Archives de catégorie : Jurisprudence

9C_458/2018 (f) du 17.10.2018 – Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_458/2018 (f) du 17.10.2018

 

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Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement / 16 LPGA

 

Assurée, née en 1972, opératrice, a été percutée, le 16.12.2011, par un véhicule alors qu’elle traversait un passage pour piétons, ce qui a causé une fracture du bassin et une fracture bifocale de l’humérus droit ; un état de stress post-traumatique s’en est suivi.

Dépôt de la demande AI le 11.06.2012.

L’assurée présente une capacité de travail entière d’un point de vue somatique dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles suivantes : position assise ou debout, avec un port occasionnel de charges allant jusqu’à 5 kg à l’aide de la main gauche uniquement, sans aucun effort de soulèvement de la main droite, le coude droit posé sur une table comme pour utiliser une souris d’ordinateur, en évitant les mouvements de rotation internes et externes répétés de l’épaule. Cette capacité est réduite uniquement en raison de la problématique psychique, l’assurée étant capable d’exercer un travail à mi-temps avec une diminution de rendement de 20% en raison des troubles de l’attention et de la concentration, une irritabilité, une humeur triste et des conduites d’évitement.

Par décisions, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière d’invalidité du 01.12.2012 au 31.08.2013, puis trois-quarts de rente du 01.09.2013 au 31.05.2014, puis une rente entière du 01.10.2015 au 31.08.2016 et enfin une demi-rente dès le 01.09.2016. L’office AI a appliqué un abattement de 5% au salaire d’invalide établi sur la base de l’ESS.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 24.05.2018, admission partielle du recours par le tribunal cantonal et octroi d’une rente entière pour la période du 01.09.2013 au 31.05.2014. L’abattement a été porté à 15% par la juridiction cantonale, en raison des limitations fonctionnelles ainsi que l’absence complète de formation.

 

TF

En ce qui concerne la fixation du revenu d’invalide (cf. art. 16 LPGA) sur la base des statistiques salariales, il est notoire, selon la jurisprudence, que les personnes atteintes dans leur santé, qui présentent des limitations même pour accomplir des activités légères, sont désavantagées sur le plan de la rémunération par rapport aux travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels; ces personnes doivent généralement compter sur des salaires inférieurs à la moyenne (ATF 124 V 321 consid. 3b/bb p. 323). La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent par conséquent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité, autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79).

L’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci, notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72).

L’absence de formation ne constitue pas un critère d’abattement du revenu statistique établi dans le cas de l’assurée. La valeur statistique utilisée (ESS 2012 niveau 1) s’applique aux assurés qui conservent une capacité de travail dans des activités simples et répétitives ; elle recouvre un large éventail d’activités variées et non qualifiées, ne requérant pas d’expérience professionnelle spécifique, ni de formation particulière, si ce n’est une phase initiale d’adaptation et d’apprentissage (p. ex. arrêt 8C_227/2018 du 14 juin 2018 consid. 4.2.3.3). On doit admettre que ce facteur n’aurait pas dû entrer en ligne de compte pour fixer l’abattement.

Les limitations fonctionnelles n’ont pas été incluses par la juridiction cantonale pour justifier la diminution de rendement, puisque seuls ont été considérés comme déterminants les troubles relevant de la sphère psychique. Il s’ensuit que ces limitations pouvaient être prises en considération lors de la détermination du revenu d’invalide par le biais d’un abattement à apporter sur le salaire statistique.

Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le bien-fondé du taux de 15% retenu par la juridiction cantonale, il apparaît qu’en procédant à une évaluation globale de l’abattement (cf. arrêt 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 8.3.1 et les références), au vu des facteurs devant être retenus, la prise en compte d’un abattement de 10% n’aurait en tout cas pas constitué un abus ou un excès du pouvoir d’appréciation de l’autorité judiciaire. En reprenant les revenus déterminants fixés par l’office AI et repris par la juridiction cantonale, une réduction de 10% du salaire statistique conduit à un taux d’invalidité de 71%. Le droit à la rente entière (cf. art. 28 al. 2 LAI) est dès lors ouvert pour la période s’étendant du 01.09.2013 au 31.05.2014.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_458/2018 consultable ici

 

 

8C_338/2017 (f) du 29.01.2018 – Cotisations à l’assurance-chômage d’un fonctionnaire international / Salaire déterminant pour les cotisations – Indemnité forfaitaire de résiliation versée par l’employeur après les rapports de travail – 5 LAVS – 7 RAVS / Distinction entre obligation de cotiser et perception des cotisations

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_338/2017 (f) du 29.01.2018

 

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Cotisations à l’assurance-chômage d’un fonctionnaire international

Salaire déterminant pour les cotisations – Indemnité forfaitaire de résiliation versée par l’employeur après les rapports de travail / 5 LAVS – 7 RAVS

Distinction entre obligation de cotiser et perception des cotisations

 

A.__, de nationalité suisse, a été employée en qualité de fonctionnaire au sein du Bureau international du travail (ci-après le BIT) [données ressortant du jugement cantonal], du 03.01.1991 au 31.12.2013. La prénommée s’est volontairement affiliée à l’assurance-chômage suisse en qualité de salariée d’un employeur non soumis aux assurances sociales suisses. A ce titre, elle a payé ses cotisations auprès de la caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après: la CCGC) du 01.05.1992 au 31.12.2013.

L’assurée a transmis à la CCGC son certificat de salaire pour l’année 2013. Elle l’a par ailleurs informée qu’elle avait quitté le BIT au 31.12.2013 et qu’elle était sans activité lucrative depuis le 01.01.2014. Elle a joint deux attestations de son ancien employeur, dont une mentionnant que dans le cadre d’un accord de résiliation, une somme forfaitaire correspondant à un total convenu de 18 traitements et émoluments mensuels serait versée. L’indemnité forfaitaire payée le 27.01.2014 par son employeur correspondait à une indemnité de résiliation d’engagement par consentement mutuel, laquelle s’élevait à 125’780 fr. 40 bruts.

Par décision, confirmée sur opposition, la CCGC a fixé le montant des cotisations d’assurance-chômage dues par l’assurée pour l’année 2014 à 1’383 fr. 80, calculées sur la base d’un salaire déterminant pour la période du 01.01.2014 au 31.01.2014 de 125’780 fr. 40.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/187/2017 – consultable ici)

Par jugement du 08.03.2017, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

La perception des cotisations à l’assurance-chômage est du ressort des caisses de compensation AVS (art. 86 LACI). L’art. 6 LACI dispose que, sauf disposition contraire de la présente loi, la législation sur l’AVS, y compris ses dérogations à la LPGA, s’applique par analogie au domaine des cotisations et des suppléments de cotisations.

Le salaire déterminant comprend toute rémunération pour un travail dépendant, fourni pour un temps déterminé ou indéterminé (art. 5 al. 2, première phrase, LAVS). Font partie de ce salaire déterminant, par définition, toutes les sommes touchées par le salarié, si leur versement est économiquement lié au contrat de travail; peu importe, à ce propos, que les rapports de service soient maintenus ou aient été résiliés, que les prestations soient versées en vertu d’une obligation ou à titre bénévole. On considère donc comme revenu d’une activité salariée, soumis à cotisations, non seulement les rétributions versées pour un travail effectué, mais en principe toute indemnité ou prestation ayant une relation quelconque avec les rapports de service, dans la mesure où ces prestations ne sont pas franches de cotisations en vertu de prescriptions légales expressément formulées (ATF 140 V 368 consid. 4.3.1 p. 375 s.). Sont compris dans le salaire déterminant tous les revenus qui ont un lien avec un rapport de travail ou de service et qui n’auraient pas été versés en l’absence d’un tel lien. En revanche, seuls les revenus effectivement versés sont soumis à cotisations (ATF 138 V 463 consid. 6.1 p. 469; 133 V 556 consid. 4 p. 558; 153 consid. 3.1 p. 156 s.; 131 V 444 consid. 1.1 p. 446). Selon l’art. 7 let. q RAVS, les prestations versées par l’employeur lors de la cessation des rapports de travail sont comprises dans le salaire déterminant, pour autant qu’elles n’en soient pas exceptées en vertu de l’art. 8bis ou 8ter RAVS (cf. aussi ATF 133 V 153 consid. 3.1 p. 157).

