Archives de catégorie : Assurance-accidents LAA

8C_682/2023+8C_695/2023 (f) du 24.04.2024 – Stabilisation de l’état de santé / Pas d’abattement pour un ressortissant étranger, avec un permis C, en Suisse depuis 36 ans, maîtrisant mal le français – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2023+8C_695/2023 (f) du 24.04.2024

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Abattement sur le revenu d’invalide / 16 LPGA

Pas d’abattement pour un ressortissant étranger, avec un permis C, en Suisse depuis 36 ans, maîtrisant mal le français

 

A.__, né en 1961, ressortissant italien installé en Suisse depuis 1984, a travaillé depuis avril 2016 en tant que manœuvre de chantier. Le 11.07.2016, il s’est blessé à la cheville droite après avoir sauté d’un échafaudage d’une hauteur d’environ un mètre. Le jour même, il a été transporté à l’hôpital, où une radiographie a mis en évidence une fracture multifragmentaire du calcanéum avec une atteinte intra-articulaire. Le 28.07.2016, l’assuré s’est soumis à une réduction ouverte et ostéosynthèse. Dans le contexte d’une évolution défavorable de son état de santé (douleurs persistantes, arthrose sous-talienne et oedème), il a subi le 07.03.2017 une ablation d’une partie du matériel d’ostéosynthèse, en raison d’une suspicion d’un conflit entre une vis et l’articulation. Le 22.08.2017, une nouvelle ablation du matériel d’ostéosynthèse, avec libération des péroniers, a été pratiquée. En raison de la persistance d’une symptomatologie douloureuse, l’assuré a été adressé à la doctoresse C.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Le 15.11.2019, celle-ci a réalisé une quatrième intervention chirurgicale (névrectomie du nerf sural et arthrodèse sous-talienne droite).

Dans un rapport du 21.12.2020, la médecin-conseil de l’assurance-accidents a estimé que l’état de santé de l’assuré était stabilisé et que celui-ci disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, qu’elle a décrites. Elle a en outre évalué l’IPAI à 15%. Sur cette base, l’assurance-accidents a fait savoir à l’assuré qu’elle mettait un terme au paiement de l’indemnité journalière et des frais médicaux – à l’exception d’un traitement symptomatique en cas de besoin – au 31.01.2021.

Par décision du 11.01.2021, confirmée sur opposition le 31.03.2021, l’assurance-accidents, confirmant la stabilisation de l’état de santé au 31.01.2021, a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a alloué une IPAI de 15%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 27.08.2015, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité fondée sur un taux de 10%.

 

TF

Stabilisation de l’état de santé

Consid. 3.1.1
Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (première phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (seconde phrase). Il appartient ainsi à l’assureur-accidents de clore le cas en mettant fin aux frais de traitement ainsi qu’aux indemnités journalières, et en examinant le droit à une rente d’invalidité et à une IPAI (ATF 144 V 354 consid. 4.1; 143 V 148 consid. 3.1.1; 134 V 109 consid. 4.1). L’amélioration de l’état de santé se détermine notamment en fonction de l’augmentation ou de la récupération probable de la capacité de travail réduite par l’accident. L’utilisation du terme « sensible » par le législateur montre que l’amélioration que doit amener une poursuite du traitement médical doit être significative. Ni la possibilité lointaine d’un résultat positif de la poursuite d’un traitement médical, ni un progrès thérapeutique mineur à attendre de nouvelles mesures – comme une cure thermale – ne donnent droit à sa mise en œuvre. Il ne suffit pas non plus qu’un traitement physiothérapeutique puisse éventuellement être bénéfique pour la personne assurée. Dans ce contexte, l’état de santé doit être évalué de manière prospective (arrêt 8C_176/2023 du 6 décembre 2023 consid. 3 et les arrêts cités).

Consid. 3.1.2
Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même faibles quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA (RS 830.1) ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.6 et 4.7; arrêt 8C_816/2021 du 2 mai 2022 consid. 3.2 et l’arrêt cité).

Consid. 3.4
L’assuré a subi quatre opérations, la dernière le 15.11.2019, qui s’est déroulée sans complications. Dans son rapport du 25.06.2020, le premier médecin-conseil a certes constaté le développement d’une hypoanesthésie dans le territoire du nerf sural droit, avec paresthésies relativement gênantes, ainsi que d’une arthrose calcanéo-cuboïdienne droite; dans l’attente des prochaines consultations et d’une éventuelle arthrodèse calcanéo-cuboïdienne qui avait été évoquée, le cas n’était pas encore stabilisé. Ensuite de cette évaluation, ni la chirurgienne traitant ni aucun autre médecin n’ont toutefois proposé de pratiquer une nouvelle intervention ou d’introduire un nouveau traitement médical, en dehors de l’utilisation d’une nouvelle chaussure orthopédique conseillée par la chirurgienne traitant, laquelle a, dans son avis du 12.11.2020, indiqué ne pas envisager d’ablation du matériel d’ostéosynthèse. Cette spécialiste n’a pas non plus fait état de mesures thérapeutiques susceptibles d’améliorer la capacité de travail de sa patiente, ni, plus généralement, d’éléments médicaux qui auraient été ignorés par la seconde médecin-conseil. Celle-ci a du reste rendu un rapport complet et motivé, fondé sur l’ensemble du dossier médical de l’assuré et prenant notamment en compte les avis de la chirurgienne traitant, en particulier celui du 12.11.2020. Contrairement à ce que laisse entendre l’assuré, l’appréciation de la médecin-conseil est cohérente avec celle de son confrère et collègue émise six mois auparavant, celui-ci ayant considéré le cas comme non stabilisé au seul motif d’une éventuelle intervention à venir, laquelle n’a finalement pas été réalisée. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont considéré à juste titre que l’état de santé de l’assuré était stabilisé au 31.01.2021, étant entendu que la prescription de séances de physiothérapie et d’ergothérapie n’était pas suffisante pour admettre la perspective d’une sensible amélioration de la situation médicale de l’intéressé.

 

Revenu d’invalide

Consid. 4.1.2.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 4.1.2.2
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb; arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 5.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.1.2.3
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 4.3
L’assurance-accidents estime qu’il n’y aurait pas eu lieu de procéder à un abattement sur le revenu d’invalide.

