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8C_59/2023 (f) du 12.09.2023 – Morsure de tique et neuroborréliose – Valeur probante d’une expertise judiciaire / Vraisemblance d’une perte de rendement en lien avec l’accident

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_59/2023 (f) du 12.09.2023

 

Consultable ici

 

Morsure de tique et neuroborréliose – Valeur probante d’une expertise judiciaire

Capacité de travail exigible – Vraisemblance d’une perte de rendement en lien avec l’accident (morsure de tique) / 16 LPGA

 

Assuré, maçon, a annoncé le 18.02.2009, s’être fait piquer par une tique en automne 2008 et qu’il était en incapacité de travail en raison de douleurs et enflures des deux genoux.

Par décision du 12.11.2014, l’assurance-accidents a retenu que l’assuré n’avait plus besoin de traitement médical pour les suites de son accident et qu’une pleine capacité de travail devait lui être reconnue, respectivement que sa capacité de gain n’était pas diminuée de manière importante et a mis un terme aux prestations d’assurance avec effet au 01.12.2014. Après avoir mis en œuvre d’autres mesures d’instruction et notamment après avoir pris connaissance de l’expertise pluridisciplinaire mise en œuvre par l’assurance-invalidité, l’assurance-accidents a confirmé cette décision le 04.05.2018.

 

Procédure cantonale

Mise en œuvre de l’expertise judiciaire pluridisciplinaire le 06.04.2021. Rapport rendu le 06.12.2021. Dans sa prise de position du 14.01.2022, l’assurance-accidents a contesté les conclusions du rapport d’expertise, en produisant une appréciation de son médecin-conseil, spécialiste FMH en neurologie. L’assuré, quant à lui, a pris note des résultats de l’expertise, qui à ses yeux apparaissait totalement probante et conforme aux exigences jurisprudentielles en la matière.

Par arrêt du 13.12.2022, la cour cantonale a admis le recours de l’assuré et a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle procède à l’examen du droit à une éventuelle rente d’invalidité de l’assuré, en tenant compte s’agissant de la capacité de travail résiduelle, d’une diminution de rendement de 20% dans une activité adaptée aux limitations d’ordre neurologique et neuropsychologique et rende une nouvelle décision.

 

TF

Consid. 3.2
S’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et la référence citée).

 

Consid. 4.1
Les médecins-experts ont retenu à titre de diagnostics avec effet sur la capacité de travail, une fatigue d’origine neurologique dans un contexte séquellaire de status post-neuroborréliose avec méningo-encéphalite et vasculite concomitante avec infarctus multiples des deux côtés dès mi-août ainsi qu’un syndrome de fatigue chronique. Sur le plan neurologique et neuropsychologique, en tenant compte des limitations fonctionnelles, il existait une légère baisse de rendement consécutive aux séquelles de la neuroborréliose et probablement aux conséquences de l’éthylisme chronique. Sous le chapitre de la motivation interdisciplinaire de l’incapacité de travail, ils ont indiqué qu’une activité adaptée aux limitations fonctionnelles ostéo-articulaires était possible sur le plan neurologique, rhumatologique et de la médecine interne « avec une baisse de rendement de 20% motivée par l’atteinte neurologique à 100% horaire depuis novembre 2014 ». L’experte neurologue a précisé que l’atteinte neurologique et neuropsychologique due à la neuroborréliose était stabilisée depuis 2014 et correspondait à une discrète séquelle neurologique (légère hyperréflexie tricipitale et achilléenne relative droite) non handicapante; de possibles séquelles neuropsychologiques ne pouvaient être objectivées en raison de la collaboration insuffisante de l’expertisé. En particulier, une aggravation du tableau cognitif avait été constatée par l’experte neuropsychologue qui ne s’expliquait pas par les éléments médicaux. En raison des inconsistances entre les différentes évaluations et au sein des domaines cognitifs évalués, des résultats aux différents éléments de validation des performances, un défaut d’effort avec majoration des symptômes avait été relevé. L’experte a conclu que les éventuels troubles et leur intensité en lien avec l’AVC ou la neuroborréliose ne pouvaient pas être évoqués, de surcroît chez un patient qui présentait une thymie abaissée, qui avait une consommation excessive d’alcool et qui était cognitivement déconditionné.

Consid. 4.2
Avec la recourante, force est d’admettre que la baisse de rendement retenue par les experts apparaît en contradiction avec les résultats des examens cliniques, la validation des symptômes et la cohérence du tableau. En effet, s’agissant de la (seule) séquelle neurologique (légère hyperréflexie tricipitale et achilléenne relative droite), elle n’a pas d’influence sur la capacité de travail. Quant à la fatigue, elle est d’étiologie multifactorielle, n’a pas pu être validée par les examens neuropsychologiques et, de surcroît, ne s’explique pas par les antécédents médicaux. Comme l’a à juste titre évoqué le médecin-conseil dans son appréciation du 12.01.2022, la baisse de rendement attestée par les experts se fonde ainsi sur une hypothèse médico-théorique, qui prend en compte que l’assuré a présenté une neuroborréliose et des AVC dans le passé, sachant que de telles pathologies peuvent engendrer des pertes cognitives. Cela ne suffit toutefois pas pour établir, au degré de la vraisemblance prépondérante applicable en droit des assurances sociales (ATF 126 V 353 consid. 5b; 125 V 195 consid. 2), l’existence d’une incapacité de travail au-delà du 30.11.2014 en lien avec la morsure de tique en 2008, qui a ensuite déclenché une neuroborréliose.

Consid. 5
Au vu de ce qui précède, l’assurance-accidents était fondée à retenir qu’il n’existait plus, au-delà du 30.11.2014, une incapacité de travail de l’assuré en lien avec la morsure de tique en 2008. Le recours doit donc être admis, l’arrêt cantonal annulé et la décision litigieuse confirmée en tant qu’elle ne reconnaît pas le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_59/2023 consultable ici

 

9C_580/2022 (f) du 03.10.2023 – Rapport d’expertise et rapport du médecin-traitant – Valeur probante / Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Critères de Budapest

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_580/2022 (f) du 03.10.2023

 

Consultable ici

 

Rapport d’expertise et rapport du médecin-traitant – Valeur probante

Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) – Critères de Budapest

Capacité de travail exigible

 

Assurée exerçant la profession de logisticienne à temps partiel (80%) argue souffrir de séquelles incapacitantes d’un syndrome douloureux chronique (apparu en 2014). Dépôt de la demande ai le 19.04.2016.

Au cours de la procédure d’instruction, l’office AI a sollicité l’avis du médecin traitant. Outre un syndrome douloureux chronique, affectant les bras et les jambes, la spécialiste en médecine interne générale a mentionné un probable syndrome de Sudeck résultant d’un traumatisme de la main gauche survenu au mois de février 2017 et fait état d’une incapacité totale de travail dans l’activité habituelle depuis le 24.05.2017. L’office AI s’est également procuré une copie du dossier de l’assureur-accidents et a mis en œuvre une expertise médicale. Le spécialiste en rhumatologie et le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie ont retenu une incapacité totale de travail dans l’activité habituelle et une capacité résiduelle de travail dans une activité adaptée de 70% depuis le mois de juillet 2016. Ils ont justifié leur conclusion par la fatigue engendrée par le syndrome douloureux chronique diagnostiqué (d’origine indéterminée en tant qu’il affecte les quatre membres et le bassin et apparu après un événement traumatique mineur en tant qu’il affecte la main gauche). Ils ont encore conclu que les autres pathologies constatées (status post-cure d’un syndrome du tunnel carpien gauche, troubles statiques et dégénératifs du rachis, trouble somatoforme indifférencié) n’avaient pas d’incidence sur la capacité de travail. En plus d’une enquête économique sur le ménage, l’administration a aussi recueilli des informations auprès du spécialiste en anesthésiologie, qui a estimé que sa patiente n’était pas apte à exercer une activité lucrative ni à suivre des mesures de réadaptation en raison du syndrome douloureux chronique généralisé, du CRPS au bras gauche (complex regional pain syndrom; SDRC syndrome douloureux régional complexe) et des polyarthralgies observés.

L’office AI a rejeté la demande au motif que le taux d’invalidité de 4,14% en 2016/2017 et de 19,80% dès 2018 ne donnait aucun droit à des prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 34 – consultable ici)

Par jugement du 24.01.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
En réponse à l’argumentation de l’assurée, ne portant que sur l’appréciation de son état de santé sur le plan somatique, la cour cantonale a toutefois plus particulièrement relevé que l’avis de l’expert en rhumatologie à propos de l’existence d’un SDRC affectant le bras ou la main gauche et des effets de ce trouble sur la capacité de travail divergeait totalement de celui du spécialiste en anesthésiologie traitant. Elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter de l’avis de l’expert dans la mesure où il avait établi dans son rapport que les critères diagnostiques d’un SDRC n’étaient pas remplis au moment de l’expertise. Elle a également retenu que l’avis du spécialiste en anesthésiologie traitant ne remettait pas valablement en question le rapport d’expertise dès lors que ce dernier ne mentionnait aucun élément objectif nouveau qui aurait été ignoré par l’expert, fondait certaines de ses conclusions sur les allégations de sa patiente et attestait sans autre motivation une incapacité totale de travail. Elle a dès lors suivi les conclusions des médecins experts et confirmé le taux d’invalidité fixé par l’office AI.

Consid. 6
En l’occurrence, la cour cantonale a considéré que le SDRC n’était pas présent ou plus d’actualité lors de l’expertise au plus tard dès lors que le médecin-expert rhumatologue avait démontré que les critères diagnostiques nécessaires pour retenir une telle pathologie n’étaient pas remplis. Elle a abouti à cette conclusion en se basant sur les « critères de Budapest », fixés par la doctrine médicale. Elle a relevé que l’expert avait attesté l’existence d’une douleur continue, disproportionnée par rapport à l’événement initial (critère 1), ainsi que de symptômes dans les quatre catégories somatosensorielle, vasomotrice, sudomotrice/oedème et motrice/trophique (critère 2), mais qu’il n’avait en revanche observé qu’un signe clinique dans ces mêmes catégories alors qu’il en fallait au moins deux pour retenir le critère 3 et – partant – le SDRC. Elle a par ailleurs considéré que le spécialiste en anesthésiologie traitant n’attestait aucun élément médical nouveau et que, même s’il faisait état d’un œdème à l’index de la main gauche (soit un signe supplémentaire dans les catégories du 3e critère diagnostique du syndrome litigieux) dans son rapport ultérieur, son évaluation des limitations fonctionnelles et de la capacité de travail était dénuée de toute valeur probante. On peut douter que, comme le fait valoir l’assurée, la juridiction cantonale pouvait légitimement nier d’emblée l’existence d’un SDRC. En effet, l’œdème à l’index de la main gauche signalé par le spécialiste en anesthésiologie traitant est de toute évidence un élément objectif nouveau par rapport aux constatations de l’expert rhumatologue, qu’il s’agit d’une atteinte objectivée et présente lors du prononcé de la décision litigieuse (sur l’état de fait déterminant pour apprécier la légalité de décisions administratives, cf. notamment ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références) et que, si on intégrait l’œdème à l’analyse des critères diagnostiques d’un SDRC par les juges cantonaux, il semblerait que le diagnostic en question puisse être retenu (cf. arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.1).

