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8C_600/2020 (f) du 03.05.2021 – Troubles psychiques – Causalité adéquate – 6 LAA / Classification de l’accident dans l’une des trois catégories – Rappel de la jurisprudence d’accidents ayant occasionné des lésions à la main / Pas d’octroi d’indemnités journalières pendant 3 à 5 mois après la stabilisation – 19 al. 1 LAA / Mise en œuvre d’une expertise pour connaître le côté dominant et le rendement

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_600/2020 (f) du 03.05.2021

 

Consultable ici

 

Troubles psychiques – Causalité adéquate / 6 LAA

Classification de l’accident dans l’une des trois catégories – Rappel de la jurisprudence d’accidents ayant occasionné des lésions à la main

Analyse des critères des difficultés apparues au cours de la guérison, du caractère particulièrement impressionnant de l’accident (avec rappel de la jurisprudence d’accidents ayant occasionné des lésions à la main) et du degré et de la durée de l’incapacité de travail

Pas d’octroi d’indemnités journalières pendant 3 à 5 mois après la stabilisation / 19 al. 1 LAA

Revenu d’invalide – Capacité de travail exigible – Mise en œuvre d’une expertise pour connaître le côté dominant et le rendement

 

Assuré, né en 1964, a travaillé dès mai 2016 à temps plein en tant qu’aide-monteur. Le 24.05.2016, il s’est blessé à la main gauche en coupant une charpente avec une meuleuse sur un chantier. Diagnostics initiaux : plaie délabrante de la face dorso-radiale du poignet gauche avec section du long extenseur du pouce, section du long extenseur radial du carpe et section de la branche sensitive du nerf radial, ainsi qu’une arthrotomie radio-carpienne. Des plaies superficielles de la paume de la main droite et de la cuisse gauche ont également été observées. Le jour même, il a subi une intervention chirurgicale sous la forme d’une révision des plaies de la main gauche avec sutures ECRL et EPL, suture nerveuse de la branche sensitive du nerf radial gauche et sutures cutanées de la cuisse gauche et de la paume de la main droite. En incapacité de travail à 100%, il a suivi un traitement médicamenteux à base essentiellement d’antalgiques et a bénéficié d’une prise en charge par une ergothérapeute.

En raison de douleurs, l’assuré a été soumis en octobre et décembre 2016 à de nouveaux examens échographiques et radiologiques du poignet gauche. Le diagnostic de rupture secondaire du tendon du long extenseur du pouce gauche et d’adhérences tendineuses du long extenseur radial du carpe a été posé et l’intéressé a été opéré une nouvelle fois le 18.01.2017 (transfert du tendon extenseur propre de l’index sur le long extenseur du pouce et une ténolyse du long extenseur radial du carpe).

Ensuite de cette seconde intervention chirurgicale, l’assuré a poursuivi son traitement médicamenteux et ergothérapique. A compter de mai 2017, il a bénéficié en sus d’un suivi psychologique au motif d’une péjoration de son état psychique depuis septembre 2016, due à la persistance de douleurs et à la perte importante des mouvements articulaires au niveau du poignet et de la main gauche. Un épisode dépressif sévère sans symptôme psychotique et un trouble de l’adaptation ont été diagnostiqués.

Dans un rapport du 01.03.2018, la médecin-conseil de l’assurance-accidents a estimé que l’état de santé de l’assuré était stabilisé et que sa capacité de travail dans son emploi d’aide-monteur était nulle. En revanche, il disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles de sa main gauche, qui prohibaient le port de charges de plus de 3 ou 4 kilos, le travail nécessitant la motricité fine de la main gauche, les mouvements répétitifs de la main gauche ainsi que les travaux sur des escaliers ou des échafaudages. La médecin-conseil a évalué le taux de l’IPAI à 5%. Par courrier du 02.03.2018, l’assurance-accidents a fait savoir à l’assuré que sa situation médicale était considérée comme stabilisée et qu’elle mettait fin au paiement des frais médicaux et de l’indemnité journalière au 30.04.2018.

Dans une appréciation neurologique du 08.10.2018 – qui ne prenait pas en considération le volet psychiatrique -, une spécialiste en chirurgie et un spécialiste en neurologie du centre de compétences de l’assurance-accidents ont constaté que les avis médicaux au dossier convergeaient en ce qui concernait l’incapacité de travail de l’assuré dans son activité d’aide-monteur et sa capacité de travail dans une activité adaptée. En sus du taux de 5% fixé par leur consœur pour le trouble sensitif du nerf radial gauche, ils ont estimé le taux de l’IPAI à 40% pour les seules limitations fonctionnelles de la main gauche, ce qui correspondait à la perte d’une main.

Par décision du 09.01.2019, confirmée sur opposition le 21.02.2019, l’assurance-accidents a refusé de répondre des troubles psychiques de l’assuré au motif qu’ils n’étaient pas en relation de causalité adéquate avec l’accident, le lien de causalité naturelle n’étant pas contesté. Retenant que l’intéressé était en mesure d’exercer à plein temps une activité adaptée ne nécessitant pas l’utilisation de la main gauche, elle a refusé de lui allouer une rente d’invalidité pour ses troubles physiques, en fixant le revenu d’invalide sur la base des chiffres du niveau de compétence 1 de l’ESS et en tenant compte d’un abattement de 20% en raison des limitations fonctionnelles de l’assuré. En revanche, celui-ci s’est vu octroyer une IPAI correspondant à un taux de 45%. L’assurance-accidents a encore précisé, dans sa décision sur opposition, qu’aucune indemnité journalière n’était due au-delà du 30.04.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2019 74 – consultable ici)

Par jugement du 19.08.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Troubles psychiques – Lien de causalité adéquate

Selon l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Du catalogue des prestations découlent notamment le droit au traitement médical (art. 10 LAA), le droit à une indemnité journalière (art. 16 et 17 LAA), le droit à une rente d’invalidité (art. 18 ss LAA) ainsi que le droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (art. 24 et 25 LAA).

Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438; 129 V 177 consid. 3.1 p. 181). Le droit à des prestations de l’assurance-accidents suppose en outre l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’accident et l’atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 129 V 177 précité consid. 3.2 p. 181; 402 consid. 2.2 p. 405; 125 V 456 consid. 5a p. 461 s. et les références).

En présence de troubles psychiques consécutifs à un accident, la jurisprudence a dégagé des critères objectifs qui permettent de juger du caractère adéquat du lien de causalité. Elle a tout d’abord classé les accidents en trois catégories, en fonction de leur déroulement: les accidents insignifiants ou de peu de gravité, les accidents de gravité moyenne et les accidents graves. En présence d’un accident de gravité moyenne, il faut prendre en considération un certain nombre de critères, dont les plus importants sont les suivants (cf. ATF 129 V 402 consid. 4.4.1 p. 407; 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140; 403 consid. 5c/aa p. 409) :

  • les circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident;
  • la gravité ou la nature particulière des lésions physiques, compte tenu notamment du fait qu’elles sont propres, selon l’expérience, à entraîner des troubles psychiques;
  • la durée anormalement longue du traitement médical;
  • les douleurs physiques persistantes;
  • les erreurs dans le traitement médical entraînant une aggravation notable des séquelles de l’accident;
  • les difficultés apparues au cours de la guérison et des complications importantes;
  • le degré et la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques.

Tous ces critères ne doivent pas être réunis pour que la causalité adéquate soit admise (ATF 129 V 402 consid. 4.4.1 précité p. 408; 115 V 133 précité consid. 6c/bb p. 140). De manière générale, lorsque l’on se trouve en présence d’un accident de gravité moyenne, il faut un cumul de trois critères sur les sept, ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante (arrêt 8C_663/2019 du 9 juin 2020 consid. 3.2 et les références). Par ailleurs, un seul critère peut être suffisant pour admettre l’existence d’une relation de causalité adéquate lorsque l’accident considéré apparaît comme l’un des plus graves de la catégorie intermédiaire, à la limite de la catégorie des accidents graves (ATF 115 V 133 consid. 6c/bb précité p. 140 s.).

 

Classification de l’accident dans l’une des trois catégories

Selon la jurisprudence, pour procéder à la classification de l’accident dans l’une des trois catégories prévues par la jurisprudence, il faut uniquement se fonder, d’un point de vue objectif, sur l’événement accidentel lui-même. Sont déterminantes les forces générées par l’accident et non pas les conséquences qui en résultent. La gravité des lésions subies – qui constitue l’un des critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité – ne doit être prise en considération à ce stade de l’examen que dans la mesure où elle donne une indication sur les forces en jeu lors de l’accident (arrêts 8C_663/2019 du 9 juin 2020 consid. 4.3.2; 8C_567/2017 du 102.03.2018 consid. 5.1 et les références).

Dans la pratique, ont été classés parmi les accidents de gravité moyenne à la limite supérieure les accidents ayant occasionné les lésions de la main suivantes: l’amputation totale du pouce, de l’index, du majeur et de l’auriculaire, et partielle de l’annulaire chez un menuisier dont la main droite s’était trouvée coincée dans une toupie (arrêt U 233/95 du 13 juin 1996 consid. 3), ainsi que l’amputation du petit doigt, de la moitié de l’annulaire et des deux-tiers de l’index chez un aide-scieur dont la main gauche avait été blessée par une fraiseuse (arrêt U 280/97 du 23 mars 1999 consid. 2b).

En revanche, n’ont pas été jugés comme étant de gravité moyenne à la limite supérieure l’accident subi par un scieur dont la main gauche avait été prise dans la chaîne d’une machine avec pour résultat une amputation de l’auriculaire, un annulaire douloureux et une atrophie des autres doigts (arrêt U 5/94 du 14 novembre 1996 consid. 2b), de même que celui dont a été victime un aide-serrurier avec une machine à scier entraînant l’amputation des extrémités de deux doigts à la main droite et de trois doigts à la main gauche (arrêt U 185/96 du 17 décembre 1996 consid. 2b) ou encore l’accident ayant causé un raccourcissement du pouce phalangien d’un demi-centimètre et un index hypoesthésique (arrêt U 25/99 du 22 novembre 2001 consid. 4c). Il en est allé de même de l’accident subi par un assuré dont la main droite avait été entraînée dans une ébavureuse avec pour résultat une mutilation de la face dorsale des doigts longs de la main droite (arrêt 8C_175/2010 du 14 février 2011 consid. 4.4), de celui dont a été victime un menuisier en se coupant avec une fraiseuse avec pour conséquence des blessures à certains doigts, en particulier une amputation partielle de l’un d’eux (arrêt 8C_77/2009 du 4 juin 2009 consid. 4.1), de celui ayant occasionné des sections des tendons fléchisseurs et des nerfs collatéraux de l’index et du majeur gauches à un travailleur blessé par une perceuse (arrêt 8C_566/2019 du 27 novembre 2020 consid. 7), ainsi que de celui subi par une employée de nettoyage qui avait reçu sur le poignet droit une meuleuse à disque qu’un ouvrier avait laissé échapper du deuxième étage, avec pour résultat un oedème face dorsale et une dermabrasion de la main droite (arrêt 8C_613/2019 du 17 septembre 2020 consid. 7).

En l’espèce, l’assuré s’est blessé à la main gauche avec une meuleuse alors qu’il coupait une charpente, ce qui a entraîné une plaie délabrante de la face dorso-radiale du poignet gauche avec section du long extenseur du pouce, section du long extenseur radial du carpe et section de la branche sensitive du nerf radial, ainsi qu’une arthrotomie radio-carpienne. Malgré d’importantes limitations fonctionnelles, sa main demeure entière, de sorte que son accident n’est pas assimilable à un accident dont les forces qu’il génère aboutissent à une amputation. Au vu de la casuistique présentée ci-dessus, on doit retenir que les forces mises sur la main gauche de l’assuré au moment de l’accident étaient d’importance moyenne. L’appréciation des juges cantonaux concernant la qualification de l’accident, à savoir de gravité moyenne stricto sensu, peut donc être confirmée. Il faut ainsi un cumul de trois critères sur les sept dégagés par la jurisprudence, ou que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante, pour admettre le lien de causalité adéquate entre l’accident subi par l’assuré et ses troubles psychiques.

 

Le critère des douleurs physiques persistantes a été admis par l’assurance-accidents ainsi que par la cour cantonale, sans qu’il se soit pour autant manifesté de manière particulièrement marquante, et il n’y pas lieu de s’écarter de cette appréciation.

