Archives par mot-clé : Assurance-invalidité (AI)

8C_61/2025 (d) du 09.10.2025 – Versement d’une rente d’invalidité en mains de tiers – Garantie de l’utilisation conforme au but – Pension alimentaire en faveur de l’ex-conjoint – 20 LPGA – 132 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_61/2025 (d) du 09.10.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Versement d’une rente d’invalidité en mains de tiers – Garantie de l’utilisation conforme au but – Pension alimentaire en faveur de l’ex-conjoint / 20 LPGA – 132 CC

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a jugé qu’un jugement fondé sur l’art. 132 al. 1 CC, ordonnant à l’office AI de verser directement à l’ex-épouse une partie de la rente d’invalidité de son ex-mari correspondant à la contribution d’entretien après divorce, est conforme au droit fédéral. Il a confirmé que cette ordonnance civile produit les mêmes effets qu’une injonction fondée sur les art. 177 ou 291 CC et permet donc le versement en mains de tiers. Dès lors, l’office AI devait exécuter l’ordonnance du tribunal civil, et la décision cantonale annulant le refus de l’office est confirmée.

 

Faits
Par jugement et décision du 16.05.2022, le mariage entre l’assuré et A.__ a été dissous. L’assuré doit verser une pension alimentaire de CHF 800 par mois à son ex-épouse du 01.06.2022 au 31.05.2032.

Par décision du 06.04.2023, l’office AI a accordé à l’assuré une rente entière d’invalidité à compter du 01.07.2022. Par jugement et décision du 22.09.2023, le tribunal de district a ordonné à l’office AI de verser directement à l’ex-épouse, en application de l’art. 132 CC, CHF 800 par mois prélevés sur la rente d’invalidité de l’assuré, avec effet immédiat et jusqu’au 31.05.2032, sous peine de devoir payer le double en cas d’omission (dispositif, ch. 1). Cette décision est entrée en force.

Par décision du 27.10.2023, l’office AI a informé l’ex-épouse qu’il ne donnerait pas suite à l’injonction de paiement du tribunal de district du 22.09.2023.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2023.00637 – consultable ici)

Par jugement du 12.12.2024, admission du recours de l’ex-épouse par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Selon l’art. 20 LPGA, l’assureur peut verser tout ou partie des prestations en espèces à un tiers qualifié ou à une autorité ayant une obligation légale ou morale d’entretien à l’égard du bénéficiaire, ou qui l’assiste en permanence, pour autant que les conditions définies dans cette disposition soient remplies. Il est établi et incontesté qu’en l’espèce ces conditions ne le sont pas, puisque l’ex-épouse a un droit à entretien à l’égard de l’assuré et ne supporte pas une obligation d’entretien envers lui.

Consid. 3.1
L’instance cantonale a considéré qu’il ressortait de l’ATF 146 V 265 que le versement à un tiers de prestations relevant du droit des assurances sociales est admissible lorsqu’il repose sur une injonction de payer rendue par un tribunal civil, visant à garantir l’entretien de l’enfant dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale ou d’une procédure de divorce. À l’instar de l’art. 291 CC, l’injonction de payer pour l’entretien après le divorce selon l’art. 132, al. 1, CC a également pour but de garantir la pension alimentaire ou l’aide financière due à la personne bénéficiaire.

Par conséquent, l’obligation du débiteur prévue par l’art. 132 al. 1 CC constitue un autre cas de versement à un tiers s’ajoutant à celui de l’art. 20 LPGA. L’ex-épouse était ainsi en droit, sur la base du jugement, fondé sur l’art. 132 al. 1 CC, de demander que la rente d’invalidité due à son ex-époux lui soit versée directement, à hauteur de la contribution d’entretien qui lui avait été accordée dans le cadre de la procédure de divorce.

Consid. 3.2
L’OFAS recourant fait valoir, à l’inverse, que la décision contenue dans un jugement de divorce, prescrivant le versement des rentes du conjoint débiteur de l’entretien à l’ex-conjoint bénéficiaire de l’entretien (art. 132 CC), n’est pas contraignante pour les offices cantonaux chargés de l’exécution. Selon lui, l’art. 132 CC est formulé de manière générale et, en l’absence de clause expresse relative à un versement à un tiers, il ne peut être dérogé à l’art. 20 al. 1 LPGA.

S’agissant des fondements de l’ordonnance civile adressée au débiteur, il convient d’opérer une distinction. En ce sens, les ordonnances du juge civil concernant le versement des rentes d’un époux qui n’exécute pas son obligation d’entretien envers sa famille dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale sont admissibles et obligent la caisse de compensation (art. 177 CC). Il en va de même pour les rentes des parents qui négligent leur devoir d’entretien envers leur enfant (art. 291 CC). En revanche, l’ordonnance civile contenue dans un jugement de divorce prescrivant le versement des rentes du conjoint débiteur à l’ex-conjoint bénéficiaire de l’entretien (art. 132 CC) est irrecevable.

Consid. 4.1
Le Tribunal fédéral a déjà tranché la question soulevée ici dans l’ATF 151 V 137 : une ordonnance rendue par un tribunal civil en vertu de l’art. 132 CC, prescrivant le versement à un tiers d’une partie des prestations dues à l’assuré, doit être traitée, du point de vue du droit des assurances sociales, de la même manière que celles fondées sur les art. 177 ou 291 CC. Ainsi, l’épouse divorcée peut, sur la base d’une telle ordonnance, exiger qu’une partie de la rente de vieillesse due à son ex-mari lui soit versée directement (consid. 2, 4 et 5 de l’arrêt précité).

Le Tribunal fédéral a relevé, au considérant 5.4 de l’arrêt cité, que le droit à l’entretien après divorce constitue précisément l’exemple type d’une conséquence d’un mariage dissous. La fixation des contributions d’entretien après le divorce relève du droit civil (ou, dans un cas concret, du tribunal civil). Le droit civil, conscient du fait que la communauté conjugale prend fin avec le divorce, prévoit à l’art. 132 al. 1 CC que le tribunal civil peut ordonner au débiteur de la personne tenue à l’entretien d’effectuer les paiements, en tout ou partie, directement à la personne bénéficiaire. Aucun motif particulier ne justifie que le droit des assurances sociales s’écarte, dans le contexte examiné, des principes du droit civil. Les objections tirées du droit de la famille concernant la conception des règles en matière familiale ne constituent pas une raison de refuser d’appliquer dans le droit des assurances sociales la solution prévue par le droit civil.

Consid. 4.2
Il n’existe aucun motif de s’écarter de cette jurisprudence récente (sur les conditions d’un revirement de pratique, cf. ATF 148 III 270 consid. 7.1 ; 145 V 304 consid. 4.4).

L’autorité cantonale n’a donc pas violé le droit fédéral lorsqu’elle a, conformément à la jurisprudence issue de l’ATF 151 V 137, annulé la décision de l’office AI du 27.10.2023 et ordonné à celui-ci de se conformer au jugement du juge unique du tribunal de district du 22.09.2023 concernant la mise en demeure du débiteur.

 

Le TF rejette le recours de l’OFAS.

 

Arrêt 8C_61/2025 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_61/2025 (d) du 09.10.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/11/8c_61-2025)

 

 

9C_24/2025 (d) du 29.08.2025 – Décision incidente de l’AI réglant les modalités de la consultation du dossier et de l’enregistrement sonore – Pas préjudice irréparable – 46 PA / Limitation de l’étendue du droit de consulter le dossier vs modalités de cette consultation

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_24/2025 (d) du 29.08.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Décision incidente de l’AI réglant les modalités de la consultation du dossier et de l’enregistrement sonore – Pas préjudice irréparable / 46 al. 1 let. a PA

Limitation de l’étendue du droit de consulter le dossier vs modalités de cette consultation / 47 LPGA

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé le jugement du tribunal cantonal, qui avait refusé d’entrer en matière sur le recours de l’assuré dirigé contre le refus de l’office AI de lui accorder un accès sans restriction à l’enregistrement sonore de son expertise médicale. Il a jugé que la décision de l’office AI, qui portait uniquement sur les modalités d’accès au dossier – à savoir l’écoute de l’enregistrement par un lien temporaire sans possibilité de téléchargement –, constituait une décision incidente ne causant aucun préjudice irréparable.

Le Tribunal fédéral a retenu que les droits de l’assuré, et en particulier son droit d’être entendu, n’étaient pas atteints dès lors qu’il disposait d’un accès complet au contenu du dossier, qu’il pouvait à tout moment renouveler sa demande de consultation, et qu’aucune restriction matérielle ni atteinte effective à la défense de ses intérêts n’était démontrée. En conséquence, il a confirmé le rejet du recours et l’absence de violation de la garantie de la voie de droit.

 

Faits
Assuré, né 1962, a déposé en septembre 2021 une deuxième demande AI (première demande de 2009 ayant conduit à un refus).

L’office AI a mis en œuvre une expertise bidisciplinaire (rapport du 20.07.2023). Par projet de décision du 17 octobre 2023, la demande est rejetée.

Par courriels des 24.10.2023 et 30.10.2023, l’avocat de l’assuré a demandé la consultation du dossier. Par lettre du 20.11.2023, il a en outre sollicité la transmission de l’enregistrement sonore de l’expertise et une prolongation du délai pour déposer ses observations.

L’office AI a accordé plusieurs prolongations et a invité le mandataire à communiquer un numéro de téléphone mobile afin d’y transmettre un code provisoire donnant accès à l’enregistrement stocké sur une plateforme. L’avocat a déclaré ne pas disposer d’un téléphone portable pouvant être utilisé à cette fin et a demandé à recevoir l’enregistrement sonore sur un support de données ou par courrier électronique sécurisé ; à défaut, il faudrait rendre une décision l’obligeant à communiquer son numéro de téléphone portable. Par courriel du 19.04.2024, l’office AI l’a informé qu’il ne lui était pas permis de lui transmettre l’enregistrement sonore de cette manière.

Le 17.07.2024, l’office AI lui a imparti un ultime délai pour compléter ses objections, précisant qu’il n’avait pas droit à la remise d’un CD ni à une disponibilité illimitée de l’enregistrement sonore. Si la durée de validité du lien n’était pas suffisante, une nouvelle demande de consultation du dossier pouvait être déposée. Il était également possible d’écouter l’enregistrement sonore au siège de la SVA Zurich [Sozialversicherungsanstalt des Kantons Zürich].

Par courriel du 05.08.2024, l’office AI a également informé le représentant légal qu’il pouvait également indiquer le numéro de téléphone portable de l’assuré. Dans un e-mail daté du 04.09.2024, elle lui a finalement fait savoir qu’elle ne rendrait aucune décision susceptible de recours concernant l’enregistrement sonore.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2024.00505 – consultable ici)

Par jugement du 26.11.2024, le tribunal cantonal a rejeté le recours dans la mesure où il était recevable.

 

TF

Consid. 4.1
Est d’abord contesté le refus d’entrer en matière du tribunal cantonal sur la conclusion principale, selon laquelle le droit d’être entendu dans la procédure de préavis et un accès illimité aux enregistrements sonores devraient être garantis. Ce litige repose sur le fait que le représentant légal de l’assuré avait refusé de consulter en ligne ou dans les locaux de l’office AI (comme cela lui avait été proposé) l’enregistrement des entretiens réalisés dans le cadre de l’expertise bidisciplinaire et qu’il avait, sans succès, demandé à l’office AI de rendre à ce sujet une décision susceptible de recours.

Consid. 4.2
L’assuré fait valoir qu’il avait soumis dans la procédure cantonale, comme objet du litige, la lettre du 17.07.2024, dont l’autorité précédente aurait à tort nié le caractère de décision. Son refus d’entrer en matière violerait le droit à ce que le différend juridique soit tranché par une autorité judiciaire (art. 29a al. 1 Cst.).

