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8C_773/2021 (f) du 24.05.2022 – Réduction des prestations de moitié – Participation à une rixe ou à une bagarre – 39 LAA – 49 OLAA / Dispute liée à des comportements routiers avant la confrontation physique – Notion de dispute

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_773/2021 (f) du 24.05.2022

 

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Réduction des prestations de moitié – Participation à une rixe ou à une bagarre / 39 LAA – 49 OLAA

Dispute liée à des comportements routiers avant la confrontation physique – Notion de dispute

Pas d’interruption du lien de causalité adéquate entre le comportement de l’assuré et le résultat survenu – Diverses phases de la bagarre formant un tout

 

Le 17.07.2019, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents que l’assuré avait été blessé à l’arcade gauche (coupure sur 1 cm), au doigt, à la nuque et au dos lors d’une bagarre survenue le 13.07.2019 en fin de soirée à la gare de C.__. Les examens médicaux pratiqués à l’Hôpital D.__ ont fait état d’une fracture comminutive transfixiante du corps vertébral de C7, d’une fracture du processus épineux de L4, d’une contusion du rachis cervical ainsi que d’une contusion du 4e doigt droit. L’assuré a été en incapacité de travail depuis lors.

Par décision du 22.10.2019, confirmée sur opposition le 10.01.2020, l’assurance-accidents a réduit de 50% l’indemnité journalière de l’assuré, au motif qu’il était clairement établi par les pièces du dossier pénal qu’il s’était bagarré avec un autre individu après une dispute verbale qui avait mal tourné au sujet d’un dépassement en voiture. Par ordonnance du 19.08.2020, la juge pénale du tribunal de première instance a classé la procédure pénale ouverte contre l’assuré pour conduite inconvenante.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a constaté qu’une altercation verbale liée au comportement routier respectif des protagonistes avait opposé l’assuré à E.__ avant leur confrontation physique, qui s’était déroulée à la place de la gare de C.__. Elle a considéré que l’assuré pouvait et devait se rendre compte qu’il existait un risque non négligeable que la dispute verbale qui l’avait opposé à E.__ dégénère en bagarre avec des actes de violence physique; en se confrontant à l’inconnu qui venait de le dépasser et compte tenu des références explicites à la possibilité d’en venir aux mains, l’assuré s’était placé dans une zone de danger exclue par l’assurance. Par ailleurs, les juges cantonaux ont considéré qu’il n’y avait aucune interruption du lien de causalité entre le comportement de l’assuré et le résultat survenu, relevant que les événements s’étaient produits dans un périmètre restreint et qu’ils appartenaient à un seul et même complexe de faits.

Par jugement du 20.10.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Aux termes de l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces; la réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Fondé sur cette délégation de compétences, l’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu dans les circonstances suivantes: participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a); dangers auxquels l’assuré s’expose en provoquant gravement autrui (let. b); participation à des désordres (let. c).

Consid. 3.2.1
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, la notion de rixe dans l’assurance-accidents est plus large que celle de l’art. 133 CP, même si elle en revêt les principales caractéristiques objectives (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2). Par rixe ou bagarre, il faut entendre une querelle violente accompagnée de coups ou une mêlée de gens qui se battent (ATF 107 V 234 consid. 2a).

Consid. 3.2.2
Il y a participation à une rixe ou à une bagarre, au sens de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA, non seulement quand l’intéressé prend part à de véritables actes de violence, mais déjà s’il s’est engagé dans l’altercation qui les a éventuellement précédés et qui, considérée dans son ensemble, recèle le risque qu’on pourrait en venir à des actes de violence (ATF 107 V 234 consid. 2a; 99 V 9 consid. 1). Il importe peu que l’assuré ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute, mais il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger (ATF 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_193/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3.1, publié in SVR 2020 UV n° 12 p. 43; arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013 consid. 2 et les arrêts cités).

Consid. 3.2.3
En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (arrêts 8C_702/2017 du 17 septembre 2018 consid. 3.1; 8C_575/2017 du 26 avril 2018 consid. 3; 8C_459/2017 du 16 avril 2018 consid. 4.1; 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3; 8C_788/2016 du 20 novembre 2017 consid. 3).

Consid. 3.2.4
Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il faut que le comportement à sanctionner soit propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer une atteinte à la santé du genre de celle qui s’est produite (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2; arrêt 8C_532/2021 du 9 décembre 2021 consid. 3.3 et les arrêts cités). A cet égard, les diverses phases d’une rixe, respectivement d’une bagarre, forment un tout et ne peuvent pas être considérées indépendamment l’une de l’autre (arrêts 8C_702/2017 du 17 septembre 2018 consid. 3.2; 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3).

