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8C_507/2022 (f) du 28.11.2022 – Revenu d’invalide d’un assuré d’un âge avancé (63 ans et 10 mois) / 16 LPGA – 28 al. 4 OLAA / Abus du pouvoir d’appréciation de la cour cantonale

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_507/2022 (f) du 28.11.2022

 

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Revenu d’invalide d’un assuré d’un âge avancé (63 ans et 10 mois) / 16 LPGA – 28 al. 4 OLAA

Pas d’abattement en raison de l’âge lors de l’application de l’art. 28 al. 4 OLAA

Abus du pouvoir d’appréciation de la cour cantonale

 

Assuré, né en 1956, délégué commercial jusqu’au 31.01.2017. Depuis février 2017, il s’est retrouvé au chômage. Le 20.06.2017, il a glissé sur un sol mouillé et est tombé dans les escaliers. Cette chute a provoqué une fracture du pied droit et a nécessité une intervention chirurgicale sous forme d’ostéosynthèse du Lisfranc. Les suites postopératoires se sont compliquées par une infection entrainant une persistance de la douleur à la marche.

Examen par le médecin-conseil le 08.01.2020 : l’état de santé de l’assuré était actuellement stabilisé. Par rapport à la capacité de travail, il a retenu que le travail antérieurement exercé n’était plus exigible, la conduite automobile étant très limitée et peu sûre. L’exigibilité se ferait par contre à temps complet sur un travail exercé essentiellement en position assise, activité sédentaire avec peu de phases debout, peu de phases nécessitant de la marche, sans montée ni descente d’escaliers, sans terrain accidenté.

Par décision du 10.06.2020, confirmée sur opposition le 12.11.2020, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, le taux d’invalidité ne s’élevant qu’à 3%, mais lui a alloué une IPAI de 20%.

Parallèlement à la procédure devant l’assurance-accidents, l’assuré a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité. Par décision du 20.10.2020, l’Office de l’assurance-invalidité (ci-après: l’Office AI) lui a octroyé une rente entière dès le 01.08.2019 sur la base d’un taux d’invalidité de 100%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/590/2022 – consultable ici)

A l’instar de l’assurance-accidents, la cour cantonale s’est fondée sur le salaire annuel de 69’600 fr. réalisé en dernier lieu par l’assuré dans son activité habituelle de délégué commercial, qu’elle a indexé à 2020 pour retenir au final un revenu de valide de 70’438 fr. Quant au revenu d’invalide, la cour cantonale s’est fondée sur le salaire statistique de l’ESS pour l’année 2018, indexé à 2020, pour un homme exerçant une activité de niveau de compétence 1, soit 68’446 fr. Ces valeurs ne sont pas remises en cause.

La cour cantonale s’est écartée de la décision sur opposition en opérant un abattement de 10% sur le revenu d’invalide, pour prendre en compte les limitations fonctionnelles que présente l’assuré ainsi que son âge de 63 ans et 10 mois au moment de la naissance du droit à la rente (soit le 01.06.2020). Elle a notamment considéré que les limitations fonctionnelles de l’assuré combinées à sa situation personnelle concrète auraient des effets pénalisants au niveau salarial aux yeux d’un potentiel employeur. Ce dernier devrait accepter d’engager un homme se trouvant à moins d’un an et demi de la retraite et souffrant d’atteintes à la santé ayant pour conséquence diverses limitations fonctionnelles. Rien dans le cas présent ne pourrait par ailleurs compenser les effets particulièrement pénalisants de l’état de santé et de l’âge de l’assuré aux yeux d’un potentiel employeur.

Par jugement du 21.06.2022, admission du recours par le tribunal cantonal réformant la décision litigieuse en ce sens que l’assuré avait droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 13% dès le 01.06.2020.

 

TF

Consid. 5
Vu l’âge avancé de l’assuré, il convient d’abord d’examiner si l’art. 28 al. 4 OLAA est applicable en l’espèce.

Consid. 5.1
Sur la base de la délégation législative de l’art. 18 al. 2 LAA, le Conseil fédéral a édicté l’art. 28 OLAA, qui contient des prescriptions particulières pour l’évaluation de l’invalidité dans des cas spéciaux. L’art. 28 al. 4 OLAA dispose que si, en raison de son âge, l’assuré ne reprend pas d’activité lucrative après l’accident ou si la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus de l’activité lucrative déterminants pour l’évaluation du degré d’invalidité sont ceux qu’un assuré d’âge moyen dont la santé a subi une atteinte de même gravité pourrait réaliser.

Consid. 5.1.1
Cette disposition vise deux situations :

  • Premièrement, elle s’applique si l’assuré, en raison de son âge, ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident (variante I). Les conditions de cette variante sont remplies lorsque l’assuré dispose, au terme du traitement médical, d’une capacité de travail résiduelle au moins partielle, mais ne la met plus en valeur à cause de son âge. C’est notamment le cas si l’assuré atteint l’âge légal de la retraite (arrêts 8C_209/2012 du 12 juillet 2012 consid. 5.3; 8C_452/2011 du 12 mars 2012 consid. 4.1) pendant la période entre l’accident et la fin du traitement médical (THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, N. 83 ad art. 18 LAA; MARC HÜRZELER/CLAUDIA CADERAS, in Marc Hürzeler/Ueli Kieser [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, N. 41 ad art. 18 LAA; les deux avec références).
  • La deuxième situation est celle où l’atteinte à la capacité de gain a principalement pour origine l’âge avancé de l’assuré (variante II). Cette variante est également applicable lorsque l’âge avancé n’est pas un facteur qui a une incidence sur l’exigibilité, mais qu’il est malgré tout un obstacle à la mise en valeur de la capacité résiduelle de gain, notamment parce qu’aucun employeur n’est disposé à engager un employé présentant des atteintes à la santé pour un laps de temps très court avant l’ouverture de son droit à une rente de l’AVS (arrêts 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2, destiné à la publication; 8C_799/2019 du 17 mars 2020 consid. 3.3.2; 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.2.2; 8C_346/2013 du 10 septembre 2013 consid. 4.2; 8C_806/2012 du 12 février 2013 consid. 5.2.2; HÜRZELER/CADERAS, op. cit., N. 42 ad art. 18 LAA).

Consid. 5.1.2
L’assuré qui remplit l’un ou l’autre cas de figure ne touchera alors une rente d’invalidité que dans la mesure où une telle rente serait octroyée dans les mêmes conditions à un assuré d’âge moyen présentant les mêmes capacités professionnelles et les mêmes aptitudes personnelles. Ce système repose sur la considération qu’une même atteinte à la santé peut entraîner chez une personne âgée des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain que chez une personne d’âge moyen pour diverses raisons (difficultés de reclassement ou de reconversion professionnels, diminution des capacités d’adaptation et d’apprentissage), alors que l’âge en tant que tel n’est pas une atteinte à la santé dont l’assureur-accidents doit répondre (ATF 122 V 418 consid. 3a; arrêt 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.1; voir également PETER OMLIN, Die Invalidität in der obligatorischen Unfallversicherung, 1995, p. 235 ss.; ANDRÉ GHÉLEW/OLIVIER RAMELET/JEAN-BABTISTE RITTER, Commentaire de la loi sur l’assurance-accidents [LAA], 1992, p. 103). Il s’agit d’empêcher l’octroi de rentes d’invalidité qui comporteraient, en fait, une composante de prestation de vieillesse (cf. OMLIN, op. cit., p. 249 avec les références). On rappellera que les rentes ont un caractère viager (cf. toutefois le nouvel art. 20 al. 2ter LAA, en vigueur depuis le 1er janvier 2017). L’âge moyen est de 42 ans ou, du moins, se situe entre 40 et 45 ans, tandis que l’âge avancé est d’environ 60 ans; il ne s’agit toutefois que d’un ordre de grandeur et non d’une limite absolue (ATF 122 V 418 consid. 1b; arrêts 8C_205/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.4; U 106/89 du 13 août 1990 consid. 4d et e, in RAMA 1990 n° U 115 p. 389). La comparaison des revenus d’un assuré d’âge moyen comprend aussi bien le revenu sans invalidité que le revenu d’invalide (ATF 114 V 310 consid. 2 in fine; arrêt 8C_554/2017 du 4 juillet 2018 consid. 3.3.1; OMLIN, op. cit., p. 256; voir également arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2, destiné à la publication).

Consid. 5.1.3
Selon la jurisprudence mentionnée ci-dessus, il faut prendre en considération l’application de l’art. 28 al. 4 OLAA si l’assuré a environ 60 ans. Toutefois, cela ne signifie pas que cette disposition soit applicable dans tous les cas où l’assuré a atteint cet âge avancé. Elle s’applique seulement lorsqu’il y a des indices concrets que l’âge de l’assuré revêt une importance prépondérante par rapport aux autres facteurs à l’origine de l’incapacité de gain (cf. ATF 122 V 418 consid. 4c; arrêts 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.2.2; 8C_205/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.4; 8C_517/2016 du 8 mai 2017 consid. 5.3).

 

Consid. 5.2.1
Dans le cadre de l’analyse qu’il a faite en matière d’assurance-invalidité, l’Office AI s’est basé sur le fait que des mesures de réadaptation professionnelles auraient pu être mises en œuvre pour l’assuré, mais qu’elles n’étaient ni simples ni adéquates, de sorte que le critère de la proportionnalité n’était pas respecté dans le cas d’une réadaptation et qu’on peinait à imaginer qu’un employeur consentirait à engager l’assuré qui se trouvait à un âge proche de la retraite. C’est également en raison de l’âge de l’assuré et de l’absence de temps de formation que lui consacrerait un employeur que l’Office AI a retenu que sa capacité de travail résiduelle n’était pas exploitable. Ainsi, des mesures professionnelles ne permettraient pas d’atteindre le but visé, à savoir une amélioration de la capacité de gain.

Consid. 5.2.2
Il s’ensuit que, l’assuré ayant 63 ans et 10 mois au moment de l’ouverture du droit éventuel à une rente d’invalidité de l’assurance-accidents, l’absence de reprise de travail résulte principalement de son âge avancé. Force est donc de constater que l’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA, cette disposition s’appliquant également lorsqu’un employeur n’est pas disposé à engager un employé pour un laps de temps très court avant l’ouverture de son droit à une rente de l’AVS.

 

Consid. 6.1
L’application de l’art. 28 al. 4 OLAA étant admise, il sied d’examiner les revenus avec et sans invalidité devant être pris en compte pour fixer le taux d’invalidité. On rappellera que selon cette disposition, sont déterminants les revenus qu’un assuré d’âge moyen dont la santé a subi une atteinte de même gravité pourrait réaliser et que la comparaison des revenus d’un assuré d’âge moyen comprend aussi bien le revenu sans invalidité que le revenu d’invalide (ATF 114 V 310 consid. 2 et 4a; cf. consid. 5.1.2 supra, arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2 destiné à la publication).

Consid. 6.2
Le revenu sans invalidité retenu par la cour cantonale est incontesté, de sorte qu’il n’y a pas lieu de s’en écarter et de le remplacer – au détriment de l’assuré – par le revenu d’un assuré d’âge moyen.

En ce qui concerne le revenu avec invalidité, la cour cantonale l’a déterminé en appliquant les valeurs statistiques de l’ESS, ce qui n’est pas contesté non plus. Il sied toutefois d’examiner si la cour cantonale a opéré à juste titre un abattement de 10% à cause des limitations fonctionnelles ainsi que de l’âge de l’assuré.

Consid. 6.3
Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/ catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêts 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.3.1; 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 3.1).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch »), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.4
Une réduction au titre du handicap dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.1; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1; 8C_118/2021 du 21 décembre 2021 consid. 6.3.1).

En l’occurrence, force est de constater que les limitations fonctionnelles présentées par l’assuré (activité exercée essentiellement en position assise, activité sédentaire avec peu de phases debout, peu de phases nécessitant de la marche, sans montée ni descente d’escaliers, sans terrain accidenté) ne sont pas inhabituelles et ne requièrent pas des concessions irréalistes de la part d’un employeur. Au regard des activités physiques ou manuelles simples que recouvrent les secteurs de la production et des services (ESS 2018, tableau TA1_skill_level, niveau de compétence 1), un nombre suffisant d’entre elles correspondent à des travaux légers respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré. A cela s’ajoute que l’assuré a exercé divers métiers comme directeur, gérant/associé et responsable commercial et délégué commercial dans divers domaines ce qui montre un potentiel d’adaptation à différents postes, et qu’il a acquis des compétences en lien avec le contact à la clientèle. Au vu de ces qualités il n’y a aucune raison d’inférer qu’il ne pourrait pas répondre aux exigences d’une activité issue du secteur de la production et des services. Une déduction sur le salaire statistique ne se justifie donc pas pour tenir compte des circonstances liées à son handicap.