Selon la jurisprudence, il convient de distinguer entre l’obligation de cotiser et la perception des cotisations. Les cotisations sont en principe dues au moment où le salaire a été réalisé (ATF 138 V 463 consid. 6.1 p. 469; 131 V 444 consid. 1.1 p. 446; 115 V 161 consid. 4b p. 163). D’après les principes généraux de droit fiscal auxquels il convient de se référer par analogie, le revenu est considéré comme réalisé lorsque le salarié peut effectivement en disposer. Que les prestations aient été versées en une fois, en plusieurs tranches ou de manière périodique, la créance de cotisations y relative naît au moment du versement du revenu, lequel détermine l’année civile pour laquelle les cotisations sont dues, même si le versement est comptabilisé sur une année antérieure (cf. arrêt 9C_824/2008 du 6 mars 2009 consid. 3.2). La règle selon laquelle la dette de cotisations naît au moment où le salaire est versé (principe de réalisation) ne précise cependant pas si les cotisations sont dues mais elle prescrit simplement à quel moment celles qui sont dues doivent être payées. Si le salarié était tenu de payer des cotisations au moment où il exerçait une activité lucrative, les cotisations sont dues sur le salaire touché même s’il n’est plus soumis à cotisations au moment où le salaire lui a été versé (MICHEL VALTERIO, droit de l’assurance-vieillesse et survivants [AVS] et de l’assurance-invalidité [AI], 2011, n° 594 s. p. 182).

Quant à la question de savoir si des cotisations sont dues, elle est antérieure à celle de savoir quand le revenu a été versé. Il n’existe dès lors pas de lien nécessaire entre le principe de réalisation et l’obligation de cotiser. L’obligation de cotiser se fonde directement sur la loi et existe dès que les conditions qui la fondent sont réunies (qualité d’assuré, existence d’une activité lucrative; ATF 139 V 12 consid. 5.3 p. 16 s.; 138 V 463 consid. 8.1.1. p. 472; 115 V 161 consid. 4b p. 164).

 

En l’occurrence, l’indemnité litigieuse correspond à une indemnité de cessation des rapports de service au sens de l’art. 7 let. q RAVS et constitue du salaire déterminant. Son versement, bien qu’effectué en janvier 2014, est économiquement lié aux rapports de travail de l’assurée avec son ancien employeur. En d’autres termes, il s’agit d’une rémunération versée après-coup pour une période d’activité pendant laquelle l’assurée était soumise à l’obligation de cotiser du fait de son affiliation volontaire à l’assurance-chômage. Par conséquent, l’indemnité de départ de 125’780 fr. 40 est soumise à cotisations de l’assurance-chômage.

Autre est en revanche la question de savoir quand ces cotisations devaient être perçues. Lorsque les rapports de travail ne subsistent plus durant l’année de réalisation du salaire ou que l’obligation d’assurance tombe, les cotisations sont prélevées selon le principe de réalisation. En conséquence, les cotisations d’assurance-chômage devaient être payées sur l’indemnité de départ au moment de son versement, soit en janvier 2014.

 

Le TF admet le recours de la caisse de compensation, annule le jugement cantonal et rétablit la décision de la CCGC.

 

 

Arrêt 8C_338/2017 consultable ici

 

 

8C_804/2017 (f) du 09.10.2018 – Demande de restitution en matière d’assurance-chômage – Remise de l’obligation de restituer – 25 LPGA / Compensation et minimum vital de l’assuré selon 93 LP

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_804/2017 (f) du 09.10.2018

 

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Demande de restitution en matière d’assurance-chômage / 25 LPGA

Remise de l’obligation de restituer

Compensation et minimum vital de l’assuré selon 93 LP

 

Assuré, né en 1973, s’est inscrit auprès de l’Office régional de placement de Lausanne (ORP) comme demandeur d’emploi le 21.12.2015. Un délai-cadre d’indemnisation a été ouvert en sa faveur du 21.12.2015 au 20.12.2017.

Par décision du 07.02.2017, la caisse cantonale de chômage a suspendu son droit à l’indemnité pour une durée de 16 jours indemnisables dès le 22.07.2016. Il était reproché à l’assuré, qui avait fait contrôler son chômage durant le mois de juillet 2016, de n’avoir pas annoncé un gain intermédiaire qu’il avait obtenu en travaillant du 07.07.2016 au 21.07.2016. Par une autre décision, du 07.02.2017, la caisse lui a réclamé la restitution d’un montant de 5’172 fr. 80 qu’elle estimait avoir versé à tort en vertu de décomptes de prestations rectifiés.

Le 26.04.2017, la caisse a rendu une troisième décision, par laquelle elle annulait et remplaçait sa décision du 07.02.2017 relative à la restitution. Concernant le décompte de juillet 2016, l’assuré devait rembourser le montant de 2’958 fr. perçus à tort pour ce mois. En outre, 16 jours de suspension avaient été imputés sur le décompte du mois d’août 2016, de sorte que l’intéressé n’avait droit qu’à 1’065 fr. 40 sur le montant de 3’280 fr. 20 initialement versé. La différence, par 2’214 fr. 80, devait, également, être remboursée. Le montant sujet à restitution s’élevait donc à 5’172 fr. 80 (2’958 fr. + 2’214 fr. 80). La caisse a en outre opéré compensation avec des indemnités dues pour les mois de janvier, février et mars 2017 (respectivement 852 fr. 60, 2’856 fr. 80 et 1’463 fr. 40).

Représenté par son curateur, l’assuré a formé opposition à cette décision. Il contestait la compensation opérée par la caisse en faisant valoir qu’elle portait atteinte à son minimum vital. Il demandait la restitution des sommes prélevées à titre de compensation, afin de pouvoir payer ses loyers en souffrance. La caisse a rejeté l’opposition par décision du 22.05.2017.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 101/17 – 186/2017 – consultable ici)

Par arrêt du 16.10.2017, admission du recours par le tribunal cantonal et annulation de la décision en tant qu’elle portait sur la compensation du montant à restituer de 5’172 fr. 80 avec des indemnités de chômage dues à l’assuré pour les mois de janvier, février et mars 2017.

 

TF

Sous réserve des cas relevant de l’art. 55 LACI (indemnité en cas d’insolvabilité), la demande de restitution en matière d’assurance-chômage est régie par l’art. 25 LPGA. Selon l’art. 25 al. 1, première phrase, LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. L’assuré concerné peut demander la remise de l’obligation de restituer, lorsque la restitution des prestations allouées indûment, mais reçues de bonne foi, le mettrait dans une situation difficile (cf. art. 25 al. 1, deuxième phrase, LPGA). Le destinataire d’une décision de restitution qui entend la contester dispose en réalité de deux moyens qu’il convient de distinguer de façon claire: s’il prétend qu’il avait droit aux prestations en question, il doit s’opposer à la décision de restitution dans un délai de 30 jours; en revanche, s’il admet avoir perçu indûment des prestations, mais qu’il invoque sa bonne foi et des difficultés économiques qu’il rencontrerait en cas de remboursement, il doit présenter une demande de remise. Dans la mesure où la demande de remise ne peut être traitée sur le fond que si la décision de restitution est entrée en force, la remise et son étendue font l’objet d’une procédure distincte (cf. art. 4 al. 2 OPGA ; arrêt 8C_589/2016 du 26 avril 2017 consid. 3.1; 8C_130/2008 du 11 juillet 2008 consid. 2.2; 8C_602/2007 du 13 décembre 2007 consid. 3).

