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8C_724/2021 (f) du 08.06.2022 – Causalité naturelle – Statu quo sine vel ante – 6 LAA / Les juges cantonaux ne peuvent pas départager des appréciations médicales divergentes en se basant sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) ni s’ériger en spécialistes médicaux

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_724/2021 (f) du 08.06.2022

 

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Causalité naturelle – Statu quo sine vel ante / 6 LAA

Les juges cantonaux ne peuvent pas départager des appréciations médicales divergentes en se basant sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) ni s’ériger en spécialistes médicaux

 

Assuré, né en 1988, Senior Trader depuis le 01.06.2018 a été victime, le 13.08.2019, d’un accident en se tordant le genou gauche lors d’un cours de jiu-jitsu. L’IRM du 19.08.2019 a révélé pour l’essentiel une fissuration profonde et irrégulière du cartilage de la facette rotulienne interne ainsi qu’une fissure profonde et focale du cartilage de la crête de la rotule, au genou gauche, tandis que le genou droit n’a montré qu’une érosion superficielle du cartilage de la facette rotulienne interne. Le 16.10.2019, l’assurance-accidents a provisoirement refusé de garantir la prise en charge des coûts d’une hospitalisation (arthroscopie du genou). Le docteur C.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, a attesté d’un trauma en valgus au genou gauche, nécessitant une réparation par arthroscopie qui aurait dû être effectuée le 29.10.2019.

Le 17.10.2019, l’assuré a informé l’assurance-accidents qu’il avait requis un second avis médical du docteur D.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. Ce dernier a diagnostiqué une entorse du ligament collatéral médial (LCM = ligament latéral interne [LLI]) au genou gauche, nécessitant un traitement conservateur et a adressé l’assuré au docteur E.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation. Ce praticien a attesté d’une fracture chondrale de la rotule gauche, nécessitant de la physiothérapie.

Le médecin-conseil de l’assurance, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a retenu dans son rapport du 21.10.2019 un diagnostic d’entorse du LLI à gauche en voie de guérison ainsi qu’un état antérieur, soit une chondropathie fémoro-patellaire des deux côtés; l’accident avait entraîné une aggravation passagère et le statu quo sine vel ante était atteint selon le rapport médical du docteur D.__. Le 25.08.2020, le médecin-conseil a répété son avis, retenant que la seule lésion traumatique était une entorse mineure sans déchirure significative du LCM, que, contrairement à l’avis du docteur E.__, il n’y avait jamais eu de fracture chondrale patellaire gauche mais un état antérieur d’arthrose relativement marquée fémoro-patellaire à gauche (et débutante à droite) et que le statu quo sine avait été atteint au plus tard au 20.01.2020 (date du rapport du docteur E.__).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations avec effet au 20.01.2020, sans réclamer la restitution des prestations réglées à tort.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1003/2021 – consultable ici)

Par jugement du 27.09.2021, admission du recours du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que l’assurance-accidents devait prendre en charge les suites de l’accident du 13.08.2019, dans le sens des considérants

 

TF

Consid. 3.2
Le juge ne peut pas écarter un rapport médical au seul motif qu’il est établi par le médecin interne d’un assureur social, respectivement par le médecin traitant (ou l’expert privé) de la personne assurée, sans examiner autrement sa valeur probante. Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes même minimes quant à la fiabilité et à la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis et il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 139 V 225 consid. 5.2; 135 V 465 consid. 4.7).

Consid. 4.1
L’IRM du 19.08.2019 a objectivé une fissuration profonde et irrégulière du cartilage de la facette rotulienne interne, s’étendant jusqu’à l’os sous-chondral et décollant le cartilage sur toute son épaisseur sur une zone de 7.5 mm ainsi qu’une fissure profonde et focale du cartilage de la crête de la rotule s’étendant quasiment jusqu’à l’os sous-chondral.

Consid. 4.1.1
La cour cantonale a constaté que ces fissures avaient été qualifiées de lésion cartilagineuse par le docteur D.__, de fracture chondrale par le docteur E.__ et de lésion focale du cartilage ou de fracture chondrale par le docteur C.__. En se référant à des sites internet (www.larousse.fr et www.orthopedie-pediatrique.be), elle a considéré que la fracture était définie comme la rupture d’un os ou d’un cartilage dur ou une solution de la continuité des os ou des cartilages, de sorte que la notion de fracture retenue par les docteurs E.__ et C.__ correspondait à la description des lésions objectivées à l’IRM du 19.08.2019.

Consid. 4.1.2
Dans ce contexte, l’assurance-accidents rappelle qu’il n’appartient pas au juge de remettre en cause le diagnostic retenu par un médecin et de poser de son propre chef des conclusions qui relèvent de la science et des tâches du corps médical (arrêt 9C_719/2016 du 1er mai 2017 consid. 5.2.1; cf. arrêt 8C_549/2021 du 7 janvier 2022 consid. 7.1). C’est donc à juste titre qu’elle reproche aux juges cantonaux de ne pas s’être basés sur l’avis d’un expert, mais sur des sites internet (sans en vérifier l’exactitude) pour départager les appréciations médicales divergentes et de s’être ainsi érigés en spécialistes médicaux. Il ne s’agit ainsi pas d’un élément propre à mettre en doute la valeur probante des avis du médecin-conseil.

 

Consid. 4.3
Vu les avis contradictoires et impossibles à départager sans connaissances médicales spécialisées concernant l’origine traumatique ou dégénérative de la lésion cartilagineuse au genou gauche, force est de constater que l’instruction de la cause ne permet pas de statuer sur le droit de l’assuré à des prestations d’assurance au-delà du 20.01.2020. Dans ces circonstances, il se justifie de renvoyer la cause aux premiers juges, en admission partielle du recours, pour qu’ils ordonnent une expertise médicale.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, annulant le jugement cantonal et renvoyant la cause au tribunal cantonal pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_724/2021 consultable ici

 

8C_118/2021 (f) du 21.12.2021 – Pas de délai d’adaptation lors du passage des indemnités journalières à la rente / Abattement sur le salaire statistique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_118/2021 (f) du 21.12.2021

 

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Pas de délai d’adaptation lors du passage des indemnités journalières à la rente / 19 LAA

Abattement sur le salaire statistique / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1969, travaillait comme maçon depuis 2011. Le 23.08.2016, il a été victime d’un accident de travail, se blessant au bras gauche en tentant de se retenir lors d’une glissade sur le pont d’un échafaudage. Le 02.05.2017, l’assuré a subi une arthroscopie diagnostique avec réinsertion du tendon du sus-épineux de l’épaule gauche.

A l’issue d’un séjour à la CRR, du 04.09.2018 au 03.10.2018, il a été constaté que la situation n’était pas encore stabilisée du point de vue médical et des aptitudes fonctionnelles mais qu’une telle stabilisation était attendue dans un délai de six mois environ. Par ailleurs, les médecins de la CRR ont conclu que l’activité de maçon ne pourrait vraisemblablement pas être reprise; en revanche, le pronostic de réinsertion dans une activité adaptée respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré (pas de port de charges supérieures à 10-15 kilos de manière prolongée et/ou répétitive avec le membre supérieur gauche, pas de travail prolongé et/ou répétitif au-dessus du plan des épaules, pas d’activité avec le membre supérieur gauche maintenu en porte-à-faux) était en théorie favorable.

Dans une notice téléphonique du 06.11.2018, le « case manager » de l’assurance-accidents a résumé le point de la situation fait avec l’assuré: ce dernier l’informait être conscient qu’il ne pourrait plus reprendre son activité de maçon mais à ce jour, il n’avait aucun projet concret par rapport à son avenir professionnel et n’avait pas commencé à rechercher une autre activité; le but fixé à l’assuré au cours de l’entretien était de rechercher une nouvelle activité professionnelle.

Un nouveau point de la situation entre la « case manager » de l’assurance-accidents et l’assuré a été fait le 12.02.2019; le but fixé à l’assuré au cours de l’entretien était de se projeter dans son avenir et de rechercher une nouvelle activité professionnelle.

Se fondant sur les conclusions du rapport d’examen final de son médecin-conseil du 26.04.2019, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré, par décision du 21.05.2019, une rente d’invalidité fondée sur un taux de 12% dès le 01.07.2019, ainsi qu’une IPAI au taux de 20%. Ensuite de l’opposition de l’assuré contre cette décision, l’assurance-accidents a fixé, dans sa décision sur opposition, le taux de l’IPAI à 25%, confirmant pour le surplus sa décision initiale.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a tout d’abord constaté qu’il n’était pas nécessaire de trancher la question de savoir si l’état de santé de l’assuré s’était stabilisé à fin avril 2019 (comme l’avait retenu l’assurance-accidents) ou à fin juin 2019 (comme le soutenait l’assuré), dès lors que l’assurance-accidents avait versé des indemnités journalières jusqu’au 30.06.2019 et qu’il n’y avait pas lieu d’accorder à l’assuré un délai d’adaptation – durant lequel des indemnités journalières continueraient de lui être versées – à compter de la stabilisation de son état de santé pour lui permettre de se réadapter dans une nouvelle profession. Elle a ensuite entièrement confirmé le taux d’invalidité de 12%, en particulier le revenu avec invalidité calculé sans tenir compte d’un abattement.

