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8C_626/2021 (f) du 19.01.2022 – Maladie professionnelle – Silicose – Lien de causalité / Qualifications médicales des médecins de la CNA/Suva

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_626/2021 (f) du 19.01.2022

 

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Maladie professionnelle – Silicose – Lien de causalité / 9 LAA

Qualifications médicales des médecins de la CNA/Suva

 

Assuré, né en 1978, a travaillé depuis le 13.07.2013 comme employé d’exploitation. Avant son arrivée en Suisse, il avait exercé différentes activités au Portugal, notamment dans des carrières de pierres ou dans des entreprises de construction. Par courrier du 23.11.2018, il a déclaré à l’assurance-accidents être en incapacité de travail et souffrir d’une maladie professionnelle.

L’assurance-accidents a procédé aux éclaircissements usuels, en rapport avec l’activité professionnelle de l’assuré et produits de nettoyage utilisés par l’entreprise. Dans l’appréciation médicale du 18.06.2019, le docteur C.__, médecin-conseil, spécialiste en médecine du travail et en médecine interne, a retenu que l’assuré souffrait d’une silicose associée à une vasculite à ANCA (anticorps anticytoplasme des polynucléaires neutrophiles) et que cette affection était secondaire à ses activités exercées au Portugal. Compte tenu du fait qu’une exposition aux poussières de silice n’était pas attestée en Suisse, la responsabilité de l’assurance-accidents n’était pas engagée. Se fondant sur cette appréciation, l’assurance-accidents a refusé le droit à des prestations d’assurance par décision, confirmée sur opposition.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 19.07.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies (art. 3 LPGA) dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux; le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Se fondant sur cette délégation de compétence – à laquelle renvoie l’art. 14 OLAA -, le Conseil fédéral a dressé à l’annexe 1 de l’OLAA la liste des substances nocives, d’une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d’autres part. Ces substances et travaux, ainsi que les affections dues à ceux-ci, sont énumérés de manière exhaustive (arrêt 8C_800/2019 du 18 novembre 2020 consid. 3.1.1 et la référence).

Selon la jurisprudence, l’exigence d’une relation prépondérante requise par l’art. 9 al. 1 LAA est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l’action d’une substance nocive ou à certains travaux mentionnés à l’annexe 1 de l’OLAA (ATF 133 V 421 consid. 4.1 et les références).

Aux termes de l’art. 9 al. 2 LAA, sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle. Il s’agit là d’une clause générale visant à combler les lacunes qui pourraient résulter de ce que la liste dressée par le Conseil fédéral à l’annexe 1 de l’OLAA ne mentionne pas soit une substance nocive qui a causé une maladie, soit une maladie qui a été causée par l’exercice de l’activité professionnelle (ATF 119 V 200 consid. 2b; 117 V 354 consid. 2b; 114 V 109 consid. 2b et les références).

 

Qualifications médicales des médecins de la CNA/Suva

S’agissant tout d’abord des qualifications médicales du docteur C.__, c’est à juste titre que la cour cantonale a relevé que ce praticien est titulaire d’une spécialisation en médecine du travail ainsi qu’en médecine interne, de sorte qu’il dispose des connaissances suffisantes pour se prononcer sur l’existence d’un lien de causalité entre les troubles respiratoires de l’assuré et l’activité professionnelle assurée. On ne voit d’ailleurs pas en quoi un spécialiste en pneumologie serait plus compétent qu’un spécialiste en médecine du travail pour se prononcer sur l’existence d’une maladie professionnelle. En effet, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les médecins de la CNA sont considérés, de par leur fonction et leur position professionnelle, comme étant des spécialistes en matière de traumatologie respectivement de maladie professionnelle, indépendamment de leur spécialisation médicale (cf. arrêts 8C_59/2020 du 14 avril 2020 consid. 5.2; 8C_316/2019 du 24 octobre 2019 consid. 5.4).

S’il est vrai que le docteur C.__ n’a pas examiné l’assuré personnellement pour arriver à la conclusion que les troubles respiratoires de celui-ci n’étaient pas dus à une activité professionnelle exercée en Suisse, ses appréciations tiennent néanmoins compte de l’intégralité du dossier médical. Un examen personnel n’aurait au demeurant pas permis d’apporter de clarification quant au diagnostic de silicose pulmonaire posé par la doctoresse F.__, puis remis en question par le docteur D.__. Quoi qu’il en soit, aucun des spécialistes consultés n’attribue les troubles pulmonaires de l’assuré à l’exercice de son activité professionnelle au sein de l’entreprise assurée.

 

Maladie professionnelle et lien de causalité

Ainsi, si la doctoresse F.__ a posé le diagnostic de silicose, elle semble l’attribuer avant tout à l’exposition professionnelle de l’assuré dans les carrières au Portugal. Elle n’a en tout cas pas évoqué l’activité de l’assuré auprès de l’entreprise B.__ SA dans ce contexte, et encore moins conclu à l’existence d’un lien de causalité entre la silicose et celle-ci. Quant à la toux chronique diagnostiquée en juillet 2020, la pneumologue a indiqué que la sémiologie de cette affection était évocatrice d’un asthme déclenché par l’effort et n’avait pas de lien avec les autres diagnostics. Si elle en a conclu qu’il s’agissait « d’un asthme aggravé au travail » par « l’exposition à des produits chimiques ou des facteurs physiques comme la vapeur », cela n’est pas pertinent pour le litige, dans la mesure où elle n’énonce aucune substance nocive mentionnée à l’annexe 1 de l’OLAA (ch. 1). Même s’il fallait considérer qu’il s’agit d’une affection de l’appareil respiratoire (ch. 2 let. b annexe 1 OLAA), il n’existe aucun indice – l’assuré ne prétendant pas le contraire – que celui-ci aurait effectué des travaux dans les poussières de coton, de chanvre, de lin, de céréales et de leurs farines, d’enzymes, de moisissures et dans d’autres poussières organiques lors de son activité auprès de l’entreprise assurée.