Consid. 4.3
La violation alléguée par l’assuré de la garantie de la voie de droit suppose que la décision correspondante de l’office AI soit elle-même susceptible de recours à titre indépendant. Toutefois, une décision relative à la consultation du dossier (art. 47 LPGA) constitue une décision incidente au sens de l’art. 55 al. 1 LPGA en lien avec les art. 5 al. 2 et 46 PA. Par conséquent, un recours dirigé contre une telle décision (art. 56 LPGA) n’est recevable qu’en présence d’un préjudice irréparable (art. 46 al. 1 let. a PA ; cf. également § 13 al. 2 de la loi zurichoise du 7 mars 1993 sur le tribunal des assurances sociales [GSVGer ; RS 212.81]). Le préjudice n’a pas besoin d’être de nature juridique ; un intérêt de fait digne de protection à la suppression ou à la modification immédiate de la décision incidente suffit déjà (cf. ATF 130 II 149 consid. 1.1 ; arrêts 8C_130/2018 du 31 août 2018 consid. 5.2 ; 2C_86/2008 du 23 avril 2008 consid. 3.2 ; Felix Uhlmann/Simone Wälle-Bär, in: Praxiskommentar Verwaltungsverfahrensgesetz [VwVG], 3. Aufl. 2023, N. 6 f. zu Art. 46 VwVG; Melchior Volz, in: Kommentar zum Gesetz über das Sozialversicherungsgericht des Kantons Zürich, 3. Aufl. 2024, S. 160 Rz. 94c). En revanche, le simple intérêt à éviter une prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci n’est en principe pas suffisant (UELI KIESER, Kommentar zum ATSG, 4. Aufl. 2020, N. 21 zu Art. 56 ATSG). Un refus du droit de consulter le dossier ne constitue pas non plus un préjudice irréparable lorsque les moyens de preuve ne sont pas mis en péril et qu’il ne s’agit que d’un éventuel prolongement inutile de la procédure (UHLMANN/WÄLLE-BÄR, a.a.O., N. 17 zu Art. 46 VwVG).

Consid. 4.4
L’instance cantonale a considéré que la transmission de l’enregistrement sonore au moyen d’un lien permettant uniquement l’écoute des entretiens pendant une certaine période, mais pas de les télécharger pour les rendre disponibles sans restriction, pouvait certes apparaître comme une complication administrative pour l’assuré ou son représentant. Toutefois, il n’y avait en tout état de cause pas de préjudice irréparable dans la mesure où cette modalité de consultation du dossier ne pouvait en aucun cas porter atteinte à son contenu matériel et donc au droit d’être entendu du demandeur. D’autres circonstances susceptibles d’avoir des effets préjudiciables irréparables n’étaient ni apparentes ni invoquées. Dans la mesure où le représentant légal a fait valoir auprès de l’office AI qu’il ne disposait pas d’un téléphone portable pouvant être utilisé à cette fin, il convient de lui opposer que, compte tenu de la garantie donnée selon laquelle le numéro ne serait utilisé que pour la transmission de l’enregistrement sonore puis supprimé, il n’y avait aucun inconvénient ni risque d’abus à craindre en ce qui concerne son numéro de téléphone portable.

En outre, il était également possible d’indiquer le numéro de l’assuré, ce qui, contrairement à l’avis de son représentant légal, ne signifie pas qu’il doive écouter l’intégralité de l’enregistrement sonore, puisque le représentant pouvait simplement obtenir le code d’accès par l’intermédiaire de l’assuré. Enfin, une nouvelle demande de consultation du dossier pouvait être déposée à tout moment si la durée de validité du lien (généralement 90 jours) n’était pas suffisante.

Consid. 4.5.1 [résumé]
L’assuré soutient notamment qu’il était erroné de considérer que l’existence d’un préjudice irréparable dépendrait uniquement de la possibilité d’écouter l’intégralité de l’enregistrement sonore. Il estimait que son droit d’être entendu était violé dès lors qu’il ne pouvait pas rendre cet enregistrement accessible à son psychiatre traitant, ou seulement de manière difficile. Enfin, il s’en prend au raisonnement de la juridiction cantonale selon lequel la transmission de l’enregistrement sonore par un lien ne permettant qu’une écoute limitée dans le temps ne portait pas atteinte à l’étendue matérielle du droit de consulter le dossier ni, partant, au droit d’être entendu.

Consid. 4.5.2
Comme l’a justement constaté l’autorité précédente, il n’est pas question d’une limitation matérielle du droit de consulter le dossier et, partant, d’une violation du droit d’être entendu, mais uniquement de la réglementation des modalités de cette consultation. Le droit de l’assuré à un accès complet au contenu de l’enregistrement sonore n’est remis en cause par aucune des parties. Selon les constatations non contestées, une nouvelle demande de consultation du dossier peut être introduite à tout moment après l’expiration du délai de validité du lien d’accès, en principe de 90 jours (délai qui vise à renforcer la sécurité des données) (cf. jugement cantonal, consid. 3.2.2). Il n’existe donc aucune restriction temporelle susceptible d’entraver de manière significative le droit de consultation. Le seul fait que l’assuré ou son représentant préfère un autre mode d’accès à l’enregistrement que ceux qui lui ont été proposés ne saurait constituer un préjudice irréparable.

La situation est similaire à celle examinée dans l’ATF 139 V 492 et dans l’ATF 100 V 126 (concernant l’art. 45 al. 1 PA, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2006). Dans la première affaire, la personne assurée (ou son représentant) avait souhaité obtenir une copie du dossier au lieu de consulter les originaux (voir en particulier le consid. 4.1 de cet arrêt). Dans la seconde, l’administration n’avait accordé la consultation du dossier qu’au représentant légal, et non à la personne assurée elle-même. Dans les deux cas, l’existence d’un préjudice irréparable avait été niée. Il n’apparaît donc pas davantage en l’espèce pour quelle raison la violation alléguée du droit à un accès illimité à l’enregistrement ne pourrait pas être réparée par une décision favorable à l’assuré sur le fond. Si la décision matérielle à rendre devait au contraire se fonder sur l’expertise bidisciplinaire de juillet 2023 et être défavorable à l’assuré, celui-ci pourrait alors faire valoir efficacement ce grief dans le cadre du recours contre cette décision (art. 46 al. 2 PA). Le fait qu’une éventuelle prolongation inutile de la procédure pourrait être évitée ne suffit pas à admettre l’existence d’un préjudice irréparable (cf. consid. 4.3 supra).

Consid. 4.5.3
Dès lors que la décision de l’office AI réglant les modalités de la consultation du dossier revêt le caractère d’une décision incidente, qui n’est pas susceptible de recours faute de préjudice irréparable au sens de l’art. 46 al. 1 let. a PA, le refus d’entrer en matière de l’autorité précédente se révèle conforme au droit, et une violation de la garantie de la voie de droit est d’emblée exclue.

Consid. 4.6
Contrairement à ce que semble supposer l’assuré, l’instance cantonale ne pouvait pas non plus renoncer à l’exigence d’un préjudice irréparable. Pour appuyer sa position, l’assuré se réfère à l’ATF 135 II 430, dont le considérant 2.2 traite de l’intérêt pratique actuel. En se fondant sur les conditions mentionnées dans cet arrêt, il soutient que la question du droit d’accès à l’enregistrement sonore pourrait se représenter à tout moment et dans des circonstances identiques ou semblables, de sorte que sa résolution serait d’importance fondamentale et relèverait de l’intérêt public.

Il n’y a toutefois aucune raison de déroger ici à la condition de recevabilité tenant au préjudice irréparable, car – comme cela a été exposé (consid. 4.5.2) – il ne s’agit pas d’une limitation de l’étendue du droit de consulter le dossier, mais uniquement des modalités de cette consultation. À cet égard également, le tribunal cantonal a constaté à juste titre, en se référant à ce qui a été dit dans l’ATF 139 V 492 consid. 4.2, qu’une voie de droit exceptionnelle ne s’imposait pas dans une telle situation, les litiges relatifs aux modalités du droit de consultation du dossier ne concernant pas la participation d’une partie à la procédure, mais seulement des questions touchant à la bonne administration – susceptibles, le cas échéant, d’être tranchées dans le cadre d’une plainte auprès de l’autorité de surveillance – et à la manière dont celle-ci traite les personnes assurées et leurs représentants. En d’autres termes, le tribunal cantonal n’a eu aucune raison d’entrer en matière sur le recours à titre exceptionnel sans que soient remplies les conditions de recevabilité applicables aux décisions incidentes.

Consid. 4.7
En l’absence d’un préjudice irréparable au sens de l’art. 46 al. 1 let. a PA, la décision attaquée serait valable sur le point de la non-entrée en matière même si l’instance précédente avait nié à tort le caractère décisionnel de la lettre du 17.07.2024.

Consid. 4.8
Dans ces circonstances, il est également conforme au droit que l’instance cantonale ait rejeté, dans la mesure où elle est entrée en matière, la conclusion subsidiaire tendant à ce que l’intimée soit enjointe de rendre une décision procédurale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_24/2025 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_24/2025 (d) du 29.08.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/11/9c_24-2025)

 

 

8C_184/2025 (f) du 15.09.2025 – Réparation du dommage causé par l’office AI lors d’un entretien de détection précoce – Condition de l’illicéité / Devoir de conseil de l’assureur social

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_184/2025 (f) du 15.09.2025

 

Consultable ici

 

Réparation du dommage causé par l’office AI lors d’un entretien de détection précoce – Condition de l’illicéité / 78 LPGA – 3 al. 1 LRCF

Devoir de conseil de l’assureur social / 27 LPGA

Notion de la détection précoce / 3a LAI

 

Résumé
L’assurée reprochait à l’office AI de ne pas l’avoir invitée à déposer une demande de prestations ni informée des conditions ouvrant le droit à une rente lors de la procédure de détection précoce en février 2017. Elle estimait que cette omission constituait une violation du devoir de conseil et engageait la responsabilité de l’office AI. Le Tribunal fédéral a confirmé que l’administration avait agi conformément à la volonté exprimée par l’assurée de se réadapter seule, dans un contexte d’amélioration – certes sensible – de son état de santé, et qu’aucune obligation spécifique d’information ne s’imposait alors à l’office AI. Faute d’acte illicite, la demande en réparation du dommage a donc été rejetée.

 

Faits
Assurée, née en 1965, exerce depuis 2007 comme kinésiologue, thérapeute et masseuse indépendante. En janvier 2017, elle a signalé des difficultés à l’office AI par le biais d’un formulaire de détection précoce. Son dossier d’assurance perte de gain faisait état d’une maladie de Lyme et d’une une incapacité de travail totale du 22.06.2016 au 09.10.2016 et de 70% depuis le 10.10.2016. Lors d’un entretien de détection précoce le 01.02.2017, elle a mentionné vouloir reprendre progressivement son activité et éventuellement suivre une formation complémentaire. Le 08.02.2017, l’office AI lui a indiqué qu’une demande AI formelle n’était pas nécessaire pour le moment, tout en restant disponible pour soutenir financièrement d’éventuels cours.

En juin 2018, l’assurée a sollicité une aide financière, invoquant un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde sévère posé en avril 2017 et une aggravation de son état. Elle a ensuite déposé une demande formelle de prestations AI le 25.09.2018. Par décisions des 14.04.2.023 et 06.06.2023, l’office AI lui a accordé une rente entière du 01.03.2019 au 31.08.2019 puis une demi-rente dès le 01.09.2019.

Le 07.06.2023, l’assurée a déposé auprès de l’office AI une demande en réparation du dommage, estimant que l’office AI ne l’avait pas correctement informée lors de la détection précoce en 2017, ce qui l’aurait privée d’une rente entière entre août 2017 et février 2019. Le 29.06.2023, l’office a rejeté la demande en niant toute faute.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 242/23 – 49/2025 – consultable ici)

Par jugement du 24.02.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1
Aux termes de l’art. 78 al. 1 LPGA, les corporations de droit public, les organisations fondatrices privées et les assureurs répondent, en leur qualité de garants de l’activité des organes d’exécution des assurances sociales, des dommages causés illicitement à un assuré ou à des tiers par leurs organes d’exécution ou par leur personnel. Cette disposition institue une responsabilité causale et ne présuppose donc pas une faute d’un organe de l’institution d’assurance. Les corporations de droit public, les organisations fondatrices privées et les assureurs répondent donc si un organe ou un agent accomplit, en sa qualité d’organe d’exécution de la loi, un acte illicite et dommageable. Il doit en outre exister un rapport de causalité entre l’acte et le dommage (ATF 133 V 14 consid. 7).

