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9C_60/2024 (f) du 04.07.2025 – Police de prévoyance liée et assurance-vie mixte – Participation aux excédents – Vérification par la FINMA des valeurs excédentaires déterminées par la compagnie d’assurance

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_60/2024 (f) du 04.07.2025

 

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Police de prévoyance liée et assurance-vie mixte – Participation aux excédents / 82 LPP – 136 OS – 137 OS – 94 LCA

Vérification par la FINMA des valeurs excédentaires déterminées par la compagnie d’assurance

 

Résumé
Assurée ayant conclu en 2002 une police de prévoyance liée avec droit à participation aux excédents, elle s’est plainte à l’échéance auprès de la FINMA du montant de la participation aux excédents de 315 fr. 20, très inférieur aux projections, et a demandé une décision formelle. Après examen, la FINMA a indiqué que le calcul était conforme aux plans d’excédents de l’entreprise d’assurance approuvés par l’OFAP. Le tribunal cantonal et le Tribunal fédéral ont retenu que les explications de la FINMA étaient suffisantes, que le preneur n’avait pas droit à la documentation complète, que les projections ne constituaient pas des garanties et que les excédents ne visaient que les complémentaires. Le recours a été rejeté par le TF.

 

Faits
Architecte indépendante née en 1958, l’assurée a signé le 18.04.2002 une proposition d’assurance portant sur une police de prévoyance liée, comprenant notamment une assurance-vie mixte conclue pour vingt ans (01.06.2002 au 31.05.2022). Le contrat donnait droit à une participation aux excédents.

Le 29.08.2022, elle s’est adressée à la FINMA pour qu’elle contrôle la participation aux excédents de 315 fr. 20 figurant au décompte d’échéance du 3 août 2022. Elle relevait que ce montant ne correspondait pas aux projections annoncées (14’300 à 33’300 fr.) et a invité la FINMA à rendre une décision formelle. Par courriel du 02.09.2022, la FINMA a informé qu’elle ne rendait pas de décision sur les demandes de vérification des preneurs d’assurance mais les informait du résultat. Dans le cas d’espèce, elle a indiqué qu’aucune participation n’avait été attribuée pour l’assurance principale (assurance liée à des parts de fonds), tandis que, pour les assurances complémentaires (rente d’incapacité de gain, exonération des primes), une participation avait été attribuée en 2003 mais qu’à partir de 2004 aucune participation n’avait été attribuée. Le montant de 315 fr. 20 résultait de l’attribution des excédents, intérêts compris, et avait été calculé correctement.

Le 28.09.2022, l’assurée a invité la FINMA à expliquer les éléments fondant sa conviction quant à la régularité des calculs.

Le 20.12.2022, la FINMA a précisé que la participation aux excédents avait été calculée selon les plans d’excédents de l’entreprise d’assurance approuvés par l’ancien Office fédéral des assurances privées jusqu’en 2005 et que l’assureur avait respecté les dispositions réglementaires. Elle a ajouté que l’assurance avait procédé à la distribution des parts d’excédents selon des méthodes actuarielles reconnues sans que cela ne conduisît à une inégalité de traitement abusive, en versant une participation aux excédents pour les assurances ayant réalisé un bénéfice sur le marché et en ne versant pas de participation aux excédents pour les assurances ayant enregistré des pertes sur le marché.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/968/2023 – consultable ici)

Par jugement du 11.12.2023, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a exposé de manière complète les règles applicables à la participation du preneur d’assurance aux excédents en matière d’assurance-vie, en particulier à l’obligation de l’assureur de renseigner sur les méthodes, les principes et les bases de calcul régissant la distribution des excédents et la participation aux excédents (cf. art. 3 al. 1 let. e et f LCA dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021; art. 36 al. 2 de la loi fédérale du 17 décembre 2004 sur la surveillance des entreprises d’assurance [RS 961.01]; art. 136 et 137 de l’Ordonnance sur la surveillance des entreprises d’assurance privées du 9 novembre 2005 [OS; RS 961.011]).

À la suite de l’instance précédente, on rappellera que l’établissement d’assurance doit établir un décompte annuel compréhensible pour les preneurs d’assurance qui les renseigne sur la participation aux excédents (cf. ATF 148 IIII 201 consid. 3.3). Ce décompte doit mentionner les bases du calcul du bénéfice, la partie du bénéfice utilisée pour l’accroissement des provisions techniques et la clé de répartition du bénéfice restant. Il permet au preneur d’assurance de se faire une idée sur le développement de la participation aux excédents et, en cas de doute, d’exiger la vérification des valeurs auprès de la FINMA. En ce qui concerne plus spécifiquement la production des comptes détaillés de l’assurance, les juges cantonaux ont rappelé que la jurisprudence ne reconnaît pas ce droit au preneur d’assurance (cf. ATF 148 III 201 consid. 5.3 et 5.4). Le législateur a accordé au preneur d’assurance qui doute de l’exactitude des valeurs déterminées le droit d’exiger de la FINMA, en tant qu’autorité de surveillance (ou, jusqu’au 31 décembre 2008, de l’Office fédéral des assurances privées), qu’elle vérifie gratuitement si les valeurs excédentaires déterminées par la compagnie d’assurance correspondent aux bases actuarielles et au plan d’excédents (art. 92 al. 2 en relation avec l’art. 94 LCA; JACQUES-ANDRÉ SCHNEIDER/CÉLINE MOULLET, Loi sur le contrat d’assurance, Commentaire romand, 2022, n° 5 ad art. 92, n° 3 et 4 ad art. 94 LCA; ANDREA PFLEIDERER, Versicherungsvertragsgesetz, Basler Kommentar, 2e éd. 2023, n° 8 ad art. 92 LCA; ANDREA PFLEIDERER, Die Überschussbeteiligung in der Lebensversicherung, thèse 2006, p. 39 [ci-après: Überschussbeteiligung]).

Consid. 4.2
En particulier, ce droit à l’information ne permet toutefois pas au preneur d’assurance d’obtenir des données complètes ou une présentation des comptes telle qu’elle serait nécessaire pour vérifier les parts d’excédents qui lui reviennent ; une telle vérification supposerait des informations complètes sur le plan de distribution des excédents (y compris la clé de répartition), d’autres informations concernant l’exécution de la participation aux excédents (constitution de groupes d’excédents, etc.) ainsi qu’une édition complète des comptes (PFLEIDERER, Überschussbeteiligung, p. 96). Le fait que le droit à l’information du preneur d’assurance soit limité en ce sens est atténué par le fait que l’autorité de surveillance veille à un équilibre entre les intérêts légitimes des preneurs d’assurance à obtenir des informations et les intérêts légitimes de la compagnie d’assurance à préserver la confidentialité. Elle doit préserver les intérêts des preneurs d’assurance, mais elle est également neutre à l’égard des données confidentielles qui lui sont confiées par les compagnies d’assurance (PFLEIDERER, Überschussbeteiligung, p. 100 ss).

Consid. 5 [résumé]
L’assurée se prévaut de l’absence d’un contrôle satisfaisant par la FINMA de la conformité des excédents aux règles de la comptabilité, aux bases actuarielles et au plan d’excédents. Elle met en doute le sérieux du contrôle, jugé sommaire au vu de la rapidité de la réponse et insuffisant au regard des exigences jurisprudentielles (cf. ATF 148 III 201), reproche à la FINMA de se limiter au résultat sans en expliciter les raisons, et en déduit qu’une expertise actuarielle aurait dû être mise en œuvre.

Consid. 6 [résumé]
Les explications données par la FINMA sont suffisantes. Le tribunal cantonal a admis à juste titre qu’on ne saurait déduire de l’absence d’explications et de calculs détaillés que la FINMA n’aurait pas opéré les vérifications qui lui incombent. Rappelant que le preneur d’assurance n’a pas le droit de se voir communiquer la documentation complète recueillie par la FINMA, les juges cantonaux ont retenu que l’autorité de surveillance ne s’était pas contentée de constater l’absence de versement d’excédents, mais avait confirmé la conformité de cette absence aux exigences légales et réglementaires, le caractère succinct des réponses ne justifiant pas qu’on s’en écartât (cf. consid. 4.1). Les divergences entre projections initiales et capital à l’échéance ne démontrent aucune erreur (pas de garantie, simulations liées aux marchés), les excédents ne visant par ailleurs que les assurances complémentaires et non la part épargne du contrat d’assurance-vie.

Les griefs ne permettent pas de déduire que le tribunal cantonal aurait versé dans l’arbitraire en admettant que la FINMA avait procédé aux vérifications qui lui incombaient et sur la base desquelles elle avait conclu que le calcul de la participation de la recourante aux excédents était correct. Si l’on suivait l’argumentation de l’assurée, chaque preneur d’assurance insatisfait des réponses apportées se verrait accorder le droit de faire vérifier la qualité du contrôle que la FINMA avait effectué, notamment par le biais d’une expertise actuarielle. Ce faisant, non seulement les données confidentielles de l’assurance pourraient être accessibles à des tiers, mais cela irait à l’encontre de ce que prévoit la jurisprudence rappelée au consid. 4 ci-dessus (cf. ATF 148 III 201 consid. 5.4).

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_60/2024 consultable ici

 

Remarque :

Je recommande vivement la lecture de l’arrêt cantonal, particulièrement fouillé et pédagogique sur une problématique rarement traitée par les tribunaux. Il offre une présentation structurée du cadre légal de la participation aux excédents en assurance-vie, précise la portée du droit à l’information du preneur et le rôle de la FINMA dans la vérification des valeurs, et distingue clairement projections commerciales et garanties contractuelles. Sa motivation détaillée éclaire aussi les limites d’accès aux documents comptables de l’assureur. L’ensemble constitue un repère utile pour la pratique, tant pour apprécier la conformité des décomptes d’excédents que pour calibrer les attentes des assurés et de leurs conseils.

 

9C_107/2024 (f) du 24.06.2025 – Rente d’invalidité LPP – Survenance de l’incapacité de travail – Connexité matérielle et temporelle – Eléments tangibles établis en temps réel

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_107/2024 (f) du 24.06.2025

 

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Rente d’invalidité LPP – Incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité / 23 LPP

Survenance de l’incapacité de travail – Connexité matérielle et temporelle – Eléments tangibles établis en temps réel

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé le rejet de la demande de l’assurée tendant à obtenir une rente de la prévoyance professionnelle. Bien qu’elle ait souffert de troubles psychiques puis de douleurs articulaires et qu’une rente AI entière a été octroyée dès le 01.08.2020, il n’a pas été établi qu’une incapacité de travail d’au moins 20% liée à son atteinte rhumatologique se soit concrètement manifestée avant la fin de son affiliation à la caisse de pension, le 31.01.2020. L’aggravation déterminante de son état de santé n’était survenue qu’à partir de février 2020, soit après la période d’affiliation.

 

Faits
Assurée, née en 1996, a travaillé en dernier lieu comme employée polyvalente à 100% du 01.04.2018 au 31.12.2019.

En arrêt de travail depuis le 12.08.2019, l’assurée a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 13.12.2019. L’office AI a recueilli notamment l’avis du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, du médecin traitant et du spécialiste en rhumatologie. Le 16.07.2021, le médecin du SMR a retenu que l’assurée était totalement incapable de travailler depuis août 2019, tout d’abord en raison d’une réaction anxiodépressive à la suite d’une situation professionnelle conflictuelle, puis de manifestations d’un rhumatisme psoriasique rebelle à toutes les thérapies tentées. Par décisions des 08.10.2021 et 02.11.2021, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière de l’assurance-invalidité dès le 01.08.2020.

Sollicitée par l’assurée, la caisse de pension a refusé de prester. Elle a retenu que la survenance de l’incapacité de travail déterminante était postérieure à la fin du rapport d’assurance, le 31.01.2020. À l’invitation de la caisse de pension, le rhumatologue traitant a indiqué que l’assurée était en incapacité de travail totale pour des motifs rhumatologiques depuis le 21.04.2020, mais que la symptomatologie était antérieure à cette date. Par la suite, la caisse de pension a maintenu son refus de prester, la dernière fois le 24.01.2023.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 7/23 – 1/2024 – consultable ici)

Par jugement du 10.01.2024, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1 [résumé]
La question est celle de savoir si l’incapacité de travail à l’origine de l’invalidité est survenue durant la période d’affiliation de l’assurée auprès de la caisse de prévoyance, soit entre le 01.04.2018 et le 31.01.2020 (art. 10 al. 3 LPP). L’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs notamment au droit à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle (art. 23 LPP) et à la notion de survenance de l’incapacité de travail, en relation avec la double condition de la connexité matérielle et temporelle nécessaire pour fonder l’obligation de prester d’une institution de prévoyance (ATF 135 V 13 consid. 2.6; 134 V 20 consid. 3.2.1 et 5.3 et les références). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 2.2
On rappellera que la preuve suffisante d’une limitation de la capacité fonctionnelle de travail déterminante sous l’angle du droit de la prévoyance professionnelle (ATF 134 V 20 consid. 3.2.2) ne suppose pas forcément l’attestation médicale d’une incapacité de travail « en temps réel » (« echtzeitlich »). Toutefois, des considérations subséquentes et des suppositions spéculatives, comme une incapacité médico-théorique établie rétroactivement après bien des années, ne suffisent pas. L’atteinte à la santé doit avoir eu des effets significatifs sur les rapports de travail; en d’autres termes, la diminution de la capacité fonctionnelle de travail doit s’être manifestée sous l’angle du droit du travail, notamment par une baisse des prestations dûment constatée, un avertissement de l’employeur ou une accumulation d’absences du travail liées à l’état de santé (arrêt 9C_556/2019 du 4 novembre 2019 consid. 4.3 et la référence).

Consid. 2.3
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de la personne assurée (ATF 144 V 427 consid. 3.2; 139 V 176 consid. 5.3).

 

Consid. 5.1
En l’espèce, l’absence de consultation spécifique pour des douleurs rhumatologiques pendant les rapports d’assurance ne permet pas de conclure de manière automatique à l’inexistence de douleurs articulaires ni, a fortiori, à l’absence de diminution de la capacité de travail en lien avec celles-ci. Les troubles somatiques chroniques, en particulier lorsqu’ils s’inscrivent dans un contexte de souffrance psychique marquée, peuvent être tus, minimisés ou interprétés à travers un prisme psychologique, tant par les patients que par les médecins. Le fait que l’assurée a été en arrêt de travail pour un état dépressif et un épuisement professionnel dès août 2019 ne signifie pas que des symptômes physiques – tels que des douleurs articulaires – étaient absents. Il est au contraire fréquent que ces symptômes soient intégrés au tableau par exemple de l’épuisement, sans faire l’objet d’un diagnostic différencié immédiat, en particulier en l’absence d’une orientation vers un spécialiste en rhumatologie ou en médecine interne. Dès lors, la preuve d’une limitation de la capacité fonctionnelle de travail ne suppose pas forcément l’attestation médicale d’une incapacité de travail « en temps réel » pour une atteinte rhumatologique (consid. 2.2 supra).

Cependant, à l’inverse de ce que souhaiterait l’assurée, la problématique ne peut être réduite à la question de savoir si le diagnostic de spondylarthrite a été diagnostiqué tardivement ou s’il existe un lien « patent » entre une spondylarthrite et une incapacité de travail antérieure reconnue à l’époque d’origine psychiatrique. En effet, il est constant que l’assurée présentait déjà des symptômes pouvant s’inscrire dans un tableau différentiel, comprenant plusieurs hypothèses diagnostiques dont celle d’une spondylarthrite, y compris déjà avant son affiliation à la caisse de pension intimée (arthralgies aux mains, aux coudes, avant-pieds et chevilles). Ces symptômes ne l’ont toutefois pas empêchée de travailler à 100%.

Dès lors, la question n’est pas celle de savoir si l’assurée souffrait déjà d’une spondylarthrite avant le 01.02.2020, mais celle de savoir si une diminution de la capacité fonctionnelle de travail pour des raisons rhumatologiques d’au moins 20% s’était manifestée concrètement pendant les rapports d’assurance (ATF 144 V 58 consid. 4.4 et les références). Autrement dit, l’enjeu du litige réside dans la démonstration par l’assurée que la juridiction cantonale aurait arbitrairement omis de constater un retentissement fonctionnel – pour des raisons rhumatologiques – sur sa capacité de travail d’au moins 20% entre le 01.04.2018 et le 31.01.2020, et non dans l’établissement rétrospectif d’un diagnostic.

