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8C_717/2022 (i) du 07.06.2023, destiné à la publication – Refus de se soumettre à une expertise ordonnée par l’AI : aide sociale refusée à tort

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_717/2022 (i) du 07.06.2023, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 18.07.2023 disponible ici

 

Refus de se soumettre à une expertise ordonnée par l’AI : aide sociale refusée à tort

 

Le refus de collaborer à l’établissement du droit à la rente de l’assurance-invalidité ne justifie pas le refus de toute aide sociale. En rendant une décision dans ce sens, le Tribunal des assurances du canton du Tessin a violé le droit fondamental à l’aide d’urgence de la personne intéressée.

En 2021, l’Office d’aide sociale et d’insertion du canton du Tessin a refusé de faire bénéficier ultérieurement un homme de l’aide sociale. Il a motivé sa décision par le fait que l’intéressé avait refusé, à plusieurs reprises, de se soumettre à une expertise psychiatrique visant à établir son éventuel droit à une rente de l’assurance-invalidité (AI). Selon le droit cantonal, aucune aide sociale ne doit être versée tant qu’il existe un droit à des prestations d’assurances sociales (principe de la subsidiarité). Le Tribunal cantonal des assurances a rejeté le recours de l’intéressé en 2022.

Le Tribunal fédéral admet partiellement son recours et renvoie la cause à l’Office d’aide sociale et d’insertion pour nouvelle décision. Selon l’article 12 de la Constitution fédérale (Cst.), quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. Le droit à l’aide d’urgence présuppose que la personne ne peut pas subvenir à ses besoins elle-même et que toute autre source d’aide disponible ne puisse être obtenue à temps (principe de la subsidiarité). Ainsi, celui qui serait objectivement en mesure de se procurer les ressources indispensables à sa survie par ses propres moyens ne remplit pas les conditions du droit. Selon la jurisprudence, il en est ainsi lorsqu’une personne refuse d’accepter un travail rémunéré convenablement.

Dans le cas d’espèce, de par le refus de toute aide sociale – et donc également de toute aide d’urgence pour la nourriture, le logement, l’habillement et les soins médicaux de base – le principe de la subsidiarité n’a pas été appliqué correctement et l’article 12 Cst. a été violé. Le recourant ne pouvait disposer d’une autre source de revenu à temps et dans une mesure suffisante. Il est vrai qu’en refusant de se soumettre à une expertise, il a certes contribué à l’impossibilité d’établir son droit à des prestations de l’AI. Toutefois, tant qu’une décision formelle n’a pas été rendue par les autorités de l’AI, ce droit n’est qu’hypothétique ; de surcroît, le montant de l’éventuelle rente reste incertain. Dès lors, l’intéressé n’aurait disposé d’aucun moyen de subsistance jusqu’à ladite décision. La question de savoir si l’aide d’urgence peut être réduite ou refusée en cas d’abus de droit de la personne requérante a été laissée ouverte jusqu’ici par le Tribunal fédéral. Elle peut demeurer indécise dès lors que les critères pour retenir un comportement abusif du recourant ne sont pas donnés. Les autorités disposaient d’autres possibilités en vertu du droit cantonal pour sanctionner son comportement. L’Office d’aide sociale et d’insertion devra rendre une nouvelle décision en ce sens.

 

Arrêt 8C_717/2022 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 18.07.2023 disponible ici

 

Mancata partecipazione ad una perizia ordinata dall’AI: assistenza sociale negata ingiustamente, comunicato stampa del Tribunale federale, 18.07.2023

Verweigerte Mitwirkung für IV-Begutachtung: Sozialhilfe zu Unrecht gestrichen, Medienmitteilung des Schweizerischen Bundesgerichts, 18.07.2023

 

9C_325/2022 (f) du 25.05.2023 – Valeur probante du rapport d’expertise pluridisciplinaire – 44 LPGA / Revenu d’invalide selon ESS – Âge de la personne assurée – Facteur étranger à l’invalidité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_325/2022 (f) du 25.05.2023

 

Consultable ici

 

Valeur probante du rapport d’expertise pluridisciplinaire / 44 LPGA

Revenu d’invalide selon ESS – âge de la personne assurée – Facteur étranger à l’invalidité

Revenu sans invalidité selon ESS – Niv. de compétences 1 in casu

 

Assurée, née en 1971, ayant travaillé en dernier lieu à temps partiel comme livreuse de repas à domicile (du 01.10.2005 au 30.04.2012), puis comme auxiliaire de santé polyvalente (du 01.05.2012 au 30.11.2014). Par décisions des 16.03.2011 et 03.05.2016, l’office AI a rejeté les deux premières demandes de prestations de l’assurance-invalidité déposée par la prénommée.

Le 10.04.2018, l’assurée a déposé une troisième demande de prestations. L’office AI a entre autres mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. Dans un rapport établi le 09.02.2021, les médecins-experts (spécialiste en médecine interne générale, en psychiatrie et psychothérapie et en rhumatologie) ont diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – une douleur de l’épaule gauche sur arthropathie acromio-claviculaire, une cervicalgie sans irradiation sur trouble dégénératif, une lombalgie sans irradiation sur trouble dégénératif, une douleur en extension du poignet droit (post ablation d’un kyste, fracture et greffe osseuse) et une douleur des deux gros orteils (post chirurgie pour hallux valgus à l’âge de 18 ans); l’assurée ne pouvait plus exercer son activité habituelle depuis le 30.09.2017. Dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites, les médecins ont indiqué que l’assurée disposait d’une capacité de travail de 100%. Par décision du 09.03.2021, l’office AI a nié le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 149/21 – 160/2022 – consultable ici)

Par jugement du 23.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

2.1. Lorsque l’administration entre en matière sur une nouvelle demande (art. 87 al. 3 RAI), elle doit procéder de la même manière que dans les cas de révision au sens de l’art. 17 LPGA et comparer les circonstances prévalant lors de la nouvelle décision avec celles existant lors de la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente (ATF 130 V 71) pour déterminer si une modification notable du taux d’invalidité justifiant la révision du droit en question est intervenue.

 

Rapport de l’expertise pluridisciplinaire

Consid. 5.2
En l’espèce, mise à part la référence à la divergence d’opinions entre le médecin traitant, d’une part, et les médecins du centre d’expertise, d’autre part, l’assurée ne fait état d’aucun élément concret susceptible de remettre en cause les conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, ni de motifs susceptibles d’établir le caractère arbitraire de leur appréciation. En particulier, les médecins experts ont pris connaissance du résultat des IRM lombaires; ils ont indiqué que ces examens avaient montré des sacro-iliaques « parfaitement normales », avec des signes uniquement dégénératifs, sans aucun élément en faveur d’une spondylarthrite ankylosante. Quoi qu’en dise l’assurée, la tomographie par émission monophotonique (Spect) du corps entier réalisées en date du 12 juillet 2021 n’infirme par ailleurs nullement les conclusions des experts. Dans le rapport y relatif, le médecin responsable ne fait pas de lien entre les atteintes constatées (atteinte inflammatoire de l’articulation sacro-iliaque et, notamment, enthésite du tendon d’Achille) et la suspicion d’une spondyloarthrite. De plus, l’assurée ne conteste pas le fait qu’elle ne répond pas au traitement médical d’une spondylarthropathie et qu’elle est HLA B27 négative. Quant aux autres critères de classification d’une spondylarthropathie que l’assurée met en avant, ils reposent essentiellement sur son ressenti personnel. Le fait que l’assurée annonce des problèmes de fatigue, de douleurs, d’imprévisibilité, de stress et de concentration n’établissent par conséquent pas en quoi les juges cantonaux auraient suivi de manière arbitraire les conclusions des médecins experts. Pour le surplus, les experts se sont fondés non pas sur la manière dont l’assurée ressent et perçoit ses facultés de travail, mais ont établi la mesure de ce qui est raisonnablement exigible de sa part le plus objectivement possible. Dans ces circonstances, et compte tenu également du fait, tiré de l’expérience de la vie, qu’en raison du lien de confiance (inhérent au mandat thérapeutique) qui l’unit à son patient, le médecin traitant est généralement enclin à prendre parti pour celui-ci (ATF 135 V 465 consid. 4.5; 125 V 351 consid. 3a/cc et les références), il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux.

 

Revenu d’invalide

Consid. 6.2
Dans le domaine de l’assurance-invalidité, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 de l’ESS, à la ligne « total secteur privé »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b), étant précisé que, depuis l’ESS 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_tirage_skill_ level (ATF 142 V 178).

La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral. En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.3
En l’espèce, l’assurée n’expose aucun élément qui justifierait de s’écarter du revenu avec invalidité fixé par la juridiction cantonale. En particulier, elle ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter du salaire de référence auquel peuvent prétendre les femmes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples de la table TA1_tirage_skill_level. Cette valeur statistique s’applique en effet à tous les assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne activité parce qu’elle est trop astreignante pour leur état de santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans des travaux légers (arrêts 9C_603/2015 du 25 avril 2016 consid. 8.1 et 9C_692/2015 du 23 février 2016 consid. 3.1 et la référence). Le marché équilibré du travail pris en considération dans le domaine de l’assurance-invalidité (à ce sujet, voir arrêt 9C_659/2014 du 13 mars 2015 consid. 5.3 et les références) offre par ailleurs un éventail suffisamment large d’activités légères, dont on doit admettre qu’un nombre significatif d’entre elles sont accessibles à l’assurée sans aucune formation préalable particulière et compatibles avec les limitations fonctionnelles décrites par les experts. En tant que facteur étranger à l’invalidité, il n’y a en outre pas lieu de tenir compte du fait que l’âge de la personne assurée peut avoir une influence négative sur la recherche d’emploi (arrêt 8C_808/2013 du 14 février 2014 consid. 7.3). Pour le surplus, par la simple énumération des circonstances personnelles et professionnelles susceptibles d’être prises en considération au titre de l’abattement, l’assurée n’établit pas que la juridiction cantonale aurait excédé ou abusé de son pouvoir d’appréciation en prenant en considération un abattement de 10%. Mal fondé, les griefs doivent être rejetés.

 

Consid. 7
C’est finalement en vain que l’assurée conteste son revenu sans invalidité en faisant valoir qu’il aurait dû être déterminé en fonction d’un niveau de compétence 2 de l’ESS. En tant qu’auxiliaire de santé polyvalente, chargée de la livraison de repas, l’assurée exerçait avant la survenance de son atteinte de la santé une tâche physique ou manuelle simple (niveau de compétence 1 de l’ESS), comme l’a constaté sans arbitraire la juridiction cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_325/2022 consultable ici

 

9C_601/2022 (f) du 06.06.2023 – Absence de mise en œuvre des débats publics sollicités – 6 par. 1 CEDH / Interpellation du recourant en cas de doute

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_601/2022 (f) du 06.06.2023

 

Consultable ici

 

Absence de mise en œuvre des débats publics sollicités / 6 par. 1 CEDH

Interpellation du recourant en cas de doute

 

Par décision du 08.04.2021, l’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité pour les périodes du 01.07.2017 au 31.03.2018, puis du 01.06.2018 au 31.05.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 181/21 – 355/2022 – consultable ici)

Dans son recours, l’assurée a conclu principalement au versement d’une rente entière d’invalidité postérieurement au 31.03.2018, subsidiairement au renvoi de la cause à l’office AI pour instruction complémentaire au sens des considérants. Elle a sollicité la mise en œuvre de débats publics. Le recours a été rejeté par arrêt du 24.11.2022.

