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9C_60/2024 (f) du 04.07.2025 – Police de prévoyance liée et assurance-vie mixte – Participation aux excédents – Vérification par la FINMA des valeurs excédentaires déterminées par la compagnie d’assurance

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2024 (f) du 04.07.2025

 

Consultable ici

 

Police de prévoyance liée et assurance-vie mixte – Participation aux excédents / 82 LPP – 136 OS – 137 OS – 94 LCA

Vérification par la FINMA des valeurs excédentaires déterminées par la compagnie d’assurance

 

Résumé
Assurée ayant conclu en 2002 une police de prévoyance liée avec droit à participation aux excédents, elle s’est plainte à l’échéance auprès de la FINMA du montant de la participation aux excédents de 315 fr. 20, très inférieur aux projections, et a demandé une décision formelle. Après examen, la FINMA a indiqué que le calcul était conforme aux plans d’excédents de l’entreprise d’assurance approuvés par l’OFAP. Le tribunal cantonal et le Tribunal fédéral ont retenu que les explications de la FINMA étaient suffisantes, que le preneur n’avait pas droit à la documentation complète, que les projections ne constituaient pas des garanties et que les excédents ne visaient que les complémentaires. Le recours a été rejeté par le TF.

 

Faits
Architecte indépendante née en 1958, l’assurée a signé le 18.04.2002 une proposition d’assurance portant sur une police de prévoyance liée, comprenant notamment une assurance-vie mixte conclue pour vingt ans (01.06.2002 au 31.05.2022). Le contrat donnait droit à une participation aux excédents.

Le 29.08.2022, elle s’est adressée à la FINMA pour qu’elle contrôle la participation aux excédents de 315 fr. 20 figurant au décompte d’échéance du 3 août 2022. Elle relevait que ce montant ne correspondait pas aux projections annoncées (14’300 à 33’300 fr.) et a invité la FINMA à rendre une décision formelle. Par courriel du 02.09.2022, la FINMA a informé qu’elle ne rendait pas de décision sur les demandes de vérification des preneurs d’assurance mais les informait du résultat. Dans le cas d’espèce, elle a indiqué qu’aucune participation n’avait été attribuée pour l’assurance principale (assurance liée à des parts de fonds), tandis que, pour les assurances complémentaires (rente d’incapacité de gain, exonération des primes), une participation avait été attribuée en 2003 mais qu’à partir de 2004 aucune participation n’avait été attribuée. Le montant de 315 fr. 20 résultait de l’attribution des excédents, intérêts compris, et avait été calculé correctement.

Le 28.09.2022, l’assurée a invité la FINMA à expliquer les éléments fondant sa conviction quant à la régularité des calculs.

Le 20.12.2022, la FINMA a précisé que la participation aux excédents avait été calculée selon les plans d’excédents de l’entreprise d’assurance approuvés par l’ancien Office fédéral des assurances privées jusqu’en 2005 et que l’assureur avait respecté les dispositions réglementaires. Elle a ajouté que l’assurance avait procédé à la distribution des parts d’excédents selon des méthodes actuarielles reconnues sans que cela ne conduisît à une inégalité de traitement abusive, en versant une participation aux excédents pour les assurances ayant réalisé un bénéfice sur le marché et en ne versant pas de participation aux excédents pour les assurances ayant enregistré des pertes sur le marché.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/968/2023 – consultable ici)

Par jugement du 11.12.2023, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a exposé de manière complète les règles applicables à la participation du preneur d’assurance aux excédents en matière d’assurance-vie, en particulier à l’obligation de l’assureur de renseigner sur les méthodes, les principes et les bases de calcul régissant la distribution des excédents et la participation aux excédents (cf. art. 3 al. 1 let. e et f LCA dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021; art. 36 al. 2 de la loi fédérale du 17 décembre 2004 sur la surveillance des entreprises d’assurance [RS 961.01]; art. 136 et 137 de l’Ordonnance sur la surveillance des entreprises d’assurance privées du 9 novembre 2005 [OS; RS 961.011]).

À la suite de l’instance précédente, on rappellera que l’établissement d’assurance doit établir un décompte annuel compréhensible pour les preneurs d’assurance qui les renseigne sur la participation aux excédents (cf. ATF 148 IIII 201 consid. 3.3). Ce décompte doit mentionner les bases du calcul du bénéfice, la partie du bénéfice utilisée pour l’accroissement des provisions techniques et la clé de répartition du bénéfice restant. Il permet au preneur d’assurance de se faire une idée sur le développement de la participation aux excédents et, en cas de doute, d’exiger la vérification des valeurs auprès de la FINMA. En ce qui concerne plus spécifiquement la production des comptes détaillés de l’assurance, les juges cantonaux ont rappelé que la jurisprudence ne reconnaît pas ce droit au preneur d’assurance (cf. ATF 148 III 201 consid. 5.3 et 5.4). Le législateur a accordé au preneur d’assurance qui doute de l’exactitude des valeurs déterminées le droit d’exiger de la FINMA, en tant qu’autorité de surveillance (ou, jusqu’au 31 décembre 2008, de l’Office fédéral des assurances privées), qu’elle vérifie gratuitement si les valeurs excédentaires déterminées par la compagnie d’assurance correspondent aux bases actuarielles et au plan d’excédents (art. 92 al. 2 en relation avec l’art. 94 LCA; JACQUES-ANDRÉ SCHNEIDER/CÉLINE MOULLET, Loi sur le contrat d’assurance, Commentaire romand, 2022, n° 5 ad art. 92, n° 3 et 4 ad art. 94 LCA; ANDREA PFLEIDERER, Versicherungsvertragsgesetz, Basler Kommentar, 2e éd. 2023, n° 8 ad art. 92 LCA; ANDREA PFLEIDERER, Die Überschussbeteiligung in der Lebensversicherung, thèse 2006, p. 39 [ci-après: Überschussbeteiligung]).

Consid. 4.2
En particulier, ce droit à l’information ne permet toutefois pas au preneur d’assurance d’obtenir des données complètes ou une présentation des comptes telle qu’elle serait nécessaire pour vérifier les parts d’excédents qui lui reviennent ; une telle vérification supposerait des informations complètes sur le plan de distribution des excédents (y compris la clé de répartition), d’autres informations concernant l’exécution de la participation aux excédents (constitution de groupes d’excédents, etc.) ainsi qu’une édition complète des comptes (PFLEIDERER, Überschussbeteiligung, p. 96). Le fait que le droit à l’information du preneur d’assurance soit limité en ce sens est atténué par le fait que l’autorité de surveillance veille à un équilibre entre les intérêts légitimes des preneurs d’assurance à obtenir des informations et les intérêts légitimes de la compagnie d’assurance à préserver la confidentialité. Elle doit préserver les intérêts des preneurs d’assurance, mais elle est également neutre à l’égard des données confidentielles qui lui sont confiées par les compagnies d’assurance (PFLEIDERER, Überschussbeteiligung, p. 100 ss).

Consid. 5 [résumé]
L’assurée se prévaut de l’absence d’un contrôle satisfaisant par la FINMA de la conformité des excédents aux règles de la comptabilité, aux bases actuarielles et au plan d’excédents. Elle met en doute le sérieux du contrôle, jugé sommaire au vu de la rapidité de la réponse et insuffisant au regard des exigences jurisprudentielles (cf. ATF 148 III 201), reproche à la FINMA de se limiter au résultat sans en expliciter les raisons, et en déduit qu’une expertise actuarielle aurait dû être mise en œuvre.

Consid. 6 [résumé]
Les explications données par la FINMA sont suffisantes. Le tribunal cantonal a admis à juste titre qu’on ne saurait déduire de l’absence d’explications et de calculs détaillés que la FINMA n’aurait pas opéré les vérifications qui lui incombent. Rappelant que le preneur d’assurance n’a pas le droit de se voir communiquer la documentation complète recueillie par la FINMA, les juges cantonaux ont retenu que l’autorité de surveillance ne s’était pas contentée de constater l’absence de versement d’excédents, mais avait confirmé la conformité de cette absence aux exigences légales et réglementaires, le caractère succinct des réponses ne justifiant pas qu’on s’en écartât (cf. consid. 4.1). Les divergences entre projections initiales et capital à l’échéance ne démontrent aucune erreur (pas de garantie, simulations liées aux marchés), les excédents ne visant par ailleurs que les assurances complémentaires et non la part épargne du contrat d’assurance-vie.

Les griefs ne permettent pas de déduire que le tribunal cantonal aurait versé dans l’arbitraire en admettant que la FINMA avait procédé aux vérifications qui lui incombaient et sur la base desquelles elle avait conclu que le calcul de la participation de la recourante aux excédents était correct. Si l’on suivait l’argumentation de l’assurée, chaque preneur d’assurance insatisfait des réponses apportées se verrait accorder le droit de faire vérifier la qualité du contrôle que la FINMA avait effectué, notamment par le biais d’une expertise actuarielle. Ce faisant, non seulement les données confidentielles de l’assurance pourraient être accessibles à des tiers, mais cela irait à l’encontre de ce que prévoit la jurisprudence rappelée au consid. 4 ci-dessus (cf. ATF 148 III 201 consid. 5.4).

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_60/2024 consultable ici

 

Remarque :

Je recommande vivement la lecture de l’arrêt cantonal, particulièrement fouillé et pédagogique sur une problématique rarement traitée par les tribunaux. Il offre une présentation structurée du cadre légal de la participation aux excédents en assurance-vie, précise la portée du droit à l’information du preneur et le rôle de la FINMA dans la vérification des valeurs, et distingue clairement projections commerciales et garanties contractuelles. Sa motivation détaillée éclaire aussi les limites d’accès aux documents comptables de l’assureur. L’ensemble constitue un repère utile pour la pratique, tant pour apprécier la conformité des décomptes d’excédents que pour calibrer les attentes des assurés et de leurs conseils.

 

9C_107/2024 (f) du 24.06.2025 – Rente d’invalidité LPP – Survenance de l’incapacité de travail – Connexité matérielle et temporelle – Eléments tangibles établis en temps réel

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_107/2024 (f) du 24.06.2025

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité LPP – Incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité / 23 LPP

Survenance de l’incapacité de travail – Connexité matérielle et temporelle – Eléments tangibles établis en temps réel

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé le rejet de la demande de l’assurée tendant à obtenir une rente de la prévoyance professionnelle. Bien qu’elle ait souffert de troubles psychiques puis de douleurs articulaires et qu’une rente AI entière a été octroyée dès le 01.08.2020, il n’a pas été établi qu’une incapacité de travail d’au moins 20% liée à son atteinte rhumatologique se soit concrètement manifestée avant la fin de son affiliation à la caisse de pension, le 31.01.2020. L’aggravation déterminante de son état de santé n’était survenue qu’à partir de février 2020, soit après la période d’affiliation.