Consid. 6.5
Par rapport à la question de l’abattement à cause de l’âge, le Tribunal fédéral a retenu dans un arrêt récent que l’art. 28 al. 4 OLAA commande, pour atteindre son objectif, qu’on calcule le taux d’invalidité sur la base des revenus (sans et avec invalidité) hypothétiques que pourrait obtenir un assuré d’âge moyen, et que – contrairement à l’art. 16 LPGA – l’on fasse ainsi abstraction de l’incapacité de travail due à l’âge avancé de l’assuré (arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2 et 8.5 destiné à la publication; consid. 6.2 supra). Or, dès lors que l’on doit s’appuyer sur les valeurs salariales d’un assuré d’âge moyen, une influence pénalisante de l’âge avancé sur le salaire ne peut par définition pas entrer en ligne de compte. Il s’ensuit qu’un abattement à cause de l’âge avancé d’un assuré ne peut pas être envisagé lorsqu’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA (arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 8.5 destiné à la publication).

Il sied de préciser qu’en dehors du champ d’application de cette disposition, le point de savoir si, dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, l’âge avancé peut constituer un critère d’abattement ou si l’influence de l’âge sur la capacité de gain doit être prise en compte uniquement dans le cadre de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA, n’a pas encore été tranché par le Tribunal fédéral (cf. arrêt 8C_186/2022 du 3 novembre 2022 consid. 6.2.2, où l’art. 28 al. 4 OLAA n’a pas été appliqué à un assuré de 63 ans; voir également arrêts 8C_219/2022 du 2 juin 2022, consid. 6.7.2; 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.2; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 8C_597/2020 du 16 juin 2021 consid. 5.2.5; 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 5, in: SVR 2018 UV n° 40 p. 145).

En l’espèce, comme l’art. 28 al. 4 OLAA s’applique, la cour cantonale n’était pas fondée à prendre en compte l’âge avancé de l’assuré dans la fixation de l’étendue de l’abattement.

Consid. 6.6
Pour autant que l’assuré invoque d’autres critères justifiant selon lui un abattement, notamment le manque de formation, les effets secondaires liés à la prise régulière d’antalgiques et un état dépressif, on retiendra que la cour cantonale les a écartés à juste titre. Par ailleurs, même si l’on admettait le droit à une rente, l’art. 20 al. 2ter LAA ne serait pas applicable en l’espèce, contrairement à ce que soutient l’assuré (cf. al. 2 des dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015; arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 8.4, destiné à la publication; DAVID IONTA, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in Jusletter 21 novembre 2022, ch. 231 ss.). Finalement, il convient de rappeler que l’évaluation de l’invalidité par les organes de l’assurance-invalidité n’a pas de force contraignante pour l’assureur-accidents (et vice-versa, cf. ATF 133 V 549 et 131 V 362 consid. 2.3; arrêt 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 5.6), de sorte que l’assuré ne saurait rien déduire en sa faveur du fait que l’Office AI lui a octroyé une rente entière.

Consid. 6.7
Il s’ensuit que la juridiction cantonale a opéré à tort un abattement de 10% sur le revenu d’invalide. Le recours se révèle dès lors bien fondé. Par conséquent, l’arrêt attaqué doit être réformé en ce sens que la décision sur opposition du 12 novembre 2020 est confirmée.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_507/2022 consultable ici

 

8C_129/2022 (f) du 25.11.2022 – Revenu d’invalide – Abus du pouvoir d’appréciation de la cour cantonale – Abattement en raison des années de service ne se justifie pas dans le cadre du choix du niveau de compétence 1

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_129/2022 (f) du 25.11.2022

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – Abattement sur le salaire statistique ESS / 16 LPGA

Abattement en raison des années de service ne se justifie pas dans le cadre du choix du niveau de compétence 1

Abus du pouvoir d’appréciation de la cour cantonale

 

Assuré né en 1975, établi en Suisse en 1992. Il a travaillé pour plusieurs employeurs en tant que monteur-électricien et a obtenu un CFC dans ce métier en 2010.

Le 06.10.2017, l’assuré est tombé d’une échelle sur son lieu de travail, entraînant un traumatisme cranio-cérébral mineur et des fractures des poignets ont été diagnostiqués. Il a subi une osthéosynthèse de l’extrémité distale du radius gauche le 10.10.2017.

Examen par le médecin-conseil le 08.11.2019 : l’ancienne activité de monteur-électricien n’est plus exigible compte tenu des douleurs aux deux poignets; l’on pouvait en revanche s’attendre à la reprise d’une activité professionnelle adaptée exercée indifféremment en position assise ou debout, avec un port de charges ponctuel limité à deux kilos sur les deux poignets et la possibilité de conserver un bracelet de soutien pour les deux poignets, à la journée entière et sans baisse de rendement.

Par décision du 08.05.2020, confirmée sur opposition le 10.11.2020, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une IPAI. S’agissant de l’invalidité, elle est arrivée à la conclusion que l’assuré présentait un taux d’invalidité de 7%, après avoir comparé le revenu sans invalidité qu’il aurait perçu sans l’accident selon les renseignements de son ancien employeur, soit 72’780 fr., et le revenu d’invalide établi sur la base des statistiques (niveau de compétence 2) résultant de l’ESS, compte tenu d’un abattement de 5% pour les limitations fonctionnelles, soit 67’809 fr.

Par décision du 18.02.2020, l’Office de l’assurance-invalidité (ci-après: l’OAI) a rejeté la demande de prestations de l’assuré; il a retenu que ce dernier disposait d’une capacité de travail dans une activité adaptée depuis le mois de février 2018 et présentait un taux d’invalidité de 6,94% à cette date. Cette décision a fait l’objet d’un recours auprès de la juridiction cantonale.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/30/2022 – consultable ici)

Les juges cantonaux se sont écartés du montant retenu par l’assurance-accidents au titre du revenu avec invalidité; ils ont calculé ce dernier en se fondant sur le salaire statistique tiré d’activités simples et répétitives pour un homme, soit 68’448 fr. (ESS 2018; TA1_tirage_skill_level, ligne total, niveau de compétence 1) et en admettant un abattement de 15% sur ce revenu statistique, établi dès lors à 58’179 fr. 10 fr. Après comparaison avec le revenu sans invalidité de 72’780 fr., l’on obtenait un taux d’invalidité de 20,06%.

Par jugement du 21.01.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision litigieuse en ce sens que l’assuré avait droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 20% dès le 01.05.2020.

 

TF

Consid. 4.1
Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, les salaires fixés sur la base des données statistiques peuvent à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement, mais seulement lorsqu’il existe des indices qu’en raison d’un ou de plusieurs facteurs, l’intéressé ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne (ATF 146 V 16 consid. 4.1; 126 V 75 consid. 5b/aa). Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation; cf. ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêt 8C_732/2019 du 19 octobre 2020 consid. 3.4).

Consid. 4.2
Alors que le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral, l’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 137 V 71 consid. 5.2). Il y a abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d’appréciation qui est le sien, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 116 V 307 consid. 2 et les références).

Consid. 4.3
Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juge des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 126 V 75 consid. 6).

 

Consid. 4.4.1
La cour cantonale a appliqué un taux d’abattement de 15%, en lieu et place du taux de 5% retenu par l’assurance-accidents. Elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter de celui qu’elle avait retenu dans la procédure opposant l’assuré à l’OAI (voir l’arrêt de la Chambre des assurances sociales du 22 juin 2021 [ATAS/646/2021]), étant précisé que l’OAI n’avait pour sa part admis aucune réduction sur le revenu statistique dans la décision querellée. La cour cantonale a précisé que si la détermination du taux d’invalidité par l’assurance-invalidité n’avait certes pas nécessairement d’effet contraignant pour l’assureur-accidents, une évaluation divergente devait reposer sur des motifs suffisants lorsque l’assureur-accidents répondait, comme c’était le cas en l’occurrence, des mêmes atteintes que l’assurance-invalidité. En tout état de cause, les premiers juges ont considéré qu’au vu des limitations fonctionnelles significatives de l’assuré et de la jurisprudence, une réduction de 15% reflétait sa situation de manière plus adéquate que l’abattement de 5% consenti par l’assurance-accidents.

Consid. 4.4.2
Dans la procédure cantonale en matière d’assurance-invalidité, la Chambre des assurances sociales a tout d’abord admis un abattement sur le salaire statistique puis a fixé son taux à 15% pour tenir compte de deux critères, à savoir les limitations fonctionnelles de l’assuré et les années de service. Le cas d’espèce se présente différemment, puisqu’un abattement avait déjà été admis par l’assurance-accidents. Par ailleurs, celle-ci relève à raison que la prise en compte d’un abattement en raison des années de service ne se justifie pas dans le cadre du choix du niveau de compétence 1, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4 et la référence). Il n’y a donc pas lieu d’admettre que l’assuré subit un désavantage salarial par rapport aux autres employés du niveau de compétence 1 et un abattement à ce titre n’apparaît dès lors pas approprié. En augmentant de 5% à 15% le taux d’abattement retenu par l’assurance-accidents sur le salaire statistique en se fondant sur un critère supplémentaire non pertinent en l’espèce, la cour cantonale a abusé de son pouvoir d’appréciation.

Consid. 4.4.3
En l’occurrence, force est de constater que seules les limitations fonctionnelles que présente l’assuré – port de charges ponctuel limité à deux kilos sur les deux poignets, avec la possibilité de conserver un bracelet de soutien pour les deux poignets – ont une incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Dès lors que l’assurance-accidents avait tenu compte desdites limitations pour réduire le salaire statistique de 5%, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de s’en écarter. Par conséquent, le taux d’invalidité de l’assuré s’élève à 11% (revenu sans invalidité de 72’780 fr. comparé au revenu avec invalidité de 65’025 fr. 60 [68’448 – 5%]). L’arrêt attaqué sera réformé en ce sens, en admission des conclusions principales du recours.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_129/2022 consultable ici

 

9C_522/2021 (f) du 29.06.2022 – Révision de prestations complémentaires – 17 LPGA / Obligation de restituer des prestations (complémentaires) perçues indûment – Dies a quo du délai de péremption – 25 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_522/2021 (f) du 29.06.2022

 

Consultable ici

 

Révision de prestations complémentaires / 17 LPGA

Obligation de restituer des prestations (complémentaires) perçues indûment – Dies a quo du délai de péremption / 25 LPGA

 

Assurée, née en 1976, s’est vu octroyer un quart de rente AI depuis le 01.12.2002, puis une demi-rente depuis le 01.03.2003. Par décisions de la caisse de compensation des 13.03.2009 et 04.12.2009, confirmées sur opposition, elle a été de plus mise au bénéfice de prestations complémentaires AVS/AI depuis le 01.05.2003. La caisse de compensation a régulièrement procédé à l’adaptation des prestations. Par décision du 06.07.2018, elle a mis un terme au droit de l’assurée à des prestations complémentaires avec effet au 01.08.2018.

