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Arrêt CrEDH 57020/18, Aff. Reyes Jimenez c. Espagne, du 08.03.2022 – L’absence de consentement écrit avant une intervention chirurgicale, exigé par le droit espagnol, a conduit à violer la Convention

Arrêt CrEDH 57020/18, Aff. Reyes Jimenez c. Espagne, du 08.03.2022

 

Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme consultable ici

Communiqué de presse de la greffière de la Cour du 08.03.2022 disponible ici

 

L’absence de consentement écrit avant une intervention chirurgicale, exigé par le droit espagnol, a conduit à violer la Convention / Violation de l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée)

 

Principaux faits

Le requérant, M. Luis Reyes Jimenez est un ressortissant espagnol, né en 2002 et résidant à Los Dolores, Carthagène (Murcie). La requête a été introduite en son nom par son père, Francisco Reyes Sánchez.

Alors qu’il était âgé de six ans, M. Luis Reyes Jimenez fut à plusieurs reprises examiné à l’hôpital public universitaire Virgen de l’Arrixaca de Murcie. Il fit l’objet d’un scanner crânien qui permit de déceler une tumeur cérébrale. Le 18 janvier 2009 il fut admis aux urgences de l’hôpital public dans un état très grave. Après l’admission, une intervention chirurgicale eut lieu le 20 janvier, une deuxième intervention le 24 février 2009 et une troisième intervention d’urgence le même jour que la deuxième. L’état de santé physique et neurologique du patient connut une forte dégradation, de nature irrémédiable. M. Luis Reyes Jimenez se trouve actuellement dans un état de dépendance et d’incapacité totales : il souffre d’une paralysie générale qui l’empêche de bouger, de communiquer, de parler, de voir, de mâcher et de déglutir. Il est alité, incapable de se lever et de se tenir assis.

Le 24 février 2010, estimant qu’il y avait eu en l’espèce des fautes professionnelles de la part des médecins, ainsi que des manquements quant au consentement éclairé concernant, en particulier, la deuxième intervention chirurgicale, les parents du requérant entamèrent une procédure administrative devant le département de santé et politique sociale de la région de Murcie afin d’engager la responsabilité patrimoniale de l’État pour mauvais fonctionnement des services médicaux de l’administration publique. Ils réclamèrent la somme de 2 350 000 euros (EUR).

Face à l’absence de réponse à leur recours administratif, le 28 octobre 2011 les parents formèrent un recours contentieux-administratif.

Par un jugement rendu le 20 mars 2015, le Tribunal supérieur de justice de Murcie rejeta leur recours. Les parents se pourvurent en cassation. Par un arrêt du Tribunal suprême du 9 mai 2017, les parents du requérant furent déboutés. Ils formèrent alors un recours d’amparo mais le Tribunal Constitutionnel les débouta au motif que leur recours était sans pertinence constitutionnelle.

 

Griefs

Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale), les parents du requérant soutiennent qu’ils n’ont pas reçu d’informations complètes et adéquates concernant les interventions chirurgicales pratiquées sur leur fils et qu’ils n’ont donc pas pu y donner leur consentement libre et éclairé, par écrit.

La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 23 novembre 2018.

 

Décision de la Cour

Article 8 CEDH

La Cour relève que les dispositions du droit espagnol sur l´autonomie du patient et les droits et obligations en matière d´information, telles qu’elles sont soutenues par la pratique interne, obligent en termes explicites les médecins à fournir aux patients des informations préliminaires suffisantes et pertinentes pour un consentement éclairé à une telle intervention et devant comporter des informations suffisantes sur ses risques.

Ceci est pleinement conforme à la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine (Convention d’Oviedo). En outre, les dispositions légales nationales précisent que pour chacune des actions indiquées par la loi, ce consentement doit nécessairement être donné par écrit, avec des exceptions très étroitement définies, notamment concernant l’existence d’un danger immédiat et grave pour la vie de la personne et lorsque le patient ou ses proches ne seraient pas en mesure de donner ce consentement.

En l’espèce, les parents du requérant ont porté leurs griefs devant les juridictions internes, en insistant, entre autres, sur le fait qu’aucun consentement valable n’avait été obtenu avant la seconde opération.

La Cour observe que les juridictions internes ont fourni un certain nombre d’arguments selon lesquels la seconde intervention était étroitement liée à la première et que les parents étaient en contact avec les médecins entre les deux interventions. La Cour relève en particulier qu’aucune raison n’a été donnée par les juridictions internes sur la question de savoir pourquoi la prestation du consentement pour la deuxième intervention n’a pas satisfait à la condition fixée par la loi espagnole, selon laquelle chaque acte chirurgical nécessite un consentement écrit. Si les deux interventions avaient pour même but de retirer la tumeur cérébrale, la deuxième a eu lieu à une date ultérieure, après qu’une partie de la tumeur avait déjà été enlevée et alors que l’état de santé de l’enfant mineur n’était plus le même que lors de la première intervention. La Cour relève que les juridictions internes ont alors conclu que le consentement qui aurait été donné verbalement pour la deuxième intervention – qui consistait en l’ablation du reste de la tumeur cérébrale – était suffisant, sans tenir compte des conséquences de la première intervention et sans avoir précisé pourquoi il ne s’agissait pas d’une intervention distincte, qui aurait nécessité le consentement écrit séparé exigé par la législation espagnole. La Cour observe que la seconde opération n’est pas intervenue précipitamment et qu’elle a eu lieu près d’un mois après la première. Il convient de noter aussi que la troisième intervention sur l’enfant mineur s’est avérée nécessaire pour des motifs d’urgence, à la suite de complications survenues lors de la deuxième intervention. Le consentement des parents a été alors recueilli par écrit, ce qui fait contraste avec l’absence de consentement écrit en ce qui concerne la deuxième intervention.

La Cour a déjà mis en exergue l’importance du consentement des patients et le fait que l’absence de consentement peut s’analyser en une atteinte à l’intégrité physique de l’intéressé. Toute méconnaissance par le personnel médical du droit du patient à être dûment informé peut engager la responsabilité de l’État en la matière. En l’espèce, la Cour considère que les questions soulevées par les parents du requérant, concernant d’importantes questions relatives au consentement et à la responsabilité éventuelle des professionnels de santé, n’ont pas été traitées de manière appropriée au cours de la procédure interne, ce qui amène la Cour à conclure que cette procédure n’était pas suffisamment efficace.

La Cour conclut que les jugements internes prononcés par les tribunaux, du Tribunal supérieur de justice de Murcie jusqu’au Tribunal suprême, n’ont pas donné de réponse suffisante concernant l’exigence du droit espagnol d’obtenir un consentement écrit dans des circonstances telles qu’en l’espèce. Si la Convention n’impose en aucune manière que le consentement éclairé soit donné par écrit tant qu’il est fait sans équivoque, la loi espagnole exigeait bien un tel consentement écrit et les tribunaux n’ont pas suffisamment expliqué pourquoi ils ont estimé que l’absence d’un tel consentement écrit n’avait pas enfreint le droit du requérant.