L’assuré ne saurait en outre tirer un argument en sa faveur du rapport du docteur D.__. Ce spécialiste a relevé que le diagnostic de silicose pulmonaire lui semblait moins probable, compte tenu, d’une part, de la faible exposition professionnelle (trois ans d’activité comme machiniste au Portugal, activité à distance de la poussière selon les dires du patient) et, d’autre part, de la faible latence entre le début de l’exposition et le diagnostic (soit au maximum 5 ans entre 2010 et 2015), ce qui le faisait reconsidérer le diagnostic de sarcoïdose ou d’une autre pneumopathie interstitielle. Quant à la vasculite à ANCA, il n’existait pas de cas décrit dans la littérature en lien avec une activité dans la production de fromage. Cette activité ne pouvait en particulier pas générer de pneumopathie interstitielle ni de vasculite. L’exposition aux produits de nettoyage et de désinfections utilisé par l’entreprise n’était en outre pas connue, selon les fiches de données de sécurité, pour engendrer une quelconque toxicité respiratoire chronique et ne nécessitait pas de protection respiratoire particulière.

En résumé, il n’existe en l’occurrence aucun indice qui permettrait de mettre en doute, même de façon minime (ATF 145 V 97 consid. 8.5), la fiabilité et la pertinence des constatations du docteur C.__, si bien que l’assurance-accidents, puis les juges cantonaux, étaient fondés à nier le caractère de maladie professionnelle aux troubles annoncés par l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_626/2021 consultable ici

 

 

8C_13/2021 (f) du 06.09.2021 – Lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA / Déchirure partielle du tendon d’Achille – Preuve libératoire pas apportée par l’assurance-accidents

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_13/2021 (f) du 06.09.2021

 

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Lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA

Déchirure partielle du tendon d’Achille – Preuve libératoire pas apportée par l’assurance-accidents – Ad expertise médicale

 

Assuré, enseignant en éducation physique, a ressenti le 04.05.2019 une violente douleur derrière le pied droit, alors qu’il présentait un exercice dans le cadre d’un stage d’entraînement de gardiens de but de football. Diagnostic : rupture complète du tendon d’Achille droit, confirmée par une IRM effectuée le 10.05.2019. Le médecin-conseil de l’assurance-accidents, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a relevé dans un formulaire rempli le 30.07.2019 que l’assuré souffrait d’une déchirure partielle du tendon d’Achille sur fond dégénératif.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé d’allouer des prestations à l’assuré, au motif que l’événement du 04.05.2019 ne pouvait pas être qualifié d’accident et qu’il n’avait pas occasionné une lésion corporelle assimilée à un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 17/20 – 173/2020 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que l’assuré avait fait le 04.05.2019 la démonstration d’un exercice de sauts à la corde, suivi d’un démarrage en course, et qu’il avait ressenti une vive douleur au moment dudit démarrage. Cette lésion avait eu lieu dans un contexte sportif et aucune pièce au dossier ne faisait état d’un mouvement imprévu ou involontaire au moment de la survenance de la douleur, de sorte que l’on ne pouvait pas conclure à l’existence d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA.

Les juges cantonaux ont constaté que la déchirure du tendon s’était produite ensuite d’un événement clairement identifiable, à savoir un démarrage soudain lors d’un entraînement de football. Après s’être référée à des extraits issus de la littérature médicale sur la tendinopathie chronique, l’instance cantonale a retenu que le constat d’état remanié du tendon d’Achille, qui plaidait en faveur d’une atteinte relativement avancée dudit tendon, n’était pas remis en cause par l’avis du spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur traitant, qui avait déclaré ne pas pouvoir affirmer avec certitude que la rupture du tendon s’était produite sur une tendinopathie chronique. Cela étant, aucune pièce au dossier n’indiquait que l’assuré avait présenté des signes cliniques d’une telle affection avant l’événement du 04.05.2019, de sorte que la qualification des atteintes préexistantes de tendinopathie chronique par le médecin-conseil paraissait excessive. A tout le moins, le fait que de telles atteintes aient pu favoriser une déchirure aiguë du tendon d’Achille ne suffisait pas à considérer qu’elles en avaient constitué la cause prépondérante. Par ailleurs, au vu de la littérature médicale relative à la déchirure aiguë du tendon d’Achille, les circonstances de l’événement du 04.05.2019 (démarrage brusque avec changement de direction, contraction explosive du triceps sural, ainsi que douleur et claquement ressentis par l’assuré avec perte de fonction immédiate) étaient typiques d’une telle déchirure aiguë. Dans ce contexte, rien ne permettait de considérer que les facteurs dégénératifs préexistants ayant pu favoriser la lésion avaient, au degré de la vraisemblance prépondérante, joué un rôle causal prépondérant dans son apparition, par rapport au démarrage brusque effectué par l’assuré.

Par jugement du 10.11.2020, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Aux termes de l’art. 6 al. 2 LAA (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017), l’assurance-accidents alloue aussi ses prestations pour certaines lésions corporelles, parmi lesquelles les déchirures de tendons (cf. let. f), pour autant qu’elles ne soient pas dues de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie.