 

Faits
Assurée, née en 1996, a travaillé en dernier lieu comme employée polyvalente à 100% du 01.04.2018 au 31.12.2019.

En arrêt de travail depuis le 12.08.2019, l’assurée a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 13.12.2019. L’office AI a recueilli notamment l’avis du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du médecin traitant et du spécialiste en rhumatologie. Le 16.07.2021, le médecin du SMR a retenu que l’assurée était totalement incapable de travailler depuis août 2019, tout d’abord en raison d’une réaction anxiodépressive à la suite d’une situation professionnelle conflictuelle, puis de manifestations d’un rhumatisme psoriasique rebelle à toutes les thérapies tentées. Par décisions des 08.10.2021 et 02.11.2021, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière de l’assurance-invalidité dès le 01.08.2020.

Sollicitée par l’assurée, la caisse de pension a refusé de prester. Elle a retenu que la survenance de l’incapacité de travail déterminante était postérieure à la fin du rapport d’assurance, le 31.01.2020. À l’invitation de la caisse de pension, le rhumatologue traitant a indiqué que l’assurée était en incapacité de travail totale pour des motifs rhumatologiques depuis le 21.04.2020, mais que la symptomatologie était antérieure à cette date. Par la suite, la caisse de pension a maintenu son refus de prester, la dernière fois le 24.01.2023.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 7/23 – 1/2024 – consultable ici)

Par jugement du 10.01.2024, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1 [résumé]
La question est celle de savoir si l’incapacité de travail à l’origine de l’invalidité est survenue durant la période d’affiliation de l’assurée auprès de la caisse de prévoyance, soit entre le 01.04.2018 et le 31.01.2020 (art. 10 al. 3 LPP). L’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs notamment au droit à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle (art. 23 LPP) et à la notion de survenance de l’incapacité de travail, en relation avec la double condition de la connexité matérielle et temporelle nécessaire pour fonder l’obligation de prester d’une institution de prévoyance (ATF 135 V 13 consid. 2.6; 134 V 20 consid. 3.2.1 et 5.3 et les références). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 2.2
On rappellera que la preuve suffisante d’une limitation de la capacité fonctionnelle de travail déterminante sous l’angle du droit de la prévoyance professionnelle (ATF 134 V 20 consid. 3.2.2) ne suppose pas forcément l’attestation médicale d’une incapacité de travail « en temps réel » (« echtzeitlich »). Toutefois, des considérations subséquentes et des suppositions spéculatives, comme une incapacité médico-théorique établie rétroactivement après bien des années, ne suffisent pas. L’atteinte à la santé doit avoir eu des effets significatifs sur les rapports de travail; en d’autres termes, la diminution de la capacité fonctionnelle de travail doit s’être manifestée sous l’angle du droit du travail, notamment par une baisse des prestations dûment constatée, un avertissement de l’employeur ou une accumulation d’absences du travail liées à l’état de santé (arrêt 9C_556/2019 du 4 novembre 2019 consid. 4.3 et la référence).

Consid. 2.3
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de la personne assurée (ATF 144 V 427 consid. 3.2; 139 V 176 consid. 5.3).

 

Consid. 5.1
En l’espèce, l’absence de consultation spécifique pour des douleurs rhumatologiques pendant les rapports d’assurance ne permet pas de conclure de manière automatique à l’inexistence de douleurs articulaires ni, a fortiori, à l’absence de diminution de la capacité de travail en lien avec celles-ci. Les troubles somatiques chroniques, en particulier lorsqu’ils s’inscrivent dans un contexte de souffrance psychique marquée, peuvent être tus, minimisés ou interprétés à travers un prisme psychologique, tant par les patients que par les médecins. Le fait que l’assurée a été en arrêt de travail pour un état dépressif et un épuisement professionnel dès août 2019 ne signifie pas que des symptômes physiques – tels que des douleurs articulaires – étaient absents. Il est au contraire fréquent que ces symptômes soient intégrés au tableau par exemple de l’épuisement, sans faire l’objet d’un diagnostic différencié immédiat, en particulier en l’absence d’une orientation vers un spécialiste en rhumatologie ou en médecine interne. Dès lors, la preuve d’une limitation de la capacité fonctionnelle de travail ne suppose pas forcément l’attestation médicale d’une incapacité de travail « en temps réel » pour une atteinte rhumatologique (consid. 2.2 supra).

Cependant, à l’inverse de ce que souhaiterait l’assurée, la problématique ne peut être réduite à la question de savoir si le diagnostic de spondylarthrite a été diagnostiqué tardivement ou s’il existe un lien « patent » entre une spondylarthrite et une incapacité de travail antérieure reconnue à l’époque d’origine psychiatrique. En effet, il est constant que l’assurée présentait déjà des symptômes pouvant s’inscrire dans un tableau différentiel, comprenant plusieurs hypothèses diagnostiques dont celle d’une spondylarthrite, y compris déjà avant son affiliation à la caisse de pension intimée (arthralgies aux mains, aux coudes, avant-pieds et chevilles). Ces symptômes ne l’ont toutefois pas empêchée de travailler à 100%.

Dès lors, la question n’est pas celle de savoir si l’assurée souffrait déjà d’une spondylarthrite avant le 01.02.2020, mais celle de savoir si une diminution de la capacité fonctionnelle de travail pour des raisons rhumatologiques d’au moins 20% s’était manifestée concrètement pendant les rapports d’assurance (ATF 144 V 58 consid. 4.4 et les références). Autrement dit, l’enjeu du litige réside dans la démonstration par l’assurée que la juridiction cantonale aurait arbitrairement omis de constater un retentissement fonctionnel – pour des raisons rhumatologiques – sur sa capacité de travail d’au moins 20% entre le 01.04.2018 et le 31.01.2020, et non dans l’établissement rétrospectif d’un diagnostic.

Consid. 5.2 [résumé]
Selon les faits constatés par la juridiction cantonale, le médecin traitant a mentionné que l’assurée ne l’avait pas consulté entre le 19.08.2019 et le 02.03.2020, date de l’établissement de l’avis médical. Rien n’indique que l’assurée aurait par ailleurs été empêchée de consulter son médecin traitant avant le 02.03.2020 en raison de l’épidémie de COVID-19. Le médecin traitant indique au contraire qu’il l’avait reçue à sa consultation début mars, puis avait annulé tous les rendez-vous non urgents à partir du 16.03.2020. L’assurée n’a donc pas consulté un médecin pour des douleurs articulaires entre août 2019 et mars 2020.

Consid. 5.3 [résumé]
L’assurée avait entamé un suivi psychologique en août 2019 pour des difficultés professionnelles. Dans son avis du 18.11.2019, la psychiatre a noté une anxiété avec tristesse, troubles du sommeil, anticipation anxieuse, anxiété physique et sentiment de dévalorisation. La seule mention d’ »anxiété physique » ne suffit pas à attester, en temps réel, de douleurs rhumatologiques justifiant un arrêt d’au moins 20%, faute de détails spécifiques ou d’orientation vers la médecine interne ou la rhumatologie.

Dans son mémoire, l’assurée objecte que la psychiatre traitante, ainsi que des médecins du Service de rhumatologie de l’Hôpital G.__, ont indiqué qu’il était plus que probable, sans qu’il ne soit possible de quantifier ce pourcentage (mais supérieur à 90%), que la spondylarthrite périphérique fût déjà présente en août 2019 et qu’elle se plaignait déjà de douleurs articulaires aux poignets à l’époque. De telles considérations subséquentes, fondées sur des suppositions (comp. arrêt 9C_605/2023 du 22 août 2024 consid. 7.2), ne permettent pas d’établir une diminution de la capacité fonctionnelle de travail pour des raisons rhumatologiques d’au moins 20% dès 2019. L’atteinte à la santé doit avoir eu des effets significatifs sur la capacité de travail en temps réel, ce que ne permettent pas d’attester des spéculations ultérieures (supra consid. 2.2). Il manque au dossier des éléments tangibles établis en temps réel.

Consid. 5.4 [résumé]
Le rhumatologue traitant a indiqué une symptomatologie de longue date aggravée depuis février 2020 et un arrêt de travail à 100% dès le 21.04.2020. Le 28.01.2022, il a confirmé le début de l’incapacité au 21.04.2020, tout en précisant des symptômes déjà diffus avant. Le médecin traitant a relevé le 11.03.2020 des douleurs « depuis un moment » aux mains, aggravées depuis deux semaines, avec raideur matinale. Le gestionnaire AI a noté le 03.03.2020 l’apparition récente d’une problématique physique avec douleurs importantes, puis a précisé le 04.06.2020 une consultation récente chez le rhumatologue pour une atteinte inconnue lors de la demande AI du 13.12.2019. Ces constatations montrent, en temps réel, une dégradation en février 2020. Quant à l’échange de message SMS du 16 janvier 2020, dans lequel l’assurée confiait à son ami qu’elle ne pouvait pas sortir du lit, était un peu rouillée ce matin-là et avait perdu 1.1 kg depuis la veille, il ne saurait, par sa teneur non corroborée médicalement, ébranler la chronologie objective et documentée des faits médicaux retenue par les juges cantonaux. Il est constant que des symptômes diffus existaient, mais rien n’accrédite un retentissement fonctionnel de la spondylarthrite d’au moins 20% entre août 2019 et fin janvier 2020. En février 2020, le rapport de prévoyance avait pris fin (art. 10 al. 3 LPP), de sorte que l’assurée n’était plus couverte par la caisse intimée.

Consid. 5.5
Au vu des éléments qui précèdent, les juges cantonaux pouvaient retenir sans arbitraire qu’il n’était pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que la survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité de l’assurée fût survenue avant la fin de sa couverture d’assurance auprès de la caisse de pension intimée.

