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9C_249/2019 (d) du 20.01.2020 publié aux ATF 146 V 28 – Liquidation partielle – droit collectif du personnel sortant à la réserve de fluctuation – 53d al. 1 LPP et ancien art. 27h al. 1 OPP 2

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_249/2019 (d) du 20.01.2020, publié aux ATF 146 V 28

 

Arrêt 9C_249/2019 consultable ici

ATF 146 V 28 consultable ici

Paru in : Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 152, ch. 1035

 

Liquidation partielle – droit collectif du personnel sortant à la réserve de fluctuation / 53d al. 1 LPP et ancien art. 27h al. 1 OPP 2

 

L’ancien art. 27h, al. 1, OPP 2 (en vigueur jusqu’au 31 mai 2009) laisse aux institutions de prévoyance une marge d’appréciation concernant la fixation des critères de répartition pour les réserves de fluctuation. La disposition protège le personnel sortant au sens d’un droit minimal (proportionnel) aux réserves de fluctuation de valeur.

Il s’agissait de juger en l’espèce d’une liquidation partielle dont le jour déterminant était le 31 décembre 2006, ce qui explique pourquoi l’ancien art. 27h OPP 2 (en vigueur jusqu’au 31 mai 2009) était alors applicable. L’institution de prévoyance cédante avait refusé, dans le cadre de la liquidation partielle, l’octroi d’une part aux réserves de fluctuation de valeur. L’autorité inférieure avait également nié ce droit au motif que les prétentions du personnel sortant avaient été compensées par paiement en espèces (ou par transfert de liquidités), donc sans supporter des risques liés aux placements.

Le règlement de liquidation partielle reflétait l’ordonnance en vigueur à ce moment-là et n’avait donc aucune portée autonome. En l’espèce, c’est la réglementation prévue par le contrat d’affiliation qui était déterminante ; le TF devait donc déterminer si le personnel sortant disposait, sur la base du contrat d’affiliation, d’un droit collectif (proportionnel) aux réserves de fluctuation de valeur. Dans son interprétation du contrat d’affiliation, le TF a conclu que ce contrat énumérait expressément et de manière exhaustive les fonds qui revenaient au personnel sortant. Il a constaté que la notion d’« autre fortune » recouvrait les fonds libres, les provisions techniques et les réserves de fluctuation (avec renvoi à l’ATF 143 V 321, consid. 4.1, p. 328). Au vu de cette interprétation, les réserves de fluctuation de valeur doivent être octroyées proportionnellement.

Il s’agissait ensuite d’examiner si, dans le cadre de l’application de l’ancien art. 27h OPP 2, il existait une marge de manœuvre permettant de convenir dans le contrat d’affiliation d’un droit proportionnel du personnel sortant aux réserves de fluctuation de valeur. Cela a été reconnu par le TF au motif que cette disposition laisse aux institutions de prévoyance une marge d’appréciation dans la fixation des critères de répartition pour les réserves de fluctuation. La disposition protège le personnel sortant au sens d’un droit minimal (proportionnel) aux réserves de fluctuation de valeur, « dans la mesure où […] des risques liés aux placements sont également transférés ». Le TF estime que, selon cette disposition, il n’est pas en soi inadmissible, au moment du règlement en espèces d’autres droits, d’octroyer des réserves de fluctuation de valeur (pour le détail, voir consid. 4.1 – 4.3).

L’institution de prévoyance cédante devait ainsi octroyer une part de la réserve de fluctuation de valeur au personnel sortant, mais sans la rémunérer d’intérêts (avec renvoi à l’ATF 144 V 369, consid. 4.1.3, p. 372 s.).

 

Remarque [de l’OFAS] sur la différence entre l’ancien art. 27h, al. 1, OPP 2 et l’art. 27h, al. 1, OPP 2 en vigueur actuellement : en ce qui concerne le droit aux réserves de fluctuation, l’art. 27h, al. 1, OPP 2 en vigueur depuis le 1er juin 2009 ne contient plus de réserve concernant le transfert de risques liés aux placements ainsi que la forme des éléments de fortune à transférer : voir Bulletin de la prévoyance professionnelle no 111, ch. 684.

 

 

Arrêt 9C_249/2019 consultable ici

ATF 146 V 28 consultable ici

 

 

 

8C_410/2017 (f) du 22.03.2018 – Accidents survenus dans l’exercice du sport – Notion d’accident – 4 LPGA / Escalade en salle – Deux ou trois chutes d’une hauteur de 2 à 3 mètres avec réception sur les pieds – Notion d’accident acceptée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_410/2017 (f) du 22.03.2018

 

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Accidents survenus dans l’exercice du sport – Notion d’accident / 4 LPGA

Escalade en salle – Deux ou trois chutes d’une hauteur de 2 à 3 mètres avec réception sur les pieds – Notion d’accident acceptée

 

Assurée, née en 1985, infirmière au sein d’un hôpital, a fait déclarer le 21.08.2015 par son employeur l’événement du 29.07.2015 : l’assurée avait chuté d’environ 2 mètres 50 en faisant de l’escalade en salle. Le 01.08.2015 et 02.08.2015, alors qu’elle se trouvait en vacances en France, elle s’est rendue en urgence dans un centre hospitalier où les médecins ont diagnostiqué une foulure/entorse au pied droit et une tendinite calcanéenne, et l’ont mise en arrêt de travail jusqu’au 12.08.2015.

De retour en Suisse, l’assurée s’est soumise à une IRM de la cheville droite, mettant en évidence une déchirure partielle du fascia plantaire avec signes d’une fasciite plantaire surajoutée ainsi qu’une péri-tendinite de la loge péronière. L’arrêt de travail a été prolongé jusqu’au 28.08.2015. A la suite d’une nouvelle crise douloureuse au niveau de la cheville droite en janvier 2016, l’assurée a consulté son médecin traitant, spécialiste en médecine physique et réadaptation et en médecine du sport. Ce médecin a expliqué que l’accident d’escalade était vraisemblablement responsable des douleurs initiales durant l’été et jusqu’à la fin de l’année 2015 mais que les douleurs plus récentes du début de l’année 2016 étaient vraisemblablement en lien avec une décompensation inflammatoire dans le contexte d’une possible spondylarthtrite ankylosante.

Entendue le 18.05.2016 à son domicile par un inspecteur de l’assurance-accidents, l’assurée a déclaré : « Le 18.07.2015, j’effectuais la pratique de l’escalade. C’était ma première tentative. Lors de ma première ascension, je me souviens avoir chuté et m’être réceptionnée sur le flanc ou les fesses d’une hauteur d’environ 2-3 mètres sur un tapis au sol. J’ai pu me relever et continuer cette activité. Je me souviens avoir encore chuté à deux ou trois reprises avec réception sur les pieds. J’ai commencé à ressentir des douleurs le soir-même et des violentes douleurs à la voûte plantaire le lendemain ».

L’assurance-accidents a refusé de prendre en charge le cas, au motif que l’événement du 29.07.2015 n’était pas constitutif d’un accident. Saisie d’une opposition de la caisse-maladie, l’assurance-accidents l’a rejetée.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 126/16 – 38/2017 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que l’atteinte dont souffrait l’assurée s’était produite pendant un laps de temps relativement court et pouvait être rattachée à un événement particulier, à savoir les deux ou trois chutes d’une hauteur de 2 à 3 mètres avec réception sur les pieds. Ces mouvements étaient non programmés et les chutes excédaient ce que l’on pouvait objectivement qualifier de normal et d’habituel dans la pratique de l’escalade en salle.

Par jugement du 01.05.2017, admission du recours de la caisse-maladie par le tribunal cantonal, considérant que l’événement du 29.07.2015 constituait un accident. La cause est renvoyée à l’assurance-accidents pour qu’elle se prononce sur le statu quo sine vel ante.

 

TF

L’assurance-accidents est en principe tenue d’allouer ses prestations en cas d’accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés: une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221; 129 V 402 consid. 2.1 p. 404 et les références).

L’existence d’un facteur extérieur est en principe admise en cas de « mouvement non coordonné », à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement non programmé, lié à l’environnement extérieur, tel le fait de glisser, de trébucher, de se heurter à un objet ou d’éviter une chute; le facteur extérieur – modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117).

Pour les accidents survenus dans l’exercice du sport, l’existence d’un événement accidentel doit être niée lorsque et dans la mesure où le risque inhérent à l’exercice sportif en cause se réalise. Autrement dit, le caractère extraordinaire de la cause externe doit être nié lorsqu’une atteinte à la santé se produit alors que le sport est exercé sans que survienne un incident particulier. A titre d’exemples, le critère du facteur extérieur extraordinaire a été admis dans le cas d’une charge contre la balustrade subie par un hockeyeur (ATF 130 V 117 précité consid. 3), d’une réception au sol manquée par un gymnaste lors d’un « saut de carpe » (arrêt U 43/92 du 14 septembre 1992 consid. 3b, in RAMA 1992 n° U 156 p. 258), ou encore dans le cas d’un skieur dans un champ de bosses qui, après avoir perdu le contrôle de ses skis en raison d’une plaque de glace, aborde une nouvelle bosse qui le soulève et le fait retomber lourdement au sol (arrêt U 114/97 du 18 mars 1999, in RAMA 1999 n° U 345 p. 420). En revanche, il a été nié dans le cas d’un duel entre deux joueurs lors d’un match de basket-ball, lors duquel l’un est « touché » au bras tendu devant le panier par l’autre et se blesse à l’épaule en réagissant à cette action du joueur adverse (arrêt 8C_835/2013 du 28 janvier 2014 consid. 5, in SVR 2014 UV n° 21 p. 67).

La soudaineté doit se rapporter au facteur extérieur qui est à l’origine de l’atteinte, mais non aux conséquences provoquées par celle-ci, qui peuvent se produire seulement à un stade ultérieur (arrêt 8C_234/2008 du 31 mars 2009 consid. 6, in SVR 2009 UV n° 47 p. 166; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3 e éd. 2016, p. 920 n. 79). En réalité, par son argumentation, l’assurance-accidents conteste l’existence d’un rapport de causalité entre les chutes survenues le 29.07.2015 et les troubles présentés par l’assurée. Or, il est indéniable, en ce qui concerne en tout cas la « foulure/entorse » diagnostiquée le 01.08.2015, que cette atteinte est due aux chutes subies par l’assurée et non à la seule pratique d’activités physiques telles que celles en cause.

