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9C_333/2020 (f) du 23.02.2021 – Prévoyance surobligatoire – Réticence – Examen en fonction des dispositions statutaires et réglementaires / Connexité temporelle et matérielle d’une maladie évoluant par poussées (schizophrénie) – Pas d’interruption malgré une période de 12 mois sans incapacité de travail

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_333/2020 (f) du 23.02.2021

 

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Prévoyance surobligatoire – Réticence – Examen en fonction des dispositions statutaires et réglementaires

Connexité temporelle et matérielle d’une maladie évoluant par poussées (schizophrénie) – Pas d’interruption du lien malgré une période de 12 mois sans incapacité de travail / 23 LPP

 

Assurée, née en 1973, a bénéficié de prestations de l’assurance-invalidité du 01.05.1999 au 30.04.2015 (droit à une demi-rente d’invalidité jusqu’au 30.04.2000, puis à une rente entière). Elle était atteinte d’un trouble schizo-affectif de type dépressif (en rémission au moment de l’examen), sur personnalité schizoïde et obsessionnelle, entraînant une limitation partielle de la capacité de travail. Pendant cette période, l’assurée a travaillé pour le compte de la Fondation C.__, d’abord en qualité d’éducatrice de l’enfance à 25% dès le 01.08.2006, puis à 100%, en tant que directrice du jardin d’enfants/jardinière d’enfants, à partir du 01.08.2014. A ce titre, elle a été assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de l’institution de prévoyance dès le 01.08.2014.

Au mois de septembre 2015, l’assurée a présenté une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité. La Fondation C.__ a adressé à l’institution de prévoyance une demande d’exemption de cotisations en faveur de son employée en février 2016, en indiquant que celle-ci était en incapacité totale de travail depuis le 18.08.2015. Les rapports de travail ont pris fin avec effet au 30.06.2016. Par courrier du 03.10.2016, l’institution de prévoyance a informé l’assurée qu’en raison d’une violation de l’obligation de déclarer, elle résiliait le contrat pour les prestations non obligatoires en relation avec les problèmes de santé qui n’avaient pas été communiqués au début de l’assurance. Par décision du 09.11.2017, l’office AI a reconnu le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité à compter du 01.12.2017, en précisant qu’une décision relative à la période du 01.03.2016 au 30.11.2017 lui parviendrait ultérieurement.

Le 26.02.2018, l’assurée s’est adressée à l’institution de prévoyance en vue d’obtenir le versement des prestations d’invalidité obligatoires et surobligatoires. Celle-ci a nié toute obligation de prester (courrier du 16.04.2018). En bref, elle a considéré que le cas d’assurance était survenu avant le début de l’affiliation de l’assurée auprès d’elle, et que l’intéressée avait par ailleurs commis une réticence en répondant par la négative à différentes questions concernant son état de santé au moment de sa demande d’affiliation.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 29/18 – 6/2020 – consultable ici)

La juridiction de première instance a d’abord examiné le point de savoir si l’institution de prévoyance était en droit de résilier le contrat de prévoyance pour toutes les prestations non obligatoires, en raison d’une réticence. Au vu de la mention d’une pleine capacité de travail dans la demande d’affiliation à la prévoyance professionnelle du 16.06.2015, et des réponses manifestement fausses ou incomplètes de l’assurée figurant dans le questionnaire de santé qu’elle avait signé le 05.07.2015, elle a considéré que la caisse de pensions était en droit de résilier l’assurance surobligatoire et de limiter ses prestations à la prévoyance professionnelle obligatoire, ce qu’elle avait fait dans le délai utile après avoir eu connaissance de la réticence. Les juges cantonaux ont ensuite admis l’existence d’un lien de connexité matérielle et temporelle entre les troubles psychiques que présentait l’assurée avant le début de sa couverture d’assurance auprès de l’institution de prévoyance et l’incapacité de travail ayant débuté dès le 18.08.2015, avec pour conséquence qu’ils ont nié que la caisse de pensions fût tenue à prestations.

Par jugement du 02.04.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Réticence

Pour admettre que l’intéressée avait commis une réticence, ils se sont en effet fondés sur l’art. 4 du règlement selon lequel la caisse de pensions remet un questionnaire de santé aux personnes à assurer à titre surobligatoire et une déclaration de santé complète et véridique est la condition d’admission dans l’assurance; la disposition règlementaire précise par ailleurs que la caisse peut réduire les prestations au minimum légal en cas de violation de l’obligation de renseigner, en l’annonçant à la personne concernée dans les trois mois après en avoir eu connaissance. A cet égard, selon la jurisprudence, à laquelle la juridiction cantonale s’est dûment référée, dans le domaine de la prévoyance plus étendue, la réticence et ses conséquences doivent en effet être examinées en fonction des dispositions statutaires et réglementaires valables au moment où a été conclu le contrat de prévoyance; ce n’est qu’en l’absence de telles dispositions que les institutions de prévoyance sont fondées à se départir du contrat de prévoyance en cas de réticence, par application analogique des art. 4 ss LCA (ATF 130 V 9 consid. 2.1 in fine p. 12 et consid. 4-5 p. 13 ss; cf. aussi arrêts 9C_606/2017 du 14 mars 2018 consid. 3.2 et 9C_532/2014 du consid. 3.1). Aussi, compte tenu des dispositions réglementaires applicables en l’espèce, l’argumentation de l’assurée selon laquelle ses déclarations dans le questionnaire de santé ne peuvent pas être constitutives d’une réticence parce qu’elle aurait remis celui-ci plus d’un mois après la confirmation par l’institution de prévoyance de son affiliation, est mal fondée. L’art. 4 du règlement de prévoyance prévoit en effet expressément que l’admission dans l’assurance est subordonnée à la condition que la personne à assurer remplisse un tel questionnaire. Or selon les constatations de la juridiction cantonale, qui ne sont pas remises en cause par les parties, le questionnaire lui a été remis en même temps que la confirmation de son entrée dans la caisse de pensions, avec l’invitation de le remplir. L’affiliation (sans réserve de santé) était dès lors soumise à la condition que l’assurée effectue une déclaration de santé complète et véridique; le fait qu’elle a renvoyé le questionnaire plus d’un mois plus tard n’est pas déterminant.

A la suite des premiers juges, on constate que l’assurée a répondu par la négative aux questions de savoir, notamment, si elle présentait une incapacité totale ou partielle de travail à la date de sa première affiliation, percevait une rente, prenait des médicaments à intervalles réguliers ou avait dû arrêter partiellement ou totalement de travailler du fait d’une maladie ou d’un accident pendant plus de quatre semaines au cours des cinq dernières années. On ne voit pas en quoi, en particulier cette dernière question, ne serait pas précise ou présenterait un caractère équivoque. La question fait en effet référence à une incapacité totale ou partielle de travailler d’une durée de plus de quatre semaines au cours des cinq dernières années. A cet égard, on rappellera que l’assurée a bénéficié d’une rente entière de l’assurance invalidité du 01.05.2000 au 30.04.2015 et qu’elle a travaillé à temps partiel avant le 01.08.2014. Il ressort par ailleurs des constatations cantonales – que l’assurée ne conteste pas – qu’elle avait indiqué à l’assurance-invalidité, en décembre 2009, que son activité professionnelle exercée alors à un taux de 25% constituait le maximum qu’elle pouvait faire pour garder le fragile équilibre qui était le sien et qu’elle n’avait par la suite pas augmenté le taux d’activité avant août 2014. L’assurée ne pouvait ainsi ignorer, au moment où elle a rempli le questionnaire de santé en été 2015, que sa capacité de travail n’avait pas été entière durant les cinq dernières années ou qu’elle avait perçu une rente (en relation avec les questions 2 et 7 du questionnaire). Partant, quoi qu’en dise l’assurée, c’est sans arbitraire que les juges cantonaux ont considéré qu’en répondant par la négative à cette question, elle avait donné de faux renseignements, avec pour conséquence que l’institution de prévoyance était en droit de résilier l’assurance surobligatoire et de limiter ses prestations à la prévoyance obligatoire.

 

Connexité temporelle et matérielle

Les parties ne contestent pas l’existence d’un lien de connexité matériel entre le trouble schizo-affectif de type dépressif, sur personnalité schizoïde et obsessionnelle, en raison duquel l’assurée s’est vu reconnaître le droit à une rente de l’assurance-invalidité du 01.05.1999 au 30.04.2015 et l’incapacité durable de travail survenue en août 2015, qui est à l’origine de l’invalidité actuelle.

Certes, comme le fait valoir l’assurée en se référant à l’arrêt 9C_76/2015 du 18 décembre 2015 consid. 4.2, le recouvrement d’une capacité de travail de plus de 80% dans une activité lucrative adaptée durant plus de trois mois constitue un indice important en faveur de l’interruption du lien de connexité temporelle que seuls des éléments objectifs importants peuvent remettre en cause. Cela étant, comme l’ont dûment rappelé les juges cantonaux, cette durée de trois mois doit être relativisée lorsque l’activité en question doit être considérée comme une tentative de réinsertion, en particulier lorsque l’invalidité résulte d’une maladie évoluant par poussées, telle que la sclérose en plaque ou la schizophrénie. Lorsque les tableaux cliniques sont caractérisés par des symptômes évoluant par vagues, avec une alternance des périodes d’exacerbation et de rémission, même une phase plus longue pendant laquelle la personne assurée avait pu reprendre le travail n’implique pas forcément une amélioration durable de l’état de santé et de la capacité de travail si chaque augmentation de la charge professionnelle entraîne après quelque temps, en règle générale, une recrudescence des symptômes conduisant à une nouvelle incapacité de travail notable. La jurisprudence essaie d’en tenir compte en accordant une signification particulière aux circonstances de chaque cas d’espèce (arrêt 9C_515/2019 du 22 octobre 2019 consid. 2.1.1; 9C_575/2018 du 15 avril 2019 consid. 4.1 et les arrêts cités).

On rappellera que les constatations de la juridiction cantonale relatives à l’incapacité de travail résultant d’une atteinte à la santé relèvent d’une question de fait et ne peuvent être examinées par le Tribunal fédéral que sous un angle restreint, dans la mesure où elles reposent sur une appréciation concrète des circonstances du cas d’espèce. Les conséquences que tire l’autorité précédente des constatations de fait quant à la connexité temporelle sont en revanche soumises, en tant que question de droit, au plein pouvoir d’examen du Tribunal fédéral (arrêt 9C_214/2019 du 12 décembre 2019 consid. 4.1 et la référence).

 

Pour admettre que le lien de connexité temporelle entre les troubles psychiques en raison desquels l’assurée a bénéficié d’une rente de l’assurance-invalidité dès le mois de mai 1999 et l’incapacité de travail ayant débuté dès le 18.08.2015 n’avait pas été interrompu pendant la période d’activité professionnelle à 100% du 01.08.2014 au 18.08.2015, les juges cantonaux ont d’abord considéré que cette période d’activité avait constitué une tentative de reprise du travail. Après avoir constaté que l’assurée avait travaillé à 100% dès le 01.08.2014, sans présenter d’incapacité de travail médicalement attestée avant le 18.08.2015, la juridiction cantonale a admis que l’incapacité durable de travail médicalement attestée dès cette dernière date trouvait sa cause dans l’activité professionnelle exercée à 100% dès le 1er août 2014, qui avait progressivement entraîné un épuisement des ressources de l’assurée et une augmentation des symptômes. Dans le contexte d’un trouble schizo-affectif évoluant sous la forme de « poussées-rémissions », présent depuis de nombreuses années et ayant justifié l’octroi d’une rente entière de l’assurance-invalidité jusqu’au 30.04.2015, soit pendant encore les neuf premiers mois de la période d’activité à 100% de l’assurée, les juges cantonaux ont considéré que le seul fait que cette atteinte à la santé n’ait pas entraîné de période d’arrêt de travail ou de diminution du taux d’activité pendant une année n’était pas suffisant pour interrompre le lien de connexité temporelle.

D’une part, pour parvenir à la conclusion que l’activité exercée par l’assurée à 100% dès août 2014 constituait une tentative de réinsertion, les juges cantonaux se sont fondés sur des éléments objectifs importants. Il ressort à cet égard de leurs constatations, qui ne sont pas contestées par l’assurée, que lorsqu’elle avait postulé pour cet emploi à 100%, elle était bien consciente du fait que cette augmentation du taux d’activité pouvait la déstabiliser et qu’elle n’était pas certaine de pouvoir tenir sur le long terme, ce dont elle avait fait part à l’office AI au moment de son engagement (cf. rapport d’entretien du 07.05.2014). La juridiction cantonale s’est également référée à un rapport de la doctoresse D.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du 13.03.2014, qui suivait l’assurée depuis novembre 2003. Selon le médecin, une reprise du travail à 100% était possible, à raison de quatre heures de présence quotidienne et de quatre heures de planification libre, une présence de 8 heures quotidiennes n’étant pas exigible.

Un autre élément objectif important en faveur d’une tentative de reprise d’un emploi à plein temps résidait également dans le fait que l’office AI avait poursuivi le versement de la rente entière dont l’assurée était titulaire jusqu’au 30.04.2015. On ajoutera que lors d’un entretien, le 07.05.2014, dans les locaux de l’office AI, l’assurée avait en outre été informée que l’activité qu’elle avait l’intention de débuter à 100% en août 2014 était un projet de reprise, et que son droit à la rente allait être maintenu pendant le début de l’activité pour s’assurer du caractère durable de celle-ci (rapport d’entretien du 07.05.2014). Compte tenu de ce qui précède, les considérations de la juridiction cantonale selon lesquelles l’activité exercée à 100% dès le 01.08.2014 était une tentative de réinsertion n’apparaissent pas insoutenables. Au moment de l’engagement, il existait en effet de sérieux doutes quant au point de savoir si l’exercice d’une activité professionnelle à plein temps était adapté à l’état de santé de l’assurée.

 

D’autre part, on ne saurait reprocher à la juridiction cantonale d’avoir considéré que le fait que l’assurée n’avait pas été en incapacité de travail durant la tentative de réinsertion initiée en août 2014, avant le 18.08.2015, était insuffisant pour interrompre le lien de connexité temporelle. Lorsque l’atteinte à la santé se caractérise par une alternance des périodes d’exacerbation et de rémission, comme c’est le cas en l’espèce, des troubles psychiques présentés par l’assurée, une période de plusieurs mois pendant laquelle la personne assurée est en mesure d’exercer une activité professionnelle à plein temps ne signifie pas nécessairement que l’état de santé et la capacité de travail se sont durablement améliorés lorsque l’augmentation de la charge professionnelle entraîne après quelque temps une recrudescence des symptômes conduisant à une nouvelle incapacité de travail notable (arrêts 9C_515/2019 et 9C_578/2018 cités). Or en l’occurrence, c’est précisément la reprise du travail à 100% en août 2014 qui a provoqué l’incapacité durable de travail à compter du mois d’août 2015. On constate en effet, à la suite des juges cantonaux, que la doctoresse D.__ a indiqué que sa patiente avait commencé à présenter des signes de décompensation sous forme de symptômes somatiques et psychiques au printemps 2015 et que durant les vacances d’été, l’anxiété s’était généralisée et que tous les symptômes étaient devenus plus percutants (rapport du 05.10.2015). Dans un rapport du 27.11.2015, le docteur E.__, spécialiste en médecine interne générale, qui suivait l’assurée depuis le mois de mars 2014, avait pour sa part fait état d’une tentative de reprise du travail à 100% avec un épuisement progressif au plan émotionnel, et précisé que les longues vacances d’été n’avaient pas permis de rétablir l’équilibre préexistant.

En indiquant que son employeur n’avait pas fait preuve de sollicitude particulière envers elle et que son engagement ne reposait pas sur des considérations sociales, dès lors qu’il n’était pas au courant des problèmes de santé passés de son employée, et qu’il n’avait jamais observé quoi que ce fût de particulier, l’assurée ne remet pas en cause les constatations des juges cantonaux fondées sur le dossier médical. Elle ne démontre pas en quoi la juridiction cantonale aurait fait preuve d’arbitraire en admettant que son état de santé et sa capacité de travail ne s’étaient pas durablement améliorés, si bien que le lien de connexité temporelle entre les troubles psychiques qu’elle présentait avant le début de sa couverture d’assurance auprès de l’institution de prévoyance et l’incapacité durable de travail ayant débuté dès le 18.08.2015 n’avait pas été interrompu.

 

En conclusion, en admettant que l’assurée n’était pas assurée auprès de l’institution de prévoyance lorsque l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité est survenue, avec pour conséquence qu’elle a nié l’obligation de l’institution de prévoyance d’allouer des prestations d’invalidité, la juridiction cantonale n’a pas procédé à une appréciation manifestement insoutenable des circonstances particulières du cas d’espèce et, partant, n’a pas violé l’art. 23 LPP et la jurisprudence y relative.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_333/2020 consultable ici

 

 

8C_145/2020 (f) du 04.02.2021 – destiné à la publication – Reconsidération d’une rente d’invalidité (53 al. 2 LPGA) après une révision ayant procédé un examen matériel du droit à une rente d’invalidité (17 LPGA) – Précision de la jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_145/2020 (f) du 04.02.2021, destiné à la publication

 

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Reconsidération d’une rente d’invalidité (53 al. 2 LPGA) après une révision ayant procédé un examen matériel du droit à une rente d’invalidité (17 LPGA)

 

Assurée, née en 1965, serveuse, a subi un accident de la circulation routière le 22.07.1993. Polytraumatisme sévère touchant en particulier les deux membres inférieurs ainsi que le poignet droit, engendrant de nombreuses interventions chirurgicales.