En refusant les offres de preuve de l’assurée, ils n’ont pas violé son droit d’être entendue sous l’angle de l’appréciation anticipée des preuves (à ce sujet, voir ATF 145 I 167 consid. 4.1).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_107/2024 consultable ici

 

 

5A_336/2023 (d) du 17.07.2024 – Mariage conclu sous le régime de la séparation de biens – Partage de la prévoyance – Prise en compte des retraits EPL – Indemnité équitable / 123 CC – 124e al. 1 CC – 207 al. 1 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_336/2023 (d) du 17.07.2024, publié aux ATF 150 III 353

 

Arrêt 5A_336/2023 consultable ici et ATF 150 III 353

Résumé issu du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 166 ch. 1155

 

Mariage conclu sous le régime de la séparation de biens – Partage de la prévoyance – Prise en compte des retraits EPL – Indemnité équitable / 123 CC – 124e al. 1 CC – 207 al. 1 CC

 

Le retrait anticipé au titre de l’encouragement à la propriété du logement (EPL) est soumis au partage de la prévoyance. Lorsque, à la dissolution d’un mariage conclu sous le régime de la séparation de biens, un des deux conjoints a atteint l’âge de référence et perçoit une rente de vieillesse au moment du dépôt de la demande de divorce, le montant du retrait EPL ne peut être partagé par moitié du fait de la séparation de biens, mais donne droit à une indemnité équitable en vertu de l’art. 124e CC. Le montant du retrait EPL ne peut toutefois pas être simplement partagé par moitié, car il faut tenir compte de la part dont il a été fait théoriquement usage pendant le mariage.

Dans la présente affaire, il s’agit de déterminer si un retrait anticipé pour la propriété du logement effectué pendant le mariage est soumis au partage de la prévoyance lorsque les conjoints ont choisi le régime matrimonial de la séparation de biens et que le conjoint tenu de fournir une compensation a déjà atteint l’âge de référence.

En principe, le retrait EPL sort du circuit de la prévoyance dès la survenance du cas de prévoyance vieillesse, et l’avoir retiré devient un élément de la fortune du preneur de prévoyance. Dans la liquidation du régime matrimonial, un tel retrait est généralement partagé entre les conjoints. Cependant, lorsque, comme en l’espèce, le régime de la séparation des biens ne permet pas un tel partage, une indemnité équitable est due (art. 124e CC). Selon le TF, cette indemnité représente une compensation pour le fait que la rente de vieillesse à partager est, en raison du retrait EPL, inférieure à celle qui aurait été versée si le divorce avait été prononcé avant la survenance du cas de prévoyance.

Le TF parvient à la conclusion qu’un retrait EPL ne peut pas être simplement partagé par moitié, car une partie a théoriquement déjà été utilisée pendant le mariage. Pour calculer le montant de l’indemnité prévue à l’art. 124e CC, le TF détermine la rente qui aurait résulté du montant du retrait EPL si celui-ci était resté dans le circuit de la prévoyance. Le montant de cette rente hypothétique est capitalisé jusqu’à l’entrée en force du divorce. La différence entre la rente capitalisée et le montant du retrait initial constitue la valeur à prendre en compte pour déterminer l’indemnité équitable. Le point de départ dans la détermination de l’indemnité équitable est le partage par moitié de l’avoir de prévoyance (art. 124e CC en relation avec l’art. 123 CC). Le TF renvoie l’affaire à l’instance précédente en lui demandant de fixer le montant de l’indemnité équitable conformément à l’arrêt.

 

Arrêt 5A_336/2023 consultable ici et ATF 150 III 353

 

EPL : mise en location d’un premier logement suivie de l’acquisition d’un nouveau logement – Prise de position de l’OFAS

EPL : mise en location d’un premier logement suivie de l’acquisition d’un nouveau logement – Prise de position de l’OFAS

 

Prise de position de l’OFAS dans le Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 166 ch. 1152 (consultable ici)

 

En principe, une personne assurée qui a déjà acquis la propriété d’un premier logement au moyen de l’EPL et qui l’a mis en location ultérieurement ne peut plus acquérir la propriété d’un nouveau logement au moyen de l’EPL, sauf si elle revend son premier logement ou rembourse son premier retrait EPL.

Suite à des questions, l’OFAS apporte la précision suivante :

Lorsqu’une personne assurée a déjà effectué un premier retrait EPL pour acquérir la propriété de son logement et qu’elle a mis en location celui-ci ultérieurement tout en restant propriétaire, il n’y a en principe pas d’obligation de rembourser le montant de ce premier retrait, comme indiqué dans les Bulletins de la prévoyance professionnelle n° 55 ch. 329 p. 12, n° 135 ch. 889 p. 7 et n° 157 ch. 1073 p. 4.

Toutefois, si la personne assurée souhaite acquérir la propriété d’un nouveau logement, elle ne pourra en principe plus recourir à l’EPL, sauf si elle revend son premier logement et qu’elle réinvestit le produit de la vente dans un délai de 2 ans dans un nouveau logement en propriété (art. 30d al. 4 LPP). Si la personne ne souhaitait pas revendre son premier logement, elle pourrait alors rembourser par ses propres moyens financiers le montant de son premier retrait EPL. En cas d’achat-revente dudit logement, il faut radier la mention de la restriction du droit d’aliéner existante dans le registre foncier et y saisir celle liée au nouveau bien. Au-delà de ce délai de 2 ans après la vente du premier logement, la personne assurée devra procéder au remboursement du premier retrait EPL grâce au produit de cette vente immobilière.

En effet, l’EPL ne peut pas servir à financer l’acquisition de deux ou plusieurs objets immobiliers mais doit servir uniquement à financer l’acquisition d’un seul logement (art. 1 al. 2 OEPL) pour ses propres besoins (art. 30c al. 1 LPP et 4 OEPL). Sinon, il y aurait le risque que l’EPL ne serve plus à financer l’accession à la propriété du logement occupé personnellement par l’assuré et sa famille mais qu’il soit utilisé à des fins purement lucratives par l’acquisition et la mise en location de différents biens immobiliers. Le présent cas de mise en location d’un premier logement suivi de l’acquisition d’un nouveau logement est donc différent du cas « simple » (objet des Bulletins susmentionnés) où la personne se limite seulement à mettre en location le logement dont elle reste propriétaire, cela sans envisager une nouvelle acquisition immobilière au moyen de l’EPL et sans exclure la possibilité de retourner habiter dans ce même logement.

 

Prise de position de l’OFAS dans le Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 166 ch. 1152 (consultable ici)

 

9C_63/2024 (f) du 10.02.2025 – Mode d’élection des représentants du personnel au sein du conseil d’administration de la Caisse de prévoyance – Gestion paritaire – 51 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_63/2024 (f) du 10.02.2025

 

Arrêt consultable ici

Résumé issu du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 166 ch. 1154

 

Mode d’élection des représentants du personnel au sein du conseil d’administration de la Caisse de prévoyance – Gestion paritaire / 51 LPP

 

L’art. 51 LPP n’exige pas la participation des associations professionnelles dans la désignation des représentants des assurés. Par ailleurs, régler les modalités de la désignation des représentants des personnes salariées par voie réglementaire est une tâche qui appartient à l’institution de prévoyance, singulièrement à son organe suprême, en vertu de l’art. 51 al. 2 let. a LPP.

Les recourants soutiennent que le nouveau mode d’élection des représentants du personnel au sein du conseil d’administration de la Caisse de prévoyance du personnel de l’Etat de Fribourg (CPPEF) serait incompatible avec l’exigence d’une gestion paritaire des institutions de prévoyance prévue par l’art. 51 LPP. Ils font valoir que la nouvelle réglementation supprime la place des syndicats et autres associations du personnel, prévoit un mode de scrutin dans lequel « l’Etat-employeur » peut s’immiscer et annihile toute possibilité pour les salariés d’être convenablement représentés par des personnes ayant les connaissances requises et le soutien nécessaire.

Selon le TF, ce nouveau mode d’élection ne contrevient pas aux règles concernant la gestion paritaire posées par l’art. 51 LPP, pour les raisons suivantes :

En premier lieu, l’art. 51 LPP n’exige pas la participation des associations professionnelles dans la désignation des représentants des assurés. C’est donc en vain que les recourants se prévalent du fait que les associations du personnel seraient « éjectées » par la réforme. Selon l’art. 51 al. 3, 1re et 2°phrases, LPP, les assurés désignent leurs représentants, en règle générale, directement ou par l’intermédiaire de délégués. Si à l’intérieur de ce cadre légal, les institutions de prévoyance disposent d’une grande marge de manœuvre pour régler le mode d’élection des représentants des assurés, les représentants des salariés doivent cependant être désignés par les salariés et ceux des employeurs par les employeurs (cf. art. 49 al. 1 en relation avec l’art. 51 al. 2 et 3 LPP; Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 77 let. C ch. 2. p. 3 s.). La désignation des représentants peut dès lors avoir lieu directement par tous les assurés, par la commission de prévoyance élue au sein de l’entreprise, par les associations des partenaires sociaux (syndicats, associations d’employeurs) ou par d’autres délégués (Bulletin cité, let. C ch. 2 p. 4). La participation des syndicats ou associations pour la désignation des représentants des assurés n’est pas imposée par le droit fédéral.

L’institution de prévoyance doit par ailleurs tenir compte des différentes catégories de salariés et de leur importance numérique, en veillant à ce que la représentation de celles-ci au sein de l’organe paritaire soit équitable (cf. art. 51 al. 2 let. b LPP; Message LPP, FF 1976 1 117 p. 173; ATF 142 V 239 consid. 2.1).

 

Arrêt 9C_63/2024 consultable ici

 

9C_131/2024 (f) du 03.10.2024 – Prévoyance professionnelle surobligatoire – Réticence – 4 LCA – 6 LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_131/2024 (f) du 03.10.2024

 

Consultable ici

 

Prévoyance professionnelle surobligatoire – Réticence / 4 LCA – 6 LCA

 

Assuré, né en 1962, affilié depuis le 19.06.2006 au Fonds d’assurance-retraite de B.__, repris ensuite par le Fonds interprofessionnel de prévoyance. À l’époque de son affiliation, il avait rempli une déclaration de santé (figurant dans le formulaire « demande d’affiliation » au-dessous de la partie complétée par son employeur) dans laquelle il affirmait jouir d’une pleine capacité de travail et ne souffrir d’aucune infirmité, maladie ou séquelle d’accident.

