9C_567/2019 (f) du 23.12.2019 – Allocation pour impotent – Besoin de surveillance personnelle permanente (37 RAI) – Accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie (38 RAI)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_567/2019 (f) du 23.12.2019

 

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Allocation pour impotent – Besoin de surveillance personnelle permanente (37 RAI) – Accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie (38 RAI)

Chutes et besoin corrélatif d’aide pour se relever ne saurait être assimilée à la surveillance personnelle permanente / 37 RAI

Aide exigible de tiers dans la cadre de la réorganisation de la communauté familiale ne doit pas devenir excessive ou disproportionnée

 

Assuré, né en 1957, souffre d’une sclérose en plaques depuis 1985 et est au bénéfice d’une rente de l’assurance-invalidité (fondée sur un taux d’invalidité de 70% puis de 100%) depuis le 01.08.2013. Il a déposé une demande d’allocation pour impotent auprès de l’office AI le 08.03.2016. A l’issue d’une enquête à domicile, l’office AI a retenu que l’assuré n’avait besoin d’aide que pour un acte ordinaire de la vie (couper les aliments).

Le docteur B.__, spécialiste en neurologie et médecin traitant, a précisé l’évolution du status neurologique ainsi que l’impact de la sclérose en plaques sur l’exécution des actes ordinaires de la vie et l’indépendance de l’intéressé. L’office AI a encore complété ses investigations par un entretien téléphonique avec l’assuré dont il a inféré un besoin d’aide pour deux actes ordinaires de la vie (manger [couper les aliments] et faire sa toilette). L’office AI a accordé à l’assuré une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.03.2015.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/635/2019 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont d’abord constaté que selon le docteur B.__, l’assuré ne pouvait pas se relever après une chute mais que selon le rapport d’enquête à domicile, un tel événement ne se produisait pas régulièrement. Ils n’ont de plus pas relevé dans le dossier médical que l’aide d’un tiers était nécessaire pour se lever bien que ce mouvement fût décrit comme beaucoup plus difficile à réaliser le soir. Ils n’ont ainsi pas retenu un besoin qualifié d’aide pour les actes « se lever, s’asseoir et se coucher ». Ils ont encore inféré des rapports du docteur B.__ que la démarche de l’assuré n’était pas sûre et exigeait une grande vigilance pour éviter les chutes et les blessures et qu’il existait des problèmes tels que l’accroissement de la fatigue durant la journée ou des fuites urinaires (gérées cependant par l’utilisation de protections) ; l’état de santé de l’assuré ne leur apparaissait cependant pas tel que sans la présence permanente de son ex-épouse, il perdrait toute autonomie et ne pourrait rester chez lui. Enfin, ils ont nié le besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie, en particulier pour l’accomplissement des tâches ménagères, dès lors qu’on pouvait raisonnablement exiger de l’ex-épouse de l’assuré (qui ne travaillait pas et partageait l’appartement [de taille modeste] malgré le divorce) qu’elle apportât son aide.

Par jugement du 03.07.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Besoin de surveillance personnelle permanente – 37 RAI

On ne saurait grief à la juridiction cantonale d’avoir nié le besoin de surveillance personnelle permanente en se basant sur des faits qui auraient été établis d’une façon manifestement incomplète ou inexacte. Cette autorité s’est effectivement référée explicitement à l’avis du docteur B.__ et aux déclarations faites par l’assuré au cours de l’entretien téléphonique du 19.06.2018. Les constatations cantonales tirées de ces éléments ne portent certes pas sur le risque de chutes lié à l’entrée ou à la sortie de la baignoire mais concernent uniquement le risque de chutes lié à l’accroissement de la fatigue quotidienne. L’état de fait, en tant que le tribunal cantonal n’a pas relevé le risque de chute lié à l’entrée et à la sortie de la baignoire (évoqué par l’assuré dans sa demande de prestations) ne nécessite cependant pas d’être corrigé. Le risque en question n’a en effet aucune incidence sur le sort du litige. Dans la mesure où le besoin d’aide pour l’acte « faire sa toilette » a déjà été admis, on ne saurait en plus retenir un besoin de surveillance personnelle permanente pour éviter des chutes au moment de la réalisation de cet acte (arrêt U 324/05 du 5 décembre 2005 consid. 1.4; cf. arrêt 9C_831/2017 du 3 avril 2018 consid. 3.1 et les références).

S’agissant du risque de chutes lié à l’augmentation de la fatigue au cours de la journée et de la fréquence de ces dernières, il ressort des constatations cantonales que le docteur B.__ en était pleinement conscient dans son analyse des actes « se lever, s’asseoir ou se coucher » et que l’assuré avait bien indiqué que les chutes ne survenaient pas régulièrement de sorte qu’on ne saurait retenir une constatation incomplète des faits à cet égard.

On ne saurait par ailleurs faire grief au tribunal cantonal d’avoir violé le droit fédéral. Selon la jurisprudence, des chutes et le besoin corrélatif d’aide pour se relever fondent en principe un besoin de surveillance d’ordre général qui ne saurait être assimilée à la surveillance personnelle permanente prévue par l’art. 37 al. 2 let. b RAI (arrêt I 389/82 du 29 novembre 1983 consid. 2c, in RCC 1984 p. 368; arrêt H 148/06 du 7 août 2007 consid. 5.2). Les arrêts 8C_158/2008 du 15 octobre 2018 et 9C_831/2017 du 3 avril 2018 ne sont d’aucune utilité à l’assuré dès lors que le Tribunal fédéral y a reconnu un besoin de surveillance personnelle permanente en cas d’atteintes à la santé sur le plan physique, psychique et mentale, notamment quand l’intéressé présentait un danger pour lui-même ou pour autrui. Or, à la différence de crises autistiques, de crises d’épilepsie ou de tout autre malaise dont le déclenchement est imprévisible et généralement indépendant de toutes circonstances, le risque accru de chutes est en l’espèce lié à une augmentation de la fatigue durant la journée et survient principalement dans des situations prévisibles nécessitant des mouvements ou des déplacements. Il est ainsi possible de prévenir, ou du moins d’atténuer, le risque de chutes notamment par l’utilisation de moyens auxiliaires.

 

Accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie – 38 RAI

Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle l’aide d’un tiers est nécessaire doit être analysée objectivement, c’est-à-dire en fonction de l’état de santé de la personne assurée, indépendamment de l’environnement dans lequel elle se trouve. Seul est déterminant le point de savoir si, dans la situation où elle ne dépendrait que d’elle-même, elle aurait besoin de l’aide de tiers. L’assistance que lui apportent les membres de la famille a trait à l’obligation de diminuer le dommage et ne doit être examinée que dans un second temps (cf. notamment arrêt 9C_539/2017 du 28 novembre 2017 consid. 5.2.1 et les références).

En l’occurrence, les juges cantonaux n’ont pas expressément analysé la situation de façon objective. Ils ont cependant implicitement admis que l’assuré avait besoin de l’aide d’un tiers pour tenir son ménage dès lors qu’ils sont directement passés à la seconde étape et ont considéré qu’eu égard aux circonstances, il était exigible de l’ex-épouse qu’elle apportât son aide. Cette dernière n’est certes pas un membre de la famille, au sens du code civil suisse, dont on peut exiger qu’il participe à l’atténuation du dommage occasionné par l’atteinte à la santé (cf. p. ex. arrêt 9C_425/2014 du 26 septembre 2014 consid. 4.2.2 cité par la juridiction cantonale). Cependant, le fait qu’elle continue à partager l’appartement de l’assuré en dépit de leur divorce et qu’une communauté de vie semble maintenue pourrait justifier que son aide soit prise en considération au même titre que celle d’un membre de la famille ou d’un concubin (à cet égard, cf. arrêts 8C_828/2011 du 27 juillet 2012 consid. 4.5; I 252/05 du 9 juin 2006 consid. 3).

On précisera toutefois que l’aide exigible de tiers dans la cadre de la réorganisation de la communauté familiale ne doit pas devenir excessive ou disproportionnée (cf. arrêt 9C_410/2009 du 1er avril 2010 consid. 5.5, in SVR 2011 IV n° 11 p. 29). Sauf à vouloir vider l’institution de l’allocation pour impotent de tout son sens dans le cas où l’assuré fait ménage commun avec son épouse ou un membre de la famille, on ne saurait exiger de cette personne qu’elle assume toutes les tâches ménagères de l’assuré après la survenance de l’impotence si cela ne correspondait pas déjà à la situation antérieures (cf. arrêt 9C_330/2017 du 14 décembre 2017 consid. 4 in fine). Or ni les constatations cantonales ni le dossier de l’office AI ne permettent de déterminer quelle était l’organisation familiale avant l’atteinte à la santé. Il n’est en particulier pas possible de savoir quelle était alors la répartition des tâches ménagères dans le couple, si l’ex-épouse exerçait alors une activité professionnelle ou si elle s’occupait déjà entièrement de l’entretien du ménage et si – cas échéant, quand – elle y a mis un terme pour s’occuper de l’assuré. Ces éléments pourraient justifier la prise en considération d’un besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie et influencer le degré d’impotence. Il convient donc d’annuler le jugement entrepris ainsi que la décision administrative litigieuse et de renvoyer la cause à l’office AI pour qu’il complète l’instruction et rende une nouvelle décision, le droit de l’assuré à une allocation pour impotent de degré faible lui étant garanti de toute façon.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré et annule le jugement cantonal et la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 9C_567/2019 consultable ici

 

 

8C_816/2018 (f) du 05.12.2019 – Droit à l’indemnité chômage – Aptitude au placement – 8 LACI – 15 LACI / Inaptitude au placement prononcée après de multiples suspensions du droit à l’indemnité chômage

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_816/2018 (f) du 05.12.2019

 

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Droit à l’indemnité chômage – Aptitude au placement / 8 LACI – 15 LACI

Inaptitude au placement prononcée après de multiples suspensions du droit à l’indemnité chômage

 

Assuré, né en 1965, a travaillé pendant plusieurs années en qualité de chauffeur pour poids lourds. Après avoir été licencié en septembre 2016, il s’est inscrit au chômage le 01.12.2016.