Consid. 5.2 [résumé]
Selon les faits constatés par la juridiction cantonale, le médecin traitant a mentionné que l’assurée ne l’avait pas consulté entre le 19.08.2019 et le 02.03.2020, date de l’établissement de l’avis médical. Rien n’indique que l’assurée aurait par ailleurs été empêchée de consulter son médecin traitant avant le 02.03.2020 en raison de l’épidémie de COVID-19. Le médecin traitant indique au contraire qu’il l’avait reçue à sa consultation début mars, puis avait annulé tous les rendez-vous non urgents à partir du 16.03.2020. L’assurée n’a donc pas consulté un médecin pour des douleurs articulaires entre août 2019 et mars 2020.

Consid. 5.3 [résumé]
L’assurée avait entamé un suivi psychologique en août 2019 pour des difficultés professionnelles. Dans son avis du 18.11.2019, la psychiatre a noté une anxiété avec tristesse, troubles du sommeil, anticipation anxieuse, anxiété physique et sentiment de dévalorisation. La seule mention d’ »anxiété physique » ne suffit pas à attester, en temps réel, de douleurs rhumatologiques justifiant un arrêt d’au moins 20%, faute de détails spécifiques ou d’orientation vers la médecine interne ou la rhumatologie.

Dans son mémoire, l’assurée objecte que la psychiatre traitante, ainsi que des médecins du Service de rhumatologie de l’Hôpital G.__, ont indiqué qu’il était plus que probable, sans qu’il ne soit possible de quantifier ce pourcentage (mais supérieur à 90%), que la spondylarthrite périphérique fût déjà présente en août 2019 et qu’elle se plaignait déjà de douleurs articulaires aux poignets à l’époque. De telles considérations subséquentes, fondées sur des suppositions (comp. arrêt 9C_605/2023 du 22 août 2024 consid. 7.2), ne permettent pas d’établir une diminution de la capacité fonctionnelle de travail pour des raisons rhumatologiques d’au moins 20% dès 2019. L’atteinte à la santé doit avoir eu des effets significatifs sur la capacité de travail en temps réel, ce que ne permettent pas d’attester des spéculations ultérieures (supra consid. 2.2). Il manque au dossier des éléments tangibles établis en temps réel.

Consid. 5.4 [résumé]
Le rhumatologue traitant a indiqué une symptomatologie de longue date aggravée depuis février 2020 et un arrêt de travail à 100% dès le 21.04.2020. Le 28.01.2022, il a confirmé le début de l’incapacité au 21.04.2020, tout en précisant des symptômes déjà diffus avant. Le médecin traitant a relevé le 11.03.2020 des douleurs « depuis un moment » aux mains, aggravées depuis deux semaines, avec raideur matinale. Le gestionnaire AI a noté le 03.03.2020 l’apparition récente d’une problématique physique avec douleurs importantes, puis a précisé le 04.06.2020 une consultation récente chez le rhumatologue pour une atteinte inconnue lors de la demande AI du 13.12.2019. Ces constatations montrent, en temps réel, une dégradation en février 2020. Quant à l’échange de message SMS du 16 janvier 2020, dans lequel l’assurée confiait à son ami qu’elle ne pouvait pas sortir du lit, était un peu rouillée ce matin-là et avait perdu 1.1 kg depuis la veille, il ne saurait, par sa teneur non corroborée médicalement, ébranler la chronologie objective et documentée des faits médicaux retenue par les juges cantonaux. Il est constant que des symptômes diffus existaient, mais rien n’accrédite un retentissement fonctionnel de la spondylarthrite d’au moins 20% entre août 2019 et fin janvier 2020. En février 2020, le rapport de prévoyance avait pris fin (art. 10 al. 3 LPP), de sorte que l’assurée n’était plus couverte par la caisse intimée.

Consid. 5.5
Au vu des éléments qui précèdent, les juges cantonaux pouvaient retenir sans arbitraire qu’il n’était pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que la survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité de l’assurée fût survenue avant la fin de sa couverture d’assurance auprès de la caisse de pension intimée.

En refusant les offres de preuve de l’assurée, ils n’ont pas violé son droit d’être entendue sous l’angle de l’appréciation anticipée des preuves (à ce sujet, voir ATF 145 I 167 consid. 4.1).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_107/2024 consultable ici

 

 

8C_614/2024 (f) du 24.06.2025 – Prestations complémentaires – Revenu hypothétique de l’épouse de l’assuré selon ESS / Recours téméraires de l’assuré

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_614/2024 (f) du 24.06.2025

 

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Prestations complémentaires – Revenu hypothétique de l’épouse de l’assuré selon ESS / 11 LPC

Recours téméraires de l’assuré / 61 let. f bis LPGA

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé la fixation du revenu hypothétique de l’épouse sur la base des salaires ESS, aucune circonstance personnelle – y compris l’âge, l’expérience, le travail à temps partiel ou le secteur du nettoyage – n’ayant justifié une réduction ni l’usage du quartile inférieur, d’autant que l’intéressée n’a pas entrepris d’efforts concrets pour accroître son activité. Les frais judiciaires (recours cantonal + fédéral) ont été mis à la charge de l’assuré, ses recours ayant été jugés téméraires.

 

Faits
Assuré touche depuis le 01.10.2019 des prestations complémentaires, qui ont été calculées en tenant compte d’un revenu hypothétique de son épouse travaillant déjà à temps partiel. Depuis lors, la caisse de compensation s’est prononcée à plusieurs reprises sur le droit de l’assuré aux prestations complémentaires, en prenant toujours en considération un revenu hypothétique de sa conjointe.

La caisse de compensation a, par décision du 07.04.2021 confirmée sur opposition le 24.08.2021, fixé les prestations complémentaires à 1’096 fr. dès le 01.01.2021 ; la cour cantonale a rejeté le recours et, le 25.09.2023, le Tribunal fédéral a rejeté le recours dirigé contre cet arrêt. Par décision du 23.12.2022, confirmée sur opposition le 03.02.2023, elle a fixé les prestations complémentaires à 1’100 fr. du 01.10.2022 au 31.12.2022, puis à 1’180 fr. dès le 01.01.2023 ; la cour cantonale a rejeté le recours. Par décision du 05.10.2023, confirmée sur opposition, la caisse de compensation a fixé le montant des prestations complémentaires à 1’180 fr. dès le 01.04.2023.

Le 22.12.2023, la caisse de compensation a refusé d’entrer en matière sur une demande de « révision » d’une décision du 05.12.2019. La cour cantonale a confirmé cette décision et le recours formé contre cet arrêt cantonal a été déclaré irrecevable par le Tribunal fédéral le 29.05.2024.

Par décision du 27.12.2023, confirmée sur opposition le 05.02.2024, la caisse de compensation a fixé le montant des prestations complémentaires à 1’106 fr. dès le 01.01.2024.

 

Procédure cantonale

Par jugements du 20.09.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal, en mettant les frais de procédure à charge de l’assuré au motif que ses démarches étaient téméraires.

 

TF

Consid. 5.1 [résumé]
L’assuré soutient que les salaires statistiques de l’ESS ne tiennent pas compte du profil personnel et professionnel de son épouse. Il expose que son épouse a toujours travaillé à temps partiel pour des indépendants ou des micro-entreprises et qu’un second poste à temps partiel ne garantirait pas un salaire équivalent à un emploi à 100%. Se prévalant de l’âge proche de la retraite et de l’absence d’ancienneté de son épouse, il en conclut que les statistiques de l’ESS ne sont pas applicables telles quelles pour fixer le revenu hypothétique, à tout le moins sans abattement ou sans recourir au quartile inférieur.

Consid. 5.2
Selon les Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC), dont il est question dans les arrêts attaqués, le revenu hypothétique à prendre en compte est fixé sur la base des tables de l’ESS. Les DPC précisent que pour fixer le montant du revenu hypothétique, il convient de tenir compte des conditions personnelles telles que, notamment, l’âge, l’état de santé, les connaissances linguistiques, la formation professionnelle, les activités exercées précédemment ou encore les obligations familiales. Aussi, les DPC prévoient expressément qu’il sied de s’écarter des salaires statistiques figurant dans l’ESS lorsque la situation personnelle d’un assuré le justifie.

En l’espèce, la juridiction cantonale a, conformément aux DPC, examiné si, en raison de facteurs personnels propres à l’épouse de l’assuré, le salaire statistique ressortant de l’ESS devait être réduit. Cette manière de faire ne prête pas le flanc à la critique. Les juges cantonaux ont en outre souligné que l’utilisation par la caisse de compensation du calculateur « salarium » de l’ESS était plus favorable à l’assuré que le recours aux valeurs médianes de l’ESS, auxquelles il convenait en principe de se référer selon la jurisprudence, ce que ne conteste pas l’assuré. Ils ont par ailleurs relevé, sans que celui-ci ne formule d’objection à ce propos, que la prise en compte du quartile inférieur ne modifierait pas le montant des prestations complémentaires.

S’agissant d’éventuels facteurs de réduction du salaire statistique, l’assuré ne soutient toujours pas (cf. arrêt 8C_114/2024 du 31 juillet 2024 consid. 5.2) que la capacité de travail de sa conjointe serait diminuée en raison de son âge. Par ailleurs, on ne voit pas en quoi le fait que celle-ci ait uniquement travaillé à temps partiel pour des particuliers ou de petites entreprises pourrait impacter négativement son revenu. Rien n’indique qu’une employée dans le secteur du nettoyage serait mieux rémunérée dans une grande entreprise ou lorsqu’elle exerce une activité à temps complet auprès d’un même employeur plutôt que lorsqu’elle cumule plusieurs emplois à temps partiel. Au reste, rien n’empêche l’épouse de l’assuré de rechercher un emploi à 100% auprès d’une grande entreprise tout en conservant son activité actuelle à taux réduit. On rappellera que les tâches d’une employée dans le nettoyage ne nécessitent ni formation particulière ni bon usage du français à l’écrit (cf. ibidem et l’arrêt cité).

En définitive et en l’absence de tout effort de la conjointe de l’assuré visant à compléter ses revenus, ce dernier ne peut se prévaloir d’aucun élément entravant concrètement la réalisation d’un revenu hypothétique tel que fixé par la caisse de compensation et confirmé par le tribunal cantonal. Les critiques de l’assuré sont mal fondées.

Consid. 6.1 [résumé]
L’assuré s’oppose à la mise à sa charge des frais, estimant ses démarches non téméraires ; il affirme avoir invoqué des arguments nouveaux contre de nouvelles décisions et s’être plaint d’une violation du principe d’égalité entre hommes et femmes.

Consid. 6.2
Quoi qu’il en dise, l’assuré a réitéré pour l’essentiel des arguments déjà soulevés dans le cadre des nombreuses procédures antérieures – souvent menées jusqu’au Tribunal fédéral – portant sur le montant du revenu hypothétique de son épouse. Tel est notamment le cas des motifs allégués en vue de diminuer ce revenu, comme par exemple l’âge de celle-ci, ses compétences linguistiques ou encore les conditions de son travail à temps partiel dans le secteur du nettoyage, ainsi que des critiques du mode de calcul de ce revenu.

On ajoutera qu’au cours des procédures successives, l’assuré ne s’est jamais prévalu de recherches d’emploi infructueuses de son épouse. Rien n’indique que celle-ci ait cherché depuis 2019 à étendre son activité et augmenter ses revenus, ce qui rend inopérants les griefs de l’assuré en lien avec les difficultés de son épouse à trouver un emploi à temps complet. Les juges cantonaux ont également constaté à juste titre que l’assuré avait été averti, dans l’arrêt cantonal du 25 mars 2024, que ses démarches étaient à la limite de la témérité au sens de l’art. 61 let. f bis LPGA, et qu’en dépit de cet avertissement, il avait maintenu ses recours cantonaux.

Il découle de ce qui précède que les conditions pour mettre les frais de procédure à la charge de l’assuré étaient remplies (cf. arrêt 8C_529/2020 du 3 mai 2021 consid. 5.1 et les arrêts cités).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré et met les frais judiciaires (1’000 fr.) à sa charge.

 

Arrêt 8C_614/2024 consultable ici

 

9C_61/2025 (f) du 17.06.2025 – Allocation pour impotent (API) pour mineurs et supplément pour soins intenses (SSI) / Surcroît de temps pour l’acte « aller aux toilettes »

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_61/2025 (f) du 17.06.2025

 

Consultable ici

 

Allocation pour impotent (API) pour mineurs et supplément pour soins intenses (SSI) / 42ter LAI – 39 RAI

Surcroît de temps pour l’acte « aller aux toilettes »

 

Résumé
Assurée mineure née en 2015 et atteinte d’une trisomie 21 avec troubles visuels, a bénéficié d’une API de degré moyen dès le 01.11.2021. Saisi d’un recours contre le jugement cantonal qui avait retenu un degré grave et un supplément pour soins intenses fondé sur un besoin quotidien de 362 minutes dès le 1er mars 2023, l’examen s’est limité au montant du supplément. Le Tribunal fédéral a rappelé que la Circulaire sur l’impotence (CSI) fixe une limite maximale de 40 minutes pour l’acte « aller aux toilettes ». En rectifiant l’imputation du temps pour « aller aux toilettes » (70 minutes et non 100), le besoin d’aide quotidien a été arrêté à 332 minutes (5 h 32), ouvrant le droit au supplément pour soins intenses.

 

Faits
Assurée, née en 2015, est atteinte d’une trisomie 21, associée notamment à des troubles visuels importants. Elle a bénéficié de différentes prestations de l’AI lorsqu’elle a sollicité l’octroi d’une allocation pour impotent en novembre 2022, par l’intermédiaire de ses parents. Après avoir notamment mis en œuvre une enquête à domicile (07.02.2022), l’office AI a reconnu le droit de l’assurée à une allocation d’impotence pour mineurs de degré moyen à compter du 01.11.2021 (décision du 20 avril 2023).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1019/2024 – consultable ici)

Par jugement du 17.12.2024, admission du recours par le tribunal cantonal. La cour cantonale a (annulé la décision et) renvoyé la cause à l’office AI pour nouvelle décision au sens des considérants (octroi à l’assurée d’une allocation d’impotence pour mineurs de degré grave et d’un supplément pour soins intenses correspondant à un besoin de 6 heures [362 minutes] par jour depuis le 01.03.2023).

 

TF

Consid. 3.3
On rappellera qu’un supplément pour soins intenses peut être ajouté à l’allocation pour impotent lorsque celle-ci est servie à un mineur qui a en outre besoin d’un surcroît de soins dont l’accomplissement atteint le seuil minimum quotidien de 4 heures (cf. art. 42ter al. 3 LAI et 39 al. 1 RAI). Le montant mensuel de ce supplément s’élève à 100% du montant maximum de la rente de vieillesse au sens de l’art. 34 al. 3 et 5 LAVS, lorsque le besoin de soins découlant de l’invalidité est de 8 heures par jour au moins, à 70% de ce montant maximum lorsque le besoin est de 6 heures par jour au moins, et à 40% de ce montant maximum lorsque le besoin est de 4 heures par jour au moins (art. 42ter al. 3, 2e phrase, LAI).

Le point de savoir si l’impotent mineur a droit à un supplément pour soins intenses, tout comme le montant de cette prestation, reposent sur une appréciation temporelle de la situation (cf. arrêt 9C_666/2013 du 25 février 2014 consid 8.2 in: SVR 2014 IV n° 14 p. 55) dans laquelle il convient d’évaluer le surcroît de temps consacré au traitement et aux soins de base par rapport au temps ordinairement consacré auxdits traitements et soins pour un mineur du même âge en bonne santé (cf. art. 39 al. 2 RAI). Bien que ni la loi ni le règlement sur l’assurance-invalidité ne fassent expressément référence à l’ordonnance du 29 septembre 1995 sur les prestations dans l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie (OPAS; RS 832.112.31), les soins de base évoqués à l’art. 39 al. 2 RAI sont bien ceux figurant à l’art. 7 al. 2 let. c de cette ordonnance (cf. arrêt 9C_350/2014 du 11 septembre 2014 consid. 4.2.3). Ils consistent notamment en « bander les jambes du patient, lui mettre des bas de compression, refaire son lit, l’installer, lui faire faire des exercices, le mobiliser, prévenir les escarres, prévenir et soigner les lésions de la peau consécutives à un traitement; aider aux soins d’hygiène corporelle et de la bouche; aider le patient à s’habiller et à se dévêtir ainsi qu’à s’alimenter » (art. 7 al. 2 let. c ch. 1 OPAS).

