Archives de catégorie : Assurance-accidents LAA

8C_138/2025 (f) du 03.07.2025 – Révision d’une rente d’invalidité à la suite d’une rechute – Pas de modification ni changement clairement objectivé de la situation clinique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_138/2025 (f) du 03.07.2025

 

Consultable ici

 

Révision d’une rente d’invalidité à la suite d’une rechute / 17 LPGA – 22 LAA

Pas de modification ni changement clairement objectivé de la situation clinique

 

Résumé
Un assuré, au bénéfice d’une rente (50%) et d’une IPAI (20%) octroyées la suite d’un accident en 1993, a invoqué dès 2018 une aggravation de son état et a demandé une révision ainsi que des indemnités journalières après une nouvelle chute en 2021. L’instruction médicale a toutefois confirmé l’absence de modification cliniquement objectivée par rapport à la situation ayant fondé la rente (décision en 2002). L’assurance-accidents et le tribunal cantonal ont refusé toute modification, en l’absence d’aggravation objectivable des séquelles. Le Tribunal fédéral a confirmé cette appréciation et rejeté le recours de l’assuré.

 

Faits
Assuré, né en 1958, travaillait comme chauffeur au service d’une entreprise de transport de véhicules, lorsque, le 15 mars 1993, il a chuté du haut de son camion, tombant sur la tête et sur la main droite. Admis à l’hôpital le jour même, les médecins qui l’ont examiné ont posé les diagnostics de traumatisme crânien cérébral, fracture-tassement du mur antérieur C6-C7, fracture du scaphoïde carpien de la main droite et multiples contusions.

Par décision du 28.03.2002, l’assurance-accidents a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, fondée sur une incapacité de gain de 50% dès le 01.02.1996, ainsi qu’une IPAI, fondée sur un taux de 20%.

Le 27.03.2018, l’employeur de l’assuré a rempli une déclaration d’accident, faisant état d’une rechute depuis le 16 mars précédent, avec incapacité de travail de 75%.

Par lettre du 24.09.2019, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle mettait un terme aux indemnités journalières et à la prise en charge des frais de traitement, à l’exception des séances de physiothérapie.

Par décision du 03.03.2021, confirmée sur opposition le 09.08.2021, l’assurance-accidents a refusé de modifier les taux d’incapacité de gain et de l’IPAI déterminés en 2002, considérant que les divers bilans ne permettaient pas de mettre en évidence une aggravation notable de l’état de santé de l’assuré.

Le 23.12.2021, l’assuré a été victime d’une chute, lui causant une fracture du trochiter de l’épaule droite. Par décision du 23.05.2022, confirmée sur opposition le 22.12.2022, l’assurance-accidents a confirmé la prise en charge des frais de traitement mais a refusé de verser des indemnités journalières, motif pris qu’au moment de ce nouvel accident, l’assuré était déjà en incapacité totale de travail pour cause de maladie.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 29.01.2025, rejet des recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Aux termes de l’art. 17 al. 1 LPGA (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021), si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Tout changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision. La rente peut ainsi être révisée non seulement en cas de modification sensible de l’état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 144 I 103 consid. 2.1; 134 V 131 consid. 3). Tel est le cas lorsque la capacité de travail s’améliore grâce à l’accoutumance ou à une adaptation au handicap. En revanche, une simple appréciation différente d’un état de fait qui, pour l’essentiel, est demeuré inchangé n’appelle pas une révision au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA (ATF 147 V 167 consid. 4.1 et les arrêts cités).

 

Consid. 5.2.1 [résumé]
Le rapport du médecin-conseil, qui recommandait des examens complémentaires tels qu’une mise à jour des examens radiologiques, ne suffit pas à démontrer une aggravation significative de l’état de santé. On ne peut pas davantage y voir un revirement de ce médecin dès lors qu’après instruction, il a conclu à l’absence de modifications importantes.

Consid. 5.2.2 [résumé]
L’argument tiré d’une erreur sur le nombre de fractures ou la nature des atteintes vertébrales demeure dépourvu de portée, en l’absence d’erreur médicale propre à établir une aggravation postérieure à la décision du 28.03.2002. Les divergences entre les constatations initiales (fracture C6-C7) et des pièces médicales ultérieures ne permettent pas de retenir une péjoration. Même la mise en évidence ultérieure d’une fracture consolidée en C1 ne suffit pas à établir une aggravation, d’autant que des investigations menées entre 1996 et 2000 avaient conclu à un dysmorphisme congénital de la jonction C1-C2.

Consid. 5.2.3 [résumé]
S’agissant de la hernie discale C5-C6, les juges cantonaux ont déjà répondu aux remarques réitérées par l’assuré (notamment qu’il ne s’agirait pas d’une fracture supplémentaire), sans que celui-ci discute leur motivation. Les douleurs qu’il associe à cette hernie n’apparaissent pas diverger de manière significative des plaintes déjà décrites lors de l’octroi de la rente. Pour les acouphènes, l’affirmation d’un lien de causalité avec l’accident de 1993 ne constitue pas une motivation suffisante pour remettre en cause l’avis de la médecin-conseil ORL ni justifier d’autres mesures d’instruction. Il en va de même pour les crises liées aux douleurs et les troubles psychiques : l’aggravation alléguée repose sur de simples affirmations, sans discussion des considérations cantonales ni renvoi à un rapport précis. Le fait que le médecin-conseil orthopédique parlerait de « chronicisation » des problèmes psychiatriques n’est en tout cas pas déterminant, dès lors que dans son rapport d’expertise du 17.12.2001, la spécialiste en psychiatrie et psychothérapie avait déjà conclu que les troubles psychiques étaient largement « chronifiés ».

Consid. 5.2.4
Enfin, sous le titre « la question juridique du rapport de causalité », l’assuré évoque sa situation de souffrance avec des douleurs continuelles qui ont perduré de 1993 à 2018, année à partir de laquelle elles se sont aggravées, de manière à ce qu’ajoutées à de nouvelles pathologies, elles ne lui permettraient plus d’exercer une activité professionnelle. Les juges cantonaux n’ont toutefois pas nié le rapport de causalité entre la symptomatologie douloureuse de l’assuré et l’accident de 1993. Il ressort toutefois de l’arrêt attaqué que celle-ci était déjà bien marquée au moment de l’octroi de la rente d’invalidité et que les circonstances de fait à leur origine ne se sont pas modifiées de manière significative. Or un motif de révision ne saurait être admis que si la modification de la capacité de travail est corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique (arrêt 9C_392/2023 du 26 février 2024 consid. 4.3 et les arrêts cités), ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

Consid. 5.3
Vu ce qui précède, les éléments mis en évidence par l’assuré ne permettent pas de mettre en doute la fiabilité et la pertinence de l’appréciation des médecins internes à l’intimée, de sorte que des mesures d’instruction complémentaires n’apparaissent pas nécessaires. Les premiers juges n’ont donc pas violé le droit ou établi les faits de manière inexacte en confirmant l’absence d’aggravation notable des séquelles de l’accident survenu en 1993.

Consid. 7
L’assuré, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). En l’occurrence, selon les indications fournies dans le questionnaire pour l’assistance judiciaire, l’assuré bénéfice des prestations d’une assurance de protection juridique. Partant, il ne se justifie pas de le mettre au bénéfice de l’assistance judiciaire. Au demeurant, son indigence n’apparaît pas non plus établie au regard des revenus et dépenses allégués. L’assuré doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_138/2025 consultable ici

 

Mettre en œuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’Al / Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national

Mettre en œuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’Al / Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national

 

Rapport de la CSSS-N du 27.08.2025 publié dans la FF 2025 2664

[cf. mon commentaire en fin d’article]

 

Contenu du projet

Ce projet a pour but d’optimiser la procédure de conciliation pour les expertises médicales monodisciplinaires dans le domaine de l’assurance-invalidité (AI). D’une part, il vise à ce que l’assuré soit impliqué dès le début dans la désignation de l’expert chargé d’effectuer une expertise médicale monodisciplinaire de l’AI et à ce qu’une procédure de recherche d’un véritable consensus soit mise en œuvre. Sur ce point, le projet veut ainsi reprendre la pratique déjà appliquée par certains offices AI.

D’autre part, dans les cas où aucun expert n’a pu être choisi de manière consensuelle, les parties, à savoir l’assuré et l’office AI, désignent chacun un expert et les experts ainsi désignés auront pour tâche d’élaborer une expertise commune. En cas de divergences d’appréciation entre les deux experts, le service médical régional prend position sur les questions qui ne font pas l’unanimité et rend ses conclusions sur l’évaluation médicale.

Cette nouvelle réglementation vient ainsi compléter les différentes mesures qui ont été introduites dans le cadre du développement continu de l’AI (DCAI) visant à améliorer et garantir la qualité des expertises et de la procédure en général.

 

Dans le détail

Le rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) du 27 août 2025 présente la réforme de la procédure de conciliation pour les expertises médicales en assurance-invalidité. Ce rapport s’inscrit dans le contexte de l’initiative parlementaire Roduit 21.498, qui vise à mettre en œuvre les recommandations issues d’un rapport d’évaluation sur les expertises médicales en AI, publié en 2020 (Müller, Franziska / Liebrenz, Michael / Schleifer, Roman / Schwenzel Christof / Balthasar, Andreas (2020): Evaluation der medizinischen Begutachtung in der Invalidenversicherung). La nécessité de revoir la procédure actuelle est motivée par le souci d’améliorer la légitimité, l’acceptation et la qualité des expertises médicales dans le processus d’instruction des prestations AI.

Le projet vise essentiellement à renforcer la participation de l’assuré dans le choix de l’expert chargé de réaliser l’expertise monodisciplinaire en assurance-invalidité. Ce nouveau modèle de participation s’inspire partiellement de la pratique française de l’expertise conjointe, où chaque partie désigne son propre expert et où ces deux professionnels doivent aboutir à une évaluation commune lorsqu’un consensus n’a pu être trouvé initialement.

La situation légale actuelle découle du développement continu de l’AI (DCAI), entré en vigueur au 1er janvier 2022, qui a introduit des mesures pour renforcer les droits des assurés pendant la procédure de conciliation. Selon la réglementation en vigueur, la tentative de conciliation dans la désignation de l’expert s’applique uniquement pour les expertises monodisciplinaires ; les expertises bi- et pluridisciplinaires sont attribuées de manière aléatoire et échappent à cette procédure.

Dans l’AI, en 2023, sur 5552 expertises monodisciplinaires, 348 tentatives de conciliation ont eu lieu (6,3%) et dans 33 cas (0,6%), aucun accord n’a pu être trouvé. À la fin du 3e trimestre 2024, les chiffres intermédiaires montrent que le nombre de cas dans lesquels un expert n’a pas pu être désigné en accord avec les parties a fortement diminué par rapport à 2023 (0.25%). Dans ces cas, les offices AI rendent une décision incidente qui indique le nom de l’expert désigné et les raisons pour lesquelles les objections soulevées par l’assuré n’ont pas été retenues. Cette décision peut être attaquée devant le tribunal compétent.

La commission estime toutefois qu’un ajustement législatif demeure nécessaire pour mettre en œuvre la recommandation visant à « optimiser » la conciliation, telle qu’issue du rapport d’évaluation de 2020 (cf. supra). Malgré les mesures du DCAI, certaines recommandations n’ont pas pu être concrétisées en raison de contraintes d’organisation et de la pénurie d’experts. La recommandation n° 5 « Optimisation de la procédure de conciliation pour les expertises mono-/bidisciplinaires (renforcement de la procédure de conciliation) » demande encore une base légale claire.

Le cœur de la solution retenue se compose de deux éléments complémentaires.

  • Premièrement, l’assuré est formellement associé, dès l’origine, au choix de l’expert, selon une procédure de recherche d’un véritable consensus que le rapport rattache à des pratiques déjà suivies par certains offices AI. En effet, la procédure actuellement appliquée par certains offices AI prévoit que, lors de la communication du nom de l’expert désigné, il est donné à l’assuré la possibilité de proposer un autre spécialiste figurant sur la liste des experts avec lesquels l’office AI collabore.
  • Deuxièmement, à défaut d’accord, la CSSS-N s’inspire du modèle français d’expertise conjointe, développé dans le champ des accidents de la route pour accélérer la liquidation des sinistres. Transposée à l’AI, cette approche vise à garantir un poids équivalent aux voix des parties concernées – personnes assurées et offices AI – dans la phase d’instruction lorsque la conciliation échoue.

La proposition se matérialise dans le projet de modification de la LAI (publié in FF 2025 2665). Le nouvel art. 57 al. 4 P-LAI impose l’entente entre l’office AI et l’assuré sur le choix de l’expert monodisciplinaire (« … l’office AI et l’assuré sont tenus de s’entendre sur le choix d’un expert. »). En cas d’échec, chaque partie désigne un expert, et les deux experts établissent une expertise avec évaluation consensuelle, exposant leurs divergences si un consensus n’est pas possible. Le Service médical régional prend alors position sur les points non consensuels et rend ses conclusions sur l’évaluation médicale.

Sur la base de l’art. 44 al. 2 LPGA, l’office communique un nom et, simultanément, offre à l’assuré la possibilité de proposer un autre expert parmi les partenaires avec lesquels il collabore, l’assuré devant répondre dans le délai de dix jours (pratique actuelle de certains offices AI). Les experts pressentis doivent satisfaire aux exigences de l’art. 7m OPGA, renvoyant ainsi au dispositif de qualité introduit avec le DCAI.

Dans le cas où l’office AI et l’assuré ne parviennent pas à s’entendre sur le choix d’un expert, le nouvel art. 57 al. 4 P-LAI introduit le modèle d’expertise commune. L’expertise commune rendra une décision incidente concernant le choix d’un seul expert superflu. L’office AI et l’assuré désignent chacun un expert dans la discipline définie, qui s’engage à établir une expertise commune. Les deux experts doivent remplir les exigences fixées à l’art. 7m OPGA.

