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9C_733/2023 (f) du 10.03.2025 – Examen du droit à un reclassement – Evaluation prospective / Aptitude objective et subjective au reclassement

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_733/2023 (f) du 10.03.2025

 

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Examen du droit à un reclassement – Evaluation prospective / 17 LAI

Aptitude objective et subjective au reclassement

 

Assuré, né en 1984, victime d’un accident de la circulation en 2004. Il a obtenu un CFC d’assistant en soins et santé communautaire le 01.07.2008. Dépôt de la demande AI le 13.04.2012. Les médecins (interniste et psychiatre) ont diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – un status après accident avec polytraumatisme, traumatismes cranio-cérébral et coma le 04.04.2004. Les médecins ont retenu une capacité de travail de 100% comme assistant en soins et santé communautaire, mais avec une baisse de rendement de 25%, et une capacité de 100% sans baisse de rendement dans une activité adaptée depuis 2011. Par décision du 18.09.2017, l’office AI a refusé les prestations, décision confirmée par le tribunal cantonal le 27.06.2019.

L’assuré a déposé une nouvelle demande AI le 10.07.2019. L’office AI a pris en charge une mesure de réadaptation professionnelle auprès de la fondation D.__, à 50% dès août 2021, puis à 70% dès octobre 2021. En janvier et mars 2022, l’assuré a passé des tests psychométriques, qui ont révélé des aptitudes insuffisantes pour une formation CFC, mais compatibles avec une formation de type AFP (attestation fédérale de formation professionnelle) avec soutien spécialisé. En avril 2022, le médecin du Service médical régional AI a recommandé d’orienter l’assuré vers une formation adaptée à ses limitations neuropsychologiques et orthopédiques.

Après plusieurs échanges d’écriture, l’office AI a sommé l’assuré le 03.06.2022 de transmettre par écrit un choix professionnel adapté à ses problèmes de santé et limitations fonctionnelles et l’a averti des conséquences d’un manque de collaboration. Le 29.06.2022, l’assuré a informé l’office AI qu’il s’était inscrit à une formation d’assistant médical menant à un CFC auprès de l’École F.__. Par décision du 16.09.2022, l’office AI a rejeté la nouvelle demande de prestations.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 17.10.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Le sens et le but de la procédure de mise en demeure avec un délai de réflexion prescrite à l’art. 21 al. 4 LPGA est de rendre la personne assurée attentive aux conséquences négatives possibles d’une attitude rénitente à collaborer, afin qu’elle soit à même de prendre une décision en pleine connaissance de cause et, le cas échéant, de modifier sa conduite (arrêt I 552/06 du 13 juin 2007 consid. 4.1 et les références).

Consid. 3.1 [résumé]
La juridiction cantonale a retenu que les tests psychométriques révélaient chez l’assuré des aptitudes verbales comparables à un niveau CFC, mais des compétences spatiales et numériques correspondant au profil AFP, avec un raisonnement bien inférieur aux attentes de ce même niveau. Ces résultats ont conduit à la conclusion qu’il ne possédait pas les compétences nécessaires pour entreprendre une formation CFC d’assistant médical. L’office AI a donc sommé l’assuré de choisir une formation adaptée à ses aptitudes, sommation restée sans réponse, entravant ainsi sa réadaptation. Les juges ont estimé que, même en cas d’adaptation de la formation CFC, l’office AI aurait été en droit d’exiger un choix professionnel différent, les préférences personnelles de l’assuré n’étant pas déterminantes (ATF 130 V 488 consid. 4.2). Les conditions de l’article 21 alinéa 4 LPGA étant remplies, l’office AI a statué correctement sur le refus de mesures de reclassement en l’état du dossier.

Consid. 4.1
Toute mesure de réadaptation, y compris un reclassement (art. 17 LAI), doit être évaluée sur la base de toutes les circonstances du cas concret. La tâche des organes de l’assurance-invalidité consiste à pronostiquer – au degré de la vraisemblance prépondérante – le succès de la réadaptation en tenant compte de l’âge de l’assuré, de son niveau de développement, de ses aptitudes et de la durée probable de la vie active (art. 8 al. 1 bis let. a-d LAI). Il faut entendre par la « durée probable de la vie active » la période restante jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite selon l’art. 21 al. 1 LAVS (ATF 143 V 190 consid. 7.4 et les références; arrêt 9C_71/2023 du 5 septembre 2023 consid. 3.3.1). En règle générale, l’assuré n’a droit qu’aux mesures nécessaires, propres à atteindre le but de réadaptation visé, mais non pas à celles qui seraient les meilleures dans son cas (ATF 139 V 399 consid. 5.4).

Consid. 4.2
En l’espèce, l’examen du droit à un reclassement doit faire l’objet d’une évaluation prospective (arrêt 9C_384/2023 du 11 janvier 2024 consid. 4.2). Dès lors, pour évaluer le pronostic des organes de l’assurance-invalidité, les juges cantonaux ont rappelé à juste titre que les faits survenus postérieurement à la décision du 16.09.2022 ne sont en principe pas pertinents (cf. ATF 148 V 21 consid. 5.3; 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références). En se limitant à indiquer que la réussite de son premier trimestre à l’École F.__ démontrait qu’il avait les capacités de suivre une formation CFC d’assistant médical, l’assuré n’expose pas d’éléments suffisants pour s’écarter de ces principes.

Au demeurant, même à supposer que ces faits puissent être pris en considération, les juges cantonaux ont considéré sans arbitraire qu’ils ne changeraient en rien l’issue de la procédure. L’assuré détient déjà un CFC d’assistant en soins et santé communautaire, obtenu après son accident. Dès lors, l’autorité cantonale savait qu’il était en mesure, d’un point de vue formel, de réussir des examens menant à une certification professionnelle. Elle a relevé que la réussite de ce premier CFC avait toutefois nécessité de la part de l’assuré un « très grand effort sur soi-même et [une] lutte constante ». Or, selon les faits constatés par la juridiction cantonale, la situation médicale de l’assuré s’était encore dégradée depuis lors, celui-ci ne pouvant plus exercer l’activité d’assistant en soins et santé communautaire. Aussi, quoi qu’en dise l’assuré, la réussite de son premier trimestre à l’École F.__ ne constitue pas un élément de preuve suffisant pour remettre en cause l’appréciation de l’autorité cantonale. Comme l’ont mis en évidence les tests d’aptitude, ses limitations fonctionnelles cognitives, en particulier sa grande lenteur d’exécution, ses problèmes de mémoire et sa fatigabilité, compromettent grandement son aptitude à réussir une formation CFC et à exercer durablement une activité d’assistant médical de manière conforme aux exigences du marché du travail. Ces déficits, bien qu’ils ne l’ont pas empêché d’acquérir des connaissances théoriques et de les valoriser dans un cadre scolaire structuré lors de son premier trimestre à l’École F.__, constituent objectivement des obstacles importants à son reclassement professionnel dans une formation exigeante sur un plan physique et psychique. Il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux.

Consid. 4.3
Pour le surplus, les juges cantonaux ont confirmé sans arbitraire qu’en entreprenant – malgré une mise en demeure – une voie professionnelle trop exigeante pour lui, l’assuré avait démontré une absence d’aptitude subjective au reclassement. En particulier, on ne saurait reprocher à la juridiction cantonale d’avoir statué en l’état du dossier sur la demande de prestations, dès lors que les démarches entreprises pour favoriser le reclassement de l’assuré apparaissaient compromises par la volonté clairement exprimée de celui-ci de mener à terme une formation vraisemblablement trop exigeante sur un plan physique et psychique (supra consid. 4.2).

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_733/2023 consultable ici

 

8C_171/2024 (f) du 03.09.2024 – Revenu d’invalide – Détermination de la ligne de l’ESS / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_171/2024 (f) du 03.09.2024

 

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Revenu d’invalide – Détermination de la ligne de l’ESS / 16 LPGA

Branches économiques 69-71 vs 77-82 de l’ESS

 

Assuré, né en 1962 et titulaire d’un CFC de cuisinier obtenu en juillet 1981, a été victime d’un grave accident de la circulation en le 19.07.1982, entraînant un polytraumatisme des membres inférieurs et plusieurs opérations. Depuis cet accident, il a été en incapacité totale de travail et a déposé une demande de prestations AI en janvier 1984. L’office AI a alors pris en charge une reconversion professionnelle, permettant à l’assuré de suivre une formation de programmeur et employé de commerce (type G), achevée en 1988. Il a ensuite exercé la profession de comptable pour différents employeurs. Par décision du 04.04.1989, l’office AI a refusé toute rente d’invalidité, considérant qu’il n’y avait pas de perte de gain.