Consid. 3.1.2
Selon l’art. 3 al. 1 LRCF (RS 170.32) – auquel renvoie l’art. 78 al. 4 LPGA -, la Confédération répond du dommage causé sans droit à un tiers par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, sans égard à la faute du fonctionnaire. La condition de l’illicéité au sens de l’art. 3 al. 1 LRCF suppose la violation par l’État, au travers de ses organes ou agents, d’une norme protectrice des intérêts d’autrui en l’absence de motifs justificatifs (consentement, intérêt public prépondérant, etc.). La jurisprudence a également considéré comme illicite la violation de principes généraux du droit ou encore, selon les circonstances, un excès ou un abus du pouvoir d’appréciation conféré par la loi. L’illicéité peut d’emblée être réalisée si le fait dommageable découle de l’atteinte à un droit absolu (vie, santé ou droit de propriété). Si, en revanche, le fait dommageable consiste en une atteinte à un autre intérêt (par exemple le patrimoine), l’illicéité suppose que l’auteur ait violé une norme de comportement ayant pour but de protéger le bien juridique lésé (Verhaltensunrecht) (ATF 148 II 73 consid. 3.2; 144 I 318 consid. 5.5; 139 IV 137 consid. 4.2; 137 V 76 consid. 3.2).

Une omission peut constituer un acte illicite uniquement s’il existe une disposition la sanctionnant ou imposant de prendre la mesure omise. Ce chef de responsabilité suppose que l’État se trouve dans une position de garant à l’égard du lésé et que les prescriptions déterminant la nature et l’étendue de ce devoir aient été violées (ATF 148 II 73 consid. 3.2; 144 I 318 consid. 5.5; 137 V 76 consid. 3.2; 133 V 14 consid. 8.1).

Consid. 3.2.1
L’art. 27 LPGA prévoit que dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1) et que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase).

Consid. 3.2.2
Le devoir de conseil de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA comprend l’obligation d’attirer l’attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations. Les conseils ou renseignements portent sur les faits que la personne qui a besoin de conseils doit connaître pour pouvoir correctement user de ses droits et obligations dans une situation concrète face à l’assureur. Le devoir de conseil s’étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique. Son contenu dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (ATF 139 V 524 consid. 2.2; 131 V 472 consid. 4.3; arrêt 8C_419/2022 du 6 avril 2023 consid. 4.2 in fine et l’arrêt cité).

Consid. 3.3.1
Selon l’art. 29 al. 1 LPGA, celui qui fait valoir son droit à des prestations doit s’annoncer à l’assureur compétent, dans la forme prescrite pour l’assurance sociale concernée. En vertu de l’art. 28 al. 1 LAI – dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, applicable ratione temporis au cas d’espèce (cf. ATF 150 V 323 consid. 4.2; 150 II 390 consid. 4.3; 149 II 320 consid. 3) -, l’assuré a droit à une rente aux conditions suivantes: sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a); il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b); au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c). Conformément à l’art. 29 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18 e anniversaire de l’assuré (al. 1); la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance (al. 3).

Consid. 3.3.2
Selon l’art. 3a al. 1 LAI, la détection précoce a pour but de prévenir l’invalidité (art. 8 LPGA) de personnes en incapacité de travail (art. 6 LPGA). L’art. 3c LAI dispose que l’office AI examine la situation personnelle de l’assuré, en particulier son incapacité de travail et les causes et conséquences de celle-ci, et détermine si des mesures d’intervention précoce au sens de l’art. 7d sont indiquées (al. 2, première phrase); il peut inviter l’assuré et, si besoin est, son employeur à un entretien de conseil (al. 2, seconde phrase); au besoin, l’office AI ordonne à l’assuré de s’annoncer à l’AI conformément à l’art. 29 LPGA (al. 6, première phrase); il l’informe du fait que les prestations peuvent être réduites ou refusées s’il ne s’annonce pas dans les meilleurs délais (al. 6, seconde phrase).

L’art. 1quinquies RAI – dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, applicable au cas d’espèce – prévoit que l’office AI peut convoquer l’assuré à un entretien de détection précoce dont le but est d’évaluer si le dépôt d’une demande de prestations AI est indiqué (al. 1); l’entretien de détection précoce vise notamment à analyser la situation médicale, professionnelle et sociale de l’assuré (al. 1 let. a).

Une annonce de détection précoce ne constitue pas une demande de prestations de l’assurance-invalidité au sens de l’art. 29 al. 1 LPGA (arrêts 9C_324/2021 du 16 septembre 2021 consid. 5.2; 9C_463/2014 du 9 septembre 2014 consid. 3.2 et les références citées).

Consid. 6.1 [résumé]
L’assurée invoque une violation des art. 78 al. 1 et 27 LPGA. Elle reproche à la cour cantonale d’avoir admis que l’office AI ne l’avait ni invitée à déposer une demande de prestations à la suite de la détection précoce, ni informée de son éventuel droit à une rente d’invalidité. Elle soutient que cette omission d’information constitue une violation du devoir de conseil prévu à l’art. 27 LPGA, puisqu’elle n’a pas été renseignée sur les conditions juridiques entourant l’ouverture du droit aux prestations, notamment le délai de six mois fixé par l’art. 29 al. 1 LAI. Selon elle, aucune justification ne permettait à l’office AI de s’abstenir de cette information.

En février 2017, son incapacité de travail durait depuis huit mois, son activité était fortement réduite par ses atteintes à la santé et elle cherchait déjà à se réorienter par des formations personnelles. Or, la cour cantonale aurait ainsi dispensé l’office AI de tout devoir de conseil dès lors qu’un assuré tente spontanément de réduire son dommage, ce qui serait contraire au sens de l’art. 27 LPGA.

De plus, l’assurée conteste avoir refusé toute aide de l’office AI. Elle affirme au contraire avoir été incitée par la spécialiste en réinsertion à ne pas déposer de demande AI. Elle souligne qu’en l’absence d’explications sur les conditions d’octroi d’une rente, elle n’était pas en mesure de choisir en connaissance de cause de faire valoir son droit. Même si elle avait exprimé un refus d’aide, l’office AI aurait dû, selon elle, l’avertir que ne pas déposer une demande pouvait l’exposer à une perte rétroactive de rente en vertu de l’art. 29 al. 1 LAI.

Dans ces conditions, l’office AI aurait omis de l’informer en violation de l’art. 27 LPGA, ce qui serait constitutif d’un acte illicite. Dès lors qu’elle aurait subi un dommage et que le lien de causalité entre celui-ci et l’acte illicite serait donné, les conditions de la responsabilité de l’office AI, au sens de l’art. 78 al. 1 LPGA, seraient réalisées.

Consid. 6.2.1 [résumé]

L’assurée soutenait qu’elle n’avait jamais déclaré, lors de l’entretien du 01.02.2017, refuser l’aide de l’office AI, et qu’au contraire, la conseillère en réinsertion l’aurait incitée à ne pas déposer de demande de prestations. L’assurée remet en cause les faits retenus par la cour cantonale sans démontrer d’arbitraire. En conséquence, les faits constatés définitivement dans l’arrêt cantonal demeurent applicables. Ainsi, il est retenu qu’au cours de la détection précoce, l’assurée a exprimé la volonté de se réorienter par ses propres moyens et qu’il a été convenu, d’un commun accord avec la conseillère en réinsertion, de ne pas introduire de demande AI à ce stade.

Consid. 6.2.2
Selon les faits constatés sans arbitraire par le tribunal cantonal (cf. consid. 5 et 6.2.1 supra), l’assurée a effectué une annonce de détection précoce sur demande expresse de son assureur perte de gain, et non pas de sa propre initiative. Lors de l’entretien du 01.02.2017, elle a clairement exprimé son souhait de ne pas être aidée par l’office AI, en précisant ne pas voir le sens de sa démarche auprès de celui-ci. Elle indiquait vouloir diversifier ses activités en suivant des formations complémentaires. Au moment de la phase de détection précoce, elle avait d’ailleurs déjà entamé des formations de Qi Gong et d’animation d’ateliers de coaching et avait l’intention d’entreprendre une formation pour enseigner une introduction à la philosophie. Au plan médical, les rapports que s’est procurés l’office AI mentionnaient une évolution lentement favorable et une amélioration de la capacité de travail à compter du 10.09.2016.

Compte tenu de la posture de l’assurée et des informations à sa disposition en février 2017, l’office AI pouvait légitimement penser que celle-ci était en mesure de se réinsérer professionnellement toute seule et qu’une demande de prestations n’était pas indiquée.

A posteriori, il apparaît certes qu’il aurait été préférable que l’office AI attire expressément l’attention de l’assurée sur les conditions d’octroi d’une rente d’invalidité, en particulier sur les délais prévus aux art. 28 al. 1 let. b et 29 al. 1 LAI, dans l’hypothèse où l’évolution en cours ne devait pas se poursuivre comme attendu. Il reste que dans les circonstances connues de l’office AI à l’époque, l’omission d’un tel renseignement ne constitue pas une violation de l’art. 27 al. 2 LPGA et, partant, n’est pas illicite au sens de l’art. 78 al. 1 LPGA. Au vu notamment des démarches déjà entreprises par l’assurée pour diversifier son activité, de l’amélioration apparemment en cours de son état de santé et du fait que l’assurée elle-même avait indiqué ne pas souhaiter d’aide de l’assurance-invalidité hormis le financement d’une formation si besoin, l’office AI pouvait raisonnablement considérer qu’il n’y avait pas à s’attendre à une invalidité imminente. Il s’ensuit que l’arrêt cantonal échappe à la critique et que le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_184/2025 consultable ici

 

 

 

9C_343/2025 (d) du 08.08.2025 – Allocation pour mineur impotent – Notion de « soins particulièrement astreignants » – Allergie alimentaire et acte ordinaire « manger »

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_343/2025 (d) du 08.08.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Allocation pour mineur impotent – Notion de « soins particulièrement astreignants » / 9 LPGA – 42 LAI – 37 al. 3 RAI

Allergie alimentaire et acte ordinaire « manger »

 

Résumé
Un enfant de trois ans souffrant de dermatite atopique et d’allergies alimentaires a demandé une allocation pour impotent. L’office AI a refusé la prestation, décision confirmée par le tribunal cantonal. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours : il a considéré que ni les soins liés aux affections cutanées, ni le respect du régime alimentaire, ni le port de couches ne révélaient un besoin d’aide supérieur à celui d’un enfant du même âge sans atteinte à la santé.

 

Faits
Assuré, né en octobre 2020, souffre de dermatite atopique et de diverses allergies alimentaires. Sa mère a déposé, en février 2024, une demande d’allocation pour impotent destinée aux mineurs. Par décision du 09.07.2024, l’office AI a refusé le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 09.05.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Est réputée impotente toute personne qui, en raison d’une atteinte à sa santé, a besoin de façon permanente de l’aide d’autrui ou d’une surveillance personnelle pour accomplir des actes élémentaires de la vie quotidienne (art. 9 LPGA).

Les assurés impotents qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse ont droit à une allocation pour impotent. (art. 42, al. 1, LAI ; les conditions particulières applicables aux mineurs selon l’art. 42bis al. 3 LAI ne jouent aucun rôle en l’espèce). Il convient de distinguer entre l’impotence grave, moyenne et légère (art. 42 al. 2 LAI). Le montant de l’allocation pour impotent dépend du degré de l’impotence personnelle (art. 42ter al. 1, première phrase, LAI). Selon l’art. 42ter al. 3 LAI, l’allocation pour impotent destinée aux mineurs qui nécessitent en outre des soins particulièrement intensifs – ce qui suppose un besoin d’assistance d’au moins quatre heures par jour (cf. art. 39 RAI) – est majorée d’un supplément pour soins intensifs.

Consid. 2.1
Selon l’art. 37 al. 3 RAI, l’impotence est faible si l’assuré, même avec des moyens auxiliaires, a besoin de façon régulière et importante, de l’aide d’autrui pour accomplir au moins deux actes ordinaires de la vie (let. a), a besoin d’une surveillance personnelle permanente (let. b), ou a besoin de façon permanente, de soins particulièrement astreignants, exigés par l’infirmité de l’assuré (let. c). Les autres hypothèses de l’art. 37 al. 3 RAI (let. d et e) ne sont pas pertinentes en l’espèce.

Dans le cas des mineurs, seul est pris en considération le surcroît d’aide et de surveillance que le mineur handicapé nécessite par rapport à un mineur du même âge et en bonne santé (art. 37 al. 4 RAI).

Consid. 2.3.1
Les actes ordinaires de la vie se répartissent en six domaines : « se vêtir, se dévêtir », « se lever, s’asseoir, se coucher », « manger », « faire sa toilette », « aller aux toilettes » ainsi que « se déplacer (dans l’appartement, à l’extérieur) et entretenir les contacts sociaux » (cf. ATF 133 V 450 consid. 7.2 ; ch. 2020 de la Circulaire de l’Office fédéral des assurances sociales sur l’impotence, en vigueur depuis le 1er janvier 2022 [CSI ; sur la valeur des directives administratives, cf. arrêt 8C_669/2023 du 1er avril 2025 consid. 6.2, destiné à la publication ; ATF 148 V 385 consid. 5.2 ; 147 V 79 consid. 7.3.2]).