La Cour conclut que le système national n’a pas apporté une réponse adéquate à la question de savoir si les parents du requérant ont effectivement donné leur consentement éclairé à chaque intervention chirurgicale, conformément au droit interne.

Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de l’ingérence dans la vie privée du requérant.

Satisfaction équitable (art. 41 CEDH)

La Cour dit que l’Espagne doit verser au requérant 24 000 euros (EUR) pour dommage moral.

 

 

Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme consultable ici

Communiqué de presse de la greffière de la Cour du 08.03.2022 disponible ici

 

8C_256/2021 du 09.03.2022 – Fixation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques résultant de l’ESS – Une modification de la jurisprudence n’est pas indiquée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 du 09.03.2022

 

Communiqué de presse du TF du 09.03.2022 consultable ici

NB : L’arrêt sera accessible dès qu’il aura été rédigé sur le site internet du TF (date encore inconnue)

 

Fixation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques résultant de l’ESS – Une modification de la jurisprudence n’est pas indiquée

 

Le Tribunal fédéral ne juge pas opportun de modifier sa jurisprudence en vigueur jusqu’à présent relative à la détermination du degré d’invalidité sur la base des salaires statistiques résultant de l’ESS. Il n’existe pas de raisons factuelles sérieuses pour modifier la pratique. Les instruments de correction appliqués jusqu’à aujourd’hui sont d’une importance capitale pour la détermination correcte du degré d’invalidité. Compte tenu de la modification de la loi fédérale et de l’ordonnance sur l’assurance-invalidité, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, un changement de pratique ne serait de toute façon pas opportun à l’heure actuelle.

Le degré d’invalidité d’une personne est généralement déterminé en comparant ses revenus : le revenu que la personne devenue invalide gagne ou pourrait gagner en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée d’elle malgré son invalidité (revenu d’invalide) est comparé avec celui qu’elle aurait pu obtenir si elle n’était pas invalide (revenu sans invalidité). Le degré d’invalidité est déterminé sur la base de la perte de revenu ainsi calculée. Si des chiffres concrets sont disponibles – c’est-à-dire si la personne concernée exerce une activité professionnelle avant ou après le début de l’invalidité – ces chiffres sont généralement utilisés comme base. Si, en revanche, la personne invalide n’exerce pas d’activité ou n’exerce aucune activité que l’on peut raisonnablement attendre d’elle, on peut, selon la jurisprudence appliquée jusqu’à présent, se référer aux salaires statistiques de l’ESS (Enquête bisannuelle sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique). Il faut généralement prendre la valeur médiane des salaires bruts standardisés (valeur médiane = valeur centrale, la moitié gagne moins, l’autre moitié gagne plus). Lors de l’application des salaires statistiques pour déterminer le revenu d’invalide, on se fonde sur un «marché du travail équilibré» (équilibre entre l’offre et la demande) et non sur la situation concrète du marché du travail. A l’aune des circonstances personnelles, une déduction («abattement pour facteurs personnels et professionnels») peut alors être effectuée sur le salaire statistique, jusqu’à un maximum de 25 %. Un correctif supplémentaire est possible si la personne concernée percevait déjà un revenu nettement inférieur à la moyenne pour des raisons étrangères à son invalidité avant que celle-ci ne survienne («parallélisation des revenus»).

Dans le cas d’espèce, une personne recourt contre la fixation de son degré d’invalidité selon cette pratique appliquée sous le droit de l’assurance-invalidité en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021. Elle fait valoir que la jurisprudence dans ce domaine serait discriminatoire. Selon les dernières recherches scientifiques [1], les personnes invalides seraient systématiquement moins bien loties avec la prise en compte de la valeur médiane de l’ESS. Les salaires statistiques refléteraient largement les salaires des personnes en bonne santé. Afin de prendre en compte de manière adéquate les conséquences de l’invalidité lors de la fixation du revenu d’invalide, les experts suggéreraient, entre autres, de se référer au quartile inférieur des salaires statistiques (quartile inférieur = valeur du quart, un quart gagne moins, trois quarts gagnent plus) plutôt qu’à la valeur médiane. En outre, il conviendrait d’établir les salaires sur la base d’activités appropriées et d’établir immédiatement des déductions claires et réalistes sur le salaire statistique.

Lors de sa séance publique du 9 mars 2022, le Tribunal fédéral rejette le recours. Les arguments invoqués ne justifient pas un changement de jurisprudence. La détermination du degré d’invalidité est essentiellement régie par la loi. Avec la notion de marché du travail équilibré (selon l’article 16 LPGA), le législateur part du principe que des emplois correspondant aux capacités des personnes atteintes dans leur santé leur sont accessibles. On ne peut s’écarter de ce concept juridique en se référant à des possibilités d’emploi concrètes ou des conditions concrètes du marché du travail. La détermination des revenus avec et sans invalidité n’était jusqu’à présent pas réglementée en détail par la loi. Selon la jurisprudence appliquée jusqu’à présent, il s’agit avant tout de tenir compte des circonstances concrètes, c’est-à-dire du salaire effectivement gagné avant ou après le début de l’invalidité. Ce n’est que lorsque cela n’est pas possible que les statistiques salariales sont utilisées, généralement les salaires issus de l’ESS. Le recours à l’ESS pour déterminer le degré d’invalidité est donc l’«ultima ratio». L’ESS se base sur une enquête menée tous les deux ans auprès des entreprises en Suisse. Elle se fonde donc sur des données complètes et concrètes issues du marché du travail réel. La valeur médiane des salaires bruts standardisés de l’ESS, qui doit être prise comme base selon la jurisprudence du Tribunal fédéral appliquée jusqu’à présent, convient en principe comme valeur de départ pour la détermination du revenu d’invalide. Afin de tenir compte du fait qu’une personne handicapée ne peut mettre en valeur sa capacité de travail restante, même sur un marché du travail équilibré, qu’avec la perspective d’un salaire inférieur à la moyenne, la jurisprudence prévoit la possibilité d’une déduction allant jusqu’à 25 % du salaire statistique. Cette déduction («abattement pour facteurs personnels et professionnels») constitue un correctif capital pour déterminer le revenu d’invalide de la manière la plus concrète possible. Compte tenu de la possibilité d’effectuer un abattement, le Tribunal fédéral a jusqu’à présent expressément refusé de prendre comme base le quartile inférieur du salaire statistique. Un autre correctif est la parallélisation. Cela permet également de tenir compte du cas particulier lors de la comparaison des revenus. On ne voit pas dans quelle mesure la détermination du revenu d’invalide sur la base de la valeur médiane de l’ESS, corrigée le cas échéant par les deux instruments précités, serait discriminatoire.

Le fait que les conditions d’un changement de jurisprudence ne sont pas réunies à ce jour ne signifie pas que la jurisprudence – en particulier à l’aune de la révision de la loi fédérale et de l’ordonnance sur l’assurance-invalidité – ne pourra pas évoluer à l’avenir. Une modification de la jurisprudence à l’heure actuelle ne serait toutefois pas opportune, même ensuite de l’entrée en vigueur de la révision en question, laquelle concerne l’utilisation des salaires statistiques pour la comparaison des revenus ainsi que les instruments de correction. Le Tribunal fédéral n’a pas à se prononcer sur ce point dans le cas d’espèce.