L’Office cantonal de l’emploi (ci-après: l’OCE) a suspendu, par décisions, le droit de l’assuré à l’indemnité de chômage à réitérées reprises :

  • pour une durée de 5 jours à compter du 01.02.2017 car il n’avait effectué que huit recherches d’emploi durant le mois de janvier 2017 au lieu des dix convenues ;
  • pendant 11 jours à compter du 02.06.2017, au motif que l’assuré ne s’était pas présenté à un entretien de conseil le 01.06.2017, sans excuse valable ;
  • pour une durée de 15 jours à compter du 10.06.2017, l’assuré ne s’étant pas présenté à un entretien de conseil fixé le 09.06.2017 et ce, sans excuse valable ;
  • pour une durée de 25 jours, à compter du 23.09.2017, au motif que l’assuré ne s’était pas présenté à un entretien de conseil devant se dérouler le 22.09.2017, sans excuse valable.

Par courrier du 07.04.2017, la conseillère en placement de l’assuré a enjoint ce dernier à participer à un stage de requalification auprès des Etablissements publics pour l’intégration (EPI) devant se dérouler du 10.04.2017 au 09.10.2017. Le 28.09.2017, le conseiller en insertion professionnelle des EPI a informé la conseillère de l’assuré qu’il mettait fin au stage de requalification. Il a joint à son courriel une note rédigée par le maître d’atelier du secteur des transports des EPI détaillant les problèmes rencontrés avec l’assuré au cours du stage.

Par courrier du 17.10.2017, l’OCE a informé l’assuré qu’il procéderait à l’examen de son aptitude au placement, compte tenu des nombreuses suspensions dont il avait fait l’objet et lui a imparti un délai au 28.10.2017 pour s’expliquer.

Par décision du 18.12.2017, l’OCE a déclaré l’assuré inapte au placement dès le 29.09.2017, au motif que depuis son inscription au chômage, son droit à l’indemnité avait été suspendu à de nombreuses reprises, que son stage de requalification aux EPI avait été interrompu en raison du non-respect des consignes en matière d’horaires, d’absences injustifiées, d’une attitude inadéquate malgré plusieurs rappels et de trois incidents ayant engendré des frais sur des véhicules et qu’il ne s’était pas présenté à un entretien de conseil le 18.10.2017. Par courrier adressé à l’OCE le 04.01.2018, l’assuré a indiqué se soumettre à la décision du 18.12.2017, tout en priant l’OCE de reconsidérer son aptitude au placement à compter de ce jour ; il s’est en outre engagé à respecter dorénavant scrupuleusement ses obligations. Le 22.03.2018, l’OCE a rejeté l’opposition ; il a considéré que l’assuré n’avait pas modifié son attitude après le prononcé de son inaptitude au placement vu qu’il n’avait pas remis ses recherches d’emploi de février 2018.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/999/2018 – consultable ici)

La juridiction cantonale a relevé que l’assuré avait rempli pendant plus d’un an son obligation mensuelle de rechercher un emploi et que ses recherches d’emploi s’étaient limitées à huit au lieu de dix pendant un mois seulement, voire deux. En outre, si l’assuré était certes responsable de l’arrêt de son stage aux EPI, il s’était néanmoins soumis à la mesure et ne l’avait pas simplement refusée. Enfin, il avait admis ne pas avoir eu un comportement satisfaisant et l’avait nettement amélioré depuis janvier 2018, sous réserve d’un nombre de recherches insuffisantes en février 2018 et d’une transmission tardive des recherches personnelles d’emploi en mai 2018. Au vu de l’ensemble du comportement de l’assuré, la cour cantonale a admis son aptitude au placement dès le 29.09.2017.

Par jugement du 31.10.2018, annulation de la décision sur opposition.

 

TF

L’assuré n’a droit à l’indemnité de chômage que s’il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI). Est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire (art. 15 al. 1 LACI). L’aptitude au placement comprend ainsi deux éléments :

  • la capacité de travail d’une part, c’est-à-dire la faculté de fournir un travail – plus précisément d’exercer une activité lucrative salariée – sans que l’assuré en soit empêché pour des causes inhérentes à sa personne, et
  • d’autre part la disposition à accepter un travail convenable au sens de l’art. 16 LACI, ce qui implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 125 V 51 consid. 6a p. 58; 123 V 214 consid. 3 p. 216; DTA 2004 n° 18 p. 186 [C 101/03] consid. 2).

Si le chômeur se soustrait à ses devoirs d’assuré, il ne sera en principe pas d’emblée privé de prestations. Il sera tout d’abord sanctionné (art. 30 al. 1 let. c ou d LACI) puis, en cas de réitération, déclaré inapte au placement (art. 8 al. 1 let. f et 15 LACI; THOMAS NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], vol. XIV, Soziale Sicherheit, 3 e éd. 2016, n° 323 p. 2363). En vertu du principe de proportionnalité, l’aptitude au placement ne peut être niée qu’en présence de manquements répétés et au terme d’un processus de sanctions de plus en plus longues, et pour autant que les fautes aient été commises en quelques semaines, voire en quelques mois (ATF 112 V 215 consid. 1b p. 218; DTA 1986 p. 20 consid. III 1 p. 24; arrêt 8C_99/2012 du 2 avril 2012, consid. 3.3). Il faut qu’un ou plusieurs manquements au moins correspondent à des fautes moyennes ou graves. Il n’est pas possible de constater l’inaptitude au placement seulement si quelques fautes légères ont été commises (DTA 1996/1997 p. 33). L’assuré doit pouvoir se rendre compte, au vu de la gradation des sanctions endurées, que son comportement compromet de plus en plus son droit à l’indemnité (arrêts C 320/05 du 20 avril 2006 consid. 4.1 et C 188/05 du 19 janvier 2006 consid. 3). En cas de cumul de manquements sanctionnés, l’inaptitude prend effet le premier jour qui suit le manquement qui entraîne la constatation de l’inaptitude au placement (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 24 ad art. 15 LACI).

Entre les mois de février et septembre 2017, l’assuré a fait l’objet de quatre suspensions du droit à l’indemnité de chômage, la première fois en raison de recherches insuffisantes et les fois suivantes, pour non-participation sans excuse valable à des entretiens de conseil. S’il s’agit certes de fautes légères dans les trois premiers cas, la quatrième suspension a quant à elle été prononcée en raison d’une faute de gravité moyenne (art. 45 al. 3 let. a et b OACI) ; en outre, il y a eu une gradation dans la durée des suspensions puisque les quatre suspensions ont duré respectivement 5, 11, 15 et 25 jours. L’assuré a finalement été déclaré inapte au placement dès le 29.09.2017, soit le premier jour suivant l’interruption, par sa faute, du stage de requalification. Mis à part le premier manquement de l’assuré, les quatre suivants concernaient des mesures d’intégration (entretiens à l’ORP et mesure de marché du travail). Or, l’obligation de participer aux mesures d’intégration a été renforcée lors de la 3e révision de la LACI. Alors qu’avant celle-ci, le refus systématique ou du moins répété des mesures d’intégration conduisait à une privation des prestations, ce principe a été transféré à l’art. 15 LACI (cf. BORIS RUBIN, op. cit. n° 70 ad art. 15 et n° 4 ad art. 30). On relèvera au demeurant que l’argumentation de la juridiction cantonale pour substituer sa propre appréciation à celle de l’administration n’est pas pertinente. En affirmant que si l’assuré était certes responsable de l’arrêt du stage aux EPI, il s’était néanmoins soumis à la mesure et ne l’avait pas simplement refusée, la cour cantonale perd de vue que sous l’angle de l’art. 30 al. 1 let. d LACI, une sanction se justifie aussi bien lorsqu’un assuré refuse de participer à une mesure de marché du travail que s’il en compromet le déroulement en raison de son comportement. Enfin, la constatation selon laquelle l’assuré avait nettement amélioré son comportement dès janvier 2018 est contraire à la réalité des faits puisque ce dernier a fait preuve de nouveaux manquements en février déjà puis en mai 2018, comme l’a du reste constaté elle-même la juridiction cantonale.

Il résulte de ce qui précède que c’est en violation du droit fédéral que la juridiction cantonale a admis l’aptitude au placement de l’assuré dès le 29.09.2017.

 

Le TF admet le recours de l’Office cantonal de l’emploi, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_816/2018 consultable ici

 

 

9C_652/2019 (f) du 06.12.2019 – Modèle alternatif d’assurance avec médecin de famille et liste de pharmacies agréées – Pas de droit à la substitution de la prestation – 41 LAMal / Recours téméraire – 61 lit. a LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_652/2019 (f) du 06.12.2019

 

Consultable ici

 

Modèle alternatif d’assurance avec médecin de famille et liste de pharmacies agréées – Pas de droit à la substitution de la prestation / 41 LAMal

Recours téméraire / 61 lit. a LPGA

 

Assuré, né en 1966, a adhéré à un modèle alternatif d’assurance avec médecin de famille et liste de pharmacies agréées (PharMed) auprès de son assurance obligatoire des soins.

Les 29.03.2018 et 16.04.2018, l’assuré a acheté des médicaments sur ordonnance auprès d’une pharmacie, pour des montants de 67 fr. et 83 fr. 15. Saisie d’une demande de remboursement de ces prestations, la caisse-maladie l’a rejetée par décision du 20.09.2018, confirmée sur opposition. En bref, l’assurance obligatoire des soins a considéré que les frais ne correspondaient pas aux conditions d’assurance du modèle PharMed, dès lors que la pharmacie ne figurait pas sur la liste des pharmacies agréées pour la ville de Fribourg.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2018 345 – consultable ici)

Par jugement du 12.09.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal. Par ailleurs, la juridiction cantonale a considéré que le recours était téméraire et a mis à la charge du recourant des frais de justice de 400 fr.

 

TF

Modèle alternatif d’assurance

L’art. 41 al. 4 LAMal ne peut pas être interprété en ce sens qu’il garantit à l’assuré qui a opté pour un modèle d’assurance impliquant un choix restreint des fournisseurs de prestations, un droit à la substitution de la prestation, lorsqu’il se procure des prestations auprès d’un fournisseur qui ne fait pas partie des fournisseurs agréés conformément au modèle alternatif d’assurance qu’il a choisi.