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a constaté que le surcroît de temps à prendre en considération dans le cas de l’assurée s’élevait au total à 362 minutes par jours (6 heures et 2 minutes), à savoir: 235 minutes pour les actes ordinaires de la vie (soit 50 minutes pour l’acte « se lever/s’asseoir/se coucher », 30 minutes pour l’acte « se vêtir/se dévêtir », 30 minutes pour l’acte « manger », 25 minutes pour l’acte « faire sa toilette » et 100 minutes pour l’acte « aller aux toilettes »), 7 minutes pour les visites médicales et 120 minutes pour la surveillance personnelle permanente.

Consid. 5
On rappellera, à la suite des juges cantonaux, que pour évaluer l’impotence des assurés mineurs, on applique par analogie les règles valables pour l’impotence des adultes selon les art. 9 LPGA et 37 RAI. Toutefois, l’application par analogie de ces dispositions n’exclut pas la prise en considération de circonstances spéciales, telles qu’elles peuvent apparaître chez les enfants et les jeunes gens. En vertu de l’art. 37 al. 4 RAI, seul est pris en considération dans le cas des mineurs le surcroît d’aide et de surveillance que le mineur handicapé nécessite par rapport à un mineur du même âge et en bonne santé. Cette disposition spéciale s’explique par le fait que plus l’âge d’un enfant est bas, plus il a besoin d’une aide conséquente et d’une certaine surveillance, même s’il est en parfaite santé (ATF 137 V 424 consid. 3.3.3.2 et les références; cf. aussi arrêt 8C_535/2022 du 1er juin 2023 consid. 2.2).

Afin de faciliter l’évaluation de l’impotence déterminante des mineurs, l’OFAS a adopté des lignes directrices (Circulaire sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI] valable à partir du 1er janvier 2015, à laquelle a succédé la Circulaire sur l’impotence [CSI] avec effet au 1er janvier 2022). Celles-ci détaillent l’âge à partir duquel, en moyenne, un enfant en bonne santé n’a plus besoin d’une aide régulière et importante pour chacun des actes ordinaires de la vie, ainsi que les valeurs maximales à prendre en compte en termes de temps nécessaire à l’aide apportée en fonction de l’âge de l’enfant (cf. Annexes III et IV de la CIIAI, respectivement Annexes 2 et 3 de la CSI).

Consid. 6.1 [résumé]
S’agissant du surcroît de temps à prendre en compte pour l’acte « aller aux toilettes », il ressort des constatations cantonales, non contestées, que l’assurée porte des couches, souffre de troubles intestinaux et n’est pas autonome, à la différence des enfants de son âge. L’enquêtrice avait retenu 6 passages quotidiens, avec accompagnement par un adulte et absence de selles à nettoyer à chaque fois, l’enfant sachant monter et descendre sa couche. La mère avait exposé 12 passages par jour en raison de diarrhées et de constipations, une aide pour tout, y compris une toilette complète en cas de débordements, sans comportement récalcitrant mais avec un surcroît de temps lié à l’aide importante. Au vu de l’âge (8 ans en mars 2023) et des changements fréquents, la juridiction cantonale a considéré un surcroît de 100 minutes (40 minutes de base + 60 minutes pour 12 changes [12 × 5 minutes]), les premiers juges ayant exposé qu’il paraissait inconvenable de ne retenir que 30 minutes, l’acte impliquant l’accompagnement répété d’une jeune enfant avec retard et troubles gastro-intestinaux et des lavages réguliers.

Consid. 6.2
Comme le fait valoir l’office recourant, le supplément temporaire à prendre en compte en l’espèce pour l’acte « aller aux toilettes » s’élève à 70 minutes au total, à savoir un surcroît de temps de 40 minutes auquel s’ajoutent 30 minutes pour le changement des couches. Il ressort en effet tant de l’annexe 3 de la CSI que de l’annexe IV de la CIIAI que jusqu’à 10 ans, une limite maximale de 40 minutes a été fixée pour l’acte « aller aux toilettes » (se rendre aux toilettes, se rhabiller, hygiène corporelle, vérification de la propreté) et qu’un surcroît de temps de 5 minutes lié au changement fréquent des couches ou à l’accompagnement répété aux toilettes (à partir de 6 fois par jour) doit être pris en considération par intervention. Partant, c’est en vain que l’assurée affirme que la motivation de l’instance cantonale n’est pas arbitraire et ne « s’écarte même pas de la circulaire ». Quoi qu’elle en dise, les lignes directrices de l’administration s’opposent à la prise en compte d’un surcroît de temps additionnel de 5 minutes à partir du premier passage aux toilettes de la journée.

Dans ce contexte, on peine par ailleurs à suivre l’assurée lorsqu’elle affirme de manière péremptoire que la prise en considération de la charge supplémentaire des parents uniquement à partir du septième passage aux toilettes de la journée ne serait pas justifiable et serait contraire à la loi. Outre que l’assurée n’étaie aucunement son point de vue, on rappellera que bien que les directives administratives ne lient en principe pas le juge, celui-ci est néanmoins tenu de les considérer dans son jugement, pour autant qu’elles permettent une interprétation des normes juridiques qui soit adaptée au cas d’espèce et équitable. Ainsi, si les directives administratives constituent une concrétisation convaincante des dispositions légales, le tribunal ne s’en départit pas sans motif pertinent. Dans cette mesure, il tient compte du but de l’administration tendant à garantir une application égale du droit (ATF 148 V 102 consid. 4.2; 146 V 224 consid. 4.4. et l’arrêt cité). Or en l’occurrence, l’office recourant a expliqué de manière convaincante que les 6 premiers passages aux toilettes de la journée sont compris dans la limite maximale journalière de 40 minutes à prendre en compte (cf. annexe 3 de la CSI et l’annexe IV de la CIIAI).

Consid. 6.3 [résumé]
Il faut ainsi soustraire du total de 362 minutes (6 h 02) retenu par le Tribunal cantonal les 30 minutes indûment comptées pour « aller aux toilettes » (6 × 5 minutes pour les 6 premiers passages), ce qui aboutit à 332 minutes (5 h 32). Ce besoin ouvre le droit à un supplément pour soins intenses au sens de l’art. 39 RAI correspondant à un besoin de soins découlant de l’invalidité d’au moins 4 heures par jour selon l’art. 42ter al. 3 LAI (consid. 3.3). Il convient dès lors de réformer l’arrêt attaqué en ce sens; il n’y a pas lieu d’examiner plus avant le grief relatif à l’acte « manger ».

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_61/2025 consultable ici

 

 

8C_55/2025 (f) du 28.05.2025 – Gain assuré pour la rente d’invalidité LAA – Gain assuré après une période de chômage / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA – 24 al. 1 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_55/2025 (f) du 28.05.2025

 

Consultable ici

 

Gain assuré pour la rente d’invalidité LAA – Gain assuré après une période de chômage / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA – 24 al. 1 OLAA

Calcul du gain assuré – Année précédant l’accident divisée en plusieurs périodes

 

Résumé
Assurée, engagée dans une boulangerie le 25.10.2018, qui s’est blessée à la main droite le 29.01.2019. Dans l’année précédant l’accident, elle a perçu des indemnités de chômage (jusqu’en 05.2018), puis des prestations cantonales en cas de maladie jusqu’à l’engagement. En raison d’un précédant accident, elle a perçu des IJ LAA du 26.11.2018 au 28.01.2019, l’accident litigieux étant survenu le 29.01.2019. Le gain assuré a été calculé en divisant l’année précédant l’accident en plusieurs périodes et non en annualisant le salaire mensuel (x13) comme vendeuse dans la boulangerie. Le recours de l’assurance-accidents est admis.

 

Faits
Assuré a été engagée en qualité de vendeuse auprès de la boulangerie B.__ à compter du 25.10.2018. Le 29.01.2019, elle s’est blessée à la main droite en tentant de récupérer un objet tombé dans un pétrin de boulangerie.

Par décision du 10.10.2022, l’assurance-accidents a mis un terme, au 13.04.2022, au paiement des indemnités journalières ainsi qu’aux soins médicaux et a alloué à l’assurée une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 44’450 francs. Par décision du 02.03.2023, elle a nié le droit à une rente d’invalidité. Le 23.01.2024, l’assurance-accidents a partiellement admis les oppositions formées contre les décisions précitées, en ce sens qu’elle a reconnu le droit de l’assurée à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 22% à compter du 01.05.2022, calculée sur la base d’un gain assuré de 28’790 fr. 25.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1038/2024 – consultable ici)

Par jugement du 18.12.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition litigieuse en ce sens que le montant du gain assuré était fixé à 68’100 francs.

 

TF

Consid. 4.1
Les rentes sont calculées d’après le gain assuré (art. 15 al. 1 LAA). Est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (art. 15 al. 2, seconde phrase, LAA). L’art. 22 al. 4 OLAA prévoit notamment que si les rapports de travail ont duré moins d’une année, le salaire reçu au cours de cette période est converti en gain annuel (deuxième phrase); on présume que l’assuré aurait travaillé toute l’année aux mêmes conditions. La règle de l’art. 22 al. 4, deuxième phrase, OLAA a pour but de combler les lacunes de salaire, du point de vue temporel, résultant du fait que la personne assurée n’a pas perçu de salaire pendant toute l’année précédant l’accident. Elle est applicable lorsque, notamment, la personne assurée n’a pas travaillé toute l’année par exemple en raison d’un changement d’activité ou de reprise d’un emploi ou lorsqu’elle a obtenu un congé non payé durant l’année qui a précédé l’accident (VOLLENWEIDER/BRUNNER, in Basler Kommentar zum UVG, 2019, n. 76 ad art. 15; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Soziale Sicherheit, SBVR, vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 957 n. 182).

Consid. 4.2
Conformément à la délégation de compétence de l’art. 15 al. 3 LAA, le Conseil fédéral a édicté des dispositions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux. Ces dispositions ont pour but d’atténuer la rigueur de la règle du dernier salaire reçu avant l’accident, lorsque cette règle pourrait conduire à des résultats inéquitables ou insatisfaisants (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 959 n. 183). Pour les rentes, l’art. 24 al. 1 OLAA prévoit que si, au cours de l’année qui précède l’accident, le salaire de l’assuré a été réduit par suite de service militaire, de service civil, de service de protection civile, ou par suite d’accident, de maladie, de maternité, de chômage ou de réduction de l’horaire de travail, le gain assuré est celui que l’assuré aurait reçu sans la survenance de ces éventualités. En d’autres termes, l’art. 24 al. 1 OLAA vise les situations dans lesquelles l’assuré a subi, durant l’année de référence, une perte de salaire en raison de l’une des éventualités énumérées (ATF 137 V 405 consid. 4.4). Le but de cette disposition consiste à prévoir une réglementation spéciale en faveur des assurés qui, pour une période déterminée, sont privés d’une moyenne constante de temps de travail en raison d’un événement empêchant de manière involontaire la « durée normale du travail » (ATF 114 V 113 consid. 3a).

Consid. 5 [résumé]
Les juges cantonaux ont examiné la situation de l’assurée pour l’année ayant précédé l’accident (29.01.2018-28.01.2019). Selon l’extrait de compte individuel, l’assurée avait perçu des indemnités de chômage d’avril 2017 à mai 2018 ; de juin à septembre 2018, elle n’avait perçu ni indemnité ni revenu. Le premier gain après le chômage provenait de la nouvelle activité auprès de la boulangerie B.__ dès le 25.10.2018, dans le cadre d’un contrat de durée indéterminée et pour un revenu mensuel de 4’500 fr., versé treize fois l’an (contrat de travail du 25.10.2018; déclaration d’accident du 17.04.2019). Selon les fiches de salaires, elle avait perçu des indemnités journalières LAA du 26.11.2018 au 28.01.2019 et avait repris le travail le 29.01.2019, jour de l’accident. Il a été retenu que, même si une période de chômage avait bien existé dans l’année de référence, l’accident était survenu après la reprise d’une activité lucrative nouvelle, prévue pour une durée indéterminée, et mieux rémunérée que l’activité antérieure au chômage (gain total de 1’881 fr. pour janvier-mars 2017). Dans ces circonstances, la règle spéciale de l’art. 24 al. 1 OLAA ne trouvait pas application pour tenir compte du revenu perçu avant le chômage. En revanche, le salaire de la nouvelle activité ayant été réduit par suite d’accident, il y avait lieu d’appliquer l’art. 24 al. 1 OLAA afin de prendre en considération le gain que l’assurée aurait réalisé sans cet événement, le gain assuré déterminant se fondant exclusivement sur le revenu dû auprès de la boulangerie B.__ et devant être annualisé selon l’art. 22 al. 4, deuxième phrase, OLAA. Au gain annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. x 13) il convenait d’ajouter les allocations familiales pour deux enfants, soit 9’600 fr. (400 fr. x 2 x 12), de sorte que le gain assuré s’élevait à 68’100 fr., ce qui justifiait de renvoyer la cause à l’assurance-accidents pour un nouveau calcul de la rente d’invalidité fondé sur ce montant.

Consid. 6 [résumé]
L’assurance-accidents conteste le montant retenu et soutient qu’il devrait être tenu compte, au titre du gain assuré, du revenu réalisé avant le chômage, en application de l’art. 24 al. 1 OLAA. Le raisonnement des juges cantonaux ne correspondrait ni à la volonté du législateur et du Conseil fédéral, ni à la jurisprudence, et procéderait d’une interprétation erronée de l’arrêt 8C_879/2008 du 5 février 2009 – cité par la doctrine (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 966 n. 188) – aux termes duquel, pour la période de chômage durant l’année précédant l’accident, il faudrait se baser sur le salaire réalisé avant le chômage et, dès la reprise du travail, sur le gain réalisé auprès du nouvel employeur, le fait qu’un assuré perçoive ensuite un salaire supérieur ou inférieur n’étant pas déterminant. La méthode cantonale placerait l’assurée dans une situation plus favorable que celle qui existerait sans la période de chômage et contreviendrait, sans motif valable, aux principes de l’équivalence (primes-prestations) et de l’égalité de traitement. Il conviendrait au contraire de scinder l’année précédant l’accident en deux périodes : la période de chômage (29.01.2018–24.10.2018, soit 269 jours), dont le gain assuré devrait être calculé sur la base du revenu de 1’881 fr. 75 réalisé avant le chômage, adapté à l’évolution des salaires 2018 (5’824 fr. 70), et la période auprès de la boulangerie B.__ pour les jours restants (15’226 fr.). En ajoutant les allocations familiales de 9’600 fr., le gain assuré total se chiffrerait à 30’650 fr. 70.

Consid. 7.1
Les critiques de l’assurance-accidents relatives à la détermination du gain assuré sont fondées. En effet, on ne peut suivre le point de vue de la cour cantonale selon lequel l’art. 24 al. 1 OLAA serait inapplicable lorsque la personne assurée perçoit dans sa nouvelle activité un revenu qui est supérieur à celui obtenu avant son chômage. Ce raisonnement traduit une interprétation erronée de la jurisprudence. Il ressort à cet égard du considérant 3b de l’arrêt U 108/92 rendu le 4 août 1993 par le Tribunal fédéral des assurances, partiellement publié dans RAMA 1994 n° U 179 p. 32, et qui a été confirmé par l’arrêt 8C_879/2008 du 5 février 2009, que le gain assuré ne peut être déterminé, après une période de chômage, uniquement sur la base du salaire perçu dans la nouvelle activité, en annualisant ce montant. On précisera encore, s’agissant particulièrement de l’arrêt 8C_879/2008, que le litige soumis au Tribunal fédéral portait sur le calcul du gain annuel assuré d’une personne qui, dans l’année précédant l’accident, avait repris une nouvelle activité lucrative après une période de chômage, dans un poste dans lequel elle percevait un revenu inférieur à celui qu’elle avait obtenu pour l’activité exercée avant le chômage. Le salaire effectivement perçu dans la nouvelle activité était déterminant pour le calcul du gain assuré à partir du début des relations de travail correspondantes. En effet, le salaire n’était plus diminué en raison du chômage. En revanche, pour la période antérieure à l’exercice de cette activité, le gain assuré devait être déterminé en fonction du revenu réalisé avant le chômage. En vertu de l’art. 24 al. 1 OLAA, ce gain était également valable pour la période de chômage qui a suivi (consid. 3.2; cf. également FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 964 n. 186).