Le 08.03.2018, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations AI, invoquant notamment des acouphènes survenus après un accident de la route en 2013. Une expertise pluridisciplinaire a été ordonnée (médecine interne, ORL, rhumatologie, psychiatrie), concluant que l’assuré restait apte à travailler à plein temps comme comptable, mais avec une baisse de rendement de 30% depuis l’accident de 2013 en raison des troubles ORL. Par décision du 02.11.2021, l’office AI a refusé d’octroyer une rente d’invalidité, estimant que le taux d’invalidité calculé selon la comparaison entre le revenu hypothétique de cuisinier et celui de comptable à 70% restait insuffisant pour ouvrir le droit à une rente.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 12.02.2024, admission du recours par le tribunal cantonal et octroi d’un quart de rente d’invalidité, fondé sur un taux d’invalidité de 46%, dès le 01.09.2018.

 

TF

Consid. 5.1 [résumé]
L’office AI recourant reproche à la cour cantonale d’avoir établi les faits de manière manifestement inexacte et d’avoir violé le droit fédéral dans la détermination du revenu hypothétique d’invalide. Il soutient que la ligne 77-82 (« Activités de services administratifs et de soutien »), retenue par les juges cantonaux et appliquée dans la décision du 02.11.2021, ne permet pas de fixer un revenu d’invalide qui exploite pleinement la capacité résiduelle de gain de l’assuré. Selon la NOGA 2008, le secteur d’activité de l’assuré correspond aux activités comptables et fiduciaires de la branche 6920, qui serait plus précise que la ligne 77-82. L’office AI estime qu’il n’est pas justifié d’utiliser une branche différente pour déterminer le revenu d’invalide par rapport à celle utilisée pour le revenu sans invalidité, d’autant que la poursuite de l’activité habituelle restait exigible selon les experts, avec une capacité de travail de 100% et une diminution de rendement de 30%. Il propose de retenir un revenu avec invalidité de CHF 53’426, calculé sur la base de la branche 69-71 (« Activités juridiques, comptables, de gestion d’architecture, d’ingénierie ») de l’ESS 2018, niveau de compétences 2, en tenant compte de la durée hebdomadaire de travail, d’une capacité résiduelle de 70% et d’un abattement de 5%. Ce calcul, comparé au revenu sans invalidité de CHF 80’339.85, ne permettrait pas d’atteindre un taux d’invalidité suffisant pour ouvrir le droit à la rente.

Consid. 5.2
Contrairement à ce que soutient l’assuré, l’office AI recourant peut revenir sur la détermination du revenu d’invalide, bien que cet aspect n’ait pas été contesté en procédure cantonale. En effet, une argumentation juridique nouvelle est admissible en instance fédérale pour autant qu’elle repose sur les faits retenus par la cour cantonale (ATF 136 V 362 consid. 4.1).

Consid. 5.3.1
Lorsque les tables ESS sont appliquées, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 (secteur privé), à la ligne « total »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). Lorsque cela paraît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Cette faculté reconnue par la jurisprudence concerne les cas particuliers dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte (arrêt 8C_709/2023 du 8 mai 2024 consid. 6.2.1 et les arrêts cités).

Consid. 5.3.2
La correcte application des tables de l’ESS, notamment le choix de la table et du niveau de compétences applicable, est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4; 132 V 393 consid. 3.3).

Consid. 5.4
En l’espèce, selon l’expertise pluridisciplinaire, dont la valeur probante – reconnue implicitement par la juridiction cantonale – n’est pas remise en cause par les parties, l’assuré dispose d’une capacité de travail totale, moyennant une baisse de rendement de 30% depuis 2013, dans son domaine d’activité habituel de comptable. Il n’y a donc pas lieu de se fonder sur la branche particulière « Activités de services administratifs et de soutien » (ligne 77-82) comme l’ont fait les juges cantonaux. Avec l’office AI recourant, on ne voit en effet pas que cette branche serait particulièrement adaptée à la situation de l’assuré au point de justifier son application. Selon la NOGA 2008, cette branche regroupe les activités de location et location-bail (77), les activités liées à l’emploi (78), les activités des agences de voyage, voyagistes, services de réservation et activités connexes (79), les activités d’enquête et de sécurité (80), les activités de services relatifs aux bâtiments et aménagement paysager (81) ainsi que les activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises (82) (cf. NOGA, site interne www.kubb-tool.bfs.admin.ch/fr/code/n, consulté le 22 août 2024). Au contraire, on doit admettre que le secteur d’activités ressortant de la ligne 69-71 est adapté et exigible, dès lors qu’il comprend des activités correspondant aux types de tâches que l’assuré est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications et regroupe effectivement les activités comptables (6920).

Au demeurant, il était contradictoire de la part de la juridiction cantonale de se fonder, pour l’évaluation du revenu d’invalide, sur des branches d’activités différentes de celles utilisées pour l’évaluation du revenu hypothétique sans invalidité, alors que l’assuré peut continuer à travailler en tant que comptable, comme auparavant. Il y a lieu de confirmer, pour le surplus, le niveau de compétences 2 qui n’est pas contesté (sur les niveaux de compétences, voir arrêt 8C_657/2023 du 14 juin 2024 consid. 6.1, destiné à la publication, et les arrêts cités).

Consid. 5.5
Par conséquent, le taux d’invalidité doit être recalculé. A juste titre, il convient de se référer aux salaires statistiques de l’ESS de l’année 2018 (selon les données publiées au moment de la décision litigieuse, cf. ATF 150 V 67 consid. 4.2 et les références), particulièrement au salaire auquel peuvent prétendre les hommes du niveau de compétences 2, ligne 69-71, soit 6’453 fr. par mois, montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen de la branche concernée (41,5 heures par semaine en 2018; tableau « Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique », branche 69 « Activités juridiques et comptables ») et au taux d’activité raisonnablement exigible de l’assuré (70%). De ce montant, il convient encore de déduire 5% à titre d’abattement, non remis en cause en instance fédérale. Le revenu d’invalide s’élève ainsi à CHF 53’426 par année. Compte tenu d’un revenu sans invalidité de CHF 80’339.85 (6’453 x 41.5 / 40 x 12) – on rectifiera d’office, sur ce point, le revenu calculé par la juridiction cantonale sans adaptation à la durée hebdomadaire du travail dans les entreprises -, il résulte un taux d’invalidité de 33,5%, arrondi à 34% (ATF 130 V 121 consid. 3.2), qui n’ouvre pas le droit à une rente de l’assurance-invalidité (art. 28 al. 2 LAI).

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_171/2024 consultable ici

 

9C_260/2024 (f) du 03.02.2025 – Valeur probante de l’expertise médicale / Vraisemblance du diagnostic de syndrome d’Asperger (F84.5 CIM-10) / Constatations issues des rapports du psychiatre traitant vs du médecin-expert

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2024 (f) du 03.02.2025

 

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Valeur probante de l’expertise médicale / 44 LPGA

Vraisemblance du diagnostic de syndrome d’Asperger (F84.5 CIM-10)

Constatations issues des rapports du psychiatre traitant vs du médecin-expert

 

L’assurée, née en 1983, a travaillé comme enseignante dans un centre scolaire secondaire. Se plaignant d’un «épuisement maternel» depuis 2018, puis de «difficultés personnelles et professionnelles» à partir de novembre 2019, elle a déposé une demande de prestations auprès de l’assurance-invalidité le 23.04.2020.

Au cours de l’instruction, l’office AI a recueilli un rapport d’expertise psychiatrique établi par le docteur B.__ pour l’assureur perte de gain le 23 juin 2020, qui diagnostiquait un trouble dépressif récurrent, épisode moyen, sans syndrome somatique, et attestait une incapacité totale de travail depuis le 18.11.2019. Les médecins traitants ont en plus diagnostiqué un syndrome d’Asperger.

L’office AI a confié une expertise psychiatrique au docteur E.__ qui s’est adjoint l’aide de la psychologue F.__. Ces experts ont retenu un trouble dépressif récurrent léger, une agoraphobie avec phobies sociales légères, ainsi que des traits de personnalité anxieuse, labile et dépendante, mais sans effet sur la capacité de travail, et ont écarté le diagnostic de syndrome d’Asperger.