La procédure de consultation a généré 71 prises de position, dont 20 spontanées (cf. Prises de position dans le cadre de la consultation et Rapport de consultation du 11 août 2025). Une majorité d’acteurs soutient la modification, mettant en avant un meilleur taux d’acceptation des expertises et une possible réduction des litiges. À l’inverse, 24 cantons, l’UDC, l’Union patronale, la Conférence des offices AI, la FER, la Suva et la SIM s’y opposent, estimant la réforme disproportionnée au regard du faible nombre de cas et de sa complexité organisationnelle. En particulier, la Swiss Insurance Medicine (SIM), sur la base d’une connaissance concrète en la matière, rejette l’introduction du modèle de l’expertise commune et préconise plutôt que la personne assurée puisse proposer trois experts figurant sur une liste nationale et que l’office AI en désigne un parmi ces trois. La Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales (COQEM), tout en approuvant l’idée de base du projet, ne se prononce pas sur les détails et propose de prendre des mesures pour plus de transparence dans ce domaine.

Une minorité de la CSSS-N conteste l’opportunité d’entrer en matière sur le projet, avançant que le système de conciliation proposé serait chronophage, accentuerait la pénurie d’experts, notamment en psychiatrie, et que la dernière réforme de la LPGA n’a pas encore livré tous ses enseignements.

 

Commentaire 

La proposition émise par la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N), qui offre à l’assuré la possibilité de désigner trois experts issus d’une liste d’experts reconnus et conformes aux critères exigés par l’art. 7m OPGA, constitue une mesure particulièrement bienvenue. Cette approche apparaît à la fois pragmatique, peu onéreuse et immédiatement applicable dans le cadre de l’assurance-invalidité, grâce aux listes existantes tenues par les offices AI. En facilitant l’implication accrue de l’assuré dans le choix de l’expert, ce dispositif devrait contribuer à une plus grande acceptation des résultats d’expertise, en atténuant la perception d’imposition d’un expert choisi unilatéralement.

Toutefois, la concrétisation de la procédure d’expertise commune suscite de sérieuses réserves quant à sa faisabilité pratique. Il est légitime de s’interroger sur la capacité d’un assuré, souvent démuni pour mandater un avocat, à gérer seul une telle démarche d’envergure. L’assistance administrative, telle que prévue à l’art. 37 al. 4 LPGA, reste dès lors central. Néanmoins, subsiste une incertitude notable quant à l’assouplissement des « directives internes » des offices AI en matière d’acceptation et de mise en œuvre de cette assistance pour des cas aussi complexes. Sans un encadrement plus souple et explicite, la voie de l’expertise commune risque de demeurer inadaptée et inaccessible à une large majorité d’assurés.

Par ailleurs, la question de la disponibilité des experts dans un contexte déjà marqué par une pénurie préoccupante mérite une attention soutenue. La double désignation d’experts pour chaque dossier augmentera sensiblement la charge pesant sur un nombre d’experts déjà insuffisant, ce qui pourrait allonger les délais d’instruction. Il demeure aussi incertain que ces experts acceptent d’être directement contactés par l’assuré, alors même que cette nouvelle procédure augmente l’exposition et les exigences liées à leur mission.

Le projet confie au Conseil fédéral la fixation des modalités, qui devra impérativement prévoir des standards précis, notamment en ce qui concerne la sollicitation des experts, les délais d’exécution et la structure des rapports conjoints. Sans une uniformisation forte, la mise en œuvre pourrait pâtir de disparités cantonales, nuisant alors à la cohérence et à l’efficacité de la réforme.

Au-delà de ces considérations techniques et organisationnelles, la question la plus critique à mes yeux porte sur le profond manque d’harmonisation au sein des assurances sociales. Il est difficilement compréhensible que la commission ait limité le champ de la réforme à l’assurance-invalidité, excluant des régimes où les problématiques d’expertises médicales sont tout aussi déterminantes, notamment l’assurance-accidents (LAA) et l’assurance-maladie (LAMal). Cette restriction génère une inégalité de traitement structurelle entre assurés selon leur branche d’assurance, soulevant des interrogations majeures sur l’équité et la cohérence globale de notre système de protection sociale.

Cette dissymétrie dans le traitement des expertises médicales entre les différentes branches des assurances sociales engendrera des conséquences tangibles. Elle mettra en place des incitations procédurales divergentes selon l’assurance concernée, alimentera inévitablement des contentieux comparatifs et affaiblira la vision chère à la LPGA d’un socle procédural commun. Le sentiment déjà présent d’une inégalité de traitement chez les assurés risque par conséquent d’être aggravé, ce qui va précisément à l’encontre de l’objectif affiché de renforcer l’acceptation des expertises.

Or, la justification avancée par la commission, reposant sur le fait que le rapport d’évaluation initial ne portait que sur l’assurance-invalidité, ne semble pas suffisante. Le report à une éventuelle révision plus générale au niveau de la LPGA ne saurait répondre à l’urgence ni au besoin fondamental d’un traitement égalitaire entre assurés. Cette approche fragmentaire laisse un goût d’inachevé et contribue à perpétuer des disparités lourdes de conséquences.

Le choix de circonscrire la réforme à l’assurance-invalidité paraît étroit, d’autant plus que la tendance générale devrait être orientée vers l’unification et la simplification des procédures entre régimes. Maintenir des règles spécifiques à chaque assurance renforce au contraire la complexité juridique et administrative, au détriment tant des assurés que des intervenants professionnels.

Au-delà de ces perspectives critiques, je tiens à souligner, au fil de ma pratique quotidienne, la qualité de l’écoute et la volonté de dialogue des offices AI romands. Dans cette région, nous parvenons à une entente constructive sur la désignation des experts, ce qui témoigne déjà d’une certaine maturité et d’une coopération fructueuse entre assurés et offices.

Pour conclure, il est indispensable que les modalités pratiques définies par le Conseil fédéral fassent l’objet d’un large dialogue avec tous les acteurs concernés, experts, assurances et représentants des assurés. Seule une mise en œuvre pragmatique, flexible et centrée sur les besoins réels des assurés pourra permettre à cette réforme, perfectible par nature, de constituer une avancée significative dans le domaine complexe et sensible des expertises médicales.

 

Rapport de la CSSS-N du 27.08.2025 publié dans la FF 2025 2664

Projet de loi fédérale sur l’assurance-invalidité (Renforcement de la procédure de conciliation pour les expertises AI monodisciplinaires) paru dans la FF 2025 2665

Initiative parlementaire Roduit 21.498 « Mettre en oeuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’Al » consultable ici

 

 

 

8C_178/2025 (f) du 09.07.2025 – Gain assuré pour les indemnités journalières des membres de la famille de l’employeur travaillant dans l’entreprise, des associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives – 15 LAA – 22 al. 2 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_178/2025 (f) du 09.07.2025

 

Consultable ici

 

Gain assuré pour les indemnités journalières des membres de la famille de l’employeur travaillant dans l’entreprise, des associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives / 15 LAA – 22 al. 2 OLAA

Gain assuré déterminé au moyen de l’ESS de la région lémanique – Niveau de compétences 2 pour un administrateur président d’une société active dans le domaine de la gravure

 

Résumé
Le litige a porté sur la fixation du gain assuré d’un administrateur-président graveur devenu totalement incapable de travailler après un accident ; en raison de son lien avec l’employeur (sa propre société), l’évaluation a été faite selon le salaire correspondant aux usages professionnels et locaux (art. 22 al. 2 let. c OLAA). L’assureur a entrepris des démarches auprès de l’association professionnelle et d’entreprises sans obtenir de réponses probantes, puis a retenu un gain assuré fondé sur les salaires statistiques ESS 2018 (fabrication de produits métalliques) au niveau de compétence 2, adapté à la région lémanique. Les éléments du dossier ont montré que l’activité s’est essentiellement composée de tâches pratiques de gravure avec une gestion limitée d’une petite structure; les critiques, notamment fondées sur un rapport de coaching AI, n’ont pas convaincu et aucune violation du devoir d’instruction ni du droit d’être entendu n’a été établie. Le recours a été rejeté et la détermination du gain assuré fondée sur l’ESS a été confirmée.

 

Faits
Assuré, né en 1967, est l’administrateur président de B__ SA, société active dans le domaine de la gravure, depuis 2008, dont il détient l’intégralité du capital-actions. Il a dirigé la société depuis son acquisition et y a déployé une activité de graveur. Selon son extrait de compte individuel AVS, l’assuré a réalisé au service de la société, entre 2009 et 2019, des revenus oscillants entre 13’672 fr. et 45’500 fr. par année.

Le 05.09.2018, il a subi un accident, qui a entraîné une incapacité de travail totale dès cette date. Dans la déclaration d’accidents, la case « Membre de la famille, associé » n’a pas été cochée et le salaire indiqué était de 6’000 fr. par mois. L’assurance-accidents lui a versé des indemnités journalières de 189 fr. 40 en tenant compte du 13e salaire et des allocations familiales. Par décision, confirmée sur opposition, l’administration a maintenu ce montant, les éléments du dossier ne permettant pas de retenir des augmentations progressives de salaire comme soutenu.

Saisi d’un recours, le tribunal cantonal l’a partiellement admis par arrêt du 15.11.2022 et a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision. Il a retenu qu’il n’était pas démontré au degré de la vraisemblance prépondérante que des augmentations salariales étaient prévues, tout en relevant que le gain assuré de 6’000 fr. par mois aurait pu être inférieur au revenu usuel dans la profession au regard de salaires statistiques dans l’horlogerie (non spécifiques à la région lémanique et couvrant plusieurs autres activités). L’assurance-accidents a ainsi été chargée d’établir le revenu que l’assuré aurait pu percevoir en tant que gérant salarié exerçant essentiellement une activité en atelier dans une entreprise de gravure de taille similaire.

À la suite de cet arrêt, l’assureur-accidents s’est adressé à l’Union suisse des graveurs pour connaître le revenu brut d’une activité telle que celle exercée par l’assuré, sans obtenir de réponse, puis à son président, lequel n’a pas pu articuler de revenu précis et a indiqué l’existence d’une forte pression salariale à Genève. L’assurance-accidents s’est en outre adressée à cinq entreprises de gravure, restées sans réponse. Par décision, confirmée sur opposition le 09.01.2024, l’assurance-accidents s’est fondée sur un gain assuré de 82’800 fr., et de 86’400 fr. allocations familiales incluses, en tenant compte du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux, dès lors que le revenu statistique dans la fabrication de produits métalliques (ESS 2018, TA1_tirage_skill_level, ligne 25, niveau de compétence 2), adapté à la région lémanique, était de 75’363 fr. 76.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/95/2025 – consultable ici)

Par jugement du 04.02.2025, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, en augmentant le montant des indemnité journalières à 196 fr. 80.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 15 LAA, les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré (al. 1). Est réputé tel, pour le calcul des indemnités journalières, le dernier salaire que l’assuré a reçu avant l’accident (al. 2). L’alinéa 3 let. c de cette disposition confère au Conseil fédéral la compétence d’édicter des prescriptions sur le gain assuré pris en considération lorsque l’assuré ne gagne pas, ou pas encore, le salaire usuel dans sa profession.

Selon l’art. 22 al. 2 OLAA, est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS, sous réserve, en particulier, des membres de la famille de l’employeur travaillant dans l’entreprise, des associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives, pour lesquels il est au moins tenu compte du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux (art. 22 al. 2 let. c OLAA). Le but de cette réglementation est d’éviter que les assurés qui se trouvent dans un rapport particulier avec leur employeur et, de ce fait, perçoivent un gain inférieur à celui qu’ils pourraient réaliser normalement sur le marché du travail, ne soient désavantagés lorsqu’ils ont droit à des prestations de l’assurance-accidents (arrêts 8C_461/2024 du 26 mars 2025 consid. 3; 8C_14/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3). Le gain assuré doit alors être déterminé de la manière la plus simple possible, sans la participation de la personne assurée ni de son employeur, ce qui peut être fait à l’aide de statistiques salariales ou de renseignements sur les salaires fournis par des employeurs hypothétiques (arrêt 8C_88/2007 du 30 juillet 2007 consid. 3.2.1, publié in SVR 2007 UV n° 39 p. 131).

Consid. 4.3.1
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques).

Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier; arrêt 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 5.1.2, in SVR 2023 UV n° 8 p. 22). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.2.3 et les arrêts cités). L’application du niveau 2 se justifie uniquement si la personne assurée dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêt 8C_202/2022 du 9 novembre 2022 consid. 4.1 et les arrêts cités; pour le tout, cf. arrêt 8C_605/2022 du 29 juin 2023 consid. 4.2.2, in SVR 2023 UV n°47 p. 165). L’accent est donc mis sur le type de tâches que l’assuré est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications mais pas sur les qualifications en elles-mêmes (arrêts 8C_293/2023 du 10 août 2023 consid. 4.2 in fine; 8C_801/2021 du 28 juin 2022 consid. 2.3; 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.1 et les références). Il faut encore préciser que l’expérience professionnelle de plusieurs années dont peut se prévaloir un assuré – sans formation commerciale ni autre qualification particulière acquise pendant l’exercice de la profession – ne justifie pas à elle seule un classement supérieur au niveau de compétence 2, dès lors que dans la plupart des secteurs professionnels un diplôme ou du moins des formations et des perfectionnements (formalisés) sont exigés (arrêts 9C_486/2022 du 17 août 2023 consid. 7.3.3 in fine; 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.2.4; 8C_581/2021 du 19 janvier 2022 consid. 4.4; 9C_148/2016 du 2 novembre 2016 consid. 2.2; pour le tout, ATF 150 V 354 consid. 6.1).

