8C_158/2024 (f) du 02.09.2024 – Droit à l’indemnité de chômage / Aptitude au placement vs inaptitude au placement en cas d’exercice d’une activité indépendante

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_158/2024 (f) du 02.09.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité de chômage / 8 LACI

Aptitude au placement vs inaptitude au placement en cas d’exercice d’une activité indépendante / 15 al. 1 LACI

 

Assuré, né en 1966, est inscrit au registre du commerce en qualité d’associé gérant avec signature individuelle de la société B.__ Sàrl depuis le 12.11.2018. Cette société a pour but « le conseil en stratégie et la gestion d’entreprises ». L’assuré a œuvré en qualité d’indépendant pour B.__ Sàrl jusqu’au 31.03.2022. Dès le 01.04.2022, il a été engagé comme consultant salarié par C.__ Ltd avec siège à Dublin et a cessé son activité d’indépendant. Il a été licencié pour le 30.09.2022 en raison d’une restructuration.

Le 18.11.2022, l’assuré s’est inscrit auprès de l’ORP comme demandeur d’emploi à 100% et a sollicité une indemnité de chômage à partir du 17.11.2022. Le 30.11.2022, l’autorité cantonale de l’emploi l’a informé qu’elle examinait son aptitude au placement et lui a demandé de répondre à un questionnaire, ce qu’il a fait le 07.12.2022. Par une décision, confirmée sur opposition le 20.02.2023, la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM) a déclaré l’assuré inapte au placement. Elle a justifié cette décision en arguant que l’activité salariée de l’assuré avant son inscription n’était pas durable et que son objectif principal était de trouver des mandats pour travailler à plein temps comme indépendant. Les déclarations selon lesquelles il recherchait aussi un emploi salarié relevaient d’une réflexion consécutive à la réception de la décision et non de sa volonté première.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 30/23 – 21/2024 – consultable ici)

Par jugement du 02.02.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
Les juges cantonaux ont exposé correctement les règles relatives au droit à l’indemnité de chômage (art. 8 al. 1 LACI), à l’aptitude au placement (art. 15 al. 1 LACI; ATF 146 V 210 consid. 3.1, 123 V 214 consid. 3 et les références) et à l’inaptitude au placement en cas d’exercice d’une activité indépendante (ATF 112 V 326 consid. 1a et les références; arrêt 8C_577/2019 du 13 octobre 2020 consid. 4.1). Est notamment réputé inapte au placement l’assuré qui n’a pas l’intention ou qui n’est pas à même d’exercer une activité salariée, parce qu’il a entrepris – ou envisage d’entreprendre – une activité lucrative indépendante, cela pour autant qu’il ne puisse plus être placé comme salarié ou qu’il ne désire pas ou ne puisse pas offrir à un employeur toute la disponibilité normalement exigible. On peut ainsi se référer à l’arrêt cantonal.

 

Consid. 5 [résumé]
Les juges cantonaux ont relevé que l’assuré avait toujours privilégié son activité indépendante, comme en témoignaient ses déclarations et ses réponses au questionnaire de l’ORP, où il exprimait clairement son souhait de retrouver des mandats de consultant pour redevenir l’employé unique de sa société, B.__ Sàrl. L’assuré n’avait jamais manifesté l’intention de renoncer à son activité indépendante, n’ayant pas liquidé sa société, et avait effectué peu de recherches d’emploi salarié avant son inscription au chômage, indiquant une faible motivation pour ce type d’emploi. De plus, il avait affirmé lors des entretiens qu’il « réseautait » pour trouver des mandats, renforçant l’idée qu’il privilégiait son activité de consultant. Les juges cantonaux ont estimé que ses explications sur une éventuelle acceptation d’un emploi salarié étaient apparues seulement après la réception de la décision sur opposition et ne reflétaient pas sa volonté première. L’assuré n’avait pas démontré qu’il était prêt à abandonner son activité indépendante, qui constituait une aspiration professionnelle de longue date. Sur cette base, la cour cantonale a conclu qu’il n’était pas apte au placement et a confirmé la décision sur opposition.

 

Consid. 6.1 [résumé]
L’assuré reproche notamment à la cour cantonale d’avoir établi les faits de manière arbitraire. Il soutient que la cour a omis de tenir compte de certaines de ses réponses au questionnaire du 07.12.2022, qui montraient son intention de redevenir employé à 100 %, et non de privilégier une activité indépendante.

Consid. 6.2
Les critiques de l’assuré doivent être écartées. À la lumière du contexte qu’il a souhaité présenter en guise d’introduction au questionnaire du 07.12.2022 et prises dans leur ensemble, il ressort clairement des réponses apportées par l’assuré, d’une part, que lorsqu’il évoque sa volonté de redevenir employé, il se réfère à son activité en tant que salarié unique de B.__ Sàrl. D’autre part, lorsqu’il évoque ses activités indépendantes, il se réfère à sa participation dans un fitness à Londres (par exemple: « 10. Le revenu tiré de ces activités [indépendantes]. 10. Aucun revenu, le fitness est encore en développement et ne gagne pas d’argent « ). Pour le surplus, l’assuré se prévaut de faits et moyens de preuve nouveaux qui sont inadmissibles en vertu de l’art. 99 al. 1 LTF. Il n’y a ainsi pas lieu de s’écarter des faits retenus par les juges cantonaux et qui lient le Tribunal fédéral.

 

Consid. 7.1 [résumé]
L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir enfreint le droit fédéral en refusant de reconnaître son aptitude au placement, arguant qu’il avait exprimé sa disponibilité pour un emploi salarié à plein temps, rendant sans importance son activité indépendante. Il souligne que son licenciement chez C.__ était dû à des motifs économiques et non à une préférence pour l’indépendance. Le fait qu’il n’ait pas liquidé B.__ Sàrl n’était pas pertinent, et il explique que, vu son âge, il était plus difficile de trouver un emploi salarié, ce qui pouvait donner l’impression qu’il priorisait l’indépendance.

Consid. 7.2
L’argumentation de l’assuré ne convainc pas. Comme indiqué plus haut et à la suite des juges cantonaux, il résulte des réponses de l’assuré au questionnaire du 07.12.2022 qu’il avait pour objectif de trouver de nouveaux mandats lui permettant à nouveau de se consacrer à plein temps à sa société. Quant à son activité pour C.__ et au maintien de B.__ Sàrl en parallèle, l’assuré se contente d’opposer de façon appellatoire son appréciation de la situation à celle de l’instance cantonale, sans démontrer ou même avancer qu’il aurait envisagé de mettre un terme définitif à ses activités de consulting indépendantes par exemple pour rejoindre définitivement C.__ en tant qu’employé. On peut au contraire même se demander si cela serait compatible avec la nature temporaire des tâches de « consultant et/ou interim manager » (cf. introduction de l’assuré au questionnaire du 07.12.2022), respectivement de conseil stratégique, que l’assuré souhaite continuer d’exercer. En toute hypothèse, il s’agit là uniquement d’indices qui viennent renforcer l’objectif exprimé par l’assuré de maintenir son activité indépendante. Les arguments liés à l’âge de l’assuré apparaissent en outre comme des prétextes pour justifier a posteriori, respectivement changer le sens des réponses qu’il a fournies le 07.12.2022. Mal fondé, le grief doit être écarté. La cour cantonale pouvait ainsi, sans violer le droit fédéral, nier l’aptitude au placement de l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_158/2024 consultable ici

 

Les personnes accidentées avant l’âge d’être assurées seront mieux protégées en cas de rechute

Les personnes accidentées avant l’âge d’être assurées seront mieux protégées en cas de rechute

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 27.09.2024 consultable ici

 

Le Conseil fédéral veut mieux protéger les personnes accidentées avant l’âge d’être assurées. Lors de sa séance du 27 septembre 2024, il a adopté le message relatif à la révision de la loi sur l’assurance-accidents pour mettre en œuvre la motion 11.3811 Darbellay « Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents ». Cette modification garantit le versement des indemnités journalières par l’assurance-accidents (LAA) dans les cas où l’incapacité de travail est due à une rechute ou aux séquelles tardives d’un accident survenu lorsque l’assuré était plus jeune et donc pas encore assuré à l’assurance-accidents.

Si une personne qui n’exerce pas encore d’activité professionnelle est victime d’un accident, les frais médicaux sont pris en charge par sa caisse-maladie. Plus tard, si elle souffre d’une rechute ou de séquelles liées à cet accident de jeunesse alors qu’elle a intégré le monde du travail, cette personne ne bénéficie pas d’indemnités journalières de la LAA, l’accident initial n’ayant pas été assuré. Cette personne doit donc se tourner vers sa caisse-maladie, qui prend en charge les frais médicaux aux conditions de la loi sur l’assurance-maladie (LAMal). La perte de gain est quant à elle assurée par l’employeur, mais pour une durée déterminée.

En réponse à la motion 11.3811 Darbellay « Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents », adoptée par le Parlement, le Conseil fédéral propose de modifier la LAA.  Dorénavant, les rechutes et les séquelles tardives à la suite d’un accident qui n’a pas été assuré par la LAA et qui est survenu avant l’âge de 25 ans seront considérées comme des accidents non professionnels et donneront droit aux indemnités journalières durant 720 jours au plus. Ce nouveau risque à charge des assureurs présentera un coût maximal estimé à 17 millions de francs par année. Il sera financé par une très légère adaptation des primes LAA.

 

Dans le détail et commentaires des articles par le Conseil fédéral

Nouvel art. 8 al. 3 LAA : « Les rechutes et les séquelles tardives dont souffre un assuré à la suite d’un accident (art. 4 LPGA) qui n’a pas été assuré par la présente loi et qui est survenu avant l’âge de 25 ans sont également réputées accidents non professionnels. L’al. 2 n’est pas applicable. Seules les prestations d’assurance visées à l’art. 16, al. 2bis, sont allouées. »

Les rechutes et les séquelles tardives dont souffre un assuré à la suite d’un accident non assuré par la LAA et survenu avant l’âge de 25 ans seront désormais considérées comme des accidents non professionnels. Il découle de cette disposition que tous les accidents qui n’ont initialement pas été pris en charge par un assureur-accidents suisse entrent en considération, qu’ils aient été pris en charge par un assureur-maladie, suisse ou étranger, ou en vertu de la loi fédérale du 13 juin 1911 sur l’assurance en cas de maladie et d’accidents, abrogée en 1996.

Branche d’assurance concernée

Comme il n’existait pas de rapport de travail au moment de la survenance de l’accident, on ne peut logiquement pas comptabiliser les rechutes et autres séquelles tardives comme des accidents professionnels. Si tel était le cas, les employeurs pourraient au surplus se voir prétériter dans le cadre du calcul des primes selon le système dit de la tarification d’expérience, également appelé bonus-malus, alors même qu’ils n’ont absolument aucun lien avec l’accident initial. Les rechutes et autres séquelles tardives doivent donc être considérées comme des accidents non professionnels et il convient de le mentionner expressément.

Définition de la jeunesse

À l’instar de ce qui se pratique dans d’autres lois du domaine des assurances sociales (AVS, allocations familiales ou de formation), la limite de 25 ans a été retenue. L’accident doit donc avoir eu lieu avant le jour du 25e anniversaire.

Cercle des personnes assurées

N’octroyer des prestations en lien avec les événements en question qu’aux personnes également assurées contre les accidents non professionnels, c’est-à-dire travaillant au moins huit heures par semaine auprès d’un même employeur, irait à l’encontre de la motion. La lacune dénoncée ne serait en effet pas complètement comblée. Aussi est-il prévu que les personnes qui sont uniquement assurées contre les accidents professionnels puissent également prétendre à des indemnités journalières en vertu du nouveau droit. Cette solution, qui contrevient certes au principe d’équivalence entre prime et prestation, répond à la volonté du Parlement. Dans le domaine de l’assurance-accidents, d’autres exceptions au principe d’équivalence existent, notamment lorsque les rapports de travail ont duré moins d’une année, puisque le salaire reçu au cours de cette période est converti en gain annuel et que le gain assuré ne correspond ainsi plus aux primes versées. Logiquement, la nouvelle disposition précise que l’art. 8, al. 2, LAA, qui prévoit que les travailleurs occupés à temps partiel au sens de l’art. 7, al. 2, LAA ne sont pas assurés contre les accidents non professionnels, n’est pas applicable. L’exception prévue à l’art. 7, al. 2, LAA, à savoir que les accidents qui se produisent sur le trajet que l’assuré doit emprunter pour se rendre au travail sont réputés accidents professionnels pour les personnes travaillant moins de huit heures par semaine, ne s’applique pas non plus dans le cas présent puisqu’elle concerne les accidents professionnels.

Prestations

La troisième phrase du nouvel al. 3 précise que, conformément à la volonté exprimée par l’auteur de la motion, seules les prestations d’assurance visées à l’art. 16, al. 2bis, à savoir les indemnités journalières, sont allouées. La motion demande en effet de «garantir le versement des indemnités journalières dans les cas où l’incapacité de travail est due à une rechute ou aux séquelles tardives d’une blessure survenue lorsque l’assuré était plus jeune» et donc non assuré par la LAA. Le projet se limite donc à introduire une obligation de verser les indemnités journalières, et aucune autre prestation du catalogue de la LAA. Les soins médicaux continueront ainsi à être pris en charge par l’assurance-maladie, aux conditions de la LAMal, qui a dans la plupart des cas pris en charge l’accident initial. Une éventuelle rente serait quant à elle à la charge de l’assurance-invalidité.

 

Nouvel art. 16 al. 2bis LAA : « L’assuré a également droit à une indemnité journalière dans les cas visés à l’art. 8, al. 3. Le droit naît au moment où la perte de gain due à l’incapacité de travail n’est plus compensée par l’employeur ou par une assurance. En l’absence d’une telle compensation, il naît au début de l’incapacité de travail. Dans tous les cas, il s’éteint lorsque l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail ou qu’il décède, mais au plus tard après 720 jours. »

L’assuré aura désormais également droit à une indemnité journalière dans les cas de rechutes et de séquelles tardives dont il souffre à la suite d’un accident non assuré par la LAA et survenu avant l’âge de 25 ans. Le droit naît avec le début de l’incapacité de travail ou dès que la perte de gain due à l’incapacité de travail n’est plus compensée par l’employeur ou par une assurance. Il s’éteint dès que l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail ou dès qu’il décède, mais au plus tard après 720 jours.

Début de l’obligation de prester

Le droit à l’indemnité journalière naît avec le début de l’incapacité de travail ou dès que la perte de gain due à l’incapacité de travail n’est plus compensée par l’employeur ou par une assurance. L’art. 324a CO prévoit que si le travailleur est empêché de travailler sans faute de sa part, l’employeur lui verse le salaire pour un temps limité, à condition que les rapports de travail aient duré plus de trois mois ou aient été conclus pour plus de trois mois. En présence d’une assurance obligatoire, il doit également garantir le versement des quatre cinquièmes du salaire si la couverture d’assurance est inférieure ou si un délai d’attente est prévu (art. 324b CO). Le salaire n’est donc pas garanti dans tous les cas. Tous les travailleurs ne disposent pas non plus d’une assurance indemnisant la perte de salaire. Afin d’éviter une lacune de la couverture, le début de l’obligation de prester de l’assureur-LAA est donc fixé au moment où débute l’incapacité de travail ou dès que la perte de gain n’est plus compensée. Dans les cas où la compensation de la perte de gain par un quelconque assureur n’atteint pas 80% du gain assuré au sens de l’art. 17 LAA pour une incapacité totale de travail, l’assureur-LAA verse la différence entre le montant de l’indemnité journalière versé par l’assurance susmentionnée et 80% du gain assuré. Par ailleurs, le délai de carence traditionnel de la LAA (art. 16, al. 2, LAA) ne s’applique pas aux rechutes et autres séquelles tardives initialement non assurées, ce qui correspond à la pratique actuelle pour les rechutes et autres séquelles tardives assurées. Comme plusieurs jours peuvent parfois s’écouler entre la rechute effective, la consultation médicale, le début du traitement et l’incapacité de travail, cette solution s’impose.

Subsidiarité

Le nouveau droit est subsidiaire aux autres sources de perte de gain. L’assuré peut faire valoir son droit à l’indemnité journalière seulement lorsque la perte de gain n’est plus compensée par l’employeur, conformément à l’art. 324a CO, ou par une assurance perte de gain. L’éventuelle compensation par l’assureur-LAA de la différence entre la perte de gain versée par une assurance perte de gain et 80% du gain assuré est réservée.

Fin temporelle de la couverture

Les règles générales de la LAA s’appliquent pour déterminer l’âge jusqu’auquel un travailleur peut prétendre à des prestations en cas de rechute ou de séquelles tardives d’une blessure survenue lorsqu’il était jeune. Toute personne active et assurée peut donc prétendre à ces prestations, même si elle est employée après l’âge de référence de la retraite. Le cercle des personnes concernées correspond aux travailleurs actifs selon les règles générales de la LAA.

Fin de l’obligation de prester

Les règles générales en vigueur dans la LAA (art. 16, al. 2, LAA) prévoient que le droit à l’indemnité journalière s’éteint dès que l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail, dès qu’une rente est versée ou lorsque l’assuré décède. Il n’est toutefois pas possible ici de se référer à ces règles générales. En effet, conformément aux objectifs de la motion, le texte du projet se limite à introduire la prise en charge des indemnités journalières. Aucune rente LAA ne sera ainsi versée pour une rechute ou des séquelles tardives initialement non assurées. Le droit à l’indemnité journalière ne peut donc s’éteindre avec le versement d’une rente. Or, si l’assuré ne recouvre pas sa pleine capacité de travail, il paraît impensable que l’assureur verse des indemnités journalières jusqu’au décès de l’assuré. En conséquence, la nouvelle disposition prévoit que les prestations sont versées durant un temps limité, soit 720 jours au maximum par cas annoncé. Cette limite temporelle en cas d’incapacité de travail durable se calque sur les principes en vigueur dans le domaine des indemnités journalières en cas de maladie selon la LAMal. Si la perte de gain est initialement assurée par l’employeur ou par une autre assurance, cette durée de 720 jours est calculée non pas à partir du moment où débute l’incapacité de travail, mais à compter du moment où l’employeur ou l’assurance perte de gain cesse d’octroyer ses prestations. Dans les cas où l’assureur-LAA est appelé à verser la différence entre le montant de l’indemnité journalière de l’assurance susmentionnée et 80% du gain assuré, la durée de 720 jours est calculée à compter du moment où l’assureur-LAA verse le complément. Il s’agit donc d’un versement effectif des indemnités journalières durant 720 jours au plus, par cas annoncé.