 

TF

Consid. 2.1
Dans un grief d’ordre formel, l’assurée se plaint d’une violation de l’art. 6 par. 1 CEDH, en tant que son droit à la tenue de débats publics aurait été violé. L’assurée fait à cet égard grief à la juridiction cantonale de n’avoir pas mis en œuvre des débats publics qu’elle avait clairement sollicités dans son recours du 11 mai 2021. Elle se réfère à l’arrêt 9C_349/2022 du 22 novembre 2022.

Consid. 2.2
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a rappelé que l’art. 6 par. 1 CEDH donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil – comme c’est le cas en l’espèce (ATF 122 V 47 consid. 2a) -, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. La tenue de débats publics doit, sauf circonstances exceptionnelles, avoir lieu devant les instances judiciaires précédant le Tribunal fédéral. Il appartient à ce titre au recourant, sous peine de forclusion, de présenter une demande formulée de manière claire et indiscutable. Saisi d’une telle demande, le juge doit en principe y donner suite. Il peut cependant s’en abstenir dans les cas prévus par l’art. 6 par. 1, deuxième phrase, CEDH, lorsque la demande est abusive, chicanière, ou dilatoire, lorsqu’il apparaît clairement que le recours est infondé, irrecevable ou, au contraire, manifestement bien fondé ou encore lorsque l’objet du litige porte sur des questions hautement techniques (ATF 141 I 97 consid. 5.1; 136 I 279 consid. 1; 134 I 331 consid. 2.3; 122 V 47 précité consid. 3b). Enfin, la publicité des débats implique le droit pour le justiciable de plaider sa cause lui-même ou par l’intermédiaire de son mandataire (arrêt 8C_136/2018 du 20 novembre 2018 consid. 4.2 et les arrêts cités). En cas de doute sur la nature de la demande, il appartient au tribunal saisi d’interpeller la partie requérante (ATF 127 I 44 consid. 2e/bb; arrêt 8C_221/2020 du 2 juillet 2020 consid. 3.2 et la référence).

Consid. 2.3
En l’espèce,
la demande de tenue d’une audience publique au sens de la CEDH a été formulée en temps utile par l’assurée dans son recours cantonal. Bien que la dernière phrase de la motivation y relative figurant en p. 4 du recours cantonal « III. Moyens de preuve et audience publique » paraisse tronquée, la demande ne pouvait pas être rejetée au motif que l’assurée avait demandé la tenue d’une audience publique sans en préciser le but et sans invoquer l’art. 6 par. 1 CEDH et la jurisprudence y relative (cf. consid. 15 de l’arrêt attaqué, p. 22). En effet, la demande tendait non seulement à l’administration de preuves (la production complète du dossier de l’office AI intimé ainsi que la mise en œuvre d’expertises médicale et ergothérapeutique), mais aussi à « la mise en œuvre de débats publics, afin que les juges puissent se rendre compte de l’importance de ». Ainsi que la juridiction cantonale le relève à juste titre dans sa détermination du 28.04.2023, en se référant à l’arrêt 9C_349/2022 précité, il lui appartenait en pareilles circonstances d’interpeller l’assurée pour connaître la nature exacte de sa demande, ce qu’elle a omis de faire. Il est évident par ailleurs qu’aucune des exceptions au principe de la publicité mentionnée à l’art. 6 par. 1 CEDH n’est réalisée.

Consid. 2.4
En définitive, en l’absence d’un motif qui s’opposait d’emblée à la tenue d’une audience publique en instance cantonale et compte tenu de la demande de l’assurée, que celle-ci invoque avoir formulé pour plaider sa cause par l’intermédiaire de son conseil, il y a lieu d’admettre que la procédure cantonale est entachée d’un vice de procédure qui entraîne d’emblée l’annulation de l’arrêt entrepris, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 134 I 331 consid. 3.1).

Consid. 3
Compte tenu de ce qui précède, la cause doit être renvoyée à la juridiction cantonale afin qu’elle donne suite à la requête de débats publics conformément à ce qui précède et statue à nouveau.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_601/2022 consultable ici

 

8C_699/2022 (f) du 15.06.2023 – Remboursement d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec la pandémie de Covid-19 – 31 LACI – 25 al. 1 LPGA / Perte de travail suffisamment contrôlable – 46b OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_699/2022 (f) du 15.06.2023

 

Consultable ici

 

Restitution d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec la pandémie de Covid-19 / 31 LACI – 25 al. 1 LPGA

Perte de travail suffisamment contrôlable / 46b OACI

Principe de la proportionnalité / 5 al. 2 Cst.

 

Les 15.12.2020 et 16.12.2020, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a effectué auprès de A.__ SA un contrôle portant sur les indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) – en lien avec la pandémie de Covid-19 – perçues par cette entreprise en faveur de ses employés entre mars 2020 et septembre 2020.

Par décision, confirmée sur opposition, le SECO a demandé à A.__ SA de rembourser à la Caisse cantonale de chômage du canton de Vaud (ci-après: la caisse de chômage) un montant de 388’202 fr. 25, correspondant à des indemnités en cas de RHT versées à tort pour la période de mars 2020 à août 2020.

 

Procédure cantonale (arrêt B-4559/2021 – consultable ici)

Les juges du Tribunal administratif fédéral ont retenu que le plan de la société A.__ SA relatif à la réduction du temps de travail (ci-après: le plan) prévoyait, de manière globale pour chaque semaine, le pourcentage du temps de travail habituel (20% dès le 18.03.2020 puis 10% dès le 01.04.2020) que chacun des collaborateurs était appelé à respecter. La société A.__ SA n’avait toutefois instauré aucun contrôle des heures effectivement effectuées par les employés. Une telle manière de faire ne respectait pas la jurisprudence relative à l’art. 46b al. 1 OACI, qui exigeait en particulier que les heures travaillées soient relevées au moins quotidiennement par l’employé lui-même ou par son supérieur. Un rapport établi pour la société A.__ SA par une fiduciaire indiquait d’ailleurs qu’il était « certain que [la société A.__ SA] ne dispos[ait] pas d’un pointage d’heures et que par conséquent, il [était] difficile de définir avec exactitude le nombre d’heures faites par les employés chaque jour ». En outre, il ressortait du rapport du SECO consécutif au contrôle des 15.12.2020 et 16.12.2020 qu’il n’y avait pas de contrôle du temps de travail fiable et précis au sein de l’entreprise. La brochure « Info-Service » du SECO, qui satisfaisait à l’obligation de renseigner prévue à l’art. 27 al. 1 LPGA, prévoyait le devoir d’instaurer un système de contrôle du temps de travail expressément destiné à « rendre compte quotidiennement des heures de travail fournies ». Par ailleurs, quand bien même la société A.__ SA soutenait que certains collaborateurs auraient travaillé moins que ce qui était prévu par le plan et que cela n’aurait pas porté préjudice à l’État, il n’était pas possible d’être certain que le temps de travail planifié n’avait jamais été dépassé. Le fait que la société A.__ SA avait indiqué que ses employés n’effectuaient pas d’heures supplémentaires n’y changeait rien.

En définitive, la société A.__ SA n’apportait aucun élément propre à établir qu’elle avait effectué un contrôle des heures de travail conformément à ce qu’exigeait la jurisprudence. Ce n’était que dans le cadre d’une éventuelle demande de remise de l’obligation de restituer que la société A.__ SA – qui ne pouvait pas tirer avantage de sa méconnaissance du droit – pouvait se prévaloir de la protection de sa bonne foi. Même s’il était notoire que la pandémie de Covid-19 avait conduit à une baisse importante du nombre d’heures de travail des salariés actifs dans le secteur du voyage, rien ne permettait en l’espèce de déterminer avec précision l’ampleur de cette baisse. Seules des estimations ou des approximations auraient été envisageables, c’est-à-dire des procédés guère compatibles avec les exigences strictes posées par la réglementation en vigueur. La société A.__ SA ne pouvait rien tirer non plus du fait que son chiffre d’affaires avait subi une baisse considérable durant la période litigieuse, dès lors que le chiffre d’affaires n’était pas directement lié au nombre d’heures de travail et qu’il ne permettait pas de déterminer l’ampleur, à l’heure près, de la réduction de l’horaire de travail.

Par jugement du 20.10.2022, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 5.1.1
Les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail lorsqu’ils remplissent les conditions décrites à l’art. 31 al. 1 let. a à d LACI. Selon l’art. 31 al. 3 let. a LACI, n’ont notamment pas droit à l’indemnité les travailleurs dont la réduction de l’horaire de travail ne peut pas être déterminée ou dont l’horaire de travail n’est pas suffisamment contrôlable. Aux termes de l’art. 46b OACI, la perte de travail n’est suffisamment contrôlable que si le temps de travail est contrôlé par l’entreprise (al. 1); l’employeur conserve les documents relatifs au contrôle du temps de travail pendant cinq ans (al. 2).

Consid. 5.1.2
Selon la jurisprudence, l’obligation de contrôle par l’employeur de la perte de travail résulte de la nature même de l’indemnité en cas de RHT: du moment que le facteur déterminant est la réduction de l’horaire de travail (cf. art. 31 al. 1 LACI) et que celle-ci se mesure nécessairement en proportion des heures normalement effectuées par les travailleurs (cf. art. 32 al. 1 let. b LACI), l’entreprise doit être en mesure d’établir, de manière précise et si possible indiscutable, à l’heure près, l’ampleur de la réduction donnant lieu à l’indemnisation pour chaque assuré bénéficiaire de l’indemnité. La perte de travail pour laquelle l’assuré fait valoir ses droits est ainsi réputée suffisamment contrôlable uniquement si les heures effectives de travail peuvent être contrôlées pour chaque jour: c’est la seule façon de garantir que les heures supplémentaires qui doivent être compensées pendant la période de décompte soient prises en considération dans le calcul de la perte de travail mensuelle. A cet égard, les heures de travail ne doivent pas nécessairement être enregistrées mécaniquement ou électroniquement. Une présentation suffisamment détaillée et un relevé quotidien en temps réel des heures de travail au moment où elles sont effectivement accomplies sont toutefois exigés. De telles données ne peuvent pas être remplacées par des documents élaborés par après. En effet, l’établissement a posteriori d’horaires de travail ou la présentation de documents signés après coup par les salariés contenant les heures de travail effectuées n’ont pas la même valeur qu’un enregistrement simultané du temps de travail et ne satisfont pas au critère d’un horaire suffisamment contrôlable au sens de l’art. 31 al. 3 let. a LACI. Cette disposition vise à garantir que les pertes d’emploi soient effectivement vérifiables à tout moment pour les organes de contrôle de l’assurance chômage. Il s’agit d’une situation similaire à l’obligation de tenir une comptabilité commerciale (cf. art. 957 CO) (arrêts 8C_681/2021 du 23 février 2022 consid. 3.3 et 3.4; 8C_26/2015 du 5 janvier 2016 consid. 2.3 et les références citées).