Consid. 4.3.2 [résumé]
L’argumentation de l’assuré ne saurait être suivie. Il n’est pas seulement relevé que la petite taille de l’entreprise limitait l’étendue et la complexité des tâches de direction et de gestion; des doutes fondés ont également été émis quant à la fiabilité du rapport de coaching produit, soulignant des incohérences factuelles (le nombre d’années d’expérience dans le domaine du laser) et l’absence de corroboration par des tiers. Établi sur mandat de l’assurance-invalidité, ce rapport ne paraît pas pertinent pour les enjeux du cas d’espèce ; il n’est au demeurant pas démontré pour quelle raison l’assurance-accidents y serait liée (ATF 133 V 549 consid. 6). Inséré dans le contexte d’une reprise d’activité après l’accident et élaboré avec la participation directe de l’assuré, le rapport en question présente des lacunes potentielles d’objectivité (cf. consid. 3 et arrêt 8C_88/2007 du 30 juillet 2007 consid. 3.2.1).

Aussi, le tribunal cantonal a correctement privilégié les déclarations de l’assuré lors de l’entretien du 10 juillet 2019, qui indiquaient, avant l’accident, une activité à 90% dévolue aux travaux de gravure et à 10% à la préparation technique et au développement. Au vu du dossier, l’appréciation selon laquelle son rôle dans les projets de recherche relevait de l’exécution plutôt que de l’élaboration intellectuelle ne prête pas le flanc à la critique. Il en va de même des formations invoquées, soit parce qu’elles ne sont pas comparables à des études de niveau supérieur (cours de mathématiques et d’informatique de gestion), soit en raison de l’absence de pertinence du diplôme en management international de 1994 pour estimer le salaire statistique le plus proche du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux. Les critiques soulevées ne permettent pas de s’écarter des faits constatés.

Consid. 4.3.3 [résumé]
En retenant des tâches principalement pratiques de gravure (même sur laser), complétées par la gestion d’une petite entreprise et le suivi de projets, et en l’absence de formations de niveau supérieur directement pertinentes, l’application du niveau de compétence 2 de l’ESS 2018 ne viole pas le droit fédéral. Cela est du reste conforme à la jurisprudence rendue en la matière, comme exposé par la cour cantonale dans l’arrêt entrepris (auquel on peut renvoyer, cf. en particulier les arrêts 8C_276/2021 du 2 novembre 2021 consid. 5.4.1; 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 5.3; 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2; 8C_732/2018 du 26 mars 2019 consid. 8.2). L’ensemble des éléments versés au dossier ne permet donc pas de justifier la prise en compte d’un niveau de compétence supérieur à celui retenu par les juges cantonaux et l’assurance-accidents.

Consid. 4.3.4
En dernier lieu, on voit mal dans quelle mesure l’assuré pourrait valablement invoquer une violation de l’art. 43 al. 1 LPGA dans le cas concret. L’assurance-accidents s’est conformée aux instructions reçues par la cour cantonale dans l’arrêt de renvoi et a entrepris suffisamment de démarches afin de définir le salaire correspondant aux usages professionnels et locaux, même si celles-ci n’ont pas abouti à un résultat. Pour le reste, la portée des constatations de l’assurance-invalidité a déjà été discutée ci-dessus (consid. 4.3.2) et ne nécessite pas d’approfondissement supplémentaire. L’assuré ne motive d’ailleurs pas pour quelle raison il faudrait préférer une telle analyse en faisant abstraction de tout contexte, qu’il ne détaille pas davantage dans le recours. Enfin, la prétendue violation du droit d’être entendu, à tout le moins implicitement invoquée, ne satisfait pas aux exigences accrues de motivation en vertu de l’art. 106 al. 2 LTF, ce qui rend le grief inadmissible.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_178/2025 consultable ici

 

 

Remarque

Arrêt cantonal particulièrement détaillé et instructif. Sa lecture est recommandée aux praticiennes et aux praticiens.

 

 

8C_55/2025 (f) du 28.05.2025 – Gain assuré pour la rente d’invalidité LAA – Gain assuré après une période de chômage / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA – 24 al. 1 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_55/2025 (f) du 28.05.2025

 

Consultable ici

 

Gain assuré pour la rente d’invalidité LAA – Gain assuré après une période de chômage / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA – 24 al. 1 OLAA

Calcul du gain assuré – Année précédant l’accident divisée en plusieurs périodes

 

Résumé
Assurée, engagée dans une boulangerie le 25.10.2018, qui s’est blessée à la main droite le 29.01.2019. Dans l’année précédant l’accident, elle a perçu des indemnités de chômage (jusqu’en 05.2018), puis des prestations cantonales en cas de maladie jusqu’à l’engagement. En raison d’un précédant accident, elle a perçu des IJ LAA du 26.11.2018 au 28.01.2019, l’accident litigieux étant survenu le 29.01.2019. Le gain assuré a été calculé en divisant l’année précédant l’accident en plusieurs périodes et non en annualisant le salaire mensuel (x13) comme vendeuse dans la boulangerie. Le recours de l’assurance-accidents est admis.

 

Faits
Assuré a été engagée en qualité de vendeuse auprès de la boulangerie B.__ à compter du 25.10.2018. Le 29.01.2019, elle s’est blessée à la main droite en tentant de récupérer un objet tombé dans un pétrin de boulangerie.

Par décision du 10.10.2022, l’assurance-accidents a mis un terme, au 13.04.2022, au paiement des indemnités journalières ainsi qu’aux soins médicaux et a alloué à l’assurée une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 44’450 francs. Par décision du 02.03.2023, elle a nié le droit à une rente d’invalidité. Le 23.01.2024, l’assurance-accidents a partiellement admis les oppositions formées contre les décisions précitées, en ce sens qu’elle a reconnu le droit de l’assurée à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 22% à compter du 01.05.2022, calculée sur la base d’un gain assuré de 28’790 fr. 25.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1038/2024 – consultable ici)

Par jugement du 18.12.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition litigieuse en ce sens que le montant du gain assuré était fixé à 68’100 francs.

 

TF

Consid. 4.1
Les rentes sont calculées d’après le gain assuré (art. 15 al. 1 LAA). Est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (art. 15 al. 2, seconde phrase, LAA). L’art. 22 al. 4 OLAA prévoit notamment que si les rapports de travail ont duré moins d’une année, le salaire reçu au cours de cette période est converti en gain annuel (deuxième phrase); on présume que l’assuré aurait travaillé toute l’année aux mêmes conditions. La règle de l’art. 22 al. 4, deuxième phrase, OLAA a pour but de combler les lacunes de salaire, du point de vue temporel, résultant du fait que la personne assurée n’a pas perçu de salaire pendant toute l’année précédant l’accident. Elle est applicable lorsque, notamment, la personne assurée n’a pas travaillé toute l’année par exemple en raison d’un changement d’activité ou de reprise d’un emploi ou lorsqu’elle a obtenu un congé non payé durant l’année qui a précédé l’accident (VOLLENWEIDER/BRUNNER, in Basler Kommentar zum UVG, 2019, n. 76 ad art. 15; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Soziale Sicherheit, SBVR, vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 957 n. 182).

Consid. 4.2
Conformément à la délégation de compétence de l’art. 15 al. 3 LAA, le Conseil fédéral a édicté des dispositions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux. Ces dispositions ont pour but d’atténuer la rigueur de la règle du dernier salaire reçu avant l’accident, lorsque cette règle pourrait conduire à des résultats inéquitables ou insatisfaisants (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 959 n. 183). Pour les rentes, l’art. 24 al. 1 OLAA prévoit que si, au cours de l’année qui précède l’accident, le salaire de l’assuré a été réduit par suite de service militaire, de service civil, de service de protection civile, ou par suite d’accident, de maladie, de maternité, de chômage ou de réduction de l’horaire de travail, le gain assuré est celui que l’assuré aurait reçu sans la survenance de ces éventualités. En d’autres termes, l’art. 24 al. 1 OLAA vise les situations dans lesquelles l’assuré a subi, durant l’année de référence, une perte de salaire en raison de l’une des éventualités énumérées (ATF 137 V 405 consid. 4.4). Le but de cette disposition consiste à prévoir une réglementation spéciale en faveur des assurés qui, pour une période déterminée, sont privés d’une moyenne constante de temps de travail en raison d’un événement empêchant de manière involontaire la « durée normale du travail » (ATF 114 V 113 consid. 3a).

Consid. 5 [résumé]
Les juges cantonaux ont examiné la situation de l’assurée pour l’année ayant précédé l’accident (29.01.2018-28.01.2019). Selon l’extrait de compte individuel, l’assurée avait perçu des indemnités de chômage d’avril 2017 à mai 2018 ; de juin à septembre 2018, elle n’avait perçu ni indemnité ni revenu. Le premier gain après le chômage provenait de la nouvelle activité auprès de la boulangerie B.__ dès le 25.10.2018, dans le cadre d’un contrat de durée indéterminée et pour un revenu mensuel de 4’500 fr., versé treize fois l’an (contrat de travail du 25.10.2018; déclaration d’accident du 17.04.2019). Selon les fiches de salaires, elle avait perçu des indemnités journalières LAA du 26.11.2018 au 28.01.2019 et avait repris le travail le 29.01.2019, jour de l’accident. Il a été retenu que, même si une période de chômage avait bien existé dans l’année de référence, l’accident était survenu après la reprise d’une activité lucrative nouvelle, prévue pour une durée indéterminée, et mieux rémunérée que l’activité antérieure au chômage (gain total de 1’881 fr. pour janvier-mars 2017). Dans ces circonstances, la règle spéciale de l’art. 24 al. 1 OLAA ne trouvait pas application pour tenir compte du revenu perçu avant le chômage. En revanche, le salaire de la nouvelle activité ayant été réduit par suite d’accident, il y avait lieu d’appliquer l’art. 24 al. 1 OLAA afin de prendre en considération le gain que l’assurée aurait réalisé sans cet événement, le gain assuré déterminant se fondant exclusivement sur le revenu dû auprès de la boulangerie B.__ et devant être annualisé selon l’art. 22 al. 4, deuxième phrase, OLAA. Au gain annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. x 13) il convenait d’ajouter les allocations familiales pour deux enfants, soit 9’600 fr. (400 fr. x 2 x 12), de sorte que le gain assuré s’élevait à 68’100 fr., ce qui justifiait de renvoyer la cause à l’assurance-accidents pour un nouveau calcul de la rente d’invalidité fondé sur ce montant.

Consid. 6 [résumé]
L’assurance-accidents conteste le montant retenu et soutient qu’il devrait être tenu compte, au titre du gain assuré, du revenu réalisé avant le chômage, en application de l’art. 24 al. 1 OLAA. Le raisonnement des juges cantonaux ne correspondrait ni à la volonté du législateur et du Conseil fédéral, ni à la jurisprudence, et procéderait d’une interprétation erronée de l’arrêt 8C_879/2008 du 5 février 2009 – cité par la doctrine (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 966 n. 188) – aux termes duquel, pour la période de chômage durant l’année précédant l’accident, il faudrait se baser sur le salaire réalisé avant le chômage et, dès la reprise du travail, sur le gain réalisé auprès du nouvel employeur, le fait qu’un assuré perçoive ensuite un salaire supérieur ou inférieur n’étant pas déterminant. La méthode cantonale placerait l’assurée dans une situation plus favorable que celle qui existerait sans la période de chômage et contreviendrait, sans motif valable, aux principes de l’équivalence (primes-prestations) et de l’égalité de traitement. Il conviendrait au contraire de scinder l’année précédant l’accident en deux périodes : la période de chômage (29.01.2018–24.10.2018, soit 269 jours), dont le gain assuré devrait être calculé sur la base du revenu de 1’881 fr. 75 réalisé avant le chômage, adapté à l’évolution des salaires 2018 (5’824 fr. 70), et la période auprès de la boulangerie B.__ pour les jours restants (15’226 fr.). En ajoutant les allocations familiales de 9’600 fr., le gain assuré total se chiffrerait à 30’650 fr. 70.

Consid. 7.1
Les critiques de l’assurance-accidents relatives à la détermination du gain assuré sont fondées. En effet, on ne peut suivre le point de vue de la cour cantonale selon lequel l’art. 24 al. 1 OLAA serait inapplicable lorsque la personne assurée perçoit dans sa nouvelle activité un revenu qui est supérieur à celui obtenu avant son chômage. Ce raisonnement traduit une interprétation erronée de la jurisprudence. Il ressort à cet égard du considérant 3b de l’arrêt U 108/92 rendu le 4 août 1993 par le Tribunal fédéral des assurances, partiellement publié dans RAMA 1994 n° U 179 p. 32, et qui a été confirmé par l’arrêt 8C_879/2008 du 5 février 2009, que le gain assuré ne peut être déterminé, après une période de chômage, uniquement sur la base du salaire perçu dans la nouvelle activité, en annualisant ce montant. On précisera encore, s’agissant particulièrement de l’arrêt 8C_879/2008, que le litige soumis au Tribunal fédéral portait sur le calcul du gain annuel assuré d’une personne qui, dans l’année précédant l’accident, avait repris une nouvelle activité lucrative après une période de chômage, dans un poste dans lequel elle percevait un revenu inférieur à celui qu’elle avait obtenu pour l’activité exercée avant le chômage. Le salaire effectivement perçu dans la nouvelle activité était déterminant pour le calcul du gain assuré à partir du début des relations de travail correspondantes. En effet, le salaire n’était plus diminué en raison du chômage. En revanche, pour la période antérieure à l’exercice de cette activité, le gain assuré devait être déterminé en fonction du revenu réalisé avant le chômage. En vertu de l’art. 24 al. 1 OLAA, ce gain était également valable pour la période de chômage qui a suivi (consid. 3.2; cf. également FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 964 n. 186).