Au surplus, la question d’un état maladif sans lien avec l’accident fait l’objet du renvoi par la juridiction cantonale et il n’appartient pas au Tribunal fédéral de se prononcer sur ce point à ce stade de la procédure.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_410/2017 consultable ici

 

 

8C_600/2017 (f) du 26.03.2018 – Réduction des prestations en espèces – 39 LAA – 49 al. 2 OLAA / Participation à une rixe niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_600/2017 (f) du 26.03.2018

 

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Réduction des prestations en espèces / 39 LAA – 49 al. 2 OLAA

Participation à une rixe niée

 

Assuré, vendeur de voyages, a fait déclarer, par son employeur, un accident survenu le 04.01.2014 : il a été victime d’une agression physique à l’entrée du parking de son domicile. Il en était résulté des luxations à l’épaule gauche et des fractures des métacarpiens des 4ème et 5ème doigts de la main droite.

Dans un questionnaire rempli le 28.01.2014, l’assuré a informé l’assurance-accidents qu’il avait déposé une plainte pénale contre C.__ qu’il considérait comme l’auteur de l’agression subie le 04.01.2014. Le Tribunal correctionnel a condamné le prénommé à une peine pécuniaire de 150 jours-amende à 10 fr. le jour, avec sursis, et au paiement à l’assuré de la somme de 4’000 fr. avec intérêts à 5% l’an à titre de réparation du tort moral. Il a retenu que le condamné s’était rendu coupable de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 CP), de dommages à la propriété pour le bris des lunettes de l’assuré (art. 144 al. 1 CP) et d’injures (art. 177 al. 1 CP).

Les circonstances de l’événement du 04.01.2014 peuvent être décrites de la manière suivante. Le jour dit, vers 20h20, l’assuré s’est engagé dans un giratoire au volant de sa voiture. Il a alors vu arriver sur sa droite la voiture conduite par C.__, lequel voulait également s’engager dans le giratoire. En raison de la vitesse inadaptée de son propre véhicule C.__ a dû freiner pour éviter la collision avant de s’engager dans le giratoire à la suite de l’assuré et de le suivre jusqu’à son domicile. Avant de pénétrer dans le parking de son immeuble, l’assuré s’est arrêté puis est sorti de son véhicule. Un échange verbal s’en est suivi. C.__ a alors agressé physiquement l’assuré. Celui-ci a subi des fractures des 4ème et 5ème métacarpiens droits ainsi que des luxations à l’épaule gauche. De son côté C.__ a subi des contusions notamment sur la face à droite et sur le cou, également à droite. Le Tribunal correctionnel a retenu que la responsabilité de l’altercation, du moins en ce qui concerne son début, incombait entièrement à C.__. Pour autant l’assuré, bien que réellement agressé par le prévenu, a eu une part active dans les événements dans la mesure où il a aussi porté des coups à son adversaire, même si la violence venait principalement de celui-ci. A cet égard le juge pénal a considéré que les fractures des 4ème et 5ème métacarpiens droits étaient dues à un coup violent porté par l’assuré à son adversaire et non pas à une chute violente sur le sol, étant donné l’absence d’égratignure aux autres doigts.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a réduit de 50% les indemnités journalières allouées à l’assuré au motif qu’il avait pris part à une rixe.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 81/16 – 80/2017 – consultable ici)

La cour cantonale s’est ralliée aux constatations et à l’appréciation du juge pénal sous réserve de son interprétation de l’origine des fractures des 4ème et 5ème métacarpiens droits. Selon la juridiction cantonale, on voit mal en effet comment un coup violent porté par l’assuré aurait eu pour conséquence de lui fracturer deux doigts tout en ne laissant que deux dermabrasions et un érythème sur le coup de son agresseur. Aussi la cour cantonale a-t-elle retenu, à l’aune de la règle du degré de vraisemblance prépondérante, que les fractures susmentionnées sont dues à une violente chute, la main droite de l’assuré ayant probablement heurté le sol sur le côté, ce qui est compatible avec l’absence d’autres marques ou égratignures. Pour le reste elle a constaté que l’assuré n’était pour rien dans l’origine de l’événement du 04.01.2014. En particulier l’intéressé, qui est un homme affable et gentil et qui avait suivi un cours de gestion des conflits, n’a pas échangé d’invectives avec C.__ qui l’avait insulté. En outre on ne saurait reprocher à l’assuré de s’être mis dans la zone de danger pour s’être arrêté devant le parking souterrain de son domicile et être sorti de son véhicule car il était fondé à croire qu’en pénétrant dans le parking il aurait été suivi par C.__ et ainsi privé de toute possibilité d’appeler du secours. Par ailleurs, en sortant de sa voiture, l’intéressé avait pour seul but de désamorcer la situation en parlant au conducteur qui venait de l’insulter pour la raison futile qu’il avait oublié d’actionner son clignoteur alors qu’il circulait dans un giratoire. En ce qui concerne le comportement de l’assuré, la cour cantonale est d’avis que violemment agressé, celui-ci a porté des coups uniquement dans un réflexe défensif pour tenter de repousser C.__. C’est pourquoi, se référant à un précédent invoqué par l’assuré (arrêt 8C_341/2013 du 15 avril 2014), elle a considéré que replacé dans son contexte, le comportement actif de l’intéressé ne constituait pas la cause essentielle de l’atteinte à la santé qu’il avait subie, de sorte que la réduction des indemnités journalières opérée par l’assurance-accidents n’était pas fondée.

Par jugement du 25.07.2017, admission du recours par le tribunal cantonal et annulation de la décision.

 

TF

L’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu notamment en cas de participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a).

La notion de participation à une rixe ou à une bagarre est plus large que celle de l’art. 133 CP. Pour admettre l’existence d’une telle participation, il suffit que l’assuré entre dans la zone de danger, notamment en participant à une dispute. Peu importe qu’il ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute: il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger. En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (arrêt 8C_788/2016 du 20 novembre 2017 consid. 3).

Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident ou si la provocation n’est pas de nature, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, à entraîner la réaction de violence, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il convient de déterminer rétrospectivement, en partant du résultat qui s’est produit, si et dans quelle mesure l’attitude de l’assuré apparaît comme une cause essentielle de l’accident (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2 p. 320; arrêts 8C_788/2016 du 20 novembre 2017 consid. 3; 8C_153/2016 du 13 décembre 2016 consid. 2). A cet égard, les diverses phases d’une rixe forment un tout et ne peuvent être considérées indépendamment l’une de l’autre (ATFA 1964 p. 75; arrêts 8C_788/2016, déjà cité, consid. 3; 8C_529/2011 du 4 juillet 2012 consid. 2.2).

Selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales n’est pas lié par les constatations de fait et l’appréciation du juge pénal. Il ne s’en écarte cependant que si les faits établis au cours de l’instruction pénale et leur qualification juridique ne sont pas convaincants, ou s’ils se fondent sur des considérations spécifiques du droit pénal qui ne sont pas déterminantes en droit des assurances sociales (ATF 125 V 237 consid. 6a p. 242; voir aussi les arrêts 8C_832/2017 du 13 février 2018 consid. 3.3; 8C_392/2017 du 26 octobre 2017 consid. 7.2; 8C_788/2016 du 20 novembre 2017 consid. 5.1).

 

En l’espèce, ce n’est pas l’assuré qui a suivi l’autre conducteur, mais le contraire. Par ailleurs, il n’y a pas de raison de mettre en doute les déclarations de l’assuré selon lesquelles il craignait de s’engouffrer dans le parking souterrain de son domicile et d’être de ce fait privé de toute possibilité d’appeler du secours. Ce fait ne saurait toutefois être interprété comme l’aveu implicite qu’il devait en toutes hypothèses s’attendre à une réaction violente de la part de l’autre conducteur. Il pouvait se sentir plus en sécurité devant le parking de son immeuble, en pensant que C.__ ne provoquerait pas un esclandre pour un motif des plus futiles sur un lieu de passage potentiellement plus fréquenté (l’agression a eu lieu en début de soirée) qu’un endroit souterrain. Il n’y a visiblement pas eu de provocation de la part de l’assuré (C.__ a été en revanche condamné pour injures). Enfin il n’y a pas eu de poursuite sur une longue distance qui aurait pu être le signe d’un acharnement en vue d’en découdre de la part de C.__. Le giratoire se trouvait en effet à proximité du domicile de l’assuré. Dans de telles circonstances, le fait de sortir de son véhicule ne plaçait pas nécessairement ce dernier dans une zone de danger exclue de l’assurance. Il pouvait vouloir régler le problème par la parole, comme le constate d’ailleurs le jugement pénal.

Suivre le point de vue de l’assurance-accidents reviendrait à considérer comme un danger potentiel d’agression toute manifestation d’énervement ou d’agacement d’un conducteur à l’endroit d’un autre, sous les prétextes les plus futiles, ce qui procéderait d’une interprétation par trop extensive la jurisprudence susmentionnée.

 

Le parallèle avec l’arrêt 8C_685/2016 du 1er juin 2017 n’est pas pertinent. Dans cette affaire, l’assuré qui était au volant d’une voiture était poursuivi par un motard au comportement agressif. Malgré cela, il avait décidé de ne pas s’arrêter dans le village où il se rendait et où il était attendu à un mariage, mais avait suivi sa route avant de s’engager – toujours poursuivi par le motard – sur un petit chemin agricole en impasse. Arrivé au bout de celui-ci il était sorti de son véhicule et une altercation s’était produite entre les deux protagonistes, au cours de laquelle ils s’étaient assénés plusieurs coups de poing. Ces faits tendaient à démontrer qu’avant même l’altercation proprement dite, l’assuré avait déjà eu conscience du risque que la situation présentait un danger pour lui. Aussi, en sortant de son véhicule sur un chemin menant à une impasse, pouvait-il s’attendre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, à une réaction violente du motard. C’est précisément par ce comportement, alors qu’il aurait pu faire demi-tour, que l’assuré s’est mis dans la zone de danger exclue par l’assurance. Par ailleurs, même s’il ne voulait pas s’arrêter à l’endroit où devait se dérouler la cérémonie pour éviter une altercation en présence des personnes invitées à la fête, l’assuré aurait certainement pu s’arrêter dans un autre endroit fréquenté, de manière à dissuader son poursuivant de le frapper. Dans de telles circonstances, le Tribunal fédéral, à l’instar des premiers juges, a retenu que l’agression dont avait été victime l’assuré s’était produite alors que ce dernier a eu un comportement tombant sous le coup de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA. Les faits de la présente cause ne sont pas non plus comparables à la situation jugée dans l’arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013 (SVR 2013 UV n° 21 p. 78) où un assuré qui se trouvait dans sa voiture avec sa femme dans un parking a été passé à tabac par deux jeunes gens auxquels ils avaient montré un doigt d’honneur. Par conséquent, l’assureur-accidents pouvait dans ce cas réduire ses prestations en espèces de moitié. En l’espèce il n’y a pas eu de provocation de la part de l’intimé.