Par jugement du 15.12.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
L’assuré a droit au traitement médical approprié des lésions résultant de l’accident (art. 10 al. 1 LAA). S’il est totalement ou partiellement incapable de travailler (art. 6 LPGA), il a droit à une indemnité journalière (art. 16 al. 1 LAA). Selon l’art. 6 LPGA, est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique; en cas d’incapacité de travail de longue durée, l’activité qui peut être exigée de lui peut aussi relever d’une autre profession ou d’un autre domaine d’activité.

Le droit à l’indemnité journalière naît le troisième jour qui suit celui de l’accident et s’éteint dès que l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail, dès qu’une rente est versée ou dès que l’assuré décède (art. 16 al. 2 LAA). Si l’assuré est invalide (art. 8 LPGA) à 10% au moins par suite de l’accident, il a droit à une rente d’invalidité (art. 18 al. 1 LAA). En vertu de l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme; le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente. Pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA).

 

Délai convenable pour chercher un emploi adapté

Consid. 4.
L’assuré demande le versement d’indemnités journalières – sur la base d’une incapacité de travail de 100% – et la prise en charge du traitement médical jusqu’au 31.10.2019.

Consid. 4.1
A l’appui de ses conclusions, il soutient que si, après la stabilisation de son état de santé, l’assuré doit se réadapter dans une autre profession que son activité habituelle, l’art. 19 al. 1 LAA n’empêcherait pas l’octroi d’un délai de trois à cinq mois pendant lequel le droit à l’indemnité journalière et au traitement médical continueraient d’être assurés. Selon l’assuré, si le droit à la rente LAA est différé lorsque des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité sont en cours (cf. art. 19 al. 1 LAA), il devrait en aller de même en cas de réadaptation spontanée, soit lorsque la personne assurée ne bénéficie pas de mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité mais qu’elle doit chercher par elle-même un nouvel emploi. Dans ce cas, il devrait lui être octroyé un délai d’adaptation pendant lequel les traitements médicaux et l’indemnité journalière devraient continuer à lui être alloués avant le passage à la rente. A cet égard, l’assuré invoque une prétendue contradiction dans la jurisprudence entre l’arrêt 8C_310/2019 du 14 avril 2020, sur lequel s’est fondée la juridiction cantonale pour nier l’octroi d’un délai d’adaptation supplémentaire depuis la stabilisation de son état de santé, et les arrêts 8C_251/2012 du 27 août 2012 et 8C_876/2013 du 15 octobre 2014, dans lesquels un délai de trois à cinq mois aurait été octroyé à la personne assurée avant la suppression des indemnités journalières de l’assurance-accidents pour lui permettre de retrouver une activité adaptée.

Consid. 4.2
Contrairement à ce qu’affirme l’assuré, il n’y a pas de contradiction dans la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de délai d’adaptation en cas d’incapacité de travail de longue durée (art. 6, deuxième phrase, LPGA).

Consid. 4.2.1
Dans l’arrêt 8C_251/2012 du 27 août 2012, le litige ne portait pas, quoi qu’en dise l’assuré, sur l’octroi ou non d’un délai d’adaptation puisque l’assuré pouvait reprendre son activité habituelle de peintre en bâtiment et que la question d’un changement de profession ne se posait pas. Alors que l’état de l’assuré était stabilisé, une instruction complémentaire sur le plan médical s’imposait afin de déterminer l’étendue de l’incapacité de travail de l’assuré dans sa profession habituelle. Le Tribunal fédéral a dès lors renvoyé la cause à l’assureur pour qu’il mettre en œuvre une expertise et rende une nouvelle décision sur le droit aux prestations de l’assuré.

Consid. 4.2.2
Quant à l’arrêt 8C_876/2013 du 15 octobre 2014 également invoqué par l’assuré, il traite d’un cas où une personne assurée avait été reconnue médicalement apte à reprendre son activité habituelle d’employée de commerce à plein temps dès le 31.07.2012, raison pour laquelle l’assureur-accidents avait supprimé le versement de l’indemnité journalière à compter du 01.08.2012. Le Tribunal fédéral a rejeté l’argument de l’assurée selon lequel un laps de temps plus long, pendant lequel elle aurait encore dû bénéficier des indemnités journalières, aurait dû lui être imparti pour lui permettre de retrouver un emploi. Là non plus, on ne voit pas que ce cas traiterait du versement de l’indemnité journalière pendant un certain délai en cas de changement de profession.

Consid. 4.2.3
Dans le cas ayant donné lieu à l’arrêt 8C_310/2019 du 14 avril 2020, l’assurance-accidents avait mis fin aux indemnités journalières et au traitement médical de la personne assurée au 31.05.2017 et lui avait alloué une rente fondée sur un taux d’invalidité de 21% à partir du 01.06.2017, compte tenu de la stabilisation de son état de santé et d’une reprise du travail dans une activité adaptée autre que la profession habituelle à 50% à partir du 22.05.2017. La juridiction cantonale avait partiellement admis le recours de l’assuré contre la décision de l’assurance-accidents, qu’elle avait réformée en ce sens que le droit à la rente d’invalidité prenait naissance le 01.10.2017, les indemnités journalières étant allouées jusque-là. Saisi d’un recours de la personne assurée et de l’assurance-accidents, le Tribunal fédéral a considéré que l’octroi d’un délai convenable pour chercher un emploi adapté, pendant lequel le traitement médical et l’indemnité journalière devraient continuer à être alloués à la personne assurée avant le passage à la rente, ne valait que lorsque les indemnités journalières étaient supprimées en application de l’art. 6, seconde phrase, LPGA, mais pas lorsqu’elle prenaient fin sur la base de l’art. 19 al. 1 LAA, comme c’était le cas ici.

Consid. 4.2.4
Il en va de même dans le cas d’espèce qui est similaire à celui ayant fait l’objet de l’arrêt 8C_310/2019 précité et auquel il peut être renvoyé (en particulier le considérant 6.1.2).

Consid. 4.3
On ajoutera que dans l’hypothèse invoquée par l’assuré où l’on ne peut plus attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré (la première condition de l’art. 19 al. 1, première phrase, LAA étant ainsi remplie) mais où des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité sont encore en cours ou sont imminentes (la seconde condition de l’art. 19 al. 1, première phrase, LAA n’étant ainsi pas remplie), le taux d’invalidité, et par conséquent le droit à la rente, ne peuvent certes pas être fixés. Dans ce cas toutefois, la personne assurée a droit à des indemnités journalières de l’assurance-invalidité (art. 22 ss LAI) et l’indemnité journalière de l’assurance-accidents n’est, quoi qu’en dise l’assuré, pas allouée (art. 16 al. 3 LAA).

En l’espèce, dès lors qu’ il n’y avait plus lieu d’attendre d’une poursuite du traitement médical au-delà du 30.06.2019 une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré et que des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité n’étaient pas prévues, l’instance précédente pouvait confirmer la fin de l’octroi des indemnités journalières et du traitement médical avec effet au 30.06.2019, sans impartir à l’assuré un délai pour s’adapter aux nouvelles circonstances et lui verser les indemnités journalières pendant cette période. Dans une telle constellation, l’assureur-accidents doit clore le cas et la rente est versée dès la date où a pris fin le droit à l’indemnité journalière (qui correspond également à celle de la fin du droit à la prise en charge du traitement médical selon l’art. 10 al. 1 LAA). L’art. 19 al. 1 LAA délimite ainsi du point de vue temporel le droit à ces deux prestations temporaires et le droit à la rente.

 

Délai d’adaptation lors du passage des indemnités journalières à la rente

Consid. 4.4.1
Dans le cas ayant donné lieu à l’arrêt 8C_173/2008 du 20 août 2008, l’assureur-accidents avait réduit les indemnités journalières à 50% à partir du 01.11.2005 puis les avait supprimées à partir du 01.12.2005. Sur recours de l’assurée, le Tribunal fédéral a tout d’abord constaté que l’état de santé de l’assurée n’était pas stabilisé au 01.11.2005 et qu’il y avait lieu d’attendre de la continuation du traitement médical au-delà du 01.11.2005 une sensible amélioration de son état de santé. Se posait donc encore la question de savoir dans quelle mesure l’assurée avait été incapable de travailler entre le 01.11.2005 et le 04.04.2006. Le Tribunal fédéral a constaté que selon les renseignements médicaux concordants au dossier, l’assurée ne pouvait plus exercer son ancienne activité d’infirmière mais pourrait exercer une activité adaptée à 100% avec un rendement de 75%. Dès lors que l’assureur ne l’avait pas invitée à rechercher une activité adaptée avant de rendre sa décision du 03.10.2005, les conditions développées par la jurisprudence pour appliquer l’art. 6, seconde phrase, LPGA n’étaient pas remplies en l’espèce; l’incapacité de travail de l’assurée devait donc être déterminée sur la base de l’art. 6, première phrase, LPGA, soit dans son activité habituelle. Dans la mesure où l’assurée présentait une incapacité de travail de 100% dans son activité habituelle d’infirmière au-delà du 01.11.2005, elle avait encore droit à des indemnités journalières à 100%. En revanche, le Tribunal fédéral ne s’est pas prononcé sur la question de savoir comment l’état de santé de l’assurée avait évolué après le 04.04.2006, date de la décision sur opposition litigieuse, et à partir de quel moment le cas d’assurance pouvait être liquidé au sens de l’art. 19 al. 1 LAA.

