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8C_628/2024 (f) du 25.03.2025 – Capacité de travail exigible – Valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_628/2024 (f) du 25.03.2025

 

Consultable ici

 

Capacité de travail exigible – Valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire / 16 LPGA – 44 LPGA

 

Assurée, née en 1974 et titulaire d’une formation d’employée de commerce, a exercé en tant que comptable indépendante sous une raison individuelle créée en septembre 2013, jusqu’à la faillite de cette dernière en février 2020. En janvier 2020, elle a sollicité des prestations auprès de l’office AI, invoquant un trouble bipolaire de type 2 et un syndrome douloureux somatoforme persistant, diagnostiqués depuis 2002.

L’office AI a ordonné plusieurs mesures d’instruction, incluant la collecte d’avis médicaux et une expertise pluridisciplinaire (avec volets en médecine interne, rhumatologie, psychiatrie et bilan neuropsychologique). Dans leur rapport du 13 mai 2022, les experts ont conclu à une capacité de travail, définie par le volet psychiatrique, de 0% entre décembre 2019 et février 2022 et de 50% dès mars 2022, dans toute activité. Une enquête économique complémentaire a été réalisée pour évaluer l’activité indépendante.

Se fondant sur l’avis de son SMR, aux termes duquel l’assurée présentait une capacité de travail similaire dans toute activité, y compris dans l’activité habituelle, l’office AI a admis que le taux d’invalidité se confondait avec celui de l’incapacité de travail. Par décision du 26.07.2023, procédant à une comparaison en pour-cent, l’office AI a reconnu à l’assuré le droit à une rente entière d’invalidité à partir du 01.07.2020 puis à une demi-rente d’invalidité dès le 01.03.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/737/2024 – consultable ici)

Par jugement du 27.09.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal et maintien du droit à une rente entière d’invalidité dès le 01.03.2022.

 

TF

Consid. 4 [résumé]
La cour cantonale a mis en doute la valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire, soulignant que l’évaluation d’une capacité de travail durable de 50% dès fin février 2022 paraissait contredite par les données médicales. Bien que l’état psychique de l’assurée se soit partiellement amélioré après ses hospitalisations en 2021-2022, les scores de dépression (BDI-II : 29) et d’anxiété (échelle de Hamilton : 23) indiquaient toujours une pathologie sévère. La conclusion de l’expert, selon laquelle l’assurée avait recouvré une capacité de travail durable de 50% dès la fin de sa dernière hospitalisation ne convainquait pas, dès lors que cet expert faisait état, de décembre 2019 à février 2022, d’une évolution trop chaotique et de périodes d’amélioration trop courtes ou trop fluctuantes pour attester d’une amélioration pérenne. De plus, l’anamnèse dressée par l’expert psychiatre indiquait des difficultés dans le classement des archives des anciens clients de l’assurée, difficultés qui avaient également été relevées lors de l’enquête économique effectuée en août 2022, soit près de cinq mois plus tard. La juridiction cantonale a encore souligné que la psychiatre traitante avait attesté d’une incapacité totale de travail de l’assurée depuis qu’elle la suivait (octobre 2022).

Sur le plan somatique, le constat du rhumatologue – qui excluait tout impact incapacitant des diagnostics de fibromyalgie, syndrome lombo-vertébral chronique ou obésité – a été jugé insuffisamment motivé. La cour cantonale a notamment relevé l’absence d’examen concret des répercussions fonctionnelles de ces pathologies et l’omission d’analyser spécifiquement la fibromyalgie conformément à la jurisprudence, ni lors de l’évaluation consensuelle.

Cela étant, la cour cantonale a considéré qu’il n’était pas indispensable de compléter l’instruction. S’appuyant sur les limitations fonctionnelles établies (difficultés à mobiliser ses ressources pendant un long moment, mauvaise gestion de son stress, fatigabilité, difficultés de concentration, d’attention et de mémoire de travail) et le bilan neuropsychologique révélant des atteintes cognitives moyennes, la cour cantonale a estimé que l’activité habituelle de comptable – exigeant de fortes capacités attentionnelles – n’était pas la mieux adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assurée et qu’une profession moins exigeante sur le plan intellectuel correspondait mieux aux aptitudes de cette dernière.

Elle a dès lors rejeté la méthode de comparaison en pour-cent utilisée par l’office AI au profit de la méthode ordinaire de comparaison des revenus, s’appuyant sur l’ESS 2020. Elle a évalué le revenu d’invalide à l’aide de la table TA1_tirage_skill_level, ligne « total », appliquant le niveau de compétences 1 puis le niveau 2, et tenant compte d’une capacité de travail de 50% « en partant de l’hypothèse que les conclusions des experts […] au sujet de la capacité de travail […] soient probantes ». Elle a conclu que dans toutes les hypothèses, le taux d’invalidité n’était pas inférieur à 70%.

Consid. 6.1
En l’occurrence, la cour cantonale a considéré que les experts ne motivaient pas de façon suffisante leurs conclusions sur la capacité de travail ; elle n’en a pas pour autant formellement nié le caractère probant.

Cela étant, elle a émis des doutes sur le caractère durable de l’amélioration de l’état de santé psychique de l’assurée et sur sa capacité à travailler à 50% dès le 01.03.2022. Ses doutes résultaient de ses constatations relatives à la situation médicale, où elle reprenait le contenu du volet psychiatrique de l’expertise du 13.05.2022, qu’elle comparait aux lettres de sortie des récentes hospitalisations de l’assurée (séjour au service de psychiatrie adulte de l’Hôpital B.__ du 30.11.2021 au 10.01.2022; séjour à la Clinique C.__ du 08.02.2022 au 28.02.2022), à ses déclarations lors de l’enquête économique effectuée en août 2022 et à l’avis de la psychiatre traitante qui la suivait depuis octobre 2022.

La juridiction cantonale a également mis en doute le fait que l’activité habituelle de comptable apparaisse comme réellement adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assurée. Pour autant, elle a renoncé à compléter l’instruction, laissant ouverte la question de la valeur probante de l’expertise, tout comme celle de la capacité de travail dont disposait l’assurée dès le 01.03.2022. Elle a ensuite retenu, nonobstant ses doutes, que l’assurée n’était en mesure que de reprendre à 50% une activité professionnelle adaptée à ses limitations fonctionnelles – l’activité exercée précédemment étant exclue dans ce contexte -, ce qui justifiait d’appliquer la méthode ordinaire de comparaison des revenus pour l’évaluation de l’invalidité.

En procédant ainsi, la juridiction cantonale a agi de manière contradictoire et arbitraire. Elle ne pouvait pas, sans nier la valeur probante de l’expertise ni compléter l’instruction par une nouvelle expertise, s’écarter des constatations des experts relatives à la capacité résiduelle de travail de l’assurée dans l’activité habituelle. On rappellera, comme le fait du reste valoir l’office AI recourant, que la capacité de travail dont dispose l’assurée dès le 01.03.2022 – dans son activité habituelle de comptable et dans une activité adaptée – a une influence sur l’évaluation du revenu d’invalide, et corollairement sur la quotité de la rente. Eu égard aux doutes – fondés – sur cet aspect, ainsi que sur la question de l’amélioration – durable ou non – de l’état de santé de l’assurée au 01.03.2022 (art. 88a al. 1 RAI), l’instruction médicale doit être complétée.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et la décision, la cause étant renvoyée à l’office AI pour mise en œuvre d’une nouvelle expertise et nouvelle décision.

 

Arrêt 8C_628/2024 consultable ici

 

La commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national prend de premières décisions concernant la réforme des rentes de veuve et de veuf

La commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national prend de premières décisions concernant la réforme des rentes de veuve et de veuf

 

Communiqué de presse du Parlement du 23.05.2025 consultable ici

 

La Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) a procédé à un premier examen de la réforme des rentes de survivants. À l’instar du Conseil fédéral, elle souhaite que les rentes soient désormais liées à la période éducative et d’assistance des enfants. Elle considère cependant que les personnes non mariées ne doivent pas y avoir droit. Une fois qu’elle aura examiné l’ensemble du projet de réforme, la commission décidera si elle souhaite le compléter par des adaptations concernant les prestations de l’AVS liées à l’état civil et le présenter comme un contre-projet indirect à l’initiative populaire visant à supprimer le plafond des rentes AVS pour les couples mariés.

La commission a procédé à une première lecture du projet de modification de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants visant à adapter les rentes de survivants (24.078). Sur les grandes lignes, elle s’est ralliée au projet du Conseil fédéral, mais ne souhaite pas rendre l’obtention d’une rente de survivant indépendante de l’état civil (par 16 voix contre 9). Les veuves et les veufs devront ainsi avoir droit à une rente si, au moment du décès de leur conjointe ou de leur conjoint, ils ont des enfants de moins de 25 ans. Les personnes divorcées avec enfants doivent être assimilées à ces personnes, pour autant qu’elles ne se soient pas remariées. La rente s’éteint lorsque la personne veuve s’est remariée, qu’elle a atteint l’âge de l’AVS ou que le plus jeune de ses enfants a atteint l’âge de 25 ans. Le projet du Conseil fédéral prévoit quant à lui que les rentes soient versées indépendamment de l’état civil. Selon la commission, les prestations de survivants doivent être réservées aux couples mariés tant que d’autres dispositions liées à l’état civil existeront dans l’AVS. Une minorité propose que les rentes de survivants soient également versées aux parents non mariés, comme dans le projet du Conseil fédéral, estimant que cela reflète l’évolution de la société.

La commission a par ailleurs complété le projet du Conseil fédéral sur certains points. Elle souhaite ainsi que les rentes minimales pour les veuves et les veufs ainsi que pour les orphelines et les orphelins soient augmentées, à condition que la personne décédée ait cotisé pendant au moins cinq ans (par 13 voix contre 9 et 3 abstentions). Elle considère en outre que les prestations pour survivants des premier et deuxième piliers ne doivent plus être prises en considération dans le revenu imposable pour les allocations familiales des personnes sans activité lucrative (par 16 voix contre 8 et 1 abstention). Des minorités s’opposent à ces compléments.

