.2; arrêt U 235/99 du 22 septembre 2000 consid. 1a).

Le Tribunal fédéral a relevé que, compte tenu du caractère empirique de la médecine, lorsqu’une preuve directe ne peut pas être apportée à propos d’un état de fait médical, il est nécessaire de procéder à des comparaisons avec d’autres cas d’atteinte à la santé, soit par une méthode inductive ou par l’administration de la preuve selon ce mode. Dans ce cadre, la question de savoir si et dans quelle mesure la médecine peut, au regard de l’état des connaissances dans le domaine particulier, donner ou non d’une manière générale des informations sur l’origine d’une affection médicale joue un rôle décisif dans l’admission de la preuve dans un cas concret. S’il apparaît comme un fait démontré par la science médicale qu’en raison de la nature d’une affection particulière, il n’est pas possible de prouver que celle-ci est due à l’exercice d’une activité professionnelle, il est hors de question d’apporter la preuve, dans un cas concret, de la causalité qualifiée (ATF 126 V 183 consid. 4c p. 189; arrêt 8C_215/2018 du 4 septembre 2018 consid. 3.2; arrêt U 381/01 du 20 mars 2003 consid. 3.3).

Dans la mesure où la preuve d’une relation de causalité qualifiée (proportion d’au moins 75%) selon l’expérience médicale ne peut pas être apportée de manière générale (par exemple en raison de la propagation d’une maladie dans l’ensemble de la population, qui exclut la possibilité que la personne assurée exerçant une profession particulière soit affectée par une maladie au moins quatre fois plus souvent que la population moyenne), l’admission de celle-ci dans le cas particulier est exclue (ATF 126 V 183 consid. 4c p. 190; cf. ATF 116 V 136 consid. 5c in fine p. 144). En revanche, si les connaissances médicales générales sont compatibles avec l’exigence légale d’une relation causale nettement prépondérante, voire exclusive entre une affection et une activité professionnelle déterminée, il subsiste alors un champ pour des investigations complémentaires en vue d’établir, dans le cas particulier, l’existence de cette causalité qualifiée (ATF 126 V 183 consid. 4c p. 190; cf. ATF 116 V 136 consid. 5d; arrêt 8C_620/2018 du 15 janvier 2019 consid. 2.2 et les références citées; arrêt U 381/01 précité consid. 3.3).

Dans un arrêt du 27 janvier 2017, le Tribunal fédéral a rappelé, en se référant à différents précédents, qu’en l’état actuel des connaissances médicales, il n’était pas possible d’exclure de manière générale le caractère de maladie professionnelle à l’épicondylite, de sorte que la question devait être appréciée de cas en cas en fonction de différents critères d’évaluation. Si une expertise pouvait ainsi le cas échéant permettre d’établir le caractère de maladie professionnelle d’une telle affection dans un cas concret, on ne pouvait pas pour autant en déduire un droit inconditionnel à la mise en œuvre d’une expertise médicale pour chaque cas d’épicondylite ou de troubles du même type (arrêt 8C_117/2016 du 27 janvier 2017 consid. 6).

 

L’assuré relève que la preuve d’une augmentation du risque par un facteur quatre est mathématiquement impossible, puisque même dans l’hypothèse maximale où seules les personnes travaillant quotidiennement avec clavier et souris – correspondant selon lui à 37% de la population – devaient souffrir d’une certaine affection, laquelle serait ainsi absente chez le 63% de la population, le risque ne serait augmenté que par un facteur 2,7 (100% [taux de prévalence chez les travailleurs sur ordinateur] : 37% [taux de prévalence dans la population en général, comprenant les travailleurs sur ordinateur] = 2,7027). Cette impossibilité mathématique devrait selon l’assuré conduire à comparer le groupe en question avec le reste de la population plutôt qu’avec l’ensemble de la population.

Le fait avéré qu’il est mathématiquement impossible de prouver sur le plan épidémiologique une augmentation du risque par un facteur quatre dans un groupe professionnel représentant plus du quart de la population ne saurait conduire à s’écarter des principes scientifiques reconnus, qui imposent de comparer un groupe donné à la population dans son ensemble et non au reste de la population, ce qui introduirait des biais. Contrairement à ce que semble penser l’assuré, une telle impossibilité d’apporter une preuve épidémiologique a tout à fait été envisagée par la jurisprudence et conduit à exclure une telle preuve dans le cas particulier.

Conformément au principe général découlant de l’art. 8 CC, c’est la partie à laquelle incombe le fardeau de la preuve qui supporte les conséquences de l’échec de la preuve. Dans le cas présent, c’est donc l’assuré qui supporte les conséquences de l’impossibilité d’apporter la preuve de la causalité qualifiée, puisque c’est à l’assuré de rendre vraisemblable, avec un degré de présomption suffisant, que son affection est due, dans la proportion requise, à son activité professionnelle (ATF 116 V 136 consid. 5a p. 142 et les références).

C’est en outre en vain que l’assuré se prévaut de l’avis de son médecin traitant, qui se borne à affirmer de manière nullement étayée que les pathologies présentées par son patient – même à supposer celles-ci dûment établies – lui « semblent liées de manière nettement prépondérante à son poste de travail ». En effet, les avis médicaux des médecins de l’assurance-accidents, qui concluent qu’il n’est pas possible de retenir un lien de causalité nettement prépondérant entre l’activité professionnelle de l’assuré et les troubles annoncés par celui-ci, satisfont entièrement aux exigences posées par la jurisprudence pour admettre la valeur probante de rapports médicaux (ATF 134 V 231 consid. 5.1 p. 232; 125 V 351 consid. 3a p. 352). Or dans la mesure où l’avis non étayé du médecin traitant n’est pas propre à mettre en doute, même de façon minime, la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins de l’assurance-accidents, l’assurance-accidents était fondée à nier le caractère de maladie professionnelle aux troubles annoncés par l’assuré sans avoir recours à une expertise externe (ATF 139 V 225 consid. 5.2 p. 229; 135 V 465 consid. 4.4 p. 470).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_516/2020 consultable ici