Dans ce cas, on voit clairement que l’assureur-accidents aurait dû impartir à l’assurée un délai de trois à cinq mois depuis le 26.09.2005, respectivement depuis le 31.01.2006 pour lui permettre de retrouver un emploi adapté dans une nouvelle profession, ce qu’il n’avait pas fait avant de rendre sa décision du 03.10.2005, confirmée sur opposition le 04.04.2006. A ce moment-là, il n’était pas encore question d’une liquidation du cas au sens de l’art. 19 al. 1 LAA.

Consid. 4.4.2
Dans le cas d’espèce, on relèvera qu’il ressort du rapport de la CRR du 26.09.2018 que bien que l’état de l’assuré ne fût pas encore stabilisé, il apparaissait hautement vraisemblable qu’il ne pourrait plus exercer son ancienne activité de maçon; en revanche, une activité adaptée respectant certaines limitations fonctionnelles était raisonnablement exigible. Il ressort en outre du dossier que le 06.11.2018, l’assurance-accidents avait invité l’assuré à rechercher une nouvelle activité professionnelle. Elle avait réitéré son invitation le 12.02.2019. Aussi, dès l’automne 2018, mais au plus tard dès le mois de février 2019, il apparaissait clairement que l’assuré ne serait plus en mesure de recouvrer sa capacité de travail dans sa profession habituelle de maçon et qu’un changement de profession était raisonnablement exigible de sa part. L’assuré a donc bel et bien été invité à rechercher une activité raisonnablement exigible dans une autre profession plusieurs mois avant la décision du 21.05.2019. L’assuré a continué de percevoir des indemnités journalières à 100% jusqu’au 30.06.2019, soit pendant une période de sept mois depuis l’automne 2018, respectivement de plus de quatre mois depuis février 2019. Il a ainsi bénéficié d’un délai d’adaptation dès le moment où il est apparu qu’il ne serait plus en mesure de reprendre sa profession de maçon et qu’une activité dans un autre domaine pouvait raisonnablement être exigée de lui (art. 6, seconde phrase, LPGA; voir aussi MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 36 ad art. 6 LPGA).

 

Abattement sur le salaire statistique

Consid. 6.3.1
En l’occurrence, on a vu que l’assuré est en mesure d’exercer une activité à plein temps sans diminution de rendement si l’activité respecte ses limitations fonctionnelles. Il convient donc d’examiner si celles-ci sont susceptibles d’influencer les perspectives salariales de l’assuré. Les limitations fonctionnelles de l’assuré portent sur le port de charges supérieures à 10-15 kilos de manière prolongée et/ou répétitive avec le membre supérieur gauche, le travail prolongé et/ou répétitif au-dessus du plan des épaules et les activités avec le membre supérieur gauche maintenu en porte-à-faux. Cela dit, au regard des activités physiques ou manuelles simples que recouvrent les secteurs de la production et des services (ESS 2016, tableau TA1_skill_level, niveau de compétence 1), un nombre suffisant d’entre elles correspondent à des travaux légers respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré. Une déduction supplémentaire sur le salaire statistique ne se justifie donc pas pour tenir compte des circonstances liées au handicap de l’assuré. En effet, un abattement n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêt 8C_122/2019 du 10 septembre 2019 consid. 4.3.1.4).

Consid. 6.3.2
En ce qui concerne le critère de l’âge, l’assuré n’expose pas en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré à raison de son âge. En outre, il était âgé de 50 ans au moment de la clôture du cas d’assurance, soit un âge encore relativement éloigné de celui de la retraite. Quant à l’absence d’expérience et de formation, elle ne joue pas de rôle lorsque le revenu d’invalide est déterminé en référence au salaire statistique auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives de niveau de compétence 1, comme c’est le cas en l’espèce. En effet, ce niveau de compétence de l’ESS concerne une catégorie d’emplois ne nécessitant ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2 et la référence citée).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_118/2021 consultable ici

 

8C_39/2020 (f) du 19.06.2020 – Stabilisation de l’état de santé – Fin du droit à l’indemnité journalière – 19 LAA / Pas de droit de l’assuré à un délai pour s’adapter aux nouvelles circonstances ni d’indemnités journalières pendant cette période – 6 LPGA – 19 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_39/2020 (f) du 19.06.2020

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé – Fin du droit à l’indemnité journalière / 19 LAA

Conditions de l’art. 6, 2e phrase, LPGA ne concernent que l’indemnité journalière – Pas transposable au domaine des rentes selon art. 19 LAA

Pas de droit de l’assuré à un délai pour s’adapter aux nouvelles circonstances ni d’indemnités journalières pendant cette période

 

Assuré, née en 1961, a été victime d’accidents les 29.05.2015 et 29.12.2015, ensuite desquels elle a perçu des indemnités journalières de l’assurance-accidents.

Dans son rapport d’examen du 13.06.2018, le médecin-conseil de l’assurance-accidents a retenu que l’incapacité de travail de l’assurée dans l’activité d’aide-concierge était complète et définitive. En revanche, une pleine capacité de travail était envisageable dans une activité légère et sédentaire réalisée sous certaines conditions. Par estimation du même jour, ce médecin a évalué le taux de l’IPAI à 10%.

Le 14.06.2018, la CNA a informé l’assurée que vu la stabilisation de son état de santé, elle mettait un terme au paiement des indemnités journalières et des soins médicaux au 30.06.2018 et allait examiner son droit à d’autres prestations dès le 01.07.2018.

Par décision du 06.07.2018, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé d’allouer à l’assurée une rente d’invalidité et lui a octroyé une IPAI correspondant à un taux de 10%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 22.11.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, condamnant l’assurance-accidents à verser à l’assurée des indemnités journalières du 01.07.2018 au 30.09.2018 et rejetant le recours pour le surplus.

 

TF

Consid. 3.1
L’assuré totalement ou partiellement incapable de travailler à la suite d’un accident a droit à une indemnité journalière (art. 16 al. 1 LAA). Le droit à l’indemnité journalière naît le troisième jour qui suit celui de l’accident (art. 16 al. 2, 1e phrase, LAA). Il s’éteint dès que l’assuré a recouvré sa pleine capacité de travail, dès qu’une rente est versée ou dès que l’assuré décède (art. 16 al. 2, 2e phrase, LAA). La notion d’incapacité de travail, à laquelle renvoie l’art. 16 al. 1 LAA comme condition du droit à l’indemnité journalière, est définie à l’art. 6 LPGA. Est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique (art. 6, 1e phrase, LPGA). En cas d’incapacité de travail durable dans l’ancienne profession, l’assuré est en revanche tenu, en vertu de son devoir de diminuer le dommage, d’utiliser dans un autre secteur sa capacité fonctionnelle résiduelle (art. 6, 2e phrase, LPGA; JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3 e éd., Bâle 2016, n. 213 p. 973). A cet égard, la jurisprudence considère qu’un délai doit être imparti à l’intéressé pour rechercher une activité raisonnablement exigible dans une autre profession ou un autre domaine. La durée de ce délai doit être appréciée selon les circonstances du cas particulier; elle est généralement de trois à cinq mois selon la pratique applicable en matière d’assurance-maladie (ATF 129 V 460 consid. 5.2 p. 464; 114 V 281 consid. 5b in fine p. 290). A l’issue de ce délai, le droit à l’indemnité journalière dépend de l’existence d’une éventuelle perte de gain imputable au risque assuré. Celle-ci se détermine par la différence entre le revenu qui pourrait être obtenu sans la survenance de l’éventualité assurée dans la profession exercée jusqu’alors et le revenu qui est obtenu ou pourrait raisonnablement être réalisé dans la nouvelle profession (ATF 114 V 281 consid. 3c in fine p. 286; arrêt 8C_310/2019 du 14 avril 2020 consid. 6.1.2 et la référence citée).

Consid. 3.2
Si l’assuré est invalide (art. 8 LPGA) à 10% au moins par suite de l’accident, il a droit à une rente d’invalidité, pour autant que l’accident soit survenu avant l’âge ordinaire de la retraite (art. 18 al. 1 LAA). En vertu de l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme (1e phrase); le droit au traitement médical et aux indemnités journalières cesse dès la naissance du droit à la rente (2e phrase). La « naissance du droit à la rente » correspond au moment à partir duquel l’assuré peut potentiellement prétendre à un droit à la rente, indépendamment de l’octroi effectif d’une telle rente (THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 7 ad art. 19 LAA, avec référence à l’ATF 143 V 148 consid. 5.3.1 p. 156). Il résulte ainsi de l’art. 19 al. 1 LAA que lorsqu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré, l’assureur doit mettre fin au paiement du traitement médical et des indemnités journalières et examiner le droit à une rente d’invalidité et à une IPAI (ATF 134 V 109 consid. 4.1 p. 114 et les références citées; arrêt 8C_443/2016 du 11 août 2016 consid. 2.2).

 

Consid. 4.1
Les juges cantonaux ont retenu que l’état de santé de l’assurée était stabilisé au 13.06.2018. Considérant que l’activité habituelle de cette dernière n’était plus exigible et qu’un changement de profession s’imposait, ils ont toutefois jugé que l’assurance-accidents aurait dû impartir à l’assurée un délai convenable pour lui permettre de chercher un nouvel emploi. Estimant qu’un délai de trois mois était raisonnable, ils ont fixé la date de la fin du versement des indemnités journalières au 30.09.2018 (et non au 30.06.2018 comme l’assurance-accidents), le droit à la rente prenant naissance le 01.10.2018 (non au 01.07.2018).