Consid. 2.3.2
Le besoin, de façon permanente, de soins particulièrement astreignants au sens de l’art. 37 al. 3 let. c RAI ne se rapportent pas aux actes ordinaires de la vie. Au contraire, tout comme l’exigence d’une surveillance personnelle permanente (art. 37 al. 2 let. b et al. 3 let. b RAI), il s’agit d’une aide médicale ou infirmière rendue nécessaire par l’état physique ou psychique de la personne assurée.

Ces soins peuvent être astreignants pour diverses raisons : ils le sont selon un critère quantitatif lorsqu’ils exigent beaucoup de temps ou entraînent des coûts particulièrement élevés. D’un point de vue qualitatif, ils peuvent l’être lorsque les soins doivent être prodigués dans des conditions difficiles, par exemple parce qu’ils sont particulièrement pénibles ou qu’ils doivent être prodigués à des heures inhabituelles (par exemple vers minuit) (SVR 2017 IV n° 43 p. 128, 8C_663/2016 E. 2.2.2 et les nombreuses références).

Un besoin de soins de plus de deux heures par jour est qualifié de particulièrement astreignants si des critères qualitatifs aggravants doivent aussi être pris en compte (SVR 2017 IV n° 43 p. 128, 8C_663/2016 consid. 2.2.3, avec renvoi aux arrêts I 314/92 du 28 janvier 1993 et I 142/86 du 25 mai 1987 ; cf. aussi ch. 2065 CSI). Selon la pratique administrative (cf. ch. 2066 ss CSI), si le besoin de soins est supérieur à trois heures par jour, l’aide peut être qualifiée d’astreignante si au moins un critère qualitatif (par ex. soins pendant la nuit) s’y ajoute. Un besoin de soins de quatre heures par jour ou plus est par principe considéré comme astreignant, même sans critère qualitatif supplémentaire.

Consid. 4.1
Il est établi et incontesté que l’assuré souffre de dermatite atopique et de diverses allergies alimentaires. En lien avec son impotence, aucune autre atteinte à la santé n’a été et n’est évoquée.

Consid. 4.2
Même si le recourant mentionne un « supplément d’efforts dans la prise en charge » ou un surcroît d’efforts pour la « surveillance personnelle », il ne fait pas valoir (de manière fondée) un besoin de surveillance personnelle permanente au sens de l’art. 37 al. 3 let. b RAI. Un tel besoin n’apparaît d’ailleurs pas.

Consid. 4.3
L’assuré ne soutient pas non plus que les soins supplémentaires liés à l’utilisation de bains à l’huile et de crèmes relipidantes (ainsi que le temps supplémentaire consacré à l’accompagnement lors des rendez-vous médicaux et thérapeutiques) constitueraient des soins constants et particulièrement astreignants au sens de l’art. 37 al. 3 let. c RAI (cf. consid. 2.3.2 supra). De tels soins ne ressortent pas non plus du dossier, aucun problème cutané grave ou complexe n’étant attestée.

Par conséquent, les critiques de l’assuré relatives à l’augmentation des soins corporels – consistant essentiellement en une violation alléguée du principe d’instruction et du droit d’être entendu, au motif que la personne chargée de l’évaluation de l’office AI aurait insuffisamment pris en compte le besoin accru de soins et que la juridiction cantonale n’aurait pas ordonné une nouvelle enquête sur place – sont dénuées de fondement.

Consid. 4.4.1
Il reste donc à examiner une impotence (légère) au sens de l’art. 37 al. 3 let. a RAI, et plus particulièrement le besoin accru d’aide dans l’acte ordinaire de la vie « manger ».

Consid. 4.4.2
Selon le ch. 2038 CSI, la nécessité d’un régime alimentaire (par ex. chez les personnes atteintes de diabète ou de maladie cœliaque) ne fonde pas une impotence. Toutefois, selon l’arrêt 8C_912/2008 du 5 mars 2009, consid. 9.2, un besoin d’aide pertinent pour la fonction « manger » existe lorsqu’une alimentation spéciale ou un régime particulier est nécessaire pour des raisons médicales et que la personne assurée, pour des raisons de santé, n’est pas en mesure de s’y conformer.

Cette interprétation est conforme au raisonnement de la juridiction cantonale, selon lequel le refus d’admettre un besoin accru d’aide pour l’acte ordinaire de la vie « manger » reposait sur le constat que des enfants du même âge (environ trois ans) sans restriction alimentaire particulière nécessitaient eux aussi une aide comparable pour manger.

Consid. 4.4.3
L’assuré soutient essentiellement que le respect d’un régime alimentaire (ou l’éviction de certains aliments) implique, par rapport aux enfants en bonne santé, un besoin accru d’aide, intrinsèquement et indépendamment de l’âge. Il relève en outre que l’alimentation par sonde est reconnue comme générant un surcroît d’efforts dès son instauration.

Cependant, l’assuré n’explique pas en quoi le surcroît d’efforts qu’il allègue pour le respect d’un régime alimentaire serait important et comparable à celui que suppose une alimentation par sonde. Son argumentation ne contient aucun motif valable justifiant de s’écarter du principe figurant au ch. 2038 CSI (cf. les remarques en fin du consid. 2.3.1 précédent), ni de modifier la jurisprudence mentionnée au consid. 4.4.2 ci-dessus (cf. ATF 149 II 381, consid. 7.3.1 ; 149 II 354, consid. 2.3 ; 149 V 177, consid. 4.5). Il n’y a donc pas lieu d’aller plus avant sur ce point.

Consid. 4.4.4
Dans ce contexte, on ne voit pas pour quelle raison la décision de l’instance cantonale de renoncer à de nouvelles investigations violerait la maxime inquisitoire ou le droit d’être entendu (cf. sur l’appréciation anticipée des preuves : ATF 144 V 361, consid. 6.5 ; 136 I 229, consid. 5.3 ; arrêt 9C_298/2024 du 14 août 2024, consid. 5.2). Les arguments contestant la force probante de divers documents (en particulier la prise de position du SMR et le rapport d’enquête à domicile) ne portent pas sur les éléments décisifs (cf. consid. 4.2, 4.3 et 4.4.3 ci‑dessus) ; il n’y a pas lieu de les examiner plus avant.

Consid. 4.4.5
La question du besoin d’aide pour l’acte ordinaire de la vie « manger » n’est en définitive pas déterminante, car il convient de tenir compte d’un autre élément d’office dans l’application du droit.

Consid. 4.4.6
S’agissant d’un droit à une allocation pour impotent, un besoin d’aide pour l’acte ordinaire de la vie « aller aux toilettes » ne peut être pris en considération que dans la mesure où il est, au degré de la vraisemblance prépondérante, imputable à une atteinte à la santé. Cela ressort déjà du texte clair de l’art. 9 LPGA (dans ses versions allemande, française et italienne).

Le fait que l’assuré, lors de l’enquête sur place (à l’âge de trois ans et trois mois), portait des couches de jour comme de nuit et nécessitait une aide à cet égard n’a rien d’inhabituel, et encore moins de valeur pathologique en soi (cf. SVR 2012 KV n° 15 p. 57, arrêt 9C_567/2011, consid. 4.2.1, et les références), même si le chiffre 5 de l’annexe 2 de la CSI indique qu’un enfant de trois ans n’a généralement plus besoin de couches durant la journée. Ce fait n’a manifestement aucun lien de causalité avec la dermatite, une allergie alimentaire ou toute autre atteinte à la santé de l’assuré. Dès lors, la juridiction cantonale (comme l’office AI avant elle) a à tort admis un besoin d’aide important (supplémentaire) pour cet acte ordinaire de la vie.

Par conséquent, même si un besoin d’aide pour l’acte ordinaire « manger » devait être reconnu, il n’existerait de toute manière aucun droit à une allocation pour impotent, y compris au titre de l’art. 37 al. 3 let. a RAI. Le recours est infondé.

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_343/2025 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_343/2025 (d) du 08.08.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/10/9c_343-2025)

 

 

 

8C_411/2024 (d) du 11.08.2025, destiné à la publication – Infirmités congénitales « latentes » – Dysplasie congénitale des dents / 13 LAI – 3 al. 1 RAI – ch. 205 OIC-DFI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_411/2024 (d) du 11.08.2025, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Infirmité congénitale – Dysplasie congénitale des dents / 13 LAI – 3 al. 1 RAI – ch. 205 OIC-DFI

Infirmités congénitales dites « latentes »

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a jugé qu’une amélogenèse imparfaite causée par une mutation génétique constitue une infirmité congénitale au sens du ch. 205 OIC-DFI, même si toutes les dents atteintes ne sont pas encore sorties. Il a précisé que la limite des douze dents gravement touchées vise seulement à définir un degré minimal de gravité ouvrant droit aux prestations, et non à différer la reconnaissance du droit. Les infirmités congénitales dites « latentes », existant déjà à la naissance mais non encore visibles, peuvent également ouvrir droit à des mesures médicales dès qu’il est établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’elles atteignent le degré requis.

 

Faits
Assuré, né en 2012, a fait une première demande à l’AI en 2014, en invoquant des troubles dentaires dus à une dysplasie congénitale des dents. L’office AI a rejeté cette demande par décisions en 2015, décisions confirmées par le tribunal cantonal le 10.02.2016.

À la suite d’une nouvelle demande, l’office AI a, par décision du 23.05.2018, refusé à nouveau le droit à des prestations. Après une troisième demande, l’office AI est entré en matière mais l’a rejetée par décision du 21.07.2023.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 30.05.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Aux termes de l’art. 13 al. 1 LAI, les assurés ont droit jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 20 ans à des mesures médicales pour le traitement des infirmités congénitales. Est réputée infirmité congénitale, selon l’art. 3 al. 2 LPGA, toute maladie présente à la naissance accomplie de l’enfant.

Conformément à l’art. 13 al. 2 LAI, les mesures médicales au sens de l’art. 13 al. 1 LAI sont accordées pour le traitement des malformations congénitales, des maladies génétiques ainsi que des affections prénatales et périnatales qui font l’objet d’un diagnostic posé par un médecin spécialiste (let. a), engendrent une atteinte à la santé (let. b), présentent un certain degré de gravité (let. c), nécessitent un traitement de longue durée ou complexe (let. d), et peuvent être traitées par des mesures médicales au sens de l’art. 14 LAI (let. e).

Selon l’article 3, alinéa 1, lettre e, du RAI, une affection qui présente un certain degré de gravité – au sens de l’art. 13 al. 2 let. c LAI – est une affection qui, sans traitement, entraîne des limitations fonctionnelles durables ne pouvant plus être complètement corrigées.

Consid. 3.2
Selon l’art. 14ter al. 1 let. b LAI, le Conseil fédéral détermine les infirmités congénitales donnant droit à des mesures médicales en vertu de l’art. 13 LAI. Le Conseil fédéral a délégué cette compétence, à l’art. 3bis al. 1 RAI, au Département fédéral de l’intérieur (DFI). Sur la base de cette subdélégation, le Département a édicté l’ordonnance du DFI du 3 novembre 2021 concernant les infirmités congénitales (OIC-DFI ; RS 831.232.211) ; les infirmités congénitales sont énumérées dans l’annexe de cette ordonnance.

Consid. 3.3
La dysplasie dentaire congénitale est mentionnée au ch. 205 de l’annexe OIC-DFI, pour autant qu’au moins 12 dents de la seconde dentition après éruption sont très fortement atteintes. En cas d’odontodysplasie (dents fantômes), il suffit qu’au moins deux dents dans un quadrant soient atteintes. Le diagnostic doit être contrôlé par un représentant de la Société suisse des médecins-dentistes (SSO) reconnu par l’AI pour cet examen spécifique.

Selon le chiffre 205.2 de la circulaire sur les mesures médicales de réadaptation de l’AI (CMRM), entrent par exemple dans la catégorie visée sous le ch. 205 OIC-DFI l’amelogenesis imperfecta, la dentinogenesis imperfecta et la dysplasie dentaire. L’absence d’ébauches de dents permanentes compte comme dents atteintes (ch. 205.5 CMRM).