 

 

[1] Entre autres, l’expertise statistique «Nutzung Tabellenmedianlöhne LSE zur Bestimmung der Vergleichslöhne bei der IV-Rentenbemessung» de l’Office d’études du travail et de la politique sociale (BASS SA) ; l’avis juridique «Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» et les conclusions qui en ont été tirées par le Prof. Dr. iur. Gächter, le Dr. iur. Egli, le Dr. iur. Meier et le Dr. iur. Filippo; remarques complémentaires «Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn» du Prof. em. Riemer Kafka et du Dr. phil. Schwegler

 

 

Communiqué de presse du TF du 09.03.2022 consultable ici

Bestimmung des Invaliditätsgrades anhand der LSE-Tabellenlöhne – Änderung der Rechtsprechung nicht angezeigt, Medienmitteilung des Bundesgerichts, 09.03.2022

Determinazione del grado d’invalidità sulla base dei salari delle tabelle RSS – cambiamento di giurisprudenza non opportuno, Comunicato stampa del Tribunale federale, 09.03.2022

 

 

9C_488/2021 (d) du 10.01.2022 – Revenu d’invalide – Abattement – Baisse de rendement – Troubles psychiques

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_488/2021 (d) du 10.01.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide – Abattement / 16 LPGA

Baisse de rendement – Troubles psychiques

 

Assuré, né en 1977, ébéniste de formation, titulaire d’une maturité professionnelle et travaillant en dernier lieu comme dessinateur dans un bureau d’architecture, a déposé une demande AI en juin 2013 en raison d’un trouble bipolaire et d’un syndrome d’apnée du sommeil sévère. L’office AI a procédé aux investigations usuelle et a mis en œuvre deux expertises pluridisciplinaires.

Selon la dernière expertise, l’assuré est apte à travailler à partir d’avril 2013 dans son activité habituelle habituel ou dans un emploi adapté, à raison de 7,5 heures en moyenne (par jour) avec une limitation de la capacité de travail de 20% en raison d’un besoin accru de pauses, soit 70% au total.

L’office AI a nié le droit à une rente.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.08.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2.2
L’instance inférieure a calculé le revenu d’invalide à partir du salaire statistique (ESS 2016, TA1, niveau de compétence 1, hommes, Total), en n’accordant aucun abattement sur celui-ci.

L’assuré demande une déduction de 10%, ne pouvant désormais œuvrer qu’à temps partiel (70%) dans des activités adaptées aux limitations fonctionnelles retenues.

Selon le Tribunal fédéral, il convient d’opposer au grief de l’assuré qu’il peut encore travailler 7,5 heures par jour. Cela correspond, pour un temps de travail hebdomadaire moyen de 41,7 heures, à un taux d’occupation de près de 90%, ce qui, statistiquement parlant, n’entraîne pas une perte de salaire disproportionnée (cf. ESS 2016, T18, hommes, sans fonction de cadre). La diminution de la capacité de travail de 20% attestée par les experts en raison d’un besoin accru de pauses a déjà été prise en compte dans l’évaluation médicale de la capacité de travail et ne doit pas être prise en compte une nouvelle fois dans le calcul de la déduction (ATF 146 V 16 consid. 4.1).

Selon le jugement cantonal, qui s’appuie sur la dernière expertise médicale, l’assuré peut effectuer des travaux pratiques et variés. Selon l’évaluation de l’expert, les activités à charge émotionnelle, celles soumises à une forte pression temporelle, avec des horaires de travail très irréguliers et les travaux nécessitant une surveillance ou une commande prolongée de machines ne conviennent pas. Ces restrictions ne justifient pas un abattement sur le salaire statistique, car une prévenance de la part du supérieur et des collègues de travail due des troubles psychiques ne constitue pas une circonstance déductible en soi. De plus, l’assuré a encore accès à une multitude d’activités dans lesquelles les restrictions qualitatives n’ont pas d’effet.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_488/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 9C_488/2021 (d) du 10.01.2022 – Revenu d’invalide – Abattement – Baisse de rendement – Troubles psychiques, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/03/9c_488-2021)

9C_366/2021 (d) du 03.01.2022 – Marché du travail équilibré – Exploitabilité de la capacité résiduelle de travail – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_366/2021 (d) du 03.01.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Marché du travail équilibré – Exploitabilité de la capacité résiduelle de travail / 16 LPGA

 

En août 2017, l’assuré, né en 1969, a déposé une 3e demande AI (après deux précédents refus), invoquant un complexe de Shone. Après avoir procédé aux investigations usuelles, notamment une expertise pluridisciplinaire (médecine interne générale, cardiologie et neurologie), l’office AI a accordé à l’assuré une demi-rente AI avec effet au 01.04.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2020.00279 – consultable ici)

Par jugement du 22.04.2021, admission partielle du recours par le tribunal cantonal. Le droit à une demi-rente AI du 01.04.2018 au 31.08.2019 a été confirmé ; l’affaire est retournée à l’office AI pour investigations supplémentaires et examen du droit à une rente d’invalidité à partir du 01.09.2019

 

TF

Le Tribunal fédéral a examiné si le tribunal cantonal a violé le droit fédéral en refusant à l’assuré le droit à une rente d’invalidité supérieure à une demi-rente pour la période du 01.04.2018 au 31.08.2019.

Consid. 3.2
L’examen du droit à la rente lors d’une nouvelle demande après un refus préalable de la rente (cf. à ce sujet l’art. 87 al. 3 en relation avec l’al. 2 RAI ; ATF 130 V 71 consid. 2.2) doit être effectué en appliquant par analogie les principes relatifs à la révision de la rente selon l’art. 17 LPGA (ATF 143 V 409 consid. 4.2.1 ; 143 V 418 ; 141 V 281).

Consid. 4.1
Il est établi et incontesté que l’état de santé de l’assuré s’est détérioré depuis le dernier refus de rente et qu’il n’est plus en mesure, durant la période litigieuse en l’espèce, que d’exercer une activité à 70% adaptée à son état de santé. Ce qui est en revanche contesté, c’est le caractère exploitable de la capacité de travail médico-théorique.

Consid. 4.2
La possibilité pour une personne assurée d’exploiter ses capacités résiduelles sur le marché du travail général et équilibré dépend des circonstances concrètes du cas d’espèce. Sont déterminants, conformément à la jurisprudence, le type et la nature de l’atteinte à la santé et de ses conséquences, l’effort prévisible de réadaptation et d’adaptation et, dans ce contexte, également la structure de la personnalité, les talents et aptitudes existants, la formation, le parcours professionnel ou l’applicabilité de l’expérience professionnelle acquise dans l’activité habituelle (arrêt 9C_650/2015 du 11 août 2016 consid. 5.3 et les références). En ce qui concerne le marché du travail équilibré, il s’agit d’une notion théorique, de sorte que l’on ne peut pas admettre à la légère que la capacité de travail résiduelle est inutilisable (arrêts 8C_442/2019 du 20 juillet 2019 consid. 4.2 et 9C_485/2014 du 28 novembre 2014 consid. 3.3.1). Le caractère irréaliste de la capacité de travail résiduelle est admis lorsque l’activité raisonnablement exigible n’est possible que sous une forme si limitée que le marché du travail équilibré ne la connaît pratiquement pas ou qu’elle ne serait possible qu’au prix d’une prévenance illusoire de la part d’un employeur moyen et que la recherche d’un emploi correspondant apparaît donc d’emblée comme exclue (arrêts 9C_426/2020 du 29 avril 2021 consid. 5.2 et 9C_644/2019 du 20 janvier 2020 consid. 4.2, tous deux avec référence).