Consid. 4.3.1
La cour cantonale a considéré que les limitations fonctionnelles de l’assuré étaient assez classiques et qu’elles avaient déjà été prises en considération dans la détermination des activités adaptées. Cela étant, l’assuré, titulaire d’une autorisation d’établissement (permis C), était de nationalité italienne et était âgé de 59 ans et 10 mois au moment du prononcé de la décision sur opposition du 31.03.2021. Il présentait des lacunes importantes en français, avait été absent du marché du travail depuis son accident de juillet 2016 et ne disposait d’aucune formation particulière ni expérience professionnelle dans un autre domaine que celui du bâtiment, dans lequel il ne pouvait plus exercer. Le tribunal cantonal a estimé que l’interdépendance de ces facteurs personnels et professionnels devaient conduire à retenir un abattement sur le revenu d’invalide. Le profil de l’assuré ne lui permettait pas de compenser son handicap et il était vraisemblable que les circonstances personnelles et professionnelles influassent sur ses perspectives salariales et entraînassent un net désavantage par rapport à des travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels. Aussi, une déduction de 10% sur le revenu d’invalide se justifiait.

L’assurance-accidents, qui se plaint d’une violation de l’art. 16 LPGA, soutient qu’en application de la jurisprudence, aucun critère relevé par les juges cantonaux ne permet d’appliquer le moindre abattement sur le revenu d’invalide.

Consid. 4.3.2
C’est à bon droit que la cour cantonale a exclu tout abattement en raison des restrictions fonctionnelles, qui ont déjà été prises en considération pour déterminer la capacité de travail de l’assuré dans une activité adaptée à son état de santé. Le niveau de compétence 1 de l’ESS contient en effet de nombreux emplois avec des tâches simples et légères compatibles avec ces restrictions, lesquelles n’apparaissent pas particulièrement sévères (pas de marche prolongée ou en terrain irrégulier, pas de port de charges supérieures à 10-15 kilos de manière répétée, pas d’activité à genoux ou en position accroupie et pas d’utilisation du membre inférieur droit en porte-à-faux).

S’agissant du critère de la nationalité, l’assuré, au bénéfice d’un permis d’établissement, vivait en Suisse depuis plus de 36 ans au moment de la décision sur opposition. Au vu des activités simples du niveau de compétence 1, on ne saurait retenir que ses perspectives de gain seraient moindres que celles d’un travailleur ayant la nationalité suisse (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/cc; arrêts 8C_454/2023 du 19 décembre 2023 consid. 5.4; 8C_883/2015 du 21 octobre 2016 consid. 6.3.2; 8C_738/2012 du 20 décembre 2012 consid. 6.2), quand bien même il maîtriserait mal le français et n’aurait pas de formation dans les activités en question, qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifiques (cf. arrêts 8C_454/2023 précité consid. 5.4; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 9C_550/2019 du 19 février 2020 consid. 4.3; 9C_898/2017 du 25 octobre 2018 consid. 3.4).

En ce qui concerne l’âge, le Tribunal fédéral n’a pas encore tranché le point de savoir si, dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, ce critère constitue un critère d’abattement ou si l’influence de l’âge sur la capacité de gain doit être prise en compte uniquement dans le cadre de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA (ATF 148 V 419 consid. 8.3 et les arrêts cités). Autrement dit, le Tribunal fédéral a laissé ouvert le point de savoir si lorsque comme en l’espèce, cette disposition ne trouve pas application, l’âge peut être pris en considération dans la fixation de l’abattement. En l’occurrence, la juridiction cantonale n’a pas exposé – et on ne voit pas – en quoi les perspectives salariales de l’assuré seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré en raison de son âge, d’autant moins que les emplois non qualifiés (qui correspondent à ceux du niveau de compétence 1) sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur un marché du travail équilibré (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1; arrêts 8C_559/2022 du 21 mars 2023 consid. 4.2.3; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2 et la référence citée).

Enfin, l’éloignement du marché du travail depuis l’accident de 2016 ne suffit pas à justifier une déduction sur le revenu d’invalide, dans la mesure où l’assuré a régulièrement travaillé, auprès de différents employeurs, depuis son arrivée en Suisse en 1984.

Consid. 4.3.3
Au vu de ce qui précède, la cour cantonale a violé le droit en procédant à un abattement sur le revenu d’invalide issu de l’ESS. Le grief de l’assurance-accidents s’avère ainsi bien fondé et le droit de l’assuré à une rente d’invalidité doit être nié.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré (8C_695/2023) et admet le recours de l’assurance-accidents (8C_682/2023).

 

Arrêt 8C_682/2023+8C_695/2023 consultable ici

 

150 V 229 – 8C_348/2023 (d) du 03.05.2024 – Être contaminé par le VIH lors d’un rapport sexuel non protégé et consenti ne constitue pas un accident

ATF 150 V 229 – arrêt du Tribunal fédéral 8C_348/2023 (d) du 03.05.2024

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 07.06.2024 disponible ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Notion d’accident – Caractère extraordinaire du facteur extérieur / 4 LPGA

Être contaminé par le VIH lors d’un rapport sexuel non protégé et consenti ne constitue pas un accident

 

Assurée, née en 1982, éducatrice sociale depuis le 01.05.2008, chez qui une infection par le VIH a été diagnostiquée le 01.03.2011 chez elle à l’occasion d’un examen de grossesse.

Le 16.04.2021, elle a déclaré à l’assurance-accidents qu’elle avait été infectée par le virus par son ancien partenaire. Par décision du 26.05.2021, confirmée sur opposition le 19.11.2021, l’assurance-accidents a nié son obligation de verser des prestations au motif qu’il n’y avait pas d’accident et qu’il n’était pas non plus possible de déterminer si l’infection par le VIH n’avait pas déjà eu lieu avant le début de la couverture d’assurance-accidents le 01.05.2008.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 09.02.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 4 LPGA, est réputée comme accident déclenchant l’obligation de prestation de l’assureur-accidents (art. 6 al. 1 LAA) toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort. Si l’un de ces éléments fait défaut, l’événement ne doit pas être qualifié d’accident, mais l’atteinte à la santé causée par l’événement doit, le cas échéant, être qualifiée de maladie (art. 3 al. 1 LPGA ; ATF 129 V 402 consid. 2.1 ; 122 V 230 consid. 1), pour laquelle ce n’est pas l’assurance-accidents sociale, mais l’assurance-maladie sociale qui est compétente (art. 1a al. 2 let. a LAMal ; ATF 102 V 131).

Consid. 4
Le point de litige principal en l’espèce est la question de savoir si le caractère extraordinaire du facteur extérieur est réalisé.

Consid. 4.1.1
Le facteur extérieur est la caractéristique centrale de tout événement accidentel ; il est le pendant de la cause interne – constitutive de la notion de maladie (ATF 134 V 72 consid. 4.1.1). Selon la jurisprudence, le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu’il excède, dans le cas particulier, le cadre des événements et des situations que l’on peut, objectivement, qualifier de quotidiens ou d’habituels pour le domaine de vie concerné (ATF 134 V 72 consid. 4.1). Selon la définition de l’accident, le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Le fait que le facteur extérieur ait éventuellement entraîné des conséquences graves ou inattendues est donc sans importance pour l’examen du caractère extraordinaire. Ce qui est déterminant, c’est que le facteur extérieur se distingue de la norme des effets de l’environnement sur le corps humain (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 ; 134 V 72 consid. 4.3.1).