Gain assuré déterminant

Le gain déterminant pour le versement de l’indemnité journalière en vertu de l’art. 16, al. 2bis, est celui prévu par les règles générales de la LAA (art. 15 LAA). Le gain déterminant en cas de rechute est celui que l’assuré a reçu juste avant celle-ci. L’art. 23, al. 8, OLAA, prévoit que ce gain ne saurait être inférieur à 10% du montant maximum du gain journalier assuré, sauf pour les bénéficiaires de rentes de l’assurance sociale. L’ordonnance d’application précisera que cette disposition s’applique par analogie dans les cas visés à l’art. 8, al. 3, de la loi.

Examen du lien de causalité

L’examen du lien de causalité, à l’instar de ce qui s’applique en général dans la LAA, doit être effectué par l’assureur-LAA auquel le cas a été annoncé. Cet examen classique doit permettre de déterminer si l’assureur est compétent pour prendre le cas en charge.

Financement

L’art. 92, al. 1, LAA prévoit que les primes se composent d’une prime nette correspondant aux risques et de différents suppléments. Les assureurs LAA devront donc intégrer le risque découlant du nouveau droit dans leurs calculs afin de fixer une prime conforme à l’état actuel des risques. Il en découlera une très légère augmentation des primes.

Coordination avec l’assurance-invalidité et l’assurance-chômage

La naissance du nouveau droit introduit par le présent projet ne remet pas en cause les règles générales en vigueur dans la LAA qui régissent la coordination entre les différentes branches d’assurance. Ainsi, l’indemnité journalière de l’assurance-accidents n’est pas allouée s’il existe un droit à une indemnité journalière de l’assurance-invalidité ou à une allocation de maternité, de paternité, de prise en charge ou d’adoption selon la LAPG (art. 16, al. 3, LAA). S’agissant de la coordination avec la loi fédérale du 25 juin 1982 sur l’assurance-chômage (LACI), l’assurance-accidents verse la prestation entière si l’incapacité de travail d’un assuré au chômage est supérieure à 50% et la moitié de la prestation si elle est supérieure à 25% mais inférieure ou égale à 50%. Une incapacité de travail de 25% ou moins ne donne pas droit à une indemnité journalière (art. 25, al. 3, OLAA).

 

Dispositions transitoires relatives à la modification du xx.xx.xxxxx

1 En cas de rechutes ou séquelles tardives survenues avant l’entrée en vigueur de la modification du … pour lesquelles l’employeur ou une assurance continue de verser une compensation de la perte de gain due à l’incapacité de travail après l’entrée en vigueur de cette modification, le droit à l’indemnité journalière prévu à l’art. 16, al. 2bis, naît dès que la perte de gain n’est plus compensée.

2 Si, à l’entrée en vigueur de la modification du …, l’assuré n’a pas droit à une compensation de la perte de gain de la part de son employeur ou d’une assurance, le droit à l’indemnité journalière prévu à l’art. 16, al. 2bis, naît à l’entrée en vigueur de cette modification.

Les rechutes survenues à compter de l’entrée en vigueur des modifications liées aux art. 8, al. 3, et 16, al. 2bis, LAA engendreront un droit à l’indemnité journalière.

Il en ira de même si une rechute ou séquelle tardive survient avant l’entrée en vigueur de la modification, mais que la compensation de la perte de gain due à l’incapacité de travail par l’employeur ou une assurance perte de gain ne prend fin qu’après son entrée en vigueur. Dans ce cas de figure, le droit à l’indemnité journalière naît dès que la perte de gain n’est plus compensée par l’employeur ou une assurance perte de gain et s’éteint au plus tard 720 jours après la fin de cette compensation.

Dans les cas où la compensation de la perte de gain due à l’incapacité de travail par l’employeur ou une assurance perte de gain a pris fin avant l’entrée en vigueur de la modification mais que l’incapacité de travail se poursuit, le droit à l’indemnité journalière naît à l’entrée en vigueur de la modification et s’éteint au plus tard après 720 jours. Il en va de même s’il n’existait pas de compensation de la perte de gain.

Les rechutes donnant lieu à une incapacité de travail, et donc à une compensation de la perte de gain par l’employeur ou une assurance perte de gain se terminant avant l’entrée en vigueur des modifications, n’engendrent aucun droit à l’indemnité journalière.

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 27.09.2024 consultable ici

Message du Conseil fédéral du 27.09.2024 concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-accident consultable ici

Modification de la LAA consultable ici

Condensé des résultats de la procédure de consultation (rapport sur les résultats) consultable ici

 Motion 11.3811 Darbellay «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents» consultable ici

Objet du Conseil fédéral 18.037 «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents. Rapport du Conseil fédéral sur le classement de la motion 11.3811 (Darbellay)» consultable ici

Rapport du Conseil fédéral du 28 mars 2018 relatif au classement de la motion 11.3811 Darbellay «Pour combler les lacunes de l’assurance-accidents» paru in FF 2018 2407

Le persone che subiscono un infortunio prima di essere assicurate saranno più tutelate in caso di ricaduta, comunicato stampa dell’UFSP del 27.09.2024 disponibile qui

Besserer Schutz für vor dem Versicherungsalter verunfallte Personen mit Rückfällen oder Spätfolgen, Medienmitteilung des BAG vom 27.09.2024 hier abrufbar

 

8C_219/2024 (f) du 28.08.2024 – Réduction des prestations – Notion de rixe niée / Lien indirect entre une agression violente et une altercation antérieure – Pertinence limitée de cette disposition

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_219/2024 (f) du 28.08.2024

 

Consultable ici

 

Réduction des prestations – Notion de rixe niée / 39 LAA – 49 al. 2 OLAA

Lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu

Lien indirect entre une agression violente et une altercation antérieure – Pertinence limitée de cette disposition

 

L’assuré, né en 1975, chef de salle, a fait annoncer à l’assurance-accidents qu’il avait « ressenti des gestes brutaux », sans souvenirs précis, alors qu’il rentrait chez lui en date du 23.08.2021, ce qui avait entraîné son hospitalisation le jour même jusqu’au 08.09.2021. Diagnostic principal : TCC dans un contexte d’éthylisation aiguë sur probable chute et agression, avec fracture oblique de l’os occipital gauche et hématome épidural en regard, contusion hémorragique fronto-temporale droite et fracture/enfoncement du mur antérieur du sinus maxillaire droit. Il a ensuite été transféré dans une clinique de réadaptation, où il a séjourné jusqu’au 21.09.2021. Un examen neurologique réalisé dans cet établissement a révélé une amnésie pré- et post-traumatique de plusieurs minutes avant l’événement du 23.08.2021 jusqu’à un jour après celui-ci. Le 01.10.2021, l’assuré a déclaré à l’assurance-accidents que ses souvenirs de la soirée du 23.08.2021 n’étaient pas clairs, qu’il avait chuté et reçu des coups, que d’autres personnes étaient impliquées et que la police avait été informée de l’incident.

Par décision, confirmée sur opposition le 22.07.2022, l’assurance-accidents a réduit de moitié ses prestations en espèces en raison des circonstances de l’accident, survenu au cours d’une bagarre. Selon l’assureur-accidents, les dépositions de certains témoins confirmaient que l’assuré avait échangé des propos violents avec son agresseur dans les moments ayant précédé l’accident.

 

Procédure cantonale

L’assuré a recouru contre cette décision sur opposition. Lors de l’instruction de son recours, il a demandé, le 03.01.2024, la suspension de la procédure dans l’attente d’un jugement pénal dans l’affaire PXX, dans laquelle il devait être entendu comme partie plaignante lors des débats prévus le 29.01.2024. L’assuré a transmis le jugement pénal le 28.02.2024.

Par jugement du 29.02.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
Selon l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut définir des dangers extraordinaires et des comportements téméraires qui justifient, dans l’assurance des accidents non professionnels, soit un refus, soit une réduction des prestations en espèces. Cette disposition permet de déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Sur cette base, l’art. 49 al. 2 OLAA prévoit que les prestations en espèces doivent être réduites d’au moins la moitié si un accident non professionnel survient dans les situations suivantes : participation à une rixe, sauf si l’assuré est blessé sans y participer activement ou en aidant une personne en danger (let. a) ; exposition volontaire à un danger en provoquant gravement autrui (let. b) ; ou participation à des désordres (let. c).

Consid. 3.2.1
La notion de rixe dans l’assurance-accidents est plus large que celle de l’art. 133 CP, même si elle en revêt les principales caractéristiques objectives (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2). Par rixe ou bagarre, il faut entendre une querelle violente accompagnée de coups ou une mêlée de gens qui se battent (ATF 107 V 234 consid. 2a). Il y a participation à une rixe ou à une bagarre, au sens de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA, non seulement quand l’intéressé prend part à de véritables actes de violence, mais déjà s’il s’est engagé dans l’altercation qui les a éventuellement précédés et qui, considérée dans son ensemble, recèle le risque qu’on pourrait en venir à des actes de violence (ATF 107 V 234 consid. 2a; 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_773/2021 du 24 mai 2022 consid. 3.2.2 et les arrêts cités). Il importe peu que l’assuré ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute, mais il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger (ATF 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_532/2021 du 9 décembre 2021 consid. 3.2 in fine et les arrêts cités). En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (arrêt 8C_773/2021 précité consid. 3.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 3.2.2
Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il faut que le comportement à sanctionner soit propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer une atteinte à la santé du genre de celle qui s’est produite (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2; arrêt 8C_532/2021 précité consid. 3.3 et les arrêts cités).

Consid. 3.2.3
Une responsabilité réduite, voire une incapacité de discernement de la personne assurée, ne peut être admise que dans des cas tout à fait exceptionnels. Aussi, une capacité de discernement réduite en raison de la consommation d’alcool n’exclut pas l’application de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA. Une responsabilité réduite peut en revanche être prise en compte dans le cadre du calcul de la réduction des prestations, qui doit être d’au moins 50% (arrêts 8C_579/2010 du 10 mars 2011 consid. 4; U 325/05 du 5 janvier 2006 consid. 1.2, non publié in ATF 132 V 27, et les références citées).

Consid. 3.2.4
Selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales n’est pas lié par les constatations de fait et l’appréciation du juge pénal. Il ne s’en écarte cependant que si les faits établis au cours de l’instruction pénale et leur qualification juridique ne sont pas convaincants, ou s’ils se fondent sur des considérations spécifiques au droit pénal qui ne sont pas déterminantes en droit des assurances sociales (ATF 143 V 393 consid. 7.2; 125 V 237 consid. 6a; arrêt 8C_773/2021 précité consid. 3.3 et l’arrêt cité).

Consid. 4 [résumé]
Dans cette affaire, la cour cantonale a établi qu’une bagarre avait éclaté entre l’assuré, D.__, et C.__, avant que ce dernier n’agresse physiquement l’assuré. Plusieurs témoins présents, E.__ et F.__, ainsi que D.__ lui-même, ont confirmé que C.__ avait frappé l’assuré, le faisant chuter, avant de lui asséner des coups supplémentaires. L’assuré ne se souvenait pas de ces événements en raison de son état d’alcoolémie.

Selon les juges cantonaux, dès lors que D.__ était impliqué dans la bagarre, l’assuré aurait pu et dû se rendre compte du danger et du risque que la situation dégénérât, compte tenu des événements ayant eu lieu en début de soirée. En effet, D.__ avait déclaré s’être pris la tête avec l’assuré dans un bar plus tôt dans la soirée, des clients ayant dû les séparer avant que chacun soit parti de son côté. Ces éléments, corroborés par l’acte d’accusation et les déclarations de l’assuré, indiquaient que l’assuré avait pris un risque en continuant dans cette direction, se plaçant ainsi dans une situation dangereuse. La cour cantonale a estimé que lorsque l’assuré rentrait chez lui et qu’il était arrivé en direction de D.__, qui était accompagné de C.__, il aurait dû se rendre compte qu’une nouvelle bagarre pouvait se produire.

Les juges cantonaux ont conclu que, par son comportement, l’assuré s’était placé dans une zone de danger exclue de l’assurance. Il ne pouvait pas se prévaloir de son taux d’alcoolémie élevé pour se disculper. La réduction de 50% des prestations par l’assureur-accidents a été jugée correcte, tenant compte d’une éventuelle réduction de discernement due à l’alcoolémie.

Consid. 6.2.1 [résumé]
Selon le jugement pénal, il y a eu une altercation violente le 23.08.2021 entre C.__ et l’assuré, à la suite d’une rencontre fortuite. Après une première dispute entre l’assuré et D.__ plus tôt dans la soirée, C.__, en ayant été informé, a intercepté l’assuré et l’a violemment agressé sans provocation. C.__ lui a assené un coup de poing qui a fait tomber l’assuré au sol, sa tête heurtant les pavés. Alors que l’assuré était inconscient, C.__ a poursuivi l’agression en lui donnant des coups de pied au ventre et à la tête, avec prise d’élan, le retournant sur le dos. Avant de fuir, il a jeté une table de terrasse vers la victime. Le tribunal pénal a qualifié ces actes de tentative de meurtre par dol éventuel, reconnaissant la gravité et l’intention potentielle de l’agresseur.

Consid. 6.2.2
Les faits constatés par le tribunal pénal – qui correspondent dans une large mesure à ceux retenus par la cour cantonale – se fondent sur les déclarations circonstanciées de l’un des principaux protagonistes (D.__), confirmées pour l’essentiel par C.__ lui-même. Il est ainsi notamment établi que celui-ci, à la vue de l’assuré qui remontait la rue dans sa direction, s’est dirigé vers lui avec l’intention manifeste de le frapper, au vu des propos que lui a prêtés D.__ (« Je vais le sécher »), dont il n’y a pas lieu de douter. Quand bien même on ne peut pas exclure que de brefs éclats verbaux aient précédé le premier coup, on ne saurait en déduire que l’assuré a contribué à envenimer la situation, puisque C.__ s’est approché de lui déjà dans le but d’en découdre et de le molester. En outre, tout indique que l’assuré s’est retrouvé dans la même rue que D.__ par hasard, alors qu’il rentrait chez lui. Aucun élément ne permet de retenir qu’il marchait dans sa direction et celle de C.__ dans l’idée de se confronter une nouvelle fois à D.__. Lorsqu’il est arrivé à leur hauteur, c’est d’ailleurs C.__ qui s’est avancé vers lui, et non pas lui qui s’est rapproché de D.__. Par ailleurs, il ne connaissait pas et n’avait jamais vu C.__ auparavant, de sorte que même s’il avait aperçu D.__ dans la rue en amont – ce qui n’est pas établi –, il ne pouvait pas s’attendre, en continuant simplement son chemin en direction de son domicile, à être victime d’une agression de la part d’un inconnu, malgré l’altercation l’ayant opposé à D.__ plus tôt dans la soirée. On ne voit pas non plus qu’il aurait eu la moindre possibilité de prendre la fuite pour échapper à l’agression imprévisible, gratuite et très violente de C.__. En somme, on ne peut pas retenir qu’il aurait pu et dû se rendre compte du danger que représentait son agresseur et qu’il aurait pu s’y soustraire, ni que son comportement était de nature à entraîner une telle agression. Dans ces conditions, l’assurance-accidents et le tribunal cantonal ont violé le droit fédéral en réduisant les prestations en espèces en application de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA. Le fait que l’agression de l’assuré, par une personne qui lui était inconnue, soit indirectement liée à une altercation qu’il avait eue plus tôt dans la soirée avec D.__, ne suffit pas à considérer que cette disposition serait pertinente en l’espèce.

Il s’ensuit que le recours doit être admis, avec pour conséquence l’annulation de l’arrêt attaqué et de la décision sur opposition.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_219/2024 consultable ici

 

Le Conseil national approuve une motion pour renforcer la sécurité financière des demandeurs de l’AI – Vers une indemnité journalière durant le délai d’attente

Le Conseil national approuve une motion pour renforcer la sécurité financière des demandeurs de l’AI – Vers une indemnité journalière durant le délai d’attente

 

Communiqué de presse du Parlement du 25.09.2024 consultable ici

 

La sécurité financière des personnes qui doivent demander des prestations à l’assurance invalidité doit être garantie durant le traitement de leur demande. Le Conseil national a soutenu mercredi par 125 voix contre 64 une motion de Patricia von Falkenstein (PLD/BS) en ce sens.

La conseillère nationale bâloise propose de passer par une indemnité journalière durant le délai d’attente. Cette indemnité serait versée entre la fin des mesures de réadaptation professionnelle et la décision relative au droit à la rente AI.

Selon Mme von Falkenstein, les assurés dont l’incapacité de travail est due à une maladie peuvent se retrouver dans des situations financières précaires. Les procédures d’examen du droit à la rente durent en effet souvent plusieurs années.

Ces personnes finissent par s’endetter et sont obligées de recourir à l’aide sociale. Les soucis financiers et le fait que le recours à l’aide sociale soit moins bien accepté par rapport à la perception d’une rente AI entraînent dans de nombreux cas une détérioration de l’état de santé.

 

Déjà des mesures

Le Conseil fédéral reconnaît que des procédures courtes sont essentielles. Il a déjà introduit diverses mesures visant à simplifier et à raccourcir les procédures des assurances sociales.

En principe, l’examen du droit à la rente doit être effectué en parallèle des mesures de réadaptation, de sorte qu’une fois la réadaptation terminée, le délai jusqu’à la décision relative à l’octroi de la rente soit le plus court possible.

Le gouvernement rappelle également que ce n’est pas à l’AI d’assurer la sécurité financière des assurés. D’autres prestations priment sur celles de l’assurance invalidité. En vain.

 

Communiqué de presse du Parlement du 25.09.2024 consultable ici

Motion von Falkenstein 23.3808 « Accélérer la procédure AI et garantir la sécurité financière des assurés durant celle-ci » consultable ici

 

 

8C_71/2024 (f) du 30.08.2024 – Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe / Obligation des médecins de motiver les diagnostics retenus / Diagnostic médical relève des experts non des juges – Inadéquation de l’examen des critères de Budapest par la juridiction cantonale

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_71/2024 (f) du 30.08.2024

 

Consultable ici

 

Causalité naturelle – Vraisemblance d’un syndrome douloureux régional complexe (SDRC ; CRPS) / 6 LAA

Valeur probante des expertises médicales – Obligation des médecins de motiver les diagnostics retenus

Diagnostic médical relève des experts non des juges – Inadéquation de l’examen des critères de Budapest par la juridiction cantonale

 

Assuré, née en 1990, gestionnaire dans un service Helpdesk. Le 14.06.2016, elle a été victime d’une électrisation de l’avant-bras gauche alors qu’elle contrôlait le fonctionnement d’un ordinateur portable. Dans les suites de cet événement, elle a présenté des douleurs du membre supérieur gauche, des troubles sensitifs, dysesthésiques et allodyniques du bras avec persistance d’un œdème, d’une rougeur de l’avant-bras et d’un manque de force de ce membre, qui l’ont menée à consulter différents médecins et à faire l’objet de nombreuses investigations médicales (bilans neurologiques avec ENMG, IRM du membre supérieur gauche, cervicale et cérébrale, scintigraphie osseuse). Ces examens se sont révélés dans la norme.