Lors d’un entretien téléphonique du 11.07.2018, l’assurée a mentionné à une collaboratrice de la caisse de compensation qu’elle possédait un bien immobilier à l’étranger. Par une première décision du 06.05.2019, la caisse de compensation a mis fin aux prestations complémentaires versées en faveur de l’assurée avec effet rétroactif au 01.06.2012. Le même jour, elle a réclamé à l’assurée un montant de 101’119 fr. 05, correspondant aux prestations complémentaires versées entre le 01.06.2012 et le 30.05.2019. Saisie d’une opposition, la caisse de compensation a repris l’instruction de la cause et rendu de nouvelles décisions le 18.10.2019, par lesquelles elle a confirmé la fin du droit aux prestations complémentaires avec effet rétroactif dès le 01.06.2012. Par décisions du 29.01.2020, la caisse de compensation a partiellement admis la nouvelle opposition formée par l’assurée et réduit le montant soumis à restitution à 77’096 fr. 85, correspondant aux prestations versées entre le 01.06.2012 et le 31.12.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt PC 8/20 – 21/2021 – consultable ici)

Par jugement du 26.08.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral dans le domaine du droit privé, il incombe à celui qui fait valoir un droit soumis à un délai de péremption de prouver qu’il a observé celui-ci, l’observation du délai ayant un caractère constitutif de droit et étant une condition de l’exercice de l’action. Lorsque le délai de péremption commence à courir au moment où celui qui intente l’action a connaissance de certains faits, il appartient au demandeur d’établir quand et comment il a eu connaissance de ces faits. Le défendeur, de son côté, peut apporter la contre-preuve que le demandeur a connu les faits pertinents déjà à une date antérieure à celle qu’il invoque et qu’il s’est écoulé, entre cette date antérieure et l’introduction de l’action, un laps de temps dépassant le délai de péremption, de sorte que l’action serait périmée. Ainsi, lorsque le début du délai de péremption dépend de la connaissance de certains faits, il incombe au défendeur d’établir que le délai de péremption n’est pas respecté (arrêt 9C_632/2012 du 10 janvier 2013 consid. 6.2.3 et la référence).

Consid. 3.1
La juridiction cantonale a, en se fondant sur la procédure de révision quadriennale de l’année 2018, retenu que la décision de restitution de la caisse de compensation du 06.05.2019 se fondait sur la découverte d’éléments de fortune mobilière et immobilière nouveaux. L’assurée avait en effet sciemment dissimulé qu’elle possédait un bien immobilier à l’étranger jusqu’en 2018. Elle avait de plus omis de signaler l’existence de comptes bancaires à l’étranger et l’activité accessoire de son époux. En présence de tels faits nouveaux importants, découverts en 2018, la caisse avait à juste titre recalculé à nouveau le droit de l’assurée à des prestations complémentaires. Dès lors que l’assurée avait violé son obligation de renseigner, la caisse de compensation avait par ailleurs étendu correctement la restitution des prestations indues aux sept années antérieures à la décision du 06.05.2019 (art. 25 al. 2 LPGA).

Consid. 4.1
Les prestations complémentaires accordées en vertu de décisions qui ont formellement passé en force doivent être restituées si les conditions d’une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA) ou d’une révision (art. 53 al. 1 LPGA) sont remplies (ATF 130 V 318 consid. 5.2 et les références). S’agissant plus particulièrement de cette dernière, l’administration procède à la révision d’une décision entrée en force formelle lorsque sont découverts des faits nouveaux ou de nouveaux moyens de preuve, susceptibles de conduire à une appréciation juridique différente (ATF 122 V 134 consid. 2b et la référence). L’obligation de restituer les prestations complémentaires indûment perçues vise à rétablir l’ordre légal, après la découverte d’un fait nouveau (arrêt 8C_120/2008 du 4 septembre 2008 consid. 3.1).

Consid. 4.2
A l’inverse de ce que soutient l’assurée, le délai (relatif) d’un an de l’art. 25 al. 2 LPGA ne peut commencer à courir qu’à partir du moment où la caisse de compensation aurait dû connaître les faits fondant l’obligation de restituer, en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elle. Admettre que les prétentions de la caisse de compensation puissent commencer à se prescrire avant la découverte des faits nouveaux à l’origine de la reconsidération ou de la révision reviendrait à considérer que des prétentions non encore nées, puisque fondées sur des faits que l’administration n’était pas en mesure de connaître, pourraient se périmer.

La caisse de compensation a demandé la restitution des prestations en raison de l’existence de biens à l’étranger. A cet égard, l’assurée ne prétend pas que la caisse de compensation disposait avant l’entretien téléphonique du 11.07.2018, à tout le moins, d’un faisceau d’indices laissant supposer l’existence de son bien immobilier à l’étranger, de ses avoirs bancaires à l’étranger et de l’activité accessoire de son époux. En procédant à la révision du droit de l’assurée à des prestations complémentaires AVS/AI le 06.05.2019 et en demandant la restitution des prestions perçues indûment le même jour, la caisse de compensation a par conséquent agi dans le délai (relatif) d’une année de l’art. 25 al. 2 LPGA, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020. Dans ce contexte, la référence, dont se prévaut l’assurée, au salaire erroné de l’époux, qui aurait pu justifier également la restitution des prestations, n’a pas d’influence sur l’issue de la cause. La juridiction cantonale a par conséquent retenu à juste titre que l’assurée est tenue de restituer le montant intégral de toutes les prestations de l’assurance touchées indûment du 01.06.2012 au 31.07.2018.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_522/2021 consultable ici

 

9C_525/2021 (f) du 31.05.2022 – Perte d’emploi pour des motifs étrangers à l’invalidité – Revenu sans invalidité d’une personne au chômage / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_525/2021 (f) du 31.05.2022

 

Consultable ici

 

Perte d’emploi pour des motifs étrangers à l’invalidité – Revenu sans invalidité d’une personne au chômage / 16 LPGA

 

Assurée, née en 1967, a été licenciée pour des raisons économiques de son poste d’aromaticienne à temps partiel (90%) avec effet au 31.05.2017, puis a épuisé son droit à des indemnités de l’assurance-chômage. Evoquant des tumeurs cancéreuses, l’une traitée en 2006 et l’autre apparue en 2019, elle a déposé une demande AI le 03.06.2019.

Entre autres mesures d’instruction, l’administration a obtenu une copie du dossier constitué par l’assureur perte de gain en cas de maladie. Y figure notamment un avis de la doctoresse D.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, dans lequel celle-ci faisait état d’une incapacité de travail fluctuante depuis le 02.10.2016 due à un épisode dépressif sévère avec symptômes psychotiques. L’office AI a aussi requis l’évaluation de la doctoresse E.__, spécialiste en oncologie. Celle-ci a diagnostiqué un cancer du sein droit (soigné par chimiothérapie et chirurgie) totalement incapacitant à compter du 07.06.2019 mais autorisant la reprise d’une activité adaptée à 50% depuis le 20.08.2019 et à 100% depuis le 02.03.2020. L’administration a encore sollicité directement la doctoresse D.__. Celle-ci a indiqué ne pas pouvoir se prononcer dès lors qu’elle n’avait pas revu l’assurée depuis deux ans. L’office AI a par ailleurs mis en œuvre des mesures d’ordre professionnel. Au terme de la procédure, il a rejeté la demande de l’intéressée dans la mesure où son taux d’invalidité de 15% était insuffisant pour lui donner droit à des prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 100/21 – 242/2021 [non disponible sur le site de la Casso])

Par jugement du 30.08.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 6.2.1
S’agissant du revenu sans invalidité, l’assurée ne conteste pas avoir été licenciée pour des motifs économiques (délocalisation de son poste). Elle soutient toutefois qu’elle souffrait indéniablement à ce moment-là d’un épisode dépressif sévère qui avait largement influencé l’opportunité de retrouver une activité lucrative. Cette seule allégation ne suffit cependant pas pour remettre en question les constatations de la juridiction cantonale quant à l’absence de périodes d’incapacité de travail dues à des affections psychiques ultérieures au 10.01.2017. Dans cette situation (perte d’emploi pour des motifs étrangers à l’invalidité), le revenu sans invalidité doit en principe être fixé au moyen de données statistiques (cf. arrêt 8C_581/2020 et 8C_585/2020 du 3 février 2021 consid. 6.1 in SVR: 2021 UV n° 26 p. 123). L’assurée se prévaut toutefois de l’exception admise par le Tribunal fédéral au considérant 6.4 de l’arrêt 8C_581/2020 et 8C_585/2020 cité. Elle considère pour l’essentiel que, dans la mesure où la moyenne des salaires qu’elle avait obtenus entre 2012 et 2016 excédait 180’000 fr. par année pour une activité exercée à 90%, le tribunal cantonal aurait dû se fonder sur ce chiffre plutôt que sur des données statistiques (111’924 fr. 49; ESS TA1 ch. 20, lignes 19-20, secteur cokéfaction et industrie chimique) pour déterminer son revenu sans invalidité.

Ce raisonnement n’est pas fondé. En effet, dans la cause 8C_581/2020 et 8C_585/2020 citée, le Tribunal fédéral a précisé que l’obtention d’un salaire supérieur à la moyenne n’impliquait pas automatiquement sa prise en considération pour fixer le revenu sans invalidité; l’élément déterminant pour s’écarter de la référence aux salaires statistiques en cas de perte d’emploi pour des motifs étrangers à l’invalidité était de savoir si le dernier salaire supérieur à la moyenne aurait continué à être perçu (consid. 6.3). Or, dans cette cause, le Tribunal fédéral a considéré que les premiers juges n’avaient pas fait preuve d’arbitraire en parvenant à la conclusion que le dernier salaire supérieur à la moyenne aurait continué à être perçu sur la base d’une appréciation de la « biographie professionnelle » de l’assuré. Bien que ce dernier n’exerçât plus d’activité pour le compte de son ancien employeur pour des raisons étrangères à l’invalidité (fin du contrat de travail de durée limitée) et ne disposât pas d’un diplôme universitaire reconnu, son parcours professionnel démontrait qu’il avait toujours changé de poste sans difficulté, s’appuyant sur des connaissances sans cesse élargies et reconnues par les employeurs successifs, et réalisé des salaires supérieurs à la moyenne (consid. 6.3 et 6.4). En l’occurrence, l’assurée ne démontre pas – ni même n’allègue – que son parcours professionnel serait comparable. Au contraire, il apparaît d’une part qu’elle a obtenu un salaire supérieur à la moyenne en gravissant les échelons hiérarchiques au sein d’une seule et même entreprise, alors qu’elle occupait un poste dans un domaine « de niche » (cf. rapport final d’évaluation de l’OSEO) – par définition rare sur le marché du travail -, que sa maladie l’a en outre empêchée d’exercer par la suite. Il apparaît d’autre part que le délai-cadre d’indemnisation de l’assurance-chômage s’est écoulé sans qu’un poste de travail lui permettant de réaliser un salaire similaire à celui perçu auparavant n’ait pu être retrouvé. Dans ces circonstances, l’assurée a échoué à démontrer qu’elle aurait continué à percevoir un revenu supérieur à la moyenne et ne peut par conséquent pas se prévaloir de circonstances semblables à celles qui prévalaient dans la cause 8C_581/2020 et 8C_585/2020 citée.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_525/2021 consultable ici

 

8C_660/2021 (f) du 28.06.2022 – Délai pour motiver l’opposition – 52 LPGA – 10 OPGA / Art. 10 al. 1 OPGA conforme à la Constitution fédérale – Pas d’inconstitutionnalité

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_660/2021 (f) du 28.06.2022

 

Consultable ici

 

Délai pour motiver l’opposition / 52 LPGA – 10 OPGA

Art. 10 al. 1 OPGA conforme à la Constitution fédérale – Pas d’inconstitutionnalité

 

Assuré, victime le 21.01.2018 de malaises, qui ont provoqué des chutes ayant elles-mêmes entrainé diverses lésions (traumatisme crânien simple, traumatisme du coccyx, plaie au coude). Le 22.08.2019, l’assurance-accidents a rendu une décision par laquelle elle a mis fin aux prestations d’assurance au 21.04.2018, tout en renonçant à réclamer le remboursement des prestations versées ultérieurement.

Le 20.09.2019, agissant par le biais de C.__ SA (protection juridique), l’assuré a formé opposition contre la décision du 22.08.2019. Il contestait le point de vue du médecin-conseil, en tant qu’il fixait le statu quo sine au plus tard trois mois après l’événement, et requérait l’octroi d’un délai complémentaire pour lui permettre de déposer des rapports médicaux de ses médecins traitants. Plusieurs délais successifs lui ont été accordés par l’assurance-accidents. Le 03.12.2019, celle-ci lui a accordé une « dernière et ultime prolongation de délai de 30 jours à compter du 22.11.2019 », soulignant qu’aucune autre demande de prolongation supplémentaire ne serait acceptée. L’assuré, toujours par le biais de sa protection juridique, a donné suite à ce courrier en priant la CNA de prendre en considération un rapport d’IRM du genou droit du 02.02.2018, qu’il a joint à son écriture du 19.12.2019, pour le cas où ce document n’était pas encore en la possession de l’assureur.