En dehors de l’art. 20 al. 2 LPGA sur l’interdiction de la compensation en cas de versement des prestations en mains de tiers (avec l’exception de l’art. 20 al. 2, deuxième phrase, LPGA), la LPGA ne contient pas de norme générale sur la compensation. Ce mode d’extinction des créances est donc régi par les dispositions des lois spéciales (ATF 138 V 402 consid. 4.2 p. 405), en l’occurrence par l’art. 94 al. 1 LACI. Selon cette disposition, les restitutions et les prestations dues en vertu de la présente loi peuvent être compensées les unes par les autres ainsi que par des restitutions et des rentes ou indemnités journalières dues au titre de l’AVS, de l’assurance-invalidité, de la prévoyance professionnelle, de la loi du 25 septembre 1952 sur les allocations pour perte de gain, de l’assurance-militaire, de l’assurance-accidents obligatoire, de l’assurance-maladie, ainsi que des prestations complémentaires de l’AVS/AI et des allocations familiales légales. La compensation ne doit toutefois pas entamer le minimum vital de l’assuré, tel que fixé par l’art. 93 LP. Cette règle vaut pour toutes les institutions d’assurance sociale (voir par exemple ATF 138 V 402 précité; 138 V 235 consid. 7.2 p. 246; 136 V 286 consid. 6.1 p. 291; 131 V 249 consid. 1.2 p. 252; arrêt 8C_130/2008 précité consid. 2.3 [à propos de l’assurance-chômage]; BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 6 ad art. 94 LACI; MOOR/POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3e éd. 2011, p. 103 s., THOMAS NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 2292 n. 86). Cette exigence est à rapprocher de l’art. 125 ch. 2 CO, selon lequel ne peuvent être éteintes par compensation les créances dont la nature spéciale exige le paiement effectif entre les mains du créancier, tels que les aliments ou le salaire absolument nécessaires à l’entretien du créancier et de sa famille. En cas de versement rétroactif de prestations périodiques, la limite de compensation relative au minimum vital doit être examinée pour la même période, soit pour l’espace de temps dans lequel le versement rétroactif des prestations est destiné (ATF 138 V 402 déjà cité; arrêt 9C_1015/2010 du 12 avril 2011 consid. 3.3).

Sur le plan procédural, l’extinction de la créance en restitution par voie de compensation ne peut intervenir, aux conditions requises, qu’une fois qu’il a été statué définitivement sur la restitution et sur une éventuelle demande de remise de l’obligation de restituer. L’opposition et le recours formés contre une décision en matière de restitution ont un effet suspensif (DTA 1990 no 1 p. 13 consid 1; arrêt 8C_130/2008 précité consid. 3.2; RUBIN, op. cit., n° 7 ad art. 94 LACI). Une compensation immédiate ferait perdre à l’assuré la possibilité de contester la restitution et, le cas échéant, de demander une remise de l’obligation de restituer (DTA 1977 no 19 p. 90; RUBIN, op. cit., n° 7 ad art. 94 LACI).

Une remise de l’obligation de restituer n’entre toutefois pas en considération dans la mesure où cette obligation peut être éteinte par compensation avec des prestations d’autres assurances sociales, soit lorsque des prestations déjà versées sont remplacées par d’autres prestations, dues à un autre titre, et que la compensation intervient entre ces prestations conformément au principe de concordance temporelle. Dans cette éventualité, la fortune de l’intéressé astreint à l’obligation de restituer ne subit aucun changement qui le mettrait dans une situation difficile, de sorte que la question de la remise n’a pas à être examinée (ATF 127 V 484 consid. 2b p. 487; RUBIN, op. cit., n° 13 ad art. 94 LACI). On est toutefois en dehors de ce cas de figure en l’espèce.

Dans le cas d’espèce, il n’y a pas lieu de s’écarter des principes ci-dessus exposés, qui découlent de la LPGA, applicable à l’assurance-chômage, sauf exceptions non pertinentes en l’espèce (cf. art. 1er LACI), ainsi que de l’art. 94 LACI et de la jurisprudence en matière de compensation, laquelle a une portée générale dans l’assurance sociale. C’est en vain, en particulier, que le SECO, recourant, se prévaut du but qui serait propre aux indemnités de chômage et qui justifierait, à ses yeux, une compensation immédiate et sans condition avec des prestations en cours. Dans d’autres branches de l’assurance sociale également, les prestations ne visent pas la seule couverture des besoins absolument vitaux. C’est le cas, notamment, des indemnités journalières (voir par ex. les art 23 LAI et 17 LAA) qui sont accordées en remplacement d’un revenu, à l’instar des indemnités de chômage (art. 22 LACI). Quant au caractère temporaire des prestations, il n’est pas non plus spécifique aux indemnités de chômage (par exemple les indemnités journalières de l’assurance-accidents ou de l’assurance-maladie sont également des prestations à caractère temporaire). Les difficultés de recouvrement invoquées ne sont pas plus importantes pour les organes de l’assurance-chômage que pour les administrations chargées de l’application d’autres régimes d’assurance sociale. Elles ne sauraient donc justifier, en dérogation à une jurisprudence, une compensation immédiate de la créance de la caisse (sur ces divers points, voir l’arrêt (8C_130/2008 déjà cité consid. 3.3). Enfin la question de savoir si, sous certaines conditions (par exemple une attitude ouvertement dilatoire pouvant être constitutive d’un abus de droit), un retrait de l’effet suspensif par la caisse serait admissible n’a pas à être examinée ici. En effet, même en admettant que la caisse pût retirer l’effet suspensif au recours de l’assuré, elle devait, en toutes hypothèses, tenir compte du minimum vital.

Pour autant, le jugement attaqué ne saurait sans plus être confirmé.

L’assuré n’a pas contesté la décision de restitution. Il a au contraire admis explicitement le bien-fondé de la créance en remboursement de la caisse dans son opposition à la décision du 26.04.2017, ainsi que dans son recours à l’autorité cantonale. Il n’a pas non plus demandé une remise de l’obligation de restituer, bien que son attention fût attirée sur cette possibilité (voir ch. 7 de la décision sur opposition). Ses griefs portaient uniquement sur la compensation opérée par la caisse. Dans ces conditions, c’est à tort que la juridiction cantonale a annulé purement et simplement la décision sur opposition du 22.05.2017 en tant qu’elle portait sur la compensation du montant à restituer de 5’172 fr. 80 avec des indemnités de chômage pour les mois de janvier, février et mars 2017. L’objet du litige portait, précisément et uniquement, sur la question de la compensation. A ce stade de la procédure, une compensation était en principe possible, pour autant qu’elle ne portât pas atteinte au minimum vital de l’intéressé.

Ni la caisse de chômage ni le premier juge ne se sont prononcés sur cette question. Il convient, dès lors, d’annuler le jugement attaqué, ainsi que la décision sur opposition, et de renvoyer la cause à la caisse pour qu’elle détermine si une compensation est possible au regard des restrictions découlant du minimum vital fixé par l’art. 93 LP.

 

Le TF admet partiellement le recours du SECO, annule le jugement et la décision, renvoie la cause à la caisse de chômage pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

 

Arrêt 8C_804/2017 consultable ici

 

 

8C_238/2018 (f) du 22.10.2018 – Participation à une rixe – Réduction des prestations en espèces – 39 LAA – 49 OLAA / Provocations verbales précédant la bagarre

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_238/2018 (f) du 22.10.2018

 

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Participation à une rixe – Réduction des prestations en espèces / 39 LAA – 49 OLAA

Provocations verbales précédant la bagarre

 

Assuré, né en 1978, aide menuisier, a fait annoncer par son employeur l’événement suivant : 03.09.2016, vers 23h50, à la sortie d’un bar, un individu impliqué dans une bagarre avait poussé l’assuré, de sorte que celui-ci était tombé et s’était fracturé la cheville droite.

Dans un formulaire rempli le 30.09.2016, l’assuré a expliqué qu’une bagarre avait éclaté alors qu’il était en train de rentrer chez lui; il avait tenté de séparer les protagonistes qui l’ont poussé, ce qui l’a fait tomber.

Le 16.11.2016, l’assuré a déposé une plainte pénale contre C.__ et D.__, lesquels avaient été interpellés par la police la nuit de l’altercation. Ces deux individus ont été condamnés pour rixe, par ordonnances pénales du 17.03.2017, sur la base de l’état de fait suivant: Le 03.09.2016, entre 2h00 et 2h30, à la suite de provocations verbales, une bagarre a débuté en face d’un établissement entre C.__, D.__, l’assuré et F.__. Des coups se sont échangés de part et d’autre. Alors que l’assuré tentait de venir en aide à son ami F.__, C.__ et D.__ leur ont asséné des coups de poing et des coups de pied.