Quoi qu’il en soit, le résultat auquel a abouti le tribunal cantonal n’est pas arbitraire (sur cette notion, cf. p. ex. ATF 139 III 334 consid. 3.2.5 et les références). En effet, l’expert n’a pas retenu un SDRC sur la base des constatations qu’il avait faites lors de son examen clinique. Il n’a toutefois ignoré ni les douleurs à la main gauche ni l’incidence de ces douleurs sur la capacité de travail au contraire de ce que l’assurée laisse entendre. Il a diagnostiqué un syndrome de douleurs chroniques de la main gauche après un événement traumatique mineur survenu le 5 février 2017 et retenu le port de charges de plus de 5 kg et les activités manuelles complexes parmi les limitations permettant la pratique d’une activité adaptée à 70%. Cette appréciation – reprise par la cour cantonale – ne peut pas valablement être mise en doute par l’allégation générale d’une douleur disproportionnée par rapport à l’événement déclenchant ou d’une impossibilité objective d’utiliser le bras gauche et d’exercer une activité autre que monomanuelle, qui ne ressort au demeurant pas des rapports établis par le spécialiste en anesthésiologie traitant.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_580/2022 consultable ici

 

Expertises médicales : des indicateurs pour mesurer la qualité

Expertises médicales : des indicateurs pour mesurer la qualité

 

Article de Roman Schleifer, Markus Braun et Michael Liebrenz paru in Sécurité sociale CHSS, consultable ici

 

En un coup d’œil

  • La Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales (COQEM) a recours à six nouveaux indicateurs pour mesurer la qualité des expertises.
  • Un indicateur de qualité est une mesure qui sert à surveiller et à identifier des aspects potentiellement problématiques ; il ne permet toutefois pas de tirer des conclusions définitives.
  • Après avoir défini ces indicateurs, la COQEM établira au début de l’année 2024 des critères pour les opérationnaliser.

 

Les expertises médicales jouent un rôle central dans les assurances sociales. Rien que pour l’assurance-invalidité, plus de 11’000 expertises externes ont été réalisées en 2022 (OFAS 2023). Ces dernières années, la qualité de ces expertises a fait l’objet d’une attention croissante.

Les critiques portent en particulier sur les divergences dans l’évaluation des cas individuels, sur le manque de cohérence entre les experts et sur les lacunes dans le contrôle du respect des normes de qualité (Müller et al. 2020). Cependant, on observe aussi des évolutions positives : l’introduction de directives d’expertise par la Swiss Insurance Medicine (SIM) et par de nombreuses sociétés de discipline médicale, l’élaboration par l’OFAS de prescriptions contraignantes concernant la structure des expertises, la formulation d’exigences de qualification claires pour les experts (art. 7m OPGA) et la possibilité d’effectuer des enregistrements sonores (art. 44 al. 6 LPGA) sont autant d’éléments qui contribuent à la qualité.

Mise en place par le Conseil fédéral, la COQEM a commencé ses activités en 2022. L’une de ses tâches principales est de formuler des critères transparents pour évaluer la qualité des expertises médicales. Le fait de disposer de critères qui soient compréhensibles et intelligibles tant pour le grand public que pour les praticiens du droit ne peut que renforcer la confiance dans la qualité des expertises.

 

Comment mesurer la qualité ?

Peu après sa création, la COQEM a lancé une réflexion sur la mesure de la qualité. Elle a mis en place un groupe de travail chargé d’élaborer des indicateurs de qualité pour les expertises médicales. Ces indicateurs sont des «instruments de mesure» qui permettent de suivre et d’évaluer la qualité des expertises médicales. Ils servent à attirer l’attention sur les aspects potentiellement problématiques qui appellent un examen approfondi. L’objectif est d’améliorer la qualité des expertises, de les rendre plus transparentes pour le public et de favoriser le dialogue sur la qualité entre les mandants, les centres d’expertises et les experts.

Comme la qualité n’est pas directement mesurable, elle doit être examinée à l’aide d’exigences mesurables préalablement définies (Blumenstock 2011). Une base importante est le modèle d’Avedis Donabedian, qui mesure la qualité à l’aide des trois dimensions que sont la «structure», le «processus» et le «résultat» (Donabedian 2005). La qualité de la structure fait référence aux conditions générales de l’expertise, y compris la qualification des experts. La qualité du processus porte sur le processus d’expertise proprement dit, les aspects pertinents étant notamment l’approche méthodologique, le respect des normes et la collaboration interdisciplinaire. Enfin, la qualité des résultats fait référence au résultat final de l’expertise, par exemple le fait qu’elle soit correcte sur le plan technique et utilisable sur le plan juridique.

 

Six indicateurs de qualité

Sur la base de ce modèle, la COQEM a développé six indicateurs de qualité. Comme critères de sélection, elle a retenu l’importance de l’indicateur, la possibilité pour les experts de les influencer, la mesurabilité, les preuves scientifiques et l’intelligibilité pour le grand public (MacLean et al. 2018).

Trois indicateurs de qualité portent sur les modalités de l’examen médical et la façon d’établir l’expertise. Les trois autres se concentrent sur les résultats de l’expertise : ils examinent la précision et la fiabilité de l’appréciation de l’état de santé ou de la capacité de travail d’une personne. Ces six indicateurs de qualité sont présentés ci-dessous.

 

#1 Les délais de traitement sont courts

Il est important qu’un rapport d’expertise soit rédigé dans les meilleurs délais après l’examen médical. Des délais d’attente plus longs peuvent être une source d’incertitudes. La mémoire des détails de l’entretien peut, par exemple, se brouiller avec le temps, ce qui risque d’affecter la qualité du rapport. La situation de la personne examinée peut également changer, ce qui nuirait au caractère exhaustif du rapport. C’est pourquoi le premier indicateur de qualité mesure si les expertises ont été établies dans les 100 jours qui suivent la date de l’examen. Dans le cas des expertises bidisciplinaires ou pluridisciplinaires, on calcule la moyenne du délai pour établir les expertises partielles.

 

#2 La durée de l’entrevue de bilan est appropriée

Le deuxième indicateur détermine si la durée du bilan est proportionnelle à la complexité du cas. La durée de l’entrevue doit correspondre à la difficulté et à l’étendue des questions à aborder. Pour les cas particulièrement complexes, il est nécessaire de prolonger l’entretien, voire d’en mener plusieurs. Un entretien trop bref peut signifier que toutes les informations importantes n’ont pas été recueillies, ce qui est susceptible de conduire à une évaluation incomplète ou imprécise.

 

#3 L’équité du processus est garantie

Le troisième indicateur de qualité vérifie que les principes éthiques fondamentaux de l’entretien ont été respectés. Cela suppose que les experts expliquent clairement et de façon compréhensible le déroulement de l’examen. Ils doivent traiter la personne examinée de manière aimable et respectueuse, mais aussi lui poser toutes les questions qui doivent l’être, même si elles sont gênantes pour elle. La personne examinée doit néanmoins avoir suffisamment de temps pour parler de ses problèmes et de ses expériences.

 

#4 Les divergences avec les rapports antérieurs sont justifiées

L’expertise discute-t-elle les rapports antérieurs concernant l’état de santé, la situation professionnelle et la réadaptation de manière compréhensible ? C’est ce que mesure le quatrième indicateur. Si l’expertise actuelle diverge des diagnostics et des évaluations antérieures de la capacité de travail, l’expert doit justifier ces divergences de manière claire et compréhensible. L’absence de clarification des divergences peut conduire à une évaluation erronée de la capacité de travail. Une justification claire et compréhensible garantit l’équité et la transparence du processus d’expertise et prévient d’éventuels malentendus ou décisions erronées. Cela favorise l’acceptation du résultat.

 

#5 Les ressources, contraintes et limitations fonctionnelles sont prises en compte

Le cinquième indicateur détermine si l’expertise prend en compte et évalue de manière compréhensible les ressources, les contraintes et les limitations fonctionnelles de la personne examinée. L’évaluation de la capacité de travail doit ainsi prêter attention à l’ensemble des caractéristiques physiques et psychiques, à la personnalité et aux facteurs environnementaux pertinents d’une personne. Cela comprend aussi bien ses forces et ses capacités (ressources) que les limitations fonctionnelles liées à sa personnalité et les défis et contraintes auxquels elle peut être confrontée dans le contexte professionnel.

 

#6 La cohérence et la plausibilité sont justifiées

Enfin, le sixième indicateur vérifie que des contrôles de cohérence et de plausibilité ont bien été effectués et qu’ils sont justifiés de manière compréhensible dans le rapport d’expertise. L’évaluation des experts doit tenir compte des informations contenues dans les dossiers antérieurs, des indications fournies par la personne examinée, des plaintes et des constatations. Les contrôles de cohérence et de plausibilité consistent à examiner si les informations médicales sont concordantes et si les symptômes rapportés correspondent aux résultats des examens et aux thérapies suivies. Lorsque certaines informations sont contradictoires ou ne semblent pas logiques, il importe d’en déterminer la raison. Il est possible que ces contradictions soient dues à la maladie ou à d’autres causes. Les éventuelles contradictions doivent être documentées et discutées dans l’expertise à l’aide d’exemples concrets.

 

Projet de mesure avec évaluation par les pairs

Si les indicateurs sont clairement définis, la façon de les mesurer n’est pas encore définitivement établie. La COQEM entend procéder à cette opérationnalisation des indicateurs dans le courant de l’année 2024.

Pour cinq des six indicateurs, cette opérationnalisation prendra la forme de questions dans le cadre d’une procédure d’évaluation par les pairs. Autrement dit, des experts indépendants devront évaluer les expertises sur la base d’échantillons. En 2023, la COQEM a mené une étude pilote sur l’application de la procédure d’évaluation par les pairs. Elle publiera les questions servant à l’évaluation dans les prochains mois. Dès que les bases de la procédure d’évaluation par les pairs seront publiées, la COQEM pourra commencer à mesurer les cinq indicateurs en question. Cela devrait être le cas au plus tôt au second semestre 2024.

Le troisième indicateur, qui se concentre sur l’équité du processus, fait figure d’exception. La commission prévoit de valider une enquête auprès des assurés à l’aide d’un questionnaire portant sur la façon dont ils ont vécu la situation d’expertise (voir l’expertise de Muschalla et al. 2023). Une fois cette première enquête réalisée et évaluée, la COQEM précisera le contenu de cet indicateur. Elle décidera des étapes ultérieures dans le courant de l’année 2024.

Il est possible que la COQEM développe d’autres indicateurs de qualité après avoir réalisé des évaluations ou identifié des erreurs fréquentes. Inversement, certains indicateurs pourraient perdre de leur importance si la qualité des expertises devait s’améliorer durablement.