 

Critère des difficultés apparues au cours de la guérison et des complications importantes

En ce qui concerne l’existence de difficultés apparues au cours de la guérison et les complications importantes, il convient de préciser que ces deux aspects ne doivent pas être remplis de manière cumulative. Il doit toutefois exister des motifs particuliers ayant entravé la guérison, et ce même s’il n’a pas été possible de supprimer les douleurs de l’intéressé, ni même de rétablir une capacité de travail entière (arrêts 8C_613/2019 précité consid. 6.4.3; 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.2.5 et les références). La prise de nombreux médicaments et la poursuite de diverses thérapies ne suffisent pas à admettre le critère en cause (arrêt 8C_1020/2008 du 8 avril 2009 consid. 5.7 et les références).

En l’occurrence, l’assuré a subi le jour même de son accident une première intervention chirurgicale, qui s’est déroulée sans complications. Une seconde opération s’est toutefois avérée nécessaire quelques mois plus tard, en raison d’une gêne et de douleurs en lien avec un diagnostic de rupture secondaire du tendon du long extenseur du pouce gauche et d’adhérences tendineuses du long extenseur radial du carpe. Cette seconde intervention s’est également bien déroulée, sans pour autant faire disparaître les douleurs ressenties par l’assuré. Au vu de la complexité de ses blessures au membre supérieur gauche, le fait qu’il ait dû se soumettre à une seconde opération – laquelle s’est déroulée comme la première sans complications – n’apparaît pas suffisant pour admettre l’apparition de difficultés en cours de guérison ou de complications importantes. La persistance des douleurs et la poursuite de certaines thérapies, comme celle par blocs stellaires, ne suffisent pas non plus. A titre de comparaison, le critère litigieux a été nié dans un cas où la reconstruction du dos de la main d’un assuré avait nécessité cinq interventions chirurgicales (cf. arrêt 8C_175/2010 précité consid. 5.4 in fine). Le moment auquel l’assuré était apte à reprendre une activité professionnelle adaptée à ses limitations fonctionnelles, qui serait selon lui litigieux, n’est pas non plus déterminant au vu de la jurisprudence précitée. Le critère en cause doit ainsi être nié.

 

Critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident

S’agissant du critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident, la raison pour laquelle la jurisprudence a adopté ce critère repose sur l’idée que de telles circonstances sont propres à déclencher chez la personne qui les vit des processus psychiques pouvant conduire ultérieurement au développement d’une affection psychique. C’est le déroulement de l’accident dans son ensemble qu’il faut prendre en considération. L’examen se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances d’espèce et non en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse. Il faut en effet observer qu’à tout accident de gravité moyenne est associé un certain caractère impressionnant, lequel ne suffit pas pour admettre l’existence du critère en question (arrêt 8C_613/2019 précité consid. 6.4.1 et les références).

Le caractère impressionnant de l’accident a été admis dans des cas de blessures à la main par des machines ayant occasionné des amputations ou des mutilations. Il en fut ainsi dans le cas d’un travailleur dont la main avait été entraînée dans une ébavureuse avec pour résultat une mutilation de la face dorsale des doigts longs de la main droite (arrêt 8C_175/2010 précité consid. 5.2), ainsi que dans celui d’un aide-scieur dont la main gauche avait été blessée par une fraiseuse avec comme conséquence l’amputation du petit doigt, de la moitié de l’annulaire et des deux-tiers de l’index (arrêt U 280/97 précité consid. 2b/bb). Tel a aussi été le cas s’agissant d’un menuisier dont la main droite s’était trouvée coincée dans une toupie et qui avait subi une amputation totale du pouce, de l’index, du majeur et de l’auriculaire, et partielle de l’annulaire (arrêt U 233/95 précité consid. 3c), ou encore d’un menuisier s’étant coupé avec une fraiseuse avec pour résultat des blessures à certains doigts, en particulier une amputation partielle de l’un d’eux (arrêt 8C_77/2009 précité consid. 4.2.1).

Le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident n’a en revanche pas été retenu dans d’autres cas de blessures à la main par des machines ayant pour certaines entraîné des amputations. Il s’agissait notamment d’un scieur dont la main gauche avait été prise dans la chaîne d’une machine avec pour résultat une amputation de l’auriculaire, un annulaire douloureux et une atrophie des autres doigts (arrêt U 5/94 précité consid. 2b/aa et bb), ainsi que d’un aide-serrurier dont la blessure avec une machine à scier avait entraîné l’amputation des extrémités de deux doigts à la main droite et de trois doigts à la main gauche (arrêt U 185/96 du 17 décembre 1996 consid. 2b). Il en est allé de même dans le cas d’un travailleur victime de multiples lésions à une main après un accident avec une fraiseuse à bois (arrêt U 19/06 du 18 octobre 2006 consid. 4.1), et dans celui d’un machiniste dont la main gauche avait été sérieusement blessée après avoir été entraînée dans un appareil de laminage, l’intéressé ayant évité une atteinte à l’entier de son bras après avoir pu éteindre l’appareil de sa main droite (arrêt U 82/00 du 22 avril 2002 consid. 3.2.1).

En l’espèce, les blessures subies par l’assuré n’ont entraîné aucune amputation, même si les limitations fonctionnelles de sa main gauche – décrite par les médecins du centre de compétences de l’assurance-accidents comme une main auxiliaire passive – sont importantes. En outre, bien que l’on puisse reconnaître que l’accident ait eu un caractère impressionnant voire angoissant pour l’assuré, il ne ressort pas du dossier que sa vie aurait été en danger. Les circonstances de l’accident, marqué selon lui par des saignements abondants, de vives douleurs et une hospitalisation immédiate en raison d’un délabrement important des plaies, ne permettent pas non plus de retenir la réalisation du critère litigieux, de telles manifestations ne sortant pas de l’ordinaire en cas d’accident du type de celui vécu par l’assuré. Ce critère doit donc également être nié.

 

Critère du degré et de la durée de l’incapacité de travail

En ce qui concerne le critère du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques, il doit se rapporter aux seules lésions physiques et ne se mesure pas uniquement au regard de la profession antérieurement exercée par l’assuré. Ainsi, il n’est pas rempli lorsque l’assuré est apte, même après un certain laps de temps, à exercer à plein temps une activité adaptée aux séquelles accidentelles qu’il présente (arrêt 8C_209/2020 du 18 janvier 2021 consid. 5.2.2 et la référence). Ce critère est en principe admis en cas d’incapacité totale de travail de près de trois ans (arrêt 8C_547/2020 du 1er mars 2021 consid. 5.1 et les références).

En l’espèce, l’assuré ne conteste pas avoir été apte, après un certain temps, à exercer une activité de substitution adaptée à ses limitations fonctionnelles. La durée de l’incapacité due aux lésions physiques dont il se prévaut, à savoir 21 mois, n’est pas suffisamment longue pour admettre le critère en cause.

 

Le point de savoir si le critère de la gravité ou de la nature particulière des lésions physiques est satisfait peut rester indécis, dès lors que son éventuelle admission ne conduirait qu’à la reconnaissance de deux critères sur sept, ce qui est insuffisant en l’espèce pour admettre le lien de causalité adéquate entre l’événement dommageable et les troubles psychiques, étant entendu que l’assuré ne prétend pas que le critère en question se serait manifesté de manière particulièrement marquante.

 

Par conséquent, c’est à bon droit que la cour cantonale a nié le lien de causalité adéquate entre l’accident du 24.05.2016 et les troubles psychiques de l’assuré.

 

Pas d’octroi d’indemnités journalières pendant 3 à 5 mois après la stabilisation

L’assuré soutient ensuite que les juges cantonaux auraient refusé à tort de lui octroyer un délai de trois à cinq mois, à partir de la stabilisation de son état de santé fixée au 30.04.2018, pour lui permettre de se réadapter à une nouvelle profession tout en continuant de bénéficier des prestations de l’assurance-accidents.

Pour dénier le droit de l’assuré à des indemnités journalières et à la prise en charge de ses traitements médicaux au-delà du 30.04.2018, l’instance cantonale s’est référée à juste titre à un arrêt récent du Tribunal fédéral, qui rappelle que la jurisprudence développée en relation avec l’obligation de diminuer le dommage en cas d’atteinte à la santé (exprimé à l’art. 6, deuxième phrase, LPGA par l’exigibilité d’une activité de substitution en cas d’incapacité de travail durable), ne concerne que l’indemnité journalière et n’est pas transposable au domaine des rentes, pour lesquelles le droit prend naissance selon d’autres conditions prévues par les lois spéciales, soit en assurance-accidents l’art. 19 LAA (arrêt 8C_310/2019 du 14 avril 2020 consid. 6.1.2 et les références). L’assuré – qui ne conteste pas que la stabilisation de son état de santé a été fixée en vertu de l’art. 19 al. 1 LAA – ne fournit pas d’arguments convaincants susceptibles de remettre en cause la jurisprudence du Tribunal fédéral encore récemment confirmée. En particulier, contrairement à ce qu’il avance, ladite jurisprudence n’entre pas en contradiction avec d’autres arrêts qu’il cite (8C_876/2013 et 8C_251/2012), lesquels ne concernaient pas le domaine des rentes, mais portaient uniquement sur le versement des indemnités journalières. Par ailleurs, il n’est pas contesté, contrairement à ce que semble croire l’assuré, que l’art. 6, deuxième phrase, LPGA est applicable à l’assurance-accidents. Son grief tombe ainsi à faux.

 

Rente d’invalidité – Capacité de travail exigible

En lien avec l’octroi d’une rente d’invalidité en raison des atteintes à sa santé physique, l’assuré prétend que contrairement à ce qui a été retenu par la juridiction cantonale, sa main dominante serait la gauche, à savoir celle touchée lors de l’accident du 24.05.2016. En cas de doute, une expertise aurait à tout le moins dû être mise en œuvre pour déterminer le côté dominant.

Il résulte que l’incertitude demeure quant au côté dominant de l’assuré et que les médecins s’étant déterminés sur sa capacité de travail dans une activité adaptée se sont prononcés sans que cette incertitude ait été levée. De surcroît, aucune investigation médicale n’a été menée pour éclaircir cette question, qui peut pourtant s’avérer pertinente pour l’examen du droit à une rente d’invalidité, en particulier sur la question du rendement exigible. Dans ces conditions, il apparaît nécessaire d’ordonner une expertise médicale en vue de trancher la question du côté dominant de l’assuré. Il s’agit d’un premier motif de renvoi de la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision sur le droit à la rente d’invalidité.

L’assuré se plaint en outre du fait que les juges cantonaux ont écarté une diminution de rendement de 30% dans une activité adaptée, malgré l’appréciation en ce sens de la chirurgienne de la seconde opération. L’avis de la médecin-conseil, qui a retenu un rendement entier, ne serait pas partagé par les médecins du centre de compétences de l’assurance-accidents, lesquels ne se seraient pas déterminés sur la question du rendement. Au demeurant, ces derniers n’auraient pas rendu leur rapport en connaissance de cause, dès lors qu’ils n’auraient pas cherché à savoir si la main accidentée était ou non la main dominante. Les conclusions de la chirurgienne de la seconde opération seraient par ailleurs motivées et convaincantes; elle aurait expliqué que la diminution de rendement de 30% avait pour fondement le fait que la main encore valide était non dominante. Enfin, cette doctoresse ne serait pas le médecin traitant de l’assuré, mais une chirurgienne opérateur de l’Hôpital D.__.