Entendu à son domicile par un inspecteur de l’assurance-accidents le 14.02.2017, l’assuré a expliqué que dans la nuit du 03.09.2016, il se trouvait dans un bar avec son ami F.__. A un moment donné, les deux hommes sont sortis de l’établissement dans l’intention de rentrer chez eux. F.__ a commencé à se battre avec des personnes sans que l’assuré en connaisse la raison. Celui-ci est alors intervenu pour séparer les protagonistes. Ce faisant, il a été violemment poussé à terre, a perdu l’équilibre et s’est retrouvé au sol sur le dos. Un des protagonistes lui a donné un violent coup de pied sur la cheville, lui écrasant cette dernière. A l’issue de l’entretien, après avoir été informé que le fait d’intervenir dans une bagarre représentait une entreprise téméraire entraînant une réduction des indemnités journalières, l’assuré a déclaré qu’il n’était pas intervenu dans la bagarre mais que c’est l’individu en question qui était venu vers lui l’agresser. Cela étant, il a refusé de signer le procès-verbal d’entretien.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a réduit de 50% les prestations en espèces dues à l’assuré.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 22.02.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu notamment en cas de participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a). La notion de participation à une rixe ou à une bagarre est plus large que celle de l’art. 133 CP. Pour admettre l’existence d’une telle participation, il suffit que l’assuré entre dans la zone de danger, notamment en participant à une dispute. Peu importe qu’il ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute: il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger. En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (arrêt 8C_702/2017 du 17 septembre 2018 consid. 3.1 et les arrêts cités).

L’assuré fait valoir que, sur le plan pénal, lui et son ami F.__ n’ont pas été considérés comme des participants à la rixe, vu que seules deux ordonnances pénales ont été prononcées à l’encontre de D.__ et C.__. Aussi, le ministère public aurait admis que lui et son ami s’étaient limités à sa défendre. Plus précisément, l’assuré serait intervenu seulement dans un second temps pour séparer les protagonistes, afin de venir en aide à F.__ qui se trouvait sans défense sous les coups de deux agresseurs.

 

L’absence de condamnation pénale n’est pas décisive. En outre, on ne saurait retenir que l’assuré s’est limité à se défendre dans la mesure où il a lui-même admis être intervenu dans la bagarre. On rappellera à cet égard que, selon la jurisprudence, il faut accorder la préférence aux premières déclarations de l’assuré, données alors qu’il en ignorait peut-être les conséquences juridiques, les explications nouvelles pouvant être, consciemment ou non, le fruit de réflexions ultérieures (voir ATF 142 V 590 consid. 5.2 p. 594 s.; 121 V 45 consid. 2a p. 47).

En outre, si l’assuré et F.__ n’ont pas été en mesure d’expliquer de manière précise et/ou convaincante ce qui a causé l’altercation, il ressort des versions concordantes de C.__, D.__ et des deux témoins, que des provocations verbales ont précédé la bagarre, en particulier, que l’ami F.__ a crié « fuck Albanie » et « fuck Portugal », en référence aux pays d’origine de C.__ et D.__. Dans ces conditions, on ne saurait retenir que l’assuré n’a pas pu se rendre compte du danger et qu’il s’est contenté de venir en aide à une personne sans défense. On est fondé à considérer qu’il a plutôt voulu prêter main-forte à son ami. La cour cantonale n’a donc pas violé le droit fédéral en confirmant la réduction opérée par la CNA.

 

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_238/2018 consultable ici

 

 

9C_427/2018 (f) du 20.09.2018 – Revenu d’invalide après formation professionnelle initiale – 16 LPGA – 16 LAI / Estimation du rendement – Médico-théorique vs réalité du terrain (pratique)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_427/2018 (f) du 20.09.2018

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide après formation professionnelle initiale / 16 LPGA – 16 LAI

Estimation du rendement – Médico-théorique vs réalité du terrain (pratique)

 

Assuré, née en 1993, souffre depuis sa naissance d’une galactosémie ayant entraîné des difficultés neuropsychologiques. Elle a entrepris une formation d’assistante socio-éducative puis un apprentissage d’assistante en pharmacie, qu’elle n’a pas pu mener à chef.

Dans les suites du dépôt d’une demande AI le 04.09.2013, le Service médical régional (SMR) a ordonné un bilan neuropsychologique complet destiné à préciser l’exigibilité médico-théorique. A la lumière du rapport de la psychologue, le SMR a fixé le rendement à 50% pour un horaire de travail de 80% à 100% dans des activités sans travaux lourds, responsabilité ou stress, et privilégiant les tâches simples pour l’autonomie.

L’assurée a débuté un stage le 01.04.2014 auprès d’un magasin en vue d’y entreprendre un apprentissage de gestionnaire de commerce de détail durant l’été 2014. L’office AI a accepté de prendre à sa charge les frais supplémentaires de formation professionnelle initiale du 01.07.2014 au 30.06.2016, date à laquelle l’assurée a obtenu son CFC. La responsable de l’apprentissage a indiqué, notamment, que l’assurée avait un rendement diminué de 20 à 30%.

Du 19.09.2016 au 19.12.2016, l’assurée a suivi un programme d’évaluation temporaire de l’assurance-chômage. Selon leur rapport, elle n’est pas autonome dans la plupart des tâches en lien avec la tenue d’une boutique et a besoin de la présence d’une personne de référence, bien qu’elle possède les compétences de base pour travailler dans ce domaine.

Afin d’évaluer le rendement de l’assurée sur le premier marché du travail, l’office AI a mis en œuvre un stage auprès d’un magasin, que l’assurée a suivi du 01.03.2017 au 31.05.2017. La gérante a fait état de difficultés lorsque l’assurée est appelée à effectuer plusieurs tâches en même temps dans le magasin, ce qui justifierait un salaire réduit de 20% dans le cas d’un engagement. Le tableau d’évaluation a mis en évidence une baisse de rendement de 19% en moyenne pour une activité dans un magasin de village avec du personnel réduit.

L’office AI a refusé à l’assurée tout droit à d’autres mesures de formation professionnelle initiale et a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité (taux d’invalidité de 19%).

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a constaté que l’assurée avait obtenu un CFC de gestionnaire du commerce de détail par la voie standard, dans les délais normaux et sans avoir eu besoin d’un quelconque soutien extérieur. Elle a considéré que la baisse de rendement de l’ordre de 19% à 30%, observée par le maître d’apprentissage, puis par la gérante du magasin du stage réalisé en 2017, s’expliquait entièrement par la dimension réduite des enseignes, laquelle exigeait une polyvalence que l’assurée n’était pas en mesure de gérer. Tous les intervenants avaient en revanche reconnu les compétences professionnelles de base de gestionnaire de l’assurée et admis que son rendement serait meilleur dans un cadre plus structuré où les tâches sont réparties entre les employés, comme c’est le cas dans les grandes surfaces.

Sur le plan médico-théorique, les juges cantonaux ont retenu que le stage d’observation professionnelle n’avait apporté aucun élément concret supplémentaire à ceux déjà mis en évidence par les médecins traitants et le SMR, c’est-à-dire que l’assurée ne pouvait pas effectuer de travaux lourds, qu’elle devait privilégier les tâches simples et éviter les travaux avec responsabilité. La mesure avait permis de déterminer que le rendement de l’assurée atteignait 70% à 80%, voire 81% dans le métier appris, ce taux ayant été fixé au terme du stage sur la base des éléments rapportés par le maître d’apprentissage puis par la gérante du magasin et l’assurée elle-même. Comme le taux de 19% établi à l’issue du stage, respectivement le taux maximal de 30% estimé par le maître d’apprentissage étaient inférieurs au taux minimal de 40% ouvrant droit à la rente, cette prestation n’était pas due.

Par jugement du 07.05.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Confirmant les considérations des juges cantonaux, le Tribunal fédéral a rappelé que les organes d’observation professionnelle ont pour fonction de compléter les données médicales en examinant concrètement dans quelle mesure l’assuré est à même de mettre en valeur une capacité de travail et de gain sur le marché du travail. Dans les cas où ces appréciations (d’observation professionnelle et médicale) divergent sensiblement, il incombe à l’administration, respectivement au juge – conformément au principe de la libre appréciation des preuves – de confronter les deux évaluations et, au besoin de requérir un complément d’instruction (cf. arrêt 9C_1035/2009 du 22 juin 2010 consid. 4.1 et les références, in SVR 2011 IV n° 6 p. 17).