Se fondant sur les conclusions de ce rapport, l’office AI a informé l’assurée, par projet de décision du 26.01.2022, qu’il entendait rejeter sa demande, faute d’atteinte invalidante à la santé. À la suite des critiques du docteur C.__ (psychiatre traitant) et de D.__ (psychologue traitante) sur le rapport d’expertise, l’office AI a sollicité un nouvel avis du docteur E.__, qui a établi une liste de questions complémentaires à poser au psychiatre et à la psychologue de l’assurée. Le docteur E.__ n’ayant pas modifié son appréciation après examen des réponses des thérapeutes traitants, l’office AI a rejeté la demande de prestations par décision du 25.04.2023.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.04.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4 [résumé]
Le tribunal cantonal a jugé que l’office AI pouvait se fonder sur le rapport d’expertise du docteur E.__ pour refuser à l’assurée le droit à une rente d’invalidité, dans la mesure où le médecin-expert n’a retenu aucun trouble psychique susceptible d’influencer durablement la capacité de travail de l’assurée.

Sur le plan formel, la cour cantonale a écarté les critiques de l’assurée concernant les compétences de l’expert pour diagnostiquer un syndrome d’Asperger et la durée des examens, estimant que le rapport remplissait toutes les conditions requises pour avoir pleine valeur probante. Sur le plan matériel, elle a considéré que l’expertise permettait une évaluation structurée des troubles psychiques conformément aux exigences jurisprudentielles, et expliquait précisément pourquoi le syndrome d’Asperger n’avait pas été retenu : absence de symptômes typiques, apparition improbable sans observation préalable par les médecins traitants, capacité de l’assurée à travailler sans limitation et à entretenir des relations sociales pendant plus de dix ans, ainsi que développement de nouveaux centres d’intérêt. Le tribunal cantonal a aussi rejeté le reproche de diagnostic incomplet, relevant que tous les symptômes décrits par les médecins traitants avaient été pris en compte par l’expert, qui ne les jugeait pas incapacitants. Il a également noté la discordance entre la capacité de travail diminuée selon les médecins traitants et les activités quotidiennes de l’assurée, ainsi que l’absence d’hospitalisation psychiatrique ou de traitement médicamenteux spécifique. Les informations complémentaires transmises par le psychiatre et la psychologue traitants n’apportaient pas d’éléments nouveaux par rapport à ceux déjà considérés par l’expert, qui n’a donc pas modifié son appréciation. Enfin, la cour a écarté la diminution de capacité de travail mentionnée par le psychiatre traitant, estimant que celle-ci reposait sur des limitations difficilement objectivables, en particulier l’incapacité de l’assurée à admettre ses propres limites.

Consid. 6 [résumé]
Contrairement à l’avis de la juridiction cantonale, le médecin-expert n’a pas accordé l’importance nécessaire aux avis détaillés du docteur C.__ tout au long de la procédure administrative. La lecture de l’arrêt révèle une contradiction manifeste entre les mêmes éléments anamnestiques, utilisés différemment par l’expert et le psychiatre traitant pour retenir ou exclure un syndrome d’Asperger. Tandis que le psychiatre traitant relevait des signes tels que manque d’autonomie, rigidité de comportement, besoin de soutien parental, crises violentes, problèmes de communication et angoisses omniprésentes, le médecin-expert inférait l’absence de difficultés à partir de la stabilité professionnelle et relationnelle ou du maintien de relations sociales, sans expliquer cette divergence fondamentale. Bien que le tribunal cantonal ait expressément indiqué que l’expert avait tenu compte de tous ces symptômes, on ne retrouve toutefois dans son raisonnement aucune explication éclairant ces divergences notables. La référence aux critères diagnostiques du syndrome d’Asperger (F84.5 de la CIM-10) pour appuyer le point de vue de l’expert n’explique pas davantage cette divergence.

Pour soutenir le caractère convaincant de l’expertise, les juges cantonaux ont attaché beaucoup d’importance aux constatations de l’expert sur l’absence de symptôme psychotique et de traitement antipsychotique d’une part et à l’absence d’hospitalisation en milieu psychiatrique d’autre part. Or, si la juridiction cantonale avait cité l’intégralité du point F84.5 CIM-10, elle aurait pu non seulement relever que le syndrome d’Asperger se caractérisait par l’altération des interactions sociales réciproques (élément à propos duquel on ne retrouve dans l’arrêt attaqué aucune explication quant à l’appréciation fondamentalement différente de l’expert et du psychiatre traitant), mais aussi qu’il s’accompagnait parfois – pas nécessairement toujours – d’épisodes psychotiques au début de l’âge adulte. L’absence de symptôme psychotique et de traitement y relatif ne semble donc pas déterminant en l’occurrence, contrairement à ce que laisse accroire le tribunal cantonal. De plus, on peine à comprendre en quoi une hospitalisation constituerait un autre élément déterminant au regard de l’importante structure de soutien de l’assurée mise en place (un suivi intensif institué par l’Office de protection de l’enfant, une psychologue et une infirmière en psychiatrie en plus du soutien de l’ex-mari et des parents) que les juges cantonaux ont pourtant dûment relevé, mais dont ils n’ont tiré aucune conclusion.

Il ressort au demeurant des différents rapports produits par le psychiatre traitant tout au long de la procédure administrative que celui-ci a décrit de façon constante et circonstanciée les difficultés rencontrées par sa patiente dans sa vie personnelle, professionnelle et sociale – à tous âges et pas seulement au moment de l’établissement de son rapport – ainsi que les différentes stratégies mises en place par celle-ci pour y remédier ou les dissimuler. Il a pris position de manière tout autant circonstanciée sur le rapport d’expertise. Il a en particulier contesté la capacité de l’assurée à gérer son quotidien de manière autonome, contrairement à ce qu’avait retenu le médecin-expert sur la base de la description d’une journée type de travail, en réitérant ses observations cliniques et celles des multiples intervenants s’occupant de l’assurée. Il a aussi expliqué les raisons pour lesquelles le syndrome d’Asperger avait été long à diagnostiquer. Confronté à ces nombreuses critiques, l’expert a brièvement relevé quelques incertitudes, déclaré manquer d’éléments pour se prononcer et a établi une liste de questions à poser au psychiatre traitant. Le psychiatre traitant a répondu de façon très précise à ces questions. Il a singulièrement expliqué en détail pourquoi le diagnostic avait été posé tardivement, comment celui-ci s’était exprimé dans tous les domaines de la vie et à tous âges, pourquoi il avait échappé aux médecins traitants et experts antérieurs ou comment la situation avait évolué. Sa nouvelle appréciation correspondait pour l’essentiel à l’appréciation déjà faite auparavant. En réaction, le médecin-expert s’est contenté de déclarer ne pas avoir assez d’éléments pour remettre en cause son appréciation initiale. Il apparaît dès lors que l’expert n’a pas apporté de réponses satisfaisantes aux nombreuses observations et objections consciencieusement motivées du psychiatre traitant. Il est tout particulièrement surprenant que les conclusions du médecin-expert reposent surtout sur la capacité de l’assurée à gérer sa vie quotidienne telle qu’elle ressortait de la description d’une journée type. Or, si une telle journée s’organisait avant tout autour des activités réalisées par les enfants et de quelques loisirs selon l’expert, le psychiatre traitant a expliqué que sa patiente était incapable de s’occuper adéquatement de ses enfants sans l’importante structure institutionnelle et familiale de soutien mise en place et qu’elle ne s’en occupait en outre qu’un week-end sur deux, les lundis et mardis et un mercredi sur deux. Il s’agit d’une divergence fondamentale d’avis qui ne trouve pas d’explication dans l’arrêt attaqué, ni dans le rapport d’expertise.

 

 

Dans ces circonstances, l’appréciation de la juridiction cantonale est manifestement inexacte. L’assurée a soulevé suffisamment d’éléments pour remettre en cause les conclusions de l’expert, et l’arrêt ne lève pas les doutes. Par conséquent, l’arrêt cantonal et la décision administrative sont annulés et la cause est renvoyée à l’office AI pour complément d’instruction par une nouvelle expertise psychiatrique et nouvelle décision.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_260/2024 consultable ici

 

Commentaire

L’arrêt 8C_465/2024 met en lumière l’importance des rapports médicaux des médecins traitants dans la procédure d’assurances sociales. Dans le contexte de l’assurance-invalidité, la qualité et la cohérence des rapports médicaux jouent un rôle déterminant dans l’établissement des faits et l’appréciation du droit aux prestations. Si la jurisprudence rappelle que la valeur probante des rapports des médecins traitants peut être limitée, elle n’en souligne pas moins leur importance lorsque ces documents sont circonstanciés, étayés et continus dans le temps.