 

 

8C_543/2020 (d) du 11.12.2020 – Causalité naturelle – Syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Algodystrophie – 6 LAA / Temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_543/2020 (d) du 11.12.2020

 

Consultable ici

NB: traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

Causalité naturelle – Syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Algodystrophie / 6 LAA

Temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC

 

TF (consid. 3.3)

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, pour que le syndrome douloureux régional complexe (SDRC ou complex regional pain syndrome [CRPS] anciennement appelé algodystrophie ou maladie de Südeck) soit présumé, il n’est pas nécessaire que le diagnostic ait été posé dans les six à huit mois suivant l’accident pour qu’il soit considéré comme lié à l’accident. L’élément décisif est que, sur la base des constatations médicales obtenues en son temps, on peut conclure que la personne concernée a souffert au moins partiellement des symptômes typiques du CRPS dans la période de latence de six à huit semaines après l’accident (arrêts 8C_308/2020 du 2 septembre 2020 consid. 3.2 et 8C_27/2019 du 20 août 2019 consid. 6.4.2 et les références ; cf. en général sur le CRPS : 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5).

 

 

Arrêt 8C_543/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_543/2020 (d) du 11.12.2020 – Temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/02/8c_543-2020)

 

8C_800/2019 (f) du 18.11.2020 – Maladie professionnelle niée – 9 al. 2 LAA / Lien de causalité naturelle que possible

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_800/2019 (f) du 18.11.2020

 

Consultable ici

 

Maladie professionnelle niée / 9 al. 2 LAA

Lien de causalité naturelle que possible

 

Assuré, né en 1975, travaillait depuis le 01.07.2016 en qualité d’ouvrier étancheur. Par courrier du 31.07.2017, son assurance perte de gain maladie a informé l’assurance-accidents d’une incapacité de travail de l’assuré depuis le 01.05.2017 et d’une suspicion de maladie professionnelle en rapport avec l’exposition chronique aux solvants organiques employés sur son lieu de travail. Dans un rapport du 05.07.2017 de l’Institut C.__, le docteur D.__, chef de clinique et spécialiste FMH en médecine du travail, a posé les diagnostics de céphalées chroniques d’origine indéterminée et de possible encéphalopathie chronique toxique liée à une exposition professionnelle aux solvants organiques.

Se fondant sur les avis de son spécialiste en médecine du travail, l’assurance-accidents a rendu une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a refusé d’allouer les prestations d’assurance sollicitées. Elle a considéré qu’il n’était pas prouvé que les troubles déclarés par l’assuré aient été causés exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de son activité professionnelle (art. 9 al. 2 LAA).

 

Procédure cantonale

Par jugement du 07.11.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux ; le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Se fondant sur cette délégation de compétence – à laquelle renvoie l’art. 14 OLAA -, le Conseil fédéral a dressé à l’annexe I de l’OLAA la liste des substances nocives, d’une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d’autres part. Ces substances et travaux, ainsi que les affections dues à ceux-ci, sont énumérés de manière exhaustive (arrêt 8C_757/2018 du 28 mars 2019 consid. 4.2 et la référence).

Selon la jurisprudence, l’exigence d’une relation prépondérante requise par l’art. 9 al. 1 LAA est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l’action d’une substance nocive mentionnée à l’annexe 1 de l’OLAA (ATF 133 V 421 consid. 4.1 p. 425 et les références).

Sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle (art. 9 al. 2 LAA). La condition d’un lien exclusif ou nettement prépondérant n’est réalisée que si la maladie a été causée à 75% au moins par l’exercice de l’activité professionnelle (ATF 126 V 183 consid. 2b p. 186; 119 V 200 consid. 2b p. 201 et la référence). Cela signifie, pour certaines affections qui ne sont pas typiques d’une profession déterminée, que les cas d’atteinte pour un groupe professionnel particulier doivent être quatre fois plus nombreux que ceux que compte la population en général (ATF 116 V 136 consid. 5c p. 143; RAMA 2000 n° U 408 p. 407, U 235/99, consid. 1a; arrêt 8C_73/2017 du 6 juillet 2017 consid. 2.2, publié in: SVR 2017 UV n° 46 p. 158).

Pour constater l’existence d’une atteinte à la santé en lien avec l’exercice d’une activité professionnelle, le juge doit se fonder sur des rapports médicaux auxquels on peut attribuer un caractère probant suffisant selon la jurisprudence (cf. ATF 140 V 193 consid. 3.2 p. 195; 125 V 351 consid. 3a p. 352).

L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bien son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 p. 232; 125 V 351 précité consid. 3a p. 352).

Selon la jurisprudence, il découle du principe de l’égalité des armes, tiré du droit à un procès équitable garanti par l’art. 6 par. 1 CEDH, que l’assuré a le droit de mettre en doute avec ses propres moyens de preuve la fiabilité et la pertinence des constatations médicales effectuées par un médecin interne à l’assurance. Le fait, tiré de l’expérience de la vie, qu’en raison du lien de confiance (inhérent au mandat thérapeutique) qui l’unit à son patient, le médecin traitant est généralement enclin à prendre parti pour celui-ci (ATF 135 V 465 consid. 4.5 p. 470; 125 V 351 consid. 3a/cc p. 353 et les références) ne libère pas le juge de son devoir d’apprécier correctement les preuves, ce qui suppose de prendre également en considération les rapports versés par l’assuré à la procédure. Le juge doit alors examiner si ceux-ci mettent en doute, même de façon minime, la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance. Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis motivé d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis. Il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.5 p. 470 et consid. 4.6 p. 471).