Consid. 3.3
Enfin, selon une jurisprudence constante, le juge des assurances sociales n’est pas lié par les constatations de fait et l’appréciation du juge pénal. Il ne s’en écarte cependant que si les faits établis au cours de l’instruction pénale et leur qualification juridique ne sont pas convaincants, ou s’ils se fondent sur des considérations spécifiques au droit pénal qui ne sont pas déterminantes en droit des assurances sociales (ATF 143 V 393 consid. 7.2; 125 V 237 consid. 6a; arrêt 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 5.1, publié in SVR 2018 UV n° 30 p. 105).

 

Consid. 4.3
En l’occurrence, les événements du 13.07.2019 se laissent subdiviser en deux parties: en premier lieu, les faits qui se sont produits à la rue F.__, à C.__, après que E.__ avait dépassé l’assuré en voiture, et en second lieu, l’altercation physique entre les deux protagonistes qui a eu lieu vers 22 heures à la place de la gare de C.__.

Consid. 4.4
En ce qui concerne l’altercation, les faits ont été instruits au cours d’une procédure pénale ouverte contre l’assuré pour conduite inconvenante (art. 15 de la loi cantonale du 9 novembre 1978 sur l’introduction du Code pénal suisse; RS/JU 311) qui a débouché sur une ordonnance de classement du 19.08.2020, entrée en force. Il ressort en bref de cette ordonnance de classement que plusieurs éléments permettaient de douter que le prévenu (l’assuré) s’était battu le jour en cause, laissant penser qu’il avait essayé de se défendre. Selon les témoignages crédibles de G.__ et de H.__, amis de l’assuré, celui-ci se trouvait au volant de sa voiture quand un autre individu (E.__) l’avait sorti de son véhicule par la force. L’assuré avait été blessé, ce qui avait été constaté médicalement. La version des faits qu’il avait donnée à la doctoresse I.__ correspondait à celle qu’il avait exposée à la police. En revanche, aucune lésion n’avait été constatée médicalement pour E.__. De surcroît, ce dernier ne semblait pas dire toute la vérité puisqu’il avait deux objets dans ses mains vers la fin de l’altercation et que la police, qui était intervenue rapidement, n’avait pas pu retrouver ces objets. En conséquence, il apparaissait que l’assuré n’avait qu’essayé de se défendre lors des faits.

Cela étant, il n’y a pas lieu de s’écarter des faits constatés par l’autorité pénale, qui sont convaincants et par ailleurs concordants avec les éléments versés au dossier de l’assurance-accidents.

 

Consid. 4.5
Il convient ensuite de déterminer si, préalablement à cette agression, une dispute entre l’assuré et son agresseur a eu lieu (cf. consid. 3.2.3 supra).

Sur ce point, les déclarations des personnes interrogées divergent. E.__ soutient que l’assuré l’aurait insulté verbalement en disant notamment « tu es un malade, tu roules comme un connard », alors que celui-ci conteste avoir prononcé des grossièretés à son égard, en admettant toutefois l’avoir klaxonné ensuite de son dépassement. En outre, l’assuré conteste s’être arrêté à la station d’essence J.__, prétendant qu’il était passé à côté de E.__ à faible vitesse et que, voyant que celui-ci était énervé, il avait continué son chemin. En revanche, E.__ a déclaré que l’assuré s’était arrêté à côté de lui, l’avait injurié et avait pris une photo de sa plaque d’immatriculation. Quant à H.__, il a déclaré que l’assuré l’aurait appelé ce samedi soir vers 21h50, en expliquant qu’une personne avait essayé de lui foncer dessus avec sa voiture et était sortie de sa voiture en le menaçant.

Quand bien même le comportement et les propos précis des protagonistes ne peuvent pas être établis, ceux-ci s’accordent sur le fait que préalablement à l’agression survenue à la place de la gare, ils ont eu un différend quant à leur comportement routier respectif. Contrairement à ce que soutient l’assuré, la question de savoir si la dispute était verbale n’est pas décisive pour la question à trancher, dans la mesure où une dispute au sens de la jurisprudence (cf. consid. 3.2.3 supra) peut avoir lieu sous différentes formes et notamment de façon non verbale, par exemple par un geste désobligeant (arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013, publié in SVR 2013 UV n° 21 p. 78 et résumé in Plaidoyer 2013 n° 3 p. 58) ou encore par un comportement routier inapproprié (par exemple le fait d’accélérer alors qu’un autre véhicule est en train de dépasser, puis de klaxonner pour exprimer son mécontentement; arrêt 8C_685/2016 du 1er juin 2017 consid. 3 et 5), comme ce fut le cas en l’espèce. C’est dès lors à juste titre que la cour cantonale a retenu qu’une dispute liée à leur comportement routier respectif a opposé l’assuré à E.__ avant leur confrontation physique.