En l’occurrence, l’évaluation médico-théorique du rendement de l’assurée établie par le SMR diverge sensiblement du rendement effectif qui a été constaté ultérieurement aussi bien au terme de l’apprentissage de deux ans qu’à la fin du stage de trois mois. Le Tribunal cantonal a dès lors confronté ces évaluations puis exposé les motifs qui l’ont conduit à s’en tenir aux observations effectuées lors de situations concrètes auprès de ces deux entreprises du commerce de détail.

L’assurée a achevé avec succès sa formation initiale (cf. art. 16 LAI) et rien ne l’empêche de mettre son CFC et sa capacité de gain à profit en subissant au plus une perte de gain de 30%. Elle ne soutient pas qu’elle ne pourrait pas être placée en raison de son état de santé et n’invoque aucun avis médical actuel permettant de remettre cette appréciation professionnelle en cause. De plus, elle ne demande pas non plus à pouvoir bénéficier d’une nouvelle formation professionnelle et n’indique pas en quoi le nouveau stage qu’elle souhaite effectuer dans un grand magasin, en partie à charge de l’AI, lui permettrait de se perfectionner et d’améliorer sa capacité de gain. Il est donc superflu d’ordonner un nouveau stage en milieu professionnel. Le droit à une aide au placement est réservé.

Vu ce qui précède, le taux d’invalidité ne peut être fixé sur la seule base du rapport du SMR qui retenait un rendement de 50% pour un horaire de travail de 80% à 100%. En effet, cette appréciation, elle-même fondée uniquement sur l’avis d’une psychologue qui s’était exprimée avant le début de l’apprentissage, ne correspondait manifestement pas au rendement bien supérieur qui a été observé par la suite dans la pratique. Compte tenu d’une perte de gain maximale de 30%, le seuil ouvrant droit la rente d’invalidité n’est pas atteint.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_427/2018 consultable ici

 

 

8C_340/2017+8C_341/2017 (f) du 01.02.2018 – Révision – 17 LPGA / Expertise médicale – Autolimitation et incohérences manifestes entre les plaintes et les constatations objectives / Preuve de la modification notable de la situation médicale

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_340/2017+8C_341/2017 (f) du 01.02.2018

 

Consultable ici

 

Révision / 17 LPGA

Expertise médicale – Autolimitation et incohérences manifestes entre les plaintes et les constatations objectives

Preuve de la modification notable de la situation médicale

 

Assuré, aide de maison au service des nettoyages, a été victime d’un accident de la circulation le 13.06.1996, à la suite duquel elle a souffert de troubles au niveau de l’épaule droite. Elle a perçu des prestations de son assureur-accidents en raison de cet événement.

Demande AI déposée le 03.11.1997. Après instruction usuelle, l’office AI est parvenu à la conclusion que l’assurée n’était plus en mesure d’exercer son activité habituelle et que seule une activité en milieu protégé était envisageable. Une rente entière d’invalidité fondée sur un taux d’incapacité de gain de 83% à compter du 01.11.1997 a été octroyée. De son côté, l’assurance-accidents a alloué à l’assurée une rente complémentaire LAA, fondée sur le même taux d’invalidité de 83%, à compter du 01.01.2001.

Le droit à une rente entière de l’assurance-invalidité a été maintenu à l’issue de plusieurs procédures de révision.

L’office AI a suspendu le versement de la rente d’invalidité avec effet au 30.06.2015, en raison du résultat d’expertises orthopédique et psychiatrique mises en œuvre par l’assureur-accidents dans le contexte d’une procédure de révision. Par la suite, le droit à la rente entière d’invalidité a été supprimé avec effet au 01.10.2013.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 273/15 – 90/2017 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que l’état de santé de l’assurée s’était amélioré depuis l’attribution de la rente et que les conditions d’une révision au sens de l’art. 17 LPGA étaient réunies. En effet, initialement, la rente entière d’invalidité était justifiée par l’impotence fonctionnelle qui frappait le membre supérieur droit et empêchait toute activité impliquant l’usage de celui-ci. Désormais, il ressortait des conclusions des médecins-experts mandatés par l’assurance-accidents que l’assurée ne présentait plus de trouble incapacitant au niveau de ce membre.

Par jugement du 27 27.03.2017, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, le droit à la rente d’invalidité étant supprimé avec effet au 01.11.2015.

 

TF

La violation du droit d’être entendu dans le sens invoqué par l’assurée est une question qui n’a pas de portée propre par rapport au grief tiré d’une mauvaise appréciation des preuves (voir arrêt 8C_15/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.2, in SVR 2010 IV n° 42 p. 132, et les arrêts cités). Le juge peut en effet renoncer à accomplir certains actes d’instruction, sans que cela n’entraîne une violation du droit d’être entendu, s’il est convaincu, en se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves (cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352), que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1 p. 299; 130 II 425 consid. 2.1 p. 429). Il s’agit par conséquent d’un grief qu’il convient d’examiner avec le fond du litige.

 

Dans son rapport d’expertise, le docteur C.__ retient une autolimitation et des incohérences manifestes et massives entre les plaintes de l’assurée, d’une part, et une certaine réalité fonctionnelle d’utilisation de son membre supérieur droit, d’autre part. A cet égard, il se dit « frappé par un status dans les limites de la norme à part une restriction de la mobilité active et passive, largement en-dessous de l’horizontale, alors que les amplitudes articulaires décrites par le médecin traitant en octobre 2012 montrent des valeurs d’adduction à 110° (60° à ma consultation), une antépulsion à 100° (70° à ma consultation) « . Compte tenu de la péjoration des valeurs de mobilité active et passive, il s’étonne de la conservation d’une excellente musculature brachiale et antébrachiale, de même que thénarienne et hypothénarienne « contrastant totalement avec la quasi impossibilité d’utiliser le bras droit et la main droite en raison des douleurs ». Il oppose en outre les valeurs mesurées (au Jamar et au Pinch), proches de celles d’une main paralytique, à la poignée de main de l’assurée, au fait qu’elle porte son sac pour le passer de la main droite à la main gauche et à la présence de callosités à l’intérieur de la main droite témoignant d’une bonne utilisation de celle-ci. Cela étant, il préconise de mesurer la mobilité passive de l’épaule droite sous narcose et conclut qu’il existe une ankylose séquellaire certaine de l’épaule droite mais dont il peine à expliquer l’importance. Enfin, aux questions de l’assurance-accidents, il répond qu’il lui est impossible de déterminer clairement les limitations fonctionnelles actuelles de l’intéressée, compte tenu des incohérences et de l’autolimitation constatée, et qu’il ne peut, pour les mêmes raisons, attester que l’état de santé de cette dernière s’est amélioré.

Contrairement à ce qu’on retenu les premiers juges, on ne peut pas déduire de ce rapport d’expertise, singulièrement du reproche d’autolimitation, l’absence de tout trouble incapacitant et le recouvrement par l’assurée d’une pleine capacité de travail dans son activité habituelle. En effet, le rapport ne permet pas de statuer en connaissance de cause sur les limitations fonctionnelles de l’intéressée. On ignore également si les diagnostics posés par le docteur C.__ se rapportent à la situation médicale antérieure ou actuelle. La cour cantonale a fait preuve d’arbitraire en refusant, par une appréciation anticipée des preuves, de compléter l’instruction, cela d’autant moins que l’office AI n’avait lui-même entrepris aucune mesure médicale lors de la procédure de révision.

A l’inverse, il n’est pas possible d’exclure une modification notable de la situation médicale. En effet, le rapport d’expertise orthopédique fait état de signes patents d’utilisation du membre supérieur droit.

 

Le TF admet le recours de l’assurée, annulant le jugement cantonal et renvoyant la cause à la cour cantonale pour qu’elle ordonne la mise en œuvre d’une expertise judiciaire. Le TF ajoute qu’il lui est loisible de coordonner ou non le complément d’instruction médical avec l’assureur-accidents (voir arrêt du Tribunal fédéral du 01.02.2018 dans la cause 8C_339/2017 qui oppose l’assurée à l’assureur-accidents).