Depuis le 30.08.2019, il est totalement incapable de travailler en raison notamment d’un trouble bipolaire II à prédominance dépressive, trouble présent depuis l’adolescence. Par décision du 26.010.2021, il a été mis au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité à compter du 01.09.2020.

L’institution de prévoyance, après avoir constaté dans le dossier AI l’existence d’un traitement antidépresseur et d’un suivi psychiatrique régulier depuis janvier 2006 ainsi que la présence d’une dépression présente depuis l’adolescence, a considéré que l’assuré avait commis une réticence lors de sa déclaration de santé en 2006. Elle a donc annulé la partie surobligatoire du contrat de prévoyance et limité le droit de l’assuré à une rente d’invalidité calculée selon les minima LPP dès le 29.08.2021. L’assuré conteste avoir commis une telle réticence, mais le fonds de prévoyance a maintenu sa position.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 26/22 – 2/2024 – consultable ici)

Par jugement du 23.01.2024, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Le jugement entrepris expose notamment la jurisprudence portant sur l’étendue des droits et des devoirs des institutions de prévoyance dites « enveloppantes » (ATF 136 V 313 consid. 4), ainsi que sur l’interprétation des contrats de prévoyance (ATF 144 V 376 consid. 2.2; 140 V 145 consid. 3.3). Il cite en outre la disposition réglementaire relative à la réticence et à ses effets (art. 2 al. 5 let. b du Règlement de B.________, en vigueur dès le 1er janvier 2006; art. 3 al. 5 du Règlement de B.________, en vigueur dès le 1er janvier 2022), ainsi que les conditions permettant l’application des principes relatifs à la réticence dégagés dans le cadre de la loi sur le contrat d’assurance (LCA) à la prévoyance professionnelle plus étendue (art. 4 et 6 LCA; ATF 130 V 9; arrêts 9C_532/2014 du 23 octobre 2014 consid. 3.1, 4.1 et 5.2, in SVR 2015 BVG n° 34 p. 124; 9C_333/2020 du 23 février 2021 consid. 4.2.1; 9C_606/2017 du 14 mars 2018 consid. 3.2). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 5 [résumé]
L’assuré reproche à la juridiction cantonale d’avoir constaté et apprécié les faits de manière arbitraire. Il soutient que répondre à la question de savoir s’il souffrait d’une maladie supposait qu’il ait connaissance de son propre état de santé et de la notion de maladie. Selon lui, les éléments médicaux retenus par le tribunal cantonal ne démontrent pas qu’il avait conscience d’être atteint d’une maladie au moment de son affiliation, car ces éléments sont postérieurs à la demande d’affiliation et n’indiquent aucun diagnostic psychique à cette époque. Il estime donc que les juges cantonaux ne pouvaient pas conclure qu’il avait donné une réponse qu’il savait inexacte. Il ajoute qu’au regard de la définition de la maladie selon l’art. 3 LPGA, il ne pouvait pas savoir, quelques mois après le début d’un traitement antidépresseur, s’il souffrait d’une maladie durable ou s’il s’agissait simplement d’une atteinte passagère à son bien-être, ce qui, selon lui, ne l’obligeait pas à signaler le suivi médical en cours.

L’assuré critique aussi le refus du tribunal de reconnaître un motif légitime à la réticence. Il estime que la procédure d’affiliation, qui imposait de remettre le questionnaire de santé à l’employeur, portait atteinte à sa sphère privée. Il considère que les solutions proposées par le tribunal cantonal, soit refuser de remettre le formulaire à l’employeur pour l’envoyer directement à la caisse de prévoyance, soit corriger ultérieurement une réponse erronée, sont irréalistes et pourraient susciter la méfiance de l’employeur, voire rompre le lien de confiance. Selon lui, dans le premier cas, il aurait désobéi à une instruction de l’employeur, et dans le second, l’employeur aurait été informé de l’existence d’une réserve ou d’une prime différente, ce qui aurait éveillé des soupçons.

Enfin, il reproche aux juges cantonaux d’avoir violé l’art. 328b CO (selon lequel l’employeur ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail) et l’art. 13 al. 1 aLPD. Il soutient qu’il a suivi les instructions de l’employeur, qui lui demandait de remplir et signer le questionnaire de santé puis de le lui remettre en original, sans alternative, afin de ne pas risquer de briser la confiance. Il considère que cette méthode de transmission est contraire au droit, car elle permet à l’employeur d’accéder indûment à des données sensibles, et que les solutions du tribunal cantonal ne permettent pas d’éviter une rupture du lien de confiance.

Consid. 6.1 [résumé]
L’argumentation de l’assuré, selon laquelle il n’aurait pas eu conscience de sa maladie ni l’obligation d’en informer l’institution de prévoyance au moment de son affiliation, n’est pas fondée. Il se contente de reprendre des arguments déjà développés devant la première instance, sans démontrer en quoi le tribunal cantonal aurait fait preuve d’arbitraire dans son appréciation des faits. Son grief doit donc être rejeté. Il convient de relever que la question posée dans le formulaire d’affiliation exigeait de signaler toute atteinte à la santé (infirmité, maladie ou suite d’accidents et pas nécessairement un diagnostic précis). Or, un trouble psychique présent depuis l’adolescence, nécessitant un traitement antidépresseur et un suivi psychothérapeutique à raison de deux consultations par semaine depuis six mois au moment de l’affiliation, constitue manifestement plus qu’une atteinte temporaire au bien-être pouvant être passée sous silence. Ce trouble a d’ailleurs été attesté, même après la date d’affiliation, tant par le psychiatre traitant que par des experts indépendants. Dans ces circonstances, le tribunal cantonal pouvait légitimement conclure à l’existence d’une réticence sans commettre d’arbitraire dans la constatation et l’appréciation des faits.

Consid. 6.2 [résumé]
L’argumentation de l’assuré concernant l’existence d’un motif légitime justifiant sa réticence n’est pas retenue. Selon les constatations cantonales, aucune méthode précise n’avait été imposée par le fonds de prévoyance pour la transmission du formulaire d’affiliation et du questionnaire de santé. Les affirmations de l’assuré, selon lesquelles il aurait été obligé de remettre le questionnaire à son employeur, ne reposent sur aucun élément concret et ne démontrent pas que les solutions proposées par les juges cantonaux seraient arbitraires ou déconnectées de la réalité. Ce grief doit donc être rejeté.

Il est vrai que l’état de santé de l’assuré constitue une donnée personnelle sensible, à laquelle l’employeur ne devrait en principe pas avoir accès sans consentement. Toutefois, l’assuré aurait pu facilement éviter le risque de divulgation de telles données en envoyant directement le formulaire au fonds de prévoyance. Contrairement à ce qu’il soutient, les réserves de santé sont communiquées à l’assuré et non à l’employeur, qui n’en aurait pas eu connaissance. De plus, l’existence d’une réserve liée à la santé n’a aucune incidence sur le montant des cotisations de prévoyance. Enfin, l’assuré n’a entrepris aucune démarche pour corriger ses déclarations pendant plus de quinze ans. Dans ces circonstances, il n’est pas possible de reprocher à la juridiction cantonale une appréciation arbitraire des faits ou une violation du droit fédéral. Le recours est donc entièrement mal fondé et doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_131/2024 consultable ici

 

Commentaire

Dans cet arrêt le Tribunal fédéral rappelle que l’assuré avait l’obligation de déclarer toute atteinte à la santé, même en l’absence de diagnostic précis, et que le fait d’être déjà sous traitement antidépresseur et suivi psychothérapeutique de façon régulière constituait manifestement plus qu’une atteinte temporaire au bien-être. L’argument selon lequel l’assuré n’aurait pas eu conscience de la gravité de son état ou de l’obligation de le déclarer n’a pas été retenu, car il s’agit d’une appréciation subjective qui ne saurait prévaloir face à la réalité médicale objectivée par les pièces du dossier.

L’arrêt souligne également que la protection des données médicales et la sphère privée de l’assuré doivent être respectées, mais qu’en l’espèce, aucune méthode imposée n’obligeait à transmettre le questionnaire de santé via l’employeur, et l’assuré aurait pu directement s’adresser à l’institution de prévoyance pour éviter tout risque de divulgation. Le Tribunal fédéral rappelle que les réserves médicales ne sont pas communiquées à l’employeur et que l’existence d’une réserve n’influence pas le montant des cotisations.

Ce cas illustre l’importance, pour les assurés, d’être particulièrement attentifs et transparents lors de la déclaration de santé à l’affiliation à une institution de prévoyance. Même en présence d’un suivi médical ou d’un traitement, il est impératif de signaler toute atteinte à la santé, sous peine de voir la couverture surobligatoire annulée en cas de réticence. L’arrêt rappelle aussi que la protection des données ne saurait être invoquée pour justifier une omission, dès lors que des alternatives existent pour préserver la confidentialité.

 

9C_52/2024 (f) du 06.03.2025 – Versement de la prestation de libre passage à l’assuré en violation de l’art. 5 al. 2 LFLP – Vérification du consentement de l’épouse / Prestations en faveur des survivants – Prescription – Actes interruptifs

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_52/2024 (f) du 06.03.2025

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges non publié)

 

Versement de la prestation de libre passage à l’assuré en violation de l’art. 5 al. 2 LFLP – Vérification du consentement de l’épouse / 97 CO

Prestations en faveur des survivants – Police de libre passage – Prescription – Actes interruptifs / 135 CO

 

L’assuré, policier assuré par la Caisse C.__ pour la prévoyance professionnelle (gérée par les Retraites Populaires), a démissionné le 31.01.2006. Le 24.01.2008, il a annoncé son intention de s’établir à son compte et a obtenu le 27.02.2008 le remboursement d’une partie de sa prestation de libre passage (CHF 137’528.30). Il a en outre obtenu le remboursement de la part des Retraites Populaires du capital de sa police de libre passage (CHF 342’420.60) le 06.06.2008. Il est décédé le 10.06.2009.

Son épouse, A.__, a contacté à plusieurs reprises les Retraites Populaires pour contester l’absence de prestations de survivants. L’institution de prévoyance a invoqué les remboursements de 2008, auxquels elle aurait consenti par signature. La veuve a nié avoir été informée ou avoir signé ces documents. Le 24.02.2011, elle a déposé une réclamation contestant l’authenticité des signatures et blâmant l’institution de prévoyance pour le manque de vérifications. Le Conseil d’administration des Retraites Populaires a rejeté sa demande le 26.09.2011, confirmant la régularité des remboursements.