Consid. 7.2
Il convient encore de rectifier d’office les constatations de la cour cantonale quant au fait que l’assurée n’a perçu ni indemnité ni revenu entre juin et septembre 2018 qui sont manifestement erronées. Il ressort des décomptes de prestations figurant au dossier qu’entre avril 2017 et mai 2018, l’assurée a bénéficié d’indemnités journalières de l’assurance-chômage puis, jusqu’en octobre 2018, d’indemnités versées par le Service des prestations cantonales en cas de maladie (PCM) de l’Office cantonal genevois de l’emploi (OCE) (pour les prestations cantonales en cas d’incapacité passagère, totale ou partielle, de travail: cf. art. 8 ss de la loi cantonale genevoise en matière de chômage du 11 novembre 1983 [LMC]; RS/GE J 2 20). Dès lors que les prestations cantonales en cas de maladie couvrent l’une des éventualités énumérées à l’art. 24 al. 1 OLAA – qui définit de manière exhaustive les pertes de salaire temporaires à prendre en compte pour déterminer le gain assuré déterminant -, cette disposition s’applique pour cette période.

Consid. 7.3
Ainsi, durant l’année qui a précédé l’accident, entre le 29.01.2018 et le 28.01.2019, l’assurée a perçu des indemnités de chômage puis des indemnités pour perte de gain maladie, avant de reprendre un emploi à plein temps auprès de la boulangerie B.__. Au vu de la jurisprudence exposée au considérant 7.1, pour déterminer le gain assuré, il convient donc de diviser cette année en plusieurs périodes.

Consid. 7.3.1
Au cours d’une première période, à savoir entre le 29.01.2018 et mai 2018, le salaire a été réduit en raison du chômage. Il se justifie de se fonder sur le revenu que l’assurée réalisait avant son chômage, soit le montant de 1’881 fr. 75 perçu entre janvier et mars 2017, conformément aux fiches de salaires transmises par l’ancien employeur. Ce montant s’applique non seulement à la période de chômage, mais également à la période de maladie qui a suivi, en vertu de l’art. 24 al. 1 OLAA. Pris en considération pour 269 jours (du 29.01.2018 au 24.10.2018) et adapté selon l’indexation des salaires nominaux en 2018 (+0.5%; tableau T1.2.15, ligne total), on obtient un gain assuré de 5’575 fr. 05 ([1’881 fr. 75 + 0.5% / 3 x 12] / 365 x 269).

Consid. 7.3.2
Pour la période du 25.10.2018 au 28.01.2019 (soit 96 jours), le revenu annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. x 13) auprès de la boulangerie B.__ est à prendre en compte. Non contesté par les parties, il est fait application de l’art. 24 al. 1 OLAA pour cette période, lors de laquelle l’assurée a également perçu pour un temps des indemnités en raison d’un (autre) accident. Le gain assuré équivaut ainsi à 15’386 fr. 30 (58’500 fr. / 365 x 96).

Consid. 7.3.3
En tenant compte des allocations familiales de 9’600 fr. (cf. art. 22 al. 2 let. b OLAA) – reconnues par l’assurance-accidents -, le gain annuel assuré de l’assurée doit être fixé à 30’561 fr. 35 (5’575 fr. 05 + 15’386 fr. 30 + 9’600 fr.).

Consid. 7.4
L’assurance-accidents a conclu a un gain annuel assuré (supérieur) de 30’650 fr. 70. Il y a lieu de confirmer ce montant. En effet, le Tribunal fédéral, qui est lié par les conclusions que les parties prennent devant lui, ne peut allouer davantage ou autre chose que demandé, ni moins que ce qu’une partie a reconnu devoir (GRÉGORY BOVET, Commentaire de la LTF, 3 e éd., n° 7 ad art. 107). Il ne se justifie pas de sortir du cadre délimité par les conclusions de l’assurance-accidents.

Consid. 7.5
En conclusion, le recours se révèle bien fondé et l’arrêt attaqué doit être réformé en ce sens que le montant du gain annuel assuré servant de base de calcul à la rente d’invalidité de 22% est fixé à 30’650 fr. 70.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_55/2025 consultable ici

 

 

8C_168/2025 (f) du 05.06.2025 – Droit aux indemnités de chômage – Libération des conditions relatives à la période de cotisation (divorce) / Notion de domicile au sens de l’art. 8 LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_168/2025 (f) du 05.06.2025

 

Consultable ici

 

Droit aux indemnités de chômage – Libération des conditions relatives à la période de cotisation (divorce) / 14 LACI

Notion de domicile au sens de l’art. 8 LACI

Lien de causalité entre le motif invoqué et la nécessité d’exercer une activité salariée ou de l’étendre ainsi que l’absence de durée minimale de cotisation

 

Résumé
L’assurée, de nationalité canadienne, a quitté la Suisse le 27.01.2020 et a exercé depuis une activité indépendante à l’étranger. Revenue s’établir en Suisse le 09.01.2024, elle s’est inscrite au chômage le 29.05.2024. La caisse de chômage a refusé l’indemnité faute de période de cotisation. Invoquant la libération liée à son divorce (convention déposée en juin 2023 ; transcription en septembre 2023), elle a soutenu avoir conservé sa résidence en Suisse. Il a été retenu qu’elle n’était pas domiciliée en Suisse lors du divorce et qu’elle s’était volontairement consacrée à une activité indépendante, de sorte qu’aucun lien de causalité n’existait entre le divorce et l’absence de cotisations. L’exigence de domicile et les conditions de libération de la période de cotisation n’étant pas remplies, le droit à l’indemnité de chômage a été refusé.

 

Faits
L’assurée et son époux, tous deux de nationalité canadienne, ont fondé en 2010 une société anonyme, avec siège dans le canton de Genève (radiée en 2021). Ils ont quitté la Suisse le 27.01.2020, ont voyagé dans divers pays, tout en conservant un permis C jusqu’au 26.01.2024. Ils ont fondé la société D.__ LLC, dont le siège était à Miami (USA) de 2020 à 2023, puis à E.__ (Panama) dès 2024.

Le 19.06.2023, les époux ont déposé une convention de divorce auprès d’un notaire parisien ; le divorce a été transcrit sur les registres de l’état civil français le 26.09.2023.

L’assurée s’est établie en Suisse le 09.01.2024 et s’est inscrite à l’ORP le 29.05.2024. Par décision du 27.06.2024, confirmée le 12.07.2024, la caisse cantonale a nié le droit à l’indemnité, faute de période de cotisation (activité indépendante à l’étranger depuis 2020; absence des 12 mois d’activité salariée dans un État tiers et des 6 mois en Suisse).

Le 2 août 2024, l’assurée a invoqué la libération en lien avec le divorce et estimait avoir conservé sa résidence en Suisse. Par décision du 20.08.2024, confirmée le 18.09.2024, la caisse de chômage a relevé qu’elle n’avait pas mentionné son divorce dans sa demande initiale et avait reconnu, dans un courriel du 19.06.2024, qu’elle ne résidait pas en Suisse au moment du divorce. En toute hypothèse, ce n’était pas en raison de son mariage qu’elle n’avait pas pu exercer une activité salariée jusqu’à son divorce, mais parce qu’elle avait choisi de déployer une activité indépendante à plein temps aux côtés de son mari, ce qui ne constituait pas un motif de libération de la période de cotisation. En conséquence, le droit à l’indemnité de chômage lui était refusé.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 26.02.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 14 al. 2 LACI, sont libérées des conditions relatives à la période de cotisation les personnes qui, par suite de séparation de corps ou de divorce, d’invalidité (art. 8 LPGA) ou de mort de leur conjoint ou pour des raisons semblables ou pour cause de suppression de leur rente d’invalidité, sont contraintes d’exercer une activité salariée ou de l’étendre; cette disposition n’est applicable que si l’événement en question ne remonte pas à plus d’une année et si la personne concernée était domiciliée en Suisse au moment où il s’est produit. Selon la jurisprudence, une libération des conditions relatives à la période de cotisation n’est possible que s’il existe un lien de causalité entre le motif invoqué et la nécessité de prendre ou d’augmenter une activité lucrative (ATF 138 V 434 consid. 9.4; 131 V 279 consid. 2.4).

Consid. 3.3
Seuls peuvent bénéficier d’une libération les personnes qui étaient domiciliées en Suisse (au sens de l’art. 8 al. 1 let. c LACI) lors de la survenance du motif de libération invoqué (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 37 ad art. 14). La notion de domicile, fondée sur le principe de l’interdiction d’exportation des prestations en droit de l’assurance-chômage (THOMAS NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in: Soziale Sicherheit, SBVR Vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 2319 n° 180), s’entend comme le lieu de résidence habituelle d’une personne.

Selon l’art. 8 al. 1 let. c LACI, le droit à l’indemnité de chômage suppose la résidence effective en Suisse, ainsi que l’intention de conserver cette résidence pendant un certain temps et d’en faire, durant cette période, le centre de ses relations personnelles (ATF 148 V 209 consid. 4.3; 125 V 465 consid. 2a; 115 V 448 consid. 1). Cette condition implique la présence physique de l’assuré en Suisse (dans le sens d’un séjour habituel), ainsi que l’intention de s’y établir et d’y créer son centre de vie. Sont déterminants les critères objectifs, tels que le lieu du logement et celui des activités professionnelles, alors que les critères subjectifs, tels que l’intention de s’établir et de créer un centre de vie, passent au second plan car ils sont difficiles à vérifier (BORIS RUBIN, op. cit., n° 8 ss ad art. 8). Il ne suffit pas, pour reconnaître la résidence habituelle, que le lien avec la Suisse se limite au retour régulier dans le but de satisfaire aux prescriptions de contrôle (ATF 148 V 209 consid. 4.3).

On ajoutera que selon une pratique constante, le juge est fondé à retenir les premières déclarations, qui correspondent généralement à celles que la personne a faites alors qu’elle n’était peut-être pas encore consciente des conséquences juridiques qu’elles auraient, les nouvelles explications pouvant être, consciemment ou non, le produit de réflexions ultérieures (ATF 142 V 590 consid. 5.2 et l’arrêt cité).

Consid. 5.1 [résumé]
L’assurée fait remarquer que sa demande du 29.05.2024 a été déposée sans mention du divorce faute d’attestation de domicile en Suisse et de présence physique au moment des faits; elle reproche aux juges de n’avoir pas pris en compte ses écritures où elle détaille, pour établir son domicile suisse, ses liens professionnels (activité indépendante fév. 2020–sept. 2023 avec d’anciens clients de C.__ SA), son intention de revenir (dépôt temporaire du permis C, stockage des principales affaires en vue du retour), le centre de relations personnelles (amitiés profondes et durables en Suisse), la nature du travail (télétravail), le but de l’absence (création de l’entreprise, voyage et travail) et l’absence de centre d’intérêts dans un autre pays. Elle soutient que ni sa liste de déplacements ni son passeport ne la placent en France lors du divorce, prononcé sans qu’elle ne réside en France ni qu’elle ne s’y rende. Elle soutient avoir œuvré dans la société de son ex-conjoint (art. 163 al. 2 CC), que le divorce a mis fin à son activité indépendante et a rendu nécessaire un emploi salarié (causalité), ses recherches en Suisse ayant commencé dès novembre 2023. Elle nie avoir voulu relancer une activité indépendante avec son ex-époux après le divorce, affirmant avoir seulement terminé les contrats en cours jusqu’en septembre 2023 (paiements en décembre 2023).

Consid. 5.2
Le point de vue de l’assurée relatif au lien de causalité ne peut être suivi. Selon la jurisprudence, une libération des conditions relatives à la période de cotisation n’est possible que s’il existe un lien de causalité non seulement entre le motif invoqué (en l’occurrence le divorce) et la nécessité d’exercer une activité salariée ou de l’étendre, mais aussi entre ce motif et l’absence de durée minimale de cotisation (ATF 138 V 434 consid. 9.4; 131 V 279 consid. 2.4). S’il peut certes être considéré que la décision de l’assurée d’exercer une activité salariée était motivée par le divorce, on ne saurait toutefois voir un lien entre la situation prévalant avant son divorce et l’absence de cotisation minimale. En effet, l’assurée n’a pas exercé une activité salariée soumise à cotisation, mais a exercé une activité indépendante avec son ex-conjoint, qu’elle a encore poursuivie ensuite de son divorce, terminant des projets en cours jusqu’en septembre 2023. Or la personne qui exerçait une activité lucrative indépendante à plein temps avant le divorce ou la séparation ne peut être libérée des conditions relatives à la période de cotisation. En pareille situation, ce n’est pas le mariage qui l’a empêchée d’exercer une activité salariée générant des périodes de cotisation (ATF 125 V 123 consid. 2c; BORIS RUBIN, op. cit., n° 35 ad art. 14). Partant, les juges cantonaux ont considéré, à juste titre, que le motif tiré du divorce ne permettait pas à l’assurée d’être libérée des conditions relatives à la période de cotisation.

Consid. 5.3
On ajoutera, par surabondance, que l’argumentation de l’assurée n’est pas susceptible de démontrer son domicile en Suisse au sens de l’art. 14 al. 2 LACI. Il est admis que l’assurée n’était pas en Suisse au moment de son divorce (juin 2023 et/ou septembre 2023) ni lorsqu’elle a commencé à rechercher un emploi salarié dès novembre 2023 d’après ses allégations. Selon la liste de ses déplacements, elle se trouvait au Panama en juin 2023 (cela ressort également de la convention de divorce: « demeurant à F.__ [Panama]) « , avant de séjourner en Espagne dès août 2023, et cela jusqu’à son arrivée en Suisse le 09.01.2024. Les circonstances qu’elle invoque ne permettent pas d’établir une résidence en Suisse durant cette période. Le fait que ses séjours dans les différents pays ont été de durée limitée, sans lui permettre de tisser de véritables liens, ou que son permis C a été déposé temporairement dans le but de revenir en Suisse, n’y change rien. Quant au maintien des relations professionnelles avec la plupart des clients de C.__ SA ou à ses « amitiés profondes et durables […] restées en Suisse », sans autre précision, on soulignera que les liens professionnels et personnels ne sauraient, à eux seuls, être décisifs. On relèvera que l’assurée a quitté la Suisse à la fin du mois de janvier 2020 et que sur une période de près de quatre ans, elle n’a passé, selon sa liste, que 84 jours au total sur le territoire suisse (du 19 au 30 août 2022 et du 10 septembre au 20 novembre 2022). Les juges cantonaux n’ont pas méconnu les circonstances relevées par l’assurée. À juste titre, ils ont constaté l’absence de résidence habituelle en Suisse avant janvier 2024 au plus tôt et ont considéré que l’exigence du domicile en Suisse au moment du divorce – au sens de l’art. 14 al. 2 LACI – n’était pas satisfaite. L’assurée ne pouvait ainsi être libérée des conditions relatives à la période de cotisation, ce qui entraînait le refus de son droit à l’indemnité de chômage (art. 8 al. 1 let. e LACI).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_168/2025 consultable ici

 

 

8C_593/2024 (f) du 28.05.2025, destiné à la publication – Restitution par la succession après le décès du bénéficiaire des prestations complémentaires légalement perçues – Dies a quo du délai de péremption de l’art. 16b LPC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_593/2024 (f) du 28.05.2025, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Restitution par la succession après le décès du bénéficiaire des prestations complémentaires légalement perçues / 16a LPC – 16b LPC – 27 OPC-AVS/AI – 27a OPC-AVS/AI

Dies a quo du délai de péremption de l’art. 16b LPC

Interprétation de l’art. 16b LPC

 

Résumé
Le SPC a réclamé à la succession le remboursement de prestations complémentaires légalement perçues par leurs parents, décédés et mars et avril 2022. Le Tribunal fédéral a retenu que le délai de péremption d’un an court non pas dès la connaissance du décès, mais dès que l’autorité dispose des éléments essentiels pour fonder sa créance (notamment la fortune nette au décès). En l’espèce, cette connaissance est intervenue au plus tôt avec la déclaration fiscale du 04.07.2022, de sorte que la décision de restitution du 19.05.2023 est intervenue dans le délai.