Consid. 4.2
L’assurance-accidents soutient qu’elle n’avait pas à accorder à l’assurée, à compter de la date de stabilisation médicale, un délai convenable pour chercher un emploi adapté pendant lequel l’indemnité journalière aurait dû continuer à lui être allouée avant le passage à une éventuelle rente. Cette pratique ne vaudrait que lorsque les indemnités journalières sont supprimées sur la base de l’art. 6, 2e phrase, LPGA, mais pas lorsqu’elles prennent fin en application de l’art. 19 al. 1 LAA, comme en l’espèce. Le raisonnement de la cour cantonale consacrerait ainsi une violation de l’art. 19 LAA.

Consid. 4.3
Cette critique est justifiée. La jurisprudence développée en relation avec l’obligation de diminuer le dommage en cas d’atteinte à la santé (exprimé à l’art. 6, 2e phrase, LPGA par l’exigibilité d’une activité de substitution en cas d’incapacité de travail durable; cf. consid. 3.1 supra) ne concerne en effet que l’indemnité journalière et n’est pas transposable au domaine des rentes, pour lesquelles le droit prend naissance selon d’autres conditions prévues par les lois spéciales, soit dans l’assurance-accidents l’art. 19 LAA (arrêts 8C_310/2019 précité consid. 6.1.2; 8C_443/2016 précité consid. 2.3; 8C_687/2014 du 9 septembre 2015 consid. 5.1, publié in SVR 2016 UV n° 17 p. 19; MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales [Dupont/Moser-Szeless éd.], 2018, n. 38 ad art. 6 LPGA). Autrement dit, dès lors que l’état de santé de l’assuré est stabilisé – au sens de l’art. 19 al. 1, 1e phrase, LAA – et qu’il y a en conséquence lieu d’examiner s’il peut prétendre à une rente, l’assureur-accidents n’est pas tenu de lui impartir un délai pour s’adapter aux nouvelles circonstances et de continuer de lui verser les indemnités journalières pendant cette période. Il doit clore le cas et mettre un terme au paiement de l’indemnité journalière. Le versement d’une rente d’invalidité – pour autant que l’assuré y ait droit en vertu de l’art. 18 al. 1 LAA – intervient au moment où prend fin le droit à l’indemnité journalière.

Consid. 4.4
Sur la base de l’examen final du 13.06.2018, l’assurance-accidents a estimé que l’état de santé de l’assurée était stabilisé. Cette dernière ne conteste pas cette appréciation. L’assurance-accidents était donc fondée à mettre un terme au versement des indemnités journalières au 30.06.2018 et à examiner si les conditions d’octroi d’une rente d’invalidité dès le 01.07.2018 étaient réunies. C’est ainsi à tort que la juridiction cantonale l’a condamnée à verser des indemnités journalières à l’assurée du 01.07.2018 au 30.09.2018. Le recours doit par conséquent être admis.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

Arrêt 8C_39/2020 consultable ici

 

 

Ordonnance 23 du 16.11.2022 sur les allocations de renchérissement aux rentiers de l’assurance-accidents obligatoire

Ordonnance 23 du 16.11.2022 sur les allocations de renchérissement aux rentiers de l’assurance-accidents obligatoire

 

Parue in RO 2022 694

 

Art. 1

(1) Les bénéficiaires de rentes de l’assurance-accidents obligatoire reçoivent une allocation de renchérissement s’élevant à 2,8 % de la rente qui leur était allouée jusque-là; l’al. 2 est réservé.

(2) Pour les rentes nées depuis le 1er janvier 2009 et qui se rapportent à des accidents survenus après le 1er janvier 2006, l’allocation est fixée selon le barème suivant:

Année
de l’accident
Allocation de renchérissement

en pour-cent de la rente

2006 6,6
2007 5,8
2008 2,8
2009 3,8
2010 3,5
2011 3,0
2012 3,4
2013 3,5
2014 3.5
2015 5,1
2016 5,3
2017 4,6
2018 3,5
2019 3,4
2020 4,2
2021 3,3
2022 0,0

 

Art. 2

Est considérée comme année de l’accident au sens de l’art. 1 al. 2:

a. pour les rentes calculées conformément à l’art. 24 al. 2 OLAA : l’année qui précède l’ouverture du droit à la rente;

b. pour les rentes calculées conformément à l’art. 31 al. 2 OLAA: l’année qui précède l’ouverture du droit à la rente complémentaire.

 

 

Ordonnance 23 sur les allocations de renchérissement aux rentiers de l’assurance-accidents obligatoire, parue in RO 2022 694 (RS 832.205.27)

Ordinanza 23 sulle indennità di rincaro ai beneficiari di rendite dell’assicurazione infortuni obbligatoria, pubblicata nella RU 2022 694 (RS 832.205.27)

Verordnung 23 über Teuerungszulagen an Rentnerinnen und Rentner der obligatorischen Unfallversicherung, erschienen in der AS 2022 694 (SR 832.205.27)

 

Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour

Vous trouverez dans l’édition de Jusletter du 21 novembre 2022 ma contribution « Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour ».

Depuis mon précédent article (Fixation du revenu d’invalide selon l’ESS), par dans la Jusletter du 22 octobre 2018, le thème du revenu d’invalide s’est invité dans les débats parlementaires. Quant au Développement continu de l’assurance-invalidité, il a suscité de vives critiques. Rarement une révision de l’AI, voire d’une assurance sociale, a laissé un tel sentiment d’inachevé.

Bien que non exhaustive, cette contribution aborde sous différents angles la notion du revenu d’invalide selon l’ESS. Les récents développements de la doctrine sont également abordés, tout comme l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 du 9 mars 2022, publié aux ATF 148 V 174. Le Développement continu de l’AI est, quant à lui, analysé avec une réflexion de coordination intersystémique (avec l’assurance-accidents en particulier).

L’article se veut complet mais surtout une aide pour la praticienne et le praticien, confronté-e quotidiennement à la notion d’invalidité et à la détermination du revenu d’invalide.

 

Résumé :

Le revenu d’invalide déterminé selon les données statistiques est au cœur de nombreuses discussions dans le domaine des assurances sociales, tant en doctrine qu’aux niveaux judiciaire et législatif. En particulier, le Développement continu de l’assurance-invalidité n’a pas apaisé les esprits, suscitant de nombreuses critiques. Il était nécessaire de procéder à une mise à jour de l’article paru en octobre 2018. La présente contribution passe en revue les récents développements, tout en restant ancré dans la pratique.

 

Publication : David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022

 

 

8C_668/2021 (i) du 18.02.2022 – Récusation d’un juge du tribunal cantonal tessinois / Causalité naturelle – Valeur probante d’un rapport d’expertise – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_668/2021 (i) du 18.02.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Récusation d’un juge du tribunal cantonal tessinois

Causalité naturelle – Valeur probante d’un rapport d’expertise / 44 LPGA

 

Le 06.07.1985, l’assurée, née en 1953, est tombée en sortant de la baignoire et s’est cognée le genou gauche, entraînant une rupture partielle du ménisque médian postérieur. Le cas a été pris en charge par l’assurance-accidents.

Le 02.08.2004, l’assurée a subi a subi une blessure par distorsion en valgus au genou droit en jouant avec son chien. Le même assureur-accidents a pris en charge les suites de cet événement.

L’assurée a été hospitalisée à la clinique de neurologie de l’hôpital B.__ du 27.07.2016 au 30.07.2016 et à la clinique C.__ du 18.10.2016 au 05.11.2016.

Par arrêt du 10.09.2018, le tribunal cantonal a condamné l’assurance-accidents à prendre en charge les frais à la Clinique C.__, tout en lui renvoyant l’affaire pour complément d’enquête s’agissant du séjour à l’Hôpital B.__.

Par jugement du 02.06.2020, le tribunal cantonal a rejeté le recours de l’assurée contre une décision incidente de l’assurance-accidents, qui avait attribué l’expertise au Prof. E.__. Le tribunal cantonal a nié l’existence d’un motif de récusation. Cette décision n’a pas fait l’objet d’un appel.

L’assurée a eu la possibilité de commenter le rapport rendu par le Prof. E.__. L’assurance-accidents a nié sa responsabilité pour le problème rachidien, en l’absence de lien de causalité naturelle.

 

Procédure cantonale (arrêt 35.2021.42 – consultable ici)

Par jugement du 30.08.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Dans la mesure où l’assurée laisserait entendre que la fille du juge de la première instance, Ivano Ranzanici, aurait pu traiter le litige en tant qu’avocat de l’assureur-accidents, cette affirmation présentée sous forme d’hypothèse n’est étayée par aucun élément de preuve. De plus, l’arrêt cantonal du 10.09.2018 mentionnait précisément l’abstention (et non la récusation) du magistrat en question. Même dans ce cas, l’assurée pourrait en déduire qu’il pourrait y avoir un problème de parenté. Selon la pratique établie, fondée sur le principe de la bonne foi, la partie qui a connaissance d’un motif de récusation doit l’invoquer sans délai et non seulement si l’issue de la procédure lui est défavorable, faute de quoi elle est déchue du droit de l’invoquer (ATF 140 I 271 consid. 8.4.3). La composition ordinaire du Tribunal cantonal des assurances figure également sur le site internet du canton et l’assurée avait donc déjà connaissance de la présence potentielle du juge Ranzanici avant le prononcé de l’arrêt attaqué. Dans ces circonstances particulières, l’assurée ne pouvait donc pas attendre l’issue défavorable du recours pour ne soulever des doutes sur le magistrat en question que plus tard, mais devait procéder immédiatement au recours cantonal.