 

Consid. 4.6
On ne peut pas non plus suivre l’argumentation de l’assuré quant à l’interruption du lien de causalité adéquate entre le comportement de l’assuré et le résultat qui est survenu (sur cette notion cf. ATF 134 V 340 consid. 6.2; 133 V 14 consid. 10.2; 130 III 182 consid. 5.4; voir également, pour un cas où une interruption de la causalité adéquate a été admise, l’arrêt 8C_363/2010 du 29 mars 2011 et, concernant la même affaire au plan civil, l’arrêt 4A_66/2010 du 27 mai 2010), en particulier lorsqu’il fait valoir qu’il n’y aurait pas de continuité entre l’altercation routière et l’agression. En effet, les faits se sont produits dans un périmètre restreint (à une distance de quelques centaines de mètres) et dans un intervalle relativement court puisque l’agression à la place de la gare a eu lieu environ 30 voire 60 minutes après l’incident routier, comme l’admet l’assuré. La cour cantonale était dès lors fondée à considérer que les diverses phases de la bagarre formaient un tout et ne pouvaient pas être considérées indépendamment l’une de l’autre (cf. consid. 3.2.4 supra; cf. arrêt 8C_405/2016 du 18 août 2016 consid. 3.4, publié in SVR 2016 UV n° 42 p. 140, dans lequel le Tribunal fédéral a admis une unité entre deux altercations qui s’étaient déroulées à un intervalle de 2,5 heures et à une distance de 1 km).

Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu’entre les deux événements, l’assuré a appelé son ami H.__ en lui expliquant « j’ai un problème vers chez J.__ à C.__ ». Ensuite de son appel, celui-ci a rejoint l’assuré (« pour aider mon copain A.__) qui l’attendait avec K.__. À trois, ils se sont rendus à la place de la gare, où l’assuré s’est fait agresser par E.__, qui était également venu avec deux amis. Cela tend à démontrer qu’avant même l’altercation proprement dite, l’assuré avait déjà conscience du fait que la situation présentait un danger pour lui.

Consid. 4.7
Partant, on doit admettre, à l’instar des juges cantonaux, que l’agression dont a été victime l’assuré s’est produite alors que ce dernier avait eu un comportement tombant sous le coup de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA. Par conséquent, l’assureur-accidents pouvait réduire ses prestations en espèces de moitié.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_773/2021 consultable ici

 

8C_532/2021 (f) du 09.12.2021 – Réduction des prestations – Rixe – 39 LAA – 49 OLAA / Pas de participation à une rixe ou à une bagarre en l’espèce

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_532/2021 (f) du 09.12.2021

 

Consultable ici

 

Réduction des prestations – Rixe / 39 LAA – 49 OLAA

Pas de participation à une rixe ou à une bagarre en l’espèce

Assuré tournant le dos à son agresseur – Absence de causalité entre l’attitude de l’assuré et les coups reçus

 

Le 26.04.2019, l’employeur a fait parvenir à l’assurance-accidents une déclaration indiquant que le 21.04.2019, l’assuré avait été victime d’une agression dans laquelle avaient été impliqués lui-même, son ex-épouse et le nouveau conjoint de celle-ci. Selon le rapport de consultation aux urgences du 21.04.2019, l’assuré a subi de multiples contusions à l’épaule, à l’omoplate et au poignet gauches ainsi qu’au coccyx. Il a été en incapacité de travail totale depuis lors.

Il ressort des pièces de la procédure pénale ouverte à la suite de la plainte de l’assuré que le jour en question, après l’exercice de son droit de visite et accompagné de sa compagne D.__, il était venu ramener les enfants à son ex-épouse. Il avait garé sa voiture au bas de l’immeuble, sur son ancienne place de parc, désormais utilisée par son ex-épouse. Après avoir mis les enfants dans l’ascenseur, il était ressorti de l’immeuble et avait alors fumé une cigarette en compagnie de E.__, concierge de l’immeuble.

Selon la version des faits de A.__, il avait entendu la fenêtre de l’appartement de son ex-épouse s’ouvrir et F.__, le compagnon de celle-ci, crier qu’il était garé sur leur place de parc. Il lui avait rétorqué qu’il fumait sa cigarette et allait s’en aller. Constatant que F.__ était énervé et l’insultait, il avait alors déplacé sa voiture pour éviter d’envenimer la situation. F.__ avait alors surgi du bâtiment, l’avait traité notamment de « connard » et de « fils de pute » et l’avait bousculé. E.__ avait voulu s’interposer, mais l’assuré l’avait retenu en se mettant entre lui et F.__. D.__ s’en était aussi mêlée en enjoignant à F.__ de cesser ses insultes. Alors que l’assuré se trouvait face à E.__ pour le calmer et dos à F.__, ce dernier lui avait asséné un coup de pied à l’arrière de la cuisse gauche. Ensuite, alors que son amie était à nouveau intervenue verbalement et qu’il s’était interposé entre elle et F.__, ce dernier lui avait porté deux nouveaux coups de pied dans le genou gauche, puis trois à quatre violents coups sur le haut du dos.

E.__ et D.__ ont confirmé pour l’essentiel la version de l’assuré, à savoir que celui-ci s’était interposé entre eux-mêmes et F.__ et que ce faisant, il avait reçu des coups de pied et de « matraque » de son antagoniste.