Se fondant sur le rapport d’expertise du 11.04.1997, établi dans le cadre d’une procédure d’assurance-invalidité, ainsi que sur le rapport d’expertise du 23.04.1999, l’assurance-accidents a rendu le 04.01.2002 une décision par laquelle elle a reconnu à l’assurée, outre une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 50%, le droit à une rente complémentaire d’invalidité avec effet au 01.01.2002 sur la base d’un taux invalidité de 100%.

Ensuite d’une première procédure de révision initiée en février 2008, lors de laquelle un mandat d’expertise a été confié à un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’assurance-accidents a informé l’assurée par avis du 25.06.2008 que son taux d’invalidité n’avait pas changé.

Dans le cadre d’une deuxième procédure de révision entamée en septembre 2017, l’assurance-accidents a confié un mandat d’expertise à un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur et spécialiste de la colonne vertébrale. Sur la base des conclusions contenues dans le rapport d’expertise, et après avoir recueilli les déterminations de l’assurée, l’assurance-accidents a rendu le 19.03.2018 une décision par laquelle elle a supprimé le droit à une rente d’invalidité avec effet au 31.05.2018. Elle a motivé cette décision par le fait que le médecin-expert avait mis en évidence des éléments objectivement vérifiables, de nature notamment clinique et diagnostique, qui avaient été ignorés dans le cadre des appréciations médicales précédentes. En tenant compte des seules séquelles accidentelles, l’assurée serait immédiatement à même d’effectuer à temps plein et sans perte de rendement une activité sédentaire adaptée à ses limitations. Cette décision a été confirmée sur opposition le 20.05.2019.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a d’abord exclu une modification du droit à une rente d’invalidité complémentaire en constatant, au titre de la révision matérielle (art. 17 al. 1 LPGA), que les considérations du nouveau médecin-expert, sur lesquelles se fondait la décision litigieuse, n’exprimaient en réalité qu’une autre appréciation d’une situation médicale demeurée pour l’essentiel inchangée depuis l’expertise ayant fait l’objet de la décision sur révision du 25.06.2008.

Les constatations de la nouvelle expertise ne constituaient pas non plus des faits nouveaux au sens de l’art. 53 al. 1 LPGA, pouvant donner lieu à une révision procédurale de la décision initiale de rente du 04.01.2002.

Examinant ensuite si la décision initiale de rente du 04.01.2002 pouvait être reconsidérée au motif qu’elle était manifestement erronée, compte tenu de la problématique rachidienne préexistante à l’accident du 22.07.1993 et qui a été rendue symptomatique par celui-ci, la cour cantonale a retenu que c’était manifestement à tort que l’assurance-accidents s’était abstenue d’instruire la question du retour à un statu quo sine vel ante, question de fait qui aurait dû être éclaircie par les médecins. Finalement, c’était au mépris de la loi, en particulier de l’art. 16 LPGA, que, contrairement aux appréciations médicales, l’assurance-accidents avait reconnu l’assurée totalement incapable de travailler et avait fixé son taux d’invalidité à 100% sans avoir procédé préalablement à la comparaison du revenu que celle-ci aurait pu obtenir si elle n’avait pas été invalide avec celui qu’elle aurait pu réaliser en exerçant l’activité adaptée décrite par les médecins.

Par jugement du 17.01.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Révision de la rente d’invalidité – 17 al. 1 LPGA

Si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée (art. 17 al. 1 LPGA).

Tout changement important des circonstances propre à influencer le degré d’invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision. La rente peut être révisée non seulement en cas de modification sensible de l’état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 144 I 103 consid. 2.1 p. 105; 134 V 131 consid. 3 p. 132). Tel est le cas lorsque la capacité de travail s’améliore grâce à l’accoutumance ou à une adaptation au handicap. En revanche, une simple appréciation différente d’un état de fait qui, pour l’essentiel, est demeuré inchangé n’appelle pas une révision au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA (ATF 144 I 103 consid. 2.1 p. 105; 141 V 9 consid. 2.3 p. 10 s. et les références).

La base de comparaison déterminante dans le temps pour l’examen d’une modification du degré d’invalidité lors d’une révision de la rente est constituée par la dernière décision entrée en force qui repose sur un examen matériel du droit à la rente avec une constatation des faits pertinents, une appréciation des preuves et une comparaison des revenus conformes au droit (ATF 133 V 108).

 

Reconsidération – 53 al. 2 LPGA

Aux termes de l’art. 53 al. 2 LPGA, l’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable.

Pour juger s’il est admissible de reconsidérer une décision pour le motif qu’elle est manifestement erronée, il faut se fonder sur les faits et la situation juridique existant au moment où cette décision a été rendue, compte tenu de la pratique en vigueur à l’époque (ATF 140 V 77 consid. 3.1 p. 79; cf. 138 V 147 consid. 2.1 p. 149; 125 V 383 consid. 3 p. 389 et les références). Par le biais de la reconsidération, on corrigera une application initiale erronée du droit (arrêt 8C_706/2019 du 28 août 2020 consid. 4.2, destiné à la publication). Un changement de pratique ou de jurisprudence ne saurait en principe justifier une reconsidération (ATF 117 V 8 consid. 2c p. 17; 115 V 308 consid. 4a/cc p. 314). L’exigence du caractère manifestement erroné de la décision est en règle générale réalisée lorsque le droit à des prestations d’assurance a été admis en application des fausses bases légales ou que les normes déterminantes n’ont pas été appliquées ou l’ont été de manière incorrecte (ATF 140 V 77 précité consid. 3.1 p. 79; 138 V 147 consid. 2.1 p. 149; 125 V 383 consid. 3 p. 389 et les références).

 

La juridiction cantonale semble partir du principe que la décision initiale du 04.01.2002 pouvait être reconsidérée nonobstant l’avis rendu le 25.06.2008, par lequel l’assurance-accidents avait confirmé, à l’issue d’une procédure de révision, le droit de l’assurée à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 100%.

Certes, la jurisprudence admet que l’administration peut revenir en tout temps sur une décision manifestement erronée, même si les conditions pour une révision ne sont pas remplies (ATF 105 V 29 consid. 1c p. 30; 99 V 103 consid. 2 p. 103 s.; 98 V 100 consid. 5 p. 104; arrêt I 859/05 du 10 mai 2006 consid. 2.2). Dans plusieurs arrêts, le Tribunal fédéral a en outre considéré que le fait qu’une rente d’invalidité ait été confirmée dans le cadre de procédures de révision effectuées périodiquement n’empêchait pas la reconsidération d’une décision (initiale) de rente manifestement erronée (arrêt 9C_401/2014 du 26 novembre 2014 consid. 4.1 avec renvoi à l’arrêt I 859/05 du 10 mai 2006 consid. 2.2 qui renvoie lui-même à l’ATF 105 V 29 précité; confirmé en dernier lieu par arrêt 8C_680/2017 du 7 mai 2018 consid. 4.1.1, publié in SVR 2018 IV 59 p. 190). Dans l’arrêt 9C_125/2013 du 12 février 2014 (consid. 4.4 avec renvoi au consid. 4.1 in fine, non publiés aux ATF 140 V 15), le Tribunal fédéral a explicitement laissé ouverte la question de savoir s’il fallait maintenir l’ancienne jurisprudence selon laquelle les titres de révocation (reconsidération; révision) devaient être examinés séparément pour chaque décision (arrêt I 130/05 du 10 novembre 2005 consid. 3), ou si, à la lumière de l’ATF 133 V 108 et des arrêts subséquents (arrêts 9C_101/2011 du 21 juillet 2011 consid. 5.2 par renvoi à 9C_562/2008 du 3 novembre 2008 consid. 6.2.1), il fallait admettre que la décision initiale restait sans effet nonobstant la reconsidération de la décision sur révision (cf. ég. MEYER/REICHMUTH, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], 3e éd. 2014, n° 45 ad art. 30-31).

A l’ATF 140 V 514, le Tribunal fédéral a tranché cette question. Dans ce cas, l’office de l’assurance-invalidité avait initialement reconnu à l’assuré le droit à une demi-rente d’invalidité, laquelle a été augmentée dans le cadre d’une révision à une rente entière, ce qui s’est avéré manifestement erroné et a entraîné la reconsidération de la décision sur révision. Le Tribunal fédéral a considéré que si une rente d’invalidité était révisée à la hausse ou à la baisse (art. 17 al. 1 LPGA), la décision sur révision remplaçait la décision révisée (ATF 140 V 514 consid. 5.2 p. 520). Il a précisé qu’il en allait de même lorsque la rente allouée était confirmée après un examen matériel du droit à une rente d’invalidité (cf. ATF 133 V 108). Si, par la suite, la décision sur révision était à son tour révisée ou reconsidérée, la décision initiale ne renaissait pas, sous réserve de la nullité de la décision sur révision. Par conséquent, le droit à une rente devait être examiné librement pour le futur (« ex nunc et pro futuro »), même dans le cas où aucun titre de révocation n’existait en relation avec cette décision antérieure (ATF 140 V 514 précité consid. 5.2 p. 520; cf. ég. arrêts 8C_117/2019 du 21 mai 2019 consid. 5.1, publié in SVR 2020 UV n°1 p. 1; 8C_288/2016 du 14 novembre 2016 consid. 3.3).

 

En l’espèce, l’assurance-accidents a rendu le 04.01.2002 une décision par laquelle elle a reconnu à l’assurée le droit à une rente complémentaire d’invalidité sur la base d’un taux invalidité de 100%. A l’issue d’une première procédure de révision, elle a informé l’assurée, par avis du 25.06.2008, que son taux d’invalidité n’avait pas changé et qu’elle continuait dès lors de bénéficier de la même rente perçue jusque-là. Cette décision se fondait sur une expertise où le médecin-expert était parvenu à la conclusion qu’à l’exclusion du spondylolisthésis avec lyse L5/S1 préexistant à l’accident, tous les autres troubles avaient un lien de causalité naturelle certain avec l’accident et qu’aucune activité lucrative n’était raisonnablement exigible.

A l’aune des principes jurisprudentiels cités ci-avant, il y a lieu de constater que la décision sur révision du 25.06.2008, qui reposait sur un examen matériel du droit à la rente avec une constatation des faits pertinents et une appréciation des preuves au sens de l’ATF 133 V 108, s’est substituée à la décision initiale de rente du 04.01.2002. Par conséquent, seule la seconde décision pouvait faire l’objet d’une révision ou d’une reconsidération, à l’exclusion de la première. Si une pratique différente a été admise par le passé, il sied désormais de considérer qu’à la suite des ATF 133 V 108 et 140 V 514, une telle pratique est dépassée.

 

Le TF admet le recours de l’assuré et renvoie la cause au tribunal cantonal afin qu’il l’examine également sous l’aspect d’une éventuelle reconsidération et qu’elle rende ensuite une décision sur le droit de l’assurée à une rente complémentaire d’invalidité au-delà du 31.05.2018

 

 

Arrêt 8C_145/2020 consultable ici

 

 

8C_378/2020 (d) du 21.01.2021, proposé à la publication – Détermination du gain assuré – 15 LAA – 24 OLAA / Rappel des principes et notion de l’art. 24 al. 2 OLAA / Pas de modification du gain assuré dans le cadre d’une révision de la rente (17 LPGA) même en cas d’augmentation du taux d’invalidité

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_378/2020 (d) du 21.01.2021, publié aux ATF 147 V 213

 

NB : traduction personnelle ; seul le texte de l’arrêt fait foi.

Arrêt 8C_378/2020 Consultable ici

ATF 147 V 213 consultable ici

Détermination du gain assuré / 15 LAA – 24 OLAA

Rappel des principes et notion de l’art. 24 al. 2 OLAA

Pas de modification du gain assuré dans le cadre d’une révision de la rente (17 LPGA) même en cas d’augmentation du taux d’invalidité

 

En résumé

Les rentes sont calculées d’après le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (art. 15 al. 1 et 2 LAA). Lorsque le droit à la rente naît plus de cinq ans après l’accident, le salaire déterminant est celui que l’assuré aurait reçu, pendant l’année qui précède l’ouverture du droit à la rente, s’il n’avait pas été victime de l’accident, à condition toutefois que ce salaire soit plus élevé que celui qu’il touchait juste avant la survenance de l’accident (art. 24 al. 2 OLAA).

Selon la jurisprudence, l’art. 24 al. 2 OLAA s’applique également en cas de rechutes (ou de séquelles tardives) survenant plus de 5 ans après l’accident (ATF 140 V 41 consid. 6.1.2 p. 44 ; arrêt 8C_766/2018 du 23 mars 2020 consid. 5.1), que le droit à la rente naisse pour la première fois (arrêt U 427/99 du 10 décembre 2001 consid. 3a, non publié dans ATF 127 V 456, mais dans RAMA 2002 n° U 451 p. 61 ainsi que dans SVR 2002 UV n° 17 p. 57 ; arrêt U 286/01 du 8 mars 2002 consid. 2b), ou qu’il naisse à nouveau après que la rente a été limitée dans le temps [arrêtée pendant un temps] – c’est-à-dire après une période sans rente (RAMA 1988 n° U 46 pp. 217 consid. 4b, U 50/86 ; cf. également : Dorothea Riedi Hunold, in: Hürzeler/Kieser [Hrsg.], UVG, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 2018, N. 33 zu Art. 15 UVG).

En revanche, l’art. 24 al. 2 OLAA ne s’applique pas lors de révision de la rente (ATF 135 V 279 consid. 5.2 p. 284 et la référence, entre autres, à l’arrêt U 286/01 du 8 mars 2002 consid. 2b). En cas de révision de la rente, il ne s’agit pas d’un nouveau droit, pas même lors de l’augmentation du degré d’invalidité (ATF 118 V 293 consid. 2b et 2d p. 296 s.).

Lors de la détermination du gain assuré, il convient de se baser sur les relations de travail initiales et de ne pas tenir compte de celles qui n’ont commencé qu’après l’accident (ATF 127 V 165 consid. 3b p. 171 s.). Aussi l’art. 24 al. 2 OLAA ne permet-il pas à l’assuré de tenir compte d’une évolution de carrière et donc d’une augmentation de salaire qui aurait vraisemblablement été obtenue sans l’accident (ATF 127 V 165 consid. 3b p. 172 s. ; RAMA 1999 n° U 327 p. 111 consid. 3c). La situation n’est pas différente si un changement d’activité ou de carrière conduit à un revenu plus élevé ou si une nouvelle relation de travail avec un niveau de salaire différent est conclue entre la survenance de l’événement assuré et la détermination de la rente. Il s’agit de changements dans la situation professionnelle qui doivent être ignorés lors de la détermination du revenu pertinent pour le calcul du gain assuré de la rente au sens de l’art. 24 al. 2 OLAA (RAMA 1999 n° U 340 p. 405 consid. 3c).

Sous réserve de l’art. 24 al. 4 OLAA, le gain assuré déterminé pour la première fois s’applique en principe pendant toute la durée du droit à la rente ; en particulier, une révision ultérieure de la rente ne peut servir à adapter le gain assuré correspondant (cf. ATF 119 V 484 consid. 4b p. 492). Les principes de cette jurisprudence ont été explicitement confirmé au consid. 3a de l’arrêt U 427/99 du 10 décembre 2001 (non publié dans : ATF 127 V 456, mais dans RAMA 2002 n° U 451 p. 61 ainsi que dans le SVR 2002 UV n° 17 p. 57 ; arrêt U 286/01 du 8 mars 2002 consid. 2b) et ont également été confirmés à plusieurs reprises par la suite (cf. p. ex. SVR 2020 UV n° 37 p. 148, 8C_766/2018 consid. 5.2 à 5.5 ainsi que SVR 2012 UV n° 3 p. 9, 8C_237/2011 consid. 3.3 et arrêt 8C_565/2014 du 23 septembre 2014 consid. 4.2, et les références citées).

En l’espèce, la rente a été augmentée (de 25% à 100%). L’art. 24 al. 2 OLAA ne s’applique pas à cette situation. Le Tribunal fédéral n’entend pas modifier la jurisprudence antérieure ni étendre le champ d’application de l’art. 24 al. 2 OLAA aux cas où il ne s’agit que d’augmenter un droit à la rente existant.

 

Dans le détail

Assuré, né en 1967, apprenti dessinateur sanitaire, a été victime d’un accident de cyclomoteur le 27.05.1985 (polytraumatisme avec, entre autres, de multiples fractures du crâne et du visage). Par décision du 09.01.1987, l’assurance-accidents lui a accordé une rente d’invalidité à partir du 01.05.1986 de 25% sur la base d’un gain assuré de CHF 31’526 ainsi qu’une IPAI de 20%.

Du 01.10.1995 au 30.11.1998, l’assuré a perçu des indemnités journalières de l’AI, à la suite de mesures professionnelles (réadaptation en tant qu’infirmier) ; l’assurance-accidents a suspendu le versement de la rente pendant dite période. Elle en a fait de même après d’autres mesures professionnelles (formation pour devenir technico-commercial) pour la période du 16.04.2000 au 15.10.2001. L’assurance-accidents a ensuite repris le versement de la rente (degré d’invalidité 25%).