 

Une étape importante dans l’assurance qualité

Les indicateurs de qualité présentés par la COQEM constituent une étape importante sur la voie vers un système d’expertises médicales plus fiable et plus efficace pour les assurances sociales. Leur mise en œuvre favorise le respect des normes minimales et des directives éthiques dans le processus d’expertise, ce qui améliore également la transparence.

Si les indicateurs de qualité offrent une base pour l’assurance qualité au sein des centres d’expertises, ils permettront également de procéder à des comparaisons externes, c’est-à-dire de comparer des experts ou des centres d’expertises sous l’angle de la qualité. S’il apparaît que certains des indicateurs définis ne sont pas respectés, il sera possible de mettre en place une confrontation constructive dans un souci d’amélioration.

Dans le même temps, il est important de souligner que les indicateurs de qualité servent de point de départ pour améliorer en permanence la qualité des expertises et établir des normes de qualité. Ils ne constituent que des repères pour le respect des objectifs de qualité. Il va de soi que les lignes directrices des sociétés de discipline médicale et les prescriptions de l’OFAS pour l’établissement des expertises relevant du droit des assurances sociales priment pour la COQEM.

Si les indicateurs de qualité peuvent contribuer à la qualité des expertises, ils ne sauraient la garantir. De plus, une focalisation excessive sur ces indicateurs risque de faire perdre de vue les particularités d’une situation et d’autres aspects importants pour la qualité.

 

Bibliographie

Blumenstock, Gunnar (2011). Zur Qualität von Qualitätsindikatoren. Bundesgesundheitsblatt-Gesundheitsforschung-Gesundheitsschutz, 54(2), 154-159.

Donabedian, Avedis (2005). Evaluating the Quality of Medical Care. The Milbank Quarterly, 83(4), 691-729.

MacLean, Catherine H. ; Kerr, Eve A. ; Qaseem, Amir (2018). Time out — Charting a Path for Improving Performance Measurement. New England Journal of Medicine, 378(19), 1757-1761.

Müller Franziska ; Liebrenz, Michael ; Schleifer Roman ; Schwenkel Christof ; Balthasar Andreas (2020). Evaluation der medizinischen Begutachtung in der Invalidenversicherung. Bericht zuhanden des Generalsekretariats des Eidgenössischen Departements des Innern EDI. 10 août.

Muschalla, Beate ; Fischer, Felix ; Meier-Credner, Anne ; Linden, Michael (2023). Utilité des enquêtes auprès des personnes concernées pour l’assurance qualité des expertises médico-assurantielles, particulièrement, en termes d’équité et de satisfaction à l’égard du déroulement des expertises.

OFAS (2023). Liste publique des experts et centres d’expertises mandatés dans l’assurance-invalidité – 2022. 3 juillet.

 

Expertises médicales : des indicateurs pour mesurer la qualité, article de Roman Schleifer, Markus Braun et Michael Liebrenz paru in Sécurité sociale CHSS, consultable ici

 

Medizinische Begutachtung: Qualität anhand von Indikatoren messen, Artikel von Roman Schleifer, Markus Braun und Michael Liebrenz erschienen in Soziale Sicherheit CHSS, hier abrufbar

 

8C_152/2023 (f) du 14.11.2023 – Mise en œuvre d’une expertise bidisciplinaire et bilan psychologique et neuropsychologique – 44 LPGA / Invocation du motif de récusation tardif / Traduction réalisée par la sœur de l’expertisée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_152/2023 (f) du 14.11.2023

 

Consultable ici

 

Mise en œuvre d’une expertise bidisciplinaire et bilan psychologique et neuropsychologique / 44 LPGA

Invocation du motif de récusation tardif

Bilan psychologique – Traduction réalisée par la sœur de l’expertisée

 

Assurée, née en 1981, exerçait l’activité de garde d’enfants à domicile et d’aide soignante de personnes âgées et handicapées. Elle a déposé une demande de prestations auprès l’office AI sur la base d’une incapacité totale de travail depuis le 01.11.2019.

Mise en œuvre par l’office AI d’une expertise bidisciplinaire neurologique et psychiatrique avec bilan neuropsychologique, confiée à un centre d’expertise, plus particulièrement la Dre  B.__, spécialiste FMH en neurologie, et Dre C.__, spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie. L’expertise a été réalisée le 25.08.2021. Sur demande des expertes, une psychologue FSP a effectué un bilan psychologique. Puis une spécialiste en neuropsychologie FSP a évalué l’assurée dans son cabinet et a établi un rapport neuropsychologique à l’attention du centre d’expertise. Tous deux rapports ont été intégrés dans le rapport d’expertise en tant que documents annexes. Le 04.11.2021, les expertes ont transmis leur rapport à l’office AI, concluant à une pleine capacité de travail de l’expertisée dans l’activité professionnelle habituelle et dans une activité adaptée. Le 08.11.2021, le SMR a proposé à l’office AI de suivre les conclusions des expertes, selon lui claires, motivées et cohérentes. L’office AI a rejeté la demande AI.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/47/2023 – consultable ici)

Dans le cadre de son recours, l’assurée a déposé des rapports de sa psychiatre traitante. Dans sa réponse, l’office AI a reconsidéré sa décision en ce sens que l’intéressée ne pouvait plus exercer son activité habituelle de garde d’enfants et d’auxiliaire de santé, mais avait une capacité de travail de 60% dès août 2020 puis de 100% à partir d’août 2021 dans une activité adaptée, ouvrant ainsi le droit à un quart de rente limité dans le temps de février à novembre 2021.

Par arrêt du 31 janvier 2023, la cour cantonale a partiellement admis le recours et a réformé la décision en ce sens que l’assurée avait droit à un quart de rente d’invalidité du 01.02.2021 au 30.11.2021. Elle a confirmé la décision pour le surplus.

 

TF

Consid. 3.2
Selon l’art. 44 LPGA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties. Du point de vue de l’assuré, la communication du nom de l’expert doit lui permettre de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il pourrait disposer d’un motif de récusation (ATF 146 V 9 consid. 4.2.1). Ce droit à la communication, en tant que droit de participation de l’assuré à la procédure d’expertise, constitue un aspect du droit d’être entendu (cf. arrêt 8C_741/2009 du 11 mai 2010 consid. 3.3, Revue de l’avocat 9/2010 p. 376). Comme la connaissance du nom des experts doit permettre à l’intéressé de faire valoir un motif de récusation, le défaut de communication constitue un vice de procédure, dont la personne concernée doit faire état le plus tôt possible, conformément au principe de la bonne foi en procédure (arrêt 8C_805/2018 du 21 février 2019 consid. 7.3.5). L’invocation d’un vice de forme trouve en effet ses limites dans le principe de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.), qui oblige celui qui s’estime victime d’une violation de son droit d’être entendu ou d’un autre vice de procédure de le signaler immédiatement, à la première occasion possible (ATF 143 V 66 consid. 4.3; arrêt 9C_557/2021 du 20 octobre 2022 consid. 5.3.2 et les arrêts cités). En particulier, la partie qui a connaissance d’un motif de récusation doit l’invoquer aussitôt, sous peine d’être déchue du droit de s’en prévaloir ultérieurement (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3 et les arrêts cités). Il est en effet contraire aux règles de la bonne foi de garder en réserve le moyen tiré d’une suspicion de prévention pour ne l’invoquer qu’en cas d’issue défavorable (ATF 148 V 225 consid. 3.2; arrêt 8C_358/2022 du 12 avril 2023 consid. 4.2.6).

Consid. 3.3
Le point de savoir si une expertise réalise les exigences de l’art. 44 LPGA constitue une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (ATF 146 V 9 consid. 4.1).

 

Consid. 4.1
Invoquant une violation de l’art. 44 LPGA, l’assurée reproche aux juges cantonaux de ne pas avoir eu la possibilité de formuler des objections quant aux domaines concernés (neuropsychologie et psychologie) et aux choix des psychologues avant les examens effectués aux cabinets de celles-ci ni d’avoir pu faire valoir d’éventuels motifs de récusation contre elles.

Consid. 4.2
Dans le cadre de l’expertise, l’assurée a été convoquée dans les cabinets respectifs de la psychologue et de la neuropsychologue les 04.10.2021 et 12.10.2021, où elle a été évaluée. Elle a donc nécessairement eu connaissance de l’identité des (neuro) psychologues, ainsi que de leur domaine de spécialisation avant la réalisation de ces examens et aurait déjà pu, à ce moment-là, récuser les expertes pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. Ce n’est finalement que le 17.03.2022, dans son complément de recours, que l’assurée s’est plainte de ne pas avoir pu exercer son droit d’être entendue, tant à propos des domaines concernés (neuropsychologie et psychologie) que sur le choix des expertes. Aussi, en vertu du principe de la bonne foi, si elle estimait avoir des objections quant aux domaines de spécialisation ou des motifs de récusation contre la neuropsychologue ou la psychologue, elle aurait dû s’en prévaloir immédiatement, sous peine d’en être déchue. Au demeurant, comme l’ont dûment constaté les juges cantonaux, l’assurée n’a toujours pas exposé quels motifs de récusation elle aurait souhaité soulever, ni pour quels motifs des examens psychologiques et neuropsychologiques n’auraient pas dû être ordonnés.

Consid. 4.3
En ce qui concerne le grief de l’absence de traducteur pour les examens auxiliaires, on rappellera que la question de savoir si, dans un cas concret, un examen médical doit se dérouler dans la langue maternelle de l’assuré ou avec l’assistance d’un interprète, est en principe laissée à la libre appréciation de l’expert, responsable de la bonne exécution du mandat (arrêts 9C_295/2021 du 23 novembre 2021 consid. 4.1.1; 9C_509/2010 du 4 février 2011 consid. 4.1.1). En l’occurrence, l’examen neuropsychologique a été effectué en italien, soit dans la langue maternelle de l’assurée. Quant à l’examen psychologique, il est établi et non contesté que lors de l’examen, l’assurée était assistée de sa sœur qui était chargée d’assumer la traduction. Sur ce point, l’experte a précisé dans son rapport que l’assurée s’exprimait dans un français approximatif et qu’il a été possible de se comprendre sans traducteur externe. Même s’il n’est dans ce contexte pas idéal que la sœur de l’assurée ait été chargée de cette tâche, cela ne suffit pas pour nier d’emblée la valeur probante du rapport établi par la psychologue. On relèvera au demeurant que l’assurée ne soutient pas que, dans le cadre de l’expertise, ses propos auraient été mal retranscrits ou de manière lacunaire, ni qu’elle n’aurait pas compris certaines questions.