Pour ce qui est des autres adaptations, la commission se rallie au projet du Conseil fédéral. Il s’agit notamment d’introduire une rente transitoire de deux ans pour les personnes dont les enfants ont déjà 25 ans ou plus au moment du veuvage. Les rentes des veuves et des veufs âgés de plus de 55 ans à l’entrée en vigueur de la modification ne seront pas touchées par la réforme. Les veuves et les veufs de moins de 55 ans percevront la rente jusqu’à ce que leur plus jeune enfant ait atteint l’âge de 25 ans ou pendant deux ans après l’entrée en vigueur de la réforme. Le projet prévoit en outre des dispositions spécifiques pour les personnes veuves qui ont des enfants adultes à charge ou qui sont menacées de pauvreté.

Neuf minorités au total demandent des prestations plus étendues que celles prévues par le projet du Conseil fédéral. Elles proposent par exemple des rentes de veuve et de veuf et des rentes transitoires plus longues ainsi que le maintien des rentes en cours. D’autres minorités souhaitent des dispositions transitoires pour les femmes qui deviennent veuves peu après l’entrée en vigueur de la réforme, ainsi qu’une extension de la rente transitoire aux personnes veuves sans enfants.

Étant donné la complexité de cette révision du régime des rentes de survivants, la commission procédera à une deuxième lecture du projet. Elle décidera ensuite si elle souhaite compléter celui-ci par des adaptations relatives au plafond des rentes pour les couples mariés, au supplément pour les veuves et les veufs, à l’exemption de cotisation ou aux rentes pour enfants et présenter le projet en tant que contre-projet indirect à l’initiative populaire « Oui à des rentes AVS équitables pour les couples mariés » (25.035). La commission ne reprendra l’examen de l’initiative populaire que lorsque les points en suspens concernant un éventuel contre-projet indirect auront été clarifiés. L’objectif de l’iv. pa. Amaudruz « En finir avec la discrimination des couples de retraités mariés » (24.407) ayant été intégré aux discussions, la CSSS-N propose de ne pas lui donner suite (par 15 voix contre 8 et 2 abstentions).

En vue de la deuxième lecture, elle a demandé à l’administration d’estimer les implications financières de ses décisions, d’évaluer comment les éventuelles économies réalisées grâce à la réforme peuvent être utilisées pour augmenter les bonifications pour tâches éducatives et d’assistance et quels seraient les effets d’une réduction du supplément pour les veuves et les veufs.

 

Communiqué de presse du Parlement du 23.05.2025 consultable ici

Message du 23 octobre 2024 relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (Adaptation des rentes de survivants) in FF 2024 2768

 

 

 

Publication du rapport de recherche : «Évaluation des nouveautés dans le domaine des expertises médicales dans l’assurance-invalidité» dans le cadre du Programme de recherche de l’assurance-invalidité

Publication du rapport de recherche : «Évaluation des nouveautés dans le domaine des expertises médicales dans l’assurance-invalidité» dans le cadre du Programme de recherche de l’assurance-invalidité

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 22.05.2025 consultable ici

Rapport «Evaluation der Neuerungen im Bereich der medizinischen Begutachtungen in der Invalidenversicherung» (Numéro du rapport 5/25) disponible ici

Article de Christian Bolliger/Martina Flick Witzig, Expertises AI : mise en œuvre des dernières nouveautés, paru in Sécurité Sociale CHSS du 22.05.2025 consultable ici

En test sur le site : En cas de manque de temps, je vous propose un podcast (créé par IA) basé sur le rapport de recherche et l’article paru in CHSS disponible ici
(6 min.34)

 

Résumé (issu du rapport de recherche)

Lors de l’examen du droit aux prestations, l’assurance-invalidité (AI) s’appuie sur des expertises médicales réalisées par des experts indépendants si les informations dont elle dispose ne lui permettent pas d’établir elle-même les faits médicaux. Grâce au Développement continu de l’assurance-invalidité (DC AI) entré en vigueur le 1er janvier 2022, le législateur a pu apporter plusieurs modifications aux modalités d’attribution et de réalisation des expertises médicales ; ces changements doivent contribuer à améliorer la qualité des expertises et à accroître leur transparence. La plupart concernent toutes les assurances sociales. Ainsi, les exigences en matière de qualification des experts ont été renforcées. Les offices AI doivent désormais tenir des listes publiques contenant des informations sur les experts qu’ils mandatent. Les entretiens entre l’assuré et l’expert font l’objet d’un enregistrement sonore, à moins que l’assuré ne s’y oppose. L’attribution des expertises bidisciplinaires est désormais soumise à la procédure aléatoire. Pour les expertises monodisciplinaires, la recherche d’un consensus entre l’assurance et l’assuré en cas de désaccord sur le choix de l’expert a été précisée et les possibilités de contester l’attribution des expertises ont été restreintes. Enfin, une commission a été instituée : il s’agit de la Commission fédérale pour l’assurance qualité des expertises médicales (COQEM).

 

Problématique et procédure

La présente évaluation a permis pour la première fois d’examiner de plus près les expériences faites depuis la mise en place de ces changements dans l’AI. Le but consistait, premièrement, à analyser la mise en œuvre et les difficultés observées ; deuxièmement, à réunir différentes données de référence concernant l’attribution des expertises, en précisant si possible l’évolution au fil du temps ; troisièmement, à analyser l’évolution du marché des expertises, c’est-à-dire l’offre d’experts ; et quatrièmement, à analyser l’effet des nouveautés sur le niveau d’acceptation et de perception de la légitimité des expertises médicales. Cette démarche a été réalisée en prenant en compte les perspectives des acteurs impliqués (offices AI, services médicaux régionaux [SMR], experts et conseillers juridiques représentant les assurés). L’intérêt était porté sur la nouvelle situation et sur les répercussions des changements introduits. En outre, les acteurs impliqués ont été interrogés sur leurs attentes vis-à-vis de la COQEM.

L’évaluation s’appuie en premier lieu sur des analyses statistiques de données des registres AI (concernant la période 2017 à 2023), de la plateforme d’attribution des mandats d’expertise Suisse-MED@P (années 2022 et 2023) et d’une sélection d’offices AI. De plus, des enquêtes en ligne ont été menées auprès des 26 offices AI cantonaux, des experts (475 participants) et des conseillers juridiques des assurés (223 participants). Enfin, des entretiens approfondis portant sur des thèmes choisis en lien avec les expertises ont été menés avec des représentants de quatre offices AI et de leurs SMR respectifs, de même qu’avec des experts et des conseillers juridiques. Au total, 30 personnes ont été interrogées au cours de 17 entretiens. Les documents mis à disposition par les offices AI et SMR interrogés ont été exploités également dans le cadre de l’analyse de leurs démarches.

 

Mise en œuvre des nouveautés

Les nouveautés sont mises en œuvre et les problèmes pratiques initiaux ont été en grande partie surmontés. Trois ans après leur entrée en vigueur, les nouveautés concernant le domaine des expertises sont bien établies auprès des acteurs impliqués ; dans l’ensemble, elles sont mises en œuvre en conformité avec les directives. Une grande partie des problèmes d’ordre pratique rencontrés initialement ont été surmontés. Les expériences rapportées à l’équipe des évaluateurs par les acteurs concernés sont ambivalentes : d’un côté, les offices AI déplorent le surcroît de travail organisationnel et administratif induit par les nouveautés mises en place, en particulier dans la phase initiale. Mais de l’autre, seuls quelques experts ont fait état de difficultés rencontrées durant la phase de mise en œuvre ; les experts chevronnés reconnaissent qu’en cas de litige, les enregistrements sonores contribuent aussi à leur propre protection. Les conseillers juridiques ont parfois mentionné des difficultés ; ils ont toutefois plutôt émis des réserves de principe concernant les expertises dans l’AI tels que des doutes sur le choix des experts qu’évoqué des problèmes pratiques. Un premier bilan de la mise en œuvre des nouveautés est exposé ci-après.

  • Qualification des experts : les nouvelles exigences minimales posées en matière de qualification des experts ont amené un relèvement global – à un niveau relativement uniforme – de leurs qualifications formelles, sachant qu’auparavant, les offices AI plaçaient la barre à des hauteurs variables lors de leur recrutement. S’agissant des expertises monodisciplinaires, les offices AI ont toutefois maintenu différents critères, comme les expériences réalisées antérieurement (par l’AI) avec un expert, la proximité géographique de l’expert, ou encore le principe de la sélection aléatoire.

 

  • Liste publique et recherche de consensus : lors de la recherche d’experts pour mener des expertises monodisciplinaires, les offices AI se fondent principalement sur leur propre liste d’experts (quoique aussi, occasionnellement mais assez rarement, sur d’autres listes publiques). Les conseillers juridiques se servent de ces listes pour obtenir une vue d’ensemble et faire des contre-propositions (recherche de consensus). En cas d’expertise monodisciplinaire, la recherche d’un consensus entre l’office AI et l’assuré au sujet de l’expert à mandater échoue dans moins de 1% des cas. Selon les participants interrogés, les offices AI acceptent la contre-proposition de l’assuré ou de son représentant légal pour autant que l’expert proposé figure sur la liste publique. D’aucuns critiquent le fait que cette liste indique les incapacités de travail attestées par les expertises. Ils estiment que cela pourrait inciter les experts à « rester dans la moyenne ».

 

  • Enregistrements sonores : des problèmes techniques ou pratiques, comme un enregistrement sonore défectueux, son absence, ou encore le fait que l’assuré ignore qu’il doit annoncer à l’office AI son éventuel refus de l’enregistrement, ont surtout causé des difficultés durant la phase initiale. D’après des déclarations concordantes faites lors des entretiens, ce point ne pose toutefois plus qu’exceptionnellement problème. Une minorité des conseillers juridiques critiquent le fait que l’accès à l’enregistrement sonore via une plateforme de streaming soit semé d’embûches et que le streaming soit si fastidieux. Selon la plupart des personnes interrogées, les enregistrements sonores ne sont que très rarement demandés, même si certains conseillers juridiques interrogés ont indiqué qu’ils écoutaient souvent les enregistrements. Une estimation statistique approximative montre que les enregistrements sonores sont consultés dans 6% des expertises au maximum.