Force est de constater que la médecin-conseil et la chirurgienne de la seconde opération ont des avis divergents concernant le rendement exigible de l’assuré dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. La médecin-conseil a conclu à un rendement entier sans que l’incertitude concernant la main dominante ait été levée et sans trancher cette question. Quant à la chirurgienne, qui a participé à la seconde opération du 18.01.2017 en qualité d’opérateur, elle a effectivement motivé la diminution de rendement retenue de 30% par le fait que la main droite valide serait non dominante. Au vu de ces avis divergents, émis de surcroît sans aucune certitude quant au côté dominant, une expertise médicale apparaît également nécessaire pour fixer le rendement exigible de l’assuré dans une activité de substitution. C’est un second motif de renvoi de la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré, annulant le jugement cantonal et la décision sur opposition en tant qu’elle porte sur le refus d’octroi d’une rente d’invalidité. La cause est renvoyée à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire sous la forme d’une expertise médicale concernant la main dominante de l’assuré et son rendement dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles puis pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_600/2020 consultable ici

 

 

9C_789/2020 (f) du 19.04.2021 – Lésion dentaire – Notion d’accident – Facteur extérieur de caractère extraordinaire – 4 LPGA / Se faire heurter le bas du visage par son petit-fils de deux ans en l’installant dans la voiture est un accident / Adéquation du traitement pour restaurer la capacité de mastication – Critère de l’économicité des prestations – 31 LAMal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_789/2020 (f) du 19.04.2021

 

Consultable ici

 

Lésion dentaire – Notion d’accident – Facteur extérieur de caractère extraordinaire / 4 LPGA

Se faire heurter le bas du visage par son petit-fils de deux ans en l’installant dans la voiture est un accident

Adéquation du traitement pour restaurer la capacité de mastication – Critère de l’économicité des prestations / 31 LAMal

 

A.__, née en 1954, est assurée en assurance-maladie obligatoire des soins. Le 15.09.2018, alors qu’elle installait son petit-fils de deux ans dans la voiture, l’assurée s’est penchée en avant en même temps que l’enfant et a heurté son front avec le bas de son visage. Consultée le 20.09.2018, la dentiste traitante a constaté une fracture de couronne avec lésion de la pulpe des dents 31 et 41 et procédé à un traitement d’urgence. Le même jour, l’assurée a envoyé une déclaration d’accidents à la caisse-maladie.

Le 20.11.2018, la caisse-maladie a octroyé une garantie de paiement pour le traitement dentaire occasionné par l’événement du 15.09.2018, conformément au devis établi, selon lequel l’extraction des dents 31 et 41 et la pose de deux implants étaient prévues, pour un montant estimé à 8299 fr. 30. Un devis complémentaire portant sur une augmentation osseuse au niveau des dents 31 et 41 avant implantations, dont les coûts étaient estimés à 1175 fr. 40, a ensuite été soumis à la caisse-maladie pour approbation.

Par décision du 12.08.2019, confirmée sur opposition, la caisse-maladie a refusé de prendre en charge les coûts liés à la pose d’implants. En bref, elle a considéré que le traitement envisagé ne répondait plus au critère de l’économicité étant donné qu’une augmentation osseuse constituait un préalable nécessaire à la pose des implants. Elle a également expliqué que comme le fournisseur de prestations faisait dépendre le traitement projeté d’une nouvelle intervention, il était légitime de réexaminer l’entier du traitement sous l’angle de l’art. 32 LAMal, et qu’elle prendrait en charge les coûts de ponts collés, traitement qui constituait selon elle une alternative plus économique. Dans la décision sur opposition, la caisse-maladie a par ailleurs nié que l’événement du 15.09.2018 pût être constitutif d’un accident, à défaut de cause extérieure.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 306 – consultable ici)

La juridiction cantonale a admis qu’il s’agissait d’un accident, dès lors que la lésion avait été provoquée par le heurt du bas du visage de l’assurée contre la tête de l’enfant qui s’était penché au même moment et dans la même direction qu’elle. Les juges cantonaux ont ensuite constaté que le traitement proposé par la caisse-maladie, soit la confection d’un pont collé, ne constituait pas une solution définitive et ne répondait donc pas au critère d’adéquation. A défaut d’alternative thérapeutique appropriée, la juridiction cantonale a considéré que l’augmentation osseuse suivie d’une pose d’implants selon les devis était conforme au critère d’économicité. Aussi a-t-elle admis l’obligation de la caisse-maladie de prendre en charge les coûts du traitement dentaire sollicité par l’assurée.

Par jugement du 10.11.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision sur opposition. La juridiction cantonale a condamné la caisse-maladie à prendre en charge les frais relatifs à une augmentation osseuse suivie de la pose d’implants selon les devis établis en conformité avec les tarifs en vigueur.

 

TF

Notion d’accident

L’argumentation de la caisse-maladie selon laquelle le fait que la lésion dentaire est survenue dans le cadre d’un « quotidien banal », alors que l’assurée installait son petit-fils dans sa voiture, soit une « opération réfléchie et prévisible » qui s’inscrit dans « les activités normales de tous les grands-parents s’occupant à l’occasion de leurs petits-enfants » et qui s’accompagne du risque prévisible que « les deux têtes, de l’adulte et de l’enfant, rentrent en contact », n’est pas fondée. Comme le relève à juste titre l’assurée, de nombreux accidents peuvent survenir à l’occasion d’activités qui font partie de la vie quotidienne, comme il en va, par exemple, lorsqu’une personne chute dans les escaliers. Selon l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort. Le facteur extérieur extraordinaire à l’origine de l’atteinte à la santé ne réside pas dans l’activité effectuée, mais bien dans la chute, respectivement, comme en l’espèce, dans le choc entre la tête de l’assurée et celle de son petit-fils. Selon la jurisprudence, lors d’un mouvement corporel, l’exigence d’une incidence extérieure est en principe remplie lorsque le déroulement naturel du mouvement est influencé par un phénomène extérieur (« mouvement non programmé »). Dans le cas d’un tel mouvement, l’existence du facteur extérieur extraordinaire doit être admise, car le facteur extérieur – l’interaction entre le corps et l’environnement – constitue en même temps le facteur extraordinaire en raison de l’interruption du déroulement naturel du mouvement. Le caractère extraordinaire peut ainsi être admis, notamment, lorsque l’assuré s’encouble ou se heurte à un objet (ATF 130 V 117 consid. 2.1 p. 118 et les arrêts cités; arrêt U 220/05 du 22 mai 2006 consid. 3.3 et les arrêts cités).

La juridiction cantonale n’a pas constaté arbitrairement que le heurt entre le front de l’enfant et le bas du visage de l’assurée, qui a occasionné la lésion dentaire, était survenu parce que l’enfant s’était penché en avant en même temps que sa grand-mère. A la lecture de la déclaration d’accident du 20.09.2018, remplie en allemand, on constate que l’enfant a bien effectué un mouvement vers l’avant en même temps que l’assurée (« beugten wir beide gleichzeitig nach vorne »). Le fait que le petit-fils de l’assurée ait ou non effectué un mouvement n’est du reste pas décisif pour déterminer si l’événement du 15.09.2018 répond à la définition juridique de l’accident. Selon la jurisprudence, la cause extérieure extraordinaire nécessaire pour pouvoir qualifier une atteinte à la santé d’accident peut résider dans un mouvement corporel qui est perturbé par un choc contre un objet qui n’est pas lui-même en mouvement. Ainsi, le Tribunal fédéral a par exemple jugé que l’assuré qui se cogne la tête contre un panneau d’information et subit de ce fait une lésion dentaire est victime d’un accident au sens juridique du terme, sans qu’il soit nécessaire de déterminer si le choc est survenu parce que l’assuré a, au préalable, trébuché ou été poussé (arrêt 9C_776/2012 du 8 janvier 2013 consid. 5.2 et les arrêts cités).

 

Les juges cantonaux n’ont pas considéré que l’avis du dentiste traitant l’emportait sur celui du médecin-dentiste conseil de la caisse-maladie. Il ressort à cet égard des constatations cantonales que bien qu’ayant été formellement invitée par la juridiction de première instance à déposer une éventuelle prise de position écrite de son dentiste consultant, la caisse-maladie n’a pas versé la pièce requise au dossier. La caisse-maladie ne le conteste du reste pas puisqu’elle indique qu’il ne pouvait pas être attendu d’elle qu’elle « sollicite sérieusement » un nouvel avis de son médecin-dentiste conseil. Quoi qu’en dise la caisse-maladie à cet égard, le seul avis médical au dossier est celui du docteur D.__, médecin-dentiste spécialiste en chirurgie orale et dentiste traitant. Tout au plus, dans le cadre de la procédure administrative, la caisse-maladie s’est référée à un avis de son dentiste-conseil antérieur à celui du docteur D.__, qui ne figure pas au dossier. Dans une correspondance du 05.06.2019, la caisse-maladie avait en effet informé l’assurée de son refus de prendre en charge les coûts du traitement sollicité, en indiquant qu’après avoir soumis le dossier à son dentiste consultant, ledit traitement ne répondait plus aux critères d’économicité au vu de la nécessité d’effectuer une augmentation osseuse préalablement à la pose d’implants, sans étayer davantage son point de vue.

 

En ce qu’elle allègue ensuite que la dentition de l’assurée aurait, avant l’accident, déjà fait l’objet de plusieurs traitements et devait encore faire l’objet de plusieurs traitements, et qu’une solution au moyen d’un pont adhésif ou d’une prothèse partielle avec deux éléments dentaires serait tout aussi efficace et rapide, mais nettement plus économique pour restaurer la capacité de mastication que la pose d’implants, la caisse-maladie ne remet pas en cause de manière convaincante les conclusions du dentiste traitant, qui ont été suivies par les juges cantonaux. D’une part, la caisse-maladie développe son argumentation en se référant à l’opinion émise par son médecin-dentiste conseil antérieurement à l’avis du docteur D.__ du 26.06.2019, sans produire cette pièce. D’autre part, le docteur D.__ a expliqué que le traitement proposé par la caisse-maladie, soit la confection d’un pont collé, ne constituait pas une alternative thérapeutique, étant donné que la durée moyenne d’une telle réhabilitation était de cinq ans et qu’il ne s’agissait donc pas d’une solution définitive. Dans son courrier du 26.06.2019, le dentiste traitant a également indiqué que si un devis complémentaire avait été soumis à la caisse-maladie le 15.05.2019, c’est en raison du fait que la perte de la densité osseuse en tant que suite de l’accident ne pouvait être quantifiée avant l’extraction des dents endommagées (qui a eu lieu le 14.12.2018) et la cicatrisation des plaies. La caisse-maladie ne peut donc pas être suivie lorsqu’elle affirme de manière péremptoire que le docteur D.__ n’aurait pas expliqué pourquoi ce n’est qu’après près de six mois qu’il a considéré qu’un nouveau traitement, sous la forme d’une augmentation osseuse, était nécessaire. Elle ne saurait non plus reprocher à ce médecin de ne pas s’être prononcé sur l’état de la dentition de l’assurée avant l’accident, ni sur l’objectif et le caractère économique du traitement qu’il a préconisé, dès lors déjà qu’elle avait accordé, le 20.11.2018, une garantie de paiement pour le traitement dentaire ayant fait l’objet du devis établi le 18.10.2018 (extraction des dents 31 et 41 et pose de deux implants, pour un montant estimé à 8299 fr. 30). Dans la correspondance qu’elle avait adressée à l’assurée le 20.11.2018, la caisse-maladie avait en effet admis que ledit traitement constituait une prestation obligatoire dont elle était tenue de prendre en charge les coûts. Au vu de l’obligation des caisses-maladie de prendre en charge, au titre de l’assurance obligatoire des soins, les coûts des prestations définies aux art. 25 à 31 LAMal, en tenant compte des conditions des art. 32 à 34 LAMal (art. 24 al. 1 LAMal), il s’agissait donc d’un traitement adéquat pour restaurer la capacité de mastication et qui satisfaisait au critère de l’économicité des prestations.

La caisse-maladie aurait dû savoir qu’après le laps de temps nécessaire et obligatoire entre l’extraction des dents et la pose des implants, il était possible que la densité osseuse pût s’avérer insuffisante pour assurer la fixation de ceux-ci. A cet égard, on ajoutera que la caisse-maladie aurait à tout le moins dû solliciter des renseignements auprès de son dentiste consultant avant d’octroyer une garantie de paiement sans réserve le 20.11.2018. Dans ces circonstances, la juridiction cantonale a considéré que le principe de la confiance obligeait également la caisse-maladie à prendre en charge le traitement litigieux, ce d’autant plus que le devis complémentaire ne s’élevait qu’à environ 10 % du devis initial (1175 fr. 40). Quoi qu’il en soit, dans la mesure où l’avis du docteur D.__ selon lequel le traitement proposé par la caisse-maladie ne constituait pas une alternative thérapeutique adéquate, n’est pas contesté par une opinion médicale contraire, c’est à bon droit que la juridiction cantonale a admis que l’augmentation osseuse suivie de la pose d’implants ne pouvait pas être considérée comme non conforme au critère d’économicité.