Consid. 4.1
Selon les constatations de fait de l’instance cantonale, l’assuré souffre, entre autres, d’une amélogenèse imparfaite causée par une mutation homozygote du gène LTBP3, et donc d’une affection dentaire pouvant, en principe, être rattachée à la notion de dysplasie dentaire congénitale au sens du chiffre 205 de l’annexe OIC-DFI. En raison de cette mutation génétique, il présente également une éruption dentaire fortement retardée ; au moment de la décision, seules six dents de la seconde dentition avaient percé. Comme le relève le tribunal cantonal, les radiographies orthopantomographiques montrent désormais que les dents retenues présentent elles aussi des altérations hypoplasiques. Les dents en train de percer devraient être traitées de manière conservatrice immédiatement après leur éruption afin d’éviter une dévitalisation.

Selon le chiffre 205 de l’annexe OIC-DFI, une dysplasie dentaire congénitale ne peut être reconnue comme une infirmité congénitale ouvrant droit à des mesures médicales au sens de l’art. 13 al. 1 LAI, que si au moins douze dents de la seconde dentition, après leur éruption, sont gravement atteintes. Étant donné qu’au moment de la décision, seules six dents avaient poussé, l’instance cantonale et l’office AI ont nié l’existence d’un tel droit.

Consid. 4.2
Le sens et le but de la restriction prévue au ch. 205 de l’annexe OIC-DFI, selon laquelle au moins douze dents de la seconde dentition doivent être très fortement atteintes après leur éruption, consistent à fixer un certain seuil minimal de gravité de l’infirmité congénitale à partir duquel les prestations de l’assurance-invalidité sont dues (cf. également arrêt I 173/97 du 6 novembre 1998, consid. 3c).

Les infirmités congénitales qui, même sans traitement, n’entraînent pas de limitations fonctionnelles durables ou qui ne peuvent plus être complètement corrigées ne donnent pas droit à des mesures médicales au sens de l’art. 13 LAI (cf. art. 13 al. 2 let. c LAI, en relation avec l’art. 3bis al. 1 RAI, a contrario ; cf. également Erwin Murer, Invalidenversicherungsgesetz [Art. 1–27 bis IVG], 2014, n° 130 s. ad art. 13 LAI). En revanche, cette restriction n’a pas pour but de reporter dans le temps le droit aux prestations pour des infirmités congénitales qui atteignent le degré minimal de gravité requis. Il est ainsi reconnu que les infirmités congénitales dites « latentes », c’est-à-dire celles qui étaient déjà présentes à la naissance mais qui n’étaient pas encore visibles de l’extérieur, peuvent également donner droit à une prestation.

En conséquence, le moment où une infirmité congénitale est reconnue comme telle n’a en principe pas d’importance (cf. Ulrich Meyer/Marco Reichmuth, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Bundesgesetz über die Invalidenversicherung, 4e éd. 2022, n° 5 ad art. 13 LAI ; Michel Valterio, Commentaire de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI), 2018, n° 7 ad art. 13 LAI). Ni l’assurance-invalidité ni la personne assurée n’ont intérêt à retarder le traitement d’une infirmité congénitale grave, ce qui rendrait ultérieurement le traitement plus difficile, voire compromettrait son succès.

Il s’ensuit, contrairement à ce qu’a retenu l’instance cantonale, qu’un droit à des mesures médicales ne naît pas seulement lorsque douze dents au moins de la seconde dentition ont percé et sont gravement atteintes, mais déjà à partir du moment où il est établi, selon le degré de preuve usuel en droit des assurances sociales – celui de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 150 II 321, consid. 3.6.3 ; 144 V 427, consid. 3.2 ; 139 V 176, consid. 5.3 ; 126 V 353, consid. 5b) –, qu’au moins douze dents de la seconde dentition seront gravement atteintes après leur éruption.

Consid. 4.3
Selon les constatations de fait de l’autorité cantonale, seules six dents de la seconde dentition avait poussé et étaient gravement atteintes au moment de la décision. Toutefois, il avait été démontré par orthopantomogramme que les dents incluses présentaient elles aussi des altérations hypoplasiques. Ainsi, au moment de la décision, une infirmité congénitale au sens du chiffre 205 de l’annexe OIC-DFI était établie. En conséquence, le recours doit être admis, le jugement entrepris et la décision de l’office AI doivent être annulés, et la cause renvoyée à l’office AI pour qu’il statue à nouveau, après examen des autres conditions du droit, sur le droit de l’assuré aux mesures médicales.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_411/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_411/2024 (d) du 11.08.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/10/8c_411-2024)

 

 

8C_289/2024 (d) du 28.07.2025 – Violation de l’obligation de tenue de dossier et obstruction à la preuve – 46 LPGA / Refus de l’assurance-accidents de transmettre au tribunal et à l’assuré le dossier que lui a remis l’office AI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_289/2024 (d) du 28.07.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Maxime inquisitoire / 43 LPGA – 61 LPGA

Violation de l’obligation de tenue de dossier et obstruction à la preuve / 46 LPGA

Refus de l’assurance-accidents de transmettre au tribunal et à l’assuré le dossier que lui a remis l’office AI

L’art. 33 LPGA ne vise ni la personne assurée ni les tribunaux

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a admis le recours d’un assuré contre la suppression de sa rente d’invalidité par son assureur-accidents. Notre Haute Cour a jugé que l’assureur-accidents avait violé son obligation de produire l’intégralité du dossier, en particulier les documents provenant de l’assurance-invalidité, qu’il avait conservés sans les transmettre au tribunal cantonal. Ni le fait de ne pouvoir garantir l’exhaustivité de ces dossiers ni l’indication de l’office AI de ne pas communiquer les pièces à des tiers (art. 33 LPGA) ne justifiaient un tel refus.

 

Faits
Le 22.04.1994, l’assuré, né en 1963, a subi un accident de la circulation. Pour les séquelles permanentes de cet accident, l’assurance-accidents lui a alloué, par décision du 16.04.1998, une IPAI de 35%. Par décision du 22.09.1998, l’assureur lui a en outre octroyé, dès le 01.10.1998, une rente fondée sur un taux d’invalidité de 46%. Ces deux décisions sont entrées en force.

En janvier 2021, l’assurance-accidents a ouvert une procédure de révision de la rente. La rente a été supprimée avec effet au 28.02.2022, par décision du 03.02.2022, confirmée sur opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2023.00032 – consultable ici)

Par jugement du 29.02.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 43 al. 1 LPGA, l’assureur (et, conformément à l’art. 61 let. c LPGA, également le tribunal des assurances sociales) doit – selon la maxime inquisitoire – établir d’office les faits déterminants de manière correcte et complète afin que la décision concernant la prestation litigieuse puisse être rendue sur cette base (art. 49 LPGA ; ATF 136 V 376 consid. 4.1.1). Le devoir d’instruction s’étend jusqu’à ce que les faits nécessaires à l’examen des prétentions en cause soient suffisamment élucidés. Le principe inquisitoire est étroitement lié au principe de la libre appréciation des preuves, applicable tant au niveau administratif qu’au niveau judiciaire.

Si l’assureur ou le tribunal, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles il doit procéder d’office, est convaincu que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante (ATF 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2) et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu de rechercher d’autres preuves. Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu (appréciation anticipée des preuves ; ATF 146 V 240 consid. 8.2 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 124 V 90 consid. 4b).

En cas de doute important quant à l’exactitude et/ou à l’exhaustivité des faits, il convient de compléter l’instruction, pour autant que l’on peut encore attendre un résultat probant des mesures d’instruction supplémentaires (arrêt 8C_594/2024 du 20 juin 2025 consid. 4.1 ; SVR 2010 AlV Nr. 2 p. 3 consid. 2.2 et la référence, 8C_269/2009).

Consid. 3.2
Il ne dépend pas du bon vouloir de l’autorité, dans le cadre d’une procédure de recours, de ne transmettre au tribunal que les pièces qu’elle considère comme nécessaires et déterminantes pour l’appréciation du cas (arrêt 8C_616/2013 du 28 janvier 2014 consid. 2.1). Autrement, les principes de preuve exposés ci-dessus seraient vidés de leur substance (SVR 2010 AlV n° 2 p. 3 consid. 5.2.2, 8C_269/2009 ; arrêt 8C_751/2009 du 24 février 2010 consid. 4.3.2). Le droit constitutionnel à une tenue de dossier ordonnée et claire impose aux autorités et aux tribunaux de garantir l’exhaustivité des pièces produites ou établies au cours de la procédure (ATF 138 V 218 consid. 8.1.2 ; SVR 2011 IV n° 44 p. 131 consid. 2.2.1, 8C_319/2010 ; arrêt 5A_341/2009 du 30 juin 2009 consid. 5.2).

Pour les assureurs soumis à la partie générale du droit des assurances sociales, l’obligation de tenue de dossier a été concrétisée au niveau légal à l’art. 46 LPGA. Selon cette disposition, lors de chaque procédure relevant des assurances sociales, l’assureur enregistre de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants (ATF 138 V 218 consid. 8.1.2 ; voir aussi arrêt 9C_171/2024 du 8 novembre 2024 consid. 4.3.2).

En outre, les documents doivent être classés dès le début dans l’ordre chronologique ; en cas de demande de consultation du dossier et au plus tard au moment de la décision, le dossier doit également être paginé dans son intégralité (SVR 2011 IV n° 44 p. 131 consid. 2.2.2, 8C_319/2010). En règle générale, il convient également d’établir un répertoire des pièces contenant une liste chronologique de toutes les écritures produites dans le cadre d’une procédure (arrêt 2C_327/2010 du 19 mai 2011 consid. 3.2, non publié in ATF 137 I 247 ; SVR 2011 IV n° 44 p. 131 consid. 2.2.2, 8C_319/2010).

Une violation de l’obligation de tenue de dossier, par omission ou suppression de documents, peut – sous réserve de simples irrégularités mineures dans la gestion du dossier – constituer une obstruction à la preuve et entraîner un renversement du fardeau objectif de la preuve (arrêt 8C_545/2021 du 4 mai 2022 consid. 5.2.2 et la référence à l’ATF 138 V 218 consid. 8.1 et 8.3).

Consid. 3.3
Conformément à l’art. 32 al. 1 LPGA, les autorités administratives et judiciaires de la Confédération, des cantons, des districts, des circonscriptions et des communes fournissent gratuitement aux organes des assurances sociales, dans des cas particuliers et sur demande écrite et motivée, les données qui leur sont nécessaires pour fixer ou modifier des prestations, ou encore en réclamer la restitution, pour prévenir des versements indus, pour fixer et percevoir les cotisations ainsi que pour faire valoir une prétention récursoire contre le tiers responsable.

Les organes des assurances sociales se prêtent mutuellement assistance aux mêmes conditions (art. 32 al. 2 LPGA).

Les personnes qui participent à l’application des lois sur les assurances sociales ainsi qu’à son contrôle ou à sa surveillance sont tenues, conformément à l’art. 33 LPGA, de garder le secret à l’égard des tiers.

Consid. 4
Dans sa prise de position du 28 juin 2024, l’assurance-accidents reconnaît être en possession de dossiers de l’office AI qu’elle n’a pas transmis au tribunal cantonal. À cet égard, elle fait valoir, d’une part, qu’elle ne peut garantir l’exhaustivité de ces dossiers et, d’autre part, que ceux-ci lui ont été remis par l’office AI sous la condition de ne pas les communiquer à des tiers. Ces deux motifs ne constituent toutefois pas des raisons suffisantes pour refuser à l’assuré la consultation de ces dossiers et pour ne pas les soumettre au tribunal.

Si l’office AI a, lors de la transmission des dossiers, fait référence à l’art. 33 LPGA selon lequel les dossiers ne peuvent être communiqués à des tiers, cette mention ne saurait viser ni la personne assurée ni les tribunaux chargés d’examiner la légalité des décisions de l’assurance-accidents. De même, la question de savoir comment la personne assurée doit procéder lorsqu’elle constate que les dossiers AI sont incomplets – et s’elle doit s’en prévaloir auprès de l’assurance-accidents ou de l’office AI – doit être séparée de la question de la consultation et de la communication des dossiers dans le cadre de la procédure judiciaire.

Aucun autre intérêt public ou privé prépondérant susceptible de s’opposer à la production de ces dossiers (sur la justification d’un refus du droit de consulter le dossier : arrêt 9C_171/2024 du 8 novembre 2024 consid. 4.3.2 et les références) n’a été allégué ni n’apparaît manifeste. En l’espèce, rien ne justifie donc de retenir ces dossiers et de ne pas les communiquer au tribunal cantonal.