 

  • Attribution aléatoire d’expertises bidisciplinaires : ce changement n’a pas entraîné, en soi, de difficulté majeure. Seule une minorité des personnes interrogées ont signalé des problèmes. À titre d’exemple, il a parfois été signalé que la distance à parcourir par un assuré pour se rendre chez l’expert avait augmenté.

 

  • Limitation des possibilités d’objection : si aucun office AI n’a déclaré rencontrer des difficultés en raison de la limitation des possibilités de contester l’attribution des expertises, une minorité tout de même importante (30%) des conseillers juridiques affirment le contraire ; une partie des personnes interrogées émettent également la critique que leurs objections ne seraient pas suffisamment entendues. S’agissant de savoir sur quels aspects de l’attribution des expertises la voie de recours reste ouverte, les avis des tribunaux cantonaux divergent. Quant au Tribunal fédéral, il n’est pas associé à la clarification de ces points de droit.

 

  • COQEM : jusqu’à présent, la COQEM s’est attelée principalement à la préparation des indicateurs de qualité, des normes et des procédures qu’elle entend mettre en place. Son action passe assez inaperçue et elle est encore méconnue des acteurs concernés. Les personnes interrogées lors des entretiens attendent de la COQEM qu’elle contribue à un examen aussi objectif et indépendant que possible de la qualité des expertises, et ce, sur la base de critères et de normes clairs. Elles espèrent qu’un dialogue constructif, équitable et transparent s’installe entre la commission et les experts qu’elle est chargée de contrôler.

 

Évolution constatée au fil du temps et effets des nouveautés

Se fondant sur les données analysées et sur les enquêtes, l’équipe d’évaluateurs a examiné les évolutions suivantes et les effets des nouveautés sur celles-ci.

  • Fréquence des expertises et pénurie d’experts – effet ponctuel des nouveautés : l’office AI ordonne une expertise pour 25 à 30% des demandes de prestations portant sur des mesures professionnelles ou sur la rente. Cette proportion a diminué ces dernières années. Il semble néanmoins que, globalement, la demande d’experts ait plutôt augmenté, du moins jusqu’en 2022, puisque le nombre absolu d’expertises pluridisciplinaires a connu une hausse sensible, tandis que celui des expertises monodisciplinaires et bidisciplinaires a quelque peu diminué. En 2023, le nombre d’expertises pluridisciplinaires a fléchi, probablement en raison de l’abandon des expertises pluridisciplinaires à trois disciplines introduit en février 2023 (puis annulé à partir du 1er janvier 2025). Pour le reste, comme on pouvait s’y attendre, les tendances décrites ici ne révèlent pas d’effet des nouveautés sur la demande d’expertises et d’experts. Les différences de fréquence des expertises d’une région linguistique et d’un office AI à l’autre sont frappantes : si en 2022 et 2023, quatre offices AI ont recensé au moins quatre expertises pour dix demandes de prestations, six offices AI n’en ont eu qu’entre une et deux en moyenne, et deux autres, même moins d’une (maximum : 43% ; minimum 7%).

 

  • Coûts des expertises – la hausse des tarifs laisse des traces : les nouveautés liées au DC AI n’ont pas eu de répercussions sur le coût des expertises. En revanche, les modifications introduites en février 2023 en ont eues. Située entre 15 et 18%, la hausse des tarifs pour les expertises pluridisciplinaires a fait augmenter leur coût moyen, tandis que celui des expertises monodisciplinaires et bidisciplinaires est resté constant. De même, en 2023, le coût moyen des expertises pluridisciplinaires a augmenté en raison de la suppression (temporaire) des expertises ne portant que sur trois disciplines.

 

  • L’attribution et le traitement des expertises prennent du temps (souvent trop) – absence d’effets mesurables des nouveautés : une grande majorité des offices AI (85%) et des conseillers juridiques (85% aussi) interrogés lors de l’évaluation ainsi qu’une minorité importante des experts (40%) estiment que les expertises prennent trop de temps. Et les chiffres le confirment : pour les expertises pluridisciplinaires, 237 jours se sont écoulés en moyenne entre le dépôt d’un mandat sur la plateforme d’attribution des mandats et la remise de l’expertise en 2023 ; un quart des expertises ont même pris 327 jours ou (parfois nettement) plus. Pour les expertises bidisciplinaires, la médiane se situe à 152 jours. Plusieurs raisons expliquent ces résultats : d’une part, le fait que la plupart des mandataires ne sont pas en mesure de respecter les délais ordinaires prescrits (durée entre la réception des documents et la remise de l’expertise). D’autre part, pour les expertises pluridisciplinaires, il a souvent fallu longtemps, en 2022 et 2023 – notamment faute de disposer de suffisamment d’experts dans certaines disciplines –, avant qu’un centre d’expertises ne puisse prendre en charge un mandat. Les derniers chiffres font toutefois état d’un meilleur équilibre entre l’offre et la demande au second semestre 2024, notamment en Suisse alémanique. Ainsi, fin 2024, seuls 192 mandats d’expertises pluridisciplinaires déposés sur la plateforme (dont 162 en Suisse romande) n’étaient pas encore attribués, alors qu’en milieu d’année 2022, il en restait encore 1876.

 

  • Offre d’experts – pénurie préexistante probablement quelque peu accentuée par les nouveautés : selon les indications des offices AI et des experts interrogés, quelques experts se sont retirés du marché à la suite des nouveautés, les principales raisons invoquées étant les enregistrements sonores, les qualifications exigées et la liste publique. L’hypothèse que les nouveautés auraient, à court terme, quelque peu accentué la pénurie semble donc plausible. À l’inverse, selon l’enquête, les experts ne se trouvent pas plus souvent contraints de refuser des mandats que lors de la dernière enquête de ce type, en 2016. Tous les offices AI, 85% des conseillers juridiques interrogés et 58% des experts perçoivent la pénurie. Si celle-ci se manifeste de manière assez différente selon les offices AI, globalement, elle touche à de nombreuses disciplines médicales. Toutefois, comme indiqué au paragraphe précédent, la pénurie s’est peu manifestée au deuxième semestre 2024.

 

  • Offre hétérogène – petit nombre de centres d’expertises dominants en Suisse latine : selon l’enquête menée auprès des experts, la part d’entre eux qui exercent à titre principal à l’étranger a légèrement augmenté ; elle se situe aujourd’hui à 9% (contre 6% en 2016). De même, la part des personnes qui consacrent au moins trois quarts de leur temps à la réalisation d’expertises a augmenté par rapport à la situation qui prévalait lors de la dernière enquête de 2016 ; ce groupe d’experts est cependant toujours nettement minoritaire. Il représente aujourd’hui 14% des experts interrogés. Même parmi les personnes qui réalisent plus de 30 expertises par an pour l’AI, seule une minorité (37%) y consacre une part aussi importante de son temps de travail. En ce qui concerne le nombre de mandats pris en charge, on constate aussi de nettes différences entre les centres d’expertises. En Suisse romande, selon la liste publique 2023, 39% des expertises pluridisciplinaires ont été réalisées par l’un de ses neuf centres d’expertises, alors qu’en Suisse italienne, il n’y a qu’un seul centre d’expertises médicales qui propose ses services à l’AI. Le principe d’attribution aléatoire y est donc compromis par l’offre limitée.

 

  • Une légère hausse de l’acceptation de l’attribution des expertises semble plausible : les résultats de l’enquête portent à croire que, pour au moins une minorité de conseillers juridiques (32%), les litiges avec l’AI concernant l’attribution des expertises ont légèrement diminué (néanmoins, 6% d’entre eux pensent le contraire). Cinq offices AI font même état d’une acceptation légèrement accrue. Le plus souvent, les personnes interrogées attribuent des effets positifs à la nouvelle réglementation sur la recherche d’un consensus, sur l’attribution aléatoire en cas d’expertises bidisciplinaires et sur les enregistrements sonores. 42% des offices AI interrogés (et exactement la même proportion des conseillers juridiques) estiment toutefois que l’attribution des expertises débouche encore trop souvent sur des litiges.

 

  • Effets jusqu’à présent limités des nouveautés sur l’acceptation des résultats des expertises : on dispose ponctuellement de données et de calculs des offices AI concernant l’acceptation des décisions de prestations de l’AI fondées sur des expertises. L’évolution survenue depuis 2018 est hétérogène et l’introduction des nouveautés en 2022 n’a pas marqué de vraie rupture. Seuls sept offices AI ont confirmé certains changements, comme le fait que la recherche d’un consensus a amélioré l’acceptation des expertises. Quelque 38% des conseillers juridiques estiment que les enregistrements sonores ont eu un effet sur cette acceptation. Les personnes interrogées ont révélé que les comportements inamicaux – voire inappropriés – d’experts envers les assurés sont devenus plus rares après l’introduction des enregistrements sonores. 44% des conseillers juridiques pensent que l’enregistrement sonore a généralement amélioré l’interaction pendant l’expertise, tandis que 4% pensent le contraire. Sur ce point, les avis sont plus partagés chez les experts (16% d’avis positifs pour 21% d’avis négatifs). Peu d’entre eux supposent que la transparence pourrait également avoir un effet sur le résultat des expertises.