Les rapports médicaux du médecin traitant constituent souvent la base du dossier médical, car ils reflètent l’évolution clinique, les stratégies d’adaptation et la réalité quotidienne du patient. Lorsque ces rapports sont de bonne qualité, ils permettent de documenter de manière précise non seulement les symptômes, mais aussi leur impact concret sur la capacité de travail et la vie sociale de l’assuré. Dans l’arrêt 8C_465/2024, le Tribunal fédéral reproche précisément à l’expert mandaté d’avoir insuffisamment pris en compte les avis circonstanciés et continus du psychiatre traitant, alors même que ceux-ci décrivaient avec constance les limitations fonctionnelles et les besoins de soutien de l’assurée dans tous les domaines de sa vie. Cette lacune a conduit à l’annulation de la décision administrative et au renvoi pour complément d’instruction.

Cet arrêt illustre ainsi la nécessité, pour l’administration comme pour les experts, de ne pas se limiter à une lecture formelle ou superficielle des rapports du médecin traitant. Lorsque ceux-ci sont de bonne qualité, ils doivent être analysés de manière approfondie, confrontés aux autres éléments du dossier et, le cas échéant, conduire à des investigations complémentaires si des divergences majeures subsistent. La recherche de la vérité matérielle, principe fondamental en assurances sociales, ne peut être atteinte que par une prise en compte équilibrée, rigoureuse et respectueuse de toutes les sources médicales pertinentes, en particulier celles émanant du médecin traitant qui accompagne l’assuré sur la durée.

Cf. également : David Ionta, Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier, in : Jusletter 13 mai 2024

 

9C_458/2024 (f) du 10.02.2025 – Marché équilibré du travail réaliste pour un port de charge maximum de 1 kg avec le membre supérieur droit / Revenu avec invalidité sans prise en considération d’un salaire minimum cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_458/2024 (f) du 10.02.2025

 

Consultable ici

 

Capacité résiduelle de travail moyennant l’exécution préalable de mesures de réadaptation / 16 LPGA

Marché équilibré du travail réaliste pour un port de charge maximum de 1 kg avec le membre supérieur droit

Ni la loi ni la jurisprudence n’admettent la prise en considération d’un « salaire minimum cantonal » pour la détermination du revenu avec invalidité

 

À la suite d’un premier refus de prestations de l’assurance-invalidité (décision du 03.03.2021), l’assuré, né en 1972, a déposé une nouvelle demande de prestations, au mois de juin 2021. Après avoir notamment diligenté une expertise médicale, dont il a soumis les conclusions à son Service médical régional, l’office AI a rejeté la demande, par décision du 03.10.2023.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/504/2024 – consultable ici)

Par jugement du 25.06.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
Selon la jurisprudence, lorsque le corps médical fixe une capacité résiduelle de travail, tout en réservant que celle-ci ne pourra être atteinte que moyennant l’exécution préalable de mesures de réadaptation, il n’y a pas lieu de procéder à une évaluation du taux d’invalidité sur la base de la capacité résiduelle de travail médico-théorique avant que lesdites mesures n’aient été exécutées (arrêt 9C_809/2017 du 27 mars 2018 consid. 5.2 et les arrêts cités).

Consid. 5.2 [résumé]
Selon les constatations cantonales, les médecins du centre d’expertise ont attesté d’une capacité de travail de 100% dans une activité adaptée, sans subordonner cette capacité à l’exécution préalable de mesures de réadaptation. Le rapport d’expertise rédigé par le docteur E.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, excluait le besoin d’une rééducation avant une reprise du travail, précisant qu’aucune mesure médicale ou thérapie ne permettrait d’améliorer significativement la capacité de travail, celle-ci étant déjà de 100% dans une activité adaptée. La juridiction cantonale a expliqué que l’avis des docteurs B.__ et C.__ [produits par l’assuré dans le cadre de la procédure cantonale], qui recommandaient une rééducation pour travailler la souplesse de l’épaule et espérer une reprise du métier habituel de peintre, ne remettait pas en cause ces conclusions. Leur proposition n’allait pas au-delà d’une aide à la reprise professionnelle et ne contestait pas la position du médecin-expert sur l’absence de nécessité de mesures médicales préalables à une reprise complète dans une activité adaptée.

Le simple fait, pour l’assuré, de souligner que le rapport qu’il a produit émane de médecins réputés ne suffit pas à démontrer que l’appréciation des premiers juges serait arbitraire ou contraire au droit. Il n’est pas non plus établi que des mesures de réadaptation préalables seraient nécessaires du point de vue médical. De plus, les médecins B.__ et C.__ n’ont évoqué la réadaptation qu’en lien avec la reprise de l’activité habituelle de peintre, pas pour une activité adaptée. Le recours est donc mal fondé sur ce point.

Consid. 5.3
En ce qu’il affirme ensuite que les activités considérées comme adaptées par l’instance cantonale étaient « manifestement incompatibles » avec ses limitations fonctionnelles, l’assuré ne fait pas état de spécificités telles qu’elles rendraient illusoire l’exercice d’une activité professionnelle. À cet égard, les juges cantonaux ont dûment exposé que le marché équilibré du travail (sur cette notion, cf. ATF 110 V 273 consid. 4b; arrêt 9C_326/2018 du 5 octobre 2018 consid. 6.2) offrait un nombre significatif d’activités simples et légères, accessibles à l’assuré eu égard à son profil, soit de nombreux emplois en lien avec ses connaissances, compétences et expériences (tels qu’agent de sécurité, préposé à l’emballage de petites pièces ou composants, contrôleur/visiteur en salle blanche dans l’industrie légère, chauffeur au transport de personnes), qui étaient compatibles avec les limitations fonctionnelles liées à son état de santé (activité sédentaire; pas d’élévation antérieure des épaules au-dessus de la ligne des mamelons, pas de mouvement d’abduction-adduction de l’épaule répétitif; l’activité peut se faire les avant-bras posés sur un support, l’activité étant légère [charge maximum au niveau du membre supérieur droit de 1 kg]) et ne requéraient pas de formation complémentaire particulière.

L’instance cantonale a en particulier expliqué que si les limitations fonctionnelles de l’assuré, notamment celle relative à l’empêchement de porter une charge de plus de 1 kg avec le bras droit, étaient susceptibles de restreindre le nombre d’emplois disponibles pour lui sur le marché du travail, on ne se trouvait en l’occurrence pas dans un cas où l’activité exigible au sens de l’art. 16 LPGA ne pourrait être exercée que sous une forme tellement restreinte qu’elle n’existerait pratiquement pas sur le marché général du travail ou que son exercice supposerait d’un employeur des concessions irréalistes et que, de ce fait, il semblerait exclu de trouver un emploi correspondant. Au demeurant, l’assuré ne conteste pas la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle il apparaît être en mesure de travailler par exemple comme manutentionnaire en atelier avec ses bras et mains, sur des objets légers, de tels emplois n’étant pas rares.

Consid. 5.4
L’assuré ne saurait finalement rien tirer en sa faveur d’une critique de l’ « application automatique des statistiques ESS ». En se référant notamment à son âge (51 ans), à son absence de formation et à sa mauvaise maîtrise du français, il reproche à l’instance cantonale de ne pas avoir déterminé son revenu avec invalidité en se fondant sur le salaire minimum cantonal genevois de 4’368 fr. par mois.

Quoi qu’en dise l’assuré, et comme l’a dûment exposé la juridiction cantonale, ni la loi ni la jurisprudence n’admettent la prise en considération d’un « salaire minimum cantonal » pour la détermination du revenu avec invalidité (arrêt 9C_197/2024 du 12 août 2024, consid. 5.3.4 et les références). On rappellera à cet égard, à la suite des juges cantonaux, que le revenu avec invalidité doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible -, le revenu avec invalidité peut être évalué sur la base des données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS; ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). En l’occurrence, l’assuré ne prétend pas qu’il aurait effectivement réalisé un revenu, qui eût dû être pris en compte pour évaluer son revenu d’invalide. Partant, il n’y a pas lieu de s’écarter du revenu avec invalidité arrêté par la juridiction cantonale (à 67’102 fr.).

Consid. 5.5
Compte tenu du taux d’invalidité de l’assuré constaté par les premiers juges (13%), c’est à bon droit qu’ils ont nié son droit à une rente d’invalidité (cf. art. 28 al. 1 let. c LAI) et à des mesures de reclassement professionnel (cf. art. 17 LAI). Dans ce contexte, on rappellera en effet que le seuil minimum fixé par la jurisprudence pour ouvrir le droit à une mesure de reclassement est une diminution de la capacité de gain de 20% environ (ATF 139 V 399 consid. 5.3; 130 V 488 consid. 4.2 et les références). Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_458/2024 consultable ici

 

Progression des salaires nominaux de 1,8% en 2024 et hausse des salaires réels de 0,7%

Progression des salaires nominaux de 1,8% en 2024 et hausse des salaires réels de 0,7%

 

Communiqué de presse de l’OFS du 22.04.2025 disponible ici  

En 2024, l’indice suisse des salaires nominaux a enregistré une hausse moyenne de 1,8% par rapport à l’année précédente, atteignant ainsi 104,2 points (base 2020 = 100). Avec une inflation annuelle moyenne de +1,1%, les salaires réels ont progressé de 0,7%, s’établissant à 97,6 points (base 2020 = 100), selon les calculs de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

Pour la pratique quotidienne, vous trouverez les divers tableaux sur notre page Evolution des salaires.