Par la suite, l’assuré a exercé une activité lucrative pendant plusieurs courtes périodes. Dès le 02.11.2005, il a été employé par l’Amt für Militär und Zivilschutz du canton de Saint-Gall, initialement pour une durée limitée mais finalement jusqu’au 31.12.2009. À sa demande, l’assurance-accidents ne lui a versé aucune rente pendant cette période. Ultérieurement, il s’est avéré que, sur la base des relevés du compte individuel pour les années 2006 à 2008 et du bulletin de salaire de novembre 2009, l’assuré avait perçu un revenu excluant le droit à la rente pendant la période concernée. Ainsi, en l’absence d’une incapacité de gain, son « dossier de prestations » [« Leistungsfall »] devait être considéré comme « clos », indépendamment de tout problème de santé qui pouvait subsister. Après la fin des rapports de travail, l’assurance-accidents a revu le droit à la rente. Dans sa décision du 22.06.2011, l’assurance-accidents a repris le versement de la rente d’invalidité dès janvier 2010, sur la base d’un degré d’invalidité inchangé de 25% et d’un gain assuré de CHF 31’526.

Après le dépôt d’une nouvelle demande, l’office AI a octroyé à l’assuré, à compter du 01.09.2015, une rente d’invalidité entière (CHF 1’842 par mois et rente d’enfant de CHF 737 par mois), fondée sur un degré d’invalidité de 100%.

Un examen médical a été réalisé à la demande de l’assurance-accidents, par un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie. Ce dernier a conclu à une incapacité de travail totale sur le premier marché du travail en raison d’un syndrome psycho-organique traumatique après une lésion cérébrale (CIM-10 : F07.2) ainsi que d’un syndrome secondaire de dépendance à l’alcool (CIM-10 : F10.2). Même dans un cadre protégé, l’assuré serait fortement dépassé.

Par décision du 24.01.2018, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé, dès le 01.09.2015, une rente d’invalidité basée sur un taux d’invalidité de 100% [augmentation de la rente de 25% à 100%] ainsi qu’une IPAI supplémentaire de 50%. Le gain assuré pour la rente d’invalidité était de CHF 31’526 et le montant de la rente (complémentaire [compte tenu des rentes AI versées]) de CHF 961.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 12.05.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant à l’assuré le droit à une rente complémentaire de CHF 3’237 par mois à compter du 01.09.2015.

 

TF

Gain assuré pour la rente

Les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré conformément à l’art. 15 al. 1 LAA. Est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (art. 15 al. 2 LAA). La notion de revenu précédant l’accident ainsi consacrée par la loi est également appelée méthode de calcul abstraite. Elle est étroitement liée au principe d’équivalence, selon lequel les mêmes facteurs qui servent de base au calcul des primes doivent être utilisés pour l’évaluation du gain assuré en tant que facteur de détermination des prestations (ATF 139 V 28 consid. 4.3.1 p. 34 et 127 V 456 consid. 4, chacun avec de nombreuses références ; cf. aussi ATF 118 V 293 consid. 2e ; Botschaft zum UVG, BBl 1976 III 167 et 189 [en français : Message à l’appui d’un projet de loi fédérale sur l’assurance-accidents, FF 1976 III 169 et 192] ; Alfred Maurer, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, Berne 1985, p. 321, 326 ; cf. aussi p. 333).

Se fondant sur la délégation de compétence de l’art. 15 al. 3 LAA, le Conseil fédéral a édicté aux art. 22 ss OLAA des prescriptions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux. Sous le titre « En général » de l’art. 22 OLAA, il a d’abord défini le montant maximum du gain assuré par an et par jour (al. 1). Il a également précisé que le gain assuré est le salaire applicable en vertu de la législation sur l’AVS, avec diverses exceptions (cf. al. 2 lit. a à d). L’alinéa paragraphe 4 réaffirme la notion de salaire précédant l’accident et la précise à divers égards.

Conformément à l’art. 15 al. 3 LAA, le Conseil fédéral a également édicté des dispositions sur le gain assuré dans des cas particuliers qui rompent avec le principe de l’équivalence (ATF 139 V 28 consid. 4.3.1 p. 34). Il les a transposées aux al. 1 à 4 de l’art. 24 OLAA sous le titre « Salaire déterminant pour les rentes dans les cas spéciaux ».

L’al. 2 de l’art. 24 OLAA a la teneur suivante : « Beginnt die Rente (« Lorsque le droit à la rente naît  […] »; « Se il diritto alla rendita nasce […] ») mehr als fünf Jahre nach dem Unfall oder dem Ausbruch der Berufskrankheit, so ist der Lohn massgebend, den der Versicherte ohne den Unfall oder die Berufskrankheit im Jahre vor dem Rentenbeginn (  « […] qui précède l’ouverture du droit à la rente […] »; « […] precedente l’inizio del diritto alla rendita […] ») bezogen hätte, sofern er höher ist als der letzte vor dem Unfall oder dem Ausbruch der Berufskrankheit erzielte Lohn. »

Dans le cas d’espèce, cependant, l’art. 24 al. 3 OLAA était déterminant pour la fixation du gain assuré : « Bezog der Versicherte wegen beruflicher Ausbildung am Tage des Unfalles nicht den Lohn eines Versicherten mit voller Leistungsfähigkeit derselben Berufsart, so wird der versicherte Verdienst von dem Zeitpunkt an, da er die Ausbildung abgeschlossen hätte, nach dem Lohn festgesetzt, den er im Jahr vor dem Unfall als voll Leistungsfähiger erzielt hätte » [Si l’assuré suivait des cours de formation le jour de l’accident et touchait de ce fait un salaire inférieur au plein salaire de la même catégorie professionnelle, le gain assuré est déterminé, à partir du moment où il aurait terminé sa formation, d’après le plein salaire qu’il aurait reçu pendant l’année qui précède l’accident.].

L’art. 24 al. 2 OLAA s’adresse en premier lieu au cas où le début de la rente est considérablement retardé, après un traitement de longue durée et le versement de l’indemnité journalière (cf. art. 15 al. 3 let. a LAA ; ATF 127 V 165 consid. 3a p. 172 ; 123 V 45 consid. 3c p. 51 ; 118 V 298 consid. 3b p. 303). Selon la jurisprudence, cette disposition s’applique également en cas de rechutes (ou de séquelles tardives) survenant plus de 5 ans après l’accident (ATF 140 V 41 consid. 6.1.2 p. 44 ; arrêt 8C_766/2018 du 23 mars 2020 consid. 5.1), que le droit à la rente naisse pour la première fois (arrêt U 427/99 du 10 décembre 2001 consid. 3a, non publié dans ATF 127 V 456, mais dans RAMA 2002 n° U 451 p. 61 ainsi que dans SVR 2002 UV n° 17 p. 57 ; arrêt U 286/01 du 8 mars 2002 consid. 2b), ou qu’il naisse à nouveau après que la rente a été limitée dans le temps [arrêtée pendant un temps] – c’est-à-dire après une période sans rente (RAMA 1988 n° U 46 pp. 217 consid. 4b, U 50/86 ; cf. également : Dorothea Riedi Hunold, in: Hürzeler/Kieser [Hrsg.], UVG, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 2018, N. 33 zu Art. 15 UVG).

Selon la jurisprudence, l’art. 24 al. 2 OLAA ne s’applique que lors de la détermination de la rente initiale et non pas lors de la révision (ATF 135 V 279 consid. 5.2 p. 284 et la référence, entre autres, à l’arrêt U 286/01 du 8 mars 2002 consid. 2b). Dans ce contexte, « initial » [ou « première fois »] signifie qu’un nouveau droit à la rente apparaît, qui peut également être envisagé – comme nous l’avons vu – après une rente qui a cessé et une période ultérieure sans versement de rente. Il convient de distinguer cette situation de la révision du droit à la rente ; il ne s’agit pas d’un nouveau droit, pas même lors de l’augmentation du degré d’invalidité (ATF 118 V 293 consid. 2b et 2d p. 296 s.).

En pratique, la rente est calculée sur la base du salaire que l’assuré a perçu l’année précédant l’accident (ATF 118 V 293 consid. 2b p. 296 concernant l’art. 78 al. 1 et 4 LAMA ; arrêts 8C_257/2013 du 25 septembre 2013 consid. 3.1; U 286/01 du 8 mars 2002 consid. 2b ; cf. également ATF 140 V 41 consid. 6.3.3 p. 45 s.). Il en va de même des rentes complémentaires au sens de l’art. 20 al. 2 LAA, même si elles doivent être réévaluées à la suite d’une modification des parties de la rente destinées aux membres de la famille (ATF 119 V 484 consid. 4b p. 492 s. et la référence au cas particulier selon les art. 24 al. 3 et 33 al. 2 lit. c OLAA).

Dans l’ATF 118 V 293 consid. 2e, l’ancien Tribunal fédéral des assurances avait qualifié de « très insatisfaisante » la justification relative au gain assuré déterminé sur la base du gain précédant l’accident, même dans en cas de révision. Cependant, comme déjà relevé dans l’ATF 99 V 19, il appartient au législateur et non au tribunal d’éliminer ou d’atténuer les conséquences négatives lorsque les faits sur lesquels la révision se fonde se produisaient longtemps après le cas initial. Le caractère contraignant de l’ordre juridique en question a depuis été réaffirmé par le Tribunal fédéral à plusieurs reprises (ATF 140 V 41 consid. 6.3.3 p. 45 ; arrêt 8C_257/2013 du 25 septembre 2013 consid. 3.2).

La règle spéciale de l’art. 24 al. 2 OLAA a pour but d’éviter qu’un assuré ayant bénéficié de traitements médicaux au long cours, avec un droit à la rente naissant plus de cinq ans après l’accident, ne soit cantonné avec le salaire perçu avant l’accident. Sinon, le résultat serait choquant, surtout lors de périodes d’augmentations salariales supérieures à la moyenne. Les salaires doivent donc être indexés à l’évolution normale du domaine d’activité de l’époque (ATF 140 V 41 consid. 6.4.2.2 p. 47 ; 127 V 165 consid. 3b p. 171 s. ; 123 V 45 consid. 3c p. 51 ; 118 V 298 consid. 3b p. 303). Il s’ensuit que, dans le cadre de l’art. 24 al. 2 OLAA, toute référence à la règle de base de l’art. 15 al. 2 LAA en lien avec l’art. 22 al. 4 OLAA (pertinence des circonstances antérieures à l’accident) n’est pas supprimée [ne cesse pas d’être applicable].

Lors de la détermination du gain assuré, il convient de se baser sur les relations de travail initiales et de ne pas tenir compte de celles qui n’ont commencé qu’après l’accident (ATF 127 V 165 consid. 3b p. 171 s.). Aussi l’art. 24 al. 2 OLAA ne permet-il pas à l’assuré de tenir compte d’une évolution de carrière et donc d’une augmentation de salaire qui aurait vraisemblablement été obtenue sans l’accident (ATF 127 V 165 consid. 3b p. 172 s. ; RAMA 1999 n° U 327 p. 111 consid. 3c). La situation n’est pas différente si un changement d’activité ou de carrière conduit à un revenu plus élevé ou si une nouvelle relation de travail avec un niveau de salaire différent est conclue entre la survenance de l’événement assuré et la détermination de la rente. Il s’agit de changements dans la situation professionnelle qui doivent être ignorés lors de la détermination du revenu pertinent pour le calcul du gain assuré de la rente au sens de l’art. 24 al. 2 OLAA (RAMA 1999 n° U 340 p. 405 consid. 3c).

Le Tribunal fédéral des assurances avait précédemment statué exactement de la même manière dans le cas des travailleurs saisonniers, en ne tenant pas compte, lors de la détermination du gain assuré, du permis de séjour annuel qui avait été obtenu avant la détermination de la rente (ATF 118 V 298 consid. 3b p. 303). Il a également considéré que les allocations familiales qui n’ont été versées qu’après l’accident ne pouvaient pas être prises en compte, même s’il ne s’agissait pas d’un simple changement hypothétique des circonstances de la situation professionnelle (cf. à ce sujet et dans l’ensemble : ATF 127 V 165 consid. 3b p. 171 ss). Dans le cadre de cet arrêt, le Tribunal fédéral a souligné que l’intention du législateur était la suivante : les modifications du gain assuré que l’assuré aurait vraisemblablement pu obtenir sans l’événement assuré n’ont aucune influence sur la rente de l’assurance-accidents.

Sous réserve de l’art. 24 al. 4 OLAA, le gain assuré déterminé pour la première fois s’applique en principe pendant toute la durée du droit à la rente ; en particulier, une révision ultérieure de la rente ne peut servir à adapter le gain assuré correspondant (cf. ATF 119 V 484 consid. 4b p. 492). Les principes de cette jurisprudence ont été explicitement confirmé au consid. 3a de l’arrêt U 427/99 du 10 décembre 2001 (non publié dans : ATF 127 V 456, mais dans RAMA 2002 n° U 451 p. 61 ainsi que dans le SVR 2002 UV n° 17 p. 57 ; arrêt U 286/01 du 8 mars 2002 consid. 2b) et ont également été confirmés à plusieurs reprises par la suite (cf. p. ex. SVR 2020 UV n° 37 p. 148, 8C_766/2018 consid. 5.2 à 5.5 ainsi que SVR 2012 UV n° 3 p. 9, 8C_237/2011 consid. 3.3 et arrêt 8C_565/2014 du 23 septembre 2014 consid. 4.2, et les références citées).

En l’espèce, le droit à la rente de l’assuré n’est pas « rené » avec la décision contestée mais la rente a « simplement » été augmentée (de 25% à 100%). Selon une jurisprudence constante, l’art. 24 al. 2 OLAA ne s’applique pas à cette situation. Il n’y a aucune raison de la modifier, même au vu de l’examen complet effectuer dans le cadre de la procédure de révision (ATF 141 V 9). Ici aussi, il convient de respecter le cadre normatif fixé par l’art. 15 al. 2 LAA et les dispositions correspondantes de l’ordonnance. Il convient en particulier de rappeler la formulation de l’art. 24 al. 2 OLAA, qui est sans ambiguïté dans les versions française et italienne : il ne se réfère pas seulement à la rente (contrairement à la version allemande), mais – même à plusieurs reprises – au droit correspondant (« droit à la rente » ; « diritto alla rendita »), qui naît plus de cinq ans après l’accident. Cela ne correspond donc pas à la simple modification progressive du droit à la rente. On ne voit pas que cela ne refléterait pas le sens véritable de la disposition, c’est pourquoi il n’y a aucune raison de s’en écarter (cf. ATF 146 V 129 consid. 5.5.1 p. 136 et les références), ni d’étendre le champ d’application de l’art. 24 al. 2 OLAA aux cas où il ne s’agit que d’augmenter un droit à la rente existant.

Le tribunal cantonal a porté son attention sur la décision du 22.06.2011 (devenue définitive après le retrait de l’opposition), par laquelle l’assuré s’était vu attribuer derechef, après une période sans versement de rente d’invalidité, une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 25%, à compter de janvier 2010. Même si l’on devait admettre que le droit à la rente de l’assuré est (re)né dès cette date et que, cela constituerait un cas d’application de l’art. 24 al. 2 OLAA, il aurait fallu le contester à ce moment précis, au moyen d’une opposition à la décision de rente. Contrairement à l’avis du tribunal cantonal, cette omission ne peut plus être réparée, même dans le cadre de l’examen au sens de l’ATF 141 V 9.

Il n’était pas possible de revoir le gain assuré dans le cadre d’une révision du droit à la rente (visant uniquement le degré d’invalidité) (cf. ATF 136 V 369 consid. 3.1.1 et 3.1.2 p. 373 ss ; cf. pour l’assurance-invalidité l’arrêt 9C_179/2020 du 16 novembre 2020, destiné à la publication, ainsi que Meyer/Reichmuth, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], 3. Aufl. 2014, Rz. 134 zu Art. 30-31 IVG et Urs Müller, Die materiellen Voraussetzungen der Rentenrevision in der Invalidenversicherung, Freiburg 2003, p. 78 Rz. 281; allgemein vgl. sodann Thomas Flückiger, in: Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 56 ad Art. 17 LPGA).

La seule possibilité qui subsiste ici serait la révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA) ou la reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA) de la décision du 22.06.2011, l’assurance-accidents ne pouvant être sommé par le tribunal – ni d’ailleurs par le Tribunal fédéral – de procéder à cette dernière (BGE 133 V 50 E. 4.1 p. 52 ; arrêt 9C_671/2015 du 3 mai 2016 E. 4 ; chacun avec les références).

Il n’y avait donc aucune possibilité pour la cour cantonale de revenir sur le gain assuré fixé par l’assurance-accidents dans le cadre de la procédure de révision litigieuse.

 

Par ailleurs, le tribunal cantonal a mal compris le cadre juridique évoqué ci-dessus pour une autre raison : Selon une jurisprudence constante, qu’il n’y a pas lieu de remettre en cause ici, une augmentation de salaire qui aurait vraisemblablement été réalisée sans l’accident ne peut être prise en compte dans le cadre de l’art. 24 al. 2 OLAA. En particulier, un revenu plus élevé résultant d’un changement de profession ou d’une réorientation professionnelle entre la survenance de l’événement assuré et la détermination de la rente ne peut être pris en considération. De ce point de vue, la cour cantonale a également violé le droit fédéral dans la mesure où elle n’a pas fondé la correction du gain assuré sur le revenu que l’assuré avait réalisé avant l’accident, mais sur le revenu brut qu’il avait perçu en novembre 2009.