Consid. 5.1.3
Selon l’art. 25 al. 1, première phrase, LPGA, auquel renvoie l’art. 95 al. 1 LACI, les prestations indûment touchées doivent être restituées. L’obligation de restituer suppose que soient réunies les conditions d’une reconsidération (caractère sans nul doute erroné de la décision et importance notable de la rectification) ou d’une révision procédurale de la décision par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 142 V 259 consid. 3.2; 138 V 426 consid. 5.2.1; 130 V 318 consid. 5.2).

 

Consid. 5.2.1
En l’espèce,
la société A.__ SA a exposé devant le Tribunal administratif fédéral que ses employés avaient en temps normal un horaire de travail fixe de 9h00 à 12h00 et de 13h00 à 18h00. Elle tenait à jour un planning des vacances et des absences de chaque collaborateur. A compter du 18.03.2020, elle avait établi un plan précis prévoyant le nombre d’heures à effectuer chaque jour par les employés.

Consid. 5.2.4
Selon les faits constatés par le TAF, la société A.__ SA s’est limitée, à partir du 18.03.2020, à adopter un plan de travail prévoyant le pourcentage de temps de travail (20% puis 10%), de manière globale et pour chaque semaine, attendu de chaque employé. Elle n’a toutefois procédé à aucun contrôle des heures de travail effectivement accomplies. Elle reconnaît du reste ne pas avoir introduit de système de contrôle du temps de travail. Or, quoi qu’elle en dise, un relevé quotidien et en temps réel des heures de travail effectivement effectuées est exigé aux fins de percevoir des indemnités en cas de RHT, pour permettre d’établir à l’heure près l’ampleur de la réduction du temps de travail. La simple estimation du temps de travail à accomplir, de surcroît de manière globale, sans aucun contrôle ni aucune correction a posteriori, s’avère insuffisante au regard de la jurisprudence. S’agissant de la baisse du chiffre d’affaires, c’est à juste titre que le Tribunal administratif fédéral a souligné qu’elle ne permettait pas de déterminer l’ampleur, à l’heure près, de la réduction de l’horaire de travail. Les « nombreux remboursements de voyages » ainsi que les problèmes en lien avec les « prestations payées par avance » évoqués par la société A.__ SA ont d’ailleurs occasionné une certaine charge de travail. On ajoutera, dans le même sens que les juges du TAF, que les indemnités en cas de RHT n’ont pas pour vocation d’assurer la pérennité de l’entreprise ou de couvrir des baisses du chiffre d’affaires ou des pertes d’exploitation (ATF 147 V 359 consid. 4.6.3).

 

 

Consid. 6.1
Consacré à l’art. 5 al. 2 Cst., le principe de la proportionnalité, dont la violation peut être invoquée de manière indépendante dans un recours en matière de droit public (cf. art. 95 al. 1 let. a LTF; ATF 148 II 475 consid. 5; 141 I 1 consid. 5.3.2; 140 I 257 consid. 6.3.1) commande que la mesure étatique soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu’elle soit raisonnable pour la personne concernée (ATF 141 I 1 consid. 5.3.2; 140 I 257 consid. 6.3.1; 140 II 194 consid. 5.8.2).

Consid. 6.2
Amené à se prononcer sur le grief tiré d’une violation du principe de la proportionnalité, le Tribunal administratif fédéral a retenu que la jurisprudence n’exigeait pas la mise en place d’un système de contrôle complexe des heures de travail; des relevés manuscrits par les employés eux-mêmes étaient suffisants, pour autant qu’ils soient quotidiens et qu’ils ne puissent pas être modifiés par la suite. Une telle contrainte n’était pas disproportionnée. En outre, dès lors que seules les heures de travail dont la perte était suffisamment contrôlable donnaient droit à des indemnités en cas de RHT, l’absence de tout contrôle avait pour conséquence qu’aucune des heures de travail perdues ne pouvait donner droit à des indemnités. Ainsi, le principe de la proportionnalité ne permettait pas à la société A.__ SA de se fonder uniquement sur des estimations du temps de travail effectif pour justifier un remboursement seulement partiel des prestations perçues. Le principe de la proportionnalité ne permettait pas non plus de tenir compte de circonstances dont la prise en considération n’était pas prévue par la réglementation, telles que l’absence d’avertissement préalable adressé à la société A.__ SA, la reconnaissance par celle-ci d’une partie de son obligation de restituer ou sa bonne foi. Par ailleurs, la société A.__ SA n’avait fourni aucun élément justifiant l’absence d’un système de contrôle adéquat ou établissant qu’un tel système aurait été superflu. Rien n’indiquait que la pandémie de Covid-19 était à l’origine de problèmes particuliers en lien avec le contrôle du temps de travail. C’était ainsi à tort que la société A.__ SA soutenait que la décision attaquée était une mesure excessive, inutile, injuste et donc disproportionnée.

Consid. 6.4
Comme souligné par les juges du TAF, les art. 31 al. 3 let. a LACI et 46b al. 1 OACI ainsi que la jurisprudence y relative ne laissent guère de place au pouvoir d’appréciation de l’autorité d’application du droit, de sorte que la portée du principe de la proportionnalité dans la mise en oeuvre de ces dispositions apparaît d’emblée restreinte. Dès le moment où l’horaire de travail n’est – comme en l’espèce – pas considéré comme suffisamment contrôlable sur une période donnée, l’octroi d’indemnités même partielles n’entre en principe pas en ligne de compte. Les juges du TAF ont par ailleurs relevé à juste titre que rien n’aurait empêché la société A.__ SA de mettre en place un système de contrôle des heures de travail effectivement effectuées. On ne voit pas en quoi la pandémie de Covid-19 aurait constitué un obstacle à l’instauration d’un tel système, qui pouvait se limiter à un simple relevé quotidien des heures de travail par les employés eux-mêmes. La société A.__ SA ne conteste d’ailleurs pas qu’un tel système était possible, puisqu’elle indique qu’un relevé d’heures plus détaillé (que le plan hebdomadaire relatif à la réduction de l’horaire de travail) n’aurait fait que confirmer les horaires effectivement effectués par les employés. L’arrêt entrepris échappe ainsi à la critique et le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de la société A.__ SA.

 

Arrêt 8C_699/2022 consultable ici

 

8C_643/2022 (f) du 07.06.2023 – Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global – 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA / Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_643/2022 (f) du 07.06.2023

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

 

Assuré, né en 1964, directeur d’une société anonyme, a été victime d’un accident le 23.11.2011 : alors qu’il roulait au volant de sa voiture, il est entré en collision avec un camion militaire venant en sens inverse. Polytraumatisé, il a notamment subi de nombreuses fractures du visage et des membres inférieurs.

Dans le cadre de l’instruction médicale, l’assurance-accidents a confié une expertise pluridisciplinaire à un centre d’expertise médicale, qui a rendu son rapport le 05.02.2015. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a – entre autres – a reconnu le droit de l’assuré à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) fondée sur un taux de 40%. Admission du recours par le tribunal cantonal (arrêt du 27.06.2019). Par arrêt du 06.07.2020 (8C_554/2019), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours formé par l’assurance-accidents contre l’arrêt du 27.06.2019 et a renvoyé l’affaire à la juridiction cantonale pour qu’elle ordonne une expertise judiciaire. Ce renvoi était motivé par le fait qu’il existait des doutes concernant le bien-fondé du rapport d’expertise du centre d’expertise, notamment par rapport à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/20 ap. TF – 122/2022 – consultable ici)

Expertise judiciaire qui a été confiée à Hôpital C.___.

Par jugement du 29.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, portant le taux d’IPAI globale à 60%.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, première phrase); elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité (al. 1, seconde phrase); le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité (al. 2).

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_580/2022 du 31 mars 2023 consid. 4.1.1 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). En cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité est fixée d’après l’ensemble du dommage (art. 36 al. 3, première phrase, OLAA). L’indemnité totale ne peut dépasser le montant maximum du gain annuel assuré (art. 36 al. 3, deuxième phrase, OLAA). Il sera équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité; une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible (art. 36 al. 4 OLAA).

Consid. 4.1
En l’espèce, la cour cantonale a d’abord constaté que le rapport du 11 juillet 2022 de l’expertise judiciaire qu’elle avait confiée à l’Hôpital C.___ ensuite de l’arrêt 8C_554/2019 pouvait se voir conférer pleine valeur probante. Sur ces éléments, elle a constaté que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité globale s’élevait, « comme déjà estimée par le centre d’expertise médicale », à un taux de 60%, mais pour des motifs différents, à savoir: sur le plan orthopédique, un taux de 10% pour chaque genou et de 15% pour le coude gauche, soit un taux arithmétique total de 35% (10% + 10% + 15%) pour l’ensemble des atteintes à la santé sur cet axe; sur le plan ophtalmique, un taux de 10% lié à la diplopie binoculaire au regard vers le haut, dès 15°, sur limitation de l’œil gauche et de 5% liée à la sécheresse oculaire, soit un taux arithmétique total de 15% (10% + 5%) pour les deux affections oculaires; sur le plan esthétique, un taux de 10% pour l’hypoglobie, l’affaissement de la pommette gauche ainsi que l’asymétrie de la fente palpébrale, « en l’absence de débat y relatif »; sur le plan ORL, un taux de 0% en raison de l’absence de séquelles de cet ordre.

 

Consid. 4.3
On rappellera d’abord que dans son arrêt du 06.07.2020, le Tribunal fédéral a considéré qu’il existait des indices concrets qui permettaient de douter du bien-fondé de l’expertise du centre d’expertise, notamment en ce qui concernait l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité. Les experts avaient évalué chaque atteinte séparément (affections oculaires 5%; dommages esthétiques 10%; arthrose modérée genou droit 10%; arthrose modérée genou gauche 10%; arthrose avancée huméro-cubitale coude gauche mais pronosupination pas touchée 15%; syndrome d’apnée obstructive du sommeil 5%), sans tenir compte des aggravations prévisibles qui avaient été estimées par les experts à 25% pour le coude et à 30% pour chacun des genoux. En se fondant sur ces chiffres, le Tribunal fédéral a retenu que le taux total qui en résulterait serait de 115% et dépasserait donc le seuil légal de 100%, raison pour laquelle la cour cantonale ne pouvait pas se fonder sur les conclusions émanant des experts du centre d’expertise (arrêt 8C_554/2019 du 6 juillet 2020 consid. 3.6 et 4).

Malgré cette injonction, la cour cantonale a adressé aux experts judiciaires un questionnaire dans lequel elle indiquait les taux et les atteintes précédemment évalués par les experts du centre d’expertise médicale et leur demandait s’ils pouvaient confirmer ces taux. Cette manière de poser les questions conduit cependant à influencer les experts dans leurs réponses. Par ailleurs, les juges cantonaux semblent avoir déterminé le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en mélangeant les réponses données dans le rapport d’expertise du centre d’expertise médicale avec celles ressortant de l’expertise judiciaire, alors même que le rapport du centre d’expertise médicale avait été qualifié de non probant. Quoi qu’il en soit, l’assurance-accidents a également adressé ses questions aux experts judiciaires, en formulant les questions de manière neutre et ouverte. Aussi, c’est sur cette base qu’il convient de déterminer l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.4
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être évaluée sur la base des éléments suivants:

Sur le plan orthopédique, le spécialiste en orthopédie a indiqué que les atteintes des deux genoux et du coude gauche étaient graves et définitives; il a évalué le taux à 10% pour chaque genou et à 15% pour le coude gauche selon le tableau 5 de la CNA (atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses), en précisant que le taux arithmétique était de 35%, respectivement de 30% après pondération.