Consid. 7.2
Il convient encore de rectifier d’office les constatations de la cour cantonale quant au fait que l’assurée n’a perçu ni indemnité ni revenu entre juin et septembre 2018 qui sont manifestement erronées. Il ressort des décomptes de prestations figurant au dossier qu’entre avril 2017 et mai 2018, l’assurée a bénéficié d’indemnités journalières de l’assurance-chômage puis, jusqu’en octobre 2018, d’indemnités versées par le Service des prestations cantonales en cas de maladie (PCM) de l’Office cantonal genevois de l’emploi (OCE) (pour les prestations cantonales en cas d’incapacité passagère, totale ou partielle, de travail: cf. art. 8 ss de la loi cantonale genevoise en matière de chômage du 11 novembre 1983 [LMC]; RS/GE J 2 20). Dès lors que les prestations cantonales en cas de maladie couvrent l’une des éventualités énumérées à l’art. 24 al. 1 OLAA – qui définit de manière exhaustive les pertes de salaire temporaires à prendre en compte pour déterminer le gain assuré déterminant -, cette disposition s’applique pour cette période.

Consid. 7.3
Ainsi, durant l’année qui a précédé l’accident, entre le 29.01.2018 et le 28.01.2019, l’assurée a perçu des indemnités de chômage puis des indemnités pour perte de gain maladie, avant de reprendre un emploi à plein temps auprès de la boulangerie B.__. Au vu de la jurisprudence exposée au considérant 7.1, pour déterminer le gain assuré, il convient donc de diviser cette année en plusieurs périodes.

Consid. 7.3.1
Au cours d’une première période, à savoir entre le 29.01.2018 et mai 2018, le salaire a été réduit en raison du chômage. Il se justifie de se fonder sur le revenu que l’assurée réalisait avant son chômage, soit le montant de 1’881 fr. 75 perçu entre janvier et mars 2017, conformément aux fiches de salaires transmises par l’ancien employeur. Ce montant s’applique non seulement à la période de chômage, mais également à la période de maladie qui a suivi, en vertu de l’art. 24 al. 1 OLAA. Pris en considération pour 269 jours (du 29.01.2018 au 24.10.2018) et adapté selon l’indexation des salaires nominaux en 2018 (+0.5%; tableau T1.2.15, ligne total), on obtient un gain assuré de 5’575 fr. 05 ([1’881 fr. 75 + 0.5% / 3 x 12] / 365 x 269).

Consid. 7.3.2
Pour la période du 25.10.2018 au 28.01.2019 (soit 96 jours), le revenu annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. x 13) auprès de la boulangerie B.__ est à prendre en compte. Non contesté par les parties, il est fait application de l’art. 24 al. 1 OLAA pour cette période, lors de laquelle l’assurée a également perçu pour un temps des indemnités en raison d’un (autre) accident. Le gain assuré équivaut ainsi à 15’386 fr. 30 (58’500 fr. / 365 x 96).

Consid. 7.3.3
En tenant compte des allocations familiales de 9’600 fr. (cf. art. 22 al. 2 let. b OLAA) – reconnues par l’assurance-accidents -, le gain annuel assuré de l’assurée doit être fixé à 30’561 fr. 35 (5’575 fr. 05 + 15’386 fr. 30 + 9’600 fr.).

Consid. 7.4
L’assurance-accidents a conclu a un gain annuel assuré (supérieur) de 30’650 fr. 70. Il y a lieu de confirmer ce montant. En effet, le Tribunal fédéral, qui est lié par les conclusions que les parties prennent devant lui, ne peut allouer davantage ou autre chose que demandé, ni moins que ce qu’une partie a reconnu devoir (GRÉGORY BOVET, Commentaire de la LTF, 3 e éd., n° 7 ad art. 107). Il ne se justifie pas de sortir du cadre délimité par les conclusions de l’assurance-accidents.

Consid. 7.5
En conclusion, le recours se révèle bien fondé et l’arrêt attaqué doit être réformé en ce sens que le montant du gain annuel assuré servant de base de calcul à la rente d’invalidité de 22% est fixé à 30’650 fr. 70.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_55/2025 consultable ici

 

 

8C_419/2024 (f) du 26.05.2025 – Rente d’invalidité – Rechute – Capacité de travail exigible – Effets secondaires habituels et notoirement connus de la forte médication antalgique prescrite à l’assurée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_419/2024 (f) du 26.05.2025

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Rechute / 16 LPGA – 11 OLAA

Capacité de travail exigible – Effets secondaires habituels et notoirement connus de la forte médication antalgique prescrite à l’assurée

Valeur probante de l’expertise médicale judiciaire – Frais d’expertise judiciaire à charge de l’assurance-accidents

 

Résumé
À la suite d’un accident survenu en 1988 et de multiples interventions à la hanche gauche, l’état de santé s’est aggravé dès 2016 sous forme de coxodynies chroniques, avec boiterie de type Trendelenburg, limitations marquées (positions tolérées < 30 minutes, périmètre de marche < 20 minutes) et effets secondaires d’une forte médication antalgique. L’expertise judiciaire a confirmé la cohérence de ces atteintes avec le traumatisme et les chirurgies, retenu qu’une capacité de 50% avait subsisté jusqu’en 2018, puis qu’aucune activité, même sédentaire avec alternance des positions, n’était plus exigible en raison des douleurs et des troubles de la concentration et de la vigilance. La cour cantonale a accordé une « rente entière », après stabilisation fin septembre 2019, et a mis les frais d’expertise à la charge de l’assureur-accidents en raison de lacunes et contradictions des appréciations médicales administratives. Le recours de l’assureur-accidents a été rejeté par le TF.

Cf. également mon commentaire en fin d’article.

 

Faits
Le 03.08.1988, l’assurée, née en 1969 et employée comme téléphoniste, a perdu la maîtrise de son véhicule et a percuté un arbre, ce qui lui a occasionné une fracture comminutive diaphysaire du fémur gauche ainsi qu’une fracture trimalléolaire à gauche. Par décision du 12.11.1990, l’assurance-accidents lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 15%, sans rente dès lors que les séquelles ne réduisaient pas sa capacité de gain de manière importante.

En raison d’un raccourcissement du fémur gauche et d’un défaut d’axe de rotation dus aux suites de la première opération, elle a annoncé plusieurs rechutes (1991, 1992, 1994, 1995), prises en charge. Par décision du 28.02.1997, une rente d’invalidité LAA a été octroyée dès le 01.11.1996, fondée sur une incapacité de gain de 50%.

Le 30.08.2016, l’employeuse auprès de laquelle l’assurée travaillait comme téléopératrice à 50% a communiqué une nouvelle rechute de l’accident du 03.08.1988. En incapacité de travail totale, elle se plaignait de douleurs lombaires basses et de douleurs à la hanche gauche et a consulté plusieurs spécialistes. Selon ceux-ci, il existait deux problématiques : l’une lombaire (mal-alignement lombo-sacré avec hypolordose L4–S1), l’autre à la hanche gauche (insuffisance chronique des abducteurs sur rupture des tendons moyen et petit; dégénérescence graisseuse du moyen fessier, stade IV selon Goutallier).

En avril 2017, le docteur F.__ a pratiqué une arthrodèse L4–S1. L’assurance-accidents a refusé de prester pour les troubles du dos, mais a accepté la prise en charge de l’opération du 20.02.2018 par le docteur E.__ (exploration de la péri-hanche gauche avec cure de hernie fasciale et bursectomie trochantérienne) ainsi que l’incapacité en découlant. Selon ce médecin, l’intervention avait amélioré la fonction de la hanche, mais des douleurs persistaient autour de la péri-hanche gauche.

En août 2019, le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique, a procédé à un examen final. Dans son rapport du 02.09.2019, complété le 30.09.2019, il a considéré l’état stabilisé et a retenu des limitations fonctionnelles (pas de marche et de station debout ou assise prolongées supérieures à 30 minutes, pas d’accroupissement et d’agenouillement, port de charges extrêmement limité, position assise limitée à 20 minutes). Tout en relevant que de moindres surcharges mécaniques entraînaient des douleurs rendant toute activité impossible et nécessitant une période de repos de plusieurs mois, il a indiqué qu’une activité sédentaire avec alternance assise/debout était exigible. Il a estimé qu’il n’y avait pas lieu de revoir le taux d’atteinte à l’intégrité de 15% fixé en 1990.

L’assurance-accidents a mis fin au paiement des soins médicaux et des indemnités journalières dès le 01.10.2019. Par décision du 21.11.2019, elle a refusé d’augmenter la rente d’invalidité LAA, considérant l’absence d’aggravation notable. L’assurée a formé opposition, en produisant notamment un rapport du docteur G.__ du 23.06.2020 faisant état d’une lésion évolutive de la hanche et de la fesse gauches depuis l’accident, entraînant une incapacité de travail majeure. Sur la base d’une nouvelle appréciation du médecin-conseil du 27.11.2020, l’assurance-accidents a écarté l’opposition (décision sur opposition du 11.12.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/513/2024 – consultable ici)

Dans le cadre de son recours, l’assurée a produit plusieurs rapports médicaux, dont un rapport du 10.07.2018 du docteur F., selon lequel elle souffrait essentiellement d’une douleur fessière gauche et les lombalgies, certes liées à une atteinte dégénérative, étaient également influencées par la boiterie en rapport avec la lésion de la musculature fessière gauche.

La cour cantonale a mis en œuvre une expertise médicale judiciaire (mandat au professeur J.).

Par arrêt du 26.06.2024, la cour cantonale a admis partiellement le recours en ce sens que l’assurée a droit à une rente entière d’invalidité LAA dès le 01.10.2019 et a mis les frais de l’expertise judiciaire, par 7’754 fr. 40, à la charge de l’assurance-accidents.

 

TF

Consid. 3
(…) S’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, on rappellera que le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et la référence citée).

Consid. 4 [résumé]
En substance, l’expert judiciaire a constaté que les tendinopathies des fessiers, la hernie du fascia lata, la bursite prétronchantérienne, l’ossification hétérotopique (opérée en 2012) ainsi que l’insuffisance chronique des adducteurs avec rupture des muscles moyen et petit fessiers (opérée en 2018) étaient en relation de causalité avec les interventions chirurgicales à la hanche gauche et avec la boiterie de type Trendelenburg à gauche, source de surcharge musculaire. Il a retenu qu’une aggravation était survenue depuis 2016 sous la forme de coxodynies chroniques prédominant sur les lombalgies, empêchant de rester assise/couchée/debout plus de 30 minutes, d’effectuer des accroupissements, limitant la force et la mobilité du membre inférieur gauche et réduisant le périmètre de marche à moins de 20 minutes; la station assise le dos droit était impossible en raison de tensions trochantériennes influençant les maux de dos; la montée des escaliers se faisait marche par marche et le port de charges était limité. Les plaintes et limitations décrites étaient cohérentes avec les lésions anatomiques, explicables par le traumatisme et les chirurgies subies.

Interpellé sur la capacité de travail dans l’activité habituelle en lien (probable) avec l’accident de 1988 et son évolution, il a déclaré qu’au vu de l’examen clinique et de l’anamnèse, l’assurée, qui avait pu maintenir une capacité de 50% jusqu’en 2018, n’était plus en mesure de reprendre son activité professionnelle, cette incapacité étant en lien direct avec les coxodynies gauches. À la question de la capacité dans une activité adaptée, il a répondu qu’aucune activité n’était compatible avec des douleurs chroniques obligeant à changer de position tous les quarts d’heure et avec l’usage d’opiacés susceptibles d’entraîner des troubles de la concentration et de la vigilance.

Consid. 5 [résumé]
La cour cantonale a considéré que l’expertise judiciaire répondait aux réquisits jurisprudentiels permettant de lui reconnaître une pleine valeur probante et qu’il n’y avait aucun motif de s’en écarter. Se fondant sur les conclusions du professeur J.__, elle a retenu que l’état de santé de l’assurée en lien avec l’accident de 1988 s’était aggravé au point de la rendre incapable d’exercer une quelconque activité professionnelle. Partant, elle a jugé que l’assurée, dont l’état s’était stabilisé à la fin septembre 2019, avait droit à une « rente entière » d’invalidité à compter du 1er octobre 2019.

Consid. 6.2 [résumé]
Selon la jurisprudence, c’est la tâche du médecin de porter un jugement sur l’état de santé, en particulier d’indiquer dans quelle mesure celui-ci a évolué et pour quelles activités l’assuré est incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2; 125 V 256 consid. 4 et les arrêts cités).

La lecture des considérations de l’expert judiciaire montre qu’il constate une aggravation des séquelles depuis 2016 et qu’il considère, vu l’importance et le caractère difficilement contrôlable des coxodynies obligeant à changer de position tous les quarts d’heure, que la capacité de travail est désormais marginale et, partant, inexploitable. En cela, l’expert judiciaire a porté un jugement sur l’évolution de l’état de santé et la capacité de travail de l’assurée qui relève de son champ de compétence quoi qu’en dise l’assurance-accidents.

On peut au demeurant relever que, dans ses appréciations médicales, le médecin-conseil a lui-même souligné que de moindres surcharges mécaniques étaient de nature à entraîner des douleurs rendant toute activité impossible et nécessitant une période de repos et de traitement de l’ordre de quelques mois. C’est d’ailleurs un des motifs qui ont conduit la cour cantonale à ordonner une expertise judiciaire, y voyant une contradiction avec le fait que le médecin-conseil avait néanmoins conclu à l’exigibilité d’une activité sédentaire avec alternance assise/debout.

Quant aux troubles de la concentration et de la vigilance évoqués par l’expert judiciaire, il s’agit d’effets secondaires habituels et notoirement connus de la forte médication antalgique prescrite à l’assurée.

Il s’ensuit qu’en l’absence de raisons de s’écarter de l’expertise judiciaire (cf. consid. 3 supra), la cour cantonale était fondée à en suivre les conclusions.

