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Jugement de la CrEDH – Affaire B.R. c. Suisse (Requête no 2933/23) du 08.07.2025 / Refus de l’assurance maladie de prendre en charge le coût très onéreux du médicament de la requérante souffrant d’une maladie rare

Jugement de la CrEDH – Affaire B.R. c. Suisse (Requête no 2933/23) du 08.07.2025

 

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Refus de l’assurance maladie de prendre en charge le coût très onéreux du médicament de la requérante souffrant d’une maladie rare / 71a LAMal – 71b LAMal

Évaluation de l’efficacité d’un médicament / 65a LAMal

Respect de la vie privée (8 CEDH) et de la dignité humaine (3 CEDH), discrimination fondée sur son état de santé (14 CEDH)

 

Résumé
la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a examiné la requête d’une femme atteinte de SMA de type 2, à qui les autorités suisses avaient refusé la prise en charge du traitement médicamenteux Spinraza. À une majorité de quatre voix contre trois, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 8 de la Convention, estimant que les juridictions suisses n’avaient pas outrepassé leur marge d’appréciation en appliquant strictement les exigences du droit interne, notamment quant à la preuve scientifique d’un bénéfice thérapeutique élevé. Les griefs tirés des articles 3 et 14 ont été déclarés irrecevables. Trois juges ont exprimé une opinion dissidente, reprochant aux autorités internes de ne pas avoir pris en compte de manière suffisante la situation concrète de la requérante et les effets concrets du traitement sur son autonomie, sa communication et sa dignité.

 

Faits
La requérante, née en 1988, souffre depuis l’âge de 8 mois d’une amyotrophie spinale de type 2, responsable d’une tétraplégie. Elle se déplace en fauteuil roulant depuis l’âge de 3 ans, est alimentée par sonde depuis 2003, trachéotomisée depuis 2007 et sous ventilation continue depuis 2016. Elle peut communiquer à l’aide du « pavé tactile » d’un ordinateur portable et utiliser le « joystick » de son fauteuil roulant. Elle a obtenu un master en linguistique en 2015, travaille comme assistante scientifique à l’université de Zurich et poursuit un doctorat. En novembre 2017 et janvier 2018, son médecin a sollicité auprès de la caisse-maladie la prise en charge du traitement par Spinraza (substance active : Nusinersen), médicament autorisé en Suisse depuis septembre 2017 mais non inscrit sur la liste des spécialités de l’OFSP. La caisse-maladie a rejeté cette demande en décembre 2017 et février 2018, puis rendu une décision formelle de refus le 29 mai 2018, confirmée sur opposition le 28 août 2018, au motif que les études disponibles ne démontraient pas un bénéfice thérapeutique élevé du Spinraza dans un cas comme celui de l’assurée.

Par arrêt du 20.03.2020, le tribunal cantonal a rejeté le recours, niant toute violation des art. 3, 8 et 14 CEDH.

Le même jour, l’assurée a fait parvenir au tribunal une étude scientifique (T. Hagenacker et al., « Nusinersen in adults with 5q spinal muscular atrophy: a non-interventional, multicentre, observational cohort study », The Lancet Neurology, vol. 19, avril 2020, pp. 317-25 – accessible en ligne dès le 18.03.2020) dont l’objet consistait en l’examen de la fiabilité et de l’efficacité du traitement sur des patients adultes atteints de SMA, peu de données étant alors disponibles sur ce sujet. Réalisée à partir d’un groupe de patients âgés de 16 à 65 ans, l’étude en question utilisait comme critère principal d’évaluation une modification d’au moins trois points (sur un total de 66 points) du score HFMSE (Hammersmith Functional Motor Scale Expanded). Une amélioration cliniquement significative du score HFMSE avait été mesurée chez 35 patients (28%) ayant bénéficié de six mois de traitement, chez 33 patients (35%) ayant suivi 10 mois de traitement et chez 23 patients (40%) ayant eu un traitement de 14 mois. Les conclusions de la recherche étaient toutefois plus nuancées concernant les patients souffrant de SMA de type 2, pour lesquels les scores étaient moins élevés : une amélioration cliniquement significative avait ainsi été relevée auprès de 1 patient (2%) après 6 mois de traitement, de 2 patients (7%) après 10 mois et de 1 patient (5%) après 14 mois. Les résultats obtenus indiquaient donc une efficacité du traitement généralement plus élevée pour des patients présentant une forme de la maladie de moindre gravité.

L’étude n’ayant pu être prise en compte, l’assurée a déposé le 18.05.2020 une demande de révision de l’arrêt du 20.03.2020 et un recours au Tribunal fédéral.

L’assurée a produit une expertise médicale favorable au traitement, rédigée par deux spécialistes de la clinique universitaire d’Essen, dont l’un était co-auteur de l’étude scientifique de 2020.

Le 01.07.2020, le Spinraza a été inscrit sur la liste des spécialités de l’OFSP, avec une restriction excluant les patients de plus de 20 ans sous ventilation continue ou trachéotomisés, sauf s’ils avaient commencé le traitement avant leurs 20 ans pris en charge par l’assurance-invalidité. Le prix du médicament était fixé à CHF 80’595.95.

Le tribunal cantonal a rejeté la demande de révision par arrêt du 22.09.2021.

Le Tribunal fédéral a, par arrêt 9C_318/2020+9C_606/2021 du 16 août 2022, rejeté le recours, estimant que l’efficacité clinique individuelle n’était pas suffisante pour fonder une obligation de prise en charge et que l’inscription ultérieure du Spinraza sur la liste des spécialités ne modifiait pas la situation juridique, l’assurée étant expressément exclue de la couverture. Il a considéré qu’aucune discrimination au sens de l’art. 14 CEDH n’était identifiable.

 

CrEDH

Pratique interne pertinente

  1. Le Tribunal fédéral considère, dans sa jurisprudence, que la réglementation pertinente (art. 52 al. let. b LAMal ; art. 34 et 64 ss OAMal ; art. 30 ss OPAS) exclut en principe la prise en charge, au titre de l’assurance obligatoire des soins, des coûts des médicaments qui ne figurent pas sur la « liste des spécialités », laquelle est exhaustive et contraignante. Quant aux médicaments inscrits sur ladite liste, ils ne sont pris en charge que s’ils sont prescrits pour un usage autorisé par l’Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic) dans le cadre des art. 9 et suivants de la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh). Cette restriction vise à assurer, d’une part, que seuls des médicaments sûrs et effectifs selon la législation sur les produits thérapeutiques sont facturés à l’assurance obligatoire des soins et, d’autre part, que des coûts des prestations, au sens de l’art. 32 de la LAMal, sont contrôlés, les médicaments figurant sur la « liste des spécialités » ne pouvant être facturés à un prix plus élevé que celui qui leur est attribué dans celle-ci. Outre la prévention d’abus, pareil contrôle des prix poursuit l’objectif de maintenir un rapport coûts / bénéfices approprié (ATF 136 V 395, consid. 5.1).
  2. Dans un arrêt de 2010, soit avant l’entrée en vigueur des art. 71a ss OAMal, le Tribunal fédéral a jugé que les coûts d’un médicament prescrit pour une indication autre que celle pour laquelle il a été autorisé (prise en charge « hors étiquette » (off label)) devaient être pris en charge à titre exceptionnel lorsque l’utilisation dudit médicament constituait un préalable indispensable à la réalisation d’une autre prestation largement prédominante et prise en charge par l’assurance obligatoire des soins, ou s’il permettait d’escompter un bénéfice élevé (curatif ou palliatif) à l’égard d’une maladie potentiellement mortelle pour l’assuré ou susceptible à tout le moins de lui causer des problèmes de santé graves et chroniques alors que, faute d’alternative thérapeutique, il n’existait pas d’autre traitement efficace autorisé (ATF 136 V 395 consid. 5.2). Ces critères ont par la suite été repris à l’art. 71a OAMal.
  3. Le Tribunal fédéral a précisé que de telles exceptions entraient notamment en ligne de compte concernant des produits pharmaceutiques traitant de maladies tellement rares que les fabricants de médicament renonçaient à en demander l’autorisation (utilisation orpheline ou maladies orphelines). Toutefois, l’usage hors étiquette ne pouvait être admis quel que fût l’ampleur du bénéfice thérapeutique attendu, sans quoi l’appréciation de l’existence d’un tel bénéfice aurait remplacé le système légal fondé sur des listes exhaustives. Celui-ci visant également à assurer le caractère économique des prestations, il importait en particulier d’éviter qu’une pratique extensive de la prise en charge à titre exceptionnel conduisît à évincer la voie ordinaire de l’inscription sur liste au profit d’une appréciation au cas par cas et que, de ce fait, le contrôle du caractère économique des traitements, assuré par la « liste des spécialités », ne fût contourné (ATF 136 V 395 consid. 5.2).
  4. Selon l’approche constante retenue par le Tribunal fédéral, le point de savoir si un médicament présente un bénéfice thérapeutique est une question de fait, alors que l’appréciation du caractère élevé ou non d’un tel bénéfice constitue une question de droit (ATF 136 V 395 consid. 6.3 ; ATF 144 V 333 consid. 11.1.3, avec renvois).
  5. Le tribunal a indiqué en outre que les conditions générales prévues à l’art. 32 LAMal, selon lesquelles une prestation doit être efficace, appropriée et économique, valaient aussi pour les médicaments orphelins, l’efficacité devant de surcroît être démontrée par des méthode scientifiques. Ainsi, l’examen relatif à ce critère ne saurait être effectué uniquement au regard du cas individuel concerné. Pareille conclusion découle, de plus, de la législation sur les produits thérapeutiques, celle-ci retenant également l’exigence d’un bénéfice thérapeutique élevé comme condition posée à l’autorisation à durée limitée de médicaments agissant contre les maladies susceptibles d’entraîner la mort ou une invalidité au sens de l’art. 9a al. 1 lettre b de la LPTh, en conséquence de quoi la demande d’une telle autorisation présuppose qu’il existe au moins des résultats intermédiaires d’études cliniques indiquant que l’utilisation du médicament procurera un bénéfice thérapeutique notable (en allemand : « grosser therapeutischer Nutzen », cf. art. 19 al. 1 lettre c de l’ordonnance de l’Institut suisse des produits thérapeutiques du 22 juin 2006 sur l’autorisation simplifiée de médicaments et l’autorisation de médicaments fondée sur une déclaration [OASMéd, RS 812.212.23]). Cependant, pour ce qui est des médicaments orphelins, en raison de la rareté des maladies qu’ils concernent et du non-recours à la procédure ordinaire d’autorisation, il n’existe souvent pas autant de résultats scientifiques que pour les autres médicaments, et la preuve de leur efficacité générale ne peut donc être soumise aux mêmes exigences que celles qui s’appliquent aux fins d’une inscription sur la « liste des spécialités » (cf. art. 26 al. 1 OASMéd). Toutefois, leur efficacité thérapeutique ne saurait être admise, en l’absence d’études cliniques susceptibles de la démontrer, du seul fait que le médicament concerné a produit un effet curatif dans le cas particulier dont il est question, car procéder de la sorte reviendrait à déduire un lien de causalité entre deux événements successifs au simple motif de leur chronologie (raisonnement post hoc ergo propter hoc) alors que l’amélioration d’un état de santé peut aussi survenir de manière spontanée ou pour d’autres raisons que le traitement reçu. Par conséquent, la question de savoir si l’usage du médicament permet d’escompter un bénéfice élevé doit être examinée aussi bien de manière générale qu’en relation avec le cas concret (ATF 136 V 395 consid. 6.5).
  6. Enfin, se référant aux dispositions des art. 9a LPTh et 26 al. 1 OASMéd, le Tribunal fédéral a jugé que la preuve d’un bénéfice thérapeutique élevé, au sens de l’art. 71a al. b OAMal devait être apportée sous la forme soit d’études cliniques publiées présentant des résultats à tout le moins intermédiaires de nature à soutenir une conclusion en faveur d’un effet curatif important, soit d’autres résultats publiés permettant une appréciation scientifique de l’efficacité du médicament dans le nouveau domaine d’application en question et sur le fondement desquels il existerait, parmi les spécialistes de la pathologie dont s’agit, un consensus dans le sens d’un probable bénéfice élevé (ATF 142 V 325 consid. 2.3.2.2 ; 146 V 240 consid. 6.2.2).

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ART. 8 DE LA CONVENTION

  1. La requérante soutient que le refus de prise en charge, dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins, du médicament Spinraza a emporté violation du droit au respect de sa vie privée, au sens de l’art. 8 de la Convention. Elle reproche en outre aux autorités internes de ne pas avoir dûment examiné ses griefs, notamment en ce qui concerne l’efficacité du médicament Spinraza.

L’appréciation de la Cour

Principes généraux applicables [résumé]

  1. La Convention ne garantit pas le droit à la santé en tant que tel (Vasileva c. Bulgarie, no 23796/10, § 63, 17 mars 2016) ni celui à un traitement médical précis souhaité par un patient (Wenner, précité, §§ 55-58), ni, encore moins, un droit à la gratuité des soins médicaux (Pentiacova et autres c. Moldova (déc.), no 14462/03, CEDH 2005‑I). La Cour peut, en revanche, examiner si l’intéressé a accès au niveau de soins de santé dont bénéficie la population dans son ensemble (Pentiacova et autres, décision précitée, et Abdyusheva et autres c. Russie, nos 58502/11 et 2 autres, § 131, 26 novembre 2019).
  2. Des griefs relatifs au refus de certains traitements ou médicaments ont été examinés sous l’angle de l’art. 8 CEDH, en tant que composante de la vie privée, englobant l’autonomie personnelle, le développement individuel et la dignité humaine.
  3. Les questions de santé publique relèvent d’une large marge d’appréciation des autorités nationales, mieux placées pour déterminer les priorités et l’allocation des ressources (Abdyusheva et autres, § 112 ; Shelley c. Royaume-Uni (déc.), no 23800/06 ; Hristozov et autres, § 119 ; Durisotto, § 36). Cette marge varie selon les circonstances et s’élargit en l’absence de consensus entre États membres, notamment lorsque sont en jeu des questions morales ou éthiques sensibles (Dubská et Krejzová c. République tchèque [GC], nos 28859/11 et 28473/12, § 178 ; Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, § 169). En matière économique ou sociale, une large latitude est habituellement reconnue à l’État, dont les choix ne sont remis en cause que s’ils sont manifestement dépourvus de base raisonnable (Dubská et Krejzová, § 179 ; Shelley ; Hristozov et autres, § 119).
  4. L’art. 8 impose également des obligations positives visant à assurer un respect effectif de la vie privée, en plus de l’interdiction des ingérences arbitraires. Que les obligations soient positives ou négatives, il convient de ménager un juste équilibre entre les intérêts de l’individu et ceux de la collectivité, l’État disposant dans les deux cas d’une certaine marge d’appréciation (Pentiacova et autres ; Hristozov et autres, § 117).