Par ordonnance pénale du 02.08.2019, F.__ a été reconnu coupable de lésions corporelles simples, voies de fait et injures sur la base de l’état de fait suivant: « Le 21.04.2019, pour de futiles motifs, une dispute verbale a éclaté entre E.__ et F.__. Ce dernier a frappé [l’assuré], qui tentait de les séparer, à l’aide d’un objet contondant et à coups de pied (…) « .

La procédure pénale ouverte contre l’assuré, sur plainte de F.__, pour injures et menaces a été classée le 18.03.2020.

Par décision du 13.05.2020, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a réduit de 50% l’indemnité journalière due à l’assuré en raison de son incapacité de travail, au motif qu’il avait été blessé dans un accident non professionnel survenu lors d’une bagarre. Elle a retenu que l’assuré devait se rendre compte au vu de l’attitude de F.__ que la situation allait dégénérer et qu’il s’était par son comportement inscrit dans une logique de bagarre, placé dans une zone de danger et exposé au risque d’être blessé.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a constaté qu’il résultait des déclarations concordantes qu’initialement, la confrontation avait éclaté entre E.__ et F.__, puis, la compagne de l’assuré s’en étant mêlée, entre celle-ci et F.__. Les deux fois, l’assuré avait admis s’être interposé entre les protagonistes, tournant le dos à F.__ pour calmer E.__ d’abord, puis pour tempérer sa compagne ensuite. On ne pouvait dès lors pas suivre la thèse de l’assuré selon laquelle il serait intervenu pour « faire barrage de son corps » afin de protéger les siens. Tant E.__ que D.__ avaient démontré par leur réaction, à tout le moins verbale, à l’égard de F.__ qu’ils n’étaient pas des personnes sans défense. En s’interposant physiquement entre F.__ et E.__ d’abord, puis en intervenant dans l’échange d’invectives entre F.__ et sa compagne, l’assuré s’était délibérément placé dans la zone de danger exclue par l’assurance-accidents. En outre, l’assuré avait constaté dès le début de la scène, alors que F.__ était encore à sa fenêtre, que ce dernier se montrait belliqueux et prêt à en découdre. C’était la raison pour laquelle il avait choisi dans un premier temps de déplacer sa voiture et de quitter rapidement les lieux, pour selon ses propres termes « éviter d’envenimer la situation ». Il devait dès lors se rendre compte qu’il risquait une réaction violente de la part de F.__. En s’attardant pour terminer sa cigarette, puis s’immiscer dans la confrontation entre F.__ et E.__, l’assuré avait délibérément pris le risque que les choses dégénèrent à son désavantage jusqu’à être agressé physiquement. Il existait dès lors indéniablement un lien de causalité entre son comportement et les lésions qu’il avait subies, de sorte que l’intimée était fondée à réduire ses prestations en application de l’art. 49 al. 2 OLAA.

Par jugement du 18.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3

Aux termes de l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces; la réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l’art. 21, al. 1 à 3, LPGA. Fondé sur cette délégation de compétences, l’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu dans les circonstances suivantes: participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a); dangers auxquels l’assuré s’expose en provoquant gravement autrui (let. b); participation à des désordres (let. c).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral et de l’ancien Tribunal fédéral des assurances, la notion de rixe dans l’assurance-accidents est plus large que celle de l’art. 133 CP, même si elle en revêt les principales caractéristiques objectives (cf. ATF 104 II 281 consid. 3a; arrêt 5C.72/1994 du 13 mars 1995 consid. 3d; AUFDENBLATTEN, Die Beteiligung am Raufhandel, thèse Berne 1955, p. 52 ss). Par rixe ou bagarre, il faut entendre une querelle violente accompagnée de coups ou une mêlée de gens qui se battent (ATF 107 V 234 consid. 2a). Il y a participation à une rixe ou à une bagarre, au sens de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA, non seulement quand l’intéressé prend part à de véritables actes de violence, mais déjà s’il s’est engagé dans l’altercation qui les a éventuellement précédés et qui, considérée dans son ensemble, recèle le risque qu’on pourrait en venir à des actes de violence (ATF 107 V 234 consid. 2a; 99 V 9 consid. 1). Il s’agit d’éviter de pénaliser la communauté des assurés par la prise en charge collective de frais inhérents à la couverture d’un risque jugé indésirable (ATF 99 V 9 consid. 1). Il importe peu que l’assuré ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute, mais il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger (ATF 99 V 9 consid. 1; arrêt 8C_193/2019 du 1er octobre 2019 consid. 3.1, publié in SVR 2020 UV n°12 p. 43; arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013 consid. 2 et les arrêts cités).

Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il faut que le comportement à sanctionner soit propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer une atteinte à la santé du genre de celle qui s’est produite (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2; arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013 consid. 2 et les arrêts cités; arrêts du Tribunal fédéral des assurances U 325/05 du 5 janvier 2006, consid. 1.2 non publié à l’ATF 132 V 27 mais in SVR 2006 UV n° 13 p. 45, et U 106/92 du 15 décembre 1994 consid. 6a; voir aussi arrêts 8C_702/2017 du 17 septembre 2018 consid. 3.2, publié in SVR 2019 UV n° 16 p. 58; 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3 et les arrêts cités).

 

Consid. 4.3

Au regard des faits tels qu’ils résultent du dossier et tels que la cour cantonale les a elle-même constatés, l’attitude de l’assuré ne peut pas être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre, même au sens large défini par la jurisprudence en matière d’assurance-accidents. En effet, seule une agression verbale de la part de F.__ à l’encontre de E.__ avait précédé les premiers coups portés par F.__ alors que l’assuré lui tournait le dos pour calmer E.__. On ne saurait dès lors retenir que l’assuré se serait engagé dans une altercation dont il aurait dû prévoir qu’on pourrait en venir à des actes de violence. Au surplus, le comportement de l’assuré, qui s’est fait agresser alors qu’il tentait de tempérer E.__ puis sa compagne et qu’il tournait le dos à son agresseur, n’apparaissait pas propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à provoquer une atteinte à la santé du genre de celle qu’il a subie. Une réduction des prestations selon l’art. 49 al. 2 OLAA ne se justifiait donc pas en l’espèce.

 

Le TF admet le recours de l’assuré et annule le jugement cantonal et la décision de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_532/2021 consultable ici

 

 

8C_702/2017 (f) du 17.09.2018 – Participation à une rixe – 39 LAA – 49 OLAA / « Allez vous faire foutre » n’est pas similaire à un « doigt d’honneur »

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_702/2017 (f) du 17.09.2018

(arrêt à 5 juges)

 

Consultable ici

 

Participation à une rixe / 39 LAA – 49 OLAA

« Allez vous faire foutre » n’est pas similaire à un « doigt d’honneur »

Réduction des prestations en espèces niée par le TF

 

Assuré, apprenti électronicien, qui a déposé le 08.07.2013 une plainte pénale pour lésions corporelles simples, menaces, injures et dommages à la propriété. Selon le rapport de dénonciation, il s’est rendu le 6 juillet 2013 aux rencontres des jeunesses, où il a campé du samedi au dimanche matin. Lors de son départ, le dimanche vers 9h30, il s’est fait insulter par quatre jeunes hommes qui se trouvaient dans un véhicule et qui s’apprêtaient également à quitter les lieux. L’assuré leur a répondu. Le conducteur de la voiture est alors sorti et s’est dirigé vers lui. Arrivé à sa hauteur, il l’a aussitôt frappé. L’assuré s’est défendu à l’aide d’un casque de moto qu’il tenait dans une main. Immédiatement après, les trois passagers du véhicule sont également sortis et ont, à leur tour, frappé le plaignant. Un de ces jeunes criait à son copain:  « tue-le, tue-le! ». Les quatre individus ont ensuite menacé l’assuré en lui disant:  « on va se revoir ». Les agresseurs de l’assuré n’ont pas pu être identifiés.

L’assuré a subi une luxation de l’épaule droite. L’assurance-accidents a pris en charge le cas.

Le 10.08.2015, l’employeur a annoncé une rechute par déclaration de sinistre LAA en raison de douleurs à l’épaule droite apparues en juin 2015.

Le 15.03.2016, l’assuré a été entendu par un agent de l’assurance-accidents. Revenant sur les faits survenus le 07.07.2013, il a précisé qu’avant de se faire insulter, il ne s’était pas adressé aux occupants du véhicule, ni oralement, ni par geste. Il s’est fait insulter « avec pleins de noms d’oiseaux et notamment par « pédé » ». Il avait répondu: « Allez vous faire foutre ». C’est alors que le conducteur était sorti de la voiture et, sans dire un mot, lui avait asséné un coup de poing au visage. Il avait réagi et s’était défendu au moyen du casque de moto qu’il tenait dans sa main en frappant le conducteur à la tête. Immédiatement après les autres occupants de la voiture étaient sortis du véhicule et l’avaient frappé violemment.

Le 01.06.2016, l’assurance-accidents a nié le lien de causalité naturelle entre l’accident du 07.07.2013 et les lésions de l’épaule droite déclarées. Après opposition de l’assuré, l’assurance-accidents a réexaminé la situation médicale et a accepté d’allouer ses prestations. Toutefois, elle a réduit les prestations en espèces de moitié au titre d’une participation à une rixe.