En conclusion, si la caisse-maladie entendait contester l’avis du dentiste traitant, il lui eût appartenu de fournir un avis médical contraire, ce qu’elle n’a pas fait, malgré l’injonction de la juridiction cantonale. On rappellera à ce propos que la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA) ne dispense pas les parties de l’obligation d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi la partie concernée s’expose à devoir supporter les conséquences de l’absence de preuve (ATF 125 V 193 consid. 2 p. 195; 117 V 264 consid. 3b et les arrêts cités). En conséquence, les considérations des juges cantonaux, selon lesquelles la caisse-maladie doit prendre en charge les frais relatifs à l’augmentation osseuse suivie de la pose d’implants conformément aux devis des 18.10.2018 et 15.05.2019, doivent être confirmées.

 

Le TF rejette le recours de la caisse-maladie.

 

 

Arrêt 9C_789/2020 consultable ici

 

 

9C_430/2020 (f) du 17.03.2021 – Assurance-invalidité – Pas de violation de la maxime inquisitoire / Troubles somatoformes douloureux et absence de diagnostic émanant d’un expert-psychiatre / Hypothèse de douleurs neuropathiques

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2020 (f) du 17.03.2021

 

Consultable ici

 

Assurance-invalidité – Pas de violation de la maxime inquisitoire

Examen sous l’angle des indicateurs développés par la jurisprudence en matière de troubles somatoformes douloureux justifié uniquement si un tel diagnostic émanant d’un expert-psychiatre et s’appuyant lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu a été posé

Hypothèse de douleurs neuropathiques ne peut être corroborée par une référence à la doctrine médicale qui traite de cette symptomatologie en général

 

Assurée, née en 1968, agente d’exploitation à 60% et animatrice à 30%. Dépôt demande AI le 27.01.2016, invoquant des hernies discales.

L’office AI a confié un mandat d’expertise à un spécialiste en rhumatologie et en médecine interne. Dans son rapport du 28.06.2018, complété le 17.07.2018, puis confirmé le 13.06.2019, ce médecin a diagnostiqué, avec répercussion sur la capacité de travail, des lombopygialgies récurrentes sans signe radiculaire irritatif ou déficitaire. Il a attesté une capacité de travail de 70% dès avril 2016, respectivement de 75% dès janvier 2017 dans l’ancienne activité de femme de ménage ; la capacité de travail était entière dans une activité adaptée.

Appliquant la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, l’office AI a nié le droit à une rente et à des mesures d’ordre professionnel, compte tenu d’un taux d’invalidité global de 2% (pour la période antérieure au 01.01.2018) et de 10% (dès cette date).

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 234 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que le médecin-expert avait conclu à l’absence d’éléments organiques pouvant expliquer l’origine des douleurs de l’assurée. Cette dernière, dans ses objections au projet de décision, avait produit un rapport du professeur C.__, spécialiste en neurochirurgie, qui avait évoqué une micro-instabilité discale. Elle avait aussi invoqué l’avis de la doctoresse D.__, médecin traitant et spécialiste en traitement de la douleur, laquelle avait attesté que les traitements mis en place ne permettaient que partiellement de juguler les douleurs. En procédure de recours, la doctoresse D.__ avait demandé que le cas de sa patiente fût apprécié sur la base d’une grille d’évaluation structurée prévue par la jurisprudence, en raison de la présence de douleurs neuropathiques sans déficit organique objectivable.

Pour la juridiction cantonale, la situation de l’assurée ne relevait pas a priori de ce cas de figure, car l’origine des douleurs pouvait être rattachée à une hernie discale et aux interventions qui en découlaient. L’expertise rhumatologique avait permis d’écarter toute atteinte organique, mais l’évolution récente tendait à démontrer l’impossibilité d’expliquer objectivement les plaintes de l’assurée et un glissement progressif vers une pathologie de type somatoforme. Selon les juges cantonaux, un examen sous l’angle des indicateurs développés par la jurisprudence en matière de troubles somatoformes douloureux comme l’assurée l’avait requis n’était pas justifié, car un tel diagnostic émanant d’un expert-psychiatre et s’appuyant lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu n’avait pas été posé. La seule évocation d’une fatigue et d’une surcharge psychologique par la doctoresse D.__, non spécialisée en psychiatrie, n’était pas suffisante. De surcroît, l’assurée n’avait pas consulté un spécialiste en psychiatrie et ses médecins ne l’avaient pas non plus incitée à le faire, si bien que l’office AI était fondé à limiter son instruction aux volets rhumatologique et neurologique.

Se fondant en définitive sur les conclusions de l’expertise du docteur B.__, qui n’étaient pas contestées par l’assurée, les juges cantonaux ont confirmé l’étendue de la capacité de travail de l’assurée telle que retenue par l’office AI.

Par jugement du 18.05.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

La reconnaissance de l’existence d’une atteinte à la santé psychique, de troubles somatoformes douloureux persistants ou de fibromyalgie, suppose la présence d’un diagnostic émanant d’un expert psychiatre et s’appuyant lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu (ATF 141 V 281).

La violation de la maxime inquisitoire, telle qu’invoquée par l’assurée, est une question qui se confond et qui n’a pas de portée propre par rapport au grief tiré d’une mauvaise appréciation des preuves (cf. arrêts 9C_384/2019 du 1er octobre 2019 consid. 4.1; 8C_15/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.2, in SVR 2010 IV n° 42 p. 132). L’assureur ou le juge peut effectivement renoncer à accomplir certains actes d’instruction sans que cela n’entraîne une violation du devoir d’administrer les preuves nécessaires (art. 43 al. 1 et 61 let. c LPGA) s’il est convaincu, en se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352), que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation (sur l’appréciation anticipée des preuves en général, cf. ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 298 s. et les références). L’appréciation (anticipée) des preuves doit être arbitraire non seulement en ce qui concerne les motifs évoqués par la juridiction cantonale, mais également dans son résultat (cf. ATF 140 I 201 consid. 6.1 p. 205; cf. aussi arrêt 9C_839/2017 du 24 avril 2018 consid. 5.2).

En l’espèce, l’existence d’affections d’ordre psychique n’a pas été mise en évidence au cours de l’instruction de la demande de prestations. Le professeur C.__ et le médecin-expert n’ont pas fait état d’éléments susceptibles de rendre plausible l’existence d’une problématique psychique dans leurs rapports respectifs. Le médecin-expert s’est certes référé à une expertise psychiatrique (qui n’avait jamais été envisagée) dans le champ « constatations psychiatriques », mais n’a pas observé de signes relatifs à de telles affections. Il a par ailleurs conclu que le socle somatique ne permettait pas d’expliquer l’ampleur de la symptomatologie douloureuse et l’impotence fonctionnelle décrite par l’assurée, sans toutefois mentionner de composante d’ordre psychiatrique. Le seul fait, invoqué par l’assurée, que l’expert a retenu comme diagnostic sans répercussion sur la capacité de travail une diminution du seuil de déclenchement à la douleur en lien avec un syndrome polyinsertionnel douloureux récurrent de type fibromyalgie, ne justifie pas des investigations sur le plan psychiatrique.

De son côté, la doctoresse D.__ a déploré la prise en compte, par l’office AI, de critères uniquement radiologiques et physiques pour évaluer la situation de santé de sa patiente, en mentionnant trois références jurisprudentielles relatives à la procédure probatoire structurée qui doit être conduite en présence d’affections psychiques (cf. ATF 143 V 409, 143 V 418 et 141 V 585). A l’instar de ses confrères C.__ et B.__, elle n’a toutefois pas non plus attesté de signes allant dans le sens d’une problématique psychique. Par ailleurs, l’assurée n’a pas indiqué qu’elle aurait consulté un psychiatre ou que ses médecins lui auraient recommandé de le faire. Dans ces conditions, la renonciation à une instruction complémentaire sur le plan psychique n’apparaissait pas arbitraire.

 

Il en va de même en ce qui concerne une éventuelle investigation sur le plan neurologique. A cet égard, la doctoresse D.__ a certes indiqué que des douleurs neuropathiques ne pouvaient être objectivées qu’avec une bonne anamnèse et des échelles d’évaluation de la douleur et d’autres tests supplémentaires. Les douleurs de type neuropathique dont elle fait état chez sa patiente ne reposent en définitive que sur les affirmations de cette dernière (cf. rapport du 25 juillet 2019). A l’inverse de ce que voudrait l’assurée, l’hypothèse de telles douleurs dans sa situation ne peut être corroborée par une référence à la doctrine médicale qui traite de cette symptomatologie en général (BÉNÉDICTE VERDU / ISABELLE DECOSTERD, Douleurs neuropathiques: quelques pistes pour une évaluation structurée et une prise en charge spécifique et globale, Revue médicale suisse 2008 p. 1480 ss).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_430/2020 consultable ici

 

 

8C_331/2020 (f) du 04.03.2021 – Causalité naturelle – Seuil du degré de la vraisemblance prépondérante – la jurisprudence renonce à utiliser des taux de probabilité (+/-50%) – 6 LAA / Atteinte à l’épaule par deux accidents (assurés auprès de deux assureurs différents) et par des troubles dégénératifs

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_331/2020 (f) du 04.03.2021

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Seuil du degré de la vraisemblance prépondérante – la jurisprudence renonce à utiliser des taux de probabilité (+/-50%) / 6 LAA

Atteinte à l’épaule par deux accidents (assurés auprès de deux assureurs différents) et par des troubles dégénératifs

 

Assuré, né en 1961, commis de cuisine, victime d’un accident le 27.08.2012 : il est tombé sur un chemin caillouteux et s’est blessé à l’épaule droite. Cet accident s’est soldé par une déchirure transfixiante du tendon du sus-épineux, laquelle a été traitée par voie chirurgicale le 14.12.2012. Une incapacité de travail a été attestée depuis la date de l’opération jusqu’au 09.01.2013.

Alors qu’il travaillait toujours pour le compte du même employeur, lequel avait dorénavant assuré ses employés contre le risque d’accident auprès d’un autre assureur-accidents, l’assuré a glissé le 04.01.2018 sur la neige et s’est réceptionné sur son épaule droite. Le 28.06.2018, l’assuré a subi une arthroscopie de l’épaule droite.

Se fondant sur les conclusions du rapport d’expertise d’un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, du 19.12.2018, le second assureur-accidents a rendu le 10.01.2019 une décision par laquelle elle a mis un terme au versement des prestations avec effet au 31.05.2018, au motif que le statu quo sine était atteint. Au-delà de cette date, cette affaire ne relevait donc plus de sa compétence, mais de celle de la première assurance-accidents, laquelle était intervenue ensuite de l’accident du 27.08.2012. Cette décision a été confirmée le 04.12.2019 sur oppositions de l’assuré et de son assurance-maladie.

Le 15.01.2019, l’assuré a annoncé une rechute à la première assurance-accidents. Après avoir consulté son médecin-conseil, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, la première assurance-accidents a rendu le 12.03.2019 une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a refusé d’allouer des prestations d’assurance, au motif que les troubles annoncés n’étaient pas, au degré de la vraisemblance prépondérante, en relation de causalité avec l’accident du 27.08.2012.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/280/2020 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont retenu, sur la base de l’expertise médicale mise en œuvre par le second assureur-accidents, que les troubles à la santé de l’assuré dès le 01.06.2018 étaient en rapport de causalité naturelle avec l’événement du 27.08.2012 et qu’il appartenait dès lors à l’assurance-accidents de couvrir les suites de l’accident. Selon cet expert, l’accident du 04.01.2018 avait cessé de déployer ses effets cinq mois après sa survenance, soit le 31.05.2018, et au-delà de cette date, la symptomatologie qui perdurait était en lien de causalité naturelle avec l’événement du 27.08.2012 et les lésions dégénératives. Quant à l’avis médical du médecin-conseil, sur lequel se fondait l’assurance-accidents et selon lequel les troubles actuels étaient en lien de causalité seulement possible avec l’accident du 27.08.2012, la juridiction cantonale a considéré que ses conclusions n’emportaient pas la conviction.

Par jugement du 08.04.2020, admission du recours par le tribunal cantonal et réformation de la décision sur opposition en ce sens que l’assurance-accidents doit verser ses prestations en lien avec les troubles à l’épaule droite dès le 01.06.2018.