 

 

Arrêt 8C_340/2017+8C_341/2017 consultable ici

 

 

9C_453/2017+9C_454/2017 (f) du 06.03.2018 – Valeur probante d’un rapport médical / Divergences (notables) dans les conclusions de deux médecins-experts

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_453/2017+9C_454/2017 (f) du 06.03.2018

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’un rapport médical

Divergences (notables) dans les conclusions de deux médecins-experts

 

Assurée, aide-soignante, a chuté et heurté un banc avec son épaule et son bras gauche le 17.07.2013, accident pris en charge par son assureur LAA. Demande AI déposée le 07.08.2013.

L’office AI a recueilli l’avis des médecins traitants, puis fait verser au dossier celui de l’assurance-accidents qui contenait notamment une expertise orthopédique. Il a ensuite soumis l’intéressée à une expertise psychiatrique. Par décision, l’office AI a nié le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité, au motif que son activité habituelle d’aide-soignante demeurait exigible, sans baisse de rendement.

Parallèlement, l’assurance-accidents a mis un terme au versement des indemnités journalières de l’assurance-accidents avec effet au 30.09.2013, ce que l’intéressée a contesté.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/378/2017 – consultable ici)

L’assurée a fait verser à la procédure l’expertise judiciaire bidisciplinaire (rhumatologique et orthopédique) ordonnée dans le cadre de la procédure de recours ouverte contre la décision de l’assurance-accidents. Il existait une divergence entre les conclusions du spécialiste en médecine interne générale et en rhumatologie et celle du spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. En dépit d’une demande répétée de la cour, les médecins ne s’étaient par ailleurs pas mis d’accord sur ce point. Dans la mesure où le docteur le chirurgien orthopédique s’était cependant rallié aux conclusions de son confrère s’agissant de la date du statu quo ante, il en résultait juges une force probante accrue de l’expertise du rhumatologue, ce d’autant plus qu’elle était plus détaillée. La juridiction cantonale a considéré que l’assurée ne pouvait plus exercer son activité habituelle d’aide-soignante, mais qu’elle disposait d’une capacité de travail entière dans une activité strictement adaptée à ses limitations fonctionnelles.

Par jugement du 15.05.2017, admission partielle du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon le principe de la libre appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA), le tribunal apprécie librement les preuves médicales qu’il a recueillies, sans être lié par des règles formelles, en procédant à une appréciation complète et rigoureuse des preuves. Le tribunal doit examiner objectivement tous les documents à disposition, quelle que soit la provenance, puis décider s’ils permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux. S’il existe des avis contradictoires, il ne peut trancher l’affaire sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion plutôt qu’une autre. En ce qui concerne la valeur probante d’un rapport médical, ce qui est déterminant c’est que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées. Au demeurant, l’élément déterminant pour la valeur probante n’est ni l’origine du moyen de preuve ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bel et bien son contenu (ATF 143 V 124 consid. 2.2.2 p. 126; 125 V 351 consid. 3a p. 352 et les références).

En l’espèce, confrontée à une divergence d’opinion, l’autorité cantonale ne pouvait faire l’économie d’une mesure d’instruction complémentaire avant de statuer, en invitant par exemple derechef oralement ou par écrit les deux médecins à s’exprimer conjointement sur les effets de l’atteinte à la santé de l’assurée sur sa capacité de travail dans son activité habituelle d’aide-soignante. Compte tenu des spécialités en présence, une réponse claire et cohérente des experts aux questions posées par la juridiction cantonale était en effet nécessaire (à ce sujet, cf. ATF 143 V 124 consid. 2.2.4 p. 128; 137 V 210 consid. 1.2.4 p. 224 et les références), laquelle fait défaut en l’espèce.

On ne saurait par ailleurs suivre la juridiction cantonale lorsqu’elle retient, implicitement, qu’on pouvait se passer d’une telle mesure d’instruction en raison de la « force probante accrue » des conclusions du rhumatologue. Les premiers juges n’établissent en effet nullement cet élément, la valeur probante d’un rapport médical ne résultant en particulier pas de sa longueur. Ils ne pouvaient par ailleurs se contenter d’écarter le point de vue défendu par le chirurgien orthopédique pour le seul motif que le médecin s’était rallié, sur un point non essentiel de l’expertise (les effets d’une contusion sur la capacité de travail de l’assurée), à l’appréciation de son confrère, alors que la question déterminante – au regard de l’art. 16 LPGA – de la capacité de travail de l’assurée dans son activité habituelle d’aide-soignante restait sans réponse.

 

Le TF admet partiellement les recours de l’assurée et de l’office AI, annulant le jugement cantonal et renvoyant la cause au tribunal cantonal pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_453/2017+9C_454/2017 consultable ici

 

 

9C_246/2017 (f) du 18.12.2017 – Non-paiement de cotisations sociales – Responsabilité de l’employeur – 52 LAVS / Dies a quo du délai de prescription

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_246/2017 (f) du 18.12.2017

 

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Non-paiement de cotisations sociales – Responsabilité de l’employeur / 52 LAVS

Dies a quo du délai de prescription

 

B.__ SA (ci-après: la société), dont A.__ était l’administrateur unique avec signature individuelle, était affiliée en qualité d’employeur auprès de la Caisse cantonale neuchâteloise de compensation (ci-après: la CCNC). La faillite de la société a été prononcée en janvier 2013. L’état de collocation a été établi en janvier 2013. La procédure de faillite a été clôturée en décembre 2014.

Par décision du 13.01.2015, confirmée sur opposition, la CCNC a réclamé à A.__ la somme de 215’965 fr. 30, à titre de réparation pour le dommage subi à la suite du non-paiement de cotisations sociales pour les périodes du 01.01.2009 au 30.09.2009 et du 01.01.2010 au 31.12.2012.

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a retenu que la caisse avait agi en temps utile en réclamant à A.__ la réparation de son dommage par décision du 13.01.2015 ; la CCNC avait agi moins de deux ans après avoir constaté qu’elle ne récupérerait vraisemblablement pas le solde de ses créances en prenant connaissance de l’état de collocation et tableau de distribution du 30.01.2013 et des attestations de découverts en mars 2013. A.__ avait violé son obligation de diligence, en ce sens qu’il lui incombait de veiller personnellement à ce que les cotisations paritaires afférentes aux salaires versés soient payées à la caisse de compensation sans qu’il pût se disculper en faisant valoir qu’il avait confié la gestion de la société à un tiers sans assurer la moindre surveillance.

Par jugement du 27.04.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Si l’employeur est une personne morale, la responsabilité peut s’étendre, à titre subsidiaire, aux organes qui ont agi en son nom (ATF 137 V 51 consid. 3.1 p. 53; 132 III 523 consid. 4.5 p. 528). Dans le cas d’une société anonyme, la notion d’organe responsable selon l’art. 52 LAVS est en principe identique à celle qui ressort de l’art. 754 al. 1 CO. La responsabilité incombe donc non seulement aux membres du conseil d’administration, mais aussi aux organes de fait, c’est-à-dire à toutes les personnes qui s’occupent de la gestion ou de la liquidation de la société, à savoir celles qui prennent en fait les décisions normalement réservées aux organes ou qui pourvoient à la gestion, concourant ainsi à la formation de la volonté sociale d’une manière déterminante. Dans cette dernière éventualité, il faut cependant que la personne en question ait eu la possibilité de causer un dommage ou de l’empêcher, en d’autres termes qu’elle ait exercé effectivement une influence sur la marche des affaires de la société (ATF 128 III 29 consid. 3a p. 30 et les références; voir également arrêt H 234/02 du 16 avril 2003 consid. 7.3, in REAS 2003 p. 251).