 

Procédure cantonale

Les juges cantonaux ont considéré qu’envoyer quelqu’un « se faire foutre », même sous le coup de la provocation, n’est pas anodin. Selon eux, à l’instar du « doigt d’honneur », l’expression utilisée par l’assuré était dotée d’une connotation sexuelle sans équivoque et a vocation à humilier la personne à qui elle s’adresse. L’assuré aurait pu demander qu’on le « laisse tranquille » ou, à la limite, qu’on lui « foute la paix ». Il aurait aussi pu se contenter de rester silencieux malgré l’altercation verbale provoquée par ses opposants, voire d’ignorer leurs propos et de quitter les lieux sans demander son reste dès lors qu’il était déjà sur le départ. Au vu du caractère de surenchère des propos assumés de l’assuré, la réaction de l’agresseur n’était pas si imprévisible et inattendue qu’il faille admettre qu’il n’existe aucun lien entre la parole prononcée et les coups qui ont suivis. Selon la cour cantonale, les propos tenus par l’assuré étaient manifestement susceptibles, au vu du contexte d’emblée tendu, d’entraîner une réaction de violence telle qu’elle s’est effectivement produite. Aux dires même d’ailleurs de l’assuré, « leurs intentions [de ses agresseurs] m’étaient claires dès le début, soit chercher la bagarre ». Son argument selon lequel il ne serait pas à l’origine de l’altercation et n’aurait fait que se défendre ne lui était par conséquent d’aucun secours dès lors que, même sans l’avoir réellement initiée, il s’était mis volontairement dans une zone de danger qu’il reconnaissait avoir parfaitement jaugée.

Par jugement du 24.08.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu notamment en cas de participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a). La notion de participation à une rixe ou à une bagarre est plus large que celle de l’art. 133 CP. Pour admettre l’existence d’une telle participation, il suffit que l’assuré entre dans la zone de danger, notamment en participant à une dispute. Peu importe qu’il ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute: il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger. En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (arrêts 8C_575/2017 du 26 avril 2018 consid. 3; 8C_459/2017 du 16 avril 2018 consid. 4.1; 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3; 8C_788/2016 du 20 novembre 2017 consid. 3; 8C_263/2013 du 19 août 2013).

Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident ou si la provocation n’est pas de nature, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, à entraîner la réaction de violence, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il convient de déterminer rétrospectivement, en partant du résultat qui s’est produit, si et dans quelle mesure l’attitude de l’assuré apparaît comme une cause essentielle de l’accident (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2 p. 320). A cet égard, les diverses phases d’une rixe, respectivement d’une bagarre, forment un tout et ne peuvent être considérées indépendamment l’une de l’autre (arrêt 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3 et les arrêts cités).

 

Selon le Tribunal fédéral, contrairement à l’opinion des premiers juges, on ne saurait considérer, dans le présent contexte tout au moins, que l’expression incriminée est constitutive d’une injure (sur cette notion en droit pénal, voir l’arrêt 6B_557/2013 du 12 septembre 2013 consid. 1.1). Il s’agit d’une locution que l’on peut certes qualifier de vulgaire, mais qui, dans le cas particulier, peut être comprise comme signifiant, familièrement dit, « dégage », ou « va te faire fiche » ou encore « va te faire voir ». Dans le langage courant actuel, elle est dépourvue de connotation sexuelle contrairement aussi à ce que retient la juridiction cantonale. Son sens étymologique (se faire posséder sexuellement selon le Grand Robert, dictionnaire de la langue française dans sa version électronique) est aujourd’hui sorti de l’usage. On peut en outre sérieusement douter que les occupants du véhicule, qui avaient provoqué gratuitement et sans doute assez gravement l’assuré en proférant des insultes à son endroit, se soient sentis particulièrement humiliés par les mots de ce dernier.

De plus, on ne saurait guère attendre d’un jeune homme, alors âgé de 19 ans, qu’il se laisse insulter par d’autres jeunes gens tout en restant silencieux ou qu’il réagisse en des termes choisis. Les mots employés par l’assuré s’inscrivaient dans le contexte particulier d’une agression verbale et relevaient d’une réaction spontanée à celle-ci. Si véritablement les intentions des agresseurs devaient être claires dès le début, on peut alors penser que ceux-ci ont saisi le prétexte de cette réaction pour frapper l’assuré. Ce n’est du reste pas tant les mots en question qui sont à l’origine des coups qui ont été portés à l’assuré par les quatre occupants du véhicule que le fait que l’assuré a tenté de se défendre au moyen de son casque contre le premier agresseur. C’est ce geste de défense qui a visiblement provoqué un désir de vengeance des trois autres protagonistes restés jusque-là à l’intérieur du véhicule avant de venir frapper à leur tour l’assuré. L’injonction répétée « tue-le, tue-le ! » proférée par l’un d’entre eux et la menace « on va se revoir » constituent des indices sérieux de cette volonté de vengeance.

En définitive il n’y a pas eu de dispute préalable dans laquelle se serait engagé imprudemment l’assuré. Son mouvement de défense au moyen de son casque était légitime. Malgré les termes employés, sa réponse aux insultes proférées ne suffisait pas à le placer dans la zone de danger exclue par l’assurance.