 

TF

Causalité naturelle – Seuil du degré de la vraisemblance prépondérante (consid. 5)

L’assurance-accidents ne saurait être suivie lorsqu’elle soutient, de manière générale, qu’un lien de causalité ne serait établi au degré de la vraisemblance prépondérante que lorsqu’il serait supérieur à un taux de probabilité de 50%. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, le seuil du degré de la vraisemblance prépondérante est atteint si les motifs de tenir une allégation pour exacte sont, d’un point de vue objectif, tellement impérieux que les autres possibilités hypothétiques n’entrent pas sérieusement en considération (ATF 140 III 610 consid. 4.1 p. 612 et les références citées). La simple possibilité d’un certain état de fait ne suffit pas pour remplir cette exigence de preuve (ATF 144 V 427 consid. 3.2 p. 429; 138 V 218 consid. 6 p. 221). Aussi, il sied de relever que la jurisprudence renonce à utiliser des taux de probabilité, contrairement à la doctrine, laquelle évoque pour la vraisemblance prépondérante un taux de probabilité sensiblement supérieur à 51% (arrêt 4A_424/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.1, destiné à la publication).

 

En l’espèce, le médecin-expert a retenu dans son rapport d’expertise que l’événement du 04.01.2018 avait entrainé une contusion simple de l’épaule droite. Quant à la reprise chirurgicale – non pas d’une nouvelle rupture, mais d’une tendinopathie correspondant à une cicatrisation incomplète du tendon du sus-épineux -, elle était en relation de causalité avec les suites de l’événement du 27.08.2012 et avec une tendinopathie dégénérative, telle qu’elle avait clairement été montrée du côté opposé. Par rapport à l’accident du 04.01.2018, l’expert a fixé un statu quo sine au 31.05.2018, soit à cinq mois de l’événement, date au-delà de laquelle la symptomatologie qui perdurait était en relation de causalité naturelle avec l’événement du 27.08.2012 et les lésions dégénératives. Il a en outre précisé qu’il n’était pas possible de déterminer la part relative de ces deux éléments dans le status opératoire du 28.06.2018. De façon subjective, faute de réels éléments probants entre le status cicatriciel du tendon lié à la rupture de 2012 et les facteurs dégénératifs, le médecin-expert a considéré que la part dégénérative était prédominante par rapport aux suites de l’événement de 2012 en raison de l’âge de l’assuré (plus de 55 ans), des facteurs de risque métabolique tels que l’hypercholestérolémie de longue date, de la très probable bilatéralité des lésions et d’une utilisation fonctionnelle peu douloureuse, voire indolente, durant près de cinq ans après cicatrisation. Invité à se prononcer sur le degré de la vraisemblance pour chaque diagnostic, l’expert a indiqué que la tendinopathie était en relation de causalité probable avec la cicatrisation de la suture chirurgicale en 2012 et hautement probable avec une pathologie dégénérative du tendon du sus-épineux.

S’il est vrai que pour admettre l’existence d’un lien de causalité naturelle, il suffit que la part traumatique, associée éventuellement à d’autres facteurs, ait provoqué l’atteinte à la santé, il n’en demeure pas moins que cette part traumatique doit être établie au degré de la vraisemblance prépondérante. Or le médecin-expert a précisément retenu qu’une relation de causalité entre la tendinopathie et l’accident du 27.08.2012 n’était que probable, ce qui ne suffit pas pour admettre l’existence d’un lien de causalité. Ses conclusions concordent en outre avec celles du médecin-conseil, lequel a confirmé dans son rapport que la part dégénérative était prédominante par rapport à une éventuelle séquelle traumatique, dont il estimait que le lien de causalité avec l’accident du 27.08.2012 n’était que possible.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_331/2020 consultable ici

 

 

Cour de justice de l’Union européenne Affaire C-913/19 – Litige transfrontalier entre un professionnel qui s’est vu transférer la créance d’une victime d’un accident de la circulation sur une entreprise d’assurances et cette entreprise : la Cour précise les règles de compétence juridictionnelle

Cour de justice de l’Union européenne Affaire C-913/19 – Arrêt du 20.05.2021

 

Communiqué de presse du 20.05.2021 consultable ici

Arrêt de la CJUE consultable ici

 

Le 28 février 2018, un accident de la route survenu en Pologne implique deux véhicules entrés en collision. La personne responsable de l’accident avait souscrit un contrat d’assurance de la responsabilité civile automobile auprès de Gefion Insurance A/S (ci-après « Gefion »), compagnie d’assurances ayant son siège au Danemark. Le 1er mars 2018, la personne lésée a loué un véhicule de remplacement auprès de l’atelier de réparation auquel son véhicule endommagé avait été confié. En règlement de cette prestation de location, cette personne a transféré à l’atelier de réparation la créance sur Gefion. Le 25 juin 2018, l’atelier de réparation a ensuite cédé cette même créance à CNP spółka z ograniczoną odpowiedzialnością.

Par lettre du 25 juin 2018, CNP a demandé à Gefion de lui verser le montant facturé pour la location du véhicule de remplacement.

Par lettre du 16 août 2018, Crawford Polska sp. z o.o., société établie en Pologne et chargée par Gefion du règlement du sinistre, a partiellement approuvé la facture relative à la location du véhicule de remplacement et accordé à CNP une partie du montant facturé pour cette location. Dans la partie finale de cette lettre, Crawford Polska a indiqué qu’une réclamation pouvait être introduite à son égard, en sa qualité d’organisme agréé par Gefion, ou directement à l’encontre de Gefion, « soit selon les règles de compétence générale, soit devant la juridiction du domicile ou du siège du preneur d’assurance, de l’assuré, du bénéficiaire ou de l’ayant droit en vertu du contrat d’assurance ».

Le 20 août 2018, CNP a assigné Gefion devant le Sąd Rejonowy w Białymstoku (tribunal d’arrondissement de Białystok, Pologne).

Le 11 décembre 2018, une injonction de payer a été émise par cette juridiction.

Gefion a formé opposition à l’injonction de payer en contestant la compétence des juridictions polonaises pour connaître du litige. Dans ce contexte, la juridiction polonaise a décidé de solliciter la Cour de justice quant à l’interprétation du règlement (UE) n° 1215/2012 sur la compétence judiciaire en matière civile et commerciale.

Par son arrêt de ce jour, la Cour examine, premièrement, la question de savoir si le droit de l’Union fait obstacle à ce que, en cas de litige entre, d’une part, un professionnel ayant acquis une créance initialement détenue par une personne lésée sur une entreprise d’assurances et, d’autre part, cette même entreprise d’assurances, la compétence juridictionnelle soit fondée, le cas échéant, de manière autonome, sur les dispositions de l’article 7 du règlement n° 1215/2012 en vertu desquelles sont compétents les tribunaux du lieu où le fait dommageable s’est produit (point 2) et ceux du lieu de situation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement d’une entreprise principale, pour des actions introduites contre cette dernière au titre d’activités impliquant la succursale, l’agence ou l’établissement (point 5) (article 7, points 2 et 5).

Elle rappelle à cet égard que la section 3 du chapitre II du règlement n° 1215/2012, intitulée « Compétence en matière d’assurances », établit un système autonome de répartition des compétences juridictionnelles en matière d’assurances. L’objectif de cette section est de protéger la partie la plus faible au contrat au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales, et qu’un tel objectif implique que l’application des règles de compétence spéciales prévues à cette section (prévues aux articles 10 à 16 du règlement no 1215/2012) ne soit pas étendue à des personnes pour lesquelles cette protection ne se justifie pas. Par ailleurs, si un cessionnaire des droits de la personne lésée, qui peut être lui-même considéré comme partie faible, doit pouvoir profiter des règles spéciales de compétence juridictionnelle (définies aux dispositions combinées de l’article 11, paragraphe 1, sous b), et de l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012), aucune protection spéciale ne se justifie dans les rapports entre des professionnels du secteur des assurances, dont aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre. En l’espèce, CNP a pour activité le recouvrement de créances auprès d’entreprises d’assurances. Cette circonstance, qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, fait obstacle à ce que cette société puisse être considérée comme étant une partie en position de faiblesse par rapport à la partie adverse, de sorte qu’elle ne saurait bénéficier des règles spéciales de compétence juridictionnelle.

Par conséquent, la section 3 du chapitre II du règlement no 1215/2012 ne s’applique pas en cas de litige entre, d’une part, un professionnel ayant acquis une créance détenue, à l’origine, par une personne lésée sur une entreprise d’assurances de responsabilité civile et, d’autre part, cette même entreprise d’assurances de responsabilité civile, de sorte qu’il n’y a pas d’obstacle à ce que la compétence juridictionnelle pour connaître d’un tel litige soit fondée, le cas échéant, sur l’article 7, point 2, ou sur l’article 7, point 5, de ce règlement.

Deuxièmement, la Cour poursuit en examinant si une société qui exerce, dans un État membre, en vertu d’un contrat conclu avec une entreprise d’assurances établie dans un autre État membre, au nom et pour le compte de cette dernière, une activité de liquidation de dommages dans le cadre de l’assurance de responsabilité civile automobile doit être considérée comme étant une succursale, une agence ou tout autre établissement, au sens de l’article 7, point 5, du règlement n° 1215/2012. Elle relève à cet égard que la règle de compétence spéciale prévue par cette disposition est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions qui peuvent être appelées à en connaître, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès.

La Cour rappelle que deux critères permettent de déterminer si une contestation est relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement. En premier lieu, ces notions supposent l’existence d’un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère. Ce centre doit être pourvu d’une direction et être matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers qui sont ainsi dispensés de s’adresser directement à la maison mère. En second lieu, le litige doit concerner soit des actes relatifs à l’exploitation d’une succursale, soit des engagements pris par celle-ci au nom de la maison mère.

Concernant le premier critère, la Cour souligne que Crawford Polska dispose, en tant que personne morale, d’une existence juridique indépendante et est pourvue d’une direction. Par ailleurs, il apparaît qu’elle a tout pouvoir pour exercer l’activité de règlement et de liquidation des sinistres, ce qui produit des effets juridiques pour l’entreprise d’assurances, de sorte que Crawford Polska doit être regardée comme étant un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère. En revanche, il appartiendra à la juridiction nationale de vérifier si ce centre est matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers et à dispenser ceux-ci de s’adresser directement à la maison mère.

Quant au second critère, la Cour observe que Gefion a mandaté Crawford Polska pour procéder au règlement et à la liquidation du sinistre au principal. En outre, c’est Crawford Polska elle-même qui a pris, au nom et pour le compte de Gefion, la décision de n’accorder à CNP qu’une partie de l’indemnisation demandée. Or, si cette circonstance devait être confirmée par la juridiction nationale, il en résulterait que Crawford Polska n’a pas été un simple intermédiaire chargé de transmettre des informations, mais a contribué activement à la situation juridique à l’origine du litige devant la juridiction polonaise. Ce litige devrait être alors regardé, compte tenu de l’implication de Crawford Polska dans la relation juridique entre les parties au principal, comme concernant des engagements pris par Crawford Polska au nom de Gefion.

 

 

Communiqué de presse du 20.05.2021 consultable ici

Arrêt de la CJUE consultable ici

 

 

9C_692/2020 (d) du 29.03.2021, destiné à la publication – Uber Suisse ne doit pas payer l’AVS pour les chauffeurs UberPop / Obligation de cotiser de l’employeur – Etablissement stable au sens de l’art. 12 al. 2 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_692/2020 (d) du 29.03.2021, destiné à la publication

 

Consultable ici

Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS, Sélection de l’OFAS no 75, disponible ici

 

Obligation de cotiser de l’employeur – Etablissement stable / 12 al. 2 LAVS

 

Le présent arrêt a été rendu dans le cadre du litige relatif au statut de cotisant des chauffeurs Uber. Les chauffeurs Uber (en l’occurrence, les chauffeurs du service UberPop lancé en Suisse le 1er juin 2018) gèrent leurs mandats sur leur téléphone portable via une application qui est exploitée par Rasier Operations B.V. dont le siège est aux Pays-Bas. Rasier Operations B.V. est une filiale d’Uber International Holding B.V. qui également basée aux Pays-Bas.

La recourante (SVA Zürich) a décidé en août 2019 que les chauffeurs UberPop effectuaient un travail salarié pour Rasier Operations B.V. et que Uber Switzerland GmbH était un établissement stable de Rasier Operations B.V. et devait donc payer les cotisations AVS pour les chauffeurs. Le Tribunal des assurances sociales du canton de Zürich avait séparé les recours de Rasier Operations B.V. et d’Uber Switzerland GmbH et, pour cette dernière, conclu au fait qu’elle n’était pas soumise à l’obligation de cotiser.

