Arrêt du Tribunal fédéral 5A_483/2023 (f) du 29.10.2024
Partage d’avoirs de prévoyance professionnelle d’ex-partenaires enregistrées / 33 LPart – 123 CC
Exception au partage par moitié des avoirs de prévoyance professionnelle / 124b CC
A.__, née en 1958, et B.__, née en 1968, ont conclu un partenariat enregistré le 26.10.2009. Chacune avait déjà un enfant issu d’une relation antérieure. Le couple s’est séparé le 23.06.2018.
A.__ a pris sa retraite le 01.04.2022.
Le 24.06.2022, le Tribunal de première instance a prononcé la dissolution du partenariat enregistré et a statué qu’il n’y avait pas lieu de partager les avoirs de prévoyance professionnelle accumulés par A.__ pendant la durée du partenariat.
Procédure cantonale (arrêt ACJC/668/2023 – consultable ici)
Par arrêt du 23.05.2023, la Cour de justice du canton de Genève a annulé et réformé le jugement de première instance concernant le partage des avoirs de prévoyance. Elle a ordonné que les avoirs de prévoyance professionnelle accumulés par A.__ pendant le partenariat soient partagés à raison de 70% pour A.__ et 30% pour B.__. En conséquence, la Cour de justice a ordonné à la Caisse de pensions concernée de transférer 67’485 fr. 80 du compte de prévoyance de A.__ vers un compte de libre-passage au nom de B.__.
TF
Consid. 3.1 [résumé]
Le Tribunal de première instance a constaté que les avoirs de prévoyance professionnelle de A.__, retraitée depuis le 01.04.2022, s’élevaient à CHF 292’108.20 au 31.12.2019. Sur ce montant, CHF 224’952.65 étaient en principe à partager entre les ex-partenaires, le reste (CHF 67’155.55) ayant été accumulé avant le partenariat. B.__ n’avait jamais cotisé durant le partenariat. Le Tribunal de première instance a jugé qu’un partage serait inéquitable pour plusieurs raisons : la vie commune n’avait duré que neuf ans, A.__ avait soutenu financièrement B.__ et leurs enfants respectifs, et un partage réduirait sa rente LPP de CHF 1’804 à CHF 1’274 par mois, laissant ses revenus totaux à CHF 2’648, ce qui couvrirait à peine ses charges incompressibles. De plus, A.__ étant à la retraite, elle ne pouvait plus augmenter ses avoirs de prévoyance, contrairement à B.__ qui, plus jeune, pouvait encore travailler et cotiser pendant plus de dix ans.
Consid. 3.2 [résumé]
La Cour de justice a précisé que, puisque aucun cas de prévoyance n’était survenu au moment de la demande de dissolution du partenariat le 03.01.2020, les avoirs de prévoyance professionnelle accumulés par A.__ durant le partenariat devaient en principe être partagés par moitié. Toutefois, elle a estimé qu’il était justifié de s’écarter de ce principe et d’opter pour une répartition à raison de 70% en faveur de A.__ et 30% en faveur de B.__.
Elle a tenu compte du fait qu’A.__, salariée jusqu’à sa retraite en avril 2022, avait pu accumuler une prestation de sortie de CHF 224’952.65, tandis que B.__, qui s’était consacrée au ménage et à l’éducation des enfants, n’avait pas travaillé ni cotisé durant le partenariat. La prévoyance globale d’A.__ incluait une rente AVS mensuelle de CHF 1’374 et une rente LPP de CHF 1’804, totalisant CHF 3’178. En cas de partage par moitié, ses prestations auraient été réduites à CHF 2’648, à peine suffisantes pour couvrir ses charges incompressibles (CHF 2’538.21). En revanche, B.__ n’avait pas démontré avoir cherché activement un emploi ni tenté d’augmenter son taux d’activité comme promeneuse de chiens depuis la séparation. Elle disposait encore d’une décennie pour se constituer une prévoyance professionnelle adéquate, contrairement à A.__ qui ne pouvait plus augmenter ses avoirs.
La Cour de justice a néanmoins reconnu que la durée du partenariat avait eu un impact sur la situation financière de B.__, qui n’avait pas pu cotiser en raison du choix de vie adopté par les parties. Elle a jugé qu’un partage à raison de 70% pour A.__ et 30% pour B.__ était équitable, permettant à A.__ de conserver une rente LPP estimée à CHF 1’500, tout en attribuant à B.__ un montant de CHF 67’485.80 (soit 30% de CHF 224’952.65) transféré sur un compte de libre-passage en sa faveur.