S’agissant des cinq rapports du docteur E.__, spécialiste en médecine du travail de l’assurance-accidents, dont les deux derniers ont été établis en cours de procédure cantonale, il est douteux qu’ils remplissent les conditions posées par la jurisprudence pour se voir reconnaître pleine valeur probante. En effet, même si ce spécialiste a correctement exposé l’anamnèse professionnelle de l’assuré en relevant qu’une exposition aux solvants et aux résines époxy était mentionnée dans le rapport de l’Institut C.__ du 05.07.2017, il semble néanmoins remettre en doute les déclarations de l’assuré faites lors de son examen à l’Institut C.__ selon lesquelles des moyens de protection (par exemple des masques respiratoires avec cartouches) n’étaient que rarement utilisés. En concluant de manière apodictique à l’impossibilité de retenir une relation de causalité nettement prépondérante au sens de l’art. 9 al. 2 LAA entre l’exposition professionnelle et les troubles présentés par l’assuré, le docteur E.__ omet de considérer qu’en présence d’exposition à des substances nocives énumérées dans la liste à l’annexe I de l’OLAA, telles que résines époxy et xylènes, il convient d’appliquer l’art. 9 al. 1 LAA, nonobstant la question de savoir si des mesures de protection ont été prises. Ce point pourra néanmoins être considéré lorsqu’il s’agit d’examiner concrètement si, et le cas échéant dans quelle mesure, les troubles sont dus, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives.

Quant au résultat, le jugement cantonal n’apparaît pas critiquable. En effet, l’appréciation des autres rapports médicaux versés au dossier ne permet pas de considérer que la symptomatologie présentée par l’assuré, en particulier les céphalées chroniques, serait due exclusivement ou de manière prépondérante – soit pour plus de 50% (cf. consid. 3.1.1 supra) – aux substances nocives auxquelles il a été exposé durant ses activités professionnelles:

Dans son rapport du 05.07.2017 le docteur D.__ de l’Institut C.__ a évoqué une « possible encéphalopathie chronique toxique liée à une exposition professionnelle aux solvants organiques ». Ce diagnostic hypothétique n’a pas pu être confirmé, dès lors qu’un des deux tests recommandés dans le dépistage ou le suivi d’encéphalopathie toxique liée à l’exposition chronique aux solvants organiques était normal (test de Farnsworth) et que l’autre (le questionnaire Euroquest de dépistage de symptômes neurotoxiques) retrouvait des scores altérés principalement sur les symptômes centraux. Le spécialiste en médecine du travail a donc proposé de faire un bilan neuropsychologique. Après avoir effectué ces examens à la Clinique romande de réadaptation (CRR), lesquels ont mis en évidence des troubles modérés de la mémoire, des difficultés attentionnelles et exécutives ainsi qu’un ralentissement, le docteur D.__ a revu l’assuré en consultation et a indiqué que les troubles neuropsychologiques « pourraient être compatibles avec une possible encéphalopathie toxique ». Dans un rapport ultérieur, il a encore relativisé cette hypothèse en indiquant qu’il avait « effectivement évoqué la possibilité d’une encéphalopathie chronique liée aux solvants organiques » et qu’ensuite du bilan neuropsychologique, il ne pouvait pas « exclure un lien entre les symptômes présentés par l’assuré et ses expositions professionnelles ».

Dans ces conditions, c’est à juste titre que la cour cantonale a considéré que l’exigence d’une relation prépondérante n’était pas réalisée et que l’administration de preuves supplémentaires sous la forme d’une expertise médicale ne pourrait rien changer à ce constat (cf. ATF 144 V 361 consid. 6.5 p. 368 s. sur l’appréciation anticipée des preuves).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_800/2019 consultable ici

 

 

Évaluation médicale ciblée après traumatisme de l’épaule – Causes des lésions isolées de la coiffe des rotateurs et leur diagnostic médical d’assécurologie

Évaluation médicale ciblée après traumatisme de l’épaule – Causes des lésions isolées de la coiffe des rotateurs et leur diagnostic médical d’assécurologie

 

Article de Luzi Dubs, Bruno Soltermann, Josef E. Brandenberg, Philippe Luchsinger paru in Infoméd № 2021/1 consultable ici

 

Résumé

L’évaluation médicale ciblée après un traumatisme de l’épaule permet d’établir un diagnostic médical d’assécurologie compréhensible d’une douleur aiguë à l’épaule afin de déterminer si celle-ci provient de lésions traumatiques ou si elle est due à l’usure ou à une maladie. Les éléments déterminants sont tirés de la littérature standard de la médecine des assurances et tiennent également compte de la recherche fondamentale et de l’épidémiologie. Introduit pour la première fois, le tableau à double entrée permet de mieux corriger les erreurs d’interprétation des différentes corrélations.

Par ailleurs, le consensus médical d’assécurologie révisé sur la base de la littérature actuelle part du principe qu’une lésion de la coiffe des rotateurs est en général provoquée par des facteurs intrinsèques et extrinsèques de nature dégénérative ou maladive et qu’elle n’est due de manière déterminante à un traumatisme que dans des cas exceptionnels. L’hypothèse d’une rupture récente et isolée de la coiffe des rotateurs due à une contusion directe à l’épaule ne saurait être étayée.