Par conséquent, le recours doit être admis, le jugement cantonal annulé, et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu’elle statue à nouveau sur le recours contre la décision sur opposition du 18 janvier 2023, après production de l’ensemble du dossier – notamment des dossiers AI disponibles. Ce faisant, elle devra tenir compte de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, selon laquelle l’octroi d’une prestation par l’assurance-accidents implique toujours un examen au moins implicite du lien de causalité adéquate et qu’une reconsidération n’est admissible que si cet examen implicite du caractère adéquat était manifestement erroné au regard de la situation de fait et de droit prévalant au moment de la décision initiale (arrêt 8C_698/2023 du 27 novembre 2024 consid. 5 et 6 ; voir également arrêt 8C_325/2024 du 20 février 2025 consid. 5.2).

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_289/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_289/2024 (d) du 28.07.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/10/8c_289-2024)

 

 

9C_283/2024 (f) du 27.06.2025 – Notion d’invalidité et d’incapacité de travail – Syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables / Valeur probante des expertises judiciaires

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_283/2024 (f) du 27.06.2025

 

Consultable ici

 

Notion d’invalidité et d’incapacité de travail – Syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables / 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA – 4 al. 1 LAI

Valeur probante des expertises judiciaires – Un diagnostic ne suffit pas à déterminer une incapacité de travail

 

Résumé
Assurée ayant obtenu une demi-rente d’invalidité en raison de troubles psychiques et physiques, puis à qui la cour cantonale a reconnu une rente entière sur la base d’expertises judiciaires. Le Tribunal fédéral a relevé que les constatations médicales n’étaient pas suffisamment détaillées pour évaluer objectivement la gravité des atteintes invoquées ni pour apprécier leur impact réel sur la capacité de travail. Les juges cantonaux ont donc, selon lui, accordé une valeur probante excessive à une expertise lacunaire.

Le Tribunal fédéral rappelle que la nature d’un diagnostic ne suffit pas à déterminer une incapacité de travail. Ce qui importe, ce sont les limitations fonctionnelles concrètes qui en découlent, lesquelles doivent être examinées de manière structurée et cohérente au regard des exigences professionnelles. Constatant l’insuffisance de l’évaluation médicale respectant pleinement les exigences en la matière (cf. ATF 141 V 281), il renvoie la cause à la juridiction cantonale afin qu’elle complète l’instruction et statue à nouveau sur le droit de l’assurée à une rente supérieure à une demi-rente.

 

Faits
Assurée, née en 1968, a exercé comme secrétaire médicale à plein temps dès août 2000 puis à 80% dès septembre 2009. En arrêt de travail complet depuis le 10.11.2015, puis partiel dans le cadre de reprises thérapeutiques, elle a déposé le 22.02.2017 une demande de prestations AI en raison d’un syndrome d’épuisement professionnel. L’assurée a tenté une reprise de son travail à 50% en avril 2017 puis a séjourné dans une institution de réadaptation psychosomatique en juillet-août 2017.

L’office AI a recueilli divers rapports médicaux, organisé des mesures préparatoires – interrompues prématurément – et mis en œuvre une expertise psychiatrique. L’expert, dans un rapport du 17 juin 2019, a diagnostiqué des troubles dépressifs récurrents moyens avec syndrome somatique et des troubles paniques, limitant la capacité de travail dans son activité habituelle ou toute autre activité également adaptée à 50% depuis 2016.

Sur le plan somatique, le médecin du SMR a convoqué l’assurée pour une évaluation et a retenu un syndrome polyalgique compatible avec un syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile, une hypermobilité bénigne ou une fibromyalgie. L’assurée disposait d’une capacité de travail de 70% dans son activité habituelle ou toute autre activité adaptée depuis le 10.11.2015. Après une enquête économique sur ménage, l’office AI a octroyé une demi-rente dès le 01.08.2017 (décision du 23.02.2021).

Procédure cantonale (arrêt ATAS/204/2024 – consultable ici)

L’assurée a produit de nouveaux rapports psychiatriques. La cour cantonale a procédé à l’audition des parties, puis a ordonné une expertise judiciaire (psychiatrie et rhumatologie). L’expert rhumatologue a retenu un syndrome douloureux chronique, tandis que l’expert psychiatre a diagnostiqué des troubles envahissants du développement, notamment un syndrome d’Asperger, un trouble de l’anxiété généralisée et un trouble dépressif récurrent (actuellement en rémission). Selon lui, l’assurée est incapable d’exercer son activité depuis 2015 et ne peut envisager qu’une activité protégée à très faible taux.

Par jugement du 27.03.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente entière d’invalidité dès le 01.08.2017.

 

TF

Consid. 2.2
Comme l’ont rappelé les premiers juges, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d’évaluation de la capacité de travail, respectivement de l’incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d’évaluation au moyen d’un catalogue d’indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d’évaluation aux autres affections psychiques ou psychosomatiques (ATF 143 V 409 et 418; 145 V 215). Aussi, le caractère invalidant d’atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d’un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, dont notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l’art (ATF 143 V 409 consid. 4.4).

Consid. 3.1 [résumé]
L’office recourant soutient que la cour cantonale a arbitrairement accordé pleine valeur probante à l’expertise de l’expert judiciaire psychiatre. Il reproche à ce dernier un diagnostic insuffisamment motivé de trouble du spectre autistique, fondé principalement sur le test « Quotient du spectre de l’autisme (AQ-10) » sans corroboration clinique, anamnestique ni référence aux critères diagnostiques reconnus. Selon l’office AI, l’assurée, âgée de 56 ans, présentait un parcours social et professionnel sans altération significative, et les restrictions décrites relevaient d’un trouble anxieux. Il souligne l’absence d’éléments cliniques pertinents (troubles cognitifs, perceptifs ou du moi) et conteste les conclusions rétrospectives de l’expert depuis 2015.

Consid. 3.2 [résumé]
L’assurée soutient au contraire que l’expert judiciaire psychiatre a fondé son diagnostic sur une analyse détaillée de l’anamnèse et sur les critères internationaux du syndrome d’Asperger, en reliant les symptômes observés à ceux-ci. L’expert avait décrit une évolution marquée par des épisodes d’épuisement et de dépression depuis 2011, avec une incapacité totale de travail dès 2015, en expliquant que son niveau d’intelligence – évalué de manière objective à l’aide d’un test reconnu – avait masqué les signes autistiques depuis l’enfance. Il avait en outre observé des particularités gestuelles et mimiques confirmant le diagnostic, de sorte que l’examen de l’impact d’une éventuelle fibromyalgie était superflu face à une incapacité totale due au syndrome d’Asperger.

Consid. 4.1
En l’occurrence, comme le relève l’office recourant, le diagnostic de troubles envahissants du développement, même s’il était posé de manière fondée (question qui peut être laissée ouverte, voir infra consid. 4.3), ne peut pas à lui seul justifier une incapacité de travail totale dans toute activité. Ce qui importe dans l’évaluation de la capacité de travail, ce n’est pas uniquement la nature du diagnostic, mais les limitations fonctionnelles qui en résultent. Les déficits fonctionnels, qui du point de vue conceptuel font partie du diagnostic posé selon les règles de l’art, doivent être comparés aux exigences de la vie professionnelle et convertis en une éventuelle diminution de la capacité de travail à l’aide d’une grille d’évaluation normative et structurée (notamment des indicateurs du degré de gravité fonctionnel et de cohérence). De cette manière, les limitations fonctionnelles mises en évidence par l’expert peuvent être confirmées ou écartées par les organes de l’assurance-invalidité après un soigneux examen de plausibilité en fonction des circonstances du cas particulier (ATF 141 V 281 consid. 2.1.2 et les références).

Consid. 4.2
À cet égard, en se contentant d’affirmer que l’expertise judiciaire psychiatrique répondait aux « réquisits » nécessaires à la reconnaissance de sa pleine valeur probante, et qu’elle était détaillée et convaincante, la juridiction cantonale n’a pas constaté les éléments de fait suffisants pour que le Tribunal fédéral puisse juger des griefs soulevés par l’office recourant (art. 112 al. 1 let. b LTF). Cette appréciation est de plus arbitraire dans son résultat.

À l’inverse de ce que soutient implicitement la juridiction cantonale, l’expert psychiatre ne s’est pas exprimé sur le caractère prononcé des éléments et des symptômes pertinents pour les différents diagnostics, en particulier ceux de troubles envahissants du développement et d’anxiété généralisée. Au contraire, il s’est fondé essentiellement sur la manière dont l’assurée elle-même ressentait et assumait ses facultés de travail depuis 2015, pour recommander son intégration dans un atelier spécialisé, alors qu’il aurait été tenu d’établir, au moyen d’une évaluation fonctionnelle rigoureuse conforme aux exigences de l’ATF 141 V 281, la mesure de ce qui était raisonnablement exigible le plus objectivement possible. Au regard du parcours de l’assurée, qui a travaillé durant plus de trente ans, en dernier lieu en qualité de secrétaire dans un service de psychiatrie hospitalière, l’expert n’a en particulier pas apporté d’éléments suffisants pour apprécier la gravité de l’atteinte à la santé à l’aide de tous les éléments à disposition provenant de l’étiologie et de la pathogenèse déterminante pour le diagnostic en tant qu’échelle de mesure pour voir si elle prive l’assurée de ses ressources.

De plus, il manque dans l’expertise une discussion approfondie du « contexte social » de l’assurée, l’office recourant soutenant à juste titre que les interactions sociales de celle-ci étaient limitées selon l’anamnèse principalement en raison du trouble anxieux. Or, alors qu’il retient que l’anxiété généralisée était de « gravité légère » selon les tests psychométriques et que les vulnérabilités psychologiques liées aux émotions et au dynamisme ne justifiaient pas une incapacité de travail, l’expert judiciaire n’a pas discuté le niveau d’activité de l’assurée avant et après 2015. Il n’a donc pas considéré le niveau d’activité de l’assurée dans son environnement habituel par rapport à l’incapacité de travail invoquée concrètement. L’expertise judiciaire ne permet dès lors pas d’examiner si ces comorbidités psychiatriques, en tant qu’échelle de mesure, privent l’assurée de certaines ressources. En d’autres termes, l’expertise judiciaire ne fournit manifestement pas les éléments cliniques et documentaires nécessaires permettant d’évaluer de manière objective la gravité de l’atteinte à la santé et l’étendue de la diminution de la capacité de travail qu’elle entraîne pour l’assurée.

Consid. 4.3
Ensuite des éléments qui précèdent, alors que les conclusions de l’expertise se heurtent à la réalité concrète et observable de la vie professionnelle de l’assurée pendant plus de trente ans, l’expert judiciaire n’a pas exposé d’éléments détaillés et convaincants susceptibles de permettre de comprendre ou de suivre ses conclusions. Dans ces circonstances, la question de savoir si les troubles envahissants du développement, notamment de type syndrome d’Asperger, ont été diagnostiqués selon les règles de l’art peut rester ouverte. Il appartiendra au nouvel expert psychiatrique d’examiner cette problématique ab novo, puis de se prononcer avec l’expert rhumatologue au terme d’une discussion interdisciplinaire.

Consid. 5
En conclusion, en l’absence d’une évaluation médicale qui satisfasse pleinement aux exigences en la matière (cf. ATF 141 V 281) et permette de se prononcer sur le droit de l’assurée à une rente supérieure à une demi-rente dès le 1 er août 2017, il convient de renvoyer la cause à l’autorité précédente (art. 107 al. 2 LTF) pour qu’elle mette en oeuvre les mesures d’instruction qui s’imposent sur le plan médical, puis statue à nouveau.

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_283/2024 consultable ici

 

 

 

Le Conseil fédéral juge inadéquate la mise en place d’expertises communes dans l’assurance-invalidité

Le Conseil fédéral juge inadéquate la mise en place d’expertises communes dans l’assurance-invalidité

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 15.10.2025 consultable ici

 

Les expertises médicales sont un élément central de l’assurance-invalidité (AI) et figurent parmi les instruments permettant de rendre des décisions fondées pour accorder ou non une rente. Lors de sa séance du 15 octobre 2025, le Conseil fédéral s’est prononcé contre le projet législatif de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N). Celui-ci vise, dans le cas d’expertises monodisciplinaires, l’introduction d’une expertise faite en commun par l’expert désigné par l’office AI et celui désigné par l’assuré si aucun consensus n’est trouvé au préalable sur le choix de l’expert. Le Conseil fédéral estime que les préoccupations soulevées par la CSSS-N sont légitimes mais que la procédure actuelle permet déjà d’atteindre le but visé. La proposition de la CSSS-N alourdirait en outre les procédures sans garantir une meilleure acceptation des résultats des expertises par les assurés.