 

L’assurance-accidents reproche au juge cantonal de s’être écarté de l’appréciation du juge pénal en ce qui concerne l’interprétation de l’origine des fractures des 4ème et 5ème métacarpiens, selon laquelle ces fractures seraient compatibles avec un coup violent porté par l’assuré. Les explications fournies sur ce point par les juges cantonaux apparaissent toutefois crédibles. Au demeurant, l’assuré a été littéralement passé à tabac par C.__ et l’on ne peut exclure qu’à un moment donné il ait voulu se défendre en portant un coup à son agresseur dans ce but et pas dans le but d’alimenter la bagarre. Un tel acte ne constituerait pas la cause essentielle de l’atteinte à la santé qu’il a subie et il n’y aurait, quoi qu’il en soit, pas matière à réduction des prestations (voir ALEXANDRA RUMO-JUNGO, Die Leistungskürzung oder -verweigerung gemäss Art. 37-39 UVG, Fribourg 1993, p. 265).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_600/2017 consultable ici

 

 

9C_388/2019+9C_389/2019 (f) du 21.04.2020 – Extension de l’obligation d’assurance aux demandeurs d’asile / Exceptions à l’obligation de s’assurer – Personnes séjournant en Suisse dans le seul but de suivre un traitement médical ou une cure – Examen des délégations de compétences et de l’art. 2 al. 1 let. b OAMal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_388/2019+9C_389/2019 (f) du 21.04.2020

 

NB : arrêt à 5 juges ; non destiné à la publication

 

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Assujettissement à l’assurance obligatoire des soins – Extension de l’obligation d’assurance aux demandeurs d’asile / 3 LAMal – 1 al. 2 let. c OAMal

Exceptions à l’obligation de s’assurer – Personnes séjournant en Suisse dans le seul but de suivre un traitement médical ou une cure – Examen des délégations de compétences et de l’art. 2 al. 1 let. b OAMal

 

A.__, de nationalité russe, est entré en Suisse le 17.03.2018. Il était accompagné de son épouse, B.__, ressortissante arménienne. Ils ont déposé leurs demandes d’asile respectivement les 26.03.2018 et 19.03.2018. Tous deux ont été affiliés à une caisse-maladie pour l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie. Leur couverture d’assurance a pris effet aux respectivement 17.03.2018 et 26.03.2018.

L’assureur-maladie a reçu une demande de garantie datée du 28.05.2018 portant sur la prise en charge financière d’une évaluation multidisciplinaire d’A.__ dans une clinique de réadaptation. Il y était notamment indiqué que celui-ci était hospitalisé depuis le 17.03.2018. La caisse-maladie a requis du Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM) des informations concernant les motifs des demandes d’asile. Sur la base des renseignements obtenus, dont il déduisait que le couple était venu en Suisse essentiellement pour que l’époux puisse se faire soigner, l’assureur-maladie a annulé les polices d’assurance avec effet rétroactif aux respectivement 17.03.2018 et 26.03.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AM 52/18 – 17/2019  /  AM 53/18 – 18/2019)

A.__, B.__ et l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM) ont déféré les décisions sur opposition à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud. Ils ont en substance conclu au maintien sans interruption depuis le 17.03.2018 de la couverture d’assurance. Ils ont entre autres pièces déposé une prise de position du 19.09.2018 de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) relative aux décisions sur opposition et établie en réponse à un courrier du 09.08.2018 du chef du Département vaudois de la santé et de l’action sociale.

Par jugements du 29.04.2019, rejet des recours par le tribunal cantonal.

 

TF

En matière d’assurance-maladie, le législateur a prévu l’obligation de s’assurer pour toutes les personnes qui sont domiciliées en Suisse (art. 3 al. 1 LAMal). Il a délégué au Conseil fédéral la compétence de prévoir des exceptions à cette obligation ou d’étendre cette obligation à des personnes qui n’ont pas leur domicile en Suisse. D’une part, sur la base de l’art. 3 al. 2 LAMal, le Conseil fédéral a édicté l’art. 2 OAMal qui prévoit des exceptions à l’obligation d’assurance, parmi lesquelles figurent notamment les personnes qui séjournent en Suisse dans le seul but de suivre un traitement médical ou une cure (al. 1 let. b). Une personne qui se trouve en Suisse uniquement pour se faire soigner ne doit pas être affiliée à l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie (cf. arrêt 9C_217/2007 du 8 avril 2008 consid. 5, in SVR 2008 KV n° 13 p. 50). D’autre part, sur la base de l’art. 3 al. 3 LAMal, le Conseil fédéral a édicté l’art. 1 OAMal qui étend l’obligation d’assurance à des personnes qui n’ont pas leur domicile en Suisse, parmi lesquelles figurent notamment les personnes qui ont déposé une demande d’asile en Suisse conformément à l’art. 18 LAsi (art. 1 al. 2 let. c OAMal), c’est-à-dire les personnes qui demandent à la Suisse de les protéger contre des persécutions (art. 18 LAsi). Il découle de ce qui précède qu’une personne qui dépose formellement une demande d’asile mais qui n’invoque comme fondement à sa demande que des motifs de santé ne devrait pas être affiliée à l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie.

Une loi fédérale peut par le biais d’une clause de délégation législative autoriser le pouvoir exécutif à édicter des règles de droit (art. 164 al. 2 Cst.). Une telle délégation de compétences ne doit pas être interdite par le droit constitutionnel. Elle doit figurer dans une loi au sens formel. Le cadre de la délégation doit être clairement défini et ne doit pas être dépassé (cf. notamment ATF 132 I 7 consid. 2.2 p. 9; 128 I 113 consid. 3c p. 122). La jurisprudence ne définit pas une fois pour toute quelle réglementation est si importante qu’elle devrait figurer dans une loi formelle ou quel degré de précision devrait revêtir une délégation de compétences. Cela dépend toujours des circonstances du cas particulier. Il existe néanmoins divers critères qui se dégagent de la jurisprudence. Ainsi, une réglementation devrait plutôt être contenue dans une loi au sens formel lorsque, notamment, elle exerce une influence considérable sur les droits et les libertés fondamentales des particuliers, elle concerne un grand cercle de personnes, elle crée des obligations de droit public, elle est susceptible d’engendrer une grande résistance de la part des personnes concernées ou porte sur des questions politiques importantes (cf. ATF 133 II 331 consid. 7.2.1 p. 347; 128 I 113 consid. 3c p. 122).

Les délégations de compétences, prévues à l’art. 3 al. 2 et 3 de la LAMal, qui est une loi au sens formel soumise à référendum, sont ensuite clairement délimitées. Elles s’inscrivent toutes deux dans le cadre des objectifs principaux de la loi qui sont de garantir aux personnes assurées des soins de haute qualité aux prix les plus bas (cf. p. ex. Message du 6 novembre 1991 concernant la révision de l’assurance-maladie, FF 1992 I 77, p. 116 et 150) et de renforcer le principe de solidarité (cf. p. ex. Message du 6 novembre 1991 concernant la révision de l’assurance-maladie, FF 1992 I 77, p. 117). La première concerne la possibilité de prévoir des exceptions à l’obligation de s’assurer (notamment pour les personnes bénéficiant de l’immunité diplomatique) et la seconde la possibilité d’étendre cette obligation à des personnes qui n’ont pas de domicile en Suisse (en particulier celles qui exercent une activité en Suisse ou y séjournent habituellement ainsi que celles qui travaillent à l’étranger pour une entreprise suisse). Le Conseil fédéral n’a pas dépassé ce cadre en édictant les art. 1 et 2 OAMal.

Les conséquences de la réglementation déléguée (en relation avec le degré de précision que doit revêtir une délégation de compétences) ne sont finalement pas si importantes que veulent le faire accroire les recourants. S’il est indéniable que, compte tenu du contexte migratoire actuel, la question des réfugiés est d’une importance politique considérable, l’enjeu découlant de l’application de l’art. 2 al. 1 let. b OAMal aux requérants d’asile en Suisse ne saurait se voir accorder la même importance politique. Cette question est certes sensible mais ne concerne qu’un cercle de personnes somme toute limité. Au regard du nombre de personnes visées par l’obligation d’assurance de l’art. 3 al. 1 LAMal (soit toutes celles domiciliées en Suisse, c’est-à-dire plus de huit millions d’individus), le nombre de requérants d’asile soumis à l’obligation d’assurance en vertu de l’art. 1 al. 2 let. c OAMal doit être qualifié de faible (15’255 en 2018; 14’269 en 2019 selon des communiqués du SEM des 1er février 2019 et 31 janvier 2020 consulté sur le site internet du SEM [ www.sem.admin.ch]) et celui de requérants d’asile venant en Suisse essentiellement pour se faire soigner encore plus faible. La réglementation litigieuse n’empêche de surcroît aucunement une bonne application de la LAsi dans la mesure où cette loi concerne toute personne qui demande à la Suisse de la protéger contre des persécutions (art. 18 LAsi). On ne peut en outre pas parler d’ouverture d’une brèche importante dans le système suisse de sécurité sociale dès lors que, d’une part, il serait contraire au principe de la solidarité de permettre à quiconque de bénéficier d’un système de santé financé en grande partie par les personnes visées à l’art. 3 al. 1 LAMal sans jamais avoir cotisé et que, d’autre part, il est toujours possible à une personne atteinte dans sa santé d’obtenir un permis humanitaire de courte durée afin de se faire soigner.

Ces considérations permettent donc de conclure que l’art. 2 al. 1 let. b OAMal a été édicté sur la base de délégations de compétences valables.