Sur le plan ophtalmologique, le spécialiste en neurologie, chef de clinique en neuro-ophtalmologie, et le spécialiste FMH en ophtalmologie ont retenu une indemnité pour atteinte à l’intégrité globale de 15%, se composant d’un taux de 10% pour la diplopie binoculaire sur limitation de l’élévation de l’oeil gauche et d’un taux de 5% pour la sécheresse oculaire, en précisant que cette dernière était probablement liée à une atteinte antérieure, qui avait très probablement été aggravée par l’accident.

Sur le plan otorhinolaryngologique, le spécialiste en ORL n’a pas retenu d’atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.5
Au vu de ces appréciations médicales, il y a lieu de constater avec l’assurance-accidents que sur le plan esthétique, aucune atteinte à l’intégrité n’a été retenue par les experts judiciaires et que sur le plan orthopédique, ceux-ci ont retenu un taux pondéré de 30%. En additionnant ainsi les taux de 30% (sur le plan orthopédique) et de 15% (sur le plan ophtalmologique), le taux global de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité s’élève à 45% (cf. arrêt U 23/87 du 6 avril 1989 consid. 3f, publié in RAMA 1989 U 78 p. 357). On rappellera aussi que selon l’art. 36 al. 3 OLAA, en cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est fixée d’après l’ensemble du dommage. En pratique, il est recommandé d’évaluer d’abord chaque dommage séparément et ensuite de procéder à une évaluation globale des atteintes (cf. THOMAS FREI, Die Integritätsentschädigung nach Art. 24 und 25 des Bundesgesetzes über die Unfallversicherung, thèse Fribourg 1998, p. 45). Même si en l’occurrence, une appréciation globale des atteintes à l’intégrité n’a pas été effectuée dans le cadre de l’évaluation consensuelle de l’expertise, le taux de 45% qu’on obtient en additionnant les taux individuels apparaît néanmoins équitable, dès lors que les atteintes concernent différentes parties du corps, qui n’ont pas d’influence les unes sur les autres (cf. FREI, loc. cit.).

Consid. 4.6
Au vu de ce qui précède, l’intimé a droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 45%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_643/2022 consultable ici

 

8C_438/2022 (f) du 26.05.2023 – Stabilisation de l’état de santé – 19 al. 1 LAA / Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_438/2022 (f) du 26.05.2023

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1965, employé depuis le 13.01.1986 en qualité d’ouvrier auprès de l’entreprise B.__. Le 18.05.1986, l’assuré a subi un grave accident de la circulation routière, sa voiture ayant embouti un arbre jouxtant la chaussée alors qu’il cherchait à éviter une collision frontale en raison d’un dépassement téméraire d’un véhicule circulant en sens inverse, ce qui a entraîné le décès de son ami passager; il a lui-même subi plusieurs atteintes, notamment des fractures du fémur droit, du pilon tibial et du tibia droits. Il a subi deux interventions chirurgicales. Après une incapacité totale de travail, l’assuré a repris son activité professionnelle le 24.11.1986. Il a annoncé plusieurs cas de rechutes, notamment en raison des ablations du matériel d’ostéosynthèse (AMO).

Rechute survenue le 2 octobre 2017 (gonalgies droites). L’assurance-accidents a pris en charge ce cas de rechute. L’assuré, qui travaillait entre-temps pour l’entreprise D.__ Sàrl, a été licencié pour la fin du mois d’août 2017.

Examen par le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, en février 2019 : du point de vue somatique, la situation semblait plutôt favorable. Compte tenu des seules suites de l’accident de 1986, une pleine capacité de travail pouvait être reconnue à l’assuré dans une activité parfaitement adaptée, à savoir idéalement réalisée à la guise de l’assuré en position assise ou debout, sans déplacement rapide ou prolongé (max. 15 minutes), ne nécessitant pas l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de charges lourdes ni les positions agenouillées ou accroupies. IPAI globale estimée à 25%.

Par décision du 28.05.2019, confirmée sur opposition le 27.09.2019, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 13% ainsi qu’une IPAI fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 01.06.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Dans un premier grief, l’assuré fait valoir que son état de santé n’était pas stabilisé le 27.09.2019, au moment de la décision sur opposition litigieuse. Il se fonde sur des rapports médicaux évoquant un traitement chirurgical, voire une arthrodèse. Dès lors qu’un traitement – autre que seulement physiothérapeutique et antalgique – était encore envisageable pour améliorer l’état de sa cheville droite et qu’une prothèse avait été posée ultérieurement, l’assuré estime que son état de santé n’était pas stabilisé en date du 27.09.2019.

Dans le premier rapport, le médecin à la Clinique de la douleur a mentionné que l’arthrose de la cheville droite serait imputable à l’accident, son évolution progressive et son pronostic ne pouvant être appréciés qu’avec des contrôles réguliers; l’aggravation de l’arthrose post-traumatique du pied droit nécessitait un traitement intensif de physiothérapie et la poursuite du traitement antalgique. L’hypothèse de la pose d’une prothèse ou d’une arthrodèse a été évoquée mais pas de manière concrète à ce stade. Quant au deuxième rapport, il ne mentionne pas la nécessité d’une intervention chirurgicale mais souligne que si l’assuré devait souffrir de douleurs malgré le traitement conservateur, une intervention pourrait être envisagée, à savoir une arthrodèse (fixation de l’articulation), laquelle apporterait un soulagement comparable à celui escompté après une infiltration. En tout état de cause, il ne ressort pas des rapports médicaux qui précèdent qu’une arthrodèse au niveau de la cheville droite de l’assuré apporterait une sensible amélioration de son état de santé, l’assuré souffrant par ailleurs de problèmes dégénératifs au niveau de plusieurs de ses articulations. Vu ce qui précède, les rapports médicaux dont se prévaut l’assuré ne permettent pas de remettre en cause la date de stabilisation de son état de santé fixée au 27.09.2019.

 

Consid. 4.3.1
L’assuré demande qu’un abattement d’au moins 10% soit effectué sur son revenu d’invalide dès lors qu’il subirait un désavantage salarial dans la recherche d’un nouvel emploi en raison de ses limitations fonctionnelles, de son âge (54 ans) et du fait qu’avant de perdre son dernier emploi, il avait été six ans au service du même employeur et aurait donc perdu la progression salariale y afférente.

Consid. 4.3.2
La cour cantonale a constaté que l’assurance-accidents avait fixé à 74’150 fr. le revenu sans invalidité à prendre en considération pour le calcul de la rente d’invalidité, montant qui n’était pas contesté par l’assuré. Pour ce qui est du revenu d’invalide, la cour cantonale s’est référée aux données de l’ESS 2016, en prenant pour base le salaire auquel peuvent prétendre les hommes dans des tâches physiques ou manuelles simples (niveau de compétence 1) dans le secteur privé, soit 5’340 fr. par mois pour 40 heures de travail par semaine (tableau TA1_tirage_skill_level). Après adaptation à l’évolution des salaires et à la durée normale dans les entreprises en 2019 (41,7 heures), il en résultait un montant annuel de 67’743 fr. En outre, la cour cantonale a confirmé l’abattement de 5% retenu par l’assurance-accidents pour prendre en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré, ce qui portait le revenu d’invalide à 64’355 fr. 85.

Consid. 4.3.3
En ce qui concerne l’étendue de l’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch »), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1; 132 V 393 consid. 3.3).

Consid. 4.3.4
L’assuré n’expose pas – et on ne voit pas – en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré en raison de son âge. En outre, étant âgé de 53 ans au moment de la naissance du droit à la rente, respectivement de 54 ans au moment de la décision sur opposition, l’assuré n’avait pas encore atteint l’âge à partir duquel le Tribunal fédéral reconnaît généralement que ce facteur peut être déterminant et nécessite une approche particulière (arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.2; 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4.2). Comme les activités adaptées envisagées du niveau de compétence 1 ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis. En outre, il faut rappeler que ces emplois non qualifiés sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur un marché du travail équilibré (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1; arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.3.4.2; 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2).

Consid. 4.3.5
En ce qui concerne la prise en compte d’un abattement lié aux années de service, elle n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétence 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (voir 8C_103/2018 précité consid. 5.2). Il en irait différemment à partir du niveau de compétence 2, s’agissant d’emplois qualifiés dans lesquels l’expérience professionnelle accumulée auprès d’un même employeur est davantage valorisée.

Consid. 4.3.6
En conclusion, seules les limitations fonctionnelles de l’assuré – prohibant les déplacements rapides ou prolongés au-delà de 15 minutes, l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de lourdes charges ainsi que les positions agenouillées ou accroupies – ont une incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Dès lors que l’assurance-accidents avait tenu compte desdites limitations pour réduire le salaire statistique de 5%, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de s’en écarter.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_438/2022 consultable ici

 

9C_198/2022 (f) du 30.05.2023, destiné à la publication – Montant de la rente d’invalidité AI – Coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale / ALCP – Règl. (CE) n° 883/2004 – Convention de sécurité sociale entre la Suisse et le Portugal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_198/2022 (f) du 30.05.2023, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Montant de la rente d’invalidité AI – Coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale / ALCP – Règl. (CE) n° 883/2004 – Convention de sécurité sociale entre la Suisse et le Portugal

Prise en compte des périodes de cotisations accomplies au Portugal / art. 12 de la Convention entre la Suisse et le Portugal.

 

Assuré, ressortissant portugais, a travaillé dans son pays d’origine de 1973 à 1983 et en Suisse depuis 1985, où il s’est installé en mars 1989. L’office AI lui a octroyé une rente entière d’invalidité dès le 01.01.2018. Sa rente s’élevait à 1’592 fr. par mois (à partir du 01.09.2021). Elle était calculée en fonction d’un revenu annuel moyen déterminant de 48’756 fr., d’une durée de cotisations de 30 années et 8 mois, ainsi que de l’échelle de rente 37.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2021 173 – consultable ici)

Par jugement du 27.08.2015, rejet du recours de l’assuré – reprochait à l’office AI de ne pas avoir pris en compte ses périodes de cotisations accomplies au Portugal – par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’assuré est un ressortissant d’un Etat partie à l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP). Il a exercé des activités salariées en Suisse et est au bénéfice d’une rente de l’assurance-invalidité suisse. Le litige relève ainsi de la coordination européenne des systèmes nationaux de sécurité sociale.

Consid. 3.2
Jusqu’au 31 mars 2012, les Parties à l’ALCP appliquaient entre elles le Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (RO 2004 121; ci-après: le règlement n° 1408/71). Une décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31 mars 2012 (RO 2012 2345) a actualisé le contenu de l’Annexe II à l’ALCP avec effet au 1er avril 2012. Il a été prévu, en particulier, que les Parties appliqueraient désormais entre elles le Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, modifié par le Règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (ci-après: le règlement n° 883/2004; RS 0.831.109.268.1).