Dans le système de cotisation de l’AVS, le principe de la perception des cotisations à la source s’applique, ce qui signifie que seul l’employeur est tenu de payer les cotisations paritaires et, en principe, lui seul peut être poursuivi par la caisse de compensation (consid. 6.1). La base légale prévoit explicitement que tous les employeurs qui ont un établissement stable en Suisse sont tenus de payer des cotisations (art. 12 al. 2 LAVS). Il est donc clair qu’il ne peut y avoir plus d’un débiteur (de cotisations) et que l’obligation de cotiser incombe exclusivement à l’employeur (consid. 6.3).

Un établissement stable (ici : Uber Switzerland GmbH) ne peut être assimilé à l’employeur étranger (consid. 7.2). Puisqu’il n’a pas non plus été prétendu qu’Uber Switzerland GmbH était l’employeur des chauffeurs UberPop, la succursale suisse – indépendamment du fait qu’elle soit considérée comme un établissement stable de Rasier Operations B.V. ou non – ne peut être recherchée pour les éventuelles cotisations aux assurances sociales pour les chauffeurs Uber (consid. 7.3).

La question centrale de savoir si les chauffeurs UberPop exercent une activité lucrative au sens du droit de l’AVS, et s’ils seraient alors qualifiés d’indépendants ou de salariés, est laissée ouverte. Cette question devra bientôt être tranchée par le Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich dans une autre affaire pendante contre Rasier Operations B.V

 

 

Arrêt 9C_692/2020 consultable ici

Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS, Sélection de l’OFAS no 75, disponible ici

 

 

1C_474/2020 (f) du 19.04.2021 – Violation grave des règles de la circulation – Retrait du permis de conduire – 15c LCR / Suivre un véhicule à une distance d’environ 10 mètres sur plus de 400 mètres, à environ 100 km/h, tout en utilisant son téléphone portable, est une faute grave – 34 al. 4 LCR – 12 al. 1 OCR

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_474/2020 (f) du 19.04.2021

 

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Violation grave des règles de la circulation – Retrait du permis de conduire / 15c LCR

Suivre un véhicule à une distance d’environ 10 mètres sur plus de 400 mètres, à environ 100 km/h, tout en utilisant son téléphone portable, est une faute grave / 34 al. 4 LCR – 12 al. 1 OCR

 

Le 19.10.2017, A.__ circulait sur l’autoroute A5 à Neuchâtel. Il a été arrêté par la police parce qu’il avait suivi, à une distance d’environ 10 mètres sur la voie de gauche, un véhicule sur plus de 400 mètres, à une vitesse d’environ 100 km/h, tout en utilisant son téléphone portable. De plus, à la sortie de l’autoroute, il n’avait pas indiqué, à deux reprises, un changement de direction. Pour ces faits, il a été condamné, sur le plan pénal, à une amende de 400 francs. Il ne s’est pas opposé à la procédure simplifiée.

Par décision du 19.12.2017, le Service cantonal des automobiles et de la navigation (ci-après : SCAN) lui a retiré son permis de conduire pour une durée de 3 mois considérant que le cas était grave. Le 22.01.2020, le Département du développement territorial et de l’environnement (ci-après : le Département) a confirmé cette décision.

 

Procédure cantonale

A.__ a recouru devant la Cour de droit public du Tribunal cantonal du canton de Neuchâtel qui, par arrêt du 31.07.2020, a rejeté le recours. La cour cantonale a a souligné que, dans le cas d’espèce, à supposer qu’il suivait le véhicule à une distance de 15 mètres à une vitesse de 85 km/h, l’intéressé ne disposait que de 0,6 secondes pour s’arrêter et que si la distance était de 20 mètres, il n’aurait disposé que de 0,84 secondes, fondant par là même la qualification de faute grave. Elle a aussi signalé qu’une condamnation pénale pour une infraction simple selon l’art. 90 al. 1 LCR n’excluait pas le prononcé d’une mesure administrative pour infraction grave.

 

TF

L’autorité administrative statuant sur un retrait du permis de conduire ne peut en principe pas s’écarter des constatations de fait d’un jugement pénal entré en force. La sécurité du droit commande en effet d’éviter que l’indépendance du juge pénal et du juge administratif ne conduise à des jugements opposés, rendus sur la base des mêmes faits. L’autorité administrative ne peut s’écarter du jugement pénal que si elle est en mesure de fonder sa décision sur des constatations de fait inconnues du juge pénal ou qui n’ont pas été prises en considération par celui-ci, s’il existe des preuves nouvelles dont l’appréciation conduit à un autre résultat, si l’appréciation à laquelle s’est livré le juge pénal se heurte clairement aux faits constatés ou si le juge pénal n’a pas élucidé toutes les questions de droit, en particulier celles qui touchent à la violation des règles de la circulation (ATF 139 II 95 consid. 3.2 p. 101). Cela vaut non seulement lorsque le jugement pénal a été rendu au terme d’une procédure publique ordinaire au cours de laquelle les parties ont été entendues et des témoins interrogés, mais également à certaines conditions, lorsque la décision a été rendue à l’issue d’une procédure sommaire, même si la décision pénale se fonde uniquement sur le rapport de police. Il en va notamment ainsi lorsque la personne impliquée savait ou aurait dû prévoir, en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés, qu’il y aurait également une procédure de retrait de permis. Dans cette situation, la personne impliquée est tenue, en vertu des règles de la bonne foi, de faire valoir ses moyens dans le cadre de la procédure pénale, le cas échéant en épuisant les voies de recours à sa disposition. Elle ne peut pas attendre la procédure administrative pour exposer ses arguments (ATF 123 II 97 consid. 3c/aa p. 104; voir aussi arrêts 1C_403/2020 du 20 juillet 2020 consid. 3 et 1C_470/2019 du 31 janvier 2020 consid. 5.1.2).

L’automobiliste a été condamné le 06.11.2017 à une amende de 400 francs pour les faits figurant dans le rapport de police du 31.10.2017 que l’automobiliste a admis; il ne s’est pas opposé à la procédure simplifiée. Le 10.11.2017, soit 4 jours après le prononcé de l’amende, le SCAN a écrit à l’automobiliste, lui résumant les faits en indiquant que les infractions susmentionnées pouvaient, à première vue, entraîner le retrait du permis de conduire et lui impartissait un délai pour l’exercice de son droit d’être entendu tout en soulignant le devoir de s’opposer à une condamnation pénale sous peine d’être lié par l’appréciation retenue par cette autorité. Ce n’est qu’à réception de cette lettre que l’automobiliste a indiqué que, s’agissant du non-respect de la distance de sécurité, il ne pouvait se prononcer car il n’avait pas l’impression d’être aussi proche du véhicule le devançant, tout en admettant avoir utilisé son téléphone portable sans dispositif et avoir oublié, à deux reprises, d’annoncer un changement de direction. Comme le souligne la cour cantonale, l’automobiliste a admis, dans un premier temps, les faits puis à réception de la première lettre du SCAN, les a mis en doute pour finir par les contester une fois la décision du retrait de permis prise à son encontre.

S’agissant de l’approximation de la distance entre les deux véhicules, la cour cantonale a indiqué que les policiers se trouvaient dans un tunnel avec une bonne visibilité qui leur permettait d’évaluer la distance de sécurité entre les deux véhicules et que l’utilisation du terme « environ » avait pour seule fonction d’indiquer qu’une légère différence était possible. A cet égard, il est insuffisant d’affirmer péremptoirement que les constatations des agents de police ne seraient pas fiables au seul motif qu’aucun moyen technique ne les corroborerait; l’automobiliste a d’ailleurs souligné que l’utilisation de tels moyens techniques pour mesurer la distance de sécurité n’était pas formellement exigée par le droit fédéral (cf. art. 9 al. 1 let. c de l’ordonnance sur le contrôle de la circulation routière du 28 mars 2007 [OCCR]) (arrêt 1C_30/2017 du 21 avril 2017, consid. 3.3.).

La portée de ce grief se trouve en outre relativisée dans la mesure où le Tribunal cantonal a procédé, bien qu’intervenant en tant que juge administratif, à un examen circonstancié des critiques de l’automobiliste portant sur l’établissement des faits; il a en particulier, pour calculer le temps de freinage, diminué la vitesse à 85 km/h, prenant en compte dans son calcul une marge de sécurité de 15 km/h, et augmenté la distance à 15 mètres en lieu et place des 10 mètres retenus dans le rapport de police, pour arriver à la conclusion que l’automobiliste ne disposait que de 0,6 secondes pour s’arrêter. Ce faisant, la cour cantonale a pris en compte le fait que la distance et la vitesse retenues dans le rapport de police, admis par l’automobiliste, résultaient de constatations faites par la police et que de légères variations étaient possibles.

 

Selon l’art. 34 al. 4 LCR, le conducteur observera une distance suffisante envers tous les usagers de la route, notamment pour croiser, dépasser et circuler de front ou lorsque des véhicules se suivent. L’art. 12 al. 1 OCR prévoit que, lorsque des véhicules se suivent, le conducteur se tiendra à une distance suffisante du véhicule qui le précède, afin de pouvoir s’arrêter à temps en cas de freinage inattendu.

Il n’existe pas de règle absolue sur ce qu’il faut entendre par « distance suffisante » au sens de l’art. 34 al. 4 LCR; cela dépend des circonstances concrètes, notamment des conditions de la route, de la circulation et de la visibilité, de même que de l’état des véhicules impliqués. Le sens de cette règle de circulation est avant tout de permettre au conducteur, même en cas de freinage inopiné du véhicule qui précède, de s’arrêter derrière lui. La jurisprudence n’a pas fixé de distances minimales à respecter au-delà desquelles il y aurait infraction simple, moyennement grave ou grave à la LCR. Elle a toutefois admis que la règle des deux secondes ou du « demi-compteur » (correspondant à un intervalle de 1.8 secondes) étaient des standards minimaux habituellement reconnus (ATF 131 IV 133 consid. 3.1 p. 135; 104 IV 92 consid. 2b p. 194). Un cas peut être grave lorsque l’intervalle entre les véhicules est inférieur à 0.8, voire 0.6 seconde (ATF 131 IV 133 consid. 3.2.2 p. 137).

Ainsi, une faute grave a notamment été retenue lorsqu’un automobiliste a, sur une distance de 800 mètres environ et à une vitesse supérieure à 100 km/h, suivi le véhicule le précédant sur la voie de gauche de l’autoroute avec un écart de moins de 10 mètres, correspondant à 0.3 seconde de temps de parcours (ATF 131 IV 133; arrêts 1C_356/2009 du 12 février 2010; 1C_7/2010 du 11 mai 2010; 1C_274/210 du 7 octobre 2010), lorsque, à une vitesse de 110 km/h, il a suivi la voiture précédente sur 1’200 mètres à une distance oscillant entre 5 et 10 mètres (0.32 seconde [arrêt 1C_502/2011 du 6 mars 2012]) ou encore lorsqu’il a circulé à une vitesse de 125 km/h, à nouveau sur 1’200 mètres, à une distance de 15 mètres du véhicule qui le précédait (0.4 seconde [arrêt 1C_446/2011 du 15 mars 2012]). En revanche, la faute a été qualifiée de moyennement grave au sens de l’art. 16b LCR lorsqu’un conducteur a suivi, à une vitesse de 100 km/h, une voiture à une distance entre 20 et 25 mètres (0.9 seconde [arrêt 1C_424/2012 du 15 janvier 2013]) et lorsque l’écart entre les véhicules était de 26 mètres pour une vitesse de 124 km/h (0.8 seconde [arrêt 1C_183/2013 du 21 juin 2013]).

Il y a tout d’abord lieu de rappeler que si les faits retenus dans la procédure pénale lient en principe les autorités administratives (ATF 139 II 95 consid. 3.2 p. 101 s. et les arrêts cités), il en va différemment des questions de droit, en particulier de l’appréciation de la faute et de la mise en danger (arrêts 1C_548/2012 du 6 août 2013 consid. 2.1; 1C_353/2011 du 12 janvier 2010 consid. 2.1 et les références).