 

L’art. 7 al. 5 OAMal figure dans la section 2 de l’OAMal qui traite du début et de la fin de l’assurance des personnes tenues de s’assurer conformément à la section 1 de l’OAMal. Il détermine concrètement le moment où interviennent l’affiliation à l’assurance obligatoire des soins ainsi que le début et la fin de la couverture d’assurance des personnes visées par l’art. 1 al. 2 let. c OAMal. Il ne fait pas explicitement allusion à une interdiction de procéder à un examen préjudiciel d’une demande d’asile. Il est par ailleurs peu vraisemblable que l’on puisse en déduire implicitement une telle interdiction. La jurisprudence déjà mentionnée conditionne en effet la possibilité d’analyser à titre préjudiciel certaines questions ressortissant à d’autres domaines du droit à l’absence de « règles spéciales contraires ». Or, pour justifier la restriction d’une telle possibilité, il paraît indispensable que la règle spéciale soit édictée de manière claire et univoque. Tel n’est de toute évidence pas le cas en l’espèce. Certes, la disposition réglementaire invoquée prévoit un système d’annonce qui intervient temporellement bien avant la fin de la procédure d’asile. Dans la mesure où le législateur a toutefois voulu permettre au Conseil fédéral d’étendre l’obligation d’assurance à certaines catégories de personnes non domiciliées en Suisse et d’exclure de cette obligation certaines catégories de personnes domiciliées en Suisse, il paraît raisonnable de penser que le Conseil fédéral n’a pas pu vouloir déterminer quand une personne devait être assurée avant même de savoir si elle devait être assurée. Outre le fait qu’un tel système institutionnaliserait les abus de droit (sur cette notion, cf. notamment ATF 143 III 279 consid. 3.1 p. 281 et les références), il contreviendrait aux objectifs principaux de la LAMal que sont la garantie de soins de haute qualité aux prix les plus bas et le renforcement du principe de la solidarité (cf. consid. 7.4 supra). Il apparaît ainsi que l’interprétation que veulent faire les recourants de l’art. 7 al. 5 OAMal ne remet pas véritablement en cause celle de la juridiction cantonale selon laquelle l’exclusion de l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie prévue à l’art. 2 al. 1 let. b OAMal s’applique aussi aux personnes visées par l’art. 1 al. 2 let. c OAMal et, par conséquent, autorise un examen préjudiciel des motifs de la demande d’asile. Elle n’est en tout cas pas décisive.

 

Sur la base de l’art. 3 al. 2 LAMal, le Conseil fédéral a étendu l’obligation d’assurance aux personnes qui ont déposé une demande d’asile en Suisse conformément à l’art. 18 LAsi. Selon l’art. 82a LAsi, les cantons qui se sont vu attribuer des requérants d’asile en vertu de l’art. 27 LAsi peuvent directement ou par le biais d’un tiers leur fournir l’assistance sociale nécessaire pour ce qui concerne les soins de santé par la souscription d’une assurance-maladie. Ils peuvent aussi limiter le choix des assureurs et des fournisseurs de prestations. Le canton de Vaud a concrétisé ces délégations de compétences dans la loi du 7 mars 2006 sur l’aide aux requérants d’asile et à certaines catégories d’étrangers (LARA; RS VD 142.21). L’art. 35 LARA désigne l’EVAM pour représenter les demandeurs d’asile dans le système d’affiliation de l’assurance-maladie obligatoire. Il ressort donc de ce qui précède que la marge de manœuvre accordée aux cantons par le législateur fédéral se limite à des mesures d’ordre organisationnel visant à une meilleure maîtrise des coûts. Le seul fait que le contrat d’assurance soit conclu par le canton ou par l’autorité désignée par lui ne saurait faire obstacle au fait que la personne visée par ce contrat doit impérativement remplir les conditions d’affiliation pour pouvoir bénéficier de la couverture d’assurance prévue par ledit contrat. Ainsi, si le système mis en place par le droit fédéral et le droit cantonal vaudois en l’occurrence peut certes être qualifié de spécifique aux requérants d’asile (et à d’autres personnes à protéger), il ne permet toutefois pas de conclure que le seul fait d’avoir formellement déposé une demande d’asile suffit pour ne pas appliquer l’exception de l’art. 2 al. 1 let. b OAMal.

 

L’assujettissement – en l’occurrence au sens de l’art. 3 LAMal qui vise à définir le cercle des personnes assurées obligatoirement à un système de santé déterminé – a forcément des répercussions sur les coûts engendrés par ce système (dans le sens où plus le nombre de bénéficiaires est élevé, plus les coûts le seront également) sans pour autant avoir pour but d’en assurer la maîtrise. La réciproque n’est toutefois pas nécessairement vraie. Une règle qui vise spécifiquement la maîtrise des coûts n’a pas automatiquement pour objectif de définir le cercle des bénéficiaires. Tel est le cas en l’espèce comme l’a dûment relevé la juridiction cantonale. Il ressort clairement du Message du 4 septembre 2002 concernant la modification de la loi sur l’asile, de la loi fédérale sur l’assurance-maladie et de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants que les propositions du Conseil fédéral (concrétisées à l’art. 82a LAsi) visant à permettre aux cantons de limiter les personnes désignées à l’art. 1 al. 2 let. c OAMal dans le choix de leur assureur ou de leurs fournisseurs de prestations avaient pour but exclusif de maîtriser les coûts de la santé dans le domaine de l’asile (FF 2002 I 6359, n° 2.5 p. 6431), c’est-à-dire d’élaborer dans le cadre de la tradition humanitaire de la Suisse des solutions adaptées qui ne constituent pas une charge financière et administrative démesurée pour les cantons et les assureurs (FF 2002 I 6359, n° 2.5.1 p. 6431). L’objectif n’était pas de modifier d’une quelconque manière le cercle des personnes assujetties à l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie. Il ne saurait donc être déduit de la seule absence de mention, dans les travaux préparatoires, de la possibilité d’exclure les demandeurs d’asile de l’assurance-maladie la volonté du législateur de constituer un régime spécifique à cette catégorie de personnes contraire à celui mis en place sur la base de l’art. 3 LAMal.

 

L’obligation d’assurance a été introduite pour garantir la solidarité entre les personnes malades et celles qui sont en bonne santé et que, dans cette optique, il était logique que les exceptions à l’obligation d’assurance et, par conséquent, à l’appartenance à une communauté solidaire devaient être définies de manière restrictive (ATF 132 V 310 consid. 4.3 p. 313 s.; 129 V 77 consid. 4.2 p. 78). Le fait que la liste d’exception figurant à l’art. 2 al. 1 OAMal ne mentionne pas expressément les demandeurs d’asile ne signifie pas pour autant qu’une personne ayant formellement requis l’asile en Suisse mais dont la demande repose uniquement sur des motifs de santé ne puisse tomber sous le coup de l’art. 2 al. 1 let. b OAMal. Le caractère restrictif de la définition des exceptions au regard du principe de la solidarité ne signifie effectivement pas que la liste de ces dernières doit être exhaustive mais seulement qu’une exception ne doit pas porter atteinte à la communauté solidaire des personnes obligatoirement assurées (soit toutes celles domiciliées en Suisse), en exceptant toute une catégorie de personnes en bonne santé au détriment des malades et inversement. Faire une exception à l’obligation d’assurance pour les personnes ayant formellement requis l’asile en Suisse mais dont la demande repose uniquement sur des motifs de santé ne lèse pas le principe de la solidarité dès lors qu’un requérant d’asile n’a pas de domicile en Suisse et qu’une telle exception ne touche qu’un nombre relativement peu élevé de personnes qui ne bénéficieraient ainsi pas de tous les avantages d’un système de santé pour lesquels elles se verraient exemptées de l’obligation de cotiser.

 

Le TF rejette les recours de A.__ et B.__.

 

 

Arrêt 9C_388/2019+9C_389/2019 consultable ici

 

 

9C_708/2017 (f) du 23.02.2018 – Détermination du revenu sans invalidité dans le cadre d’une révision d’une rente d’invalidité – 17 LPGA / Revenu d’invalide pour une assurée ne mettant pas pleinement à profit sa capacité de travail résiduelle – Détermination selon ESS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_708/2017 (f) du 23.02.2018

 

Consultable ici

 

Détermination du revenu sans invalidité dans le cadre d’une révision d’une rente d’invalidité / 17 LPGA

Revenu d’invalide pour une assurée ne mettant pas pleinement à profit sa capacité de travail résiduelle – Détermination selon ESS

 

Assurée, victime d’un accident de la circulation routière le 18.10.1997, à la suite duquel elle a subi deux interventions neurochirurgicales au niveau de son rachis cervical en janvier et avril 1998, a déposé une demande AI le 23.06.1999. Octroi par l’AI d’une demi-rente dès le 01.03.1999 (décisions des 16.08.2000 et 24.10.2000).

Se fondant sur les conclusions d’un spécialiste en chirurgie orthopédique, l’AI a mis l’assurée au bénéfice d’une rente entière d’invalidité dès le 01.04.2002 (décision du 23.01.2004). Après avoir pris connaissance des conclusions de l’expertise requise par l’assurance-accidents auprès d’un spécialiste en médecine physique et réadaptation, l’office AI a maintenu le droit de l’assurée à une rente entière d’invalidité (communication du 10.08.2006).

En se fondant sur l’avis du médecin de son SMR, puis d’une évaluation de son activité professionnelle et d’une analyse ergonomique de son poste de travail, l’office AI a supprimé le droit de l’assurée à des prestations d’invalidité avec effet au 09.10.2008 (décision du 10.11.2016).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/697/2017 – consultable ici)

Par jugement du 22.08.2017, admission (partielle) du recours par le tribunal cantonal et octroi à l’assurée d’un quart de rente d’invalidité dès le 01.10.2008.

 

TF

En ce qui concerne le revenu sans invalidité, est déterminant le salaire qu’aurait effectivement réalisé l’assuré sans atteinte à la santé, selon le degré de la vraisemblance prépondérante. En règle générale, on se fonde sur le dernier salaire réalisé avant l’atteinte à la santé, compte tenu de l’évolution des circonstances à l’époque où est né le droit à la rente. Au regard des capacités professionnelles de l’assuré et des circonstances personnelles le concernant, on prend en considération ses chances réelles d’avancement compromises par le handicap, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Des exceptions ne sauraient être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2 p. 30; 135 V 58 consid. 3.1 p. 59 et la référence).

Dans la procédure de révision, à la différence de la procédure initiale à l’issue de laquelle le droit à la rente est déterminé pour la première fois, le parcours professionnel effectivement suivi entre-temps par la personne assurée est connu. Celui-ci permet éventuellement – à la différence toujours de l’octroi initial de la rente – de faire des déductions (supplémentaires) quant à l’évolution professionnelle et salariale hypothétique sans atteinte à la santé. Pour examiner alors ce que la personne assurée aurait atteint sur le plan professionnel et salarial sans atteinte à la santé ou de quelle manière son salaire se serait développé, il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances survenues jusqu’au moment de la révision (ATF 139 V 28 consid. 3.3.3.2 i. f. p. 31; arrêt 8C_564/2013 du 17 octobre 2013 consid. 6.1 et les références).