 

Faits
D.__, née en 1947, et l’assuré, né en 1937, résidaient dans un établissement médico-social et bénéficiaient de prestations complémentaires fédérales et cantonales. À la suite du décès de D.__ le 22.03.2022, le service des prestations complémentaires a recalculé le droit aux prestations de l’assuré dès le 01.02.2022 en tenant compte d’une « épargne partagée » de 119’352 fr. 50 ressortant de relevés bancaires reçus le 16.02.2022 ; l’administration a également recalculé le droit dès le 01.04.2022 en prenant en considération une rente AVS diminuée à la suite du décès de D.__ (décision du 28.03.2022).

Le 28.04.2022, le service des prestations complémentaires a reçu une copie de l’extrait de l’acte de décès de l’assuré, survenu le 26.04.2022. Les époux laissent pour héritiers leurs deux enfants, B.A.__ et C.A.__. L’administration a constaté que le droit aux prestations complémentaires de l’assuré s’était interrompu au jour du décès, le 26.04.2022, et que les prestations versées pour la période du 27.04.2022 au 30.04.2022 (977 fr.) devaient être remboursées par la succession.

Le 04.07.2022, le service des prestations complémentaires a reçu une copie de la déclaration fiscale 2022 de feu l’assuré, mentionnant une fortune brute mobilière de 127’576 fr.

Par décision du 19.05.2023, le service des prestations complémentaires a réclamé à B.A.__ la restitution de 86’457 fr. 15, dont les héritiers de feu l’assuré étaient codébiteurs ; la fortune nette connue au moment du décès s’élevait à 127’576 fr. et la restitution n’était exigible que pour la part de la succession supérieure à 40’000 fr.

Le 14.06.2023, les héritiers B.A.__ et C.A.__ ont formé opposition, contestant le montant de la fortune retenu et reprochant au service de ne pas les avoir informés plus tôt de l’obligation de rembourser. Par décision sur opposition du 08.12.2023, le service des prestations complémentaires a partiellement admis l’opposition et a ramené le montant à restituer à 38’820 fr., au vu des justificatifs produits par les héritiers et de la prise en compte de la franchise de 40’000 fr.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/670/2024 – consultable ici)

Par jugement du 03.09.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
En droit des assurances sociales, à la différence du régime de l’aide sociale, les prestations ne sont sujettes à restitution que lorsqu’elles ont été perçues à tort. Or la dernière réforme des prestations complémentaires entrée en vigueur au 01.01.2021 (modification de la LPC du 22 mars 2019, RO 2020 585, FF 2016 7249 ; modification de l’OPC-AVS/AI du 29 janvier 2020, RO 2020 599) a marqué une rupture significative avec ce principe, en introduisant une obligation de restitution applicable même aux prestations perçues légalement (ERWIN CARIGIET/UWE KOCH, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, 3e éd. 2021, n° 383 p. 148 s.). L’obligation de remboursement des prestations complémentaires ne vise cependant ni la personne bénéficiaire ni son conjoint, mais exclusivement ses héritiers. Par ailleurs, une franchise de 40’000 fr. est prévue, de sorte qu’une partie de la succession reste acquise aux héritiers, malgré l’obligation de restitution. Cette obligation de restitution à la charge de la succession est désormais ancrée aux art. 16a et 16b LPC.

Consid. 4.2
Aux termes de l’art. 16a LPC, les prestations légalement perçues en vertu de l’art. 3 al. 1 LPC – à savoir la prestation complémentaire annuelle et le remboursement des frais de maladie et d’invalidité – doivent être restituées à la charge de la succession après le décès du bénéficiaire. La restitution est seulement exigible pour la part de la succession supérieure à 40’000 francs (al. 1). Pour les couples, l’obligation de restituer prend naissance au décès du conjoint survivant, sous réserve des conditions de restitution prévues à l’al. 1 (al. 2).

D’après l’art. 16b LPC, le droit de demander la restitution s’éteint un an après le moment où l’organe visé à l’art. 21, al. 2 LPC (dans le canton de Genève : le SPC) a eu connaissance du fait, mais au plus tard dix ans après le versement de la prestation.

Selon les dispositions transitoires de la modification du 22 mars 2019 (Réforme des PC), les art. 16a et 16b LPC ne s’appliquent qu’aux prestations complémentaires versées après l’entrée en vigueur de cette modification (al. 2). Aucune restitution n’est par conséquent due sur les prestations perçues avant le 1er janvier 2021.

Consid. 4.3
Aux termes de l’art. 27a al. 1 OPC-AVS/AI, pour le calcul de la restitution des prestations légalement perçues, la succession doit être évaluée selon les règles de la législation sur l’impôt cantonal direct du canton du domicile qui concernent l’évaluation de la fortune. La fortune au jour du décès est déterminante. Dans la mesure où l’art. 27a al. 1 OPC-AVS/AI prévoit que la « succession » déterminante pour la restitution des prestations doit être évaluée au jour du décès et selon les règles de la législation sur l’impôt cantonal direct sur la fortune, il en découle implicitement que le terme « succession » de l’art. 16a al. 1, 2e phrase LPC ne vise que le patrimoine net du de cujus à son décès, soit les actifs transmissibles de celui-ci après déduction de ses dettes transmissibles (arrêt 8C_669/2023 du 1er avril 2025 consid. 7, destiné à la publication). En tant qu’elle est due « après le décès du bénéficiaire », la restitution des prestations légalement perçues, prévue à l’art. 16a al. 1 LPC, fait partie des dettes de la succession. En d’autres termes, la restitution des prestations légalement perçues n’est due que si le patrimoine net du de cujus à son décès (actifs transmissibles, moins les dettes transmissibles, à l’exclusion des rapports, des réunions et des dettes de la succession) est supérieur à 40’000 fr. (PAUL-HENRI STEINAUER, Les nouveaux articles 16a et 16b de la loi fédérale sur les prestations complémentaires, in: Journée de droit successoral 2021, p. 207 ss, n° 23, n° 34 ss).

Au décès de la personne bénéficiant de prestations complémentaires, ses héritiers doivent restituer lesdites prestations complémentaires perçues du vivant du bénéficiaire. Cette restitution est obligatoire si la succession – qu’il faut comprendre comme étant la masse successorale nette du bénéficiaire – dépasse 40’000 fr. Afin de garantir que la restitution soit exécutée, il est nécessaire que l’autorité compétente déterminée selon le droit cantonal prenne une décision qui l’ordonne (art. 27 al. 1 OPC-AVS/AI). Après l’entrée en force de la décision, les héritiers doivent procéder au remboursement de cette dette successorale du de cujus dans un délai de trois mois (STÉPHANIE MONOD, La substitution fidéicommissaire pour le surplus, analyse de droit suisse, 2024, p. 478).

Les directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI éditées par l’OFAS (DPC, état au 1er janvier 2022) précisent notamment que l’élément déterminant pour le montant de la restitution est la succession nette (succession brute moins les dettes) au moment du décès du bénéficiaire de PC et, dans le cas des couples mariés, au moment du décès du deuxième conjoint. Les frais survenus après le décès du bénéficiaire de PC (par exemple les frais découlant du décès) ne sont pas pris en compte (DPC n° 4720.03). Les demandes pendantes de restitution de PC doivent être mises au passif de la succession (DPC n° 4720.04). Pour calculer le montant de la masse successorale, il peut être fait recours à un inventaire dressé par l’autorité compétente (inventaire successoral, inventaire dressé à titre de mesure conservatoire, inventaire dressé dans le cadre du bénéfice d’inventaire, inventaire fiscal ordinaire, etc.) ou à la déclaration ou taxation fiscale intermédiaire si aucun inventaire n’est dressé. En l’absence de documents probants, il faut se baser sur la fortune prise en compte pour le dernier calcul PC (DPC n° 4720.09).

Consid. 5.3 [résumé ; détermination de l’OFAS sur le recours]
L’OFAS soutient que le point de départ du délai de péremption d’une année de l’art. 16b LPC est le moment où l’organe d’exécution des prestations complémentaires a connaissance du décès du bénéficiaire – ou de son conjoint –, cette connaissance s’entendant au sens large et résultant en général de l’annonce du registre d’état civil (DPC n° 4710.01). Le délai court même si les héritiers ne sont pas connus, ceux-ci étant solidairement responsables des dettes successorales (art. 603 CC), de sorte que la notification à un seul héritier connu suffit au regard de l’art. 16b LPC. Il serait par ailleurs impraticable de faire dépendre le dies a quo de la connaissance du montant exact de la succession ou de l’identité de tous les héritiers, les successions étant souvent complexes, parfois assorties de recherches d’héritiers et de procédures civiles pouvant durer plusieurs années ; les inventaires civils ou le bénéfice d’inventaire ne sont pas systématiques et les inventaires fiscaux ne sont en principe pas plus précis, les organes PC disposant déjà des données fiscales annuelles du vivant du bénéficiaire pour le calcul du droit.

Dans un ultime argument, l’OFAS retient que les autorités doivent coopérer et s’entraider, tant au niveau fédéral que cantonal, conformément au principe de l’art. 32 LPGA qui est également repris dans la réglementation cantonale (en l’espèce, l’art. 39 LPCC; RS/GE J 4 25). Les cantons légifèrent pour le surplus. Par exemple, si aucun héritier n’est connu ou qu’il est introuvable, l’organe d’exécution des prestations complémentaires doit pouvoir s’adresser à l’autorité successorale compétente dans son canton et l’informer qu’il dispose d’une créance à l’encontre des héritiers du bénéficiaire des prestations complémentaires décédé. L’autorité successorale est alors tenue d’informer l’organe d’exécution des prestations complémentaires dès qu’elle a connaissance de l’un des héritiers ou de tout autre représentant officiel de la succession (p. ex. un exécuteur testamentaire).

Consid. 6.1 [résumé]
La loi s’interprète d’abord selon sa lettre. Si le texte prête à plusieurs sens ou paraît diverger de la volonté du législateur, l’interprétation se fonde sur les travaux préparatoires (historique), sur le but, l’esprit et les valeurs protégées (téléologique), ainsi que sur les liens avec d’autres dispositions (systématique). Lorsqu’il est appelé à interpréter une loi, le Tribunal fédéral adopte une approche pragmatique combinant ces méthodes sans ordre de priorité (ATF 150 V 12 consid. 4.1; 149 III 242 consid. 5.1).

Consid. 6.2
Comme le mentionne explicitement la note marginale de l’art. 16b LPC, cette disposition prévoit des délais (relatif ou absolu) de péremption. Ces délais ne peuvent pas être interrompus. Le délai de péremption est sauvegardé une fois pour toutes lorsque l’organe visé à l’art. 21 al. 2 LPC – à savoir l’organe chargé de recevoir et d’examiner les demandes, de fixer et de verser les prestations – a accompli l’acte conservatoire que prescrit la loi. Est donc déterminant pour la sauvegarde du délai de péremption, le moment où le SPC a rendu sa décision de restitution (ATF 138 V 74 consid. 5.2 i.f; 119 V 431 consid. 3c; ULRICH MEYER, Die Rückerstattung von Sozialversicherungsleistungen, in: Ausgewählte Schriften, Thomas Gächter [éd.], 2013, p. 147).

Consid. 6.2.1
S’agissant du point de départ (dies a quo) de ce délai de péremption d’un an, l’art. 16b LPC précise que c’est le « moment où l’organe visé à l’art. 21, al. 2, a eu connaissance du fait ». Si la version française n’est pas indiscutablement claire, puisque la notion de « fait » peut prêter à discussion en l’absence de toute précision ou renvoi expresse, tel n’est pas le cas des versions allemande (« Der Rückforderungsanspruch erlischt nach Ablauf eines Jahres, nachdem die Stelle nach Artikel 21 Absatz 2 davon Kenntnis erhalten hat […] ») et italienne (« Il diritto di chiedere la restituzione decade un anno dopo che l’organo di cui all’articolo 21 capverso 2 ne ha avuto conoscenza […] »). En effet, les termes « davon » et « ne » font indéniablement référence à ce qui a été mentionné précédemment, soit le « droit de demander la restitution ».

L’interprétation littérale de l’art. 16b LPC permet ainsi de conclure que le droit au remboursement s’éteint à l’expiration du délai d’une année après que l’organe compétent « en a eu connaissance », à savoir a eu connaissance du droit à la restitution, mais au plus tard dix ans après le versement de la prestation.

Consid. 6.2.2 [résumé]
Les travaux préparatoires ne livrent aucun enseignement : l’introduction des art. 16a et 16b LPC relève du Parlement, le Message ne traite pas de la restitution des prestations légalement perçues, et les débats ont porté uniquement sur la franchise (ramenée de 50’000 fr. à 40’000 fr.) (cf. arrêt 8C_669/2023 précité consid. 7.1.1, destiné à la publication).

Consid. 6.2.3
Les prestations complémentaires ont pour objectif d’assurer que la qualité de vie des personnes dans le besoin reste garantie de leur vivant. En revanche, elles n’ont pas pour objectif de maintenir la masse successorale des héritiers, au détriment des collectivités publiques qui financent ces prestations. Le droit de demander la restitution des prestations complémentaires légalement perçues présuppose donc le décès du bénéficiaire des prestations, mais également l’évaluation de son patrimoine net, sur la base d’un inventaire ou de documents fiscaux. Ce n’est qu’en l’absence de tels documents probants qu’il est possible de se fonder sur la fortune prise en compte pour le dernier calcul des prestations complémentaires, puisque l’étendue des avoirs doit être déterminée au moment du décès du bénéficiaire seulement.

Consid. 6.2.4

Selon l’art. 1 al. 1 LPC, la LPGA s’applique aux prestations complémentaires, à moins que la présente loi ne déroge expressément à la LPGA. Tel est le cas des art. 16a et 16b LPC qui prévoient une dérogation au principe selon lequel les prestations ne sont sujettes à restitution que lorsqu’elles ont été perçues à tort. Toutefois, le législateur s’est largement inspiré de l’art. 25 al. 2 LPGA lorsqu’il a adopté l’art. 16b LPC puisque ces deux articles sont quasi-identiques dans leur formulation, à la seule différence que le délai de péremption initialement d’un an de l’art. 25 al. 2 LPGA a été porté à trois ans lors de la révision de la LPGA du 21 juin 2019, laquelle est également entrée en vigueur le 1er janvier 2021.

Conformément à la jurisprudence de longue date initiée avec l’ATF 110 V 304, le délai de péremption relatif de trois ans de l’art. 25 al. 2 LPGA commence à courir dès le moment où l’institution d’assurance aurait dû connaître les faits fondant l’obligation de restituer, en faisant preuve de l’attention que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elle. Le moment de la connaissance effective n’est donc pas déterminant pour le début du délai. L’institution d’assurance doit disposer de tous les éléments qui sont décisifs dans le cas concret et dont la connaissance fonde la créance en restitution, à l’encontre de la personne tenue à restitution, quant à son principe et à son étendue (ATF 150 V 305 consid. 6.2; 148 V 217 consid. 5.1.1; 146 V 217 consid. 2.1; cf. également SYLVIE PÉTREMAND, in: Commentaire romand de la LPGA, 2018, n° 89 s. ad art. 25 LPGA; MARCO REICHMUTH, in: Kommentar zum Bundesgesetz über den Allgemeinen Teil des Sozialversicherungsrechts ATSG, 5e éd. 2024, n° 82 ad art. 25 LPGA). La jurisprudence rendue à cet égard sur l’art. 25 al. 2 LPGA s’applique également en matière de prévoyance professionnelle (cf. art. 35a LPP; ATF 150 V 89 consid. 3.3.1).