Consid. 8.2
Selon la jurisprudence, les frais d’expertise peuvent être mis à la charge de l’assurance-invalidité ou de l’assureur-accidents lorsque les résultats de l’instruction mise en oeuvre dans la procédure administrative n’ont pas une valeur probatoire suffisante pour trancher des points juridiquement essentiels (ATF 139 V 225 consid. 4.3; 137 V 210 consid. 4.4.1 et 4.4.2). Cette règle ne saurait toutefois entraîner la mise systématique des frais d’une expertise judiciaire à la charge de l’autorité administrative. Encore faut-il que l’autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l’expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d’instruction administrative. En d’autres termes, il doit exister un lien entre les défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mettre en oeuvre une expertise judiciaire. En revanche, lorsque l’autorité administrative a respecté le principe inquisitoire et fondé son opinion sur des éléments objectifs convergents ou sur les conclusions d’une expertise qui répondait aux exigences jurisprudentielles, la mise à sa charge des frais d’une expertise judiciaire ordonnée par l’autorité judiciaire de première instance, pour quelque motif que ce soit (à la suite par exemple de la production de nouveaux rapports médicaux ou d’une expertise privée), ne saurait se justifier (ATF 143 V 269 consid. 3.3; 140 V 70 consid. 6.1; 139 V 496 consid. 4.4).

Consid. 8.3 [résumé]
En l’espèce, la cour cantonale a motivé la mise à charge des frais par des lacunes caractérisées dans les appréciations du médecin-conseil relevées dans son ordonnance d’expertise, qui avaient rendu nécessaire une expertise judiciaire. L’assurance-accidents ne discute pas cette motivation et se borne à affirmer que son médecin-conseil s’est prononcé « de manière approfondie ». On ne peut que confirmer le point de vue cantonal : les considérations du médecin-conseil ont varié et manquent de cohérence. Dans ses appréciations de septembre 2019, il souligne que de moindres surcharges mécaniques risquent de provoquer une incapacité de travail de longs mois, ce qui contredit l’exigibilité d’une reprise d’activité professionnelle dans la même mesure qu’auparavant; dans son appréciation de novembre 2020, il admet des limitations plus conséquentes mais les attribue ni au membre inférieur gauche ni au rachis, évoquant une surcharge due à un déséquilibre bassin–rachis et à une dysplasie fémoro-acétabulaire, diagnostic absent du dossier. Dans ces conditions, l’avis du médecin-conseil, sur lequel reposait la décision sur opposition, ne pouvait avoir valeur probante et une instruction complémentaire s’imposait. L’appréciation sur dossier produite par l’assureur-accidents en procédure cantonale ne saurait y pallier. Les frais de l’expertise judiciaire ont donc été mis à juste titre à la charge de l’assurance-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_419/2024 consultable ici

 

 

Commentaire

A mes yeux, cet arrêt présente un double intérêt.

Premièrement, il confirme le rôle essentiel du médecin-expert dans l’évaluation de la capacité résiduelle de travail. Le médecin-expert reste dans son champ de compétence lorsqu’il conclut à l’inexistence d’une capacité de travail exploitable. En l’espèce, les limitations fonctionnelles et les douleurs chroniques, attestées médicalement et démontrées par un examen clinique complet, constituent précisément la matière sur laquelle le médecin doit se prononcer. Le médecin-expert peut ainsi conclure à l’inexistence d’une capacité de travail exploitable (consid. 6.2 de l’arrêt du Tribunal fédéral). Par conséquent, lorsque l’expert judiciaire constate que les douleurs, la nécessité de changer continuellement de position et d’autres limitations rendent toute activité impraticable, ses conclusions s’imposent au juge, sauf contradiction manifeste ou lacune patente.

Deuxièmement, l’arrêt souligne l’importance particulière des effets secondaires d’une médication antalgique lourde, comme la morphine et ses dérivés (cf. l’arrêt du tribunal cantonal ATAS/513/2024 consid. 4.1.5). Ces substances sont notoirement connues pour altérer la concentration et la vigilance (consid. 6.2 de l’arrêt du Tribunal fédéral). Le Tribunal fédéral rappelle qu’il s’agit d’éléments médicaux objectivement constatables et parfaitement intégrés dans l’analyse de la capacité de travail. En d’autres termes, on ne saurait examiner exclusivement les limitations fonctionnelles « mécaniques » (comme la boiterie ou la réduction du périmètre de marche) sans considérer simultanément les conséquences induites par la médication indispensable au contrôle des douleurs. Il incombe donc au médecin-expert, au médecin traitant ou au médecin-conseil d’évaluer ces effets secondaires et d’en tenir compte dans les limitations fonctionnelles et dans l’estimation de la capacité de travail exigible.

En définitive, cet arrêt apporte une clarification précieuse. D’une part, le médecin-expert agit dans son rôle lorsqu’il conclut à l’absence de toute capacité de travail exploitable en raison de limitations sévères. D’autre part, une forte médication antalgique doit être prise en compte dans l’évaluation de la capacité de travail, ses effets secondaires étant notoirement connus.

 

 

8C_598/2024 (f) du 19.05.2025 – Violation du droit d’être entendu en instance cantonale / Preuve nouvelle (envoi d’une clé USB) autorisée par le TF – 99 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_598/2024 (f) du 19.05.2025

 

Consultable ici

 

Violation du droit d’être entendu en instance cantonale

Preuve nouvelle (envoi d’une clé USB) autorisée par le TF / 99 LTF

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a admis le recours d’une société contre l’arrêt cantonal, en raison d’une violation de son droit d’être entendu. La juridiction cantonale ne lui avait transmis qu’une partie du dossier de la CNA, bien que celle-ci se soit fondée sur des pièces issues de deux dossiers distincts pour statuer. Ce vice procédural, qui ne peut être réparé en instance fédérale, entraîne l’annulation de la décision attaquée et le renvoi de la cause à l’autorité précédente pour nouvelle décision.

 

Faits
B.__ a informé la CNA avoir créé le 01.11.2019 une entreprise active dans l’agencement et la menuiserie sous la raison sociale C.__. Il a rempli un formulaire, reçu par la CNA le 15.11.2021, pour déterminer sa situation en matière d’assurances sociales. Le 09.11.2022, la CNA a été informée que la société A.__ SA avait un sous-traitant en attente de validation de statut. Le 01.12.2022, elle a indiqué que l’activité de B.__ pouvait être reconnue comme indépendante, excluant ainsi une assurance obligatoire contre les accidents. Après réexamen, elle a précisé le 07.02.2023 qu’il présentait un double statut : indépendant pour les travaux réalisés en son nom et pour son propre compte, dépendant lorsqu’il intervenait comme sous-traitant ou pour le compte d’une entreprise de prêt de personnel.

Le 01.03.2023, la CNA a informé A.__ SA qu’elle considérait que B.__ exerçait une activité dépendante à son égard et lui a demandé les montants versés à ce dernier pour les années 2020 à 2022. Le 02.03.2023, la société a transmis une liste de factures établies par B.__, pour un montant total de 255’020 francs. Le 12.05.2023, la CNA a adressé des factures de primes définitives pour la période du 01.01.2020 au 31.12.2022.

Le 17 mai 2023, A.__ SA a formé opposition contre cette décision. Le 18.07.2023, elle a répondu aux questions de la CNA sur sa collaboration avec B.__. Par décision sur opposition du 13.11.2023, la CNA a rejeté l’opposition, estimant que l’intéressé ne remplissait pas les critères pour une activité lucrative indépendante en ce qui concernait son activité de menuiserie pour elle.

Procédure cantonale (arrêt ATAS/679/2024 – consultable ici)

Le 14.12.2023, A.__ SA a recouru contre la décision sur opposition, en sollicitant préalablement l’appel en cause de B.__.

Par courrier du 18.12.2023, la cour cantonale a transmis une copie du recours à la CNA, en lui demandant de faire parvenir sa réponse ainsi que le dossier en version papier et électronique. La CNA a conclu au rejet du recours et a produit les dossiers de A.__ SA (n° yyy) et de C.__ (n° xxx). La cour a invité la recourante à déposer sa réplique d’ici au 7 février 2024 et l’a informée qu’elle pouvait consulter le dossier au greffe ou demander l’envoi d’une version sur CD-Rom. Le 18.01.2024, la cour a envoyé à la recourante le CD-Rom des pièces de la partie intimée, avec prière de le lui retourner sous pli recommandé. Le 19.01.2024, A.__ SA a retourné le CD-Rom original. Dans sa réplique du 07.02.2024, elle a réitéré sa demande d’appel en cause de B.__ et requis que la CNA produise les pièces du dossier n° xxx.

La cour cantonale a appelé en cause B.__ en lui impartissant un délai au 01.03.2024 pour se déterminer, ce qu’il n’a pas fait. Par arrêt du 04.09.2024, la cour a rejeté le recours.

 

TF

Consid. 2
Le litige porte sur la qualification – salariée ou indépendante – de l’activité exercée par B.__ à l’égard de A.__ SA entre le 01.01.2020 et le 31.12.2022. La question litigieuse n’ayant pas comme telle pour objet l’octroi ou le refus de prestations d’assurance, le Tribunal fédéral est lié par les faits établis par l’autorité précédente (art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF a contrario; art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s’en écarter que si ces faits ont été établis en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte (art. 105 al. 2 LTF), à savoir arbitraire (ATF 149 II 337 consid. 2.3; 148 V 366 consid. 3.3; 145 V 188 consid. 2). Par ailleurs, à teneur de l’art. 99 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente.

Consid. 3.2
La clé USB produite par la recourante constitue une pièce nouvelle que la recourante est exceptionnellement autorisée à produire pour la première fois devant le Tribunal fédéral dans la mesure où elle tend à prouver l’inexactitude d’un fait retenu dans l’arrêt attaqué et à établir la violation de son droit d’être entendu (cf. GRÉGORY BOVEY, in : Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 26 ad art. 99 LTF).

Dans sa réponse au recours en matière de droit public, la CNA fait valoir que le dossier concernant B.__ (dossier n° xxx) a bel et bien été versé au format papier et électronique. Il n’y a aucune raison de mettre en doute cette allégation, d’autant moins que dans les pièces transmises par la juridiction cantonale au Tribunal fédéral figurent deux dossiers de la CNA (n° yyy et n° xxx), tant au format papier qu’au format électronique. Il s’agit en réalité de deux classeurs distincts, contenant chacun un CD-Rom. Le dossier complet de la cause contenait par conséquent deux dossiers, respectivement deux CD-Rom, l’un ayant pour référence le n° yyy et l’autre le n° xxx.

Or, pour une raison inexpliquée, la cour cantonale n’a transmis que le dossier n° yyy à la recourante, comme en atteste son courrier du 18.01.2024 adressé à la recourante, dans lequel elle indiquait lui remettre « le CD-Rom ». Il ressort pourtant clairement de la réplique de la recourante, en procédure cantonale, que celle-ci n’avait pas pu consulter le dossier n° xxx. Contrairement à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, une éventuelle violation du droit d’être entendu de la recourante par l’intimée n’a pas pu être guérie par la production du dossier complet en procédure cantonale, une partie de ce dossier n’ayant pas été transmise à la recourante, en dépit de la demande présentée dans ce sens par celle-ci. En procédant ainsi, la juridiction cantonale a elle-même commis une violation du droit d’être entendu. Ce vice ne pouvant pas être réparé devant le Tribunal fédéral (cf. ATF 142 II 218 consid. 2.8; 137 I 195 consid. 2.7), il entraîne l’annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 148 IV 22 consid. 5.5.2; 144 I 11 consid. 5.3).

 

Le TF admet le recours.

 

Arrêt 8C_598/2024 consultable ici

 

 

 

8C_818/2021 (f) du 12.05.2022 – Interprétation du contenu et de la portée d’une décision / Intérêt digne de protection d’une caisse-maladie à s’opposer à une décision portant sur l’art. 46 al. 2 LAA (fausse déclaration d’accident)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_818/2021 (f) du 12.05.2022

 

Consultable ici

 

Interprétation du contenu et de la portée d’une décision / 49 LPGA

Intérêt digne de protection d’une caisse-maladie à s’opposer à une décision portant sur l’art. 46 al. 2 LAA (fausse déclaration d’accident)

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a retenu qu’une décision par laquelle l’assurance-accidents a annulé sa prise en charge initiale, en application de l’art. 46 al. 2 LAA, portait à la fois sur le refus des indemnités journalières et sur celui des frais médicaux. Cette décision affecte directement les intérêts de la caisse-maladie, de sorte que celle-ci dispose d’un intérêt digne de protection pour former opposition. En déclarant cette opposition irrecevable, l’assurance-accidents a violé le droit.

 

Faits
Par déclaration du 14.06.2018, l’employeur de l’assuré a annoncé un accident survenu le 11.06.2018, ayant entraîné des blessures aux côtes, au bras droit et au poignet gauche. Le 22.06.2018, l’assurance-accidents a informé l’employeur qu’elle prenait en charge le cas et versait des prestations d’assurance à l’assuré.

Par décision du 25.10.2018, l’assurance-accidents a annulé cette prise en charge, considérant que les circonstances effectives de l’accident (bagarre) divergeaient des déclarations initiales (glissade sur sol mouillé), et a exigé la restitution de 4075 fr. à titre d’indemnités journalières perçues à tort. Une copie de cette décision a été transmise à la caisse-maladie de l’assuré.

Le 26.10.2018, l’assurance-accidents a adressé à la caisse-maladie une facture intitulée « répartition des coûts frais de traitement » d’un montant de 965 fr. 85.

Par décision sur opposition du 24.01.2019, l’assurance-accidents a déclaré irrecevable l’opposition formée par la caisse-maladie, au motif que cette dernière ne disposait d’aucun intérêt digne de protection dès lors que l’assuré avait subi un accident.

Par décision du 20.02.2019, non communiquée à la caisse-maladie, l’assurance-accidents a réclamé à l’assuré la restitution de 581 fr. 75 à titre de frais de traitement médical.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1154/2021 – consultable ici)

Saisie d’un recours de la caisse-maladie contre la décision sur opposition du 24.01.2019, le tribunal cantonal l’a rejeté par arrêt du 15.11.2021, tout en transmettant l’écriture déposée le 28.05.2019 par la caisse-maladie recourante, dans laquelle celle-ci avait formé opposition contre la décision du 20.02.2019, à l’assurance-accidents, à charge pour elle de rendre une décision sur opposition.