Ni les informations que A.__ aurait données à la CCNC en octobre 2012 sur les graves difficultés financières éprouvées par la société, ni les précédents contrôles ponctuels de réviseurs mandatés par la CCNC ou l’accord qui aurait été conclu entre la société et la caisse cantonale neuchâteloise de l’assurance-chômage en raison d’arriérés conséquents ne constituent des circonstances exceptionnelles qui justifieraient de faire courir le délai de prescription avant le dépôt de l’état de collocation ou celui de la publication de la suspension de la liquidation de la faillite faute d’actifs, moments qui correspondent en règle générale à celui de la connaissance du dommage au sens de l’art. 52 al. 3 LAVS (ATF 129 V 193 consid. 2.3 p. 195 sv. [rendu au sujet de l’ancien art. 82 al. 1 RAVS et toujours valable sous l’empire de l’art. 52 al. 3 LAVS, arrêt H 18/06 du 8 mai 2006, consid. 4.2]). Le fait que A.__ a informé la CCNC de la situation financière difficile de la société constituait certes un indice pour l’intimée que sa créance ne serait probablement pas réglée à temps ou seulement dans une mesure insuffisante. Toutefois, cela ne fixait pas encore de manière définitive quels étaient les biens qui faisaient partie de la masse en faillite. Seule la procédure de faillite ultérieure permettait de clarifier la situation quant aux actifs et passifs de la société faillie et des chances de recouvrement de la caisse. A cet égard, le créancier n’est en principe en mesure de connaître le montant des actifs, sa propre collocation dans la liquidation, ainsi que le dividende prévisible avec suffisamment de certitude qu’une fois la procédure de collocation avec dépôt de l’état de collocation et de l’inventaire achevée (cf. ATF 116 V 72 consid. 3c p. 77).

 

Le TF rejette le recours de A.__ (s’agissant dommage subi à la suite du non-paiement de cotisations sociales).

 

 

Arrêt 9C_246/2017 consultable ici

 

 

8C_872/2017 (f) du 03.09.2018 – destiné à la publication – Compétence à raison du lieu de l’autorité de recours cantonale – 58 LPGA / Détermination du for en fonction du canton de domicile du dernier employeur suisse – Existence d’un for au lieu de la succursale de l’employeur / Interprétation de l’art. 58 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_872/2017 (f) du 03.09.2018, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Compétence à raison du lieu de l’autorité de recours cantonale / 58 LPGA

Détermination du for en fonction du canton de domicile du dernier employeur suisse – Existence d’un for au lieu de la succursale de l’employeur / 58 al. 2 LPGA

Interprétation de l’art. 58 al. 2 LPGA

 

Assuré, né en 1962, domicilié en France, a travaillé comme maçon pour une entreprise, dont le siège est dans le canton de Vaud, du 15.11.2010 au 14.02.2011. Le 15.02.2011, il a débuté une mission temporaire par le biais d’une entreprise de placement de personnel dans la construction, ayant pour siège principal depuis le 10.01.2017 dans le canton de Neuchâtel. Cette société de placement de personnel avait antérieurement son siège principal dans le canton de Vaud. Cette entreprise a par ailleurs des succursales dans plusieurs cantons, dont le canton de Genève.

Auparavant, le 01.02.2011, l’assuré a été victime d’un accident et s’est blessé au membre supérieur gauche. Il a toutefois été en mesure de poursuivre son activité professionnelle, jusqu’à ce qu’il subisse une rechute le 21.06.2011.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’incapacité de gain de 12% à compter du 01.07.2014. Le 25.08.2016, la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après: la Chambre des assurances sociales) a rejeté le recours interjeté par l’assuré contre la décision sur opposition.

Entre-temps, en raison d’une rechute annoncée en septembre 2015, l’assuré a perçu des indemnités journalières du 04.09.2015 au 31.03.2017. Par nouvelle décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a maintenu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité au taux de 12%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/984/2017 – consultable ici)

L’assuré a déféré la nouvelle décision sur opposition à la Chambre des assurances sociales. L’assurance-accidents a soulevé l’exception d’incompétence à raison du lieu et demandé à ce que la cause soit transmise au Tribunal cantonal neuchâtelois, soit dans le canton du siège principal de la société de placement de personnel.

La Chambre des assurances sociales a retenu qu’en dernier lieu l’assuré avait travaillé dans le canton de Genève pour la succursale de l’entreprise de placement de personnel. En outre, l’assuré y était soigné pour les séquelles de son accident et il s’agissait du canton le plus proche de son domicile. Au demeurant, l’assurance-accidents elle-même avait transmis le dossier pour traitement à son agence de Genève. Partant, même si le siège principal de la société se situait dans le canton de Neuchâtel, il y avait lieu de considérer que le domicile du dernier employeur était au siège de la succursale, soit dans le canton de Genève.

Par arrêt incident du 02.11.2017, la Chambre des assurances sociales s’est déclarée compétente ratione loci.

 

TF

Aux termes de l’art. 58 al. 1 LPGA, en liaison avec l’art. 1er al. 1 LAA, le tribunal des assurances compétent pour connaître d’un recours contre une décision en matière d’assurance-accidents obligatoire est celui du canton de domicile de l’assuré ou d’une autre partie au moment du dépôt du recours. Selon l’al. 2, si l’assuré ou une autre partie sont domiciliés à l’étranger, le tribunal des assurances compétent est celui du canton de leur dernier domicile en Suisse ou celui du canton de domicile de leur dernier employeur suisse; si aucun de ces domiciles ne peut être déterminé, le tribunal des assurances compétent est celui du canton où l’organe d’exécution a son siège.

En l’espèce, il est constant que l’assuré était domicilié en France au moment du recours contre la décision sur opposition et qu’il n’a pas élu domicile en Suisse antérieurement. Quant à l’assurance-accidents, elle n’est pas une « autre partie » au sens de l’art. 58 al. 1 LPGA (ATF 135 V 153 consid. 4.9 et 4.10 p. 161; arrêt dans les causes jointes 8C_466/2011, 8C_565/2011 et 8C_832/2011 du 10 mai 2012 consid. 5). Il s’ensuit que le for doit être déterminé en fonction du canton de domicile du dernier employeur suisse, conformément à l’art. 58 al. 2 LPGA.

La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique; ATF 142 IV 389 consid. 4.3.1 p. 397; 141 III 53 consid. 5.4.1 p. 59; 140 V 449 consid. 4.2 p. 455). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 142 IV 389 précité; 137 IV 180 consid. 3.4 p. 184).

Le libellé de l’art. 58 al. 2 LPGA ne donne pas d’indication claire sur la question du domicile du dernier employeur suisse (y compris dans ses versions allemande [« in dem ihr letzter schweizerischer Arbeitgeber Wohnsitz hat »] et italienne [« in cui il suo ultimo datore di lavoro aveva domicilio »]). Autrement dit, le texte ne permet pas d’emblée de reconnaître ou d’exclure le for de la succursale au titre de domicile du dernier employeur suisse, pas plus que la définition de l’employeur selon l’art. 11 LPGA (« celui qui emploie des salariés ») ou celle du domicile de l’art. 13 al. 1 LPGA qui ne vise pas les personnes morales. Les travaux préparatoires de la LPGA ne permettent pas non plus de trancher la question.

Selon la jurisprudence, une succursale est un établissement commercial qui, dans la dépendance d’une entreprise principale dont il fait juridiquement partie, exerce d’une façon durable, dans des locaux distincts, une activité similaire, en jouissant d’une certaine autonomie dans le monde économique et celui des affaires (ATF 117 II 85 consid. 3 p. 87; 116 V 307 consid. 4a p. 313). Même si elle est dépourvue d’existence juridique et n’a pas la capacité d’ester en justice (ATF 120 III 11 consid. 1a p. 13; arrêts 4A_510/2016 du 26 janvier 2017 consid. 3.2; 4A_533/2015 du 20 décembre 2016 consid. 2.3; 4A_422/2011 du 3 janvier 2012 consid. 2.3.1), son siège est susceptible de fonder un for dans divers domaines juridiques.

En droit privé, le for de la succursale est largement reconnu. En particulier, en procédure civile, l’art. 12 CPC prévoit un for alternatif au lieu où le défendeur a sa succursale pour les activités commerciales et professionnelles s’y rapportant (cf. aussi art. 5 ch. 5 CL [RS 0.275.12], concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale). En ce sens, la jurisprudence admet que les actions fondées sur le droit du travail peuvent être intentées non seulement au domicile ou au siège du défendeur ou encore au lieu de travail habituel, mais également au tribunal du siège de la succursale, lorsque le travail a été effectué pour celle-ci (ATF 129 III 31 consid. 3.2 p. 34 à propos de l’ancienne loi fédérale du 24 mars 2000 sur les fors en matière civile [LFors; RO 2000 2355]; voir aussi NOËLLE KAISER JOB, in Basler Kommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung, 3 e éd. 2017, n° 15 ad art. 34 CPC; FELLER/BLOCH, Kommentar zur Schweizerischen Zivilprozessordnung [ZPO], 3 e éd. 2016, n° 23 ad art. 34 CPC; JACQUES HALDY, Procédure civile suisse, 2014, p. 35). Ainsi, un for au lieu de la succursale se justifie si l’obligation contractuelle est en relation directe avec les opérations commerciales de celle-ci, cela quand bien même le contrat est conclu avec la société à son siège principal (FELLER/BLOCH, op. cit., n° 20 ad art. 12 CPC et les références citées).