Consid. 4
En vertu de l’art. 33 LPart, les prestations de sortie de la prévoyance professionnelle acquises pendant la durée du partenariat enregistré sont partagées conformément aux dispositions du droit du divorce concernant la prévoyance professionnelle.
Consid. 4.1
L’art. 123 al. 1 CC pose le principe selon lequel les prestations de sortie acquises, y compris les avoirs de libre passage et les versements anticipés pour la propriété du logement, sont partagées par moitié. Cette disposition s’applique aussi lorsque, comme en l’espèce, un cas de prévoyance vieillesse survient alors que la procédure de dissolution du partenariat enregistré est pendante. Dans une telle situation, l’institution de prévoyance peut toutefois réduire la prestation de sortie à partager au sens de l’art. 123 CC, ainsi que la rente de vieillesse (cf. en matière de divorce arrêts 5A_153/2019 du 3 septembre 2019 consid. 6.3.2; 5A_94/2019 du 13 août 2019 consid. 5.3 et les références; cf. aussi art. 22a al. 4 LVLP et 19g al. 1 OLP).
Consid. 4.2
L’art. 124b CC règle les conditions auxquelles le juge (ou les époux) peuvent déroger au principe du partage par moitié prévu à l’art. 123 CC. Selon l’art. 124b al. 2 CC, le juge peut ainsi attribuer moins de la moitié de la prestation de sortie au conjoint créancier ou n’en attribuer aucune pour de justes motifs. C’est le cas en particulier lorsque le partage par moitié s’avère inéquitable en raison de la liquidation du régime matrimonial ou de la situation économique des époux après le divorce (ch. 1) ou des besoins de prévoyance de chacun des époux, compte tenu notamment de leur différence d’âge (ch. 2).
Cette disposition doit être appliquée de manière restrictive, afin d’éviter que le principe du partage par moitié des avoirs de prévoyance soit vidé de son contenu (arrêts 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1; 5A_106/2021 du 17 mai 2021 consid. 3.1 et la référence à l’ATF 145 III 56; 5A_524/2020 du 2 août 2021 consid. 5.4). Toute inégalité consécutive au partage par moitié ou persistant après le partage par moitié ne constitue pas forcément un juste motif au sens de l’art. 124b al. 2 CC. Les proportions du partage ne doivent toutefois pas être inéquitables. L’iniquité se mesure à l’aune des besoins de prévoyance professionnelle de l’un et de l’autre conjoint. Le partage est donc inéquitable lorsque l’un des époux subit des désavantages flagrants par rapport à l’autre conjoint (arrêts 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1; 5A_277/2021 du 30 novembre 2021 consid. 7.1.1 et les références).
Consid. 4.2.1
Il y a par exemple iniquité selon l’art. 124b al. 2 ch. 1 CC lorsque l’un des époux est employé, dispose d’un revenu et d’un deuxième pilier modestes, tandis que l’autre conjoint est indépendant, ne dispose pas d’un deuxième pilier, mais se porte beaucoup mieux financièrement (arrêts 5A_106/2021 du 17 mai 2021 consid. 3.1; 5A_194/2020 du 5 novembre 2020 consid. 4.11).
Consid. 4.2.2
Comme le législateur l’a expressément souligné à l’art. 124b al. 2 ch. 2 CC, il peut être justifié de déroger au principe du partage par moitié lorsqu’il existe une grande différence d’âge entre les époux, afin de tenir compte de la situation du conjoint qui, du fait d’un âge plus avancé et de la progressivité des cotisations, a accumulé des prétentions de prévoyance beaucoup plus importantes durant le mariage (arrêt 5A_153/2019 du 3 septembre 2019 consid. 6.3.2 et les références). Sous l’angle des besoins de prévoyance, le partage est inéquitable lorsque l’un des époux subit des désavantages flagrants par rapport à l’autre conjoint, de sorte qu’une exception au partage par moitié en raison de la différence d’âge ne peut être admise que si les époux ont des revenus et des perspectives de prestations de vieillesse futures comparables (arrêt 5A_153/2019 du 3 septembre 2019 consid. 6.3.2 et les références). Les besoins de prévoyance des conjoints sont des faits futurs ou hypothétiques, qui doivent être rendus vraisemblables sur la base de faits passés, ce qui a trait à l’appréciation des preuves (arrêts 5A_729/2020 du 4 février 2021 consid. 8.1; 5A_868/2019 du 23 novembre 2019 consid. 5.2).