L’art. 41 al. 4 LAMal offre à l’assuré la possibilité, en accord avec l’assureur, de limiter son choix aux fournisseurs de prestations que l’assureur désigne en fonction de leurs prestations plus avantageuses, l’assureur ne prenant alors en charge que les coûts des prestations prodiguées ou ordonnées par ces fournisseurs. L’assuré qui opte pour un modèle d’assurance impliquant une limitation du choix des fournisseurs de prestations s’acquitte en contrepartie de primes d’assurance-maladie réduites (art. 62 al. 1 et 3 LAMal).

On constate que le texte de l’art. 41 al. 4 LAMal est clair, y compris dans ses versions allemande et italienne. Il prévoit que lorsque l’assuré a opté pour un modèle d’assurance impliquant une limitation du choix des fournisseurs de prestations, « l’assureur ne prend en charge que les coûts des prestations prodiguées ou ordonnées par ces fournisseurs » (« Der Versicherer muss dann nur die Kosten für Leistungen übernehmen, die von diesen Leistungserbringern ausgeführt oder veranlasst werden », « L’assicuratore deve allora assumere solo i costi delle prestazioni effettuate o ordinate da questi fornitori di prestazioni »). Un droit au remboursement des prestations à hauteur des coûts que l’assureur aurait été tenu de prendre en charge si celles-ci avaient été prodiguées à l’assuré par un fournisseur de prestations autorisé ne peut pas être déduit de l’art. 41 al. 4 LAMal.

Dans l’arrêt 9C_471/2018 du 25 septembre 2018, la Haute Cour a jugé qu’il n’existait aucun droit à la substitution de la prestation lorsque l’assuré se procurait des médicaments auprès de son médecin de famille plutôt qu’auprès d’une pharmacie figurant sur la liste des pharmacies agréées conformément au modèle d’assurance impliquant un choix restreint des fournisseurs de prestations choisi. Elle a également rappelé la jurisprudence constante selon laquelle si le droit à la substitution de la prestation est une institution reconnue en matière d’assurance-maladie, il ne doit cependant pas aboutir à ce qu’une prestation obligatoirement à la charge de l’assurance soit remplacée par une prestation qui ne l’est pas (cf. ATF 133 V 218 consid. 6 p. 220 ss; 126 V 330 consid. 1b p. 332 s. et les références; arrêt 9C_471/2018 précité consid. 2.3). En l’espèce, un droit à la substitution de la prestation ne peut pas être reconnu à l’assuré compte tenu déjà de la jurisprudence selon laquelle lorsque l’assuré ne respecte pas ses obligations issues de la limitation du choix des fournisseurs de prestations, l’assureur n’a pas l’obligation de prendre en charge ces prestations (arrêt K 133/98 du 20 décembre 1999 consid. 2b, RAMA 2000 n° KV 108 p. 74; cf. aussi ATF 141 V 546 consid. 6.2.2). La restriction du choix des fournisseurs de prestations convenue entre les parties en application de l’art. 41 al. 4 LAMal a précisément pour effet d’exclure une prise en charge des prestations dispensées par un fournisseur autre que ceux prévus par le contrat d’assurance. Admettre le contraire reviendrait à vider l’art. 41 al. 4 LAMal de sa substance (arrêt K 133/98 précité consid. 2b).

 

Recours téméraire

L’acte de recours déposé le 21.12.2018 devant la juridiction cantonale était pour le moins sommaire, puisque l’assuré s’est limité à affirmer « qu’une lecture correcte de l’art. 41 al. 4 LAMal impos[ait] à [la caisse-maladie] de rembourser les montants qu’elle aurait dû payer si les médicaments avaient été achetés auprès de son fournisseur agréé ».

Par ailleurs, au vu du texte clair de l’art. 41 al. 4 LAMal et de la jurisprudence, l’assuré ne saurait valablement soutenir qu’il avait « de bons arguments en faveur de sa thèse et que la question litigieuse n’a pas encore été tranchée par la jurisprudence du Tribunal fédéral ». Il faut bien plutôt admettre que l’intéressé aurait subjectivement pu se rendre compte, avec l’attention et la réflexion que l’on pouvait attendre de lui, de l’absence de toutes chances de succès de sa démarche, ce d’autant plus qu’il dispose d’une formation d’avocat (sur la notion de témérité, cf. arrêt 9C_438/2014 du 23 décembre 2014 consid. 6.1 et les arrêts cités).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_652/2019 consultable ici

 

 

La réforme des prestations complémentaires entrera en vigueur le 1er janvier 2021

La réforme des prestations complémentaires entrera en vigueur le 1er janvier 2021

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 29.01.2020 consultable ici

 

Lors de sa séance du 29.01.2020, le Conseil fédéral a décidé de fixer au 01.01.2021 l’entrée en vigueur de la réforme des PC. Il a également pris connaissance des résultats de la consultation sur les dispositions d’exécution et a approuvé les modifications de l’ordonnance.

La réforme des PC permettra de garantir le niveau des prestations et d’éliminer certaines incitations indésirables dans le système. En particulier, les montants maximaux reconnus au titre du loyer seront ajustés à l’augmentation du niveau des loyers, ce qui n’avait plus été fait depuis 2001. Parallèlement, la fortune sera mieux prise en compte dans le calcul des PC.

Les modifications apportées à l’ordonnance concernent en particulier les critères pour la répartition des communes dans les trois régions déterminantes pour la prise en compte du loyer, l’adaptation des forfaits pour frais accessoires et frais de chauffage, la renonciation à des revenus et parts de fortune, les frais de prise en charge extrafamiliale d’enfants et l’interruption de la résidence habituelle en Suisse.

Le Conseil fédéral a décidé que la réforme des PC entrera en vigueur le 1er janvier 2021. Les cantons disposeront ainsi du temps nécessaire pour mener à bien les travaux de mise en œuvre.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 29.01.2020 consultable ici

Modification de l’ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité (OPC-AVS/AI) et Commentaire disponible ici

Modification de l’ordonnance sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité (OPC-AVS/AI) paru in RO 2020 599

Fiche d’information « PC : aperçu des principales mesures » disponible ici

 

 

Corapport de la commission concernant le projet relatif aux prestations transitoires pour les chômeurs âgés

Corapport de la commission concernant le projet relatif aux prestations transitoires pour les chômeurs âgés

 

Communiqué de presse du Parlement du 29.01.2020 consultable ici

 

La Commissions de l’économie et des redevances (CER-N) a examiné le projet de loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPtra ; 19.051) en vue d’établir un corapport à l’intention de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N).

Cet examen a amené la CER-N à présenter à la CSSS-N différentes propositions concernant certains articles :

  • l’augmentation de l’âge minimal prévu de 60 à 62 ans (art. 2, al. 1, LPtra ; par 15 voix contre 8),
  • la prise en compte des bonifications pour tâches éducatives et pour tâches d’assistance dans le calcul de la durée minimale et du montant minimal d’assujettissement à l’AVS (art. 3, al. 1, let. b, LPtra ; par 10 voix contre 7 et 5 abstentions),
  • une interdiction de versement des prestations transitoires à l’étranger (suppression de l’art. 6 LPtra ; par 11 voix contre 9 et 3 abstentions) ainsi que
  • l’abandon de l’exonération fiscale des prestations transitoires (art. 24, let. k, LIFD et art. 7, al. 4, let. n, LHID; par 11 voix contre 8 et 4 abstentions).

En outre, la commission recommande à la CSSS-N d’examiner la possibilité de soutenir, au moyen de contributions salariales, la réinsertion sur le marché du travail des chômeurs de longue durée âgés, ainsi que de se pencher de manière approfondie sur les effets macroéconomiques de la prestation prévue.

 

 

Communiqué de presse du Parlement du 29.01.2020 consultable ici

 

 

8C_650/2018 (f) du 23.10.2019 – Tendinopathie chronique (dégénérative) de la coiffe des rotateurs – Causalité naturelle – Statu quo sine / 6 LAA – 36 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_650/2018 (f) du 23.10.2019

 

Consultable ici

 

Tendinopathie chronique (dégénérative) de la coiffe des rotateurs – Causalité naturelle – Statu quo sine / 6 LAA – 36 LAA

 

Assuré, né en 1973, jardinier paysagiste, tombe, le 14.12.2013, contre un mur avec son épaule droite qui a lâché, en transportant une caisse de bois.

Le spécialiste FMH en chirurgie orthopédique a diagnostiqué une rupture subtotale du tendon du sous-scapulaire avec luxation médiane hors de la gouttière bicipitale du tendon du long chef du biceps, une déchirure partielle du sus-épineux et une discrète contusion du trochiter. Le chirurgien a opéré l’épaule droite de l’assuré le 04.03.2014. Une arthro-IRM réalisée le 13.10.2014 a mis en évidence une re-déchirure post-réparation de la coiffe sans rétraction tendineuse visible ainsi qu’une importante bursite sous-acromio-deltoïdienne réactionnelle. Le chirurgien a prescrit une injection de PRP (plasma riche en plaquettes).

L’assurance-accidents a adressé l’assuré à un chef de service du service d’orthopédie et traumatologie d’un hôpital universitaire. Ce praticien a conclu, au terme de son examen du 15.04.2015, qu’il était difficile d’expliquer par les éléments objectifs l’importance du syndrome douloureux résiduel ainsi que l’impossibilité de réaliser une abduction active ; dans ce contexte, il était peu probable qu’une révision chirurgicale avec complément de réparation du sous-scapulaire permette d’améliorer significativement la situation sur le plan subjectif.

L’assurance-accidents a mis en œuvre une expertise médicale, mandatant à cet effet un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et précisant qu’elle suspendait ses prestations jusqu’à connaissance des conclusions de l’expert. Dans son rapport d’expertise du 22.03.2016, le médecin-expert a conclu que l’assuré présentait une tendinopathie chronique (dégénérative) de la coiffe des rotateurs aux deux épaules. Du côté droit, il existait un doute quant à une péjoration aiguë de cette tendinopathie lors de l’événement survenu le 14.12.2013. La supputée lésion traumatique avait été traitée correctement et ne montrait pas de complication majeure. Habituellement, un délai de 6 à 12 mois paraissait nécessaire pour récupérer d’une telle chirurgie. Au-delà, le cursus de l’épaule droite de l’assuré était manifestement régi par le potentiel évolutif de sa coiffe des rotateurs dégénérative (argument prévalant aussi pour l’épaule controlatérale).