 

En conclusion, la cour cantonale ne peut être suivie dans la mesure où elle a – en se référant à l’ATF 141 V 9 – adapté le gain assuré dans le cadre d’une procédure de révision de la rente, alors que cela n’a pas conduit à l’ouverture (nouvelle) d’un droit à la rente, mais « simplement » à son augmentation. Le fait que l’art. 24 al. 2 OLAA n’a pas été appliquée de manière correcte lors d’une précédente détermination de la rente n’est pas déterminant. A cet égard, il appartient uniquement à l’assurance-accidents de décider de la possibilité d’une éventuelle reconsidération.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_378/2020 consultable ici

ATF 147 V 213 consultable ici

Proposition de citation : ATF 147 V 213 – 8C_378/2020 (d) du 21.01.2021 – Pas de modification du gain assuré dans le cadre d’une révision de la rente (17 LPGA) même en cas d’augmentation du taux d’invalidité, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/03/8c_378-2020-atf-147-v-213)

 

9C_52/2020 (f) du 01.02.2021, proposé à la publication – Rente d’invalidité LPP d’une institution de prévoyance « enveloppante » – Surindemnisation – 34a al. 1 LPP – 24 OPP 2 / Règle s’écartant de la signification usuelle et reconnue en matière d’assurance de la notion d’avantage injustifié – Règle insolite – Règle s’écartant du principe de l’égalité de traitement

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_52/2020 (f) du 01.02.2021, proposé à la publication

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité LPP d’une institution de prévoyance « enveloppante » – Surindemnisation / 34a al. 1 LPP – 24 OPP 2

Une durée incomplète de cotisations dans le 1er pilier ne peut entraîner une réduction correspondante des prestations de la prévoyance professionnelle

Règle s’écartant de la signification usuelle et reconnue en matière d’assurance de la notion d’avantage injustifié – Règle insolite – Règle s’écartant du principe de l’égalité de traitement

 

Assurée, née en 1959, infirmière, affiliée au Fonds de prévoyance des EMS (FP-EMS) pour la prévoyance professionnelle et à d’une compagnie d’assurance privée pour la perte de gain en cas de maladie. Totalement incapable de travailler depuis le 05.04.2005, elle a perçu des indemnités journalières de l’assurance perte de gain maladie sur la base du contrat collectif de son employeur, jusqu’à son licenciement au 31.01.2006, puis d’un contrat individuel. Par décision du 03.04.2008, l’office AI lui a accordé une rente entière de l’assurance-invalidité, assortie de rentes complémentaires pour ses trois enfants dès le 01.04.2006.

Le 04.06.2008, le FP-EMS a également reconnu le droit de l’assurée à des rentes d’invalidité (minimum LPP dès le 01.01.2007 et réglementaires dès le 01.05.2007) pour elle et ses enfants. Le 16.12.2008, il a par ailleurs accepté de rembourser à l’assureur perte de gain un montant de 18’981 fr. 25 (correspondant à la surindemnisation pour la période du 01.04.2006 au 03.12.2006). Le même jour, il a exigé de l’intéressée qu’elle lui restitue ce montant et lui en a proposé la compensation en lui versant uniquement les rentes minimum LPP jusqu’en septembre 2009. Le 03.04.2009, l’assurée a requis une adaptation du plan de recouvrement. Le 07.04.2009, l’institution de prévoyance a accédé à sa requête et l’a avertie que les 11’974 fr. 15 encore dus au 30.04.2009 seraient compensés par le versement de rentes réglementaires réduites jusqu’en février 2010.

Le 14.01.2010, le FP-EMS a demandé à l’assurée qu’elle lui restitue la somme de 37’989 fr. 95 (allouée à tort selon lui du 01.05.2007 au 31.01.2010 en raison d’une erreur dans le calcul de surindemnisation en lien avec l’échelle de rente appliquée par l’assurance-invalidité) et lui a proposé de la compenser par le paiement de rentes réglementaires réduites jusqu’en juin 2012. Le 26.07.2012, il a une nouvelle fois modifié le calcul de surindemnisation (en raison d’autres erreurs en lien avec l’âge et les périodes de formation des enfants) et informé l’intéressée qu’il entendait compenser le solde de 13’117 fr. 95 qu’elle lui devait au 30.06.2012 par la poursuite du versement de rentes réglementaires réduites jusqu’en juillet 2013. Le 21.12.2012, l’assurée a contesté les calculs de surindemnisation.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 5/13 – 37/2019 – consultable ici)

L’assurée a ouvert action contre l’institution de prévoyance le 29.01.2013.

La juridiction cantonale a partiellement admis la demande par jugement du 26.11.2019, condamnant l’institution de prévoyance à verser à l’assurée le montant de 80’972 fr. 90, avec intérêts moratoires réglementaires, correspondant au solde des prestations dues à cette dernière et à ses enfants pour la période du 01.02.2006 au 01.09.2016.

 

TF

Surindemnisation

Conformément à la délégation de compétence de l’art. 34a al. 1 LPP (dans sa teneur en vigueur du 01.01.2003 au 31.12.2016), le Conseil fédéral a édicté l’art. 24 OPP 2, dont l’al. 1 prévoit que « l’institution de prévoyance peut réduire les prestations d’invalidité et de survivants dans la mesure où, ajoutées à d’autres revenus à prendre en compte, elles dépassent 90% du gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé » (teneur en vigueur du 01.01.2003 au 31.12.2016). L’art. 24 OPP 2 al. 2 définit les revenus à prendre en compte, à savoir les prestations d’un type et d’un but analogues qui sont accordées à l’ayant droit en raison de l’événement dommageable, notamment les rentes provenant d’assurances sociales.

 

Bien que les parties ne contestent pas le droit applicable ratione temporis sur lequel s’est fondé le Tribunal cantonal – règles en vigueur au 05.04.2005, date à laquelle a débuté l’incapacité de travail ayant entraîné l’invalidité de l’assurée -, on précisera qu’en cas de changement des bases légales en matière de surindemnisation, ce ne sont pas les dispositions en vigueur au moment du début de l’incapacité de travail déterminante qui s’appliquent mais les dispositions en vigueur au moment où est effectué le nouveau calcul de surindemnisation (ATF 134 V 64 consid. 2.3.3 p. 68; 122 V 316 consid. 3c p. 319). Il en va de même des dispositions réglementaires pour autant que le règlement ne comprenne pas une règle excluant une modification correspondante ou qu’une assurance donnée à titre individuel ne s’oppose à la modification (cf. arrêts 9C_404/2008 du 17 novembre 2018 consid. 4.2, in SVR 2009 BVG n° 11 p. 34; B 82/06 du 19 janvier 2007 consid. 2.2, in SVR 2007 BVG n° 35 p. 125), ce qui n’est pas le cas en l’occurrence (cf. art. 33 du règlement de prévoyance dans sa teneur en vigueur dès le 01.01.2005; art. 34 du règlement dans sa teneur en vigueur depuis le 01.01.2008) respectivement n’a pas été invoqué par l’assurée. Cela n’a toutefois pas d’incidence en l’espèce dans la mesure où, bien que l’art. 24 al. 2 OPP 2 et le règlement de prévoyance aient subi des modifications, leur contenu matériel n’a pas changé quant aux aspects déterminants en l’occurrence.

 

Les institutions de prévoyance qui participent à l’application du régime obligatoire de la prévoyance professionnelle (art. 48 al. 1 LPP) doivent respecter les exigences minimales fixées aux art. 7 à 47 LPP (art. 6 LPP) mais il leur est loisible de prévoir des prestations supérieures à ces exigences minimales (art. 49 LPP). Le Tribunal fédéral a aussi considéré que les institutions de prévoyance restaient libres d’édicter des dispositions statutaires ou réglementaires plus restrictives que la loi, en particulier en ce qui concerne la limite de surindemnisation, mais que de telles dispositions ne s’appliquaient qu’à la prévoyance professionnelle plus étendue (cf. arrêt B 56/98 du 12 novembre 1999 consid. 4, in SVR 2000 BVG n°6 p. 31).

La faculté réservée aux institutions de prévoyance en vertu de l’art. 49 al. 2 LPP n’implique cependant pas pour elles un pouvoir discrétionnaire. Lorsqu’elles adoptent dans leurs statuts ou règlements un certain système d’évaluation, elles doivent se conformer, dans l’application des critères retenus, aux conceptions de l’assurance sociale ou aux principes généraux (soit notamment l’égalité de traitement). Autrement dit, si elles ont une pleine liberté dans le choix d’une notion, elles sont néanmoins tenues de donner à celle-ci sa signification usuelle et reconnue en matière d’assurance (ATF 120 V 106 consid. 3c p. 108; arrêt 9C_644/2014 du 13 juillet 2015 consid. 7.3, in SVR 2016 BVG n° 35 p. 142; voir également arrêt B 33/03 du 17 mai 2005 consid. 3.2).

 

Il n’est en l’occurrence pas contesté que l’institution de prévoyance est une institution de prévoyance dite « enveloppante » qui a décidé d’étendre la prévoyance au-delà desdites exigences minimales (prévoyance surobligatoire ou plus étendue) et qu’elle est par conséquent libre de définir dans les limites des dispositions expressément réservées à l’art. 49 al. 2 LPP le régime de prestations, le mode de financement et l’organisation qui lui convient pour autant qu’elle respecte les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que l’interdiction de l’arbitraire (ATF 140 V 145 consid 3.1 p. 148 s. et les références).

Dans le cadre général de la coordination des prestations prévu par les art. 34a al. 1 LPP et 24 OPP 2 (dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31.12.2016), l’art. 26 du règlement de prévoyance règle le cumul des prestations en cas d’invalidité et de décès en reprenant une limite de surindemnisation de 90% (du dernier salaire cotisant en vigueur lors de la survenance du risque assuré; ch. 1) et l’énumération des revenus à prendre en considération (ch. 2). Le but en est d’empêcher « un avantage injustifié » pour l’assuré au sens de l’art. 34a al. 1 LPP; il s’agit d’éviter que le cumul des prestations de but et de type analogues ne conduise à une indemnisation de l’ayant droit supérieure à la limite de 90% fixée par l’art. 26 ch. 1 du règlement, au-delà de laquelle il y a « avantage injustifié » parce que le bénéficiaire de rente réaliserait un revenu net plus élevé que sans le cas de prévoyance (sur l’interdiction de la surindemnisation de manière générale, MICHAEL E. MEIER, Das Anrechnungsprinzip in der beruflichen Vorsorge, thèse, Zurich 2020, p. 36 s.).

L’art. 26 ch. 3 première phrase du règlement de prévoyance prévoit l’exemption du FP-EMS de compenser le refus ou la réduction de prestations décidés par l’AVS/AI, l’assurance-accidents ou l’assurance militaire en raison de la faute de l’ayant droit. La seconde phrase de l’art. 26 ch. 3 assimile à cette éventualité, celle dans laquelle le bénéficiaire de prestations de l’AI/AVS compte une durée incomplète de cotisations selon l’art. 29ter LAVS. L’absence de « compensation » de la part du FP-EMS revient à prendre en considération la prestation du premier pilier perçue par l’assuré comme si elle avait été calculée selon une durée complète de cotisations au sens de l’art. 29ter LAVS, soit selon une échelle de rente 44 (rente complète). L’application de la disposition réglementaire implique donc de tenir compte dans le calcul de surindemnisation d’une rente de l’assurance-vieillesse et survivants ou de l’assurance-invalidité à hauteur d’un montant plus élevé que celui effectivement perçu par le bénéficiaire de la prestation.

En l’espèce, la situation visée par l’art. 26 ch. 2 seconde phrase du règlement de prévoyance – où le bénéficiaire d’une rente du premier pilier perçoit une prestation calculée en fonction d’une durée incomplète de cotisations – ne constitue pas un cas de figure correspondant à un « avantage injustifié » que l’art. 26 a précisément pour but d’éviter. Il ne s’agit pas de la situation dans laquelle l’assuré perçoit effectivement une prestation d’assurance sociale (assurance-invalidité, assurance-accidents ou assurance militaire) dont le montant additionné à celui de la prestation d’invalidité du FP-EMS dépasserait la limite de surindemnisation, de sorte que l’ayant droit disposerait d’une indemnisation supérieure au gain perçu avant la survenance du risque assuré. Il n’est pas non plus question d’une réduction ou d’un refus de versement de la part de l’assurance sociale en raison du comportement de l’ayant droit, lorsque la prétention en tant que telle à la prestation est réduite pour faute du bénéficiaire (cf. p. ex. art. 37 LAA).

Comme le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de le remarquer – sans examiner la question de manière détaillée -, lorsque l’ayant droit compte une durée incomplète de cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants/assurance-invalidité, on ne voit pas pourquoi l’institution de prévoyance, auprès de laquelle l’assuré ou le défunt a régulièrement cotisé, ne devrait pas être mise à contribution dans ce cas précis (ATF 116 V 189 consid. 3b p. 194 s.). Si cette considération a été exprimée dans le cadre de la prévoyance professionnelle obligatoire, comme le fait valoir l’institution de prévoyance, elle reste cependant pertinente dans le cadre de la prévoyance plus étendue, lorsque le règlement de l’institution de prévoyance instaure des règles empêchant la surindemnisation au sens où l’entend la loi, soit éviter que le cumul de prestations ne procure un avantage injustifié à l’assuré ou à ses survivants, comme le prévoit en l’espèce l’art. 26 du règlement de prévoyance.

En fait, les art. 29 ss LAVS – également applicables aux rentes de l’assurance-invalidité (art. 36 al. 2 LAI) – définissent les modalités de calcul de la rente du premier pilier, en distinguant entre les rentes complètes (fondées sur une durée complète de cotisations [art. 29 al. 2 let. a LAVS] au sens de l’art. 29ter LAVS) et les rentes partielles (fondées sur une durée incomplète de cotisations [art. 29 al. 2 let. b LAVS]). Ils prévoient dès lors les modalités pour déterminer concrètement le droit à la prestation et non pas les conditions auxquelles la prétention pourrait ou devrait être réduite pour un motif particulier. Il ne peut être question ici d’un avantage injustifié puisque la prestation versée à hauteur du montant déterminé correspond aux conditions légales prévues pour définir le droit en tant que tel à la rente du premier pilier. Il ne s’agit pas d’une situation de réduction de la prestation que la prévoyance professionnelle aurait ou n’aurait pas à combler. La détermination du droit à la prestation en tant que tel (« Leistungsgestaltung ») ne peut pas entrer en collusion avec la problématique de la surindemnisation (FRANZ SCHLAURI, Die Überentschädigungsabschöpfung in der weitergehenden beruflichen Vorsorge, in Berufliche Vorsorge 2002, Probleme, Lösungen, Perspektiven, Saint-Gall 2002, p. 83 ss, p. 99 et note de bas de page 24).

Peu importe à cet égard les termes utilisés lors des travaux préparatoires de la LPP, selon lesquels: « On admettra l’existence d’un avantage injustifié au sens de la loi alors même que la limite de 90 pour cent n’est pas atteinte. Ce sera notamment le cas lorsque l’une ou l’autre des autres assurances alloue à l’ayant droit des prestations réduites […] lorsqu[e l’ayant droit] ne peut se prévaloir d’une durée entière d’assurance » (Message du Conseil fédéral du 19 décembre 1975 à l’appui d’un projet de loi sur la prévoyance professionnelle, vieillesse, survivants et invalidité, FF 1976 I 117 ss, p. 215, ch. 521.6 ad art. 35; Commentaire à l’appui du projet de l’OPP 2 relatif à l’art. 20 Projet OPP 2 [Projet 2.8.83, p. 41], selon lequel « la commission OPP est d’avis que le deuxième pilier n’a pas à combler des lacunes créées volontairement par les autres assurances sociales », dont « la durée incomplète de cotisations dans l’AVS/AI [séjour à l’étranger, par exemple] »). La formulation peut prêter à confusion dans la mesure où on pourrait en déduire que le versement d’une prestation du premier pilier calculée selon une durée incomplète de cotisations conduirait à « un avantage injustifié ». Elle ne saurait cependant être déterminante puisqu’elle ne repose pas sur une motivation soigneuse et détaillée (cf. FRANZ SCHLAURI, op. cit.) et correspond à l’avis d’une sous-commission qui n’a pas été repris par la suite. En particulier, au regard du système du premier pilier et de ses caractéristiques sous l’angle notamment du cercle des assurés et de son financement, on ne voit pas en quoi la prise en considération d’une durée partielle de cotisations pour calculer le montant de la rente correspondrait à une « lacune créée volontairement par » l’assurance du premier pilier (cf. dans ce sens, ERICH PETER, Die Koordination von Invalidenrenten im Sozialversicherungsrecht, thèse, Zurich, 1997, p. 368).