Par courriel du 08.09.2020, l’assuré a demandé à l’assurance-accidents de rendre une décision formelle avec indication des motifs détaillés en lien avec ses différents accidents, un second accident étant survenu le 22.02.2019. Lors d’un entretien téléphonique du 24.09.2020, l’assurance-accidents a expliqué à la collaboratrice de la protection juridique qu’elle avait clos le dossier dès lors qu’elle n’avait rien reçu malgré les prolongations de délai accordées et que le rapport radiologique de 2018 figurait déjà au dossier. Par avis du 29.09.2020, elle a imparti à l’assuré un ultime délai au 13.10.2020 « pour motiver l’opposition du 20.09.2019, faute de quoi elle rendrait une décision de non-entrée en matière ».

Le 13.10.2020, la protection juridique a contacté la CNA. La note d’entretien téléphonique expose ce qui suit: « tél. de la protection juridique qui m’informe que Me D.__ est absente et a reçu un appel de Mr A.__ au sujet de son dossier. Il me dit que depuis le début de l’année, il est embêté à cause du COVID-19 et demande si nous pouvons prolonger le délai jusqu’à fin octobre ou novembre. Je lui dis que la décision date du mois d’août 2019 et que l’année passée, le COVID-19 n’était pas encore arrivé. Je lui explique que cela fait plus d’un an et que nous n’allons pas prolonger le délai et l’informe que j’ai envoyé le dossier au secteur juridique pour qu’ils fassent le nécessaire de leur côté. Il comprend tout à fait et imagine faire opposition dans les 30 jours à notre décision sur opposition en espérant avoir reçu les documents médicaux nécessaires ».

Par décision du 19.10.2020, l’assurance-accidents a déclaré l’opposition irrecevable au motif qu’elle n’était pas motivée et que l’assuré n’avait pas remédié au vice constaté dans le délai imparti.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 112/20 – 96/2021 – consultable ici)

Par jugement du 23.08.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 52 al. 1 LPGA, les décisions peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d’opposition auprès de l’assureur qui les a rendues, à l’exception des décisions d’ordonnancement de la procédure. Se fondant sur la délégation de compétence prévue à l’art. 81 LPGA, le Conseil fédéral a édicté les art. 10 à 12 OPGA relatifs à la forme et au contenu de l’opposition ainsi qu’à la procédure d’opposition. L’art. 10 al. 1 OPGA prévoit que l’opposition doit contenir des conclusions et être motivée. L’opposition écrite doit être signée par l’opposant ou par son représentant légal; en cas d’opposition orale, l’assureur consigne l’opposition dans un procès-verbal signé par l’opposant ou son représentant légal (art. 10 al. 4 OPGA). Si l’opposition ne satisfait pas aux exigences de l’al. 1 ou si elle n’est pas signée, l’assureur impartit un délai convenable pour réparer le vice, avec l’avertissement qu’à défaut, l’opposition ne sera pas recevable (art. 10 al. 5 OPGA). Lorsque les conditions de recevabilité ne sont pas remplies, la procédure d’opposition prend fin avec une décision d’irrecevabilité (ATF 142 V 152 consid. 2.2 et les références).

Consid. 3.2
Selon la jurisprudence relative à l’art. 61 let. b, 2e phrase, LPGA – qui concerne la procédure judiciaire de première instance -, un délai permettant à l’intéressé de rectifier son mémoire de recours doit être fixé non seulement si les conclusions ou les motifs manquent de clarté, mais, d’une manière générale, dans tous les cas où le recours ne répond pas aux exigences légales. Il s’agit là d’une prescription formelle, qui oblige le juge de première instance – excepté dans les cas d’abus de droit manifeste – à fixer un délai pour corriger les imperfections du mémoire de recours. Compte tenu de l’identité grammaticale entre l’art. 61 let. b, 2e phrase, LPGA et l’art. 10 al. 5 OPGA, ces principes s’appliquent également à la procédure d’opposition (ATF 142 V 152 consid. 2.3 et les références).

Consid. 3.3
Dans l’arrêt 9C_191/2016 du 18 mai 2016, le Tribunal fédéral a rappelé que les art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, qui prévoient l’octroi d’un délai supplémentaire pour régulariser un acte de recours respectivement une opposition, visent avant tout à protéger l’assuré sans connaissances juridiques qui, dans l’ignorance des exigences formelles de recevabilité, dépose une écriture dont la motivation est inexistante ou insuffisante peu avant l’échéance du délai de recours ou de l’opposition, pour autant qu’il en ressorte clairement que son auteur entend obtenir la modification ou l’annulation d’une décision le concernant et sous réserve de situations relevant de l’abus de droit (cf. ATF 134 V 162). Le Tribunal fédéral a ensuite souligné que l’existence d’un éventuel abus de droit peut être admise plus facilement lorsque l’assuré est représenté par un mandataire professionnel, dès lors que celui-ci est censé connaître les exigences formelles d’un acte de recours ou d’une opposition et qu’il lui est également connu qu’un délai légal n’est pas prolongeable. Aussi a-t-il jugé qu’en cas de représentation, l’octroi d’un délai supplémentaire en application des dispositions précitées s’impose uniquement dans la situation où l’avocat ou le mandataire professionnellement qualifié ne dispose plus de suffisamment de temps à l’intérieur du délai légal non prolongeable de recours, respectivement d’opposition, pour motiver ou compléter la motivation insuffisante de l’écriture initiale. Il s’agit typiquement de la situation dans laquelle un assuré, qui n’est pas en possession du dossier le concernant, mandate tardivement un avocat ou un autre mandataire professionnellement qualifié et qu’il n’est pas possible à ce dernier, en fonction de la nature de la cause, de prendre connaissance du dossier et de déposer un recours ou une opposition motivés à temps. Il n’y a alors pas de comportement abusif de la part du mandataire professionnel s’il requiert immédiatement la consultation du dossier et motive ultérieurement l’écriture initiale qu’il a déposée dans le délai légal pour sauvegarder les droits de son mandant. En dehors du cas de figure décrit, le Tribunal fédéral a retenu a contrario que les conditions de l’octroi d’un délai supplémentaire en vertu des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA ne sont pas données et qu’il n’y a pas lieu de protéger la confiance que le mandataire professionnel a placée dans le fait qu’un tel délai lui a été accordé (à tort).

 

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a constaté que dans son acte d’opposition du 20.09.2019, l’assuré, par sa mandataire, s’était limité à contester que son état de santé, tel qu’il aurait été sans l’accident, pouvait être considéré comme atteint le 20.04.2018. Il n’avait en rien motivé cette allégation, ni contesté la valeur probante des rapports médicaux au dossier. Dans le cadre des nombreuses prolongations de délai accordées pour compléter son acte d’opposition, il avait certes produit le rapport d’IRM du 02.02.2018, qui figurait déjà au dossier, mais n’en avait tiré aucune argumentation. En outre, entre la décision du 22.08.2019 et le 13.10.2020, date de l’échéance de l’ultime prolongation, l’assuré avait eu largement le temps de compléter sa motivation, même en période de pandémie.

 

Consid. 4.3.2
Il ressort tant du texte de l’art. 10 al. 1 OPGA que de la jurisprudence y relative que l’opposition doit être motivée, quand bien même les exigences à cet égard ne sont pas élevées. Certes, l’assuré cite un passage de jurisprudence selon lequel il suffit que la volonté du destinataire d’une décision de ne pas accepter celle-ci ressorte clairement de son écriture ou de ses déclarations (arrêt 8C_404/2008 du 26 janvier 2009 consid. 3.3. et la référence à l’ATF 115 V 422 consid. 3a). La cause 8C_404/2008 portait toutefois sur la question de la volonté de s’opposer à la décision litigieuse, et non sur l’étendue de la motivation. Il en va de même de l’affaire à la base de l’ATF 115 V 422, qui ne traite pas concrètement des exigences de motivation de l’opposition, lesquelles ont néanmoins été précisées dans plusieurs arrêts publiés. Ainsi, le Tribunal fédéral a jugé que l’opposition doit être motivée, faute de quoi elle manque son but, lequel est d’obliger l’assureur à revoir sa décision de plus près (ATF 118 V 186 consid. 2b); il doit en tout cas être possible de déduire des moyens de l’opposant une argumentation dirigée contre le dispositif de la décision et susceptible de mener à sa réforme ou à son annulation (ATF 123 V 128 consid. 3a). Ainsi, la volonté clairement manifestée de s’opposer ne saurait constituer en soi une motivation suffisante.

En l’espèce, il n’est pas contesté que, dans son courrier du 20.09.2019, l’assuré a clairement manifesté sa volonté de s’opposer à la décision de l’assurance-accidents du 22.08.2019, qu’il a contesté le statu quo sine déterminé par le médecin-conseil et qu’il a conclu à la reprise du versement des prestations légales. Selon les constatations de la juridiction précédente, l’assuré n’a toutefois nullement motivé ses conclusions, et quand il a produit le rapport d’IRM du 02.02.2018, il n’a fait aucun commentaire sur le fond. Contrairement à ce qu’il soutient, on ne saurait déduire de la production de ce rapport – figurant déjà au dossier – qu’il contestait, même implicitement, l’absence de lésion structurelle, d’autant moins que, dans son courrier du 20.09.2019, il évoquait uniquement la question du statu quo sine. A ce dernier propos, on ne parvient pas non plus à déduire du rapport d’IRM une argumentation à l’encontre de l’appréciation du médecin-conseil, et l’assuré n’est pas fondé à expliquer, à ce stade de la procédure, en quoi le rapport d’IRM permettrait de mettre en doute l’avis de ce médecin. En tout état de cause, postérieurement à la production du rapport d’IRM, l’assuré a encore bénéficié d’un délai pour compléter sa motivation, ce qu’il n’a pas fait alors même qu’il agissait par le biais d’un mandataire professionnel.

 

Consid. 5.1
L’assuré soutient que l’exigence de motivation prévue à l’art. 10 al. 1 OPGA restreindrait le droit fondamental de toute personne à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire (art. 29a Cst.). Une telle restriction devrait se fonder sur une base légale formelle, et la délégation de compétence prévue à l’art. 81 LPGA ne contiendrait aucun principe permettant des restrictions quant au contenu et à la forme d’une opposition. Selon l’assuré, le législateur aurait renoncé volontairement à prévoir une obligation de motivation, s’agissant de la procédure d’opposition de l’art. 52 LPGA. Au cas contraire, il l’aurait précisé dans une loi au sens formel, comme il l’a fait pour les recours en procédure judiciaire. L’assuré en conclut que l’exigence de motivation de l’art. 10 al. 1 OPGA viole le principe de la séparation des pouvoirs, le principe de la légalité, la garantie de l’accès au juge et les conditions de restriction des droits de l’art. 36 Cst.

Consid. 5.2
Contrairement à ce que semble soutenir l’assuré, toute restriction d’un droit fondamental ne doit pas être fondée sur une loi au sens formel. En effet, aux termes de l’art. 36 al. 1 Cst., les restrictions doivent être fondées sur une base légale et les restrictions graves doivent être prévues par une loi, tandis que les restrictions légères peuvent être fondées sur une loi au sens matériel (ATF 147 IV 145 consid. 2.4.1; 144 I 126 consid. 5.1; 143 I 194 consid. 3.2). En l’espèce, comme on l’a vu, les exigences de motivation d’une opposition ne sont pas élevées et en l’absence de motivation suffisante, l’assureur doit encore octroyer un délai convenable pour y remédier (art. 10 al. 5 OPGA). Dans ces conditions, l’exigence de motivation de l’art. 10 al. 1 OPGA ne saurait être considérée comme une restriction grave à la garantie de l’accès au juge au sens de l’art. 29a Cst. Une base légale formelle n’apparaissait dès lors pas nécessaire à cet égard.