Le médecin-conseil de l’assurance-accidents a relevé que ni le bilan radiologique de l’assuré ni le protocole opératoire du chirurgien ne permettaient d’objectiver les signes d’une luxation ; par ailleurs, l’assuré présentait tous les facteurs de risques d’une tendinopathie, et la fixation du statu quo sine une année après l’intervention chirurgicale paraissait correcte.

Par lettre du 19.04.2016, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle retenait le 20 avril 2015 comme « date de fin de causalité » entre ses troubles à l’épaule droite et l’accident, laquelle correspondait au dernier versement d’indemnités journalières effectué. Elle renonçait toutefois à demander la restitution des autres prestations (frais de traitements médicaux, frais de transport, médicaments, etc.) déjà versées du 21.04.2015 à ce jour. L’assurance-accidents a confirmé cette prise de position par décision du 05.07.2016, confirmée sur opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 24/17 – 93/2018 – consultable ici)

Se fondant sur le rapport d’expertise, lequel remplissait tous les critères jurisprudentiels en matière de valeur probante, les juges cantonaux ont retenu qu’avant l’événement du 14.12.2013, l’assuré présentait, selon toute vraisemblance, des lésions de la coiffe des rotateurs dégénératives asymptomatiques des deux épaules et que l’accident avait entraîné, au moins possiblement, une aggravation d’une tendinopathie préexistante. A cet égard, une impotence fonctionnelle de l’épaule avait été constatée immédiatement après l’accident et pouvait refléter une lésion surajoutée du tendon sus-épineux, compte tenu de la présence d’un œdème sur son site d’insertion sur le trochiter. Au vu de ce constat, la cour cantonale a considéré que c’était à juste titre que l’assurance-accidents avait pris en charge les suites de l’accident mais qu’au-delà du 20.04.2015, l’origine maladive et dégénérative des troubles présentés par l’assuré était clairement établie.

Par jugement du 14.08.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la modification du 25 septembre 2015 de la LAA. Dans la mesure où l’événement litigieux est survenu avant cette date, le droit de l’assuré aux prestations d’assurance est soumis à l’ancien droit (cf. dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015). Les dispositions visées seront citées ci-après dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016.

L’art. 6 al. 1 LAA prévoit que les prestations de l’assurance-accidents obligatoire sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Par accident au sens de cette disposition, on entend toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique, ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose notamment entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu’il ne serait pas survenu de la même manière. Pour admettre l’existence d’un lien de causalité naturelle, il n’est pas nécessaire que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé; il faut et il suffit que l’événement dommageable, associé éventuellement à d’autres facteurs, ait provoqué l’atteinte à la santé physique ou psychique de l’assuré, c’est-à-dire qu’il se présente comme la condition sine qua non de celle-ci (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438; 129 V 177 consid. 3.1 p. 181 et les références).

En vertu de l’art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident. Lorsqu’un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l’assurance-accidents d’allouer des prestations cesse si l’accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l’accident. Tel est le cas lorsque l’état de santé de l’intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l’accident par suite d’un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n’est pas rétabli, l’assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l’état maladif préexistant, dans la mesure où il s’est manifesté à l’occasion de l’accident ou a été aggravé par ce dernier (cf. arrêts 8C_781/2017 du 21 septembre 2018 consid. 5.1, in SVR 2019 UV n° 18 p. 64; 8C_657/2017 du 14 mai 2018 consid. 3.2 et les références, in SVR 2018 UV n° 39 p. 141). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1 p. 181).

 

Le fait que dans son rapport d’expertise, le médecin-expert ait fait un bref rappel de la pathologie dégénérative de la coiffe des rotateurs et qu’il n’ait pas cité ses sources en se référant à la « théorie de la prédisposition génétique » – laquelle semblait s’imposer par rapport à celle postulant l’usure des tendons de la coiffe des rotateurs résultant principalement de contraintes répétées, exagérées, responsables au cours du temps de micro-déchirures tendineuses – ne remet pas en cause l’objectivité de ses conclusions. On relèvera qu’à l’instar du médecin-expert, le médecin-conseil de l’assurance-accidents a également mentionné l’importance des facteurs biologiques dans l’évolution de la lésion de la coiffe des rotateurs ; l’assuré présentait des lésions tendineuses pratiquement aussi importantes à l’épaule gauche – qui n’avait pas subi de traumatisme – qu’à l’épaule droite.

Le médecin-expert a expliqué qu’une lésion supputée aiguë de la coiffe des rotateurs, une fois réparée chirurgicalement, évoluait favorablement à moins que surgissent des complications, telles qu’un lâchage de suture des tendons supputés lésés puis réparés, un conflit sous-acromial majeur ou une capsulite/arthrofibrose, voire une surinfection, éventuellement une lésion neurologique. Lorsque l’évolution n’était pas bonne en l’absence des complications mentionnées, comme c’était le cas en l’espèce, il fallait penser à une évolution naturelle d’une pathologie dégénérative préexistante. Dans le cas de l’assuré, cette progression ne pouvait pas être niée ; elle pouvait être constatée sur la dernière IRM, l’atteinte touchant désormais, de manière préférentielle, le sous-épineux, lequel montrait déjà des stigmates d’une surcharge chronique (altération micro-kystique sous-chondrale à son site d’insertion sur le trochiter, aspect tendineux hétérogène en zone critique) sur les images IRM de janvier 2014. Désormais, ce tendon montrait une dégénérescence claire en son corps, allant jusqu’à la solution de continuité d’une partie de ses fibres. Une dégénérescence similaire prévalait également sur l’épaule controlatérale. Les autres changements, mineurs (discrète atrophie du sus-épineux, légère progression de l’atrophie avec infiltrats graisseux du sous-scapulaire), observés sur les dernières images de l’épaule droite, rentraient aussi, avec une très haute vraisemblance, dans le cadre de la progression lente de la maladie de la coiffe des rotateurs. En définitive, l’assuré présentait une tendinopathie chronique dégénérative de la coiffe des rotateurs aux deux épaules. Du côté droit, il existait un doute quant à une péjoration aiguë de cette tendinopathie lors de l’événement survenu le 14.12.2013. Cette lésion avait été traitée correctement et ne montrait pas de complication majeure. Habituellement, un délai de 6 à 12 mois était nécessaire pour récupérer d’une telle chirurgie, permettant un retour à un status fonctionnel usuel (statu quo sine). Si l’on prenait encore en considération le bilan orthopédique universitaire réalisé le 15.04.2015, à l’issue duquel les lésions – supputées en lien avec le traumatisme du 14.12.2013 – ne pouvaient pas rendre compte des plaintes résiduelles, il convenait de considérer qu’au-delà de cette date, le cursus de l’épaule droite de l’assuré était manifestement régi par le potentiel évolutif de sa coiffe des rotateurs dégénérative.

Cela étant, l’expert ne laisse planer aucun doute sur un retour au statu quo sine au plus tard le 20.04.2015 en ce qui concerne les troubles au niveau de l’épaule droite. Il en découle que la juridiction cantonale n’a pas violé le droit fédéral en confirmant la suppression du droit de l’assuré aux indemnités journalières ainsi qu’à la prise en charge du traitement médical au 20.04.2015. Le grief tiré de la violation des art. 6 et 36 LAA et de l’art. 9 al. 2 OLAA tombe dès lors à faux.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_650/2018 consultable ici

 

 

9C_413/2019 (f) du 04.12.2019, destiné à la publication – Droits de participation et d’être entendu lors de la mise en œuvre d’une expertise médicale – 29 al. 1 Cst. – 44 LPGA / Notions de l’expert mandaté et de l’auxiliaire accomplissant une tâche secondaire

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_413/2019 (f) du 04.12.2019, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Droits de participation et d’être entendu lors de la mise en œuvre d’une expertise médicale / 29 al. 1 Cst. – 44 LPGA

Notions de l’expert mandaté et de l’auxiliaire accomplissant une tâche secondaire / 44 LPGA

Réparation de la violation des droits de participation et d’être entendu

 

Par décision du 15.12.2010, l’office AI a rejeté la demande de prestations présentée par l’assuré le 25.07.2001. Saisis tour à tour d’un recours formé par le prénommé, le tribunal cantonal puis le Tribunal fédéral (arrêt 9C_371/2015 du 24.03.2016) ont débouté l’assuré. Considérant que son arrêt ne préjugeait pas de l’existence d’une éventuelle aggravation de l’état de santé de l’assuré survenue postérieurement à la décision du 15.12.2010, le Tribunal fédéral a transmis le dossier à l’office AI en l’invitant à examiner si les conditions du droit à une éventuelle rente de l’assurance-invalidité étaient réalisées pour la période postérieure au 15.12.2010 (ch. 2 du dispositif et consid. 5 de l’arrêt 9C_371/2015 cité).

Le 28.06.2016, l’office AI a informé l’assuré qu’il entendait le soumettre à une expertise pluridisciplinaire comportant les disciplines de médecine interne, orthopédie, neurologie et psychiatrie. L’assuré s’est opposé aux examens de psychiatrie et de médecine interne. Après avoir consulté son SMR et recueilli des renseignements auprès des médecins traitants de l’assuré, l’office AI a mis en œuvre une expertise bidisciplinaire (orthopédique et neurologique) auprès du CEMed. Par correspondance du 01.03.2017, le secrétariat du CEMed a communiqué à l’assuré la date des examens médicaux, ainsi que le nom des deux médecins examinateurs.

Dans leur rapport établi le 11.07.2017, les médecins ont indiqué qu’il n’y avait pas eu d’aggravation significative de l’état de santé de l’intéressé depuis 2010, celui-ci étant par ailleurs capable d’exercer une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites pendant huit heures par jour, sans diminution de rendement, depuis novembre 2001. Le rapport d’expertise a été signée par les deux médecins mandatés, dont les noms figurent sous la rubrique « Expert (s) » de la première page du rapport. En introduction, les experts ont indiqué les modalités de l’expertise, en mentionnant les points suivants: l’expertise a été réalisée « sur la base d’une collaboration pluridisciplinaire »; le dossier a été analysé et résumé par « un médecin ne participant pas aux examens »; les experts ont eux-mêmes examiné séparément l’assuré après avoir lu attentivement le dossier et le résumé; les experts ont établi conjointement le rapport après discussion interdisciplinaire; le document final a été « soumis en dernière relecture à un médecin expert n’ayant pas examiné [l’assuré], afin de juger de la clarté du texte et de la pertinence des conclusions »; l’expertise, nécessitant un consensus à chaque niveau a été établie selon les règles de l’art et en toute indépendance des parties.