Expertise médicale mise en œuvre par l’assurance-accidents. Le spécialiste en neurologie et le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie ont retenu un status après électrocution du membre supérieur gauche surchargé d’éléments sans substrat somatique évident, sans relation de causalité certaine avec l’événement accidentel, des troubles de l’adaptation avec réaction mixte anxieuse et dépressive et un probable syndrome douloureux somatoforme persistant (rapport du 08.12.2017). Par décision, confirmée sur opposition le 21.11.2018, l’assurance-accidents a mis un terme aux prestations d’assurance avec effet au 08.12.2017, considérant que le lien de causalité naturelle entre l’événement du 14.06.2016 et les troubles actuels n’était plus donné.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1018/2023 – consultable ici)

Après avoir requis le dossier de l’office AI et réceptionné un rapport d’expertise du service de neurologie des HUG établi à la demande dudit office – retenant le diagnostic de troubles neurologiques d’origine fonctionnelle (rapport du 29.11.2020) –, la cour cantonale a suspendu la procédure de recours jusqu’au prononcé de la décision de l’assurance-invalidité. L’office AI a mis en œuvre une nouvelle expertise pluridisciplinaire. Les experts (spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, médecin praticien et spécialiste en rhumatologie) ont posé le diagnostic – entre autres – de syndrome douloureux régional complexe (SDRC) du membre supérieur gauche (rapport du 28.06.2021). Après avoir soumis le dossier à son service de réadaptation, l’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité à compter du 01.06.2017.

Par jugement du 20.12.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition dans le sens de la prise en charge par l’assurance-accidents des suites de l’accident du 14.06.2016 au-delà du 08.12.2017.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
Selon l’art. 6 al. 1 LAA, l’assurance accorde des prestations en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel ou de maladie professionnelle. Pour qu’il y ait droit à des prestations, il doit exister un lien de causalité naturelle entre l’événement accidentel et l’atteinte à la santé. Ce lien est considéré comme établi si, sans l’événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit ou ne serait pas survenu de la même manière (ATF 148 V 356 consid. 3; 148 V 138 consid. 5.1.1; 142 V 435 consid. 1). La question de la causalité naturelle est une question de fait, que le juge ou l’administration doit examiner principalement sur la base d’avis médicaux, en appliquant la règle de la vraisemblance prépondérante pour évaluer les preuves (ATF 142 V 435 consid. 1; 129 V 177 consid. 3.1).

Consid. 3.2
Le droit à des prestations de l’assurance-accidents suppose en outre l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’accident et l’atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 148 V 356 consid. 3; 139 V 156 consid. 8.4.2; 129 V 177 consid. 3.2). En cas d’atteinte à la santé physique, la causalité adéquate se recoupe toutefois largement avec la causalité naturelle, de sorte qu’elle ne joue pratiquement pas de rôle (ATF 138 V 248 consid. 4 et les références). En cas d’atteinte à la santé psychique, les règles applicables en matière de causalité adéquate sont différentes selon qu’il s’agit d’un événement accidentel ayant entraîné une affection psychique additionnelle à une atteinte à la santé physique (ATF 115 V 133 consid. 6 et 403 consid. 5), d’un traumatisme psychique consécutif à un choc émotionnel (ATF 129 V 177 consid. 4.2), ou encore d’un traumatise de type « coup du lapin » à la colonne cervicale, d’un traumatisme analogue à la colonne cervicale ou d’un traumatisme cranio-cérébral (ATF 134 V 109).

Consid. 3.3
Selon le principe de la libre appréciation des preuves, le juge apprécie les preuves médicales qu’il a recueillies sans être lié par des règles formelles. En ce qui concerne la valeur probante d’un rapport médical, il est déterminant que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées. Au demeurant, l’élément déterminant pour la valeur probante n’est ni l’origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 134 V 231 consid. 5.1; 125 V 351 consid. 3a).

Consid. 4 [résumé]
La cour cantonale a écarté l’expertise du docteur C.__ [spécialiste en neurologie ; expertise du 08.12.2017], estimant qu’elle n’était pas suffisamment probante sur la question de la causalité naturelle. Elle a préféré l’expertise des HUG, qui, répondant aux exigences jurisprudentielles, a diagnostiqué des troubles neurologiques d’origine fonctionnelle sans atteinte objectivable. Bien que ces troubles puissent être en lien de causalité naturelle avec l’événement du 14.06.2016, aucun lien de causalité adéquate n’a été retenu. Les juges ont ensuite constaté que l’expert G.__ [spécialiste en rhumatologie ; expertise du 28.06.2021] avait diagnostiqué un syndrome douloureux régional complexe (SDRC). Bien qu’il n’ait pas minutieusement examiné les critères de Budapest, ses observations étaient jugées suffisantes pour conclure à leur admission. Le docteur H.__ [spécialiste en anesthésiologie] avait également posé ce diagnostic dans un rapport antérieur, corroboré par plusieurs médecins notant la discordance entre la nature de l’électrisation et l’importance des troubles. Les juges ont finalement admis le lien de causalité entre le SDRC et l’événement, obligeant l’assurance-accidents à prendre en charge les suites de cet événement au-delà du 08.12.2017.

Consid. 6.1
En l’état, il est patent que les experts des trois expertises médicales ne s’accordent pas sur le diagnostic ni sur la nature somatique ou psychique des troubles présentés par l’assurée.

Consid. 6.1.1 [résumé]
Les premiers experts [rapport du 08.12.2017)] ont diagnostiqué chez l’assurée un état après électrisation du bras gauche, accompagné de troubles sans substrat somatique, ainsi que des troubles de l’adaptation avec réaction anxieuse et dépressive, et un probable syndrome douloureux somatoforme. L’expert neurologue a relevé des troubles sensitivomoteurs atypiques et un œdème modéré, avec pour seule anomalie somatique claire une petite rougeur à l’avant-bras. Il a noté une discordance entre la faible intensité de l’électrisation et la persistance des troubles, suggérant des facteurs de somatisation. L’apparition des troubles était probablement due à l’électrisation, mais le lien de causalité somatique avec l’accident était jugé uniquement possible. De plus, l’expert psychiatre a estimé que les troubles psychiques diagnostiqués n’étaient pas liés à l’accident en raison de sa faible gravité.

Consid. 6.1.2 [résumé]
Les experts des HUG [rapport du 29.11.2020] ont, quant à eux, retenu le seul diagnostic de troubles neurologiques d’origine fonctionnelle. Ils ont expliqué ce diagnostic par les nombreux symptômes neurologiques rapportés spontanément par l’assurée (troubles de la sensibilité de tout le membre supérieur gauche mais également de la partie supérieure du thorax gauche, hémiface gauche, membre inférieur gauche et péri-mamelon droit), par les plaintes exprimées (lâchage du membre inférieur gauche, faiblesse généralisée du bras gauche, vertiges et troubles de la concentration) ainsi que par l’absence d’atteintes nerveuses objectivées (IRM cervicale et cérébrale, ENMG). Ces experts ont en outre noté que les douleurs, comme les troubles sensitivomoteurs, pouvaient s’inscrire dans le trouble neurologique fonctionnel; cependant, la possibilité que ceux-ci s’intègrent plus largement dans un syndrome douloureux somatoforme ne relevait pas de leur domaine d’expertise, tout comme l’existence d’un SDRC surajouté.

 

Consid. 6.1.3 [résumé]
Les derniers experts [rapport du 28.06.2021] ont diagnostiqué plusieurs affections principales chez l’assurée : troubles neurologiques d’origine fonctionnelle à la suite d’une électrisation, syndrome douloureux régional complexe (SDRC), trouble anxieux et dépressif mixte, ainsi qu’une douleur et faiblesse du membre inférieur gauche sans base anatomique, et des vertiges périphériques. L’expert rhumatologue a relevé que bien que l’électrisation ait été de bas voltage, aucun signe neurologique objectif n’avait été constaté (électromyographie normale). L’augmentation du volume du bras et de l’avant-bras était la seule constatation clinique, sans changement dans les amplitudes articulaires, la température, la couleur, ou la transpiration du membre, suggérant une douleur disproportionnée par rapport à l’événement initial. L’expert rhumatologue a noté que tous les autres diagnostics avaient été éliminés et que « [t]out ceci répond[ait], en effet, aux critères de Budapest pour un syndrome douloureux régional complexe (CRPS) ». Il a en outre conclu à une capacité de travail de 100% « depuis toujours » dans une activité correspondant aux aptitudes de l’assurée.

Consid. 6.2
En ce qui concerne le syndrome douloureux régional complexe (ou complex regional pain syndrome [CRPS]), anciennement nommé algodystrophie ou maladie de Sudeck, on rappellera qu’il a été retenu en 1994 par un groupe de travail de l’International Association for the Study of Pain (IASP). Il constitue une entité associant la douleur à un ensemble de symptômes et de signes non spécifiques qui, une fois assemblés, fondent un diagnostic précis (DR F. LUTHI/DR. P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L. TURLAN/DR M. KONZELMANN, Syndrome douloureux régional complexe, in Revue médicale suisse 2019, p. 495). L’IASP a réalisé un consensus diagnostique aussi complet que possible avec la validation, en 2010, des critères dits de Budapest. La pose du diagnostic de SDRC requiert ainsi, selon les critères de Budapest, que les éléments caractéristiques suivants soient satisfaits (arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.1; cf. également DAVID IONTA, Le syndrome douloureux régional complexe (SDRC) et causalité en LAA, in Jusletter 18 octobre 2021, ch. 19 et les références) :

  1. Une douleur persistante disproportionnée par rapport à l’événement déclencheur.
  2. Le patient doit rapporter au moins un symptôme dans trois des quatre catégories suivantes:
  • Sensorielle: hyperesthésie et/ou une allodynie
  • Vasomotrice: asymétrie au niveau de la température et/ou changement/asymétrie au niveau de la coloration de la peau
  • Sudomotrice/oedème: oedème et/ou changement/asymétrie au niveau de la sudation
  • Motrice/trophique: diminution de la mobilité et/ou dysfonction motrice (faiblesse, tremblements, dystonie) et/ou changements trophiques (poils, ongles, peau).
  1. Le patient doit démontrer au moment de l’examen au moins un signe clinique dans deux des quatre catégories suivantes:
  • Sensorielle: hyperalgésie (piqûre) et/ou allodynie (au toucher léger et/ou à la pression et/ou à la mobilisation)
  • Vasomotrice: différence de température et/ou changement/asymétrie de coloration de la peau
  • Sudomotrice/oedème: oedème et/ou changement/asymétrie au niveau de la sudation
  • Motrice/trophique: diminution de la mobilité et/ou dysfonction motrice (faiblesse, tremblement, dystonie) et/ou changements trophiques (poils, ongles, peau).
  1. Il n’existe aucun autre diagnostic permettant de mieux expliquer les symptômes et les signes cliniques.

Ces critères sont exclusivement cliniques et ne laissent que peu de place aux examens radiologiques (radiographie, scintigraphie, IRM). L’utilisation de l’imagerie fait l’objet d’une controverse dans le milieu médical, mais garde un rôle notamment dans la recherche de diagnostics différentiels, ou lorsque les signes cliniques sont discrets ou incomplets ainsi que dans certaines formes atypiques (DRS K. DISERENS/P. VUADENS/PR JOSEPH GHIKAIN, Syndrome douloureux régional complexe: rôle du système nerveux central et implications pour la prise en charge, in Revue médicale suisse 2020, p. 886; F. LUTHI/M. KONZELMANN, Le syndrome douloureux régional complexe [algodystrophie] sous toutes ses formes, in Revue médicale suisse 2014, p. 271). En pratique, si les critères 1 à 3 sont remplis et le critère 4 est respecté, on doit considérer que le patient souffre d’un SDRC; toutefois la valeur prédictive positive n’est que de 76%. Si les critères sont partiellement remplis, il faut poursuivre le diagnostic différentiel et réévaluer le patient. Si les critères ne sont pas remplis, le patient a une probabilité quasi nulle d’avoir un SDRC (DR F. LUTHI/DR P.-A. BUCHARD/A. CARDENAS/C. FAVRE/DR M. FÉDOU/M. FOLI/DR J. SAVOY/DR J.-L. TURLAN/DR M. KONZELMANN, op. cit., p. 498).

S’agissant de l’admission d’un lien de causalité entre un accident et une algodystrophie, le Tribunal fédéral a considéré, dans un arrêt 8C_384/2009 du 5 janvier 2010, que trois conditions cumulatives devaient être remplies: 1° la preuve d’une lésion physique après un accident (p. ex. un hématome ou une enflure) ou l’apparition d’une algodystrophie à la suite d’une opération nécessitée par l’accident; 2° l’absence d’un autre facteur causal de nature non traumatique (p. ex. état après un infarctus du myocarde, après une apoplexie, etc.); 3° une courte période de latence entre l’accident et l’apparition de l’algodystrophie (au maximum six à huit semaines). Dans un article paru dans la brochure actualisée et rééditée sous le titre « SDRC Syndrome douloureux régional complexe » (W. JÄNIG/R. SCHAUMANN/W. VOGT [éditeurs]) en 2013, ses auteurs expliquent que la question de la causalité entre un accident et un SDRC doit être résolue en étudiant en particulier l’évolution en fonction du temps et en prenant en compte les critères de Budapest ainsi que d’autres facteurs ayant marqué significativement le décours. Selon ces auteurs, ce n’est qu’une fois que l’expert a posé un diagnostic de SDRC qu’il faut, s’agissant de la causalité accidentelle, démontrer qu’une lésion corporelle de l’extrémité concernée s’est bien produite; si tel est le cas, se pose alors la question de savoir si le SDRC est apparu durant la période de latence correspondante de six à huit semaines (R. SCHAUMANN/W. VOGT/F. BRUNNER, Expertise, in: SDRC Syndrome douloureux régional complexe, 2013, p. 130 s.). Cette période de latence de six à huit semaines ne constitue qu’une valeur empirique et ne fait nullement l’objet d’un consensus médical. Au demeurant, elle a été proposée en 1998, soit avant que les critères diagnostiques du SDRC aient été établis. On ne saurait dès lors établir, sur le plan juridique, une règle absolue sur le délai dans lequel les symptômes du SDRC devraient se manifester (cf. arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.2.1 et 5.2.2 et les références). Dans un arrêt 8C_177/2016 du 22 juin 2016, le Tribunal fédéral a du reste précisé, s’agissant du temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC, qu’il n’est pas nécessaire qu’un SDRC ait été diagnostiqué dans les six à huit semaines après l’accident pour admettre son caractère causal avec l’événement accidentel; il est en revanche déterminant qu’on puisse conclure, en se fondant sur les constats médicaux effectués en temps réel, que la personne concernée a présenté, au moins partiellement, des symptômes typiques du SDRC durant la période de latence de six à huit semaines après l’accident (arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 6.3
En l’occurrence, l’expert rhumatologue [rapport du 28.06.2021] n’a pas motivé le diagnostic de SDRC ni exposé les éléments caractéristiques qui permettraient de confirmer ce diagnostic. Son rapport retranscrit l’anamnèse personnelle et l’anamnèse médicale de l’assurée, faisant apparaître des divergences qui n’ont pas été discutées dans le cadre de l’expertise. L’expert rhumatologue évoque les constats de son examen clinique, soit un membre supérieur gauche présentant une impotence fonctionnelle mais avec des amplitudes respectées, l’absence de rétractation articulaire, aucune asymétrie de température ni changement de couleur, pas d’hypersudation ni d’hyperpilosité. Il prétend ensuite que tous les autres diagnostics ont été éliminés et conclut sans autre démonstration que « tout ceci répond, en effet, aux critères de Budapest ». Cela est peu convainquant, d’autant que l’expert rhumatologue semble exclure tout autre diagnostic, sans pour autant discuter celui de trouble fonctionnel posé par le co-expert F.__ [médecin praticien], et avant lui par les experts des HUG [rapport du 29.11.2020]. Il paraît néanmoins admettre qu’une partie des symptômes relève de ce trouble fonctionnel – en tout cas s’agissant de l’hypoesthésie globale de la jambe gauche – mais n’en fait aucunement état au moment d’évoquer les critères diagnostics d’un SDRC.

Consid. 6.4
La juridiction cantonale a constaté les lacunes de l’expertise, en procédant elle-même à l’examen des éléments caractéristiques pour poser le diagnostic de SDRC. Or elle ne pouvait pas, comme elle l’a fait, admettre ce diagnostic en examinant si les critères de Budapest étaient effectivement présents. En effet, dès lors qu’il incombe au médecin d’évaluer l’état de santé et de poser le diagnostic (ATF 140 V 193 consid. 3.2), il n’appartient pas au juge de poser de son propre chef des conclusions qui relèvent de la science et des tâches du corps médical (arrêt 8C_724/2021 du 8 juin 2022 consid. 4.1.2 et les références). l’expert rhumatologue [rapport du 28.06.2021] n’ayant pas démontré si et dans quelle mesure les constatations qu’il a faites remplissaient les critères de Budapest, on ne saurait considérer le diagnostic de SDRC comme établi au degré de la vraisemblance prépondérante, pas plus que son lien de causalité avec l’accident.

En tout état de cause, l’avis médical du docteur H.__ [spécialiste en anesthésiologie] ne suffit pas à confirmer ce diagnostic dès lors qu’il s’est limité à noter que « les critères diagnostics (de Budapest) sont remplis », sans autre développement. Par ailleurs, on ne saurait suivre l’avis des juges cantonaux aux termes duquel le diagnostic de SDRC ne relevait pas de la spécialité de l’expert neurologue [(rapport du 08.12.2017]. Ils n’ont en outre pas exposé les raisons qui justifieraient que ce spécialiste en neurologie – contrairement au spécialiste en anesthésiologie (docteur H.__) – ne puisse pas apprécier les critères de Budapest et poser ou écarter le diagnostic de SDRC. Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de juger comme pleinement probant l’avis de médecins-experts, l’un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’autre spécialiste en neurologie, qui s’étaient prononcés de manière compréhensible et convaincante sur le diagnostic de SDRC (arrêt 8C_231/2019 du 12 juillet 2019 consid. 3.2.1), étant au demeurant rappelé que le SDRC est une atteinte appartenant aux maladies neurologiques, orthopédiques et traumatologiques (arrêt 8C_234/2023 du 12 décembre 2023 consid. 3.2). Il s’ensuit que le fait que l’expert soit neurologue ne suffit pas à faire douter de la pertinence de son appréciation. Cela étant, cet expert ne s’est pas déterminé sur le diagnostic différentiel de SDRC, pourtant évoqué dans plusieurs rapports médicaux à sa disposition.