 

Consid. 5.2.1
Dans leur rapport d’expertise, les doctoresses B.__ et C.__ ont diagnostiqué, sur le plan somatique, des céphalées tensionnelles chroniques et, sur le plan psychique, une anxiété généralisée (CIM-10 F41.1) ainsi qu’un trouble mixte de la personnalité évitante et schizoïde (CIM-10 F61.0). Elles ont indiqué que la capacité de travail de l’expertisée – tant sur le plan somatique que psychique – était entière depuis toujours dans l’activité professionnelle habituelle et dans une activité adaptée, en précisant que les seules limitations fonctionnelles mises en évidence étaient le fait qu’elle ne pouvait pas effectuer les travaux de nuit à des horaires irréguliers.

Consid. 5.2.2
Le SMR a d’abord proposé à l’office AI de suivre les conclusions claires, motivées et cohérentes des expertes. En procédure de recours toutefois, après notamment avoir pris connaissance des derniers rapports de la psychiatre traitante de l’assurée, faisant état d’une évolution positive depuis août/septembre 2022 avec une capacité de travail de 80% à 100% dans une activité adaptée, le SMR a modifié son appréciation. Dans son avis du 08.04.2022, il a retenu que la capacité de travail de l’assurée était nulle dans l’activité habituelle dès le 01.11.2019. Dans une activité adaptée, elle était de 60% dès août 2020, puis entière dès août 2021, en respectant les limitations fonctionnelles suivantes : les activités habituelles de garde d’enfants et d’auxiliaire de santé, qui impliquent une responsabilité, la capacité de prendre des décisions et peuvent impliquer un certain niveau de stress ne sont plus exigibles, l’assurée ne pouvant exercer qu’une activité en tant qu’exécutante.

Consid. 5.3
A juste titre, les juges cantonaux ne se sont pas limités à constater que les réquisits jurisprudentiels pour accorder pleine valeur probante à l’expertise des doctoresses B.__ et C.__ étaient remplis. En effet, le fait d’accorder pleine valeur probante à un rapport médical ne délie pas le juge de son obligation d’apprécier librement les preuves (art. 61 let. c LPGA), notamment en confrontant les conclusions des divers rapports médicaux versés au dossier (cf. arrêt 8C_711/2020 consid. 4.3 du 2 juillet 2021; publié in SVR 2022 UV n° 18 p. 75). C’est bien ce à quoi la cour cantonale a procédé. Après avoir passé en revue les rapports des différents médecins traitants de l’assurée et comparé les conclusions des expertes avec celles du SMR du 08.04.2022, les juges cantonaux ont retenu que ces dernières ne remettaient pas en cause la pleine valeur de l’expertise, mais qu’elles s’en écartaient sur deux seuls points: premièrement, l’évolution de l’état de santé et la capacité de travail de l’assurée avant les examens cliniques du 25.08.2021 (effectués par lesdites expertes), soit sur des circonstances dont celles-ci ne pouvaient pas avoir une connaissance directe, et, deuxièmement, la prise en compte des limitations fonctionnelles, celles retenues par le SMR tenant notamment compte des difficultés et limites de l’assurée au plan cognitif. Se fondant sur les conclusions du SMR ainsi que du psychiatre traitant, les juges cantonaux ont retenu l’existence d’une amélioration sensible de l’état de santé et de la capacité de travail de l’assurée à partir d’août 2021.

En affirmant qu’elle peinait à comprendre comment les juges cantonaux pouvaient accorder pleine valeur probante au rapport d’expertise des doctoresse C.__ et B.__, alors que les conclusions du SMR s’en écartaient sur des points essentiels, l’assurée passe sous silence l’appréciation des preuves minutieuse à laquelle ont procédé les juges cantonaux et ne parvient pas à démontrer que celle-ci serait contraire au droit fédéral. On précisera dans ce contexte que les juges cantonaux ont dûment exposé pour quels motifs ils ne tenaient pas pour probantes les dernières attestations de la psychiatre traitante (jugement entrepris consid. 10.4.5), sans que l’assurée soulève de grief précis sur ce point.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_152/2023 consultable ici

 

8C_613/2022 (d) du 06.10.2023 – Automutilation – 37 al. 1 LAA / Valeur probante de l’expertise médicale pluridisciplinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_613/2022 (d) du 06.10.2023

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Automutilation / 37 al. 1 LAA

Valeur probante de l’expertise médicale pluridisciplinaire

 

Assurée, pizzaiola née en 1983, s’est blessée le 03.02.2018 au pied gauche sur le bord d’une marche d’escalier (perforation avec une barre de fer). Traitement initial aux services des urgences. Par la suite, le médecin de famille a refermé la plaie, d’abord laissée ouverte, mais qui s’est rouverte dix jours plus tard et a entraîné par la suite de nombreux traitements en raison d’un trouble de la cicatrisation.

Expertise pluridisciplinaire (orthopédie, psychiatrie et neurologie) mise en œuvre par l’assurance-accidents. Rapport d’expertise du 30.09.2020 et rapport complémentaire du 30.03.2021. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a suspendu les prestations avec effet rétroactif au 29.10.2020, en se basant sur les évaluations des experts. Elle a expliqué que l’automutilation de l’assurée avait entraîné des complications qui avaient nécessité d’autres traitements. Les troubles actuels ne seraient, selon toute vraisemblance, pas en lien de causalité avec l’accident du 03.02.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2021.502 – consultable ici)

Par jugement du 16.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assurée conteste en premier lieu la valeur probante (cf. ATF 134 V 231 consid. 5.1 ; 125 V 351 consid. 3a) de l’expertise pluridisciplinaire. Elle fait valoir qu’il aurait encore fallu faire appel à un expert en plaies ainsi qu’à un médecin spécialisé en infectiologie.

Consid. 4.2
Les experts disposent d’un large pouvoir d’appréciation dans le choix des méthodes d’examen (cf. par ex. les arrêts 8C_260/2016 du 13 juillet 2016 consid. 5.1 et les références; 8C_780/2014 du 25 mars 2015 consid. 5.1 et les références). Le choix des examens médicaux spécialisés à effectuer en fait également partie (arrêt 8C_820/2016 du 27 septembre 2017 consid. 5.5 et les références). Il appartient donc aux personnes chargées de l’expertise de décider si le recours à d’autres spécialités est nécessaire (arrêt 8C_495/2021 du 16 mars 2022 consid. 4.3 et les référence). Selon le texte introductif de l’expertise, l’assurance-accidents a accordé aux experts du centre d’expertises la possibilité de faire appel à d’autres spécialistes, après consultation avec elle. Les experts ont manifestement estimé être en mesure d’évaluer de manière définitive l’état de santé avec les disciplines de l’orthopédie, de la psychiatrie et de la neurologie, raison pour laquelle on ne peut pas reprocher à l’instance cantonale d’avoir accordé à l’expertise une valeur probante même en l’absence de spécialistes supplémentaires.

 

Consid. 5.2
Selon l’art. 37 al. 1 LAA, l’automutilation et le suicide présupposent un acte intentionnel. Le dol éventuel est également suffisant (ATF 143 V 285 consid. 4.2.4). La question de savoir si l’on est en présence d’une automutilation s’apprécie selon le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante, usuel en droit des assurances sociales. En l’occurrence, compte tenu des difficultés pratiques de preuve, il ne faut pas poser d’exigences excessives à la preuve d’une automutilation volontaire (arrêts 8C_828/2019 du 17 avril 2020 consid. 4.4.1 ; 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.4 et les références). Contrairement au suicide, l’automutilation ne bénéficie pas de la présomption naturelle selon laquelle, en raison de la puissance de l’instinct de conservation, il faut généralement partir du principe qu’un tel acte est involontaire (cf. arrêts 8C_591/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.1 ; 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.3 et 2.4).

 

Consid. 5.3.1
Les médecins experts ont pris connaissance du rapport du médecin traitant, le professeur E.__, spécialiste en chirurgie. Celui-ci s’est exprimé sur les résultats qui, selon lui, indiquaient une automutilation. Dans le cadre de l’anamnèse, le centre d’expertises a contacté le professeur E.__ par téléphone. Il a confirmé une nouvelle fois ce qui avait déjà été dit dans le rapport d’opération. Il a fait remarquer que lors de la révision de la plaie, des germes tout à fait inhabituels pour des infections cutanées (deux germes intestinaux et Klebsiella) avaient été mis en évidence. En outre, lors d’une intervention chirurgicale, il avait découvert au microscope un point de piqûre dorsal par rapport à la blessure initiale, raison pour laquelle il avait soupçonné une automutilation avec un instrument en forme d’aiguille. Par la suite, il a administré le « scotchcast » pendant le traitement chirurgical et a ainsi étanchéifié toute la zone d’infection. L’assurée n’a ensuite plus pu manipuler la plaie. Pendant ce temps, la situation s’est calmée et aucune autre infection n’est survenue. Selon le professeur E.__, il a été frappé par le fait que la dernière infection était survenue alors que l’assurée n’était pas sous surveillance médicale ou thérapeutique. Cette circonstance a clairement renforcé ses soupçons d’une infection auto-infligée.

L’expert orthopédique a rapporté que la blessure subie par l’assurée le 03.02.2018 aurait guéri au plus tard après six à neuf mois, même en cas d’apparition d’une infection dans la profondeur de la jambe gauche. L’état déplorable constaté lors des examens était exclusivement lié à la maladie. Il ressort de l’expertise psychiatrique que l’automutilation est un trouble auto-infligé (CIM-10 F68.10). Le psychiatre a précisé que le seul critère diagnostique à remettre en question était la condition selon laquelle le comportement manifesté ne pouvait pas être mieux expliqué par un autre trouble psychique (p. ex. un trouble délirant ou un autre trouble psychotique). Il a conclu qu’il existait chez l’assurée une suspicion de trouble de la personnalité borderline (CIM-10 F60.31). Les automutilations sont relativement fréquentes dans ce trouble. De plus, selon le rapport de sortie de la clinique F.__, des phénomènes psychotiques et de déréalisation auraient été observés chez l’assurée. Cependant, dans les troubles de la personnalité borderline ainsi que dans les troubles psychotiques, les comportements d’automutilation ne sont généralement pas dissimulés. De plus, dans le cas d’automutilations liées à des troubles mentaux, l’assistance médicale n’est généralement pas l’objectif premier de la personne concernée. Dans le cas d’espèce, la simulation évidente d’un trouble a apparemment eu pour effet de la considérer comme handicapée, et par conséquent, aucune activité professionnelle ne lui serait plus exigible dans ce contexte. Les circonstances présentes plaident donc plutôt contre une automutilation due à un trouble mental.

Dans leur avis complémentaire, les experts ont à nouveau confirmé que le trouble de la cicatrisation avait été causé par une automutilation. Il est difficile de déterminer quand celle-ci a commencé. Au plus tard depuis que le professeur E.__ a pris en charge le traitement chirurgical et pris des mesures (« Scotchcast »), le soupçon d’automutilation s’est renforcé.