Par décision du 02.05.2018, l’office AI a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/381/2019 – consultable ici)

Par jugement du 30.04.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Droits de participation et d’être entendu lors de la mise en œuvre d’une expertise médicale

Le point de savoir si une expertise réalise les exigences de l’art. 44 LPGA constitue une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (arrêt 9C_296/2018 du 14 février 2019 consid. 5.1 et les arrêts cités).

Selon l’art. 44 LPGA, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions.

Par expert au sens de l’art. 44 LPGA, il faut comprendre celui qui (en tant que sujet mandaté) effectue une expertise et en porte la responsabilité. Il s’agit d’une part du sujet qui est mandaté pour l’expertise et, d’autre part, de la personne physique qui élabore l’expertise (ATF 132 V 376 consid. 6.1 p. 380). La communication du nom de l’expert doit permettre à l’assuré de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il pourrait disposer d’un motif de récusation (Art. 44, 2ème phrase, LPGA; HANS-JAKOB MOSIMANN, Gutachten: Präzisierungen zu Art. 44 ATSG, RSAS 2005 p. 479). Cette communication doit de plus avoir lieu suffisamment tôt pour que l’assuré soit en mesure de faire valoir ses droits de participation avant le début de l’expertise en tant que telle. En particulier, lorsque l’intéressé soulève des objections quant à la personne de l’expert, l’organe de l’assurance-invalidité doit se prononcer à leur sujet avant le commencement de l’expertise (ATF 132 V 376 consid. 8.4 p. 385, qui porte en particulier sur la communication du nom des médecins en cas d’expertise auprès d’un Centre d’observation médicale [COMAI]; arrêt 9C_228/2011 du 10 août 2011 consid. 3.1 et les arrêts cités).

En sa qualité de mandant, l’assureur a droit à ce que l’expertise soit effectuée par la personne mandatée. La substitution ou le transfert (même partiels) du mandat à un autre spécialiste suppose en principe l’autorisation de l’organe ou de la personne qui a mis en œuvre l’expertise (arrêt 8C_596/2013 du 24 janvier 2014 consid. 6.1.2.1 et les références). L’obligation d’exécuter personnellement le mandat d’expertise n’exclut cependant pas que l’expert recoure à l’assistance d’un auxiliaire (« Hilfsperson »), qui agit selon ses instructions et sous sa surveillance, pour effectuer certaines tâches secondaires, par exemple assurer des tâches techniques (analyses) ou des travaux de recherche, de rédaction, de copie ou de contrôle (ALFRED BÜHLER, Die Mitwirkung Dritter bei der medizinischen Begutachtung im sozialversicherungsrechtlichen Verwaltungsverfahren, Jusletter du 3 septembre 2007 n° 27 s; JACQUES OLIVIER PIGUET, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 12 ad art. 44 LPGA). Une telle assistance fournie par un tiers compétent pour des tâches secondaires est admissible sans qu’on puisse y voir une substitution du mandataire soumise à l’accord de l’assureur, pour autant que la responsabilité de l’expertise, en particulier la motivation et les conclusions de celle-ci ainsi que la réponse aux questions d’expertise, reste en mains de l’expert mandaté (cf. arrêt I 874/06 du 8 août 2007 consid. 4.1.1; BÜHLER, op. cit. n° 29). Il est en effet essentiel que l’expert mandaté accomplisse personnellement les tâches fondamentales d’une expertise médicale en droit des assurances, puisqu’il a été mandaté précisément en raison de son savoir, de ses connaissances scientifiques spécifiques et de son indépendance (BÜHLER, op. cit., n° 5; sur les différentes étapes d’élaboration d’une expertise, ULRIKE HOFFMANN-RICHTER/JÖRG JEGER/HOLGER SCHMIDT, Das Handwerk ärztlicher Begutachtung, 2012, p. 25 ss; cf. aussi, GABRIELA RIEMER-KAFKA, Expertises en médecine des assurances, 3e éd. 2018, p. 53 ss). Font ainsi notamment partie des tâches fondamentales d’expertise, qui ne peuvent être déléguées, la prise de connaissance du dossier dans son ensemble et son analyse critique, l’examen de la personne soumise à l’expertise ou le travail intellectuel de réflexion portant sur l’appréciation du cas et les conclusions qui peuvent être tirées, cas échéant dans le cadre d’une discussion interdisciplinaire.

Il ressort de ces principes posés par la jurisprudence en relation avec l’art. 44 LPGA, tant sous l’angle des droits de participation de l’assuré que des exigences en matière de substitution de l’expert mandaté, que l’obligation de communiquer le nom des médecins mandatés préalablement à l’expertise, respectivement le droit de l’assuré de connaître ce nom, concerne la personne qui est chargée par l’assurance-invalidité d’effectuer l’expertise. Cette obligation ne s’étend pas au nom du tiers qui assiste l’expert pour des activités annexes ne faisant pas partie des tâches fondamentales d’expertise (KIESER, ATSG-Kommentar, 3e éd., 2015, n° 34 ad art. 44 LPGA; MARCO WEISS, Mitwirkungsrechte vor der Einholung medizinischer Gutachten in der Invalidenversicherung, 2018, p. 162). Ainsi, le nom de la tierce personne qui assiste l’expert en effectuant des analyses médicales (p. ex. une prise de sang) n’a pas à être communiqué.

On ne saurait en revanche considérer comme un simple auxiliaire accomplissant une tâche secondaire le médecin qui est chargé par l’expert d’établir l’anamnèse de base de la personne soumise à l’expertise, d’analyser et de résumer le dossier médical ou de relire le rapport pour vérifier la pertinence de ses conclusions. L’activité intellectuelle déployée par le médecin dans ces situations peut en effet avoir une influence sur le résultat de l’expertise. Par exemple, la démarche consistant à établir le résumé du dossier médical implique une analyse comprenant déjà une certaine marge d’interprétation; même si le résumé ne doit contenir que des extraits des pièces du dossier, il repose sur une sélection des dates, informations et données qui sont considérées comme déterminantes pour son auteur (cf. Hoffmann-Richter/Jeger/Schmidt, op. cit., p. 49 s.). Une telle sélection contribue au résultat de l’expertise.

Dans les constellations mentionnées, les prescriptions de l’art. 44 LPGA sont applicables. Le nom du médecin auquel est confiée la tâche d’établir l’anamnèse de base ou le résumé du dossier ou celle de relire l’expertise afin d’en assurer la pertinence formelle doit être communiqué au préalable à l’assuré. Cette interprétation a été confirmée par les cours intéressées réunies dans une procédure selon l’art. 23 al. 2 LTF (décision prononcée par voie de circulation en date du 29 novembre 2019).

In casu, le nom du médecin qui a été chargé d’analyser et de résumer le dossier, et celui du « médecin expert » qui a relu l’expertise – à supposer qu’il ne s’agisse pas de la même personne – ne figurent pas dans le rapport, ni n’ont été communiqués à l’assuré avant le début des examens médicaux. Au regard des activités effectuées par ces médecins, on constate qu’ils ont agi en tant qu’auxiliaires des experts, puisqu’ils ont eu pour tâches, d’une part, d’analyser et de résumer le dossier et, d’autre part, de relire le rapport d’expertise pour en vérifier la cohérence formelle. Ils n’ont en revanche pas examiné l’assuré, la participation aux examens a été expressément et doublement exclue.

Les tâches dont les médecins auxiliaires ont été chargés par les deux experts mandatés ne peuvent pas être considérées comme secondaires en l’espèce ; par leur intervention, ces médecins ont contribué au résultat de l’expertise. En conséquence, leur nom aurait dû être communiqué au préalable à l’assuré conformément à l’art. 44 LPGA et le non-respect de cette exigence constitue une violation de ses droits de participation et d’être entendu (cf. arrêt 8C_254/2010 du 15 septembre 2010 consid. 4.1.2).

 

Réparation de la violation des droits de participation et d’être entendu

Le défaut formel dont est entachée la procédure d’expertise ne conduit pas à écarter d’emblée le rapport du CEMed du 11.07.2017. Les droits de participation de l’assuré ont été affectés dans la mesure où il n’a pas eu connaissance du nom du ou des auxiliaires chargés de résumer et de relire l’expertise. Il a cependant pu se déterminer au préalable sur la désignation des deux experts examinateurs qui, selon leurs indications, ont conjointement établi le rapport après qu’ils en aient tous deux discuté à la suite de leur lecture du dossier et leur examen médical séparé de l’assuré. S’ils ont ainsi disposé d’un résumé du dossier établi par un tiers de leur choix, ils en ont vérifié la conformité aux pièces, puisqu’ils ont dûment pris connaissance de l’ensemble et procédé à leur propre analyse de celles-ci.

Dans ces circonstances, dans lesquelles les experts désignés ont accompli personnellement les tâches fondamentales d’expertise, le fait que l’assuré n’a pas eu connaissance du nom des médecins auxiliaires, qui ne sont intervenus que de manière ponctuelle dans le cadre de l’expertise, ne constitue pas une violation si grave de ses droits de participation ou d’être entendu qu’elle ne serait pas susceptible de réparation. A cette fin, il convient de placer l’assuré dans la situation dans laquelle il peut reconnaître s’il entend ou non soulever un motif de récusation à l’encontre du ou des médecins auxiliaires impliqués. La cause doit donc être renvoyée à l’office AI pour qu’il procède aux démarches nécessaires pour que le nom du ou des médecins dont les deux médecins-experts s’étaient adjoint l’assistance soit communiqué à l’assuré et que celui-ci puisse se prononcer sur un éventuel motif de récusation. Il incombera ensuite à l’office AI de rendre une nouvelle décision sur le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Le TF admet le recours de l’assuré, annule le jugement cantonal et la décision de l’office AI, renvoyant la cause à l’office AI pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_413/2019 consultable ici

 

 

6B_1015/2019 (d) du 04.12.2019 – Obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale – 148a CP – 197 ch. 8 Cst. / Expulsion – 66a al. 1 lit. e CP / Distinction entre escroquerie (146 CP) et obtention illicite (148a CP) / Omission (dissimulation de faits) – Comportement passif relève des infractions de l’art. 148a CP

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1015/2019 (d) du 04.12.2019 [non prévu à la publication]

 

NB : traduction personnelle ; seul le texte de l’arrêt fait foi.