Le 06.06.2019, la veuve a déposé des réquisitions de poursuite pour un montant de CHF 342’420.60 (capital de la police de libre passage) avec intérêts à 5% depuis le 10.06.2009. Les Retraites Populaires se sont opposées aux commandements de payer notifiés le 13.06.2019. Les Retraites Populaires ont aussi renoncé à invoquer la prescription les 03.06.2020 et 16.06.2021, jusqu’au 30.06.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 29/21 – 36/2023 – consultable ici)

La veuve a engagé deux actions devant le tribunal cantonal : la première le 09.11.2021 contre les Retraites Populaires Fondation de prévoyance, et la seconde le 23.06.2022 contre les Retraites Populaires. Le tribunal cantonal a joint les causes le 27.10.2022.

Par jugement du 30.11.2023, le tribunal cantonal a d’abord établi que les Retraites Populaires étaient la défenderesse principale, tandis que la Fondation de prévoyance intervenait à titre accessoire. Sur le fond, il a partiellement admis l’action contre les Retraites Populaires, condamnant l’institution à verser à la veuve la part du capital de la police de libre passage lui revenant en qualité d’épouse survivante. Ce montant, augmenté des intérêts applicables jusqu’au 10.06.2009 (date du décès), devait être majoré d’intérêts à 5% annuels à compter du 10.09.2009.

 

TF

Consid. 3 [résumé]
Le tribunal cantonal a estimé que les Retraites Populaires avaient fait preuve de négligence en vérifiant le prétendu consentement de la veuve au remboursement intégral du capital de la police de libre passage de son mari, ce qui lui avait causé un préjudice en la privant indûment de ses droits à prestations après le décès de celui-ci. Il a relevé que le devoir de vérification des institutions de prévoyance avait été renforcé depuis la publication du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 51 du 22.06.2000. Une comparaison des signatures de la veuve sur sa carte d’identité et sur le formulaire de remboursement montrait des différences manifestes. De plus, les circonstances ayant conduit le défunt à démissionner de ses fonctions de policier ne permettaient pas d’accorder une confiance particulière dans le cadre du remboursement.

Le tribunal cantonal a évalué le dommage subi par la veuve à la moitié du capital assuré et des intérêts convenus dans la police jusqu’au décès, l’autre moitié revenant légalement à leur fille. Il s’est appuyé sur l’arrêt ATF 130 V 103 pour examiner l’obligation de réparer un dommage consécutif à l’impossibilité d’exécuter une obligation prévue par un contrat de prévoyance privé, en application de l’art. 97 CO.

En réponse au grief des Retraites Populaires concernant la prescription, le tribunal cantonal a conclu que le délai avait commencé à courir au décès du défunt, le 10.06.2009, et non au versement du capital en juin 2008, puisque les prétentions de la veuve n’étaient pas exigibles du vivant de son mari. Le délai avait été valablement interrompu par la réquisition de poursuite déposée le 06.06.2019, les renonciations à invoquer la prescription les 03.06.2020 et 16.06.2021, ainsi que l’ouverture de l’action le 09.11.2021. Le tribunal a également admis l’intérêt moratoire requis à hauteur de 5% par an depuis le 10.09.2009, date à laquelle la créance était devenue exigible.

Consid. 4.2.1
Les juges cantonaux ont fondé leur raisonnement sur l’art. 41 al. 2 LPP, aux termes duquel « les actions en recouvrement de créances se prescrivent par cinq ans quand elles portent sur des cotisations ou des prestations périodiques, par dix ans dans les autres cas. Les art. 129 à 142 CO sont applicables ». Ils ont retenu que, dans la mesure où la prestation litigieuse était en l’espèce le versement d’un capital, et non d’une rente, c’était le délai décennal qui s’appliquait à la prescription. Ils ont en outre considéré que, comme la jurisprudence situait l’exigibilité d’une prestation de la prévoyance professionnelle lors de la naissance du droit à cette prestation d’après les dispositions légales et réglementaires qui lui étaient applicables (cf. ATF 132 V 159 consid. 3), ce délai avait débuté avec le décès de l’assuré. Par conséquent, les prétentions de la veuve n’étaient pas exigibles du vivant de son conjoint. Les juges cantonaux ont encore exposé que ce délai avait valablement été interrompu par le dépôt de la réquisition de poursuite le 06.06.2019, les renonciations à invoquer la prescription des 03.06.2020 et 16.06.2021, ainsi que l’ouverture de l’action le 09.11.2021.

Consid. 4.2.2
Sous cet angle, le raisonnement du tribunal cantonal est fondé. En cas de décès de l’assuré, le droit aux prestations de libre passage (qui ne tombent pas dans la succession) revient en principe aux bénéficiaires énumérés à l’art. 15 OLP (ATF 129 III 305 consid. 3; arrêt 2C_738/2021 du 23 décembre 2021 consid. 4.3.1), dont en premier lieu le conjoint survivant. Les bénéficiaires disposent d’un droit originaire qui leur est conféré par la loi (art. 15 OLP qui renvoie aux art. 19 à 20 LPP) ou par le règlement de l’institution de prévoyance. Dans cette dernière éventualité, les ayants droit apparaissent comme les bénéficiaires d’une stipulation pour autrui au sens de l’art. 112 CO (ATF 131 V 27 consid. 3.1; 113 V 287 consid. 4b; cf. arrêt 9C_588/2020 du 18 mai 2021 consid. 4.1.2). Dès lors que la veuve faisait valoir son droit au capital de la police de libre passage de son mari et que ce capital n’était pas exigible avant le décès de celui-ci, elle a effectivement agi à temps, avant que son droit ne soit prescrit.

Consid. 4.3.1
Cependant, la juridiction cantonale a en l’espèce perdu de vue que, dans la mesure où le remboursement à l’assuré de l’intégralité du capital de sa police de libre passage était intervenu le 06.06.2008, les recourantes se retrouvaient dans l’impossibilité de donner suite aux prétentions de la veuve.

Consid. 4.3.2
Dans l’ATF 130 V 103, cité par les juges cantonaux, le Tribunal fédéral a examiné le point de savoir si, comme en l’espèce, l’institution de prévoyance pouvait être tenue de verser une seconde fois le montant de la prestation de libre passage lorsque celle-ci avait été versée à l’assuré en violation de l’art. 5 al. 2 LFLP (soit sans le consentement écrit du conjoint de l’assuré). Il a considéré que, dans ces conditions, le versement en question n’était pas nul à la différence d’autres dispositions apparentées, telles que l’art. 494 al. 1 et 3 CO, où l’absence de consentement valable conduisait à la nullité de l’acte juridique, sans que la partie contractante ne puisse se prévaloir de sa bonne foi (cf. consid. 3.2). Il a alors fondé la prétention en cause sur les art. 97 ss CO et a retenu que l’institution de prévoyance est tenue de prester si elle n’a pas fait preuve de la diligence requise pour vérifier le consentement du conjoint (cf. consid. 3.3). Il a toutefois exclu que, dans la situation alors jugée, l’institution de prévoyance ait manqué à son devoir de diligence lors de la vérification du consentement des ayants droit et doive réparer le dommage en résultant (cf. consid. 3.4 et 3.5). Cette jurisprudence a été confirmée et appliquée à de nombreuses reprises (cf. ATF 133 V 205 consid. 4.4; arrêt B 126/04 du 20 mars 2006 consid. 2.3 et les cas d’application mentionnés; cf. en particulier arrêt B 58/01 du 7 janvier 2004; voir aussi THOMAS GEISER/CHRISTOPH SENTI in: Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 59 ss ad art. 5 LFLP; Hans-Ulrich Stauffer, Berufliche Vorsorge, 3e éd. 2019, p. 472 n° 1465).

Consid. 4.3.3
Les recourantes se retrouvaient donc en l’espèce vis-à-vis de la veuve dans la situation prévue à l’art. 97 al. 1 CO. Selon cette disposition « lorsque le créancier ne peut obtenir l’exécution de l’obligation ou ne peut l’obtenir qu’imparfaitement, le débiteur est tenu de réparer le dommage en résultant, à moins qu’il ne prouve qu’aucune faute ne lui est imputable ». La cour cantonale a considéré que, dès lors que l’institution de prévoyance avait été particulièrement négligente dans le traitement du remboursement du capital de la police de libre passage de l’assuré, elle avait causé un dommage à la veuve et devait le réparer conformément à l’art. 99 CO. Une fois admise la non exécution du contrat de prévoyance, il reste à examiner si la veuve a fait valoir son droit à la réparation du dommage – et non son droit au capital de la police de libre passage – dans le délai de prescription. Or, d’après l’art. 127 CO applicable à l’inexécution des obligations contractuelles, « toutes les créances se prescrivent par dix ans, lorsque le droit civil fédéral n’en dispose pas autrement ». Les règles relatives à la responsabilité dérivant d’actes illicites s’appliquant par analogie aux effets de la faute contractuelle (art. 99 al. 3 CO), le début du délai de prescription correspond au moment où est survenu l’acte dommageable tant pour les prétentions contractuelles que pour les prétentions extra-contractuelles (cf. ATF 146 III 14 consid. 6.1.2). Dès lors que l’acte qui a privé la veuve de ses prétentions envers les recourantes est en l’occurrence le versement du capital de la police de libre passage fondé sur une demande de remboursement contenant la signature contrefaite de la veuve, le droit de celle-ci d’obtenir la réparation de son dommage s’est éteint dix ans après le 06.06.2008 et était prescrit lors du dépôt de la première réquisition de poursuite le 06.06.2019.

Consid. 4.3.4
On précisera encore que, dans le domaine de la prévoyance professionnelle, les actes interruptifs de la prescription sont limités à ceux énumérés de façon exhaustive à l’art. 135 CO (cf. ATF 132 V 404 consid. 5.2; arrêt B 55/05 du 16 octobre 2006 consid. 4.2.3). Le fait que la veuve a déposé le 24.02.2011 une réclamation contre une lettre des recourantes l’informant qu’elle avait consenti au remboursement du capital de la police de libre passage de son mari n’a donc pas interrompu la prescription.

Consid. 4.4
Compte tenu de ce qui précède, il convient d’admettre le recours, sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les autres griefs de l’institution de prévoyance et de réformer le jugement cantonal en ce sens que les demandes de la veuve des 09.11.2021 et 23.06.2022 sont rejetées.