La doctrine est du reste d’avis qu’une durée incomplète de cotisations dans le premier pilier ne peut pas entraîner une réduction correspondante des prestations de la prévoyance professionnelle, l’institution de prévoyance étant tenue de prester jusqu’à hauteur complète du droit résultant du salaire assuré; une lacune de cotisations dans le premier pilier ne doit dès lors pas se répercuter sur l’étendue des prestations de la prévoyance professionnelle (MARC HÜRZELER, Invaliditätsproblematiken in der beruflichen Vorsorge, thèse, Bâle/Genève/Munich, 2006, n. 919 ss; du même auteur, in Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, no 43 ad art. 34a LPP; ERICH PETER, op. cit., p. 366 ss). Une telle répercussion ne serait par ailleurs compatible ni avec la conception de la réduction de la prestation de la prévoyance professionnelle au sens de l’art. 35 LPP, ni avec le principe de la congruence matérielle et temporelle (ERICH PETER, op. cit., p. 367 s.).

 

En conséquence de ce qui précède, il convient de retenir, à la suite des juges cantonaux, que l’art. 26 ch. 3 seconde phrase du règlement de prévoyance ne saurait être appliquée en l’espèce. Elle apparaît en effet étrangère au but visé par l’art. 26 du règlement de prévoyance en s’écartant de la signification usuelle et reconnue en matière d’assurance de la notion d’avantage injustifié et relève en ce sens d’une règle insolite (sur cette notion, ATF 144 V 376 consid. 2.2 p. 378 et les arrêts cités).

 

Principe de l’égalité de traitement

Ce principe, qui consiste à traiter de façon identique les situations semblables et de façon différente les situations dissemblables (cf. notamment ATF 141 I 153 consid. 5.1 p. 157; 137 V 334 consid. 6.2.1 p. 348 s.), s’applique en matière de prévoyance professionnelle obligatoire et en matière de prévoyance professionnelle plus étendue. Il est respecté lorsque les assurés appartenant à un même collectif sont soumis à des conditions réglementaires identiques dans le plan de prévoyance (ATF 132 V 149 consid. 5.2.5 p. 154 s.).

Or, la disposition réglementaire en cause contrevient à ce principe, dans la mesure où deux personnes appartenant à la même collectivité d’assurés, présentant les mêmes caractéristiques du point de vue de la prévoyance professionnelle (même âge, même durée de cotisations, même situation familiale, même salaire, même prestation de libre-passage) et devenant invalide au même moment, mais l’une percevant une rente du premier pilier inférieur à celle de l’autre en raison d’une durée incomplète de cotisations, se verraient allouer des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle différentes dans le cadre du calcul de surindemnisation. L’assuré bénéficiant d’une rente du premier pilier fondée sur une durée de cotisations partielle se verrait confronté à la prise en considération de cette prestation à un montant hypothétique (en fonction d’une échelle de rente complète), ce qui abaisserait d’autant le seuil de surindemnisation prévu par l’art. 26 ch. 1 du règlement de prévoyance.

L’argumentation de l’institution de prévoyance, selon laquelle de manière générale une lacune de cotisations dans le premier pilier entraînerait une lacune dans le deuxième pilier, ne remet pas en cause l’inégalité de traitement constatée par la juridiction cantonale, qu’elle semble du reste admettre en alléguant que la « différence de durée de cotisations justifie indiscutablement un traitement différent ». L’art. 26 ch. 3 seconde phrase du règlement de prévoyance conduit effectivement à ce que deux assurés affiliés à l’institution de prévoyance à des conditions identiques et ayant cotisé de la même manière pour la prévoyance obligatoire et plus étendue seraient confrontés au versement d’une prestation d’invalidité de la prévoyance professionnelle différente, en raison du seuil de surindemnisation appliqué de manière différente à chacun d’eux, alors même que les « caractéristiques » de leur assurance pour le risque d’invalidité de la prévoyance professionnelle seraient identiques. Soumis à des conditions réglementaires identiques sous l’angle de la prévoyance professionnelle, les deux assurés ne seraient pas traités de manière identique du point de vue des prestations de la prévoyance professionnelle plus étendue.

 

Le TF rejette le recours de l’institution de prévoyance.

 

 

Arrêt 9C_52/2020 consultable ici

 

 

8C_581/2020+8C_585/2020 (d) du 03.02.2021 [arrêt à 5 juges – non publié] – Revenu sans invalidité pour un assuré à haut revenu avec un contrat à durée déterminée – 16 LPGA – 18 al. 1 LAA / Détermination du revenu sans invalidité sur la base de l’ESS écartée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_581/2020+8C_585/2020 (d) du 03.02.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt du TF fait foi

Arrêt à 5 juges – non publié

 

Revenu sans invalidité pour un assuré à haut revenu avec un contrat à durée déterminée / 16 LPGA – 18 al. 1 LAA

Détermination du revenu sans invalidité sur la base de l’ESS écartée – Estimation sur la base des revenus moyens des années 1999 à 2012 selon compte individuel et indexé

 

Assuré, né en 1967, a travaillé comme chef de projet chez B.__ AG du 01.12.2012 au 31.10.2014 (contrat de durée déterminée), où il a supervisé un projet chez C.__ AG.

Le 16.10.2013, au guidon de sa moto, il est victime d’un accident de la circulation. Il a subi un polytraumatisme avec diverses fractures, ce qui a nécessité plusieurs opérations.

Par décision du 30.08.2018, l’assurance-accidents a mis fin au versement des indemnités journalières au 31.01.2018, a nié le droit à une rente d’invalidité (taux d’invalidité de 9%) et octroyé une IPAI de 45%. Dans la décision sur opposition du 28.10.2019, l’assurance-accidents l’a confirmée, mais a désormais nié toute perte de revenus.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2019 324 – consultable ici)

Le tribunal cantonal a estimé que le revenu sans invalidité ne pouvait pas être lié au dernier salaire perçu chez B.__ AG, car l’assuré n’aurait plus travaillé pour cette société même sans accident, en raison du contrat de travail à durée déterminée au 31.10.2014. La cour cantonale a également estimé qu’il était peu probable qu’il aurait été employé pour d’autres mandats, soit directement par C.__ AG, soit par B.__ AG, après l’achèvement du projet chez C.__ AG. La cour cantonale a déterminé le revenu sans invalidité sur la base des revenus moyens réalisés au cours des années 1999 à 2012, sur la base des inscriptions au compte individuel. Ajusté à l’évolution nominal des salaires jusqu’en 2018, il en résulte un revenu sans invalidité de CHF 266’882.20.

Par jugement du 19.08.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une rente d’invalidité de 38% dès le 01.02.2018.

 

TF

Revenu sans invalidité

Le revenu sans invalidité est le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide (art. 16 LPGA). Selon la jurisprudence, l’élément déterminant est ce que l’assuré aurait effectivement pu réaliser au moment déterminant s’il était en bonne santé, compte tenu de ses capacités professionnelles et des circonstances personnelles le concernant. Etant donné qu’en règle générale la profession précédente aurait été poursuivie en bonne santé, le revenu sans invalidité se déduit en principe d’après le dernier salaire que l’assuré a obtenu avant l’atteinte à la santé, en tenant compte de l’évolution des salaires. Des exceptions ne sauraient être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2 p. 30 ; arrêt 9C_852/2018 du 5 mars 2019 consid. 5.4.1 et les références). Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible (arrêts 9C_868/2013 du 24 mars 2014 consid. 4.2.1 et 9C_796/2013 du 28 janvier 2014 consid. 2.1).

Si le dernier salaire perçu est supérieur à la moyenne, il ne doit être pris en compte comme revenu sans invalidité que s’il établit, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’il aurait continué à être perçu (SVR 2011 IV Nr. 55 p. 163, 8C_671/2010 consid. 4.5.1 ; 2009 IV Nr. 58 p. 181, 9C_5/2009 consid. 2.3; arrêt 8C_362/2014 du 25 juin 2014 consid. 5.2.3 in fine).

Si le dernier revenu obtenu présente de fortes variations à relativement court terme, il faut prendre comme base le salaire moyen perçu sur une période plus longue (arrêts 9C_14/2019 du 24 avril 2019 consid. 2.2.2 ; 8C_443/2018 du 30 janvier 2019 consid. 2.1 et les références).

 

Détermination selon l’ESS écartée

L’assurance-accidents rappelle que, conformément à la jurisprudence, le revenu sans invalidité doit être déterminé au moyen de données statistiques si l’assuré, en bonne santé, ne travaillerait plus dans l’emploi précédent (SVR 2009 IV Nr. 58, p. 181, 9C_5/2009 consid. 2.3; arrêts 8C_314/2019 du 10 septembre 2019 consid. 6.1 et les références ; 8C_587/2018 du 11 mars 2019 consid. 5.1.2 ; 8C_551/2017 du 2 août 2018 consid. 5 ; 8C_115/2018 du 27 juin 2018 consid. 7.1.2 ; 8C_148/2017 du 19 juin 2017 consid. 6.2.2).

Toutefois, la juridiction cantonale a expliqué de manière convaincante que dans le cas qui nous occupe, les tableaux ESS cités par l’assurance-accidents ne fournissent pas de résultats plausibles.

Ainsi, depuis 1999, l’assuré a toujours perçu un salaire qui dépassait largement le revenu sans invalidité de CHF 152’816.15 déterminé par l’assureur-accidents sur la base de l’ESS. Dans les années 2004 à 2008, les revenus sont passés de CHF 196’999 à CHF 384’866. Même si ces salaires devaient être qualifiés de supérieurs à la moyenne, cela ne signifiait pas automatiquement qu’ils ne pouvaient pas être pris en compte.

Selon le Tribunal fédéral, ce point de vue doit être approuvé. Le seul facteur décisif est de savoir si le dernier salaire supérieur à la moyenne aurait continué à être gagné, ce que le tribunal cantonal a supposé lors de l’évaluation de l’ensemble des circonstances. Les juges cantonaux n’ont pas manqué de remarquer que l’assuré n’était pas titulaire d’un MBA au moment de l’accident. Toutefois, ils ont souligné à juste titre que cette circonstance n’avait pas posé de problème à l’assuré avant l’accident, puisqu’il avait toujours changé d’emploi sans interruption, en développant continuellement sa carrière et avait pu s’appuyer sur des connaissances certifiées par ses employeurs respectifs à plusieurs reprises.

Selon le Tribunal fédéral, si le tribunal cantonal a considéré, compte tenu des circonstances particulières, qu’il est établi que l’assuré aurait continué à gagner son revenu antérieur – supérieur à la moyenne – même sans l’accident et que, donc, les salaires statistiques selon l’ESS ne sont pas pertinents, cela n’est pas critiquable. L’ESS ne peut être prise en compte dans l’évaluation de l’invalidité que si les facteurs personnels et professionnels pertinents pour la rémunération dans le cas particulier sont également pris en compte (ATF 144 I 103 consid. 5.3 p. 110 s. et les références). Les revenus élevés obtenus pendant plusieurs années démontrent également que les différents emplois occupés par l’assuré n’étaient pas une simple question de chance (cf. arrêt 9C_239/2019 du 5 septembre 2019 consid. 2.4).

Comme la détermination du revenu sans invalidité doit être aussi concrète que possible et compte tenu de la situation particulière de départ, le tribunal cantonal était autorisé à s’écarter du principe général énoncé précédemment et à estimer le revenu hypothétique sans invalidité de l’assuré sur la base de la moyenne des revenus effectivement perçus sur une période plus longue et de se fonder sur les informations contenues dans le compte individuel (cf. arrêts 9C_14/2019 du 24 avril 2019 consid. 2.2.2 ; 8C_443/2018 du 30 janvier 2019 consid. 2.1 et les références).

 

Période à prendre en compte en cas de fortes variations

L’évaluation de l’invalidité par les organes de l’assurance-invalidité n’ayant pas de force contraignante pour l’assureur-accidents (ATF 131 V 362). Les offices AI et les assurances-accidents doivent procéder à l’évaluation de l’invalidité de manière indépendant dans le cas concerné. Ils ne peuvent se contenter de reprendre le degré d’invalidité de l’assureur-accidents ou de l’office AI sans autre examen de leur part (ATF 133 V 549 consid. 6.1 p. 553). Néanmoins, les déterminations de l’invalidité déjà effectuées doivent être prises en compte (arrêt 8C_441/2013 du 3 mars 2014 consid. 6.2 et les références).

La juridiction cantonale a estimé que la période de cinq ans choisie par l’office AI était trop courte en raison des fortes fluctuations de revenus depuis 1999. Entre 2004 et 2008, le salaire annuel est passé de CHF 196’999 à CHF 384’886 et a de nouveau baissé pour atteindre CHF 251’760 en 2010. Par conséquent, une période plus longue a dû être prise en compte. Elle a choisi la période allant de 1999, date à laquelle l’assuré a occupé des postes de direction, jusqu’à 2012 inclus, ce qui a donné un revenu moyen de CHF 262’410.20. Ajusté à l’évolution nominal des salaires, le revenu sans invalidité pour 2018 est de CHF 266’882.20.

Il est peut-être vrai que les salariés âgés de 30 à 50 ans peuvent enregistrer les plus fortes augmentations de salaire. On ne peut pas non plus nier que la période de 14 ans choisie par la juridiction cantonale est très longue. Toutefois, le Tribunal fédéral a déjà utilisé une période de 12 ans pour le calcul du revenu sans invalidité, bien qu’il s’agisse d’un travailleur indépendant, en raison des fluctuations considérables des revenus dans ce cas particulier (cf. arrêt 8C_626/2011 du 29 mars 2012 consid. 5). Comme l’a reconnu à juste titre la cour cantonale et comme le démontre le relevé des comptes individuels, il y a également de fortes fluctuations dans le cas d’espèce : Les revenus annuels de 1999 à 2007 se situaient entre CHF 170’778 et CHF 316’078. Après avoir culminé à CHF 384’866 en 2008, le revenu annuel est tombé à CHF 299’821 en 2009 et CHF 251’760 en 2010, avant de remonter à CHF 277’958 en 2011 et CHF 287’976 en 2012. Le tribunal cantonal n’a pas violé le droit fédéral en prenant en compte une période plus longue que l’office AI, en raison de ces fluctuations considérables des revenus, afin d’obtenir un revenu sans invalidité plus significatif.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré et celui de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_581/2020+8C_585/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_581/2020+8C_585/2020 (d) du 03.02.2021 – Revenu sans invalidité pour un assuré à haut revenu avec un contrat à durée déterminée, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/02/8c_581-2020-8c_585-2020)

 

9C_179/2020 (f) du 16.11.2020, destiné à la publication – Montant d’une rente entière AI remplaçant une demi-rente initialement octroyée – 36 al. 2 LAI – 29bis al. 1 LAVS / Application de l’art. 29bis al. 1 LAVS pas subordonnée à une condition relative à la proportion ou à la disproportion entre le revenu moyen déterminant servant au calcul du montant de la prestation (initiale) et « la perte de gain subie »

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_179/2020 (f) du 16.11.2020, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Montant d’une rente entière AI remplaçant une demi-rente initialement octroyée / 36 al. 2 LAI – 29bis al. 1 LAVS

Application de l’art. 29bis al. 1 LAVS pas subordonnée à une condition relative à la proportion ou à la disproportion entre le revenu moyen déterminant servant au calcul du montant de la prestation (initiale) et « la perte de gain subie »

Augmentation du degré d’invalidité à la suite d’une aggravation de l’état de santé justifiant une rente plus élevée constitue un cas de révision (17 LPGA) et non pas un nouveau cas d’invalidité

 

Assurée née en 1979, atteinte d’une infirmité congénitale ayant entraîné une paralysie des membres inférieurs, avec une tétraparésie sévère. Ayant terminé ses études de droit en mars 2005, elle a travaillé à un taux de 30% comme assistante diplômée à la Faculté de droit de l’Université de V.__, où elle a obtenu un diplôme d’études approfondie (LL.M) en 2006. Par la suite et après des stages, elle a été engagée comme greffière auprès de la Justice de Paix du canton de U.__ à un taux d’activité de 50% dès le 01.01.2009.

Depuis sa naissance, l’assurée a bénéficié de différentes mesures de l’assurance-invalidité. Par décision du 18.09.2008, l’office AI lui a alloué une demi-rente d’invalidité à partir du 01.11.2006. Pour le calcul du montant de la rente, il s’est fondé sur un revenu annuel moyen déterminant de 11’934 fr., une durée de cotisations de 6 ans et l’échelle de rente 44 (rente complète).

En décembre 2017, l’assurée a demandé une révision de son droit à la rente, indiquant une aggravation de son état de santé. Le 15.11.2018, l’office AI a rendu une décision par laquelle il a révisé la prestation et reconnu le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 75% dès le 01.12.2017. Le montant de la rente a été fixé à 1175 fr. par mois, en fonction d’un revenu annuel moyen déterminant de 12’690 fr., d’une durée de cotisations de 6 ans et de l’échelle de rente 44 (rente complète).

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2018 319 – consultable ici)

Par jugement du 30.01.2020, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et renvoyant la cause à l’office AI « pour nouveau calcul du montant de la rente entière, dans le cadre duquel seront également prises en compte les années de cotisations accomplies jusqu’en 2017, et notamment les gains réalisés dans le cadre de l’activité exercée plusieurs années à 50% ».

 

TF

En vertu de l’art. 36 al. 2 LAI, les dispositions de la LAVS sont applicables par analogie au calcul des rentes ordinaires. Le Conseil fédéral peut édicter des dispositions complémentaires.