Consid. 6.5
En définitive, à la lecture de l’évaluation consensuelle des derniers experts [rapport du 28.06.2021], on constate qu’ils retiennent tout à la fois des troubles neurologiques d’origine fonctionnelle (troubles sensitivomoteurs mal systématisés, sans substrat neurologique périphérique ni central) et un SDRC. Une discussion relative à la compatibilité de ces deux diagnostics et à leurs éventuelles interactions aurait à tout le moins été nécessaire. En tout état de cause, il persiste des doutes sérieux quant aux diagnostics à retenir, à leur origine somatique ou psychiatrique, et au rôle que l’accident aurait joué dans le développement des troubles de l’assurée. Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l’autorité cantonale pour qu’elle mette en œuvre une expertise judiciaire. Cette expertise devra revêtir une forme pluridisciplinaire (neurologique, rhumatologique, psychiatrique) intégrant une discussion de synthèse entre les divers experts consultés, lesquels devront notamment se prononcer sur les diagnostics, la causalité, éventuellement le statu quo sine vel ante ainsi que sur l’influence de ces diagnostics sur la capacité de travail et sur l’atteinte à l’intégrité.

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_71/2024 consultable ici

 

9C_265/2023 (f) du 19.08.2024 – Atteinte à la santé – Syndrome douloureux somatoforme et affections psychosomatiques comparables – Indicateurs standards / Valeur probante de l’expertise médicale judiciaire vs de l’avis du SMR

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_265/2023 (f) du 19.08.2024

 

Consultable ici

 

Atteinte à la santé – Syndrome douloureux somatoforme et affections psychosomatiques comparables – Indicateurs standards / 6 LPGA – 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA

Valeur probante de l’expertise médicale judiciaire vs de l’avis du SMR

La capacité de réaliser des tâches spécifiques de manière isolée ne reflète en effet pas la capacité de travail ni l’adaptation sociale et professionnelle globale de l’assuré

 

Assuré, né en 1961, chauffeur professionnel. Dépôt de la demande AI le 26.06.2019.

L’office AI a recueilli notamment l’avis du psychiatre traitant, puis réalisé une expertise psychiatrique. Le médecin expert a diagnostiqué – sans répercussion sur la capacité de travail – des troubles dépressifs récurrents (moyens, puis légers depuis janvier 2016) ainsi que des traits de personnalité émotionnellement labile; l’assuré pouvait exercer son activité habituelle ou toute autre activité adaptée à ses aptitudes à 100% depuis janvier 2016. L’office AI a nié le droit de l’assuré à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/138/2023 – consultable ici)

La cour cantonale a tenu une audience de comparution personnelle des parties et entendu l’épouse de l’assuré ainsi que le psychiatre traitant et le médecin expert. Le tribunal cantonal a ensuite mis en œuvre une expertise psychiatrique, avec bilan neuropsychologique. L’expert médical judiciaire a diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – un trouble de la personnalité narcissique (d’intensité moyenne à sévère) et une dysthymie (correspondant à des affects dépressifs chroniques d’intensité légère). Selon l’expert, l’assuré présentait une capacité de travail de 40% dans toute activité depuis 2013. L’office AI a déposé la prise de position de la Dre E.__, spécialiste en médecine interne générale et médecin auprès de son SMR.

Par jugement du 02.03.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et renvoyant la cause pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

Consid. 3.2
Comme l’ont rappelé les juges cantonaux, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d’évaluation de la capacité de travail, respectivement de l’incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d’évaluation au moyen d’un catalogue d’indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d’évaluation aux autres affections psychiques ou psychosomatiques (ATF 143 V 409 et 418; 145 V 215). Aussi, le caractère invalidant d’atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d’un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, dont notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l’art (ATF 143 V 409 consid. 4.4).

Consid. 4.1 [résumé]
La juridiction cantonale, se basant sur l’expertise judiciaire, a conclu que l’assuré disposait d’une capacité de travail de 40% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. L’expertise a été jugée conforme aux exigences, ayant été réalisée avec une connaissance approfondie du dossier médical et après plusieurs entretiens et une évaluation neuropsychologique. L’expert avait aussi consulté les proches de l’assuré ainsi que ses médecins traitants. L’analyse contenait une anamnèse détaillée et des diagnostics bien motivés. L’expert justifiait de manière convaincante son désaccord avec l’expertise antérieure, en expliquant les incohérences relevées chez l’assuré, notamment liées à un trouble de la personnalité narcissique. La juridiction a estimé qu’il n’y avait aucune raison de s’écarter des conclusions de cette expertise. Elle a ainsi renvoyé l’affaire à l’office AI pour qu’il procède à une comparaison des revenus, en prenant en compte une capacité de travail réduite à 40% à partir du 01.12.2019, six mois après la demande de prestations.

 

Consid. 5
En l’occurrence, mise à part l’affirmation générale que la « capacité de gain » (recte: l’incapacité de travail [art. 6 LPGA]) de l’assuré avait été correctement analysée à la lumière des indicateurs développés par la jurisprudence, l’arrêt attaqué ne comporte aucun exposé – même  succinct – des motifs pour lesquels les constatations de l’expert judiciaire permettaient de conclure à une capacité de travail de 40% à l’aune des indicateurs pertinents (ATF 141 V 281 consid. 7). La simple mention de l’absence de « contradiction manifeste » dans l’expertise est insuffisante.

L’atteinte à la santé ouvrant droit à des prestations de l’assurance-invalidité constitue une notion juridique, et non pas une notion médicale. L’appréciation de la capacité de travail ne saurait par conséquent se résumer à trancher, sur la base de critères formels, quel rapport médical remplit au mieux les critères jurisprudentiels en matière de valeur probante (arrêt 9C_55/2016 du 14 juillet 2016 consid. 3.2 et les références). Si la provenance et la qualité formelle sont des facteurs permettant d’apprécier la portée d’un document médical, l’autorité précédente devait cependant expliquer pourquoi et dans quelle mesure les constatations médicales permettaient de conclure à une incapacité de travail déterminante à l’aune des indicateurs pertinents. Elle ne pouvait pas déléguer cette appréciation juridique à un médecin (cf. ATF 141 V 281 consid. 7; arrêt 8C_824/2023 du 4 juillet 2024 consid. 2.3).

 

Consid. 6.1
Les indicateurs standards devant être pris en considération en général sont classés d’après leurs caractéristiques communes (sur les catégories et complexes d’indicateurs, cf. ATF 141 V 281 consid. 4.1.3). Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3).

Consid. 6.2
Les diagnostics posés par l’expert judiciaire et les constatations médicales y relatives ont été exposés conformément aux exigences de la jurisprudence.

L’expert judiciaire a constaté que, dans le cadre d’une décompensation d’un trouble de la personnalité narcissique consécutivement à des événements de vie marquants depuis 2013 (faillite de son entreprise, péjoration du rapport avec les membres de sa famille, rupture de contact avec ses sœurs et conflit autour de son logement), l’assuré s’était installé dans une position victimaire cherchant réparation, avec une sensibilité accrue à la critique, une souffrance liée au décalage entre ses aspirations et la réalité, une irritabilité accrue, un désintérêt pour les relations de proximité, un refus de l’autorité et un repli sur soi. Le trouble narcissique, qui était le principal moteur de l’invalidité, impliquait une sensibilité accrue à la critique, une intolérance aux actes d’autorité, une difficulté à concilier les aspirations de grandeur (relevées par sa référence au passé) et sa réalité d’homme à l’aide sociale, et des réactions colériques avec irritabilité et repli sur soi face aux impératifs de vie familiale et sociale. Les affects dépressifs étaient de sévérité légère (dysthymie) et n’étaient pas « per se » invalidants. La dysthymie devenait en revanche invalidante dans son interaction avec le trouble de la personnalité. Elle ajoutait une vision pessimiste de l’avenir, une tristesse tenace sans possibilité de se projeter dans l’avenir et un repli sur soi qui empêchait des interactions sociales.

Consid. 6.3
Concernant le complexe « atteinte à la santé », les constatations sur les manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée aident à séparer les limitations fonctionnelles qui sont dues à une atteinte à la santé des conséquences (directes) de facteurs non assurés (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.1 et la référence). Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic.

Consid. 6.3.1
On ne saurait déduire – comme semble le proposer le médecin du SMR dans son avis – l’absence de gravité des atteintes à la santé de l’assuré en raison de l’exercice d’une activité lucrative sans problème majeur apparent jusqu’à l’âge de 52 ans (2013). Une telle conclusion méconnaîtrait – surtout en l’absence d’une prise en charge médicale adéquate – la problématique de la décompensation d’un trouble de la personnalité (narcissique) consécutivement à des événements de vie. Cependant, le fait d’avoir pu travailler pendant une longue période est un élément important à considérer dans l’évolution de la situation médicale (dans ce sens, voir arrêt 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2.1.2).

En ce qui concerne ensuite les circonstances indiquant une possible exagération, l’expert judiciaire a relevé que la symptomatologie était clairement majorée par l’assuré qui considérait que l’accès à une rente de l’assurance-invalidité était un droit dont il était privé. Ainsi, lors des entretiens, l’assuré avait été très peu authentique, utilisant des superlatifs pour décrire sa situation (contrastant avec une clinique pauvre en symptômes), et les tests neuropsychologiques avaient mis en évidence des éléments en faveur d’une majoration des symptômes. De plus, l’assuré s’était révélé rapidement irritable si l’expert n’épousait pas son point de vue, se montrant amer et désillusionné, et avait pu également tenir des discours contradictoires ou proposer des théories explicatives (p. ex. la mort accidentelle de son frère qui aurait changé toute sa vie) de manière très inauthentique avec un discours plaqué.

Consid. 6.3.2
S’agissant des manifestations concrètes de l’atteinte à la santé, l’assuré ne présentait pas de pathologie psycho-développementale ni de trouble addictologique. Son intelligence était préservée et l’atteinte neuropsychologique était modeste (compte tenu de la majoration des symptômes observée). Le trouble de la personnalité était de sévérité moyenne, réfractaire au traitement psychiatrique intégré et dont la plus-value était limitée. Le travail psychothérapeutique était nécessaire et entrepris, mais chez un assuré avec des faibles capacités de mentalisation et un attachement manifeste aux bénéfices secondaires escomptés. L’observance thérapeutique (« compliance ») était bonne, mais sans aucun effet notable.

La vie sociale et affective de l’assuré était affectée de manière très significative. Le poids de la souffrance endurée était moyen chez un homme détaché affectivement, adoptant une position victimaire, souffrant du décalage entre son image du passé et sa réalité actuelle, mais également très inauthentique au contact, majorant ses symptômes en partie à cause des bénéfices secondaires escomptés. En termes de ressources, celles-ci étaient limitées, mais existantes sur le plan intellectuel. La composante affective était en revanche très limitée avec son trouble de la personnalité et sa dysthymie. L’assuré bénéficiait d’un soutien familial significatif.

Consid. 6.3.3
En ce qui concerne la cohérence des troubles, l’assuré présentait des limitations relativement homogènes touchant l’intégration dans un groupe, l’adaptation aux règles et la flexibilité, la relation à deux, la proactivité, l’endurance et la résistance, la planification des tâches, et la capacité de contact et de conversation avec des tiers (associées à une atteinte légère, mais existante, de la flexibilité mentale, du contrôle inhibiteur, de l’auto-activation et de l’attention sélective mais aussi de la vitesse de traitement de l’information et de l’attention).

Les deux pathologies (trouble de la personnalité et dysthymie) avaient un caractère chronique, peu susceptible d’être modifié par des interventions pharmacologiques. Les ressources psychiques de l’assuré étaient limitées à cause de son trouble de la personnalité, qui impliquait une installation dans une position victimaire cherchant réparation à ce jour. Le trouble de la personnalité diminuait clairement les ressources adaptatives sur le plan mental et psychique. L’atteinte neuropsychologique était en revanche modeste, compte tenu de la majoration des symptômes observée, et touchait en premier lieu la vitesse de traitement, les fonctions exécutives et attentionnelles. L’expertisé pouvait compter sur le soutien de son épouse et de ses enfants, mais aussi sur celui d’une sœur. L’assuré bénéficiait d’un soutien familial significatif.

Consid. 6.4
Il résulte des éléments qui précèdent que l’expert judiciaire a clairement pris en considération le fait que l’assuré majorait ses symptômes, dans une tentative de renforcer sa revendication d’une rente de l’assurance-invalidité (consid. 6.3.1 supra). Dès lors, au moment de se prononcer sur la capacité de travail de l’assuré, l’expert a expliqué que ses conclusions tenaient compte des ressources, de l’analyse fonctionnelle, des indicateurs jurisprudentiels et de la majoration des symptômes. Cela démontre une approche rigoureuse et critique de l’expert, prenant en compte la possibilité de simulation ou d’exagération des symptômes pour des bénéfices secondaires. Tout au long de son rapport, l’expert a de plus insisté sur le fait que le trouble de la personnalité narcissique, de sévérité moyenne, diminuait significativement les ressources adaptatives de l’assuré sur le plan mental et psychique et était – quoi qu’en dise l’office AI – peu susceptible d’être modifié par des interventions pharmacologiques. Il a encore mis en évidence la complexité des symptômes et leur interaction avec la dysthymie.

Dans ce cadre, l’expert a retenu que l’assuré présentait des limitations relativement homogènes touchant l’intégration dans un groupe, l’adaptation aux règles et la flexibilité, la relation à deux, la proactivité, l’endurance et la résistance, la planification des tâches, et la capacité de contact et de conversation avec des tiers (associées à une atteinte légère, mais existante, de la flexibilité mentale, du contrôle inhibiteur, de l’auto-activation et de l’attention sélective mais aussi de la vitesse de traitement de l’information et de l’attention). Ces limitations, documentées et soutenues par des tests neuropsychologiques, illustrent une diminution réelle et mesurable des capacités adaptatives de l’assuré. On ne voit pas – et l’office AI ne l’explique pas – en quoi le fait que l’assuré peut conduire une voiture ou rédiger ses prises de position dans la présente procédure changerait quoi que ce soit aux conclusions de l’expert (qui lui reconnaît une capacité de travail de 40%). La capacité de réaliser des tâches spécifiques de manière isolée ne reflète en effet pas la capacité de travail ni l’adaptation sociale et professionnelle globale de l’assuré. Au demeurant, l’office AI admet que l’environnement psychosocial de l’assuré n’est plus « intact ».

Ainsi, les constatations et appréciations de l’expert sont fondées, cohérentes et prennent en compte tous les éléments pertinents pour évaluer la capacité de travail de l’assuré à l’aune des indicateurs pertinents, y compris les tentatives de l’assuré de majorer ses symptômes pour des bénéfices secondaires. Les limitations fonctionnelles de l’assuré et la nature chronique de ses troubles justifient les conclusions tirées par l’expert sur sa capacité de travail. Il n’y a pas lieu de s’écarter des conclusions de l’expertise judiciaire, suivies par les juges cantonaux.

Consid. 7
C’est finalement en vain que l’office AI affirme que la juridiction cantonale a écarté de manière arbitraire la première expertise psychiatrique. Compte tenu du trouble de la personnalité de l’assuré, qui le conduit à se montrer parfois « très théâtral », la juridiction cantonale a retenu sans arbitraire que l’assuré n’avait pas répondu de manière authentique aux questions posées par l’expert mandaté par l’office AI, de sorte que son rapport ne relevait pas d’une évaluation probante de la capacité de travail de l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_265/2023 consultable ici

 

9C_144/2024 (f) du 23.08.2024 – Droit à l’indemnité journalière AI – Vraisemblance de l’augmentation du taux d’occupation / Demande de débats publics vs demande de l’audition de sa personne

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_144/2024 (f) du 23.08.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité journalière AI / 22 LAI – 23 LAI – 20sexies RAI – 21 RAI – 21bis RAI

Vraisemblance de l’augmentation du taux d’occupation

Demande de débats publics vs demande de l’audition de sa personne / 30 al. 3 Cst. – 6 par. 1 CEDH

 

Assurée, née en 1971, conductrice de bus auprès des transports publics de U.__ depuis le 01.02.2018, d’abord à 100% puis à 80%. Victime d’un accident de la circulation routière le 24.05.2018. Dépôt de la demande AI le 17.12.2018. Octroi par l’office AI de mesures de réadaptation du 09.03.2020 au 31.08.2020 ainsi qu’une indemnité journalière de 134 fr. 40 pour la durée des mesures.

 

Procédure cantonale

Recours de l’assurée concluant en substance à l’octroi d’une indemnité journalière de 168 fr., que le tribunal cantonal a rejeté le 23.03.2022. Ce jugement a été annulé par le Tribunal fédéral, la cause étant renvoyée à l’instance cantonale pour qu’elle respecte le droit d’être entendue de l’intéressée et statue à nouveau (arrêt 9C_215/2022 du 05.01.2023).

La cour cantonale a permis à l’assurée de consulter le dossier et lui a accordé un délai pour compléter son recours, ce que celle-ci a fait le 02.10.2023. Par jugement du 24.01.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4 [résumé]
Le tribunal cantonal a examiné s’il était probable que, sans les problèmes de santé, l’assurée aurait augmenté son taux de travail de 80% à 100% durant la période de réadaptation, comme elle l’affirmait. L’instance cantonale a noté que l’assurée avait initialement travaillé à 100% en février 2018, puis réduit à 80% en mars 2018 pour vendre sa maison, selon le questionnaire de l’employeur. Cependant, la cour cantonale n’a pas jugé crédible qu’elle aurait repris à plein temps en juin 2018, malgré ses déclarations et celles de son employeur. Des documents internes de l’employeur ont montré que cette augmentation n’avait jamais été formellement acceptée. Le tribunal cantonal a ainsi considéré que l’assurée n’avait pas prouvé cette intention de reprise à 100% et a donc confirmé que l’office AI avait correctement fixé l’indemnité journalière sur la base d’un taux de 80%.