 

Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

Sur la question de savoir s’il y avait une obligation positive ou s’il y a eu une ingérence dans l’exercice du droit invoqué [résumé]

  1. Dans des affaires relatives à l’accès à des médicaments, la Cour a examiné si la mesure contestée constituait une restriction de la liberté de choisir un traitement médical, donc une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée, ou s’il s’agissait d’un manquement de l’État à son obligation positive de mettre en place un cadre réglementaire garantissant ce droit. Elle a jugé inutile de trancher entre ces deux approches, les frontières entre obligations positives et négatives au titre de l’art. 8 n’étant pas nettement définies, les principes applicables étant similaires dans les deux cas. Elle a retenu que l’analyse devait porter sur le respect du juste équilibre entre les intérêts de l’individu et ceux de la collectivité (Hristozov et autres, § 117 ; Abdyusheva et autres, § 114). En l’espèce, la Cour ne voit pas de raison de s’écarter de cette analyse. La question qui se pose est précisément celle de savoir si pareil équilibre a été ménagé, compte tenu de la marge d’appréciation de l’État dans ce domaine.

Sur la marge d’appréciation et la mise en balance des intérêts concurrents en présence

  1. La Cour doit dès lors répondre à la question de savoir si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts concurrents de l’individu et de la collectivité. Dans cet exercice, et compte tenu des principes rappelés ci‑dessus, elle gardera à l’esprit que les autorités internes sont généralement mieux placées pour évaluer les besoins et possibilités médicaux en recherchant un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la collectivité.
  2. La Cour considère que dans la présente affaire, elle se trouve confrontée à l’interprétation à la lumière du droit suisse d’opinions scientifiques et d’expertises médicales. Sensible à la nature subsidiaire de sa mission, elle estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur des questions relevant exclusivement du champ de l’expertise médicale (Abdyusheva et autres, précité, § 118).
  3. La Cour rappelle que, si au moment où les cours nationales ont statué sur les demandes de la requérante, le Spinraza était autorisé en Suisse et figurait sur la liste des médicaments pris en charge par l’assurance obligatoire, il faisait l’objet d’une limitation qui excluait, en principe, la prise en charge de son coût pour des patients qui, comme l’intéressée, étaient âgés de 20 ans ou plus et avaient besoin d’une ventilation continue (paragraphe 15 ci-dessus). Cependant, en vertu du droit suisse pertinent, les assurances maladies avaient également l’obligation, à titre exceptionnel, de prendre en charge les médicaments faisant l’objet d’une limitation si l’usage du médicament en question permettait d’escompter un bénéfice élevé contre une maladie susceptible d’être mortelle pour l’assuré ou de lui causer des problèmes de santé graves et chroniques et que, faute d’alternative thérapeutique, il n’existait pas d’autre traitement efficace autorisé (art. 71a al. 1b OAMal ; paragraphe 20 ci-dessus). D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, le bénéfice élevé devait être prouvé pour le cas concret de l’assuré concerné, ainsi que de manière générale, selon des standards scientifiques, de sorte que la preuve d’un bénéfice dans un cas particulier ne suffisait pas pour que la condition fût remplie (paragraphe 25 ci-dessus).
  4. En l’espèce, les instances internes ont estimé que les études médicales concernant le Spinraza qui avaient été produites devant elles ne permettaient pas d’apporter la preuve scientifique d’un bénéfice élevé du médicament pour des malades souffrant de SMA de type 2 âgés d’au moins vingt ans et ayant besoin d’une ventilation permanente. Du reste, elles ont laissé ouverte la question de savoir si le traitement en question avait un bénéfice élevé pour la requérante, considérant qu’en tout état de cause l’efficacité du médicament dans un cas particulier ne pourrait à elle seule remplacer la preuve générale fondée sur des connaissances scientifiques.
  5. La Cour ne perd pas de vue qu’il revient au premier chef aux autorités nationales, particulièrement aux instances juridictionnelles, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir, parmi d’autres, Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 116, 15 mars 2018, et les affaires y citées). La Cour ne peut dès lors mettre en cause l’appréciation des autorités internes quant à de prétendues erreurs de droit que lorsque celles-ci sont arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir, dans ce sens, Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, §§ 85 et 86, CEDH 2007‑I).
  6. Concernant, tout d’abord, le système en place en Suisse, la Cour estime que les règles pertinentes du droit suisse impliquent a priori, notamment à travers les conditions d’« efficacité, [d’]adéquation, et [tenant au] caractère économique », une pesée entre, d’une part, l’intérêt de la communauté des assurés et la protection des ressources limitées de l’État et, d’autre part, l’intérêt privé d’une personne malade à recevoir un traitement donné onéreux. Dans ce contexte, la Cour, dans les limites de son contrôle européen, ne considère pas la différence de traitement basée sur l’âge des patients comme étant dépourvue de fondement. Selon la Cour, il en va de même de l’exigence d’un « bénéfice élevé » du médicament pour les malades souffrant de SMA de type 2 ayant dépassé une certaine limite d’âge et ayant besoin d’une ventilation permanente, comme c’est le cas de la requérante.
  7. Par ailleurs, les tribunaux internes ont expliqué de manière explicite et compréhensible pour quelles raisons la question de savoir si l’usage du médicament permettait d’escompter un bénéfice élevé devait être examinée aussi bien de manière générale qu’en relation avec le cas concret (voir notamment la pratique interne pertinente, en particulier au paragraphe 25 ci-dessus). De surcroît, il ressort de la pratique interne pertinente que la preuve d’un bénéfice thérapeutique élevé, au sens de l’art. 71a al. b OAMal, devait être apportée notamment par des études cliniques, permettant une appréciation scientifique de l’efficacité du médicament dans le nouveau domaine d’application en question et sur le fondement desquels il pouvait être établi qu’il existait, parmi les spécialistes de la pathologie concernée, un consensus dans le sens d’un probable bénéfice élevé.
  8. Pour ce qui est ensuite de l’application des règles pertinentes au cas d’espèce, la Cour est d’avis que l’interprétation faite par les instances internes du droit interne, notamment du concept de « bénéfice élevé », n’était pas davantage arbitraire ou manifestement déraisonnable. En particulier, elle n’aperçoit rien d’inapproprié dans le fait pour les instances internes de retenir que les études scientifiques disponibles ne permettaient pas de conclure que le médicament Spinraza présentait un bénéfice thérapeutique élevé dans des cas tel celui de la requérante, et que la condition prévue par la réglementation à cet égard faisait par conséquent défaut en l’espèce (voir notamment le paragraphe 6 ci-dessus).
  9. En ce qui concerne plus spécifiquement l’étude transmise par la requérante le 20.03.2020, le tribunal cantonal, dans son arrêt du 22.09.2021 (paragraphe 16 ci-dessus), a estimé que celle-ci ne fournissait pas, s’agissant des patients adultes dans la situation de la requérante, à savoir des malades atteints de SMA de type 2 et souffrant de graves déficiences, de résultats suffisamment différenciés et clairs d’un point de vue probatoire. Ainsi, selon le tribunal, l’étude en question ne permettait pas de conclure assurément et avec une probabilité prépondérante à un bénéfice thérapeutique élevé pour cette catégorie de patients.
  10. Concernant, enfin, l’expertise médicale du 13.10.2020 (paragraphe 14 ci-dessus), il a retenu que, même en admettant que le médicament Spinraza avait un bénéfice élevé pour la requérante compte tenu de la situation particulière de celle-ci, il n’en découlait aucune obligation de prise en charge dudit médicament par l’assurance au regard du droit suisse dès lors que le critère d’efficacité devait être établi selon des méthodes scientifiques et que, par conséquent, le cas individuel d’un patient traité avec succès ne suffisait pas à prouver l’efficacité requise. Il s’ensuit que le fait d’avoir laissé ouverte la question de savoir si le traitement en question apportait un bénéfice élevé à la requérante ne saurait être critiqué par la Cour, considérant que, selon le système en place, l’efficacité dans un cas particulier ne pouvait à elle seule remplacer la preuve générale fondée sur des connaissances scientifiques.
  11. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que ni le système en place en Suisse, ni son application par les instances internes dans le cas concret n’apparaissent comme arbitraires ou manifestement déraisonnables en vertu du droit suisse, ni contraire à l’art. 8 de la Convention.
  12. [résumé] La Cour relevait aussi que la requérante avait pu faire valoir ses arguments dans un cadre juridique approprié et contradictoire, que les juridictions avaient répondu de manière détaillée à ses griefs, y compris ceux tirés de la Convention. L’absence de réponse du Tribunal des assurances sociales aux griefs conventionnels dans l’arrêt du 22 septembre 2021 n’était pas critiquable puisque la demande devait être rejetée en tout état.
  13. En conclusion, tout en reconnaissant l’extrême difficulté de la situation de la requérante, la Cour est d’avis que les autorités, qui disposent de ressources limitées, se voient parfois confrontées à des choix très difficiles. Même en admettant l’hypothèse selon laquelle un certain bénéfice découlant du traitement sollicité était réel chez la requérante, il reste que celle-ci devait être traitée selon les règles internes applicables et de manière égale à d’autres demandeurs potentiels, et que ses intérêts privés devaient être comparés aux intérêts opposés de l’État, notamment concernant les coûts liés au système de santé publique et des assurances sociales. Or, le médicament demandé était très onéreux, puisqu’il coûtait plus de CHF 80’000 par flacon, et la requérante avait besoin de plusieurs doses par an (paragraphe 15 ci-dessus). Dès lors, dans le cadre de son contrôle limité, la Cour ne voit pas que les autorités aient dépassé leur marge d’appréciation en refusant à la requérante le traitement demandé.
  14. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’art. 8 de la Convention.

 

GRIEF RELATIF À L’ART. 3 DE LA CONVENTION

  1. La requérante soutient que le refus de prendre en charge, dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins, les coûts liés au médicament Spinraza constitue une négation de sa dignité humaine et, dès lors, une violation de l’art. 3.

Appréciation de la Cour

Principes applicables [résumé]

  1. L’art. 3 de la Convention, qui prohibe en termes absolus la torture ainsi que les peines ou traitements inhumains ou dégradants, constitue une valeur fondamentale des sociétés démocratiques. Pour relever de cette disposition, un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimal de gravité, seuil dont l’évaluation est relative et dépend du contexte, notamment de la durée, des effets physiques ou mentaux, et parfois du sexe, de l’âge ou de l’état de santé de la victime (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, §§ 86-87, CEDH 2015).
  2. Si l’art. 3 est généralement appliqué à des actes intentionnels émanant d’agents de l’État, il peut aussi s’appliquer à d’autres situations, compte tenu de la souplesse nécessaire dans son interprétation (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 50, CEDH 2002-III). Ainsi, la souffrance liée à une maladie peut entrer dans le champ de l’art. 3 si elle est aggravée par un traitement imputable aux autorités. Dans ce contexte, le seuil requis est élevé, dès lors que le préjudice découle de la maladie elle-même et non d’un comportement intentionnel des autorités (Paposhvili, § 183 ; confirmé par Savran c. Danemark [GC], no 57467/15, § 133, 7 décembre 2021).

 

Application des principes susmentionnés en l’espèce

  1. La Cour considère que la présente espèce se distingue des affaires où des personnes gravement malades ne pourraient bénéficier d’un traitement médical si elles étaient éloignées vers leur pays d’origine ne disposant pas de moyens médicaux adéquats (voir, notamment, les affaires précitées, Paposhvili, Savran, et N. c. Royaume-Uni). En effet, contrairement auxdites affaires, où l’état de santé précaire des intéressés aurait pu être davantage aggravé par la décision des autorités de les expulser dans leurs pays d’origine, la Suisse n’a pas directement contribué aux souffrances de la requérante, pour laquelle la maladie SMA de type 2, à l’origine d’une tétraplégie, a été détectée quand l’intéressée était âgée de 8 mois (paragraphe 4 ci-dessus).
  2. En revanche, la situation de la requérante se rapproche de celles examinées dans les affaires Hristozov et autres et Abdyusheva et autres (précitées), dans lesquelles les requérants s’étaient vu refuser un traitement avec des substances interdites, qu’ils jugeaient nécessaires. Or, dans ces arrêts, la Cour a conclu que le refus des autorités de donner accès aux médicaments souhaités n’avait pas atteint un seuil de gravité suffisant pour pouvoir être qualifié de traitement inhumain. Ainsi, en l’absence d’intention d’humiliation ou de rabaissement de la part des autorités en question, voire de souffrances infligées directement par les agents de l’État, elle a conclu à la non-violation de l’art. 3 de la Convention dans l’affaire Hristozov et autres (précité, §§ 113-115), et à l’irrecevabilité du grief dans l’affaire Abdyusheva et autres (précité, §§ 167 et 168).
  3. La Cour se rallie à ce raisonnement dans la présente affaire. Elle considère que le grief de la requérante procède d’une interprétation de l’art. 3 qui confère à la notion de traitements inhumains ou dégradants une portée plus étendue que celle qu’elle a en réalité et que, dès lors, elle ne peut souscrire au raisonnement de l’intéressée. En particulier, l’on ne saurait prétendre qu’en refusant à la requérante la prise en charge d’un traitement médical très coûteux dont l’efficacité, considérée de manière générale pour la catégorie de patients dont elle fait partie, n’était pas établie de manière probante, les autorités auraient directement ajouté à ses souffrances, certes importantes, mais qu’elle subit naturellement depuis sa prime enfance (voir, mutatis mutandis, Hristozov et autres, précité, § 113). L’allégation de la requérante selon laquelle le médicament demandé déployait une certaine efficacité dans son cas individuel est sans pertinence à cet égard. En effet, dans la mesure où la Convention, même au regard de l’art. 3, ne garantit pas d’accès libre à tout traitement médical, si souhaitable qu’il soit, et eu égard au fait que les États membres ne disposent que de ressources limitées, de nombreux individus se voient refuser des traitements, même essentiels, surtout s’ils sont permanents et coûteux (dans ce sens, Wiater c. Pologne (déc.), no 42290/08, § 36, 15 mai 2012).

Conclusion

  1. Compte tenu de ce qui précède, le grief formulé sur le terrain de l’art. 3 est manifestement mal fondé au sens de l’art. 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’art. 35 § 4.

 

GRIEF RELATIF À L’ART. 14, COMBINÉ AVEC LES ART. 3 ET 8 DE LA CONVENTION

  1. Enfin, la requérante estime avoir subi une discrimination fondée sur son état de santé, en méconnaissance de l’art. 14 de la Convention, combiné avec les art. 3 et 8.