Selon la jurisprudence, il est aussi possible de tirer du parcours professionnel de la personne invalide des conséquences quant à l’évolution hypothétique qui serait survenue sans l’atteinte à la santé lorsque la personne assurée a continué à exercer la même activité après l’événement invalidant. On ne saurait toutefois, sans autres raisons, déduire du succès d’une carrière professionnelle poursuivie après l’invalidité, singulièrement d’une amélioration effective des revenus, que l’assuré aurait aussi occupé une position semblable sans invalidité dans le domaine professionnel habituel. Une telle évolution positive peut en effet résulter de circonstances favorables indépendantes des compétences professionnelles de l’assuré. Si depuis la décision initiale de rente la personne assurée a démontré des qualifications professionnelles particulières, que ce soit en raison d’une formation continue ou d’un engagement important et que cela a eu des répercussions sur le salaire d’invalide, il s’agit d’un indice important que l’assuré qui a continué à exercer la même activité après l’atteinte à la santé aurait connu une évolution équivalente s’il était resté en bonne santé (arrêt 9C_33/2016 du 16 août 2016 consid. 7.1 et les références).

Le point de savoir quelle activité professionnelle la personne assurée exercerait sans atteinte à la santé, qui repose sur l’examen du déroulement hypothétique des événements, est une question de fait, même si des conséquences tirées de l’expérience générale de la vie sont également prises en considération (arrêt 9C_615/2010 du 30 septembre 2010 consid. 1.2 et les références; cf. aussi ATF 133 V 477 consid. 6.1 p. 485). Aussi, les constatations de la juridiction de première instance lient en principe le Tribunal fédéral, à moins qu’elles soient manifestement inexactes ou relèvent d’une violation du droit au sens de l’art. 95 LTF.

Dans l’attestation de l’employeur du 19.07.2007, la rédactrice s’est contentée d’évoquer l’éventualité que l’assurée « serait » devenue « Senior (…)  » en 2007, au vu de sa « progression dans l’entreprise et de ses performances » de très haute qualité. On ne saurait dès lors se fonder sur l’éventualité incertaine d’une telle promotion pour arrêter le revenu sans invalidité.

En revanche, selon l’attestation du 19.07.2007, l’assurée a continué à exercer la même activité professionnelle – « fonction de (…)  » – auprès de H.________ SA depuis son accident, pour une rémunération à temps partiel (20%) de 18’417 fr. par année en 2007 et 2008 (extrait du compte individuel AVS). On ne saurait dès lors suivre la juridiction cantonale lorsqu’elle se fonde sur le dernier salaire – après indexation – réalisé par l’assurée avant l’atteinte à la santé (89’225 fr.) et qui est inférieur à celui que A.________ était susceptible de concrètement percevoir à plein temps en 2008 (92’085 fr.; 18’417 fr. x 5). Il y a dès lors lieu de retenir que l’assurée aurait réalisé, sans atteinte à la santé, un revenu à plein temps de 92’085 fr. en 2008.

 

En ce qui concerne le revenu avec invalidité, l’assurée ne met pas pleinement à profit sa capacité de travail résiduelle et son employeur n’aurait pas été disposé à augmenter son taux d’occupation. Elle se trouve dès lors dans la situation dans laquelle le salaire effectivement réalisé ne peut pas être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide, mais doit être – entièrement – établi sur la base des données statistiques résultant de l’ESS (voir arrêts 8C_749/2013 du 6 mars 2014 consid. 4.2, 8C_771/2014 du 19 février 2015 consid. 4.3.4 et 9C_762/2015 du 26 janvier 2016 consid. 4.2). Cette valeur statistique est par ailleurs suffisamment représentative de ce que l’assurée serait en mesure de réaliser dès lors qu’elle recouvre un large éventail d’activités variées et adaptées, du point de vue ergonomique, à ses limitations.

Le revenu d’une activité nécessitant des connaissances professionnelles spécialisées résultant des données statistiques de l’ESS 2008 s’élève à 63’586 fr. à plein temps et, par conséquent, à 50’869 fr. rapporté à un taux d’occupation de 80% exigible de la part de l’assurée (100%, avec une baisse de rendement de 20%). En ce qui concerne le taux d’abattement sur le salaire statistique, la jurisprudence considère que lorsqu’un assuré est capable de travailler à plein temps mais avec une diminution de rendement, celle-ci est prise en considération dans la fixation de la capacité de travail. Il n’y a pas lieu, en sus, d’effectuer un abattement à ce titre (arrêts 9C_677/2012 du 3 juillet 2013 consid. 2.2; 8C_93/2013 du 16 avril 2013 consid. 5.4 et les références). Le revenu d’invalide de l’assurée s’élève par conséquent à 50’869 fr. Comparé au revenu sans invalidité de 92’085 fr, le degré d’invalidité est de 45%. Ce taux donne droit à un quart de rente d’invalidité (art. 28 al. 2 LAI).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_708/2017 consultable ici

 

 

4A_59/2019 (f) du 12.05.2020 – Licenciement au retour du congé maternité – Résiliation abusive du contrat de travail – Caractère discriminatoire du licenciement / 336b CO – 3 al. 2 LEg – 5 LEg

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_59/2019 (f) du 12.05.2020

 

Consultable ici

 

Résiliation abusive du contrat de travail – Caractère discriminatoire du licenciement / 336b CO – 3 al. 2 LEg – 5 LEg

Licenciement au retour du congé maternité

 

B.__ travaillait au service de A.__ SA depuis avril 2006. Engagée en qualité d’assistante du service technique, elle a occupé diverses fonctions au sein de l’entreprise, notamment celle d’assistante de direction ; elle a été nommée responsable du groupe communication et événementiel dès le 18.09.2015.

En octobre 2015, B.__ a informé son supérieur qu’elle était enceinte depuis août 2015. Elle s’est trouvée dans l’incapacité de travailler à 50% dès le 22.02.2016, puis en incapacité totale dès le 29.03.2016. Elle a accouché le 29.04.2016.

Au printemps 2016, A.__ SA a lancé le processus de recrutement d’un nouveau responsable communication. Une annonce a été publiée et les premières candidatures sont parvenues en avril 2016.

A l’issue de son congé maternité prolongé de quatre semaines de vacances, B.__ a repris le travail le 19.09.2016. Le jour même, elle s’est vu notifier son licenciement avec effet au 31.01.2017, terme qui sera finalement reporté au 28.02.2017. A.__ SA a motivé le congé par le fait que l’employée n’avait pas été assez performante comme responsable du groupe communication par rapport à ce qui était attendu d’elle, ajoutant qu’elle n’avait pas « les épaules assez larges » pour occuper ce poste.

Le 21.09.2016, A.__ SA a remis à B.__ un certificat de travail intermédiaire faisant état de l’excellente qualité du travail fourni dans ses différentes activités, notamment celle de responsable de la communication, et du fait que son licenciement était justifié par une restructuration interne ; il précisait que la capacité de l’employée de mener à bien les projets qui lui avaient été confiés, avec professionnalisme et à la pleine et entière satisfaction de son employeur, lui avait permis d’endosser la responsabilité des divers postes occupés au sein de la société.

A.__ SA a engagé C.__ comme responsable de la communication à partir du 01.10.2016.

Par courrier du 27.01.2017, B.__ s’est formellement opposée à son licenciement, qu’elle considérait comme abusif. Dans sa réponse du 08.02.2017, A.__ SA, par le biais de son conseil, a précisé que le congé était motivé uniquement par une restructuration interne.

 

Procédures cantonales

A la suite de l’échec de la conciliation, B.__ a introduit une demande tendant au paiement par A.__ SA d’une indemnité pour licenciement abusif et discriminatoire correspondant à trois mois de salaire (21’303 fr.75). Le Tribunal des prud’hommes a débouté B.__ de ses conclusions en paiement.

Sur appel de l’employée, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève a condamné A.__ SA à verser à B.__ la somme nette de 21’303 fr.75 avec intérêts à 5% dès le 01.04.2017. Contrairement aux premiers juges, la cour cantonale a jugé que l’employeuse n’était pas parvenue à prouver que l’employée aurait été licenciée même en l’absence de grossesse, de sorte que le congé était discriminatoire et devait ainsi donner lieu à une indemnité, fixée à trois mois de salaire compte tenu des circonstances de l’espèce.

Pour la période où l’employée a effectivement occupé la fonction litigieuse, aucune pièce ni aucun autre élément probant n’établissent que l’intéressée n’a pas été assez performante. L’absence de cahier des charges pour le poste tel qu’il se présentait au moment de son attribution à l’employée empêche de connaître les objectifs fixés à cette dernière et de constater dès lors une insuffisance de ses prestations pendant les quelques mois où elle a occupé le poste. Par ailleurs, le certificat de travail établi quelques jours après le licenciement est élogieux et indique que l’intéressée a donné pleine et entière satisfaction dans les divers postes occupés, y compris celui de responsable de la communication.

La cour cantonale se place ensuite dans l’hypothèse où l’employeuse a décidé de modifier les objectifs du poste litigieux dans le cadre d’une nouvelle stratégie de communication. Elle constate, d’une part, que ni l’ampleur ni la teneur de cette nouvelle stratégie ne sont connues et, d’autre part, que l’employeuse n’a produit aucun document probant faisant état du cahier des charges nouvellement fixé. Elle en déduit qu’aucun élément du dossier ne permet de conclure que l’employée aurait été inapte à mener à bien la nouvelle stratégie de communication mise en place, la question de savoir s’il existait une personne plus compétente n’étant pas pertinente. Par ailleurs, les juges genevois n’ont pas retenu que l’employée avait été licenciée en raison d’une restructuration interne du secteur de la communication, dès lors que le poste existe toujours, même si les objectifs ont pu être modifiés.

 

TF

Aux termes de l’art. 3 al. 1 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (LEg ; RS 151.1), il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant de femmes, leur grossesse. L’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à la résiliation des rapports de travail (art. 3 al. 2 LEg). En cas de congé discriminatoire, l’employeur versera à la personne lésée une indemnité; celle-ci sera fixée compte tenu de toutes les circonstances et calculée sur la base du salaire; elle ne peut excéder le montant correspondant à six mois de salaire (art. 5 al. 2 et 4 LEg). Par renvoi de l’art. 9 LEg, la procédure à suivre par la personne qui se prétend victime d’un congé discriminatoire est régie par l’art. 336b CO applicable en cas de résiliation abusive du contrat de travail.