Consid. 4.1.2
Une atteinte à la santé causée par une infection est en principe une maladie (ATF 122 V 230 consid. 3). Selon la jurisprudence, l’hypothèse d’une origine accidentelle (ou traumatique) de l’infection présuppose la présence d’une plaie au moment de l’infection alléguée. Il ne suffit pas que les agents pathogènes aient pu s’infiltrer à l’intérieur du corps humain par de petites écorchures, éraflures ou excoriations banales et sans importance comme il s’en produit ; la pénétration doit s’être faite par une lésion déterminée ou tout au moins dans des circonstances telles qu’elles représentent un fait typiquement « accidentel » et reconnaissable pour tel (ATF 122 V 230 consid. 3a). En revanche, si des agents pathogènes pénètrent à l’intérieur du corps d’une manière typique de la maladie en question, l’infection est considérée comme une maladie (IRENE HOFER, in : Basler Kommentar ATSG, 2020, N. 16 zu Art. 4 ATSG). Il faut par exemple admettre qu’il y a accident en cas de morsure de tique ayant entraîné une borréliose (ATF 122 V 230 consid. 5a). Dans le cadre d’une infection par le VIH, la jurisprudence a jusqu’à présent admis qu’il y avait accident lorsque l’infection avait été provoquée par la manipulation d’une seringue contaminée (cf. ATF 140 V 356 ; 129 V 402 consid. 4.2).

Consid. 4.2
En ce qui concerne les faits déterminants, il est incontestable que l’assurée vivait depuis septembre 2002 une relation avec un partenaire. Le 01.03.2011, une infection par le VIH a été diagnostiquée chez elle dans le cadre d’un examen de grossesse. En janvier 2013, l’assurée a mis fin à sa relation avec son partenaire ; le 30.06.2014, elle a déposé une plainte pénale contre lui. Par jugement du 18.12.2017, le tribunal l’a reconnu coupable de lésions corporelles graves au détriment de la plaignante et de tentative de lésions corporelles graves au détriment de leur fille. Le tribunal a motivé sa décision par le fait que ledit partenaire avait caché à la plaignante sa séropositivité pendant plus de trois ans et qu’il avait néanmoins eu des rapports sexuels non protégés avec elle, ce qui avait entraîné la transmission du virus à cette dernière.

Consid. 4.3
Dans son appréciation des faits, le tribunal cantonal est arrivé à la conclusion que le critère du caractère extraordinaire du facteur extérieur n’était pas rempli. Contrairement à un viol par exemple, le caractère extraordinaire n’est en principe pas rempli dans le cas de rapports sexuels consentis (même en cas de contamination à l’insu de la victime par une maladie infectieuse). En effet, dans ce dernier cas, il s’agit d’un processus quotidien qui n’est pas inhabituel. Le tribunal cantonal n’a pas non plus suivi l’argumentation de l’assurée à ce sujet, selon laquelle on ne pouvait pas considérer qu’il y avait eu consentement en raison de son erreur sur les circonstances concrètes. Seul le facteur en tant que tel est déterminant pour l’élément extraordinaire, alors que les circonstances de son déclenchement ou de ses effets ne sont pas pertinentes. Pour que l’élément d’extraordinaireté soit considéré comme rempli, il faudrait que l’agent pathogène du VIH pénètre dans le corps de manière atypique, ce qui n’est justement pas le cas. Au contraire, on se trouve en l’occurrence dans le cas normal de la voie de transmission du VIH – des rapports sexuels non protégés – sans que des circonstances inhabituelles, c’est-à-dire des blessures proprement dites qui rempliraient le caractère extraordinaire lors de la transmission de germes, ne soient visibles. La contamination par une maladie sexuellement transmissible lors de rapports sexuels non protégés n’est pas à ce point hors de portée qu’elle doive être qualifiée d’extraordinaire. Le fait que l’ex-partenaire de l’assurée ait été condamné pour lésions corporelles graves n’est pas non plus pertinent. Le caractère extraordinaire ne se rapporte qu’à l’accident et non au comportement, même si celui-ci a une importance sur le plan pénal.

 

Consid. 4.4
L’assurée reproche à la juridiction cantonale d’avoir fait une application erronée de l’art. 4 LPGA. En résumé, elle maintient qu’au vu des circonstances concrètes, l’existence d’un accident au sens de cette disposition doit être admise. La contamination par le virus du VIH par le partenaire de longue date, qui dissimule sa séropositivité pour pouvoir continuer à avoir des rapports sexuels sans protection, ne se situe plus dans le cadre de ce qui est quotidien et habituel pour le domaine de vie concerné. Il s’agit au contraire d’une circonstance particulière qui rend l’événement concret extraordinaire, ce qui est souligné par la condamnation pénale de l’ex-partenaire. Cette argumentation ne peut toutefois pas être suivie :

Consid. 4.4.1
Comme expliqué et comme l’instance cantonale l’a correctement reproduit, pour que le facteur extérieur d’une infection puisse être qualifié d’extraordinaire, l’agent pathogène doit avoir pénétré dans le corps de manière atypique, par exemple au sens d’une blessure accidentelle. En d’autres termes, l’assurance-accidents n’est tenue de verser des prestations pour une maladie infectieuse que si la transmission de l’agent pathogène a eu lieu à la suite d’un accident proprement dit (cf. supra consid. 4.1.2). Ce n’est pas le cas ici, car la contamination par le VIH a eu lieu lors de rapports sexuels non protégés et donc de manière typique. Contrairement à l’avis de l’assurée, le fait que son partenaire ait dissimulé sa séropositivité pendant des années n’y change rien. En effet, selon le libellé de l’art. 4 LPGA, la caractéristique du facteur extérieur réside dans l’action (directe) sur le corps humain, par laquelle on entend par exemple les causes mécaniques (coup, chute), électriques (électrocution) ou thermiques (explosion, brûlure) d’une atteinte à la santé (cf. arrêt 8C_235/2018 du 16 avril 2019 consid. 6.2 avec renvois). Comme l’a correctement reconnu la cour cantonale, seul le rapport sexuel non protégé en tant que tel est donc déterminant en l’espèce pour le caractère extraordinaire, et non pas les circonstances qui ont finalement conduit à celui-ci. Le fait que la connaissance et la volonté de la personne assurée soient prises en compte, par exemple lors de la réduction et du refus de prestations d’assurance (cf. art. 37 LAA), ne change rien au fait que l’erreur provoquée chez l’assurée sur la séropositivité de son partenaire est sans importance dans ce contexte. Par ailleurs, il est vrai que l’ancien Tribunal fédéral des assurances (aujourd’hui IIIe et IVe Cours de droit public du Tribunal fédéral) a jugé, dans l’arrêt Ruefli du 17 novembre 1944, que « l’ingestion de nourriture ne peut apparaître comme un accident que dans des circonstances particulières », par exemple « en cas d’ingestion de substances non comestibles (toxiques par nature) à la place de substances comestibles, donc en cas d’erreur portant sur la chose elle-même, par exemple lorsque des champignons toxiques sont confondus avec des champignons comestibles, des myrtilles avec des cerises, de l’arsenic avec du sucre […] ; en revanche, il n’y a pas d’erreur sur la qualité de l’aliment consommé » (cf. consid. 2 de l’arrêt). La question de savoir si cette jurisprudence, qui n’a plus été confirmée depuis cet arrêt, peut être maintenue dans le contexte des intoxications alimentaires, peut être laissée indécise. En effet, selon ce qui a déjà été dit, elle ne conduit en tout cas pas à ce que l’erreur de l’assurée soit pertinente dans le cas d’espèce.