 

Communiqué de presse de l’OFS du 22.04.2025 disponible ici  

9C_271/2022 (f) du 28.11.2022 – Nouvelle demande AI – Revenu sans invalidité et revenu d’invalide après des précédentes mesures d’ordre professionnel

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_271/2022 (f) du 28.11.2022

 

Consultable ici

 

Nouvelle demande AI – Revenu sans invalidité et revenu d’invalide après des précédentes mesures d’ordre professionnel / 16 LPGA

Vraisemblance des possibilités théoriques de développement professionnel

 

Assuré, né en 1980, a obtenu un CFC de caviste en 1998, une maturité professionnelle en 1999 et un baccalauréat littéraire français en 2001. Il a exercé la profession de caviste à plusieurs reprises pour l’entreprise B.__ entre 1999 et 2004, ainsi que pour une société de remontées mécaniques en Valais de 2003 à 2006.

En septembre 2005, il a déposé une demande de prestations AI en raison des séquelles d’une fracture du talon subie en 1996. L’office AI a accordé des mesures professionnelles, permettant à l’assuré de suivre une formation dans une Haute école spécialisée dès 2006, où il a obtenu un bachelor en sciences du vivant en 2009, puis un master en chimie en 2011. Dès le 01.05.2011, il a travaillé comme adjoint scientifique pour l’entreprise C.__.

Par décision du 23.05.2011, l’office AI a refusé l’octroi d’une rente, retenant que la comparaison entre les revenus issus de ses activités antérieures (caviste et employé de remontées mécaniques) et son revenu d’adjoint scientifique ne révélait pas un taux d’invalidité suffisant.

En février 2014, l’assuré a présenté une nouvelle demande de prestations (arthrodèse au pied droit). Après instruction, l’office AI a reconnu un droit à une rente entière du 01.08.2014 au 30.11.2014. Il a considéré que, sans problèmes de santé, l’assuré aurait poursuivi ses activités de caviste et d’employé de remontées mécaniques, ces activités servant de référence pour le revenu sans invalidité. La comparaison avec le revenu d’adjoint scientifique a abouti à des taux d’invalidité (de 3 % à 14 %) insuffisants pour maintenir un droit à la rente au-delà du 30.11.2014.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 14.04.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.3.1
On rappellera toutefois qu’en ce qui concerne le revenu sans invalidité, est déterminant le salaire qu’aurait effectivement réalisé l’assuré sans atteinte à la santé, selon le degré de la vraisemblance prépondérante. En règle générale, on se fonde sur le dernier salaire réalisé avant l’atteinte à la santé, compte tenu de l’évolution des circonstances à l’époque où est né le droit à la rente. Au regard des capacités professionnelles de l’assuré et des circonstances personnelles le concernant, on prend en considération ses chances réelles d’avancement compromises par le handicap, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Des exceptions ne sauraient être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2; arrêt 9C_708/2017 du 23 février 2018 consid. 8.1).

Consid. 3.3.2
Le revenu que pourrait réaliser l’assuré sans invalidité est en principe établi sans prendre en considération les possibilités théoriques de développement professionnel (lié en particulier à un complément de formation) ou d’avancement, à moins que des indices concrets rendent très vraisemblable qu’elles se seraient réalisées. Cela pourra être le cas lorsque l’employeur a laissé entrevoir une telle perspective d’avancement ou a donné des assurances en ce sens. En revanche, de simples déclarations d’intention de l’assuré ne suffisent pas; l’intention de progresser sur le plan professionnel doit s’être manifestée par des étapes concrètes, telles que la fréquentation d’un cours, le début d’études ou la passation d’examens (arrêt 8C_45/2022 du 3 août 2022 consid. 3.2 et les références).

Consid. 3.3.3
Dans la procédure de révision, à la différence de la procédure initiale à l’issue de laquelle le droit à la rente est déterminé pour la première fois, le parcours professionnel effectivement suivi entre-temps par la personne assurée est connu. Celui-ci permet éventuellement – à la différence toujours de l’octroi initial de la rente – de faire des déductions (supplémentaires) quant à l’évolution professionnelle et salariale hypothétique sans atteinte à la santé. Pour examiner alors ce que la personne assurée aurait atteint sur le plan professionnel et salarial sans atteinte à la santé ou de quelle manière son salaire se serait développé, il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances survenues jusqu’au moment de la révision (arrêt 9C_708/2017 cité consid. 8.2 et les références).

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a constaté que, durant près de quatre ans après l’obtention de son baccalauréat, l’assuré avait poursuivi ses activités de caviste et d’employé auprès de sociétés de remontées mécaniques, sans entreprendre de démarches concrètes pour accéder à des études universitaires ou supérieures. Les juges cantonaux ont considéré que les déclarations de l’assuré concernant une éventuelle poursuite d’études relevaient de simples intentions, sans élément concret pour les rendre plausibles, puisqu’aucune inscription ni projet n’avait été concrétisé. De plus, l’assuré ne s’était pas opposé à la première décision de l’office AI du 23.05.2011, qui avait déjà fixé le revenu sans invalidité sur la base de ses activités de caviste et d’employé de remontées mécaniques. Dès lors, faute d’éléments concrets rendant vraisemblable la poursuite d’études universitaires, il convenait de fixer le revenu sans invalidité en fonction des dernières activités exercées par l’assuré en 2004 et 2005.

 

Consid. 6.1
La majorité des titulaires d’un certificat de maturité gymnasiale obtiennent avec grande vraisemblance un diplôme universitaire par la suite, éventuellement après avoir changé de branche d’études (cf. arrêt 9C_439/2020 du 18 août 2020 consid. 4.4). Toutefois, l’assuré ne saurait en l’espèce être suivi lorsqu’il soutient qu’il ne pouvait « aspirer qu’à un changement d’orientation professionnelle » et qu’il aurait donc effectué des études supérieures, puisque les titres et les diplômes qu’il avait obtenus « se trouvaient en déconnexion avec les activités professionnelles exercées jusqu’alors [activités de caviste et employé de remontées mécaniques] ». En effet, à la suite des juges cantonaux, on constate que pendant une période de quatre années entre l’obtention de son baccalauréat français (assimilable en l’occurrence à une maturité suisse) et la présentation de la demande de prestations en septembre 2005 (en raison d’une arthrose sous-astragalienne post-traumatique modérée), l’assuré n’a pas entrepris de démarches particulières, comme par exemple une immatriculation, afin de poursuivre des études supérieures. A cet égard, l’assuré ne remet pas en cause la constatation des juges cantonaux selon laquelle la seule pièce du dossier mentionnant une possibilité d’évolution professionnelle était un compte-rendu d’entretien d’enquête de l’assurance-accidents. A cette occasion, l’assuré avait indiqué vouloir rester dans le domaine du vin, en évoquant la possibilité d’une formation d’oenologue, qu’il n’a pourtant jamais entreprise. Il n’existe donc pas d’éléments concrets permettant de conclure qu’en 2005, l’assuré avait la volonté de changer de carrière et aurait planifié la suite de sa formation auprès d’une université ou d’une haute école.

C’est également en vain que l’assuré fait valoir, pour démontrer qu’il faudrait tenir compte de l’issue de sa formation pour déterminer son revenu sans invalidité, que l’office AI avait relevé chez lui des aptitudes qui se situaient « au-delà de la moyenne » ainsi qu’un « important potentiel de reclassement. En effet, si de telles appréciations se sont révélées correctes puisque l’assuré a terminé avec succès une formation de niveau supérieur, elles ne permettent pas d’établir, au degré très vraisemblable, que l’assuré aurait suivi une telle formation sans atteinte à la santé (comp. arrêt 8C_778/2017 du 25 avril 2018 consid. 4.3).