Consid. 5.3.2
La cour cantonale a reconnu qu’il était établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les limitations encore présentes reposaient sur une automutilation intentionnelle. L’assurée ne présente aucun élément concret qui contredise l’appréciation des preuves de la juridiction cantonale. Elle expose essentiellement sa propre vision de la manière dont le trouble de la cicatrisation s’est développé, comment interpréter les documents médicaux, et quelles conclusions en tirer. Cela n’est pas suffisant pour rendre l’appréciation de la cour cantonale contraire au droit fédéral (arrêt 8C_380/2022 du 27 décembre 2022 consid. 11.1 et la référence).

L’assurée affirme notamment que le canal de piqûre, dont le professeur E.__ et les médecins-experts déduiraient l’automutilation, serait dû au fait que des abcès auraient été percés à la fois à l’hôpital et à la clinique F.__. Or, comme elle le constate elle-même, cela n’est pas documenté dans les rapports respectifs. De plus, l’allégation de la recourante selon laquelle les professionnels de la santé l’auraient traitée à plusieurs reprises sans gants d’hygiène n’est pas étayée. En outre, l’instance cantonale a correctement constaté que, pour les médecins-experts, il était resté incertain depuis quand exactement les germes inhabituels étaient présents dans la plaie.

Ils sont toutefois partis du principe que cela avait été le cas au plus tard à partir de la date du traitement par le professeur E.__ (date de l’opération : 17.02.2020). On ne voit pas dans quelle mesure le tribunal cantonal aurait violé le droit fédéral en se basant sur le moment fixé par l’expertise pour déterminer le moment de l’automutilation. Comme le fait remarquer à juste titre l’assurée, il n’est pas exclu que la contamination de la plaie ait eu lieu plus tôt, mais cela ne changerait rien en sa faveur quant à la fin du droit aux prestations à compter du 29.10.2020.

Pour la même raison, le renvoi de l’assurée au rapport de la clinique F.__ du 21.11.2019 et le reproche qui y est lié, à savoir qu’une manipulation (de la plaie) n’était pas reconnaissable à l’époque, est sans objet. A ce sujet également, il convient de noter que les médecins-experts n’ont admis l’existence d’une automutilation qu’à une date ultérieure et que l’assurance-accidents a en conséquence cessé de prester qu’en octobre 2020.

 

Consid. 5.4.1
Au vu de ce qui précède, l’instance cantonale a, dans une appréciation anticipée des preuves (arrêt 144 V 361 consid. 6.5), renoncé à d’autres investigations, conformément au droit fédéral. Conformément à l’expertise pluridisciplinaire, la cour cantonale a jugé que les troubles encore présents étaient attribuables à l’automutilation, position qui peut être suivie. La conclusion du tribunal cantonal selon lequel les causes dues à l’accident, étayées par les résultats de l’expertise, auraient guéri sans conséquences notables au plus tard neuf mois après l’événement du 03.02.2018, en l’absence du trouble auto-infligé, n’est pas non plus critiquable. Comme l’a à juste titre retenu la cour cantonale, il faut partir du principe que l’atteinte à la santé a été auto-infligée (au moins par dol éventuel) (cf. art. 37 al. 1 LAA et consid. 5.2 ci-dessus).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_613/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_613/2022 (d) du 06.10.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/11/8c_613-2022)

 

9C_584/2022 (f) du 12.07.2023 – Impotence de degré faible – 37 al. 3 lit. e RAI – 38 RAI / Accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_584/2022 (f) du 12.07.2023

 

Consultable ici

 

Impotence de degré faible / 37 al. 3 lit. e RAI – 38 RAI

Accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie

Examen de l’octroi de l’API sur la base de l’enquête à domicile et non uniquement sur une expertise médicale

 

Assuré, née en 1970, a travaillé notamment comme nettoyeuse jusqu’au 31.01.2007. Elle a été victime d’un accident vasculaire cérébral (AVC) en 2008. Octroi d’un quart de rente AI dès le 01.02.2009. Après révision, l’office AI a mis l’assurée au bénéfice de trois quarts de rente de l’assurance-invalidité dès le 01.07.2017. Entre autres éléments, il a considéré qu’elle disposait d’une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée.

Entre-temps, l’assurée a déposé une demande d’allocation pour impotent le 06.11.2017. L’office AI a réalisé une enquête ménagère à domicile le 25.11.2020 (rapport du 26.11.2020). Rejet de la demande par décision du 25.01.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 70/21 – 338/2022 – consultable ici)

Par jugement du 11.11.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens que l’assurée a droit à une allocation pour impotent de degré faible à compter du 01.09.2020.

 

TF

Consid. 2.2
L’impotence est faible notamment si la personne assurée, même avec des moyens auxiliaires, a besoin d’un accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie au sens de l’art. 38 RAI (art. 37 al. 3 let. e RAI). Selon cette disposition, ce besoin existe lorsque la personne assurée ne peut pas en raison d’une atteinte à la santé vivre de manière indépendante sans l’accompagnement d’une tierce personne (art. 38 al. 1 let. a RAI), faire face aux nécessités de la vie et établir des contacts sociaux sans l’accompagnement d’une tierce personne (art. 38 al. 1 let. b RAI), ou éviter un risque important de s’isoler durablement du monde extérieur (art. 38 al. 1 let. c RAI). Dans la première éventualité, l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie doit permettre à la personne concernée de gérer elle-même sa vie quotidienne. Il intervient lorsque la personne nécessite de l’aide pour au moins l’une des activités suivantes: structurer la journée, faire face aux situations qui se présentent tous les jours (p. ex. problèmes de voisinage, questions de santé, d’alimentation et d’hygiène, activités administratives simples) et tenir son ménage (aide directe ou indirecte d’un tiers; ATF 133 V 450 consid. 10). Dans la deuxième éventualité (accompagnement pour les activités hors du domicile), l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie doit permettre à la personne assurée de quitter son domicile pour certaines activités ou rendez-vous nécessaires, tels les achats, les loisirs ou les contacts avec les services officiels, le personnel médical ou le coiffeur. Dans la troisième éventualité, l’accompagnement en cause doit prévenir le risque d’isolement durable ainsi que de la perte de contacts sociaux et, par là, la péjoration subséquente de l’état de santé de la personne assurée (arrêt 9C_308/2022 du 28 mars 2023 consid. 3.3 et la référence).

Consid. 2.3
La nécessité de l’aide apportée par une tierce personne doit être examinée de manière objective, selon l’état de santé de la personne assurée, indépendamment de l’environnement dans lequel celle-ci se trouve; seul importe le point de savoir si, dans la situation où elle ne dépendrait que d’elle-même, la personne assurée aurait besoin de l’aide d’un tiers. L’assistance que lui apportent les membres de sa famille a trait à l’obligation de diminuer le dommage et ne doit être examinée que dans une seconde étape (cf. arrêts 9C_330/2017 du 14 décembre 2017 consid. 4; 9C_410/2009 du 1 er avril 2010 consid. 5.1, in SVR 2011 IV n° 11 p. 29; voir aussi arrêt 9C_425/2014 du 26 septembre 2014 consid. 4.2).

Consid. 3.1
La juridiction cantonale a retenu que l’assurée avait droit à une allocation pour impotent de degré faible dès le 01.09.2020. Elle a constaté tout d’abord que l’assurée était en mesure d’accomplir cinq des six actes ordinaires de la vie (se vêtir et se dévêtir; se lever, s’asseoir, se coucher; manger; faire sa toilette; aller aux toilettes), mais pas celui de se déplacer à l’extérieur. En revanche, l’assurée n’était pas capable de vivre de manière indépendante, sans l’accompagnement d’une tierce personne et requérait une aide constante. Il ressortait en effet de l’expertise pluridisciplinaire des médecins de l’Unité d’expertises médicales, du 01.09.2020, mise en œuvre au cours de la procédure de révision de la rente, que le mari de l’assurée réalisait la quasi-totalité de l’entretien du domicile et qu’il préparait le repas de midi la plupart du temps. Dans les cas où l’assurée préparait à manger, son époux se chargeait de la cuisson. De plus, dès lors qu’elle ne parvenait pas à se baisser, l’assurée utilisait difficilement le lave-vaisselle et ne pouvait pas remplir le lave-linge. Le mari de l’assurée effectuait encore les courses pendant qu’elle l’attendait au restaurant du magasin. L’assurée présentait enfin un cas lourd de pathologies, avec de nombreuses comorbidités somatiques et psychiques, et de multiples limitations fonctionnelles.

Consid. 4.1
Selon la jurisprudence, la nécessité de l’assistance d’un tiers pour la réalisation des tâches ménagères peut justifier à elle seule la reconnaissance du besoin d’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie (arrêt 9C_330/2017 du 14 décembre 2017 consid. 4). La nécessité de l’aide apportée par une tierce personne doit cependant être examinée de manière objective, selon l’état de santé de la personne assurée, indépendamment de l’environnement dans lequel celle-ci se trouve. A cet égard, l’enquête effectuée au domicile de la personne assurée constitue en principe une base appropriée et suffisante pour évaluer l’étendue des empêchements dans la vie quotidienne (sur les exigences relatives à la valeur probante d’un tel rapport d’enquête, cf. ATF 140 V 543 consid. 3.2.1; 133 V 450 consid. 11.1.1 et les références).

Consid. 4.2
En l’espèce, si la juridiction cantonale se réfère certes à la description de la vie quotidienne donnée par l’assurée aux experts du centre d’expertises, elle ne discute en revanche nullement les constatations et conclusions de l’enquête du 25.11.2020. Or cette enquête avait pour objet de préciser et de compléter sur un plan objectif la description des empêchements de l’assurée dans la vie quotidienne. Dans cette mesure, l’enquêtrice a constaté que l’assurée préparait ses repas assise à table, qu’elle pouvait cuire des choses simples, comme des pâtes (si elle n’avait pas trop mal au dos), qu’elle pouvait mettre des objets dans le lave-vaisselle, qu’elle pouvait charger le panier de son rollator et se rendre au lave-linge à l’étage, qu’elle y était autonome, qu’elle passait la panosse, qu’elle nettoyait le lavabo et les toilettes et qu’elle faisait des commissions simples, avec son rollator (lorsqu’elle se sentait assez bien). De son côté, l’époux de l’assurée se chargeait des paiements, cuisait les repas avec son épouse, complétait le ménage avec une femme de ménage (mise à disposition par le centre médico-social), faisait parfois des rappels de rendez-vous à son épouse et l’accompagnait à certains rendez-vous si elle était moins bien.