Consid. 4.4.2
Le fait que l’ancien partenaire de la recourante ait été reconnu pénalement coupable de lésions corporelles graves au sens de l’art. 122 CP n’est finalement pas non plus déterminant pour la question du caractère extraordinaire du facteur extérieur. Les infractions liées à une action sur le corps humain constituent certes régulièrement des événements accidentels UELI KIESER, ATSG-Kommentar, 4. Aufl. 2020, N. 63 zu Art. 4 ATSG; IRENE HOFER, in: a.a.O., N. 46 zu Art. 4 ATSG; ANDRÉ NABOLD in: Kommentar zum Schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, N. 25 zu Art. 6 mit Hinweisen). Ce qui est déterminant, ce n’est toutefois pas la pertinence pénale de l’acte préjudiciable à la santé en soi (ainsi que le précise expressément l’ATF 121 V 35 consid. 1b concernant les interventions médicales), mais le fait qu’il remplisse en règle générale les éléments de la notion d’accident, comme c’est le cas par exemple pour les blessures résultant d’une altercation physique (cf. arrêt 8C_420/2016 du 27 octobre 2016, fait A.) ou d’un choc psychique consécutif à un viol (arrêt U 193/06 du 20 octobre 2006, consid. 2.1 ; concernant de tels chocs sans blessures physiques en général, cf. ATF 129 V 177, consid. 2.1 ; voir aussi arrêt 8C_548/2023 du 21 février 2024, consid. 3.2). Comme en l’espèce, cela ne doit toutefois pas nécessairement être le cas, comme le montre par exemple l’arrêt 8C_545/2019 du 14 novembre 2019, dans lequel le Tribunal fédéral a nié l’existence d’un accident en lien avec une lésion auditive causée par un pétard, nonobstant la condamnation pour lésions corporelles graves.

Consid. 4.4.3
Contrairement à l’assurée, on ne peut pas non plus voir de contradiction dans le fait que le tribunal cantonal ait distingué le cas d’espèce d’un viol. Il est vrai que dans ce cas, une éventuelle infection par le VIH se produit également lors d’un rapport sexuel. Mais dans le cas d’un viol, il s’agit, comme nous venons de le voir, d’un accident au sens juridique du terme, sous la forme d’un événement extraordinaire et d’un choc psychique. On ne voit pas en quoi cela est comparable à la situation de départ. Le fait que l’assurée aurait refusé d’avoir des rapports sexuels non protégés avec son partenaire si elle avait su qu’il était séropositif n’y change rien.

 

Consid. 5
En résumé, le tribunal cantonal n’a pas violé le droit fédéral en niant le caractère extraordinaire du facteur extérieur et donc l’existence d’un accident au sens juridique. Dans ce contexte, on peut laisser indécise la question de savoir si elle a également nié à juste titre l’élément de la « soudaineté ». Il en va de même pour la question laissée ouverte par le tribunal cantonal de savoir si une couverture d’assurance-accidents existait auprès de l’assurance-accidents au moment de la contamination – qui ne peut pas être déterminée avec précision. Au vu de ce qui précède, le recours est infondé et doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_348/2023 consultable ici

ATF 150 V 229 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_348/2023 (d) du 03.05.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/06/8c_348-2023)

 

8C_294/2023 (f) du 24.04.2024 – Revenu d’invalide d’une infirmière avec formation du niveau d’une haute école spécialisée (HES) / Calcul du gain assuré – Application à tort par l’assurance et le tribunal cantonal de l’art. 24 al. 2 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_294/2023 (f) du 24.04.2024

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide d’une infirmière avec formation du niveau d’une haute école spécialisée (HES) / 16 LPGA

Calcul du gain assuré – Application à tort par l’assurance et le tribunal cantonal de l’art. 24 al. 2 OLAA – Argumentation juridique nouvelle admissible en instance fédérale

 

Après avoir obtenu un bachelor en soins infirmiers d’une Haute école de santé (HES), l’assurée, née en 1988, a été engagée le 01.02.2012 comme infirmière à l’Hôpital B.__ avec un taux d’activité de 90%. Le 22.01.2016, en glissant sur du verglas, elle est tombée avec un choc à la tête, ce qui lui a occasionné un hémisyndrome droit avec dissection de l’artère vertébrale.

Conjointement avec l’office AI, l’assurance-accidents a confié une expertise au docteur C.__, neurologue, en vue de déterminer les séquelles de l’accident et leurs répercussions sur l’aptitude à travailler de l’assurée. Dans son rapport du 03.02.2020, cet expert a conclu que la capacité de travail était nulle dans l’activité d’infirmière ; une activité légère, sédentaire et ne nécessitant pas de dextérité fine était exigible, mais le temps de travail ne pouvait pas dépasser 70% avec, en sus, une perte de rendement de 20% due aux troubles moteurs de l’hémicorps droit, à une fatigue et à de discrets troubles cognitifs ; en définitive, la capacité de travail dans une activité adaptée était de 56%. Sous l’angle fonctionnel, c’étaient surtout les troubles sensitifs de la main droite qui limitaient l’assurée dans sa vie quotidienne : ces troubles n’étaient plus compatibles avec une activité manuelle fine, ni avec le port de charges et se répercutaient sur l’écriture et le travail au clavier. L’atteinte était également observable au membre inférieur droit, si bien que l’assurée n’était plus en mesure de travailler en position debout de manière prolongée ou de marcher longtemps. Le docteur C.__ a évalué le taux de l’atteinte à l’intégrité à 25% au total (10% pour l’atteinte cognitive ; 10% pour les troubles sensitifs au membre supérieur ; 5% pour les signes moteurs et sensitifs au membre inférieur).

L’office AI a alloué à l’assurée une rente entière dès le 01.02.2017, puis une demi-rente (basée sur un taux d’invalidité de 55%) à partir du 01.02.2018.