Consid. 6.2
On doit ainsi constater que les mesures professionnelles mises en place par l’office AI ont été déterminantes, en ce sens qu’elles ont constitué l’impulsion à partir de laquelle l’assuré a entrepris de poursuivre des études de niveau supérieur, ainsi qu’un changement d’orientation professionnelle. En définitive, en tenant compte de l’ensemble des circonstances jusqu’à la procédure de révision, on ne saurait déduire du succès de la carrière de l’assuré après l’invalidité qu’il aurait occupé une position semblable dans le domaine des sciences du vivant, sans invalidité. Partant, c’est à bon droit que la juridiction cantonale a fixé le revenu sans invalidité, en se référant aux dernières activités exercées par l’assuré en 2004 et 2005 (activité de caviste et employé auprès de sociétés de remontées mécaniques).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_271/2022 consultable ici

 

9C_411/2024 (f) du 11.02.2025 – Notification de la décision à la personne assurée sans copie au mandataire – Tardiveté du recours

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_411/2024 (f) du 11.02.2025

 

Consultable ici

 

Notification de la décision à la personne assurée sans copie au mandataire – Tardiveté du recours / 37 LPGA – 49 al. 3 LPGA – 56 LPGA – 60 al. 1 LPGA

Versement par l’office AI de l’arrérage des rentes peu après l’envoi de la décision – Principe de la bonne foi

 

Invoquant les suites incapacitantes d’une chute survenue le 19 octobre 2012, l’assurée, née en 1976, infirmière à temps partiel, a sollicité l’octroi de prestations de l’assurance-invalidité le 13 mars 2014. Au terme de son instruction, l’office AI a informé l’assurée qu’il allait lui accorder trois quarts de rente pour la période limitée comprise entre le 01.09.2014 et le 31.01.2015 par projet de décision du 30.08.2021.

L’assurée a contesté ce projet et demandé plusieurs prolongations de délai pour compléter son argumentation. Si l’office AI a accepté la première demande, il a rejeté les suivantes et informé l’assurée le 31 janvier 2022 que la décision serait prochainement notifiée. Par décision du 18.02.2022, adressée directement à l’assurée (et non à son mandataire), l’office AI a confirmé l’octroi des trois quarts de rente pour la période limitée précitée. En réponse à des demandes – la première datée du 27.06.2022 – l’invitant à notifier sans délai la décision attendue, l’office AI a transmis une copie de cette décision au mandataire de l’assurée par lettre du 05.09.2022. Il a aussi admis l’irrégularité de la notification mais a nié la nécessité de procéder à une nouvelle notification par lettre du 29.09.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 260/22 – 195/2024 – consultable ici)

Par jugement du 24.06.2024, le tribunal cantonal a déclaré le recours irrecevable pour cause de tardiveté.

 

TF

Consid. 4 [résumé]
Le tribunal cantonal a reconnu l’irrégularité de la notification de la décision administrative à l’assurée. Cependant, il a estimé que plusieurs éléments auraient dû alerter l’assurée et son mandataire. Premièrement, la décision avait été envoyée au domicile de l’assurée, qui avait également reçu un versement de CHF 7’225 dans les dix jours qui avaient suivi le prononcé de la décision. Le tribunal cantonal a jugé que l’assurée aurait dû en informer son mandataire dans un délai raisonnable. Deuxièmement, compte tenu de son expérience en matière de procédure et de pratique administrative, le mandataire n’aurait pas dû attendre jusqu’en juin 2022 pour s’enquérir de la notification, annoncée à trois reprises entre novembre 2021 et janvier 2022. La cour cantonale a considéré que cette attente n’était pas conforme à une bonne gestion du mandat. Par conséquent, la transmission d’une copie de la décision au mandataire le 05.09.2022 ne pouvait être considérée comme une nouvelle notification marquant le début du délai de recours. Le tribunal a donc conclu que le recours déposé le 06.10.2022 était tardif et, par conséquent, irrecevable.

Consid. 6
Manifestement infondé, au sens de l’art. 109 al. 2 let. a LTF, le recours de l’assurée doit être rejeté selon la procédure simplifiée prévue à l’art. 109 al. 3 LTF.

Il importe effectivement peu en l’occurrence de savoir si l’assurée a concrètement reçu – ou pas – la décision du 18.02.2022, comme elle le laisse entendre, ni d’examiner si la connaissance de la procédure et de la pratique administrative auraient dû faire réagir le mandataire bien avant la transmission de la copie de la décision, ou même du mois de juin 2022. En effet, le versement par l’office AI des CHF 7’225, correspondant aux trois quarts de rente d’invalidité accordés pour la période courant du 01.09.2014 au 31.01.2015, permet de trancher le litige.

Selon les constatations cantonales, l’assurée a reçu les CHF 7’225 dans les dix jours suivant le prononcé de la décision administrative. La cour cantonale a en l’espèce considéré que l’assurée aurait dû chercher à déterminer les raisons et la provenance de ce versement en se renseignant auprès de son représentant. L’assurée n’admet ni ne conteste avoir reçu le montant en question. Dans la mesure où l’assurée ne prend pas position sur ce qui s’apparente à une motivation alternative de la part de la juridiction cantonale, on pourrait se poser la question de la recevabilité du recours (cf. ATF 138 I 197 consid. 4.1.4 et les références). Cette question peut cependant rester ouverte parce qu’il est manifeste que le versement de l’office AI était un élément qui permettait de soupçonner l’existence de la décision dans la mesure où le projet de décision annonçait à l’assurée le versement de trois quarts de rente pour la période du 01.09.2014 au 31.01.2015. Or, selon la jurisprudence citée par les juges cantonaux (cf. ATF 139 IV 228 consid. 1.3 et les références), en vertu du principe de la bonne foi, qui limite l’invocation d’une notification irrégulière, l’intéressée est tenue de se renseigner sur l’existence et le contenu de la décision dès qu’elle peut en soupçonner l’existence sous peine de se voir opposer l’irrecevabilité d’un éventuel recours pour cause de tardiveté.

Dans ces circonstances, l’assurée ne peut pas invoquer la notification irrégulière pour justifier la date du dépôt de son recours. Dans la mesure où les CHF 7’225 ont été versés dans les dix jours qui ont suivi le 18.02.2022, le recours interjeté le 06.10.2022 était largement tardif car l’assurée aurait pu et dû réagir dès le mois de mars 2022.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée dans la mesure où il est recevable.

 

Arrêt 9C_411/2024 consultable ici

 

Motion CSSS-E 25.3014 «13e rente AI pour les bénéficiaires de prestations complémentaires» – Avis du Conseil fédéral du 07.03.2025

Motion CSSS-E 25.3014 «13e rente AI pour les bénéficiaires de prestations complémentaires» – Avis du Conseil fédéral du 07.03.2025

 

Consultable ici

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé de soumettre au Parlement un projet de modification de la loi sur les prestations complémentaires (LPC) prévoyant que les personnes qui touchent une rente AI et ont droit à des prestations complémentaires annuelles au mois de décembre reçoivent un supplément correspondant à un douzième de la rente AI perçue durant l’année civile concernée.

 

Minorité

Une minorité de la commission (Friedli Esther, Dittli, Germann, Hegglin Peter, Müller Damian) propose de rejeter la motion.

 

Développement

Se fondant sur l’art. 112a Cst., la Confédération et les cantons versent des prestations complémentaires aux personnes dont les besoins vitaux ne sont pas couverts par l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité. En acceptant l’initiative populaire pour une 13e rente AVS – où il est précisé que la 13e rente de vieillesse ne doit pas conduire à une réduction ou à une suppression des prestations complémentaires (PC) –, le peuple et les cantons ont privilégié, dans le domaine des PC, les bénéficiaires d’une rente de vieillesse AVS par rapport aux autres personnes qui ont droit à des PC, et en particulier par rapport aux bénéficiaires de rentes AI : les bénéficiaires d’une rente AVS recevant des PC disposent d’un montant total augmenté d’un douzième de leur rente vieillesse annuelle pour assurer leur subsistance. Il convient donc de corriger la situation privilégiée des bénéficiaires d’une rente AVS recevant des PC et le désavantage qui en découle pour les personnes en situation de handicap qui reçoivent des PC en plus d’une rente AI. Selon les clarifications juridiques, le législateur dispose de la marge de manœuvre nécessaire pour procéder à cette correction. Ce n’est qu’avec une compensation sous forme de complément annuel correspondant à un douzième de leur rente AI annuelle que les bénéficiaires d’une rente AI recevant des PC et les bénéficiaires d’une rente AVS recevant des PC seront traités de la même manière.

 

Avis du Conseil fédéral du 07.03.2025

Le Conseil fédéral comprend la volonté de mettre sur un pied d’égalité les rentiers AI touchant les prestations complémentaires (PC) et les rentiers de vieillesse touchant ces mêmes prestations. La différence dans le revenu global des rentiers de vieillesse et d’invalidité ne trouve toutefois pas son origine exclusivement dans le régime des PC, mais dans l’octroi d’une 13e rente aux bénéficiaires d’une rente de vieillesse. Aux yeux du Conseil fédéral, la solution préconisée par la motion ne règle pas cette question à satisfaction et crée de nouvelles différences de traitement au sein des bénéficiaires de PC. La mise en œuvre telle quelle de la motion créerait une différence de traitement entre les rentiers AI, étant donné que seuls les bénéficiaires d’une rente AI complétée par des PC toucheraient une telle prestation, contrairement aux personnes bénéficiaires d’une allocation pour impotents ou d’indemnités journalières AI complétée par des PC.