 

TF

Consid. 4.2
Le contenu et la portée d’une décision administrative ressortent en premier lieu de son dispositif. Lorsque celui-ci est peu clair, incomplet, équivoque ou contradictoire, l’insécurité doit être levée par une interprétation, en se référant à la motivation de la décision. Comme la décision doit être conforme à la loi et au principe de l’égalité de traitement, il convient aussi de prendre en considération, pour son interprétation, quelle solution est conforme à la loi et correspond aux critères sur lesquels se fonde habituellement l’autorité. Il s’agit de dégager le sens véritable de la décision, conformément à sa signification juridique concrète, en s’écartant au besoin du sens littéral (ATF 120 V 496 consid. 1a et la référence). Le principe de la confiance limite toutefois cette interprétation: une décision doit être comprise dans le sens que son destinataire pouvait et devait lui attribuer selon les règles de la bonne foi, compte tenu de l’ensemble des circonstances qu’il connaissait ou qu’il aurait dû connaître (ATF 115 II 415 consid. 3a; arrêt 9C_571/2019 du 23 juillet 2020 consid. 4.4.2).

Consid. 4.3
En l’espèce, l’assurance-accidents a, le 22.06.2018, annoncé à l’assuré qu’elle lui allouait « les prestations d’assurance légales pour les suites de [l]’accident professionnel du 11.06.2018 »; elle précisait notamment que le droit à l’indemnité journalière allait prendre effet au plus tôt dès le 14.06.2018 et qu’elle allait régler directement les frais de traitement des médecins et autres prestataires de soins exerçant en Suisse. Dans sa décision du 25.10.2018, également adressée à l’assuré et dont copie a été transmise à la caisse-maladie recourante, l’assurance-accidents a indiqué devoir « annuler [sa] prise en charge du 22.06.2018 », précisant plus loin que « [n]otre décision de prise en charge doit être annulée et nous devons refuser après-coup de vous allouer nos prestations ». Dans la même décision, l’assurance-accidents a, sur la base de l’art. 25 al. 1 LPGA, exigé de l’assuré le remboursement des indemnités journalières versées à tort. Dans sa décision du 20.02.2019, dont aucune copie n’a été portée à la connaissance de la caisse-maladie recourante, l’assurance-accidents a indiqué à l’assuré qu' »[a]près contrôle des actes, il est apparu que la restitution des frais de traitement n’avait pas été requise par notre première décision »; elle l’a par conséquent invité à rembourser des frais médicaux pour un montant de 581 fr. 75, sur la base de l’art. 25 al. 1 LPGA.

Consid. 4.4
Il découle clairement du contenu de la décision du 25.10.2018 que par celle-ci, l’assurance-accidents a annulé intégralement celle du 22.06.2018, laquelle reconnaissait le droit de l’assuré à des prestations, y compris la prise en charge des frais médicaux. Contrairement à ce que soutient l’assurance-accidents et à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, la décision du 25.10.2018 ne portait donc pas uniquement sur les indemnités journalières, mais également sur les frais de traitement dont la prise en charge était finalement refusée. Le fait que l’assurance-accidents se soit, dans cette décision, limitée à demander la restitution des seules indemnités journalières ne saurait aboutir à une autre interprétation; il ressort du reste de la décision du 20.02.2019 que c’est vraisemblablement par oubli que l’assurance-accidents n’a pas requis le remboursement des frais médicaux le 25.10.2018.

On notera encore que la décision du 20.02.2019 concerne uniquement la restitution de frais médicaux d’un montant de 581 fr. 75 et ne porte donc pas sur le principe même de la prise en charge de ce type de frais.

En définitive, la décision du 25.10.2018 constitue une décision de refus d’allocation de prestations (indemnités journalières et frais de traitement) doublée d’une demande de restitution des indemnités journalières, alors que celle du 20.02.2019 porte uniquement sur la restitution de frais médicaux, pour un montant de surcroît limité.

Consid. 4.5
Il s’ensuit que l’assurance-accidents devait entrer en matière sur l’opposition formée par la caisse-maladie recourante contre sa décision du 25.10.2018 et se prononcer sur le fond s’agissant de la prise en charge des frais médicaux.

Le recours se révèle dès lors bien fondé. Par conséquent, l’arrêt entrepris et la décision du 24.01.2019 doivent être annulés et la cause renvoyée à l’assurance-accidents pour nouvelle décision.

 

Le TF admet le recours de la caisse-maladie.

 

Arrêt 8C_818/2021 consultable ici

 

8C_82/2020 (f) du 12.03.2021 – Décompte d’indemnités journalières LAA – Décision non formelle – Effets du décompte entré en force de chose décidée / Demande de reconsidération rejetée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_82/2020 (f) du 12.03.2021

 

Consultable ici

 

Décompte d’indemnités journalières LAA – Décision non formelle – Effets du décompte entré en force de chose décidée / 51 LPGA – 124 OLAA

Reconsidération d’une décision non formelle entrée en force

 

Résumé
L’assuré, administrateur unique et seul employé de sa société, a contesté après son accident de 2009 le montant de l’indemnité journalière fixé à 87 fr. 70 par l’assurance-accidents, invoquant une convention –
en application de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA – postérieure prévoyant un gain assuré de 96’000 fr. Le Tribunal fédéral a confirmé que cette communication et le décompte d’indemnités journalières initial, valablement rendus selon la procédure simplifiée de l’art. 51 al. 1 LPGA, étaient entrés en force de chose décidée, faute de contestation dans le délai de 90 jours. Il a jugé que la demande ultérieure ne constituait ni une demande claire de reconsidération ni un motif de révision au sens de l’art. 53 LPGA. Le recours a donc été rejeté.

 

Faits
Fin 2008, A.__ (l’assuré), né en 1950 et ingénieur de profession, a repris l’entreprise B.__ SA, dont il a modifié la raison sociale en C.__ SA, devenant son administrateur unique et seul employé. Le 13.06.2009, il a subi un accident de la circulation ayant nécessité un traitement médical et entraîné une incapacité de travail. L’accident a été annoncé à l’assurance-accidents, qui a pris le cas en charge. La déclaration d’accident mentionnait un salaire annuel de 40’000 fr., avec la précision « salaire à déterminer depuis le 01.01.2009 » et la mention « Membre de la famille, associé(e) » sous la rubrique « Cas spéciaux ». Lors d’un entretien le 27.08.2009, il a remis à un inspecteur une attestation destinée à la caisse AVS indiquant une masse salariale annuelle prévue de 40’000 fr. pour 2009. Par courrier du 19.10.2009 (intitulée « Décision relative à l’accident non professionnel du 13.6.09 »), l’assurance-accidents lui a octroyé une indemnité journalière de 87 fr. 70 dès le 16.06.2009.

En mai 2011, l’assurance-accidents a recalculé les primes d’assurance pour C.__ SA. Par convention du 10.05.2011, le gain assuré de l’assuré a été fixé à 96’000 fr. dès le 01.01.2011, en application de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA.

Par lettre du 07.06.2011, l’assuré a confirmé un accord sur une incapacité de travail de 70% dès le 01.12.2009 et a sollicité un décompte récapitulatif des indemnités journalières, demandant aussi une révision du montant de ces indemnités à hauteur de 210 fr. 40 sur la base d’un salaire de 96’000 fr. Le décompte récapitulatif a été transmis le 09.06.2011. S’agissant du deuxième point soulevé, l’assurance-accidents a demandé le 28.02.2012 des documents complémentaires pour évaluer la plausibilité du revenu invoqué. Par lettre du 12.03.2012, l’assuré a précisé qu’il invoquait l’application de la dérogation prévue par l’art. 22 al. 2 let. c OLAA. Il a finalement transmis les documents requis et, dans une lettre du 22.08.2014, a réitéré sa demande de correction à la hausse des indemnités journalières.

Par décision du 19.11.2014, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations au 13.07.2014, estimant par ailleurs que la vraisemblance d’une augmentation de revenus n’était pas établie, notamment à la lumière de l’extrait du compte AVS individuel, et que la convention sur une nouvelle base de perception ne changeait rien pour les cas passés. L’assuré a formé opposition. Dans une lettre du 30.01.2015, l’assurance-accidents a justifié son refus en invoquant l’art. 23 al. 7 OLAA, que l’assuré a considéré comme inapplicable, estimant que le litige portait sur l’art. 22 al. 2 let. c OLAA. Le 02.06.2017, l’assurance-accidents a confirmé sa décision en circonscrivant le litige à l’application avec effet ex tunc de cette dernière disposition et a rejeté l’opposition dans la mesure de sa recevabilité.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 85/17 – 159/2019 – consultable ici)

Par jugement du 06.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
En vertu de l’art. 51 al. 1 LPGA, les prestations, créances et injonctions qui ne sont pas visées à l’art. 49 al. 1 de cette loi, peuvent être traitées selon une procédure simplifiée. Tel est le cas des indemnités journalières (art. 124 OLAA a contrario; ATF 138 V 140 consid. 5.3.3 p. 144). Une communication effectuée conformément au droit sous la forme simplifiée de l’art. 51 al. 1 LPGA peut produire les mêmes effets qu’une décision entrée en force si l’assuré n’a pas, dans un délai d’examen et de réflexion convenable, manifesté son désaccord avec la solution adoptée par l’assureur social et exprimé sa volonté que celui-ci statue sur ses droits dans un acte administratif susceptible de recours (cf. ATF 134 V 145 consid. 5.2 p. 150 s.; 129 V 110 consid. 1.2.2 p. 111). En matière d’indemnités journalières, la jurisprudence du Tribunal fédéral a fixé le délai d’examen et de réflexion convenable à 3 mois ou 90 jours à compter de la communication d’un décompte d’indemnités journalières (SVR 2007 AlV n° 24 p. 75, consid. 3.2 [arrêt C 119/06 du 24 avril 2007]; arrêt 8C_14/2011 du 13 avril 2011, consid. 5).

Consid. 3.2
Les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient pas être produits auparavant (révision procédurale; art. 53 al. 1 LPGA). Par ailleurs, l’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable (reconsidération; art. 53 al. 2 LPGA). Cela vaut aussi pour les prestations qui ont été accordées sans avoir fait l’objet d’une décision formelle, mais d’une décision implicite prise dans le cadre d’une procédure simplifiée au sens de l’art. 51 al. 1 LPGA (cf. arrêt 8C_434/2011 du 8 décembre 2011 consid. 3 et les références).

Consid. 4.1 [résumé]
La cour cantonale a confirmé que la communication du 19.10.2009, fixant l’indemnité journalière à 87 fr. 70, avait été valablement rendue selon la procédure simplifiée de l’art. 51 al. 1 LPGA et était entrée en force, l’assuré ne l’ayant pas contestée dans le délai de réflexion de trois mois. Elle a rejeté l’argument selon lequel le décompte récapitulatif du 09.06.2011, établi à la demande de l’assuré et intégrant une modification du taux d’incapacité de travail, aurait remplacé les précédentes communications. La communication initiale ne pouvait donc être remise en cause que par une révision ou une reconsidération au sens de l’art. 53 LPGA. Constatant que l’assuré avait requis, par courrier du 07.06.2011, une adaptation du montant des prestations fondée sur la convention du 10.05.2011, les juges cantonaux ont examiné cette requête sous l’angle de l’art. 53 al. 1 LPGA et ont nié l’existence de motifs de révision.

Consid. 5.1
Selon la jurisprudence, l’administration n’est pas tenue de reconsidérer les décisions qui remplissent les conditions fixées; elle en a simplement la faculté et ni l’assuré ni le juge ne peuvent l’y contraindre (ATF 133 V 50 consid. 4.1 p. 52; 119 V 475 consid. 1b/cc p. 479; 117 V 8 consid. 2a p. 12 s.; arrêt 8C_866/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.2). Cependant, lorsque l’administration entre en matière sur une demande de reconsidération et examine si les conditions requises sont remplies, avant de statuer au fond par une nouvelle décision de refus, celle-ci est susceptible d’être attaquée en justice; le contrôle juridictionnel dans la procédure de recours subséquente se limite alors au point de savoir si les conditions d’une reconsidération – à savoir inexactitude manifeste de la décision initiale et importance notable de la rectification – sont réunies (ATF 119 V 475 consid. 1b/cc p. 479; 117 V 8 consid. 2a p. 13; 116 V 62 consid. 3a p. 63; arrêt 8C_789/2012 du 16 septembre 2013 consid. 4.4.1).

Consid. 5.2
En l’occurrence, à l’inverse de ce que prétend l’assuré, ses références à la règle dérogatoire de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA et à la convention du 10.05.2011 dans son courrier du 07.06.2011 ne permettent nullement de se faire une idée claire du cadre juridique dans lequel s’inscrivait sa requête visant à « revoir » le montant des indemnités journalières ni du moment à partir duquel il convenait de « porter [ce montant] à CHF 210.40 ».

En tant que l’assuré, qui était déjà à l’époque représenté par un mandataire professionnel, s’est prévalu de la convention portant le gain assuré à 96’000 fr. à partir du 01.01.2011, l’assurance-accidents a interprété sa démarche comme une demande d’adaptation du montant des prestations pour l’avenir et non pas comme une demande de reconsidération de sa décision informelle du 19.10.2009. Les mots qu’elle a employés dans sa réponse du 28.02.2012 (« Votre client demande, dès le 1.1.2011, une adaptation du salaire assuré à Fr. 96’000.-« ), ainsi que les questions auxquelles elle l’a invité à répondre – dont celle de savoir si l’assuré avait augmenté ses activités et comment il pouvait prétendre un salaire annuel de 96’000 fr. en dépit de son incapacité de travail résultant de l’accident -, ne pouvaient pas être compris autrement par l’assuré. Or ce dernier s’est contenté d’exprimer son étonnement et de réitérer sa demande dans les mêmes termes que précédemment. Par décision du 19.11.2014, l’assurance-accidents, après examen des documents fournis, a refusé de donner suite à la requête de l’assuré, considérant qu’il n’avait pas rendu plausible une augmentation de son salaire déterminant à partir du 01.01.2011. C’est en vain que l’assuré tente de donner une autre portée à cette décision. Sur opposition de celui-ci, l’assurance-accidents a expressément refusé d’entrer en matière sur une reconsidération de sa communication informelle du 19.10.2009, et la cour cantonale ne pouvait pas l’y contraindre (cf. consid. 5.1 supra).