Selon la jurisprudence récente du Tribunal fédéral (ATF 146 V 51), lorsqu’une lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA est diagnostiquée, l’assureur-accidents est tenu à prestations aussi longtemps qu’il n’apporte pas la preuve libératoire que cette lésion est due de manière prépondérante, c’est-à-dire à plus de 50% de tous les facteurs en cause, à l’usure ou à une maladie (cf. consid. 8.2.2.1 et 8.3). En effet, contrairement à ce qui prévalait en matière de lésions corporelles assimilées à un accident sous l’empire de l’ancien droit (cf. art. 6 al. 2 LAA et art. 9 al. 2 OLAA dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016), l’octroi de prestations sur la base de l’art. 6 al. 2 LAA (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2017) ne suppose plus que les conditions constitutives de la notion d’accident (cf. art. 4 LPGA) soient réalisées, à la seule exception du caractère « extraordinaire » de la cause extérieure. Le seul fait que l’on soit en présence d’une lésion corporelle comprise dans la liste énumérée à l’art. 6 al. 2 LAA entraîne la présomption qu’il s’agit d’une lésion corporelle assimilée à un accident, qui doit être prise en charge par l’assureur-accidents. Celui-ci est dès lors tenu de prester aussi longtemps qu’il n’apporte pas la preuve, en s’appuyant sur des avis médicaux probants, que cette lésion est due de manière prépondérante à l’usure ou à la maladie (cf. consid. 8.6).

Le médecin-conseil a retenu que l’assuré avait subi une déchirure partielle du tendon d’Achille droit, qui s’intégrait dans un cadre dégénératif préexistant prépondérant sous la forme d’une tendinopathie achilléenne chronique. Il a motivé son appréciation en se référant aux clichés de l’IRM du 10.05.2019, lesquels mettaient en évidence un petit hématome adjacent à la rupture intra-tendineuse et un reste de tendon pas uniquement hétérogène, mais épaissi de manière irrégulière. Ce tableau reflétait typiquement un contexte dégénératif et ne correspondait pas, « avec une certaine haute vraisemblance », à une « solution de continuité abrupte d’un tendon sur tendon sain ». Le médecin-conseil mentionnait également les conclusions du spécialiste en radiologie, qui avait diagnostiqué une lésion subtotale du tendon et avait noté un aspect remanié du reste du tendon, qui pouvait évoquer une tendinopathie chronique préexistante.

Le chirurgien orthopédique traitant a lui aussi diagnostiqué une rupture subtotale du tendon. Sans se référer à l’art. 6 al. 2 LAA, il a toutefois indiqué ne pas pouvoir affirmer avec certitude que la rupture aiguë du tendon s’était produite sur une tendinopathie chronique, sans pour autant exclure une telle pathologie. Il a expliqué que l’assuré n’avait jamais fait état de signes cliniques d’une tendinopathie chronique (douleur ou gêne du tendon) avant l’événement du 04.05.2019, qu’une rupture aiguë montrait toujours une lacération du tendon et jamais une rupture nette (sauf en cas de section par objet contondant), et que l’IRM n’avait pas montré de calcification qui serait un signe clair et indiscutable de tendinopathie chronique.

Même en admettant, sur la base des avis médicaux du médecin-conseil, que la déchirure aiguë du tendon d’Achille droit de l’assuré survenue le 04.05.2019 lors de son brusque démarrage en course s’est produite sur fond de tendinopathie achilléenne chronique préexistante (asymptomatique), force est de constater que l’affirmation de ce médecin selon laquelle la lésion en cause serait due de manière prépondérante à un processus dégénératif n’est aucunement étayée sur le plan médical. Or c’est à l’assurance-accidents qu’incombe le fardeau de la preuve libératoire que la lésion est due de manière prépondérante – soit à plus de 50% de tous les autres facteurs en cause – à l’usure ou à la maladie. Dans cette optique, elle avait l’obligation d’instruire d’office les éléments médicaux déterminants pour la résolution du cas (art. 43 al. 1 LPGA) et ne pouvait pas se contenter des avis médicaux insuffisamment motivés de son médecin-conseil – qui ne sauraient constituer une preuve libératoire au sens de la jurisprudence – pour refuser la prise en charge de l’atteinte à la santé de l’assuré. L’avis succinct du chirurgien orthopédique traitant, lequel n’a pas constaté mais n’a pas non plus exclu définitivement une tendinopathie chronique préexistante, ne permet pas à l’inverse d’exclure à lui seul une lésion causée de manière prépondérante par une telle affection.

Les avis médicaux au dossier ne permettent donc pas de trancher le point de savoir si la déchirure du tendon d’Achille droit subie par l’assuré le 04.05.2019 est due de manière prépondérante à l’usure ou à une maladie, sous la forme d’une tendinopathie chronique préexistante. Dans ces conditions et malgré la présomption de l’art. 6 al. 2 LAA, la cour cantonale n’était pas fondée à imposer à l’assurance-accidents la prise en charge des suites de cette affection sans ordonner une expertise indépendante et en procédant de surcroît elle-même à des constatations et des analyses d’ordre médical ne figurant pas dans les différents avis médicaux au dossier.

Il s’impose donc de renvoyer la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle mette en œuvre une expertise médicale au sens de l’art. 44 LPGA (cf. dans ce sens arrêts 8C_382/2020 du 3 décembre 2020 consid. 6.3 et 6.4; 8C_618/2019 du 18 février 2020 consid. 8.2; 8C_267/2019 du 30 octobre 2019 consid. 7.2.2). Si l’expert désigné n’arrive pas à la conclusion motivée et convaincante que la lésion de l’assuré est due de manière prépondérante à l’usure ou à la maladie, il appartiendra alors à l’assurance-accidents de prendre en charge les suites de l’atteinte à la santé de l’assuré.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et la décision litigieuse, renvoyant le dossier à l’assurance-accidents pour mise en œuvre de l’expertise médicale.