Quant au principe de la séparation des pouvoirs, il interdit à un organe de l’État d’empiéter sur les compétences d’un autre organe; en particulier, il défend au pouvoir exécutif d’édicter des règles de droit, si ce n’est dans le cadre d’une délégation valablement conférée par le législateur (ATF 142 I 26 consid. 3.3; 141 V 688 consid. 4.2.1; 134 I 322 consid. 2.2) ou d’une compétence fondée directement sur la Constitution (ATF 139 II 460 consid. 2.1). Les règlements d’exécution doivent se limiter à préciser certaines dispositions légales au moyen de normes secondaires, à en combler le cas échéant les véritables lacunes et à fixer si nécessaire des points de procédure (ATF 139 II 460 consid. 2.2; 130 I 140 consid. 5.1). En l’occurrence, la délégation de compétence se fonde sur l’art. 81 LPGA, qui charge le Conseil fédéral de l’exécution de la LPGA et d’édicter les dispositions nécessaires. En précisant que l’opposition doit contenir des conclusions et être motivée, la disposition se limite à fixer des modalités de la procédure d’opposition; elle ne modifie, ni ne va à l’encontre de la LPGA, en particulier de l’art. 52 LPGA, qui contient les principes de la réglementation. La délégation de compétence n’apparaît pas contraire au droit.

Les griefs tirés de la prétendue inconstitutionnalité de l’art. 10 al. 1 OPGA se révèlent ainsi mal fondés.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_660/2021 consultable ici

 

4A_428/2021+4A_432/2021 (f) du 20.05.2022 – Indemnités journalières LCA – Assurance de sommes vs assurance de dommage / Conclusion du contrat – Réelle et commune intention des parties – 18 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_428/2021+4A_432/2021 (f) du 20.05.2022

 

Consultable ici

 

Indemnités journalières LCA pour un médecin-dentiste – Assurance de sommes vs assurance de dommage

Conclusion du contrat – Réelle et commune intention des parties / 18 CO

 

B.__ (ci-après: le preneur) exerce la profession de médecin-dentiste, exploitant son propre cabinet dentaire. A.__ SA (ci-après: l’assureur) est une assurance offrant notamment des services d’assurance complémentaire à l’assurance maladie et accident.

Le 30.06.2006, le preneur a souscrit auprès d’une assurance à laquelle A.__ SA a succédé dès le 01.01.2013, une assurance collective de perte de gain. La police prévoyait une assurance du 01.07.2006 au 31.12.2006 et assurait le preneur à concurrence de 100% de la somme annuelle des salaires assurés. Le salaire annuel fixe indiqué était de 300’000 fr. avec un délai d’attente de 60 jours pour chaque cas d’assurance et une durée de prestations de 730 jours sous déduction du délai d’attente.

Le 19.11.2012, le preneur a conclu une nouvelle police d’assurance avec l’assureur, remplaçant celle du 30.06.2006, avec effet au 01.01.2013 et jusqu’au 31.12.2015. Des conditions générales d’assurance datées de 2006 faisaient partie intégrante de la police. Le preneur était couvert à concurrence de 100% de la masse salariale annuelle convenue, laquelle s’élevait à 300’000 fr.

Le contrat prévoyait sous le chapitre « salaire maximal assurable » qu’en dérogation aux conditions générales, le salaire annuel maximal assurable par personne correspondait au montant convenu contractuellement pour le cercle des personnes concerné. De plus, sous le chapitre « masse salariale fixe » le contrat prévoyait que « les prestations contractuelles se calculent sur la base de la masse salariale annuelle convenue » et que « en dérogation aux conditions générales, l’assurance d’indemnités journalières conclue est une assurance de sommes. En cas d’incapacité de travail, il n’est pas demandé de justificatif relatif au revenu perdu » et enfin que « en dérogation aux conditions générales, les éventuelles prestations allouées par d’autres assureurs ne sont pas déduites des prestations versées ». La durée des prestations était également de 730 jours après un délai d’attente de 60 jours.

Le preneur a connu une période d’incapacité de travail à différents taux, provoquée par deux événements distincts : le preneur a souffert de troubles dépressifs dès le mois de mai 2011. Il a ensuite subi une infection profonde et osseuse au talon dont il a soutenu qu’elle avait été provoquée par un accident qui serait survenu le 15.07.2011.

En tout, le preneur a été en incapacité de travail entre le 01.05.2011 et le 14.05.2013. Les parties sont en litige sur le taux d’aptitude au travail du preneur entre le 05.04.2012 et le 30.04.2013.

Par lettre du 25.03.2013, l’assureur a manifesté auprès du preneur son souhait de pouvoir confier un audit des affaires du preneur à un tiers afin d’examiner l’effet de son incapacité de travail sur ses affaires et déterminer ainsi son degré d’incapacité de travail. A cette occasion, l’assureur a indiqué ne pas contester que le preneur avait conclu un contrat d’assurance « avec somme fixe de 300’000 fr. », et vouloir uniquement comparer le volume d’affaires de l’entreprise avant, pendant et après les cas d’incapacité du preneur. Le preneur a accepté de se soumettre à l’audit, ainsi qu’à un nouveau bilan de santé réalisé par un expert.

Le 12.03.2014, le cabinet d’audit mandaté par l’assureur a rendu son rapport, lequel conclut que le salaire indiqué par le preneur de 300’000 fr. est très largement supérieur au revenu du preneur déclaré auprès de la caisse de compensation AVS, qui s’élève, depuis l’an 2000, à 100’000 fr. annuel en moyenne. Le chiffre d’affaires du cabinet réalisé entre 2007 et 2010, en revanche, s’élève à plus de 300’000 fr.

Compte tenu de cet audit, l’assureur a persisté dans son refus de verser de nouvelles prestations au preneur à compter du 01.09.2012. Par courrier du 19.03.2014, l’assureur a écrit au preneur que celui-ci pouvait exercer son travail à 80% au minimum.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 10.09.2020, la Chambre patrimoniale cantonale a condamné l’assureur à verser au preneur des indemnités journalières de 821 fr. 92 (300’000 fr. / 365 jours) pour un montant de 169’479 fr. 35 avec intérêts dès le 07.03.2013 ainsi que pour un montant de 39’945 fr. 21 avec intérêts dès le 04.04.2013 et a rejeté toute autre conclusion.

Statuant sur appel de l’assureur et appel joint du preneur, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal a rejeté les deux appels, statué sans frais et compensé les dépens.

 

TF

Consid. 5
Sous le titre de la violation de l’art. 18 CO, l’assureur reproche à la cour cantonale d’avoir considéré que l’assurance découlant de la police du 30.06.2006 devait être considérée comme une assurance de sommes et non, comme elle le soutient, comme une assurance de dommages.

Consid. 5.1
Pour rappel, l’assurance de sommes garantit une prestation prédéfinie lors de la conclusion du contrat, qui doit être versée si l’événement assuré survient, sans égard à ses conséquences pécuniaires et à l’existence d’un possible dommage. En revanche, dans une assurance contre les dommages, les cocontractants font de la perte patrimoniale effective une condition autonome du droit aux prestations; une telle assurance vise à compenser totalement ou partiellement un dommage effectif. Toute assurance vise à parer à d’éventuels revers de fortune. Le critère de distinction ne réside donc pas dans le but, mais bien dans les conditions de la prestation d’assurance. Savoir si l’on est en présence d’une assurance de sommes ou de dommages dépend en définitive du contrat d’assurance et des conditions générales. L’expression « incapacité de gain » n’est pas déterminante dans la mesure où elle est parfois utilisée comme un synonyme de l’incapacité de travail (cf. arrêt 4A_332/2010 du 22 février 2011 consid. 5.2.4). Les règles usuelles d’interprétation des contrats sont applicables (arrêt 4A_53/2007 du 26 septembre 2007 consid. 4.4.2). Lorsque l’interprétation ainsi dégagée laisse subsister un doute sur leur sens, les conditions générales doivent être interprétées en défaveur de leur auteur, conformément à la règle dite des clauses ambiguës (Unklarheitsregel, in dubio contra stipulatorem; ATF 146 III 339 consid. 5.2.3; 124 III 155 consid. 1b; 122 III 118 consid. 2a; arrêt 4A_177/2015 du 16 juin 2015 consid. 3.2).

Consid. 5.2
En vertu de l’art. 18 CO, la question de savoir si les parties ont conclu un accord est soumise au principe de la priorité de la volonté subjective sur la volonté objective (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; 123 III 35 consid. 2b).

Lorsque les parties se sont exprimées de manière concordante (échange de manifestations de volonté concordantes; übereinstimmende Willenserklärungen), qu’elles se sont effectivement comprises et, partant, ont voulu se lier, il y a accord de fait (tatsächlicher Konsens); si au contraire, alors qu’elles se sont comprises, elles ne sont pas parvenues à s’entendre, ce dont elles étaient d’emblée conscientes, il y a un désaccord patent (offener Dissens) et le contrat n’est pas conclu (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1).

Subsidiairement, si les parties se sont exprimées de manière concordante, mais que l’une ou les deux n’ont pas compris la volonté interne de l’autre, ce dont elles n’étaient pas conscientes dès le début, il y a désaccord latent (versteckter Dissens) et le contrat est conclu dans le sens objectif que l’on peut donner à leurs déclarations de volonté selon le principe de la confiance; en pareil cas, l’accord est de droit (ou normatif) (ATF 144 III 93 consid. 5.2.1; 123 III 35 consid. 2b; GAUCH/SCHLUEP/SCHMID, Schweizerisches Obligationenrecht, Allgemeiner Teil, vol. I, 11e éd. 2020, n. 308 ss).

 

Consid. 5.3.1
En procédure, le juge doit rechercher, dans un premier temps, la réelle et commune intention des parties (interprétation subjective), le cas échéant empiriquement, sur la base d’indices. Constituent des indices en ce sens non seulement la teneur des déclarations de volonté – écrites ou orales -, mais encore le contexte général, soit toutes les circonstances permettant de découvrir la volonté réelle des parties, qu’il s’agisse de déclarations antérieures à la conclusion du contrat ou de faits postérieurs à celle-ci, (ATF 144 III 93 consid. 5.2.2; arrêt 4A_643/2020 du 22 octobre 2021 consid. 4.2.3).

Consid. 5.3.2
Si le juge ne parvient pas à déterminer la volonté réelle et commune des parties – parce que les preuves font défaut ou ne sont pas concluantes – ou s’il constate qu’une partie n’a pas compris la volonté exprimée par l’autre à l’époque de la conclusion du contrat – ce qui ne ressort pas déjà du simple fait qu’elle l’affirme en procédure, mais doit résulter de l’administration des preuves -, il doit recourir à l’interprétation normative (ou objective), à savoir rechercher leur volonté objective, en déterminant le sens que, d’après les règles de la bonne foi, chacune d’elles pouvait et devait raisonnablement prêter aux déclarations de volonté de l’autre. Il s’agit d’une interprétation selon le principe de la confiance (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3 et les arrêts cités).

La détermination de la volonté objective des parties, selon le principe de la confiance, est une question de droit, que le Tribunal fédéral examine librement; pour la trancher, il faut cependant se fonder sur le contenu des manifestations de volonté et sur les circonstances, lesquelles relèvent du fait. Les circonstances déterminantes à cet égard sont uniquement celles qui ont précédé ou accompagné la manifestation de volonté, mais non pas les événements postérieurs (ATF 144 III 93 consid. 5.2.3; 133 III 61 consid. 2.2.1 et les arrêts cités).

 

Consid. 5.4
En l’espèce, la cour cantonale a déterminé la volonté subjective des parties.

La cour cantonale a d’abord considéré la lettre de la police du 30.06.2006, laquelle prévoit que l’assurance correspondra à une assurance de dommages et que les prestations versées par des tiers, comme la caisse de pension, seront imputées sur le résultat des prestations à verser par l’assureur, pour en déduire à un stade intermédiaire que cela pouvait à première vue faire référence à une assurance de dommages.

La cour cantonale a ensuite examiné la police du 19.11.2012 pour en déduire que celle-ci prévoyait expressément que le contrat liant les parties était une assurance de sommes. De plus, cette police reprenait l’indication, tirée de la police précédente, que le montant était en substance assuré à concurrence de 100% de la masse salariale annuelle convenue, soit 300’000 fr. La cour cantonale a considéré que cette police clarifiait la police précédente.

La cour cantonale a encore tenu compte d’un courriel de l’agent d’assurance au preneur du 15.02.2013, soit ultérieur à l’émission de la seconde police, qui précisait que l’assurance indemnités journalières était une assurance de sommes et qu’en cas d’incapacité de travail, il n’était pas demandé de justificatif relatif au revenu perdu. La cour cantonale a encore considéré un courrier du 25.03.2013 de l’assureur au preneur, dans lequel il qualifiait également l’assurance d’assurance de sommes.