En omettant de prendre en considération l’enquête à domicile, la juridiction cantonale s’est fondée, en violation du droit fédéral, sur la manière dont l’assurée a elle-même décrit aux experts du centre d’expertises ses facultés à assumer sa vie quotidienne (préparation des repas, utilisation du lave-vaisselle, besoin d’aide dans le ménage, etc.), alors qu’il y avait lieu d’établir la mesure de ce qui était raisonnablement exigible d’elle le plus objectivement possible. En se référant ensuite à la rente allouée à l’assurée en raison des pathologies dont elle souffre, sans en tirer de constatations quant à d’éventuels empêchement effectifs pour accomplir certaines tâches, les premiers juges n’ont pas mis en évidence d’éléments déterminants sous l’angle du besoin d’accompagnement durable. Or, en prenant en considération le résultat de l’enquête à domicile, on constate que l’assurée est en mesure de structurer ses journées, de faire face aux situations qui se présentent tous les jours et de tenir son ménage, même si des aides ont été mises en place pour la décharger partiellement de ses tâches ménagères. L’assurée peut donc vivre de manière indépendante sans l’accompagnement d’une tierce personne. Elle ne présente en particulier pas le risque d’être placée en institution si elle était livrée à elle-même. Il y a donc lieu de nier la réalisation des conditions de l’art. 38 al. 1 let. a RAI.

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_584/2022 consultable ici

 

Suspension de l’attribution de mandats de l’AI au centre d’expertises PMEDA

Suspension de l’attribution de mandats de l’AI au centre d’expertises PMEDA

 

Consultable ici

 

L’assurance-invalidité n’attribue plus d’expertise médicale à la société PMEDA. Elle suit ainsi la recommandation de la Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales (COQEM), qui a relevé des insuffisances dans la forme et le fond des expertises médicales de PMEDA.

Jusqu’ici, la société PMEDA réalisait, pour le compte des offices AI, des expertises bi- ou pluridisciplinaires, c’est-à-dire des expertises impliquant deux ou plusieurs spécialités médicales. Depuis le 1er juillet 2023, elle n’a plus accepté aucun mandat et a résilié les contrats relatifs à l’activité d’expertise.

L’OFAS a chargé les offices AI de soumettre à un contrôle de qualité supplémentaire les expertises déjà réalisées par PMEDA pour lesquelles aucune décision d’octroi de prestation n’a encore été rendue. Les décisions d’octroi de prestations déjà entrées en force sont maintenues.

La COQEM n’a encore communiqué, ni ses recommandations concernant les exigences et normes de qualité à appliquer (art. 7p, al. 1, let. a, OPGA), ni aucune information sur les insuffisances qu’elle a constatées dans la forme et le fond des expertises de PMEDA. Dès que l’OFAS aura reçu ces informations, il en instruira les offices AI et les services médicaux régionaux (SMR). Si une expertise satisfait aux critères de la COQEM, l’office AI pourra rendre sa décision. Dans le cas contraire, il devra ordonner une nouvelle expertise.

Actuellement, 16 expertises bidisciplinaires et 55 expertises pluridisciplinaires – attribuées avant le 1er juillet – sont encore en cours chez PMEDA. Celles-ci devront également être soumises à un contrôle de qualité dès qu’elles seront en la possession de l’office AI.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 04.10.2023 consultable ici

Recommandation de la COQEM du 04.10.2023 disponible ici

 

8C_741/2022 (f) du 06.07.2023 – Lésions de la coiffe des rotateurs – Récusation tardive de l’expert judiciaire / 10 al. 1 PA – 36 al. 1 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_741/2022 (f) du 06.07.2023

 

Consultable ici

 

Lésions de la coiffe des rotateurs – Récusation tardive de l’expert judiciaire / 10 al. 1 PA – 36 al. 1 LPGA

Causalité naturelle / 6 LAA

 

A.__, né en 1962, travaillait depuis le 01.07.2018 comme instructeur de fitness. Le 13.07.2018, il a chuté dans les escaliers du studio dans lequel il travaillait et a subi des lésions au niveau de l’épaule et du genou gauches. Diagnostic échographique : enthésopathie de l’insertion du supra-épineux associée à une calcification tendineuse de 7 mm et à une bursite sous-acromio-deltoïdienne expliquant vraisemblablement la symptomatologie. Intervention au genou gauche le 19.09.2018.

Consultation le 12.02.2019 auprès du docteur D.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur et spécialisé en chirurgie de l’épaule et du coude, en raison de douleurs persistantes à l’épaule gauche. Le docteur D.__ a indiqué douter que l’assuré puisse reprendre une activité professionnelle avec les lésions d’allure traumatique retrouvées au niveau de son tendon sous-scapulaire. Selon lui, l’état de l’assuré nécessitait une arthroscopie du long chef du biceps, une réinsertion du tendon sous-scapulaire et une simple évaluation de la coiffe des rotateurs supérieurs.

Examen à la demande de l’assurance par le docteur E.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’assuré avait fait état d’un faux mouvement survenu en mai 2016 et intéressant l’épaule gauche. Il avait également appris que l’assuré avait été opéré le 04.03.2019 par le docteur D.__. Dans son rapport, le docteur E.__ a conclu que la contusion de l’épaule gauche de l’assuré avait dû cesser de déployer ses effets délétères après un délai maximal de trois mois. Au-delà, le cursus de cette épaule était régi par son état pathologique préexistant. La relation de causalité naturelle entre l’événement du 13.07.2018 et les lésions de la coiffe des rotateurs de l’épaule était hautement, voire très hautement improbable. Il en allait de même pour l’arthropathie acromio-claviculaire.

Par décision du 15.08.2019, confirmée sur opposition le 15.01.2020, l’assurance-accidents a mis un terme à ses prestations concernant l’épaule gauche à compter du 12.10.2018 et concernant le genou gauche à compter du 18.03.2019, en se fondant sur le rapport du docteur E.__.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/977/2022 – consultable ici)

Par avis du 22.02.2021, la Présidente de la cour cantonale a informé les parties qu’elle entendait confier une expertise au docteur Pierre-Alexandre F.__, spécialiste FMH en orthopédie et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’assurance-accidents a récusé ce médecin, au motif qu’il était co-fondateur aux côtés du docteur D.__ de l’Hôpital G.__, et a proposé de mandater à sa place un autre spécialiste.

Par ordonnance d’expertise du 08.04.2021, la Présidente de la cour cantonale a écarté les motifs de récusation invoqués, ordonné une expertise orthopédique et désigné le docteur F.__ en tant qu’expert. Le docteur F.__ a rendu son rapport d’expertise judiciaire le 21.01.2022.

Par jugement du 09.11.2022, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 1.3
Sont de nature formelle les motifs de récusation qui sont énoncés dans la loi (cf. art. 10 al. 1 PA et 36 al. 1 LPGA) parce qu’ils sont propres à éveiller la méfiance à l’égard de l’impartialité de l’expert. En revanche, les motifs de nature matérielle, dirigés contre l’expertise elle-même ou contre la personne de l’expert, ne mettent pas en cause son impartialité (arrêt 8C_510/2013 du 10 février 2014 consid. 2.1 et les références citées). De tels motifs doivent en principe être examinés avec la décision sur le fond dans le cadre de l’appréciation des preuves.

Consid. 1.4
Dans son recours en matière de droit public et son recours constitutionnel subsidiaire, l’assurance-accidents reproche en premier lieu à la cour cantonale de ne pas avoir admis sa demande de récusation de l’expert judiciaire. Elle invoque une violation de son droit à un expert indépendant et impartial tel qu’il est garanti par les art. 29 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH. La « connivence d’intérêts » et les relations privilégiées qu’entretiendraient ces deux médecins feraient naître, selon l’assurance-accidents, des doutes objectivement justifiés quant à l’équité de la procédure d’expertise et, par conséquent, de la procédure judiciaire dans son ensemble, d’autant que la cour cantonale aurait tranché le litige en prenant appui de façon déterminante sur le rapport d’expertise judiciaire.

Consid. 1.5
En l’occurrence, les griefs à l’encontre de l’expert judiciaire soulevés par l’assurance-accidents dans le cadre de son recours contre l’arrêt final du 09.11.2022 sont de nature formelle puisqu’ils mettent en cause l’impartialité de l’expert. Ils auraient dû, conformément à l’art. 92 al. 1 LTF, faire l’objet d’un recours immédiat au Tribunal fédéral, sans attendre la suite de la procédure (arrêt 8C_467/2014 du 29 mai 2015 consid. 2 et 4, publié in SVR 2015 IV n° 34 p. 108; arrêt 6B_1149/2014 du 16 juillet 2015 consid. 3.2). Invoqués par l’assurance-accidents seulement dans le cadre de son recours en matière de droit public ou dans son recours constitutionnel subsidiaire, les griefs à l’encontre de l’expert sont donc tardifs puisqu’ils n’ont pas été interjetés dans les 30 jours à compter de la réception de l’ordonnance incidente sur expertise du 08.04.2021. Il est sans importance que la décision du 08.04.2021 ne comportait aucune indication sur la voie de recours (cf. arrêt 6B_35/2017 du 26 février 2018 consid. 1.2.2). En l’occurrence, il ne pouvait pas échapper à l’assurance-accidents, représentée par un avocat, que la question de la récusation de l’expert judiciaire nécessitait d’être réglée définitivement avant qu’il soit statué sur le fond. Nonobstant l’absence d’indication de voie de droit dans la décision du 08.04.2021, l’assurance-accidents devait donc agir aussitôt contre cette décision et saisir le Tribunal fédéral. L’assurance-accidents est désormais forclose à se plaindre de la non-récusation de l’expert judiciaire, que ce soit par un recours en matière de droit public (art. 92 al. 2 LTF) ou par un recours constitutionnel subsidiaire (art. 117 LTF). Son grief est irrecevable.

Consid. 3.3.1
C’est la tâche du médecin de porter un jugement sur l’état de santé et d’indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est incapable de travailler (ATF 140 V 193 consid. 3.2; 125 V 256 consid. 4 et les arrêts cités). En matière d’appréciation des preuves médicales, le juge doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle que soit leur provenance, puis décider s’ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S’il existe des avis contradictoires, il ne peut pas trancher l’affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu’une autre. En ce qui concerne la valeur probante d’un rapport médical, ce qui est déterminant, c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a; 122 V 157 consid. 1c et les références).

Consid. 3.3.2
S’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux des conclusions d’une expertise médicale judiciaire (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4 et la référence citée).

Consid. 3.4
En l’occurrence, la cour cantonale n’a pas écarté sans raison l’avis du docteur E.__. Comme cela ressort de l’ordonnance d’expertise du 08.04.2021, c’est parce que l’assuré a établi, par l’avis du docteur D.__, des éléments objectivables suffisamment pertinents pour susciter des doutes quant à la valeur probante du rapport du docteur E.__ que la cour cantonale a mis en œuvre une expertise judiciaire. La cour cantonale a ainsi ordonné une expertise judiciaire pour trancher entre l’avis du docteur E.__ et celui du docteur D.__; elle ne s’est pas fondée sur le seul avis du docteur D.__ comme le lui reproche l’assurance-accidents. On ajoutera que, contrairement à ce qu’affirme l’assurance-accidents, le docteur D.__ n’avait pas omis de rappeler les antécédents de son patient, bien au contraire. Dans son ordonnance d’expertise du 08.04.2021, la cour cantonale a constaté que le docteur D.__ avait indiqué, dans son rapport du 3 mars 2020, être d’accord avec le docteur E.__ sur le fait que les lésions du supra-épineux étaient déjà préexistantes et n’étaient pas en lien de causalité avec l’accident; il avait en revanche ajouté que la déchirure de la coiffe antérieure, sous-scapulaire, n’était quant à elle pas préexistante.