 

 

Arrêt 8C_13/2021 consultable ici

 

 

8C_370/2017 (f) du 15.01.2018 – Capacité de travail exigible – 16 LPGA / Appréciation du médecin traitant vs appréciation du médecin-conseil – Ad mise en œuvre d’une expertise médicale afin de départager les opinions

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_370/2017 (f) du 15.01.2018

 

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Capacité de travail exigible / 16 LPGA

Appréciation du médecin traitant vs appréciation du médecin-conseil / Ad mise en œuvre d’une expertise médicale afin de départager les opinions

 

Assuré, né en 1953, opérateur de production, a été victime, le 04.02.2012, d’une chute sur l’épaule droite en glissant sur une plaque de glace. Une IRM pratiquée le 24.02.2012 a mis en évidence une déchirure intra-tendineuse du tendon du sous-scapulaire sans désinsertion. L’assuré a repris son activité à 50% dès le 16.04.2012, puis à 100% à compter du 14.05.2012.

Le 02.10.2013, l’assuré a annoncé une rechute à partir du 30.09.2013. Il a été opéré le 07.01.2014 (ténodèse du biceps, suture du muscle sus-épineux et sub-scapulaire, décompression sous-acromiale et résection de l’articulation acromio-claviculaire de l’épaule droite).

Dans un rapport du 11.05.2015, le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique, a tout d’abord indiqué que le cas n’était pas stabilisé et qu’il était peu probable que l’assuré puisse reprendre son travail habituel, tout en soulignant qu’une capacité de travail même dans une activité adaptée était pratiquement nulle étant donné les douleurs au repos et nocturnes de l’assuré. Ultérieurement, le chirurgien orthopédiste traitant a constaté que sous physiothérapie l’évolution était clairement favorable ; le patient présentait des douleurs lors de mouvements plutôt dans l’extrême mais pas en-dessous de l’horizontale et n’avait plus de douleur au repos (rapport du 11.11.2015).

Le 29.01.2016, le médecin-conseil a considéré que le cas était stabilisé et que si l’assuré ne pouvait plus reprendre son travail habituel, il était désormais apte à travailler dans un métier adapté aux limitations fonctionnelles (sans port ou soulèvement de charges de plus de 5 kg avec le membre supérieur droit, en évitant les mouvements de l’épaule droite au-delà de l’horizontale, les métiers qui impliquaient des mouvements répétitifs de celle-ci et en travaillant à hauteur d’établi).

Par décision du 08.03.2016, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 10% mais a refusé de lui allouer une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’incapacité de gain n’atteignait pas le minimum légal de 10%.

A l’occasion d’un contrôle du 27.04.2016, le médecin traitant a fait état d’une évolution défavorable avec une persistance de douleurs très importantes lors de la mobilisation de l’épaule et une incapacité totale de travail pour toute activité manuelle même légère. Prenant position sur cette appréciation, le médecin-conseil a indiqué ne pas partager l’avis de ses confrères ; les lésions anatomiques constatées ne permettaient pas de retenir que l’assuré était inapte à reprendre une activité professionnelle. L’assurance-accidents a confirmé la décision.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2016 141 – consultable ici)

L’orthopédiste-traitant a examiné l’assuré à deux reprises et a exprimé l’avis que la situation clinique était stagnante du point de vue des douleurs et de la fonction au niveau du membre supérieur droit (avec des pics de douleurs tout de même moins intenses). Il a conclu que l’assuré n’était pas capable d’exercer une activité manuelle même légère au risque de causer une péjoration de l’état actuel de l’épaule droite.

Les juges cantonaux se sont fondés essentiellement sur l’avis du médecin-conseil qu’ils ont préféré à l’appréciation du chirurgien orthopédiste traitant, lequel avait retenu une incapacité complète de travail pour toute activité manuelle même légère. D’après la juridiction cantonale, le médecin traitant n’avait pas véritablement distingué les causes à l’origine de ce constat. A l’instar des autres médecins qui s’étaient prononcés sur les perspectives professionnelles de l’assuré, il avait principalement mentionné des facteurs étrangers à l’accident susceptibles de compromettre le retour de l’assuré sur le marché du travail, en particulier l’âge de ce dernier. Or, seules les conséquences concrètes de l’accident relevaient de la responsabilité de l’assureur-accidents. Par conséquent, s’il existait une éventuelle incapacité de travail, celle-ci découlait de facteurs dont l’assurance-accidents n’avait pas à répondre.

Par jugement du 07.04.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

La jurisprudence (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee p. 354) a posé le principe que le seul fait que les médecins de l’assurance sont employés de celle-ci ne permet pas de conclure à l’existence d’une prévention et d’un manque d’objectivité. Si un cas d’assurance est jugé sans rapport d’un médecin externe à l’assurance, l’appréciation des preuves doit être soumise à des exigences strictes. L’existence d’un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l’assurance, doit conduire le tribunal à demander des éclaircissements (ATF 122 V 157 consid. 1d p. 162).

En application du principe de l’égalité des armes, l’assuré a le droit de présenter ses propres moyens de preuve pour mettre en doute la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l’assurance. Il s’agit souvent de rapports émanant du médecin traitant ou d’un autre médecin mandaté par l’assuré. Ces avis n’ont pas valeur d’expertise et, d’expérience, en raison de la relation de confiance liant le patient à son médecin, celui-ci va plutôt pencher, en cas de doute, en faveur de son patient. Ces constats ne libèrent cependant pas le tribunal de procéder à une appréciation complète des preuves et de prendre en considération les rapports produits par l’assuré, afin de voir s’ils sont de nature à éveiller des doutes sur la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l’assurance.