Une discrimination est dite directe lorsqu’elle se fonde explicitement sur le critère du sexe ou sur un critère ne pouvant s’appliquer qu’à l’un des deux sexes et qu’elle n’est pas justifiée objectivement (ATF 145 II 153 consid. 4.3.5 p. 161 et les arrêts cités). Constitue ainsi une discrimination directe le licenciement notifié à une travailleuse parce qu’elle est enceinte, parce qu’elle souhaite le devenir ou parce qu’elle est devenue mère (arrêt 4A_395/2010 du 25 octobre 2010 consid. 5.1; STÉPHANIE PERRENOUD, La protection contre les discriminations fondées sur la maternité selon la LEg, in L’égalité entre femmes et hommes dans les relations de travail 1996-2016: 20 ans d’application de la LEg, Dunand/Lempen/Mahon [éd.], p. 89; WYLER/HEINZER, Droit du travail, 3e éd. 2014, p. 869; ELISABETH FREIVOGEL, in Kommentar zum Gleichstellungsgesetz, Claudia Kaufmann/Sabine Steiger-Sackmann [éd.], 2e éd. 2009, p. 76 n° 65).

Selon l’art. 6 LEg, l’existence d’une discrimination à raison du sexe est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Cette disposition introduit un assouplissement du fardeau de la preuve par rapport au principe général de l’art. 8 CC, dans la mesure où il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable la discrimination par l’apport d’indices objectifs. Lorsqu’une discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, il appartient alors à l’employeur d’apporter la preuve stricte qu’elle n’existe pas (ATF 131 II 393 consid. 7.1 p. 405 s.; 130 III 145 consid. 4.2 p. 161 s. et consid. 5.2 p. 164 s.; 127 III 207 consid. 3b p. 212 s.). Comme il est difficile d’apporter la preuve de faits négatifs, la preuve de la non-discrimination peut être apportée positivement si l’employeur démontre l’existence de motifs objectifs ne produisant pas une discrimination à raison du sexe (SABINE STEIGER-SACKMANN, in Commentaire de la loi sur l’égalité, Margrith Bigler-Eggenberger/Claudia Kaufmann [éd.], 2000, n° 61 ad art. 6 LEg p. 179).

L’art. 6 LEg précise que l’allègement du fardeau de la preuve s’applique notamment à la résiliation des rapports de travail. En particulier, si l’employée parvient à rendre vraisemblable que le motif du congé réside dans sa grossesse ou sa maternité, il appartiendra à l’employeur de prouver que cet élément n’a pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat (arrêt 4C.121/2001 du 16 octobre 2001 consid. 3d/dd), en d’autres termes, que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte. Pour ce faire, l’employeur pourra chercher à établir que le licenciement a été donné pour un motif objectif, sans lien avec la grossesse ou la maternité (PERRENOUD, op. cit., p. 90), comme par exemple une réorganisation de l’entreprise (cf. arrêt 4A_395/2010 précité consid. 5.2) ou l’insuffisance des prestations de l’intéressée (arrêt 4A_507/2013 du 27 janvier 2014 consid. 4).

 

En ce qui concerne les compétences professionnelles de la nouvelle responsable de la communication, la cour cantonale a jugé que la question de savoir s’il existait une personne plus compétente que l’employée pour atteindre les mêmes objectifs n’était pas pertinente. A juste titre. Le curriculum vitae de la nouvelle responsable, même plus qualifiée en matière de communication que l’employée, n’est en effet pas un élément propre à modifier le sort du litige dans les circonstances de l’espèce.

S’agissant des prestations de l’employée, les juges genevois ont tenu pour non établi le fait qu’elle n’aurait pas été assez performante, par rapport à ce qui était attendu d’elle, durant les quelques mois où elle a exercé ses fonctions de responsable de la communication. Le certificat de travail signé par l’employeuse indique clairement que l’employée a donné pleine et entière satisfaction dans les divers postes occupés au sein de la société, y compris celui de responsable de la communication. Quoi que l’employeuse en dise, il n’y a pas lieu de relativiser cette appréciation, dès lors qu’elle-même n’invoque aucun moyen de preuve dont il ressortirait que des griefs ont été adressés à l’employée pendant la période susmentionnée. L’employeuse ne conteste pas non plus l’absence de cahier des charges pour le poste tel qu’il se présentait au moment de son attribution à l’employée. Or, faute de connaître les objectifs fixés à l’employée, il n’est pas possible de constater une insuffisance de ses prestations.

 

S’agissant de la preuve stricte à rapporter par l’employeuse lorsque l’employée licenciée a rendu vraisemblable que le motif du congé résidait dans sa grossesse ou sa maternité, il lui incombait de démontrer que la grossesse ou la maternité n’avait pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat. L’employeuse pouvait ainsi chercher à établir que le congé avait une justification objective indépendante de la grossesse ou de la maternité. Pour que le licenciement soit finalement jugé non-discriminatoire, il ne suffisait pas à l’employeuse de démontrer que la nouvelle titulaire du poste était objectivement plus compétente que l’employée licenciée. Elle pouvait en revanche chercher à prouver qu’elle disposait d’un motif objectif pour résilier le contrat, à savoir les qualités insuffisantes de l’employée pour le poste de responsable de la communication. Or, à ce propos, la cour cantonale a jugé qu’il n’était pas établi, d’une part, que l’employée n’avait pas été assez performante pendant les quelques mois où elle avait occupé le poste ni, d’autre part, qu’elle aurait été inapte à mener à bien la nouvelle stratégie de communication invoquée par l’employeuse. Les griefs tirés de l’art. 9 Cst. que l’employeuse a soulevés dans ce contexte étant écartés, elle n’a ainsi pas prouvé qu’elle disposait d’un motif objectif qui justifiait le congé et, partant, que la grossesse de l’employée n’avait pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat.

Au demeurant, indépendamment des compétences de l’employée en matière de communication, l’enchaînement des faits dans les circonstances de l’espèce permet de douter, avec la cour cantonale, que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte.

Le congé a été signifié au retour du congé maternité de l’employée au motif qu’elle n’avait pas le niveau pour réintégrer un poste dont les objectifs avaient été modifiés entre-temps à la suite d’un changement dans la stratégie de communication. L’intéressée n’avait occupé le poste en question que quelques mois mais, au moment du licenciement, elle travaillait dans l’entreprise depuis plus de 10 ans, au cours desquels elle avait exercé différentes activités. Lors de l’attribution du poste, l’employeuse ne savait pas que l’employée était enceinte, celle-ci l’ayant annoncé peu de temps après avoir débuté ses nouvelles fonctions. En revanche, elle connaissait l’expérience limitée de l’employée en matière de communication et ne lui avait pas remis de cahier des charges. Or, selon ses propres dires, l’employeuse a décidé de changer sa stratégie de communication et de lancer le processus de recrutement d’un nouveau responsable de la communication au printemps 2016, soit précisément au moment où l’employée partait en congé maternité. Sur les raisons justifiant un tel changement à ce moment-là, l’employeuse mentionne dans son mémoire l’achèvement d’une fusion avec D.__. L’employeuse a ainsi mis au concours un poste qui exigeait tout à coup des compétences spécifiques, alors que seulement quelques mois auparavant elle l’avait attribué à l’employée en connaissant son expérience limitée dans ce domaine, sans que la raison imposant un changement de stratégie aussi proche dans le temps ne soit établie.

En outre, il est à relever qu’après avoir lancé le processus de recrutement au printemps 2016, l’employeuse n’a proposé aucun autre emploi à l’employée avant son retour au travail, laquelle avait pourtant manifesté une certaine polyvalence au cours des dix ans passés dans l’entreprise, ce qui est de nature à conforter les doutes sur le fait que la grossesse de l’employée, à l’annonce de laquelle l’employeuse avait d’ailleurs marqué sa surprise, n’a pas joué un rôle déterminant dans la décision de l’employeuse de mettre un terme au contrat.

En conclusion, c’est à bon droit que la cour cantonale a jugé discriminatoire le licenciement de l’employée.

 

Le TF rejette le recours de l’employeuse.

 

 

Arrêt 4A_59/2019 consultable ici

 

 

9C_359/2019 (f) du 16.09.2019 – Responsabilité de l’employeur et responsabilité subsidiaire des organes de l’employeur – 52 LAVS – Rappel des obligations de l’administrateur – 716a al. 1 CO – Passivité en lien de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par la caisse de compensation

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_359/2019 (f) du 16.09.2019

 

Consultable ici

 

Responsabilité de l’employeur et responsabilité subsidiaire des organes de l’employeur / 52 LAVS

Rappel des obligations de l’administrateur / 716a al. 1 CO – Passivité en lien de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par la caisse de compensation

 

B.__ SA (ci-après : la société), inscrite au Registre du commerce le 09.03.2006, a été affiliée en tant qu’employeur à la caisse de compensation (ci-après : la caisse) avec effet du 09.03.2006 au 31.01.2015. A.__ y a exercé les fonctions d’administrateur secrétaire avec signature individuelle jusqu’au 17.06.2014, et C.__, celles d’administrateur président avec signature individuelle jusqu’au 14.01.2015. Par jugement du 14.01.2015, le Tribunal de première instance a prononcé la dissolution de la société par suite de faillite. La procédure de faillite a été clôturée le 25.05.2016 et la société radiée d’office le 30.05.2016.

Par décision, confirmée sur opposition, la caisse a réclamé à A.__, à titre de réparation du dommage qu’elle avait subi dans la faillite de B.__ SA, la somme de 155’493 fr. 95, représentant les cotisations paritaires demeurées impayées pour la période s’étendant du 01.01.2008 au 31.05.2014, frais et intérêts moratoires compris. Ce montant correspondait aux sommes dues et exigibles au cours de son mandat d’administrateur. Il en était solidairement responsable aux côtés de C.__.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/343/2019 – consultable ici)

Par jugement du 23.04.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le jugement entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels en matière de responsabilité de l’employeur au sens de l’art. 52 LAVS et de responsabilité subsidiaire des organes de l’employeur (ATF 129 V 11; 126 V 237; 123 V 12 consid. 5b p. 15 et les références), en particulier les conditions d’une violation intentionnelle ou par négligence des devoirs incombant aux organes (ATF 121 V 243). Il suffit d’y renvoyer.

On rappellera que dans l’hypothèse où plusieurs personnes sont responsables d’un même dommage au sens de l’art. 52 LAVS, chacun des débiteurs répond solidairement de l’intégralité du dommage envers la caisse de compensation, celle-ci étant libre de rechercher tous les débiteurs, quelques-uns ou un seul d’entre eux, à son choix (ATF 119 V 86 consid. 5a p. 87).