Appréciation de la Cour

Principes applicables [résumé]

  1. L’art. 14 de la Convention n’a pas d’existence autonome ; il complète les autres dispositions normatives en garantissant l’absence de discrimination dans la jouissance des droits qu’elles protègent (Beeler c. Suisse [GC], no 78630/12, § 47 ; Şahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 85 ; Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 112).
  2. Il n’est pas nécessaire qu’un droit matériel ait été violé pour qu’il trouve à s’appliquer ; il suffit que les faits de la cause relèvent d’un art. de la Convention. Cette interdiction de discrimination s’étend aux droits additionnels que les États choisissent de protéger. Ce principe est profondément ancré dans la jurisprudence de la Cour (voir, parmi beaucoup d’autres, Beeler, précité, § 48, Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 124, CEDH 2012 (extraits), Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil des arrêts et décisions 1998-II ; Yocheva et Ganeva c. Bulgarie, nos 18592/15 et 43863/15, § 71, 11 mai 2021, et Stec et autres c. Royaume-Uni(déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 39, CEDH 2005-X).
  3. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu’un problème se pose au regard de cette disposition, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables. Une telle différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi d’autres, Beeler, précité, § 93, Biao c. Danemark [GC], no 38590/10, § 90, 24 mai 2016, et Khamtokhu et Aksenchik c. Russie [GC], no 60367/08 et 961/11, § 64, 24 janvier 2017).
  4. Les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger si des différences de situation justifient des traitements différenciés (voir, par exemple, Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, § 108, CEDH 2014, X et autres c. Autriche, [GC], no 19010/07, § 98, CEDH 2013, et Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 76, CEDH 2013 (extraits)). Cette marge d’appréciation varie selon les domaines et le contexte, étant en principe plus large en matière économique ou sociale (Burden c. Royaume‑Uni [GC], no 13378/05, § 60, CEDH 2008, Şerife Yiğit c. Turquie [GC], no 3976/05, § 70, 2 novembre 2010, et Stummer c. Autriche [GC], no 37452/02, § 89, CEDH 2011).
  5. Enfin, en ce qui concerne la charge de la preuve sur le terrain de l’art. 14 de la Convention, la Cour a jugé par le passé que lorsqu’un requérant a établi l’existence d’une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (Beeler, § 94, Biao, § 92, et Khamtokhu et Aksenchik, § 65, tous précités).

 

Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

  1. La Cour estime d’emblée que la requérante peut prétendre être victime d’une discrimination fondée sur son état de santé, voire son handicap, pareil critère relevant de l’art. 14 de la Convention (voir, par exemple, l’arrêt Glor, précité, § 80).
  2. [résumé] Elle note que le grief tombait sous l’empire de l’art. 8, ce qui rendait l’art. 14 applicable, et laissait ouverte la question d’un éventuel rattachement à l’art. 3, ce dernier ayant déjà été écarté (paragraphe 89 ci-dessus).
  3. [résumé] Concernant les comparaisons invoquées par la requérante, la Cour observe un certain flottement dans l’argumentation de l’intéressée : devant les juridictions internes, elle se comparait à des personnes traitées pour le cancer ou bénéficiant de l’assurance invalidité avant 20 ans (paragraphes 7 ci-dessus), tandis qu’auprès de la Cour, elle dénonçait aussi une différence de traitement par rapport aux personnes non handicapées, puis, dans ses observations, par rapport à des patients atteints de SMA de plus de 20 ans qui n’ont pas besoin d’une ventilation continue ou d’une trachéotomie permanente.
  4. La Cour considère tout d’abord que pour ce qui est de la discrimination dénoncée par rapport aux personnes sans handicap, le grief n’a pas été soulevé au niveau interne. La Cour estime que, outre le fait que ledit grief ne satisfait pas, dès lors, à la condition de l’épuisement des voies de recours internes prévue à l’art. 35 § 1 de la Convention, la requérante, lourdement handicapée, ne peut en tout état de cause prétendre se trouver dans une situation analogue ou similaire à celle d’une personne sans handicap. Quant à la discrimination alléguée par rapport aux personnes souffrant de SMA qui bénéficient d’une prise en charge du traitement par Spinraza, ainsi que par rapport aux patients souffrant d’un cancer, la Cour a exposé dans le cadre de son examen du grief formulé sous l’angle de l’art. 8 de la Convention que les tribunaux internes avaient justifié de manière très détaillée, au regard du droit interne, la différence de traitement réservée à ces diverses catégories de patients, notamment à la lumière des principes d’efficacité et d’économie. Sur la base de l’état de la science actuelle et d’une pesée adéquate et complète des intérêts privés et de ceux de l’État, notamment concernant les coûts liés au système de santé publique et des assurances sociales, ils ont indiqué de manière approfondie les raisons pour lesquelles ils aboutissaient à la conclusion que la demande de prise en charge devait être rejetée dans le cas de la requérante. Rappelant qu’une ample latitude est normalement laissée à l’État pour prendre des mesures d’ordre général en matière économique ou sociale, la Cour ne voit pas, dans le cadre de son examen limité, que les autorités aient dépassé leur marge d’appréciation en refusant à la requérante le traitement demandé tout en le garantissant à d’autres catégories de patients, ou que les décisions des tribunaux internes aient été inappropriées pour d’autres motifs. Il s’ensuit que les autorités internes pouvaient se prévaloir d’une justification objective et raisonnable, au sens de la jurisprudence précitée (paragraphe 95 ci-dessus), pour la différence de traitement dont se plaint la requérante.

Conclusion

  1. Compte tenu de ce qui précède, le grief portant sur l’art. 14, combiné avec les art. 3 et 8 de la Convention, est manifestement mal fondé au sens de l’art. 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’art. 35 § 4.

 

La Cour a déclaré, à la majorité, recevable le grief tiré de l’art. 8 de la Convention, et a jugé le reste de la requête irrecevable. Par quatre voix contre trois, elle a conclu à l’absence de violation de l’art. 8 de la Convention.

 

OPINION DISSIDENTE DU JUGE SERGHIDES [résumé]

Le juge Serghides exprime son désaccord avec le point 1 du dispositif, en ce qu’il déclare irrecevables les griefs fondés sur les articles 3 et 14 de la Convention, lesquels ne sont pas examinés dans l’arrêt. Il conteste à la fois l’absence d’examen de ces griefs et leur rejet au stade de la recevabilité sans analyse au fond. Il fait valoir des préoccupations similaires dans plusieurs autres opinions séparées, notamment L.F. et autres c. Italie, no 52854/18, 6 mai 2025, Kavečanský c. Slovaquie, no 49617/22, 29 avril 2025, Adamčo c. Slovaquie (no 2), nos 55792/20, 35253/21 et 41955/22, 12 décembre 2024, ainsi que dans mon opinion partiellement dissidente commune avec la juge Adamska-Gallant dans Cioffi c. Italie, no 17710/15, 5 juin 2025.

 

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SERGHIDES, ZÜND ET KOVATCHEVA [résumé]

Les juges dissidents estiment qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention. Ils reprochent à la majorité, ainsi qu’aux juridictions internes, de ne pas avoir appréhendé de manière effective la portée de la garantie conventionnelle de la vie privée. S’ils reconnaissent que les autorités nationales ont examiné la demande de prise en charge du Spinraza à la lumière du droit interne, ils considèrent que les griefs fondés sur la Convention ont été traités de manière lacunaire, voire éludés, en particulier par le Tribunal des assurances sociales et le Tribunal fédéral.

Ils soulignent que les tribunaux ont appliqué de manière rigide les exigences scientifiques sans évaluer concrètement les effets positifs du traitement dans la situation particulière de la requérante, notamment quant à son autonomie et sa capacité de communication. Ils estiment que l’absence de prise en compte du bénéfice individuel, documenté par une expertise médicale du 13 octobre 2020, et l’absence de réponse aux griefs relatifs aux droits garantis par l’article 8 (développement personnel, relations sociales, autonomie) constituent un manquement grave.

Ils relèvent également que l’argument du Gouvernement fondé sur le risque d’un raisonnement post hoc ergo propter hoc ne peut être retenu dans le contexte d’une maladie comme la SMA de type 2, qui ne présente aucune possibilité de guérison spontanée.

En conclusion, les juges estiment que les juridictions internes ont méconnu les obligations positives découlant de l’article 8 CEDH, notamment en ce qui concerne la situation concrète d’une personne vulnérable, et qu’il y a dès lors eu violation de cette disposition.

 

Jugement de la CrEDH – Affaire B.R. c. Suisse (Requête no 2933/23) du 08.07.2025 consultable ici

 

Le Conseil fédéral souhaite permettre le remboursement des moyens et appareils médicaux provenant de l’Espace économique européen

Le Conseil fédéral souhaite permettre le remboursement des moyens et appareils médicaux provenant de l’Espace économique européen

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 13.12.2024 consultable ici

 

Le Conseil fédéral propose que l’assurance obligatoire des soins (AOS) prenne à l’avenir en charge les coûts de certains moyens et appareils médicaux achetés par les assurés à titre privé dans l’Espace économique européen. Les prix à l’étranger étant en partie inférieurs, cette mesure permettrait de maîtriser les coûts et de favoriser la concurrence. Lors de sa séance du 13 décembre 2024, le Conseil fédéral a mis en consultation une modification correspondante de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal).

L’AOS prend en charge les moyens et appareils prescrits par un médecin et servant à diagnostiquer ou à traiter une maladie et ses séquelles. Il s’agit par exemple du matériel de pansement, de bandelettes de test de la glycémie, ou encore d’orthèses. Tous les produits de ce type couverts par l’AOS figurent dans la liste des moyens et appareils (LiMA). Après consultation de la Commission fédérale des analyses, moyens et appareils (CFAMA), le Département fédéral de l’intérieur (DFI) décide si une prestation est ajoutée à la LiMA et remboursée.

Actuellement, les moyens et appareils qu’une personne assurée en Suisse acquiert à titre privé à l’étranger ne sont en règle générale pas remboursés par l’AOS. C’est le principe dit de territorialité. Les assureurs et l’AOS ne peuvent donc profiter qu’exceptionnellement (p. ex. en cas d’urgence) de prix plus bas pratiqués à l’étranger.

Le Conseil fédéral propose maintenant une adaptation permettant la prise en charge par l’AOS de certains produits achetés dans l’Espace économique européen. Cette catégorie comprendrait en particulier le matériel à usage unique, qui représente un peu plus de 50 % du volume des coûts des moyens et appareils remboursés par l’AOS. En 2021, le volume des coûts liés à la LiMA était d’environ 630 millions de francs. La proposition du Conseil fédéral se fonde sur un rapport qu’il a fait élaborer en réponse à une motion sur la mise en place d’une obligation de remboursement pour les moyens et appareils achetés à l’étranger (motion 16.3169 Heim « Faire obligation aux caisses-maladie de rembourser les moyens et appareils médicaux achetés à l’étranger »).

 

Une adaptation pour mieux maîtriser les coûts

La prise en charge des produits achetés à l’étranger peut aider à maîtriser les coûts des moyens et appareils à la charge de l’AOS, tout en favorisant la concurrence. Le Conseil fédéral fixerait des règles de mise en œuvre à l’échelon réglementaire et définirait concrètement les moyens et appareils remboursables en cas d’acquisition dans l’Espace économique européen. Le Conseil fédéral a envoyé la modification correspondante en consultation lors de sa séance du 13 décembre 2024. La consultation dure jusqu’au 31 mars 2025.

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 13.12.2024 consultable ici

Rapport explicatif du 13.12.2024 relatif à l’ouverture de la procédure de consultation disponible ici

Projet mis en consultation disponible ici

 

9C_33/2024 (d) du 24.06.2024 – Notion d’indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence (Tarmed 00.2505) / Restitution par le fournisseur de soins des prestations indues

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_33/2024 (d) du 24.06.2024

 

Consultable ici

 

Notion d’indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence (Tarmed 00.2505) / 43 LAMal – Tarmed

Principe de restitution par le fournisseur de soins des prestations indues

 

La permanence A.__ SA gère un centre d’urgence et de santé ou un cabinet d’urgence et de médecine générale. Celui-ci peut être consulté sans rendez-vous tous les jours (365 jours par an) de 7 à 22 heures en cas de problèmes médicaux urgents.

Le 12.07.2021, vingt-cinq assureurs-maladie ont entamé une procédure contre la permanence A.__ devant le tribunal arbitral en matière de litiges d’assurances sociales, en demandant que celui-ci soit condamné à leur verser un montant total d’au moins CHF 1’177’038.62. Ils ont motivé leur demande en substance par le fait que la permanence A.__ a facturé à tort l’indemnité forfaitaire de dérangement en cas de consultation ou visite pressante F selon TARMED pour les traitements qu’elle a effectués durant la période du 01.01.2016 au 30.04.2021.

Par jugement du 04.12.2023 (arrêt SR.2021.00006), le tribunal arbitral a rejeté la demande dans son intégralité.

 

TF

Consid. 3.1
Conformément à l’art. 43 al. 1 LAMal, les fournisseurs de prestations établissent leurs factures sur la base de tarifs ou de prix. Conformément à l’art. 44 al. 1 LAMal (protection tarifaire), ils doivent s’en tenir aux tarifs et aux prix fixés par contrat ou par les autorités et ne peuvent pas facturer de rémunérations plus élevées pour les prestations fournies en vertu de la LAMal. La protection tarifaire, dans une acception large, englobe l’obligation pour les fournisseurs de prestations et les assureurs de respecter les tarifs et les prix applicables, tant dans leurs relations mutuelles que dans leurs rapports avec les assurés (ATF 144 V 138 consid. 2.1 ; 131 V 133 consid. 6). Dans le cadre du contrôle des factures – à distinguer du contrôle de l’économicité – les assureurs-maladie vérifient l’exactitude des notes d’honoraires des fournisseurs de prestations, notamment en ce qui concerne le respect des règles tarifaires et des limitations particulières de prestations (arrêt 9C_201/2023 du 3 avril 2024 consid. 3.1).

 

Consid. 3.2
Le droit tarifaire vise – par l’obligation faite aux fournisseurs de prestations de s’en tenir aux tarifs et aux prix fixés par contrat ou par les autorités (art. 44 al. 1 LAMal) – à garantir une rémunération contrôlée des prestations dans l’assurance-maladie obligatoire et à contribuer à la maîtrise des coûts. Il a ainsi également pour but d’assurer l’économicité des prestations, respectivement d’empêcher des prestations non économiques et/ou inappropriées (arrêt précité 9C_201/2023 du 3 avril 2024 consid. 3.6).