 

Le TF admet le recours des Retraites Populaires, réformant le jugement cantonal en ce sens que les demandes de la veuve sont rejetées.

 

Arrêt 9C_52/2024 consultable ici

 

5A_483/2023 (f) du 29.10.2024 – Partage d’avoirs de prévoyance professionnelle d’ex-partenaires enregistrées / Exception au partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_483/2023 (f) du 29.10.2024

 

Consultable ici

 

Partage d’avoirs de prévoyance professionnelle d’ex-partenaires enregistrées / 33 LPart – 123 CC

Exception au partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle / 124b CC

 

A.__, née en 1958, et B.__, née en 1968, ont conclu un partenariat enregistré le 26.10.2009. Chacune avait déjà un enfant issu d’une relation antérieure. Le couple s’est séparé le 23.06.2018.

A.__ a pris sa retraite le 01.04.2022.

Le 24.06.2022, le Tribunal de première instance a prononcé la dissolution du partenariat enregistré et a statué qu’il n’y avait pas lieu de partager les avoirs de prévoyance professionnelle accumulés par A.__ pendant la durée du partenariat.

 

Procédure cantonale (arrêt ACJC/668/2023 – consultable ici)

Par arrêt du 23.05.2023, la Cour de justice du canton de Genève a annulé et réformé le jugement de première instance concernant le partage des avoirs de prévoyance. Elle a ordonné que les avoirs de prévoyance professionnelle accumulés par A.__ pendant le partenariat soient partagés à raison de 70% pour A.__ et 30% pour B.__. En conséquence, la Cour de justice a ordonné à la Caisse de pensions concernée de transférer 67’485 fr. 80 du compte de prévoyance de A.__ vers un compte de libre-passage au nom de B.__.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
Le Tribunal de première instance a constaté que les avoirs de prévoyance professionnelle de A.__, retraitée depuis le 01.04.2022, s’élevaient à CHF 292’108.20 au 31.12.2019. Sur ce montant, CHF 224’952.65 étaient en principe à partager entre les ex-partenaires, le reste (CHF 67’155.55) ayant été accumulé avant le partenariat. B.__ n’avait jamais cotisé durant le partenariat. Le Tribunal de première instance a jugé qu’un partage serait inéquitable pour plusieurs raisons : la vie commune n’avait duré que neuf ans, A.__ avait soutenu financièrement B.__ et leurs enfants respectifs, et un partage réduirait sa rente LPP de CHF 1’804 à CHF 1’274 par mois, laissant ses revenus totaux à CHF 2’648, ce qui couvrirait à peine ses charges incompressibles. De plus, A.__ étant à la retraite, elle ne pouvait plus augmenter ses avoirs de prévoyance, contrairement à B.__ qui, plus jeune, pouvait encore travailler et cotiser pendant plus de dix ans.

Consid. 3.2 [résumé]
La Cour de justice a précisé que, puisque aucun cas de prévoyance n’était survenu au moment de la demande de dissolution du partenariat le 03.01.2020, les avoirs de prévoyance professionnelle accumulés par A.__ durant le partenariat devaient en principe être partagés par moitié. Toutefois, elle a estimé qu’il était justifié de s’écarter de ce principe et d’opter pour une répartition à raison de 70% en faveur de A.__ et 30% en faveur de B.__.

Elle a tenu compte du fait qu’A.__, salariée jusqu’à sa retraite en avril 2022, avait pu accumuler une prestation de sortie de CHF 224’952.65, tandis que B.__, qui s’était consacrée au ménage et à l’éducation des enfants, n’avait pas travaillé ni cotisé durant le partenariat. La prévoyance globale d’A.__ incluait une rente AVS mensuelle de CHF 1’374 et une rente LPP de CHF 1’804, totalisant CHF 3’178. En cas de partage par moitié, ses prestations auraient été réduites à CHF 2’648, à peine suffisantes pour couvrir ses charges incompressibles (CHF 2’538.21). En revanche, B.__ n’avait pas démontré avoir cherché activement un emploi ni tenté d’augmenter son taux d’activité comme promeneuse de chiens depuis la séparation. Elle disposait encore d’une décennie pour se constituer une prévoyance professionnelle adéquate, contrairement à A.__ qui ne pouvait plus augmenter ses avoirs.

La Cour de justice a néanmoins reconnu que la durée du partenariat avait eu un impact sur la situation financière de B.__, qui n’avait pas pu cotiser en raison du choix de vie adopté par les parties. Elle a jugé qu’un partage à raison de 70% pour A.__ et 30% pour B.__ était équitable, permettant à A.__ de conserver une rente LPP estimée à CHF 1’500, tout en attribuant à B.__ un montant de CHF 67’485.80 (soit 30% de CHF 224’952.65) transféré sur un compte de libre-passage en sa faveur.

Consid. 4
En vertu de l’art. 33 LPart, les prestations de sortie de la prévoyance professionnelle acquises pendant la durée du partenariat enregistré sont partagées conformément aux dispositions du droit du divorce concernant la prévoyance professionnelle.

Consid. 4.1
L’art. 123 al. 1 CC pose le principe selon lequel les prestations de sortie acquises, y compris les avoirs de libre passage et les versements anticipés pour la propriété du logement, sont partagées par moitié. Cette disposition s’applique aussi lorsque, comme en l’espèce, un cas de prévoyance vieillesse survient alors que la procédure de dissolution du partenariat enregistré est pendante. Dans une telle situation, l’institution de prévoyance peut toutefois réduire la prestation de sortie à partager au sens de l’art. 123 CC, ainsi que la rente de vieillesse (cf. en matière de divorce arrêts 5A_153/2019 du 3 septembre 2019 consid. 6.3.2; 5A_94/2019 du 13 août 2019 consid. 5.3 et les références; cf. aussi art. 22a al. 4 LVLP et 19g al. 1 OLP).

Consid. 4.2
L’art. 124b CC règle les conditions auxquelles le juge (ou les époux) peuvent déroger au principe du partage par moitié prévu à l’art. 123 CC. Selon l’art. 124b al. 2 CC, le juge peut ainsi attribuer moins de la moitié de la prestation de sortie au conjoint créancier ou n’en attribuer aucune pour de justes motifs. C’est le cas en particulier lorsque le partage par moitié s’avère inéquitable en raison de la liquidation du régime matrimonial ou de la situation économique des époux après le divorce (ch. 1) ou des besoins de prévoyance de chacun des époux, compte tenu notamment de leur différence d’âge (ch. 2).

Cette disposition doit être appliquée de manière restrictive, afin d’éviter que le principe du partage par moitié des avoirs de prévoyance soit vidé de son contenu (arrêts 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1; 5A_106/2021 du 17 mai 2021 consid. 3.1 et la référence à l’ATF 145 III 56; 5A_524/2020 du 2 août 2021 consid. 5.4). Toute inégalité consécutive au partage par moitié ou persistant après le partage par moitié ne constitue pas forcément un juste motif au sens de l’art. 124b al. 2 CC. Les proportions du partage ne doivent toutefois pas être inéquitables. L’iniquité se mesure à l’aune des besoins de prévoyance professionnelle de l’un et de l’autre conjoint. Le partage est donc inéquitable lorsque l’un des époux subit des désavantages flagrants par rapport à l’autre conjoint (arrêts 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1; 5A_277/2021 du 30 novembre 2021 consid. 7.1.1 et les références).

Consid. 4.2.1
Il y a par exemple iniquité selon l’art. 124b al. 2 ch. 1 CC lorsque l’un des époux est employé, dispose d’un revenu et d’un deuxième pilier modestes, tandis que l’autre conjoint est indépendant, ne dispose pas d’un deuxième pilier, mais se porte beaucoup mieux financièrement (arrêts 5A_106/2021 du 17 mai 2021 consid. 3.1; 5A_194/2020 du 5 novembre 2020 consid. 4.11).

Consid. 4.2.2
Comme le législateur l’a expressément souligné à l’art. 124b al. 2 ch. 2 CC, il peut être justifié de déroger au principe du partage par moitié lorsqu’il existe une grande différence d’âge entre les époux, afin de tenir compte de la situation du conjoint qui, du fait d’un âge plus avancé et de la progressivité des cotisations, a accumulé des prétentions de prévoyance beaucoup plus importantes durant le mariage (arrêt 5A_153/2019 du 3 septembre 2019 consid. 6.3.2 et les références). Sous l’angle des besoins de prévoyance, le partage est inéquitable lorsque l’un des époux subit des désavantages flagrants par rapport à l’autre conjoint, de sorte qu’une exception au partage par moitié en raison de la différence d’âge ne peut être admise que si les époux ont des revenus et des perspectives de prestations de vieillesse futures comparables (arrêt 5A_153/2019 du 3 septembre 2019 consid. 6.3.2 et les références). Les besoins de prévoyance des conjoints sont des faits futurs ou hypothétiques, qui doivent être rendus vraisemblables sur la base de faits passés, ce qui a trait à l’appréciation des preuves (arrêts 5A_729/2020 du 4 février 2021 consid. 8.1; 5A_868/2019 du 23 novembre 2019 consid. 5.2).

Consid. 4.3
Le principe d’un partage par moitié des prétentions de prévoyance professionnelle des époux doit en définitive guider le juge, l’art. 124b CC étant une disposition d’exception (cf. supra consid. 4.2). Cependant, il ne s’agit nullement d’appliquer le principe précité de manière automatique; il faut tenir compte des circonstances du cas d’espèce et se prononcer en équité (arrêt 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1). Le juge dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation, que le Tribunal fédéral ne revoit qu’avec retenue. Il intervient lorsque celui-ci s’écarte sans raison des règles établies en la matière par la doctrine et la jurisprudence, ou lorsqu’il s’appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu’il ignore des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; en outre, le Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en vertu d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (arrêts 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1; 5A_443/2018 du 6 novembre 2018 consid. 2.2 et les références, non publié aux ATF 145 III 56).