A.__ a été inscrit au Registre du commerce en qualité d’administrateur secrétaire de la société, avec signature individuelle, du 09.03.2006 au 17.06.2014. A ce titre, il avait de plein droit la qualité d’organe de la société et devait assumer les tâches prescrites par la loi (art. 716 ss CO). En sa qualité d’administrateur, il lui appartenait, nonobstant le mode de répartition interne des tâches au sein de la société, d’exercer la haute surveillance sur les personnes chargées de la gestion (cura in custodiendo ; art. 716a al. 1 ch. 5 CO). Il lui incombait ainsi, entre autres obligations, de se mettre régulièrement au courant de la marche des affaires et de veiller personnellement à ce que les cotisations paritaires afférentes aux salaires versés fussent effectivement acquittées à la caisse de compensation conformément à l’art. 14 al. 1 LAVS. Un administrateur d’une société anonyme ne peut en particulier pas se libérer de cette responsabilité en alléguant qu’il avait délégué cette tâche à un autre administrateur ou employé de la société à qui il faisait confiance, car cela constitue déjà en soi un cas de négligence grave (arrêt 9C_289/2009 du 19 mai 2010 consid. 6.2 et les références; cf. aussi arrêts 9C_722/2015 du 31 mai 2016 consid. 3.3; 9C_926/2009 du 27 avril 2010 consid. 4.4).

A.__ a reconnu n’avoir jamais demandé de renseignements à C.__ au sujet du versement des cotisations sociales à la caisse de compensation, et qu’il s’est limité à poser à celui-ci des questions d’ordre général concernant la gestion des affaires de la société. Une telle situation est précisément inadmissible au regard de l’obligation d’exercer la haute surveillance qui incombait à A.__. Le fait que C.__ lui eût confirmé, pour reprendre les termes de A.__, que « tout allait bien dans la société », ne suffit effectivement pas pour admettre qu’il avait accompli son devoir de surveillance avec diligence. C’est également en vain que A.__ invoque à cet égard notamment les « qualifications de l’administrateur délégataire », qui, en l’espèce, « était un architecte de profession avec beaucoup d’expérience dans ce domaine ». Quoi qu’en dise l’intéressé, en effet, en vertu de son obligation de surveillance, il ne pouvait se contenter de se fier aux « confirmations de la bonne marche des affaires reçues de C.__ », sans en vérifier l’exactitude, quand bien même, selon lui, il « n’avait aucune raison d[‘en] douter ». Il lui incombait, à l’inverse, de s’assurer que les cotisations sociales avaient bien été acquittées, par exemple, en consultant les pièces comptables pertinentes (correspondances avec la caisse de compensation et relevés de salaires, notamment). Cette démarche aurait permis à A.__ de constater que les acomptes de cotisations n’étaient qu’irrégulièrement, voire pas acquittés, avec pour conséquence qu’il eût pu prendre les mesures qui s’imposaient afin de régulariser la situation, et que sa passivité s’inscrit dès lors dans un rapport de causalité naturelle et adéquate avec le dommage subi par la caisse de compensation.

En définitive, en exerçant un mandat d’administrateur sans prendre les mesures lui permettant de s’assurer que la société s’acquittait effectivement des cotisations sociales, A.__ a méconnu l’une des attributions intransmissibles et inaliénables que lui conférait l’art. 716a al. 1 CO et violé ainsi son obligation de surveillance (cura in custodiendo), ce qui relève d’une négligence qui doit être qualifiée de grave sous l’angle de l’art. 52 LAVS. Les conclusions des premiers juges, selon lesquelles la carence de A.__ engage sa responsabilité dans le préjudice subi par la caisse de compensation, doivent donc être confirmées.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 9C_359/2019 consultable ici

 

 

9C_685/2017 (f) du 21.03.2018 – Droit de l’assuré à une allocation pour impotent – Besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie – 42 LAI – 37 RAI – 38 RAI / Lieu de vie de l’assuré dans une institution vs une communauté d’habitation sans caractère de home – analyse globale de la situation

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_685/2017 (f) du 21.03.2018

 

Consultable ici

 

Droit de l’assuré à une allocation pour impotent – Besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie / 42 LAI – 37 RAI – 38 RAI

Lieu de vie de l’assuré dans une institution vs une communauté d’habitation sans caractère de home – analyse globale de la situation

 

Assuré, né en 1987, au bénéfice d’une rente entière d’invalidité depuis le 01.08.2008en raison d’une schizophrénie paranoïde et de troubles mentaux et comportementaux. Le 05.04.2012, l’assuré a présenté une demande d’allocation pour impotent, en faisant valoir qu’il avait besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie. La Fondation C.__ l’a pris en charge à partir du 01.11.2010, il habite dans un appartement protégé de la Fondation depuis le 01.02.2012. L’office AI a refusé l’allocation pour impotent à cause de l’assimilation de ce lieu de vie à un home, tout en reconnaissant le besoin d’accompagnement.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 111/14 – 246/2017 – consultable ici)

Pour examiner si l’appartement protégé géré par la Fondation C.__ dans lequel l’assuré réside depuis le 01.02.2012 est un home ou non, la cour cantonale s’est fondée sur un tableau établi par l’office AI. Pour ce faire, il a été tenu compte de 18 critères, dont on mentionnera le fait que l’appartement est séparé d’une structure collective, le libre choix de la personne avec laquelle l’assuré cohabite, le fait que le bail à loyer a été conclu avec un bailleur privé, le libre choix des personnes qui fournissent les soins, le fait que le bail à loyer est lié à une convention de soins ou le reversement de l’allocation pour impotent à une institution. Un certain nombre de points ont été attribués à chaque critère : l’office AI est arrivé à la conclusion que la pondération de ces critères indiquait l’existence d’un home par 32 points contre 31. Les juges cantonaux ont ensuite mentionné que, pour ce qui concerne deux postes, le tableau n’était pas correct, parce qu’il indiquait à tort que l’assuré n’avait pas le libre choix des personnes qui lui fournissent les soins et qu’il ne pouvait pas choisir librement le colocataire. La correction de ces deux facteurs suffisait à modifier le résultat et à retenir l’existence d’un domicile propre.

La cour cantonale a estimé que l’appartement protégé géré par la Fondation C.__ dans lequel vit l’assuré ne peut pas être assimilé à un home, du fait de l’autonomie dans l’organisation de son quotidien.

Par jugement du 04.09.2017, admission du recours par le tribunal cantonal, renvoi de la cause à l’office AI pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

Aux termes de l’art. 38 al. 1 RAI le besoin d’un accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie au sens de l’art. 42 al. 3 LAI, existe lorsque l’assuré majeur ne vit pas dans une institution mais ne peut pas en raison d’une atteinte à la santé vivre de manière indépendante sans l’accompagnement d’une tierce personne (let. a), faire face aux nécessités de la vie et établir des contacts sociaux sans l’accompagnement d’une tierce personne (let. b) ou éviter un risque important de s’isoler durablement du monde extérieur (let. c).

Savoir si l’assuré réside dans une institution au sens de l’art. 38 al. 1 RAI est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement, alors que les constatations sur lesquelles se fonde cette conclusion constituent une question de fait que le Tribunal fédéral ne peut revoir que dans les limites de l’art. 105 al. 2 LTF.

 

Le TF rappelle que la juridiction cantonale a retenu que le bail à loyer est lié à une convention de prestations et que l’allocation pour impotent est reversée à la fondation. Il a aussi été tenu compte du fait que le lieu de vie résulte d’un projet éducatif et/ou thérapeutique (critère 6). En procédant à une analyse globale de la situation, sur la base des critères admis par l’office AI même, à l’exception de deux d’entre eux comme indiqué ci-dessus, le tribunal cantonal a néanmoins retenu que l’assuré dispose de suffisamment d’autonomie et d’indépendance dans l’organisation de sa vie pour admettre l’existence d’un domicile propre.

En résumé, on retiendra qu’il existe en l’espèce plusieurs facteurs à prendre en considération pour déterminer si le lieu de vie de l’assuré peut en l’espèce être assimilé à une institution ou non, que de nombreux facteurs penchent en faveur de l’existence d’un home et que d’autres l’écartent. La conclusion du tribunal cantonal, selon lequel ce lieu de vie ne peut pas être assimilé à un home, est conforme à l’art. 38 al. 1 RAI, dans la mesure où elle se fonde sur une appréciation des faits qui ne saurait être taxée d’arbitraire ou de manifestement erronée.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_685/2017 consultable ici

 

 

9C_662/2019 (f) du 19.02.2020 – Allocation pour impotent de degré moyen avec supplément pour soins intenses (comprenant une surveillance personnelle permanente) – 42ter al. 3 LAI – 39 al. 3 RAI / Révision de prestation durable – 17 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_662/2019 (f) du 19.02.2020

 

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Allocation pour impotent de degré moyen avec supplément pour soins intenses (comprenant une surveillance personnelle permanente) / 42ter al. 3 LAI – 39 al. 3 RAI

Révision de prestation durable / 17 LPGA

 

Assuré, né en avril 2010 avec une malformation cardiaque, a développé une maladie épileptique et un trouble du spectre autistique. Ces infirmités congénitales ont amené l’assuré à déposer plusieurs requêtes de prestations auprès de l’office AI, dont une demande d’allocation pour impotent.

L’office AI a notamment réalisé une enquête à domicile visant à évaluer le besoin d’aide et de surveillance ainsi que le temps supplémentaire par rapport à un enfant en bonne santé ayant le même âge dans ce cadre. Se fondant essentiellement sur les conclusions de cette enquête, il a reconnu le droit de l’assuré à une allocation pour impotent de degré faible à partir du 01.10.2013 puis de degré moyen depuis le 01.03.2014, avec un supplément pour soins intenses d’une durée journalière de six heures dès le 01.04.2014.

Saisie d’une demande de contribution d’assistance, l’administration a mis en œuvre une seconde enquête à domicile. Se fondant sur le résultat de celle-ci, elle a reconnu le droit à une allocation pour impotent de degré grave à partir du 01.04.2016 mais a diminué le montant du supplément pour soins intenses depuis le 01.04.2017 en fonction d’une durée de soins de plus de quatre heures par jour.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 157/17 – 277/2019 – consultable ici)

La juridiction cantonale a constaté que rien au dossier ne permettait de conclure que le besoin de surveillance personnelle permanente (correspondant à un surcroît d’aide de deux heures par jour) lors de la décision initiale avait évolué vers un besoin d’aide personnelle particulièrement intense (équivalant à un surcroît d’aide de quatre heures par jour) au moment de la décision litigieuse. Elle a singulièrement relevé que la demande initiale de prestations justifiait le besoin de surveillance par la survenance possible de crises d’épilepsie mais que dans le rapport établi le 23.03.2017, les médecins avaient décrit l’absence de telles crises depuis le mois de juin 2013, la disparition des épisodes récurrents de fièvre susceptibles de les déclencher et une évolution générale positive. Le tribunal cantonal a en outre indiqué que le besoin de surveillance personnelle permanente, non contesté, ressortant du rapport d’enquête à domicile du 11.12.2014 était évoqué de la même manière aussi bien dans un rapport d’auto-évaluation rempli par les parents de l’assuré le 21.04.2016 dans le contexte d’une demande de contribution d’assistance que dans le second rapport d’enquête à domicile du 16.09.2016. Les juges cantonaux en ont déduit l’absence de péjoration de la situation, si ce n’est au contraire une amélioration de celle-ci.