Dans ces conditions, il n’y avait pas lieu à réduction des prestations en application de l’art. 49 al. 2 OLAA. On notera, pour terminer, que les faits de la présente cause ne sont pas comparables à la situation jugée dans l’arrêt 8C_932/2012 du 22 mars 2013 où un assuré qui se trouvait dans sa voiture avec sa femme dans un parking a été passé à tabac par deux jeunes gens auxquels ils avaient montré un doigt d’honneur, geste qui présentait indéniablement un caractère obscène et qui passait pour une provocation (cf. consid. 4 de l’arrêt).

 

Le TF admet le recours de l’assuré et annule le jugement cantonal et la décision de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_702/2017 consultable ici

 

 

8C_459/2017 (f) du 16.04.2018 – Dangers extraordinaires – Participation à une rixe ou à une bagarre – 39 LAA – 49 OLAA / Capacité de discernement – 16 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_459/2017 (f) du 16.04.2018

 

Consultable ici : https://bit.ly/2L8Klv0

 

Dangers extraordinaires – Participation à une rixe ou à une bagarre / 39 LAA – 49 OLAA

Capacité de discernement / 16 CC

 

Assuré, machiniste grutier, annonce le 17.04.2015 via son employeur l’accident survenu le 14.04.2015 vers 23h45. Interrogé par un inspecteur de l’assurance-accidents sur les événements survenus le 14.04.2015, l’assuré a fourni les précisions suivantes. Il venait de s’attabler avec une fille du bar quand un individu qu’il ne connaissait pas l’a apostrophé en disant « Pourquoi tu me regardes connard ? ». Il n’a pas répondu et l’inconnu s’est dirigé vers lui. Il s’est levé et ensuite l’homme l’a saisi par le maillot et lui a donné un coup de coude au visage du côté gauche. Ceci fait, ce dernier l’a encore insulté en disant à plusieurs reprises qu’il allait le tuer. Comme il ne comprenait pas les motifs de cette agression, l’assuré a proposé à l’homme de sortir du bar pour que celui-ci lui explique calmement pourquoi il l’avait frappé. Après qu’ils furent sortis du bar, l’individu lui a directement asséné trois coups de boule, ce qui l’a fait tomber. L’agresseur a continué à le rouer de coups avec ses poings et ses pieds, puis a cherché une pierre pour la lui lancer dessus. L’assuré a alors réussi à se relever et à s’enfuir. Comme l’agresseur était retourné dans le bar, il a appelé la police et pris des photos des voitures qui étaient parquées dans les alentours avec son natel. Prévenu par un comparse, l’agresseur est ressorti de l’établissement, l’a frappé à nouveau tout en essayant de lui prendre son natel. Puis les deux hommes sont montés dans une voiture et ont foncé sur lui avant de s’éloigner. Lui-même s’est caché derrière un véhicule puis a récupéré sa veste dans le bar, qui avait déjà fermé ses portes, grâce à l’une des employées. Peu après, la police est arrivée.

L’assuré a porté plainte contre son agresseur. La police a auditionné diverses personnes présentes lors des événements, dont la jeune femme qui s’était attablée avec l’assuré et le barman. Ces derniers ont confirmé que l’agresseur s’en était pris physiquement à l’assuré à l’intérieur du bar.

Selon le rapport de constat de coups, l’assuré présentait des fractures des côtes 5-6-7 à droite et 6 à gauche, une fracture non déplacée des os propres du nez, une plaie au nez, des contusions lombaires et cervicales, de multiples ecchymoses et contusions des membres, une entorse stade 1 de la cheville droite ainsi qu’une douleur aux dents 21-22-23.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a réduit ses prestations en espèces de 50%, au motif que l’assuré avait invité son agresseur à s’expliquer à l’extérieur du bar, s’exposant de la sorte au risque d’être blessé.

 

Procédure cantonale

En instance cantonale, l’assuré a produit un rapport d’une psychologue LAVI. Selon elle, l’assuré avait été confronté, lors de la première phase de l’agression, à un stress aigu induisant une réaction neurobiologique qui l’avait empêché de réagir avec tout le discernement d’une personne en pleine possession de ses capacités cognitives (les aspects émotionnels prenant le pas sur les fonctions exécutives en raison d’une dérégulation du cortex pré-frontal et l’activation de l’amygdale) ; pour cette raison, il ne pouvait être considéré que le prénommé s’était sciemment exposé au risque d’être blessé. Cet avis était partagé par le psychiatre de l’assuré. A l’appui de sa réponse, l’assureur-accidents a transmis une appréciation de la spécialiste en psychiatrie et psychothérapie de sa division de médecine des assurances, écartant la thèse d’une incapacité de discernement au moment des faits.