Consid. 3.3
Des sanctions sont prises à l’encontre des fournisseurs de prestations qui contreviennent aux exigences d’économicité et de qualité prévues par la loi (art. 56, 58a et 58h LAMal) ou aux accords contractuels (art. 42 LAMal) ainsi qu’aux dispositions relatives à la facturation (art. 59 al. 1 LAMal). Outre les sanctions prévues dans les contrats de qualité, elles comprennent notamment le remboursement total ou partiel des honoraires perçus pour des prestations inappropriées (art. 59 al. 1 let. b LAMal).

Consid. 3.4
Depuis le 01.01.2004, les prestations médicales fournies en ambulatoire dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins (AOS) sont facturées de manière uniforme via le système tarifaire TARMED. La base en est notamment la convention-cadre TARMED conclue le 13.05.2002 entre les parties contractantes (santésuisse, FMH, H+, CTM) représentant les assureurs et les fournisseurs de prestations et – en tant que partie intégrante de cette convention – la structure tarifaire TARMED.

Consid. 3.5
Selon la position tarifaire TARMED 00.2505, le forfait d’urgence F peut être facturé en cas de consultations ou visites urgentes en dehors des heures de consultation régulières, ainsi que du lundi au vendredi de 19 à 22 heures, le samedi de 7 à 19 heures et le dimanche de 7 à 19 heures. Les critères tarifaires d’urgence définis dans cette position tarifaire doivent être remplis. De plus, la disposition de cette position tarifaire précise qu’elle ne peut pas être facturée « dans le cadre d’une consultation régulière (consultation en soirée, consultation régulière le dimanche) ».

Consid. 3.6
Le point de départ de toute interprétation est le libellé de la norme applicable. Si le texte n’est pas tout à fait clair et que différentes interprétations sont possibles, il convient de rechercher la véritable portée de la disposition, en tenant compte de tous les éléments d’interprétation (pluralisme des méthodes). Il faut alors tenir compte de l’objectif de la réglementation, des valeurs sous-jacentes au texte ainsi que du contexte dans lequel la norme s’insère. Les travaux préparatoires ne sont certes pas directement déterminants, mais servent d’instrument pour cerner le sens de la norme. Ces travaux préparatoires revêtent une importance particulière, notamment pour l’interprétation de textes récents qui se heurtent encore à des circonstances et à une compréhension du droit qui n’ont guère évolué. Il est possible de s’écarter du texte lorsqu’il existe des raisons valables de penser qu’il ne reflète pas le véritable sens de la réglementation. Si plusieurs interprétations sont possibles, il faut choisir celle qui correspond le mieux à la Constitution. Cependant, une interprétation conforme à la Constitution trouve aussi ses limites dans le libellé clair et le sens d’une disposition légale (ATF 141 V 221 consid. 5.2.1 et les références ; 140 V 449 consid. 4.2 et les références ; concernant l’interprétation de la structure tarifaire TARMED, cf. également l’arrêt 9C_664/2023 du 24 juin 2024 consid. 4).

Consid. 4.1
Il est établi et non contesté que la permanence A.__ exploite un cabinet d’urgence qui peut être consulté sans rendez-vous tous les jours (365 jours par an) de 7 à 22 heures en cas de problèmes médicaux urgents. Selon les constatations du tribunal arbitral cantonal, aucun rendez-vous n’est pris pour ce cabinet d’urgence. Par ailleurs, la permanence A.__ exploite dans les mêmes locaux un cabinet de médecine générale où des consultations peuvent être programmées pendant les horaires habituels les jours ouvrables. En l’espèce, seule la facturation des traitements effectués par le cabinet d’urgence entre 19 et 22 heures du lundi au vendredi et entre 7 et 22 heures le samedi et le dimanche (ci-après : heures litigieuses) est contestée.

Consid. 4.2
Le tribunal arbitral cantonal a considéré en substance que la permanence A.__ fonctionnait avec une double structure. D’une part, elle gère un cabinet de médecine générale, dans lequel des consultations peuvent être convenues aux heures habituelles. D’autre part, elle exploite un cabinet d’urgence au même endroit ; les traitements litigieux en l’espèce ont été facturés pour ce cabinet. Ce cabinet d’urgence était exploité exclusivement comme une structure « walk-in », pour lequel il n’est pas possible de convenir à l’avance des heures de consultation. Le cabinet d’urgence n’a donc pas d’heures de consultation régulières, ce qui l’autorise en principe à facturer le forfait d’urgence F pour les traitements effectués pendant les heures litigieuses. Les longues heures d’ouverture publiées n’y changeaient rien, puisqu’elles n’auraient pas été choisies volontairement, mais seraient dues à l’accomplissement d’une obligation légale (assurer les soins d’urgence pour la ville et la région de U.__).

Consid. 4.3
Selon le texte du TARMED, l’indemnité forfaitaire de dérangement en cas de consultation ou visite pressante F ne peut être facturée que pour des traitements qui ne sont pas effectués pendant une heure de consultation régulière. Or, un traitement pendant les plages horaires litigieuses n’est pas automatiquement considéré comme se déroulant en dehors des heures régulières ; ainsi, le TARMED réserve expressément les heures de consultation du soir ou les heures de consultation régulières du dimanche. La réglementation ne distingue cependant pas si ces horaires sont proposés volontairement ou pour remplir des obligations légales ou contractuelles. Ce qui compte, c’est uniquement si ces horaires constituent des «heures régulières de consultation». Il n’est donc pas nécessaire en l’espèce de se prononcer sur la question de savoir si la permanence A.__ pouvait choisir librement les heures d’ouverture de son cabinet de garde ou si elle était tenue de maintenir une certaine offre en raison de directives des autorités ou d’accords contractuels avec le corps médical de la région U.__. La question de savoir si les heures d’ouverture des cabinets de garde sont des heures régulières ou non est donc sans objet.

Consid. 4.4
La question se pose donc de savoir ce qu’il faut entendre par heure de consultation «régulière» au sens du TARMED – qui exclut la facturation du forfait litigieux en l’espèce. Le tribunal arbitral cantonal a considéré à ce sujet que seules les heures durant lesquelles il est possible de convenir d’heures de consultation doivent être considérées comme des heures régulières de consultation.

Toutefois, le tribunal arbitral cantonal part toutefois d’une notion trop étroite des heures de consultation «régulières» : le forfait litigieux vise à compenser l’inconvénient subi par un médecin contraint de traiter un patient de manière urgente en dehors de ses heures de travail normales. À l’inverse, un médecin ne subit aucun inconvénient digne d’être indemnisé au sens de cette position tarifaire lorsqu’il effectue un traitement pendant des plages horaires où il est, de toute façon, présent dans son cabinet. Ainsi, un traitement effectué pendant les heures d’ouverture publiées est considéré comme effectué pendant les heures «régulières» de consultation. Si un cabinet propose de longues heures d’ouverture, en fait la publicité et oriente ainsi en quelque sorte son modèle économique vers le traitement de patients en dehors des heures habituelles, il en résulte qu’il n’est pas autorisé à facturer le forfait litigieux pour les traitements effectués pendant durant ces horaires.

Consid. 4.5
En résumé, il faut retenir que la permanence A.__ n’était pas autorisée à facturer les indemnités forfaitaires de dérangement en cas de consultation ou visite pressante F (position tarifaire TARMED 00.2505) pour les traitements effectués pendant les heures d’ouverture qu’elle a rendues publiques. Par conséquent, le recours doit être admis en ce sens qu’il faut admettre le principe d’une obligation de remboursement. Le jugement de l’instance précédente doit être annulé dans la mesure où il concerne les recourantes et l’affaire doit être renvoyée au tribunal arbitral pour qu’il fixe le montant du remboursement. Le recours est rejeté pour le surplus.

 

Le TF admet le recours des caisses-maladies.

 

 

Arrêt 9C_33/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_33/2024 (d) du 24.06.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/12/9c_33-2024)

 

 

9C_664/2023 (d) du 24.06.2024, destiné à la publication – Notion d’indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence / Interprétation d’« institut » au sens du Tarmed (00.2510, 00.2520, 00.2530) / Restitution par le fournisseur de soins des prestations indues

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_664/2023 (d) du 24.06.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Notion d’indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence / 43 LAMal – Tarmed

Interprétation d’« institut » au sens du Tarmed (00.2510, 00.2520, 00.2530) / 35 al. 2 let. n LAMal – 36a aLAMal

Restitution par le fournisseur de soins des prestations indues / 25 LPGA

 

Par requête datée du 20.06.2022 (postée le 20.07.2022, reçue le 21.07.2022), une caisse-maladie a procédé auprès du Tribunal arbitral contre A.__ SA. Elle a notamment demandé que A.__ SA soit tenue de payer CHF 352’071 (avec intérêt de 5%) pour des indemnités forfaitaires de dérangement en cas de consultation ou visite pressante F (position tarifaire TARMED 00.2505), des indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence A et B (positions tarifaires TARMED 00.2510 et 00.2520) ainsi que des majorations en pourcents pour urgence B (position tarifaire TARMED 00.2530) pour la période du 01.01.2018 au 31.05.2022 et que A.__ SA devait être tenu de facturer à l’avenir ces forfaits conformément aux règles.

Par arrêt du 08.09.2023, le Tribunal arbitral a condamné A.__ SA à rembourser à la caisse-maladie la somme de CHF 393’295.–.

 

TF

Consid. 2.2.1
Sous le titre « Principe », l’art. 43 LAMal contient notamment les règles suivantes concernant la fixation des tarifs : Les tarifs et les prix sont fixés par convention entre les assureurs et les fournisseurs de prestations (convention tarifaire) ou, dans les cas prévus par la loi, par l’autorité compétente. Ceux-ci veillent à ce que les conventions tarifaires soient fixées d’après les règles applicables en économie d’entreprise et structurées de manière appropriée (art. 43 al. 4, 1e et 2e phrases, LAMal). Les tarifs à la prestation et les tarifs des forfaits par patient liés aux traitements ambulatoires doivent chacun se fonder sur une seule structure tarifaire uniforme, fixée par convention sur le plan suisse (art. 43 al. 5, 1e phrase, LAMal). Le Conseil fédéral peut procéder à des adaptations de la structure tarifaire si celle-ci s’avère inappropriée et que les parties ne peuvent s’entendre sur une révision de la structure (art. 43 al. 5bis LAMal). Les parties à la convention et les autorités compétentes veillent à ce que les soins soient appropriés et leur qualité de haut niveau, tout en étant le plus avantageux possible (art. 43 al. 6 LAMal). Le Conseil fédéral peut établir des principes visant à ce que les tarifs soient fixés d’après les règles d’une saine gestion économique et structurés de manière appropriée; il peut aussi établir des principes relatifs à leur adaptation (art. 43 al. 7, 1e phrase, LAMal). Ensuite, l’art. 46 al. 4 LAMal précise ce qui suit : La convention tarifaire doit être approuvée par le gouvernement cantonal compétent ou, si sa validité s’étend à toute la Suisse, par le Conseil fédéral. L’autorité d’approbation vérifie que la convention est conforme à la loi et à l’équité et qu’elle satisfait au principe d’économie (ATF 144 V 138 consid. 2.2.1 et les références).

Consid. 2.2.2
Depuis le 1er janvier 2004, les prestations médicales ambulatoires fournies dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins sont facturées de manière uniforme via le système tarifaire TARMED. Ce système se fonde notamment sur la convention-cadre TARMED conclue le 13 mai 2002 entre les associations santésuisse et H+ ainsi que– en tant que partie intégrante de cette convention – sur la structure tarifaire TARMED. Les prestations médicales et techniques sont saisies dans cette dernière et se voient attribuer des points tarifaires. Le montant des points tarifaires (en francs et en centimes) est fixé au moyen de conventions tarifaires au niveau cantonal. Le prix de chaque unité de prestation résulte de la multiplication des points de taxation par la valeur du point de taxation.

Le 15 juin 2012, le Conseil fédéral a approuvé la structure tarifaire TARMED version 1.08 convenue par les partenaires tarifaires. En édictant l’ordonnance du 20 juin 2014 sur la fixation et l’adaptation de structures tarifaires dans l’assurance‑maladie (RS 832.102.5 ; ci-après : ordonnance sur l’adaptation), il est intervenu lui-même pour la première fois dans la structure tarifaire. Le Conseil fédéral a abrogé ces dispositions à la fin de l’année 2016 ; en contrepartie, il a approuvé, le 23 novembre 2016, la convention des partenaires tarifaires prévoyant le maintien de la structure tarifaire existante (y compris les adaptations mentionnées) jusqu’à la fin de l’année 2017. Au 1er janvier 2018, il a de nouveau modifié l’ordonnance d’adaptation et donc la structure tarifaire TARMED (cf. ATF 144 V 138, état de fait let. A.a.). Les adaptations effectuées se trouvent à l’annexe 1 de l’ordonnance et la structure tarifaire version 1.09 valable à partir du 1er janvier 2018 à l’annexe 2.

Consid. 2.2.3
Conformément à l’art. 25 al. 2 LPGA (dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2021) en relation avec l’art. 56 al. 2 LAMal (cf. ATF 133 V 579 consid. 4.1), le droit de demander la restitution s’éteint trois ans (d’un an selon l’art. 25 al. 2 LPGA dans sa version en vigueur jusqu’à fin 2020) après le moment où l’institution d’assurance a eu connaissance du fait, mais au plus tard cinq ans après le versement de la prestation. Les délais mentionnés sont des délais de péremption (ATF 140 V 521 consid. 2.1 avec renvois).

Si le versement indu de la prestation repose sur une erreur de l’administration, le délai de péremption relatif ne commence à courir qu’à partir de ce que l’on appelle la « deuxième circonstance » [« zweiten Anlass »]. En revanche, la connaissance raisonnablement attendue de la situation déclenche déjà le délai lorsque le caractère indu de la prestation fournie ressort directement du dossier et qu’il n’y a donc pas (ou plus) besoin de clarifier les éléments constitutifs de la demande de restitution. La question de savoir si et dans quelle mesure la demande de restitution est périmée est une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement (ATF 148 V 217 consid. 2.2 et 5 et les références).

Consid. 4.2
Selon les interprétations correspondantes de la structure tarifaire TARMED version 1.09, les indemnités forfaitaires de dérangement en cas d’urgence A et B ainsi que la majoration en pourcents pour urgence B (positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530) ne peuvent être facturés que par des médecins spécialistes non rémunérés de manière fixe par l’hôpital ou l’institut.