Consid. 4.3
L’assuré fait valoir que la capacité de travail qui lui reste n’est pas exploitable sur le marché du travail équilibré. Comme l’a toutefois considéré à juste titre l’instance précédente, ce marché du travail offre des postes pour lesquels la personne active peut, si nécessaire, faire une pause à tout moment (cf. aussi arrêt 8C_434/2021 du 10 août 2021 consid. 5.4). Le fait qu’il faille s’attendre à l’avenir également à des phases d’incapacité de travail passagère ne change rien à cette situation.

Dans le cas concret, la condition selon laquelle l’activité doit être exercée à proximité de la clinique de cardiologie qui assure le suivi n’entraîne pas non plus de restriction de l’exploitabilité. Le tribunal cantonal a interprété cette condition en ce sens que le lieu de travail ne devait pas être plus éloigné de la clinique B.__ que le domicile du patient. Par cette interprétation, le tribunal cantonal n’a pas estimé de manière manifestement erronée le sens et la portée de la déclaration de l’expert ; selon le contexte de cette déclaration, le médecin-expert voulait en premier lieu exclure par celle-ci une activité de service extérieur. Selon les constatations de l’instance précédente, l’assuré habite à U.__, soit à 35 km de la clinique de cardiologie où il est traité. Dans ce rayon autour de la clinique B.__ se trouve l’une des régions les plus économiquement fortes de Suisse, de sorte que cette condition ne rend pas irréaliste la recherche d’un emploi correspondant. Par conséquent, l’instance inférieure n’a pas violé le droit fédéral en admettant l’exploitabilité de la capacité résiduelle de travail de l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_366/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 9C_366/2021 (d) du 03.01.2022 – Marché du travail équilibré – Exploitabilité de la capacité résiduelle de travail, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/03/9c_366-2021)

9C_429/2020 (f) du 24.06.2021 – Solde des cotisations sociales d’un indépendant plus de 11 ans après – Dies a quo du délai de péremption d’un an / Entrée en force de la taxation fiscale déterminante / 16 LAVS – 23 RAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_429/2020 (f) du 24.06.2021

 

Consultable ici

 

Solde des cotisations sociales d’un indépendant plus de 11 ans après – Dies a quo du délai de péremption d’un an

Entrée en force de la taxation fiscale déterminante / 16 LAVS – 23 RAVS

Intérêt moratoire

 

A.__, né en 1977, était associé de la société en nom collectif C.__. Il a requis son affiliation à titre de personne exerçant une activité lucrative indépendante auprès de la caisse cantonale de compensation à compter du 01.05.2002.

De 2003 à 2008, la caisse de compensation a, en se fondant sur un revenu annuel annoncé de 72’000 fr., fixé provisoirement le montant des cotisations sociales à la charge de A.__ pour chacune des années en cause. En date du 31.12.2007, l’intéressé a définitivement cessé son activité indépendante. Le 14.04.2008, la caisse de compensation a rendu un décompte final des cotisations dues, précisant qu’il s’agissant d’une taxation provisoire « dans l’attente des éléments fiscaux ».

Le 16 novembre 2018, l’autorité fiscale cantonale a informé la caisse de compensation que A.__ avait réalisé un revenu de 144’343 fr. en 2005 (capital investi: 29’518 fr.), de 187’605 fr. en 2006 (capital investi: 37’703 fr.) et de 546’442 fr. en 2007 (capital investi: 285’542 fr.). Par décisions séparées du 23.09.2019, confirmées sur opposition, la caisse de compensation a réclamé à A.__ un montant supplémentaire de 63’985 fr. 05 correspondant à l’arriéré des cotisations sociales dues pour la période du 01.01.2005 au 31.12.2007, avec des frais d’administration, ainsi qu’un montant de 35’610 fr. 20 à titre d’intérêts moratoires.

 

Procédure cantonale (arrêt AVS 47/19 – 17/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a retenu que la caisse de compensation avait réclamé à juste titre à A.__ l’arriéré de cotisations sociales dues sur l’ensemble des revenus des années 2005 à 2007. La procédure de rappel d’impôts portait en effet sur l’ensemble des revenus de A.__ pour cette période, annulant et remplaçant de facto les décisions de taxation rendues en 2008 et 2009. Ce n’était dès lors qu’à partir de la communication par l’autorité fiscale des taxations définitives en novembre 2018 que la caisse de compensation avait été en mesure de réclamer, conformément à l’art. 39 RAVS, l’arriéré des cotisations sociales dues. Dans la même logique, dès lors qu’elle était fondée à réclamer les cotisations sociales sur l’ensemble des revenus du recourant des années 2005 à 2007, la juridiction cantonale a considéré que c’est à bon droit que la caisse de compensation avait facturé des intérêts moratoires.

Par jugement du 18.05.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le délai institué par l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS est un délai de péremption, et non pas de prescription (ATF 115 V 183 consid. 2b et les références; voir aussi ATF 129 V 345 consid. 4.2.2), en ce sens que l’organisme d’assurance qui subit un dommage est déchu du droit d’exiger la réparation de celui-ci s’il n’agit pas dans le délai fixé. Ce délai n’est en principe susceptible d’aucune interruption ni prolongation (à ce sujet, voir ATF 136 II 187 consid. 6; 133 V 14 consid. 6).

L’art. 14 LAVS concerne le prélèvement de cotisations par les caisses de compensation. A teneur de cette disposition, les cotisations perçues sur le revenu provenant de l’exercice d’une activité indépendante, les cotisations des assurés n’exerçant aucune activité lucrative et celles des assurés dont l’employeur n’est pas tenu de payer des cotisations sont déterminées et versées périodiquement. Le Conseil fédéral fixera les périodes de calcul et de cotisations (art. 14 al. 2 LAVS). Le Conseil fédéral édicte des dispositions sur le paiement a posteriori de cotisations non versées (art. 14 al. 4 let. c LAVS).

En vertu de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 39 al. 1 RAVS, selon lequel si une caisse de compensation a connaissance du fait qu’une personne soumise à l’obligation de payer des cotisations n’a pas payé de cotisations ou n’en a payé que pour un montant inférieur à celui qui était dû, elle doit réclamer, au besoin par décision, le paiement des cotisations dues; la prescription selon l’art. 16 al. 1 LAVS est réservée.

Dans le cadre de la fixation des cotisations des assurés, le législateur a par ailleurs confié aux autorités fiscales cantonales le soin de déterminer le revenu provenant d’une activité indépendante et le capital propre engagé dans l’entreprise (art. 9 al. 3 LAVS et 27 RAVS; voir arrêt 9C_179/2007 du 7 novembre 2007 consid. 4.2).