Consid. 5.1 [résumé]
L’assurée formule des griefs de nature formelle, critiquant le manque de clarté et de précision dans la motivation de la décision administrative de l’office AI et dans ses écritures durant la procédure cantonale. Elle soutient que ces éléments rendaient difficile la compréhension des fondements de la décision et des preuves pertinentes à présenter, bien qu’elle ait tout de même sollicité son audition et celle de plusieurs témoins. L’assurée souligne que c’est seulement dans le premier jugement cantonal du 23.03.2022 que les motifs justifiant le rejet de son recours ont été clairement exposés, mais que des moyens de preuve auraient dû être mis en œuvre pour les clarifier. En conséquence, elle estime que le refus du tribunal de donner suite à ses demandes de preuve a entravé l’exercice de ses droits procéduraux (droit d’être entendue et droit à la preuve) et demande le renvoi de l’affaire pour que ces droits soient respectés.

Consid. 5.2
Cette argumentation n’est pas fondée. On relèvera d’abord que, si l’assurée a bien évoqué l’organisation de « débats » en instance cantonale (écriture du 18.04.2023), sa demande n’a pas le sens d’une demande de débats publics garantis par les art. 30 al. 3 Cst. et 6 par. 1 CEDH (cf. ATF 128 V 288 consid. 2). Une telle demande doit effectivement être formulée de manière claire et sans équivoque. Or la requête formulée en l’espèce est imprécise et a pour seul but, tel qu’il ressort de l’affirmation selon laquelle la juridiction cantonale se devait « d’établir tous les faits, avec mon aide », la propre audition de l’assurée et celles de plusieurs témoins en lien avec l’instruction de la cause. Il s’agit incontestablement d’une demande d’administration de preuve qui, selon la jurisprudence, ne suffit pas pour fonder l’obligation de l’autorité judiciaire de première instance d’organiser des débats publics (cf. ATF 136 I 279 consid. 1 et les arrêts cités; arrêt 9C_485/2022 du 20 juin 2023 consid. 5.1).

On ne saurait ensuite reconnaître dans le déroulement de la procédure cantonale une violation du droit d’être entendue de l’assurée. Si la motivation de la décision administrative litigieuse peut certes sembler lacunaire, l’office AI a cependant indiqué dans sa réponse au recours cantonal du 04.12.2020 sur quelles déclarations de l’employeur il s’était fondé pour nier une augmentation du taux d’activité de l’assurée pour la période concernée. De plus, après que le jugement du 23.03.2022 a été annulé pour permettre à l’assurée d’avoir accès au dossier de la cause, celle-ci a pu prendre connaissance des « autres éléments du dossier » qui avaient été évoqués dans ledit jugement pour justifier et confirmer les conclusions de l’office AI. Or une violation du droit d’être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s’exprimer devant une autorité de recours jouissant d’un plein pouvoir d’examen (ATF 145 I 167 consid. 4.4 et les références). Tel a bien été le cas en l’occurrence puisque, postérieurement à l’arrêt de renvoi du Tribunal fédéral lui donnant accès au dossier, l’assurée a eu la possibilité de compléter son recours, devant une autorité jouissant d’un plein pouvoir d’examen, en toute connaissance des éléments qui justifiaient aux yeux des autorités concernées de nier la prise d’engagements formels de l’employeur quant à l’augmentation du taux d’occupation à 100% à partir du 01.06.2018.

On relèvera finalement que le refus d’auditionner l’assurée et les témoins proposés par celle-ci dans le sens évoqué dans le recours est une question qui n’a pas de portée propre par rapport au grief tiré d’une mauvaise appréciation des preuves (cf. arrêt 8C_15/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.2, in SVR 2010 IV n° 42 p. 132; sur le droit d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuve, cf. notamment ATF 135 II 286 consid. 5.1), de sorte que ce grief sera traité avec le fond du litige. L’autorité peut effectivement renoncer à procéder à des mesures d’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d’une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1). L’assurée a au demeurant eu l’occasion de s’exprimer sur la question litigieuse, quoiqu’elle en dise.

 

6.1 [résumé]
L’assurée conteste le courrier de B.__, responsable des ressources humaines (RH) auprès des Transports publics de U.__, du 17.06. 2020, qu’elle juge erroné en mentionnant un engagement à 80%, et estime qu’il prouve, au degré de la vraisemblance, qu’une augmentation de son temps de travail avait été envisagée, car il indiquait que cette augmentation n’avait pas été possible. Elle souligne que la juridiction cantonale a reconnu sa volonté de reprendre son emploi à plein temps, mais a nié celle de l’employeur de l’accepter, ce qui, selon elle, va à l’encontre de l’exigence de vraisemblance de l’art. 21bis al. 5 RAI. L’assurée avance plusieurs éléments en faveur de son argument, comme son engagement initial à 100%, sa volonté temporaire de réduire son taux d’activité, l’absence de contrat formalisant un taux de 80%, et le fait qu’aucune personne travaillant pour son employeur n’a exclu une reprise à 100%. Elle conclut qu’aucun document ne prouve que l’employeur refusait cette augmentation et qu’elle a donc droit à une indemnité journalière de 168 francs.

Consid. 6.2
Cette argumentation n’est pas fondée. En effet, en se contentant de supposer ce que les témoins proposés auraient déclaré s’ils avaient été entendus et de donner sa propre interprétation des différents courriers que ceux-ci ont rédigés, en particulier de celui de B.__, l’assurée n’apporte aucun élément qui établirait que l’appréciation anticipée de la cour cantonale à cet égard serait arbitraire et violerait ainsi son droit d’être entendue. La liste des indices que dresse l’assurée correspond au demeurant en substance aux éléments qui ont été dûment appréciés par le tribunal cantonal. L’appréciation qu’en donne l’assurée ne rend pas plus vraisemblable le fait que l’employeur aurait fermement accepté l’augmentation du taux d’occupation en question pour le 01.06.2018 que la thèse contraire soutenue par l’autorité judiciaire cantonale. Les déclarations de B.__, D.__ [spécialiste RH auprès des Transports publics de U.__] et F.__ [chef d’équipe chez l’employeur] ne font état d’aucun élément qui laisserait supposer que l’employeur aurait consenti à l’augmentation du temps de travail voulue par l’assurée. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter de la juridiction cantonale, qui était en droit de confirmer la décision administrative litigieuse.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_144/2024 consultable ici

 

Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI

Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI

 

Article de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg, Tabea Kaderli paru in Sécurité sociale CHSS du 19.09.2024 consultable ici

 

Depuis l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves en 2015, les offices AI examinent avec plus d’ouverture le droit à la rente en cas de troubles psychiques. Aujourd’hui, cette catégorie d’assurés constitue près de la moitié de l’effectif des bénéficiaires de rente.

Depuis 2015, le Tribunal fédéral (TF) a progressivement introduit la procédure structurée d’administration des preuves pour les demandes liées à des troubles psychiques. Cette procédure permet à l’AI d’examiner le droit à la rente des assurés concernés. Comme les conséquences de troubles psychiques sur la capacité de travail de l’assuré sont plus difficiles à établir que celles d’affections d’ordre somatique, les offices AI évaluent cette capacité en se fondant sur certains indicateurs. Ces derniers couvrent, d’une part, la gravité de l’atteinte à la santé, la personnalité et le contexte social dans lequel évolue l’assuré, ainsi que les interactions entre ces trois facteurs. D’autre part, ces indicateurs se rapportent au comportement de l’assuré dans son quotidien, en thérapie et pendant les mesures de réadaptation (ces observations renseignant sur la «cohérence» de l’assuré, voir OFAS 2024, Annexe 1).

De plus, avec la procédure structurée d’administration des preuves, le TF a abandonné l’hypothèse selon laquelle certains troubles psychiques ne sauraient être invalidants, ou alors seulement dans des cas exceptionnels.

 

Changement de paradigme à partir de 2015

En 2015, le TF n’a d’abord introduit la procédure structurée d’administration des preuves que pour les affections psychosomatiques (ATF 141 V 281). Auparavant, l’AI partait du principe que de telles maladies n’entraînaient une invalidité que dans des cas exceptionnels, car elles étaient considérées comme étant en principe curables (présomption de surmontabilité).

Deux ans plus tard, le TF a étendu la procédure structurée d’administration des preuves à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409). De plus, en cas de dépression légère à modérée, la résistance au traitement n’était plus une condition obligatoire pour qu’un droit à la rente soit examiné de plus près (ATF 143 V 418). En 2019, le TF a finalement reconnu qu’une addiction était également à classer parmi les «états pathologiques» (ATF 145 V 215). C’est depuis cette date que la procédure structurée d’administration des preuves a été mise en œuvre pour les addictions. Auparavant, la dépendance n’était prise en compte par l’AI que si elle était à l’origine d’une maladie invalidante ou d’un accident, ou si, à l’inverse, elle survenait à la suite d’une maladie.

Quel a été l’impact de ces évolutions de la jurisprudence ? C’est la question à laquelle tente de répondre une étude commandée par l’Office fédéral des assurances sociales (Bolliger et al. 2024). L’étude a tout d’abord analysé les effets de la procédure structurée d’administration des preuves sur la méthode de travail des offices AI lors de l’examen des rentes. Ensuite, elle a analysé les documents des offices AI de cinq cantons et conduit des entretiens avec leurs collaborateurs, avec les SMR, ainsi qu’avec les conseillers juridiques des assurés dans les cinq cantons concernés par l’étude. Puis, plusieurs analyses statistiques descriptives et multivariées ont permis de vérifier s’il existait des indices selon lesquels les évolutions de l’interprétation juridique auraient entraîné une hausse notable du nombre de nouvelles rentes.

 

Des décisions plus faciles à comprendre

L’analyse montre que la procédure structurée d’administration des preuves a sensiblement modifié la démarche de fond adoptée par les offices AI dans l’examen du droit à la rente. Les personnes interrogées considèrent que l’évaluation de la capacité de travail est mieux structurée, bien que plus complexe.

Dans l’ensemble, les modifications jurisprudentielles ont contribué à libérer les instructions des préjugés sur ses résultats et à clarifier le processus décisionnel. Bien que certaines personnes externes à l’AI déplorent un usage trop «mécanique» des indicateurs, les décisions de l’AI sont, aux dires des personnes interrogées, plus adéquates que précédemment, en particulier pour ce qui concerne l’addiction, mais également la dépression légère à moyenne. Selon elles, c’est parce qu’un examen approfondi du droit à la rente n’est plus exclu ou entravé par le seul fait du diagnostic.

Le rapprochement entre exigences juridiques et réalité médicale attendu après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves est également perceptible dans les pratiques quotidiennes de l’AI (cf. Jörg Jeger, Die neue Rechtsprechung zu psychosomatischen Krankheitsbildern – eine Stellungnahme aus ärztlicher Sicht, Jusletter du 13 juillet 2015). Quelques-unes des personnes interrogées ont cependant émis des critiques, faisant observer une tendance au retour à une jurisprudence fondée sur le diagnostic, c’est-à-dire à des décisions rendues sur la seule base du diagnostic disponible, sans analyses approfondies et menées au cas par cas des conséquences concrètes de la maladie sur la capacité de travail de l’assuré (cf. aussi Jörg Jeger, BGE 148 V 49: ist das Bundesgericht rückfällig geworden? Gedanken aus medizinischer Sicht, Jusletter du 10 octobre 2022).

 

La compétence professionnelle reste déterminante

L’examen du droit à la rente dans les cas de troubles psychiques demeure néanmoins un exercice complexe, même avec la procédure structurée d’administration des preuves. La compétence professionnelle des centres d’expertises, des SMR, des offices AI et des tribunaux reste cruciale pour une collecte, une description et une interprétation complètes et non biaisées des informations nécessaires.

Pour les acteurs interrogés, c’est l’indicateur «personnalité» (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles) qui est le plus délicat. Des expertises de haute qualité sont indispensables pour pouvoir évaluer au plus juste les interactions entre la personnalité et la maladie – souvent en raison notamment des lacunes que présentent, sur ce point, les rapports médicaux et les rapports destinés aux assurances.

L’examen de cohérence constitue un autre défi. Il est en effet compliqué d’évaluer la capacité de travail d’un assuré en s’appuyant sur son comportement au sein de son ménage ou dans ses loisirs. En outre, il est parfois difficile complexe de déterminer si une participation insuffisante à une thérapie ou à une réadaptation est la conséquence d’une faible souffrance ou si elle découle de la pathologie de l’assuré.

Les personnes interrogées internes et externes à l’AI mentionnent toutes que les expériences et les opinions individuelles des acteurs compétents continuent d’influencer l’instruction et son résultat. L’exemple le plus frappant est le seuil à partir duquel l’addiction est considérée comme une maladie ainsi que l’interprétation de ses effets.

 

Une augmentation disproportionnée

La proportion des nouvelles rentes octroyées à la suite de troubles psychiques par rapport au total des nouvelles rentes a fortement augmenté après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves, passant de 42% en 2017 à 49% en 2021. Cette hausse s’avère disproportionnée même si l’on tient compte des mutations dans la structure de l’effectif des nouvelles rentes concernant l’âge, le sexe, la nationalité et la région linguistique.

Derrière les mutations structurelles se cachent majoritairement des nouvelles rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes (code 646 de la statistique des infirmités et des prestations). Dans cette catégorie, on trouve probablement aussi de nombreuses personnes souffrant de maladies psychosomatiques ou de dépression, ce qui correspond aux diagnostics pour lesquels le TF a, à partir de 2015, facilité l’accès à un examen de la rente ne préjugeant pas des résultats. L’analyse statistique n’a cependant pas permis de mettre de tels cas en évidence de manière distincte.

D’autres maladies psychiques comme la schizophrénie, les accès maniaques dépressifs et les psychoses ont également contribué à l’augmentation des nouvelles rentes liées à une affection psychique, mais dans une mesure moins prononcée que les troubles réactifs du milieu ou psychogènes. L’augmentation de ces maladies psychiques n’a en effet commencé que plus tard, vers 2020.

C’est environ deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves que l’on peut constater une hausse disproportionnée du nombre de nouvelles rentes liées à des troubles psychiques. Elle est particulièrement marquée chez les moins de 35 ans et a commencé plus tôt chez les femmes que chez les hommes, et dans les cantons latins (2015) que dans les cantons alémaniques (2019).

 

Est-il devenu plus facile d’obtenir une rente de l’AI ?

Il semble plausible que les changements de la jurisprudence ici examinés, qui ont mené à un examen plus ouvert du droit à la rente depuis 2015, aient accru la probabilité d’obtenir une rente AI en cas de troubles psychiques. C’est ce que laisse à penser l’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes dues à des troubles psychiques. Il n’est cependant pas possible d’apporter la preuve statistique que ces modifications soient à l’origine de cette augmentation. En effet, les données disponibles ne fournissent pas d’informations sur la mise en œuvre de la procédure structurée d’administration des preuves et ne permettent pas d’identifier de manière fiable les rentes octroyées en raison d’infirmités psychosomatiques ou de dépressions.

Afin de permettre aux analyses statistiques d’apporter des réponses plus précises concernant les raisons de l’évolution du nombre de nouvelles rentes (comme un transfert de nouvelles rentes accordées à la suite de troubles non psychiques vers des nouvelles rentes accordées à la suite de troubles psychiques), il serait nécessaire d’identifier systématiquement les lacunes des bases de données disponibles et de les combler de manière ciblée.

 

Résumé du rapport de recherche n° 5/24 « Entwicklung der Neurenten in der Invalidenversicherung: gemischte Methode, Sucht- und psychische Erkrankungen » (en allemand avec résumé en français, en italien et en anglais) de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg et Tabea Kaderli

 

Questions de recherche et procédure

L’étude poursuivait deux objectifs : elle a d’abord examiné les effets des modifications juridiques sur l’octroi des rentes AI pour différents groupes d’assurés. Des analyses statistiques descriptives et multivariées ont permis de vérifier s’il existait des indices selon lesquels les modifications juridiques auraient entraîné une augmentation notable du nombre de nouvelles rentes. Ensuite, l’étude a analysé les effets de la procédure structurée d’administration des preuves sur la méthode de travail des offices AI lors de l’examen des rentes. Cette partie de l’étude s’est appuyée sur des analyses de documents et des entretiens avec des collaborateurs des offices AI et des services médicaux régionaux (SMR) ainsi qu’avec des conseillers juridiques externes à l’AI dans cinq cantons. Les conclusions principales de l’étude sont résumées ci-dessous.

 

Examen des rentes par les offices AI selon la procédure structurée d’administration des preuves

  • Offices AI et SMR – collaborer plutôt que coexister

La procédure structurée d’administration des preuves n’a modifié le déroulement de la procédure AI que de manière ponctuelle. Elle a cependant conduit à une intensification des échanges entre les SMR et les praticiens du droit. Les arrêts principaux du Tribunal fédéral ont toutefois induit un rapprochement des perspectives de la médecine et de l’application du droit, ce qui (avec une routine croissante) a en partie rendu ces échanges moins nécessaires. Depuis l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves, certains offices AI accordent probablement plus d’importance aux informations issues de la procédure de réadaptation, car le comportement de l’assuré à ce stade en dit potentiellement long sur ses souffrances.

 

  • L’examen de la rente est plus systématique, mais reste un défi

L’approche des offices AI concernant le contenu de l’examen de la rente a sensiblement changé avec la procédure structurée d’administration des preuves. Les personnes interrogées considèrent que l’évaluation de la capacité de travail est plus complexe, mais mieux structurée ; elles estiment par ailleurs que le fait de se concentrer non plus sur le diagnostic, mais sur les conséquences concrètes, est plus adéquat. Les personnes interrogées mentionnent deux éléments qui tendent à complexifier l’évaluation : premièrement, l’indicateur du diagnostic de la personnalité et des ressources personnelles. De bonnes expertises semblent ici particulièrement importantes pour la collecte d’informations et une appréciation correcte de l’interaction entre la personnalité et la maladie, notamment parce que les documents disponibles sont souvent lacunaires à cet égard. Le deuxième élément concerne l’examen de la cohérence : tirer des conclusions sur la capacité de travail à partir de différentes activités dans des domaines de vie comparables n’est pas chose aisée. En outre, il est parfois difficile de déterminer si une participation insuffisante à un traitement ou à une réadaptation est la conséquence d’une faible souffrance ou si elle a d’autres causes.