Consid. 3.3
Le droit de l’assuré à une rente d’invalidité est en l’espèce né le 01.01.2018, après l’entrée en vigueur du règlement n° 883/2004. Ratione temporis, le présent cas doit ainsi être tranché à la lumière de ce règlement.

Consid. 4.1
Au préalable, il convient de rappeler qu’avec l’entrée en vigueur simultanée de l’ALCP et du règlement n° 1408/71 le 1er juin 2002, la coordination des régimes de sécurité sociale entre la Suisse et le Portugal était passée d’un système de convention dite de type A à un système de convention dite de type B. Le premier système était celui dans lequel l’invalide qui en remplit les conditions reçoit une seule rente d’invalidité versée par l’assurance à laquelle il était affilié lors de la survenance de l’invalidité en fonction de la totalité des périodes de cotisations, y compris celles accomplies dans l’autre pays. Tel était le cas de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal (ci-après: la Convention entre la Suisse et le Portugal; RS 0.831.109.654.1). Le second système était celui dans lequel l’invalide qui a cotisé successivement dans les deux Etats perçoit une rente partielle de chacun des pays concernés calculée au pro rata des périodes d’assurance accomplies.

Consid. 4.2
Sous le titre « Relation entre le présent règlement et d’autres instruments de coordination », l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 prévoit: « Dans son champ d’application, le présent règlement se substitue à toute convention de sécurité sociale applicable entre les Etats membres. Toutefois, certaines dispositions de conventions de sécurité sociale que les Etats membres ont conclues avant la date d’application du présent règlement restent applicables, pour autant qu’elles soient plus favorables pour les bénéficiaires ou si elles découlent de circonstances historiques spécifiques et ont un effet limité dans le temps. Pour être maintenues en vigueur, ces dispositions doivent figurer dans l’annexe II. Il sera précisé également si, pour des raisons objectives, il n’est pas possible d’étendre certaines de ces dispositions à toutes les personnes auxquelles s’applique le présent règlement. »

Consid. 4.3
Sous le régime du règlement n° 1408/71, le Tribunal fédéral a rappelé que l’art. 20 ALCP prévoyait la suspension des conventions bilatérales entre la Suisse et les Etats parties. Selon cet article, sauf disposition contraire découlant de l’annexe II, les accords de sécurité sociale bilatéraux entre la Suisse et les Etats membres de la Communauté européenne étaient suspendus dès l’entrée en vigueur du présent accord, dans la mesure où la même matière était réglée par le présent accord. Le Tribunal fédéral a par ailleurs retenu que sa jurisprudence rendue sous le régime du règlement n° 1408/71 (ATF 133 V 329) n’excluait pas qu’un assuré fût mis au bénéfice d’une disposition plus favorable d’une convention bilatérale de sécurité sociale, pour autant qu’il eût exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP (ATF 142 V 112).

Dans ce dernier cas, le Tribunal fédéral a examiné la situation d’un ressortissant portugais qui résidait en Suisse depuis 1989, avait bénéficié d’une rente entière de l’assurance-invalidité suisse pour la période du 01.10.1997 au 30.04.1999 et percevait une demi-rente de l’assurance-invalidité suisse depuis le 01.01.2009. Il a jugé que les périodes de cotisations accomplies par l’assuré au Portugal avant son arrivée en Suisse devaient être prises en compte dans le calcul de sa demi-rente pour autant que cette solution fût plus favorable à l’assuré. Il s’est fondé sur l’ATF 133 V 329 selon lequel il y avait lieu de reprendre le principe de l’application des dispositions plus favorables d’une convention bilatérale de sécurité sociale, tel que dégagé par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE; devenue entre-temps la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE]; arrêt du 7 février 1991, Rönfeldt, C-227/89, Rec. 1989, p. I-323, précisé par l’arrêt du 9 novembre 1995, Thévenon, C-475/93, Rec. 1995, p. I-3813). Selon la CJCE, l’application du règlement n° 1408/71 ne devait pas conduire à la perte des avantages de sécurité sociale résultant de conventions de sécurité sociale en vigueur entre deux ou plusieurs Etats membres et intégrées à leur droit national. Autrement dit, le travailleur qui avait exercé son droit à la libre circulation des personnes ne devait pas être pénalisé du fait des règlements communautaires par rapport à la situation qui aurait été la sienne si elle avait été régie par la seule législation nationale. La jurisprudence européenne reposait aussi sur l’idée que l’intéressé était en droit, au moment où il avait exercé son droit à la libre circulation, d’avoir une confiance légitime dans le fait qu’il pourrait bénéficier des dispositions de la convention bilatérale (arrêt du 5 février 2002, Kaske, C-277/99, Rec. 2002 p. I-1261, point 27). Le principe selon lequel l’application de la réglementation européenne de coordination ne devait pas entraîner la diminution (ou la perte) des avantages de sécurité sociale prévus par des conventions de sécurité sociale a été développé à partir de l’arrêt Petroni (arrêt de la CJCE du 24 octobre 1975, Petroni, 24/75 Rec. p. 1149; cf. arrêt Röntfeldt précité, point 26). Dans cet arrêt, la CJCE a reconnu que les dispositions du règlement n° 1408/71 ne pouvaient pas être appliquées de manière à priver un travailleur migrant du bénéfice d’une prestation résultant de la seule législation nationale ou à réduire son montant. La doctrine parle à cet égard du « principe Petroni » (ARNO BOKELOH, Das Petroni-Prinzip des Europäischen Gerichtshofes, ZESAR 03/12 p. 121 ss; cf. aussi SEAN VAN RAEPENBUSCH, Les rapports entre le Règlement [CEE] n° 1408/71 et les conventions internationales dans le domaine de la sécurité sociale des travailleurs circulant à l’intérieur de la communauté, Cahiers de droit européen 1991, p. 449 ss).

Consid. 5.1
Dans l’ATF 142 V 112, le Tribunal fédéral a relevé que l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 reprenait le principe de l’application des conventions de sécurité sociale plus favorables (cf. art. 7 par. 2 let. c du règlement n° 1408/71), que les dispositions plus favorables de ces conventions devaient figurer à l’annexe II du règlement pour être maintenues en vigueur et que l’annexe II ne contenait aucune disposition concernant les relations entre la Suisse et le Portugal. Il a laissé ouverte la question de savoir si la jurisprudence de l’ATF 133 V 329 (cf. consid. 4.3 supra) et la jurisprudence européenne sur laquelle elle se fondait demeuraient applicables sous le régime du règlement n° 883/2004 dans la mesure où l’assuré avait droit quoi qu’il en soit au maintien de sa situation acquise au 31 mars 2012.

Consid. 5.2
L’assuré se prévaut de l’application des dispositions de la Convention entre la Suisse et le Portugal en vertu de la jurisprudence publiée aux ATF 142 V 112. Comme il est en l’occurrence un ressortissant portugais qui a exercé son droit à la libre circulation en travaillant en Suisse dès 1985 (avant l’entrée en vigueur de l’ALCP) et dont le droit à une rente entière de l’assurance-invalidité suisse est né le 01.01.2018 (après l’entrée en vigueur du règlement n° 883/2004), il convient de répondre à la question laissée ouverte dans l’ATF 142 V 112.

Il s’agit donc de déterminer s’il y a lieu de tenir compte, ou non, des périodes de cotisations accomplies au Portugal conformément à l’art. 12 de la Convention entre la Suisse et le Portugal.

 

Consid. 5.3.1
Comme mentionné (cf. consid. 4.2 et 5.1 supra), l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 reprend le principe de l’applicabilité des dispositions plus favorables des conventions bilatérales de sécurité sociale sous réserve que ces dispositions figurent à l’annexe II. Cette annexe ne contient aucune disposition maintenue en vigueur dans les relations entre la Suisse et le Portugal. Le fait que le règlement n° 883/2004 est une convention de type B (cf. consid. 4.1 supra) et que l’annexe II ne maintient pas en vigueur des dispositions entre la Suisse et le Portugal a conduit les premiers juges à exclure l’application de la Convention entre la Suisse et le Portugal et la prise en considération des périodes de cotisations accomplies au Portugal dans le calcul de la rente de l’assurance-invalidité suisse.

Consid. 5.3.2
L’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 remplace l’art. 6 du règlement n° 1408/71 qui, en relation avec l’art. 7 par. 2 let. c dudit règlement, prévoyait que nonobstant la substitution du règlement n° 1408/71 à toute convention de sécurité liant exclusivement deux ou plusieurs Etats membres (let. a), les dispositions de conventions de sécurité sociale mentionnées à l’annexe III restaient applicables. L’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 prend en considération la jurisprudence de la CJCE rendue sous l’empire du règlement précédent, puisqu’il prévoit expressément la condition (alternative) selon laquelle, pour rester applicables, les dispositions de conventions de sécurité sociale doivent être « plus favorables pour les bénéficiaires » (Heinz-Dietrich Steinmeyer, in Europäisches Sozialrecht, 8e éd. 2022, n° 5 ad art. 8 du règlement n° 883/2004, p. 188).

Les principes dégagés dans l’arrêt Rönfeldt ont été résumés par la CJUE de la manière suivante (arrêt du 22 janvier 2015, Balazs, C-401/13 et C-432/13, points 34 s. et 38) : nonobstant les termes des art. 6 et 7 par. 2 sous c) du règlement n° 1408/71 – dont l’exigence selon laquelle les dispositions conventionnelles restant en vigueur doivent figurer à l’annexe III de ce règlement -, les conventions bilatérales de sécurité sociale continuent à s’appliquer à certaines conditions, même en l’absence de mention à ladite annexe. Ainsi, les dispositions des conventions bilatérales continuent à s’appliquer dans le cas de travailleurs migrants après l’entrée en vigueur du règlement n° 1408/71, indépendamment du point de savoir si elles figurent ou non à l’annexe III de ce règlement, lorsque cette application est plus favorable au travailleur, pour autant que celui-ci ait fait usage de son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de ce règlement (arrêt du 9 novembre 1995, Thévenon, C-475/93, Rec. 1995, p. I-3813). A l’inverse, la CJUE a nié l’application de ces principes lorsque le ressortissant d’un Etat membre a quitté le territoire de celui-ci pour un autre Etat membre plusieurs années avant que l’accord bilatéral de sécurité sociale ait été conclu, la personne concernée ne pouvant avoir de confiance légitime dans le fait qu’elle pourrait bénéficier des dispositions de l’accord bilatéral, celui-ci n’ayant pas encore été conclu à la date de leur retour dans son pays d’origine (arrêt Balazs cité, point 42).

L’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 comprend la même exigence relative aux dispositions conventionnelles devant figurer à l’annexe II du règlement que l’art. 7 par. 2 let. c du règlement n° 1408/71, à laquelle la CJUE – et à sa suite le Tribunal fédéral – a jugé qu’il y avait lieu de déroger dans les circonstances particulières précisées dans l’arrêt Rönfeldt. L’entrée en vigueur de l’art. 8 par. 1 du règlement n° 883/2004 n’a donc rien changé au principe de l’applicabilité des conventions de sécurité sociale plus favorables dans un cas concret, pour autant que les conditions précitées soient réalisées. Les principes dégagés dans l’arrêt Rönfeldt restent applicables sous l’empire du règlement n° 883/2004 (Bernhard Spiegel, in Europäisches Sozialrecht, 8e éd. 2022, n° 4 ad art. 87 et 87a du règlement n° 883/2004, p. 657; dans ce sens, Heinz-Dietrich Steinmeyer, op. cit., n° 11 ad art. 8 du règlement n° 883/2004, p. 189; BOKELOH, op. cit., p. 127; TIMO ZEISKE, Das Statut sozialer Sicherheit bei grenzüberschreitender Arbeitnehmerentsendung, Münster 2016, éd. MV Wissenschaft, p. 117 s.).