Les « principes à la base du calcul des rentes ordinaires » font l’objet des art. 29bis à 33ter LAVS. Conformément à l’art. 29bis al. 1 LAVS, le calcul de la rente est déterminé par les années de cotisations, les revenus provenant d’une activité lucrative ainsi que les bonifications pour tâches éducatives ou pour tâches d’assistance entre le 1er janvier qui suit la date où l’ayant droit a eu 20 ans révolus et le 31 décembre qui précède la réalisation du risque assuré (âge de la retraite ou du décès).

La durée de cotisation est réputée complète lorsqu’une personne présente le même nombre d’années de cotisations que les assurés de sa classe d’âge (art. 29ter al. 1 LAVS). Sont considérées comme années de cotisations, notamment les périodes pendant lesquelles une personne a payé des cotisations (art. 29ter al. 2 let. a LAVS).

Selon l’art. 29quater LAVS, la rente est calculée sur la base du revenu annuel moyen. Celui-ci se compose des revenus de l’activité lucrative (let. a), des bonifications pour tâches éducatives (let. b) et des bonifications pour tâches d’assistance (let. c). Les revenus d’une activité lucrative sur lesquels des cotisations ont été versées sont pris en considération (art. 29quinquies al. 1 LAVS). La somme des revenus de l’activité lucrative est revalorisée en fonction de l’indice des rentes prévu à l’art. 33ter. Le Conseil fédéral détermine annuellement les facteurs de revalorisation (art. 30 al. 1 LAVS). La somme des revenus revalorisés provenant d’une activité lucrative et les bonifications pour tâches éducatives ou pour tâches d’assistance sont divisées par le nombre d’années de cotisations (art. 30 al. 2 LAVS).

Par ailleurs, selon l’art. 32 al. 1 RAI, les art. 50 à 53bis RAVS sont applicables par analogie aux rentes ordinaires de l’assurance-invalidité. En vertu de l’art. 32bis première phase RAI, lorsqu’un assuré dont la rente a été supprimée pour cause d’abaissement du degré de l’invalidité a, dans les trois ans qui suivent, de nouveau droit à une rente (art. 28 LAI) en raison de la même atteinte à la santé, les bases de calcul de l’ancienne rente restent déterminantes si cela est plus avantageux pour l’ayant droit.

 

La modification du degré d’invalidité de l’assurée et l’augmentation du droit à la rente (d’une demi-rente à une rente entière) qui en découle relèvent d’un cas de révision au sens de l’art. 17 LPGA. Dans une telle situation, selon la jurisprudence ainsi que la pratique administrative constantes, les bases de calcul pour le nouveau montant de la rente (échelle de rente et revenu annuel moyen déterminant) restent les mêmes que celles appliquées pour la rente allouée jusque-là (ATF 126 V 157; arrêts 8C_775/2015 du 21 mars 2016 consid. 2.1.1, 9C_240/2015 du 2 décembre 2015 consid. 4, 9C_123/2013 du 29 août 2013 consid. 2.2 et I 23/99 du 20 mai 1999 consid. 2a; ch. 5629 des Directives de l’OFAS concernant les rentes [DR] de l’assurance vieillesse, survivants et invalidité fédérale [état au 1er janvier 2019]).

En particulier, le Tribunal fédéral a retenu dans ce contexte la conformité à la loi (art. 29bis al. 1 LAVS en corrélation avec l’art. 36 al. 2 LAI) du ch. 5629 première phrase (alors 5627) DR, selon lequel si une modification du degré de l’invalidité influe également le droit à la rente (rente entière, trois quarts de rente, demi-rente ou quart de rente), les mêmes bases de calcul que celles applicables à la rente versée jusque-là continuent de s’appliquer à la nouvelle rente (échelle de rentes et revenu annuel moyen déterminant). Cette solution a été reprise sans commentaire dans la doctrine (MICHEL VALTERIO, Droit de l’assurance-vieillesse et survivants [AVS] et de l’assurance-invalidité [AI], 2011, n° 2233 p. 602; MEYER/REICHMUTH, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], 3e éd. 2014, n° 9 ad art. 36; cf. aussi, THOMAS FLÜCKIGER qui qualifie les facteurs de calcul du montant de la rente d’éléments statiques [« statische Faktoren »], Rentenrevision nach Art. 17 Abs. 1 ATSG: In welche Richtung weist die [neuere] Rechtsprechung?, in Sozialversicherungsrechtstagung, 2019, p. 157 ss, p. 185).

 

Dans la mesure où la juridiction cantonale considère tout d’abord que l’« importante disproportion entre le revenu annuel déterminant et la perte de gain subie » (à la suite de l’aggravation de l’état de santé) par l’assurée s’apparente à une inégalité de traitement et constituerait donc un fait pertinent justifiant un traitement différent de celui des situations déjà jugées par le Tribunal fédéral, elle ne peut être suivie.

Dans les deux cas cités par la juridiction cantonale (ATF 126 V 157 et arrêt 9C_240/2015 du 2 décembre 2015), le litige portait comme en l’espèce sur les bases de calcul de la rente d’invalidité qui devait être adaptée à la suite d’une modification (augmentation) du degré d’invalidité en raison de la péjoration de l’état de santé de la personne assurée. Il s’agissait singulièrement de savoir si l’évolution ou la variation des éléments de calcul de la rente prévus par l’art. 29bis al. 1 LAVS (années de cotisations, revenus provenant d’une activité lucrative et bonifications pour tâches éducatives) survenus postérieurement à la survenance du risque invalidité devait être prise en considération pour calculer le montant de la prestation. Or cette norme, telle qu’interprétée par le Tribunal fédéral, ne prévoit pas la prise en compte des éléments de calcul qui auraient subi une modification postérieurement à l’octroi initial de la rente.

Il en va ainsi indépendamment du point de savoir si l’évolution en cause conduirait à une situation plus ou moins favorable pour l’assuré du point de vue du montant de la rente. Ainsi, le fait que le titulaire de la rente a été en mesure de réaliser subséquemment des revenus – inférieurs ou supérieurs au revenu moyen déterminant retenu comme base de calcul – soumis à cotisations n’est pas pris en compte lors d’un nouveau calcul du montant de la rente d’invalidité. En particulier, l’application de l’art. 29bis al. 1 LAVS n’est pas subordonnée à une condition relative à la proportion ou à la disproportion entre le revenu moyen déterminant servant au calcul du montant de la prestation (initiale) et « la perte de gain subie », voire entre la « perte de gain finale et le montant de la nouvelle rente à verser », telle qu’évoquée par la juridiction cantonale. Cet aspect n’a ainsi joué aucun rôle dans la situation où une assurée, dont le quart de rente alloué depuis le 01.11.1988 (sur la base d’une durée de cotisations de deux ans et trois mois) avait été augmenté à une rente entière dès le 01.07.1997, requérait que cette nouvelle prestation fût déterminée en fonction des revenus obtenus durant les dix années précédentes (arrêt I 23/99 cité). Il n’y a pas lieu de traiter différemment l’assurée en l’espèce, sa situation étant en tout point semblable à celle de l’assurée dont la cause a été jugée le 20 mai 1999 (sur le principe d’égalité de l’art. 8 al. 1 Cst., ATF 144 I 113 consid. 5.1.1 p. 115; 143 I 361 consid. 5.1 p. 367 s.; 142 V 316 consid. 6.1.1 p. 323). En tant que le Tribunal cantonal rattache l’inégalité de traitement à la disproportion mentionnée – sans en définir plus précisément les contours -, il retient une circonstance qui n’est pas pertinente aux termes de la loi pour le calcul de la rente. On ne saurait dès lors considérer que l’absence d’un « rapport d’équivalence » entre la perte de gain finale et le montant de la nouvelle rente à verser justifie un traitement différent de l’assurée, à savoir de ne pas soumettre le calcul de sa rente aux modalités découlant de l’art. 29bis al. 1 LAVS.

Dans ce contexte, l’argumentation de l’assurée fondée sur l’interdiction de la discrimination indirecte au sens de l’art. 8 al. 2 Cst. méconnaît que l’art. 29bis LAVS s’applique en principe par analogie au calcul de la rente d’invalidité de chaque titulaire d’une rente, quelle que soit la cause de son invalidité et indépendamment du moment où survient l’invalidité dans son parcours de vie. En règle générale, tombe ainsi sous le coup de cette disposition le calcul de la rente d’invalidité d’une personne devenue invalide peu après la fin de ses études, d’une personne atteinte dans sa santé depuis la naissance ou d’une personne subissant une invalidité alors qu’elle a exercé une activité lucrative pendant de nombreuses années. Le désavantage dont se prévaut l’assurée résulterait de la même manière, en fonction du moment où survient l’invalidité, pour une personne qui deviendrait invalide au tout début de sa carrière professionnelle. Il ne relève donc pas d’une discrimination indirecte des personnes souffrant d’une infirmité congénitale grave, telle qu’invoquée à tort.

 

En ce qui concerne ensuite les considérations de la juridiction cantonale tirées des différences fondamentales entre le domaine de l’AI et celui de l’AVS, selon lesquelles l’aggravation d’une perte de gain liée à l’invalidité serait, dans certaines circonstances – telles qu’en l’espèce – assimilable à un nouveau risque justifiant l’octroi d’une rente entière, elles reposent sur une interprétation erronée de la survenance du risque invalidité au sens de la LAI. Elles méconnaissent que l’augmentation du degré d’invalidité à la suite d’une aggravation de l’état de santé justifiant une rente plus élevée constitue un cas de révision et non pas un nouveau cas d’invalidité.

Selon le droit en vigueur, l’invalidité est réputée survenue dès qu’elle est, par sa nature et sa gravité, propre à ouvrir droit aux prestations entrant en considération (art. 4 al. 2 LAI). Une fois que l’invalidité est survenue (au sens de l’art. 4 al. 2 en relation avec les art. 36 al. 1 LAI [droit à une rente ordinaire] et 28 al. 1 LAI), le fait qu’une aggravation de l’état de santé de l’assuré (ou des changements de sa situation économique et personnelle) conduise ultérieurement à revoir le taux d’invalidité et à modifier le droit initial à une rente d’invalidité ne permet pas de retenir l’existence d’un nouveau cas d’assurance susceptible de conduire à la reconnaissance d’une prestation fondée sur de nouvelles bases de calcul. La loi ne le prévoit pas, pas plus qu’elle n’envisage la survenance du risque « invalidité partielle » ou « invalidité augmentée » (« Teil- oder Mehrinvalidität » [arrêt I 76/05 du 30 mai 2006 consid. 3 et 4]). Une nouvelle invalidité ne peut survenir en relation avec le droit à une rente d’invalidité à la suite de l’allocation antérieure d’une telle prestation que si le droit initial a été entre-temps supprimé, entraînant une période sans prétention à une rente (cf. ATF 108 V 70 consid. 1 p. 70 s.), l’éventualité de la « renaissance de l’invalidité » dans les trois ans après la suppression de la rente prévue par l’art. 32bis première phrase RAI étant réservée.

A l’occasion des arrêts I 23/99 (consid. 2b) et I 76/05 (consid. 3 et 4) cités, le Tribunal fédéral a mis en évidence les effets difficilement prévisibles, associés à des difficultés de nature matérielle et formelle, qu’impliquerait l’admission d’un nouveau cas d’assurance entraînant le calcul de la rente d’invalidité modifiée sur de nouvelles bases lorsqu’une aggravation de l’état de santé conduit à une modification du degré d’invalidité avec répercussion sur la prétention à la rente. Il suffit de citer à cet égard la question de savoir s’il y aurait lieu de procéder à deux (voire plusieurs) calculs partiels de la rente ou à un calcul global en fonction des nouvelles bases de calcul, la question du sort des situations dans lesquelles la modification du revenu annuel moyen déterminant survenue postérieurement à l’octroi initial de la rente conduirait à un résultat plus défavorable pour l’assuré ou encore le risque d’inégalité de traitement, par exemple, pour l’assuré qui a été en mesure d’augmenter son revenu annuel moyen après l’allocation de la rente mais dont le degré d’invalidité n’a pas subi de modification déterminante.

En définitive, la solution retenue par les premiers juges correspond à une modification de la jurisprudence sur l’art. 29bis al. 1 LAVS en relation avec l’art. 36 al. 2 LAI, sans que les conditions n’en soient toutefois réalisées. Un changement de la pratique en cours doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs qui, dans l’intérêt de la sécurité du droit, doivent être d’autant plus importants que la pratique considérée comme erronée, ou désormais inadaptée aux circonstances, est ancienne (ATF 146 I 105 consid. 5.2.2 p. 111 s.; 142 V 112 consid. 4.4 p. 117 et les arrêts cités).

A l’origine de la LAI, la Commission fédérale d’experts pour l’introduction de l’assurance-invalidité, consciente de l’importance de la notion de la réalisation du risque assuré, avait examiné les différentes définitions qui pouvaient être données à ce sujet. Au regard de l’AVS où « l’évènement assuré est ou la mort ou la limite d’âge », elle a retenu que la réalisation du risque invalidité se situe au moment où sont remplies pour la première fois les conditions légales d’invalidité, sans qu’il faille rechercher si les autres conditions du droit aux prestations le sont également (Rapport du 30 novembre 1956, tiré à part p. 44 s.; cf. aussi RCC 1967 p. 12 s.). Ce moment de la survenance du risque est ensuite déterminant pour le calcul de la rente, puisqu’il délimite le cadre temporel dans lequel sont pris en considération les années de cotisations, les revenus provenant d’une activité lucrative et les bonifications pour tâches éducatives ou pour tâches d’assistance, en fonction desquels est calculée la rente d’invalidité, en vertu de l’art. 29bis al. 1 LAVS en relation avec l’art. 36 al. 2 LAI.

A l’entrée en vigueur de la LAI, le 1er janvier 1960, le législateur a introduit l’art. 36 al. 3 aLAI (RO 1959 857), selon lequel si l’assuré n’a pas encore atteint sa cinquantième année lors de la survenance de l’invalidité, la cotisation annuelle moyenne sera majorée d’un supplément (selon un barème établi par le Conseil fédéral). La norme, qui se fondait uniquement sur l’âge – baissé par la suite à quarante-cinq ans – sans tenir compte du niveau effectif du revenu de l’assuré, ne réalisait pas nécessairement dans chaque cas particulier son objectif, qui était d’améliorer la situation des assurés « frappés d’invalidité avant d’avoir atteint un plein revenu » (ATFA 1962 150 consid. 2 p. 156). Il s’agissait de tenir compte de la situation particulière des jeunes assurés, qui, au début de leur carrière professionnelle, réalisaient fréquemment des gains modestes ; sans le supplément prévu, leur rente aurait été peu élevée (Message du 5 mars 1990 concernant la dixième révision de l’assurance-vieillesse et survivants, FF 1990 II 1 ss, ch. 314.2 p. 39). Cette disposition – et le « supplément de carrière » qu’elle prévoyait – a été abrogée avec effet au 31 décembre 2007, au motif d’éviter de verser à un bénéficiaire une rente supérieure au dernier gain qu’il a tiré de l’exercice d’une activité lucrative (Message du 22 juin 2005 concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [5e révision de l’AI], FF 2005 4215 ch. 2.1 p. 4323).

Lors des travaux de la huitième révision de l’AVS, la situation des assurés devenus invalides « au cours de leurs jeunes années, soit après l’achèvement de leur formation professionnelle » a été discutée et le législateur a prévu une nouvelle disposition conduisant à une augmentation du montant de la rente pour les personnes atteintes d’invalidité avant leur vingt-cinquième anniversaire. Il s’agissait notamment de placer ces assurés sur pied d’égalité avec celles qui sont invalides depuis leur naissance ou leur enfance et d’assurer que ces jeunes invalides, qui n’ont payé que des cotisations relativement basses, ne soient pas désavantagés et reçoivent dès lors une « garantie minimum » (cf. art. 37 al. 2 LAI; Message du 11 octobre 1971 concernant la huitième révision de l’assurance-vieillesse et survivants, FF 1971 II 1057, ch. 332 p. 1100 et ch. 62 p. 1141 s.).

Ces interventions du législateur montrent que la situation des jeunes personnes qui ont subi une invalidité au début du parcours professionnel a été prise en considération et fait l’objet d’une réglementation particulière, même si on peut douter de la pertinence de la suppression de l’art. 36 al. 3 aLAI. Que cette réglementation ne soit pas entièrement satisfaisante et ne prévoie pas la prise en compte de l’évolution favorable de la carrière professionnelle du titulaire d’une rente de l’assurance-invalidité et des revenus réalisés après l’octroi initial de la prestation ne met pas en évidence une meilleure compréhension de la ratio legis qui justifierait une modification de la jurisprudence relative à l’art. 29bis al. 1 LAVS. Les effets de l’application de cette disposition ne conduit par ailleurs pas à un résultat à ce point choquant que l’intervention du juge apparaisse légitime, quoi qu’en dise l’assurée.

Le cas échéant, il appartiendrait au législateur de prévoir une disposition qui dérogerait à l’art. 29bis al. 1 LAVS pour permettre la prise en considération de l’évolution des revenus postérieurs à la survenance de l’invalidité, dans le cas d’une révision au sens de l’art. 17 LPGA. A cet égard, une telle dérogation ne ressort pas de l’art. 32bis RAI, dont est inspirée la solution retenue par la juridiction cantonale. Cette norme concerne la « renaissance de l’invalidité » et non pas la situation dans laquelle « à la suite d’une modification du degré d’invalidité, une demi-rente cède le pas à une rente entière, le texte clair des art. 4 al. 2 et 29 al. 1 aLAI (aujourd’hui art. 28 al. 1 let. b LAI) ne permettant aucune autre conclusion à cet égard » (arrêt I 81/90 du 23 avril 1991 consid. 4d).