Il résulte de ce qui précède que les rapports des médecins employés de l’assurance sont à prendre en considération tant qu’il n’existe aucun doute, même minime, sur l’exactitude de leurs conclusions (ATF 135 V 465 consid. 4.7 p. 471; voir aussi l’arrêt 8C_796/2016 du 14 juin 2017 consid. 3.3).

 

En l’espèce, le Tribunal fédéral constate que l’instruction de la cause ne permet pas de trancher entre les opinions de ces spécialistes, en particulier de se prononcer sur la capacité de travail de l’assuré. On ne peut pas d’emblée retenir que seuls des facteurs étrangers à l’atteinte à la santé, notamment l’âge de l’assuré, compromettent la reprise d’une activité professionnelle. Le médecin traitant a certes indiqué, dans un rapport du 24.03.2015, qu’il lui semblait peu probable que l’assuré puisse reprendre un jour son activité « surtout au vu de son âge ». Il n’a cependant pas retenu ce facteur dans ses rapports ultérieurs pour justifier l’incapacité de travail totale de l’assuré. On en est fondé à considérer que par rapport à la situation qui prévalait en mars 2015, ce médecin est d’avis que la situation a évolué défavorablement, contrairement à son pronostic initial.

Dans ces circonstances, il subsiste un doute à tout le moins léger quant à la pertinence de l’avis du médecin-conseil. Il se justifie dès lors, conformément à la jurisprudence, de renvoyer la cause aux premiers juges pour qu’ils ordonnent une expertise médicale afin de départager les opinions du médecin-conseil, d’une part, et du médecin traitant, d’autre part.

 

Le TF admet le recours de l’assuré, annule le jugement du tribunal cantonal et lui renvoie la cause pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_370/2017 consultable ici

 

 

8C_335/2018 (f) du 07.05.2019 – Causalité naturelle – Rechute – 6 LAA – 11 OLAA / Causalité adéquate – Jurisprudence applicable en cas de traumatisme de type « coup du lapin », de traumatisme analogue à la colonne cervicale ou de TCC / Accident à la limite inférieure des accidents de gravité moyenne

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_335/2018 (f) du 07.05.2019

 

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Causalité naturelle – Rechute / 6 LAA – 11 OLAA

Causalité adéquate – Jurisprudence applicable en cas de traumatisme de type « coup du lapin », de traumatisme analogue à la colonne cervicale ou de TCC

Accident à la limite inférieure des accidents de gravité moyenne

 

Assuré, né en 1982, travaillant en qualité d’opérateur, a subi un accident de circulation sur un parking le 20.02.2016. Il se trouvait à l’arrêt au volant de sa voiture derrière un autre véhicule lorsqu’un conducteur effectuant une marche arrière pour sortir d’une place de stationnement a percuté le flanc arrière droit de sa voiture. L’assuré s’est rendu le 24.02.2016 chez son médecin traitant généraliste, qui a fait état de tensions musculaires post AVP surtout au trapèze et prescrit une incapacité de travail dès le 02.03.2016. La suite du traitement a été assurée par une spécialiste en chiropratique. Un bilan radiologique de la colonne dorsale n’a pas montré de fracture visible des différents corps vertébraux. Le 25.03.2016, l’assuré a repris son activité professionnelle.

Le 08.07.2016, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents une rechute de l’accident du 20.02.2016, en indiquant une incapacité de travail dès le 30.06.2016. Une IRM de la colonne cervicale réalisée le 09.06.2016 a mis en évidence une protrusion discale paramédiane droite de C6-C7 au contact de la racine pouvant être à l’origine d’un syndrome irritatif, mais pas de lésion osseuse ni ligamentaire cervicale. Une IRM dorsale D7 à L3 pratiquée trois semaines plus tard a été jugée dans les limites de la norme sans lésion osseuse ou discale ni médullaire décelable. Dans un rapport intermédiaire du 26.08.2016, la spécialiste en chiropratique a posé le diagnostic de syndrome complexe de décompensation neuromusculaire post-traumatique sur syndrome d’hyperflexion-hyperextension.

Se fondant sur les appréciations de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’assurance-accidents a refusé de prendre en charge la rechute, au motif qu’aucun lien de causalité ne pouvait être retenu entre les troubles dorsaux annoncés et l’accident du 20.02.2016. Dans le détail, l’assurance-accidents a retenu que l’assuré présentait dans le cadre de la rechute des douleurs dorsales basses, et que cette symptomatologie n’était pas imputable à l’accident du 20.02.2016 dès lors que cet événement n’avait causé aucune lésion organique. De toute façon, l’on pouvait d’emblée nier l’existence d’un rapport de causalité adéquate entre ces troubles dorsaux et l’accident. En l’absence de substrat objectivable, c’était la jurisprudence en matière de troubles psychiques consécutifs à un accident qui trouvait application (ATF 115 V 133). Pour un accident à la limite inférieure de la catégorie des accidents de gravité moyenne comme celui subi par l’assuré, il fallait un cumul de quatre critères au mois parmi les sept consacrés. Or, aucun d’entre eux n’était rempli.

 

Procédure cantonale

Après avoir confirmé le caractère non objectivable des dorsalgies de l’assuré, la cour cantonale a examiné la causalité adéquate en se référant à la jurisprudence applicable en cas de traumatisme de type « coup du lapin » à la colonne cervicale, de traumatisme analogue à la colonne cervicale ou de traumatisme cranio-cérébral (cf. ATF 134 V 109 consid. 10.3 p. 130; 117 V 359 consid. 6a p. 367 et 369 consid. 4b p. 383). Elle est parvenue au même résultat que l’assurance-accidents, à savoir que les critères jurisprudentiels applicables en cas d’accident du type « coup du lapin » n’étaient pas réalisés en nombre suffisant pour admettre un tel lien s’agissant d’un accident à la limite inférieure des accidents de gravité moyenne.