En droit des assurances sociales, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a eu l’occasion de s’exprimer sur la possibilité d’un for alternatif au lieu de la succursale en matière de responsabilité de l’employeur pour le non-paiement des cotisations sociales. Conformément à l’art. 52 al. 5 LAVS (anciennement art. 81 al. 3 RAVS, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002 [RO 2002 3710]), c’est le tribunal des assurances du canton dans lequel l’employeur est domicilié qui est compétent pour traiter les recours contre les décisions des caisses de compensation en réparation du dommage, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA. Lorsque l’employeur possède une succursale dans un canton différent de celui de l’établissement principal, c’est l’autorité de recours du canton dans lequel la caisse de compensation cantonale – à laquelle l’employeur est affilié – a son siège qui est compétente (ATF 110 V 351 consid. 5c p. 359 s.). Dans le cas où l’employeur est affilié à une caisse professionnelle et possède une ou plusieurs succursales situées dans des cantons différents de celui de l’établissement principal, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a jugé plus judicieux que l’autorité de recours du canton dans lequel la succursale a son siège soit compétente, lorsque celle-ci est affiliée à une autre caisse que celle de l’établissement principal en vertu de l’art. 117 al. 3 RAVS (ATF 124 V 104 consid. 4 p. 107; cf. MÉLANIE FRETZ, La responsabilité selon l’art. 52 LAVS: une comparaison avec les art. 78 LPGA et 52 LPP, REAS 3/2009 p. 247).

Sous l’empire de la loi fédérale du 13 juin 1911 sur l’assurance-maladie (LAMA), en vigueur jusqu’au 31 décembre 1995, le Tribunal fédéral des assurances a jugé que, pour les assurés qui n’ont pas de domicile en Suisse, les dispositions applicables en matière d’assurance-maladie ne reconnaissaient la compétence d’aucune autorité judiciaire autre que celle du canton où se trouvait l’administration centrale de la caisse défenderesse, à l’exclusion d’une section ou agence locale ou régionale (ATF 114 V 44 consid. 3a et 3b p. 47 ss). Il a toutefois précisé qu’il serait plus logique, notamment pour des motifs linguistiques, de permettre à l’assuré domicilié à l’étranger de saisir le juge du canton de domicile ou du siège de son employeur en Suisse mais qu’une telle solution ne pouvait intervenir que par voie législative (consid. 3a p. 48; à propos de l’ATF 114 V 44 cf. DANIELE CATTANEO, Tribunal compétent « ratione loci », Plädoyer 1989/2 p. 59 ss). La possibilité de former recours devant le tribunal des assurances du canton de domicile du dernier employeur suisse a été introduite avec l’entrée en vigueur de la LAMal, le 1er janvier 1996, répondant favorablement à une motion déposée en ce sens (art. 86 al. 3 LAMal, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2002 [RO 2002 3371], qui correspond à l’art. 58 LPGA actuel; ATF 135 V 153 consid. 4.9 p. 161; Message du 6 novembre 1991 concernant la révision de l’assurance-maladie, FF 1992 I 77 p. 189).

Enfin, à propos d’un conflit négatif de compétence de deux tribunaux cantonaux des assurances, le Tribunal fédéral a jugé, en relation avec l’art. 58 al. 1 LPGA, que la procédure devait être conduite devant l’instance la plus proche des faits à apprécier et que le danger de jugements contradictoires (en cas de procédures engagées dans différents cantons) pouvait être évité par une suspension de procédure (ATF 135 V 153 précité consid. 4.11 p. 161 s.).

 

A l’aune de ce qui précède, il y a lieu d’admettre l’existence d’un for au lieu de la succursale – en tant que domicile du dernier employeur suisse – s’il constitue pour le litige un point de rattachement prépondérant. Tel est le cas lorsque l’assuré a travaillé pour la succursale d’une société, dans un canton différent du siège principal. Une telle solution est compatible avec le sens de l’art. 58 LPGA, dont le régime en cascade entend favoriser l’assuré. Il s’agit là d’une compétence alternative, dès lors qu’il est uniquement question de faciliter l’action en justice et que rien n’empêche un justiciable de saisir le tribunal du canton de l’établissement principal.

En l’espèce, il ressort des constatations de la cour cantonale que l’assuré a travaillé en dernier lieu dans le canton de Genève pour la succursale de l’entreprise de placement de personnel, inscrite au Registre du commerce de ce même canton (art. 641 CO). Dans ces conditions, le fait que le salaire et les cotisations sociales auraient été versés par l’administration centrale, sise dans le canton de Neuchâtel, n’apparaît pas décisif. Partant, la juridiction cantonale n’a pas violé l’art. 58 LPGA en se déclarant compétente ratione loci.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_872/2017 consultable ici

 

 

8C_97/2018 (f) du 01.10.2018 – Rente d’invalidité – Comparaison des revenus – 16 LPGA – 18 LAA / Interprétation des descriptions de postes de travail (DPT) – Position assise vs position alternée / Définition de « souvent »

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_97/2018 (f) du 01.10.2018

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Comparaison des revenus / 16 LPGA – 18 LAA

Interprétation des descriptions de postes de travail (DPT) – Position assise vs position alternée / Définition de « souvent »

 

Assuré, sans formation, travaillant en qualité de ferrailleur, a été victime, le 20.08.2012, d’une fracture du plateau tibial Schatzker III à gauche alors qu’il jouait au football. L’assuré n’ayant pas repris son travail, son employeur l’a licencié avec effet au 31.12.2013.

L’assurance-accidents a recueilli l’avis de son médecin d’arrondissement, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, lequel a procédé à un examen final de l’assuré le 25.09.2014. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré, à partir du 01.01.2015, une rente d’invalidité fondée sur un taux d’incapacité de gain de 12%, ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) d’un taux de 5%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 45/15 – 138/2017 – consultable ici)

Par jugement du 15.11.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Les activités décrites dans les DPT ayant été prises en compte pour le calcul du revenu d’invalide sont compatibles avec l’état de santé de l’assuré. Dans son rapport final, le médecin d’arrondissement a fait état des limitations fonctionnelles suivantes: position de travail alternée assise/debout, déplacement en terrain plat, pas de travail à genou ou accroupi et port de charges limité à 20-25 kg de manière non répétitive. Le médecin-expert mandaté par l’assuré a retenu les mêmes limitations, estimant pour sa part que le port de charges ne devait pas dépasser 10 kg. Il a préconisé une activité d’établi, ajoutant qu’une activité d’aide-horloger, d’aide-micromécanicien ou une activité équivalente étaient tout à fait envisageables.

Les DPT proposées permettent l’alternance des positions debout et assise. Certes, l’activité de contrôleur de qualité évoque souvent la position assise et jamais la position debout. Cela veut simplement dire que le poste n’exige pas la position debout mais qu’il se fait principalement assis, comme toute activité d’établi ou d’aide-horloger jugée compatible avec l’état de santé de l’assuré par l’expert privé.

Au demeurant, l’adjectif « souvent » ne veut pas dire « exclusivement ». L’alternance des positions assises et debout n’implique aucunement une répartition chronologique rigoureuse de celles-ci mais uniquement la possibilité de passer de l’une à l’autre lorsque le besoin physique s’en fait sentir, ce qui est certainement possible dans l’activité de contrôleur de qualité et, a fortiori, dans les autres DPT retenues par l’assurance-accidents. On relèvera encore que ces dernières suggèrent des déplacements limités à plat, ce qui permet également l’alternance des positions. Les cinq DPT choisies respectent par ailleurs les autres limitations fonctionnelles de l’assuré, en particulier en ce qui concerne le port de charges sur lequel l’expert privé a mis l’accent.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_97/2018 consultable ici