En l’occurrence, l’automobiliste a suivi un véhicule sur plus de 400 mètres, sur la voie de gauche de l’autoroute, à une vitesse d’environ 100 km/h en n’observant qu’une distance d’environ 10 mètres, soit un intervalle correspondant à 0.36 secondes. Ces faits constituent clairement une faute grave au sens de l’art. 15c al. 1 let. a et al. 2 let. a LCR. Comme l’a souligné la cour cantonale, même si l’on applique à l’automobiliste la marge de sécurité 15 km/h prévue en cas de mesure de vitesse effectuée au moyen d’un véhicule-suiveur, sans système calibré (art. 8 let. i de l’ordonnance de l’OFROU), l’écart entre les véhicules était de 15 mètres à une vitesse de 85 km/h, soit un intervalle correspondant à 0.6 secondes. Dès lors, la qualification retenue par la cour cantonale ne prête pas le flanc à la critique surtout si l’on retient que l’infraction a été commise, certes sur une distance de moins d’un demi-kilomètre, mais sur la voie de dépassement, infraction à laquelle il faut ajouter l’utilisation du téléphone portable et l’oubli, à deux reprises, d’indiquer le changement de direction.

Partant, la juridiction cantonale n’a pas procédé de manière arbitraire, ni violé le droit fédéral en confirmant la mesure prononcée par le Département.

 

Contrairement à ce que suppose l’automobiliste, l’infraction réprimée par l’art. 90 ch. 1 LCR n’implique pas de déterminer si son comportement a joué un rôle primordial ou non dans l’accident. Les règles de la circulation sont des prescriptions de sécurité destinées à prévenir les accidents. L’infraction visée par l’art. 90 ch. 1 LCR est conçue comme un délit formel de mise en danger abstrait, de sorte qu’il suffit de violer une règle de comportement imposée par la loi pour que l’infraction soit consommée, indépendamment de la survenance d’un danger concret ou d’une lésion (ATF 92 IV 33 consid. 1 p. 34; arrêt 6B_965/2010 du 17 mai 2011 consid. 3.2; cf. YVAN JEANNERET, Les dispositions pénales de la loi sur la circulation routière, 2007, n. 17 ad art. 90 LCR).

Il s’ensuit que la condamnation de l’automobiliste en vertu de l’art. 90 ch. 1 LCR ne viole pas le droit fédéral.

 

 

Le TF rejette le recours de l’automobiliste.

 

 

Arrêt 1C_474/2020 consultable ici

 

 

8C_657/2019 (f) du 03.07.2020 – « Opposition » du médecin dans le délai mais opposition tardive de l’assurée à la décision – 52 LPGA – 10 OPGA / Rapports médicaux pas assimilés à une opposition / Opposition jugée comme irrecevable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_657/2019 (f) du 03.07.2020

 

Consultable ici

 

« Opposition » du médecin dans le délai mais opposition tardive de l’assurée à la décision / 52 LPGA – 10 OPGA

Rapports médicaux pas assimilés à une opposition

Opposition jugée comme irrecevable

 

Assurée, née en 1984, assistante commerciale, a heurté sa tête contre une poutre le 04.07.2018. Par décision du 22.01.2019, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations allouées à l’assurée, avec effet au 31.01.2019.

Par courrier du 18.02.2019, le docteur C.__, psychiatre traitant, a informé l’assurance-accidents de l’état de santé de l’assurée depuis son dernier rapport. Le 05.03.2019, l’assurée a formé opposition contre la décision. Par décision sur opposition du 12.03.2019, l’assurance-accidents a déclaré l’opposition irrecevable.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 48/19 – 107/2019 – consultable ici)

Du suivi des envois, la cour cantonale a constaté que la décision du 22.01.2019 avait été distribuée le mercredi 23.01.2019 et que le délai d’opposition de trente jours avait donc commencé à courir le jeudi 24.01.2019 pour arriver à échéance le vendredi 22.02.2019, de sorte que l’opposition datée du 05.03.2019 et remise à La Poste suisse le 06.03.2019 était tardive. Elle a ensuite estimé que le rapport du docteur C.__, du 18.02.2019, ne pouvait pas être considéré comme une opposition. En effet, ce médecin n’avait pas qualité pour former opposition et l’assurée n’avait pas produit de procuration en sa faveur pour le faire à sa place. Par ailleurs, son rapport du 18.02.2019 ne faisait aucune référence à une éventuelle contestation de la part de l’assurée, ni de son intention de faire opposition. En l’absence d’intention exprimée par l’assurée de contester la décision du 22.01.2019, les juges cantonaux ont considéré que l’assureur-accidents n’était pas tenu d’impartir un délai convenable au sens de l’art. 10 al. 5 OPGA à l’assurée.

Par jugement du 23.08.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 52 al. 1 LPGA, les décisions peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d’opposition auprès de l’assureur qui les a rendues, à l’exception des décisions d’ordonnancement de la procédure. Se fondant sur la délégation de compétence prévue à l’art. 81 LPGA, le Conseil fédéral a édicté les art. 10 à 12 OPGA relatifs à la forme et au contenu de l’opposition ainsi qu’à la procédure d’opposition. L’art. 10 al. 1 OPGA prévoit que l’opposition doit contenir des conclusions et être motivée. L’opposition écrite doit être signée par l’opposant ou par son représentant légal (art. 10 al. 4, 1e phrase, OPGA). En cas d’opposition orale, l’assureur consigne l’opposition dans un procès-verbal signé par l’opposant ou son représentant légal (art. 10 al. 4, 2e phrase, OPGA). Si l’opposition ne satisfait pas aux exigences de l’al. 1 ou si elle n’est pas signée, l’assureur impartit un délai convenable pour réparer le vice, avec l’avertissement qu’à défaut, l’opposition ne sera pas recevable (art. 10 al. 5 OPGA). Lorsque les conditions de recevabilité ne sont pas remplies, la procédure d’opposition prend fin avec une décision d’irrecevabilité (ATF 142 V 152 consid. 2.2 p. 155 et les références).

Selon la jurisprudence relative à l’art. 61 let. b, 2e phrase, LPGA – qui concerne la procédure judiciaire de première instance -, un délai permettant à l’intéressé de rectifier son mémoire de recours doit être fixé non seulement si les conclusions ou les motifs manquent de clarté, mais, d’une manière générale, dans tous les cas où le recours ne répond pas aux exigences légales. Il s’agit là d’une prescription formelle, qui oblige le juge de première instance – excepté dans les cas d’abus de droit manifeste – de fixer un délai pour corriger les imperfections du mémoire de recours. Compte tenu de l’identité grammaticale entre l’art. 61 let. b, 2 e phrase, LPGA et l’art. 10 al. 5 OPGA, ces principes s’appliquent également à la procédure d’opposition (ATF 142 V 152 déjà cité, consid. 2.3 p. 133 et les références).

Les exigences posées à la forme et au contenu d’une opposition ne sont pas élevées. Il suffit que la volonté du destinataire d’une décision de ne pas accepter celle-ci ressorte clairement de son écriture ou de ses déclarations (arrêt 8C_775/2016 du 1 er.02.2017 consid. 2.4 et les références). En l’absence d’une telle volonté clairement exprimée de contester la décision, aucune procédure d’opposition n’est engagée et il n’y a aucune obligation de fixer un délai de grâce (arrêt 8C_475/2007 du 23 avril 2008 consid. 4.2; ATF 134 V 162 consid. 5.1 p. 167; 116 V 353 consid. 2b p. 356 et les références).

 

Selon le TF : comme l’a retenu à bon droit la juridiction cantonale, il ne ressortait pas du courrier du docteur C.__ du 18.02.2019 que l’assurée envisageait de former opposition à l’encontre de la décision de suppression de prestations du 22.01.2019. Cette dernière avait été adressée à l’assurée. Or le courrier du 18.02.2019 ne faisait pas référence à cette décision et ne mentionnait pas non plus qu’il était adressé au nom de l’assurée. Il ne contenait par ailleurs aucune autre mention laissant supposer que l’assurée avait mandaté son médecin pour la représenter. Le courrier adressé à l’assurance-accidents par le psychiatre traitant de l’assurée se prononçait uniquement sur l’évolution de l’état de santé de celle-ci et sur sa capacité de travail. Cela ne saurait être assimilé à une déclaration de volonté de contester une décision de refus ou de suppression de prestations pour sa patiente. Quoi qu’en dise l’assurée, le fait que la lettre de son médecin traitant ait été envoyée à l’assurance-accidents durant le délai d’opposition n’y change rien. En effet, il est courant que durant le délai d’opposition, l’assuré produise lui-même un ou plusieurs rapports médicaux à l’appui de son opposition formelle ou demande à un ou plusieurs médecins d’envoyer leur rapport directement à l’assureur, sans que ces rapports soient pour autant assimilés à une opposition.

 

On ne saurait non plus reprocher à l’assurance-accidents d’avoir contrevenu au principe de la bonne foi en omettant d’interpeller l’assurée ou son médecin. Le défaut de renseignement dans une situation où une obligation de renseigner est prévue par la loi, ou lorsque les circonstances concrètes du cas particulier auraient commandé une information de l’assureur, est assimilé à une déclaration erronée qui peut, sous certaines conditions, obliger l’autorité (en l’espèce l’assurance-accidents) à consentir à un administré un avantage auquel il n’aurait sinon pas pu prétendre, en vertu du principe de la protection de la bonne foi découlant de l’art. 9 Cst. (ATF 143 V 341 consid. 5.2.1 p. 346; 131 V 472 consid. 5 p. 480). En l’espèce, l’assurance-accidents avait pleinement satisfait à son obligation de renseigner l’assurée puisque dans sa décision du 22.01.2019, elle avait mentionné que cette décision passerait en force si elle n’était pas attaquée par voie d’opposition dans les 30 jours à compter de sa notification et que ce délai légal ne pouvait pas être prolongé (cf. art. 49 al. 3 LPGA). Aussi ne saurait-on reprocher à l’assurance-accidents de n’avoir pas renseigné l’assurée sur ce point.

 

Il résulte de ce qui précède que la juridiction cantonale n’a pas violé le droit fédéral en retenant qu’en l’absence d’intention exprimée par l’assurée de contester la décision du 22.01.2019 dans le délai légal de trente jours, l’assurance-accidents était fondée à ne pas lui impartir un délai de grâce et à ne pas entrer en matière sur l’opposition du 05.03.2019, celle-ci étant tardive.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_657/2019 consultable ici

 

 

Arrêt de la CJUE du 17.03.2021 – Affaire C-585/19 – Lorsqu’un travailleur a conclu avec le même employeur plusieurs contrats de travail, la période minimale de repos journalier s’applique aux contrats pris dans leur ensemble et non à chacun des contrats pris séparément

Arrêt de la CJUE du 17.03.2021 – Affaire C-585/19

 

Communiqué de presse de la CUJE du 17.03.2021 consultable ici

Arrêt C-585/19 du 17.03.2021 consultable ici

 

Lorsqu’un travailleur a conclu avec le même employeur plusieurs contrats de travail, la période minimale de repos journalier s’applique aux contrats pris dans leur ensemble et non à chacun des contrats pris séparément

 

L’Academia de Studii Economice din București (ASE) (université d’études économiques de Bucarest, Roumanie) a bénéficié d’un financement européen non remboursable accordé par les autorités roumaines, aux fins de la mise en œuvre d’un programme opérationnel sectoriel de développement des ressources humaines intitulé « Performance et excellence dans le domaine de la recherche postdoctorale en sciences économiques en Roumanie ».

Le 4 juin 2018, le Ministerul Educației Naționale (ministère de l’Éducation nationale, Roumanie) a mis à la charge de l’ASE une créance budgétaire d’un montant de 13 490,42 lei roumains (RON) (environ 2 800 euros), afférente à des coûts salariaux pour des employés de l’équipe de mise en œuvre du projet. Les sommes correspondant à ces coûts ont été déclarées non éligibles en raison du dépassement du plafond du nombre d’heures (13 heures) que ces employés peuvent travailler quotidiennement.

En effet, au cours de la période allant du mois d’octobre 2012 au mois de janvier 2013, des experts engagés par l’ASE en vertu d’une pluralité de contrats de travail auraient, certains jours, cumulé les heures travaillées dans le cadre de l’horaire de base, à savoir huit heures par jour, avec les heures travaillées dans le cadre du projet ainsi que dans le cadre d’autres projets ou activités. Le nombre total d’heures travaillées par jour aurait dépassé pour ces experts la limite de treize heures par jour, prévue par des instructions de l’autorité de gestion du projet.