Ainsi, en vertu de l’art. 23 RAVS, pour établir le revenu déterminant, les autorités fiscales cantonales se fondent sur la taxation passée en force de l’impôt fédéral direct. Elles tirent le capital propre engagé dans l’entreprise de la taxation passée en force de l’impôt cantonal adaptée aux valeurs de répartition intercantonales (al. 1). En l’absence d’une taxation passée en force de l’impôt fédéral direct, les données fiscales déterminantes sont tirées de la taxation passée en force de l’impôt cantonal sur le revenu ou, à défaut, de la déclaration vérifiée relative à l’impôt fédéral direct (al. 2). Si l’autorité fiscale procède à une taxation fiscale consécutive à une procédure en soustraction d’impôts, les al. 1 et 2 sont applicables par analogie (al. 3). Les caisses de compensation sont liées par les données des autorités fiscales cantonales (al. 4). Si les autorités fiscales cantonales ne peuvent pas communiquer le revenu, les caisses de compensation estimeront le revenu déterminant pour fixer les cotisations et le capital propre engagé dans l’entreprise sur la base des données dont elles disposent. Les personnes tenues de payer des cotisations doivent renseigner les caisses de compensation et, sur demande, produire toutes les pièces utiles (al. 5).

 

C’est tout d’abord en vain que A.__ soutient que la caisse de compensation a commis un abus de droit en rendant la décision de cotisations AVS le 23.09.2019, alors qu’elle disposait depuis 2008 des comptes de la société en nom collectif C.__ des années 2005, 2006 et 2007. Dans le cadre de la fixation des cotisations des assurés exerçant une activité lucrative indépendante, le législateur a expressément confié aux autorités fiscales cantonales le soin de déterminer le revenu provenant d’une activité indépendante et le capital propre engagé dans l’entreprise conformément aux art. 9 al. 3 LAVS et 23 RAVS. Il s’ensuit que les caisses de compensation sont liées, en principe, par les données communiquées par les autorités fiscales cantonales pour fixer les cotisations dues pour l’année de cotisation (art. 23 al. 4 et 27 al. 2 RAVS). N’ayant aucun moyen de contraindre les autorités fiscales à prendre rapidement une décision, la caisse de compensation n’était par conséquent pas tenue d’entreprendre quelque démarche que ce soit auprès de celles-ci (voir arrêt 9C_179/2007 précité consid. 4.2; cf. aussi arrêt 9C_491/2013 du 5 février 2014 consid. 3.2). On ne saurait dès lors reprocher à la caisse de compensation de s’en être tenue aux communications effectives de l’autorité fiscale.

 

Compte tenu des particularités de la procédure de cotisations AVS des indépendants, le législateur a ensuite posé à l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS une règle spécifique en matière de péremption qui s’écarte des règles générales de l’art. 24 al. 1 LPGA. Lorsque les cotisations perçues sur le revenu proviennent d’une activité indépendante (art. 8 al. 1 LAVS), le délai de péremption n’échoit en principe qu’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force (art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS). En choisissant comme point de départ du délai de péremption la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force, et non pas le moment effectif de la connaissance du dommage, le législateur a choisi explicitement de faire supporter à l’organisme d’assurance tout retard dans la communication par l’autorité fiscale cantonale de la taxation fiscale déterminante entrée en force.

L’art. 16 al. 1 LAVS s’applique ensuite également à la situation dans laquelle une procédure pour soustraction fiscale a été mise en œuvre (au sens des art. 175 ss LIFD [RS 642.11]). Si des cotisations doivent être prélevées sur un revenu taxé dans une procédure en soustraction d’impôts, le délai d’un an de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS ne prend naissance qu’après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force. A cet égard, le Tribunal fédéral a précisé que les modifications de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS, entrées en vigueur le 1er janvier 2012, n’ont pas apporté de modification substantielle par rapport à l’ancien droit. Si l’ancien art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS faisait expressément référence à « la taxation fiscale déterminante ou [à] la taxation consécutive à une procédure pour soustraction d’impôts », la nouvelle réglementation qui ne contient plus que l’expression « taxation fiscale déterminante » apporte exclusivement une simplification rédactionnelle (arrêt 9C_736/2018 du 5 décembre 2018 consid. 2). La jurisprudence rendue concernant la taxation consécutive à une procédure pour soustraction d’impôts, qui était auparavant expressément mentionnée dans l’énoncé de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS, garde par conséquent toute sa valeur. L’organisme d’assurance est censé suffisamment connaître son dommage après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force, y compris la taxation consécutive à une procédure pour soustraction d’impôts.

Dès lors que les taxations fiscales des 16 avril 2008 (pour l’année 2005), 1er septembre 2008 (pour l’année 2006) et 13 juillet 2009 (pour l’année 2007) reposaient sur des données incomplètes, de sorte qu’une reprise d’impôts a eu lieu postérieurement, le point de départ du délai de péremption d’un an au sens de l’art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS est reporté à la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale consécutive à la procédure pour soustraction d’impôts est entrée en force. Selon les faits constatés par la juridiction cantonale, il s’agit de la fin de l’année 2018. En réclamant le solde des cotisations sociales dues le 23.09.2019, la caisse de compensation a par conséquent agi dans le délai d’un an après la fin de l’année civile au cours de laquelle la taxation fiscale déterminante est entrée en force (art. 16 al. 1, 2e phrase, LAVS). Les cotisations arriérées réclamées par la caisse de compensation ne sont pas frappées de péremption.

 

C’est finalement en vain que A.__ se plaint de la perception d’un intérêt moratoire. L’intérêt moratoire n’a pas le caractère d’une sanction ou d’une pénalité; sa justification réside dans la perte d’intérêts que subit le créancier et le gain que réalise le débiteur. Dans la mesure où A.__ a déclaré à la caisse de compensation un revenu (de 72’000 fr.) sensiblement inférieur à celui qu’il percevait en réalité (144’343 fr. en 2005, 187’605 fr. en 2006 et 546’442 fr. en 2007), il doit payer des intérêts moratoires sur les cotisations arriérées réclamées dès le 1er janvier qui suit la fin de l’année civile pour laquelle les cotisations sont dues (art. 41 bis al. 1 let. b RAVS). Dans la décision du 14.04.2008, la caisse de compensation a du reste précisé qu’elle procédait à une taxation des cotisations sociales dans l’attente des éléments fiscaux et indiqué expressément, dans les documents annexés à la décision, qu’elle réservait une rectification ultérieure sur la base de la communication fiscale.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 9C_429/2020 consultable ici

 

 

8C_171/2021 (f) du 14.12.2021 – Revenu d’invalide – Utilisation des DPT au-delà du 01.01.2019 / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_171/2021 (f) du 14.12.2021

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – Utilisation des DPT au-delà du 01.01.2019 / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1953, menuisier de formation, a exercé sa profession en qualité d’indépendant.

Après divers accidents et procédures judicaires, l’assurance-accidents a, par décision du 20.11.2014 confirmée sur opposition, reconnu l’assuré apte à travailler à 100% comme menuisier en atelier, de sorte qu’elle ne pouvait pas lui accorder une rente d’invalidité; en revanche, le droit à des indemnités pour atteinte à l’intégrité complémentaires de 12.5% pour l’épaule droite et de 5% pour le coude gauche pouvait lui être reconnu.