Il est en outre probable qu’un supplément de 13e rente AI en lien avec les PC, calculé sur la base de la rente d’invalidité et calqué sur la 13e rente de vieillesse, soit qualifié de prestation d’invalidité selon le droit européen de coordination. Ainsi, peu importe que ce supplément soit prévu dans le cadre des PC, qui sont en principe exclues de l’exportation, il devrait tout de même être exporté aux Suisses et aux ressortissants des pays de l’UE et AELE.

La solution préconisée par la motion créerait un transfert de charges vers la Confédération et les cantons. Sur la base des données statistiques de l’année 2023, une estimation de l’Office fédéral des assurances sociales montre que si cette prestation avait été introduite dans l’année 2023, les dépenses supplémentaires auraient été de 170 millions de francs au total, dont 100 millions à la charge de la Confédération et 70 millions de francs à la charge des cantons.

Indépendamment de cette nouvelle charge financière, la question des bas revenus, notamment des bénéficiaires de prestations de l’AI, sera examinée dans le cadre d’une réforme globale à venir.

En cas d’acceptation de la motion par le 1er Conseil, le Conseil fédéral proposera de la transformer en mandat d’examen.

 

Proposition du Conseil fédéral du 07.03.2025

Rejet

 

Motion CSSS-E 25.3014 «13e rente AI pour les bénéficiaires de prestations complémentaires» consultable ici

Rapport de l’OFAS du 09.01.2025 – Réponses aux questions concernant une solution d’une 13e rente AI passant par les PC, disponible ici

 

9C_425/2024 (f) du 10.01.2025 – Expertise médicale et compréhension entre l’assuré et les experts – Absence d’interprète – Valeur probante de l’expertise niée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_425/2024 (f) du 10.01.2025

 

Consultable ici

 

Expertise médicale et compréhension entre l’assuré et les experts – Absence d’interprète – Valeur probante de l’expertise niée / 44 LPGA

 

À la suite d’un premier refus de prestations de l’assurance-invalidité, l’assuré, né en 1962, a sollicité la réouverture de son dossier, au mois de juillet 2020, en se prévalant d’une aggravation de son état de santé. Après avoir considéré la démarche de l’assuré comme une nouvelle demande de prestations, l’office AI a notamment diligenté une expertise pluridisciplinaire. Il a ensuite rejeté la demande (décision du 08.03.2023).

 

Procédure cantonale

Par jugement du 13.06.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3 [résumé]
L’assuré conteste la valeur probante de l’expertise menée par le centre d’expertise, arguant qu’un interprète en langue turque n’était pas présent lors des examens rhumatologique et pneumologique. Bien qu’il ait expressément demandé la présence d’un interprète, car il ne parle pas français, l’expert [recte : l’interprète] n’a pas été présent le jour de l’expertise. Les experts ont reconnu un problème de communication avec l’assuré. L’assuré soutient que l’absence d’interprète a bafoué ses droits fondamentaux, étant donné l’influence déterminante de l’expertise sur l’issue du litige.

Consid. 4.1
Dans le contexte d’examens médicaux nécessaires pour évaluer de manière fiable l’état de santé de l’assuré et ses répercussions éventuelles sur la capacité de travail, en particulier d’un examen psychiatrique, la meilleure compréhension possible entre l’expert et la personne assurée revêt une importance spécifique. Il n’existe cependant pas de droit inconditionnel à la réalisation d’un examen médical dans la langue maternelle de l’assuré ou à l’assistance d’un interprète. En définitive, il appartient à l’expert, dans le cadre de l’exécution soigneuse de son mandat, de décider si l’examen médical doit être effectué dans la langue maternelle de l’assuré ou avec le concours d’un interprète. Le choix de l’interprète, ainsi que la question de savoir si, le cas échéant, certaines phases de l’instruction médicale doivent être exécutées en son absence pour des raisons objectives et personnelles, relèvent également de la décision de l’expert. Ce qui est décisif dans ce contexte, c’est l’importance de la mesure au regard de la prestation entrant en considération. Il en va ainsi de la pertinence et donc de la valeur probante de l’expertise en tant que fondement de la décision de l’administration, voire du juge. Les constatations de l’expert doivent dès lors être compréhensibles, sa description de la situation médicale doit être claire et ses conclusions motivées (arrêt 9C_262/2015 du 8 janvier 2016 consid. 5.1 et les arrêts cités).

Consid. 4.2
Le point de savoir si, au regard des circonstances concrètes du cas d’espèce et des aspects rappelés ci-avant, la compréhension linguistique entre l’expert et la personne assurée est suffisante pour garantir une expertise revêtant un caractère à la fois complet, compréhensible et concluant relève de l’appréciation des preuves et, partant, d’une question de fait que le Tribunal fédéral examine uniquement à l’aune de l’inexactitude manifeste et de la violation du droit au sens de l’art. 95 LTF (consid. 1 supra; arrêt 9C_262/2015 précité consid. 5.2).

À cet égard, l’appréciation des preuves est arbitraire lorsque l’autorité ne prend pas en compte, sans raison sérieuse, un élément de preuve propre à modifier la décision, lorsqu’elle se trompe manifestement sur son sens et sa portée, ou encore lorsque, en se fondant sur les éléments recueillis, elle en tire des constatations insoutenables (ATF 134 V 53 consid. 4.3 et les arrêts cités). L’appréciation des preuves doit être arbitraire non seulement en ce qui concerne les motifs évoqués par la juridiction cantonale pour écarter un moyen de preuve, mais également dans son résultat (ATF 137 I 1 consid. 2.4; 136 I 316 consid. 2.2.2).

Consid. 5
En l’occurrence, les constatations de la juridiction cantonale quant à une compréhension suffisante entre l’assuré et les experts rhumatologue et pneumologue pour que ces derniers puissent obtenir les informations nécessaires à l’appréciation de la situation malgré l’absence d’un interprète se révèlent insoutenables. En effet, à la lecture du rapport d’évaluation consensuelle du 08.11.2022, on constate que les experts ont considéré que l’assuré ne pouvait pas être expertisé sans interprète car il ne s’exprime dans aucune langue nationale, bien qu’il soit en Suisse depuis de nombreuses années. On ajoutera que le spécialiste en médecine interne générale a indiqué que l’assuré ne s’était pas exprimé une seule fois en français au cours de l’expertise qu’il avait effectuée en présence d’une interprète turque et qu’il n’avait pas eu l’impression que l’expertisé comprenait, au moins partiellement, certaines questions posées. Pour leur part, le spécialiste en rhumatologie et le spécialiste en médecine interne générale et en pneumologie ont relevé l’absence du traducteur prévu et indiqué que l’assuré s’exprimait mal en français (rapport d’expertise rhumatologique), respectivement qu’il comprenait très mal le français (rapport d’expertise pneumologique).

Dans ces circonstances, l’absence d’un traducteur durant l’entretien est de nature à susciter une incertitude quant à la pertinence des constatations des spécialiste en rhumatologie et en pneumologie. À ce stade de la procédure, on ne saurait s’accommoder de ce manquement, si bien que la cause doit être renvoyée à l’office AI afin que les expertises rhumatologique et pneumologique puissent se dérouler intégralement dans la langue maternelle de l’assuré ou avec l’aide d’un interprète. En ce sens, le recours sera partiellement admis, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres griefs soulevés par l’assuré, en relation notamment avec son impossibilité de « retrouve[r] une activité lucrative ». La conclusion subsidiaire du recours se révèle bien fondée.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré, annule le jugement cantonal et la décision litigieuse, renvoyant la cause à l’office AI pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

 

Commentaires

Cet arrêt met en lumière un problème central : la barrière linguistique peut gravement compromettre la qualité et la fiabilité des évaluations médicales. Comme je l’ai soutenu (David Ionta, Expertises médicales en assurances sociales, in : Jusletter 14 octobre 2024, ch. 105 ss, notamment ch. 118), bien qu’il n’existe pas de droit formel à la réalisation d’un examen médical dans la langue maternelle de l’assuré ou à l’assistance d’un interprète, ignorer cet aspect revient à compromettre la « vérité médicale » recherchée. Cette attention accrue aux aspects linguistiques est une nécessité qui s’inscrit pleinement dans les objectifs du Développement continu de l’AI visant à améliorer la qualité et la transparence des expertises.