 

  • Une approche plus ouverte concernant les résultats et davantage de transparence, mais des éléments subjectifs toujours présents

Tant les offices AI que les conseillers juridiques externes estiment que la procédure structurée d’administration des preuves a globalement contribué à des instructions préjugeant moins des résultats, mais certains conseillers déplorent une application trop mécanique des indicateurs. Les deux parties mentionnent que les expériences et les opinions individuelles des acteurs compétents continuent d’influencer l’instruction. L’exemple le plus frappant est le seuil à partir duquel la toxicomanie est considérée comme une maladie ainsi que l’interprétation de ses effets. De manière générale, la procédure structurée d’administration des preuves a renforcé la transparence des décisions relatives aux rentes. Quant à savoir si ces dernières sont mieux acceptées par les assurés, les personnes interrogées ont toutefois donné des réponses contrastées.

 

  • Des décisions plus adéquates

Sur la base de leurs expériences, les personnes interrogées estiment que, dans l’ensemble, l’AI prend des décisions plus adéquates qu’auparavant, en particulier concernant les toxicomanies, mais aussi pour les maladies psychosomatiques et les dépressions légères à modérées : elles expliquent cette appréciation par le fait que le diagnostic ne suffit plus à exclure ou à entraver un examen approfondi de la rente. Certaines personnes interrogées ont toutefois fait remarquer de manière critique que, pour les dépressions, les décisions relatives aux rentes avaient tendance à se fonder à nouveau davantage sur le diagnostic, s’éloignant ainsi de l’analyse des effets concrets dans chaque cas particulier.

 

Évolution des nouvelles rentes pour cause de maladie psychique

  • Augmentation disproportionnée des nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques (à l’exclusion des toxicomanies) deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves

Les analyses statistiques effectuées montrent que les nouvelles rentes pour raisons psychiques (à l’exclusion des toxicomanies) ont augmenté de manière disproportionnée au cours de la période 2019 à 2021, et ce même en tenant compte de l’évolution de la composition structurelle des nouveaux bénéficiaires de rente. Cela se reflète dans la part des nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques par rapport à l’ensemble des nouvelles rentes. Celle-ci augmente régulièrement, passant de 42% en 2017 à 49% en 2021, ce qui signifie que la part des nouvelles rentes octroyées pour des raisons non psychiques ne cesse de diminuer. Alors que, par rapport à la population assurée, la part des nouvelles rentes pour toutes les autres causes d’invalidité reste stable depuis 2018 à environ 1,7 pour mille, elle est passée durant la même période de 1,2 à 1,6 pour mille pour les nouvelles rentes d’origine psychique. Alors qu’en 2017 encore, la majorité des nouvelles rentes étaient octroyées pour des invalidités sans lien avec une maladie psychique, en 2021, les nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques sont presque aussi nombreuses que celles accordées pour toutes les autres causes d’invalidité.

Derrière ce transfert se cachent principalement des rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes, que les offices AI documentent avec le code d’infirmité AI 646 (code 646). Dans cette catégorie, on trouve probablement aussi de nombreuses personnes souffrant de maladies psychosomatiques et de dépression, c’est-à-dire les diagnostics pour lesquels le Tribunal fédéral a, à partir de 2015, facilité l’accès à un examen de la rente ne préjugeant pas des résultats. Pour ces rentes, l’augmentation disproportionnée a déjà commencé à partir de 2018. Si le nombre de nouvelles rentes dues à d’autres maladies psychiques augmente également, cette tendance est toutefois moins marquée que pour les rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes (code 646) et a été observée un peu plus tard (à partir de 2020).

L’augmentation du nombre de nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques intervient environ deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves. Elle ne peut donc pas s’expliquer uniquement par la recrudescence des nouvelles demandes, notamment du fait que ces dernières n’ont pas brusquement augmenté après l’introduction de la nouvelle procédure. Alors que le nombre de nouvelles rentes dues à des causes non psychiques est resté à peu près stable durant la période 2017 à 2020 malgré l’augmentation des nouvelles demandes, les offices AI ont enregistré sur la même période une hausse des rentes d’origine psychique. En d’autres termes, à partir de 2018 et 2020, le nombre de rentes octroyées chaque année pour des raisons psychiques croît plus rapidement que celui des autres rentes.

L’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes d’origine psychique concerne davantage les jeunes jusqu’à 34 ans, tant chez les femmes que chez les hommes. Pour les infirmités documentées par le code 646, ce phénomène a toutefois été observé un peu plus tôt chez les femmes, à savoir dès 2015, contre 2019 pour les hommes. De même, cette tendance est plus précoce dans les cantons latins, où elle s’amorce dès 2015, alors qu’elle n’a été observée qu’à partir de 2019 dans les cantons alémaniques.

 

Évolution des nouvelles rentes pour cause de toxicomanie

  • Forte augmentation du nombre de nouvelles rentes codées comme toxicomanie à partir de 2019

Les résultats disponibles permettent de constater que le nombre de nouvelles rentes codées comme toxicomanie a augmenté suite à l’arrêt principal du Tribunal fédéral. En effet, ils révèlent une hausse soudaine de ces rentes pour l’année 2020. Entre 2013 et 2019, leur nombre était stable, augmentant nettement à partir de 2020. Ainsi, en 2021, près de 400 nouvelles rentes ont été octroyées sur la base de ce code. La part de ces nouvelles rentes par rapport à l’ensemble des nouvelles rentes est ainsi passée de 0,6% en 2018 à 2,2% en 2021.

En revanche, il n’est pas clair s’il s’agit d’un transfert (les mêmes personnes auraient déjà reçu une rente avant 2019, mais sous un autre code d’infirmité) ou d’une augmentation de la probabilité d’octroi d’une rente (des personnes qui ne recevaient pas de rente dans l’ancien système en reçoivent désormais une) ou si, suite à l’arrêt du Tribunal fédéral, davantage de personnes souffrant de toxicomanie ont déposé une demande auprès de l’AI. Il est également possible que ces trois causes soient toutes impliquées dans l’augmentation observée. Les déclarations des collaborateurs des offices AI interrogés dans le cadre de cette étude corroborent en effet cette hypothèse. Sur l’ensemble des rentes octroyées par l’AI, les nouvelles rentes pour cause de toxicomanie représentent toutefois toujours une part négligeable. La période d’observation étant trop courte, il n’est pas encore possible de déterminer si l’augmentation se poursuivra dans les années à venir ou si le nombre de rentes pour toxicomanie restera désormais stable.

 

Nouvelles rentes et révisions de la rente pour les personnes travaillant à temps partiel

  • L’accès facilité aux rentes pour les personnes travaillant à temps partiel profite surtout aux femmes

Les analyses statistiques montrent très clairement que l’adaptation du RAI entrée en vigueur le 1er janvier 2018, qui s’applique à toutes les personnes exerçant une activité lucrative à temps partiel et accomplissant par ailleurs des travaux habituels (art. 27bis, al. 2 à 4, RAI dans la version valable jusqu’au 31 décembre 2021), a entraîné une hausse soudaine du nombre de nouvelles rentes et de révisions de rente en utilisant la méthode mixte comme méthode de calcul. Cette augmentation des nouvelles rentes avec méthode mixte se reflète également dans la part des nouvelles rentes appliquant cette méthode. Celle-ci est d’abord passée de 9% à 13% avant de se stabiliser à 12% dès 2019. L’accès facilité profite en grande partie aux femmes qui travaillent à temps partiel et s’occupent du ménage. En raison de la méthode mixte, la part des personnes vivant dans un ménage d’une seule personne et celle des personnes divorcées ont progressivement augmenté parmi les nouveaux bénéficiaires de rente.

 

Conclusion

La procédure structurée d’administration des preuves a conduit à un examen plus ouvert du droit à la rente pour les maladies psychiques pour lesquelles ce droit n’était auparavant guère envisagé ou alors uniquement à titre exceptionnel. Ce constat est également valable pour la toxicomanie. L’examen des rentes n’en demeure pas moins exigeant. La compétence professionnelle des acteurs impliqués dans les centres d’expertises, les SMR, les offices AI et les tribunaux reste décisive pour que les informations nécessaires soient collectées, décrites et interprétées de manière complète et non biaisée.

Les analyses effectuées sur l’évolution des nouvelles rentes indiquent que l’abandon de la présomption de surmontabilité des affections psychosomatiques en 2015, l’introduction généralisée de la procédure structurée d’administration des preuves pour toutes les maladies psychiques ainsi que l’obligation d’examiner le droit aux prestations également en cas de dépression légère à modérée sans résistance au traitement en 2017 ont eu des répercussions sur la probabilité d’obtenir une rente en raison d’une maladie psychique. Il n’est toutefois pas possible d’apporter la preuve statistique que l’augmentation des rentes pour maladies psychiques est liée de manière causale à ces modifications juridiques. En effet, les données disponibles ne fournissent pas d’informations sur la mise en œuvre de la procédure structurée d’administration des preuves et ne permettent pas d’identifier de manière fiable les octrois de rentes en raison d’infirmités psychosomatiques et de dépressions. Il reste à voir comment les nouvelles rentes évolueront au cours des prochaines années afin d’obtenir, d’un point de vue statistique, une image plus concluante des raisons possibles de l’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes pour maladies psychiques. L’évolution à venir des taux de perception des rentes des cohortes de nouveaux bénéficiaires fourniront notamment de précieuses indications.

Afin de permettre à l’avenir aux analyses statistiques de donner des réponses plus précises concernant les modifications des nouvelles rentes, comme le transfert de nouvelles rentes pour troubles non psychiques vers de nouvelles rentes pour troubles psychiques, il serait nécessaire d’identifier systématiquement les lacunes existantes dans les bases de données et de les combler de manière ciblée.

 

Christian Bolliger/Madleina Ganzeboom/Jürg Guggisberg/Tabea Kaderli, Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI, paru in Sécurité sociale CHSS du 19.09.2024 consultable ici

Rapport de recherche n° 5/24 « Entwicklung der Neurenten in der Invalidenversicherung: gemischte Methode, Sucht- und psychische Erkrankungen » (en allemand avec résumé en français, en italien et en anglais) de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg et Tabea Kaderli consultable ici

 

TAF C-4850/2019 (publié ATAF 2023 V/2) (f) du 17.05.2023 – Rente de vieillesse succédant à une rente d’invalidité / Totalisation des périodes d’assurance suisses et portugaises – Exercice du droit à la libre circulation des personnes / Régime conventionnel plus favorable

Arrêt du Tribunal administratif fédéral C-4850/2019 (f) du 17.05.2023, publié aux ATAF 2023 V/2

 

Arrêt, publié aux ATAF 2023 V/2, consultable ici

 

Rente de vieillesse succédant à une rente d’invalidité / 33bis al. 1 LAVS

Totalisation des périodes d’assurance suisses et portugaises – Exercice du droit à la libre circulation des personnes avant l’entrée en vigueur de l’ALCP / 20 ALCP – 8 par. 1 règlement (CE) no 883/2004 – 12 par. 2 Convention de sécurité sociale entre le Portugal et la Suisse

Régime conventionnel plus favorable

 

Résumé 

  • Le régime de l’ALCP ne protège pas la situation acquise lors de la conversion d’une rente d’invalidité suisse en une rente de vieillesse suisse. Lorsque les périodes d’assurance dans les Etats membres doivent être prises en compte dans le calcul de la première, la Suisse n’est pas tenue de le faire dans celui de la seconde (consid. 8).
  •  Droit à la libre circulation exercé avant l’entrée en vigueur de l’ALCP. Interprétation de la Convention bilatérale à l’aune de la Convention de Vienne (application rétroactive de la Convention; consid. 8.3 et 9).
  •  En vertu du principe de l’application de la convention sociale plus favorable, l’assurée qui ne peut prétendre à une rente de vieillesse portugaise en raison de l’âge de retraite plus élevé a droit à la totalisation des périodes de cotisations accomplies en Suisse et au Portugal pour le calcul de la rente de vieillesse suisse succédant à une rente d’invalidité (consid. 10).
  •  La naissance ultérieure du droit à la rente de vieillesse portugaise impliquera de calculer à nouveau la rente suisse, sur la seule base des périodes de cotisations suisses (consid. 10.5)

 

Assurée, ressortissante de nationalité suisse et portugaise, née en 1955, mariée depuis janvier 1978 à un ressortissant portugais, né en 1951, au bénéfice d’une rente de vieillesse suisse d’un montant en 2019 de CHF 1’100.- par mois, avant plafonnement, ayant succédé à une rente entière d’invalidité.

Après avoir cotisé au régime portugais de sécurité sociale d’avril 1968 à novembre 1982, soit durant 176 mois respectivement 14 années et 8 mois, la prénommée a travaillé comme saisonnière et s’est acquittée de cotisations à l’AVS/AI suisse de décembre 1982 à avril 1983, de juin 1983 à octobre 1983 et de décembre 1983 à avril 1984. Puis, elle s’est établie en Suisse et a cotisé de manière continue d’avril 1986 à février 2003, totalisant une période d’assurance suisse de 218 mois, soit 18 ans et 2 mois. Le 12.02.2003, l’assurée est repartie vivre au Portugal avec son mari.

A la suite d’une incapacité totale de travail survenue le 01.06.1997, l’assurée a été mise au bénéfice d’une rente entière d’invalidité servie par l’assurance-invalidité suisse d’un montant de CHF 1’767.- au 01.06.1998 respectivement CHF 1’946.- au 31.05.2019 calculée sur la base d’une durée d’assurance de la classe d’âge de 22 années pour des assurés nés en 1955 ayant droit à une rente AI en 1998, de 22 années entières d’assurance, d’une période totale de cotisations de 22 années ou 264 mois cumulant 161 mois d’assurance suisse 13 années et 5 mois et 103 mois d’assurance portugaise 8 années et 7 mois, d’un revenu annuel moyen déterminant (ci-après : RAM) de CHF 54’924.- (état 1998) après partage des revenus du couple et inclusion de 6 années et demie de bonifications pour tâches éducatives, et de l’échelle de rente 44.

Le 26.02.2019, l’assurée a déposé une demande de rente de vieillesse suisse.

Par décision du 08.05.2019, la caisse de compensation a octroyé à l’assurée, à partir du 01.06.2019, une rente ordinaire de vieillesse d’un montant de CHF 1’072.-, après plafonnement, qui se substituait à la rente d’invalidité de CHF 1’946.- allouée jusqu’alors.

La caisse de compensation a rejeté l’opposition et confirmé sa décision du 08.05.2019.

 

Tribunal administratif fédéral (TAF)

Consid. 8.1
Selon le système de coordination des prestations de vieillesse mis en place par l’ALCP et son règlement (CE) n° 883/2004, lorsqu’une personne a été assurée dans plusieurs Etats membres, la réglementation communautaire implique un régime de rentes partielles de la Suisse, d’une part, et de l’Etat de l’Union européenne concerné, d’autre part ; la rente de vieillesse suisse est alors déterminée uniquement en fonction des périodes d’assurance en Suisse. Un tel système n’est pas contraire à l’objectif de cet accord, parce que le calcul autonome des rentes suisses (sans égard aux périodes d’assurance accomplies à l’étranger) n’entraîne aucun désavantage pour la personne assurée, par rapport à un calcul selon le système de « totalisation/proratisation » (cf. ATF 133 V 329 consid. 4.4 p. 334; Jean Métral, L’accord sur la libre circulation des personnes: coordination des systèmes de sécurité sociale et jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances, in : HAVE 3/2004, p. 188 ; voir également arrêt du TF 9C_229/2013 du 24 juillet 2013 consid. 3.2). Lorsqu’un ressortissant d’un Etat parti à l’ALCP a cotisé successivement aux assurances sociales de plusieurs Etats membres, l’institution suisse est ainsi autorisée à calculer la pension de vieillesse de l’AVS de manière autonome compte tenu des seules périodes d’assurance accomplies sous la législation nationale (art. 52 par. 4 du règlement (CE) n°883/2004 en lien avec l’annexe VIII partie 1 du règlement (CE) no 883/2004 ; cf. ATF 133 V 329 consid. 4.4, 131 V 371 consid. 6 et 7.1 et réf. cit., 130 V 51 consid. 5.4 et réf. cit. ; arrêts du TF 9C_ 9/2018 consid. 3.2.2 et 9C_368/2020 consid. 5.1).

Consid. 8.2
Dans le cas particulier des rentes de vieillesse succédant aux rentes AI, le système mis en place par l’ALCP et son règlement (CE) n°883/2004 prévoit qu’à partir du moment où une rente AVS suisse, calculée de manière autonome en fonction des seules périodes suisses, se substitue à une rente d’invalidité qui a été déterminée en fonction des périodes d’assurance suisse et étrangère, l’Etat qui a été jusqu’alors libéré du versement d’une prestation verse à son tour une rente de vieillesse partielle. Dans le cas où l’assuré ne satisfait pas encore aux conditions définies par la législation de l’autre Etat membre pour avoir droit à des prestations de vieillesse, l’assuré bénéficie de la part de cet Etat membre, à partir du jour de la conversion, de prestations d’invalidité (art. 48 par. 3, 1ère partie, du règlement (CE) n°883/2004 ; Annett Wunder, in : Schreiber/Wunder/Dern, VO (EG) Nr. 883/2004, Verordnung zur Koordinierung der Système der sozialen Sicherheit, Kommentar, ad. art. 48 n°16). En d’autres termes, le régime européen de coordination des systèmes de sécurité sociale n’ouvre pas droit à un complément de prestations à charge de l’Etat qui, jusqu’à présent, versait une pension d’invalidité, pour le cas où un autre État dans lequel la personne concernée a accompli des périodes d’assurance n’accorde pas encore de pension de vieillesse en raison d’un âge de retraite plus élevé. Si le montant de la rente de vieillesse se révèle inférieur au montant de la rente d’invalidité à laquelle elle se substitue, le règlement (CE) n°883/2004 ne prévoit pas le versement d’un complément différentiel à charge de l’Etat qui versait jusqu’alors la pension d’invalidité – en l’espèce la Suisse. En résumé, lorsqu’une rente de vieillesse succède directement à une rente d’invalidité, ni l’ALCP ni son règlement (CE) n°883/2004 ne garantissent une protection de la situation acquise par le versement d’un complément différentiel destiné à compenser un éventuel découvert (ATF 131 V 371 consid. 7.3 et 8.2, 133 V 329 consid. 4.5 ; arrêt du Tribunal fédéral H 281/03 du 27 février 2004 consid. 5.2 ; ATAF 2018 V/4 consid. 7.2 ; arrêt du TAF C-3690/2011 du 25 mars 2013 consid. 6.2.2).