Par jugement du 15.03.2018, le tribunal cantonal a admis le recours interjeté par l’assuré contre la décision sur opposition, qu’elle a annulée. La cour cantonale a considéré, en substance, que l’assurance-accidents n’avait pas tenu compte de la baisse de rendement de 25% invoquée par l’employeur C.___ SA et lui a enjoint d’effectuer une recherche de postes de travail parfaitement adaptés aux handicaps de l’assuré.

Dans une nouvelle décision du 06.08.2018, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a retenu un revenu avec invalidité de 63’726 fr. sur la base des statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS; niveau de compétences 2), en tenant compte d’un abattement de 10% pour les limitations fonctionnelles que présentait l’assuré; constatant que la comparaison de ce revenu avec le gain de 68’249 fr. réalisable sans l’accident faisait apparaître un taux d’invalidité de 6.6%, elle a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 18.01.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Revenu d’invalide – Utilisation des DPT au-delà du 01.01.2019

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible -, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS ou sur les données salariales résultant des DPT établies par la CNA (ATF 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). La jurisprudence ne laisse pas le choix de la méthode à la CNA, mais lui impose de faire recours aux DPT, à moins que les circonstances du cas d’espèce y fassent obstacle et qu’il ne lui soit pas possible de trouver, parmi la documentation disponible, le nombre requis de postes de travail pouvant entrer en ligne de compte pour l’assuré concerné (arrêts 8C_199/2017 du 6 février 2018 consid. 5.1; 8C_443/2016 du 11 août 2016 consid. 5.3; UELI KIESER, ATSG-Kommentar, 4e éd. 2020, n° 88 ad art. 16 LPGA). En procédure cantonale, il appartient à la juridiction cantonale d’examiner si l’évaluation de l’invalidité sur la base des DPT était conforme au droit et, si tel n’est pas le cas, de renvoyer la cause à la CNA ou de déterminer le revenu d’invalide sur la base de l’ESS (ATF 139 V 592 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.2; arrêt 8C_607/2020 du 6 mai 2021 consid. 5.2).

On rappellera également que, malgré le fait que la CNA n’actualise plus les DPT depuis le 01.01.2019 (CHRISTOPH FREY/NATHALIE LANG, in: Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, n. 56 ss ad art. 16 LPGA; cf. arrêt 8C_517/2019 du 26 septembre 2019 consid. 6), les principes énoncés ci-dessus s’appliquent toujours au contrôle des décisions de rente fondées sur les DPT (arrêt 8C_315/2020 du 24 septembre 2020 consid. 3.2).

 

Par jugement du 15.03.2018, la cour cantonale a admis le recours contre la décision sur opposition et a renvoyé le dossier à l’assurance-accidents pour nouvelle décision. A ce propos, elle a notamment exposé ce qui suit (consid. 2.3) : « Afin de déterminer la perte de gain à la date déterminante, [l’assurance-accidents] aurait dû effectuer une recherche de postes de travail parfaitement adaptés aux handicaps de l’assuré – dont pouvaient faire partie des emplois de menuisier exclusivement à l’établi – et comparer le salaire moyen ainsi obtenu au revenu, adapté à l’évolution des salaires, que l’assuré percevait dans son activité de menuisier pour C.___ SA avant l’accident de juin 2020 ». Par-là, la cour cantonale a invité concrètement l’assurance-accidents à entreprendre des recherches dans les DPT.

Dans sa décision du 06.08.2018, l’assurance-accidents a pourtant établi le revenu avec invalidité à l’aide des valeurs statistiques des ESS. Bien que l’assuré ait critiqué par la suite (tant dans son opposition que dans son recours subséquent au tribunal cantonal) que le jugement du 15.03.2018 n’aurait pas été respecté et que l’instruction requise par le tribunal n’aurait pas été faite, l’assurance-accidents s’est bornée à alléguer dans la décision sur opposition du 20.12.2018 ainsi que dans ses écritures au tribunal cantonal qu’elle avait été confrontée à l’impossibilité de verser au dossier – comme requis par les juges valaisans – des DPT parfaitement adaptées aux limitations fonctionnelles. Dans leur jugement du 18.01.2021, les juges cantonaux ont simplement « pris acte » qu’il n’y avait pas de poste parfaitement adapté. Malgré les critiques pertinentes et constantes de l’assuré, ils ont toutefois omis toute instruction ultérieure et ils n’ont pas non plus vérifié si le jugement de renvoi du 15.03.2018 avait été respecté. Les allégations de l’assuré ne paraissent donc pas dénuées de fondement. Toutefois, cela ne peut pas amener à annuler le jugement attaqué. Contrairement à ce que l’assuré soutient, il n’y a pas lieu, en cas de litige, de comparer les résultats obtenus par les deux méthodes (soit à l’aide des DPT ou des valeurs statistiques de l’ESS) et de se fonder sur celui qui est le plus favorable à l’assuré (ATF 129 V 472 consid. 4.2.1; arrêt 8C_610/2017 du 3 avril 2018 consid. 4.2), dès lors qu’il n’existe pas en droit des assurances sociales un principe selon lequel le doute profite à l’assuré (« in dubio pro assicurato »; ATF 134 V 315 consid. 4.5.3).

Pour compléter l’état de fait et éviter un renvoi à l’instance cantonale, le Tribunal fédéral a, par avis du 16.09.2021, invité l’assurance-accidents à produire tous documents établissant les recherches effectuées pour trouver des DPT parfaitement adaptées aux handicaps de l’assuré ainsi que le résultat de ces recherches et à déposer des observations éventuelles (cf. art. 55 al. 1 et 2 LTF; art. 50 PCF; cf. arrêt 9C_53/2008 du 18 février 2009 consid. 3.1). L’assurance-accidents a répondu le 29.09.2021 qu’elle avait été confrontée à l’impossibilité de rechercher, trouver et verser au dossier de telles DPT et qu’elle ne disposait ainsi pas des pièces requises. De plus, comme elle n’avait actuellement plus recours à la méthode des DPT, il lui était techniquement impossible de faire toute nouvelle recherche à ce jour. L’assuré n’a pas déposé d’observations par rapport à ces déterminations. On peut dès lors partir du fait que des DPT parfaitement adaptées aux handicap de l’assuré n’existent pas et – vu que les DPT ne sont plus actualisés – qu’une recherche ne peut plus être effectuée. Dans ces circonstances, il ne peut en définitive pas être reproché à la cour cantonale de s’être appuyée sur les valeurs statistiques de l’ESS.