La cour cantonale a eu recours aux moyens complémentaires d’interprétation subjective, à savoir en particulier au comportement ultérieur des parties établissant quelles étaient leurs conceptions du contrat à l’époque de la conclusion. La cour cantonale a par conséquent établi le fait que les parties ont eu la volonté de conclure un contrat d’assurance de sommes. L’assureur ne conteste pas cette constatation des faits sous l’angle de l’arbitraire, de sorte que son grief, uniquement fondé sur une violation de l’art. 18 CO, doit être rejeté.

Il s’ensuit que le Tribunal fédéral est lié par la constatation de la cour cantonale, que les parties ont conclu une assurance de sommes.

 

Consid. 7.2.3
[…] La cour cantonale se trompe lorsqu’elle retient qu’il revenait au preneur de contester le contenu de l’expertise psychiatrique. Celle-ci ne contredit pas l’expertise orthopédique. Elle avait uniquement pour but de se prononcer sur les certificats médicaux ne faisant état que de la maladie psychiatrique à la demande même de l’assureur. Le preneur n’avait ainsi pas à remettre en question cette expertise dont il ne critique d’ailleurs pas les conclusions. L’expertise ne présente toutefois que partiellement l’état de santé du preneur.

Consid. 7.3
En conclusion, le preneur a allégué et prouvé son incapacité à 100% durant la période du 05.04.2012 au 30.04.2013.

Consid. 8
Au vu de ce qui précède, le recours du preneur doit être partiellement admis. L’arrêt attaqué est réformé dans ce sens que la conclusion subsidiaire du preneur en appel tendant au paiement de 210’082 fr. est admise à hauteur de 209’424 fr. 66 avec intérêts à 5% l’an dès le 07.03.2013, et celle tendant au paiement du montant de 44’383 fr. 55 est entièrement admise avec intérêts à 5% l’an dès le 04.04.2013.

 

Le TF admet partiellement le recours du preneur et rejette le recours de l’assureur.

 

 

Arrêt 4A_428/2021+4A_432/2021 consultable ici

 

9C_663/2021 (i) du 06.11.2022, destiné à la publication – Allocation pour perte de gain Covid-19 : recours contre le refus d’un nouveau calcul partiellement admis

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_663/2021 (i) du 06.11.2022, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 13.12.2022 consultable ici

 

Allocation pour perte de gain Covid-19 : recours contre le refus d’un nouveau calcul partiellement admis

 

Le Tribunal fédéral admet partiellement le recours d’une femme contre le refus de recalculer son allocation pour perte de gain Covid-19. La réglementation adoptée par le Conseil fédéral pour la période allant jusqu’au 16 septembre 2020 n’est pas critiquable au regard de l’urgence de la situation qui prévalait à l’époque. En revanche, la réglementation subséquente, en vigueur jusqu’à fin juin 2021, contrevient au principe d’égalité de traitement.

Une femme, exerçant la profession de musicienne et d’enseignante, a demandé en août 2020 une allocation pour perte de gain due au coronavirus. La Caisse de compensation du canton du Tessin a fixé l’indemnité journalière à 35 francs pour la période du 17 mars 2020 à fin octobre 2020, sur la base de la taxation fiscale définitive de l’intéressée pour l’année 2018. En janvier 2021, l’intéressée a fait parvenir à la Caisse de compensation sa taxation fiscale définitive pour l’année 2019, laquelle indiquait un revenu imposable nettement plus élevé qu’en 2018. Elle a demandé que les indemnités journalières soient recalculées. La Caisse de compensation a rejeté sa demande, ce qui a été confirmé par le Tribunal des assurances du canton du Tessin.

Le Tribunal fédéral admet partiellement le recours de l’intéressée ; les indemnités journalières devront être recalculées pour la période à compter du 17 septembre 2020. Il y a lieu de distinguer la période allant du 17 mars 2020 au 16 septembre 2020, d’une part, et celle allant du 17 septembre 2020 au 30 juin 2021, d’autre part. Dans sa version en vigueur pendant la première période, l’« ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 » disposait qu’un nouveau calcul de l’allocation après sa fixation ne pouvait être effectué que si une taxation fiscale plus récente était envoyée à l’ayant droit avant le 16 septembre 2020 et que celui-ci déposait une demande dans ce sens avant cette date. Les versions de l’« ordonnance sur les pertes de gain COVID-19 », en vigueur durant la période suivante (du 17 septembre 2020 au 30 juin 2021), excluaient, une fois les indemnités fixées, tout nouveau calcul fondé sur une base de calcul plus récente. S’agissant de la période allant jusqu’au 16 septembre 2020, la solution retenue échappe à la critique. L’ordonnance litigieuse se fondait sur le droit de nécessité (article 185 de la Constitution fédérale) et, au vu de l’urgence de la situation, le Conseil fédéral disposait d’une marge de manœuvre importante ; il a dû intervenir rapidement et adopter des règles simples. Il en va autrement de la période allant du 17 septembre 2020 au 30 juin 2021. La situation n’était alors plus aussi urgente qu’auparavant. Dans la pesée des intérêts, le respect des droits constitutionnels revêt dès lors un poids prépondérant. Il convient en particulier de tenir compte du fait que les personnes concernées n’avaient aucune influence sur la date de traitement de leur déclaration d’impôt. La solution retenue pour la période postérieure au 17 septembre 2020 contrevient en définitive au principe d’égalité de traitement.

 

 

Arrêt 9C_663/2021 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 13.12.2022 consultable ici

Indennità di perdita di guadagno per il covid-19: parzialmente accolto il ricorso contro il rifiuto di effettuare un nuovo calcolo, Comunicato stampa del Tribunale federale, 13.12.2022, disponibile qui

Corona-Erwerbsersatz: Beschwerde gegen verweigerte Neuberechnung teilweise gutgeheissen, Medienmitteilung des Bundesgerichts, 13.12.2022, hier verfügbar

 

 

1C_626/2021 (d) du 03.11.2022, destiné à la publication – Adaptation de la pratique en matière de retrait de permis de conduire à la suite d’un dépassement par la droite

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_626/2021 (d) du 03.11.2022, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 09.12.2022 consultable ici

 

Adaptation de la pratique en matière de retrait de permis de conduire à la suite d’un dépassement par la droite

 

Dépasser par la droite sur une autoroute ou une semi-autoroute en déboîtant puis en se rabattant n’entraîne plus systématiquement le retrait du permis de conduire. Le Tribunal fédéral adapte sa pratique à la nouvelle situation juridique. Les exceptions au retrait du permis de conduire doivent toutefois être appliquées avec retenue.

En 2020, un automobiliste a d’abord circulé sur la voie de dépassement de l’autoroute, puis s’est engagé sur la voie de circulation normale, a accéléré, a dépassé un autre automobiliste par la droite et s’est à nouveau rabattu sur la voie de dépassement. A ce titre, il a été sanctionné d’une peine pécuniaire et d’une amende. L’Office de la circulation routière du canton de Berne lui a par la suite retiré le permis de conduire pour 12 mois pour violation grave des règles de la circulation routière pour dépassement par la droite, tenant ainsi compte d’un précédent retrait de permis pour une violation grave. La Commission de recours compétente du canton de Berne a rejeté le recours de l’intéressé.

Le Tribunal fédéral admet le recours et annule la décision de la Commission de recours. Conformément à la loi sur la circulation routière, une infraction aux prescriptions sur la circulation routière entraîne le retrait du permis d’élève-conducteur ou du permis de conduire (ou un avertissement) lorsque la procédure sur les amendes d’ordre n’est pas applicable. Le 1er janvier 2021, le Conseil fédéral a adapté la liste des amendes pour les contraventions contenue dans l’ordonnance sur les amendes d’ordre (OAO). Ainsi, sur les autoroutes et semi-autoroutes à plusieurs voies de circulation, le dépassement par la droite en déboîtant puis en se rabattant est désormais sanctionné d’une amende d’ordre de 250 francs. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral valable jusqu’à ce jour, le dépassement par la droite sur l’autoroute constitue en principe une violation grave des règles de la circulation routière et entraîne donc le retrait du permis pour une durée minimale de trois mois ; cette jurisprudence a été critiquée par la doctrine comme étant trop sévère. Selon l’Office fédéral des routes (OFROU), l’adaptation de l’OAO en question doit traduire l’idée qu’il n’y a pas lieu de qualifier systématiquement tous les cas de dépassement par la droite de violation grave des règles de la circulation routière et qu’ils ne devraient dès lors pas obligatoirement conduire à un retrait de permis. Le Tribunal fédéral a adapté sa pratique à la nouvelle situation juridique. Compte tenu des risques inhérents au dépassement par la droite sur l’autoroute, il convient cependant d’interpréter de façon restrictive la nouvelle réglementation et de l’appliquer avec retenue. Il est nécessaire qu’il s’agisse, dans le cas particulier, et compte tenu de l’ensemble des circonstances concrètes, d’un simple dépassement par la droite sans circonstances aggravantes. En l’espèce, il est établi que le conducteur concerné a dépassé une voiture par la droite en déboîtant et en se rabattant. La manœuvre s’est toutefois effectuée de jour, sur une route sèche, dans de bonnes conditions de visibilité et avec une faible densité de trafic ; le conducteur dépassé n’a en outre pas dû modifier sa conduite. Contrairement à ce que prévoyait l’ancien droit, sous le nouveau droit, un tel comportement doit être qualifié exceptionnellement de simple inobservation de prescriptions d’ordre. C’est par conséquent le nouveau droit qui, en tant que droit le plus favorable, doit être appliqué dans la présente procédure. Un retrait de permis n’entre plus en ligne de compte et doit être annulé.

 

 

Arrêt 1C_626/2021 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 09.12.2022 consultable ici

 

8C_724/2021 (f) du 08.06.2022 – Causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – 6 LAA / Les juges cantonaux ne peuvent pas départager des appréciations médicales divergentes en se basant sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) ni s’ériger en spécialistes médicaux

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_724/2021 (f) du 08.06.2022

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Statu quo sine vel ante / 6 LAA

Les juges cantonaux ne peuvent pas départager des appréciations médicales divergentes en se basant sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) ni s’ériger en spécialistes médicaux

 

Assuré, né en 1988, Senior Trader depuis le 01.06.2018 a été victime, le 13.08.2019, d’un accident en se tordant le genou gauche lors d’un cours de jiu-jitsu. L’IRM du 19.08.2019 a révélé pour l’essentiel une fissuration profonde et irrégulière du cartilage de la facette rotulienne interne ainsi qu’une fissure profonde et focale du cartilage de la crête de la rotule, au genou gauche, tandis que le genou droit n’a montré qu’une érosion superficielle du cartilage de la facette rotulienne interne. Le 16.10.2019, l’assurance-accidents a provisoirement refusé de garantir la prise en charge des coûts d’une hospitalisation (arthroscopie du genou). Le docteur C.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, a attesté d’un trauma en valgus au genou gauche, nécessitant une réparation par arthroscopie qui aurait dû être effectuée le 29.10.2019.

Le 17.10.2019, l’assuré a informé l’assurance-accidents qu’il avait requis un second avis médical du docteur D.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Ce dernier a diagnostiqué une entorse du ligament collatéral médial (LCM = ligament latéral interne [LLI]) au genou gauche, nécessitant un traitement conservateur et a adressé l’assuré au docteur E.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation. Ce praticien a attesté d’une fracture chondrale de la rotule gauche, nécessitant de la physiothérapie.

Le médecin-conseil de l’assurance, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a retenu dans son rapport du 21.10.2019 un diagnostic d’entorse du LLI à gauche en voie de guérison ainsi qu’un état antérieur, soit une chondropathie fémoro-patellaire des deux côtés; l’accident avait entraîné une aggravation passagère et le statu quo sine vel ante était atteint selon le rapport médical du docteur D.__. Le 25.08.2020, le médecin-conseil a répété son avis, retenant que la seule lésion traumatique était une entorse mineure sans déchirure significative du LCM, que, contrairement à l’avis du docteur E.__, il n’y avait jamais eu de fracture chondrale patellaire gauche mais un état antérieur d’arthrose relativement marquée fémoro-patellaire à gauche (et débutante à droite) et que le statu quo sine avait été atteint au plus tard au 20.01.2020 (date du rapport du docteur E.__).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations avec effet au 20.01.2020, sans réclamer la restitution des prestations réglées à tort.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1003/2021 – consultable ici)

Par jugement du 27.09.2021, admission du recours du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que l’assurance-accidents devait prendre en charge les suites de l’accident du 13.08.2019, dans le sens des considérants

 

TF

Consid. 3.2
Le juge ne peut pas écarter un rapport médical au seul motif qu’il est établi par le médecin interne d’un assureur social, respectivement par le médecin traitant (ou l’expert privé) de la personne assurée, sans examiner autrement sa valeur probante. Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même minimes quant à la fiabilité et à la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2; 135 V 465 consid. 4.7).