Si l’institution d’assurance dispose d’indices laissant supposer l’existence d’une créance en restitution, mais que les éléments disponibles ne suffisent pas à en établir le bien-fondé, par exemple quant à son étendue ou à d’autres aspects pertinents, elle doit procéder dans un délai raisonnable aux investigations nécessaires. À défaut, le point de départ du délai de péremption doit être fixé au moment où l’institution d’assurance aurait dû avoir connaissance de toutes les circonstances essentielles à la détermination du montant à restituer en faisant preuve de la diligence requise (ATF 146 V 217 consid. 2.2; 139 V 570 consid. 3.1). Dans le cas d’un bien immobilier non déclaré par exemple, le délai de péremption ne commence donc pas à courir dès que l’existence du bien est connue, mais seulement lorsque sa valeur et, partant, le montant de la restitution peuvent être déterminés (CARIGIET/KOCH, op. cit., n° 356 p. 138). Les circonstances particulières de chaque cas sont toujours déterminantes pour savoir à quel moment l’institution d’assurance doit avoir connaissance de l’existence et de l’étendue du droit à restitution (ATF 150 V 305 précité consid. 7.1 et les références).

Ces principes ont été développés par la jurisprudence à propos de l’art. 25 al. 2 LPGA et de l’art. 35a LPP. Il n’y a pas de motif de s’en écarter dans le contexte de l’art. 16b LPC au vu des similitudes entre ces dispositions. Il s’ensuit que le délai de péremption d’une année de l’art. 16b LPC ne peut pas courir avant que le SPC ait eu connaissance non seulement du décès de la personne bénéficiaire mais aussi des éléments de fait essentiels fondant son droit à la restitution en application de l’art. 16a LPC.

S’agissant de l’argument de l’OFAS selon lequel il serait peu praticable de se référer au moment de la connaissance du montant exact de la succession ou de l’identité de tous les héritiers pour faire courir le délai d’un an, notamment au vu du fait que les successions se complexifient et que la durée de la liquidation prend du temps, parfois de nombreuses années, on y opposera que le délai de péremption relatif d’un an est court et vise à forcer l’autorité à agir vite dès qu’elle a connaissance des éléments nécessaires fondant sa créance en restitution. En tout état de cause, le délai absolu de dix ans permet d’éviter qu’en cas de successions qui s’éternisent, le recouvrement des prestations complémentaires se fasse plus de dix ans après leur versement.

Consid. 7.1
En l’espèce, selon les constatations de la juridiction cantonale qui lient le Tribunal fédéral, le SPC a reçu la déclaration de décès du père des recourants le 28.04.2022. La naissance de la créance en restitution correspond à la date du décès.

Toutefois, lorsqu’il a été informé de la déclaration de décès, le SPC ne disposait pas encore de toutes les informations nécessaires pour déterminer le montant de la restitution à l’égard de la masse successorale. En particulier, il a été constaté que la fortune prise en compte dans la décision du SPC du 28 mars 2022 était de 119’352 fr. 50, correspondant à une « épargne partagée » basée sur des relevés bancaires reçus par le SPC le 16 février 2022. Bien que le montant de l’épargne partagée excède les 40’000 fr., le SPC ne pouvait pas se fonder sur ce montant pour exiger le remboursement des prestations légalement versées aux époux décédés car cette épargne partagée ne représentait pas la fortune du mari défunt au jour de son décès. Or cette fortune est déterminante pour le calcul de la restitution des prestations légalement perçues selon l’art. 27a al. 1 OPC-AVS/AI.

En l’occurrence, le fils du défunt a établi le 04.07.2022 la déclaration fiscale de feu son père pour la période du 01.01.2022 au 26.04.2022. C’est donc à cette date que le SPC a pu avoir connaissance, au plus tôt, de tous les éléments fondant sa créance en restitution, quant à son principe et à son montant, à l’encontre de la masse successorale. La décision du 19 mai 2023 respecte donc le délai de péremption d’une année.

Consid. 7.2
Il convient également d’écarter l’argument des recourants selon lequel le SPC n’aurait finalement pas tenu compte de la déclaration fiscale dans sa décision sur opposition, concluant qu’il était insoutenable de retenir que la réception de la déclaration fiscale était nécessaire au calcul de son droit à la restitution des prestations. Contrairement à ce qu’ils prétendent, dans sa décision de restitution du 19.05.2023, le SPC s’est basé sur la déclaration fiscale 2022 du défunt pour retenir un montant de fortune nette au moment de son décès de 127’576 fr., duquel il a déduit la somme de 977 fr. correspondant aux prestations complémentaires effectivement versées à ce dernier après son décès, ainsi que la franchise de 40’000 fr., ce qui donnait un montant maximal de restitution de 86’599 fr. Il a ensuite récapitulé tous les montants légalement perçus par les époux décédés depuis le 01.01.2021 jusqu’au décès du mari, à savoir un montant total de PC de 83’311 fr., ainsi que le montant total des frais de maladie et d’invalidité remboursés, à savoir 3’146 fr. 15.

Le fait que le SPC ait réduit sa créance en restitution dans sa décision sur opposition et que la fortune prise en compte ne corresponde plus à celle ressortant de la déclaration fiscale 2022 n’a aucune influence sur le début du délai de péremption d’un an prévu par l’art. 16b LPC. En effet, le SPC a corrigé les montants de fortune pris en compte pour calculer sa créance en restitution en se fondant sur de nouveaux éléments fournis par les héritiers du défunt dans leur opposition, soit plus d’une année après le décès de leur père. D’une part, ces derniers avaient droit, après le décès de leur mère, à une part d’héritage qui n’avait pas encore été répartie entre eux et leur père au moment du décès de ce dernier; elle n’avait par conséquent pas encore été soustraite de la masse successorale déterminante pour le calcul de la créance en restitution.

D’autre part, ils ont fait valoir d’autres frais d’EMS et d’assurance-maladie devant être portés en déduction de la fortune de leurs parents, lesquels avaient par conséquent également une influence sur le montant de la fortune nette de leur père au moment de son décès. Comme le montre l’argumentation des recourants dans leur opposition, certains éléments de fait déterminants pour exiger la restitution de prestations ne peuvent être portés à la connaissance du SPC qu’après le décès du bénéficiaire des prestations complémentaires.

 

Le TF rejette le recours des deux héritiers.

 

Arrêt 8C_593/2024 consultable ici

 

 

8C_419/2024 (f) du 26.05.2025 – Rente d’invalidité – Rechute – Capacité de travail exigible – Effets secondaires habituels et notoirement connus de la forte médication antalgique prescrite à l’assurée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_419/2024 (f) du 26.05.2025

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Rechute / 16 LPGA – 11 OLAA

Capacité de travail exigible – Effets secondaires habituels et notoirement connus de la forte médication antalgique prescrite à l’assurée

Valeur probante de l’expertise médicale judiciaire – Frais d’expertise judiciaire à charge de l’assurance-accidents

 

Résumé
À la suite d’un accident survenu en 1988 et de multiples interventions à la hanche gauche, l’état de santé s’est aggravé dès 2016 sous forme de coxodynies chroniques, avec boiterie de type Trendelenburg, limitations marquées (positions tolérées < 30 minutes, périmètre de marche < 20 minutes) et effets secondaires d’une forte médication antalgique. L’expertise judiciaire a confirmé la cohérence de ces atteintes avec le traumatisme et les chirurgies, retenu qu’une capacité de 50% avait subsisté jusqu’en 2018, puis qu’aucune activité, même sédentaire avec alternance des positions, n’était plus exigible en raison des douleurs et des troubles de la concentration et de la vigilance. La cour cantonale a accordé une « rente entière », après stabilisation fin septembre 2019, et a mis les frais d’expertise à la charge de l’assureur-accidents en raison de lacunes et contradictions des appréciations médicales administratives. Le recours de l’assureur-accidents a été rejeté par le TF.

Cf. également mon commentaire en fin d’article.

 

Faits
Le 03.08.1988, l’assurée, née en 1969 et employée comme téléphoniste, a perdu la maîtrise de son véhicule et a percuté un arbre, ce qui lui a occasionné une fracture comminutive diaphysaire du fémur gauche ainsi qu’une fracture trimalléolaire à gauche. Par décision du 12.11.1990, l’assurance-accidents lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 15%, sans rente dès lors que les séquelles ne réduisaient pas sa capacité de gain de manière importante.

En raison d’un raccourcissement du fémur gauche et d’un défaut d’axe de rotation dus aux suites de la première opération, elle a annoncé plusieurs rechutes (1991, 1992, 1994, 1995), prises en charge. Par décision du 28.02.1997, une rente d’invalidité LAA a été octroyée dès le 01.11.1996, fondée sur une incapacité de gain de 50%.

Le 30.08.2016, l’employeuse auprès de laquelle l’assurée travaillait comme téléopératrice à 50% a communiqué une nouvelle rechute de l’accident du 03.08.1988. En incapacité de travail totale, elle se plaignait de douleurs lombaires basses et de douleurs à la hanche gauche et a consulté plusieurs spécialistes. Selon ceux-ci, il existait deux problématiques : l’une lombaire (mal-alignement lombo-sacré avec hypolordose L4–S1), l’autre à la hanche gauche (insuffisance chronique des abducteurs sur rupture des tendons moyen et petit; dégénérescence graisseuse du moyen fessier, stade IV selon Goutallier).

En avril 2017, le docteur F.__ a pratiqué une arthrodèse L4–S1. L’assurance-accidents a refusé de prester pour les troubles du dos, mais a accepté la prise en charge de l’opération du 20.02.2018 par le docteur E.__ (exploration de la péri-hanche gauche avec cure de hernie fasciale et bursectomie trochantérienne) ainsi que l’incapacité en découlant. Selon ce médecin, l’intervention avait amélioré la fonction de la hanche, mais des douleurs persistaient autour de la péri-hanche gauche.

En août 2019, le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique, a procédé à un examen final. Dans son rapport du 02.09.2019, complété le 30.09.2019, il a considéré l’état stabilisé et a retenu des limitations fonctionnelles (pas de marche et de station debout ou assise prolongées supérieures à 30 minutes, pas d’accroupissement et d’agenouillement, port de charges extrêmement limité, position assise limitée à 20 minutes). Tout en relevant que de moindres surcharges mécaniques entraînaient des douleurs rendant toute activité impossible et nécessitant une période de repos de plusieurs mois, il a indiqué qu’une activité sédentaire avec alternance assise/debout était exigible. Il a estimé qu’il n’y avait pas lieu de revoir le taux d’atteinte à l’intégrité de 15% fixé en 1990.

L’assurance-accidents a mis fin au paiement des soins médicaux et des indemnités journalières dès le 01.10.2019. Par décision du 21.11.2019, elle a refusé d’augmenter la rente d’invalidité LAA, considérant l’absence d’aggravation notable. L’assurée a formé opposition, en produisant notamment un rapport du docteur G.__ du 23.06.2020 faisant état d’une lésion évolutive de la hanche et de la fesse gauches depuis l’accident, entraînant une incapacité de travail majeure. Sur la base d’une nouvelle appréciation du médecin-conseil du 27.11.2020, l’assurance-accidents a écarté l’opposition (décision sur opposition du 11.12.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/513/2024 – consultable ici)

Dans le cadre de son recours, l’assurée a produit plusieurs rapports médicaux, dont un rapport du 10.07.2018 du docteur F., selon lequel elle souffrait essentiellement d’une douleur fessière gauche et les lombalgies, certes liées à une atteinte dégénérative, étaient également influencées par la boiterie en rapport avec la lésion de la musculature fessière gauche.

La cour cantonale a mis en œuvre une expertise médicale judiciaire (mandat au professeur J.).

Par arrêt du 26.06.2024, la cour cantonale a admis partiellement le recours en ce sens que l’assurée a droit à une rente entière d’invalidité LAA dès le 01.10.2019 et a mis les frais de l’expertise judiciaire, par 7’754 fr. 40, à la charge de l’assurance-accidents.

 

TF

Consid. 3
(…) S’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, on rappellera que le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et la référence citée).

Consid. 4 [résumé]
En substance, l’expert judiciaire a constaté que les tendinopathies des fessiers, la hernie du fascia lata, la bursite prétronchantérienne, l’ossification hétérotopique (opérée en 2012) ainsi que l’insuffisance chronique des adducteurs avec rupture des muscles moyen et petit fessiers (opérée en 2018) étaient en relation de causalité avec les interventions chirurgicales à la hanche gauche et avec la boiterie de type Trendelenburg à gauche, source de surcharge musculaire. Il a retenu qu’une aggravation était survenue depuis 2016 sous la forme de coxodynies chroniques prédominant sur les lombalgies, empêchant de rester assise/couchée/debout plus de 30 minutes, d’effectuer des accroupissements, limitant la force et la mobilité du membre inférieur gauche et réduisant le périmètre de marche à moins de 20 minutes; la station assise le dos droit était impossible en raison de tensions trochantériennes influençant les maux de dos; la montée des escaliers se faisait marche par marche et le port de charges était limité. Les plaintes et limitations décrites étaient cohérentes avec les lésions anatomiques, explicables par le traumatisme et les chirurgies subies.

Interpellé sur la capacité de travail dans l’activité habituelle en lien (probable) avec l’accident de 1988 et son évolution, il a déclaré qu’au vu de l’examen clinique et de l’anamnèse, l’assurée, qui avait pu maintenir une capacité de 50% jusqu’en 2018, n’était plus en mesure de reprendre son activité professionnelle, cette incapacité étant en lien direct avec les coxodynies gauches. À la question de la capacité dans une activité adaptée, il a répondu qu’aucune activité n’était compatible avec des douleurs chroniques obligeant à changer de position tous les quarts d’heure et avec l’usage d’opiacés susceptibles d’entraîner des troubles de la concentration et de la vigilance.

Consid. 5 [résumé]
La cour cantonale a considéré que l’expertise judiciaire répondait aux réquisits jurisprudentiels permettant de lui reconnaître une pleine valeur probante et qu’il n’y avait aucun motif de s’en écarter. Se fondant sur les conclusions du professeur J.__, elle a retenu que l’état de santé de l’assurée en lien avec l’accident de 1988 s’était aggravé au point de la rendre incapable d’exercer une quelconque activité professionnelle. Partant, elle a jugé que l’assurée, dont l’état s’était stabilisé à la fin septembre 2019, avait droit à une « rente entière » d’invalidité à compter du 1er octobre 2019.

Consid. 6.2 [résumé]
Selon la jurisprudence, c’est la tâche du médecin de porter un jugement sur l’état de santé, en particulier d’indiquer dans quelle mesure celui-ci a évolué et pour quelles activités l’assuré est incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2; 125 V 256 consid. 4 et les arrêts cités).

La lecture des considérations de l’expert judiciaire montre qu’il constate une aggravation des séquelles depuis 2016 et qu’il considère, vu l’importance et le caractère difficilement contrôlable des coxodynies obligeant à changer de position tous les quarts d’heure, que la capacité de travail est désormais marginale et, partant, inexploitable. En cela, l’expert judiciaire a porté un jugement sur l’évolution de l’état de santé et la capacité de travail de l’assurée qui relève de son champ de compétence quoi qu’en dise l’assurance-accidents.

On peut au demeurant relever que, dans ses appréciations médicales, le médecin-conseil a lui-même souligné que de moindres surcharges mécaniques étaient de nature à entraîner des douleurs rendant toute activité impossible et nécessitant une période de repos et de traitement de l’ordre de quelques mois. C’est d’ailleurs un des motifs qui ont conduit la cour cantonale à ordonner une expertise judiciaire, y voyant une contradiction avec le fait que le médecin-conseil avait néanmoins conclu à l’exigibilité d’une activité sédentaire avec alternance assise/debout.

Quant aux troubles de la concentration et de la vigilance évoqués par l’expert judiciaire, il s’agit d’effets secondaires habituels et notoirement connus de la forte médication antalgique prescrite à l’assurée.

Il s’ensuit qu’en l’absence de raisons de s’écarter de l’expertise judiciaire (cf. consid. 3 supra), la cour cantonale était fondée à en suivre les conclusions.