 

 

« Évaluation médicale ciblée après traumatisme de l’épaule – Causes des lésions isolées de la coiffe des rotateurs et leur diagnostic médical d’assécurologie » paru in Infoméd № 2021/1 consultable ici

 

 

8C_619/2019 (f) du 03.07.2020 – Objet du litige dans la procédure de recours / Valeur probante d’une expertise judiciaire / Pas de preuve d’une lésion assimilée à un accident – Absence de déchirure du tendon du sus-épineux – 9 al. 2 OLAA / Causalité naturelle et statu quo ante

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_619/2019 (f) du 03.07.2020

 

Consultable ici

 

Objet du litige dans la procédure de recours

Valeur probante d’une expertise judiciaire

Pas de preuve d’une lésion assimilée à un accident – Absence de déchirure du tendon du sus-épineux / 9 al. 2 OLAA (accident avant 2017)

Causalité naturelle et statu quo ante

 

Assuré, né en 1961, sertisseur, a été victime d’un accident le 05.01.2014 : alors qu’il disputait un match de football, le prénommé a chuté et s’est blessé au niveau de l’épaule et du coude droits. L’assurance-accidents a pris en charge le cas, ainsi que les rechutes de l’accident annoncées en février 2015 et juillet 2016.

Par décision du 01.12.2017, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis un terme au 25.10.2017 au droit de l’assuré à la prise en charge du traitement médical et de l’incapacité de travail pour les suites de l’accident, motif pris que les troubles subsistant après cette date étaient désormais de nature maladive.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/734/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a ordonné la mise en œuvre d’une expertise orthopédique et l’a confiée à un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’expert conclut qu’à partir du 11.01.2016, date à laquelle l’assuré avait repris son activité à 100%, le statu quo ante avait été atteint et les facteurs étrangers étaient devenus les seules causes influant sur l’état de santé de celui-ci.

L’instance cantonale a considéré que le statu quo ante avait été atteint dès le 11.01.2016 et s’est ralliée à l’avis de ce médecin, selon lequel l’assuré ne présentait pas de déchirure du tendon du sus-épineux de l’épaule droite. Par ailleurs, les juges cantonaux ont relevé qu’il n’était pas possible de retenir en l’état que l’assuré souffrait d’une maladie professionnelle et, en toute hypothèse, que cette question outrepassait l’objet du litige, limité à la question du lien de causalité entre les affections de l’assuré et l’accident du 05.01.2014.

Par jugement du 19.08.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Droit applicable

Le 01.01.2017 est entrée en vigueur la modification du 25.09.2015 de la LAA. A juste titre, la cour cantonale a retenu que dans la mesure où l’événement litigieux était survenu avant cette date, le droit de l’assuré aux prestations d’assurance était soumis à l’ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25.09.2015 ; RO 2016 4375).

 

Objet du litige dans la procédure de recours

En procédure juridictionnelle administrative, ne peuvent en principe être examinés et jugés que les rapports juridiques à propos desquels l’autorité administrative compétente s’est prononcée préalablement d’une manière qui la lie sous la forme d’une décision. Dans cette mesure, la décision détermine l’objet de la contestation qui peut être déféré en justice par la voie d’un recours. Le juge n’entre donc pas en matière, sauf exception, sur des conclusions qui vont au-delà de l’objet de la contestation (ATF 144 II 359 consid. 4.3 p. 362 s.; 134 V 418 consid. 5.2.1 p. 426 et les références).

L’objet du litige dans la procédure de recours est le rapport juridique réglé dans la décision attaquée dans la mesure où, d’après les conclusions du recours, il est remis en question par la partie recourante. L’objet de la contestation (Anfechtungsgegenstand) et l’objet du litige (Streitgegenstand) sont identiques lorsque la décision administrative est attaquée dans son ensemble. En revanche, les rapports juridiques non litigieux sont compris dans l’objet de la contestation, mais pas dans l’objet du litige (ATF 144 II 359 consid. 4.3 précité; 144 I 11 consid. 4.3 p. 14; 125 V 413 consid. 1b p. 414 s.). L’objet du litige peut donc être réduit par rapport à l’objet de la contestation. Il ne peut en revanche pas, sauf exception (consid. 4.2.2 infra), s’étendre au-delà de celui-ci (ATF 144 II 359 consid. 4.3 précité; 136 II 457 consid. 4.2 p. 463).

Selon une jurisprudence constante rendue dans le domaine des assurances sociales, la procédure juridictionnelle administrative peut être étendue pour des motifs d’économie de procédure à une question en état d’être jugée qui excède l’objet de la contestation, c’est-à-dire le rapport juridique visé par la décision, lorsque cette question est si étroitement liée à l’objet initial du litige que l’on peut parler d’un état de fait commun et à la condition que l’administration se soit exprimée à son sujet dans un acte de procédure au moins (ATF 130 V 501 consid. 1.2 p. 503 et les références; 122 V 34 consid. 2a p. 36; arrêt 9C_747/2018 du 12 mars 2019 consid. 3.5; voir aussi MEYER/VON ZWEHL, L’objet du litige en procédure de droit administratif fédéral, in Mélanges Pierre Moor, 2005, p. 446).

En l’espèce, la décision sur opposition déférée à la cour cantonale portait sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance au-delà du 25.10.2017, pour les suites de son accident du 05.01.2014. La question de l’existence d’une maladie professionnelle a été soulevée pour la première fois par l’assuré au stade de la procédure de recours cantonale, postérieurement à la reddition du rapport d’expertise judiciaire. Dans ces conditions, l’existence éventuelle d’une maladie professionnelle outrepassait l’objet de la contestation et les conditions pour étendre celui-ci n’étaient pas remplies, dans la mesure où l’assurance-accidents ne s’est pas exprimée à ce sujet en procédure cantonale. La juridiction cantonale était donc fondée à ne pas entrer en matière sur la question, qu’elle n’a d’ailleurs pas tranchée en se limitant à relever que le rapport d’expertise judiciaire ne permettait pas, en l’état, de confirmer l’existence d’une maladie professionnelle. Cela dit, rien n’empêche l’assuré de requérir des prestations à ce titre auprès de l’assurance-accidents et le prononcé d’une décision en la matière.