Il résulte de ce qui précède que la solution à laquelle est parvenue la juridiction cantonale est contraire au droit.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_179/2020 consultable ici

 

 

Remarques : arrêt sur un sujet rarement abordé par le Tribunal fédéral. Peu de personnes assurées vérifient le montant de la rente et son calcul.

8C_450/2020 (d) du 15.09.2020 – Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA – 16 LPGA / Analyse comptable – Revenu sans invalidité – Revenu d’invalide

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_450/2020 (d) du 15.09.2020

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA / 16 LPGA

Analyse comptable – Revenu sans invalidité – Revenu d’invalide

 

Assuré, né en 1949, est le seul membre du conseil d’administration et l’unique actionnaire du bureau d’ingénieurs B.__ SA. Il travaille également pour l’entreprise en tant qu’employé. Le 03.11.2012, son index et son majeur droits se sont coincés dans la tondeuse à gazon, sectionnant une partie desdits doigts.

Par courrier du 19.09.2016, l’assurance-accidents a informé l’assuré que, selon un examen médical, aucun autre traitement n’était nécessaire, raison pour laquelle elle a mis fin aux prestations précédentes à compter du 31.10.2016. Par décision du 27.01.2017, confirmée sur opposition le 27.09.2018, l’assurance-accidents a refusé l’octroi d’une rente d’invalidité, motif pris qu’il n’y avait pas d’atteinte significative à la capacité de gain à la suite de l’accident. Toutefois, elle a accordé à l’assuré une IPAI de 7,5%.

 

Procédure cantonale

Le tribunal cantonal a déterminé le revenu sans invalidité sur la base des inscriptions au compte individuel (CI), en prenant la moyenne des cinq dernières années avant l’accident (2007-2011). L’année d’accident 2012 n’a pas été prise en compte, car l’assuré n’avait pas travaillé à 100% cette année-là en raison d’une incapacité totale de travail à partir de la date de l’accident. En outre, lui seul avait pu déterminer quel salaire il réglerait avec la caisse de compensation, de sorte que des considérations ou réflexions de techniques d’assurance ne pouvaient être exclues. En tout état de cause, la raison pour laquelle les documents comptables font apparaître un salaire brut de CHF 106’300 pour 2012, alors qu’un salaire brut de CHF 135’300 avait été enregistré dans le CI, n’est pas claire. Sur la base des inscriptions pour les années 2007 à 2011, la cour cantonale a calculé – en tenant compte de l’évolution nominale des salaires – un revenu de CHF 99’984,32 (valeur 2016). Les juges cantonaux ont également souligné que même si l’on prenait en compte les trois dernières années (CHF 103’984,51) ou même seulement la dernière année avant l’accident (CHF 130’485,75), cela n’entraînerait pas un degré d’invalidité justifiant une rente.

Pour déterminer le revenu d’invalide, le tribunal cantonal a pris en compte les revenus enregistrés au CI pour les années 2013 à 2016, en ajoutant aux revenus individuels les paiements de dividendes dépassant 10% de la valeur fiscale de l’entreprise – par analogie à la « Nidwaldner Praxis » développée dans la jurisprudence sur les cotisations AVS (cf. ATF 134 V 297) – et en indexant les résultats respectifs à l’évolution nominale des salaires jusqu’en 2016. Le revenu d’invalide moyen (2013-2016) est de CHF 156’856,94.

Par jugement du 02.06.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le tribunal cantonal a considéré que l’assuré était le seul directeur général, le seul membre du conseil d’administration et le seul employé du bureau d’ingénieurs B.__ SA. Il était habilité à disposer du capital de la société et à prendre seul toutes les décisions concernant la société. Par conséquent, bien qu’il soit officiellement un employé de la société anonyme, il est assimilé à un travailleur indépendant au regard de la législation sur la sécurité sociale. Ceci n’est à juste titre remis en cause par aucune partie (voir SVR 2019 UV n° 3 p. 9, 8C_121/2017 consid. 7.1 et les références ; arrêts 8C_202/2019 du 9 mars 2020 consid. 3.3 ; 9C_453/2014 du 17 février 2015 consid. 4.2).

 

Revenu d’invalide

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. Si l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et encore que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 143 V 295 consid. 2.2 p. 296 ; 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475 ; 126 V 75 consid. 3b/aa p. 76).

Dans le cas présent, il n’est pas contesté que le revenu d’invalide doit être déterminé sur la base de la situation professionnelle concrète.

Dans la mesure où l’assuré veut considérer, comme étant décisif pour la détermination du revenu d’invalide, uniquement le revenu gagné en 2016 selon l’inscription au compte individuel (CHF 51’036) en ajoutant les indemnités journalières LAA perçues cette année-là (CHF 16’851,25), il faut lui opposer qu’en tant qu’unique actionnaire et unique membre du conseil d’administration de la société, il a une influence déterminante sur la répartition du salaire/part des bénéfices. Par conséquent, la détermination du degré d’invalidité ne peut pas être basée uniquement sur l’extrait du compte individuel (cf. arrêt 8C_346/2012 du 24 août 2012 consid. 4.6). Outre le risque évident que le degré de l’incapacité de gain lui-même puisse être influencé, une telle approche créerait une nette inégalité de traitement par rapport aux travailleurs indépendants (propriétaires d’une entreprise individuelle) qui n’ont pas la possibilité de thésauriser/capitaliser les bénéfices (« Gewinne zu horten ») via des entités juridiques intermédiaires ou de les distribuer sous forme de dividendes. Il n’est donc pas contestable que le tribunal cantonal ait également pris en compte les bénéfices réalisés par le bureau d’ingénieurs B.__ SA pour déterminer le revenu d’invalide, d’autant plus que ceux-ci sont principalement imputables au travail de l’assuré et – compte tenu des circonstances économiques – doivent lui être attribués en tant qu’indépendant de fait. À cet égard, il n’est pas différent du cas d’un assuré non salarié qui est propriétaire d’une entreprise individuelle (cf. SVR 2019 UV n° 3 p. 9, 8C_121/2017 consid. 7.1 et 7.8 et les références ; arrêts 8C_928/2015 du 19 avril 2016 consid. 2.3.4 ; 9C_453/2014 du 17 février 2015 consid. 4.2 ; I 185/02 du 29 janvier 2003 consid. 3.3). Dans la mesure où le grief est dirigé contre la « Nidwaldner Praxis » appliquée par l’instance cantonale, l’assuré passe donc à côté de l’essentiel.

Les documents comptables de l’entreprise B.__ SA montrent qu’après l’accident de l’assuré en 2012, la société a réalisé des bénéfices au cours des années suivantes, de 2013 à 2016, à hauteur de CHF 148’301,85 (2013), CHF 228’086,64 (2014), CHF 168’215,21 (2015) et CHF 154 508,12 (2016). En 2013 et 2014, des montants de CHF 11’500 (2013) et CHF 5’000 (2014) ont été affectés à la réserve légale (voir dans ce contexte l’arrêt I 5/99 du 18 janvier 2000 consid. 3b/bb). En outre, des salaires bruts d’un montant de CHF 111’200 (2013), CHF 98’400 (2014), CHF 98’400 (2015) et CHF 96’868,80 (2016) ont été enregistrés dans les comptes, étant établi que l’entreprise B.__ SA n’emploie aucun autre employé que l’assuré. Même si la totalité du bénéfice de l’entreprise ne pouvait être prise en compte dans le revenu d’invalide, une perte de revenus pertinente due à l’accident en 2012 n’est pas discernable au vu des chiffres susmentionnés.

Il est vrai que les circonstances au moment de la naissance du droit à la rente sont déterminantes et que les revenus à comparer doivent être déterminés sur une base identique (ATF 129 V 222 consid. 4.3.1 p. 224). Toutefois, cela n’exclut pas, dans un cas particulier, de fonder la détermination du revenu d’invalide – de la même manière que pour le revenu sans invalidité (cf. arrêt 9C_651/2019 du 18 février 2020 consid. 6.2) – sur les revenus moyens réalisés pendant une période plus longue (arrêts 8C_228/2020 du 28 mai 2020 consid. 4.1.3 ; 8C_121/2017 du 5 juillet 2018 consid. 7.8 ; 9C_812/2015 du 7 juillet 2016 consid. 5.2 ; 9C_479/2015 du 22 décembre 2015 consid. 4.1).

 

Revenu sans invalidité

Dans son rapport daté du 17 août 2016, l’expert-comptable mandaté par l’assurance-accidents a déclaré que la société d’ingénierie dépendait des prestations de l’assuré. Par conséquent, la baisse de rendement se répercuterait principalement sur les postes du résultat d’exploitation (revenus), du travail fourni par des tiers et des dépenses de personnel. L’analyse a montré une forte augmentation du résultat d’exploitation au cours de l’exercice 2007. Les années suivantes, les résultats d’exploitation avaient encore diminué jusqu’à l’exercice 2010. Une augmentation marquée et ponctuelle a été à nouveau perceptible au cours de l’exercice 2011. Au cours des deux années suivantes, les résultats d’exploitation ont de nouveau diminué de manière constante avant d’augmenter à nouveau au cours de l’exercice 2014. L’expert-comptable a souligné que le résultat d’exploitation de l’exercice 2014 était le deuxième meilleur résultat de la période considérée. Il a également souligné que la société travaillait avec des indépendants pour gérer les pics de travail. Au cours de l’exercice 2014, les dépenses consacrées aux travaux fournis par des tiers ont augmenté à la fois en termes absolus et en proportion des résultats d’exploitation. Cependant, une comparaison sur plusieurs années a montré que les dépenses se situaient dans la fourchette atteinte avant l’accident. L’expert-comptable a conclu qu’aucune perte liée à un accident ne pouvait être déduite des chiffres de l’entreprise.

Selon le Tribunal fédéral, les documents comptables pour les années 2015 et 2016 montrent que des bénéfices élevés ont également été réalisés au cours de ces années – même en tenant compte de l’augmentation de la part des travaux de tiers. Dans le passé, de meilleurs résultats d’exploitation n’ont été obtenus qu’en 2011 et en 2012, année de l’accident. Contrairement aux allégations de l’assuré, une baisse marquée des commandes n’est pas évidente dans les années 2015 et 2016. Ainsi, au cours de ces années, le montant des honoraires se sont élevés à CHF 604’625,50 (2015) et CHF 506’510,50 (2016), ce qui représente une diminution par rapport à l’année la plus fructueuse à ce jour, à savoir 2011. Toutefois, le montant des honoraires est sensiblement plus élevé que celui de 2004 à 2010 et est comparable à celui de 2012 à 2014, de sorte que l’analyse économique/comptable reste tout à fait pertinente pour les questions dont il est question ici.

Ensuite, contrairement à ce qui est indiqué dans le recours, ce n’est pas le résultat opérationnel 1 [« Betriebsergebnis 1 »] (bénéfice brut 1 moins les charges de personnel et d’exploitation) des années 2004 à 2012 qui s’est élevé en moyenne à CHF 393’729,68, mais le bénéfice brut 1 (résultat d’exploitation [« Betriebsertrag »] moins le travail de tiers).

En comparaison, le bénéfice brut 1 moyen pour les années 2013 à 2017 s’élève à CHF 415’381,00. L’assuré n’est pas non plus en mesure de tirer quelque chose en sa faveur de cette comparaison. En outre, il n’y a pas d’éléments concrets indiquant que les travaux effectués avant l’accident n’auraient pas été comptabilisés dans l’exercice concerné. Enfin, l’assuré ne prouve pas que le développement de l’entreprise aurait été économiquement bien meilleur sans les atteintes à la santé.

A l’aune de ce qui précède, c’est à bon droit que la cour cantonale a (également) nié une incapacité de gain liée à l’accident, sur la base de l’analyse des résultats d’exploitation de l’entreprise B.__ SA et au vu des documents comptables des années 2015 et 2016.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_450/2020 consultable ici

Proposition de citation : 8C_450/2020 (d) du 15.09.2020 – Incapacité de gain pour un assuré seul membre du conseil d’administration et actionnaire unique d’une SA, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/01/8c_450-2020)

 

9C_759/2019 (f) du 31.07.2020 – Nouvelle demande AI après 3 précédents refus – Conditions de la révision – 17 LPGA – 87 al. 2 RAI / Pas de notable modification malgré la modification des limitations fonctionnelles retenues lors du dernier refus – Nature de l’activité adaptée encore exigible aux limitations fonctionnelles serait inchangée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_759/2019 (f) du 31.07.2020

 

Consultable ici

 

Nouvelle demande AI après 3 précédents refus – Conditions de la révision / 17 LPGA – 87 al. 2 RAI

Pas de notable modification malgré la modification des limitations fonctionnelles retenues lors du dernier refus – Nature de l’activité adaptée encore exigible aux limitations fonctionnelles serait inchangée

Pas de prise en compte du critère de l’âge de l’assurée (proche de l’âge donnant droit à la rente de vieillesse)

 

Assurée, née le 10.09.1956, ayant travaillé en qualité de couturière à l’étranger, ainsi qu’en tant qu’employée de maison et de concierge en Suisse. Les 14.04.2004, 27.03.2009 et 15.10.2010, elle a déposé successivement trois demandes de prestations de l’assurance-invalidité. Celles-ci ont toutes été rejetées par l’office AI, la dernière fois par décision du 04.06.2012 (confirmée par jugement du tribunal cantonal du 20.11.2012).

En juillet 2013, le médecin traitant de l’assurée a annoncé une aggravation de l’état de santé de sa patiente. L’office AI est entré en matière sur cette quatrième demande. L’administration a confié un mandat d’expertise à un spécialiste en chirurgie orthopédique. Dans son rapport du 27.08.2018, ce médecin a conclu à une capacité de travail entière dans une activité adaptée, respectivement de 50% dans l’ancienne activité. Par décision du 04.02.2019, l’office AI a fixé le taux d’invalidité à 34% et rejeté la demande.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/810/2019 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont constaté que l’état de santé de l’assurée s’était modifié entre la 3e et la 4e demande de prestations. D’une part, il s’était amélioré s’agissant des atteintes aux épaules, mais d’autre part il s’était aggravé au niveau des membres inférieurs avec l’apparition de gonalgies, lesquelles avaient entraîné des limitations fonctionnelles supplémentaires. L’instance cantonale a aussi constaté que cette évolution de l’état de santé n’avait pas abouti à une modification de la capacité de travail qui s’élevait toujours à 50% dans l’activité habituelle et à 100% dans l’activité adaptée.

Les juges cantonaux se sont ensuite référés à la jurisprudence relative à l’évaluation de l’invalidité d’un assuré proche de l’âge donnant droit à la rente de vieillesse, laquelle prescrit de procéder à une analyse globale de la situation et de se demander si, d’une manière réaliste, l’assuré est encore en mesure de retrouver un emploi sur un marché équilibré du travail (cf. ATF 138 V 457 consid. 3.1 p. 459 et les références; arrêt 9C_899/2015 du 4 mars 2016 consid. 4.3). Dans ce contexte, ils ont considéré que la modification de l’état de santé avait eu une incidence sur la nature de l’activité adaptée encore exigible, laquelle devait épargner non seulement les membres supérieurs mais désormais également les genoux (pas d’activités en position agenouillée ou accroupie, pas de déplacements répétés dans les escaliers). Les juges ont admis que même si l’assurée avait changé d’activité à la suite de l’arrêt du 20.11.2012, un nouveau changement d’activité aurait pu être rendu nécessaire compte tenu des limitations fonctionnelles nécessitées par l’atteinte aux genoux. L’assurée pouvait ainsi invoquer son âge de 62 ans (au moment de l’expertise), considéré comme avancé. Son invalidité devait en conséquence être évaluée en fonction de la capacité de travail résiduelle de 50% dans l’activité habituelle qu’elle exerçait avant la survenance de l’atteinte à la santé, ce qui ouvrait droit à la demi-rente.

Par jugement du 10.09.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et mettant l’assurée au bénéfice d’une demi-rente d’invalidité dès le 01.01.2014, fondée sur un degré d’invalidité de 50%.

 

TF

L’art. 17 al. 1 LPGA n’exige pas une modification notable des circonstances prévalant lors de l’octroi de la rente mais une modification notable du degré d’invalidité. Selon la jurisprudence, le changement de circonstances propre à légitimer la révision des rentes d’invalidité ou des autres prestations durables peut ainsi consister en une modification sensible non seulement d’un état de santé mais aussi des conséquences sur la capacité de gain d’un état de santé inchangé (ATF 141 V 9 consid. 2.3 p. 10; 134 V 131 consid. 3 p. 132; 133 V 545 consid. 6.1 p. 546 et 7.1 p. 548 et les références; arrêt 9C_821/2018 du 4 février 2019 consid. 4.1).