 

  • Effets des nouveautés globalement peu perceptibles – des solutions à la pénurie existent : dans l’ensemble, les effets des nouveautés sur l’offre d’experts, la durée du processus d’expertise et l’acceptation des expertises et de leurs résultats sont donc assez peu prononcés. Les difficultés rencontrées dans le domaine des expertises n’ont donc pas fondamentalement évolué ; ce résultat n’aurait de toute façon pas pu être anticipé, ce que même les acteurs interrogés confirment. Alors que l’impression dominante, dans les offices AI et chez les experts, est que la faible utilité des nouveautés peine à justifier un surcroît de travail administratif, une partie au moins des conseillers juridiques attestent que la transparence a une valeur intrinsèque et que les experts accordent ainsi, dans l’ensemble, davantage d’estime aux assurés. Même si les tout derniers chiffres laissent entrevoir des améliorations, l’évaluation montre, à l’exemple des retards dans l’attribution des mandats d’expertise, qu’une pénurie d’experts peut entraîner des conséquences néfastes sur les pratiques d’expertise. Les grandes différences entre offices AI concernant le nombre d’expertises ordonnées et les possibilités, mises en évidence lors de l’évaluation, de limiter le besoin d’expertises (partielles) prouvent que ce problème ne saurait être résolu uniquement par l’élargissement de l’offre d’experts, mais que les offices AI ont aussi eux-mêmes un certain impact sur la demande d’expertises. Voici quelques exemples de stratégies, à appliquer au cas par cas en respectant toujours les normes de qualité requises, telles que définies par les tribunaux : exploitation des informations contenues dans le dossier de l’assuré, notamment celles issues de la procédure de réadaptation, externalisation de questions ou de problématiques plutôt périphériques, dotation du SMR en disciplines clés et propres examens réalisés par le SMR.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 22.05.2025 consultable ici

Rapport «Evaluation der Neuerungen im Bereich der medizinischen Begutachtungen in der Invalidenversicherung» (Numéro du rapport 5/25) disponible ici

Article de Christian Bolliger/Martina Flick Witzig, Expertises AI : mise en œuvre des dernières nouveautés, paru in Sécurité Sociale CHSS du 22.05.2025 consultable ici

 

 

Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique [DNT] 2024

Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique [DNT] 2024

 

L’office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 22.05.2025 les chiffres annuels de la durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique (NOGA 2008), en heures par semaine, jusqu’à l’année 2024.

Pour rappel, ces statistiques sont nécessaires pour la détermination des revenus sans et avec invalidité en cas d’utilisation des salaires statistiques (ESS).

 

Notre page « Durée normale du travail dans les entreprises » a été mise à jour.

 

 

8C_344/2024 (f) du 26.03.2025 – Valeur probante d’une expertise médicale – 44 LPGA / Divergences entre les appréciations d’observation professionnelle et médicales

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_344/2024 (f) du 26.03.2025

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’une expertise médicale / 44 LPGA

Divergences entre les appréciations d’observation professionnelle et médicales

 

Assuré né en 1996, titulaire d’un CFC d’informaticien, entame en 2017 une formation complémentaire de technicien en informatique interrompue le 20.12.2018 à la suite d’un accident vasculaire cérébral (AVC). Le 06.02.2019, il dépose une demande AI.

L’office AI lui a octroyé successivement plusieurs mesures : observation professionnelle (02.06.2020 – 31.08.2020), entraînement progressif au travail en tant qu’informaticien (01.09.2020 – 30.11.2020), soutien à la recherche d’emploi (08.01.2021 – 02.05.2021) et placement à l’essai au sein de la société C.__ Sàrl avec coaching (03.05.2021 – 15.07.2021). La réintégration de l’assuré sur le marché du travail n’ayant pas réussi, l’Office AI met fin à l’aide au placement le 16.07.2021.

Par préavis du 27.04.2022, l’office AI a indiqué son intention de rejeter la demande de rente, estimant le degré d’invalidité inférieur à 30%. L’assuré a contesté cette décision les 02.05.2022 et 07.06.2022, tout en bénéficiant d’un mandat de soutien auprès de la fondation D.__ d’août 2022 à février 2023.

Le SMR a ordonné une expertise bidisciplinaire, confiée aux Dr E.__ (neurologue FMH) et Dr F.__ (psychiatre-psychothérapeute FMH), certifiés SIM. Leur rapport du 24.01.2023 a conduit l’office AI à allouer à l’assuré, par décision du 16.05.2023, un trois quarts de rente d’invalidité à partir du 01.12.2020.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 28.05.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Le tribunal peut accorder une pleine valeur probante à une expertise mise en œuvre dans le cadre d’une procédure administrative au sens de l’art. 44 LPGA, aussi longtemps qu’aucun indice concret ne permet de douter de son bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4; 125 V 351 consid. 3b/bb). En effet, au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d’expertise (ATF 124 I 170 consid. 4), on ne saurait remettre en cause une expertise ordonnée par l’administration ou le juge et procéder à de nouvelles investigations du seul fait qu’un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion distincte de celle exprimée par les experts. Il n’en va différemment que si ces médecins traitants font état d’éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l’expertise et qui sont suffisamment pertinents pour remettre en cause les conclusions de l’expertise (arrêt 8C_816/2023 du 28 août 2024 consid. 3.2 et l’arrêt cité).

Consid. 2.4
Par ailleurs, il appartient avant tout aux médecins, et non aux spécialistes de l’orientation professionnelle, de se prononcer sur la capacité de travail d’un assuré souffrant d’une atteinte à la santé et sur les éventuelles limitations résultant de celles-ci (ATF 140 V 193 consid. 3.2; arrêts 9C_462/2022 du 31 mai 2023 consid. 4.2.2.1; 9C_441/2019 du 28 octobre 2019 consid. 3.1). Cependant, les organes d’observation professionnelle ont pour fonction de compléter les données médicales en examinant concrètement dans quelle mesure l’assuré est à même de mettre en valeur une capacité de travail et de gain sur le marché du travail (arrêt 9C_1035/2009 du 22 juin 2010 consid. 4.1, in SVR 2011 IV n° 6 p. 17). Au regard de la collaboration étroite, réciproque et complémentaire, selon la jurisprudence, entre les médecins et les organes d’observation professionnelle (cf. ATF 107 V 17 consid. 2b), on ne saurait toutefois dénier toute valeur aux renseignements d’ordre professionnel recueillis à l’occasion d’un stage pratique pour apprécier la capacité résiduelle de travail de l’assuré en cause. En effet, dans les cas où les appréciations (d’observation professionnelle et médicale) divergent sensiblement, il incombe à l’administration, respectivement au tribunal de confronter les deux évaluations et, au besoin, de requérir un complément d’instruction (arrêts 9C_68/2017 du 18 avril 2017 consid. 4.4.2; 9C_512/2013 du 16 janvier 2014 consid. 5.2.1 et les arrêts cités).

Consid. 3.1 [résumé]
Les juges cantonaux ont accordé une pleine force probante au rapport d’expertise bidisciplinaire du 24.01.2023, tant sur le plan formel que matériel. Ils ont retenu que l’assuré présentait une phobie sociale, un probable syndrome d’Asperger et des séquelles d’un AVC survenu quatre ans auparavant, sans déficit sensitivomoteur mais avec une fatigue persistante, une fatigabilité accrue et des troubles neuropsychologiques durables.

La juridiction cantonale a fait sienne l’appréciation consensuelle des experts, qui ont estimé la capacité de travail à 50% dans l’activité habituelle et entre 60% et 70% dans une activité adaptée, à savoir une activité évitant le stress et exercée dans un milieu de travail bienveillant, avec peu d’exposition au regard des autres et le moins possible de contacts avec la clientèle ou des collègues, ainsi que de changements de collègues, de clients ou encore de responsables.

Sur cette base, le taux d’invalidité a été fixé à 61% dès le 01.12.2021, ouvrant droit à un trois-quarts de rente d’invalidité.

Consid. 3.2 [résumé]
L’assuré reproche à la juridiction inférieure d’avoir fondé son jugement sur une expertise du 24.01.2023 qu’il juge lacunaire et inexacte. Il relève que le psychiatre expert a évoqué un syndrome d’Asperger « à confirmer » sans en examiner l’incidence sur la capacité de travail. Les juges cantonaux auraient également écarté les conclusions du psychiatre traitant de l’assuré, du 19.06.2023, en retenant un rapport de complaisance de la part de ce dernier, alors qu’il serait le seul à s’être intéressé au diagnostic d’Asperger, à l’avoir confirmé et à s’être exprimé sur les limitations de la capacité de travail en lien avec ce diagnostic.

L’assuré dénonce l’absence dans l’expertise d’éléments clés des rapports d’observation professionnelle, notamment ceux de la Fondation B.__ concernant ses limitations sur le marché ordinaire. Il souligne une contradiction dans l’évaluation du rendement à 50-60% par l’Orif, calculé sur une base horaire réduite à 60%, ce qui ramènerait sa capacité réelle à 30-36%.

L’assuré critique en outre le fait que les juges cantonaux aient suivi les conclusions de l’expert-psychiatre concernant sa capacité de travail en dépit du fait que celles-ci divergeaient de celles issues des rapports d’observation professionnelle et que l’expert-psychiatre ne se soit pas exprimé au sujet de ces divergences. L’assuré argue également que sa capacité de travail est nulle sur le premier marché de l’emploi, les conditions-cadres spécifiées par les experts dans une activité adaptée étant typiques de celles d’un atelier protégé, ce que les juges cantonaux n’auraient pas retenu.

Consid. 4.1
Les griefs de l’assuré à l’encontre du jugement entrepris, en tant qu’il reconnaît une pleine valeur probante à l’expertise bidisciplinaire ordonnée par l’office AI, sont fondés dans une large mesure.

Dans la partie « résumé médico-assécurologique commun », en particulier, cette expertise mentionne le rapport final de l’Orif du 19.07.2021 en indiquant que le rendement de l’assuré y était évalué entre 50 et 60%. Comme le souligne l’assuré, elle omet de préciser que ce rendement limité n’était obtenu que sur une activité exercée à 60%, ce qui entraîne une présentation erronée de la capacité de travail effective de l’assuré constatée par l’Orif (30 à 36%, et non 50 à 60%). Certes, l’expert-psychiatre et l’expert-neurologue mentionnent ensuite que la précédente activité était exercée à raison de quatre heures par jour seulement. Toutefois, l’ambiguïté demeure, dès lors qu’ils font état d’une capacité de travail de 40 à 60% dans cette activité sans discuter des constatations effectuées lors des stages professionnels, relatives à une capacité de travail notablement inférieure et qui sont à peine évoquées. L’expert-psychiatre n’expose par ailleurs pas comment il aboutit pour sa part au constat d’une capacité de travail globale de 40 à 60% dans cette activité, tout en admettant une performance globale réduite dans la même mesure sur un temps de présence limité à quatre heures par jour, ce qui paraît contradictoire.