 

Consid. 4.1
Le tribunal cantonal a relevé que le Prof. E.__ a expliqué dans son rapport du 26.10.2020 pourquoi il n’a pas jugé nécessaire d’examiner l’assurée à la lumière de la vaste documentation disponible. Le Prof. E.__ a noté que les altérations de la colonne vertébrale sont une expression de l’évolution naturelle et que les difficultés de la marche sont tout au plus une cause possible. Se référant à la littérature médicale, le Prof. E.__ a noté que les troubles rachidiens existaient depuis longtemps (les premières investigations radiologiques remontent à 1999), que l’assurée n’a présenté une boiterie importante qu’à partir de 2012 au moins, que le problème neurologique est apparu en 2007 dans le cadre de l’opération du genou, et qu’il y avait une corrélation claire entre l’arthrose du genou et la dégénérescence des disques intervertébraux, attribuable à une certaine disposition génétique.

Le Prof. E.__ s’est rallié à l’avis de l’hôpital B.__ selon lequel le trouble de la marche était d’origine multifonctionnelle. Il a toutefois relevé que le diagnostic de radiculopathie L5 n’apparaissait pas dans l’IRM de 2017. Le Prof. E.__ a en revanche contesté le rapport du Dr. F.__ du 20.05.2015, selon lequel le problème de dos était une conséquence indirecte de la boiterie à gauche. Les altérations dégénératives au niveau lombaire existaient déjà huit ans avant l’opération de la prothèse de genou. Le Prof. E.__ a relevé que la corrélation n’était que possible et que les études citées n’étaient pas considérées comme concluantes. L’expert a considéré que les conclusions des médecins de l’assureur-accidents étaient défendables, notamment lorsqu’ils ont affirmé, à la lumière des résultats objectifs de l’électromyographie (EMG), que la polyneuropathie et la radiculopathie L5 n’étaient pas des conséquences directes de l’accident.

Consid. 5.1
Il est de jurisprudence constante que les constatations de l’autorité cantonale de recours sur l’atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée et l’exigibilité – pour autant qu’elles ne soient pas fondées sur l’expérience générale de la vie – relèvent d’une question de fait et peuvent donc être contrôlées par le Tribunal fédéral uniquement sous l’angle restreint de l’arbitraire (ATF 132 V 393 consid. 3.2). Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de réévaluer les éléments de preuve produits, mais au recourant d’établir pourquoi l’avis de la juridiction précédente serait manifestement inexact. Si le recourant veut s’écarter des faits établis par l’autorité précédente, il doit expliquer en détail pourquoi les conditions pour s’en écarter seraient remplies (ATF 145 V 188 consid. 2 ; 135 II 313 consid. 5.2.2 ; arrêt 8C_558/2021 du 20 janvier 2022 consid. 2.2).

Consid. 5.2
Contrairement aux (simples) rapports médicaux internes de l’assureur, pour lesquels un doute même minime quant à la fiabilité et la validité des constatations suffit pour que l’assuré soit soumis à un examen médical externe, les rapports établis par des médecins spécialistes externes dans le cadre d’une expertise administrative (art. 44 LPGA) ou judiciaire doivent se voir reconnaître une pleine force probante dans l’établissement des faits, dans la mesure où aucun indice concret de la fiabilité du rapport lui-même n’est présenté (ATF 135 V 465 consid. 4.4 ; 125 V 351 consid. 3b/bb). De tels rapports d’expertise ne peuvent être mis en doute simplement parce qu’ils arrivent à des conclusions différentes de celles des médecins traitants. Sont réservés les cas où un complément doit être demandé afin de clarifier certains aspects, les médecins traitants ayant laissé apparaître des aspects importants et pas seulement une interprétation médicale purement subjective. A cet égard, il convient de rappeler la nature différente du mandat de soins et d’expert (cf. entre autres arrêts 8C_55/2018 du 30 mai 2018 consid. 6.2 et 8C_820/2016 du 27 septembre 2017 consid. 5.3).

Consid. 5.3
L’assurée expose ses critiques comme si le rapport d’expertise du Prof. E.__ était librement « réexaminable » par le tribunal. Afin de réfuter les conclusions d’une expertise externe, des preuves concrètes sont nécessaires pour démontrer le manque de fiabilité du rapport. Tel n’est pas le cas en l’espèce. Au contraire, le Prof. E.__ a exposé la situation médicale de l’assurée et les documents médicaux versés au dossier. [..] Il est vrai que le Prof. E.__ a abouti à des conclusions en partie divergentes de celle des rapports précédents, mais cette circonstance n’est pas suffisante pour infirmer les conclusions d’une expertise externe. Il ne s’agit que d’opinions divergentes et non pas d’indications concrètes qui pourraient conduire à douter de la validité du rapport d’expertise. En fait, le Prof. E. ________, après avoir résumé le contenu de l’ensemble du dossier de l’assurée, a jugé inutile de l’examiner à nouveau. L’expert a expliqué en détails les raisons pour lesquelles les lésions dorsales étaient dues à des troubles dégénératifs. La boiterie, quant à elle, était multifactorielle. L’expert a également répondu aux appréciations du Dr F.__ du 20.05.2015 et du Dr G.__ du 06.04.2018. A l’aune de ce qui précède, aucune violation du droit fédéral ne peut donc être retenue.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_668/2021 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_668/2021 (i) du 18.02.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/11/8c_668-2021)

 

Primes de l’assurance-accidents : le Conseil fédéral souhaite décharger le sport amateur

Primes de l’assurance-accidents : le Conseil fédéral souhaite décharger le sport amateur

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 16.11.2022 consultable ici

 

Le Conseil fédéral souhaite alléger la charge financière des associations sportives non professionnelles. Elles ne seront plus toutes tenues d’assurer leurs sportifs et leurs entraîneurs contre les accidents. Cette obligation est supprimée dès lors que l’association leur verse moins de 9560 francs de salaire annuel. Lors de sa séance du 16.11.2022, le Conseil fédéral a mis en consultation une modification correspondante de l’ordonnance sur l’assurance-accidents (OLAA).

Tous les employés doivent être assurés contre les accidents. Cette obligation concerne aussi les personnes percevant un faible revenu ou, par exemple, des primes à points. Partant, la plupart des associations sportives doivent assurer leurs sportifs et leurs entraîneurs contre les accidents.

Les primes d’assurance-accidents doivent être fixées en fonction des risques. Partant, les risques de blessure et les coûts élevés en cas d’accident les font fortement augmenter. Elles pèsent donc lourd sur le budget de nombreuses associations sportives.

Pour décharger financièrement les associations sportives non professionnelles, celles-ci doivent être libérées de l’obligation d’assurance lorsque les salaires ne dépassent pas une certaine limite. La franchise de cotisation correspond aux deux tiers du montant minimal d’une rente de vieillesse annuelle complète de l’AVS, soit 9560 francs. Si un sportif ou un entraîneur reçoit plus, tous les membres de l’association endossant l’une de ces deux fonctions doivent être assurés contre les accidents. Les autres, comme le personnel administratif et les équipes de nettoyage, doivent continuer à être assurés sans exception.

 

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 16.11.2022 consultable ici

Rapport explicatif de l’OFSP d’octobre 2022 disponible ici

Projet mis en consultation disponible ici

Il Consiglio federale intende sgravare lo sport amatoriale dai premi dell’assicurazione infortuni, comunicato stampa dell’UFSP, 16.11.2022, disponibile qui

Bundesrat will Breitensport bei den Prämien der Unfallversicherung entlasten, Medienmitteilung, BAG, 16.11.2022, hier verfügbar

 

Les rentes de l’assurance-accidents sont adaptées au renchérissement

Les rentes de l’assurance-accidents sont adaptées au renchérissement

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 16.11.2022 consultable ici

 

Quiconque perçoit une rente d’invalidité ou de survivant de l’assurance-accidents obligatoire recevra une allocation de renchérissement dès le 01.01.2023. Cette allocation s’élèvera à au moins 2,8% de la rente, selon l’année de l’accident. Lors de sa séance du 16.11.2022, le Conseil fédéral a approuvé une modification d’ordonnance correspondante.

L’allocation de renchérissement des rentes de l’assurance-accidents obligatoire est allouée pour compenser le renchérissement actuel. Son calcul se fonde toujours sur l’indice national des prix à la consommation du mois de septembre de l’année en cours. Les dernières allocations avaient été allouée au 01.01.2009.

Les rentes de l’assurance-accidents sont adaptées au renchérissement en même temps que les rentes AVS.

 

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 16.11.2022 consultable ici

Assicurazione contro gli infortuni: le rendite saranno adeguate al rincaro, Comunicato stampa dell’UFSP, 16.11.2022, disponibile qui

Die Renten der Unfallversicherung werden der Teuerung angepasst, Medienmitteilung von BAG, 16.11.2022, hier verfügbar

 

8C_773/2021 (f) du 24.05.2022 – Réduction des prestations de moitié – Participation à une rixe ou à une bagarre – 39 LAA – 49 OLAA / Dispute liée à des comportements routiers avant la confrontation physique – Notion de dispute

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_773/2021 (f) du 24.05.2022

 

Consultable ici

 

Réduction des prestations de moitié – Participation à une rixe ou à une bagarre / 39 LAA – 49 OLAA

Dispute liée à des comportements routiers avant la confrontation physique – Notion de dispute

Pas d’interruption du lien de causalité adéquate entre le comportement de l’assuré et le résultat survenu – Diverses phases de la bagarre formant un tout

 

Le 17.07.2019, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents que l’assuré avait été blessé à l’arcade gauche (coupure sur 1 cm), au doigt, à la nuque et au dos lors d’une bagarre survenue le 13.07.2019 en fin de soirée à la gare de C.__. Les examens médicaux pratiqués à l’Hôpital D.__ ont fait état d’une fracture comminutive transfixiante du corps vertébral de C7, d’une fracture du processus épineux de L4, d’une contusion du rachis cervical ainsi que d’une contusion du 4e doigt droit. L’assuré a été en incapacité de travail depuis lors.