Consid. 8.2
Selon la jurisprudence, les frais d’expertise peuvent être mis à la charge de l’assurance-invalidité ou de l’assureur-accidents lorsque les résultats de l’instruction mise en oeuvre dans la procédure administrative n’ont pas une valeur probatoire suffisante pour trancher des points juridiquement essentiels (ATF 139 V 225 consid. 4.3; 137 V 210 consid. 4.4.1 et 4.4.2). Cette règle ne saurait toutefois entraîner la mise systématique des frais d’une expertise judiciaire à la charge de l’autorité administrative. Encore faut-il que l’autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l’expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d’instruction administrative. En d’autres termes, il doit exister un lien entre les défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mettre en oeuvre une expertise judiciaire. En revanche, lorsque l’autorité administrative a respecté le principe inquisitoire et fondé son opinion sur des éléments objectifs convergents ou sur les conclusions d’une expertise qui répondait aux exigences jurisprudentielles, la mise à sa charge des frais d’une expertise judiciaire ordonnée par l’autorité judiciaire de première instance, pour quelque motif que ce soit (à la suite par exemple de la production de nouveaux rapports médicaux ou d’une expertise privée), ne saurait se justifier (ATF 143 V 269 consid. 3.3; 140 V 70 consid. 6.1; 139 V 496 consid. 4.4).

Consid. 8.3 [résumé]
En l’espèce, la cour cantonale a motivé la mise à charge des frais par des lacunes caractérisées dans les appréciations du médecin-conseil relevées dans son ordonnance d’expertise, qui avaient rendu nécessaire une expertise judiciaire. L’assurance-accidents ne discute pas cette motivation et se borne à affirmer que son médecin-conseil s’est prononcé « de manière approfondie ». On ne peut que confirmer le point de vue cantonal : les considérations du médecin-conseil ont varié et manquent de cohérence. Dans ses appréciations de septembre 2019, il souligne que de moindres surcharges mécaniques risquent de provoquer une incapacité de travail de longs mois, ce qui contredit l’exigibilité d’une reprise d’activité professionnelle dans la même mesure qu’auparavant; dans son appréciation de novembre 2020, il admet des limitations plus conséquentes mais les attribue ni au membre inférieur gauche ni au rachis, évoquant une surcharge due à un déséquilibre bassin–rachis et à une dysplasie fémoro-acétabulaire, diagnostic absent du dossier. Dans ces conditions, l’avis du médecin-conseil, sur lequel reposait la décision sur opposition, ne pouvait avoir valeur probante et une instruction complémentaire s’imposait. L’appréciation sur dossier produite par l’assureur-accidents en procédure cantonale ne saurait y pallier. Les frais de l’expertise judiciaire ont donc été mis à juste titre à la charge de l’assurance-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_419/2024 consultable ici

 

 

Commentaire

A mes yeux, cet arrêt présente un double intérêt.

Premièrement, il confirme le rôle essentiel du médecin-expert dans l’évaluation de la capacité résiduelle de travail. Le médecin-expert reste dans son champ de compétence lorsqu’il conclut à l’inexistence d’une capacité de travail exploitable. En l’espèce, les limitations fonctionnelles et les douleurs chroniques, attestées médicalement et démontrées par un examen clinique complet, constituent précisément la matière sur laquelle le médecin doit se prononcer. Le médecin-expert peut ainsi conclure à l’inexistence d’une capacité de travail exploitable (consid. 6.2 de l’arrêt du Tribunal fédéral). Par conséquent, lorsque l’expert judiciaire constate que les douleurs, la nécessité de changer continuellement de position et d’autres limitations rendent toute activité impraticable, ses conclusions s’imposent au juge, sauf contradiction manifeste ou lacune patente.

Deuxièmement, l’arrêt souligne l’importance particulière des effets secondaires d’une médication antalgique lourde, comme la morphine et ses dérivés (cf. l’arrêt du tribunal cantonal ATAS/513/2024 consid. 4.1.5). Ces substances sont notoirement connues pour altérer la concentration et la vigilance (consid. 6.2 de l’arrêt du Tribunal fédéral). Le Tribunal fédéral rappelle qu’il s’agit d’éléments médicaux objectivement constatables et parfaitement intégrés dans l’analyse de la capacité de travail. En d’autres termes, on ne saurait examiner exclusivement les limitations fonctionnelles « mécaniques » (comme la boiterie ou la réduction du périmètre de marche) sans considérer simultanément les conséquences induites par la médication indispensable au contrôle des douleurs. Il incombe donc au médecin-expert, au médecin traitant ou au médecin-conseil d’évaluer ces effets secondaires et d’en tenir compte dans les limitations fonctionnelles et dans l’estimation de la capacité de travail exigible.

En définitive, cet arrêt apporte une clarification précieuse. D’une part, le médecin-expert agit dans son rôle lorsqu’il conclut à l’absence de toute capacité de travail exploitable en raison de limitations sévères. D’autre part, une forte médication antalgique doit être prise en compte dans l’évaluation de la capacité de travail, ses effets secondaires étant notoirement connus.

 

 

9C_431/2024 (f) du 03.07.2025, destiné à la publication – Revenu annuel moyen déterminant – Partage des bonifications pour tâches éducatives (BTE) – Octroi des BTE pas d’incidence réelle sur l’organisation de la vie familiale / 8 CEDH – 14 CEDH

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_431/2024 (f) du 03.07.2025, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Revenu annuel moyen déterminant – Calcul du montant de la rente de vieillesse de l’assurée avant l’âge légal de la retraite de son époux / 29sexies al. 3 LAVS

Partage des bonifications pour tâches éducatives (BTE) – Octroi des BTE pas d’incidence réelle sur l’organisation de la vie familiale / 8 CEDH – 14 CEDH

Prestations de retraite relèvent de l’art. 1 du Protocole n° 1 à la CEDH et non de l’art. 8 CEDH

 

Résumé
Une assurée contestait le calcul de sa rente AVS, demandant la prise en compte entière des bonifications pour tâches éducatives entre 1991 et 2009, jusqu’à ce que les revenus du couple soient partagés au moment où son époux atteindra l’âge légal de la retraite. Le tribunal cantonal a admis son recours, estimant que l’art. 29sexies al. 3 LAVS contrevenait à l’art. 14 CEDH en relation avec l’art. 8 CEDH, en raison d’une discrimination indirecte touchant principalement les femmes travaillant à temps partiel. Le Tribunal fédéral a rappelé que, selon sa jurisprudence et celle de la CourEDH (Beeler c. Suisse), l’octroi des bonifications repose sur l’exercice de l’autorité parentale, indépendamment d’une réduction d’activité professionnelle, et qu’il s’agit d’un revenu fictif forfaitaire n’ayant pas nécessairement d’incidence sur l’organisation de la vie familiale. Les conséquences financières liées à la prise en compte de demi-bonifications ne relèvent donc pas de l’art. 8 CEDH. En conséquence, le Tribunal fédéral a jugé que l’art. 29sexies al. 3 LAVS était applicable et a admis le recours de la caisse de compensation.

 

Faits
Mme A.__ (ci-après : l’assurée), née en février 1959, et M. B.__, né en janvier 1962, se sont mariés en 1989 et ont eu trois enfants (nés en 1990, 1991 et 1993).

Par décision du 27.06.2023, confirmée sur opposition le 28.08.2023, la caisse de compensation a octroyé à l’assurée une rente ordinaire simple de vieillesse d’un montant mensuel de 2’097 fr. à partir du 01.03.2023. Cette prestation a été calculée en fonction d’un revenu annuel moyen déterminant de 61’740 fr. (soit un revenu moyen provenant d’une activité lucrative de 50’887 fr. et des demi-bonifications pour tâches éducatives de 1991 à 2009 pour un montant de 9’743 fr.) et d’une durée de cotisations de 43 années et 0 mois (application de l’échelle de rentes 44).

 

Procédure cantonale

Dans son recours, l’assurée a notamment conclu à ce que le calcul de sa rente ordinaire simple de vieillesse soit effectué en lui attribuant en totalité au moins quinze bonifications pour tâches éducatives (de 1990 à 2004), jusqu’à ce que les revenus du couple soient partagés au moment où son époux atteindra l’âge légal de la retraite.

Par jugement du 27.06.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause à la caisse de compensation pour nouvelle décision au sens des considérants (prise en considération de l’entier des bonifications pour tâches éducatives de 1991 à 2009 dans le calcul de la rente de vieillesse due à l’assurée).

 

TF

Consid. 3 [résumé]
La question était notamment de savoir si l’instance cantonale pouvait refuser d’appliquer l’art. 29sexies al. 3 LAVS, qui prévoit le partage par moitié entre les conjoints des bonifications pour tâches éducatives durant les années civiles de mariage, au motif que cette disposition contrevenait, en l’espèce, à l’art. 14 CEDH en relation avec l’art. 8 CEDH.

Consid. 4 [résumé]
La révision « AVS 21 » a modifié la LAVS avec effet au 01.01.2024 (modification du 17 décembre 2021, RO 2023 92; FF 2019 5979). En vertu du principe de droit intertemporel imposant l’application des dispositions légales en vigueur au moment des faits juridiquement déterminants (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), le droit applicable demeure celui en vigueur jusqu’au 31.12.2023, la décision litigieuse ayant été rendue le 28.08.2023 et portant sur l’octroi d’une rente dès le 01.03.2023.

Consid. 5.1 [résumé]
Après avoir limité le litige à la question de savoir si l’art. 29sexies al. 3 LAVS violait un droit fondamental garanti par la CEDH, la juridiction cantonale a examiné si l’assurée avait été victime d’une discrimination indirecte au sens de l’arrêt Di Trizio de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), en raison de la réduction de son taux d’activité après la naissance de ses trois enfants. Elle a rappelé que les art. 29quinquies al. 3 et 29sexies al. 3 LAVS instaurent une réglementation asymétrique, en ce sens que les prétentions résultant des tâches typiquement effectuées par les hommes (partage des revenus) sont partagées plus tard que celles résultant des tâches effectuées typiquement par les femmes (partage des bonifications pour tâches éducatives). La cour cantonale a relevé que si le partage par moitié des bonifications pour tâches éducatives constitue le corollaire du partage par moitié des revenus de l’activité lucrative entre époux (ATF 126 V 433), l’assurée ne pouvait pas bénéficier de la moitié des revenus de son conjoint tant que celui-ci n’avait pas atteint l’âge de la retraite, alors même que sa propre rente était calculée en tenant compte uniquement de demi-bonifications pour tâches éducatives durant la période où elle avait réduit son activité professionnelle pour s’occuper de ses enfants.

En se fondant sur des données statistiques, notamment le rapport annuel de l’AVS 2023 de l’OFAS, le tribunal cantonal a constaté que les femmes travaillaient plus souvent à temps partiel que les hommes et que, dans le premier cas d’assurance, les rentes des femmes étaient nettement inférieures à celles des hommes (1’574 fr. contre 2’047 fr.). Elle a retenu qu’il en résultait une présomption de discrimination indirecte envers les femmes qui réduisaient leur taux d’activité pour s’occuper du ménage et des enfants.

Considérant que la différence de traitement résultant de l’art. 29sexies al. 3 LAVS ne reposait sur aucune justification raisonnable, les juges cantonaux ont estimé que la réduction de la rente de l’assurée trouvait sa cause dans le fait qu’elle avait diminué son activité pour s’occuper du ménage et des enfants, alors qu’il était vraisemblable qu’en cas d’activité à plein temps, elle aurait obtenu une rente « entière ». La juridiction cantonale en a déduit que, pour la majorité des femmes dans une situation comparable, limiter la prise en compte à la moitié des bonifications pour tâches éducatives avant la retraite du conjoint constituait une discrimination. En conséquence, elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer l’art. 29sexies al. 3 LAVS et que l’intégralité des bonifications pour tâches éducatives de 1991 à 2009 devait être retenue. Ayant admis le grief de l’assurée tiré de la violation de l’égalité entre hommes et femmes, la juridiction cantonale n’a pas examiné celui relatif à l’inégalité de traitement avec les couples divorcés.

Consid. 6.1 [résumé]
L’art. 8 par. 1 CEDH garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance. Une ingérence d’une autorité publique n’est admise que si elle est prévue par la loi et constitue une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à la protection d’intérêts publics ou des droits d’autrui (art. 8 par. 2 CEDH). L’art. 14 CEDH précise que la jouissance des droits et libertés conventionnels doit être assurée sans distinction fondée notamment sur le sexe, l’origine ou toute autre situation.

Consid. 6.2. [résumé]
L’art. 5 al. 4 Cst. impose à la Confédération et aux cantons de respecter le droit international. Conformément à l’art. 190 Cst., le Tribunal fédéral et les autres autorités doivent appliquer tant le droit fédéral que le droit international. Ni la Constitution ni la jurisprudence n’instaurent de hiérarchie entre ces normes, mais en cas de conflit, le droit international liant la Suisse prime. Il faut présumer que le législateur a entendu respecter les traités internationaux régulièrement conclus, sauf s’il a consciemment édicté une règle contraire. En cas de doute, le droit interne doit être interprété conformément au droit international (ATF 147 IV 182 consid. 2.1; 146 V 87 consid. 8.2.2 et les arrêts cités; cf. aussi art. 27, première phrase, de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]).

Consid. 6.3
Selon l’art. 29sexies al. 3 LAVS, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023, la bonification pour tâches éducatives attribuée pendant les années civiles de mariage est répartie par moitié entre les conjoints. La répartition ne porte cependant que sur les bonifications acquises au cours de la période comprise entre le 1er janvier de l’année qui suit celle au cours de laquelle l’assuré a eu 20 ans révolus et le 31 décembre qui précède la réalisation de l’événement assuré pour le conjoint qui, le premier, a droit à la rente. Le partage par moitié de la bonification pour tâches éducatives constitue le corollaire du partage par moitié des revenus de l’activité lucrative entre les époux au sens de l’art. 29quinquies al. 3 LAVS (ATF 126 V 429 consid. 3b). Selon cette disposition (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2023, applicable en l’espèce), les revenus que les époux ont réalisés pendant les années civiles de mariage commun sont répartis et attribués pour moitié à chacun des époux. La répartition est effectuée lorsque: les deux conjoints ont droit à la rente (let. a); une veuve ou un veuf a droit à une rente de vieillesse (let. b); le mariage est dissous par le divorce (let. c).

Consid. 6.4
Conformément à la jurisprudence de la CourEDH, toute prestation pécuniaire a généralement certaines incidences sur la gestion de la vie familiale de celui ou celle qui la perçoit, sans que cela suffise à la faire tomber sous l’empire de l’art. 8 CEDH. Dans le cas contraire, en effet, l’ensemble des allocations sociales tomberait sous l’empire de cette disposition, ce qui serait excessif (arrêt Beeler contre Suisse du 11 octobre 2022 [requête n° 78630/12], § 67). Pour que l’art. 14 CEDH entre en jeu en matière de prestations sociales, la matière sur laquelle porte le désavantage allégué doit compter parmi les modalités d’exercice du droit au respect de la vie familiale tel que garanti par l’art. 8 CEDH, en ce sens que les mesures visent à favoriser la vie familiale et qu’elles ont nécessairement une incidence sur l’organisation de celle-ci. Un éventail d’éléments sont pertinents pour déterminer la nature de l’allocation en question et il convient de les examiner dans leur ensemble. Figurent parmi ces éléments, notamment: le but de l’allocation tel que déterminé à la lumière de la législation concernée; les conditions de l’octroi, du calcul et de l’extinction de l’allocation prévues par les dispositions légales; les effets sur l’organisation de la vie familiale tels qu’envisagés par la législation; les incidences réelles de l’allocation, compte tenu du cas individuel du requérant et de sa vie familiale pendant toute la période de versement de l’allocation (ibidem, § 72; cf. aussi arrêt 8C_267/2024 du 31 octobre 2024 consid. 3.1.4). Pour rappel, dans l’arrêt Beeler contre Suisse précité, la CourEDH a constaté une violation de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH, du fait d’une inégalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de rentes de survivants de l’AVS suisse (ibidem, § 98 à 116).

Consid. 7
En application de la jurisprudence de la CourEDH précédemment rappelée, il y a lieu en l’occurrence d’examiner si les bonifications pour tâches éducatives visent à favoriser la vie familiale et ont nécessairement une incidence sur l’organisation de celle-ci.