Consid. 8.3
A l’aune de ce qui précède, ni l’ALCP ni la réglementation de coordination ne garantissent à l’assurée le versement par la Suisse d’un complément différentiel destiné à compenser le découvert résultant de la conversion de sa rente d’invalidité en une rente de vieillesse depuis le 01.06.2019, pas plus que la prise en compte des périodes d’assurance accomplies au Portugal dans le calcul de la rente de vieillesse suisse. Par contre, il incomberait aux autorités portugaises de verser à l’assurée, à partir du jour de la conversion, des prestations d’invalidité en vertu de l’art. 48 par. 3, 1ère partie, du règlement (CE) n° 883/2004, cela contrairement à la décision du 28 juin 2019 par laquelle l’Instituto da Segurança Social I. P., Centro Nacional de Pensões lui a précisément refusé l’octroi de telles prestations, décision dont il n’appartient pas au Tribunal administratif fédéral d’examiner le bien-fondé. Quoi qu’il en soit, ces considérations ne sont en l’espèce pas décisives. En effet, dans la mesure où l’assurée a exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP et de ses règlements de coordination, il convient d’examiner si celle-ci peut se prévaloir d’éventuelles dispositions plus favorables que celles susmentionnées déduites de la Convention bilatérale et de l’arrangement administratif fixant les modalités d’application de celle-ci.

 

Consid. 9
S’agissant de dégager le sens de dispositions de droit conventionnel, il y a lieu de d’appliquer les règles d’interprétation déduites de la Convention de Vienne sur le Droit des Traités conclue le 23 mai 1969 (ci-après : CVDT, RS 0.111 ; cf. ATF 139 II 393 consid. 4.1.1).

Consid. 9.1
D’emblée, le Tribunal souligne que nonobstant le principe de non-rétroactivité selon lequel la CVDT s’applique uniquement aux traités conclus par des États après son entrée en vigueur à l’égard de ces États (cf. art. 4 CVDT), il y a lieu d’appliquer à la Convention bilatérale entrée en vigueur le 1er mars 1977 les règles d’interprétation de la CVDT entrées en vigueur pour la Suisse le 6 juin 1990 et pour le Portugal le 7 mars 2004, dès lors que d’une part, celle-ci a codifié les différentes pratiques d’interprétation qui existaient en droit international avant qu’elle n’existe et ne fait que refléter, sur ce point, le droit international coutumier et que d’autre part, le Tribunal fédéral a également fait application de la CVDT afin d’interpréter des traités – notamment en matière de sécurité sociale conclus antérieurement à l’entrée en vigueur de celle-ci (ATF 119 V 98, 117 V 268 ; arrêt du TAF C-6631/2010 du 15 juin 2012 consid. 5.1 et les références citées).

Consid. 9.2
Aux termes de la Section III intitulée «Interprétation des traités», un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but (art. 31 par. 1 CVDT). Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus : (let. a) tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ; (let. b) tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité (art. 31 par. 2 CVDT). Il sera tenu compte, en même temps que du contexte ; (let. a) de tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ; (let. b) de toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ; (let. c) de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties (art. 31 par. 3 CVDT). Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties (art. 31 par. 4 CVDT). Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens résultant de l’application de l’art. 31, soit de déterminer le sens lorsque l’interprétation donnée conformément à l’art. 31 : (let. a) laisse le sens ambigu ou obscur ; ou (let. b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable (art. 32 CVDT).

L’art. 31 par. 1 CVDT fixe ainsi un ordre de prise en compte des éléments de l’interprétation, sans toutefois établir une hiérarchie juridique obligatoire entre eux (ATF 143 II 202 consid. 6.3.1 p. 208 ; arrêt du TF 4A_736/2011 du 11 avril 2012 consid. 3.3.2). Le sens ordinaire du texte du traité constitue le point de départ de l’interprétation. Ce sens ordinaire des termes doit être dégagé de bonne foi, en tenant compte de leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du traité. L’objet et le but du traité correspondent à ce que les parties voulaient atteindre par le traité. L’interprétation téléologique garantit, en lien avec l’interprétation selon la bonne foi, l' »effet utile » du traité. Lorsque plusieurs significations sont possibles, il faut choisir celle qui permet l’application effective de la clause dont on recherche le sens, en évitant d’aboutir à une interprétation en contradiction avec la lettre ou l’esprit des engagements pris (ATF 143 II 136 consid. 5.2.2 et les références citées, 142 II 161 consid. 2.1.3,141 III 495 consid. 3.5.1 ; ATAF 2010/7 consid. 3.5.2). Un Etat contractant doit partant proscrire tout comportement ou toute interprétation qui aboutirait à éluder ses engagements internationaux ou à détourner le traité de son sens et de son but (ATF 147 II 1 consid. 2.3, 144 II 130, 143 II 202 consid. 6.3.1 in fine, 142 II 35 consid. 3.2 p. 39 s., 142 II 161 consid. 2.1.3 p. 167). Dans ce contexte, le message du Conseil fédéral relatif à l’approbation d’un traité ne saurait à lui seul exprimer la volonté des parties puisqu’il ne reflète que l’interprétation du gouvernement d’une seule partie (ATF 112 V 145 consid. 2c ; arrêt du TAF C-6631/2010 du 15 juin 2012 consid. 5.3). La CVDT relègue ainsi l’interprétation d’une convention au moyen des travaux préparatoires et des circonstances dans lesquelles elle a été conclue à un rôle subsidiaire (ATAF 2010/7 consid. 3.5.2).

Consid. 9.3
Cela étant, il y a lieu d’interpréter l’art. 12 par. 2, 2ème phrase, de la Convention bilatérale selon le sens ordinaire de son texte, dégagé de bonne foi en tenant compte de son contexte et à la lumière de l’objet et du but de la Convention bilatérale, l’objet et le but du traité devant correspondre à ce que les parties voulaient atteindre par le traité et l’interprétation téléologique devant garantir, en lien avec l’interprétation selon la bonne foi, l' »effet utile » du traité. Dans ce contexte, les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles la Convention bilatérale a été conclue tiennent un rôle subsidiaire par rapport au texte.

 

Consid. 10.1
Il est prévu par la Convention bilatérale que, sous réserve des dispositions de la présente Convention et de son Protocole final, les ressortissants de l’une des Parties contractantes, ainsi que les membres de leur famille et les survivants dont les droits dérivent desdits ressortissants, sont soumis aux obligations et admis au bénéfice de la législation de l’autre Partie dans les mêmes conditions que les ressortissants de cette Partie ou les membres de leur famille et les survivants dont les droits dérivent desdits ressortissants (art. 2 par. 1 [égalité de traitement]). Sous réserve des dispositions de la présente Convention et, de son Protocole final, les personnes mentionnées à l’art. 2, par. 1, qui peuvent prétendre des prestations en espèces au titre des législations énumérées à l’art. 1 reçoivent ces prestations intégralement et sans restriction aucune, aussi longtemps qu’elles habitent sur le territoire de l’une des Parties contractantes. Sous les mêmes réserves, lesdites prestations sont accordées par l’une des Parties aux ressortissants de l’autre, ainsi que, en tant que leurs droits dérivent desdits ressortissants, aux membres de leur famille et à leurs survivants qui résident dans un pays tiers, aux mêmes conditions et dans la même mesure qu’à ses propres ressortissants ou aux membres de leur famille et à leurs survivants résidant dans ce pays tiers (art. 3).

Pour déterminer les périodes de cotisations qui doivent servir de base au calcul de la rente ordinaire de l’assurance-invalidité suisse due à un ressortissant suisse ou portugais, les périodes de cotisations et les périodes assimilées accomplies selon les dispositions légales portugaises sont prises en compte comme des périodes de cotisations suisses en tant qu’elles ne se superposent pas à ces dernières. Seules les périodes de cotisations suisses sont prises en compte pour déterminer le revenu annuel moyen (art. 12 par. 1). Les rentes ordinaires de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse venant se substituer à une rente d’invalidité, fixée selon le paragraphe précédent, sont calculées sur la base des dispositions légales suisses compte tenu exclusivement des périodes de cotisations suisses. Si toutefois les périodes d’assurance portugaise, compte tenu de l’art. 20 de la Convention et des dispositions d’autres Conventions internationales, n’ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation portugaise analogue, elles sont également prises en compte pour déterminer les périodes de cotisations qui doivent servir de base au calcul des rentes suisses susmentionnées (art. 12 par. 2). Lorsqu’un ressortissant de l’une ou l’autre des Parties contractantes a été soumis successivement ou alternativement aux législations des deux Parties contractantes, les périodes de cotisations et les périodes assimilées accomplies selon chacune de ces législations, sont totalisées, du côté portugais, dans la mesure où c’est nécessaire, pour l’ouverture du droit aux prestations qui font l’objet de la présente section, en tant que lesdites périodes ne se superposent pas. Cette disposition ne s’applique que si la durée de cotisations dans les assurances portugaises est au moins égale à douze mois (art. 20).

Consid. 10.2
Il ressort ainsi du texte de la Convention bilatérale que la rente de vieillesse suisse succédant à une rente d’invalidité est en principe calculée sur la base des seules cotisations suisses, la rente d’invalidité l’étant en revanche sur la base des cotisations suisses et portugaises. En effet, l’assurance-invalidité est gouvernée par le régime spécial de l’assurance-risque pure en application duquel l’assuré perçoit une seule rente d’invalidité servie par l’assureur auprès duquel il était affilié au moment de la survenance de l’invalidité – l’assureur de l’autre Etat étant libéré de l’obligation de prester, prestation unique calculée sur la base des cotisations suisses et portugaises, cela afin de pallier notamment à la lourdeur de l’instruction médicale du risque de l’invalidité. Dans le domaine de l’assurance-vieillesse et survivants en revanche, le principe de l’assurance-risque pure n’est plus applicable, dès lors que la survenance du risque vieillesse, respectivement de l’âge de la retraite, ne soulève en principe pas de difficultés particulières d’instruction. Partant, l’assureur de chacun des Etats accorde une prestation de vieillesse et la calcule selon ses propres règles et sur la base de ses cotisations nationales. Cependant, les cotisations portugaises seront néanmoins prises en compte dans le calcul de la rente de vieillesse suisse si elles n’ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation portugaise analogue (voir art. 12 par. 2, 2ème phrase, en rel. avec l’art. 20 de la Convention bilatérale [cf. supra consid. 10.1]), la totalisation des cotisations suisses et portugaises opérée dans l’assurance suisse pour l’octroi d’une rente d’invalidité s’appliquant alors également à l’octroi des rentes de vieillesse ou de survivants qui s’y substituent. L’art. 12 par. 2, 2ème phrase, de la Convention bilatérale permet, en cas de conversion d’une rente AI suisse en une rente de vieillesse suisse, de contrebalancer la diminution des prestations suisses versées à un ressortissant portugais invalide ayant atteint l’âge de la retraite en Suisse, dans le cas où ladite diminution n’est pas compensée par le droit à une rente analogue portugaise. Ce palliatif permet d’atténuer certaines inégalités, notamment une forte baisse du revenu sous forme de rentes, lors du passage de la rente d’invalidité à la rente de vieillesse, surtout lorsque l’âge ouvrant droit à la rente de vieillesse est différent dans les deux pays signataires (RCC 1982 p. 342 in fine). La prise en compte des cotisations portugaises dans le calcul de la rente de vieillesse suisse s’impose ainsi non seulement lorsque l’assuré n’a exceptionnellement droit à aucune rente de vieillesse portugaise à défaut d’en remplir les conditions d’octroi par exemple en raison d’un nombre d’années de cotisations insuffisant (voir art. 12 par. 2, 2ème phrase, en rel. avec l’art. 20 de la Convention bilatérale [cf. supra consid. 10.1]), mais également lorsque l’âge légal ouvrant le droit à la rente de vieillesse diffère entre les deux pays signataires de la Convention bilatérale. Dans ce dernier cas, les cotisations au régime de sécurité sociale portugais ne sont pas génératrices de rentes avant que l’âge légal de la retraite au Portugal ne soit atteint, de sorte que la valorisation des cotisations au régime de sécurité sociale portugais ne survient qu’au moment de l’ouverture du droit à la rente de vieillesse portugaise. Cela étant, le cumul exceptionnel des cotisations portugaises et suisses dans le calcul de la rente de vieillesse suisse succédant à une rente AI garantit à l’assuré portugais invalide que ses années de cotisations au régime social portugais ne soient pas perdues si le nombre de celles-ci devait se révéler insuffisant pour fonder le droit à une rente de vieillesse portugaise. Il permet d’éviter que l’assuré portugais invalide qui a émigré en Suisse s’expose au risque de perdre sa carrière d’assurance portugaise, si au final celle-ci ne devait pas se révéler génératrice de rente, risque auquel ne s’expose jamais un assuré ayant cotisé durant toute sa carrière au seul système de sécurité sociale suisse. Ce faisant, l’art. 12 par. 2, 2ème phrase, de la Convention bilatérale, favorise l’égalité de traitement entre ressortissants portugais et suisses, fondement des dispositions de la Convention bilatérale (cf. art. 2 cité supra consid. 10.1 ; FF 1976 II 1273, pp. 1273 et 1280).

Consid. 10.3
Ces considérations, dégagées tant du texte et du contexte de l’art. 12 par. 2, 2ème phrase, que de l’objet et du but de la Convention bilatérale, ressortent également du Message du 19 mai 1976 du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant la Convention de sécurité sociale conclue entre la Suisse et le Portugal (cf. FF 1976 II 1273), ainsi que du Message du 12 novembre 1969 du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant l’approbation des conventions de sécurité sociale conclues par la Suisse avec l’Espagne et la Turquie auquel renvoie le Message du 19 mai 1976 relatif à la Convention bilatérale (FF 1969 II 1425).

Consid. 10.3.1
Le Message du 19 mai 1976 du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant la Convention de sécurité sociale conclue entre la Suisse et le Portugal explique en effet que « [d]ans [l]e domaine [de l’assurance-invalidité], il convient tout spécialement de se référer aux messages (…) concernant les conventions conclues avec l’Espagne, la Turquie et la Grèce (…). Etant donné que le Portugal est lui aussi un pays assez éloigné de la Suisse, que son système d’assurance diffère notablement du nôtre et qu’au surplus la langue joue un rôle important dans les rapports entre organismes assureurs, c’est encore le principe de l’assurance-risque qui a prévalu ; ainsi, l’assurance à laquelle un assuré est affilié lors de la survenance de l’invalidité alloue la totalité des prestations correspondantes, compte tenu des périodes accomplies dans l’assurance de l’autre Etat, celle-ci étant par ailleurs libérée à l’égard de l’intéressé de toute obligation pour lesdites périodes. Dans ce cadre général de l’assurance-risque, la réglementation prévue par la convention présente les aspects particuliers suivants. (…) [Les] rentes de l’AI suisse (…) sont allouées aux ressortissants suisses et portugais qui, après avoir été assurés au Portugal, sont affiliés à l’AVS/AI suisse au moment où survient l’invalidité, et ont versé des cotisations à cette assurance pendant une année au moins ; on tient compte, pour la détermination de l’échelle de rente, des périodes accomplies dans les assurances portugaises. Pour établir le revenu annuel moyen, on ne prend en considération que les revenus réalisés en Suisse. En pareille occurrence, les assurances portugaises n’ont aucune prestation à fournir. (…) Dans [l]e domaine [de l’AVS], le principe de l’assurance-risque n’est plus applicable ; l’assurance de chacun des Etats accorde une prestation et la calcule selon ses propres règles. Cela étant, la réglementation adoptée est la suivante. En application du principe de l’égalité de traitement, les droits des ressortissants portugais aux rentes ordinaires de l’assurance suisse sont généralement les mêmes que ceux des ressortissants suisses. (…) [M]entionnons encore les dispositions s’appliquant aux cas où une rente ou pension de vieillesse se substitue, à l’âge de la retraite, à une prestation d’invalidité. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, le principe de l’assurance-risque n’est plus applicable ; chaque assurance calcule sa prestation de vieillesse selon ses propres règles. Or il peut arriver que la somme des deux prestations de vieillesse accordées par l’AVS suisse et l’assurance portugaise soit inférieure à la prestation d’invalidité que l’intéressé touchait auparavant d’une seule de ces deux assurances. Il a dès lors été convenu (art. 22) que si la somme des prestations suisse et portugaise de vieillesse qui se substituent à une pension d’invalidité portugaise est inférieure au montant minimum garanti par la législation portugaise, l’assuré ou ses survivants, résidant au Portugal, ont droit, à la charge de l’assurance portugaise, à un complément égal à la différence. Si, exceptionnellement, l’intéressé n’a droit à aucune pension de vieillesse portugaise – compte tenu également des conventions conclues par le Portugal avec d’autres pays – l’assurance suisse prend en considération les périodes portugaises pour déterminer la rente de vieillesse (art. 12, 4e al. [art. 12 par. 2, 2ème phrase, dans la teneur de la Convention bilatérale au 1er novembre 1995]) » (FF 1976 II 1273, pp. 1282-1285).

Consid. 10.3.2
Le Message du 12 novembre 1969 du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant l’approbation des conventions de sécurité sociale conclues par la Suisse avec l’Espagne et la Turquie – appliqué par renvoi de la Convention bilatérale (cf. supra consid. 10.3) ajoute que « (…) la notion d’invalidité est définie différemment par les législations, ce qui se traduit par des disparités dans le domaine des prestations. Par ailleurs, la perte de la capacité de gagner sa vie s’apprécie dans chaque pays selon des procédures, des critères et des modalités d’évaluation différents. Il en résulte que les constatations faites par une institution étrangère ne sont souvent utilisables que de façon limitée par l’assurance suisse et qu’elles doivent être complétées par des informations ou des enquêtes supplémentaires. Lorsqu’il s’agit de pays éloignés, dotés de systèmes d’assurance très différents, l’obtention des documents nécessaires risquerait dès lors de soulever des difficultés considérables. A ce propos, le nombre des personnes qui rentrent dans leur pays d’origine et qui pourraient y devenir invalides après avoir accompli une période plus ou moins longue dans l’assurance suisse n’est pas sans jouer un rôle. Au vu de ces circonstances, il a été convenu avec l’Espagne et la Turquie que les prestations seraient réglées en cas d’invalidité selon le principe de l’assurance-risque pure. (…) Il faut préciser que cette totalisation des périodes d’assurance étrangère opérée par la Suisse ne s’applique que dans l’assurance-invalidité. Lorsque des rentes de vieillesse ou de survivants se substituent à des rentes d’invalidité, l’assurance suisse revient à la méthode de calcul de ces prestations fondée uniquement sur la législation nationale. La conséquence en sera, dans la plupart des cas, une diminution des prestations suisses, avant tout pour les ressortissants espagnols et turcs. Mais, en règle générale, cette perte sera compensée par un droit à une prestation qu’ils auront acquis dans les assurances de l’autre Etat en vertu des périodes de cotisations qu’ils y auront accomplies, les périodes suisses (ou même les périodes accomplies dans des Etats tiers) pouvant être alors prises en considération (…) Si, dans des cas exceptionnels, un droit à prestation ne devait pas exister malgré tout dans l’autre Etat, la totalisation opérée dans l’assurance suisse pour l’octroi d’une rente d’invalidité s’appliquerait alors également à l’octroi des rentes de vieillesse ou de survivants qui s’y substituent (conv. E, art, 9, par. 4 ; conv. TR, art. 10, par. 4) » (FF 1969 II 1425, pp. 1440-1442).