En ce qui concerne le terme «institut» (allemand : «Institut» ; italien : «istituti»), il faut convenir avec la recourante [A.__ SA] que le libellé n’est pas clair d’emblée. L’OFSP fait également remarquer à juste titre que, contrairement à la notion d’«hôpital» (cf. art. 35 al. 2 let. h et art. 39 LAMal), la LAMal ne contient pas de catégorie de fournisseurs de prestations analogue. En particulier, les termes utilisés à l’art. 35 al. 2 let. n LAMal ne correspondent pas, du moins dans les versions allemande («Einrichtungen») et française (« institutions»), aux termes utilisés dans les interprétations des positions tarifaires TARMED 00.2510 à 00.2530 (allemand : «Institut» ; français : «institut») ; dans la version italienne, les termes sont en revanche identiques (respectivement «istituti»). Il n’en va pas autrement en ce qui concerne l’art. 36a aLAMal, encore en vigueur lors de la formulation de la structure tarifaire TARMED version 1.08, qui utilisait la même terminologie que l’art. 35 al. 2 let. n LAMal.

Si la structure tarifaire TARMED avait effectivement voulu reprendre la terminologie de la LAMal en suivant l’argumentation de l’instance précédente, on aurait pu s’attendre à ce qu’une terminologie uniforme ne se limite pas à la version italophone. Le terme «institut» (allemand : «Institut» ; italien : «istituti») utilisé dans la structure tarifaire n’est donc pas clair et il faut, puisque différentes interprétations sont possibles, en rechercher la véritable portée à l’aide d’autres éléments d’interprétation.

Consid. 4.3
A.__ SA objecte à juste titre qu’avec l’ordonnance d’adaptation du Conseil fédéral, c’est une ordonnance dépendante qui est au cœur de l’examen (ATF 144 V 138 consid. 2.4). Il convient néanmoins de tenir compte, lors de l’interprétation, du fait que la structure tarifaire TARMED version 1.09 repose en grande partie sur une structure tarifaire convenue au préalable entre les représentants des assureurs et des fournisseurs de prestations, et donc sur un contrat de droit public (cf . ATF 139 V 82 consid. 3.1.1 et 3.1.2 ainsi que décision du Conseil fédéral du 5 octobre 2001 dans la cause Verband Krankenversicherer St. Gallen-Thurgau gegen Regierungsrat des Kantons St. Gallen betreffend Festsetzung der Tarife des Kantonsspitals und der Regionalspitäler, in: RKUV 2002 Nr. KV 215 S. 210ff.). C’est précisément la condition négative formulée dans les positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 «Ne peut être facturé que par des spécialistes qui ne sont pas salariés d’un hôpital ou d’un institut» qui a été reprise telle quelle dans la structure tarifaire TARMED version 1.09, à l’exception d’une simple modification rédactionnelle (le singulier «istituto» a été remplacé par le pluriel «istituti» dans la version italophone).

La fixation autonome des tarifs par les partenaires tarifaires constitue la règle en matière de tarification des prestations (cf. message du 6 novembre 1991 concernant la révision de l’assurance-maladie, BBl 1992 I 93, 180 [en français : FF 1992 I 77, 162). En conséquence, le législateur a souligné, en introduisant l’art. 43 al. 5bis LAMal, l’importance de l’autonomie tarifaire et la subsidiarité des compétences accordées au Conseil fédéral (cf. rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 1er septembre 2011 sur l’initiative parlementaire « Tarmed : compétence subsidiaire du Conseil fédéral », BBl 2011 7385 (en français : FF 2011 6793) ; cf. sur l’ensemble l’arrêt 9C_524/2013 du 21 janvier 2014 consid. 3 et les références). Il se justifie donc de prendre également en considération, dans le cadre de l’interprétation (historique), ce que les partenaires contractuels avaient voulu à l’époque en formulant que les positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 ne pouvaient être facturées que par des médecins spécialistes qui ne sont pas salariés d’un hôpital ou d’un institut.

Consid. 4.3.1
Les parties s’accordent à dire que A.__ SA exploite un cabinet médical de type walk-in et qu’elle est une institution au sens de l’art. 35 al. 2 let. n LAMal (resp. art. 36a aLAMal ; cf. à ce sujet l’ATF 135 V 237) avec des médecins à rémunération fixe. Dans le cadre de son interprétation historique et téléologique, elle souligne à juste titre que la proposition de modifications de la structure tarifaire TARMED de mars 2017, mise en consultation, selon laquelle les positions tarifaires TARMED 00.2510 à 00.2590 auraient dû être précisées notamment en ce sens qu’elles ne pouvaient plus, de manière générale (c.-à-d. indépendamment d’autres critères), être utilisées par des institutions au sens de l’art. 36a aLAMal, a finalement été rejetée par le Conseil fédéral. La solution prévue dans un premier temps avait été justifiée par le fait que les institutions au sens de l’art. 36a aLAMal (institutions de soins ambulatoires dispensés par des médecins) avaient explicitement axé leur infrastructure et leur personnel sur les cas d’urgence. Une urgence ne constituerait pas plus un inconvénient pour de telles institutions que pour les hôpitaux (cf. modification proposée par l’OFSP de l’ordonnance sur la détermination et l’adaptation des structures tarifaires dans l’assurance-maladie de mars 2017, p. 12). Selon le rapport de l’OFSP du 18 octobre 2017 sur les résultats de la consultation, les réactions (des cantons, des partis politiques et des commissions, des organisations du système de santé [assureurs et patients] ainsi que des fournisseurs de prestations) ont cependant montré qu’une distinction claire entre les diverses offres n’était guère réalisable et que celles-ci contribuaient dans certains cantons au financement des soins ambulatoires d’urgence (p. 23 ss du rapport ; cf. également la fiche d’information de l’OFSP sur les adaptations du tarif médical TARMED du 18 octobre 2017). En conséquence, le passage décrit dans la proposition, selon lequel les positions tarifaires 00.2510 à 00.2590 ne sont généralement plus prises en charge par les institutions au sens de l’art. 36a LAMal, a été supprimé et les critères d’urgence sont restés plus stricts.

A la lumière de ce qui vient d’être exposé, on peut conclure avec A.__ SA que l’OFSP et le Conseil fédéral étaient tous deux partis du principe que les institutions au sens de l’art. 36a aLAMal pouvaient facturer les forfaits d’urgence en présence des critères correspondants (éventuellement négatifs). C’était déjà le cas dans le cadre de la structure tarifaire TARMED version 1.08, où le chapitre 00.08 (suppléments pour cas urgents et suppléments d’urgence) indiquait encore expressément qu’il s’agissait de la facturation « par des institutions ambulatoires (p. ex. permanences, centres médicaux, etc.) ».

Consid. 4.3.2
En guise de conclusion intermédiaire, il convient de retenir que la structure tarifaire TARMED, ni dans sa version 1.09, ni dans sa version 1.08, n’exclut ou n’a exclu de manière générale – et donc indépendamment de la question d’une rémunération fixe – les médecins d’institutions au sens de l’art. 35 al. 2 let. n LAMal (ou de l’art. 36a aLAMal) de la facturation des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530. A.__ SA ne peut toutefois pas en déduire quoi que ce soit en sa faveur. En particulier, on ne peut pas en conclure qu’un cabinet walk-in tel que celui qu’elle exploite est de ce fait libéré de la condition négative «Ne peut être facturé que par des spécialistes qui ne sont pas salariés d’un hôpital ou d’un institut» (cf. également à ce sujet consid. 4.3.6 infra).

Consid. 4.3.3
Les interprétations des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 ne définissent pas ce qu’il faut entendre par «institut». Elles expliquent toutefois, à la suite de la phrase «Ne peut être facturé que par des spécialistes qui ne sont pas salariés d’un hôpital ou d’un institut», que lors d’interventions à l’hôpital ou dans un institut, la règle suivante est applicable : « Le spécialiste doit, depuis l’extérieur, venir d’urgence et de manière imprévue à l’hôpital ou à l’institut. L’indemnité de déplacement est alors comprise. Les spécialistes qui touchent un salaire fixe, entier ou partiel, de la part de l’hôpital ou de l’institut ne peuvent pas facturer cette position. »

Les interprétations expliquent ainsi ce qu’il faut entendre par dérangement en cas d’urgence et justifient pourquoi les médecins à rémunération fixe ne peuvent pas la facturer. L’intention est d’indemniser les médecins qui se rendent de manière non planifiée à l’hôpital ou à l’institut en raison d’une urgence, sans être indemnisés pour ce dérangement personnel dans le cadre d’une rémunération fixe.

Dans ce contexte, il ne faut pas seulement considérer l’indemnité de déplacement explicitement mentionnée dans les interprétations, mais également prendre en compte le fait que le médecin appelé qui effectue un service de garde est limité dans ses activités privées et doit éventuellement les interrompre immédiatement à un moment inopportun. En conséquence, les positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 font partie des groupes de prestations LG-59 et LG-63 et ne peuvent être revendiquées, selon la structure tarifaire TARMED, que dans les rôles définis de médecin de cabinet ou de médecin agréé.

Consid. 4.3.4
A.__ SA n’explique pas de manière compréhensible et on ne voit pas non plus pourquoi une interdiction de facturer devrait s’appliquer au personnel médical à rémunération fixe d’un hôpital ou d’un autre institut, mais pas au personnel médical à rémunération fixe d’un «walk-in practice». Outre le fait que A.__ SA ne parvient pas à démontrer quels autres fournisseurs de prestations devraient être couverts par la notion d’«institut» à sa place, une interprétation conforme à la lecture de la recourante ne serait guère compatible avec les interprétations des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 présentées précédemment au consid. 4.3.3. Il n’en va pas autrement de l’avis de l’OFSP, selon lequel le terme «institut» ne doit désigner que les établissements situés dans un environnement proche de l’hôpital ou les instituts gérés par des hôpitaux.

Dans leurs objections, A.__ SA et l’OFSP ne tiennent pas compte du fait que le point de rattachement essentiel est l’absence de rémunération fixe pour un dérangement subi personnellement par le médecin et non la forme d’organisation du côté de l’employeur.

A la lumière de ce qui précède, les réserves exprimées lors de la consultation sur l’adaptation prévue de la structure tarifaire TARMED, selon lesquelles il ne serait pas approprié d’exclure de manière générale toutes les institutions au sens de l’art. 35 al. 2 let. n LAMal (resp. art. 36a aLAMal) de la facturation des positions tarifaires TARMED 00.2510 à 00.2590, notamment en raison du nombre d’offres insuffisamment distinctes, prennent tout leur sens (cf. consid. 4.3.1 supra). Ainsi, il est tout à fait concevable – comme c’est le cas pour les hôpitaux explicitement mentionnés dans les interprétations (on pense en particulier aux médecins agréés) – que, selon les offres, des médecins exercent également dans les institutions constituées en personnes morales (cf. à ce sujet l’ATF 135 V 237), qui ne sont pas rémunérés de manière fixe.

Consid. 4.3.5
Il faut donc partir du principe, avec l’instance précédente, que les cabinets walk-in comme celui de la recourante doivent être considérés comme des instituts au sens des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530, si bien que leurs médecins à rémunération fixe ne sont pas autorisés à facturer ces positions tarifaires. Ce n’est qu’à la condition négative qu’un cabinet sans rendez-vous (walk-in practice) ne rémunère pas ses médecins de manière fixe, qu’une facturation des indemnités forfaitaires correspondantes peut entrer en ligne de compte (cf. consid. 4.3.1 supra).

Consid. 4.3.6 [résumé]
La recourante semble être d’avis qu’il existe une catégorie de fournisseurs de prestations avec des médecins à salaire fixe qui ne relèvent pas des notions d’hôpital ou d’institut au sens des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530 et qui peuvent donc toujours facturer les forfaits correspondants lorsque les critères médicaux d’urgence sont remplis. La question de savoir ce qu’il en est peut rester ouverte ici, compte tenu de ce qui a été exposé au considérant 4.3.5. Il n’en va pas autrement du grief formulé dans ce contexte, selon lequel cette catégorie de fournisseurs de prestations serait privilégiée et qu’il y aurait donc une violation du principe de l’égalité.

Par ailleurs, il convient de souligner avec le tribunal arbitral qu’il est objectivement justifié de distinguer, pour le droit à la facturation, si les médecins sont rémunérés de manière fixe et donc indemnisés pour les inconvénients personnels ou non. Une distinction objective ferait plutôt défaut si, selon l’argumentation de la recourante, les médecins à rémunération fixe d’un cabinet walk-in pouvaient facturer les positions tarifaires 00.2510, 00.2520 et 00.2530, alors que leurs collègues d’un hôpital ou d’un institut, également à rémunération fixe, n’y seraient pas autorisés.

Consid. 4.3.7
En suivant le Tribunal arbitral et en considérant la recourante comme un institut au sens des positions tarifaires TARMED 00.2510, 00.2520 et 00.2530, le Tribunal fédéral ne néglige pas non plus le fait que les urgences peuvent également causer des inconvénients dans les cabinets sans rendez-vous et les permanences. Il faut notamment penser au fait que les traitements de patients réguliers sont retardés en raison des urgences et qu’il en résulte des temps d’attente. De tels désagréments n’affectent toutefois pas les médecins engagés à titre permanent par les cabinets médicaux et se trouvant sur place, et sont – dans la mesure où ils concernent ces derniers – indemnisés par un salaire correspondant. Le Tribunal fédéral ne méconnaît pas non plus le fait que les cabinets walk-in et les permanences peuvent, en raison du service d’urgence proposé, présenter des frais d’exploitation plus élevés que les cabinets qui n’entretiennent pas un tel service. Il n’est pas non plus contesté que de tels services d’urgence déchargent les hôpitaux ayant éventuellement des structures de cabinet encore plus élevées et qu’ils puissent ainsi avoir une influence positive sur les coûts de la santé. Dans la structure tarifaire TARMED version 1.08 et version 1.09, rien n’indique toutefois que les positions tarifaires litigieuses visent, au-delà de l’indemnisation des inconvénients personnels des médecins décrits dans les interprétations, à indemniser les employeurs disposant de structures de cabinet coûteuses ou à financer un service d’urgence. Le fait que de telles considérations (de politique de santé) aient pu jouer un rôle dans le cadre de la tentative, finalement rejetée, d’exclure totalement les institutions au sens de l’art. 35 al. 2 let. n LAMal (resp. art. 36a aLAMal) du droit de facturer (cf. consid. 4.3.1 supra), n’y change rien.

 

Consid. 5
Il convient d’examiner si le droit de demander la restitution est périmé dans la mesure où il concerne des indemnités forfaitaires de dérangement en cas de consultation ou visite pressante F décomptés à tort avant le 01.01.2020.