Saisi de cette affaire, le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest) demande à la Cour de justice si, lorsqu’un travailleur a conclu avec un même employeur plusieurs contrats de travail, la période minimale de repos journalier prévue à l’article 3 de la directive sur le temps de travail s’applique à ces contrats pris dans leur ensemble ou à chacun desdits contrats pris séparément.

Par son arrêt du 17.03.2021, la Cour rappelle, premièrement, que le droit de chaque travailleur à une limitation de la durée maximale de travail et à des périodes de repos, notamment journalier, constitue non seulement une règle du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, mais est aussi expressément consacré dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

À cet égard, la Cour note que la directive sur le temps de travail définit la notion de « temps de travail » comme étant toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions. Elle impose aux États membres l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour que « tout travailleur » bénéficie d’une période minimale de repos de onze heures consécutives au cours de chaque période de vingt-quatre heures.

Par ailleurs, la « période de repos » est définie comme toute période qui n’est pas du temps de travail. La « période de repos » et le « temps de travail » sont donc des notions exclusives l’une de l’autre et la directive sur le temps de travail ne prévoit pas de catégorie intermédiaire entre les périodes de travail et celles de repos.

Or, il n’est pas possible de satisfaire à l’exigence de la directive sur le temps de travail selon laquelle chaque travailleur bénéficie quotidiennement d’au moins onze heures de repos consécutives, si ces périodes de repos sont examinées séparément pour chaque contrat qui lie ce travailleur à son employeur.

En effet, dans un tel cas, les heures considérées comme constituant des périodes de repos dans le cadre d’un contrat seraient, comme c’est le cas dans l’affaire soumise à la Cour, susceptibles de constituer du temps de travail dans le cadre d’un autre contrat. Or, une même période ne pouvant être qualifiée, en même temps, de temps de travail et de période de repos, il s’ensuit que les contrats de travail conclus par un travailleur avec son employeur doivent être examinés conjointement.

Cette interprétation est également confirmée par l’objectif de la directive, qui est de fixer des prescriptions minimales destinées à améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs par un rapprochement des réglementations nationales concernant notamment la durée du temps de travail. Cet objectif vise à garantir une meilleure protection de la sécurité et de la santé des travailleurs, en les faisant bénéficier de périodes minimales de repos, notamment journalier.

La Cour estime donc que, lorsqu’un travailleur a conclu avec un même employeur plusieurs contrats de travail, la période minimale de repos journalier s’applique à ces contrats pris dans leur ensemble et non à chacun desdits contrats pris séparément.

 

Remarque : Cette règle du repos quotidien d’au moins 11 heures consécutives est également inscrite dans la législation suisse. En effet, l’art. 15a LTr prévoit également que le travailleur doit bénéficier d’une durée de repos quotidien d’au moins onze heures consécutives (al. 1). Pour le travailleur adulte, la durée du repos peut être réduite à huit heures une fois par semaine, pour autant que la moyenne sur deux semaines atteigne onze heures (al. 2).

 

 

Communiqué de presse de la CUJE du 17.03.2021 consultable ici

Arrêt C-585/19 du 17.03.2021 consultable ici

 

 

 

8C_214/2020 (f) du 18.02.2021 – Suspension de l’indemnité chômage – 30 al. 1 LACI – 45 OACI / Recherches d’emploi insuffisantes pour la période précédant le chômage – Récidive – Quotité de la durée de la suspension

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_214/2020 (f) du 18.02.2021

 

Consultable ici

 

Suspension de l’indemnité chômage / 30 al. 1 LACI – 45 OACI

Recherches d’emploi insuffisantes pour la période précédant le chômage – Récidive – Quotité de la durée de la suspension

 

Assuré, né en 1982, travaillait à 25% en qualité d’enseignant lorsqu’il s’est inscrit au chômage le 16.02.2017. Par décision du 28.03.2017, le Service public de l’emploi (SPE) a prononcé une suspension de 10 jours des indemnités de chômage à son encontre, au motif qu’il n’avait fourni qu’une seule preuve de recherche d’emploi pour la période de trois mois précédant son chômage. Au vu de son engagement du 01.08.2017 au 31.07.2018, le SPE a désactivé son dossier le 24.08.2017.

Le 27.07.2018, l’assuré s’est derechef inscrit au chômage. Par décision du 03.09.2018, confirmée sur opposition, le SPE a suspendu le droit de l’assuré à des indemnités de chômage pour une durée de 20 jours. Il a considéré que les recherches d’emploi présentées par l’assuré à l’Office régional de placement (ORP) pour la période de trois mois précédant son inscription au chômage étaient insuffisantes ; ce comportement fautif constituait en outre une récidive, puisque l’intéressé avait déjà été suspendu dans son droit aux indemnités durant les deux dernières années pour des motifs similaires.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2018 313 – consultable ici)

La cour cantonale a constaté qu’en répartissant sur la période du 01.05.2018 au 31.07.2018 les douze offres d’emploi que l’assuré avait effectuées, on aboutissait à une moyenne de quatre recherches par mois. Confirmant l’appréciation de l’administration cantonale, selon laquelle l’assuré n’avait pas entrepris tout ce que l’on pouvait raisonnablement exiger de lui pour éviter le chômage ou l’abréger, les juges cantonaux ont conclu que celle-ci était par conséquent fondée à prononcer une suspension dans l’exercice de son droit à l’indemnité. S’agissant en revanche de la gravité de la faute commise, la cour cantonale a considéré que le SPE avait outrepassé son pouvoir d’appréciation en s’écartant de la systématique de l’échelle des suspensions édictée par le SECO dans ses directives (Bulletin LACI). S’il était vrai que l’assuré avait réitéré le même type de comportement fautif qui lui avait valu par le passé une suspension de 10 jours, cette première récidive ne permettait pas de qualifier d’emblée de moyenne une faute initialement considérée comme légère; il convenait plutôt de retenir, malgré la récidive, que l’assuré avait commis une faute légère au sens de l’art. 45 al. 3 let. a OACI et de réduire de 20 à 12 jours la durée de la suspension prononcée, ce qui correspondait à la quotité maximale prévue pour ce type de comportement et restait conforme au principe de la proportionnalité.

Par jugement du 14.02.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réduisant la durée de la suspension de 20 à 12 jours.

 

TF

L’assuré a droit à l’indemnité de chômage s’il satisfait, entre autres conditions, aux exigences du contrôle (art. 8 al. 1 let. g LACI).

Selon l’art. 30 al. 1 let. c LACI, le droit de l’assuré à l’indemnité est suspendu lorsqu’il est établi que celui-ci ne fait pas tout ce qu’on peut raisonnablement exiger de lui pour trouver un travail convenable. Aux termes de l’art. 45 al. 3 OACI, la durée de la suspension est de 1 à 15 jours en cas de faute légère (let. a) et de 16 à 30 jours en cas de faute de gravité moyenne (let. b). Si l’assuré est suspendu de façon répétée dans son droit à l’indemnité, la durée de suspension est prolongée en conséquence ; les suspensions subies pendant les deux dernières années sont prises en compte dans le calcul de la prolongation (art. 45 al. 5 OACI).

Le Bulletin LACI IC, publié par le SECO (état au 01.08.2020), prévoit que lorsque la personne assurée est suspendue durant la période d’observation de deux ans pour la même raison (le même état de fait), l’autorité cantonale respectivement les offices régionaux de placement prolongent la durée de suspension en suivant la grille de suspension (chiffre D63c).

Des échelles de suspensions ont notamment été élaborées quant aux manquements en rapport avec les efforts de recherche d’emploi (cf. chiffre D79 1) : Une première catégorie concerne les efforts de recherches pendant le délai de congé. Dans ces cas, la durée de la suspension est fixée en fonction de la durée du délai de congé. Ainsi, pour des recherches insuffisantes, la suspension dure 3 à 4 jours pendant un délai de congé d’un mois (1.A1), 6 à 8 jours pendant un délai de congé de 2 mois (1.A2) et 9 à 12 jours pendant un délai de congé de 3 mois et plus (1.A3), la faute étant considérée comme légère dans ces trois cas de figure.

Bien que les directives administratives ne lient en principe pas le juge, celui-ci est néanmoins tenu de les considérer dans son jugement, pour autant qu’elles permettent une interprétation des normes juridiques qui soit adaptée au cas d’espèce et équitable. Ainsi, si les directives administratives constituent une concrétisation convaincante des dispositions légales, le tribunal ne s’en départit pas sans motif pertinent. Dans cette mesure, il est tenu compte du but de l’administration tendant à garantir une application égale du droit (ATF 141 V 365 consid. 2.4 p. 368 et les arrêts cités).

La quotité de la suspension du droit à l’indemnité de chômage dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du Tribunal fédéral uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72 s.; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399).

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen du tribunal porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans le cadre de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. Le juge des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration. Il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 consid. 5.2 p. 73).

 

Le SPE recourant critique l’appréciation de la cour cantonale en se prévalant du chiffre D63 du Bulletin LACI ainsi que d’un courrier électronique du SECO daté du 4 mars 2020, produit en annexe à son recours. Dans celui-ci, le SECO indique qu’en cas de manquements répétés, la durée de la suspension doit être prolongée ; par ailleurs, à la lecture du tableau des sanctions dans son ensemble, il n’était nullement spécifié qu’une sanction pour faute légère dans un premier manquement ne pouvait pas se transformer en faute moyenne pour un second manquement.

 

Il est vrai que pour certains états de fait, les échelles de suspensions prévoient une gradation de la faute en fonction du nombre de fois où l’assuré s’est comporté de manière fautive, par exemple lorsqu’il s’agit de la troisième fois que l’assuré a effectué des recherches insuffisantes, respectivement lorsqu’il n’a pas effectué de recherches. Dans ces cas de figure, qui concernent la période de contrôle, la suspension est comprise entre 10 et 19 jours (ch. D79 1.C3; D79 1.D2).

En l’espèce, il est constant qu’il convient de se référer au barème prévu au chiffre D79 1.A3, qui s’applique aux recherches d’emploi insuffisantes pendant le délai de congé et qui prévoit une suspension de l’indemnité de chômage comprise entre 9 et 12 jours, pour une faute qualifiée de légère, sans qu’une gradation en cas de récidive soit prévue, contrairement à la constellation citée plus haut. Cela étant, si l’hypothèse de la récidive n’a pas été réglée dans cette constellation, c’est selon toute vraisemblance parce qu’il a été considéré que pendant un seul et même délai de congé (de un, deux ou trois mois), l’assuré ne pouvait faillir qu’une seule fois à son obligation de diminuer le dommage. Or force est de constater – et le cas d’espèce le démontre – qu’une récidive est bel et bien possible, en particulier lorsque, sur une période de deux ans, plusieurs rapports de travail se succèdent et donnent lieu à des délais de congé distincts. Si, pendant cette période, l’assuré est suspendu de façon répétée dans son droit à l’indemnité, la durée de la suspension doit être prolongée en conséquence, conformément à l’art. 45 al. 5 OACI.

A juste titre, la cour cantonale a précisé que cela ne signifiait pas pour autant qu’en cas de première récidive, la faute doive d’emblée être qualifiée de gravité moyenne. Toutefois, en qualifiant le comportement de l’assuré de faute légère par analogie avec le barème pour les recherches insuffisantes pendant la période de contrôle (ch. D79 1.C3), qui prévoit que la faute ne peut devenir de gravité moyenne qu’à partir de la troisième fois, et en considérant à tort ne pas pouvoir aller au-delà du maximum de la fourchette de 9 à 12 jours prévue au chiffre D79 1.A3, les juges cantonaux ont commis un excès négatif de leur pouvoir d’appréciation. Cette constatation n’exclut toutefois pas qu’une sanction plus légère que celle prononcée par l’administration (20 jours de suspension) puisse apparaître plus opportune. Néanmoins, la motivation qui a conduit la cour cantonale à substituer sa propre appréciation à celle de l’administration ne saurait être confirmée. Il s’ensuit que l’arrêt attaqué doit être annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu’elle rende une nouvelle décision conforme à ce qui vient d’être exposé.

 

Le TF admet le recours du Service public de l’emploi, annulant le jugement cantonal et renvoyant la cause à l’autorité cantonale pour qu’elle rende une nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_214/2020 consultable ici