Consid. 5.3
L’assuré ne saurait par ailleurs être suivi lorsqu’il prétend que la force de chose décidée de cette communication serait limitée à la période du 16.06.2009 au 13.07.2009. Comme on l’a dit plus haut (consid. 3.1 supra), à l’échéance du délai de réflexion de 90 jours, la communication d’un décompte d’indemnités journalières non contesté produit les mêmes effets qu’une décision entrée en force, étant précisé que l’entrée en force s’étend également au montant du gain assuré figurant sur le décompte de prestations (arrêt C 7/02 du 14 juillet 2003 consid. 3). Dans la mesure où l’assuré entend, par sa requête du 07.06.2011, remettre en cause la force de chose décidée du décompte initial quant au gain assuré en contestant les décomptes ultérieurs à partir du 01.03.2011, il doit pouvoir se prévaloir d’un titre de révocation. Or l’assurance-accidents lui a signifié son refus d’entrer en matière sur une reconsidération de la communication du 19.10.2009 pour toute la période du droit aux prestations fondées sur l’accident du 13.06.2009.

Consid. 5.4
Il s’ensuit que le jugement n’est pas critiquable et que le recours se révèle mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_82/2020 consultable ici

 

 

 

8C_437/2024 (d) du 21.05.2025 – Négligence grave – Causalité naturelle et adéquate entre la faute et l’accident et ses conséquences

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_437/2024 (d) du 21.05.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Négligence grave – Causalité naturelle et adéquate entre la faute et l’accident et ses conséquences / 37 al. 2 LAA

Collision camion-vélo électrique – Non-respect du cédez-le-passage par le cycliste et excès de vitesse (+8 km/h) du camion

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a admis le recours d’un assureur qui avait réduit de 10% les indemnités journalières versées à un assuré, grièvement blessé lors d’une collision avec un camion, au motif que ce dernier avait, en tant que cycliste, violé les règles de priorité à un passage signalé. Il a considéré que la faute grave de l’assuré, consistant à ne pas avoir cédé le passage au camion prioritaire malgré une signalisation explicite, constituait une cause naturelle et adéquate de l’accident. Il a par ailleurs jugé que les manquements du conducteur du camion, bien que réels, ne revêtaient pas une intensité suffisante pour rompre le lien de causalité adéquate, et que la réduction des prestations au sens de l’art. 37 al. 2 LAA était dès lors justifiée.

 

Faits
Assuré, né en 2004, engagé depuis le 01.08.2020 en tant qu’assistant en soins et santé communautaire en formation (AFP). Le 18.11.2021 matin, en se rendant au travail avec un cyclomoteur léger (vélo électrique), il circulait sur la piste cyclable et piétonne parallèle à la route C.__. Un camion remorque roulait dans la même direction. À hauteur du site de l’entreprise D.__ AG, la piste cyclable et piétonne se terminent devant un passage piéton qui traverse la route C.__. La piste cyclable se poursuit ensuite en direction de la ville de W.__, séparée de la chaussée et située sur le côté gauche de la route dans le sens de la circulation vers W.__. La fin de la piste cyclable au niveau du passage piéton est signalée et marquée par un marquage au sol « Cédez le passage ». Lorsqu’il a traversé la route C.__, une collision s’est produite avec le camion, à la suite de quoi l’assuré a été projeté et a atterri à environ 26 mètres du point d’impact, sur une surface herbeuse. L’assuré a été grièvement blessé, souffrant d’un polytraumatisme. Le vélo électrique a été écrasé par les roues droites du camion avant la fin de la trace de freinage.

L’assurance-accidents a réduit les indemnités journalières de 10% pour faute grave.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 12.06.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition.

 

TF

Consid. 3.1
Le tribunal cantonal a correctement exposé la disposition de l’art. 37 al. 2 LAA relative à la réduction des prestations en cas de négligence grave et la jurisprudence y relative (cf. ATF 138 V 522 consid. 5.2 ; 118 V 305 consid. 2b ; arrêt 8C_9/2023 du 10 mai 2023 consid. 3.3 et les références).

Consid. 3.2
Une réduction des prestations suppose un lien de causalité naturelle et adéquate entre le comportement gravement fautif et l’événement accidentel ainsi que ses conséquences (cf. ATF 126 V 353 consid. 5c ; 121 V 48 consid. 2c et les références ; cf. également SVR 2013 UV n° 34 p. 120, 8C_263/2013 consid. 4.3 avec d’autres références).

Consid. 3.2.1
Il y a un lien de causalité naturelle lorsque le comportement dommageable constitue une condition nécessaire (condicio sine qua non) à la survenance du dommage, c’est-à-dire que l’on ne peut écarter le comportement en question sans que le résultat survenu ne disparaisse également (ATF 143 II 661 consid. 5.1.1 et les références ; cf. également ATF 142 V 435 consid. 1 avec d’autres références).

Consid. 3.2.2
Il y a un lien de causalité adéquate lorsqu’une circonstance constitue non seulement une condition sine qua non du dommage, mais est également si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 143 II 661 consid. 5.1.2 ; 139 V 176 consid. 8.4.2 ; 129 V 177 consid. 3.2 ; arrêt 4A_275/2013 du 30 octobre 2013 consid. 5).

Pour admettre le lien de causalité adéquate, il suffit que le comportement gravement fautif de la personne assurée constitue une cause essentielle. Il est en principe sans importance que d’autres circonstances aient également contribué à la réalisation du dommage. Une éventuelle faute d’un tiers n’est donc pas à prendre en compte, sauf si elle revêt une importance causale si intense que le lien de causalité entre la faute de l’assuré et l’accident ou ses conséquences ne paraît plus adéquat (SVR 2003 UV n° 3 p. 7, U 195/01 consid. 4a/bb ; SZS 1986 p. 249, U 91/84 consid. 3c, chacun avec références ; arrêt 8C_9/2023 du 10 mai 2023 consid. 5.5.2 avec références).

Consid. 4 [résumé]
Le tribunal cantonal a retenu qu’il était incontestable tant pour le conducteur du camion, habitué du trajet, que pour l’assuré, qui parcourait quotidiennement depuis près d’un an le même itinéraire à vélo électrique, que tous deux connaissaient parfaitement les conditions locales du lieu de l’accident. L’instance cantonale a constaté que l’assuré, en sa qualité de conducteur de vélo électrique utilisant la piste cyclable, était tenu de céder la priorité avant de s’engager sur la route C.__. Les données du compteur de vélo faisaient état d’une vitesse moyenne de 20 km/h, tandis que l’assuré estimait être à environ 25 km/h au moment des faits.

Selon l’ordonnance pénale du ministère public du 08.11.2022, entrée en force et non contestée, le tachygraphe du camion a enregistré, huit secondes avant l’arrêt du véhicule, un dépassement de la vitesse maximale autorisée de 60 km/h de 8 km/h, après déduction de la marge de sécurité. L’unique témoin, qui suivait le camion, a seulement pu confirmer le déclenchement d’un freinage d’urgence par le camion qui la précédait, sans pouvoir fournir d’indications sur la collision en elle-même. Eu égard aux conséquences de l’accident pour l’assuré, le ministère public avait laissé ouverte, dans sa décision de non-entrée en matière du 18.02.2022, la question de savoir si l’assuré avait commis une infraction au code de la route en omettant de céder la priorité avec son vélo électrique à l’embranchement de la piste cyclable sur une route prioritaire.

Consid. 6.1 [résumé]
En matière d’assurances sociales, s’appliquent le principe d’instruction ainsi que celui de la libre appréciation des preuves (art. 43 al. 1 et art. 61 let. c LPGA ; SVR 2020 UV n° 22 p. 85, 8C_538/2019 consid. 2.3 s. et les références ; arrêt 8C_534/2024 du 13 mars 2025 consid. 2.2 in fine). Le tribunal cantonal était dès lors tenu, avec la collaboration des parties, d’établir les faits pertinents en droit (art. 61 let. c LPGA). Dans les procédures en matière de sécurité sociale, les parties ne supportent en règle générale le fardeau de la preuve que dans la mesure où, en cas d’absence de preuve, la décision est rendue au détriment de la partie qui entendait tirer des droits des faits restés non prouvés. Cette règle en matière de preuve ne s’applique toutefois que s’il s’avère impossible, dans le cadre de la maxime inquisitoire et au terme d’une appréciation des preuves, d’établir un état de fait qui présente au moins une vraisemblance de correspondre à la réalité (ATF 138 V 218 consid. 6 et les références ; SVR 2022 UV n° 41 p. 161, 8C_457/2021 consid. 3.4 et la référence).

Consid. 6.2 [résumé]
Contrairement à l’instance cantonale, la question du lien de causalité naturelle entre le comportement de l’assuré et l’accident ne peut être laissée ouverte en lien avec l’application de l’art. 37 al. 2 LAA. Les faits constatés par l’instance cantonale ne sont pas contestés par l’assurance-accidents sur ce point, de sorte que le Tribunal fédéral peut compléter lui-même la conclusion qui fait défaut (cf. ATF 143 V 177 consid. 4.3 avec références).

L’assuré maintient avoir eu la priorité sur le camion, argument déjà rejeté à juste titre par la juridiction cantonale, et il n’est ni allégué ni prouvé qu’il se serait arrêté à la fin de la piste cyclable pour traverser la route à pied, en poussant son vélo. Au contraire, il ressort du jugement cantonal que le vélo électrique circulait à une vitesse moyenne de 20 km/h. Selon le rapport de police, le conducteur du camion a déclaré, lors de l’appel d’urgence, qu’un cycliste était venu heurter le flanc de son véhicule. Selon l’ordonnance pénale, le conducteur du camion aurait dû envisager la possibilité que le cycliste ne se comporte pas correctement.

Les faits ne permettent aucune autre conclusion que celle selon laquelle l’assuré, au moment de traverser la route C.__ à la fin de la piste cyclable, en dépit de la signalisation de fin de piste cyclable et de la marque au sol supplémentaire « Cédez le passage », n’a pas cédé la priorité au camion sans motif d’exonération et a ainsi causé l’accident par faute grave.

Il est dès lors établi que la violation de la priorité constitue la condition sine qua non de l’accident, si bien que le lien de causalité naturelle doit être admis. Si l’assuré avait cédé la priorité, l’accident ne se serait pas produit. Ce manquement à l’obligation de céder le passage constitue une violation d’une règle élémentaire de la circulation routière, justifiant, selon la jurisprudence, une réduction pour faute grave au sens de l’art. 37 al. 2 LAA (ATF 121 V 40 consid. 3b et les références ; cf. également ATF 138 V 552 consid. 5.2.1 et la référence). Aucun motif d’exonération subjectif ou objectif pertinent n’est identifiable ni invoqué (arrêt 8C_9/2023 du 10 mai 2023 consid. 3.3 in fine et les références).

Consid. 6.3.1
Il y a une interruption du rapport de causalité adéquate si une cause en soi adéquate s’ajoute une cause concomitante dont l’effet est d’une telle intensité que la première ne paraît plus juridiquement pertinente. Ce qui est déterminant, c’est l’intensité des deux causes (ATF 130 III 182 consid. 5.4 et les références). Le comportement d’un tiers ne peut interrompre le lien de causalité que si cette cause supplémentaire s’écarte à ce point du cours ordinaire des choses, tellement insensée, qu’on ne pouvait raisonnablement s’y attendre (cf. ATF 143 III 242 consid. 3.7 et les références ; 142 IV 237 consid. 1.5.2 et les références).

Consid. 6.3.2
Tout d’abord, il ne fait aucun doute que le refus de priorité, commis par négligence grave, de l’assuré était, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, susceptible d’entraîner une collision avec le camion prioritaire et les conséquences accidentelles sur la santé qui en ont résulté. Contrairement à l’avis de l’instance cantonale, il n’apparaît pas que ce comportement gravement négligent de l’assuré, qui est en lien de causalité adéquate, ne serait plus juridiquement pertinent par rapport à la faute incontestée du conducteur du camion, telle qu’elle ressort de l’ordonnance pénale du 08.11.2022. Ni le jugement attaqué ni l’ordonnance pénale ne permettent de conclure qu’en cas de respect des règles de circulation par le conducteur du camion, la collision avec le vélo électrique – malgré le refus de priorité de l’assuré – aurait été exclue et que le lien de causalité naturelle aurait donc dû être nié.

La juridiction précédente ne prétend d’ailleurs pas, à juste titre, que le conducteur du camion aurait été tenu, malgré la vitesse maximale autorisée à 60 km/h, de céder en tout état de cause la priorité au cycliste non prioritaire à l’endroit de l’accident et, si nécessaire, de freiner jusqu’à l’arrêt complet afin d’exclure avec certitude toute collision avec ce dernier, qui aurait pu enfreindre le code de la route. Au contraire, la cour cantonale a constaté, à juste titre, que, compte tenu des conséquences de l’infraction, le ministère public avait renoncé à établir les faits quant à une éventuelle faute pénale de l’assuré. Il est toutefois établi (consid. 6.2 supra) que ce dernier n’a pas cédé la priorité au camion par négligence grave, sans motif apparent, ce qui constitue une condition sine qua non de l’accident. Dans ces circonstances, le comportement du conducteur du camion – contrairement à l’avis de la cour cantonale – ne revêt en tout état de cause pas l’importance d’une cause concomitante rompant le lien de causalité adéquate, qui serait à ce point en dehors du cours ordinaire des choses qu’elle n’était pas prévisible (cf. consid. 6.3.1 supra).