Consid. 5.1
En se référant à l’ATF 133 V 579 consid. 4.3.5 ainsi qu’à l’absence de procédure de conciliation obligatoire dans le canton de Berne, le délai de péremption relatif peut être respecté par un acte préalable par lequel l’assureur-maladie a fait valoir de manière appropriée sa créance de remboursement envers le débiteur. Dans le cas présent, cela a été fait en temps utile avec les deux courriers du 04.11.2020 et du 08.10.2021.

Consid. 5.2
La recourante objecte que le Tribunal fédéral n’a pas du tout traité, dans l’ATF 133 V 579, la question de savoir comment le délai de péremption devait être respecté lorsque la procédure (art. 44 et 45 des Gesetzes betreffend die Einführung der Bundesgesetze über die Kranken-, die Unfall- und die Militärversicherung des Kantons Bern [EG KUMV; BSG 842.11]) ne prévoient pas de procédure de conciliation obligatoire. Si, dans de telles constellations, l’ayant droit au remboursement renonce à une procédure de conciliation, seule la requête peut être considérée comme respectant le délai. En l’espèce, la caisse-maladie a déposé sa demande le 22.06.2022. Sur la base du délai de péremption relatif d’un an en vigueur à l’époque, la péremption est donc intervenue pour toutes les indemnités forfaitaires de dérangement F versés avant le 01.01.2020.

Consid. 5.3
Par ce grief, la recourante ne tient pas compte du fait qu’un assureur-maladie n’a pas la possibilité, selon les art. 44 et 45 EG KUMV, de se prononcer pour ou contre la mise en œuvre d’une procédure de conciliation. Il peut certes déposer une demande en ce sens, mais il appartient en fin de compte uniquement au président du tribunal arbitral de décider de la mise en œuvre ou non d’une telle procédure. La question de savoir si de telles requêtes sont susceptibles de respecter les délais n’a pas besoin d’être clarifiée ici.

Ainsi, dans l’ATF 133 V 579, consid. 4.3.5, le Tribunal fédéral a expressément et sans équivoque considéré que, contrairement à l’arrêt K 167/04 du 18 mars 2005 du Tribunal fédéral des assurances, la question de l’effet sur la conservation du délai d’autres actions devait être approuvée, chaque fois qu’il n’existe pas de procédure d’arbitrage obligatoire. Dans la présente constellation, il est incontestable qu’il n’existe pas de procédure arbitrale obligatoire, de sorte que d’autres actes, comme c’est en principe le cas en droit public (cf. ATF 133 V 579 consid. 4.3.1), ont un effet sur le respect des délais. Aucun motif visible ou invoqué à bon droit ne justifie de s’écarter de cette jurisprudence claire.

 

Le TF rejette le recours de A.__ SA.

 

Arrêt 9C_664/2023 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_664/2023 (d) du 24.06.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/11/9c_664-2023)

 

 

9C_340/2024 (d) du 04.10.2024 – Assurance-maladie : premier point de contact en cas de «doctor shopping» / Traitements psychiatriques efficaces, appropriées et économiques («critères EAE»)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_340/2024 (d) du 04.10.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

Communiqué de presse du TF du 11.11.2024 disponible ici

 

Assurance-maladie : premier point de contact en cas de «doctor shopping»

Traitements psychiatriques efficaces, appropriées et économiques («critères EAE»)

 

Les caisses maladie ont le droit d’instaurer un premier point de contact («gatekeeper») dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins (AOS) lorsque la personne assurée a recours à des prestations médicales non coordonnées qui, sur la base d’évaluations faites par des experts, se révèlent dans l’ensemble comme étant un traitement inefficace, inapproprié et par conséquent non économique. Instaurer un «gatekeeper» est dans ce cas compatible avec le principe du libre choix du médecin et le système des prestations obligatoires.

Une assurée a eu recours, principalement dans le domaine psychiatrique, à différentes prestations médicales non coordonnées entre elles (pratique dite du «doctor shopping»). Elle avait souscrit auprès de sa caisse-maladie le modèle d’assurance standard, avec libre choix entre les fournisseurs de prestations admis. En 2023, la caisse-maladie, se fondant sur une expertise psychiatrique de l’assurée, a rendu une décision relative à la prise en charge future des coûts dans le cadre de l’AOS. En 2023 également, le Tribunal des assurances argovien a décidé que la caisse-maladie ne devra prendre en charge plus que les coûts des prestations fournies par un premier point de contact autorisé (gatekeeper) ou par un prestataire tiers vers lequel celui-ci aura orienté l’intéressée, sauf cas d’urgence et examens gynécologiques préventifs.

Le Tribunal fédéral rejette le recours déposé par l’assurée contre cette décision. En vertu de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal), l’AOS prend en charge les coûts des prestations médicales, à condition qu’elles soient efficaces, appropriées et économiques («critères EAE»). Les assureurs-maladie sont tenus de vérifier que ces conditions sont remplies. En l’espèce, la caisse-maladie est arrivée à la conclusion, confirmée par l’instance précédente qui se fondait sur ladite expertise, que la recourante a bénéficié de prestations médicales jusqu’alors non coordonnées, ce qui constituait une méthode de traitement inefficace et inappropriée, rendant nécessaire un plan de traitement par une institution médicale coordinatrice faisant fonction de gatekeeper. Cette approche est compatible avec le principe du libre choix du médecin et le système des prestations obligatoires. En matière de prestations médicales obligatoires, il existe certes une présomption légale selon laquelle celles-ci remplissent les conditions de prise en charge des coûts par l’AOS. Cette présomption peut toutefois être renversée par l’assureur-maladie. Le libre choix du médecin est également soumis aux critères EAE. Le fait qu’il ne s’agisse pas dans le cas d’espèce d’une mesure thérapeutique isolée, mais d’une approche globale coordonnée par le biais du gatekeeping n’y change rien. Enfin, la décision litigieuse ne constitue pas non plus une atteinte illicite aux droits fondamentaux de la recourante. Il convient par ailleurs de souligner que la démarche de la caisse-maladie peut s’avérer dans l’intérêt de l’assurée elle-même, qui est ainsi protégée contre les traitements ou interventions objectivement inutiles d’un point de vue médical.

 

Arrêt 9C_340/2024 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 11.11.2024 disponible ici

 

Nouvelle réglementation de la psychothérapie pratiquée par des psychologues : premier rapport de monitorage

Nouvelle réglementation de la psychothérapie pratiquée par des psychologues : premier rapport de monitorage

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 03.05.2024 consultable ici

 

En 2023, le modèle de la prescription a remplacé celui de la délégation pour la psychothérapie pratiquée par des psychologues. Ce changement a entraîné une augmentation des coûts pour l’assurance obligatoire des soins (AOS) : tel est le résultat d’un rapport de monitorage commandé par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) concernant cette nouvelle réglementation. Après extrapolation, cette hausse se situe entre 175 et 200 millions de francs, dont plus de la moitié est due au nouveau tarif, plus élevé.

Depuis le 1er juillet 2022, les psychologues-psychothérapeutes pratiquant sous leur propre responsabilité professionnelle peuvent facturer à la charge de l’AOS les prestations prescrites par un médecin. Auparavant, leurs prestations étaient remboursées lorsqu’ils exerçaient sous la surveillance d’un médecin (modèle de la délégation). Lorsqu’ils travaillaient de manière indépendante, il était également possible que les assurances complémentaires prennent en charge leurs prestations, ou que les patients les paient de leur propre poche. Durant une phase transitoire s’étendant jusqu’à fin 2022, la psychothérapie psychologique pouvait encore être remboursée selon l’ancien modèle de la délégation, parallèlement au nouveau modèle de la prescription.

Pour surveiller les effets de la nouvelle réglementation sur les coûts et les soins, le Conseil fédéral a prévu un monitorage et une évaluation. Le premier rapport de monitorage est désormais disponible.

 

Causes de l’augmentation des coûts

Des données représentatives sont disponibles pour les thérapies facturées durant le premier semestre 2023. Au cours de cette période, les coûts de la psychothérapie pratiquée par des psychologues selon le modèle de la prescription s’élevaient à 373 millions de francs, contre 277 millions au premier semestre 2022 pour la psychothérapie déléguée.

Durant le second semestre de l’année, les factures des traitements parviennent parfois aux assureurs avec un certain retard. Cependant, les informations disponibles pour le second semestre 2023 permettent déjà d’établir des extrapolations : pour l’année de traitement 2023, la psychothérapie psychologique devrait engendrer des coûts de l’ordre de 700 à 750 millions de francs. L’augmentation en 2023 par rapport à 2022 devrait se situer entre 175 et 200 millions de francs.

En 2021, le Conseil fédéral avait estimé que le changement de modèle entraînerait pour l’AOS des coûts supplémentaires d’environ 100 millions de francs par an. Ce surplus est dû au fait qu’une partie des thérapies payées auparavant par les patients ou les assurances complémentaires sont désormais du ressort de l’AOS, puisque les psychothérapeutes qui pratiquaient alors de manière indépendante peuvent maintenant facturer à la charge de l’assurance de base. Les calculs se fondaient sur l’hypothèse selon laquelle le nouveau tarif horaire serait le même que pour la psychothérapie déléguée. Or, les analyses montrent que plus de la moitié de la hausse des coûts observée en 2023 est due à un tarif plus élevé. Faute d’une convention tarifaire conclue à l’échelle nationale par l’ensemble des partenaires tarifaires, des tarifs provisoires fixés au niveau cantonal s’appliquent à l’heure actuelle.

Les coûts supplémentaires s’expliquent en outre par l’évolution démographique et la tendance observée depuis de nombreuses années concernant la croissance des coûts et des prestations. Près de 30% de cette hausse pourraient être imputables au passage de l’assurance complémentaire et du domaine privé vers l’AOS ainsi qu’à d’autres facteurs. Par extrapolation, sur toute l’année 2023, le rapport fait état d’une croissance des coûts due au changement de modèle et à l’augmentation des prestations de l’ordre de 50 à 55 millions de francs – des valeurs inférieures aux estimations du Conseil fédéral avant la nouvelle réglementation (env. 100 millions de francs).

 

Analyses approfondies à venir

Des analyses détaillées concernant, par exemple, le volume de prestations transférées des assurances complémentaires privées vers l’AOS ainsi que les effets de la nouvelle réglementation sur la qualité des soins auront lieu dans le cadre de l’évaluation 2024/2025.

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 03.05.2024 consultable ici

Rapport du 30.04.2024, Monitorage de la nouvelle réglementation de la psychothérapie pratiquée par des psychologues, disponible ici

 

Les soins dentaires ne seront pas couverts par l’assurance de base

Les soins dentaires ne seront pas couverts par l’assurance de base

 

Communiqué de presse du Parlement du 15.04.2024 consultable ici

 

L’assurance maladie ne prendra pas en charge les soins dentaires. Le National a rejeté le 15.04.2024, par 123 voix contre 62, une initiative parlementaire de Katharina Prelicz-Huber (Vert-e-s/ZH) en ce sens.

Les soins dentaires ne sont pas couverts par l’assurance de base, mais par une assurance complémentaire. Toutefois, rappelle la Zurichoise, ces assurances dentaires sont chères et ne couvrent pas tous les coûts.

Les familles avec des revenus faibles ou moyens n’arrivent pas à payer des traitements qui peuvent rapidement atteindre plusieurs milliers de francs. Elles préfèrent renoncer aux soins nécessaires, avec parfois des conséquences importantes sur la santé.

Les conséquences peuvent être gravissimes voire fatales, a appuyé Léonore Porchet (Vert-e-s/VD). Des bactéries peuvent se propager dans tout l’organisme et provoquer des pneumonies, des douleurs lombaires ou cervicales, voire des crises cardiaques ou des attaques cérébrales. Ces complications occasionnent des coûts subséquents élevés alors qu’elles pourraient être évitées.

La Vaudoise a estimé que « c’est le serpent qui se mord la queue ». L’Office fédéral de la santé publique refuse le remboursement des soins dentaires au motif qu’il faut avoir une bonne hygiène bucco-dentaire. Or des contrôles réguliers sont nécessaires pour maintenir cette bonne hygiène, selon Mme Porchet.

Mme Prelicz-Huber propose donc que l’assurance maladie prenne en charge les contrôles réguliers et les soins d’hygiène dentaire. Un blanchiment ou un traitement orthodontique ne serait par contre pas pris en charge. Ces soins dentaires devront être financés solidairement, à savoir par des fonds fédéraux et non par une augmentation des primes d’assurance-maladie.

 

Pas nécessaire

Au nom de la commission, Martina Bircher (UDC/AG) s’est opposée à toute extension des prestations remboursées par l’assurance obligatoire des soins, craignant une hausse des primes d’assurance-maladie. Cela irait aussi à l’encontre de l’objectif d’unifier le financement des soins de santé.

De plus, la mesure n’est pas nécessaire. La santé dentaire de la population en Suisse s’est améliorée significativement pendant les 50 dernières années grâce à la prévention et à la responsabilité individuelle en matière d’hygiène dentaire. Dans les situations où des soins nécessaires seraient impossibles à payer, l’aide sociale, les prestations complémentaires ou, dans les cas qui passent entre les mailles du filet social, des aides venant de fondations peuvent pallier ces difficultés, a rappelé Mme Bircher.

 

Communiqué de presse du Parlement du 15.04.2024 consultable ici

Initiative parlementaire Prelicz-Huber 22.487 « Rendre les soins dentaires abordables » consultable ici

Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du 18.01.2024 disponible ici

 

4A_477/2022 (f) du 06.02.2024 – Tarif des traitements stationnaires – Assurance complémentaire d’hospitalisation – Interprétation des CGA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_477/2022 (f) du 06.02.2024

 

Consultable ici

 

Tarif des traitements stationnaires – Assurance complémentaire d’hospitalisation – Interprétation des CGA

Fixation par l’assureur des tarifs maximaux lorsqu’il ne reconnaît pas les tarifs d’une division hospitalière et des honoraires médicaux stationnaires privés

 

L’assurée bénéficie d’une couverture d’assurance maladie obligatoire (LAMal) ainsi que de trois couvertures d’assurances complémentaires (LCA) auprès d’une caisse-maladie (ci-après: l’assureur), dont l’une couvre les prestations d’hospitalisation en division « mi-privée » avec libre choix du médecin et de l’hôpital (ci-après: l’assurance-hospitalisation).