Par jugement du 15.03.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. La responsabilité de l’assureur-accidents s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle et adéquate avec l’événement assuré. Les prestations d’assurance sont également allouées en cas de rechutes et de séquelles tardives (art. 11 OLAA). On rappellera que les rechutes ne peuvent faire naître une obligation de l’assureur-accidents (initial) de verser des prestations que s’il existe un lien de causalité naturelle et adéquate entre les nouvelles plaintes de l’intéressé et l’atteinte à la santé causée à l’époque par l’accident assuré (ATF 118 V 293 consid. 2c p. 296 et les références; RAMA 1994 n° U 206 p. 327 consid. 2).

En l’espèce, le médecin-conseil a constaté que l’accident du 20.02.2016 n’avait causé aucune lésion structurelle traumatique, comme le montraient les clichés d’imagerie effectués après l’accident, ni d’affection neurologique. Le médecin-conseil a également retenu que l’assuré n’avait pas subi un accident du type « coup du lapin ». Ces considérations médicales ne sont pas sérieusement remises en cause par les autres avis au dossier, même si le diagnostic de « syndrome d’hyperflexion-hyperextension » ou « whiplash » figure dans certains rapports versés ultérieurement au dossier. En effet, nulle part dans les rapports médicaux initiaux, il n’est documenté que l’assuré en avait développé le tableau clinique typique dans les suites immédiates de l’accident (pour les conditions à la reconnaissance d’une telle atteinte, cf. ATF 134 V 109 consid. 9 p. 122 ss; voir également JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], 3ème éd., 2016, n o 111 ss). Ceci dit, le médecin-conseil a conclu que d’après l’expérience médicale, aucun lien de causalité ne pouvait être retenu entre de simples contusions et des douleurs chroniques.

La circonstance que le médecin-conseil ne l’a pas examiné personnellement ne saurait ôter une valeur probante à son appréciation dès lors que ce médecin disposait du dossier complet instruit par l’assurance-accidents. Ensuite, les avis médicaux que l’assuré a produits ne contiennent aucun élément objectif propre à faire douter de la fiabilité et de la pertinence de l’appréciation du médecin-conseil.

Ainsi, dans son rapport, le médecin traitant généraliste reconnaît que « l’argumentation [du médecin-conseil] est de bonne qualité » et ne lui oppose aucune critique d’un point de vue médical. Et si le médecin traitant considère néanmoins que le lien entre l’affection et l’accident est probable, il justifie son opinion uniquement par le fait que son patient ne présentait aucune plainte dorsale avant (hormis un lumbago en 2010) et qu’il n’était pas exclu que cet événement lui ait causé un stress psychologique important se manifestant par des douleurs et des tensions musculaires. Or, le seul fait que des symptômes douloureux ne se sont manifestés qu’après la survenance d’un accident ne suffit pas à établir un rapport de causalité naturelle avec cet accident (raisonnement « post hoc, ergo propter hoc »; cf. ATF 119 V 335 consid. 2b/bb p. 341 s.; RAMA 1999 n° U 341 p. 408 s., consid. 3b); il convient en principe d’en rechercher l’étiologie et de vérifier, sur cette base, l’existence du rapport de causalité avec l’événement assuré. Par ailleurs, à suivre le médecin traitant quant au caractère psychogène des douleurs de l’assuré, on peut d’emblée nier que la responsabilité de l’assurance-accidents soit engagée à cet égard au vu de la jurisprudence applicable en la matière. On relèvera également que le rhumatologue. qui a examiné l’assuré en octobre 2016, a noté une aggravation des plaintes exprimées malgré plusieurs mois d’incapacité de travail et la normalité des examens radiologiques, et attribué la symptomatologie à des causes multifactorielles.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_335/2018 consultable ici

 

 

8C_796/2016 (f) du 14.06.2017 – Causalité naturelle – Algodystrophie (CRPS / SDRC) – 6 LAA / Rapports des médecins employés de l’assurance – Principe de l’égalité des armes – 6 par. 1 CEDH

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_796/2016 (f) du 14.06.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2ugAJsi

 

Causalité naturelle – Algodystrophie (CRPS / SDRC) / 6 LAA

Rapports des médecins employés de l’assurance – Principe de l’égalité des armes / 6 par. 1 CEDH

 

Assuré qui, le 04.02.2014, est tombé d’une échelle d’une hauteur d’environ 4 mètres, entraînant une fracture multi-fragmentaire du calcanéum droit. Un traitement conservateur a été instauré. Dans un rapport du 08.01.2015, le médecin-chef à la Clinique de rhumatologie, médecine physique et rééducation de l’Hôpital E.__, a diagnostiqué un syndrome douloureux régional complexe CRPS (ou SDRC) de type I secondaire à une fracture du calcanéum en février 2014, ainsi qu’une carence en vitamine D.

L’assurance-accidents a mis un terme à ses prestations avec effet au 01.03.2015 car l’un des critères cumulatifs retenus par la jurisprudence pour admettre l’existence d’un lien de causalité entre l’accident et l’algodystrophie devait être nié.

L’assuré s’est opposé à cette décision, alléguant que l’algodystrophie était présente déjà dans les huit premières semaines qui avaient suivi l’accident. L’assureur-accidents a admis partiellement l’opposition et accordé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 15% et a rejeté l’opposition pour le surplus.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 24.10.2016, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Causalité naturelle

L’art. 6 al. 1 LAA prévoit que les prestations de l’assurance-accidents obligatoire sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Le droit aux prestations suppose notamment entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé un lien de causalité naturelle. Cette condition est réalisée lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou qu’il ne serait pas survenu de la même manière. Il n’est pas nécessaire que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé: il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte. Savoir si l’événement assuré et l’atteinte en question sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait que l’administration ou, le cas échéant, le juge, examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d’ordre médical, et qui doit être tranchée à la lumière de la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l’appréciation des preuves dans l’assurance sociale (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438 et les références).