Consultable ici

 

Obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale – 148a CP – 197 ch. 8 Cst. / Expulsion – 66a al. 1 lit. e CP

Distinction entre escroquerie (146 CP) et obtention illicite (148a CP)

Omission (dissimulation de faits) – Comportement passif relève des infractions de l’art. 148a CP

 

Le 16.05.2018, le tribunal de district de Winterthur a condamné la citoyenne tunisienne A.________ à une peine de 18 mois de prison avec sursis assortie d’une période probatoire de 2 ans pour escroquerie (art. 146 al. 1 CP) dans le domaine de l’assistance sociale pendant la période du 01.01.2010 au 04.07.2014 et pour obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale (art. 148a al. 1 CP) pour la période du 01.10.2016 au 30.04.2017. Elle est expulsée du pays pendant 5 ans conformément à l’art. 66a al. 1 lit. e CP.

Le 25.06.2019, la Haute Cour du canton de Zurich a estimé que la condamnation pour escroquerie (art. 146 al. 1 CP) était définitive. Les juges ont reconnu le prénommé coupable d’avoir perçu illicitement des prestations de sécurité sociale ou d’assistance sociale (art. 148a al. 1 CP) durant la période du 01.10.2016 au 30.04.2017, ont confirmé la peine et l’expulsion.

Du 01.10.2016 au 30.04.2017, A.________ et son mari n’ont pas annoncé de leur propre initiative auprès de l’Office de l’aide sociale les revenus provenant de l’activité professionnelle, des indemnités journalières de l’assurance-accidents et de dons. En conséquence, le montant de l’infraction est estimé à environ CHF 90’000. Selon le tribunal, il est contesté que ce comportement passif relève des infractions de l’art. 148a CP et que l’infraction puisse être commise par simple omission.

 

TF

Le recours a été menée conjointement avec celle de son mari, procédure concernant la fraude à l’aide sociale et la perception illégale de prestations d’aide sociale reposant sur les mêmes faits (cf. arrêt du TF 6B_1033/2019 du 04.12.2019  ; il faut se référer à ce jugement, les motifs du recours portant essentiellement sur les mêmes questions).

L’art. 148a CP se rapporte à l’obtention illicite de prestations d’une assurance sociale ou de l’aide sociale et est ainsi libellé : Quiconque, par des déclarations fausses ou incomplètes, en passant des faits sous silence ou de toute autre façon, induit une personne en erreur ou la conforte dans son erreur, et obtient de la sorte pour lui-même ou pour un tiers des prestations indues d’une assurance sociale ou de l’aide sociale, est puni d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire (al. 1). Dans les cas de peu de gravité, la peine est l’amende (al. 2).

L’art. 148a CP fait partie de la législation d’exécution conformément au mandat constitutionnel (art. 197 ch. 8 Cst.) de l’ « initiative sur le renvoi » qui, en soi, s’adresse uniquement aux étrangers. Il s’agit d’une infraction punissable pour « toute personne » qui reçoit illicitement des prestations, c’est-à-dire toute personne quelle que soit sa nationalité. Les faits de l’affaire ne deviennent spécifiquement pertinents en vertu du droit des étrangers que dans la mesure où les conséquences juridiques de l’art. 66a al. 1 CP sont présentes, ce qui est exclu dans les cas mineurs au sens de l’art. 148a al. 2 CP (art. 105 al. 1 CP). L’art. 148a CP est en vigueur depuis le 01.10.2016.

En tant que législateur, le Parlement fédéral a suivi la version de l’art. 148a CP proposée par le Conseil fédéral (voir MATTHIAS JENAL, in: Basler Kommentar, Strafrecht II, 4. Aufl. 2019, NN. 1 f zu Art. 148a StGB et les références). Le message du 26 juin 2013 concernant une modification du code pénal et du code pénal militaire (mise en œuvre de l’art. 121, al. 3 à 6, Cst. relatif au renvoi des étrangers criminels) (FF 2013 5373 [pour le message en français]) revêt donc une importance particulière pour l’interprétation de l’art. 148a CP.

Selon le message, l’art. 148a CP est conçu comme une clause générale de l’escroquerie (au sens de l’art. 146 CP), qui peut également être rempli dans le domaine de l’obtention illicite de prestations sociales (FF 2013 5431 s., en référence à l’arrêt 6B_542/2012 du 10 janvier 2013). Pour que l’infraction selon l’art. 148a CP soit réalisée, il n’est pas nécessaire que l’auteur agisse astucieusement lorsqu’il induit une personne en erreur ou qu’il la conforte dans son erreur. La sanction prévue à l’art. 148a CP est par conséquent moins sévère que pour l’escroquerie. Les faits constitutifs objectifs comprennent toutes les formes de tromperie. L’infraction inclut le fait d’induire une personne en erreur ou de la conforter dans son erreur et de passer certains faits sous silence : « On observe un tel comportement passif lorsque quelqu’un omet de signaler que sa situation s’est améliorée par exemple. (« Ein solches passives Verhalten ist etwa dort gegeben, wo jemand die Meldung unterlässt, dass sich seine Lage verändert beziehungsweise verbessert hat » (FF 2013 6037) [Botschaft FF 2013 6037]; « Tale comportamento passivo è ad esempio dato quando qualcuno omette di comunicare un cambiamento o un miglioramento della sua situazione » [Messagio FF 2013 5222]). Selon les lois cantonales en matière d’aide sociale, les personnes requérant de l’aide sont tenues de fournir des renseignements complets et véridiques sur leur situation personnelle et économique. Elles doivent présenter les documents nécessaires et communiquer sans délai tout changement de leur situation. Si une personne simule un état de détresse par des indications fausses ou incomplètes, en taisant ou en dissimulant des faits, il s’agit d’un cas classique d’obtention illicite de prestations » (Message, FF 2013 5432).

Selon le message, l’infraction de « dissimulation » [Verschweigen] comprend donc également le comportement passif consistant à ne pas signaler une situation modifiée ou améliorée. Ainsi, l’art. 148a CP couvre, d’une part, l’action (déclarations fausses ou incomplètes) et, d’autre part, l’omission (dissimulation de faits). Le deuxième type d’infraction présente les caractéristiques d’un véritable crime par omission. L’art. 11 CP [Crimes et délits / Commission par omission] n’est pas pris en compte.

Selon la jurisprudence relative à l’art. 146 CP, la violation des obligations légales et contractuelles de déclaration (en particulier l’art. 31 al. 1 LPGA) ne constitue pas une position de garant, c’est pourquoi une condamnation pour escroquerie ne peut être prononcée (voir en détail ATF 140 IV 11). Le Conseil fédéral se réfère explicitement à cette jurisprudence (p. 5431, note 191 en référence à l’arrêt 6B_542/2012 du 10 janvier 2013). Étant donné que l’art. 148a CP ne couvre que la tromperie « non astucieuse » [nicht arglistig-kausale Täuschung], la tromperie astucieuse dans le domaine du droit social continue d’être couverte par l’art. 146 CP. En cas de violation de l’obligation de communiquer, les éléments constitutifs des infractions pénales au droit de la sécurité sociale et les dispositions pertinentes de la législation sociale cantonale restent en principe applicables de manière concurrente (Message, p. 5434 s. ; ATF 140 IV 11 E. 2.4.6 p. 17 s.). A cet égard, compte tenu des infractions pénales spéciales prévues par la loi, il faut exclure que la simple violation de l’obligation de déclaration puisse être une escroquerie (ATF 140 IV 11 E. 2.4.6 p. 18).

L’obtention abusive de prestations des assurances sociales ou de l’aide sociale au sens de l’art. 121 al. 3 let. b Cst. est concrétisée par l’escroquerie selon l’art. 146 CP et la nouvelle infraction pénale selon l’art. 148a CP. En dépit d’autres avis émis lors de la procédure de consultation et s’appuyant sur le mandat que constitue l’art. 121 al. 3 let. b Cst., le Conseil fédéral a maintenu parmi les infractions justifiant l’expulsion « l’obtention illicite de prestations, qui ne remplit pas toutes les conditions de l’escroquerie » (Message, p. 5395). À cette fin, il a créé, dans le 148a CP, l’infraction pénale fédérale conformément au principe de légalité (art. 1 CP), car il ne considérait pas comme une option viable de tenir compte des lois cantonales divergentes en matière d’aide sociale (Message, p. 5400 s.).

Le Tribunal fédéral passe en revue la doctrine (cf. consid. 4.5.4 et 4.5.5) et juge convaincant le point de vue d’ANDREAS DONATSCH (Strafrecht III, 11. Aufl. 2018, p. 269 s.). Le Tribunal fédéral estime que les opinions exprimées dans les commentaires qu’il a cités au consid. 4.5.4 (MATTHIAS JENAL, in: Basler Kommentar, Strafrecht II, 4. Aufl. 2019, N. 11 zu Art. 148a StGB avec références à l’ATF 140 IV 11 consid. 2.4.6 p. 17 s.; 131 IV 83 consid. 2.2 p. 88 s. ; BURKHARDT/SCHULTZE, in: Schweizerisches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, 3. Aufl. 2018, N. 2 zu Art. 148a StGB ; GARBARSKI/BORSODI, in: Commentaire Romand, Code pénal II, Art. 111-392 CP, 2017, NN. 10, 12 zu Art. 148a StGB) ignorent les motivations de la législation fondée sur le message, de sorte que l’interprétation de l’infraction de « dissimulation » telle qu’elle est représentée par ceux-ci ne peut être suivie. Il n’est pas possible de nier que cette variante a une signification indépendante, ni de contester que la protection des biens sociaux auxquels les ayants droit ont droit privilégie les pouvoirs publics. En particulier, l’interprétation de l’art. 148a CP au sens de la jurisprudence relative à l’art. 146 CP, telle qu’elle figure dans l’ATF 140 IV 11, doit cependant échouer parce que l’art. 148a CP ne codifie pas un acte frauduleux [Betrugstatbestand].