Par décision du 22.10.2019, confirmée sur opposition le 10.01.2020, l’assurance-accidents a réduit de 50% l’indemnité journalière de l’assuré, au motif qu’il était clairement établi par les pièces du dossier pénal qu’il s’était bagarré avec un autre individu après une dispute verbale qui avait mal tourné au sujet d’un dépassement en voiture. Par ordonnance du 19.08.2020, la juge pénale du tribunal de première instance a classé la procédure pénale ouverte contre l’assuré pour conduite inconvenante.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a constaté qu’une altercation verbale liée au comportement routier respectif des protagonistes avait opposé l’assuré à E.__ avant leur confrontation physique, qui s’était déroulée à la place de la gare de C.__. Elle a considéré que l’assuré pouvait et devait se rendre compte qu’il existait un risque non négligeable que la dispute verbale qui l’avait opposé à E.__ dégénère en bagarre avec des actes de violence physique; en se confrontant à l’inconnu qui venait de le dépasser et compte tenu des références explicites à la possibilité d’en venir aux mains, l’assuré s’était placé dans une zone de danger exclue par l’assurance. Par ailleurs, les juges cantonaux ont considéré qu’il n’y avait aucune interruption du lien de causalité entre le comportement de l’assuré et le résultat survenu, relevant que les événements s’étaient produits dans un périmètre restreint et qu’ils appartenaient à un seul et même complexe de faits.

Par jugement du 20.10.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Aux termes de l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces; la réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Fondé sur cette délégation de compétences, l’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu dans les circonstances suivantes: participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a); dangers auxquels l’assuré s’expose en provoquant gravement autrui (let. b); participation à des désordres (let. c).

Consid. 3.2.1
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la notion de rixe dans l’assurance-accidents est plus large que celle de l’art. 133 CP, même si elle en revêt les principales caractéristiques objectives (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2). Par rixe ou bagarre, il faut entendre une querelle violente accompagnée de coups ou une mêlée de gens qui se battent (ATF 107 V 234 consid. 2a).

Consid. 3.2.2
Il y a participation à une rixe ou à une bagarre, au sens de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA, non seulement quand l’intéressé prend part à de véritables actes de violence, mais déjà s’il s’est engagé dans l’altercation qui les a éventuellement précédés et qui, considérée dans son ensemble, recèle le risque qu’on pourrait en venir à des actes de violence (ATF 107 V 234 consid. 2a; 99 V 9 consid. 1). Il importe peu que l’assuré ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute, mais il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger (ATF 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_193/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3.1, publié in SVR 2020 UV n° 12 p. 43; arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013 consid. 2 et les arrêts cités).

Consid. 3.2.3
En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (arrêts 8C_702/2017 du 17 septembre 2018 consid. 3.1; 8C_575/2017 du 26 avril 2018 consid. 3; 8C_459/2017 du 16 avril 2018 consid. 4.1; 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3; 8C_788/2016 du 20 novembre 2017 consid. 3).

Consid. 3.2.4
Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il faut que le comportement à sanctionner soit propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer une atteinte à la santé du genre de celle qui s’est produite (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2; arrêt 8C_532/2021 du 9 décembre 2021 consid. 3.3 et les arrêts cités). A cet égard, les diverses phases d’une rixe, respectivement d’une bagarre, forment un tout et ne peuvent pas être considérées indépendamment l’une de l’autre (arrêts 8C_702/2017 du 17 septembre 2018 consid. 3.2; 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3).

Consid. 3.3
Enfin, selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales n’est pas lié par les constatations de fait et l’appréciation du juge pénal. Il ne s’en écarte cependant que si les faits établis au cours de l’instruction pénale et leur qualification juridique ne sont pas convaincants, ou s’ils se fondent sur des considérations spécifiques au droit pénal qui ne sont pas déterminantes en droit des assurances sociales (ATF 143 V 393 consid. 7.2; 125 V 237 consid. 6a; arrêt 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 5.1, publié in SVR 2018 UV n° 30 p. 105).

 

Consid. 4.3
En l’occurrence, les événements du 13.07.2019 se laissent subdiviser en deux parties: en premier lieu, les faits qui se sont produits à la rue F.__, à C.__, après que E.__ avait dépassé l’assuré en voiture, et en second lieu, l’altercation physique entre les deux protagonistes qui a eu lieu vers 22 heures à la place de la gare de C.__.

Consid. 4.4
En ce qui concerne l’altercation, les faits ont été instruits au cours d’une procédure pénale ouverte contre l’assuré pour conduite inconvenante (art. 15 de la loi cantonale du 9 novembre 1978 sur l’introduction du Code pénal suisse; RS/JU 311) qui a débouché sur une ordonnance de classement du 19.08.2020, entrée en force. Il ressort en bref de cette ordonnance de classement que plusieurs éléments permettaient de douter que le prévenu (l’assuré) s’était battu le jour en cause, laissant penser qu’il avait essayé de se défendre. Selon les témoignages crédibles de G.__ et de H.__, amis de l’assuré, celui-ci se trouvait au volant de sa voiture quand un autre individu (E.__) l’avait sorti de son véhicule par la force. L’assuré avait été blessé, ce qui avait été constaté médicalement. La version des faits qu’il avait donnée à la doctoresse I.__ correspondait à celle qu’il avait exposée à la police. En revanche, aucune lésion n’avait été constatée médicalement pour E.__. De surcroît, ce dernier ne semblait pas dire toute la vérité puisqu’il avait deux objets dans ses mains vers la fin de l’altercation et que la police, qui était intervenue rapidement, n’avait pas pu retrouver ces objets. En conséquence, il apparaissait que l’assuré n’avait qu’essayé de se défendre lors des faits.

Cela étant, il n’y a pas lieu de s’écarter des faits constatés par l’autorité pénale, qui sont convaincants et par ailleurs concordants avec les éléments versés au dossier de l’assurance-accidents.

 

Consid. 4.5
Il convient ensuite de déterminer si, préalablement à cette agression, une dispute entre l’assuré et son agresseur a eu lieu (cf. consid. 3.2.3 supra).

Sur ce point, les déclarations des personnes interrogées divergent. E.__ soutient que l’assuré l’aurait insulté verbalement en disant notamment « tu es un malade, tu roules comme un connard », alors que celui-ci conteste avoir prononcé des grossièretés à son égard, en admettant toutefois l’avoir klaxonné ensuite de son dépassement. En outre, l’assuré conteste s’être arrêté à la station d’essence J.__, prétendant qu’il était passé à côté de E.__ à faible vitesse et que, voyant que celui-ci était énervé, il avait continué son chemin. En revanche, E.__ a déclaré que l’assuré s’était arrêté à côté de lui, l’avait injurié et avait pris une photo de sa plaque d’immatriculation. Quant à H.__, il a déclaré que l’assuré l’aurait appelé ce samedi soir vers 21h50, en expliquant qu’une personne avait essayé de lui foncer dessus avec sa voiture et était sortie de sa voiture en le menaçant.

Quand bien même le comportement et les propos précis des protagonistes ne peuvent pas être établis, ceux-ci s’accordent sur le fait que préalablement à l’agression survenue à la place de la gare, ils ont eu un différend quant à leur comportement routier respectif. Contrairement à ce que soutient l’assuré, la question de savoir si la dispute était verbale n’est pas décisive pour la question à trancher, dans la mesure où une dispute au sens de la jurisprudence (cf. consid. 3.2.3 supra) peut avoir lieu sous différentes formes et notamment de façon non verbale, par exemple par un geste désobligeant (arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013, publié in SVR 2013 UV n° 21 p. 78 et résumé in Plaidoyer 2013 n° 3 p. 58) ou encore par un comportement routier inapproprié (par exemple le fait d’accélérer alors qu’un autre véhicule est en train de dépasser, puis de klaxonner pour exprimer son mécontentement; arrêt 8C_685/2016 du 1er juin 2017 consid. 3 et 5), comme ce fut le cas en l’espèce. C’est dès lors à juste titre que la cour cantonale a retenu qu’une dispute liée à leur comportement routier respectif a opposé l’assuré à E.__ avant leur confrontation physique.

 

Consid. 4.6
On ne peut pas non plus suivre l’argumentation de l’assuré quant à l’interruption du lien de causalité adéquate entre le comportement de l’assuré et le résultat qui est survenu (sur cette notion cf. ATF 134 V 340 consid. 6.2; 133 V 14 consid. 10.2; 130 III 182 consid. 5.4; voir également, pour un cas où une interruption de la causalité adéquate a été admise, l’arrêt 8C_363/2010 du 29 mars 2011 et, concernant la même affaire au plan civil, l’arrêt 4A_66/2010 du 27 mai 2010), en particulier lorsqu’il fait valoir qu’il n’y aurait pas de continuité entre l’altercation routière et l’agression. En effet, les faits se sont produits dans un périmètre restreint (à une distance de quelques centaines de mètres) et dans un intervalle relativement court puisque l’agression à la place de la gare a eu lieu environ 30 voire 60 minutes après l’incident routier, comme l’admet l’assuré. La cour cantonale était dès lors fondée à considérer que les diverses phases de la bagarre formaient un tout et ne pouvaient pas être considérées indépendamment l’une de l’autre (cf. consid. 3.2.4 supra; cf. arrêt 8C_405/2016 du 18 août 2016 consid. 3.4, publié in SVR 2016 UV n° 42 p. 140, dans lequel le Tribunal fédéral a admis une unité entre deux altercations qui s’étaient déroulées à un intervalle de 2,5 heures et à une distance de 1 km).

Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu’entre les deux événements, l’assuré a appelé son ami H.__ en lui expliquant « j’ai un problème vers chez J.__ à C.__ ». Ensuite de son appel, celui-ci a rejoint l’assuré (« pour aider mon copain A.__) qui l’attendait avec K.__. À trois, ils se sont rendus à la place de la gare, où l’assuré s’est fait agresser par E.__, qui était également venu avec deux amis. Cela tend à démontrer qu’avant même l’altercation proprement dite, l’assuré avait déjà conscience du fait que la situation présentait un danger pour lui.

Consid. 4.7
Partant, on doit admettre, à l’instar des juges cantonaux, que l’agression dont a été victime l’assuré s’est produite alors que ce dernier avait eu un comportement tombant sous le coup de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA. Par conséquent, l’assureur-accidents pouvait réduire ses prestations en espèces de moitié.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_773/2021 consultable ici

 

8C_716/2021 (f) du 12.10.2022, destiné à la publication – Abattement en raison de l’âge – Rappel de la jurisprudence – Pas d’abattement en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA (question enfin tranchée) / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_716/2021 (f) du 12.10.2022, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon ESS, niveau de compétences 2 – Absence d’abattement pour les limitations fonctionnelles dans le cas concret / 16 LPGA

Age avancé de l’assuré en LAA (64 ans et 8 mois in casu) / 28 al. 4 OLAA

Abattement en raison de l’âge – Rappel de la jurisprudence – Pas d’abattement en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA (question enfin tranchée)

Question de l’application de l’art. 28 al. 4 OLAA et de l’art. 20 al. 2ter LAA (réduction de la rente à l’âge de la retraite) laissée ouverte

 

Assuré, né en 1955, titulaire d’un CAP en menuiserie du bâtiment et monteur de faux-planchers indépendant, a chuté à VTT le 15.06.2019, s’est réceptionné sur sa jambe droite et s’est blessé au genou droit. Par la suite, l’assuré a bénéficié de la pose d’une prothèse totale du genou droit. Après un examen du 22.05.2020, le médecin-conseil a considéré que l’état de santé était stabilisé et a précisé que l’exigibilité actuelle était de 80% et serait de 100% sans perte de rendement dans deux mois. Il a retenu les limitations fonctionnelles suivantes: pas de position à genoux, pas d’accroupissements-relèvements fréquents, pas de travail sur des échelles, pas de montée et descente d’escaliers, pas de soulèvement de charges supérieures à 30 kg. De plus, il a évalué l’atteinte à l’intégrité à 30%.

Par décision du 31.07.2020, confirmée sur opposition le 28.09.2020, la CNA a reconnu à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 30%. En revanche, elle a nié un droit à une rente d’invalidité, le taux d’invalidité de 4% résultant de la comparaison des revenus étant insuffisant pour ouvrir le droit à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1041/2021 – consultable ici)

Pour déterminer le revenu d’invalide, les juges cantonaux se sont référés aux données statistiques de l’ESS 2018 en prenant pour base le salaire versé à un homme dans le secteur privé avec un niveau de compétences 2. Ils ont constaté que l’assuré était âgé de 64 ans et huit mois au moment où l’assurance-accidents avait cessé de verser les indemnités journalières et qu’il lui restait donc quatre mois avant d’arriver à l’âge de la retraite AVS. Un engagement limité à une période aussi courte paraissait peu compatible avec les activités du niveau de compétence 2, auquel l’assuré avait été rattaché, qui impliquaient que l’employeur octroie une certaine formation à l’assuré. Par ailleurs, on ne voyait pas quels éléments personnels ou professionnels seraient de nature à compenser le critère de l’âge combiné avec les limitations fonctionnelles que présentait l’assuré. En tenant compte de ces deux facteurs, il y avait lieu d’appliquer un abattement de 10%, qui, au vu de l’ensemble des circonstances, était une appréciation plus appropriée que celle retenue par l’assurance-accidents. Il en résultait un revenu d’invalide de 64’751 fr., et la comparaison avec le salaire sans invalidité (repris de la décision sur opposition) de 75’000 fr. menait à un taux d’invalidité arrondi de 14%, ouvrant le droit à une rente d’invalidité.

Par jugement du 07.10.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 14%.

 

TF

Consid. 5.2
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 5.3
La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêts 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 3.3; 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.3.1, in: SVR 2019 UV n° 5 p. 18).

Consid. 5.4
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 5.5
Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le tribunal des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 précité consid. 5.2 et l’arrêt cité).

Consid. 6
Concernant l’abattement pour les limitations fonctionnelles, on rappellera qu’une réduction au titre du handicap dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêts 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1; 8C_118/2021 du 21 décembre 2021 consid. 6.3.1). En l’espèce, force est de constater – avec l’assurance-accidents – que l’assuré n’est pas restreint, par ses limitations fonctionnelles, aux activités légères ni même moyennes; il peut travailler tant en position assise que debout, se déplacer librement et ne souffre d’aucune restriction au niveau des membres supérieurs. Les activités pratiques ressortant du niveau de compétence 2, qui restent exigibles de sa part, sont ainsi compatibles avec son état de santé. Au demeurant, la juridiction cantonale ne démontre pas que l’assuré ne pourrait mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché équilibré de travail qu’avec un résultat inférieur à la moyenne. Or, dès lors que le type d’activités adaptées entrant en ligne de compte respecte les restrictions physiques de l’assuré, une déduction sur le salaire statistique ne se justifie pas pour tenir compte des circonstances liées à son handicap.

 

Consid. 7.1
La cour cantonale ayant motivé l’abattement non seulement par les limitations fonctionnelles, mais également par l’âge avancé de l’assuré, il convient d’examiner si l’art. 28 al. 4 OLAA est applicable et quel serait le rapport de cette disposition avec un abattement à cause de l’âge. Les juges cantonaux ont certes évoqué cette disposition, mais ne se sont pas prononcés sur son application et n’ont pas spécifié les conclusions éventuelles devant en être tirées.

Consid. 7.2
Sur la base de la délégation législative de l’art. 18 al. 2 LAA, le Conseil fédéral a édicté l’art. 28 OLAA, qui contient des prescriptions particulières pour l’évaluation de l’invalidité dans des cas spéciaux. L’art. 28 al. 4 OLAA dispose que si, en raison de son âge, l’assuré ne reprend pas d’activité lucrative après l’accident ou si la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus de l’activité lucrative déterminants pour l’évaluation du degré d’invalidité sont ceux d’un assuré d’âge moyen dont la santé a subi une atteinte de même gravité pourrait réaliser.

Cette disposition vise deux situations: celle où l’assuré, en raison de son âge, ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident (variante I) et celle où l’atteinte à la capacité de gain a principalement pour origine l’âge avancé de l’assuré (variante II). L’assuré qui remplit l’un ou l’autre cas de figure ne touchera alors une rente d’invalidité que dans la mesure où une telle rente serait octroyée dans les mêmes conditions à un assuré d’âge moyen présentant les mêmes capacités professionnelles et les mêmes aptitudes personnelles. Ce système repose sur la considération qu’une même atteinte à la santé peut entraîner chez une personne âgée des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain que chez une personne d’âge moyen pour diverses raisons (difficultés de reclassement ou de reconversion professionnels, diminution des capacités d’adaptation et d’apprentissage), alors que l’âge en tant que tel n’est pas une atteinte à la santé dont l’assureur-accidents doit répondre (ATF 122 V 418 consid. 3a; arrêt 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.1; voir également PETER OMLIN, Die Invalidität in der obligatorischen Unfallversicherung, 1995, p. 235 ss.; ANDRÉ GHÉLEW/OLIVIER RAMELET/JEAN-BABTISTE RITTER, Commentaire de la loi sur l’assurance-accidents [LAA], 1992, p. 103).

La deuxième variante est également applicable lorsque l’âge avancé n’est pas un facteur qui a une incidence sur l’exigibilité, mais qu’il est malgré tout un obstacle à la mise en valeur de la capacité résiduelle de gain, notamment parce qu’aucun employeur n’est disposé à engager un employé présentant des atteintes à la santé pour un laps de temps très court avant l’ouverture de son droit à une rente de l’AVS (arrêts 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.2.2; 8C_346/2013 du 10 septembre 2013 consid. 4.2; 8C_806/2012 du 12 février 2013 consid. 5.2.2; MARC HÜRZELER/CLAUDIA CADERAS, in: Marc Hürzeler/Ueli Kieser [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, N. 42 ad art. 18 LAA). Il s’agit d’empêcher l’octroi de rentes d’invalidité qui comporteraient, en fait, une composante de prestation de vieillesse (cf. OMLIN, op. cit., p. 249 avec les références). On rappellera que les rentes ont un caractère viager (cf. toutefois le nouvel art. 20 al. 2ter LAA, en vigueur depuis le 1er janvier 2017; cf. consid. 8.4 infra). L’âge moyen est de 42 ans ou, du moins, se situe entre 40 et 45 ans, tandis que l’âge avancé est d’environ 60 ans; il ne s’agit toutefois que d’un ordre de grandeur et non d’une limite absolue (ATF 122 V 418 consid. 1b; arrêts 8C_205/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.4; U 106/89 du 13 août 1990 consid. 4d et e, in: RAMA 1990 n° U 115 p. 389). La comparaison des revenus d’un assuré d’âge moyen comprend aussi bien le revenu sans invalidité que le revenu d’invalide (ATF 114 V 310 consid. 2 in fine; arrêt 8C_554/2017 du 4 juillet 2018 consid. 3.3.1; OMLIN, op. cit., p. 256).