Pour admettre l’existence d’un rapport de causalité entre un accident et une algodystrophie, la jurisprudence impose, notamment, une courte période de latence entre l’apparition de l’algodystrophie et l’événement accidentel ou une opération nécessitée par celui-ci (soit au maximum six à huit semaines; arrêts 8C_763/2015 du 11 juillet 2016 consid. 5.3, 8C_807/2014 du 22 décembre 2015 consid. 5.3 et les références).

 

Principe de l’égalité des armes – Rapports des médecins employés de l’assurance

L’art. 6 par. 1 CEDH ne contient pas de règles concernant les moyens de preuve admissibles en procédure judiciaire et sur la manière de les apprécier. Ainsi, le refus d’un tribunal de donner suite à une demande d’expertise judiciaire déposée par une des parties, ne contrevient pas à l’art. 6 par. 1 CEDH, lorsque le procès peut encore être qualifié d’équitable.

Selon l’art. 6 par. 1 CEDH, le principe de l’égalité des armes fait partie des droits à un procès équitable. Ce principe n’est pas uniquement destiné à sauvegarder l’égalité formelle des parties dans la procédure judiciaire mais doit en plus garantir une égalité des chances pour les parties de pouvoir faire valoir leurs moyens devant le tribunal. Toutefois, l’art. 6 par. 1 CEDH n’oblige pas les pays signataires de la Convention à prévoir une complète égalité des armes entre les parties. La Convention exige cependant qu’un assuré ne soit pas mis dans une situation procédurale dans laquelle il n’a aucune chance raisonnable de soumettre son affaire au tribunal sans être clairement défavorisé par rapport aux autres parties à la procédure. En regard de ces règles, il est en principe admissible qu’un tribunal se fonde sur les preuves obtenues de manière correcte par l’assureur et renonce ainsi à sa propre procédure probatoire.

La jurisprudence (ATF 125 V 351 consid. 3b/ee p. 354) a posé le principe que le seul fait que les médecins de l’assurance sont employés de celle-ci ne permet pas de conclure à l’existence d’une prévention et d’un manque d’objectivité. Si un cas d’assurance est jugé sans rapport d’un médecin externe à l’assurance, l’appréciation des preuves doit être soumise à des exigences strictes. L’existence d’un doute même minime sur la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l’assurance, doit conduire le tribunal à demander des éclaircissements (ATF 122 V 157 consid. 1d p. 162).

En application du principe de l’égalité des armes, l’assuré a le droit de présenter ses propres moyens de preuve pour mettre en doute la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l’assurance. Il s’agit souvent de rapports émanant du médecin traitant ou d’un autre médecin mandaté par l’assuré. Ces avis n’ont pas valeur d’expertise et, d’expérience, en raison de la relation de confiance liant le patient à son médecin, celui-ci va plutôt pencher, en cas de doute, en faveur de son patient. Ces constats ne libèrent cependant pas le tribunal de procéder à une appréciation complète des preuves et de prendre en considération les rapports produits par l’assuré, afin de voir s’ils sont de nature à éveiller des doutes sur la fiabilité et la validité des constatations du médecin de l’assurance.

Il résulte de ce qui précède que les rapports des médecins employés de l’assurance sont à prendre en considération tant qu’il n’existe aucun doute, même minime, sur l’exactitude de leurs conclusions (ATF 135 V 465 consid. 4.7 p. 471).

 

Dans le cas d’espèce, un examen des avis du médecin-traitant de l’assuré et du médecin-conseil de l’assurance-accidents ne permet pas, en l’état, d’admettre ou de nier l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident et l’apparition d’un CRPS, au degré de la vraisemblance prépondérante. En effet, le médecin-traitant a exprimé l’avis suivant: « Je pense cependant que le diagnostic a été posé tardivement mais que son Sudeck a effectivement été présent bien avant les 8 semaines post-accident ». De son côté, le médecin-conseil n’a pas catégoriquement exclu cette éventualité en indiquant: « (Rétrospectivement), on ne peut que suspecter qu’il était peut-être déjà présent, mais on ne peut pas le confirmer avec exactitude ».

Dans ces conditions, il subsiste un doute à tout le moins léger quant à la pertinence de l’avis du médecin de l’assurance. Conformément à la jurisprudence, cela justifie de renvoyer la cause aux premiers juges pour qu’ils ordonnent une expertise médicale afin de départager les opinions des deux médecins. A cet égard, il est vrai que le médecin-conseil a indiqué qu’une expertise destinée à dater rétrospectivement le début de ce syndrome pourrait poser problème. Toutefois, il appartiendra à l’expert de trancher la question de la possibilité de rendre un tel avis.

 

Le TF admet le recours de l’assuré, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à l’instance précédente.

 

 

Arrêt 8C_796/2016 consultable ici : http://bit.ly/2ugAJsi

 

 

6B_1199/2016 (d) du 04.05.2017- proposé à la publication – Un médecin-conseil est soumis au secret professionnel à l’égard de l’employeur

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1199/2016 (d) du 04.05.2017

 

Arrêt consultable ici : http://bit.ly/2qH5oMU

Communiqué de presse du TF du 22.05.2017 consultable ici : http://bit.ly/2q8NpN2

 

Un médecin-conseil est soumis au secret professionnel à l’égard de l’employeur / 321 CP

 

Un médecin-conseil à qui un employeur a fait appel est soumis au secret professionnel protégé par le droit pénal s’agissant de l’information sur le résultat de l’enquête concernant un travailleur. Sans autre autorisation du travailleur, le médecin-conseil peut s’exprimer uniquement sur l’existence, la durée et le degré de l’incapacité de travail, comme sur la question de savoir s’il s’agit d’une maladie ou d’un accident. Le Tribunal fédéral confirme la condamnation d’un médecin qui a également annoncé à l’employeur son diagnostic et d’autres détails sur le travailleur concerné.