Consid. 5.3.3
Cette solution s’appuie également, de manière plus générale, sur l’objectif de l’adoption du règlement n° 883/2004. Celui-ci a remplacé le règlement n° 1408/71 à partir du 1er avril 2012 (cf. consid. 3.2 supra). Les motifs qui ont conduit à son adoption montrent qu’il trouve également sa source dans l’art. 42 du Traité instituant la Communauté européenne et vise donc toujours à éliminer les obstacles à la libre circulation des personnes pouvant résulter de l’absence de coordination des régimes nationaux de sécurité sociale (cf. ATF 133 V 329 consid. 8.6). Cet objectif a en outre été confirmé, voire renforcé. Il ressort effectivement du considérant 3 du préambule du règlement n° 883/2004 que ce dernier a été édicté et adopté en vue de remplacer le règlement n° 1408/71 (dont les nombreuses modifications et mises à jour, qui visaient à tenir compte non seulement des développements intervenus au niveau communautaire, y compris des arrêts de la CJCE, mais également des modifications apportées aux législations nationales, avaient contribué à rendre les règles communautaires de coordination complexes et lourdes) en le modernisant et en le simplifiant. Cela était essentiel à la réalisation de l’objectif de la libre circulation des personnes.

Dans ces circonstances, la jurisprudence développée sous le régime du règlement n° 1408/71 concernant l’applicabilité des dispositions des conventions bilatérales plus favorables reste applicable sous le régime du règlement n° 883/2004. Le remplacement des art. 6 et 7 du premier règlement par l’art. 8 du second n’a en effet entraîné aucune modification substantielle. L’objectif poursuivi par la réglementation, à savoir l’élimination la plus complète possible des obstacles à la libre circulation des personnes pouvant résulter de l’absence de coordination des régimes nationaux de sécurité sociale, n’a pas été modifié avec l’entrée en vigueur du nouveau règlement. Par conséquent, un assuré, qui a exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’ALCP et dont le droit à une rente de l’assurance-invalidité suisse est né après l’entrée en vigueur du règlement n° 883/2004, peut bénéficier d’une disposition plus favorable d’une convention bilatérale de sécurité sociale aussi sous le régime du règlement n° 883/2004.

Consid. 5.4
Ni l’office AI ni la juridiction cantonale n’ont examiné le point de savoir si le système de la Convention entre la Suisse et le Portugal est plus favorable à l’assuré que le système du règlement n° 883/2004. A cet égard, le Tribunal fédéral a considéré que le point de savoir quel système était plus favorable à l’assuré nécessitait un calcul comparatif fondé sur des informations dont l’obtention ne soulevait guère de difficultés pratiques pour les autorités compétentes suisses qui pouvaient s’appuyer sur l’entraide administrative prévue dans les relations transfrontalières dans le domaine de la sécurité sociale (art. 7 de l’Arrangement administratif du 24 septembre 1976 fixant les modalités d’application de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal [RS 0.831.109.654.12]; art. 84 du règlement n° 1408/71; art. 76 ss du règlement n° 883/2004; art. 2 ss du Règlement [CE] n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du règlement n° 883/2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale [RS 0.831.109.268.11]; ATF 142 V 112 consid. 4.5). En conséquence, il convient d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision administrative litigieuse et de renvoyer la cause à l’administration pour qu’elle complète l’instruction sur ce point et rende une nouvelle décision.

 

Le TF admet le recours de l’assuré, annule le jugement cantonal et la décision, renvoyant la cause à l’office AI pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

 

Arrêt 9C_198/2022 consultable ici

 

9C_303/2022 (f) du 31.05.2023 – Rente d’invalidité AI limitée dans le temps pour un assuré âgé de plus de 55 ans – 16 LPGA – 17 LPGA / Examen du besoin de mesures d’ordre professionnel

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_303/2022 (f) du 31.05.2023

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité AI limitée dans le temps pour un assuré âgé de plus de 55 ans / 16 LPGA – 17 LPGA

Examen du besoin de mesures d’ordre professionnel

 

Assuré, né en 1965, a travaillé en dernier lieu comme vendeur dans un grand centre commercial (du 01.07.2008 au 31.08.2019). En arrêt de travail depuis le 18.06.2018, il s’est soumis à une intervention chirurgicale en août 2018 (arthrodèse L4-L5) et en mars 2019 (reprise d’arthrodèse avec ablation et remplacement d’une vis du pédicule L5 droit). Le 19.10.2018, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité.

L’office AI a pris en charge les frais d’une mesure d’orientation professionnelle (évaluation des compétences et du potentiel). L’office AI a ensuite versé à son dossier l’expertise médicale réalisée à la demande de l’assureur perte de gain en cas de maladie. Dans un rapport rendu le 30.09.2019, le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur a conclu que l’assuré ne pouvait plus exercer son activité habituelle, mais disposait d’une capacité de travail entière dans une activité adaptée. Par décision du 20.07.2021, l’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière de l’assurance-invalidité du 01.06.2019 au 30.11.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 333/21 – 148/2022 – consultable ici)

Par jugement du 10.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Le bien-fondé d’une décision d’octroi, à titre rétroactif, d’une rente limitée dans le temps doit être examiné à la lumière des conditions de révision du droit à la rente (ATF 148 V 321 consid. 7.3.1; 125 V 413 consid. 2d et les références). Aux termes de l’art. 17 al. 1 LPGA, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée.

 

Consid. 4.2
A l’inverse de ce que prétend tout d’abord l’assuré, les conclusions du médecin-expert, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur mandaté par l’assurance perte de gain maladie, sont tout à fait compréhensibles, l’expert ayant dûment motivé les diagnostics retenus et leur répercussion sur la capacité de travail. Quant aux algies des membres inférieurs, la juridiction cantonale a constaté sans arbitraire que ces douleurs ne pouvaient pas être expliquées sur un plan objectif, l’expert indiquant qu’il n’y avait aucun signe clinique en faveur d’une souffrance radiculaire aiguë ou d’une compression radiculaire. De plus, si l’expert a certes mentionné que ces douleurs pouvaient être « le reflet d’une certaine surcharge psychogène », la juridiction cantonale a considéré à juste titre que cette seule hypothèse ne suffisait pas à rendre nécessaire une expertise psychiatrique. Les médecins traitants ne suggéraient en effet aucune atteinte à la santé psychique à caractère invalidant dans leurs différents avis et l’assuré n’avait de son côté débuté aucun suivi psychiatrique.

Par ailleurs, la juridiction cantonale n’a pas négligé l’avis des médecins traitants, mais a expliqué les raisons pour lesquelles les constatations des médecins traitants ne commandaient pas de s’écarter de l’évaluation de l’expert. A cet égard, mise à part la référence à la divergence d’opinions entre ses médecins traitants, d’une part, et le médecin-expert, d’autre part, l’assuré ne fait état d’aucun élément concret susceptible de remettre en cause les conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, ni de motifs susceptibles d’établir le caractère arbitraire de leur appréciation. De plus, en se limitant à citer des extraits des rapports des médecins traitants, qui mettraient selon lui en évidence une aggravation de son état de santé, l’assuré ne s’en prend pas de manière suffisante à l’appréciation des juges cantonaux sur l’absence de péjoration. En l’absence d’éléments objectifs en faveur d’une telle péjoration, la juridiction cantonale n’avait pas à ordonner une nouvelle expertise orthopédique. Enfin, en ce qui concerne les limitations fonctionnelles, la juridiction cantonale a, quoi qu’en dise l’assuré, tenu compte de l’ensemble des restrictions mises en évidence sur un plan objectif par l’expert et confirmées par le médecin auprès du Service médical régional ; tant l’absence de marche que la position fixe prolongées dont se prévaut l’assuré font partie des limitations retenues.

 

Consid. 5.1
L’assuré reproche ensuite à la juridiction cantonale de ne pas s’être assurée qu’il pouvait se réadapter par lui-même, compte tenu de son âge (plus de 55 ans), avant l’examen de son droit à une rente d’invalidité. Il en déduit qu’il aurait droit à un abattement de 20% sur le revenu avec invalidité.

Consid. 5.2
Selon la jurisprudence, il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, les organes de l’assurance-invalidité doivent vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en oeuvre de mesures d’ordre professionnel, même si ce dernier a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste (cf. arrêts 9C_211/2021 du 5 novembre 2021 consid. 3.1; 9C_276/2020 du 18 décembre 2020 consid. 6 et les arrêts cités).

Dans un arrêt postérieur à la décision entreprise, le Tribunal fédéral a précisé qu’en cas d’allocation à titre rétroactif d’une rente limitée dans le temps – tout comme lors de la révision selon l’art. 17 LPGA du droit à une rente existante (cf. ATF 141 V 5) -, les organes de l’assurance-invalidité doivent se fonder sur le moment du prononcé de la décision de l’office AI pour déterminer si l’âge de référence de 55 ans est atteint (ATF 148 V 321 consid. 7.3).

Consid. 5.3
Dans la mesure où l’assuré, né en 1965, avait plus de 55 ans au moment où l’office AI s’est prononcé le 20 juillet 2021, il avait droit à ce que le besoin de mesures de réadaptation soit examiné.

A cet égard, selon les faits constatés par la juridiction cantonale, l’office AI a mis en place une mesure d’orientation avec évaluation des compétences et du potentiel (du 05.02.2019 au 07.03.2019). Il en ressortait que l’assuré disposait de ressources pour sa réadaptation professionnelle, laquelle ne nécessitait pas d’exigences particulières au vu des cibles professionnelles adaptées à ses limitations fonctionnelles. De plus, par communication du 19.10.2020, l’office AI avait pris en charge le coût d’une mesure d’aide au placement, afin de tenir compte du besoin de l’assuré d’être accompagné dans sa reconversion professionnelle. Dès lors que l’assuré ne conteste pas les faits établis et les déductions de la juridiction cantonale, il n’y a pas lieu de revenir sur l’appréciation selon laquelle l’assuré était en mesure de se réadapter par soi-même compte tenu de son âge. En tant que celui-ci entend en déduire un abattement sur son revenu avec invalidité, il se prévaut d’une circonstance étrangère aux conditions prévues par la jurisprudence sur ce point (cf. sur les motifs de l’abattement, ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb). Mal fondé, le grief doit être rejeté.

 

Consid. 6.2
Le revenu avec invalidité doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible -, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant notamment de l’ESS (ATF 139 V 592 consid. 2.3). Il convient alors de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 de l’ESS, à la ligne « total secteur privé » (ATF 124 V 321 consid. 3b), étant précisé que, depuis l’ESS 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_skill_ level (ATF 142 V 178).