Par décision du 27.04.2021, confirmée sur opposition le 18.08.2021, l’assurance-accidents a mis fin aux indemnités journalières ainsi qu’à la prise en charge du traitement médical et a octroyé à l’assurée une rente d’invalidité LAA fondée sur un taux d’invalidité de 44% et calculée sur un gain assuré de 66’092 fr. 59, dès le 01.06.2020 ; elle lui a alloué en outre une indemnité pour atteinte à l’intégrité d’un taux de 25%. Pour fixer le revenu d’invalide, l’assurance-accidents a considéré que l’assurée pouvait, dans les limites de sa capacité de travail résiduelle (c’est-à-dire sans dispenser des soins), mettre à profit ses connaissances dans la branche économique 86-88 « santé humaine et action sociale » à un niveau de compétence 3 selon l’ESS.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 03.04.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et octroyant une rente d’invalidité fondée sur un taux de 62%.

 

TF

Consid. 2
L’objet de la contestation porté devant le Tribunal fédéral est déterminé par l’arrêt attaqué, soit en l’espèce le montant de la rente d’invalidité due à l’intimée. Le litige peut être réduit, mais ne saurait être ni élargi, ni transformé par rapport à ce qu’il était devant l’autorité précédente (ATF 142 I 155 consid. 4.4.2). Formulée pour la première fois en instance fédérale, la conclusion de l’assurance-accidents tendant à la rectification du gain assuré déterminant pour le calcul de la rente est recevable dans la mesure où elle est subsidiaire à celle, principale, visant la confirmation de sa décision et où elle se rapporte à un aspect du droit à la prestation d’assurance en cause (voir ATF 136 V 362 consid. 3.4.4).

 

Consid. 4.1.1
Selon la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base des données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ATF 148 V 419 consid. 5.2 et les arrêts cités). Dans ce cas, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 (secteur privé), à la ligne « total » (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). Toutefois, lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Cette faculté reconnue par la jurisprudence concerne les cas particuliers dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. Il y a en revanche lieu de se référer à la ligne « total » secteur privé lorsque l’assuré ne peut raisonnablement plus exercer son activité habituelle et qu’il est tributaire d’un nouveau domaine d’activité pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible (arrêts 8C_605/2022 du 29 juin 2013 consid. 4.2.1 et 8C_405/2021 du 9 novembre 2021 consid. 5.2.1)

Consid. 4.1.2
Depuis la dixième édition de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012 ; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé. Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé. Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.2.3 et les arrêts cités). L’accent est donc mis sur le type de tâches que l’assuré est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications mais pas sur les qualifications en elles-mêmes (arrêts 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.1 ; 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4 ; 9C_901/2017 du 28 mai 2018 consid. 3.3). Selon la jurisprudence, l’application du niveau 2 se justifie uniquement si la personne assurée dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêt 8C_202/2022 du 9 novembre 2022 consid. 4.1 et les arrêts cités).

Consid. 4.2
Pour l’assurance-accidents, les juges cantonaux ont sous-estimé l’étendue des débouchés professionnels que peut offrir la formation en soins infirmiers HES. Produisant les fiches de description de poste y relatives, elle énumère plusieurs emplois dans lesquelles l’assurée pourrait valoriser ses connaissances acquises en qualité d’infirmière sans avoir à dispenser des soins, soit celle d’infirmière référente dans un hôpital, d’infirmière-conseil occupée dans un centre de promotion de la santé telle que la Ligue pulmonaire, d’infirmière de liaison dans un établissement hospitalier ou de contrôleuse de soins chargée de vérifier les ordonnances et les factures au sein d’une caisse-maladie. L’assurance-accidents relève, en ce qui concerne les deux premiers postes cités, qu’il s’agit d’activités mettant l’accent sur la discussion et les échanges personnels dans lesquelles la part administrative tient une place secondaire. Elle fait également valoir que, contrairement à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, une activité de conseils, de suivi thérapeutique ou de prévention dans le domaine de la santé et de l’action sociale ne suppose pas une utilisation intensive et répétée d’un ordinateur et qu’elle ne nécessite pas non plus forcément une autre formation qu’un bachelor en soins infirmiers. L’assurance-accidents considère donc que c’est bien dans le secteur d’activité d’origine de l’assurée, le domaine de la santé où elle dispose de compétences de niveau 3, que celle-ci a le plus de chances de mettre à profit sa capacité résiduelle de gain et non pas, comme l’ont retenu les juges cantonaux, dans des activités non qualifiées de la production et des services où il lui sera plus difficile de compenser le manque de dextérité et de force à la main droite.

Consid. 4.3
En l’espèce,
il est constant que l’assurée doit changer d’activité professionnelle. En raison de limitations fonctionnelles l’empêchant d’accomplir des soins infirmiers, elle ne peut plus travailler comme infirmière, profession qui correspond à sa formation et qu’elle a exercé durant quatre ans dans un hôpital avant la survenance de son accident. Dans une telle constellation, il y a en principe lieu de retenir qu’elle est tributaire d’un nouveau champ d’activité pour lequel l’ensemble du marché du travail est en principe disponible.

On doit cependant admettre avec l’assurance-accidents qu’il existe des emplois présentant un lien avec la santé en général dans lesquels l’assurée pourrait mettre en valeur les connaissances acquises durant sa formation. En effet, un bachelor en soins infirmiers HES tel qu’obtenu par l’assurée est susceptible d’offrir des perspectives professionnelles allant au-delà d’une activité consistant à prodiguer des services infirmiers dans une institution de soins. Pour autant, cette circonstance ne saurait être prise en considération par l’application de la branche économique 86-88 « santé humaine et action sociale » de la table TA1 de l’ESS comme le voudrait l’assurance-accidents. Selon la nomenclature générale des activités économiques (NOGA 2008), cette section regroupe trois catégories, soit celle des « activités pour la santé humaine » (ligne 86), de l' »hébergement médico-social et social » (ligne 87) et de l' »action sociale sans hébergement » (ligne 88). Les activités couvertes par les lignes 86 et 87 comprennent, pour la première, essentiellement les activités médicales de soins à la personne (notamment les activités hospitalières, la psychothérapie, la physiothérapie, la pratique dentaire, les activités des sages-femmes et des infirmières, les autres activités paramédicales et les laboratoires médicaux), et, pour la seconde, les soins résidentiels associés à des services infirmiers, des services de surveillance ou des soins divers aux malades. Quant à la ligne 88, elle inclut, entre autres activités, les crèches et garderies d’enfants. Or ces types d’activité ne sont pas adaptées aux limitations fonctionnelles de l’assurée ou nécessitent des formations spécifiques comme l’ont exposé à juste titre les juges cantonaux. On peut également noter que les activités des organisations visant à promouvoir la santé (code 949902) ou les services de financement et d’administration des régimes de sécurité sociale obligatoire (code 8430) ne figurent pas dans la branche économique 86-88. Celle-ci n’est donc pas représentative et ne permettrait pas de déterminer plus précisément le revenu d’invalide de l’assurée. Il convient par conséquent de s’en tenir à la ligne « total » de la table TA1.