Consid. 3.6
En définitive, l’arrêt entrepris échappe à la critique en tant qu’il retient, sur la base des conclusions de l’expertise judiciaire, que l’assuré a droit aux prestations de l’assurance-accidents en relation avec les lésions de son épaule gauche résultant de l’accident du 13.07.2018 jusqu’au 11.10.2019, date à laquelle le statu quo a été atteint.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_741/2022 consultable ici

 

La COQEM décide d’une enquête systématique sur le vécu de la situation d’expertise

La COQEM décide d’une enquête systématique sur le vécu de la situation d’expertise

 

Communiqué de presse de la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) du 31.08.2023 consultable ici

 

La Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) veut enquêter systématiquement sur la manière dont les personnes engagées dans une procédure d’instruction de l’AI vivent la situation d’expertise. La situation d’expertise n’est pas comparable à une situation thérapeutique, elle sert à établir les faits médicaux dans le cadre d’une procédure juridique. Pour les personnes concernées, elle représente une situation exceptionnelle tout à fait éprouvante. Il faut s’assurer que l’expert·e informe de manière compréhensible sur le but, l’objectif et le déroulement de l’expertise et que l’expert·e garantisse une conduite d’entretien aimable et empathique ainsi qu’une situation d’examen adéquate. De même, en fonction des faits concrets, l’expert·e doit prendre suffisamment de temps pour procéder aux investigations nécessaires et recueillir la description subjective des plaintes.

Il convient de constater que la conduite d’un entretien d’expertise et le déroulement de l’examen ont été de plus en plus abordés ces dernières années dans le cadre de la formation des experts et font désormais partie intégrante de celle-ci. Afin d’améliorer la transparence dans le domaine des examens d’expertise, les entretiens entre la personne expertisée et l’expert sont documentés sous forme d’enregistrements sonores et versés au dossier depuis 2022 déjà (art. 44 al. 6 LPGA, art. 7k OPGA). Ces enregistrements permettent de vérifier l’établissement des faits dans des cas individuels litigieux. Pour l’analyse systématique de l’interaction entre les experts et les personnes expertisées, l’écoute et l’analyse des enregistrements sonores ne sont pas réalisables en raison de l’énorme quantité de données et ne sont possibles que dans quelques cas. Les données actuelles dans ce domaine reposent donc sur quelques cas litigieux ainsi que sur les enquêtes menées jusqu’à présent par les organisations de patients et de personnes handicapées et ne permettent pas encore de tirer des conclusions représentatives. C’est pourquoi la COQEM veut prendre en compte la perspective des assurés dans le sens d’un contrôle global de la qualité et d’établir une vue d’ensemble de la situation actuelle en matière d’expertises en Suisse pour déterminer les éventuelles mesures à prendre, notamment en ce qui concerne la formation en matière d’expertises et les lignes directrices professionnelles.

Afin de clarifier la question de l’utilité des enquêtes de satisfaction auprès des personnes concernées, la COQEM a préalablement commandé une étude externe basée sur la littérature, qui présente l’état scientifique d’une telle méthode et spécifie dans quelles conditions un tel instrument pourrait être utilisé efficacement pour l’amélioration de la qualité dans l’expertise médicale. (Rapport de la Prof. Muschalla et al.).

L’enquête doit permettre aux personnes évaluées de faire part à une instance indépendante de leur retour sur l’examen d’expertise sans craindre de conséquences négatives sur les résultats de l’expertise ou sur une future décision de prestation. L’enquête sera réalisée immédiatement après l’examen, avant que le résultat de l’expertise ne soit connu, afin d’exclure toute influence du résultat de l’expertise sur les personnes évaluées (voir à ce sujet Muschalla et al.).

L’enquête à l’intention de la COQEM sera réalisée par voie électronique sur une plateforme en ligne et ne donnera lieu qu’exceptionnellement à un questionnaire imprimé sur papier.

Les résultats de l’enquête permettront d’identifier les éventuelles mesures et de formuler des recommandations y concernant et d’entamer un dialogue sur la qualité avec certain·s expert·s ou centre d’expertise.

 

 

Communiqué de presse de la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) du 31.08.2023 consultable ici

Étude thématique « Utilité des enquêtes auprès des personnes concernées pour l’assurance qualité des expertises médico-assurantielles, particulièrement, en termes d’équité et de satisfaction à l’égard du déroulement des expertises », Muschalla B. et al. (2023), rapport disponible ici

 

Casso VD AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023 – Valeur probante d’une expertise psychiatrique – 43 LPGA / Enregistrement sonore exploitable à la suite d’un problème d’ordre technique – 44 al. 6 LPGA – 7k OPGA / Retrait du rapport d’expertise litigieux du dossier AI

Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’une expertise psychiatrique / 43 LPGA

Enregistrement sonore inexploitable à la suite d’un problème d’ordre technique / 44 al. 6 LPGA – 7k OPGA

Retrait du rapport d’expertise litigieux du dossier AI

 

Remarques liminaires

Une fois n’est pas coutume, un arrêt cantonal est résumé sur notre site. Il s’agit l’un des premiers arrêts (en tout cas le premier à notre connaissance) concernant l’enregistrement sonore défaillant lors d’une expertise médicale mise en œuvre par un assureur social. Au moment de la publication de notre résumé, l’arrêt n’est pas entré en force. On soulignera que la juridiction cantonale a renvoyé la cause à l’office AI pour qu’il complète l’instruction et rende une nouvelle décision sur le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

En fait

Assurée, de nationalité irakienne, mariée et mère de trois enfants, au bénéfice d’une formation d’auxiliaire de santé. Depuis le 01.10.2009, l’assurée a travaillé comme femme de chambre auprès d’une hôtel. Incapacité de travail attestée à 100% dès le 24.08.2017, puis à 50% dès le 09.10.2017.

L’assureur perte de gain maladie de l’employeur a versé des indemnités journalières jusqu’au 31.07.2018, conformément aux rapports d’expertise d’un spécialiste en rhumatologie et d’un spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie (Dr C.__ ; rapport du 24.03.2018).

Le 25.07.2018, l’assurée a déposé une demande AI. Se basant sur un rapport d’examen du SMR daté du 25.07.2019, l’office AI a informé l’assurée de son intention de rejeter sa demande de prestations. Selon ce rapport, à l’expiration de la période d’attente d’un an, si elle présentait une capacité de travail de 50% dans son activité habituelle, l’intéressée était en mesure de travailler à plein temps dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles.

L’assurée, assistée de son assurance protection juridique, a contesté ce préavis négatif, en fournissant divers rapports médicaux.

L’office AI a mis en œuvre une expertise bidisciplinaire (rhumatologie et psychiatrie). Sur le plan psychiatrique, le Dr G.__, spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie, a retenu les diagnostics incapacitants de trouble dépressif récurrent, épisode actuel sévère, sans symptôme psychotique (F33.2), et de modification durable de la personnalité après une expérience de catastrophe (F62.0). Au plan somatique, la capacité de travail de l’assurée était entière dans une activité adaptée alors que sur le plan psychiatrique sa capacité de travail était nulle dans toute activité depuis l’été 2020 « selon le rapport de la Dre I.__ [psychiatre traitant] ».

Le SMR a proposé de réinterroger les médecins-experts au motif que leurs conclusions restaient floues et/ou insuffisamment discutées. Au vu de l’ampleur des informations complémentaires à apporter, on ne pouvait exclure la nécessité d’une nouvelle évaluation bidisciplinaire. Les experts ont répondu aux questions complémentaires le 08.09.2021.

Le médecin du SMR a estimé que si l’expert rhumatologue apportait un complément suffisant à son expertise, il était toutefois nécessaire de procéder à une nouvelle expertise psychiatrique de l’assurée, laquelle a été confiée par l’office AI au Dr W.__, spécialiste en psychiatrie et en psychothérapie.

Dans son rapport d’expertise psychiatrique, le Dr W.__ a posé le diagnostic incapacitant de trouble dépressif récurrent avec syndrome somatique léger (F33.0) et a estimé la capacité de travail de l’assurée à 50% dans toutes activités dès novembre 2019. Il a précisé que, d’un point de vue psychiatrique, toute activité adaptée aux compétences et à la motivation de l’intéressée était envisageable alors que les limitations fonctionnelles ressortaient du registre strictement rhumatologique, sur la base d’un emploi exercé à mi-temps.

Le médecin du SMR a relevé le caractère probant du rapport d’expertise psychiatrique précité, mais a cependant requis un complément d’information auprès du Dr W.__. En réponse aux questions complémentaires de l’office AI, le Dr W.__ a fait savoir que le traitement médicamenteux était largement insuffisant par rapport au diagnostic allégué et à la reconnaissance d’une incapacité de travail complète par le médecin de famille. Le Dr W.__ a indiqué qu’il lui semblait judicieux de réévaluer la situation « par un œil extérieur » six mois après la réadaptation du traitement.

L’office AI a, par décision du 04.08.2022, confirmé la teneur de son préavis négatif du 21.10.2019. L’office AI a précisé que son projet de décision reposait sur une instruction complète et était conforme en tous points aux dispositions légales.

 

L’assurée, par la plume de son nouveau conseil, a déféré cette décision devant la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal.

Dans sa réplique du 26.10.2022, l’assurée a produit un courrier de l’office AI du 18.10.2022 à son conseil indiquant que l’enregistrement sonore de l’entretien d’expertise n’était malheureusement pas exploitable suite à un problème d’ordre technique. Or, elle considère que l’enregistrement précité est indispensable, élément qui fait défaut et dont elle soutient qu’il est à l’origine d’une violation de son droit d’être entendue ainsi que des garanties liées à la transparence des expertises voulue par le législateur ; selon elle, l’expert psychiatre n’a pas tenu compte de ses plaintes subjectives ou les a, à tout le moins, fortement minimisées dans l’anamnèse. L’assurée a requis de la cour cantonale de retrancher du dossier le rapport d’expertise du Dr. W.__ ainsi que son complément. Elle propose dès lors de retenir sa capacité de travail nulle dans une activité adaptée depuis l’été 2020 reconnue par l’expertise bidisciplinaire et corroborée par la psychiatre traitant.

Dans sa duplique, l’office a constaté après réexamen que l’assurée avait droit à un quart de rente, sur la base d’un degré d’invalidité de 41,47%. Pour le surplus, s’il était certes regrettable que l’enregistrement ne soit pas exploitable, celui-ci ne semblait pas déterminant « à supposer qu’on puisse l’apprécier ».