Consid. 6.3.3
Dans la mesure où la juridiction cantonale a tenté de fonder sa position sur le raisonnement subsidiaire de l’arrêt 8C_9/2023 du 10 mai 2023 consid. 5.5.2, elle semble avoir perdu de vue que la faute d’un tiers est en principe sans pertinence pour l’appréciation du caractère adéquat du lien de causalité (cf. consid. 3.2.2 supra), sauf si cette cause supplémentaire se situe à ce point en dehors du cours ordinaire des choses qu’on ne pouvait raisonnablement s’y attendre (cf. ATF 143 III 242 consid. 3.7 ; 142 IV 237 consid. 1.5.2, chacun avec références). Une telle exception ne peut toutefois être admise que si la faute d’un tiers revêt une importance causale si intense que le lien de causalité entre la faute de l’assuré et l’accident ou ses conséquences ne paraît plus adéquat (cf. arrêt 8C_9/2023 du 10 mai 2023 consid. 5.5.2).

Dans l’arrêt précité, le Tribunal fédéral avait à se prononcer sur un cas dans lequel un cycliste était entré en collision frontale avec une voiture à une intersection. Avant l’accident, le cycliste avait enfreint plusieurs règles de circulation, en particulier le droit de priorité de l’automobiliste impliquée dans l’accident (cf. arrêt 8C_9/2023 du 10 mai 2023 consid. 4.1). Le Tribunal fédéral est parvenu à la conclusion que même si l’on supposait que la conductrice de la voiture avait la priorité, sa faute ne pouvait être considérée comme suffisamment grave pour rendre le comportement fautif du cycliste insignifiant (arrêt 8C_9/2023 du 10 mai 2023 consid. 5.5.3). Ainsi, même la violation du droit de priorité par l’automobiliste ne revêtait pas une importance causale suffisante pour interrompre le lien de causalité adéquate (cf. consid. 3.2.2 supra).

Les infractions aux règles de la circulation commises par le conducteur du camion (léger dépassement de la vitesse maximale autorisée de 60 km/h de 8 km/h, attention insuffisante et champ de vision depuis la cabine de conduite non conforme aux prescriptions légales) ne sont pas, comparées à la cause naturelle et adéquate de l’accident constituée par le refus de priorité de l’assuré, d’une gravité telle que le refus de priorité du cycliste ne devrait plus être pris en compte juridiquement.

Consid. 6.3.4 [résumé]
En résumé, la juridiction cantonale a violé le droit fédéral en attribuant à la faute d’un tiers – en l’occurrence celle du conducteur du camion – une portée propre à interrompre le lien de causalité adéquate entre le refus de priorité de l’assuré et sa collision avec le camion. Le recours est fondé et doit par conséquent être admis. Le jugement cantonal est annulé, la réduction de 10% de l’indemnité journalière pour faute grave est maintenue.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_437/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_437/2024 (d) du 21.05.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/07/8c_437-2024)

 

8C_730/2024 (f) du 28.04.2025 – Revenu d’invalide selon ESS – Niveau de compétence 2 / Revenu sans invalidité d’un directeur d’une Sàrl – Pas de prise en compte des bénéfices de la Sàrl non distribués ou versés comme dividendes

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_730/2024 (f) du 28.04.2025

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon ESS – Niveau de compétence 2 / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un directeur d’une Sàrl – Revenus figurant dans l’extrait du compte individuel / 16 LPGA

Pas de prise en compte des bénéfices de la Sàrl non distribués ou versés comme dividendes

 

Résumé
Le revenu d’invalide a été fixé sur la base des données de l’ESS, niveau de compétence 2, compte tenu du parcours professionnel de l’assuré, de son expérience et des tâches assumées, qui excédaient des activités purement manuelles simples. Le revenu sans invalidité de ce directeur de Sàrl (avec le 19/20e des parts au moment de l’accident) a quant à lui été déterminé à partir de la moyenne des revenus soumis à cotisation AVS figurant dans l’extrait du compte individuel pour les années 2010 à 2014, indexée à 2018, en excluant les années atypiques. A l’instar de la cour cantonale, le Tribunal fédéral a considéré que seuls les montants effectivement versés à l’assuré et soumis à cotisation pouvaient être pris en compte, à l’exclusion des bénéfices non distribués ou versés comme dividendes, en l’absence de preuve concrète d’une perception effective.

 

Faits
Assuré, né en 1971, est directeur et employé de la société B.__ Sàrl, qu’il a fondée en 2007 et détenait 19 parts du capital social sur 20 ; il est devenu l’unique associé gérant en novembre 2023 après avoir acquis la dernière part du capital social.

Le 20.09.2013, il a subi une chute sur un chantier, entraînant une incapacité totale de travail. Le spécialiste en rhumatologie consulté a diagnostiqué une entorse cervico-dorsale ainsi que des douleurs post-traumatiques à l’épaule gauche sur arthrose acromio-claviculaire gauche activée et bursite sous-acromio-deltoïdienne. Il a repris progressivement son activité professionnelle jusqu’à atteindre un plein temps en août 2014, à la suite d’une réorganisation de son entreprise.

Le 15.11.2015, alors qu’il courait sur un tapis roulant, il s’est blessé au genou gauche en tentant de se rattraper après avoir perdu l’équilibre, entraînant une nouvelle incapacité totale de travail. Les examens ont révélé une rupture du ligament croisé antérieur et une lésion traumatique du cartilage rétro-rotulien. L’assurance-accidents a pris en charge cet événement.

Le 24.04.2018, le médecin-conseil a estimé que la situation était stabilisée sur le plan médical. Il a en outre considéré que l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles (pas de charges moyennes, de station debout prolongée, de longs trajets, notamment en terrain accidenté, ni de positions sollicitant fortement les genoux) et qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 10% pouvait lui être allouée en raison d’une gonarthrose.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé une rente fondée sur un taux d’invalidité de 37% dès le 01.06.2018 ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 111/19-116/2024 – consultable ici)

Par jugement du 07.11.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens que l’assuré avait droit à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 49% à compter du 01.06.2018.

 

TF

Consid. 4.3 [résumé]
L’assurance-accidents a initialement fixé le taux d’invalidité à 37% en comparant le chiffre d’affaires de la société B.__ Sàrl entre 2015 et 2018. Dans sa décision sur opposition, elle a relevé que l’assuré ne mettait pas pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail dans son activité indépendante, bien qu’il disposât d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. En se fondant sur les données de l’ESS, elle a estimé que le taux d’invalidité était de 25%, mais a renoncé à corriger à la baisse le taux de 37% précédemment retenu.

En procédure cantonale, l’assuré a soutenu que le revenu d’invalide devait être arrêté à 65’232 francs, se fondant sur un certificat de salaire pour l’année 2018, ce que l’assurance-accidents a accepté. Toutefois, l’instance cantonale s’est écartée de ce montant, au motif que l’activité exercée n’était pas adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assuré, et s’est fondée sur l’ESS pour déterminer le revenu d’invalide.

Étant donné que le litige portait uniquement sur le droit à une rente et que l’assuré, représenté par un avocat, avait dû adapter son activité en raison de son état de santé, il pouvait s’attendre à ce que l’instance cantonale recoure aux salaires statistiques de l’ESS, d’autant plus que l’assurance-accidents avait elle-même procédé ainsi dans sa décision sur opposition. Dès lors, les juges cantonaux n’ont pas violé son droit d’être entendu en se fondant sur l’ESS sans l’avoir invité à se prononcer préalablement. Ils n’ont pas davantage porté atteinte à ce droit en lui allouant une rente fondée sur un taux d’invalidité de 49%, alors que l’assurance-accidents avait conclu à un taux de 53% dans sa détermination du 30.11.2023. Le taux de 37% retenu dans la décision sur opposition étant plus bas, le tribunal cantonal n’a pas procédé à une reformatio in pejus. Il n’était par ailleurs pas lié par la conclusion de l’assurance-accidents tendant à une rente fondée sur un taux de 53%. Les griefs soulevés par l’assuré se révèlent infondés.

Consid. 5.2 [résumé]
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les professions sont classées par l’Office fédéral de la statistique selon le type de travail généralement effectué, en tenant compte des niveaux et de la spécialisation des compétences requis. Quatre niveaux de compétence sont définis, allant du niveau 1 (tâches physiques et manuelles simples) au niveau 4 (résolution de problèmes complexes et prise de décisions fondées sur des connaissances étendues dans un domaine spécialisé, incluant les directeurs, cadres de direction, gérants, professions intellectuelles et scientifiques), en passant par les niveaux intermédiaires 3 (tâches pratiques complexes, comme celles des techniciens, superviseurs, courtiers, personnel infirmier) et 2 (tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement de données, les tâches administratives, la conduite de véhicules, etc.).

L’application du niveau 2 nécessite que l’assuré possède des compétences ou connaissances particulières, l’évaluation se fondant sur le type de tâches susceptibles d’être assumées plutôt que sur les qualifications elles-mêmes. Par ailleurs, l’expérience professionnelle de plusieurs années dont peut se prévaloir un assuré – sans formation commerciale ni autre qualification particulière acquise pendant l’exercice de la profession – ne justifie pas à elle seule un classement supérieur au niveau de compétence 2, dès lors que dans la plupart des secteurs professionnels un diplôme ou du moins des formations et des perfectionnements (formalisés) sont exigés (ATF 150 V 354 consid. 6.1 et les arrêts cités).

Consid. 5.3 [résumé]
Selon son curriculum vitae, l’assuré a obtenu un CFC en 1990, puis exercé comme dessinateur en génie civil durant quatre ans, avant d’occuper des fonctions de chef d’équipe pendant trois ans. Il a ensuite dirigé un bowling de 1997 à 2001, repris son activité précédente de 2001 à 2003, puis tenu un bar durant quatre ans jusqu’à la fondation de B.__ Sàrl en 2007.

Bien qu’il n’ait plus exercé son métier de base depuis près de 25 ans au moment de la naissance du droit à la rente (01.06.2018), il a occupé sans interruption depuis 1994 des postes à responsabilités dans les secteurs secondaire et tertiaire, dépassant le cadre de simples tâches physiques et manuelles. Au travers de ses activités successives, qui révèlent une très bonne capacité d’adaptation, il a pu développer de nombreuses compétences dans des domaines variés. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont considéré à juste titre que la formation et l’expérience de l’assuré justifiaient l’application du niveau de compétence 2. Son grief doit être écarté.

Consid. 6.2
Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir quel salaire l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2; arrêts 8C_2/2023 du 7 septembre 2023 consid. 3.2 et 8C_39/2022 précité consid. 3.2). Il est toutefois possible de s’en écarter lorsqu’on ne peut le déterminer sûrement, notamment lorsqu’il est soumis à des fluctuations importantes; il faut alors procéder à une moyenne des gains réalisés sur une période relativement longue (arrêt 8C_121/2024 du 6 août 2024 consid. 2.2 et les arrêts cités).

Pour les personnes de condition indépendante, on peut se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’AVS. En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_39/2022 précité consid. 3.2 et les arrêts cités). Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (cf. ATF 133 V 549 consid. 6.1).

Consid. 6.3.1 [résumé]
Pour fixer le revenu sans invalidité, la cour cantonale s’est fondée sur les montants figurant dans l’extrait du CI relatifs à l’activité de l’assuré au sein de B.__ Sàrl. Elle a exclu l’année 2015, marquée par une incapacité de travail en raison de l’accident, ainsi que les années 2008 et 2009, jugées trop proches de la création de la société en 2007. Elle a retenu les années 2010 à 2014, calculé la moyenne des revenus inscrits pour cette période, puis indexé le résultat à l’année 2018. Elle a précisé que le bénéfice net représente le solde du chiffre d’affaires après déduction de toutes les charges, y compris les salaires du directeur. Lorsqu’une société reverse une partie de son bénéfice à un employé, ce montant est soumis à cotisation AVS, ce qui avait vraisemblablement été le cas de l’assuré en 2013 et 2014, comme le laissent supposer les montants complémentaires de 110’957 francs et 94’000 francs inscrits dans l’extrait du CI. En revanche, si la société décidait de verser tout ou partie de son bénéfice à ses associés, il s’agissait d’un dividende sans lien avec l’exercice d’une activité lucrative. Le bénéfice net pouvait aussi être réinvesti dans l’entreprise. Par conséquent, il n’y avait pas lieu en l’espèce d’ajouter aux revenus soumis à cotisation le bénéfice net de la société, que celle-ci l’ait conservé comme réserve ou versé à l’assuré comme dividende.

Consid. 6.3.2
L’assuré ne conteste pas que les montants de 110’957 fr. et 94’000 fr. relatifs aux années 2013 et 2014 correspondent bien à des parts du bénéfice net, lequel lui a donc été en partie ou totalement reversé comme salaire. La juridiction cantonale a pris en compte ces montants au titre de revenus pour déterminer le revenu sans invalidité. En revanche, aucun montant complémentaire pouvant être assimilé à des parts de bénéfice distribué ne figure sur l’extrait du CI pour les années 2010 à 2012. Se référant à une évaluation économique pour les indépendants faite par l’assurance-invalidité en 2020, l’assuré soutient que sa société a réalisé ces années-là des bénéfices nets de 13’244 fr., 10’716 fr. et 20’156 fr., dont il conviendrait de tenir compte dans le calcul du revenu sans invalidité. Il n’expose toutefois pas concrètement à quoi ces bénéfices ont été affectés, se limitant à affirmer qu’en sa qualité d’associé gérant largement majoritaire, il était de manière générale « en mesure de se verser des dividendes dont il profitait ». À défaut de toute précision à ce propos et de moyens de preuve dont il se prévaudrait attestant qu’il a perçu ces montants sous la forme d’un salaire ou de dividendes, il n’y a pas lieu de les ajouter au revenu sans invalidité fixé par l’instance cantonale. On ajoutera que l’arrêt qu’il cite (8C_346/2012 du 24 août 2012) ne lui est d’aucun secours, dès lors qu’il n’en ressort pas que le revenu sans invalidité devrait en toute circonstance comprendre l’intégralité du bénéfice net d’une société dirigée par un assuré, indépendamment de l’usage qui en a été fait. Le dernier grief de l’assuré s’avère donc également infondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_730/2024 consultable ici