En revanche, les éléments précités justifient de placer l’assurée au niveau de compétence 2 même si, dans un arrêt 8C_226/2021 du 4 octobre 2021, le Tribunal fédéral a jugé, à propos d’une infirmière qui ne pouvait plus exercer son activité habituelle, qu’il convenait de se référer au niveau de compétence 1 pour déterminer le revenu d’invalide. Dans ce cas toutefois, la personne assurée ne bénéficiait pas d’une formation du niveau d’une haute école spécialisée et il a été constaté qu’elle ne disposait pas de compétences transposables dans un autre domaine que celui d’infirmière. En ce qui concerne l’assurée, dont les résultats neuropsychologiques ont été situés globalement dans les normes avec de bons indicateurs de validité, on ne saurait considérer que le champ des activités exigibles de sa part serait désormais restreint à des tâches manuelles simples et non qualifiées relevant du niveau de compétence 1.

Consid. 4.4
Le salaire médian pour les femmes au niveau de compétence 2 de la table TA1 « total » des ESS 2018 s’élève à 4’849 fr. Après les adaptations usuelles et en tenant compte d’un taux d’activité résiduel de 56%, il en résulte un revenu d’invalide de 34’309 fr. 85 ([4’849  : 40 x 41.7 x 12] + 1% x 56%). Mis en rapport avec le revenu sans invalidité de 80’493 fr. 35, le taux d’invalidité s’élève à 57,37%, arrondi à 57%. L’assurée a droit à une rente d’invalidité LAA de 57% et le moyen de l’assurance-accidents doit être admis dans cette mesure.

 

Consid. 5
Concernant la détermination du gain assuré de l’assurée, l’assurance-accidents explique qu’elle a appliqué à tort l’art. 24 al. 2 OLAA qui prévoit en substance que, lorsque le droit à la rente naît plus de cinq ans après l’accident, celui-ci est fixé d’après le salaire déterminant que l’assuré aurait reçu pendant l’année qui précède l’ouverture du droit à la rente. Or, la prestation en cause était née en deçà de la période de cinq ans après la survenance de l’accident. Dans ce cas, il y avait lieu d’appliquer la règle générale prévue à l’art. 15 al. 2 LAA, selon laquelle est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident. Aussi bien, dans sa décision du 27.04.2021, n’aurait-elle pas dû adapter le revenu gagné par l’assurée du 22.01.2015 au 21.01.2016 – soit 65’240 fr. 95 – à l’évolution nominale des salaires intervenue entre 2017 et 2019 (+ 0.3% ; + 0.6% ; + 0.4%). Il en résultait un gain assuré erroné de 66’092 fr. 60.

Une argumentation juridique nouvelle est admissible en instance fédérale pour autant qu’elle repose sur les faits retenus par la cour cantonale (ATF 136 V 362 consid. 4.1 ; 134 III 643 consid. 5.3.2). Tel est le cas en l’espèce. D’une part, les juges cantonaux ont constaté que l’accident était survenu le 22.01.2016 et que le droit à la rente de l’assurée était né le 01.06.2020. D’autre part, ils ont implicitement repris à leur compte le montant – qui n’était pas contesté en soi – du salaire gagné par l’assurée durant l’année précédant l’accident sur lequel s’était basé l’assurance-accidents avant de l’adapter à l’évolution des salaires. Cela étant, au vu de la date de l’accident et de celle du début du droit à la rente, le gain assuré de l’assurée doit être déterminé conformément à l’art. 15 al. 2 LAA en relation avec l’art. 22 al. 4 OLAA. C’est le montant de 65’240 fr. 95 qui est pertinent au lieu de 66’092 fr. 60, ce qui donne, pour un taux d’invalidité de 57%, une rente mensuelle de 2’479 fr. 15 dès le 01.06.2020 (65’240. 95 x 80% x 57%  : 12). Par conséquent, il convient de faire droit à la conclusion subsidiaire de l’assurance-accidents qui reste dans le cadre de l’objet du litige (voir consid. 2 supra), étant précisé que l’assurée a eu la possibilité de s’exprimer sur ce point.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_294/2023 consultable ici

 

Enquête suisse sur la structure des salaires : Publication des tableaux TA1_skill-level, T1_skill-level et T17 de l’ESS 2022

Enquête suisse sur la structure des salaires : Publication des tableaux TA1_skill-level, T1_skill-level et T17 de l’ESS 2022

 

L’Office fédéral de la statistique a publié le 29.05.2024 les tableaux TA1_skill-level, T1_skill-level et T17 de l’ESS 2022.

Le salaire médian standardisé (40h/sem.) d’un homme, avec le niveau de compétences 1 (tâches physiques ou manuelles simples) est de 5’305 fr. en 2022, contre 5’261 fr. pour l’ESS 2020.

Le salaire médian standardisé (40h/sem.) d’une femme, avec le niveau de compétences 1 (tâches physiques ou manuelles simples) est de 4’367 fr. en 2022, contre 4’276 fr. pour l’ESS 2020.

Vous trouverez les nouveaux tableaux sur le site de l’OFS :

 

NB : Les résultats des ESS 2012 à 2018 étaient calculés sur la base de la classification internationale type des professions CITP-08. Pour les résultats dès l’ESS 2020, la nomenclature suisse des professions CH-ISCO-19 est utilisée.

Dans la note contenue dans les tableaux Excel, l’OFS a précisé que les résultats 2012-2018 ont été recalculés de manière rétroactive sur la base de la CH-ISCO-19.

 

La section «Liens utiles – Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) – Horaire hebdomadaire – Evolution des salaires» du site, contenant tous les tableaux utiles, a également été mise à jour.

 

Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique [DNT] 2023

Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique [DNT] 2023

 

L’office fédéral de la statistique (OFS) a publié sur son site internet le 16.05.2024 les chiffres annuels de la durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique (NOGA 2008), en heures par semaine, jusqu’à l’année 2023.

Pour rappel, ces statistiques sont nécessaires pour la détermination des revenus sans et avec invalidité en cas d’utilisation des salaires statistiques (ESS).