 

Valeur probante du rapport d’expertise – Lésion assimilée à un accident

Selon le principe de la libre appréciation des preuves, le juge apprécie librement les preuves médicales qu’il a recueillies, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Le juge doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle que soit leur provenance, puis décider s’ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S’il existe des avis contradictoires, il ne peut pas trancher l’affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu’une autre. En ce qui concerne la valeur probante d’un rapport médical, ce qui est déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées. Au demeurant, l’élément déterminant pour la valeur probante n’est ni l’origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352; 122 V 157 consid. 1c p. 160 et les références).

En principe, le juge ne s’écarte pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire, la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions, ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 351 précité consid. 3b/aa p. 352 s. et les références).

 

En ce qui concerne l’absence de déchirure du tendon du sus-épineux retenue dans le rapport d’expertise judiciaire, l’expert a exposé que malgré la mise en œuvre de cinq IRM au niveau de l’épaule droite, il n’y avait pas eu de consensus quant au diagnostic précis en ce qui concernait l’état du tendon du sus-épineux (tendinopathie du sus-épineux avec hypersignal selon l’IRM du 24.04.2014 ; lésion partielle communicante du sus-épineux en regard de l’éperon sous-acromial selon l’IRM du 24.09.2014 ; tendinopathie du sus-épineux sans rupture transfixiante selon l’IRM du 08.03.2016 ; absence de lésion du sus-épineux selon l’IRM du 30.01.2017 ; déchirure partielle profonde de type articular side du tendon du sus-épineux infra-centimétrique sub-transfixiante avec petite lamination du tendon selon l’arthro-IRM du 23.06.2017). Après avoir revu les imageries, le médecin-expert a conclu que le tendon du sus-épineux était globalement intact et qu’il n’y avait pas vraiment de déchirure (les deux examens décrivant une atteinte ou déchirure partielle ne démontraient une lésion compatible avec une déchirure partielle que sur une seule coupe dans le plan coronal). En outre, l’épaule droite avait fait l’objet d’une intervention chirurgicale le 19.12.2017 qui n’avait mis en évidence aucune lésion du tendon du côté articulaire ou bursal et aucune sanction thérapeutique ou chirurgie réparatrice au niveau du tendon n’avait été pratiquée à cette occasion. Selon le médecin-expert, on pouvait donc conclure qu’au niveau du tendon du sus-épineux, il y avait eu une irritation / tendinopathie post-traumatique transitoire, probablement accompagnée d’une capsulite […] et que le tout s’était progressivement résorbé dans les mois qui avaient suivi l’accident. Il avait alors subsisté par la suite un conflit sous-acromial […] levé et adressé par l’intervention du 19.12.2017. Il demeurait par contre un conflit mécanique / souffrance acromio-claviculaire droit, référence faite à un scanner de l’épaule droite du 09.01.2019.

Cela étant, l’expert a exposé les différentes appréciations des médecins au regard des IRM et arthro-IRM pratiquées et a expliqué de manière circonstanciée les raisons pour lesquelles il ne retenait pas de déchirure du tendon du sus-épineux, compte tenu notamment de l’intervention du 19.12.2017. Au vu de l’ensemble de ses explications, on ne saurait lui faire grief d’avoir indiqué que le tendon n’était « pas vraiment déchiré », ni de s’être écarté de l’avis d’un des radiologues qui n’est au demeurant pas partagé par l’ensemble des médecins consultés (cf. en particulier le rapport du docteur F.__ du 18.02.2016, dans lequel ce médecin indique que « l’arthro-IRM ne montre pas de déchirure mais une tendinopathie du sus-épineux »). A cela s’ajoute que le compte-rendu opératoire de l’intervention chirurgicale du 19.12.2017 mentionne expressément l’absence de lésion visualisée du sus-épineux. Dans ces conditions, il n’existe pas de motif impérieux de s’écarter de l’expertise judiciaire à propos de l’absence de déchirure du tendon du sus-épineux et la juridiction cantonale était fondée à renoncer à ordonner un complément d’expertise ou à donner suite à la requête d’audition de l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_619/2019 consultable ici

 

 

8C_810/2019 (f) du 07.09.2020 – 3 accidents de la circulation – Séquelles physiques en lien de causalité avec chacun des accidents – 6 LAA / Absence de séquelles physiques en lien de causalité avec le 2e accident / Lien de causalité adéquate entre le 3e accident et les troubles (lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin » examiné selon le 115 V 133) / Examen de la causalité adéquate en cas d’accidents successifs

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_810/2019 (f) du 07.09.2020

 

Consultable ici

 

3 accidents de la circulation – Séquelles physiques en lien de causalité avec chacun des accidents / 6 LAA

Absence de séquelles physiques en lien de causalité avec le 2e accident

Lien de causalité adéquate entre le 3e accident et les troubles (lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin » examiné selon le 115 V 133)

Examen de la causalité adéquate en cas d’accidents successifs

 

Assurée, née en 1982, travaillant en qualité d’ensemblière, est victime de trois accidents successifs de la circulation :