Consid. 4.3
Le principe d’un partage par moitié des prétentions de prévoyance professionnelle des époux doit en définitive guider le juge, l’art. 124b CC étant une disposition d’exception (cf. supra consid. 4.2). Cependant, il ne s’agit nullement d’appliquer le principe précité de manière automatique; il faut tenir compte des circonstances du cas d’espèce et se prononcer en équité (arrêt 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1). Le juge dispose en la matière d’un large pouvoir d’appréciation, que le Tribunal fédéral ne revoit qu’avec retenue. Il intervient lorsque celui-ci s’écarte sans raison des règles établies en la matière par la doctrine et la jurisprudence, ou lorsqu’il s’appuie sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle, ou encore lorsqu’il ignore des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; en outre, le Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en vertu d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (arrêts 5A_469/2023 du 13 décembre 2023 consid. 5.1; 5A_443/2018 du 6 novembre 2018 consid. 2.2 et les références, non publié aux ATF 145 III 56).
Consid. 6.2.1
A.__ (recourante) se méprend lorsqu’elle soutient que la Cour de justice aurait dû s’assurer du fait qu’après que ses avoirs de prévoyance professionnelle auront été partagés, elle sera en mesure de couvrir son minimum vital. En l’occurrence, ce n’est que la situation respective des parties en matière de prévoyance qui est déterminante pour établir si le partage est inéquitable compte tenu de l’ensemble des circonstances (cf. supra consid. 4.2). Lorsque le juge décide d’attribuer moins de la moitié de la prestation de sortie au conjoint créancier en application de l’art. 124b al. 2 CC, la seule circonstance que le minimum vital d’une partie ne serait plus couvert ne permet pas de refuser tout partage, contrairement à ce qui prévaut dans le cas d’une exclusion conventionnelle du partage par moitié selon l’art. 124b al. 1 CC (PASCAL PICHONNAZ, in Commentaire romand Code civil I, 2ème éd. 2023, n° 15 et 61 ad art. 124b CC; dans le même sens CHRISTINE ARNDT, Art. 124 ZGB im Wandel – zur Problematik der angemessenen Entschädigung bei ungenügender Leistungsfähigkeit des Verpflichteten, FamPra. ch 3/2014, 584 ss, spéc. p. 590 s.). Retenir l’inverse risquerait fréquemment de conduire à un refus de partage lorsque, comme en l’espèce, chacune des parties a une situation financière modeste, même si seule l’une d’elles a travaillé durant le partenariat enregistré. Cela ne correspond pas au but poursuivi par le législateur, à savoir compenser les lacunes de prévoyance du conjoint qui, durant l’union renonce, totalement ou partiellement, à une activité lucrative et se consacre à l’éducation des enfants ou à la tenue du ménage (ATF 129 III 577 consid. 4.2.1 et la référence au Message concernant la révision du code civil suisse du 15 novembre 1995, FF 1996 I 101 ss n. 233.41).
Par ailleurs, contrairement à ce que semble soutenir la recourante, le fait que le conjoint débiteur (en l’occurrence la recourante) dispose encore, après le partage des avoirs, d’une prévoyance vieillesse et invalidité adéquate, ne constitue pas non plus une condition d’application de l’art. 124b al. 2 CC, contrairement à ce que prévoit expressément l’art. 124b al. 3 CC pour les cas où le juge décide d’ordonner l’attribution de plus de la moitié de la prestation de sortie au conjoint créancier (PICHONNAZ, op. cit., n. 61 s. ad art. 124b CC).
Consid. 6.2.2
Il reste ainsi à vérifier si, en ordonnant le transfert de 30% des avoirs de prévoyance professionnelle à partager en faveur de l’intimée, la recourante se trouve désavantagée de manière évidente par rapport à son ex-partenaire.
Comme rappelé plus haut, l’iniquité du partage se mesure à l’aune des besoins de prévoyance de chacune des parties, qui doivent être comparés (cf. supra consid. 4.1 et 4.2). Les avoirs de prévoyance professionnelle à partager ont été exclusivement accumulés par A.__ (recourante) et s’élèvent à CHF 224’952.65, montant qui n’est pas remis en cause en tant que tel par la recourante dans son recours fédéral (pas plus qu’il ne l’était en instance cantonale), de sorte qu’il lie le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF). B.__ (intimée) n’a pour sa part jamais cotisé auprès d’une institution de prévoyance professionnelle, à tout le moins jusqu’à l’introduction de la demande de dissolution du partenariat enregistré.