Par courrier du 03.12.2018, l’assureur a fait savoir à l’Association D.__ que les tarifs pratiqués par bon nombre de ses médecins adhérents pour les traitements stationnaires qu’ils prodiguaient à charge de l’assurance complémentaire d’hospitalisation étaient excessifs; il avait tenté de négocier avec l’Association D.__ pour instaurer des tarifs dans le cadre de cette assurance; au vu de l’échec de ces négociations, il en était réduit à faire figurer la « facturation stationnaire » des médecins hospitaliers du canton de Genève (pour les interventions semi-privées et privées effectuées dans les cliniques privées du canton) sur la liste des hôpitaux sans couverture intégrale des frais pour les assurances-hospitalisation. En conséquence, à compter du 01.01.2019, les « prestations LCA » des médecins (salariés ou agréés) pratiquant en division semi-privée et privée dans les cliniques privées du canton pourraient seulement être remboursées à hauteur des tarifs et règles qu’un autre assureur (E.__ SA) avait conclu avec l’Association D.__ (ci-après : la convention D.__-E.__) avec effet au 01.01.2018. En cas de traitement dans l’un des établissements concernés, l’assureur ne pourrait donc pas garantir la prise en charge intégrale des coûts.

L’assurée ayant appris dans le courant du mois d’octobre 2018 qu’elle était enceinte, elle a pris contact avec l’établissement Clinique F.__ SA (ci-après: la clinique) en vue de son accouchement. De son côté, la clinique a fait parvenir à l’assureur, le 28.02.2019, une demande de garantie de paiement en division semi-privée, en prévision du terme qui était prévu le 07.06.2019.

Par pli du 17.05.2019, l’assureur a informé la clinique, avec copie à l’assurée et à son médecin-traitant, qu’il accordait la garantie de paiement demandée avec la restriction suivante: la convention D.__-E.__ servirait de référence tarifaire.

Par courrier séparé du 17.05.2019 à l’assurée, l’assureur s’est dit au regret de lui signaler qu’il se pouvait qu’une partie des coûts de son futur séjour hospitalier ne soit pas couverte : malgré les démarches entreprises, l’assureur n’avait pas été en mesure de trouver un accord avec les médecins de la clinique. Aussi a-t-il recommandé à l’assurée de demander à tous ses médecins traitants de confirmer préalablement par écrit qu’ils respecteraient la convention D.__-E.__. A défaut, il se pouvait qu’elle doive faire face à des coûts non couverts. Des documents étaient joints pour signature par lesdits médecins.

Le 29.05.2019, l’assurée a écrit à l’assureur pour lui faire part de sa surprise de découvrir, à trois semaines du terme prévu de sa grossesse, les restrictions tarifaires évoquées. L’assureur lui a alors répondu qu’il ne pouvait aller au-delà des tarifs en cause, par égard pour l’ensemble des assurés soumis aux mêmes restrictions.

Le 14.06.2019, l’assurée a accouché à la clinique, où elle a séjourné jusqu’au 20.06.2019. Sur l’ensemble des factures remboursées par l’assureur, il subsiste une différence de 1’222 fr. que l’assurée a réglée elle-même.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/776/2022 – consultable ici)

Par jugement du 06.09.2022, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Les dispositions contractuelles et les conditions générales d’assurance expressément incorporées au contrat doivent être interprétées selon les mêmes principes juridiques (ATF 142 III 671 consid. 3.3; 135 III 1 consid. 2, 410 consid. 3.2; 133 III 675 consid. 3.3).

En présence d’un litige sur l’interprétation d’une clause contractuelle, le juge doit tout d’abord s’efforcer de déterminer la réelle et commune intention des parties, sans s’arrêter aux expressions ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir, soit par erreur, soit pour déguiser la nature véritable de la convention (art. 18 al. 1 CO); s’il y parvient, il s’agit d’une constatation de fait qui lie en principe le Tribunal fédéral conformément à l’art. 105 LTF.

Si la volonté réelle des parties ne peut pas être établie ou si leurs volontés intimes divergent, le juge doit interpréter les déclarations faites et les comportements selon la théorie de la confiance; il recherchera ainsi comment une déclaration ou une attitude pouvait et devait être comprise de bonne foi en fonction de l’ensemble des circonstances (ATF 142 III 671 consid. 3.3; 140 III 134 consid. 3.2; 138 III 29 consid. 2.2.3). L’application du principe de la confiance est une question de droit que le Tribunal peut examiner librement (art. 106 al. 1 LTF); cependant, pour trancher cette question, il doit se fonder sur le contenu de la manifestation de volonté et sur les circonstances, dont la constatation relève du fait (ATF 135 III 410 consid. 3.2).

Consid. 4.2
Lorsque l’assureur, au moment de conclure le contrat, présente des conditions générales, il manifeste la volonté de s’engager selon les termes de ces conditions; si une volonté réelle concordante n’a pas été constatée, il faut donc se demander comment le destinataire de cette manifestation de volonté pouvait la comprendre de bonne foi. Cela conduit à une interprétation objective des termes contenus dans les conditions générales, même si elle ne correspond pas à la volonté intime de l’assureur (cf. ATF 136 III 186 consid. 3.2.1; 135 III 295 consid. 5.2).

Si l’interprétation selon le principe de la confiance ne permet pas de dégager le sens de clauses ambiguës, celles-ci sont à interpréter contre l’assureur qui les a rédigées, en vertu de la règle « in dubio contra stipulatorem » (ATF 133 III 61 consid. 2.2.2.3; 126 V 499 consid. 3b; 124 III 155 consid. 1b; 122 III 118 consid. 2a; 119 II 368 consid. 4b). L’art. 33 LCA, en tant qu’il prévoit que les clauses d’exclusion sont opposables à l’assuré uniquement si elles sont rédigées de façon précise et non équivoque, est une concrétisation de ce principe (ATF 115 II 264 consid. 5a; arrêt 5C.134/2002 du 17 septembre 2002 consid. 3.1). Conformément au principe de la confiance, c’est en effet à l’assureur qu’il incombe de délimiter la portée de l’engagement qu’il entend prendre et le preneur n’a pas à supposer des restrictions qui ne lui ont pas été clairement présentées (ATF 133 III 675 consid. 3.3; sous une forme résumée: ATF 135 III 410 consid. 3.2). Pour que cette règle trouve à s’appliquer, il ne suffit pas que les parties soient en litige sur la signification à donner à une déclaration; encore faut-il que celle-ci puisse de bonne foi être comprise de différentes façons (« zweideutig ») et qu’il soit impossible de lever autrement le doute créé, faute d’autres moyens d’interprétation (ATF 122 III 118 consid. 2d; 118 II 342 consid. 1a; 100 II 144 consid. 4c).

Consid. 4.3
De surcroît, la validité d’une clause contenue dans des conditions générales préformulées est limitée par la règle dite de la clause insolite (ATF 135 III 1 consid. 2.1), laquelle soustrait de l’adhésion censée donnée globalement à des conditions générales, toutes les clauses insolites sur lesquelles l’attention de la partie la plus faible ou la moins expérimentée en affaires n’a pas été spécialement attirée (sur la notion de clause insolite : ATF 138 III 411 consid. 3.1; 135 III 1 consid. 2.1, 225 consid. 1.3). En particulier, la règle de la clause insolite peut trouver application lorsque la clause a pour effet de réduire drastiquement la couverture d’assurance de telle sorte que les risques les plus fréquents ne sont plus couverts (arrêt 4A_152/2017 du 2 novembre 2017 consid. 4.3 et les références).

 

Consid. 5
La cour cantonale a bâti son raisonnement sur ce canevas.

L’art. 4.6 CCA 2010 était rédigé comme suit: « Lorsqu’un hôpital ne connaît aucun critère de classification pour les divisions hospitalières ou en applique d’autres que ceux mentionnés ci-dessus ou lorsque les tarifs d’une division ne sont pas reconnus par l’assureur, il s’agit alors d’une division privée. L’assureur peut fixer des tarifs maximaux, considérés comme critère pour le classement des divisions assurées. L’assureur tient une liste des hôpitaux qui ne disposent d’aucune division privée, mi-privée ou commune au sens des présentes dispositions. Cette liste est constamment mise à jour et peut être consultée auprès de l’assureur ou un extrait peut en être demandé. ».

Le Tribunal fédéral s’était déjà penché sur le sens de cette disposition contractuelle dans une affaire opposant l’assureur à un autre assuré (cf. arrêt 4A_578/2019 du 16 avril 2020 consid. 4.4 à 4.6.3). Procédant à une interprétation objective, il avait jugé qu’elle constituait un droit formateur contractuellement réservé permettant à l’assureur de fixer des tarifs maximaux s’il ne reconnaissait pas les tarifs d’une division hospitalière.

Contrairement à ce que l’assurée professait, cet article ne visait pas exclusivement les frais de séjour hospitaliers, mais également les honoraires médicaux stationnaires privés (frais de traitement prodigués par les médecins salariés ou agréés par la clinique). Tel était le résultat d’une interprétation selon le principe de la confiance. Il fallait en effet lire l’art. 4.6 CCA 2010 en parallèle de l’art. 36.1 CGA 2007 selon lequel « les honoraires convenus entre l’assuré et le fournisseur de prestations n’engagent pas l’assureur. L’assureur ne s’engage à verser des prestations que dans le cadre des tarifs qu’il reconnaît » et l’art. 7.1 CCA 2010 aux termes duquel « si et aussi longtemps que les conditions relatives à l’octroi des prestations sont remplies, les prestations couvrent tous les frais de séjour et de traitement scientifiquement reconnus, dans un hôpital de soins aigus, ainsi que les frais de traitement des médecins en fonction de l’assurance convenue (division commune, mi-privée ou privée) et selon le tarif reconnu par l’assureur ».

Cette clause n’avait rien d’insolite. Un raisonnement a maiore ad minus fondé sur un arrêt du Tribunal fédéral relatif à une clause plus incisive, puisqu’elle prévoyait que les prestations ne seraient versées qu’en cas de séjour dans un hôpital avec lequel une convention tarifaire avait été conclue (ATF 133 III 607), le mettait en lumière. Par ailleurs, dans le cadre des assurances complémentaires, les restrictions à la couverture d’assurance étaient courantes. L’art. 4.6 CCA 2010 s’inscrivait bien dans cette ligne.

Enfin, cette clause n’était pas contraire au principe de la bonne foi. L’assureur avait averti l’assurée le 17.05.2019 qu’il entendait fixer un plafond correspondant aux tarifs figurant dans la convention D.__-E.__, dans le cadre du séjour que l’assurée entendait faire à la clinique; la garantie de paiement en vue de cette hospitalisation serait octroyée dans la limite de ces tarifs. A quoi s’ajoutait que la convention D.__-E.__ liait une association importante du corps médical local à un acteur majeur de l’assurance-maladie en Suisse; les limites tarifaires prévues dans ce document avaient dès lors une certaine représentativité. Finalement, il existait une différence assez faible entre les frais facturés et ceux pris en charge par l’assureur. Et s’il importait à l’assurée d’être intégralement remboursée, son choix aurait pu se porter sur un autre établissement, dont les tarifs en division semi-privée étaient reconnus par l’assureur.

Pour tous ces motifs, la demande en paiement se révélait mal fondée.

 

Consid. 6
L’assurée décoche une série de griefs à l’encontre de cette analyse.

Consid. 6.1
En premier lieu, le tarif médical privé pratiqué par ses médecins constituerait, à l’en croire, un « tarif privé usuel » au sens de l’art. 36 al. 2 CGA 2007 lequel dispose : « L’assureur reconnaît les tarifs acceptés par les assurances sociales suisses et les tarifs privés usuels. Les dispositions des Conditions complémentaires d’assurance qui diffèrent de celles-ci demeurent réservées ».

L’assurée ne prétend toutefois avoir allégué quoi que ce soit dans ses écritures à ce sujet, elle ne se réfère à aucun élément de preuve au dossier corroborant son affirmation et l’arrêt attaqué est muet sur cette thématique. Même si le présent différend est régi par la maxime inquisitoire sociale, l’assurée était tenue de soumettre au tribunal la trame factuelle sur laquelle le jugement devait porter. Elle n’affirme pas l’avoir fait sur le point qui l’occupe. Certes, elle soutient que la différence « assez faible » entre les prestations remboursées et celles demeurant à sa charge en serait la démonstration éloquente. Cela étant, cette différence ne lui a pas paru si minime lorsqu’elle a formé recours. Pour finir, l’art. 36 al. 1 CGA 2007 réserve expressément les dispositions contraires des CCA et l’art. 4.6 CCA compte parmi celles-ci. Partant, le grief doit être rejeté dans la mesure où il est recevable.

 

Consid. 6.2
L’assurée fait valoir que l’adaptation du contrat d’assurance aurait nécessité une information préalable, laquelle lui aurait ouvert le droit de résilier ledit contrat pour la prochaine échéance. Elle laisse toutefois le lecteur dans l’expectative sur les conséquences à en tirer, de sorte que cette ébauche de grief s’avère irrecevable.

 

Consid. 6.4
Dans un grief subsidiaire, l’assurée fait valoir que l’interprétation de l’article querellé selon le principe de la confiance mènerait à un tout autre résultat que celui auquel ont abouti les juges cantonaux.

Sa vision restrictive de l’art. 4.6 CCA 2010 ne convainc toutefois pas. L’art. 36.1 CGA 2007 ainsi que l’art. 7.1 CCA 2010 apportent un éclairage suffisamment révélateur : l’assurée ne pouvait comprendre en toute bonne foi, si elle lisait ces dispositions en parallèle, que seuls les frais de séjour hospitaliers – à l’exclusion des frais de traitement des médecins salariés ou agréés par l’hôpital en cause – étaient susceptibles d’être plafonnés par un tarif. Il ne s’agit pas de deux domaines complètement distincts et l’assureur ne les a pas disséqués de la sorte dans les conditions d’assurance. Certes, pour répondre à un autre argument de l’assurée, l’assureur eût pu être encore plus explicite dans les termes utilisés. Ceci ne change toutefois rien à la rectitude de l’analyse opérée par les juges cantonaux, dans la droite ligne de l’arrêt 4A_578/2019 déjà cité lequel, n’en déplaise à l’assurée, portait non seulement sur des frais de séjour à l’hôpital mais aussi sur des prestations médicales supplémentaires non-couvertes par l’assurance obligatoire.

Consid. 6.5
Dans un baroud d’honneur, l’assurée estime qu’une semblable restriction, larvée dans une clause ambiguë, aurait dû lui être clairement présentée. Elle semble vouloir tirer avantage du principe in dubio contra stipulatorem qui ne trouve pourtant pas vocation à s’appliquer puisque les juges cantonaux ont dégagé le sens de la clause querellée en faisant appel au principe de la confiance. Cet ultime grief doit donc être rejeté, tout comme les précédents.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 4A_477/2022 consultable ici

 

Réduire la surcharge des urgences hospitalières par une augmentation ciblée de la participation aux coûts

Réduire la surcharge des urgences hospitalières par une augmentation ciblée de la participation aux coûts

 

Communiqué de presse du Parlement du 12.04.2024 consultable ici

 

La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national a précisé ses propositions visant à réduire les cas bénins dans les services des urgences des hôpitaux.