 

Plusieurs incapacités de travail totales de l’employé ont été attestées par son médecin-traitant. Par la suite, la société l’employant a requis un examen d’un médecin-conseil.

Dans ce contexte, le travailleur a autorisé le médecin-conseil à rédiger un certificat médical à l’attention de son employeuse. Dans son rapport détaillé à l’employeuse, le médecin-conseil a aussi donné des informations sur la situation personnelle, professionnelle et financière du travailleur examiné et lui a dévoilé le diagnostic posé. La Cour suprême du canton de Zurich a condamné le médecin en 2016 pour violation du secret professionnel à une peine pécuniaire avec sursis.

Le Tribunal fédéral rejette le recours du médecin. Le médecin-conseil à qui l’employeur a fait appel doit disposer d’informations complètes sur l’état de santé de la personne à examiner, afin de remplir correctement la tâche qui lui est confiée. Le travailleur, qui est sollicité pour une telle enquête, doit pouvoir compter sur le fait que ces informations ne seront pas transmises sans autre à son employeur. Par conséquent, le médecin-conseil auquel l’employeur a fait appel est également soumis au secret professionnel, protégé par l’article 321 du Code pénal. Si et dans quelle mesure le médecin-conseil peut renseigner l’employeur dépend jusqu’à quel point il a été délié de son secret par le travailleur. Dans le cas particulier, le travailleur a autorisé le médecin à établir un certificat médical à l’attention de son employeuse. La Cour suprême est, à bon droit, partie du principe que l’article 328b du Code des obligations ne comprend que des données portant sur l’aptitude du travailleur à remplir son emploi ou à l’exécuter, partant des indications sur l’existence, la durée et le degré d’une incapacité de travail et sur la réponse à la question de savoir s’il s’agit d’une maladie ou d’un accident.

 

 

Arrêt 6B_1199/2016 consultable ici : http://bit.ly/2qH5oMU

 

 

8C_372/2014 (f) du 12.05.2015 – Rente d’invalidité LAA – 18 LAA / Libre appréciation des preuves par le juge / Pas de droit formel à une expertise menée par un médecin externe à l’assurance

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_372/2014 (f) du 12.05.2015

 

Consultable ici : http://bit.ly/1RNf2CM

 

Rente d’invalidité LAA / 18 LAA

Libre appréciation des preuves par le juge

Pas de droit formel à une expertise menée par un médecin externe à l’assurance

 

Assuré, peintre en bâtiment de formation, alors au chômage, glisse sur une plaque de glace le 20.12.2009, chute en se réceptionnant avec son bras droit. Diagnostic : petite déchirure transfixiante ponctuelle du tendon du sus-épineux dans sa partie antéro-supérieure et latérale, associée à une tendinose du long chef du biceps. Arthroscopies de l’épaule droite les 20.04.2010 et 29.11.2010, puis suture ouverte de la coiffe des rotateurs à droite le 19.04.2012.

Après examen par le médecin d’arrondissement, spécialiste en chirurgie orthopédique, reprise de l’activité habituelle avec une pleine capacité de travail peu probable. Capacité de travail exigible à 100% dans une activité qui ne nécessite pas, pour l’épaule droite, des travaux répétitifs, des travaux au-dessus du plan de l’épaule ni le port de charges supérieures à 5 – 10 kg.

Octroi d’une rente d’invalidité LAA de 20% dès le 01.04.2013 et une IPAI de 20%. Pour fixer ce taux, l’assureur-accidents a établi le revenu d’invalide sur la base de cinq descriptions de postes de travail (DPT) compatibles avec les limitations attestées, à savoir trois emplois de collaborateur de production, des emplois d’agent professionnel de sécurité et de surveillance, ainsi que d’ouvrier sur métal.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 31.03.2014, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 18 al. 1 LAA, l’assuré a droit à une rente d’invalidité s’il est invalide (art. 8 LPGA) à 10 % au moins par suite d’un accident. Est réputée invalidité l’incapacité de gain totale ou partielle qui est présumée permanente ou de longue durée (art. 8 al. 1 LPGA). Aux termes de l’art. 7 al. 1 LPGA, est réputée incapacité de gain toute diminution de l’ensemble ou d’une partie des possibilités de gain de l’assuré sur un marché du travail équilibré dans son domaine d’activité, si cette diminution résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique et qu’elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles. Chez les assurés actifs, le degré d’invalidité doit être évalué sur la base d’une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigé.

Selon le principe de la libre appréciation des preuves, le juge apprécie librement les preuves médicales qu’il a recueillies, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Aucun élément ne permet de mettre en cause la valeur probante du rapport du médecin d’arrondissement (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352; 122 V 157 consid. 1c p. 160 et les références).

Il n’existe pas, dans la procédure d’octroi ou de refus de prestations d’assurances sociales, de droit formel à une expertise menée par un médecin externe à l’assurance, lorsqu’il ne subsiste pas de doutes, mêmes faibles, quant à la fiabilité et à la pertinence des constatations médicales effectuées à l’interne (ATF 135 V 465).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré et confirme le jugement cantonal.

 

 

Arrêt 8C_372/2014 consultable ici : http://bit.ly/1RNf2CM