Les griefs de l’assuré quant à l’abattement retenu (10%) ont été écarté par le Tribunal fédéral (consid. 5.2).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_171/2021 consultable ici

 

9C_780/2020 (f) du 07.12.2021 – Procédure relative au non-paiement des primes et des participations aux coûts – Désignation d’un expert (organe de contrôle) par le canton – Décision incidente – Pas de préjudice irréparable – 93 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_780/2020 (f) du 07.12.2021

 

Consultable ici

 

Procédure relative au non-paiement des primes et des participations aux coûts / 64a LAMal – 105f OAMal – 105j OAMal

Contrôle par le canton des actes de défaut de biens

Désignation d’un expert (organe de contrôle) – Décision incidente – Pas de préjudice irréparable – 93 LTF

 

Une caisse-maladie autorisée à pratiquer dans le domaine de l’assurance-maladie sociale adresse chaque année au Service cantonal genevois de l’assurance-maladie (ci-après: le SAM) un décompte des créances relevant de l’assurance obligatoire des soins pour lesquelles un acte de défaut de biens ou un titre équivalent (par la suite: ADB) a été délivré l’année précédente dans le canton de Genève. Ces décomptes annuels sont contrôlés par son organe de révision A.__ SA. Le canton de Genève prend en charge 85% des créances ainsi annoncées, la caisse-maladie étant par la suite tenue de lui rétrocéder 50% des éventuels remboursements des ADB.

Les décomptes finaux de la caisse-maladie concernant d’abord les ADB 2013, puis les ADB pour les années suivantes, ainsi que les rapports de contrôle de A.__ SA y afférents ont suscité des questions de la part du SAM. Au cours d’échanges de correspondance sur plusieurs années, la caisse-maladie et le SAM ont discuté des actes de défaut de biens, des rapports de contrôle de l’organe de révision et du taux de rétrocession des remboursements des ADB. Par décision du 30.10.2018, le SAM a désigné le Service d’audit interne de l’Etat de Genève (ci-après: SAI) afin de procéder à la vérification du décompte final des ADB 2018 établi par la caisse-maladie ; il a par ailleurs prié la caisse-maladie d’informer A.__ SA que celle-ci n’exercerait pas la fonction d’organe de contrôle du décompte final des ADB 2018. Par décision sur opposition du 07.02.2019, le SAM a confirmé sa décision, écarté l’opposition formée par la caisse-maladie et retiré l’effet suspensif à un éventuel recours.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1052/2020 – consultable ici)

La caisse-maladie a formé recours contre la décision sur opposition.

Par jugement du 29.10.2020, la cour cantonale a rejeté le recours dans la mesure de sa recevabilité.

 

TF

La décision attaquée porte sur la désignation, par le canton de Genève (pour lui le SAM), d’un organe de contrôle (autre que l’organe de révision mandaté par la caisse-maladie) chargé de vérifier le décompte final des ADB 2018 établi par la caisse-maladie et d’attester l’exactitude des données communiquées (cf. art. 64a al. 3 LAMal et art. 105j OAMal).

La désignation de l’organe de contrôle pour la vérification du décompte final des ADB 2018 établi par la caisse-maladie s’inscrit dans le cadre de la procédure relative au non-paiement des primes et des participations aux coûts, prévue par l’art. 64a LAMal, pour l’année 2018. Parmi les obligations prévues par la loi, la caisse-maladie est tenue d’annoncer à l’autorité cantonale compétente notamment le montant total des créances relevant de l’assurance obligatoire des soins pour lesquelles un acte de défaut de biens ou un titre équivalent a été délivré durant la période concernée et de transmettre l’attestation y relative de l’organe de contrôle (art. 64a al. 3 et 8 LAMal en relation avec les art. 105f et 105j al. 1 OAMal). L’assureur-maladie doit également rétrocéder au canton 50% du montant versé par l’assuré lorsque celui-ci a payé tout ou partie de sa dette, l’organe de contrôle étant appelé à vérifier l’exactitude et l’exhaustivité des informations des assureurs concernant le paiement des créances arriérées après l’établissement de l’acte de défaut de biens et les remboursements au canton (art. 64a al. 5 et 8 LAMal en relation avec l’art. 105j al. 2 OAMal [dans sa teneur en vigueur à partir du 1er janvier 2018]). De son côté, le canton a l’obligation de prendre en charge 85% des créances ayant fait l’objet de l’annonce prévue (art. 64 al. 4 LAMal).

 

Le canton de Genève a déjà payé les 85% des créances ayant fait l’objet de l’annonce 2018 par la caisse-maladie en vertu de l’art. 64a al. 3 LAMal (en relation avec l’art. 64a al. 4 LAMal); il ne l’a cependant fait que sous la réserve de la possibilité de demander le remboursement de versements éventuellement indus. Le canton de Genève n’a donc pas procédé à un versement sans réserve, et son paiement ne peut dès lors pas avoir l’effet d’une décision définitive (cf. par analogie la situation décrite par la doctrine en matière de procédure de taxation spontanée, p. ex. MARTIN KOCHER in Bundesgesetz über die Mehrwertsteuer [MWSTG], Zweifel et al. [éd], 2015, n. 16 ad art. 82 LTVA, MARKUS KÜPFER in Bundesgesetz über die Verrechnungssteuer, Zweifel et al. [éd], 2 e éd. 2012, n. 12 ad art. 38 LIA).

La procédure concernant la prise en charge des créances de la caisse-maladie par le canton de Genève pour l’année 2018 n’est donc pas terminée et ne prendra fin qu’avec la confirmation du SAM qu’il retire la réserve émise précédemment ou une décision quant au montant des créances relatives aux ADB 2018. Quelle qu’en soit l’issue, à ce stade de la procédure, la désignation de l’organe de contrôle par le canton ne représente qu’une étape de la procédure administrative en cours tendant à établir le montant des créances selon les art. 64a al. 4 et 5 LAMal; cette étape n’est pas séparée ou indépendante de la procédure sur le fond mais s’inscrit dans le cadre de celle-ci. La décision en cause constitue par conséquent une décision incidente au sens de l’art. 93 al. 1 LTF, tout comme par exemple l’ordonnance portant sur la nomination d’un expert en matière d’assurance-invalidité (cf. p. ex. ATF 136 V 156 consid. 3.1) ou une ordonnance de preuve en matière civile (cf. p. ex. ATF 138 III 46 consid. 1 et regeste).

 

En ce qui concerne le préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF, il s’agit d’un inconvénient de nature juridique (ATF 139 V 42 consid. 3.1; 138 III 46 consid. 1.2; 137 III 324 consid. 1.1); tel est le cas lorsqu’une décision finale même favorable à la partie recourante ne le ferait pas disparaître entièrement (ATF 138 III 190 consid. 6; 134 III 188 consid. 2.1). En revanche, un dommage de pur fait, comme la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est pas considéré comme irréparable (ATF 139 V 99 consid. 2.4; 131 I 57 consid. 1; arrêt 2C_814/2012 du 7 mai 2013 consid. 3.2). Il appartient à la partie recourante d’expliquer en quoi la décision entreprise remplit les conditions de l’art. 93 LTF, sauf si ce point découle manifestement de la décision attaquée ou de la nature de la cause (ATF 141 III 80 consid. 1.2).