 

Selon le droit en vigueur, lorsqu’une expertise médicale monodisciplinaire est nécessaire pour accorder une rente ou non, l’office AI désigne un expert. Si la personne assurée conteste ce choix, elle peut proposer un autre spécialiste. Dans la quasi-totalité des cas, un accord est trouvé entre l’office AI et l’assuré. En 2024, sur un volume de 3802 expertises monodisciplinaires mandatées, un accord sur le choix de l’expert n’a pas été trouvé dans 12 cas seulement.

La CSSS-N souhaite toutefois qu’un véritable consensus soit favorisé dès le début de la procédure. Afin de concrétiser l’initiative parlementaire 21.498 «Mettre en œuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’AI», elle a adopté un projet législatif visant la mise en place d’une expertise commune lorsqu’aucune entente n’intervient sur le choix d’un expert. Elle estime que, dans ces situations-là, l’expertise devrait être réalisée par deux experts, celui désigné par l’office et celui choisi par la personne assurée.

Pour le Conseil fédéral, les préoccupations soulevées par la CSSS-N sont légitimes, mais les instruments légaux existants permettent d’atteindre les objectifs visés. Les recommandations issues du rapport d’évaluation de la qualité des expertises médicales dans l’AI, sur lequel se base le projet de la CSSS-N, ont déjà été prises en compte dans la dernière révision de l’AI (Développement continu) ou reprises dans les directives AI. Dans ces conditions, une modification législative n’apporterait pas les améliorations voulues. La procédure proposée par la CSSS-N aurait en outre plusieurs effets négatifs. Les délais de traitement des dossiers seraient ainsi allongés alors que, dans le cadre du développement continu de l’AI, le législateur a souhaité garantir une procédure rapide pour les assurés. Par ailleurs, les expertises seraient plus compliquées à organiser, notamment eu égard au manque d’experts. Les coûts augmenteraient également, sans garantie d’une meilleure acceptation des résultats des expertises par les assurés. Pour toutes ces raisons, le Conseil fédéral rejette le projet de la CSSS-N.

Le Conseil fédéral souligne toutefois l’importance d’impliquer les assurés dès le début de la procédure d’expertise médicale et du choix de l’expert. Cela permet de mieux tenir compte de la dimension humaine et de renforcer la confiance de la population dans le système de sécurité sociale. Dans le cadre de la future réforme de l’AI, le Conseil fédéral examinera de nouvelles pistes pour améliorer la qualité des expertises et renforcer les droits et les moyens d’action des assurés lorsqu’une insuffisance dans ce domaine est constatée. Il entend également améliorer la formation des experts et la surveillance pour garantir une pratique uniforme de la part des offices AI.

 

Résumé du rapport du Conseil fédéral

Le Conseil fédéral rejette la proposition de la CSSS-N d’introduire, en cas de désaccord sur le choix d’un expert pour une expertise monodisciplinaire AI, une « expertise commune » réalisée par deux experts, l’un désigné par l’office AI, l’autre par l’assuré. Il juge la mesure inopportune car les instruments actuels atteignent déjà l’objectif d’une meilleure participation des assurés et d’une désignation consensuelle des experts.

Selon le Conseil fédéral, la procédure de conciliation prévue par l’art. 7j OPGA en lien avec l’art. 44 al. 2 LPGA fonctionne et conduit quasi toujours à un accord sur l’expert. Les chiffres disponibles montrent un nombre infime de cas sans consensus : 12 sur 3802 expertises monodisciplinaires en 2024, et 4 cas recensés jusqu’au 30 juin 2025. Modifier la loi pour ces cas résiduels ne se justifie pas.

Le projet de la CSSS-N visait à reprendre la recommandation n° 5 du rapport d’évaluation de 2020 en imposant une véritable recherche de consensus dès le début puis, à défaut, une expertise commune avec possibilité d’exposer les divergences et intervention au SMR pour trancher les points litigieux. Le Conseil fédéral reconnaît la légitimité des préoccupations mais estime que ces objectifs sont déjà atteignables dans le cadre légal actuel.

Sur le fond, le Conseil fédéral craint que l’expertise commune allonge les délais, complique l’organisation et renforce la pénurie d’experts, particulièrement en psychiatrie, domaine qui représente la grande majorité des expertises AI. Il note qu’on ne peut contraindre deux experts à un consensus et qu’un dispositif de « troisième expertise » pour départager des avis divergents ferait exploser coûts et délais.

Il souligne par ailleurs, en se ralliant à la prise de position de la Swiss Insurance Medicine (SIM), qu’aucune garantie n’existe quant à une meilleure acceptation des résultats par les assurés avec une expertise commune, notamment en cas de troubles psychiques où des divergences d’appréciation subsistent malgré des qualifications comparables. L’objectif de procédures plus rapides et proportionnées, voulu par le Développement continu de l’AI, risquerait d’être contrarié.

Le Conseil fédéral met en garde contre une fragmentation du droit des assurances sociales : limiter cette innovation à la seule LAI créerait des écarts de procédure avec les autres assurances régies par la LPGA et compliquerait la coordination, comme relevé par la Suva durant la consultation.

Le Conseil fédéral insiste néanmoins sur l’importance d’associer les assurés dès l’ouverture de la procédure d’expertise et dans le choix de l’expert, afin de mieux tenir compte de la dimension humaine et de renforcer la confiance. Il annonce que la thématique des expertises sera traitée dans la prochaine réforme de l’AI, avec un accent sur la qualité, la formation des experts et les moyens d’action lorsque la COQEM constate des insuffisances.

 

Commentaire

La proposition de la CSSS-N offrant à l’assuré la possibilité de désigner trois experts au sein d’une liste d’experts reconnus au sens de l’art. 7m OPGA me paraît particulièrement bienvenue. Elle est pragmatique, peu onéreuse et immédiatement applicable dans l’AI grâce aux listes déjà tenues par les offices AI. En renforçant l’implication de l’assuré dans le choix de l’expert, elle favorise l’adhésion au processus et, partant, une meilleure acceptation des résultats, en atténuant la sensation d’un expert « imposé » (cf. mon commentaire du 29.09.2025).

Je regrette que le Conseil fédéral n’ait pas choisi d’inscrire cette solution minimale dans la LPGA. Facile à mettre en œuvre et à coût marginal, elle aurait constitué un pas mesuré mais utile vers davantage de transparence et de confiance, sans alourdir la procédure ni bouleverser l’équilibre du système.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 15.10.2025 consultable ici

Rapport du Conseil fédéral du 15.10.2025 publié dans la FF 2025 3073

Rapport de la CSSS-N du 27.08.2025 publié dans la FF 2025 2664

Projet de loi fédérale sur l’assurance-invalidité (Renforcement de la procédure de conciliation pour les expertises AI monodisciplinaires) paru dans la FF 2025 2665

Initiative parlementaire Roduit 21.498 « Mettre en oeuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’Al » consultable ici

 

8C_652/2024 (f) du 28.07.2025 – Droit à la rente d’invalidité – Priorité de la réadaptation sur la rente – Décision de principe (clôture de la phase d’intervention précoce) – Moment de l’aptitude à la réadaptation

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_652/2024 (f) du 28.07.2025

 

Consultable ici

 

Droit à la rente d’invalidité – Priorité de la réadaptation sur la rente / 28 al. 1 let. a LAI

Décision de principe (clôture de la phase d’intervention précoce) – Expertise médicale – Moment de l’aptitude à la réadaptation – Rente d’invalidité octroyée rétroactivement

Rente AI et indemnités journalières AI lors de mesures de réinsertion (14a LAI) / 22 al. 5bis LAI

 

Résumé
Le Tribunal fédéral confirme que l’assuré avait droit à une demi-rente d’invalidité du 1er juillet 2018 au 28 février 2021, car à cette époque aucune mesure de réadaptation n’était envisageable en raison de son état de santé, l’office AI ayant lui-même exclu la mise en œuvre de telles mesures (décision de principe mettant fin à la phase d’intervention précoce). Ce n’est qu’à la suite d’une expertise pluridisciplinaire puis des mesures de réinsertion (art. 14a LAI) que des mesures de réadaptation ont pu être entreprises dès février 2021, justifiant alors la fin du droit à la rente.

 

Faits
Assuré, né en 1978 et titulaire d’un certificat de fin d’apprentissage en mécanique-pratique, a souffert d’agoraphobie avec crises de panique, entraînant depuis le 20.04.2016 une incapacité de travail médicalement attestée à des taux variables. Le 01.09.2017, il a présenté une demande de prestations auprès de l’office AI.

Par décision du 7 décembre 2023, après mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire, l’office AI lui a accordé un quart de rente d’invalidité du 01.07.2018 au 28.02.2021, veille du début d’indemnités journalières pour un stage d’entraînement à l’endurance, et a nié le droit à la rente dès le 01.03.2021. Il a retenu une incapacité totale de travail comme mécanicien de précision dès juillet 2017. Une activité adaptée n’était pas exigible de juillet 2017 à février 2018, puis exigible à 60% du 01.03.2018 au 31.03.2021 et à 100% dès le 01.04.2021. Sur la base d’un revenu sans invalidité de 77’282 fr. 35 et d’un revenu d’invalide de 40’659 fr. 85, l’office AI a calculé un degré d’invalidité de 47.39% du 01.07.2018 au 28.02.2021. À partir du 01.04.2021, avec un revenu d’invalide fixé à 65’683 fr. 55, le degré d’invalidité a été ramené à 15.01%, excluant le droit à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2024 4 – consultable ici)

Par jugement du 08.10.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une demi-rente d’invalidité du 01.07.2018 au 28.02.2021 et confirmant la décision de l’OAI au surplus.

 

TF

Consid. 4.1
Selon la jurisprudence, si la capacité de gain d’une personne assurée peut être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles, le principe de la « priorité de la réadaptation sur la rente » s’applique (cf. art. 28 al. 1 let. a LAI). Ce n’est que lorsqu’aucune mesure appropriée n’est (plus) envisageable qu’un droit à une rente peut être accordé; dans le cas contraire, des mesures de réadaptation appropriées doivent être ordonnées au préalable. Selon la conception légale, une rente ne peut être octroyée avant la mise en oeuvre de mesures de réadaptation (le cas échéant également avec effet rétroactif) que si la personne assurée n’était pas – ou pas encore – apte à être réadaptée en raison de son état de santé. Le droit à une rente ne peut en principe naître qu’après la fin des mesures de réadaptation même si celles-ci n’ont eu qu’un succès partiel ou ont échoué. Il en va autrement après que des mesures d’instruction visant à déterminer si la personne assurée peut être réadaptée révèlent qu’elle ne l’est pas; dans ce cas, une rente peut être octroyée rétroactivement (ATF 148 V 397 consid. 6.2.4 et les références; 121 V 190 consid. 4; arrêt 9C_443/2023 du 28 février 2025 consid. 5.1.2 destiné à la publication).

Consid. 4.2.3 [résumé]
Le tribunal cantonal a refusé la reformatio in peius sollicitée par l’office AI, qui visait à nier toute rente à partir du 01.07.2018 en invoquant la priorité de la réadaptation sur la rente. Il a constaté qu’aucune mesure de réadaptation n’était envisageable de septembre 2017 à avril 2020, l’office AI ayant clôturé la phase d’intervention précoce en 2018 puis ordonné une expertise psychiatrique dont le rapport n’avait été rendu qu’en avril 2020. Les mesures de réadaptation professionnelle n’avaient été demandées à l’ORIF qu’en septembre 2020 et n’avaient débuté qu’en février 2021 pour se terminer en août 2022. Dans ce contexte, l’allocation rétroactive d’une rente entre juillet 2018 et février 2021 était justifiée.

Consid. 4.3 [résumé]
L’office AI recourant soutient que la communication du 05.07.2018 clôturant la phase d’intervention précoce n’avait aucune valeur juridique et ne préjugeait pas du droit à des mesures de réadaptation, puisqu’elle se limitait à constater qu’aucune mesure professionnelle (art. 15 ss LAI) n’était alors envisageable, contrairement aux mesures au sens de l’art. 14a LAI mises en œuvre dès février 2021. Il reproche au tribunal cantonal d’avoir retenu arbitrairement avril 2020, date de la réception du rapport d’expertise psychiatrique, pour déduire une inaptitude à la réadaptation avant cette date, alors que cette approche contredirait la stabilisation de l’état de santé reconnue depuis mars 2018 par l’expertise pluridisciplinaire jugée probante. Il lui fait encore grief de n’avoir pas examiné le rapport psychiatrique du 02.04.2020, qui constatait un bénéfice attendu d’une réinsertion professionnelle. Enfin, il estime que le décalage entre la demande de mesures de réadaptation en septembre 2020 et leur mise en œuvre effective en février 2021 est sans incidence sur le droit à la rente, l’aptitude à la réadaptation ne dépendant pas du calendrier de réalisation des mesures.