En outre, l’objection d’une responsabilité pénale étendue ne contredit pas l’interprétation faite. Le législateur fédéral peut édicter de nouvelles infractions pénales (art. 123 al. 1 Cst.). Selon le mandat constitutionnel, le législateur devait définir et compléter les éléments constitutifs de la criminalité conformément à l’art. 121 al. 3 Cst. (art. 197 ch. 8 Cst.). Avec l’art. 148a CP, le législateur a codifié de manière uniforme au niveau du droit pénal fédéral les obligations de déclaration. En même temps, il a créé une base pénale fédérale pour l’expulsion en vertu de l’art. 66a al. 1 lit. e CP qui va au-delà de la fraude. Seule cette conséquence juridique en vertu du droit des étrangers semble avoir une grande portée.

Le TF rappelle également que le système social suisse est fondé principalement sur la solidarité et la loyauté et non sur la surveillance.

Le Tribunal fédéral conclut qu’on peut donc supposer que l’art. 148a CP établit une peine d’omission avec la variante de la « dissimulation des faits ». La condamnation contestée ne viole aucune loi fédérale.

Le TF rejette les autres griefs relatifs à l’expulsion (consid. 5).

 

Le TF rejette le recours de A.________.

 

 

Arrêt 6B_1015/2019 consultable ici

 

 

6B_259/2019+6B_286/2019 (f) du 02.04.2019 – Homicide par négligence – Commande sur un site internet en conduisant une automobile / 111 CP – 90 al. 2 LCR – 31 al. 1 LCR

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_259/2019+6B_286/2019 (f) du 02.04.2019

 

Consultable ici

 

Homicide par négligence – Commande sur un site internet en conduisant une automobile / 111 CP – 90 al. 2 LCR – 31 al. 1 LCR

Homicide par négligence vs Meurtre par dol éventuel

 

X.__ est né en 1990, sans inscription au casier judiciaire. Du registre administratif, il ressort qu’il a conduit un cyclomoteur à l’âge de 16 ans, alors qu’il n’avait pas de permis de conduire et qu’il a été sanctionné en 2011 par un avertissement pour un excès de vitesse et a subi un retrait de permis de conduire d’un mois pour un nouvel excès de vitesse.

Le 01.09.2016, sur une route cantonale, X.__ se rendait à son travail au volant de sa voiture. Durant ce trajet, il a manipulé à diverses reprises son téléphone portable. Lorsqu’il a bifurqué à gauche afin de gagner le parking d’une entreprise, il n’a pas accordé la priorité à G.__, qui circulait en sens inverse au guidon de son scooter. Ce dernier a freiné énergiquement et a chuté sur la chaussée. Il a glissé sur plusieurs mètres pour venir heurter, avec l’avant de son motocycle, la roue avant droite et l’angle du pare-chocs de l’automobile. Le scootériste s’est trouvé coincé sous l’avant de l’automobile, laquelle lui a passé sur le corps et l’a traîné sur une longueur de plus de 16 m avant de s’immobiliser contre la bordure sise à droite du parking de l’entreprise. Le scootériste est décédé sur place.

De l’expertise de la police scientifique, l’écran tactile du téléphone portable ne pouvait être activé que par un élément électriquement conducteur d’électricité, comme le corps humain, un objet métallique ou de l’eau, que les intervalles entre les requêtes des différentes pages Internet étaient « humainement cohérents » et que la phase de recherche sur le site Internet « H.________ » et la phase de commande avaient été entrecoupées par l’envoi de deux sms à la compagne de l’automobiliste, si bien qu’il avait été nécessaire d’ouvrir à nouveau le navigateur afin d’afficher le site précité.

Le rapport de la police scientifique permettait d’exclure une activité « spontanée » du téléphone portable, qui aurait passé les commandes auprès du site d’achat par frottement de l’appareil sans intervention de l’automobiliste. Un autre rapport décrivait dans le détail l’activité de l’intéressé et les nombreuses manipulations du téléphone portable accomplies pour se connecter au site Internet, choisir un article et procéder au paiement par le site « I.________ ». L’extraction des données avait révélé que la connexion avec le site « H.________ » avait eu lieu à 07:14:33, soit 2 minutes et 4 secondes avant l’accident. La dernière connexion au site précité avait eu lieu à 07:16:22 et le choc s’était produit au plus tard à 07:16:37. Selon la cour cantonale, de nombreuses manipulations étaient nécessaires pour effectuer une commande sur le site concerné puis payer celle-ci. Par ailleurs, le fait que l’automobiliste eût parcouru, après le choc, une distance de 16,8 m avant de s’immobiliser constituait un indice supplémentaire de son manque d’attention dans la circulation.

Lorsqu’il lui a été demandé à quels risques il avait exposé sa fille et les autres usagers de la voie publique en conduisant tout en manipulant son téléphone, l’intéressé a répondu ce qui suit : « Je me rendais bien compte que c’était dangereux. Je ne me suis pas rendu compte sur le moment des risques que je prenais. Je n’étais pas à mon affaire ce jour-là. » Ensuite, l’automobiliste a ajouté ce qui suit : « J’avais bien conscience du risque de causer un accident mortel en utilisant un téléphone tout en conduisant. Cela étant, le jour de l’accident, je n’étais vraiment pas à mon affaire au vu des soucis que j’avais. »

Par jugement du 08.11.2017, le Tribunal criminel des Montagnes et du Val-de-Ruz a condamné X.__, pour infractions à l’art. 90 al. 2 LCR en lien avec l’art. 31 al. 1 LCR et pour homicide par négligence, à une peine privative de liberté de 14 mois, avec sursis durant deux ans.

Par jugement du 13.11.2018, la Cour pénale du Tribunal cantonal, statuant sur l’appel du ministère public et sur l’appel joint formé par X.__ contre ce jugement, a réformé celui-ci en ce sens que le prénommé est condamné à une peine privative de liberté de deux ans, avec sursis durant deux ans. La cour cantonale a considéré que les éléments au dossier permettaient de retenir que X.__ avait alors bien utilisé son téléphone, sans qu’il soit besoin de mettre en œuvre une expertise visant à déterminer si un tel appareil était susceptible, sans intervention humaine, d’afficher la succession de pages concernées.

 

TF

L’art. 111 CP punit d’une peine privative de liberté de cinq ans au moins celui qui aura intentionnellement tué une personne. Selon l’art. 12 al. 2 CP, agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. L’auteur agit déjà avec intention, sous la forme du dol éventuel, lorsqu’il tient pour possible la réalisation de l’infraction et l’accepte pour le cas où celle-ci se produirait.

Déterminer ce qu’une personne a su, envisagé, voulu ou accepté relève du contenu de sa pensée, à savoir de faits « internes », partant, des constatations de fait (ATF 142 IV 137 consid. 12 p. 152; 141 IV 369 consid. 6.3 p. 375). Est en revanche une question de droit celle de savoir si l’autorité cantonale s’est fondée sur une juste conception de la notion de dol éventuel et si elle l’a correctement appliquée au vu des éléments retenus (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 p. 4 s.). Il y a dol éventuel lorsque l’auteur envisage le résultat dommageable et agit, même s’il ne le souhaite pas, parce qu’il s’en accommode pour le cas où il se produirait (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 p. 4). Parmi les éléments extérieurs permettant de conclure que l’auteur s’est accommodé du résultat dommageable pour le cas où il se produirait figurent notamment la probabilité, connue par l’auteur, de la réalisation du risque et l’importance de la violation du devoir de prudence. Plus celle-ci est grande, plus sera fondée la conclusion que l’auteur, malgré d’éventuelles dénégations, a accepté l’éventualité de la réalisation du résultat dommageable (ATF 138 V 74 consid. 8.4.1 p. 84; 135 IV 12 consid. 2.3.3 p. 18). Ainsi, le dol éventuel peut notamment être retenu lorsque la réalisation du résultat devait paraître suffisamment vraisemblable à l’auteur pour que son comportement ne puisse raisonnablement être interprété que comme une acceptation de ce risque (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3 p. 4; 133 IV 222 consid. 5.3 p. 226).

En cas d’accidents de la circulation routière ayant entraîné des lésions corporelles et la mort, le dol éventuel ne doit être admis qu’avec retenue, dans les cas flagrants pour lesquels il résulte de l’ensemble des circonstances que le conducteur s’est décidé en défaveur du bien juridiquement protégé. Par expérience, on sait que les conducteurs sont enclins, d’une part, à sous-estimer les dangers et, d’autre part, à surestimer leurs capacités, raison pour laquelle ils ne sont pas conscients, le cas échéant, de l’étendue du risque de réalisation de l’état de fait (ATF 133 IV 9 consid. 4.4 p. 20; arrêt 6B_987/2017 du 12 février 2018 consid. 3.1 et les références citées). En outre, par sa manière risquée de conduire, un conducteur peut devenir sa propre victime. C’est pourquoi, en cas de conduite dangereuse, par exemple en cas de manœuvre de dépassement téméraire, on admet en principe qu’un automobiliste, même s’il est conscient des conséquences possibles et qu’il y a été rendu formellement attentif, pourra naïvement envisager – souvent de façon irrationnelle – qu’aucun accident ne se produira. L’hypothèse selon laquelle le conducteur se serait décidé en défaveur du bien juridiquement protégé et n’envisagerait plus une issue positive au sens de la négligence consciente ne doit par conséquent pas être admise à la légère (ATF 130 IV 58 consid. 9.1.1 p. 64 s.; arrêt 6B_987/2017 précité consid. 3.1 et les références citées).

La cour cantonale a considéré qu’il était impossible de retenir que l’automobiliste se serait décidé en faveur d’une issue fatale, qu’il aurait envisagé le résultat de son acte comme possible et l’aurait accepté pour le cas où il se produirait. La faute commise était certes grave puisque l’intéressé avait circulé entre 07:14:33 et 07:16:37 en faisant usage de son téléphone portable, à une heure où la circulation pouvait être importante. L’automobiliste connaissait bien les lieux et le trajet qu’il empruntait quotidiennement depuis six années. La visibilité était bonne et le trafic dense mais fluide. La vitesse de son véhicule était plutôt lente au moment où l’automobiliste avait obliqué à gauche et le clignoteur avait été enclenché. L’intéressé avait en outre bien dû regarder devant lui pour savoir à quelle hauteur il convenait de bifurquer à gauche, de sorte qu’il n’avait pas circulé totalement « à l’aveugle ». L’inattention dont avait fait preuve l’automobiliste relevait donc de la négligence et il ne pouvait être retenu qu’une tournure fatale des événements devait s’imposer à ce dernier avec une vraisemblance telle que son comportement ne pouvait être raisonnablement interprété que comme l’acceptation de ce résultat.