Consid. 7.3
En l’espèce, l’assuré était âgé de 64 ans et huit mois au moment de l’ouverture du droit à la rente, et il ne lui restait que quatre mois d’activité professionnelle jusqu’à l’âge de la retraite AVS. Il ressort des constatations de l’arrêt attaqué qu’il s’était opposé à la décision initiale de l’assurance-accidents pour le motif principal qu’il n’envisageait pas de pouvoir se former et reprendre une nouvelle activité pour seulement quelques mois. En outre, il demandait (à tort) l’octroi d’une rente d’invalidité de l’assurance-accidents jusqu’au 31.12.2020 uniquement, soit jusqu’au moment où il aurait atteint l’âge de retraite. Par ailleurs, la cour cantonale a retenu qu’il paraissait peu compatible avec un engagement limité à une période de quatre mois qu’un employeur octroie une certaine formation – impliquée par les activités du niveau de compétence 2 – à l’assuré. Ainsi, la conclusion s’impose que l’assuré n’a pas repris d’activité lucrative principalement à cause de son âge avancé. On est donc de toute évidence en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA.

 

Consid. 8.1
L’application de l’art. 28 al. 4 OLAA étant admise, il sied d’examiner son rapport avec l’abattement à cause de l’âge.

Consid. 8.2
A ce propos, on rappellera d’abord que, selon la jurisprudence, l’âge d’un assuré ne constitue pas en soi un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Le Tribunal fédéral a insisté sur ce point et a affirmé que l’effet de l’âge combiné avec un handicap doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels tels que la formation et l’expérience professionnelles de l’assuré concerné (voir l’arrêt 8C_439/2017 du 6 octobre 2017, dans lequel il a été jugé, à propos d’un assuré ayant atteint 62 ans à la naissance du droit à la rente, qu’il n’y avait pas d’indices suffisants pour retenir qu’un tel âge représentait un facteur pénalisant par rapport aux autres travailleurs valides de la même catégorie d’âge, eu égard aux bonnes qualifications professionnelles de celui-ci; arrêt 8C_405/2021 du 9 novembre 2021 consid. 6.4.1).

Consid. 8.3
On soulignera également que l’âge avancé d’un assuré – comme facteur prépondérant à son empêchement de maintenir sa capacité de gain – n’est pas pris en considération de la même manière en assurance-invalidité et en assurance accidents, dans laquelle l’art. 28 al. 4 OLAA, en lien avec l’art. 18 al. 2 LAA, commande de faire abstraction du facteur de l’âge pour les deux termes de la comparaison des revenus, et que l’art. 28 al. 4 OLAA vise à empêcher l’octroi de rentes d’invalidité de l’assurance-accidents qui comporteraient, en fait, une composante de prestation de vieillesse (arrêt 8C_37/2017 du 15 septembre 2017 consid. 6.1, cf. consid. 7.2 supra). Le Tribunal fédéral n’a pas encore tranché le point de savoir si, dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, l’âge avancé constitue un critère d’abattement ou si l’influence de l’âge sur la capacité de gain doit être prise en compte uniquement dans le cadre de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA (cf. arrêts 8C_219/2022 du 2 juin 2022, consid. 6.7.2; 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.2; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.2; 8C_597/2020 du 16 juin 2021 consid. 5.2.5; 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 5, in: SVR 2018 UV n° 40 p. 145).

Consid. 8.4
Dans le cadre de la révision de la LAA du 25 septembre 2015 (Assurance-accidents et prévention des accidents, en vigueur depuis le 1er janvier 2017 [RO 2016 4375; FF 2008 4877, FF 2014 7691]), le législateur a introduit un nouvel art. 20 al. 2ter LAA, dont la teneur est la suivante: « Lorsque l’assuré atteint l’âge ordinaire de la retraite, la rente d’invalidité visée à l’al. 1 et la rente complémentaire visée à l’al. 2, allocations de renchérissement comprises, sont réduites comme suit, en dérogation à l’art. 69 LPGA, pour chaque année entière comprise entre le jour où il a eu 45 ans et le jour où l’accident est survenu: (a) pour un taux d’invalidité de 40% ou plus: de 2 points de pourcentage, mais de 40% au plus; (b) pour un taux d’invalidité inférieur à 40%: de 1 point de pourcentage, mais de 20% au plus. »

Selon le message du Conseil fédéral, les règles de réduction de l’art. 20 al. 2ter LAA devraient s’ajouter au correctif prévu à l’art. 28 al. 4 OLAA (message additionnel relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-accidents [Assurance-accidents et prévention des accidents; organisation et activités accessoires de la CNA] du 19 septembre 2014, FF 2014 p. 7716). Comme les deux règles poursuivent en principe le même but, soit d’éviter une surindemnisation à cause de l’âge avancé de l’assuré, et que la loi a été modifiée ultérieurement, certains auteurs suggèrent d’examiner si, et dans quelle mesure, la disposition contenue dans l’ordonnance serait toujours nécessaire pour atteindre ce but (THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 83 ad art. 18 LAA; PHILIPP GEERTSEN, Das Komplementärrentensystem der Unfallversicherung zur Koordination von UVG-Invalidenrenten mit Rentenleistungen der I. Säule [Art. 20 Abs. 2 UVG], 2011, p. 340; MARC HÜRZELER/CLAUDIA CADERAS, in: Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, n° 38 ad art. 18 LAA). La question n’a pas à être examinée en l’espèce, la rente de l’assuré ne pouvant pas être réduite selon l’art. 20 al. 2ter LAA (cf. al. 2 des dispositions transitoires relatives à la modification du 25 septembre 2015). On retiendra néanmoins que, par cette disposition, le législateur a réitéré sa volonté d’éviter une surindemnisation à cause de l’âge avancé de l’assuré.

Consid. 8.5
Pour atteindre son objectif, l’art. 28 al. 4 OLAA commande qu’on calcule le taux d’invalidité sur la base des revenus (sans et avec invalidité) hypothétiques que pourrait obtenir un assuré d’âge moyen, et que – contrairement à l’art. 16 LPGA – on fasse ainsi abstraction de l’incapacité de travail due à l’âge avancé de l’assuré (cf. ATF 114 V 310 consid. 3b; arrêt U 60/87 du 12 avril 1988 consid. 2; OMLIN, op. cit., p. 255 et 257; cf. consid. 7.2 supra). Or, dès lors que l’on doit s’appuyer sur les valeurs salariales d’un assuré d’âge moyen, une influence pénalisante de l’âge avancé sur le salaire ne peut par définition pas entrer en ligne de compte. Il s’ensuit qu’un abattement à cause de l’âge avancé d’un assuré ne peut pas être envisagé lorsqu’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA.

 

Consid. 9.1
Finalement, il sied d’examiner les revenus (avec et sans invalidité) devant être pris en compte en l’espèce. Dans le cadre de l’application de l’art. 28 al. 4 OLAA, la comparaison des revenus pour l’évaluation du taux d’invalidité doit être établie avec une personne d’âge moyen ayant les mêmes capacités professionnelles et aptitudes personnelles que l’assuré. Est déterminant, pour fixer (de manière hypothétique) le revenu réalisable sans invalidité et le revenu d’invalide, le gain que cette personne pourrait obtenir en exerçant une activité raisonnablement exigible, compte tenu des possibilités que lui offre un marché du travail équilibré (ATF 114 V 310 consid. 4a; cf. consid. 7.2 et 8.5 supra).

Consid. 9.2
A l’instar de l’assurance-accidents, la juridiction cantonale a déterminé le revenu avec invalidité en appliquant les valeurs statistiques de l’ESS. Il a déjà été retenu que l’abattement de 10% opéré par la cour cantonale à cause de l’âge et des limitations fonctionnelles ne peut pas être confirmé, de sorte qu’il en résulte un revenu avec invalidité de 71’946 fr.

Consid. 9.3
En ce qui concerne le revenu sans invalidité, la cour cantonale a suivi l’assurance-accidents, qui a fixé le revenu sans invalidité à 75’000 fr. sur la base du « contrat AFC », ce que l’assuré n’a pas remis en question. Or les pièces au dossier ne permettent pas de vérifier si ce revenu équivaut à un salaire que pourrait réaliser un assuré d’âge moyen étant dans la même situation professionnelle (soit travaillant comme monteur de faux-planchers indépendant) et disposant des mêmes qualifications (soit principalement d’un CAP en menuiserie de bâtiment). Il s’ensuit que le recours doit être partiellement admis, l’arrêt cantonal annulé et la cause renvoyée à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire sur la question du revenu hypothétique sans invalidité qui doit être pris en considération. Après quoi, l’assurance-accidents rendra une nouvelle décision sur le droit à la rente de l’assuré.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à l’assurance-accidents pour nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_716/2021 consultable ici