 

En droit

Consid. 4d/aa
Depuis le 1er janvier 2022, sauf avis contraire de l’assuré, les entretiens entre l’assuré et l’expert font l’objet d’enregistrements sonores, lesquels sont conservés dans le dossier de l’assureur (art. 44 al. 6 LPGA). L’entretien comprend l’ensemble de l’entrevue de bilan. Celle-ci inclut l’anamnèse et la description, par l’assuré, de l’atteinte à sa santé (art. 7k al. 1 OPGA. Au moyen d’une déclaration écrite adressée à l’organe d’exécution, l’assuré peut annoncer avant l’expertise qu’il renonce à l’enregistrement sonore (art. 7k al. 3 let. a OPGA) ou demander la destruction de l’enregistrement jusqu’à dix jours après l’entretien (art. 7k al. 3 let. b OPGA). Avant l’entretien, il peut révoquer sa renonciation au sens de l’al. 7k al. 3 let. a OPGA auprès de l’organe d’exécution (art. 7k al. 4 OPGA). L’enregistrement sonore doit être réalisé par l’expert conformément à des prescriptions techniques simples. Les assureurs garantissent l’uniformité de ces prescriptions dans les mandats d’expertise. L’expert veille à ce que l’enregistrement sonore de l’entretien se déroule correctement sur le plan technique (art. 7k al. 5 OPGA). Les experts et les centres d’expertises transmettent l’enregistrement sonore à l’assureur sous forme électronique sécurisée en même temps que l’expertise (art. 7k al. 7 OPGA). Si l’assuré, après avoir écouté l’enregistrement sonore et constaté des manquements techniques, conteste le caractère vérifiable de l’expertise, l’assuré et l’organe d’exécution tentent de s’accorder sur la suite de la procédure (art. 7k al. 8 OPGA). Si la personne assurée et l’office AI ne parviennent pas à se mettre d’accord à ce sujet, l’OAI rendra une décision incidente (Circulaire sur la procédure dans l’assurance-invalidité [CPAI], état au 1er janvier 2022, n°3127).

Consid. 4d/bb
Compte tenu de la finalité de l’enregistrement sonore et de sa forme particulière de conservation, les directives prévoient que lorsque l’assuré demande l’accès à son dossier, l’enregistrement n’est pas transmis d’office avec les actes, dès lors que l’enregistrement a pour but de vérifier, en cas de litige, ce qui a été effectivement dit lors de l’entretien (Michela Messi, AI : les enregistrements favorisent la transparence, in Sécurité sociale [CHSS] 2022).

La personne assurée peut toutefois demander expressément de l’écouter. Par exemple lorsque, en lisant l’expertise, qui en soi sert de base à la décision de l’office AI, elle estime que le rapport d’expertise ne reproduit pas correctement les déclarations faites pendant l’entretien. Dans ce cas, l’office lui transmettra les instructions ainsi que les données nécessaires pour accéder électroniquement à l’enregistrement sonore et pouvoir ainsi l’écouter.

Pour que les experts puissent enregistrer facilement les entretiens et les transmettre aux offices AI, une solution informatique dédiée à l’assurance-invalidité a été créée. Une application pour smartphones permet aux experts d’enregistrer un entretien, de le réécouter et de le transmettre à l’office AI. L’enregistrement sonore n’est pas conservé sur le smartphone, mais téléchargé et stocké sur une plateforme sécurisée. Les experts peuvent également réaliser l’enregistrement avec un dictaphone et le télécharger ensuite sur la plateforme. Vu qu’il s’agit de données particulièrement sensibles, une grande attention a été accordée à la sécurité et à la protection des données lors de la mise en œuvre de l’application.

Pour des raisons de protection des données, l’accès à l’enregistrement sonore a été limité à un groupe très restreint de personnes et institutions : l’assuré même et son représentant, l’organe d’exécution compétent (l’office AI dans les cas AI) ainsi que les tribunaux appelés à statuer sur un éventuel recours.

Consid. 4d/cc
En l’espèce, l’assurée a invoqué des contradictions et des incohérences dans l’anamnèse relatée par le Dr W.__, ainsi que dans les explications de l’expert s’agissant du fils qu’elle a dû laisser en Irak en pleine guerre, provoquant un traumatisme majeur selon l’assurée. Dans le cadre de son recours, elle a contesté différentes affirmations de l’expert, qui ne correspondent pas, selon elle, à la réalité. Elle observe que les indications d’une « mère gentille » et de « souvenir d’une enfance tout à fait normale ou tout à fait heureuse » par l’expert sont en contradiction avec le fait qu’elle a été élevée par sa grand-mère car sa mère ne voulait pas d’elle, comme l’a relevé l’experte G.__, et que, selon ses propres dires, elle était « une enfant qui avait peur ». S’agissant du fils qu’elle a dû laisser en Irak, pour des raisons économiques selon l’expert, elle indique qu’elle avait voulu fuir la guerre en Irak avec ses trois enfants, mais qu’elle avait été forcée de laisser un de ses fils dans son pays d’origine, en pleine guerre. Elle ajoute qu’il ressort clairement des appréciations des Dres G.__ et I.__ que cet épisode a été particulièrement traumatique. Selon l’assurée, le rapport du Dr W.__ comporte également un certain nombre d’incohérences : par exemple, l’expert indique qu’elle n’est pas dramatique tout en signalant peu après que ses douleurs prennent « volontiers une teinte assez dramatique ». L’expert explique également que l’assurée peut reconstituer de manière très claire et précise son histoire personnelle, avec des repères temporels et dates bien maintenues, tout en reprochant dans le même temps à la recourante « une certaine imprécision ». Elle ne comprend pas l’expert lorsqu’il déclare que l’on ne pourrait pas parler de « suicidalité » alors même qu’une tentative et des pensées suicidaires sont attestées par les Dres G.__ et I.__. De plus, l’appréciation de l’expert pour exclure le diagnostic de modification durable de la personnalité après expérience de catastrophe ne correspondrait pas à la réalité avec une tentative de suicide rapportée en 2005 par les médecins, la venue de son fils fortement traumatisé par la guerre (ayant notamment assisté à la mort des membres de sa famille) et celle de son mari avec la reprise des violences conjugales (psychiques et sexuelles ayant perduré de nombreuses années), pour lesquelles on ne saurait parler de simple « conflit de couple » comme l’a fait l’expert. Le tableau clinique décrit par l’expert, symptomatique d’une dépression moyenne à légère, ne correspondrait pas aux descriptions des Dres G.__ et I.__, cette dernière faisant état, dans son rapport du 02.03.2022, de la persistance de la symptomatologie dépressive, anxieuse, algique et du registre traumatique, avec des flash-backs, des symptômes dissociatifs et des voyages pathologiques, éléments toutefois passés sous silence par l’expert. L’assurée conteste que sa prise en charge psychiatrique depuis 2017 serait due à une « certaine insatisfaction professionnelle probable » « voire des soucis quant à l’un de ses fils », analyse qui sous-évalue ses troubles psychiques et qui est également en contradiction avec les avis de ses médecins. Elle reproche en outre à l’expert, en lien avec l’aggravation de la symptomatologie en 2019, de se borner à déclarer qu’elle serait en contradiction avec les éléments objectifs, soit le voyage en Irak durant cette année-là, sans toutefois se prononcer sur les explications fournies par la Dre I.__. De l’avis de l’assurée, les diagnostics de trouble dépressif récurrent avec syndrome somatique léger et de « conflit de couple ; insatisfaction professionnelle, divers » posés par l’expert résultent ainsi d’une analyse tronquée, « minimisant grandement » les troubles présentés. Enfin s’agissant de la capacité de travail, l’assurée observe que l’expert évalue sa capacité de travail médico-théorique à 50% dans une activité adaptée à ses compétences et ses limitations somatiques objectives. Puis à la question « A quel pourcentage évaluez-vous globalement la capacité de travail de l’assuré(e) dans cette activité, par rapport à un 100% ? », l’expert répond : « 50% dès novembre 2019 sur la base d’un plein temps soit 08h00 par jour, cinq jours sur sept ». Interpellé par la suite par le médecin du SMR, il n’a pas été en mesure de préciser l’évolution probable de la capacité de travail dans son complément. L’expert n’aurait en outre pas tenu compte de ses plaintes. En d’autres termes, l’assurée affirme dans ses écritures que le rapport d’expertise reproduirait incorrectement les déclarations qu’elle a faites pendant l’entretien avec l’expert.

Consid. 4d/cc
En définitive, dès lors que l’office AI a confirmé dans un courrier du 18.10.2022 au conseil de l’assurée que l’enregistrement sonore de l’expertise du Dr W.__ n’était pas exploitable, la cour cantonale n’est pas en mesure de déterminer si les déclarations de l’assurée ont été saisies correctement et reprises avec exactitude dans le rapport de l’expert. Un tel enregistrement sonore s’avère pourtant indispensable pour savoir si l’expert psychiatre a correctement tenu compte des plaintes de l’assurée, sans les minimiser, ce d’autant plus que le tableau clinique dressé par le Dr W.__ diffère des observations des Drs G.__ et I.__.

Quoi qu’en dise l’office AI dans sa duplique du 28.11.2022, l’enregistrement sonore de l’expertise menée par le Dr W.__ est un élément indispensable pour permettre au tribunal cantonal de statuer sur les critiques soulevées par l’assurée en lien avec la vérification de l’expertise. Par conséquent, faute d’enregistrement sonore, l’expertise psychiatrique du 05.05.2022 du Dr W.__ ainsi que son complément du 21.07.2022 devront être retirés du dossier.

Consid. 4g
En l’absence d’une appréciation psychiatrique suffisamment motivée pour établir de manière objective si l’assurée présente une atteinte psychique d’une gravité telle que la mise en valeur de sa capacité de travail sur le marché du travail ne peut plus du tout ou seulement partiellement être exigible de sa part, il s’avère nécessaire de faire compléter l’instruction médicale. Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l’office AI, autorité à qui il incombe en premier lieu d’instruire, conformément au principe inquisitoire qui régit la procédure dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 43 al. 1 LPGA). Compte tenu de l’absence d’atteinte objective d’origine somatique et de la prévalence d’une symptomatologie douloureuse sans substrat organique, l’office AI mettra en œuvre une nouvelle expertise psychiatrique auprès d’un spécialiste en psychiatrie, autre que le Dr W.__. Même si le praticien précité s’efforçait d’occulter complètement son évaluation basée sur le premier entretien, on ne peut pas garantir qu’il ne continuerait pas à être influencé par cet entretien, si sa deuxième expertise psychiatrique contenait les mêmes conclusions. Cela fait, il appartiendra à l’office AI de rendre une nouvelle décision statuant sur la demande de l’assurée.

Consid. 5a
Le recours doit être admis, ce qui entraîne l’annulation de la décision rendue par l’office AI, la cause lui étant renvoyée pour mise en œuvre d’une expertise psychiatrique dans le sens des considérants, puis nouvelle décision, étant précisé que l’expertise psychiatrique du 05.05.2022 du Dr W.__ ainsi que son complément du 21.07.2022 doivent être retirés du dossier.

 

Arrêt de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois AI 224/22 – 211/2023 (f) du 08.08.2023 consultable ici