Consid. 10.4
Le cumul à titre exceptionnel des cotisations portugaises et suisses dans le calcul de la rente de vieillesse suisse – succédant à une rente d’invalidité – jusqu’à l’ouverture du droit à la rente de vieillesse portugaise est également corroboré par la jurisprudence du Tribunal fédéral.

Consid. 10.4.1
Interprétant l’art. 9 par. 4 de la Convention de sécurité sociale entre la Confédération suisse et l’Espagne du 13 octobre 1969 et en particulier les termes « (…) n’ouvrent exceptionnellement pas droit à une prestation espagnole analogue (…) » y figurant, le Tribunal fédéral expose que lorsqu’une rente de vieillesse ou de survivants de l’assurance suisse succède à une rente de l’assurance-invalidité calculée selon l’art. 9 par. 3 de ladite convention (principe de l’assurance-risque pure), ce même mode de calcul (totalisation des périodes d’assurance espagnoles et des périodes de cotisations suisses) doit être appliqué, s’il est plus avantageux pour l’assuré, quand il est établi que ce dernier ne peut prétendre à une prestation espagnole analogue au moment où s’ouvre le droit à la rente suisse. C’est, en effet, de cette manière seulement que l’on respecte le principe de l’égalité de traitement consacré par l’art. 7 par. 1 de la convention de sécurité sociale entre la Suisse et l’Espagne. Si, par la suite, un droit de l’assuré à la prestation espagnole naît, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes de cotisations suisses, conformément à l’art. 9 par. 4 première phrase de la convention (ATF 112 V 145 consid. 2 ss).

Consid. 10.4.2
Cette interprétation de l’art. 9 par. 4 de la Convention de sécurité sociale entre la Confédération suisse et l’Espagne (RS 0.831.109.332.2) est applicable par analogie à l’art. 12 par. 2, 2ème phrase, de la Convention bilatérale compte tenu de la teneur identique de ce dernier avec l’art. 9 par. 4 de la Convention de sécurité sociale conclue entre la Suisse et l’Espagne. En outre, comme exposé ci-dessus (cf. supra consid. 10.3), le Message du 19 mai 1976 du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant la Convention de sécurité sociale conclue entre la Suisse et le Portugal renvoie expressément, pour des motifs de similitude, au Message du Conseil fédéral sur l’approbation des conventions de sécurité sociale conclues par la Suisse avec l’Espagne et la Turquie (FF 1976 II 1273, p. 1282).

Consid. 10.5
Au vu des développements qui précèdent, il convient d’interpréter l’art. 12 par. 2, 2ème phrase, de la Convention bilatérale en ce sens que les périodes d’assurance portugaise doivent être prises en compte dans le calcul de la rente de vieillesse suisse succédant à une rente d’invalidité suisse non seulement lorsqu’elles n’ouvrent définitivement pas droit à une rente de vieillesse portugaise, mais également aussi longtemps qu’elles ne sont pas génératrices de rente en raison d’un âge légal de retraite plus élevé au Portugal. Si, par la suite, un droit de l’assurée à la prestation portugaise naît au moment où celle-ci atteint l’âge de la retraite au Portugal, la rente suisse sera à nouveau calculée en fonction des seules périodes de cotisations suisses. En conclusion, par application du régime plus favorable issu de la Convention bilatérale, la recourante doit se voir reconnaitre le droit à la totalisation des périodes de cotisations suisses et portugaises dans l’éventualité où elle ne dispose pas, au moment de la conversion de sa rente d’invalidité suisse en une rente de vieillesse suisse, du droit à une rente de vieillesse portugaise – éventuellement anticipée – en raison d’un âge de retraite plus élevé au Portugal.

Consid. 10.5.1
Or, dans la décision sur opposition litigieuse, la caisse de compensation a refusé de prendre en compte les cotisations portugaises, inférant des 176 mois d’assurance de l’assurée au Portugal que celle-ci disposait d’un droit à une prestation de vieillesse portugaise analogue à la rente de vieillesse suisse. Ce faisant, la caisse de compensation n’a pas indiqué si le droit – éventuellement anticipé – à la rente de vieillesse portugais qu’elle retient existait déjà au moment de l’ouverture du droit à une rente de vieillesse suisse ou si celui-là était différé en raison d’un âge de la retraite plus élevé au Portugal. En outre, elle a considéré que l’assurée avait droit à une rente de vieillesse portugaise, sans dûment établir l’existence de ce droit, aucune décision correspondante prononcée par l’autorité compétente de l’assureur portugais ne figurant au dossier.

Partant, elle n’a pas instruit à satisfaction de droit la question de savoir si l’assurée pouvait prétendre, au moment de la conversion de la rente d’invalidité suisse en une rente de vieillesse suisse, à une rente de vieillesse analogue – éventuellement anticipée – au Portugal. Par conséquent, la décision attaquée se révèle erronée, de sorte qu’elle doit être annulée et la cause renvoyée à la caisse de compensation pour instruction complémentaire. Dans ce cadre, l’administration sollicitera l’organisme de liaison compétent selon la législation portugaise pour obtenir tout renseignement utile à établir, le cas échéant, le droit de l’assurée à une rente – éventuellement anticipée de vieillesse portugaise, soit notamment l’âge de la retraite au Portugal, ainsi qu’une attestation de la carrière d’assurance portugaise de la recourante au 1er juin 2019 (formulaires E205 et E210), conformément aux arts. 76 ss du règlement n°883/04 et 2 ss. du règlement n°987/09 (voir ATF 142 V 112 consid. 4.5 ; cf. également arrêt du TAF C-4782/2009 du 2 mars 2010 consid. 4.4).

A l’issue de cette instruction complémentaire, l’autorité rendra une nouvelle décision en veillant à y mentionner si l’assurée a droit ou non à une rente de vieillesse portugaise et, le cas échéant, la date d’ouverture de ce droit. Si elle parvient à la conclusion qu’au 1er juin 2019, l’assurée n’a pas droit à une rente de vieillesse portugaise analogue à la rente de vieillesse suisse, elle opérera un nouveau calcul de la rente de vieillesse suisse sur la base de l’art. 33bis LAVS. Dans ce cadre, le calcul en fonction des bases AI tiendra compte d’une durée de cotisations portugaises de 8 années et 7 mois telle que prise en compte lors de l’octroi de la rente d’invalidité en 1998. Le Tribunal rend ici attentif la caisse de compensation qu’une période de 8 années et 7 mois à l’assurance portugaise – et non une période de 8 années et 8 mois comme elle l’a indiqué dans la décision entreprise – avait été comptabilisée pour le calcul de la rente d’invalidité suisse. Quant au calcul à opérer en fonction des bases AVS, il conviendra d’y comptabiliser l’ensemble des périodes de cotisations suisses et portugaises qui peuvent être prises en compte à la date d’ouverture du droit à la rente de vieillesse suisse, telles qu’elles ressortiront du formulaire E205 établi par les autorités portugaises. Le nouveau montant de la rente de vieillesse ainsi recalculé sera dû jusqu’à l’ouverture, le cas échéant, du droit de l’assurée à une rente de vieillesse portugaise, moment à partir duquel il sera procédé à un nouveau calcul de la rente de vieillesse suisse sur la base des seules cotisations suisses de l’assurée.

Consid. 10.5.2
Selon l’art. 61 al. 1 PA, l’autorité de recours statue elle-même sur l’affaire ou exceptionnellement la renvoie avec des instructions impératives à la caisse de compensation. Bien que le renvoi à la caisse de compensation doive rester exceptionnel compte tenu de l’exigence de la célérité de la procédure (art. 29 Cst. ; arrêt du TF 8C_633/2014 du 11 décembre 2014 consid. 2.2), le Tribunal fédéral considère que le renvoi de l’affaire à la caisse de compensation se justifie si celle-ci a constaté les faits de façon sommaire, dans l’idée que le tribunal les éclaircirait comme il convient en cas de recours (arrêt du TF 9C_162/2007 du 3 avril 2008 consid. 2.3 et les réf. cit.), respectivement lorsque celle-ci n’a nullement instruit une question déterminante pour l’examen du droit aux prestations ou lorsqu’un éclaircissement, une précision ou un complément d’expertise s’avère nécessaire (ATF 137 V 210 consid. 4.4.1.4 ; arrêt du TF 8C_633/2014 du 11 décembre 2014 consid 3.2 et 3.3). Dès lors qu’en l’espèce, l’autorité n’a pas dûment instruit la question du droit éventuellement anticipé de la recourante à une rente de vieillesse portugaise au moment de l’ouverture du droit à la rente de vieillesse suisse respectivement au moment de l’âge de la retraite au Portugal, il convient de lui renvoyer l’affaire afin qu’elle procède aux compléments d’instruction nécessaires au sens des considérants qui précèdent, avant de rendre une nouvelle décision.

 

Le TAF admet le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt Tribunal administratif fédéral C-4850/2019 (f) du 17.05.2023, publié aux ATAF 2023 V/2  consultable ici

 

9C_197/2024 (f) du 12.08.2024 – Rôle du conseiller en réadaptation vs du médecin / Pas d’abattement pour le canton du Valais / Pas d’abattement pour les limitations fonctionnelles après réadaptation dans une activité adaptée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_197/2024 (f) du 12.08.2024

 

Consultable ici

 

Rôle du conseiller en réadaptation et du médecin dans la détermination des activités professionnelles adaptées aux capacités résiduelles de l’assuré / 16 LPGA

Postes de surveillant « exclusif » suffisamment représentés sur le marché équilibré du travail

Revenu d’invalide ESS – Pas d’abattement pour le canton du Valais ni d’abattement pour les limitations fonctionnelles après réadaptation dans une activité adaptée

 

Assuré, né en 1965, a travaillé en dernier lieu en tant que surveillant auprès de l’École d’agriculture. En octobre 2013, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité. L’office AI a octroyé à l’assuré des mesures d’ordre professionnel, sous la forme notamment d’un reclassement en qualité de surveillant d’école. Entre autres mesures d’instruction, il a diligenté une expertise auprès d’un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur (rapport du 17.10.2017 et complément du 15.01.2018).

L’office AI a notamment mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire (rapport du 26.07.2019). Après avoir soumis les différents avis médicaux à son SMR, l’administration a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité du 01.04.2014 au 30.09.2017 (rente entière jusqu’au 31.12.2015, demi-rente jusqu’au 31.07.2017, puis rente entière jusqu’au 30.109. 2017), puis dès le 01.02.2020 (rente entière), par décisions des 09.07.2021 et 22.07.2021.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 20.02.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3 [résumé]
Sur la base des expertises médicales et de l’avis SMR, les juges cantonaux ont conclu que l’assuré avait retrouvé une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles dès le 05.06.2017, et ce jusqu’à la pose d’une prothèse du genou le 17.02.2020. Les avis divergents des médecins traitants n’ont pas été jugés suffisamment convaincants pour remettre en cause ces conclusions.

La juridiction cantonale a ensuite validé que l’activité de surveillant « exclusif », sans tâches supplémentaires, était adaptée à l’assuré pendant la période concernée. Elle a calculé le taux d’invalidité en comparant le revenu antérieur (CHF 88’393.50) avec celui d’une activité adaptée de surveillant (CHF 65’545.60), basé sur les données statistiques du niveau de compétences 2 de l’Enquête suisse sur la structure des salaires pour les activités de services administratifs. Cela a conduit à un taux d’invalidité de 25%, insuffisant pour maintenir une rente d’invalidité au-delà du 30.09.2017. Ainsi, l’assuré n’avait pas droit à une rente AI entre le 01.10.2017 et le 31.01.2020.

 

Consid. 5.2.1 [résumé]
L’expert orthopédique a indiqué, dans son rapport d’expertise du 17.10.2017, qu’une activité de surveillant ne respectait pas les limitations fonctionnelles de l’assuré. Cela étant, selon les constations cantonales, tant les conclusions de l’expertise pluridisciplinaires que celles du service de réadaptation de l’office AI ont confirmé le caractère exigible d’une telle profession. On constate effectivement que le service de réadaptation a fourni une liste non exhaustive de tâches spécifiques à un poste de surveillant (surveiller les élèves et contrôler le respect du règlement intérieur de l’établissement, suivre et compléter les documents administratifs et la correspondance, repérer les dégradations ou incidents, organiser et surveiller le déroulement du repas au réfectoire, etc.) adaptées aux limitations fonctionnelles de l’assuré décrites par l’expert orthopédique. Or on rappellera, à la suite des juges cantonaux, qu’il appartient au conseiller en réadaptation, non au médecin, d’indiquer quelles sont les activités professionnelles concrètes entrant en considération sur la base des renseignements médicaux et compte tenu des aptitudes résiduelles de l’assuré (ATF 107 V 17 consid. 2b; arrêt I 778/05 du 11 janvier 2007 consid. 6.1 et les références). A l’issue de l’expertise pluridisciplinaire, les experts ont par ailleurs confirmé qu’une activité de surveillant uniquement, sans participation aux sorties des élèves, à la conciergerie et à l’installation des classes, est adaptée aux limitations qu’ils ont décrites (pas d’effort de soulèvement de plus de 5 kg, pas de porte-à-faux du buste, port de charge limité à 5 kg, pas de marche ou de piétinement prolongé, éviter les escaliers, pas de travail en hauteur, pas de position à genoux ou accroupie, pas d’effort de préhension ou de pronosupination forcé des mains). Pour le surplus, l’assuré ne s’en prend pas à la valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire.

Consid. 5.2.2 [résumé]

L’argument de l’assuré selon lequel un poste de surveillant « exclusif » sans tâches annexes n’existerait pas sur un marché du travail équilibré est rejeté. Les juges cantonaux ont montré, en s’appuyant sur des documents de l’office AI, que ce type de poste est suffisamment représenté sur le marché équilibré du travail. Selon la prise de position du coordinateur en réadaptation de l’office AI, la majorité des emplois de surveillant n’incluent pas de tâches supplémentaires comme la conciergerie ou la maintenance, et sont donc représentatifs sur un marché du travail dit équilibré.

 

Consid. 5.3.1
S’agissant ensuite de la détermination de son revenu d’invalide, l’assuré soutient, en se référant à un article de doctrine (GABRIELA RIEMER-KAFKA/URBAN SCHWEGLER, Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn, RSAS 2021, p. 287 ss), que les données statistiques sur lesquelles se fondent les offices de l’assurance-invalidité et les tribunaux pour déterminer le revenu statistique d’invalide ne tiennent pas suffisamment compte de l’état de santé des assurés et des réalités du marché du travail. Dans ce contexte, il reproche aux juges cantonaux de ne pas avoir opéré d’abattement sur le revenu statistique d’invalide. Il fait valoir, en se référant également au principe de non discrimination prévu par l’art. 8 al. 2 Cst. et les art. 8 et 14 CEDH, que dans son cas, un abattement de 45% était justifié (à savoir 25% en raison de son âge et de son canton de domicile et 20% afin de tenir compte de ses limitations fonctionnelles).

Consid. 5.3.2
Concernant l’article de GABRIELA RIEMER-KAFKA et URBAN SCHWEGLER, auquel l’assuré se réfère, on rappellera que le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’y a pas de motif sérieux et objectif de modifier la jurisprudence selon laquelle la détermination du revenu d’invalide sur la base des valeurs statistiques se fonde en principe sur la valeur centrale, respectivement médiane, de l’ESS, malgré les critiques présentées par ces auteurs (ATF 148 V 174 consid. 9.2.4).

Consid. 5.3.3 [résumé]
La question de savoir si un abattement doit être appliqué au salaire statistique pour des raisons particulières (handicap ou autres facteurs) est une question de droit, que le Tribunal fédéral examine librement. En revanche, la détermination du taux d’abattement dans un cas concret, limité à 25% maximum, relève du pouvoir d’appréciation des juges cantonaux. Le Tribunal fédéral n’intervient que si cet exercice d’appréciation a été effectué de manière contraire au droit, par excès ou insuffisance de l’appréciation, ou en cas d’abus.

Consid. 5.3.4
L’argumentation de l’assuré selon laquelle les juges cantonaux auraient dû procéder à un abattement en raison du fait qu’il existe des différences notables sur le plan salarial entre les cantons, ce qui conduirait à discriminer certains travailleurs issus de cantons « dits pauvres », comme le Valais, n’est pas fondée. La jurisprudence admet, de manière constante, que l’évaluation de l’invalidité repose sur des données statistiques lorsque la personne assurée n’exerce plus d’activité, ou aucune activité adaptée lui permettant de mettre pleinement en valeur sa capacité résiduelle de travail (ATF 135 V 297 consid. 5.2 et les arrêts cités), et que le principe constitutionnel de l’égalité de traitement commande de recourir aux salaires statistiques ressortant de l’ESS, sans tenir compte de données salariales régionales, et à plus forte raison cantonales (arrêts 9C_272/2022 du 20 avril 2023 consid. 5.3; 9C_535/2019 du 31 octobre 2019 consid. 4 et les arrêts cités). L’assuré ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter de cette jurisprudence constante (sur les conditions d’un changement de jurisprudence, ATF 144 V 72 consid. 5.3.2).

Consid. 5.3.5
C’est également en vain que l’assuré reproche à l’instance cantonale de ne pas avoir opéré un abattement sur le salaire statistique d’invalide en raison de ses limitations fonctionnelles, dès lors que celles-ci ont été prises en compte dans le choix du type d’activité adaptée (cf. arrêt 9C_497/2020 du 25 juin 2021 consid. 5.2.2). Par ailleurs, même en prenant en considération un éventuel abattement en raison de l’âge de l’assuré, il pourrait être fixé à 10% au plus en regard de ce seul critère, ce qui ne modifierait en rien l’issue du litige quant au taux d’invalidité déterminant pour le maintien du droit à la rente durant la période ici litigieuse (taux d’invalidité de 33%, issu de la comparaison entre le revenu sans invalidité de 88’393 fr. 50 fr. et le revenu statistique d’invalide de 65’545 fr. 60 [consid. 3 supra], sous déduction d’un abattement de 10%).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_197/2024 consultable ici