Consid. 4.1
L’IRM du 19.08.2019 a objectivé une fissuration profonde et irrégulière du cartilage de la facette rotulienne interne, s’étendant jusqu’à l’os sous-chondral et décollant le cartilage sur toute son épaisseur sur une zone de 7.5 mm ainsi qu’une fissure profonde et focale du cartilage de la crête de la rotule s’étendant quasiment jusqu’à l’os sous-chondral.

Consid. 4.1.1
La cour cantonale a constaté que ces fissures avaient été qualifiées de lésion cartilagineuse par le docteur D.__, de fracture chondrale par le docteur E.__ et de lésion focale du cartilage ou de fracture chondrale par le docteur C.__. En se référant à des sites internet (www.larousse.fr et www.orthopedie-pediatrique.be), elle a considéré que la fracture était définie comme la rupture d’un os ou d’un cartilage dur ou une solution de la continuité des os ou des cartilages, de sorte que la notion de fracture retenue par les docteurs E.__ et C.__ correspondait à la description des lésions objectivées à l’IRM du 19.08.2019.

Consid. 4.1.2
Dans ce contexte, l’assurance-accidents rappelle qu’il n’appartient pas au juge de remettre en cause le diagnostic retenu par un médecin et de poser de son propre chef des conclusions qui relèvent de la science et des tâches du corps médical (arrêt 9C_719/2016 du 1er mai 2017 consid. 5.2.1; cf. arrêt 8C_549/2021 du 7 janvier 2022 consid. 7.1). C’est donc à juste titre qu’elle reproche aux juges cantonaux de ne pas s’être basés sur l’avis d’un expert, mais sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) pour départager les appréciations médicales divergentes et de s’être ainsi érigés en spécialistes médicaux. Il ne s’agit ainsi pas d’un élément propre à mettre en doute la valeur probante des avis du médecin-conseil.

 

Consid. 4.3
Vu les avis contradictoires et impossibles à départager sans connaissances médicales spécialisées concernant l’origine traumatique ou dégénérative de la lésion cartilagineuse au genou gauche, force est de constater que l’instruction de la cause ne permet pas de statuer sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance au-delà du 20.01.2020. Dans ces circonstances, il se justifie de renvoyer la cause aux premiers juges, en admission partielle du recours, pour qu’ils ordonnent une expertise médicale.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et renvoyant la cause au tribunal cantonal pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_724/2021 consultable ici

 

9C_650/2021 (f) du 07.11.2022, destiné à la publication – Validité d’une réserve d’assurance rétroactive par l’assureur-maladie – 69 LAMal / Réticence / Organisation des caisses-maladie et régime légal de la protection des données

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_650/2021 (f) du 07.11.2022, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Validité d’une réserve d’assurance rétroactive par l’assureur-maladie – Délai pour instituer une réserve / 69 LAMal

Signature d’une proposition d’assurance et accord au traitement des données personnelles de l’assuré, notamment tous les autres assureurs d’une holding (même groupe d’assureurs)

Réticence – Dies a quo de la connaissance par l’assureur – Pas d’imputation de la connaissance d’une information objectivement accessible au sein de son organisation

Organisation des caisses-maladie et régime légal de la protection des données

 

Assurée, employée comme infirmière à 80% auprès d’une clinique, assurée contre la perte de gain en cas de maladie par Mutuel Assurances (assurance selon la LCA).

Dans un rapport du 15.10.2017, le médecin traitant, spécialiste en médecine générale, a indiqué à la caisse-maladie que sa patiente était atteinte d’hydrocéphalie, ce diagnostic remontant à l’année 2014 environ; elle était limitée de manière intermittente par des céphalées et des vertiges devenant très gênants et présentait des phases d’incapacité entière de travail. Par la suite, il a mentionné que l’hydrocéphalie avait été diagnostiquée en mars 2017.

Entre-temps, l’assurée a commencé une activité accessoire d’infirmière indépendante à 20% depuis le début de l’année 2014. Afin de couvrir cette activité indépendante, elle a conclu une assurance individuelle facultative d’indemnités journalières selon la LAMal auprès d’Avenir Assurance le 13.09.2017, portant sur une indemnité journalière en cas de maladie de 50 fr. par jour, assortie d’un délai d’attente de sept jours pour les risques maladie et accident. Dans le document « Questionnaire de santé », l’assurée n’a pas indiqué de trouble de la santé. Entre autres réponses, elle a nié être alors (« actuellement ») ou avoir été en traitement au cours des cinq dernières années auprès d’un médecin ainsi que présenter des séquelles d’une maladie.

Le 29.08.2019, Avenir Assurance a reçu une déclaration d’incapacité de travail de l’assurée, selon laquelle elle avait travaillé la dernière fois le 15.03.2019 et était en incapacité de travail depuis le 16.03.2019 en raison d’une hydrocéphalie. Après avoir obtenu le 02.12.2019 l’autorisation de l’assurée pour traiter les données nécessaires à la détermination du droit aux prestations, notamment en requérant des informations auprès des autres assureurs sociaux ou privés, Avenir Assurance a obtenu le dossier médical de l’assurée de la part de Mutuel Assurances. Par décision du 09.01.2020, confirmée sur opposition, Avenir Assurance a institué une réserve rétroactive dès le 13.09.2017 pour hydrocéphalie et ses complications, en raison d’une réticence, ce pour une durée de cinq ans; elle a par ailleurs refusé toute indemnité pour l’incapacité de travail annoncée dès le 16.03.2019 et mis un terme au contrat d’assurance avec effet au 31.12.2019.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 08.11.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition, renvoyant le dossier à Avenir Assurance pour « examen des autres conditions du droit aux indemnités journalières requises ».

 

TF

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a constaté qu’au moment de son adhésion à Avenir Assurance, l’assurée avait passé sous silence des faits importants pour l’évaluation de son risque par l’assurance et manifestement commis une réticence. L’assurée avait ainsi omis d’indiquer qu’elle souffrait d’une hydrocéphalie (expliquant en grande partie les multiples maux récurrents dont elle souffrait depuis 2014 déjà), alors qu’elle ne pouvait ignorer cette atteinte et les répercussions de celle-ci depuis une IRM effectuée le 15.03.2017. Le fait qu’elle n’avait apparemment pas subi d’incapacité de travail durable avant mars 2019 en raison de cette maladie ne la dispensait pas de renseigner Avenir Assurance sur l’existence de ses problèmes de santé et les investigations prévues.

Quant au délai pour instituer une réserve – d’un an à compter du moment où l’assureur a eu ou aurait dû avoir connaissance de l’attitude répréhensible de l’assuré, mais au plus tard cinq ans depuis ledit comportement (ATF 110 V 308 consid. 2c) – la juridiction cantonale a retenu qu’il était échu au moment du prononcé de la décision du 09.01.2020. Selon elle, il convenait en application de l’arrêt 4A_294/2014 du 30 octobre 2014, de considérer que les rapports médicaux communiqués à Mutuel Assurances étaient réputés connus d’Avenir Assurance dès leur réception par la prénommée (soit le 25.10.2017, date à laquelle le rapport du médecin traitant du 15.10.2017 avait été transmis à Mutuel Assurances). En effet, les deux sociétés d’assurance avaient adopté une organisation et une administration communes et elles étaient donc autorisées à partager les données de leurs assurés communs. Les juges cantonaux ont conclu que la réserve devait être supprimée et Avenir Assurance être invitée à verser des prestations à l’assurée pour l’incapacité de travail survenue dès le 16.03.2019, sous réserve de la réalisation des autres conditions légales.

Consid. 4.2
Invoquant une violation de la LPD, Avenir Assurance reproche à la juridiction cantonale d’avoir retenu que deux assurances d’un même groupe pratiquant « toutes deux l’assurance-maladie sociale » sont autorisées à adopter une organisation unique et, partant, à partager les données de leurs assurés communs. Elle soutient qu’elle avait agi en tant qu’assureur perte de gain maladie selon la LAMal, tandis que Mutuel Assurances était intervenue en tant qu’assureur perte de gain maladie selon la LCA. Dès lors que l’assureur LAMal devait être considéré comme un tiers par rapport à un assureur LCA (même dans l’éventualité où les deux domaines étaient exploités par la même personne morale), les données médicales ne pouvaient pas être transmises au premier assureur sans motifs justificatifs. Or Mutuel Assurances n’avait pas été autorisée à lui transmettre des données avant que l’assurée n’eût donné son accord pour ce faire, le 02.12.2019. Imposer à Avenir Assurance de consulter les données de l’assurée recueillies par Mutuel Assurances avant cette date reviendrait à une violation de la LPD.

 

Consid. 5.1
En tant que la juridiction cantonale a considéré qu’Avenir Assurance et Mutuel Assurances étaient toutes deux des assurances pratiquant l’assurance-maladie sociale selon la LAMal, elle a procédé à une constatation manifestement inexacte des faits, qu’il convient de rectifier. Elle a apparemment confondu Mutuel Assurances SA (aujourd’hui radiée du registre du commerce), dont le but social était « l’exploitation des branches d’assurances non vie », et Mutuel Assurance Maladie SA, dont le but est de « pratiquer en tant que caisse-maladie au sens de l’art. 12 LAMal l’assurance-maladie obligatoire et l’assurance facultative d’indemnités journalières ». Selon les constatations cantonales, l’assurée était assurée auprès de Mutuel Assurances pour la perte de gain. Or cette assurance n’était pas une caisse-maladie au sens de l’art. 12 LAMal, qui aurait pratiqué l’assurance facultative d’indemnités journalières, mais elle était active dans le domaine des assurances (complémentaires) soumises à la LCA, dont l’assurance indemnité journalière, soit dans le domaine des assurances privées.

Consid. 5.2
L’assurée soutient qu’elle avait, par sa signature de la proposition d’assurance du 13.09.2017, donné son accord au traitement de ses données personnelles et délié notamment tous les autres assureurs du Groupe Mutuel Holding SA (dont faisaient partie les deux assureurs en cause) de leur obligation de garder le secret, ce dans le cadre de vérifications nécessaires en cas de soupçons de réticence ou de fraude. Aussi, Mutuel Assurances était-elle autorisée à transmettre des données la concernant à Avenir Assurance, sans atteinte à sa personnalité, conformément à l’art. 12 al. 3 LPD, selon lequel il n’y a en règle générale pas atteinte à la personnalité lorsque la personne concernée a rendu les données accessibles à tout un chacun et ne s’est pas opposée formellement au traitement.

Quoi qu’en dise l’assurée, on ne saurait considérer que l’autorisation à laquelle elle se réfère justifiait que Mutuel Assurances transmît les rapports médicaux la concernant à Avenir Assurance à la date du 25.10.2017, considérée comme déterminante par la juridiction cantonale. Si l’assurée a bien accepté peu auparavant de lever l’obligation des « autres assureurs membres du Groupe Mutuel, Association d’assureurs » de garder le secret envers Avenir Assurance (cf. « Déclaration du proposant » signée par l’assurée le 13.09.2017), son accord porte sur des cas dans lesquels il existe des soupçons de réticence ou de fraude. Or elle n’allègue pas qu’Avenir Assurance aurait dû soupçonner une réticence ou une fraude au moment où Mutuel Assurances a reçu le rapport médical du 15.10.2017, dix-jours plus tard, ce qui aurait pu justifier qu’Avenir Assurance sollicitât des renseignements auprès de Mutuel Assurances. A cette date, en l’absence de tout soupçon, Avenir Assurance n’avait pas à vérifier l’éventualité d’une réticence ou d’une fraude, pas plus qu’elle n’avait non plus à faire spontanément des recherches auprès de l’assureur privé, « pour toutes les questions posées en rapport avec le questionnaire médical en vue de la conclusion du contrat » (cf. déclaration précitée). La juridiction cantonale le reconnaît du reste lorsqu’elle retient qu’on ne peut exiger d’une caisse-maladie qu’elle procède sans autre indice spontanément, et dans chaque cas, à une enquête sur d’éventuelles maladies antérieures de l’intéressée ou sur les prestations d’assurance qui pourraient lui avoir été allouées précédemment. L’accord de l’assurée ne constituait dès lors pas une autorisation générale donnée à Avenir Assurance d’avoir accès à toutes les données recueillies à son sujet par Mutuel Assurances.