Enfin, au regard de la capacité de travail tout de même très limitée constatée lors de stages sous l’égide de l’assurance-invalidité dans un environnement déjà très bienveillant, les constatations de l’expert-psychiatre relatives à une capacité de travail de 70 à 80% dans une activité exercée à plein temps, divergent manifestement de celles effectuées par l’Orif, même si l’on prend en considération les limitations mentionnées par l’expert, relatives à la nécessité d’un employeur présentant une bienveillance supérieure à la norme, ainsi que d’éviter autant que possible le regard des autres et les impératifs d’interaction sociale régulière, de même que les contacts avec les collègues ou la clientèle aussi restreints que possible, même par téléphone. L’expert-psychiatre ne pouvait passer purement et simplement sous silence ces divergences.

Selon les juges cantonaux, l’expert-psychiatre a estimé de manière convaincante que les troubles psychiques de l’assuré ne sont que faiblement incapacitants, en mettant en relief les ressources conséquentes dont il disposait. Il avait ainsi pu terminer sa scolarité et obtenir un certificat fédéral de capacité, disposait de très bonnes compétences en informatique, apprenait rapidement, était consciencieux, discipliné et réaliste, mais aussi méthodique, analytique et orienté vers les détails. Il pouvait également compter sur le soutien de sa famille. En outre, toujours selon la Cour cantonale, l’expert-psychiatre avait considéré que la capacité de travail de l’assuré pouvait encore être améliorée par une prise en charge plus serrée et spécifique des troubles d’anxiété sociale, avec une intensification de la médication. Sur ce dernier point, on doit toutefois constater que l’expert-psychiatre a évoqué un probable syndrome d’Asperger, en laissant ce diagnostic ouvert dès lors qu’il devrait être confirmé par de plus amples investigations.

Or il est pour le moins prématuré de se prononcer sur les possibilités de prise en charge médicale et d’amélioration des symptômes ainsi que de la capacité résiduelle de travail, notamment par un traitement médicamenteux, sans préalablement vérifier la pertinence du diagnostic de syndrome d’Asperger, comme le relève à juste titre l’assuré. Par ailleurs, en ce qui concerne les ressources de l’assuré, les juges cantonaux, comme l’expert-psychiatre, ont dans une large mesure retranscrit la description qu’en faisait lui-même l’assuré dans son curriculum vitae. Cela prête à discussion et il aurait convenu d’en vérifier la pertinence, ou du moins de l’étayer par les observations faites lors des stages professionnels.

Enfin, l’assuré a produit en instance cantonale un rapport de la Fondation D.__, qui constate l’échec de toutes les tentatives d’insertion professionnelle de l’assuré pendant un accompagnement de six mois et recommande une activité auprès d’un employeur bienveillant non pas sur le premier marché du travail, mais sur le « deuxième marché du travail », autrement dit dans un milieu protégé. Les juges cantonaux ont totalement passé sous silence ces conclusions, qui paraissent, comme les constatations de l’Orif, difficilement compatibles avec la capacité résiduelle de travail de 70 à 80% constatée par l’expert-psychiatre sur le marché primaire de l’emploi, même auprès d’un employeur bienveillant et en limitant autant que possible tous contacts sociaux.

Consid. 4.2
Il ressort de ce qui précède que l’expertise bidisciplinaire présente des lacunes que l’on ne peut ignorer, dans la mesure où l’anamnèse socio-professionnelle comporte des imprécisions notables et où les experts, en particulier l’expert-psychiatre, n’exposent pas de manière claire pourquoi ils se distancient de l’évaluation de la capacité de travail lors des stages professionnels effectués par l’assuré.

Au vu de leurs constatations peu claires, pour autant qu’elles ne soient pas même contradictoires, relatives à la capacité de travail dans les activités effectuées pendant ces stages, il n’est d’ailleurs pas sûr qu’ils aient pris la mesure des empêchements présentés par l’assuré, quand bien même ils en ont retenu que les contacts sociaux devaient être limités autant que possible.

L’analyse des ressources de l’assuré est relativement sommaire, se limitant au constat d’une scolarité obligatoire et de l’obtention d’un certificat fédéral de capacité ainsi qu’à la retranscription des qualités que se prête l’assuré dans son curriculum vitae ainsi qu’à la référence à un soutien par la famille et le réseau de soins.

Le diagnostic psychiatrique reste également à préciser, ce qui ne permet pas de tirer de conclusions sur les possibilités d’amélioration des symptômes et de la capacité de travail par un traitement, contrairement à ce que les juges cantonaux ont pris en considération dans leur appréciation.

Dans ces conditions, la juridiction cantonale ne pouvait pas, sans arbitraire, attribuer une pleine valeur probante à l’expertise et statuer sans autre mesure d’instruction, en passant également sous silence les conclusions du rapport de la Fondation D.__. La cause lui sera donc renvoyée afin qu’elle ordonne une nouvelle expertise bidisciplinaire et statue à nouveau.

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_344/2024 consultable ici

 

Interpellation Porchet 25.3072 « Quelle reconnaissance dans la LAA/OLAA pour les victimes de viol ? » – Avis du Conseil fédéral du 21.05.2025

Interpellation Porchet 25.3072 « Quelle reconnaissance dans la LAA/OLAA pour les victimes de viol ? » – Avis du Conseil fédéral du 21.05.2025

 

Consultable ici

 

Texte déposé

Dans son arrêt 8C_548/2023 (d) du 21.02.2024 – Notion d’accident – Acte d’ordre sexuel commis sur une personne incapable de discernement ou de résistance, le Tribunal fédéral considère qu’une agression sexuelle, a fortiori en situation de soumission chimique, pourtant dénoncée et reconnue, ne pouvait pas être qualifiée d’accident au sens de l’art. 4 LPGA. L’impact de cette jurisprudence est lourd pour les victimes concernées : pas d’indemnités journalières, pas de prise en charge de l’examen médical (art. 10 LAA).

Selon le TF, le fait d’être inconsciente au moment de l’agression et de ne pas avoir de souvenir de l’acte permettait de considérer que ce n’est pas un accident. Certaines violences sexuelles, vu leur effet traumatisant, empêchent les victimes d’en avoir un souvenir immédiat. La jurisprudence du TF en déduit qu’il ne s’agit alors pas d’un « événement d’une grande violence survenu en présence de la personne assurée » (ce qui permettrait de qualifier d’accident les traumatismes qui sont engendrés par l’agression). Le motif invoqué par le TF est très choquant : c’est parce que la personne n’en a d’abord pas le souvenir que le TF considère que l’agression est « hors de sa présence » et ainsi qu’une condition fait défaut pour qualifier le cas d’accident. L’argument tiré des premières déclarations (lesquelles font foi sur les autres) témoigne d’une grande méconnaissance de la problématique des violences sexuelles (les souvenirs reviennent ensuite, par bribes), et en particulier en cas de soumission chimique.

Dans ces conditions, je pose les questions suivantes au Conseil fédéral :

  1. Le Conseil fédéral considère-t-il comme important que la LAA et l’OLAA permettent une prise en charge uniforme par l’assurance-accident des victimes de violences sexuelles?
  2. Comment le CF évalue-t-il l’évolution de la pratique depuis l’arrêt 8C_548/2023 (d) du 21.02.2024 du Tribunal fédéral?
  3. Le CF reconnaît-il l’effet traumatique des violences sexuelles sur les victimes et l’importance de prendre en compte cet aspect des violences sexuelles dans la mise en œuvre de la LAA et de l’article 4 LPGA?
  4. Selon le CF, la soumission chimique peut-elle permettre la qualification d’accident?
  5. Le CF est-il prêt à modifier la LAA et/ou l’OLAA pour permettre une prise en charge uniforme par l’assurance-accident des victimes de violences sexuelles?

 

Avis du Conseil fédéral du 21.05.2025

L’article 4 de la loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA ; RS 830.1) prévoit que, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort. De façon générale, le Tribunal fédéral a toujours retenu que le viol ou la contrainte sexuelle pouvait déclencher une réaction immédiate de peur et d’effroi et était constitutif d’un événement de terreur extraordinaire répondant à la notion d’accident. Dans l’arrêt mentionné dans l’interpellation, le Tribunal fédéral a toutefois estimé, en se basant sur une jurisprudence constante, que le caractère accidentel ne pouvait pas être retenu. Les juges ont rappelé que, pour qu’un accident au sens juridique du terme existe en cas d’atteinte à la santé psychique due à choc émotionnel, il faut « un événement terrible et extraordinaire, qui entraîne un choc psychique correspondant, déclenché par un incident violent se déroulant en présence immédiate de la personne assurée, et être susceptible, par sa violence inattendue, de provoquer des effets typiques de l’angoisse (paralysie, emballement cardiaque), même chez une personne en bonne santé, en perturbant son équilibre psychique ».

Le Tribunal cantonal avait estimé que l’événement avait déclenché chez l’assurée une réaction immédiate de peur et de terreur et a donc eu un impact soudain sur son psychisme, ce qui implique l’admission d’un événement traumatisant extraordinaire répondant à la définition d’un accident. Saisi d’un recours, le Tribunal fédéral, tout en admettant que l’assurée a été victime d’une agression sexuelle, a pour sa part nié l’existence d’un accident. Il a estimé que, l’assurée n’ayant pas pris conscience de l’incident immédiatement, la condition de l’immédiateté n’était pas remplie. L’interprétation du Tribunal fédéral a donc été différente de celle du Tribunal cantonal.