Le Tribunal fédéral aurait également pu se référer aux lignes directrices pour l’expertise rhumatologique, qui précisent qu’il incombe à l’expert de s’assurer d’une compréhension linguistique parfaite entre le patient examiné et lui-même (directrices pour l’expertise rhumatologique, mai 2018, ch. 3.1, p. 4.).

Enfin, les deux experts auraient dû reconvoquer l’expertisé en s’assurant de la présence d’un interprète, dès lors qu’ils se sont aperçus des difficultés de compréhension linguistique entre eux.

 

Arrêt 9C_425/2024 consultable ici

 

9C_664/2020 (f) du 27.01.2021 – Allocation pour impotent pour mineur / Acte « aller aux toilettes » – Acte de « se vêtir/se dévêtir » – Aide indirecte d’un tiers

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_664/2020 (f) du 27.01.2021

 

Consultable ici

 

Allocation pour impotent pour mineur / 9 LPGA – 42 s. LAI – 37 RAI

Acte « aller aux toilettes »

Acte de « se vêtir/se dévêtir » – Aide indirecte d’un tiers

 

En mars 2015, assuré (né en 2008) a présenté une demande d’allocation pour impotent, en indiquant, par l’intermédiaire de ses parents, qu’il avait besoin de leur aide directe ou indirecte pour les actes ordinaires de la vie, ainsi que d’une surveillance pendant la nuit et le jour. Déscolarisé depuis février 2015, il a commencé un traitement auprès d’une spécialiste en psychiatrie et psychothérapie d’enfants et d’adolescents, selon laquelle il souffrait notamment d’une infirmité congénitale (psychoses primaires du jeune enfant; ch. 406 OIC).

Après que l’assuré a réintégré l’école primaire à environ 50% à la rentrée scolaire 2015, l’office AI a pris des renseignements auprès de l’enseignante de l’enfant et d’une spécialiste du Service de l’enseignement spécialisé et des mesures d’aide (SESAM) qui l’accompagnait. Il a également diligenté une enquête sur l’impotence. A la suite d’un projet de décision du 03.07.2017, selon lequel il comptait nier le droit de l’assuré à une allocation pour impotent et qui a été contesté par les parents le 23.08.2017, l’office AI a requis des informations complémentaires auprès notamment de l’enseignante et du SESAM. Pour l’année scolaire 2018/2019, une autorisation d’enseignement à domicile a été délivrée pour l’assuré. Par décision du 16.01.2019, l’office AI a rejeté la demande d’allocation pour impotence.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 42 – consultable ici)

Par jugement du 22.09.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une allocation pour impotence de degré moyen dès le 01.11.2014.

 

TF

Consid. 4.1
Pour l’acte « aller aux toilettes », la juridiction cantonale a constaté que l’assuré était en mesure d’accomplir cet acte (enfant propre) sans l’aide de ses parents et qu’on pouvait attendre de ceux-ci qu’ils vérifient son hygiène corporelle, en considération de son jeune âge. Cette constatation ne correspond toutefois pas entièrement aux indications de l’enquêtrice de l’office AI selon lesquelles l’enfant avait besoin d’aide pour s’essuyer après avoir été à selles. La nécessité d’une telle assistance a été confirmée notamment par le pédiatre traitant, selon lequel l’enfant n’était pas autonome pour s’essuyer. Or conformément à la jurisprudence (ATF 121 V 88 consid. 6 p. 93 ss; arrêt 9C_560/2017 du 17 octobre 2017 consid. 4.2 et les références), le nettoyage corporel après le passage aux toilettes constitue une fonction partielle de l’acte en cause, pour laquelle l’assuré requiert concrètement une aide régulière et importante, puisqu’il n’est pas autonome pour l’accomplir (sur la notion de l’importance de l’aide, cf. arrêt 9C_560/2017 précité consid. 4.3); un rituel apparaît de plus nécessaire dans ce domaine également, selon le pédiatre traitant. La référence au jeune âge de l’assuré n’y change rien, dès lors que selon les recommandations concernant l’évaluation de l’impotence déterminante chez les mineurs, un enfant est considéré capable, à six ans, de s’essuyer lui-même et de se rhabiller tout seul (Annexe III à la Circulaire de l’OFAS sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI; version valable à partir du 1er janvier 2018], ch. 5 p. 212). Le grief tiré de l’établissement manifestement inexact des faits est dès lors fondé, la nécessité d’assistance devant être reconnue aussi pour l’acte « aller aux toilettes ».

Consid. 4.2
En ce qui concerne l’acte ordinaire « se vêtir/se dévêtir », la juridiction cantonale a suivi l’indication de l’enseignante de l’assuré qui avait mentionné qu’il était autonome pour se vêtir ou se dévêtir lors des cours de gymnastique. Tout en indiquant que cet avis ne concordait pas avec la position des médecins traitants de l’assuré, elle n’a pas discuté plus avant cette divergence et constaté la capacité de l’enfant de s’habiller sans l’aide de ses parents. On ignore dès lors la raison pour laquelle les juges cantonaux ont été apparemment convaincus davantage par les renseignements donnés par l’enseignante que par ceux des médecins traitants.

Quoi qu’il en soit, la constatation cantonale apparaît manifestement inexacte, parce que les juges cantonaux n’ont pas pris en considération toutes les pièces pertinentes au dossier. En complément de leur constatation, il ressort d’abord de l’enquête sur l’impotence que l’assuré nécessite une aide directe pour tout ce qui demande une dextérité fine, comme enfiler les chaussettes, ouvrir ou fermer une fermeture éclair, boutonner ses vêtements. Selon les indications des pédiatres traitants, leur patient a besoin d’une assistance verbale pour s’habiller, alors qu’il présente une hypersensibilité tactile et une maladresse au niveau de la motricité; l’enfant n’arrive à s’habiller qu’en présence d’un adulte et avec un coaching verbal. La nécessité d’une telle assistance n’est pas contredite par les observations faites à l’école, dans la mesure où l’assuré y a bénéficié d’un cadre structuré. Dans ce contexte, la pédiatre traitant mentionne la nécessité d’un « grand besoin de contenant extérieur » en ces termes: « dès que bien contenu [l’assuré] arrive à fonctionner d’une façon adapté[e] à la circonstance ». L’enseignante de l’assuré a indiqué qu’il était autonome pour se déshabiller et se rhabiller au vestiaire ou aux leçons de gymnastique, mais a précisé qu’il avait un peu moins d’assurance tout en assumant les gestes seul. On peut en déduire que le cadre ou l’impulsion nécessaires ont été fournis par la présence de l’enseignante, voire des camarades de classe. A cet égard, le procès-verbal de la séance de réseau du SESAM du 20.04.2016 met en évidence qu’en rapport avec l’acte de s’habiller en relation avec les cours de gymnastiques, l’enfant a senti « la pression des copains » et qu’il est dès lors plus facile pour les parents de l’entraîner à la maison pour ce faire. On constate donc que l’assuré est en mesure, du point de vue fonctionnel, d’accomplir avec une certaine difficulté l’acte de « se vêtir/se dévêtir » mais a besoin d’une aide indirecte d’un tiers, sans laquelle il ne ferait l’acte qu’imparfaitement ou à contretemps; en d’autres termes, livré à lui-même, cet acte ne serait accompli qu’avec difficulté ou avec une lenteur certaine (cf. ATF 133 V 450 consid. 7.2 p. 462 s. et les références), le contrôle nécessaire dépassant le cadre usuel pour les enfants de six à dix ans (cf. Annexe III à la CIIAI, ch. 1 p. 209). Il y a donc lieu d’admettre également la nécessité d’assistance pour l’acte en cause.

Consid. 4.3
Il résulte de ce qui précède que l’impotence de l’assuré doit être qualifiée de grave, conformément à l’art. 37 al. 1 RAI, de sorte qu’il a droit à une allocation pour impotent de degré grave à partir du 1er novembre 2014.

L’argumentation de l’office AI n’y change rien. En se référant de façon générale aux indications données par les parents de l’assuré (objections du 23.08.2017) au moment de contester le projet de décision du 03.07.2017, l’office AI nie la nécessité d’un besoin d’aide pour l’acte « se lever, s’assoir, se coucher », sans se prononcer sur les deux autres actes invoqués par l’assuré. Ce faisant, il ne met pas en évidence que les constatations des juges cantonaux sur l’aide nécessaire des parents pour coucher l’enfant seraient manifestement inexactes ou insoutenables. Son argumentation ne saurait dès lors être suivie.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_664/2020 consultable ici