 

Consid. 5.3.1
Cela étant, la question qui se pose au regard des considérations de la juridiction cantonale est de savoir si Avenir Assurance doit se voir imputer la connaissance qu’avait Mutuel Assurances des faits concernant l’assurée. A cet égard, la juridiction cantonale a fondé l’imputation de la connaissance sur le critère de l’accessibilité, selon lequel la personne morale est censée connaître des faits ou disposer de renseignements dès que l’information correspondante est accessible au sein de son organisation (cf. arrêt 4A_294/2014 cité consid. 4 et les arrêts cités).

Selon la jurisprudence en effet, une personne morale dispose de la connaissance, déterminante sous l’angle juridique, d’un état de fait lorsque l’information correspondante est objectivement accessible au sein de son organisation (ATF 109 II 338 consid. 2b; arrêts 4A_614/2016 du 3 juillet 2017 consid. 6.3.1 et les arrêts cités; 9C_199/2008 du 19 novembre 2008 consid. 4.1 [SVR 2009 BVG n° 12 p. 37]; B 50/02 du 1er décembre 2003 consid. 3 [SVR 2004 BVG n° 15 p. 49]). A cet égard, ce sont les circonstances du cas concret qui permettent de décider si l’on peut imputer à l’ayant droit la connaissance de certains actes, dont certains de ses collaborateurs ont eu vent dans l’exercice de leurs fonctions (arrêt 4C.371/2005 du 2 mars 2006 consid. 3.1, in SJ 2007 I p. 7, avec la référence à l’ATF 109 II 338 consid. 2b-e). Ainsi, les faits dont la société mère a connaissance sont opposables à la société fille lorsque les deux entités juridiques disposent d’une banque de données électronique commune et emploient les mêmes collaborateurs (cf. arrêt 5C.104/2001 du 21 août 2001 consid. 4c/bb et les références).

Consid. 5.3.2
En l’occurrence, le critère de l’accessibilité des données ne saurait être appliqué en faisant abstraction de la position particulière d’Avenir Assurance en tant qu’assureur-maladie social. La caisse-maladie, en pratiquant l’assurance-maladie sociale (y compris l’assurance d’indemnités journalières au sens de l’art. 67 LAMal) remplit une tâche publique de la Confédération et est soumise à des règles plus strictes en matière de protection des données que les entreprises n’ayant pas une telle fonction (cf. Rapport du Conseil fédéral, du 18 décembre 2013, en réponse au postulat Heim [08.3493], Protection des données des patients et protection des assurés, p. 4; cf. aussi les critiques sur le critère de l’accessibilité en lien avec les obligations de secret de ANNICK FOURNIER, L’imputation de la connaissance, Genève/Zurich/Bâle 2021, n° 767 ss p. 250 ss et n° 800 p. 263). Nonobstant l’organisation commune d’Avenir Assurance et de Mutuel Assurances, qui sont des personnes morales distinctes l’une de l’autre, la seconde est, à l’égard de la première, un tiers au sens de l’art. 84a al. 5 LAMal (arrêt A-3548/2018 du Tribunal administratif fédéral du 19 mars 2019 consid. 4.8.2; UELI KIESER, Kommentar ATSG, 4e éd. 2020, ad art. 33 n° 23 s.; ANNE-SYLVIE DUPONT, La protection des données confiées aux assureurs, in La protection des données dans les relations de travail, 2017, p. 212). Or dans les rapports avec des tiers, les aspects liés au transfert et au traitement des informations, voire d’éventuelles limites légales de la transmission des informations ont aussi leur importance (cf. arrêt 4C.44/1998 du 28 septembre 1999 consid. 2d/aa et les références, in sic! 5/2000 p. 407; cf. aussi arrêt 4C.335/1999 du 25 août 2000 consid. 5b, in SJ 2001 I p. 186). Lorsque, comme en l’espèce – et à la différence de la situation jugée par l’arrêt 4A_294/2014 cité, dans laquelle le Tribunal fédéral a retenu que l’assureur privé a concrètement eu connaissance des données en cause de l’assureur-maladie social -, est en cause le comportement d’un assureur-maladie social, il y a lieu de prendre en considération les caractéristiques de l’organisation des caisses-maladie qui se doit d’être conciliable avec le régime légal de la protection des données, auxquelles celles-ci sont soumises en tant qu’organe fédéral au sens de l’art. 3 let. h LPD (sur ce dernier point ATF 133 V 359 consid. 6.4 et les références; arrêt A-3548/2018 cité consid. 4.5.5 et les références). Dans le cadre de son organisation, la caisse-maladie est tenue de respecter les règles légales et ne peut contraindre ses organes ou collaborateurs à violer la loi.

En matière de protection des données, l’assureur-maladie social n’est en droit de traiter de données sensibles – dont les données sur la santé (art. 3 let. c LPD) – que si une loi au sens formel le prévoit expressément (cf., de manière générale, l’art. 84 LAMal) ou si, exceptionnellement (et entre autres éventualités), la personne concernée y a consenti ou a rendu ses données accessibles à tout un chacun et ne s’est pas opposée formellement au traitement (art. 17 al. 2 let. c LPD). Il est tenu de prendre les mesures techniques et organisationnelles nécessaires pour garantir la protection des données (art. 84b LAMal; cf. aussi l’art. 7 al. 1 LPD). Dans ce cadre, il doit assurer que le traitement des données, y compris la collecte des données et leur exploitation (cf. art. 3 let. e LPD), soit effectué en conformité à la loi. Or, celle-ci interdit un échange d’informations général entre la caisse-maladie et une assurance complémentaire privée, même si elles appartiennent à un même groupe d’assureurs, que le transfert de données se fasse de l’assureur-maladie social à l’assureur privé ou dans l’autre sens (Message du Conseil fédéral, du 20 septembre 2013, concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [Compensation des risques. Séparation de l’assurance de base et des assurances complémentaires], FF 2013 7135 ss, ch. 2 p. 7148 ad art. 13 al. 2 let. g P-LAMal). Une communication de ces données personnelles ne peut être envisagée qu’avec le consentement de la personne concernée (cf. art. 13 al. 1 LPD sur le consentement de l’intéressé et art. 84a al. 5 LAMal sur le transfert des données par la caisse-maladie au tiers), qui n’a pas été donné en l’espèce (consid. 5.2 supra). La référence que fait la juridiction cantonale à l’art. 84a al. 1 let. a et b LAMal (communication de données par l’assureur-maladie à d’autres organes d’application de la LAMal ou de la LSAMal [RS 832.12] et aux organes d’une autre assurance sociale) n’est pas pertinente, dès lors que le transfert de données ne concerne pas deux assureurs pratiquant tous deux l’assurance-maladie obligatoire.

Consid. 5.3.3
Par ailleurs, l’autorité de surveillance des assureurs-maladie sociaux exige de leur part de choisir et de mettre en place des voies de traitement des données séparées lorsque le recours aux mêmes flux de données personnelles pour l’assurance obligatoire des soins et pour les assurances régies par la LCA recèle un potentiel d’usage abusif (Circulaire n° 7.1 du 17 décembre 2015 de l’OFSP, Assureurs-maladie: organisation et processus conformes à la protection des données [aujourd’hui: Circulaire n° 7.1 du 20 décembre 2021, Surveillance par l’OFSP des domaines soumis aux dispositions de la LSAMal, de l’OSAMal, de la LAMal et de l’OAMal relatives à la protection des données], Annexe 2, p. 11; cf. aussi sur la nécessité d’un « mur de protection » des données à l’intérieur d’un groupe d’assureurs, GEBHARD EUGSTER, Krankenversicherung [E], in: Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3e éd. 2016, p. 871 n° 1551; YVONNE PRIEUR, Unzureichender Schutz der Gesundheitsdaten bei den Krankenversicherern, Jusletter du 18 février 2008, n° 4 ss).

A cet égard, Avenir Assurance fait valoir que les dossiers respectifs de l’assurée auprès d’elle et de Mutuel Assurances ont été enregistrés séparément sous des numéros différents et qu’ils sont traités par deux collaboratrices différentes qui n’ont pas un accès réciproque et systématique aux données de l’autre assureur, toute autre organisation violant les exigences de la LPD. Dans ces circonstances, rien n’indique que la collaboratrice chargée du traitement du dossier de l’assurée auprès d’Avenir Assurance aurait, en violation des règles en la matière, accédé spontanément aux données recueillies par Mutuel Assurances pour en prendre connaissance ou que celle-ci les aurait transmises et rendues ainsi accessibles à la caisse-maladie. On ne saurait donc admettre qu’Avenir Assurance a eu accès à l’information déterminante faisant partie des données de l’assurance privée, malgré leur organisation commune (cf. aussi l’art. 9 al. 1 let. g [en relation avec l’art. 20 al. 1 OLPD; RS 235.11], selon lequel les personnes autorisées ont accès uniquement aux données personnelles dont elles ont besoin pour accomplir leurs tâches). Il convient, en l’occurrence, de prendre en considération le fait que la collaboratrice d’Avenir Assurance chargée de la gestion du dossier de l’assurée n’avait en tout état de cause pas le droit d’accéder spontanément aux données concernant celle-ci aux mains de Mutuel Assurances; une imputation de la connaissance de données en cas de transfert illégal de celles-ci dans le domaine de l’assurance-maladie obligatoire apparaît problématique sous l’angle des obligations en matière de protection des données incombant à l’assureur-maladie social (cf. dans ce sens, de manière générale, FOURNIER, op. cit., n° 768 p. 251 et n° 1283 p. 414; HANS CASPAR VON DER CRONE/PATRICIA REICHMUTH, Aktuelle Rechtsprechung zum Aktienrecht, RSDA 4/2018, p. 413).

Consid. 5.3.4
Il suit de ce qui précède qu’Avenir Assurance n’a pas eu ou n’aurait pas dû avoir connaissance du rapport du médecin traitant du 15.10.2017 au moment où il a été transmis à Mutuel Assurances le 25.10.2017. Ce n’est qu’après avoir reçu l’autorisation de l’assurée, en décembre 2019, de requérir des renseignements auprès de tiers (procuration signée le 02.12.2019), dans le cadre de l’annonce du 29.08.2019 d’un arrêt de travail survenu en mars 2019, qu’Avenir Assurance a eu accès aux données recueillies par l’assurance privée (cf. « Dossier médical de Mutuel Assurances SA » produit par Avenir Assurance en instance cantonale), et donc pu avoir connaissance des faits dont elle pouvait déduire une situation de réticence. En conséquence, en décidant le 09.01.2020 d’émettre une réserve rétroactive en relation avec l’hydrocéphalie et ses complications dès le 13.09.2017 pour une durée de cinq ans, Avenir Assurance a agi dans le délai d’un an prévu par la jurisprudence (ATF 110 V 308 consid. 1; arrêt 9C_28/2007 du 22 juin 2007 consid. 2.2).

Pour le reste, l’assurée, dont la réponse porte exclusivement sur la violation de la LPD invoquée par Avenir Assurance, ne remet pas en cause les constatations de la juridiction cantonale sur l’existence d’une réticence en lien avec l’hydrocéphalie ainsi que sur le fait que c’est bien cette atteinte qui a provoqué l’incapacité de travail survenue dès le 16.03.2019. Compte tenu de ces constatations et de la validité de la réserve émise par Avenir Assurance, celle-ci n’a pas à allouer d’indemnités journalières en raison de cette incapacité de travail. Les conclusions d’Avenir Assurance tendant à l’annulation de l’arrêt entrepris sur ce point sont bien fondées.

 

Le TF admet le recours d’Avenir Assurance, annule le jugement cantonal portant sur l’obligation de la caisse-maladie de verser des prestations à l’assurée pour l’incapacité de travail survenue dès le 16.03.2019.

 

 

Arrêt 9C_650/2021 consultable ici