Consid. 6.3
En l’espèce, l’assuré fait valoir que son revenu avec invalidité aurait dû être déterminé en se référant aux données de l’ESS relative à une activité dans l’industrie alimentaire. Ce faisant, il ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter du salaire de référence auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples, tous secteurs confondus, de la table TA1_tirage_skill_level de l’ESS. Cette valeur statistique s’applique en effet à tous les assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne activité parce qu’elle est trop astreignante pour leur état de santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans des travaux légers (arrêts 9C_603/2015 du 25 avril 2016 consid. 8.1 et 9C_692/2015 du 23 février 2016 consid. 3.1 et la référence).

Par ailleurs, le marché équilibré du travail pris en considération dans le domaine de l’assurance-invalidité (à ce sujet, voir arrêt 9C_659/2014 du 13 mars 2015 consid. 5.3 et les références) offre un éventail suffisamment large d’activités légères, dont on doit admettre qu’un nombre significatif d’entre elles sont accessibles à l’assuré sans aucune formation préalable particulière et compatibles avec les limitations fonctionnelles décrites par l’expert.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_303/2022 consultable ici

 

8C_656/2022 (f) du 05.06.2023 – Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) – Choix de la table IPAI du ressort du médecin et non du juge – 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA / Juge assureur (médecin) au tribunal cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_656/2022 (f) du 05.06.2023

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) – Choix de la table IPAI du ressort du médecin et non du juge / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Juge assureur (médecin) au tribunal cantonal – Double fonction des membres spécialisés des tribunaux cantonaux des assurances sociales (juges et experts) – Juge spécialisé ne remplace pas le recours à un expert indépendant

 

Assuré, né en 1983, travaillait comme aide jardinier. Le 28.08.2018, il a été coupé aux doigts de la main gauche par un taille-haie avec une perte subtotale de la 3e phalange de l’index et une lésion partielle du tendon fléchisseur profond du majeur. Opération le jour même : amputation distale au niveau de la houppe phalangienne de l’index. Séjour en réadaptation du 04.12.2018 au 15.01.2019 où a été diagnostiqué un syndrome douloureux régional complexe (SDRC).

L’assurance-accidents a soumis le cas à la Dre E.___, médecin-conseil, qui a indiqué, dans son appréciation du 29.06.2020, que l’état de santé était stabilisé sur le plan médical et que l’assuré pouvait travailler à 100% sans diminution de rendement dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. Dans une appréciation séparée du même jour, cette praticienne a évalué le taux d’atteinte à l’intégrité à 6%, en appliquant par analogie la table 3 (relative aux atteintes résultant de la perte d’un ou plusieurs segments des membres supérieurs) élaborée par la Division médicale de la CNA pour l’indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA (Révision 2000).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a octroyé une indemnité pour atteinte à l’intégrité au taux de 6%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 139/21 – 126/2022 – consultable ici)

Par jugement du 05.10.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause à l’assurance-accidents pour complément d’instruction au sens des considérants – précisant dans ceux-ci que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait être évaluée sur la base de la table 1 des tables d’indemnité – et nouvelle décision.

 

TF

Consid. 1.1
L’arrêt attaqué admet partiellement le recours de l’assuré. Il confirme la décision sur opposition litigieuse en ce qui concerne la négation du droit à la rente et renvoie la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle complète l’instruction et statue à nouveau sur le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Sur ce dernier point, l’arrêt entrepris constitue une décision incidente au sens de l’art. 93 LTF car il ne met pas fin à la procédure. Une telle décision incidente peut être déférée au Tribunal fédéral sans attendre le prononcé du jugement final lorsque l’assureur social est contraint de rendre une décision qu’il estime contraire au droit et qu’il ne pourra lui-même pas attaquer (cf. ATF 141 V 330 consid. 1.2; 134 II 124 consid. 1.3; 133 V 477 consid. 5.2.4). Cette éventualité est ici réalisée. L’arrêt cantonal a un effet contraignant pour l’assurance-accidents en ce sens qu’elle doit rendre une nouvelle décision sur l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en étant liée par le choix de la table décidé par les juges cantonaux, et qu’elle ne peut pas elle-même attaquer cette décision. Il convient par conséquent d’entrer en matière.

Consid. 1.2
Pour le surplus, le recours est dirigé contre un arrêt rendu en matière de droit public (art. 82 ss LTF) par une autorité cantonale de dernière instance (art. 86 al. 1 let. d LTF). Il a été déposé dans la forme et le délai prévus par la loi (art. 42 et 100 LTF). Il est donc recevable.

 

Consid. 3.2
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité vise à compenser le préjudice immatériel (douleurs, souffrances, diminution de la joie de vivre, limitation des jouissances offertes par l’existence etc.) qui perdure au-delà de la phase du traitement médical et dont il y a lieu d’admettre qu’il subsistera la vie durant (ATF 133 V 224 consid. 5.1 et les références). Elle se caractérise par le fait qu’elle est exclusivement fixée en fonction de facteurs médicaux objectifs, valables pour tous les assurés, et sans égard à des considérations d’ordre subjectif ou personnel (JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3e éd. 2016, n° 311). En cela, elle se distingue de l’indemnité pour tort moral du droit civil, qui procède de l’estimation individuelle d’un dommage immatériel au regard des circonstances particulières du cas. Cela signifie que pour tous les assurés présentant un status médical identique, l’atteinte à l’intégrité est la même (115 V 137 consid. 1; arrêts 8C_106/2021 du 9 mars 2021 consid. 3; 8C_703/2008 du 25 septembre 2009 consid. 5.1 et les références).

Consid. 3.3
Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b; 124 V 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). La Division médicale de la CNA a établi des tables d’indemnisation en vue d’une évaluation plus affinée de certaines atteintes (Indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA). Ces tables n’ont pas valeur de règles de droit et ne sauraient lier le juge. Toutefois, dans la mesure où il s’agit de valeurs indicatives, destinées à assurer autant que faire se peut l’égalité de traitement entre les assurés, elles sont compatibles avec l’annexe 3 à l’OLAA (ATF 124 V 209 consid. 4a/cc; 116 V 156 consid. 3a; arrêt 8C_198/2020 du 28 septembre 2020 consid. 3.1).

Consid. 3.4
L’atteinte à l’intégrité au sens de l’art. 24 al. 1 LAA consiste généralement en un déficit corporel (anatomique ou fonctionnel) mental ou psychique. La gravité de l’atteinte, dont dépend le montant de l’indemnité, se détermine uniquement d’après les constatations médicales. L’évaluation incombe donc avant tout aux médecins qui doivent, d’une part, constater objectivement quelles limitations subit l’assuré et, d’autre part, estimer l’atteinte à l’intégrité en résultant (arrêt 8C_703/2008 du 25 septembre 2009 consid. 5.2 et les références; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., n° 317).

Dans le cadre de l’examen du droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité, il appartient par conséquent au médecin – qui dispose des connaissances spécifiques nécessaires – de procéder aux constatations médicales; telle n’est pas la tâche de l’assureur ou du juge, qui se limitent à faire une appréciation des indications données par le médecin. Le fait que l’administration et le juge doivent s’en tenir aux constatations médicales du médecin ne change rien au fait que l’évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité – en tant que fondement du droit aux prestations légales – est en fin de compte l’affaire de l’administration ou, en cas de litige, du juge, et non celle du médecin. En contrepartie, l’autorité d’application du droit doit à cet égard respecter certaines limites, dans la mesure où des connaissances médicales – dont elle ne dispose pas – revêtent une importance déterminante pour l’évaluation du droit aux prestations. Si, au terme d’une libre appréciation des preuves, elle arrive à la conclusion que les constatations médicales ne sont pas concluantes, il lui appartient en règle générale d’ordonner un complément d’instruction sur le plan médical. Il n’est en revanche pas admissible que le tribunal ne tienne pas compte des éléments pertinents et qu’il fasse prévaloir d’autres considérations sur les constats médicaux (arrêt 8C_68/2021 du 6 mai 2021 consid. 4.3 et les références).

 

Consid. 4.1
Dans sa décision sur opposition, l’assurance-accidents s’était appuyée principalement sur les appréciations médicales de son médecin-conseil, la Dre E.___. Aux termes de son appréciation du 29.06.2020, cette praticienne a notamment relevé que subjectivement, l’assuré déclarait d’importantes douleurs, mentionnant ne rien pouvoir faire avec sa main gauche. Objectivement, la Dre E.___ constatait une absence d’amyotrophie du membre supérieur gauche et aucun signe objectif d’un SDRC encore actif. Elle observait par contre un col de cygne marqué au niveau du 3e doigt et nettement moins prononcé au niveau des 2e et 4e doigts. La force était nettement diminuée au test de Jamar. Toutefois, il existait d’importantes autolimitations au cours de l’examen, de même que des tremblements induits et des discordances. Sur le plan médical, l’état de santé était stabilisé. La Dre E.___ retenait les limitations fonctionnelles suivantes: activités s’exerçant essentiellement avec la main droite chez cet assuré droitier, la main gauche pouvant uniquement servir d’aide mais ne pouvant pas effectuer d’activités manuelles; pas d’activités au froid mais une activité s’exerçant à l’intérieur. Dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles, l’assuré pouvait travailler à 100% sans diminution de rendement. Dans l’ancienne activité et dans toutes les activités bimanuelles, la capacité de travail était nulle. Dans une appréciation séparée du même jour, la Dre E.___ a évalué le taux d’atteinte à l’intégrité à 6%. Elle a exposé que dans la table 1 des atteintes à l’intégrité résultant de troubles fonctionnels des membres supérieurs, il n’y avait aucune atteinte des doigts qui correspondait à un taux d’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Cela étant, par analogie, et au vu du manque de mobilité du 3e doigt, elle a considéré que l’assuré présentait des séquelles correspondant à l’image 10 de la table 3 (Révision 2000), à savoir une amputation du 3e doigt, ce qui conduisait à retenir une atteinte à 6%.

Dans son rapport du 06.09.2021, la Dre E.___ a confirmé son appréciation après avoir pris position sur les rapports médicaux présentés par l’assuré, notamment ceux qui concernaient l’indemnité pour atteinte à l’intégrité. Elle se distanciait de l’avis du docteur C.___, qui retenait que l’assuré présentait des séquelles correspondant à un taux d’indemnité pour atteinte à l’intégrité de 20% selon la table 3 et la position 32, parce que cela correspondait à une amputation des doigts II, III et IV; quant à l’estimation de l’atteinte à l’intégrité de 50% des docteurs F.___ et G.___ du Centre d’antalgie de l’Hôpital D.___, qui suivaient l’assuré depuis le 20.11.2019, elle correspondait à une amputation totale de tout le membre supérieur au niveau de l’épaule. La Dre E.___ ne pouvait ainsi pas se rallier à ces conclusions très divergentes qui ne reposaient pas sur les constatations cliniques objectives mais se basaient essentiellement sur les plaintes subjectives de l’assuré, lequel mentionnait ne plus pouvoir rien faire avec son bras gauche; or cela n’était objectivement pas possible, puisqu’il ne présentait pas d’amyotrophie de son membre supérieur.

Consid. 4.2
La cour cantonale a considéré que la Dre E.___ avait elle-même retenu dans ses appréciations que l’assuré pouvait utiliser sa main gauche comme aide mais n’était pas apte à effectuer d’activité manuelle avec celle-ci. Force était donc de constater qu’il présentait une atteinte fonctionnelle du membre supérieur gauche. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait par conséquent être évaluée sur la base de la table 1, relative à l’atteinte à l’intégrité résultant de troubles fonctionnels des membres supérieurs. Ainsi, les juges cantonaux ont admis le recours sur ce point et ont renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle évaluation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité sur la base de la table 1.