Consid. 4.4.1
L’office AI recourant ne saurait être suivi. Le Tribunal cantonal a en effet établi sans arbitraire que dans sa communication du 05.07.2018, l’office AI recourant avait informé l’assuré qu’aucune mesure de réadaptation d’ordre professionnel n’entrait en ligne de compte. Contrairement à ce que soutient l’office AI recourant, cette communication n’est pas dépourvue de toute portée juridique. Si des mesures de réadaptation professionnelles, y compris les mesures de réinsertion y préparant, avaient été sérieusement envisageables à l’époque, il aurait appartenu à l’OAI de compléter l’instruction en vue de déterminer quelles mesures exactement étaient adéquates et, le cas échéant, de les mettre en oeuvre sans tarder.

L’office AI recourant n’en a rien fait, dès lors qu’il considérait, comme il l’a communiqué clairement à l’assuré, qu’aucune mesure de réadaptation professionnelle n’entrait en considération à ce stade en vue de diminuer l’invalidité. L’assuré pouvait dès lors se fier à cette communication sans exiger qu’une décision formelle soit rendue sur le droit aux mesures de réadaptation. L’office AI recourant est ensuite passé à juste titre à l’examen du droit à la rente et a, dans ce contexte, ordonné une expertise. Le fait que selon l’office AI recourant, les experts mandatés ont finalement mis en évidence que des mesures de réadaptation étaient envisageables, et qu’elles auraient même pu être ordonnées plus tôt, ne permet pas d’ignorer que l’office AI recourant avait, à l’époque, renoncé à ordonner de telles mesures. Ce n’est qu’en prenant connaissance de nouveaux documents médicaux que l’office AI recourant a réexaminé l’opportunité d’ordonner des mesures de réadaptation. Il ne saurait, dans ce contexte, se prévaloir du principe selon lequel la réadaptation prime la rente pour nier la naissance du droit à la rente à une époque où lui-même avait exclu d’ordonner des mesures de réadaptation.

Au demeurant, il n’était pas arbitraire de la part de la juridiction cantonale d’avoir considéré qu’une aptitude à la réadaptation ne pouvait pas être constatée pour la période précédant l’expertise psychiatrique du 02.04.2020. Or, comme on l’a vu plus haut (consid. 4.1), le principe de la primauté de la réadaptation sur la rente n’exclut pas la possibilité d’octroyer une rente rétroactivement. Cela vaut aussi lorsque la personne assurée ne pouvait pas encore être réadaptée en raison de son état de santé et que des mesures de réadaptation sont envisagées à l’avenir (« selbst wenn in Zukunft Eingliederungsmassnahmen beabsichtigt sind », cf. arrêts 8C_209/2017 du 14 juillet 2017 consid. 5.2.2 et 8C_787/2014 du 5 février 2015 consid. 3.2 et les références).

Consid. 4.4.2
Le jugement cantonal peut également être confirmé pour ce qui concerne la durée de la rente d’invalidité octroyée rétroactivement.

En vertu de l’art. 22 al. 5bis LAI, lorsqu’un assuré reçoit une rente de l’assurance-invalidité, celle-ci continue de lui être versée en lieu et place d’indemnités journalières durant la mise en oeuvre des mesures de réinsertion au sens de l’art. 14a LAI et des mesures de nouvelle réadaptation au sens de l’art. 8a LAI. Cette règle fait exception au principe selon lequel la rente est normalement remplacée par des indemnités journalières pour la durée des mesures de réadaptation, comme cela ressort de l’art. 29 al. 2 LAI.

Etant donné que, contrairement aux autres bénéficiaires d’indemnités journalières, les personnes qui participent à des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle ne sont pas encore aptes à cette réadaptation, l’art. 22 al. 5bis LAI vise à empêcher qu’elles soient incitées à participer aux mesures de réinsertion uniquement par la perspective de toucher des indemnités éventuellement supérieures à leur rente actuelle (cf. le Message du Conseil fédéral du 22 juin 2005 concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [5e révision de l’AI], FF 2005 4215 p. 4321; cf. aussi Michel Valterio, Commentaire de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI], 2018, n. 55 ad art. 22 LAI; Erwin Murer, Invalidenversicherungsgesetz [Art. 1-27 bis IVG], 2014, n. 24 ad art. 22 LAI).

En l’espèce, à l’instar de ce qui est admis par l’office AI recourant lui-même, les mesures de réadaptation qui ont débuté le 22.02.2021 sont des mesures de réinsertion au sens de l’art. 14a LAI. Celles-ci ont été ordonnées conformément aux conclusions de l’expertise psychiatrique du 02.04.2020, laquelle favorisait une réinsertion professionnelle de l’assuré. On relèvera, par ailleurs, que ces conclusions ont été confirmées par le Dr C.__ dans le cadre de l’expertise pluridisciplinaire (« Il convient de partager le pronostic de l’expert sur la capacité de la personne assurée à atteindre une capacité de 100% avec un rendement de à 100% »). Ainsi, force est de constater que la cour cantonale n’a pas versé dans l’arbitraire en retenant que l’assuré n’était pas (encore) apte à la réadaptation, en l’absence de constations de nature médicale dans ce sens et au vu de la mise en oeuvre d’une mesure de réinsertion. C’est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que la rente d’invalidité ne devait pas prendre fin au mois d’avril 2020 ou au moment où les mesures ont été requises auprès de l’ORIF, contrairement à ce que semble prétendre l’office AI recourant.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_652/2024 consultable ici

 

 

8C_510/2024 (f) du 17.06.2025 – Droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés / 22 LPGA – 85bis RAI – 29 al. 3 LPers – 58 al. 1 OPers

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_510/2024 (f) du 17.06.2025

 

Consultable ici

 

Droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés / 22 LPGA – 85bis RAI – 29 al. 3 LPers – 58 al. 1 OPers

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé que la Confédération, en tant qu’employeur, pouvait obtenir de l’office AI le versement des arriérés de rente d’invalidité en compensation des salaires versés à l’assurée durant la même période. Il a rappelé que les dispositions de la LPers et de l’OPers conféraient explicitement ce droit à l’employeur afin d’éviter toute surindemnisation, de sorte que l’office AI avait valablement payé à la Confédération la somme de 75’909 fr., sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’accord de l’assurée.

 

Faits
Assurée, née en 1957, a été employée à partir du 1er août 2008 en tant que spécialiste à plein temps. Le 18.02.2015, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité.

Par projet de décision du 06.05.2020, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente d’invalidité limitée dans le temps à partir du 01.08.2015. Le 25.05.2020, l’employeur a demandé à l’office AI la rétrocession des montants versés à l’assurée du 01.08.2015 au 30.06.2019, étant donné que celle-ci avait touché un salaire durant cette période.

Par décision du 14.10.2020, l’office AI a reconnu divers degrés de rente d’invalidité, allant d’une rente entière à un quart de rente selon les périodes, et a en outre rétrocédé à l’employeur la somme de 75’909 fr. correspondant aux rentes dues entre le 01.08.2015 et le 30.06.2019. Par décision séparée du 23.10.2020, l’office AI a refusé d’octroyer des mesures d’ordre professionnel.

 

Procédure cantonale

L’assurée a recouru contre ces deux décisions. Le 09.03.2021, elle a conclu en outre à ce que l’office AI lui verse le montant de 75’909 fr. rétrocédé à tort à l’employeur.

Par jugement du 31.07.2024, la juridiction cantonale a joint les causes et rejeté les recours.

 

TF

Consid. 6.1
S’agissant du droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés, la cour cantonale a relevé que l’assurée n’avait tout d’abord pas contesté la rétrocession à son employeur de la somme de 75’909 fr., correspondant aux rentes versées du 1er août 2015 au 30 juin 2019. Ce n’est qu’après l’échéance du délai de recours qu’elle a formulé une nouvelle conclusion portant sur la rétrocession en sa faveur de ce montant versé à tort à l’employeur. La cour cantonale a ainsi noté que, n’étant pas étroitement lié avec la question du droit à la rente d’invalidité, ce point pourrait être exclu de l’objet du litige et que la nouvelle conclusion pourrait être déclarée irrecevable.

Sur le fond, la cour cantonale a relevé que l’assurée faisait valoir à juste titre que l’art. 29 al. 1 LPers (RS 172.220.1) et l’art. 56 al. 1 et 2 OPers (RS 172.220.111.3) de même que l’art. 24 al. 1 O-OPers (RS 172.220.111.31) ne portaient pas sur le droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés. Ces dispositions traitaient uniquement de l’obligation de l’employeur de poursuivre le versement du salaire à un employé empêché de travailler et des modalités de cette obligation. En revanche, ces prestations de salaires dues par l’employeur constituaient des avances au sens des art. 22 al. 2 let. a LPGA et 85bis al. 1 et 2 RAI. La base légale du droit de l’employeur au remboursement des avances versées par compensation avec les arriérés d’une rente de l’assurance-invalidité, telle qu’exigée par l’art. 85bis al. 2 let. b RAI, correspondait à l’art. 22 al. 2 let. a LPGA. Cette disposition était désormais applicable en matière d’assurance-invalidité et constituait une exception au principe de l’incessibilité du droit aux prestations. C’était ainsi à bon droit que l’office AI avait rétrocédé à l’employeur la somme de 75’909 fr. correspondant aux rentes versées du 1er août 2015 au 30 juin 2019. Le consentement de l’assurée n’était pas nécessaire pour procéder à cette rétrocession et le paiement par compensation à l’employeur intervenait avec effet libératoire pour l’office AI. Le versement des rentes de l’assurance-invalidité à l’assurée conduirait à une surindemnisation de celle-ci, dès lors qu’elle avait perçu des salaires sur la même période.

Consid. 6.2
L’assurée se plaint d’une violation de l’art. 85bis al. 2 RAI. Selon elle, la Confédération n’était pas fondée à réclamer une rétrocession des prestations à l’office AI. En effet, ni le contrat ni la loi ne prévoirait un droit au remboursement sans équivoque et l’employeur n’aurait pas disposé de l’accord de l’assurée pour réclamer la compensation.

Consid. 6.3
En l’espèce, en dépit de ce qu’avance l’assurée, la législation sur le personnel fédéral confère explicitement à l’employeur un droit au remboursement et ainsi à la compensation (art. 29 al. 3 LPers et 58 al. 1 OPers; arrêt 9C_225/2014 du 10 juillet 2014, consid. 3.2). Le message en langue allemande concernant la loi sur le personnel de la Confédération du 14 décembre 1998 relève d’ailleurs que l’art. 29 al. 3 LPers entend précisément exclure une surindemnisation de l’employé (BBl 1999 II 1597 ss, p. 1623  » Die Bestimmung dient u. a. als Grundlage, um auch künftig unberechtigte Mehrfachbezüge zu verhindern « ; non traduit in FF 1999 II 1421 ss, p. 1446). L’accord de l’assurée, y compris sa signature sur un formulaire dédié (ATF 136 V 381 consid. 5.1 et 5.2), n’était ainsi pas nécessaire à la rétrocession par l’office AI en faveur de l’employeur. Dans ce contexte et contrairement au raisonnement quelque peu circulaire retenu dans l’arrêt attaqué, il convient encore de relever que, si l’art. 22 LPGA constitue bien la base légale formelle sur laquelle repose désormais l’art. 85bis RAI (ATF 136 V 381 consid. 3.2), cette disposition ne fonde cependant pas directement le droit de l’employeur à obtenir la rétrocession des rentes de l’assurance-invalidité. Pour le reste, l’assurée invoque une convention conclue avec la Confédération le 25 septembre 2018. Cette convention outrepasse l’état de fait qui lie la cour de céans et, en toutes hypothèses, est antérieure aux décisions rendues par l’office AI en octobre 2020.

Consid. 6.4
Au vu de ce qui précède, la Confédération était ainsi fondée à réclamer la compensation de ses prestations à l’office AI et ce dernier a procédé à bon droit au paiement de 75’909 fr. en

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_510/2024 consultable ici