Le Conseil fédéral répond comme suit aux questions de l’interpellation :

  1. Le cadre légal actuel prévoit que la législation sur l’assurance-accidents s’applique, lorsque l’événement à l’origine de l’affection remplit les critères constitutifs de la notion juridique d’accident. La grande majorité des cas de violences sexuelles remplissent ces critères.
  2. L’arrêt dont fait mention l’interpellation n’a pas impliqué de changement de jurisprudence. Il confirme au contraire une jurisprudence constante du Tribunal fédéral en matière d’influences soudaines sur le psychisme dues à la peur. En ce sens, le Conseil fédéral n’a pas constaté de changement de pratique.
  3. Le Conseil fédéral reconnait le traumatisme des victimes de violences sexuelles. Il estime fondamental qu’elles puissent être reconnues comme telles et prises en charge par les différents organes compétents en la matière, comme les centres dépendants de la loi fédérale sur les victimes d’infractions (LAVI ; RS 312.5). Le Conseil fédéral reconnait l’importance de la prise en charge par l’assurance-accidents des conséquences des violences sexuelles.
  4. La détermination du caractère accidentel d’un événement s’effectue au cas par cas, en fonction des circonstances. Le Conseil fédéral estime que, de façon générale, la présence d’une soumission chimique ne doit pas forcément exclure l’existence d’un accident au sens juridique du terme.
  5. En l’état actuel du droit, les conséquences des violences sexuelles peuvent aujourd’hui être prises en charge par l’assurance-accidents, si l’événement à l’origine des affections répond aux critères constitutifs de la notion juridique d’accident. Cela étant, le Conseil fédéral examinera si et comment les bases juridiques peuvent être adaptées afin que le viol soit toujours également reconnu comme un accident en cas de «soumission chimique».

 

Interpellation Porchet 25.3072 « Quelle reconnaissance dans la LAA/OLAA pour les victimes de viol ? » – Avis du Conseil fédéral du 21.05.2025 consultable ici

 Ma traduction de l’arrêt du TF 8C_548/2023 (d) du 21.02.2024 disponible ici

Un article sera prochainement rédigé par mes soins au sujet de cet arrêt.

 

5A_336/2023 (d) du 17.07.2024 – Mariage conclu sous le régime de la séparation de biens – Partage de la prévoyance – Prise en compte des retraits EPL – Indemnité équitable / 123 CC – 124e al. 1 CC – 207 al. 1 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_336/2023 (d) du 17.07.2024, publié aux ATF 150 III 353

 

Arrêt 5A_336/2023 consultable ici et ATF 150 III 353

Résumé issu du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 166 ch. 1155

 

Mariage conclu sous le régime de la séparation de biens – Partage de la prévoyance – Prise en compte des retraits EPL – Indemnité équitable / 123 CC – 124e al. 1 CC – 207 al. 1 CC

 

Le retrait anticipé au titre de l’encouragement à la propriété du logement (EPL) est soumis au partage de la prévoyance. Lorsque, à la dissolution d’un mariage conclu sous le régime de la séparation de biens, un des deux conjoints a atteint l’âge de référence et perçoit une rente de vieillesse au moment du dépôt de la demande de divorce, le montant du retrait EPL ne peut être partagé par moitié du fait de la séparation de biens, mais donne droit à une indemnité équitable en vertu de l’art. 124e CC. Le montant du retrait EPL ne peut toutefois pas être simplement partagé par moitié, car il faut tenir compte de la part dont il a été fait théoriquement usage pendant le mariage.

Dans la présente affaire, il s’agit de déterminer si un retrait anticipé pour la propriété du logement effectué pendant le mariage est soumis au partage de la prévoyance lorsque les conjoints ont choisi le régime matrimonial de la séparation de biens et que le conjoint tenu de fournir une compensation a déjà atteint l’âge de référence.

En principe, le retrait EPL sort du circuit de la prévoyance dès la survenance du cas de prévoyance vieillesse, et l’avoir retiré devient un élément de la fortune du preneur de prévoyance. Dans la liquidation du régime matrimonial, un tel retrait est généralement partagé entre les conjoints. Cependant, lorsque, comme en l’espèce, le régime de la séparation des biens ne permet pas un tel partage, une indemnité équitable est due (art. 124e CC). Selon le TF, cette indemnité représente une compensation pour le fait que la rente de vieillesse à partager est, en raison du retrait EPL, inférieure à celle qui aurait été versée si le divorce avait été prononcé avant la survenance du cas de prévoyance.

Le TF parvient à la conclusion qu’un retrait EPL ne peut pas être simplement partagé par moitié, car une partie a théoriquement déjà été utilisée pendant le mariage. Pour calculer le montant de l’indemnité prévue à l’art. 124e CC, le TF détermine la rente qui aurait résulté du montant du retrait EPL si celui-ci était resté dans le circuit de la prévoyance. Le montant de cette rente hypothétique est capitalisé jusqu’à l’entrée en force du divorce. La différence entre la rente capitalisée et le montant du retrait initial constitue la valeur à prendre en compte pour déterminer l’indemnité équitable. Le point de départ dans la détermination de l’indemnité équitable est le partage par moitié de l’avoir de prévoyance (art. 124e CC en relation avec l’art. 123 CC). Le TF renvoie l’affaire à l’instance précédente en lui demandant de fixer le montant de l’indemnité équitable conformément à l’arrêt.

 

Arrêt 5A_336/2023 consultable ici et ATF 150 III 353

 

EPL : mise en location d’un premier logement suivie de l’acquisition d’un nouveau logement – Prise de position de l’OFAS

EPL : mise en location d’un premier logement suivie de l’acquisition d’un nouveau logement – Prise de position de l’OFAS

 

Prise de position de l’OFAS dans le Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 166 ch. 1152 (consultable ici)

 

En principe, une personne assurée qui a déjà acquis la propriété d’un premier logement au moyen de l’EPL et qui l’a mis en location ultérieurement ne peut plus acquérir la propriété d’un nouveau logement au moyen de l’EPL, sauf si elle revend son premier logement ou rembourse son premier retrait EPL.

Suite à des questions, l’OFAS apporte la précision suivante :

Lorsqu’une personne assurée a déjà effectué un premier retrait EPL pour acquérir la propriété de son logement et qu’elle a mis en location celui-ci ultérieurement tout en restant propriétaire, il n’y a en principe pas d’obligation de rembourser le montant de ce premier retrait, comme indiqué dans les Bulletins de la prévoyance professionnelle n° 55 ch. 329 p. 12, n° 135 ch. 889 p. 7 et n° 157 ch. 1073 p. 4.

Toutefois, si la personne assurée souhaite acquérir la propriété d’un nouveau logement, elle ne pourra en principe plus recourir à l’EPL, sauf si elle revend son premier logement et qu’elle réinvestit le produit de la vente dans un délai de 2 ans dans un nouveau logement en propriété (art. 30d al. 4 LPP). Si la personne ne souhaitait pas revendre son premier logement, elle pourrait alors rembourser par ses propres moyens financiers le montant de son premier retrait EPL. En cas d’achat-revente dudit logement, il faut radier la mention de la restriction du droit d’aliéner existante dans le registre foncier et y saisir celle liée au nouveau bien. Au-delà de ce délai de 2 ans après la vente du premier logement, la personne assurée devra procéder au remboursement du premier retrait EPL grâce au produit de cette vente immobilière.

En effet, l’EPL ne peut pas servir à financer l’acquisition de deux ou plusieurs objets immobiliers mais doit servir uniquement à financer l’acquisition d’un seul logement (art. 1 al. 2 OEPL) pour ses propres besoins (art. 30c al. 1 LPP et 4 OEPL). Sinon, il y aurait le risque que l’EPL ne serve plus à financer l’accession à la propriété du logement occupé personnellement par l’assuré et sa famille mais qu’il soit utilisé à des fins purement lucratives par l’acquisition et la mise en location de différents biens immobiliers. Le présent cas de mise en location d’un premier logement suivi de l’acquisition d’un nouveau logement est donc différent du cas « simple » (objet des Bulletins susmentionnés) où la personne se limite seulement à mettre en location le logement dont elle reste propriétaire, cela sans envisager une nouvelle acquisition immobilière au moyen de l’EPL et sans exclure la possibilité de retourner habiter dans ce même logement.

 

Prise de position de l’OFAS dans le Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 166 ch. 1152 (consultable ici)

 

9C_63/2024 (f) du 10.02.2025 – Mode d’élection des représentants du personnel au sein du conseil d’administration de la Caisse de prévoyance – Gestion paritaire – 51 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_63/2024 (f) du 10.02.2025

 

Arrêt consultable ici

Résumé issu du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 166 ch. 1154

 

Mode d’élection des représentants du personnel au sein du conseil d’administration de la Caisse de prévoyance – Gestion paritaire / 51 LPP

 

L’art. 51 LPP n’exige pas la participation des associations professionnelles dans la désignation des représentants des assurés. Par ailleurs, régler les modalités de la désignation des représentants des personnes salariées par voie réglementaire est une tâche qui appartient à l’institution de prévoyance, singulièrement à son organe suprême, en vertu de l’art. 51 al. 2 let. a LPP.

Les recourants soutiennent que le nouveau mode d’élection des représentants du personnel au sein du conseil d’administration de la Caisse de prévoyance du personnel de l’Etat de Fribourg (CPPEF) serait incompatible avec l’exigence d’une gestion paritaire des institutions de prévoyance prévue par l’art. 51 LPP. Ils font valoir que la nouvelle réglementation supprime la place des syndicats et autres associations du personnel, prévoit un mode de scrutin dans lequel « l’Etat-employeur » peut s’immiscer et annihile toute possibilité pour les salariés d’être convenablement représentés par des personnes ayant les connaissances requises et le soutien nécessaire.