Consid. 4.3
L’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux d’avoir violé le droit fédéral en procédant de leur propre chef au choix de la table d’indemnisation à appliquer, singulièrement en considérant que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait être évaluée en regard d’une atteinte fonctionnelle du membre supérieur gauche. Ce faisant, ils se seraient prononcés sur une évaluation incombant aux médecins. L’évaluation de l’atteinte à l’intégrité étant une question purement médicale, les juges cantonaux n’auraient pas pu décider librement de la table d’indemnisation à appliquer.

 

Consid. 4.4.1
A l’instar de l’assurance-accidents, il sied de souligner d’abord que la juridiction cantonale s’est référée elle-même aux appréciations médicales de la médecin-conseil, sans remettre en cause ses constatations médicales objectives.

Consid. 4.4.2
En ce qui concerne les appréciations de l’atteinte à l’intégrité divergentes des médecins traitants, il appert qu’aucun de ces praticiens ne fait référence à la table 1 d’indemnisation. Ainsi, le docteur C.___ a expliqué que les différentes tables d’indemnisation des atteintes à l’intégrité ne montrent pas de handicap correspondant exactement à cette situation. On peut néanmoins apparenter cette situation à une amputation partielle de la main gauche. Considérant la table 3 (Révision 2000) de la CNA, relative à l’atteinte à l’intégrité résultant de la perte d’un ou de plusieurs segments des membres supérieurs, la position 32 pourrait, par analogie correspondre au préjudice, c’est-à-dire à 20%. Les docteurs F.___ et G.___ se sont, quant à eux, prononcés dans le sens d’une amputation totale de tout le membre supérieur gauche en référence à l’annexe 3 à l’OLAA. Force est donc de constater que ces médecins ne se sont pas prononcés en regard d’une atteinte à l’intégrité résultant de troubles fonctionnels du membre supérieur (table 1), mais en regard d’une atteinte à l’intégrité résultant de la perte d’un ou de plusieurs segments des membres supérieurs, cela par analogie. Dès lors qu’aucun médecin n’a évalué l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en application de la table 1, les juges cantonaux ne pouvaient pas considérer que la table 1 devait s’appliquer en l’espèce, étant rappelé qu’il appartient au médecin d’évaluer l’atteinte à l’intégrité.

Il convient en outre de constater que, sur cette question essentiellement médicale, la cour cantonale s’est distancée de l’avis dûment motivé de la médecin-conseil, sans s’appuyer sur un autre avis médical au dossier. Par conséquent, aucun élément ne lui permettait de considérer que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité devait être évaluée en application de la table 1, d’autant moins que la perte fonctionnelle d’une main n’est pas rapportée dans cette table.

 

Consid. 4.4.3
Vu que la cour cantonale était composée de la Juge présidente et de deux assesseurs, dont un médecin, le docteur H.___, médecin spécialisé en chirurgie plastique et reconstructive, on rappellera qu’il est certes admissible qu’un tribunal s’appuie non seulement sur les connaissances juridiques des juges, mais aussi sur d’autres connaissances spécialisées disponibles au sein du tribunal, notamment celles des juges spécialisés. Toutefois, selon la jurisprudence, la double fonction des membres spécialisés des tribunaux cantonaux des assurances sociales en tant que juges et experts n’est pas sans poser problème et un juge spécialisé ne saurait remplacer le recours à un expert indépendant (cf. arrêt 8C_376/2019 du 6 novembre 2019 consid. 5.1 et les références). En l’occurrence, il ne ressort pas de l’arrêt attaqué si, dans quelle mesure et sur quels aspects l’assesseur H.___ l’aurait concrètement influencé. Quoi qu’il en soit, en procédant à son propre choix de la table d’indemnisation à appliquer, la cour cantonale a assumé une tâche ressortant expressément du domaine médical.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et confirmant la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_656/2022 consultable ici

 

9C_7/2023 (f) du 31.05.2023 – Admissibilité d’une nouvelle demande d’assistance judiciaire – Reconsidération – 64 LTF / Conditions cumulatives de l’art. 64 al. 1 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_7/2023 (f) du 31.05.2023

 

Consultable ici

 

Admissibilité d’une nouvelle demande d’assistance judiciaire – Reconsidération / 64 LTF

Conditions cumulatives de l’art. 64 al. 1 LTF

 

Par décision du 18.11.2022, la Cour cantonale des assurances sociales a déclaré irrecevable, pour cause de tardiveté, le recours formé par l’assuré contre la décision d’une caisse de compensation (allocation pour impotent de l’AVS). Il a également rejeté la demande d’assistance judiciaire formée par l’intéressé.

Assuré forme un recours devant le Tribunal fédéral contre cette décision dont il demande l’annulation. L’acte est assorti d’une requête d’assistance judiciaire.

Par ordonnance du 15.03.2023, le Tribunal fédéral a rejeté la demande d’assistance judiciaire et imparti à l’intéressé un délai de 14 jours pour verser une avance de frais de 500 francs. Il a retenu que les griefs soulevés dans le recours ne semblaient pas de nature à mettre sérieusement en question la décision entreprise, de sorte que les conclusions prises paraissaient vouées à l’échec (au sens de l’art. 64 al. 1 LTF). La demande d’assistance judiciaire fut par conséquent rejetée, sans examen de la condition de l’indigence.

Le 19.04.2023, l’assuré a demandé derechef au Tribunal fédéral de lui accorder l’assistance judiciaire totale. A l’appui de son écriture, il a déposé différents documents concernant son statut d’apatride et sa situation financière. Le 27.04.2023, le Tribunal fédéral lui a imparti un délai non prolongeable au 08.05.2023 pour verser le montant de l’avance de frais.

Le 6 mai 2023, l’assuré a indiqué qu’il attendait une prise de position du Tribunal fédéral concernant notamment son droit à « l’exemption de caution judicatum solvi » (sic).

 

Consid. 3.1
La Constitution fédérale (art. 29 al. 3 Cst.) n’autorise pas inconditionnellement la partie qui a requis en vain l’assistance judiciaire à formuler une nouvelle demande. Sous l’angle constitutionnel, il suffit que la partie concernée soit en mesure de requérir une fois l’assistance judiciaire. Une deuxième demande d’assistance judiciaire fondée sur le même état de fait présente les caractéristiques d’une demande de reconsidération à l’examen de laquelle ni la loi ni la Constitution ne confèrent une prétention juridique (cf. arrêt 4A_410/2013 du 5 décembre 2013 consid. 3.2 et les références citées). Cette jurisprudence a été développée dans le domaine de la procédure civile. Elle est toutefois transposable mutatis mutandis dans la procédure régissant le recours en matière de droit public, dès lors que la loi sur le Tribunal fédéral ne confère, elle non plus, aucune prétention procédurale au réexamen du droit à l’assistance judiciaire par le Tribunal fédéral lorsque ce bénéfice a été refusé au requérant. Dans l’ATF 127 I 133, le Tribunal fédéral a reconnu un droit constitutionnel inconditionnel à la révision d’une telle décision lorsque le requérant se prévaut de faits importants ou de preuves dont il n’avait pas connaissance dans la procédure ayant mené au refus, qu’il lui aurait été impossible d’invoquer dans cette procédure pour des motifs juridiques ou pratiques ou encore qu’il n’avait alors pas de raison d’alléguer. Un droit à la reconsidération existe ainsi en présence de pseudo nova (cf. ATF 146 I 185 consid. 4.1; 136 II 177 consid. 2.1).

L’admissibilité d’une nouvelle demande d’assistance judiciaire fondée sur une situation modifiée résulte de la circonstance que la décision d’octroi ou de refus de l’assistance judiciaire, en tant que décision incidente, est dotée de l’autorité de chose jugée formelle mais non matérielle (arrêt 4A_482/2022 du 29 novembre 2022 consid. 3.3).

 

Consid. 3.2
En l’espèce, le recourant ne soutient pas que les circonstances du cas d’espèce se seraient modifiées depuis le rejet de sa demande d’assistance judiciaire le 15.03.2023. Il considère tout d’abord qu’il avait droit à l’assistance judiciaire indépendamment des chances de succès de son recours. Ce faisant, il méconnaît le fait que l’art. 64 al. 1 LTF énonce deux conditions cumulatives. Comme les conclusions du recours paraissaient vouées à l’échec, l’une des deux conditions cumulatives posées à l’art. 64 al. 1 LTF pour l’octroi du bénéfice de l’assistance judiciaire gratuite n’était pas réalisée. Le recourant ne se prévalant d’aucun motif de reconsidération, dans la mesure où sa situation financière n’a joué aucun rôle dans le rejet de sa demande d’assistance judiciaire, il n’y a par conséquent pas lieu d’examiner les nouvelles pièces déposées concernant sa situation financière.

Le recourant fait ensuite valoir que le Tribunal fédéral a insuffisamment tenu compte de la gravité de ses atteintes à la santé et notamment de son âge lors de l’examen de sa demande d’assistance judiciaire. Ce faisant, il perd de vue que la demande de reconsidération n’a pas pour but de permettre à celui qui n’a pas suffisamment exposé les motifs de son recours de réparer sa négligence. Bien plutôt, la demande de reconsidération est soumise à la condition stricte que la personne en cause se prévale de faits importants ou de preuves dont il n’avait pas connaissance dans la procédure ayant mené au refus de l’assistance judiciaire, qu’il lui aurait été impossible d’invoquer dans cette procédure pour des motifs juridiques ou pratiques ou encore qu’il n’avait alors pas de raison d’alléguer. Les faits allégués ne répondent pas à ces conditions, le recourant se limitant à inviter le Tribunal fédéral à procéder à une nouvelle appréciation de sa situation sur la base de faits déjà connus.

A l’inverse de ce que croit le recourant, le Tribunal fédéral ne l’a enfin pas astreint au versement de sûretés en garantie de dépens pour une personne domiciliée à l’étranger (« cautio judicatum solvi »), mais a rejeté sa demande d’assistance judiciaire et lui a imparti un délai pour s’acquitter du montant de l’avance des frais de procédure présumés de la procédure de recours. Le recourant a donc bénéficié du même traitement que toute personne domiciliée en Suisse en ce qui concerne son accès au Tribunal fédéral et l’examen de sa demande d’assistance judiciaire. Sa situation d’apatride n’a joué aucun rôle dans l’examen de sa demande d’assistance judiciaire (cf. art. 16 par. 2 de la Convention du 28 septembre 1954 relative au statut des apatrides [RS 0.142.40]).

Consid. 3.3
Sur le vu de ce qui précède, le recourant ne se prévalant d’aucun motif de reconsidération, il y a lieu d’écarter la requête présentée en ce sens, les conditions permettant d’entrer en matière sur celle-ci n’étant pas réunies.

 

Consid. 4
L’intéressé n’ayant pas effectué l’avance de frais requise dans le délai supplémentaire imparti, nonobstant la mise en garde, son recours est manifestement irrecevable.

 

 

Arrêt 9C_7/2023 consultable ici