Consid. 6.2.1
A.__ (recourante) se méprend lorsqu’elle soutient que la Cour de justice aurait dû s’assurer du fait qu’après que ses avoirs de prévoyance professionnelle auront été partagés, elle sera en mesure de couvrir son minimum vital. En l’occurrence, ce n’est que la situation respective des parties en matière de prévoyance qui est déterminante pour établir si le partage est inéquitable compte tenu de l’ensemble des circonstances (cf. supra consid. 4.2). Lorsque le juge décide d’attribuer moins de la moitié de la prestation de sortie au conjoint créancier en application de l’art. 124b al. 2 CC, la seule circonstance que le minimum vital d’une partie ne serait plus couvert ne permet pas de refuser tout partage, contrairement à ce qui prévaut dans le cas d’une exclusion conventionnelle du partage par moitié selon l’art. 124b al. 1 CC (PASCAL PICHONNAZ, in Commentaire romand Code civil I, 2ème éd. 2023, n° 15 et 61 ad art. 124b CC; dans le même sens CHRISTINE ARNDT, Art. 124 ZGB im Wandel – zur Problematik der angemessenen Entschädigung bei ungenügender Leistungsfähigkeit des Verpflichteten, FamPra. ch 3/2014, 584 ss, spéc. p. 590 s.). Retenir l’inverse risquerait fréquemment de conduire à un refus de partage lorsque, comme en l’espèce, chacune des parties a une situation financière modeste, même si seule l’une d’elles a travaillé durant le partenariat enregistré. Cela ne correspond pas au but poursuivi par le législateur, à savoir compenser les lacunes de prévoyance du conjoint qui, durant l’union renonce, totalement ou partiellement, à une activité lucrative et se consacre à l’éducation des enfants ou à la tenue du ménage (ATF 129 III 577 consid. 4.2.1 et la référence au Message concernant la révision du code civil suisse du 15 novembre 1995, FF 1996 I 101 ss n. 233.41).

Par ailleurs, contrairement à ce que semble soutenir la recourante, le fait que le conjoint débiteur (en l’occurrence la recourante) dispose encore, après le partage des avoirs, d’une prévoyance vieillesse et invalidité adéquate, ne constitue pas non plus une condition d’application de l’art. 124b al. 2 CC, contrairement à ce que prévoit expressément l’art. 124b al. 3 CC pour les cas où le juge décide d’ordonner l’attribution de plus de la moitié de la prestation de sortie au conjoint créancier (PICHONNAZ, op. cit., n. 61 s. ad art. 124b CC).

Consid. 6.2.2
Il reste ainsi à vérifier si, en ordonnant le transfert de 30% des avoirs de prévoyance professionnelle à partager en faveur de l’intimée, la recourante se trouve désavantagée de manière évidente par rapport à son ex-partenaire.

Comme rappelé plus haut, l’iniquité du partage se mesure à l’aune des besoins de prévoyance de chacune des parties, qui doivent être comparés (cf. supra consid. 4.1 et 4.2). Les avoirs de prévoyance professionnelle à partager ont été exclusivement accumulés par A.__ (recourante) et s’élèvent à CHF 224’952.65, montant qui n’est pas remis en cause en tant que tel par la recourante dans son recours fédéral (pas plus qu’il ne l’était en instance cantonale), de sorte qu’il lie le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF). B.__ (intimée) n’a pour sa part jamais cotisé auprès d’une institution de prévoyance professionnelle, à tout le moins jusqu’à l’introduction de la demande de dissolution du partenariat enregistré.

Même si on suivait la recourante lorsqu’elle affirme que l’intimée pourrait encore accumuler un capital-vieillesse de CHF 43’000 en travaillant jusqu’à l’âge de la retraite, allouer 30% des avoirs à partager en faveur de l’intimée aurait pour conséquence que les avoirs de celle-ci s’élèveraient à CHF 110’485.80 (à savoir CHF 43’000 + [CHF 224’952.65 x 30%]), soit un montant largement inférieur à celui des avoirs demeurant en main de la recourante, qui s’élève à CHF 224’160.40 (à savoir CHF 67’155. 55 [accumulés avant la conclusion du partenariat] + [CHF 224’952.65 x 70%]). Sous cet angle, et même dans l’hypothèse où sa rente de vieillesse LPP devait être revue à la baisse consécutivement au partage en raison d’un trop-perçu, on ne discerne pas en quoi le partage tel qu’il a été ordonné désavantagerait de manière évidente la recourante par rapport à l’intimée.

Quant au point de savoir s’il faut prendre en considération les rentes AVS des parties dans l’appréciation des besoins de prévoyance, il peut demeurer indécis dans les circonstances de l’espèce (cf. sur ce point ANNE-SYLVIE DUPONT, Les nouvelles règles de partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce et les autres régimes d’assurances sociales, Fampra.ch 2017 p. 38 ss, spéc. p. 42). En effet, même si comme l’affirme la recourante, après la dissolution du partenariat, sa propre rente AVS s’élevait à CHF 1’222 au lieu des CHF 1’374 retenus par la cour cantonale, cette rente sera toujours supérieure au montant de CHF 1’000 auquel elle prétend qu’il faut estimer la future rente AVS de l’intimée. Autant que pertinents dans un tel contexte, les griefs tirés des art. 29quinquies al. 3 à 5 LAVS et 50b al. 1 et 3 RAVS n’ont donc pas d’influence sur l’issue du litige. Il en va de même du grief de violation de l’art. 19g OLP soulevé par la recourante en lien avec le montant de la rente de vieillesse LPP qu’elle percevra ensuite du partage.

S’agissant de la différence d’âge entre les parties, singulièrement, du fait que l’intimée a encore, contrairement à la recourante, la possibilité de cotiser au 2e pilier après la dissolution du partenariat, il s’agit d’un élément qui a déjà été pris en considération par la Cour de justice. C’est en effet notamment pour tenir compte de cette circonstance que la cour cantonale s’est écartée du principe d’un partage par moitié, prévoyant que 30% seulement des avoirs à partager devraient être versés sur un compte de libre-passage en faveur de l’intimée. On ne saurait y voir une violation du droit fédéral en défaveur de la recourante, dans la mesure où en réalité, selon la jurisprudence, une exception au partage par moitié en raison de la différence d’âge ne peut en principe être admise que si les partenaires ont des revenus et des perspectives de prestations de vieillesse futures comparables (cf. supra consid. 4.2.2). Il est en outre indéniable que le partenariat enregistré, en particulier la répartition des tâches entre les parties durant celui-ci – dont les ex-partenaires s’étaient à tout le moins accommodées – a eu une incidence sur la situation financière de l’intimée, qui, à l’inverse de la recourante, n’a pas exercé d’activité lucrative durant l’union, consacrant son temps au ménage et à l’éducation des enfants respectifs des parties. Contrairement à ce que présuppose la recourante, le fait que le couple n’ait pas eu d’enfant commun n’est pas déterminant à cet égard. Enfin, elle ne soutient pas que l’on se trouverait en présence d’autres justes motifs, notamment que l’intimée se porterait beaucoup mieux qu’elle financièrement (cf. sur ce critère supra consid. 4.2.1).

Consid. 6.2.3
En définitive, la critique de la recourante ne permet pas de démontrer que le partage tel qu’il a été ordonné entraînerait pour elle des désavantages flagrants par rapport à la situation de l’intimée, partant, qu’il consacrerait à son détriment un abus du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité cantonale dans l’application de l’art. 124b CC (applicable en l’espèce par renvoi de l’art. 33 LPart). Si elle cite l’art. 122 CC dans le titre de ses griefs, on ne voit pas en quoi cette disposition, qui prévoit que les avoirs de prévoyance professionnelle doivent en principe être partagés entre les ex-conjoints, serait violée, et la recourante ne fournit pas d’explication à ce propos. La recourante ne fait au surplus pas valoir qu’en application de l’art. 281 al. 3 CPC, l’autorité cantonale aurait dû déférer d’office la cause au tribunal compétent en vertu de la LFLP, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se pencher sur cette question (cf. supra consid. 2.1).

 

Le TF / rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 5A_483/2023 consultable ici

 

Initiative parlementaire Grossen 18.455 «Accorder la qualité de personne exerçant une activité lucrative indépendante en tenant compte de la volonté des parties» – Avis du Conseil fédéral du 21.03.2025

Initiative parlementaire Grossen 18.455 «Accorder la qualité de personne exerçant une activité lucrative indépendante en tenant compte de la volonté des parties» – Avis du Conseil fédéral du 21.03.2025

 

Avis du Conseil fédéral paru in FF 2025 1042

 

Le Conseil fédéral s’oppose à l’initiative parlementaire 18.455 « Accorder la qualité de personne exerçant une activité lucrative indépendante en tenant compte de la volonté des parties » et recommande de ne pas entrer en matière sur le projet.

Le Conseil fédéral estime que le système actuel de détermination du statut (salarié ou indépendant) en droit des assurances sociales est adéquat et flexible. Il permet de couvrir toutes les formes d’activité et de s’adapter à l’évolution du marché du travail, y compris l’économie numérique. Par exemple, il est désormais possible d’effectuer une demande de reconnaissance de l’activité indépendante par le biais d’un formulaire en ligne (www.independants-suisse.ch), ce qui simplifie considérablement le processus.

Selon le Conseil fédéral, la prise en compte systématique de la volonté des parties pour déterminer le statut, comme le propose la majorité de la commission, poserait plusieurs problèmes :

  • Incompatibilité avec le droit public : Le droit des assurances sociales relève du droit public et les critères de détermination du statut doivent rester objectifs. Il ne peut être du ressort des administrés de décider eux-mêmes de leur statut et des obligations qui en découlent.
  • Risque d’insécurité juridique : La volonté des parties est un concept subjectif, difficile à déterminer clairement, ce qui pourrait nuire à la sécurité juridique.
  • Affaiblissement de la protection sociale : Il y a un risque de privilégier le statut d’indépendant au détriment de la protection sociale des travailleurs. Le droit des assurances sociales ne peut pas l’ignorer, compte tenu de l’impact qu’une lacune de couverture peut avoir sur la collectivité publique (prestations complémentaires, aide sociale).
  • Incompatibilité avec le droit du travail : La mesure proposée serait incompatible avec le droit du travail où la volonté des parties n’est pas un critère déterminant.
  • Divergence avec les tendances internationales : Le projet ne tient pas compte des évolutions au niveau de l’UE, qui tend à renforcer la protection des travailleurs des plateformes numériques (présomption légale réfragable en faveur d’une activité salariée). Selon la directive de l’UE, la détermination du statut se fonde sur les faits constatés et ne tient pas compte de la désignation du statut par les parties concernées.