 

Tableau «Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique (NOGA 2008), en heures par semaine», 1990-2023, disponible ici

 

Motion Hurni 24.3226 «Pour des centres nationaux d’expertises médicales indépendantes» – Avis du Conseil fédéral

Motion Hurni 24.3226 «Pour des centres nationaux d’expertises médicales indépendantes» – Avis du Conseil fédéral

 

Motion consultable ici

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé, en collaboration avec le secteur des assurances, de mettre en place les bases légales pertinente pour l’instauration de centres suisses d’expertises médicales indépendantes dont le champ d’application doit couvrir aussi bien les assurances sociales que privées, la responsabilité civile et étatique. Le financement, l’organisation et la saisine du centre doivent être réglé de sorte à contenir les coûts et le nombre de procédures.

 

Développement

Dans tous les domaines liés au droit de la santé (assurance RC d’un conducteur,  assurance privée ou Lamal d’indemnités journalières maladie, AI, évaluation perte de gain futur, erreur médicale,…) l’expertise est un point central. Qu’il s’agisse d’une procédure judiciaire ou arbitrale ou même de discussions transactionnelles, l’expertise a un poids immense. Or, ces dernières années, de nombreux scandales ont émaillé l’actualité (Corela, PMEDA,…). Ces scandales se comprennent facilement dans la mesure où c’est, de façon générale, l’assurance, respectivement la partie la plus forte (hôpital) qui paie l’expertise ce qui peut créer un conflit d’intérêt ou à tout le moins une apparence de conflit d’intérêt. En effet, si la plupart des experts respectent absolument l’indépendance nécessaire, il existe de  cas où un soupçon fondé de partialité demeure. La Confédération a certes agi en instaurant dans la réforme de l’AI des améliorations ainsi que l’instauration d’une commission fédérale (commission fédérale d’assurance qualités des expertises médicales (COQEM)), mais il n’en demeure pas moins que, trop souvent, les personnes atteintes dans leur santé ne peuvent pas remettre en cause l’expertise quand bien même les critiques sont valables. Il semblerait pertinent, sans remettre fondamentalement en cause le système, qu’un centre indépendant d’expertise médicale existe pour les cas où une expertise doit être remise en question ou lorsque les parties ne s’entendent pas sur l’expert. Son financement pourrait être assurés par l’ensemble du secteur des assurances, comme les modèles des ombudsman. Ce centre aurait l’immense avantage d’être indépendant car non lié à un contrat particulier avec une assurance et permettrait, dans les cas litigieux, d’obtenir un avis pertinent et véritablement indépendant. Par ailleurs, ce centre pourrait évidemment épouser la structure fédéraliste et serait supervisé par la COQEM.

 

Avis du Conseil fédéral du 15.05.2024

Le problème principal qui se pose actuellement dans le domaine de l’expertise en Suisse est celui du manque d’experts qualifiés, notamment dans les assurances sociales et, plus particulièrement, dans l’assurance-invalidité (AI). Chaque année, l’AI fait réaliser environ 15 000 expertises dans les disciplines médicales les plus variées. Les exigences accrues en matière de qualification se traduisent par une diminution du nombre d’experts disponibles, entraînant de longs temps d’attente. Les nouveautés introduites dans le cadre du développement continu de l’AI en ce qui concerne la répartition des expertises (par ex. principe aléatoire pour les expertises bidisciplinaires, procédure de conciliation pour les expertises monodisciplinaires, liste concernant l’attribution des expertises, enregistrements sonores) ont au moins eu pour effet que l’attribution d’expertises monodisciplinaires est très bien acceptée par les assurés.

Le Conseil fédéral voit positivement la création de nouveaux centres d’expertise. Cependant, les institutions visées par la motion – et qui joueraient le rôle d’un organe d’arbitrage ou de médiation disposant de nombreuses disciplines – iraient  bien au-delà du simple centre. Outre le financement équivoque, ces nouvelles institutions auraient des conséquences importantes, notamment sur le déroulement des procédures, les règles relatives à la force probante et l’appréciation matérielle par les tribunaux. Établir ces centres et les procédures correspondantes impliquerait de modifier le droit social, le droit privé, le droit de la responsabilité de l’État et le droit de la responsabilité civile, ainsi que le droit de procédure. En même temps, cela reviendrait notamment à invalider les procédures propres aux différentes branches d’assurance et qui ont fait leurs preuves, à introduire des solutions spéciales et à revenir sur les améliorations de l’AI mentionnées ci-dessus.

Le Conseil fédéral estime donc que la création d’un petit nombre de ces centres d’expertises nationaux pour toutes les branches d’assurance et d’autres domaines ne permettrait pas d’atteindre l’objectif visé. Il serait plutôt favorable à ce que les hôpitaux publics, et donc les cantons, s’engagent plus fortement afin d’augmenter le nombre d’experts disponibles dans les institutions de droit public des différentes régions linguistiques (cf. www.ofas.admin.ch > Publications & Services > Communiqués de presse > Communiqués de presse dans l’ordre chronologique > 13.10.2020 > AI : amélioration ciblée de la surveillance et des expertises médicales ; rapport d’experts du 10.8.2020, adopté par le Conseil fédéral et publié le 13.10.2020).

 

Proposition du Conseil fédéral

Rejet

 

Motion Hurni 24.3226 «Pour des centres nationaux d’expertises médicales indépendantes» consultable ici

 

Mozione Hurni 24.3226 “Per centri peritali nazionali indipendenti” disponibile qui

Motion Hurni 24.3226 «Für nationale Zentren zur unabhängigen medizinischen Begutachtung» hier abrufbar

 

Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier

Vous trouverez dans l’édition de Jusletter du 13 mai 2024 ma contribution «Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier».

 

Résumé :

L’arène des assurances sociales est le théâtre de nombreux défis au quotidien. Le traitement des rapports médicaux et des expertises médicales est un élément central lors de l’examen du droit aux prestations dans ce domaine complexe et crucial. Dans cet environnement, la valeur probante des rapports médicaux et des expertises médicales revêt une importance significative pour déterminer le droit aux prestations des personnes assurées.

 

Publication : David Ionta, Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier, in : Jusletter 13 mai 2024

 

Calcul des rentes d’invalidité : prendre en compte les conditions réelles du marché de l’emploi

Calcul des rentes d’invalidité : prendre en compte les conditions réelles du marché de l’emploi

 

Communiqué de presse du Parlement du 03.05.2024 consultable ici

 

Par 19 voix contre 3 et 1 abstention, la commission a donné suite à l’iv. pa. Kamerzin. Pour une prise en considération des possibilités d’emploi réelles des personnes atteintes dans leur santé (23.448), qui vise à adapter les bases légales pour que le calcul de la rente d’invalidité se rapproche mieux de la situation réelle d’employabilité des personnes en situation de handicap. À ce sujet, la CSSS-N avait déjà déposé une motion (22.3377) qui a ensuite été adoptée par le Parlement. Or, la commission estime insuffisante la solution de mise en œuvre retenue par le Conseil fédéral. Cette dernière consiste en une déduction forfaitaire de 10% sur le calcul du salaire théorique qu’une personne invalide considérée apte au travail pourrait toucher, afin de prendre en compte les différences salariales entre personnes valides et invalides. La commission souligne en outre que le système actuel mène régulièrement à des situations dans lesquelles les personnes sont considérées aptes au travail malgré une atteinte physique ou psychique, mais n’ont en réalité aucune possibilité d’être employées et se retrouvent au bénéfice de rentes réduites ou sans rente d’invalide.