Les juges cantonaux ont retenu que l’assuré avait été, dans un premier temps, insulté et frappé par surprise par son agresseur dans le bar et qu’il avait, dans un deuxième temps, invité celui-ci à s’expliquer à l’extérieur de l’établissement. Par ailleurs, peu importait en définitive qui avait proposé à l’autre de sortir du bar, il n’en demeurait pas moins que l’assuré avait pris la décision de se rendre à l’extérieur de l’établissement. Or il aurait pu et dû se rendre compte qu’un individu pris de boisson qui venait de faire preuve d’une agressivité gratuite à son encontre allait plus vraisemblablement poursuivre son comportement violent une fois hors du bar que s’engager dans une conversation avec lui. En prenant la décision de sortir de l’établissement, l’assuré s’était ainsi placé dans la zone de danger exclue par l’assurance. Enfin, il n’y avait aucun élément – déficience mentale ou troubles psychiques – permettant d’établir qu’à ce moment-là, il avait été privé de sa capacité de discernement.

Par jugement du 19.05.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal, la réduction des prestations prononcée par l’assureur-accidents n’étant pas critiquable.

 

TF

Participation à une rixe ou à une bagarre – 39 LAA – 49 OLAA

La notion de participation à une rixe ou à une bagarre est plus large que celle de l’art. 133 CP. Pour admettre l’existence d’une telle participation, il suffit que l’assuré entre dans la zone de danger, notamment en participant à une dispute. Peu importe qu’il ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute : il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger. En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire in: Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3e éd., 2016, nos 418 et 419). Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu.

Le TF ne suit pas le raisonnement de l’assuré lorsqu’il prétend qu’il pouvait raisonnablement croire que son agresseur avec lequel il n’avait échangé aucune parole et qui était ivre, avait repris le contrôle sur lui-même et s’était calmé après qu’il s’en fut pris physiquement à lui sans raison particulière dans le bar. En effet, celui-ci a continué à l’insulter et même à le menacer de sorte que l’assuré avait bien plutôt des motifs de penser qu’il allait persévérer dans un comportement violent. Dans ces circonstances, l’assuré pouvait et aurait dû reconnaître qu’en proposant à son agresseur de s’expliquer dehors, alors que les motivations de l’attitude agressive de celui-ci lui étaient inconnues, il s’exposait à une situation encore plus dangereuse pour lui avec un risque de nouvelles violences. Même s’il n’a pas réagi aux provocations ni répondu aux coups reçus, c’est précisément en prenant la décision de porter la discussion avec son agresseur à l’extérieur de l’établissement, où il n’y avait personne, que l’assuré s’est mis dans la zone de danger exclue par l’assurance, tandis qu’il aurait pu rester à l’intérieur et demander de l’aide aux personnes présentes ou appeler la police. Selon la jurisprudence, ce comportement tombe sous le coup de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA.

 

Capacité de discernement

Selon l’art. 16 CC, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2013, toute personne qui n’est pas privée d’agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d’ivresse ou d’autres causes semblables est capable de discernement au sens de la présente loi. Celui qui en allègue l’absence doit prouver l’incapacité de discernement au stade de la vraisemblance prépondérante (ATF 118 Ia 236 consid. 2b p. 238; arrêt 6B_ 869/2010 du 16 septembre 2011 consid. 4.2).

En l’espèce, on peut se rallier à l’appréciation médicale établie par la psychiatre de la division de médecine de l’assurance-accidents, qui a expliqué de façon convaincante les raisons pour lesquelles elle écartait la thèse d’une incapacité de discernement de l’assuré, quand bien même elle a suggéré que son avis soit confirmé par la mise en œuvre d’une expertise psychiatrique. Selon cette psychiatre, les considérations de la psychologue sur les processus neurobiologiques induits par un état de stress étaient certes correctes sur un plan général et théorique. Cependant l’activation du système de régulation en cas de situation dangereuse décrit par la psychologue n’entraînait habituellement pas une diminution ou une absence de la capacité de discernement. En revanche, une réaction pathologique de ce système propre à induire une réduction ou une suppression de la capacité de discernement était possible en cas de troubles psychiques ou d’intoxications. En ce qui concernait l’assuré toutefois, il n’y avait pas au dossier d’indices concrets évocateurs d’une limitation des facultés cognitives ni de troubles psychiques qui auraient pu influencer sa capacité de discernement lors des événements en cause. On relèvera à cet égard que le test éthylique auquel la police a procédé à minuit sur l’assuré s’est révélé négatif. Par ailleurs, si le docteur psychiatre-traitant a fait mention d’un état dépressif diagnostiqué en 2013, il a précisé que cette affection avait évolué favorablement à l’époque où l’agression s’est produite. En tout état de cause, lorsque ce médecin déclare qu’à son avis, « il était difficile d’estimer que l’assuré avait toutes ses facultés mentales pour analyser calmement et avec discernement ce qui lui arrivait et de réfléchir aux conséquences que pouvait avoir le fait de sortir du bar », cela ne signifie pas encore que le prénommé était privé de sa capacité de discernement au sens de l’art. 16 CC au moment déterminant. Il n’y a donc pas lieu de compléter l’instruction sur ce point.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_459/2017 consultable ici : https://bit.ly/2L8Klv0