Selon le TF, ce nouveau mode d’élection ne contrevient pas aux règles concernant la gestion paritaire posées par l’art. 51 LPP, pour les raisons suivantes :

En premier lieu, l’art. 51 LPP n’exige pas la participation des associations professionnelles dans la désignation des représentants des assurés. C’est donc en vain que les recourants se prévalent du fait que les associations du personnel seraient « éjectées » par la réforme. Selon l’art. 51 al. 3, 1re et 2°phrases, LPP, les assurés désignent leurs représentants, en règle générale, directement ou par l’intermédiaire de délégués. Si à l’intérieur de ce cadre légal, les institutions de prévoyance disposent d’une grande marge de manœuvre pour régler le mode d’élection des représentants des assurés, les représentants des salariés doivent cependant être désignés par les salariés et ceux des employeurs par les employeurs (cf. art. 49 al. 1 en relation avec l’art. 51 al. 2 et 3 LPP; Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 77 let. C ch. 2. p. 3 s.). La désignation des représentants peut dès lors avoir lieu directement par tous les assurés, par la commission de prévoyance élue au sein de l’entreprise, par les associations des partenaires sociaux (syndicats, associations d’employeurs) ou par d’autres délégués (Bulletin cité, let. C ch. 2 p. 4). La participation des syndicats ou associations pour la désignation des représentants des assurés n’est pas imposée par le droit fédéral.

L’institution de prévoyance doit par ailleurs tenir compte des différentes catégories de salariés et de leur importance numérique, en veillant à ce que la représentation de celles-ci au sein de l’organe paritaire soit équitable (cf. art. 51 al. 2 let. b LPP; Message LPP, FF 1976 1 117 p. 173; ATF 142 V 239 consid. 2.1).

 

Arrêt 9C_63/2024 consultable ici

 

8C_587/2024+8C_589/2024 (f) du 25.03.2025 – Qualité de travailleur assuré à titre obligatoire – Début et fin de la couverture d’assurance – Caractère réel du contrat de travail – 1a LAA – 3 LAA / Vraisemblance des salaires versés niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_587/2024+8C_589/2024 (f) du 25.03.2025

 

Consultable ici

 

Qualité de travailleur assuré à titre obligatoire – Début et fin de la couverture d’assurance – Caractère réel du contrat de travail / 1a LAA – 3 LAA

Vraisemblance des salaires versés niée

 

Dans le cadre du contrat de travail du 26.08.2010, l’assuré, engagé par l’entreprise individuelle de son père B.__ (ci-après: l’entreprise B.__), active dans le secteur de la construction, occupait un poste d’aide monteur polyvalent avec un salaire mensuel brut de 1’200 CHF incluant jours fériés et 13ᵉ salaire, pour une durée hebdomadaire variable. Le 16.06.2020, l’assuré – qui participait régulièrement à des courses de supercross aux États-Unis – a chuté lors d’un entraînement dans ce pays, ce qui a occasionné une fracture de la troisième vertèbre thoracique avec recul du mur postérieur et compression de la moelle, à l’origine d’une paraplégie immédiate.

Par décision du 23.04.2021 confirmée sur opposition le 23.09.2021, l’assurance-accidents a refusé de prendre en charge les suites de l’accident. En substance, elle a retenu que l’assuré avait travaillé en dernier lieu pour l’entreprise familiale le 28.12.2019 et qu’il s’était trouvé ensuite en congé sabbatique aux États-Unis. Malgré l’apparent versement d’un salaire entre décembre 2019 et juin 2020, la situation devait être considérée comme un congé non payé, eu égard au fait que l’assuré n’avait fourni aucune contrepartie professionnelle pendant près de six mois. Dans ces conditions, il n’était pas assuré selon la LAA au moment de l’accident survenu le 16.06.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 147/21 et AA 148/21 – 93/2024 – consultable ici)

Par jugement du 28.08.2024, rejet du recours de l’assuré et de celui de la caisse-maladie par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 1a al. 1 let. a LAA, sont assurés à titre obligatoire contre les accidents les travailleurs occupés en Suisse, y compris les travailleurs à domicile, les apprentis, les stagiaires, les volontaires ainsi que les personnes travaillant dans des écoles de métiers ou des ateliers protégés. Aux termes de l’art. 1 OLAA, est réputé travailleur selon l’art. 1a al. 1 LAA quiconque exerce une activité lucrative dépendante au sens de la législation fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (AVS). De manière générale, la jurisprudence considère comme tel la personne qui, dans un but lucratif ou de formation et sans devoir supporter de risque économique propre, exécute durablement ou provisoirement un travail pour un employeur, auquel il est plus ou moins subordonné. Sont ainsi visées avant tout les personnes au bénéfice d’un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO ou qui sont soumises à des rapports de service de droit public (ATF 144 V 411 consid. 4.2; 141 V 313 consid. 2.1). Dans le doute, la qualité de travailleur doit être déterminée, de cas en cas, à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment au regard de l’existence d’une prestation de travail, d’un lien de subordination et d’un droit au salaire sous quelque forme que ce soit (arrêts 8C_419/2022 du 6 avril 2023 consid. 3.1; 8C_59/2022 du 6 septembre 2022 consid. 3.1 et les arrêts cités). Selon la jurisprudence afférente aux art. 319 ss CO, les éléments caractéristiques du contrat de travail sont une prestation de travail, un rapport de subordination, une rémunération et un élément de durée (ATF 148 II 426 consid. 6.3). Ces quatre conditions à l’existence d’un contrat de travail sont cumulatives (ANNE MEIER, in Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd. 2021, n° 8 ad art. 319 CO).

Consid. 3.2
L’art. 3 LAA prévoit que l’assurance produit ses effets dès le jour où débutent les rapports de travail ou dès que naît le droit au salaire, mais en tout cas dès le moment où le travailleur prend le chemin pour se rendre au travail (al. 1, première phrase); l’assurance cesse de produire ses effets à la fin du 31 e jour qui suit le jour où prend fin le droit au demi-salaire au moins (al. 2, première phrase). Pendant un congé non payé, les rapports de travail, qui continuent d’exister, sont suspendus. La prise d’un congé non payé a donc pour conséquence la suspension des obligations principales découlant du rapport de travail, à savoir l’obligation de travailler de l’employé ainsi que l’obligation de l’employeur de verser le salaire, tout en limitant également certaines obligations accessoires, comme par exemple le droit de donner des instructions et le devoir de protection de l’employeur, ainsi que le devoir de fidélité du travailleur. Le congé non payé a aussi des répercussions du point de vue des assurances sociales. Conformément à l’art. 3 al. 2 LAA, l’assurance-accidents obligatoire prend fin le 31e jour suivant le jour où cesse le droit au demi-salaire, ce qui signifie qu’au-delà d’un congé non payé de 31 jours, il n’y a plus de couverture d’assurance, même si les rapports de travail ne sont que suspendus (arrêts 8C_413/2019 du 22 août 2019 consid. 6.1; 8C_472/2018 du 22 janvier 2019 consid. 5.1.1; CÉCILE MATTER/CLAUDIO HELMLE, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 29 ad art. 3 LAA).

Consid. 3.3 [résumé]
La compétence de l’assureur dépend de l’activité exercée au moment de l’accident : l’assureur de l’employeur concerné couvre les accidents professionnels (art. 77 al. 1 LAA), tandis que celui de la dernière activité couvre les accidents non professionnels (art. 99 OLAA). En cas de pluralité d’employeurs, l’assureur compétent est celui lié à l’activité en cours lors de l’accident (art. 99 al. 1 OLAA).

Consid. 4.1 [résumé]
Les juges cantonaux ont relevé plusieurs indices laissant douter du caractère réel du contrat de travail daté du 26.06.2010. Ils ont constaté que les revenus bruts figurant à l’extrait de compte individuel de l’assuré ne correspondaient pas aux modalités prévues dans le contrat, ce qui suggérait que ce dernier aurait pu être rédigé a posteriori pour servir les intérêts du dossier. Par ailleurs, le contrat ne précisait pas le nombre d’heures mensuelles à effectuer, ce qui était inhabituel, et aucun élément probant ne venait étayer l’assertion de la caisse-maladie recourante selon laquelle l’assuré aurait occupé un emploi à 30%. Il n’était en outre pas contesté qu’aucune trace des heures de travail ni de la présence de l’assuré n’était tenue, rendant toute vérification sur l’activité réellement accomplie ou sur une éventuelle compensation annuelle impossible.

L’entreprise B.__ expliquait l’absence de relevés horaires par le versement d’un salaire mensuel et affirmait que l’assuré aurait doublé son temps de travail entre juin et décembre 2019 afin de cumuler assez de jours pour compenser un congé sabbatique prévu en 2020. Or, cette explication paraissait peu vraisemblable, l’assuré ayant participé à un championnat de supercross aux États-Unis durant l’été 2019, comme l’établissait une interview accordée au site Internet (…). Le dossier ne contenait en outre aucune quittance de salaire ni relevé bancaire attestant le paiement effectif du salaire convenu, et notamment, un versement de CHF 6’000 opéré le 26.03.2020 n’apparaissait pas dans la comptabilité 2020 de l’entreprise.

L’analyse de la comptabilité des années 2019 et 2020 révélait en outre que les paiements de salaires étaient enregistrés comme des opérations de caisse, alors même que l’entreprise ne disposait pas des fonds nécessaires, selon le compte «Caisse» de 2019. De plus, toutes les écritures transitaient par le compte transitoire «Salaire à payer», avec, chose inhabituelle, la même date pour toutes les écritures mensuelles de salaire. Pour l’année 2020, le compte «Caisse» indiquait un seul versement pour l’ensemble du salaire annuel, enregistré le 31 décembre 2020.

Au vu de l’ensemble de ces éléments et de l’absence de preuve quant à la réception effective des montants en question, les juges cantonaux ont retenu qu’il s’agissait de simples écritures comptables, sans réels mouvements de fonds en faveur de l’assuré.

Consid. 4.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont examiné la nature des activités professionnelles de l’assuré au moment de l’accident. Bien que celui-ci ait occasionnellement aidé l’entreprise familiale, ils ont souligné que son engagement principal en 2020 était lié à sa carrière de pilote professionnel de supercross pour l’écurie C.__. Cette activité, exercée depuis 2015, était qualifiée de professionnelle malgré l’absence de contrat écrit ou de rémunération directe, l’écurie fournissant le matériel nécessaire en contrepartie, ce qui établissait un lien de subordination au sens de l’art. 3 LAA.