Même si on suivait la recourante lorsqu’elle affirme que l’intimée pourrait encore accumuler un capital-vieillesse de CHF 43’000 en travaillant jusqu’à l’âge de la retraite, allouer 30% des avoirs à partager en faveur de l’intimée aurait pour conséquence que les avoirs de celle-ci s’élèveraient à CHF 110’485.80 (à savoir CHF 43’000 + [CHF 224’952.65 x 30%]), soit un montant largement inférieur à celui des avoirs demeurant en main de la recourante, qui s’élève à CHF 224’160.40 (à savoir CHF 67’155. 55 [accumulés avant la conclusion du partenariat] + [CHF 224’952.65 x 70%]). Sous cet angle, et même dans l’hypothèse où sa rente de vieillesse LPP devait être revue à la baisse consécutivement au partage en raison d’un trop-perçu, on ne discerne pas en quoi le partage tel qu’il a été ordonné désavantagerait de manière évidente la recourante par rapport à l’intimée.
Quant au point de savoir s’il faut prendre en considération les rentes AVS des parties dans l’appréciation des besoins de prévoyance, il peut demeurer indécis dans les circonstances de l’espèce (cf. sur ce point ANNE-SYLVIE DUPONT, Les nouvelles règles de partage de la prévoyance professionnelle en cas de divorce et les autres régimes d’assurances sociales, Fampra.ch 2017 p. 38 ss, spéc. p. 42). En effet, même si comme l’affirme la recourante, après la dissolution du partenariat, sa propre rente AVS s’élevait à CHF 1’222 au lieu des CHF 1’374 retenus par la cour cantonale, cette rente sera toujours supérieure au montant de CHF 1’000 auquel elle prétend qu’il faut estimer la future rente AVS de l’intimée. Autant que pertinents dans un tel contexte, les griefs tirés des art. 29quinquies al. 3 à 5 LAVS et 50b al. 1 et 3 RAVS n’ont donc pas d’influence sur l’issue du litige. Il en va de même du grief de violation de l’art. 19g OLP soulevé par la recourante en lien avec le montant de la rente de vieillesse LPP qu’elle percevra ensuite du partage.
S’agissant de la différence d’âge entre les parties, singulièrement, du fait que l’intimée a encore, contrairement à la recourante, la possibilité de cotiser au 2e pilier après la dissolution du partenariat, il s’agit d’un élément qui a déjà été pris en considération par la Cour de justice. C’est en effet notamment pour tenir compte de cette circonstance que la cour cantonale s’est écartée du principe d’un partage par moitié, prévoyant que 30% seulement des avoirs à partager devraient être versés sur un compte de libre-passage en faveur de l’intimée. On ne saurait y voir une violation du droit fédéral en défaveur de la recourante, dans la mesure où en réalité, selon la jurisprudence, une exception au partage par moitié en raison de la différence d’âge ne peut en principe être admise que si les partenaires ont des revenus et des perspectives de prestations de vieillesse futures comparables (cf. supra consid. 4.2.2). Il est en outre indéniable que le partenariat enregistré, en particulier la répartition des tâches entre les parties durant celui-ci – dont les ex-partenaires s’étaient à tout le moins accommodées – a eu une incidence sur la situation financière de l’intimée, qui, à l’inverse de la recourante, n’a pas exercé d’activité lucrative durant l’union, consacrant son temps au ménage et à l’éducation des enfants respectifs des parties. Contrairement à ce que présuppose la recourante, le fait que le couple n’ait pas eu d’enfant commun n’est pas déterminant à cet égard. Enfin, elle ne soutient pas que l’on se trouverait en présence d’autres justes motifs, notamment que l’intimée se porterait beaucoup mieux qu’elle financièrement (cf. sur ce critère supra consid. 4.2.1).
Consid. 6.2.3
En définitive, la critique de la recourante ne permet pas de démontrer que le partage tel qu’il a été ordonné entraînerait pour elle des désavantages flagrants par rapport à la situation de l’intimée, partant, qu’il consacrerait à son détriment un abus du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité cantonale dans l’application de l’art. 124b CC (applicable en l’espèce par renvoi de l’art. 33 LPart). Si elle cite l’art. 122 CC dans le titre de ses griefs, on ne voit pas en quoi cette disposition, qui prévoit que les avoirs de prévoyance professionnelle doivent en principe être partagés entre les ex-conjoints, serait violée, et la recourante ne fournit pas d’explication à ce propos. La recourante ne fait au surplus pas valoir qu’en application de l’art. 281 al. 3 CPC, l’autorité cantonale aurait dû déférer d’office la cause au tribunal compétent en vertu de la LFLP, de sorte qu’il n’y a pas lieu de se pencher sur cette question (cf. supra consid. 2.1).
Le TF / rejette le recours de A.__.
Arrêt 5A_483/2023 consultable ici