  • Le 19.01.2009, elle a subi une distorsion cervicale simple en percutant une voiture à l’arrêt. Le cas avait alors été pris en charge par l’assurance-accidents, qui a versé des prestations jusqu’en décembre en 2010.
  • Le 02.12.2012, la voiture dont elle était passagère à l’arrière au milieu a glissé sur une plaque de glace et s’est brusquement arrêtée contre une butte, projetant les passagers vers leur gauche. Selon la description de l’accident figurant dans la déclaration de sinistre, l’arrêt soudain du véhicule a projeté l’assurée contre le passager arrière assis à côté d’elle ; afin d’éviter le choc entre eux, l’assurée « a effectué une torsion au niveau du bassin et du bras » pour se retenir contre la fenêtre ; elle a ressenti par la suite des douleurs au niveau de la fesse et de la jambe. Il est en outre mentionné « hanche droite » sous la rubrique « partie du corps atteinte ». Entendue à son domicile le 13.06.2013, l’assurée a précisé que l’accident s’était produit à vitesse réduite et que le voyage avait pu se poursuivre après l’arrêt du véhicule contre le talus. A la suite de l’accident du 02.12.2012, l’assurée a poursuivi son activité professionnelle, jusqu’à ce qu’elle consulte le 28.12.2012 son médecin traitant (médecin-chef du Service de chirurgie orthopédique et de réadaptation physique du Centre médical D.__), lequel a attesté une incapacité de travail dès cette date.
  • Le 19.07.2013, alors qu’elle était à l’arrêt devant un signal « cédez le passage » au volant de son véhicule, celui-ci a été percuté par le véhicule qui la suivait. En raison de douleurs cervicales, de vertiges et de nausées, elle s’est rendue aux urgences de l’Hôpital E.__ trois jours plus tard, où les médecins ont diagnostiqué une contusion cervicale et des céphalées post-traumatiques. Un CT-scan cérébral et un angio-CT des troncs supra-aortiques pratiqués le 22.07.2017 n’ont pas mis en évidence de lésion traumatique cranio-cervicale visible.

L’assurance-accidents a confié la mise en œuvre d’une expertise neurologique à un spécialiste en neurologie, qui a constaté un examen neurologique parfaitement normal, relevant néanmoins un tableau de contractures musculaires douloureuses, une labilité émotionnelle, des phénomènes d’ordre neurovégétatif et des troubles du sommeil d’ordre psychophysiologique entrant dans le cadre d’un état de stress chronique. Sur le plan psychiatrique, l’assurée est suivie par un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, depuis le 08.02.2013, en raison notamment d’un état de stress post-traumatique.

L’assurance-accidents a nié le droit de l’assurée à des prestations d’assurance pour les suites de l’accident du 02.12.2012, au motif qu’il n’existait pas de lien de causalité au moins probable entre cet événement et les troubles présentés par l’assurée. En revanche, elle prenait en charge les suites de l’accident du 19.07.2013 jusqu’au 31.03.2016, considérant que les troubles subsistant au-delà de cette date étaient exclusivement de nature maladive.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.11.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Séquelles physiques en lien de causalité avec l’accident du 02.12.2012

Sur le plan médical, il est établi que l’assurée a attendu le 28.12.2012 avant de consulter son médecin traitant, lequel a attesté une incapacité de travail en raison d’un burn-out. Cela étant, on ne peut pas retenir que l’accident du 02.12.2012 aurait justifié l’incapacité de travail attestée à compter du 28.12.2012, bien que le praticien ait mentionné une accentuation des crampes et des douleurs en raison de celui-ci dans son rapport du 14.01.2013. Par ailleurs, il ressort des rapports médicaux du médecin-traitant que l’assurée souffrait déjà de nombreuses affections avant l’événement litigieux (vertiges rotatoires, cervicoscapulalgies bilatérales, discopathies cervicales, troubles statiques, déconditionnement musculaire).

Quant à la hernie discale décelée par une IRM lombaire du 08.03.2013 et opérée le 09.04.2013, aucun médecin ne l’a expressément attribuée à l’accident du 02.12.2012. Certes, le spécialiste en médecine physique et réadaptation consulté a considéré qu’elle était très probablement due à l’événement en cause. Il n’en reste pas moins qu’il motive cette appréciation uniquement par l’absence de problèmes rachidiens antérieurs à l’accident du 02.12.2012 « hormis un bref épisode de lombalgies aigües et modérées en 2004 » et par l’apparition immédiate de la symptomatologie douloureuse, ce qui est insuffisant pour établir un lien de causalité naturelle avec l’accident du 02.12.2012 (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc »; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb p. 341 s.; arrêt 8C_331/2015 du 21 août 2015 consid. 2.2.3.1, in SVR 2016 UV n° 18 p. 55). On rappellera en outre que selon l’expérience médicale, pratiquement toutes les hernies discales s’insèrent dans un contexte d’altération des disques intervertébraux d’origine dégénérative, un événement accidentel n’apparaissant qu’exceptionnellement, et pour autant que certaines conditions particulières soient réalisées, comme la cause proprement dite d’une telle atteinte; une hernie discale peut être considérée comme étant due principalement à un accident lorsque celui-ci revêt une importance particulière, qu’il est de nature à entraîner une lésion du disque intervertébral et que les symptômes de la hernie discale (syndrome vertébral ou radiculaire) apparaissent immédiatement, entraînant aussitôt une incapacité de travail (arrêt 8C_746/2018 du 1er avril 2019 consid. 3.3 et les arrêts cités). Or en l’espèce, ces conditions ne sont manifestement pas remplies.

Pour le reste, on ne voit pas que les « tensions rachidiennes » soient constitutives de séquelles physiques organiques; quant aux brèves réponses du médecin traitant à un questionnaire soumis par la protection juridique de l’assurée – dans lesquelles il soutient que les troubles actuels, soit au 27.05.2016, seraient en lien de causalité certain avec l’accident du 02.12.2012 « en raison de l’accentuation des douleurs et des crampes dans un contexte de myogélose global » -, elles ne répondent pas aux critères jurisprudentiels en matière de valeur probante des rapports médicaux (cf. ATF 134 V 231 consid. 5.1 p. 232 et l’arrêt cité) et ne sont pas suffisamment étayées.

En conclusion, il n’est pas possible de déduire des rapports susmentionnés un lien de causalité entre l’accident du 02.12.2012 et les atteintes dont l’assurée a souffert ultérieurement sur le plan somatique.