Le raisonnement de la cour cantonale ne prête pas le flanc à la critique. Il ne ressort pas du jugement attaqué que l’automobiliste aurait conduit « quasiment à l’aveugle » durant le trajet ayant précédé l’accident, mais seulement qu’il a été distrait par l’utilisation de son téléphone portable et qu’il n’a pas aperçu G.__ car son attention n’était pas entièrement consacrée au trafic. Malgré cette distraction, l’automobiliste a réduit sa vitesse à 20 km/h en approchant de l’entreprise et a enclenché son indicateur de direction. Il a en outre observé le trafic – à tout le moins brièvement – et remarqué les voitures qui suivaient directement le scooter. Il n’apparaît donc pas que l’automobiliste aurait obliqué à gauche « à l’aveugle » (cf. arrêt 6B_411/2012 du 8 avril 2013), en laissant dépendre du hasard la survenance d’un usager de la circulation en sens inverse et une éventuelle collision. Ainsi, malgré le comportement négligent de l’automobiliste, on ne saurait considérer que la perspective d’une collision devait lui paraître suffisamment vraisemblable pour que la manœuvre de changement de direction litigieuse dût être interprétée comme une acceptation de ce risque.

En conséquence, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en refusant de condamner l’automobiliste pour meurtre par dol éventuel.

 

Le TF rejette le recours du ministère public (6B_259/2019) et celui de X.__ (6B_286/2019).

 

 

Arrêt 6B_259/2019+6B_286/2019 consultable ici

 

 

8C_510/2019 (d) du 03.12.2019 – Perfectionnement dans un autre domaine d’une assurée atteinte d’une infirmité congénitale – Rappel de la notion et des conditions – 16 al. 2 lit. c LAI – 8 al. 2bis LAI / Frais supplémentaires en raison de l’invalidité – 5bis RAI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_510/2019 (d) du 03.12.2019

 

NB : traduction personnelle ; seul le texte de l’arrêt original fait foi.

Consultable ici

 

Perfectionnement dans un autre domaine d’une assurée atteinte d’une infirmité congénitale – Rappel de la notion et des conditions / 16 al. 2 lit. c LAI – 8 al. 2bis LAI

Frais supplémentaires en raison de l’invalidité / 5bis RAI

 

Assurée, née en 1981, souffre d’une malformation vertébrale (infirmité congénitale n° 152) ainsi que de nombreuses maladies secondaires et complications. Depuis sa naissance, l’AI a octroyées diverses mesures médicales et aussi professionnelles ainsi que des moyens auxiliaires. L’assurée a suivi une formation professionnelle d’employé de commerce et une formation de spécialiste en assurances sociales avec un certificat fédéral. En outre, depuis le 01.08.2004, elle perçoit un quart de rente de l’assurance invalidité, qui a été portée à une demi-rente à compter du 01.04.2008.

Le 07.08.2017, l’assuré a informé l’office AI que son emploi chez B.________ prendrait fin le 31.08.2017 et qu’elle souhaitait commencer des études. Le 28.08.2017, elle a ensuite demandé une subvention pour couvrir les frais de réadaptation en tant qu’assistante sociale dans une Haute école spécialisée. L’office AI a rejeté tant la demande de recyclage que la demande de prise en charge des frais supplémentaires de formation dus à l’invalidité, étant donné que l’assurée n’avait pas dû renoncer à son emploi pour cause de maladie et qu’en outre le salaire escompté en tant qu’assistante sociale était inférieur à celui qu’elle aurait pu gagner dans son emploi précédent.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 07.06.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assuré fait valoir que l’assurance invalidité aurait dû indemniser les frais supplémentaires de sa formation continue en raison de son invalidité. Elle ne l’a toutefois pas expressément demandé devant le tribunal cantonal ; en vertu de l’art. 99 al. 2 LTF, les nouvelles demandes sont irrecevables devant le Tribunal fédéral. Toutefois, il n’y a pas de nouvelle requête dans ce sens si une partie demande moins devant le Tribunal fédéral qu’avant la dernière instance cantonale (voir également DORMANN, in: Basler Kommentar zum BGG, 3. Aufl. 2018, N 62 zu Art. 99 BGG). D’un point de vue formel, la demande de remboursement des frais supplémentaires de formation continue en raison d’une invalidité au sens de l’art. 16 al. 2 let. c LAI est une demande qui se distingue nettement de la demande de réadaptation au sens de l’art. 17 al. 1 LAI. Toutefois, si une demande au titre de l’art. 16 al. 2 let. c LAI est acceptée, il n’est pas tenu compte des coûts qui ne seraient pas également couverts par l’assurance invalidité si la reconversion professionnelle avait été approuvée au titre de l’art. 17 al. 1 LAI (voir également BUCHER, Leistungen der Invalidenversicherung im Rahmen der erstmaligen beruflichen Ausbildung, der Umschulung und der beruflichen Weiterausbildung, insbesondere für ein Universitätsstudium, in: Liber Amicorum für Dr. Martin Vonplon, 2009, p. 69 ss, p. 82 s.). Ainsi, il semblerait trop formaliste de ne pas faire droit à la conclusion subsidiaire de l’assuré en référence à l’art. 99 al. 2 LTF ; dans le cas présent, cette demande doit plutôt être considérée comme recevable.

Conformément à l’art. 16 al. 1 LAI, la personne assurée qui n’a pas encore eu d’activité lucrative et à qui sa formation professionnelle initiale occasionne, du fait de son invalidité, des frais beaucoup plus élevés qu’à un non-invalide a droit au remboursement de ses frais supplémentaires si la formation répond à ses aptitudes. Selon l’art. 16 al. 2 let. c LAI, est entre autres assimilé à la formation professionnelle initiale le perfectionnement dans le domaine professionnel de la personne assurée ou dans un autre domaine, pour autant qu’il soit approprié et convenable, et qu’il permette, selon toute vraisemblance, de maintenir ou d’améliorer la capacité de gain de ce dernier.

Conformément à l’art. 5bis al. 1 RAI, lors d’un perfectionnement professionnel, les frais supplémentaires supportés par l’assuré en raison de son invalidité sont pris en charge par l’assurance s’ils atteignent au moins de 400 francs par année. En application de l’art. 5bis al. 2 RAI, le montant des frais supplémentaires se calcule en comparant les frais supportés par la personne invalide avec ceux qu’une personne non atteinte dans sa santé devrait probablement assumer pour la même formation. En vertu de l’art. 5bis al. 3 RAI, font partie des frais reconnus par l’assurance, dans les limites de l’al. 2, les dépenses faites pour acquérir les connaissances et l’habileté nécessaires, les frais d’acquisition d’outils personnels et de vêtements professionnels, les frais de transport ainsi que les frais de logement et de nourriture hors domicile découlant de l’invalidité.

Conformément à l’art. 8 al. 2bis LAI et à l’art. 16 al. 2 let. c LAI, le droit aux prestations existe indépendamment du fait que les mesures de réadaptation soient nécessaires ou non pour maintenir ou améliorer leur capacité de gain ou leur capacité d’accomplir leurs travaux habituels.

Selon la jurisprudence, une formation continue peut également être dispensée si elle est axée sur un domaine de travail différent du précédent. En outre, les frais supplémentaires résultant de l’invalidité doivent désormais être également couverts par l’assurance invalidité si la personne invalide concernée est déjà suffisamment intégrée professionnellement, même sans cette formation complémentaire (cf. arrêt 9C_181/2009 du 3 novembre 2009consid. 2.2 et 5.4 avec référence au message législatif ; MURER, Handkommentar zum IVG, 2014, N 14 zu Art. 16 IVG). Le but de la formation continue n’est donc pas seulement de maintenir ou d’améliorer la capacité de gain ; le désir d’une activité plus intéressante ou plus variée peut également constituer une légitimation suffisante pour la formation continue au sens de la loi (cf. VALTERIO, Commentaire LAI, 2018, N 18 ad Art. 16 LAI ; cf. également le chiffre marginale 3019 CMRP [Circulaire sur les mesures de réadaptation d’ordre professionnel]).

Le tribunal cantonal et l’office AI ont rejeté une demande de remboursement des frais supplémentaires de formation continue au sens de l’art. 16 al. 2 let. c LAI, motif pris que cette formation n’était pas nécessaire en raison d’une invalidité et que l’assurée gagnerait probablement moins en tant qu’assistante sociale que dans son emploi précédent chez B.________. Ce faisant, ils ont refusé le droit en se fondant précisément sur les arguments (absence de nécessité liée à l’invalidité et absence de perspectives d’amélioration de la capacité de gain) qui, selon l’art. 8 al. 2bis LAI, ne peuvent plus être pris en compte dans l’évaluation pour ce type de prestations. Le droit à la formation continue ne dépend pas de ces aspects en particulier ; il faut plutôt examiner si la formation continue demandée est orientée vers une activité professionnelle (sur cette exigence, voir BUCHER, Eingliederungsrecht der Invalidenversicherung, 2011, N 670 ss), s’il s’agit d’un véritable cours menant à des examens finaux (voir SVR 2006 IV Nr. 49 p. 179, I 285/05 consid. 3.2.2) et si cette formation est adaptée et appropriée pour la personne assurée. En particulier, une décision ne peut être prise que lorsqu’il a été établi quels sont les coûts supplémentaires engendrés par cette formation continue en raison de l’invalidité.

Par conséquent, le recours doit être admis. La décision et le jugement du tribunal cantonal doivent être annulés dans la mesure où elles concernent une demande au sens de l’art. 16 al. 2 let. c LAI, et l’affaire doit être renvoyée à l’office AI pour qu’il clarifie les coûts supplémentaires spécifiques liés à l’invalidité qui découlent de la formation d’assistante sociale et pour qu’il prenne une nouvelle décision. On peut donc se demander à ce stade si un refus de prendre en charge les frais – comme le soulève l’assurée – serait au mieux contraire au droit constitutionnel et/ou au droit international.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_510/2019 consultable ici