Consid. 7.1
Les bonifications pour tâches éducatives (art. 29sexies LAVS) ont été introduites à l’occasion de la 10e révision de l’AVS (modification du 7 octobre 1994, RO 1996 2466), entrée en vigueur le 1er janvier 1997, en même temps que les bonifications pour tâches d’assistance (art. 29septies LAVS). L’art. 29sexies LAVS a pour but de prendre en compte la valeur que présentent les tâches éducatives pour la société, en atténuant les effets négatifs que peut avoir l’accomplissement de celles-ci (et la cessation ou réduction de l’exercice de l’activité professionnelle pouvant en découler) sur le montant de la rente (Message concernant la dixième révision de l’assurance-vieillesse et survivants du 5 mars 1990, FF 1990 II 1, 28, ch. 241; cf. aussi ATF 126 V 153 consid. 4, s’agissant des bonifications pour tâches d’assistance). Les bonifications pour tâches éducatives (et d’assistance) sont un revenu fictif pris en considération pour calculer le montant de la rente du premier pilier, qui correspond au triple du montant de la rente de vieillesse annuelle minimale prévu à l’art. 34 LAVS, au moment de la naissance du droit à la rente (cf. art. 29sexies al. 2 et 29septies al. 4 LAVS). L’octroi de bonifications pour tâches éducatives vise donc à tout le moins en partie à favoriser la vie familiale des parents, en leur permettant de s’occuper des enfants sans avoir à subir d’importants préjudices en relation avec le montant de la rente du premier pilier, du fait d’une éventuelle diminution du taux d’activité professionnelle pendant les périodes consacrées à l’éducation des enfants.

L’attribution de bonifications pour tâches éducatives tend également à la réalisation de l’égalité entre les sexes, étant donné que les tâches éducatives sont actuellement encore majoritairement accomplies par les femmes (STÉPHANIE PERRENOUD, Familles et sécurité sociale en Suisse: l’état civil, un critère pertinent ?, 2022, n. 1439). Pour sa part, le partage par moitié de la bonification pour tâches éducatives entre les conjoints pendant les années de mariage (art. 29sexies al. 3 LAVS) a pour but de répartir les effets du partage des tâches convenu durant l’union et constitue à ce titre le parallèle de la répartition des revenus (« splitting »; art. 29quinquies al. 3 LAVS; arrêt 5A_678/2023 du 20 juin 2024 consid. 6.3.1 et la référence).

Consid. 7.2
Il reste à déterminer, conformément à la jurisprudence de la CourEDH Beeler, si l’octroi de bonifications pour tâches éducatives a nécessairement une incidence sur l’organisation de la vie familiale. À cet égard, la conception légale en matière de bonifications pour tâches éducatives se fonde sur l’exigence formelle de l’autorité parentale telle que définie par le droit civil suisse (art. 296 ss CC) sur un ou plusieurs enfants âgés de moins de 16 ans (art. 29sexies, 1re phrase, LAVS; ATF 130 V 241 consid. 3.2 et la référence; cf. aussi arrêts 9C_364/2022 du 26 septembre 2022 consid. 4.1; 9C_172/2011 du 22 août 2011 consid. 4). L’attribution des bonifications pour tâches éducatives n’est en revanche pas liée à une diminution de l’activité lucrative ou à une perte de revenu, comme le fait valoir l’OFAS. Dans le cadre des travaux préparatoires concernant la 10e révision de l’AVS, la nécessité d’accorder des bonifications pour tâches éducatives à tous les parents, sans égard au point de savoir s’ils exercent ou non une activité lucrative, a en effet été mise en évidence; le but d’un octroi à tous les parents est d’éviter de devoir procéder à des vérifications entraînant probablement une charge administrative excessive (cf. BO 1991 E 275, intervention du Conseiller aux États Niklaus Küchler). Ainsi, par l’octroi des bonifications pour tâches éducatives, il s’agit d’honorer de manière adéquate la tâche socialement importante que représente l’éducation des enfants, sans que la preuve d’un renoncement partiel ou total à une activité lucrative ne soit nécessaire (cf. BO 1993 N 220, intervention du Conseiller national Heinz Allenspach). Un revenu fictif forfaitaire (correspondant au triple du montant de la rente de vieillesse annuelle minimale prévu à l’art. 34 LAVS, au moment de la naissance du droit à la rente; cf. art. 29sexies al. 2 LAVS) est donc pris en considération lors du calcul de la rente revenant aux personnes ayant exercé l’autorité parentale sur un ou plusieurs enfants âgés de moins de 16 ans (cf. art. 29sexies al. 1, 1re phrase, LAVS), indépendamment de la question de savoir s’il aura une incidence sur le montant de la rente. Si les bonifications pour tâches éducatives permettent d’augmenter le montant de la rente versée aux personnes percevant de bas revenus (que ce soit du fait de l’activité exercée ou du taux d’exercice de celle-ci), elles n’auront en revanche aucune incidence sur le montant de la rente versé aux personnes dont le revenu annuel moyen ouvre le droit à la rente maximale de l’échelle de rentes applicable.

Dans la mesure où la baisse de l’activité lucrative n’est pas un critère déterminant pour l’attribution des bonifications pour tâches éducatives, l’octroi de celles-ci n’a pas nécessairement d’incidence réelle sur l’organisation de la vie familiale. Le choix de la personne assurée d’exercer ou non une activité lucrative (à temps plein ou à temps partiel) durant la période où elle se consacre à l’éducation de ses enfants n’a en effet pas d’incidence sur le droit à des bonifications pour tâches éducatives, pas plus du reste que sur le montant de la bonification pris en compte lors du calcul de la rente, dès lors qu’il s’agit d’un montant forfaitaire (consid. 7.1 supra). Par ailleurs, étant donné que les conséquences de la prise en compte d’une demi-bonification pour tâches éducatives sont avant tout de nature financière, il s’agit d’un aspect qui n’est a priori pas couvert par la notion de « vie privée » (cf. arrêt E.G. contre Suisse du 22 février 2024 [requête n° 43908/16], § 18), si bien que l’art. 8 CEDH n’entre pas en jeu sous cet angle-là non plus.

On ajoutera au demeurant que les prestations de retraite relèvent d’ordinaire du champ d’application de l’art. 1 du Protocole n° 1 du 20 mars 1952 à la CEDH (arrêt Romanov c. Russie du 25 octobre 2005 [requête n° 69341/01], § 43 à 40), qui n’a pas été ratifié par la Suisse, et non pas de l’art. 8 CEDH (cf. ATF 140 I 77 consid. 5.3 et 10).

Consid. 7.3
Au vu de ce qui précède, les juges cantonaux ont violé le droit en admettant que la situation de la recourante tombait sous l’empire de l’art. 8 CEDH et en refusant d’appliquer l’art. 29sexies al. 3 LAVS. Le recours est bien fondé.

 

Le TF admet le recours de la caisse de compensation.

 

Arrêt 9C_431/2024 consultable ici

 

 

 

8C_515/2024 (d) du 23.05.2025, destiné à la publication – Maxime inquisitoire – Principe de la libre appréciation des preuves / Rapport établi par une psychologue

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_515/2024 (d) du 23.05.2025, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Maxime inquisitoire – Principe de la libre appréciation des preuves / 61 let. c LPGA – 43 al. 1 LPGA

Rapport établi par une psychologue

 

Résumé
Le Tribunal fédéral rappelle que l’évaluation du droit aux prestations nécessite des bases médicales de décision fiables. En l’espèce, la cour cantonale s’est exclusivement fondée sur l’évaluation – sur dossier – du médecin orthopédiste du SMR, sans tenir compte du rapport circonstancié de la psychothérapeute traitante, ni des diagnostics antérieurs attestant d’un trouble psychique. Le Tribunal fédéral a jugé que ni l’office AI ni le tribunal cantonal n’ont satisfait à leur obligation d’instruire, en omettant d’évaluer de manière approfondie l’état psychique de l’assurée malgré des indices sérieux d’une atteinte à la santé psychique. Il a dès lors annulé l’arrêt cantonal et renvoyé la cause à l’office AI pour des mesures d’instruction complémentaire et nouvelle décision.

 

Faits
Assurée, née en 1965, a déposé en septembre 2014 une première demande de prestations de l’assurance-invalidité. Par décision du 09.11.2016, l’office AI lui a octroyé une demi-rente limitée au mois de mars 2015. Cette décision n’avait pas été contestée.

En mai 2021, l’assurée a déposé une nouvelle demande, invoquant des douleurs au genou ainsi qu’une dépression. L’office AI a procédé à une évaluation de la situation médicale et professionnelle. Après consultation du SMR, l’office AI a informé l’assurée de son intention de rejeter la demande. À l’issue de compléments d’instruction et notamment d’un nouvel avis du SMR, l’office AI a rejeté la demande (décision du 21.12.2023).

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2024.82 – consultable ici)

Par jugement du 25.06.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon la cour cantonale, il convient de se fonder, comme base probante pour apprécier l’état de santé, le profil de capacité de travail exigible et les limitations fonctionnelles, sur la seule appréciation sur dossier du 18.07.2023 établi par le Dr B.__, orthopédiste et médecin du SMR. Selon celle-ci, il n’existerait, ni sur le plan somatique, ni sur le plan psychique, d’atteintes à la santé ayant une incidence sur la capacité de travail. Il convient dès lors d’admettre une pleine capacité de travail de la recourante pour toute activité au plus tard dès septembre 2021.

Consid. 3.2
Comme déjà lors de la procédure cantonale, l’assurée ne conteste pas l’appréciation du SMR sur le plan somatique. Il n’y a dès lors pas lieu d’aller plus loin sur ce point.

Consid. 3.3
Sur le plan psychique, l’assurée invoque une violation du principe inquisitoire (art. 61 let. c LPGA). Elle fait valoir que la conclusion de l’instance cantonale, selon laquelle il n’existerait pas même de doutes minimes quant à la prise de position interne à l’assurance du Dr B.__, est insoutenable. Elle invoque également une appréciation arbitraire des preuves par les juges cantonaux.

Consid. 4.1
La cour cantonale a constaté qu’aucune pathologie psychique n’est établie par un médecin spécialiste, ce que ne changeait pas non plus le rapport de la psychothérapeute traitante, lic. phil. C.__, du 18.04.2023. Il ne s’agissait en effet pas d’une évaluation médicale spécialisée. En outre, ce rapport ne contenait ni indications anamnestiques suffisantes ni une explicitation compréhensible du raisonnement diagnostique.

Consid. 4.3
Comme l’a reconnu à juste titre le tribunal cantonal, l’évaluation de la psychothérapeute ne constitue pas une appréciation médicale spécialisée. Il est également exact qu’une évaluation spécialisée de l’état de santé et de la capacité de travail ne peut en principe être remise en cause que sur la base d’une autre évaluation divergente émanant elle aussi d’un médecin spécialiste (arrêts 8C_584/2018 du 13 novembre 2018 consid. 4.1.1.2 ; 8C_450/2018 du 16 octobre 2018 consid. 5.1 ; 9C_139/2014 du 6 octobre 2014 consid. 5.2 et les références citées). On ne saurait toutefois en déduire qu’un rapport émanant d’une psychothérapeute serait d’emblée dépourvu de pertinence (cf. par ex. arrêt 8C_398/2018 du 5 décembre 2018 consid. 5.1 et 5.4). Le principe de la libre appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA) impose plutôt aux tribunaux cantonaux des assurances sociales d’examiner objectivement tous les moyens de preuve, indépendamment de leur origine, et de décider ensuite si les pièces disponibles permettent une évaluation fiable du droit litigieux.

Consid. 4.4
L’évaluation du droit aux prestations relevant du droit des assurances sociales nécessite des bases médicales de décision fiables (ATF 134 V 231 consid. 5.1; SVR 2018 UV Nr. 27 p. 94, 8C_830/2015 consid. 5.2). Tant la procédure administrative que le procès cantonal en matière d’assurances sociales sont régis par la maxime inquisitoire (art. 43 al. 1 et art. 61 let. c LPGA). Selon ce principe, l’administration et le tribunal cantonal doivent établir d’office les faits juridiquement pertinents. Cette obligation d’instruction s’étend jusqu’à ce que les faits nécessaires à l’examen des prétentions en cause soient suffisamment élucidés (SVR 2013 UV Nr. 9 p. 29, 8C_592/2012 consid. 5.1 et les références ; cf. également ATF 144 V 427 consid. 3.2 et les références). La maxime inquisitoire présente des liens étroits avec le principe de la libre appréciation des preuves, applicable tant au niveau administratif que judiciaire (cf. consid. 4.3 supra).

Si les investigations menées d’office conduisent, dans le cadre d’une appréciation des preuves complète, correcte, objective et matérielle (ATF 132 V 393 consid. 4.1), l’assureur ou le tribunal est convaincu que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante (ATF 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2) et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu de rechercher d’autres preuves. Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu (appréciation anticipée des preuves ; ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 124 V 90 consid. 4b). En revanche, si des doutes sérieux subsistent quant à l’exhaustivité et/ou l’exactitude des constatations de fait établies jusqu’ici, il convient de compléter l’instruction de la cause, pour autant que l’on puisse attendre un résultat probant des mesures d’instruction entrant en considération (arrêt 8C_676/2023 du 22 mai 2024 consid. 3.2 et la référence).

Consid. 4.5
Selon les constatations non arbitraires de l’instance cantonale, l’expertise bidisciplinaire rhumatologique et psychiatrique du 27.11.2015 n’a pas attesté d’incapacité de travail en raison d’une atteinte psychique. Toutefois, l’experte psychiatre y a posé le diagnostic d’un épisode dépressif léger (CIM-10 F32.0). Comme l’a également relevé la cour cantonale, le rapport des services psychiatriques du 21.10.2015 mentionnait le diagnostic d’un épisode dépressif modéré à sévère. Ces indications médicales ne concernent certes pas la période déterminante de la nouvelle demande. Elles montrent néanmoins qu’une atteinte à la santé psychique avait été diagnostiquée par un médecin spécialiste dans le passé. Il ressort en outre du rapport de lic. phil. C.__ du 18.04.2023 que l’assurée se trouve depuis plusieurs années en traitement psychothérapeutique prescrit par un médecin.

Consid. 4.6
Comme le fait valoir à juste titre l’assurée, le médecin orthopédiste du SMR ne s’est absolument pas penché sur le contenu des indications fournies par lic. phil. C.__. Il s’est contenté d’écarter de manière générale aux psychologues la qualification professionnelle nécessaire à l’évaluation de l’état de santé psychique. Lui-même ne dispose toutefois ni d’un titre de spécialiste en psychiatrie, ni n’a jamais examiné personnellement l’assurée. Il convient également de relever que, selon l’art. 50c OAMal en vigueur depuis le 1er juillet 2022, les psychologues-psychothérapeutes sont, sous certaines conditions, reconnus comme fournisseurs de prestations dans l’assurance obligatoire des soins (voir à ce sujet les conditions d’autorisation à l’exercice de la psychothérapie à l’art. 11b de l’Ordonnance du DFI du 29 septembre 1995 sur les prestations de l’assurance des soins [OPAS ; RS 832.112.31] ; voir également l’art. 24 de la loi fédérale du 18 mars 2011 sur les professions de la psychologie [LPsy ; RS 935.81]). Ce seul fait ne rend certes pas superflue une évaluation par un médecin spécialiste. Toutefois, en raison des constatations psychopathologiques établies par la psychothérapeute (cf. consid. 4.2 supra), il existe en tout cas des indices sérieux d’une atteinte psychique significative. En ce sens, la conclusion du tribunal cantonal selon laquelle il n’existerait aucun indice d’un tableau clinique de maladie psychique apparaît insoutenable.

Consid. 4.7
Au vu de ce qui précède, il demeure incertain si la capacité de travail de l’assurée est ou non limitée pour des raisons psychiques. Il manque donc, sur le plan psychique, une base médicale fiable pour la décision. En renonçant à procéder à des investigations complémentaires concernant l’état de santé psychique de l’assurée, le tribunal cantonal a constaté les faits juridiquement pertinents de manière incomplète et en violation de la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA ; cf. consid. 4.4 ci-dessus). De son côté, l’office AI n’a pas non plus satisfait à son obligation d’instruire (art. 43 al. 1 LPGA), de sorte que la cause doit lui être renvoyée afin qu’il examine de manière suffisante l’état de santé psychique de l’assurée et vérifie si une modification notable de son état de santé est intervenue depuis la dernière évaluation matérielle. Il devra ensuite rendre une nouvelle décision sur le droit aux prestations.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_515/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_515/2024 (d) du 23.05.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/08/8c_515-2024)