 

Lien de causalité adéquate entre l’accident du 19.07.2013 et ses troubles persistant au-delà du 31.03.2016

En matière de lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin », de traumatisme analogue ou de traumatisme cranio-cérébral sans preuve d’un déficit fonctionnel organique, l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident et l’incapacité de travail ou de gain doit en principe être reconnue en présence d’un tableau clinique typique présentant de multiples plaintes (maux de têtes diffus, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigabilité, troubles de la vue, irritabilité, dépression, modification du caractère, etc.; ATF 134 V 109 consid. 9 p. 122 ss).

Pour l’examen de la causalité adéquate, selon la jurisprudence, la situation dans laquelle les symptômes, qui peuvent être attribués de manière crédible au tableau clinique typique, se trouvent toujours au premier plan doit être distinguée de celle dans laquelle l’assuré présente des troubles psychiques qui constituent une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique caractéristique habituellement associé aux traumatismes en cause :

  • Dans le premier cas, cet examen se fait sur la base des critères particuliers développés pour les cas de traumatisme de type « coup du lapin » à la colonne cervicale, de traumatisme analogue à la colonne cervicale ou de traumatisme cranio-cérébral, lesquels n’opèrent pas de distinction entre les éléments physiques et psychiques des atteintes (cf. ATF 134 V 109 consid. 10.3 p. 130; 117 V 359 consid. 6a p. 367).
  • Dans le second cas, il y a lieu de se fonder sur les critères applicables en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident, c’est-à-dire en excluant les aspects psychiques (cf. ATF 134 V 109 précité consid. 9.5 p. 125 s.; 127 V 102 consid. 5b/bb p. 103 et les références; 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140 et 403 consid. 5c/aa p. 409).

En l’occurrence, les juges cantonaux confirmé la présence d’un tableau clinique caractéristique habituellement associé aux traumatismes de type « coup du lapin ». Pour l’examen de la causalité adéquate, ils se sont fondés sur les critères applicables en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident, c’est-à-dire en excluant les aspects psychiques, considérant (implicitement) que l’assurée présentait des troubles psychiques constituant une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique. Dans le cadre de cet examen, ils ont qualifié l’événement du 19.07.2013 d’accident de gravité moyenne, à la limite inférieure de cette catégorie, et ont considéré qu’aucun critère n’était réalisé.

L’application des critères en cas de troubles psychiques consécutifs à un accident et la qualification en tant qu’accident de gravité moyenne à la limite inférieure de la catégorie ne sont pas contestées par l’assurée et n’apparaissent pas critiquables au vu des rapports du psychiatre traitant, d’une part, et des déclarations de l’assurée et du rapport biomécanique, d’autre part. En cas d’accidents de gravité moyenne à la limite des accidents de peu de gravité, il faut un cumul de quatre critères au moins parmi les sept consacrés par la jurisprudence ou que l’un des critères se manifeste avec une intensité particulière (arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.1, in SVR 2019 UV n° 27 p. 99). Il y a dès lors lieu d’examiner ci-après si et dans quelle mesure les différents critères sont réalisés.

En ce qui concerne le critère de la durée anormalement longue du traitement médical, les juges cantonaux ont constaté que l’assurée avait été astreinte à porter une collerette en mousse durant trois jours et à suivre un traitement antalgique; elle avait régulièrement consulté le médecin traitant, qui lui avait prescrit du repos, des séances de physiothérapie et la prise d’un relaxant musculaire. L’assurée se prévaut du suivi chiropratique, du suivi psychiatrique et d’autres traitements (acupuncture, cures thermales, réflexothérapies, massages, etc.). L’aspect temporel n’est pas seul décisif dans l’examen du critère en cause. Sont également à prendre en considération la nature et l’intensité du traitement; à cet égard, la prise de médicaments antalgiques et la prescription de traitements par manipulations même pendant une certaine durée ne suffisent pas à fonder ce critère (arrêt 8C_1007/2012 du 11 décembre 2013 consid. 5.4.3 et les arrêts cités). En l’espèce, la nature des traitements invoqués par l’assurée n’implique pas une intensité suffisante pour admettre la réalisation du critère. Quant au suivi psychiatrique, il n’est pas déterminant, dès lors que l’examen des critères applicables lorsque des troubles psychiques constituent une atteinte à la santé distincte et indépendante du tableau clinique se fait précisément en excluant les aspects psychiques.

L’assurée invoque de nombreuses difficultés et des complications importantes au regard des troubles apparus à la suite de ses trois accidents de la circulation. On ne voit toutefois pas en quoi les atteintes dont elle se prévaut (exacerbation des syndromes cervico-vertébral et post-commotionnel, réactivation des symptômes liés à l’état de stress post-traumatique, douleurs au niveau de l’oreille droite, etc.) constitueraient des difficultés apparues dans le processus de guérison et des complications importantes. On rappellera en outre qu’il convient de faire abstraction des troubles non objectivables et en particulier des troubles psychiques (cf. arrêt 8C_612/2019 du 30 juin 2020 consid. 3.3.5 et les arrêt cités).

Le critère du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques ne peut pas non plus être retenu en l’espèce, dans la mesure où l’assurée était déjà en incapacité totale de travail avant l’accident du 19.07.2013. On notera en outre que le psychiatre traitant de l’assurée a attesté une incapacité de travail totale pour raison psychique depuis début 2013.

Enfin, les douleurs physiques persistantes doivent être relativisées étant donné que les troubles psychiques exerçaient déjà une influence prépondérante sur l’état de l’assurée. Même en admettant la réalisation de ce critère, il ne revêt pas à lui seul une intensité suffisante pour admettre l’existence d’un lien de causalité adéquate.