Sous l’angle des conditions de la révision, on constate que le spectre légèrement modifié des limitations fonctionnelles subies par l’assurée par rapport à la situation qui prévalait en 2012, ne constitue pas une modification motivant une révision. En effet, la nature de l’activité adaptée encore exigible aux limitations fonctionnelles serait inchangée. Une telle activité ferait toujours partie des activités simples et répétitives telles que prises en compte dans les statistiques salariales de l’ESS et dont peu d’entre elles s’accomplissent à genoux, accroupi ou entraînent des déplacements répétés dans les escaliers. La capacité de gain (théorique) de l’assurée n’en serait dès lors pas modifiée ni, en conséquence, le degré d’invalidité. A défaut d’une modification notable, le taux d’invalidité n’avait pas à être fixé à nouveau en prenant en compte le critère de l’âge de l’assurée (cf. à ce sujet arrêt 9C_899/2015 précité).

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_759/2019 consultable ici

 

 

Développement continu de l’AI : ordonnances mises en consultation

Développement continu de l’AI : ordonnances mises en consultation

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 04.12.2020 consultable ici

 

Le développement continu de l’assurance-invalidité (AI) apporte des améliorations en faveur des enfants et des jeunes ainsi que des personnes souffrant de troubles psychiques. L’objectif de la réforme est de mieux soutenir les personnes concernées afin de prévenir l’invalidité et de renforcer la réadaptation. Le Parlement a adopté la révision de la loi à l’été 2020 et son entrée en vigueur est prévue pour 2022. La mise en œuvre nécessite de nombreuses adaptations dans diverses ordonnances. Lors de sa séance du 04.12.2020, le Conseil fédéral a ouvert la procédure de consultation, qui durera jusqu’au 19.03.2021.

 

Les dispositions d’ordonnance concernent notamment les principales nouveautés exposées ci-après.

Renforcement des mesures de réadaptation professionnelle

Le développement continu de l’AI vise en particulier à soutenir de façon encore plus ciblée les enfants et les jeunes en situation de handicap ainsi que les personnes atteintes dans leur santé psychique, ceci afin de renforcer leur potentiel de réadaptation et d’améliorer leur aptitude au placement. A cette fin, un renforcement de la collaboration entre l’AI et les acteurs impliqués, en particulier les médecins traitants et les employeurs, sera notamment inscrit au niveau réglementaire. En outre, les mesures existantes et nouvelles en faveur des jeunes seront coordonnées et davantage orientées vers le marché primaire du travail.

 

Mise à jour de la liste des infirmités congénitales

La réforme inscrit dans la loi des critères clairs pour déterminer si une maladie est considérée comme une infirmité congénitale, et donc si l’AI prend en charge les coûts de son traitement. La liste des infirmités congénitales sera mise à jour. Les maladies qui peuvent aujourd’hui être traitées facilement seront à l’avenir prises en charge par l’assurance-maladie. À l’inverse, de nouvelles maladies, surtout des maladies rares, seront ajoutées à la liste et leurs frais de traitement seront remboursés par l’AI.

La tenue de la liste des infirmités congénitales sera désormais du ressort du Département fédéral de l’intérieur (DFI). L’ordonnance actuelle du Conseil fédéral sera donc remplacée par une ordonnance du département (OIC-DFI), ce qui facilitera la mise à jour régulière de la liste. Les critères d’admission des infirmités congénitales dans la liste seront définis en détail dans le règlement sur l’assurance-invalidité (RAI).

 

Remboursement de médicaments : création d’un centre de compétences

Pour les infirmités congénitales reconnues, l’AI prend aussi en charge les coûts des médicaments. Afin de simplifier la procédure et de concentrer les compétences techniques, une liste des spécialités sera créée pour l’AI (liste des spécialités en matière d’infirmités congénitales, LS IC). Elle recensera les médicaments remboursés par l’AI ainsi que leur prix maximal. Pour être admis sur la liste, les médicaments devront faire l’objet d’un examen basé sur les critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité. La nouvelle liste des spécialités de l’AI remplacera l’actuelle liste des médicaments destinés au traitement des infirmités congénitales (LMIC). Lorsqu’une personne assurée atteint l’âge de 20 ans, les médicaments remboursés par l’AI seront pris en charge dans la même mesure par l’assurance obligatoire des soins.

Un centre de compétences sera créé à l’Office fédéral de la santé publique pour la procédure d’admission et la tenue de la LS IC. En effet, l’office étant responsable de la liste des spécialités de l’assurance-maladie, il dispose déjà de l’expérience nécessaire en la matière.

 

Des mesures pour garantir la qualité et la transparence des expertises médicales

Dans le cadre du développement continu de l’AI, les mesures d’instruction et la procédure liée aux expertises médicales seront uniformisées pour toutes les assurances sociales. Lors de l’attribution de mandats d’expertise, l’assurance et la personne assurée devront se mettre d’accord sur un mandataire. En outre, les expertises deviendront plus transparentes : les entretiens entre experts et assurés feront désormais l’objet d’un enregistrement sonore, qui sera joint au dossier. En ce qui concerne l’AI en particulier, les offices AI tiendront une liste publique contenant des informations sur les experts auxquels ils font appel (nombre d’expertises effectuées, remboursements, incapacités de travail attestées, appréciations des expertises dans le cadre de décisions de justice).

Par ailleurs, les expertises bidisciplinaires seront désormais attribuées de manière aléatoire et uniquement à des centres d’expertises accrédités, comme c’est le cas aujourd’hui pour les expertises pluridisciplinaires. Afin de garantir la qualité des expertises, une commission extraparlementaire indépendante sera mise en place. Ses compétences et ses tâches seront définies au niveau réglementaire, tout comme les exigences relatives aux qualifications professionnelles des experts médicaux.

Plusieurs de ces mesures correspondent aux recommandations du rapport d’experts publié en octobre 2020 sur les expertises médicales dans l’assurance-invalidité.

 

Evaluation du taux d’invalidité : une réglementation plus claire

Avec l’introduction d’un système de rentes linéaire, l’exactitude du taux d’invalidité revêtira une plus grande importance. En effet, dans ce nouveau système, chaque point de pourcentage sera déterminant pour le calcul du montant de la rente. Afin d’accroître la sécurité juridique et l’uniformité, les principes essentiels de l’évaluation du taux d’invalidité seront désormais définis au niveau réglementaire et non plus par voie de directive. La réforme prévoit de nouvelles dispositions concernant les personnes travaillant à temps partiel, la comparaison du revenu réalisé avant la survenance de l’invalidité avec celui réalisable après, les personnes sans diplôme professionnel, les invalides précoces ou de naissance ainsi que les revenus particulièrement bas avant la survenance de l’invalidité. Ces nouveautés devraient profiter aux personnes assurées à différents égards.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 04.12.2020 consultable ici

Rapport explicatif pour la procédure de consultation du 04.12.2020 disponible ici

Modification du RAI consultable ici

Modification de l’OIC-DFI consultable ici

 

 

8C_1/2020 (f) du 15.10.2020 – Détermination de la méthode d’évaluation applicable pour un associé-gérant de deux Sàrl, dont il est également salarié – 18 LAA – 16 LPGA / Méthode extraordinaire / Frais de traduction de l’expertise économique réalisée sur mandat de l’assurance-accidents (allemand => français) – Principe de la territorialité des langues – 70 al. 1 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_1/2020 (f) du 15.10.2020

 

Consultable ici

 

Détermination de la méthode d’évaluation applicable pour un associé-gérant de deux Sàrl, dont il est également salarié / 18 LAA – 16 LPGA

Méthode extraordinaire

Frais de traduction de l’expertise économique réalisée sur mandat de l’assurance-accidents (allemand => français) – Principe de la territorialité des langues / 70 al. 1 Cst.

 

Assuré exerce conjointement avec son épouse la fonction d’associé-gérant des sociétés B.__ Sàrl et C.__ Sàrl, dont il est également salarié et dont le but social est l’exploitation de trois cafés-restaurants à U.__. Le 03.03.2011, il a été victime d’un accident de la circulation qui lui a causé diverses fractures au niveau du poignet droit et de l’épaule gauche. L’assurance-accidents a versé des indemnités journalières jusqu’au 31.08.2017.

Après avoir ordonné la mise en œuvre d’une expertise économique afin d’évaluer les revenus avec et sans invalidité, l’assurance-accidents a rendu une décision par laquelle elle a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 13% à compter du 01.09.2017. Rejet de l’opposition ainsi que de la demande de l’assuré de faire traduire en français le rapport d’expertise économique rédigé en allemand.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1052/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que la méthode extraordinaire était la plus appropriée pour déterminer le taux d’invalidité de l’assuré. A son avis, la comparaison des résultats d’exploitation effectuée par l’assurance-accidents ne permettait pas de chiffrer la perte de gain de manière fiable. En effet, l’assuré n’était pas à la tête d’une simple entreprise unipersonnelle mais était associé-gérant (avec son épouse) de deux entreprises exploitant trois restaurants. Il était ainsi nécessaire de distinguer sa situation personnelle de celles des entreprises, ce que l’expert mandaté par l’assurance-accidents n’avait pas fait. En outre, on ne pouvait pas exclure que des facteurs étrangers à l’atteinte dont souffrait l’assuré aient influencé le résultat de ces entreprises, ne serait-ce qu’au regard de la concurrence, de la conjoncture et compte tenu du fait que lesdites entreprises employaient un personnel relativement nombreux, dont plusieurs membres de sa famille. Par ailleurs, les données comptables relatives aux charges salariales variaient fortement d’une année à l’autre et apparaissaient partiellement contradictoires avec les chiffres communiqués à l’AVS. En pareilles circonstances, il n’était pas possible de distinguer la part du résultat d’exploitation qu’il fallait attribuer aux facteurs étrangers à l’invalidité de celle qui revenait à la propre prestation de travail de l’assuré. Enfin, les juges cantonaux ont relevé qu’en chiffrant le revenu d’invalide en fonction du résultat d’exploitation et du salaire déclaré à l’AVS pour l’année 2012, l’expert avait méconnu que pour procéder à une comparaison des revenus, il convenait de se placer au moment de la naissance du droit à la rente, en l’occurrence au 01.09.2017, soit à une période pour laquelle on ne disposait d’aucun renseignement sur le revenu perçu par l’assuré.

La juridiction cantonale a confié la traduction en français du rapport d’expertise économique à un traducteur-juré.

Par jugement du 13.11.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 35% dès le 01.09.2017. Elle a en outre mis à la charge de l’assurance-accidents les frais de traduction du rapport d’expertise économique, à hauteur de 562 fr. 20.

 

TF

Méthode d’évaluation applicable

Chez les assurés exerçant une activité lucrative, le taux d’invalidité doit être évalué sur la base d’une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus ; ATF 137 V 334 consid. 3.3.1 p. 337).

Lorsque l’assuré est une personne de condition indépendante, la comparaison porte sur les résultats d’exploitation réalisés dans son entreprise avant et après la survenance de l’invalidité. Ce n’est que si ces données comptables ne permettent pas de tirer des conclusions valables sur la diminution de la capacité de gain due à l’invalidité – ce qui est le cas lorsque les résultats de l’exploitation ont été influencés par des facteurs étrangers à l’invalidité – que le taux d’invalidité doit être évalué en application de la méthode extraordinaire (consistant à évaluer le taux d’invalidité d’après l’incidence de la capacité de rendement amoindrie sur la situation économique concrète). Les résultats d’exploitation d’une entreprise dépendent en effet souvent de nombreux paramètres difficiles à apprécier, tels que la situation conjoncturelle, la concurrence, l’aide ponctuelle des membres de la famille, des personnes intéressées dans l’entreprise ou des collaborateurs, lesquels constituent des facteurs étrangers à l’invalidité. Ainsi, il convient, dans chaque cas, afin de déterminer la méthode d’évaluation applicable, d’examiner si les documents comptables permettent ou non de distinguer la part du revenu qu’il faut attribuer aux facteurs étrangers à l’invalidité de celle qui revient à la propre prestation de travail de l’assuré (arrêts 9C_826/2017 du 28 mai 2018 consid. 5.2; 9C_106/2011 du 14 octobre 2011 consid. 4.3 et les références). Sinon, il faut, en s’inspirant de la méthode spécifique pour personnes sans activité lucrative dans l’assurance-invalidité (art. 28a al. 2 LAI, en relation avec les art. 27 RAI et 8 al. 3 LPGA), procéder à une comparaison des activités pour déterminer quel est l’empêchement provoqué par l’atteinte à la santé, puis apprécier séparément les effets de cet empêchement sur la capacité de gain (ATF 128 V 29; arrêts 8C_312/2016 du 13 mars 2017 consid. 5.4.2, 9C_236/2009 du 7 octobre 2009 consid. 3.2, in SVR 2010 IV n° 11 p. 35).

 

En l’espèce, les circonstances justifient le choix des juges cantonaux d’appliquer la méthode extraordinaire pour déterminer le taux d’invalidité de l’assuré. En effet, il ressort du rapport d’expertise économique que, postérieurement à la survenance de l’atteinte à la santé en 2011 et jusqu’en 2015 (dernière année prise en compte par l’expert), le chiffre d’affaires et la masse salariale des entreprises de l’assuré ont varié tant à la hausse qu’à la baisse suivant les années, marquant néanmoins une légère progression par rapport à la période précédant l’accident (années 2008 à 2010). L’expert mentionne toutefois que les chiffres relatifs à la charge salariale diffèrent selon que l’on tient compte des données obtenues de la fiduciaire ou des indications de l’Office cantonal des assurances sociales de Genève. Quant au bénéfice, il a varié de manière considérable à la hausse en 2012 puis à la baisse en 2013 et 2014 avant de progresser à nouveau en 2015. Il n’est cependant pas possible d’établir si et dans quelle mesure une telle évolution est due exclusivement à l’invalidité, ou si elle a aussi été influencée par la conjoncture, le développement de l’entreprise ou d’autres facteurs étrangers à l’invalidité. L’assurance-accidents soutient d’ailleurs elle-même dans son mémoire de recours que les variations du bénéfice et du chiffre d’affaires ne découlent pas de l’accident. On ne peut pas non plus parler de constance au regard du chiffre d’affaires, des charges salariales et du bénéfice de l’exploitation au cours des années qui ont précédé l’atteinte à la santé. D’autres circonstances mises en évidences par la cour cantonale (participation dans plusieurs sociétés, le fait que l’assuré n’était pas l’ayant droit économique unique des sociétés, collaboration des membres de sa famille) empêchent également de déterminer de manière fiable les revenus avec et sans invalidité nécessaires à une comparaison des revenus. Enfin, l’évaluation de l’invalidité par les organes de l’assurance-invalidité n’ayant pas de force contraignante pour l’assureur-accidents (ATF 131 V 362 consid. 2.3 p. 368), la méthode appliquée par l’office AI compétent pour statuer sur le droit de l’assuré à une rente d’invalidité n’est pas déterminante en l’espèce, cela d’autant moins qu’il n’apparaît pas que la décision en question aurait fait l’objet d’un examen par le juge.

Dans ces conditions, les juges cantonaux étaient fondés à considérer la méthode extraordinaire comme étant la plus appropriée. Pour le surplus, l’assurance-accidents ne conteste pas la répartition des champs d’activité fixée par la juridiction cantonale, les pondérations avec et sans handicap, ni les taux d’incapacité de travail relatifs à ces champs d’activité.

 

Frais de traduction

L’assurance-accidents se plaint du fait que la cour cantonale a mis à sa charge les frais de traduction du rapport d’expertise économique. Elle fait valoir que ce document consistait surtout en des chiffres et que le conseil de l’assuré l’avait parfaitement comprise. En outre, la traduction n’était pas nécessaire dans la mesure où la cour cantonale a considéré que le rapport n’était pas pertinent en l’espèce.

Les juges cantonaux ont motivé leur décision de mettre à la charge de l’assurance-accidents les frais de traduction en application du principe de la territorialité des langues, de l’art. 70 al. 1 Cst., ainsi que de la jurisprudence et de la doctrine y relatives. Ils ont exposé en particulier qu’à Genève, tout document soumis au juge devait être rédigé dans la langue officielle ou accompagné d’une traduction dans cette langue ; cette règle valait pour tous les écrits émanant directement du juge ou des parties, ainsi que pour les pièces que celles-ci produisaient. Ils ont considéré en outre que l’on ne pouvait pas exiger du mandataire de l’assuré qu’il établisse à l’intention de son client une traduction littérale d’un rapport d’analyse économique et que selon la jurisprudence (ATF 128 V 34 [cité arrêt I 321/01 du 27 février 2002 dans le jugement cantonal]), une partie n’abusait pas de son droit en demandant la traduction de pièces rédigées dans une langue qu’elle connaissait parfaitement. L’assurance-accidents ne prend pas position à cet égard mais se limite à se prévaloir de la prétendue inutilité de la mesure. Or, il est constant que l’assurance-accidents s’est fondée sur le rapport d’expertise économique pour calculer le taux de la rente d’invalidité litigieuse et qu’il s’agissait ainsi d’une pièce essentielle du dossier de nature à sceller le sort de la procédure (cf. ATF 128 V 34 consid. 2b/bb p. 38). Quant au fait que ce rapport consiste essentiellement en des données chiffrées, cela a pour conséquence de réduire le travail du traducteur mais n’en rend pas moins utile la traduction de l’analyse et des explications de ces données. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à la cour cantonale d’avoir fait procéder à la traduction de l’expertise, quand bien même elle a jugé par la suite qu’une évaluation de l’invalidité selon la méthode de la comparaison des résultats d’exploitation n’était pas appropriée.

 

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_1/2020 consultable ici