Au cours des derniers mois, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) a analysé de manière approfondie plusieurs options visant à mettre en œuvre l’iv. pa. (Weibel) Bäumle. Urgences hospitalières. Taxe pour les cas bénins (17.480). Pour réduire la surcharge des urgences hospitalières, l’initiative prône l’introduction d’une dissuasion financière en mesure de détourner les cas bénins des urgences et de les réorienter vers une prise en charge plus adéquate et économique.

Suite au constat que l’introduction d’une taxe, telle que souhaitée par l’initiative parlementaire, n’est pas conforme à la Constitution, la commission a identifié dans l’augmentation ciblée de la participation aux coûts à la charge du patient en cas de recours non justifié aux urgences une solution pragmatique permettant d’assurer un cadre d’application clair et uniforme. Lors des travaux préparatoires en vue de l’ouverture d’une procédure de consultation, la commission s’est penchée sur deux options. Une première variante prévoit d’augmenter le plafond annuel de la quote-part de 50 francs pour chaque recours non justifié aux urgences hospitalières. Dans la deuxième variante, plus incisive, la participation aux coûts est conçue sous la forme d’un supplément à la quote-part de 50 francs, qui interviendrait donc avant que l’assuré ait atteint le plafond annuel de la quote-part. Un rapport rédigé par l’OFSP a mis en lumière les différences entre les deux variantes, notamment en ce qui concerne leurs effets sur les assurés. Par 13 voix contre 12, la commission a soutenu la première variante. La deuxième sera également soumise à la procédure de consultation en tant que proposition de minorité.

Dans les deux variantes, la commission prévoit d’exempter les enfants, les femmes enceintes, ainsi que les personnes qui se rendent aux urgences hospitalières sur demande écrite d’un médecin, d’un centre de télémédecine ou d’un pharmacien. De plus, elle propose de déléguer aux cantons le choix d’introduire ou non cet instrument. Dans le vote sur l’ensemble, la commission a adopté son avant-projet par 13 voix contre 11 et 1 abstention. Une minorité propose de ne pas entrer en matière.

La procédure de consultation sera ouverte lors du troisième trimestre, une fois que la commission aura adopté également son rapport explicatif.

 

Communiqué de presse du Parlement du 12.04.2024 consultable ici

Comparaison des propositions de mise en œuvre relative à l’initiative parlementaire 17.480 (Weibel) Bäumle « Urgences hospitalières. Taxe pour les cas bénins », rapport de l’OFAS du 26.03.2024 consultable ici

 

8C_514/2023+8C_516/2023 (f) du 12.12.2023 – Efficacité et adéquation d’une mesure médicale – 10 LAA / Base prospective de l’évaluation de l’indication opératoire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_514/2023+8C_516/2023 (f) du 12.12.2023

 

Consultable ici

 

Efficacité et adéquation d’une mesure médicale / 10 LAA

Base prospective de l’évaluation de l’indication opératoire

Causalité naturelle / 6 LAA

 

Assuré, né en 1967, travaillait comme chauffeur de poids lourds. Le 10.03.2020, alors qu’il était en train de charger un camion, il a glissé sur une passerelle mouillée, puis il est tombé de sa hauteur en se réceptionnant « sur sa main et son genou ». Il a été en incapacité de travail du 12.03.2020 au 27.03.2020. Dans le rapport médical initial, le médecin traitant a précisé que l’assuré avait chuté avec réception sur le genou gauche.

Le 10.06.2020, une IRM des deux genoux a été réalisée. Une intervention chirurgicale sur le genou gauche a été pratiquée le 10.07.2020 par le docteur C.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. Celui-ci a attesté une incapacité de travail totale dès cette date.

Le 23.07.2020, l’assurance-accidents a reçu une nouvelle demande de garantie pour le cas d’hospitalisation. Le 02.09.2020, une arthroscopie, cette fois-ci du genou droit, a été effectuée par le docteur C.__.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations d’assurance avec effet au 01.09.2020, au motif que selon l’appréciation du médecin-conseil, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, les troubles au-delà du 31.08.2020 n’avaient plus aucun lien avec l’accident.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/457/2023 – consultable ici)

La cour cantonale a mis en œuvre une expertise judiciaire qu’elle a confiée au docteur E.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur.

Par arrêt du 20.06.2023, la cour cantonale a annulé la décision sur opposition et a condamné l’assurance-accidents « à prendre en charge l’arthroscopie du 02.09.2020 et les contrôles post-opératoires y relatifs, ainsi qu’à verser les indemnités journalières pour l’incapacité de travail en septembre 2020, pour autant que ces prestations n’aient pas été accordées par l’assureur-maladie et l’assurance perte de gain de l’employeur ».

 

TF

Consid. 2.1
On précisera que s’agissant de l’atteinte au genou gauche, la cessation des prestations d’assurance au 01.09.2020 n’est pas contestée. Le litige porte donc en premier lieu sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance-accidents pour les troubles de son genou droit.

Consid. 3.2.2
Les prestations pour soins sont des prestations en nature fournies par l’assurance-accidents. Le traitement doit être efficace, approprié et économique, l’efficacité devant être démontrée selon des méthodes scientifiques (ATF 123 V 53 consid. 2b/bb; cf. ég. arrêt 8C_55/2015 du 12 février 2016 consid. 6.2, publié in: SVR 2016 UV n° 37 p. 125). Une prestation médicale est ainsi considérée comme efficace lorsqu’il est largement admis par les chercheurs et les scientifiques, dans le domaine médical, qu’elle permet objectivement d’obtenir le résultat diagnostique ou thérapeutique recherché (ATF 145 V 116 consid. 3.2.1; 139 V 135 consid. 4.4.1; 133 V 115 consid. 3.1). L’adéquation d’une mesure nécessite d’évaluer de manière prospective, toujours sur la base de critères scientifiques, la somme des effets positifs de la mesure envisagée et de la comparer avec les effets positifs de mesures alternatives ou par rapport à la solution consistant à renoncer à toute mesure. Est appropriée la mesure qui présente, compte tenu des risques existants, le meilleur bilan diagnostique ou thérapeutique (ATF 145 V 116 consid. 3.2.2; 139 V 135 consid. 4.4.2). La question de l’adéquation se confond normalement avec celle de l’indication médicale: lorsque l’indication médicale est établie, il convient d’admettre que l’exigence du caractère approprié de la mesure est réalisée (ATF 139 V 135 consid. 4.4.2 cité). Le prestataire de soins doit limiter ses prestations à ce qui est indiqué dans l’intérêt du patient et nécessaire à la réussite du traitement (ATF 145 V 116 consid. 3.2.3).

Consid. 4.1
Appelé à se déterminer sur la prise en charge de l’intervention du genou droit, le médecin-conseil a indiqué que l’assuré avait annoncé son problème au genou droit plusieurs mois après le sinistre. Il n’y avait aucune information concernant ce genou droit dans le rapport établi le 12.03.2020 par le médecin traitant de l’assuré. Des éléments dégénératifs nombreux du genou droit, comme la méniscose externe et les fissures cartilagineuses, étaient présents. Ces fissurations n’étaient pas associées à un œdème osseux, ce qui serait visible en cas de lésion récente. Une entorse du ligament interne était signalée, mais deux ménisques étaient atteints. Or, un traumatisme ne pouvait pas entraîner des lésions des deux ménisques en même temps, sauf en cas de traumatisme à très haute énergie, ce qui n’était pas le cas du sinistre présent. Les lésions constatées comme le kyste du ménisque interne avec remaniements kystiques et graisseux dans le tibia proximal et antérieur ne pouvaient pas être en lien de causalité avec l’accident, un kyste ayant besoin de plusieurs mois pour se développer et l’accident du 10.03.2020 ayant été annoncé sans lésion clinique initiale du genou droit. En plus de l’absence de manifestation clinique de ce genou, le temps écoulé entre l’accident et les premières investigations (IRM) était de six mois. De ce fait, ces lésions étaient à considérer comme anciennes.

Consid. 4.2
Dans son rapport d’expertise, le docteur E.__ a posé le diagnostic d’une gonarthrose varisante bilatérale débutante symptomatique. A la question de l’existence d’un rapport de causalité entre les atteintes constatées au genou droit et l’accident du 10.03.2020, l’expert a indiqué qu’il ne pensait pas que les atteintes cartilagineuses et méniscales à droite étaient en rapport de causalité avec l’accident. Il a motivé ses conclusions en se référant à un article publié dans la revue médicale suisse, qui démontrait que les lésions méniscales dégénératives étaient définies comme des lésions non traumatiques se développant progressivement sous forme d’une fissure horizontale au sein du ménisque chez un patient de plus de 35 ans. Plus loin, il a ajouté que l’accident du 10.03.2020 avait décompensé une gonarthrose débutante et que cette décompensation avait atteint le statu quo sine en février 2022, soit le moment où le patient avait retrouvé une stabilité symptomatique des deux genoux. Il a précisé en outre qu’il partageait parfaitement l’avis du médecin-conseil, selon lequel la nature des lésions était en rapport avec un état maladif, sauf l’entorse du ligament collatéral interne du stade II, dont il estimait qu’elle était en relation de causalité avec l’accident. Le médecin-expert a nié, enfin, l’indication opératoire pour le traitement des troubles dégénératifs constatés, considérant qu’on ne pouvait pas attendre de cette intervention un réel bénéfice.

Consid. 4.3
Procédant à l’appréciation des preuves, en particulier à celle du rapport d’expertise, la cour cantonale a retenu qu’une pleine valeur probante pouvait en principe lui être attribuée, « sous réserve de ce qui suit ». D’après l’expert la symptomatologie douloureuse s’était stabilisée en février 2022 et c’était à ce moment que le statu quo sine avait été atteint. Il n’y avait aucune raison de douter de ce que la symptomatologie douloureuse était encore présente plus de cinq mois après l’accident en rapport avec celui-ci, comme admis par l’expert, dans la mesure où l’assuré ne souffrait pas des genoux auparavant et où il ne présentait qu’une arthrose débutante. Rien n’indiquait que celle-ci se serait tout d’un coup aggravée après mars 2020, sans la survenance de l’accident, au point de nécessiter des interventions chirurgicales. Il paraissait donc convaincant d’admettre une décompensation temporaire des lésions dégénératives des genoux, en particulier du genou droit, encore en septembre 2020. La cour cantonale a retenu qu’aussi longtemps que les suites de l’accident du 10.03.2020 constituaient encore une cause, même partielle, d’un traitement médical ou d’incapacité de travail, l’assurance-accidents devait fournir des prestations d’assurance à l’assuré, et ce, jusqu’à ce qu’il soit établi que les atteintes causées par cet accident ne constituaient plus une cause, même partielle des troubles du genou droit du recourant. En l’occurrence, en septembre 2020, la symptomatologie douloureuse était encore due à la décompensation des lésions dégénératives suite à l’accident. S’agissant de l’indication opératoire pour le traitement du genou droit, la cour cantonale s’est écartée des constatations de l’expert au motif que les lésions traitées étaient d’origine traumatique selon le chirurgien traitant, les douleurs étant apparues dans les suites de l’accident. Sous cet angle, la nécessité d’une arthroscopie du genou droit ne paraissait donc pas critiquable. Par ailleurs, l’assuré avait pu reprendre le travail rapidement après l’opération, soit après moins d’un mois, et il ne semblait plus avoir été en incapacité de travail par la suite, cela sans physiothérapie ni infiltrations. Cette évolution permettait de conclure que le traitement chirurgical avait été efficace, quand bien même ni l’expert judiciaire, ni le médecin-conseil, ne l’auraient préconisé.

Consid. 4.4.1
Le raisonnement de la cour cantonale n’est pas fondé. Les prestations d’assurance initiales, comme celles pour l’opération du 11.07.2020, ont été allouées par l’assurance-accidents en relation avec les troubles du genou gauche. Concernant les atteintes du genou droit, comme relevé à juste titre par le médecin-conseil, ce n’est que le 23.07.2020, soit plusieurs mois après l’accident, que l’assuré en a informé l’assurance-accidents. Contrairement à l’appréciation des juges cantonaux, le seul fait que les symptômes douloureux se soient manifestés après la survenance d’un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet évènement (raisonnement « post hoc ergo propter hoc »; ATF 119 V 335 consid. 2b/bb; arrêt U 215/97 du 23 février 1999 consid. 3b, in RAMA 1999 n° U 341 p. 407). En l’occurrence, tant le médecin-conseil que le médecin-expert s’entendent à qualifier les lésions méniscales et cartilagineuses constatées au genou droit comme étant de nature maladive.

Consid. 4.4.2
Il est vrai que le médecin-expert estime que l’accident a «décompensé» les atteintes dégénératives et qu’il admet l’origine accidentelle de l’atteinte ligamentaire, sans toutefois donner d’explication à ce dernier constat. Mais quoi qu’il en soit, l’ensemble des atteintes constatées au genou droit n’a entraîné aucune incapacité de travail jusqu’à l’intervention du 02.09.2020. En effet, l’incapacité de travail attestée par le chirurgien-traitant dès le 10.07.2020 était liée à l’opération pratiquée sur le genou gauche, l’assuré disposant auparavant d’une pleine capacité de travail et se plaignant uniquement «d’anomalies» au genou droit. L’incapacité de travail attestée ensuite en raison des troubles de genou droit, qui a persisté jusqu’au 30.09.2020, était donc due à l’arthroscopie et à la période de récupération nécessaire. Par ailleurs, cette intervention ne portait aucunement sur l’atteinte ligamentaire et l’expert judiciaire a nié l’indication opératoire. Contrairement aux considérations des juges cantonaux, on ne peut pas déduire du rétablissement du patient dans un bref délai après cette intervention qu’elle était indiquée. L’évaluation de l’indication opératoire doit reposer sur base prospective, en se demandant, avant le traitement et non après, si l’on peut en escompter un bénéfice thérapeutique, compte tenu également des risques existants. Statuer sur une base uniquement rétrospective reviendrait notamment à évacuer la question du risque de l’intervention et de ses incertitudes; une amélioration des plaintes après un traitement ne permet par ailleurs pas forcément de constater que son efficacité devrait désormais être scientifiquement reconnue.

Consid. 4.5
Il résulte de ce qui précède que l’assurance-accidents n’est pas tenue de prendre en charge l’intervention pratiquée le 02.09.2020, dont l’indication n’est pas établie en l’état du dossier et qui portait, quoi qu’il en soit, sur des lésions qui ne sont pas d’origine accidentelle. L’assurance-accidents n’a pas davantage à verser des indemnités journalières pour la période d’incapacité de travail qui en a découlé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré et admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_514/2023+8C_516/2023 consultable ici