 

Communiqué de presse du Parlement du 03.05.2024 consultable ici

 

Calcolo delle rendite d’invalidità: prendere in considerazione le reali condizioni del mercato dell’impiego, Comunicato stampa del Parlamento del 03.05.2024 disponibile qui

Berechnung der Invalidenrente: Berücksichtigung der realen Beschäftigungsmöglichkeiten auf dem Arbeitsmarkt, Medienmitteilung des Parlaments vom 03.05.2024 hier abrufbar

 

8C_546/2023 (f) du 28.03.2024 – Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Revenu d’invalide / Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_546/2023 (f) du 28.03.2024

 

Consultable ici

 

Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Activité habituelle partiellement adaptée aux limitations fonctionnelles – Revenu d’invalide / 16 LPGA

Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

 

Assuré, né en 1973, travaille depuis 2011 comme opérateur logistique. Le 03.08.2014, il a glissé dans les escaliers à son domicile et ressenti une douleur au genou gauche. Les investigations médicales ont mis en évidence des antécédents opératoires (résection d’un kyste para-méniscal externe) et des troubles dégénératifs débutants. Le spécialiste en chirurgie orthopédique a pratiqué une arthroscopie du genou gauche en mars 2015 puis une arthroscopie et méniscectomie quasi totale du ménisque externe en juin 2017. L’assuré a été en mesure de reprendre son activité à 100% après ces opérations. En octobre 2020, le chirurgien traitant a procédé à l’implantation d’une prothèse unicompartimentale (PUC) externe du genou gauche. A la suite de cette opération, l’assuré a repris progressivement son activité à un taux de 80%. Se fondant sur un rapport de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’assurance-accidents a, par décision du 21.02.2022, confirmée sur opposition le 03.10.2022, mis un terme au versement des indemnités journalières et à la prise en charge du traitement médical au 30.04.2022, refusé le droit à une rente d’invalidité et accordé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI), fondée sur un taux de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 189 – consultable ici)

Par jugement du 01.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Conformément à l’art. 16 LPGA, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1).

Consid. 3.3
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3).

Consid. 3.4
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1). Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (cf. art. 43 et 61 let. c LPGA; voir également ATF 139 V 176 consid. 5.2; 125 V 193 consid. 2).

 

Consid. 5.4
Dans ses réponses apportées le 29.10.2022 à un questionnaire soumis par le mandataire de l’assuré, le spécialiste en médecine interne générale et médecin traitant a indiqué, s’agissant de la pleine capacité de travail exigible retenue par l’assureur-accidents, qu’une reprise à plein temps était illusoire, relevant que l’orthopédiste traitant attestait toujours d’une incapacité de travail de 20%. Malgré des activités déjà allégées par l’employeur, l’assuré était toujours gêné au niveau du genou gauche qui enflait et lâchait surtout en fin de journée. Toutes les limitations fonctionnelles retenues par le médecin-conseil étaient exactes, mais l’expérience à sa place actuelle avait démontré qu’il y avait d’autres limitations tenant essentiellement au temps de travail, le médecin traitant énonçant à cet égard un facteur d’épuisement de « l’organe » handicapé souvent ignoré par les experts. Ce faisant, il se prononce sur l’exigibilité au regard de l’activité actuelle exercée par l’assuré. Ses réponses ne sont pas de nature à mettre en doute les conclusions du médecin-conseil quant à la capacité de travail entière dans une activité adaptée qui ne nécessite pas de position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, de position à genoux ou accroupie, d’utilisation répétée d’escaliers, de déplacements en terrain accidenté ni de port de charges lourdes. La fatigue de l’articulation du genou liée à l’activité physique de l’assuré a été en outre expressément prise en compte par le médecin-conseil. Par ailleurs, rien au dossier ne permet d’attester une adaptation du poste de travail respectivement un allègement des activités par l’employeur. En l’état, l’activité d’opérateur logistique, reprise à 80%, n’est pas adaptée aux séquelles de l’accident. Au regard de la description du poste de travail contenue dans les rapports d’entretien de l’assureur-accidents, il s’agit d’une activité physique avec des ports de charges jusqu’à 30 kg, avec pour tâches principales la manutention de colis, la gestion du stock et le chargement des camions. Compte tenu en particulier du port de charges, cette activité n’est pas raisonnablement exigible.

Consid. 5.5
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’écarter de la capacité de travail de 100% dans une activité adaptée retenue par l’assurance-accidents sur la base de l’appréciation de son médecin-conseil.

 

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3, 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb).

Consid. 6.2.2
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.2.3
En l’espèce, la prise en compte d’un abattement lié aux années de service n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétences 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.3.1 et l’arrêt cité).

Pour le surplus, les séquelles de l’accident ne sont pas de nature à justifier un abattement. Les limitations au genou gauche ne restreignent la capacité de l’assuré que dans certaines positions (position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, position à genoux et accroupie) et situations bien particulières (utilisation répétée d’escaliers, déplacement en terrain accidenté, port de charges lourdes). Ces limitations, qui ne sont pas inhabituelles, sont compatibles avec des activités simples et légères, et ne requièrent pas des concessions telles, de la part d’un employeur, qu’un abattement sur le salaire tiré de l’ESS s’imposerait pour en tenir compte.

C’est ainsi à bon droit que la cour cantonale n’a procédé à aucun abattement.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_546/2023 consultable ici

 

Hausse des salaires nominaux de 1,7% en 2023 et baisse des salaires réels de 0,4%

Hausse des salaires nominaux de 1,7% en 2023 et baisse des salaires réels de 0,4%

 

Communiqué de presse de l’OFS du 25.04.2024 consultable ici

 

L’indice suisse des salaires nominaux a augmenté en moyenne de 1,7% en 2023 par rapport à 2022. Il s’est ainsi établi à 102,4 points (base 2020 = 100). Compte tenu d’un taux d’inflation annuel moyen de +2,1%, les salaires réels ont baissé de 0,4% (96,9 points, base 2020 = 100), selon les calculs de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

 

Nous vous rappelons l’importance de l’indexation dans la détermination du revenu d’invalide mais également du revenu sans invalidité en cas d’utilisation de l’ESS.

Notre page « Evolution des salaires » a été mise à jour, dans laquelle vous trouverez tous les liens pour l’indexation de 1993 à 2023.

 

 

Communiqué de presse de l’OFS du 25.04.2024 consultable ici