Par jugement du 19.08.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 17 al. 2 LPGA, toute prestation durable accordée en vertu d’une décision entrée en force est d’office ou sur demande augmentée ou réduite en conséquence ou encore supprimée si les circonstances dont dépendait son octroi changent notablement.

Or l’allocation pour impotent de degré moyen avec supplément pour soins intenses (comprenant une surveillance personnelle permanente) d’une durée supérieure à six heures par jour dès le 01.04.2014 est une prestation durable qui repose sur des décisions entrées en force. De telles décisions peuvent en conséquence faire l’objet d’une révision (cf. 9C_350/2014 du 11 septembre 2014 consid. 2.2).

Dans ce contexte, la procédure doit déterminer si les circonstances dont dépendait le droit ont changé de manière significative. Pour ce faire, l’office AI a notamment diligenté une seconde enquête à domicile. A l’instar de la première enquête, la seconde est destinée à examiner l’impotence d’un mineur, doit évaluer non seulement le besoin d’aide pour accomplir les actes ordinaires de la vie ou pour les soins ainsi que le besoin de surveillance mais aussi le temps supplémentaire par rapport à un enfant du même âge en bonne santé nécessaire pour satisfaire à ces besoins. En l’espèce, l’administration a à chaque fois évalué le temps indispensable dans le cas de l’assuré et dans le cas d’un enfant du même âge en bonne santé et en a inféré le supplément pour soins intenses. La comparaison des deux enquêtes diligentées au domicile de l’assuré permet ainsi de constater l’évolution des circonstances dont dépendait le droit au supplément pour soins intenses et d’en tirer les conséquences sur le plan de la révision (augmentation, réduction, suppression ou maintien du droit). Le tribunal cantonal n’a donc pas violé le droit fédéral en appliquant les principes de la révision au cas particulier.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_662/2019 consultable ici

 

 

8C_200/2017 (f) du 02.03.2018 – Contrat d’assurance facultative LAA – 4 LAA / Description de l’activité mentionnée dans la police d’assurance – Base des éléments décisionnels pour déterminer en cas d’accident le droit aux prestations d’assurance de l’assurée / Capacités de travail et de gain exigibles – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_200/2017 (f) du 02.03.2018

 

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Contrat d’assurance facultative LAA / 4 LAA

Description de l’activité mentionnée dans la police d’assurance – Base des éléments décisionnels pour déterminer en cas d’accident le droit aux prestations d’assurance de l’assurée

Capacités de travail et de gain exigibles – 16 LPGA

 

Assurée a fondé en 1985 une entreprise de nettoyage de bâtiments, inscrite au registre du commerce le 21.02.1991, dont elle est la directrice et titulaire.

Le 21.04.2009, elle a conclu avec l’assurance-accidents un contrat d’assurance facultative pour chefs d’entreprise selon la LAA contre les accidents professionnels et non professionnels et les maladies professionnelles. Le contrat était valable du 17.04.2009 au 31.12.2013. Selon la police d’assurance, l’activité assurée consistait en des travaux d’exploitation pour 10% et en des travaux de bureau internes pour 90%.

Le 20.01.2011, l’assurée a fait une chute dans les escaliers chez un client, ce qui lui a causé une contusion et un hématome à la hanche gauche. Le 14.09.2011, durant ses vacances, elle a subi une entorse à la cheville gauche avec réception sur son genou gauche en manquant une marche d’escaliers.

Malgré les traitements entrepris, l’assurée n’a pas pu reprendre son travail au-delà de 50%, son activité lui occasionnant des douleurs et un gonflement du pied.

A l’issue d’un examen médical final, le médecin-conseil a conclu que l’état était stabilisé, et défini la nature des activités encore exigibles de l’assurée à plein temps, soit les travaux administratifs et de surveillance ainsi que les activités physiques légères sans déplacements réguliers sur des échelles, des échafaudages ou sur terrain inégal. Selon ce médecin, il n’y avait pas d’atteinte à l’intégrité indemnisable.

Le 21.10.2015, l’assurée a été convoquée à l’agence de l’assurance-accidents. L’entretien a porté sur la nature de ses activités professionnelles. A cette occasion, l’assurée a confirmé ce qu’elle avait déjà précédemment communiqué à l’assurance-accidents dans un courrier du 12.02.2012, à savoir que ses fonctions au sein de l’entreprise avaient changé en ce sens qu’elle consacrait une part plus importante aux activités d’exploitation en position debout (soit 75%), tandis que celle dévolue aux tâches administratives en position assise s’était réduite à 25%, précisant que cette situation était déjà valable avant les accidents annoncés et qu’elle avait négligé d’en informer l’assureur.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité LAA ainsi qu’à une indemnité pour atteinte à l’intégrité. Le refus de la rente était motivé par le fait que l’incapacité de travail de 50% attestée par le médecin-traitant concernait uniquement des activités physiques lesquelles n’étaient assurées que pour une part de 10% par la police d’assurance du 21.04.2009. L’assureur a cependant renoncé à demander le remboursement des indemnités versées en trop depuis le début du cas d’assurance.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2016 21 – consultable ici)

Par jugement du 01.02.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 4 al. 1 LAA, les personnes exerçant une activité lucrative indépendante et domiciliées en Suisse, ainsi que les membres de leur famille qui collaborent à l’entreprise, peuvent s’assurer à titre facultatif, s’ils ne sont pas assurés à titre obligatoire. Les dispositions sur l’assurance obligatoire s’appliquent par analogie à l’assurance facultative (art. 5 al. 1 LAA). Cela vaut notamment pour les prestations, le droit médical ou encore la protection tarifaire (voir FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire in: Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3ème éd., 2016, n. 55 p. 911).

Dans l’assurance facultative, le rapport d’assurance se fonde sur un contrat écrit qui fixe notamment le début, la durée minimale et la fin du rapport d’assurance (art. 136 OLAA). Il s’agit d’un contrat d’assurance de droit public qui doit être interprété, dans le cadre des limites fixées par la loi, de la même manière qu’un contrat de droit privé, à savoir selon la réelle et commune intention des parties, respectivement selon le principe de la confiance (arrêt U 105/04 du 18 avril 2006 consid. 6.1; cf. ATF 122 V 146).

Dans la police d’assurance, il est mentionné que les indications figurant dans la description de l’activité constituent la base des éléments décisionnels pour déterminer en cas d’accident quand et dans quelle mesure l’activité professionnelle peut être reprise. Il y est également indiqué que les changements affectant les bases de cette police, en particulier ceux de l’activité d’exploitation, doivent être communiqués de suite à l’agence compétente. Les « Conditions d’assurance des chefs d’entreprise » font partie intégrante de cette police d’assurance. Leur chiffre 4.1 précise notamment que le rapport d’assurance entre la personne assurée et l’assurance-accidents est fondé sur une police écrite et que la convention est valable sous réserve de l’acceptation par l’assureur-accidents.

 

En l’occurrence, il est admis par l’assurée qu’elle a négligé d’informer l’assurance-accidents des changements intervenus dans son activité professionnelle avant la survenance du cas d’assurance. Certes, dans ses conclusions, elle fait état de déclarations qu’elle avait faites à l’assurance-accidents le 13.04.2011, soit à une date postérieure au premier accident mais antérieure au second. Il apparaît que ces déclarations, consignées dans un compte-rendu d’entretien avec un inspecteur de l’assurance-accidents portant sur son incapacité de travail, font référence à une activité d' »acquisition », de « contacts avec la clientèle sur place », de « contrôle/instructions sur place » avec « beaucoup de déplacements ». Ces propos sont toutefois trop vagues et imprécis pour conclure qu’elle aurait communiqué à l’assurance-accidents, à ce moment-là, la nouvelle répartition de ses activités au sein de son entreprise, c’est-à-dire 75% d’activités d’exploitation en position debout et 25% d’activités de bureau en position assise, comme elle l’a écrit expressément dans son courrier du 12.02.2012 qui, lui, est postérieur de cinq mois au second accident. On ne saurait non plus en inférer qu’elle aurait par ce biais présenté une demande de modification du contrat d’assurance conclu avec l’assurance-accidents le 21.04.2009. En l’absence d’une telle demande à laquelle l’assureur-accidents aurait donné son aval, l’activité assurée lors de la réalisation du risque couvert – en l’espèce les accidents survenus les 20.01.2011 et 14.09.2011 – était donc définie par la description qui en a été faite dans la police d’assurance établie le 21.04.2009, à savoir 10% de travaux d’exploitation et 90% de travaux de bureau internes. Conformément aux conditions d’assurance, c’est cette description qui est déterminante pour fixer le droit aux prestations d’assurance de l’assurée, respectivement l’étendue des obligations de l’assurance-accidents, à raison de ces événements accidentels. Il s’ensuit que les indications précises fournies après coup par l’assurée sur la répartition effective de ses activités professionnelles ne peuvent avoir d’incidence sur les obligations de l’assurance-accidents dès lors que la police d’assurance n’a pas été modifiée en conséquence et de manière concordante par les parties au contrat avant que le cas d’assurance ne soit survenu.

Il est vrai que ces informations auraient dû conduire l’assurance-accidents à indemniser l’assurée seulement dans la mesure de son incapacité à accomplir les tâches décrites dans la police, et non pas en fonction de la totalité de l’incapacité de travail établie par les médecins traitants sur la base d’une activité physique en position debout à 75%, ce dont elle ne s’est rendue compte que bien plus tard. Il n’en demeure pas moins qu’au vu de la situation contractuelle existante, le seul fait que l’assurance-accidents a versé des indemnités journalières supérieures à celles auxquelles elle était tenue ne pouvait être interprété par l’assurée, selon le principe de la confiance, comme une acceptation tacite de la part de cet assureur d’une modification de la police d’assurance dans un sens qui lui est défavorable. L’argument doit ainsi être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_200/2017 consultable ici