Quant aux autres critères (les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident, la gravité ou la nature particulière des lésions physiques, les erreurs dans le traitement médical), ils n’entrent pas en considération et ne sont d’ailleurs pas invoqués par l’assurée.

 

Examen de la causalité adéquate en cas d’accidents successifs

L’assurée soutient ensuite que la question de la causalité adéquate – telle qu’elle vient d’être traitée – devrait être examinée globalement, à savoir en tenant compte également des suites des accidents de 2009 et de 2012. En effet, les trois accidents auraient touché la même partie du corps, à savoir le rachis, et ne pourraient plus être distingués les uns des autres sur le plan de la symptomatologie douloureuse et de l’incapacité de travail.

Selon la jurisprudence, lorsqu’à la suite de deux ou plusieurs accidents apparaissent des troubles psychiques, l’existence d’un lien de causalité adéquate doit en principe être examinée en regard de chaque accident considéré séparément. Cette règle s’applique en particulier dans les cas où les accidents ont porté sur différentes parties du corps et ont occasionné des atteintes diverses. Le Tribunal fédéral a jugé que le principe d’un examen séparé de la causalité adéquate vaut également dans les cas où la personne assurée a subi plus d’un accident ayant entraîné un traumatisme du type « coup du lapin » ou un traumatisme analogue. Il n’a cependant pas écarté qu’il soit tenu compte de la survenance d’atteintes successives à une même partie du corps dans l’examen des critères jurisprudentiels lorsque les conséquences des différents événements ne peuvent pas être distinguées les unes des autres sur le plan des symptômes douloureux et/ou de l’incapacité de travail. Cette circonstance est à considérer dans le cadre de l’appréciation des critères de la gravité et la nature des lésions, du degré et de la durée de l’incapacité de travail, respectivement du traitement médical (arrêt 8C_1007/2012 du 11 décembre 2013 consid. 5.1 et les références citées). En effet, il ne s’agit pas d’additionner les faits mais de procéder à une appréciation globale des circonstances seulement si la nature du critère à considérer le permet. Aussi le critère des circonstances particulièrement dramatiques ou impressionnantes entourant l’événement accidentel doit-il, comme ce critère l’indique, être examiné séparément pour chaque accident et ne saurait être admis du seul fait que le recourant a été victime de deux accidents successifs dans un intervalle de temps rapproché (arrêt 8C_1007/2012 précité consid. 5.2).

En l’espèce, l’accident du 02.12.2012 n’a pas provoqué de traumatisme de type « coup du lapin » ou un traumatisme analogue. Même si l’on effectuait un examen du caractère adéquat du lien de causalité entre l’accident de 2013 et les troubles de l’assurée persistant au-delà du 31.03.2016, en prenant en considération l’accident de 2009, on ne pourrait pas non plus admettre l’existence d’un tel lien. En effet, l’assurée se prévaut des traitements antalgique et de physiothérapie mis en œuvre à la suite de l’accident de 2009, soit des traitements qui ne sont pas particulièrement pénibles, ni invasifs, de sorte que le critère de la durée anormalement longue du traitement médical demeure exclu. Il en va de mêmes du critère relatif au degré et à la durée de l’incapacité de travail, au vu des diverses périodes d’incapacité de travail consécutives à l’accident de 2009 invoquées par l’assurée (100 % du 19.01.2009 au 01.02.2009, 50 % du 02.02.2018 au 08.02.2009, 100 % du 02.11.2009 au 30.11.2009 et 20 % du 07.06.2010 au 31.08.2011; pour des exemples où le critère a été admis, voir arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.2.7 et les arrêts cités). Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l’assurée, la gravité particulière des lésions n’est pas donnée du seul fait d’avoir subi plusieurs accidents de type « coup du lapin ». Encore faut-il qu’un nouveau traumatisme affecte une colonne vertébrale déjà très endommagée (arrêt 8C_508/2008 du 22 octobre 2008 consid. 5.4), ce qui n’est pas établi en l’espèce. S’agissant des autres critères jurisprudentiels invoqués par l’assurée (caractère particulièrement impressionnant de l’accident de 2009 et douleurs physiques persistantes), il apparaît d’emblée exclu qu’ils puissent revêtir une intensité particulière permettant d’admettre le lien de causalité adéquate litigieux. En effet, par rapport à l’accident de la circulation survenu en 2009, l’assurée se prévaut essentiellement d’une peur intense pour sa propre vie et celle d’autrui. Or l’examen du caractère particulièrement impressionnant d’un accident se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances de l’espèce et non en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse (cf. arrêts 8C_96/2017 du 24 janvier 2018 consid. 5.1, in SVR 2018 UV n° 21 p. 74). Quant aux douleurs physiques persistantes, l’assurée se contente de se référer aux éléments développés dans son précédent grief, sans exposer en quoi un examen global aboutirait à un résultat différent.

 

Frais d’établissement d’un rapport médical

La juridiction cantonale a rejeté la demande de l’assurée au motif que les pièces au dossier étaient probantes et permettaient de trancher le litige et que la causalité adéquate était une question de droit et échappait ainsi à l’appréciation des médecins.

Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures ; à défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’une expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c p. 63; arrêts 8C_61/2016 du 19 décembre 2016 consid. 6.1 in fine, in SVR 2017 UV n° 19 p. 63).

En l’espèce, même si le médecin s’est prononcé sur l’intrication des trois accidents et leur impact sur la survenance des troubles et a établi le diagnostic de syndrome post-commotionnel en lien avec l’accident de 2009, il n’en reste pas moins que son rapport médical, établi à la demande à l’assurée, n’a pas joué un rôle déterminant dans la résolution du litige. Dans ces conditions, la juridiction cantonale était fondée à refuser de mettre les frais d’établissement du rapport en cause à la charge de l’assurance-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_810/2019 consultable ici