Le Conseil fédéral rejette également la proposition de la minorité de la commission, estimant qu’elle ne résoudrait pas les problèmes évoqués et affaiblirait aussi la sécurité juridique.

Concernant la proposition de soutenir les indépendants dans leurs démarches liées à l’obligation de cotiser, le Conseil fédéral estime qu’une adaptation du cadre légal n’est pas nécessaire, car des solutions existent déjà.

En conclusion, le Conseil fédéral considère que le projet fragiliserait le cadre légal actuel, nuirait à la sécurité juridique et affaiblirait la position des travailleurs. Il ne voit donc pas la nécessité de légiférer dans ce domaine.

 

Avis du Conseil fédéral du 21.03.2025 paru in FF 2025 1042

Cf. également Rapport de la CSSS-N du 14.02.2025

 

9C_278/2024 (f) du 10.12.2024 – Rente de concubin survivant – Concubinage et notions de «ménage commun» et de «domicile commun» / 20a LPP – 23 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_278/2024 (f) du 10.12.2024

 

Consultable ici

 

Rente de concubin survivant – Concubinage et notions de «ménage commun» et de «domicile commun» / 20a LPP – 23 CC

 

B.__ et A.__ ont formé une communauté de vie, dont sont issus deux enfants nés en 1997 et 1999. Le 17.10.2021, B.__ et A.__ ont adressé à l’institution de prévoyance de B.__ un formulaire d’annonce de concubinage, en indiquant former un ménage commun depuis le 05.08.1995. L’adresse du prénommé était à U.__. Quant à celle de B.__, elle était à V.__.

À la suite du décès de B.__ survenu en novembre 2021, A.__ s’est adressé à la caisse de pensions pour lui demander s’il avait droit à des prestations. Au terme d’un échange de correspondances, l’institution de prévoyance a nié le droit du prénommé à des prestations de survivants, pour le motif qu’il ne vivait pas officiellement à la même adresse que feue sa concubine.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 21/23 – 15/2024 – consultable ici)

Par jugement du 25.03.2024, admission de l’action par le tribunal cantonal, condamnant l’institution de prévoyance à verser au prénommé une rente mensuelle de concubin survivant de CHF 1’388.20 dès le 01.12.2021, avec intérêt moratoire à 5% sur chaque échéance.

 

TF

Consid. 2.1
Le litige porte sur le droit du concubin survivant à des prestations de survivants de la prévoyance professionnelle plus étendue, singulièrement à une prestation (réglementaire) de concubin survivant. Est seul litigieux le point de savoir si la juridiction cantonale a interprété à bon droit la notion de « ménage commun » entre l’assurée défunte et son concubin survivant au sens de l’art. 71 al. 1 let. a du règlement des prestations de la caisse de pension (RPC).

Consid. 2.3
On ajoutera, à la suite de l’instance cantonale, que les prestations au conjoint survivant ou au concubin sont régies aux art. 65 à 71 RPC. Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31.12.2023, applicable en l’espèce (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références), l’art. 71 al. 1 let. a RPC, avec le titre marginal « Concubin », prévoit que le concubin d’un assuré ou d’un pensionné qui décède a droit à une prestation au sens des art. 65 ou 69 RPC, jusqu’à son décès, jusqu’à son mariage ou à la naissance d’une autre relation de concubinage, s’il prouve que l’assuré ou le pensionné défunt vivait en ménage commun avec le survivant au jour du décès depuis cinq ans, de manière ininterrompue; ce délai est ramené à une année si les concubins ont un enfant au sens de l’art. 75 RPC.

Consid. 3.1 [résumé]
La juridiction cantonale a constaté que, durant l’année précédant le décès de B.__, le concubin était domicilié à U.__ tandis que la défunte l’était à V.__. Malgré cette différence d’adresse, la cour a estimé que les preuves fournies établissaient, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le couple avait effectivement vécu en ménage commun durant la période en cause, malgré l’absence d’une adresse commune de domicile. Sur la base d’une projection fournie par l’institution de prévoyance, les juges ont fixé le montant de la prestation de concubin survivant à CHF 1’388.20. Ils ont ordonné à la caisse de pensions de verser cette prestation au concubin survivant à partir de décembre 2021, avec des intérêts de 5% pour chaque échéance.

Consid. 4.1
À la suite des juges cantonaux, on rappellera que le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion d’interpréter la notion de « ménage commun » au sens de l’art. 65a let. a aLCP, dont la teneur a depuis lors été reprise à l’art. 71 al. 1 let. a RPC. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 12 juin 2012, la II e Cour de droit social (depuis le 1er janvier 2023: III e Cour de droit public) a considéré que le législateur vaudois n’entendait pas s’éloigner de la notion de vie en ménage commun au sens courant ou usuel, mais retenait celle de communauté domestique ou de communauté de toit impliquant un domicile commun des deux concubins (arrêt 9C_403/2011 précité consid. 4.2.4). Les conditions pour procéder à un revirement de jurisprudence ne sont pas réalisées en l’espèce (sur ce point, cf. ATF 142 V 112 consid. 4.4 et les arrêts cités), si bien qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de cette jurisprudence. Ni la recourante ni le concubin survivant ne prétendent le contraire. La notion de « ménage commun » au sens de l’art. 71 al. 1 let. a RPC doit dès lors être comprise comme impliquant un domicile commun des concubins.

Consid. 4.2
Il reste à examiner ce qu’exige la notion de domicile commun.

Consid. 4.2.1
La notion de domicile est définie à l’art. 23 CC. Aux termes de l’art. 23 al. 1, 1re phrase, CC, le domicile de toute personne est au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir. Nul ne peut avoir en même temps plusieurs domiciles (art. 23 al. 2 CC). La notion de domicile contient deux éléments: d’une part, la résidence, soit un séjour d’une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits et, d’autre part, l’intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence qui doit être reconnaissable pour les tiers et donc ressortir de circonstances extérieures et objectives. Cette intention implique la volonté manifestée de faire d’un lieu le centre de ses relations personnelles et professionnelles. L’intention d’une personne de se fixer au lieu de sa résidence ne doit pas être examinée de façon subjective, au regard de sa volonté interne, mais à la lumière de circonstances objectives, reconnaissables pour les tiers, permettant de conclure à l’existence d’une telle intention. Le domicile d’une personne se trouve ainsi au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites, compte tenu de l’ensemble des circonstances. Le lieu où les papiers d’identité ont été déposés ou celui figurant dans des documents administratifs, comme des attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales constituent des indices qui ne sauraient toutefois l’emporter sur le lieu où se focalise un maximum d’éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l’intéressé (ATF 141 V 530 consid. 5.2 et les arrêts cités).

Le lieu où la personne réside (élément objectif) et son intention de s’établir (élément subjectif) relèvent de l’établissement des faits, que le Tribunal fédéral ne corrige qu’en cas d’arbitraire (art. 97 al. 1 LTF, en relation avec l’art. 9 Cst.). En revanche, les conclusions à en déduire sous l’angle de l’art. 23 al. 1 CC quant à l’intention de s’établir ressortissent au droit, dont le Tribunal fédéral revoit librement l’application (ATF 136 II 405 consid. 4.3; arrêts 8C_32/2024 du 4 novembre 2024 consid. 8.3.1; 6B_1022/2023 du 27 mars 2024 consid. 2.1.2).

Consid. 4.2.2
En l’occurrence, si la juridiction cantonale a retenu que le concubin survivant a été domicilié officiellement à U.__ (conformément à l’attestation établie par le Service du contrôle des habitants, elle n’a toutefois pas examiné si ce lieu correspondait effectivement à l’endroit avec lequel le concubin survivant avait les relations les plus étroites. Or en admettant que l’intéressé avait vécu en ménage commun avec B.__ au sens de l’art. 71 al. 1 let. a RPC au moins depuis novembre 2020, les juges cantonaux ont en fin de compte reconnu un domicile commun. En effet, il ressort de leurs constatations que, d’un point de vue objectif, le centre des relations de A.__ se trouvait à V.__ durant la période déterminante. Selon les faits constatés dans le jugement attaqué, le concubin survivant et B.__ étaient copropriétaires, chacun pour une demie, du logement sis à cette adresse depuis 2003 et différentes correspondances y avaient été envoyées au prénommé (s’agissant de cotisations qu’il avait acquittées dans le cadre de son activité professionnelle et des primes de l’assurance-maladie et de l’assurance-ménage, notamment). Selon les témoignages de trois habitants de l’immeuble sis à V.__, A.__ avait été présent à cette adresse sans discontinuité et le prénommé avait par ailleurs expliqué, dans ses premières déclarations, que le logement qu’il louait depuis plus de 44 ans à U.__ était destiné uniquement à des fins professionnelles. On constate effectivement, à la lecture du courrier que le concubin survivant a adressé à l’institution de prévoyance le 20.02.2023, qu’il indiquait s’être inscrit au Service du contrôle des habitants à l’adresse de U.__ afin de pouvoir conserver la jouissance de cet appartement pour son travail, tandis que l’appartement sis à V.__ constituait le « siège de l’activité familiale » où étaient domiciliés feue sa concubine et leurs deux enfants.

Les constatations de la juridiction cantonale quant au ménage commun formé par le concubin survivant et feue l’assurée mettent en évidence que le centre des intérêts du concubin survivant au sens de l’art. 23 al. 1 CC se trouvait au lieu où il vivait avec ses enfants et leur mère, à V.__. L’institution de prévoyance ne s’en prend pas à ces constatations. Elle se limite à affirmer que l’exigence d’un domicile commun qu’elle a posée dans son règlement de prévoyance est « parfaitement conforme au droit fédéral pertinent », sans se référer aux éléments constitutifs de la notion de domicile au sens de l’art. 23 CC. Ce faisant, elle méconnaît que le domicile d’une personne ne se trouve pas nécessairement à l’adresse indiquée auprès du Service du contrôle des habitants (consid. 4.2.1 supra).

Consid. 4.2.3
En définitive, compte tenu des circonstances, la conclusion de la juridiction de première instance, selon laquelle le concubin survivant et B.__ ont vécu en ménage commun durant l’année précédant le décès de cette dernière, malgré l’absence d’une adresse commune, doit être confirmée. Le jugement entrepris est conforme au droit dans son résultat.

 

Le TF rejette le recours de l’institution de prévoyance.

 

Arrêt 9C_278/2024 consultable ici