L’instance cantonale a rejeté l’argument d’un retour prévu en Suisse durant la pause du championnat (du 08.02.2020 au 28.03.2020). La pause en question était destinée à prendre du repos avant de reprendre l’entraînement physique et technique et à faire des tests de matériel dans la perspective des prochaines courses, sans intention de reprendre son activité chez B.__. La cour cantonale en a conclu que son activité de pilote ne constituait pas une simple activité de loisirs, mais une véritable activité professionnelle, exercée en 2020 pour le compte d’un employeur, l’écurie C.__. Dès lors, les deux activités (emploi familial et carrière sportive) n’étaient pas simultanées et s’excluaient l’une l’autre.

Au moment de l’accident du 16.06.2020, l’assuré ne travaillait pas pour l’entreprise de son père, mais pour l’écurie C.__. Il n’appartenait donc pas à l’assurance-accidents de prendre en charge le cas, conformément aux art. 77 al. 1, première phrase, LAA et 99 al. 1 OLAA a contrario.

Consid. 4.3
Le tribunal cantonal a ensuite considéré que l’assuré ne pouvait pas se prévaloir du principe de la protection de la bonne foi pour obtenir des prestations de la part de l’assurance-accidents. Le fait qu’il avait bénéficié de prestations de celle-ci lors d’un précédent accident n’était pas décisif. Au surplus, l’assurance-accidents ne lui avait pas fait une quelconque promesse de prise en charge d’un éventuel nouvel accident de supercross. Enfin, par appréciation anticipée des preuves, la juridiction cantonale a rejeté les requêtes de l’assuré d’audition de témoins, qui auraient pu préciser les contours de son activité pour l’entreprise B.__.

 

Consid. 5.2.1 [résumé]
Les juges cantonaux ont relevé plusieurs éléments suggérant un caractère fictif du contrat de travail entre l’assuré et l’entreprise B.__, sans statuer définitivement sur son existence réelle. Bien qu’il ait admis la possibilité de prestations occasionnelles pour cette entreprise, il a retenu qu’au moment de l’accident du 16.06.2020, l’assuré exerçait exclusivement son activité de pilote pour l’écurie C.__, exonérant ainsi l’assureur-accidents de toute obligation. Cette motivation n’a toutefois pas clarifié la qualification juridique du contrat de travail ni statué sur la qualité de travailleur assuré au sens de l’art. 1a al. 1 let. a LAA, laissant dans l’incertitude la couverture de l’activité sporadique pour l’entreprise familiale.

Consid. 5.2.2 [résumé]

Cela étant, le tribunal cantonal a établi de manière non arbitraire que l’assuré résidait aux États-Unis depuis janvier 2020 pour participer à un championnat de supercross et n’envisageait pas de revenir en Suisse lors de la pause de six semaines (février-mars 2020). Cette conclusion s’appuie sur son interview publiée, où il détaillait une semaine de repos suivie de préparations sportives, sans mention d’un retour. Les versions contradictoires de l’assuré – retour prévu en avril puis en mai 2020 – ont été jugées irrecevables au regard du calendrier des compétitions (épreuve prévue le 04.04.2020) et de son projet de développer son entreprise D.__ aux États-Unis, après le championnat de supercross, en proposant des chambres, des motos et du coaching aux États-Unis. Vu la nature de cette activité, on voit mal comment il aurait pu développer cette entreprise depuis la Suisse. Il découle de ce qui précède qu’au moment de son accident, l’assuré n’avait pas travaillé pour l’entreprise B.__ depuis au moins six mois, et qu’il n’aurait vraisemblablement pas agi différemment en l’absence du Covid-19.

L’instance cantonale a également rejeté l’allégation d’un doublement du temps de travail en 2019 pour compenser un congé en 2020, soulignant que l’assuré avait concouru aux États-Unis de juin à août 2019, excluant toute activité simultanée pour l’entreprise B.__. Aucun détail sur les chantiers ou tâches effectuées en 2019 n’a été fourni, et l’argument d’un congé de trois mois s’avérait incompatible avec le calendrier initial du championnat.

Consid. 5.2.3
Au vu de ce qui précède, et pour autant que l’on puisse admettre l’existence dès 2010 de rapports de travail au sens de l’art. 319 CO entre l’assuré et l’entreprise B.__, ces rapports de travail ont été à tout le moins suspendus début 2020 au plus tard. Les premiers juges ont constaté sans arbitraire qu’il n’était pas établi que le paiement d’un montant de CHF 6’000 en mars 2020 correspondait à un salaire. Par ailleurs, en l’absence de toute prestation de travail en 2020, le seul versement d’un salaire pour des heures de travail qui auraient été effectuées en 2019 ne suffirait pas pour faire perdurer la relation de travail jusqu’en juin 2020, les éléments caractéristiques du contrat de travail étant cumulatifs (cf. consid. 3.1 in fine supra). Au moment de l’accident du 16.06.2020, l’assuré n’avait donc pas la qualité de travailleur occupé en Suisse au sens de l’art. 1a al. 1 let. a LAA. Par conséquent, l’assurance-accidents n’a pas à répondre des suites de cet accident, l’assuré ayant été assuré au plus tard jusqu’à fin janvier 2020 en vertu de l’art. 3 al. 2 LAA (cf. consid. 3.2 in fine supra).

Consid. 5.3
Toujours sous couvert d’un établissement manifestement inexact des faits, l’assuré fait en outre grief à la juridiction cantonale d’avoir retenu que son activité de pilote de supercross constituait une activité professionnelle exercée pour le compte de l’écurie C.__. Le point de savoir si un contrat de travail le liait à cette écurie de supercross en 2020 peut toutefois rester indécis, dès lors que même si tel n’était pas le cas, l’assurance-accidents ne devrait pas couvrir le sinistre du 16.06.2020 pour les raisons évoquées ci-dessus.

Consid. 6.1.1 [résumé]
La caisse-maladie recourante conteste l’appréciation des preuves par le tribunal cantonal, soutenant que les revenus annuels de CHF 14’400 perçus par l’assuré entre 2016 et 2019 démontraient son assujettissement à l’assurance-accidents jusqu’à fin 2019. Elle argue que l’assureur n’a pas prouvé l’absence totale de rapport de travail en 2020 et souligne le versement mensuel de CHF 1’200, correspondant selon elle à un taux d’activité de 30%. Il serait peu crédible qu’une petite entreprise familiale puisse se permettre de s’acquitter d’un tel salaire sans contrepartie du salarié.

Consid. 6.1.2
Ainsi que l’on vient de le voir, le tribunal cantonal a émis de sérieux doutes quant à l’existence de véritables rapports de travail entre l’assuré et l’entreprise de son père, sans toutefois trancher clairement cette question (cf. consid. 5.2.1 supra). Quoi qu’il en soit, pour les motifs déjà exposés (cf. consid. 5.2.2 et 5.2.3 supra), en l’absence de toute prestation de travail en 2020, l’assuré n’était pas assuré par l’assurance-accidents contre les risques d’accidents au moment de l’événement du 16.06.2020. Les griefs de la caisse-maladie recourante, qui n’amènent rien de nouveau, sont mal fondés.

Consid. 6.2.1 [résumé]
La caisse-maladie recourante conteste la qualification de l’activité de l’assuré auprès de l’écurie C.__ comme professionnelle, soulignant l’absence de rémunération en espèces et son incapacité à subvenir à ses besoins sans le salaire de l’entreprise B.__. Elle invoque la jurisprudence fédérale (ATF 150 V 391 ; 139 V 457) pour soutenir l’existence d’un contrat de travail avec B.__ au moment de l’accident, celui-ci devant être pris en charge par l’assurance-accidents.

Consid. 6.2.2
Le point de savoir si des rapports de travail unissaient l’assuré et l’écurie C.__ peut demeurer indécis, puisque sans égard à cette question, la couverture d’assurance par l’assurance-accidents selon la LAA au moment de l’accident doit être niée (cf. consid. 5.3 supra). Dans ces conditions, la jurisprudence citée par la caisse-maladie recourante – qui concerne des personnes assurées obligatoirement selon la LAA, en vertu d’une activité à temps partiel, exerçant une autre activité non assurée facultativement – ne lui est d’aucun secours.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré et de la caisse-maladie.

 

Arrêt 8C_587/2024+8C_589/2024 consultable ici

 

Commentaire

Cet arrêt illustre les enjeux complexes liés à la qualification des rapports de travail et à la détermination du champ d’application de la LAA, notamment en présence d’activités multiples et de contrats aux contours flous.

L’arrêt rappelle les effets d’un congé non payé sur la couverture LAA. En application de l’art. 3 al. 2 LAA, l’assurance cesse 31 jours après la fin du droit à un demi-salaire, même si le contrat est suspendu et non résilié. Cet aspect est important pour les employeurs et travailleurs : une interruption d’activité prolongée, sans contrepartie professionnelle, entraîne une perte de couverture, indépendamment des écritures comptables (arrêts du TF 8C_413/2019 du 22 août 2019 consid. 6.1; 8C_472/2018 du 22 janvier 2019 consid. 5.1.1; CÉCILE MATTER/CLAUDIO HELMLE, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 29 ad art. 3 LAA).

A la suite du Tribunal cantonal, le Tribunal fédéral souligne la rigueur attendue dans la preuve des revenus et des heures travaillées. Un salaire versé sans prestation effective, des écritures comptables non corroborées par des flux financiers réels, ou des déclarations contradictoires (ex. : dates de retour en Suisse) peuvent suffire à invalider la couverture d’assurance. Les entreprises familiales doivent être vigilantes pour éviter les soupçons de contrats a posteriori, notamment en cas de sinistre.

Cet arrêt renforce la nécessité d’une approche factuelle et rigoureuse pour qualifier les rapports de travail et leur incidence sur l’assurance-accidents. Il met en garde contre les pratiques informelles dans les entreprises familiales et rappelle que la LAA ne couvre pas les situations où le lien de subordination et la contrepartie effective font défaut. Une vigilance accrue dans la rédaction des contrats et la gestion des dossiers comptables s’impose pour éviter les contentieux.