Contrairement à ce que soutient la caisse-maladie, la désignation du SAI comme organe de contrôle ne lui cause pas un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF. On ne voit pas que le fait de devoir se soumettre à un contrôle portant sur la vérification du décompte final des ADB 2018 constitue un tel préjudice. En particulier, la circonstance alléguée qu’un tel contrôle interrompra « le déroulement habituel des affaires d’une entreprise » ne représente pas un inconvénient de nature juridique. Dans l’éventualité où la désignation de l’organe de contrôle litigieuse lui cause un préjudice de fait, la caisse-maladie pourra, le cas échéant, l’invoquer dans le cadre d’une contestation de la décision finale.

Enfin, il est évident que l’admission du recours ne conduirait pas immédiatement à une décision finale qui permettrait d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (cf. art. 93 al. 1 let. b LTF), la décision sur la désignation de l’organe de contrôle ne permettant pas de trancher le litige sur le fond, c’est-à-dire de fixer définitivement le montant des créances relatives aux ADB 2018.

Ensuite de ce qui précède, les conditions de l’art. 93 al. 1 LTF ne sont pas réalisées, de sorte que les recours doivent être déclarés irrecevables. En principe, la caisse-maladie pourra remettre en cause la décision incidente dans le cadre d’un recours dirigé contre la décision finale ou, si celle-ci n’est pas remise en cause ou ne peut pas l’être, dès le moment où elle a été rendue, en vertu de l’art. 93 al. 3 LTF (cf. ATF 135 III 329 consid. 1.2.2; ATF 133 V 645 E. 2.2 i.f. et l’arrêt cité).

 

Le TF rejette le recours de la caisse-maladie.

 

 

Arrêt 9C_780/2020 consultable ici

 

 

9C_523/2021 (f) du 11.11.2021 – Renvoi d’une cause à l’office AI pour instruction complémentaire – Décision incidente – Pas de préjudice irréparable – 93 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_523/2021 (f) du 11.11.2021

 

Consultable ici

 

Renvoi d’une cause à l’office AI pour instruction complémentaire – Décision incidente – Pas de préjudice irréparable / 93 LTF

 

L’office AI a alloué à l’assuré une rente entière d’invalidité pour une période limitée (01.10.2017-30.11.2018) et, malgré son âge (soixante-trois ans), a nié son droit à des mesures de réadaptation.

 

Procédure cantonale

L’assuré a déféré cette décision au Tribunal cantonal.

La cour cantonale a considéré que les pièces médicales récoltées permettaient de statuer sur le droit à la rente mais que les motifs avancés pour nier le droit à des mesures de réadaptation n’étaient pas pertinents.

Par jugement du 23.08.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision litigieuse et renvoyant la cause à l’office pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

 

TF

Par la voie d’un recours en matière de droit public, l’office AI requiert l’annulation de l’arrêt du 23.08.2021 (en tant qu’il porte sur le droit à des mesures de réadaptation) et conclut à la confirmation de sa décision.

L’office AI soutient à titre préliminaire que son écriture contre l’arrêt de renvoi est recevable, dès lors que la juridiction cantonale lui impose de procéder à un examen auquel il a déjà procédé de manière conforme au droit, ce qui lui causerait un préjudice irréparable et entraînerait un allongement inutile de la procédure d’instruction ainsi que la poursuite du versement d’une rente indue.

Selon l’art. 93 al. 1 LTF, les décisions préjudicielles et incidentes (autres que celles visées à l’art. 92 LTF) notifiées séparément peuvent faire l’objet d’un recours si elles peuvent causer un préjudice irréparable (let. a) ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (let. b). Un préjudice irréparable, au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF, est un dommage de nature juridique qui ne peut être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant (ATF 134 III 188 consid. 2.1 et les références),

Le renvoi d’une cause à l’administration lui cause un dommage irréparable si la décision de renvoi comporte des instructions contraignantes sur la façon dont elle devra trancher certains aspects du rapport litigieux, restreignant de ce fait sa latitude de jugement de manière importante (ATF 145 V 266 consid. 1.3; 145 I 239 consid. 3.3).

Contrairement à ce que semble soutenir l’office AI, l’acte attaqué ne le prive pas de toute latitude de jugement mais lui impose seulement de réexaminer le droit de l’assuré à d’éventuelles mesures de réadaptation sous un autre angle que celui adopté et de rendre une nouvelle décision, dans laquelle il restera libre d’admettre ou de nier le droit de l’assuré auxdites mesures.

L’office AI ne subit dès lors aucun préjudice irréparable de ce fait (arrêt 9C_898/2007 consid. 2.1 déjà cité).

Le fait d’être exposé au paiement d’une somme d’argent n’entraîne par ailleurs, en principe, aucun préjudice irréparable (ATF 138 III 333 consid. 1.3.1 et la référence).

De surcroît, l’éventuelle admission du recours ne peut en l’espèce pas conduire immédiatement à une décision finale permettant d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). En effet, un dommage de pur fait, comme la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est pas suffisant (ATF 139 V 99 consid. 2.4). Contrairement à ce que soutient l’office AI, le renvoi de la cause à l’administration pour qu’elle en complète l’instruction et rende une nouvelle décision ne se confond pas avec une telle procédure (ATF 139 V 99 consid. 2.4; 133 V 477 consid. 5.2.2),

Les conditions de l’art. 93 al. 1 LTF ne sont donc pas réalisées, de sorte que le recours doit être déclaré irrecevable.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_523/2021 consultable ici

 

 

9C_455/2021 (f) du 01.12.2021 – Remise de l’obligation de l’assuré de restituer des prestations complémentaires – Négligence grave dans le devoir d’annoncer – Bonne foi niée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_455/2021 (f) du 01.12.2021

 

Consultable ici

 

Remise de l’obligation de l’assuré de restituer des prestations complémentaires / 25 LPGA – 4 OPGA – 5 OPGA

Négligence grave dans le devoir d’annoncer / 31 al. 1 LPGA – 24 OPC-AVS/AI

Bonne foi niée

 

Assuré, titulaire d’une rente AVS, au bénéfice de prestations complémentaires allouées par la Caisse cantonale de compensation (ci-après: la caisse) depuis le 01.02.2008. En raison de la naissance du droit à la rente AVS de l’épouse de l’ayant droit au 01.05.2018, la caisse a procédé à une révision dès avril 2018. Dans ce cadre, elle a appris que les époux avaient emménagé dans un appartement dont leur fils était propriétaire, depuis le 15.05.2014 et avaient mis en location leur propre bien immobilier dès le 01.06.2014. La caisse a dès lors réexaminé le droit de l’assuré aux prestations complémentaires à partir du 01.06.2014 et fixé à nouveau les prestations dès cette date; elle lui a demandé de restituer le montant de 43’878 francs perçu en trop pour la période du 01.06.2014 au 30.04.2018, par décision du 12.10.2018, confirmée sur opposition, laquelle est entrée en force. Le 04.06.2019, l’assuré a requis la remise de l’obligation de restitution. La caisse a rejeté cette demande.

 

Procédure cantonale

Le Tribunal cantonal a constaté pour l’essentiel que depuis 2014, l’assuré n’avait nullement jugé utile de signaler à la caisse qu’il avait déménagé chez son fils dès le 15.05.2014, qu’il percevait des loyers pour la location de son propre logement depuis juin 2014 et que sa belle-fille était ensuite venue vivre dans le logement commun, alors qu’il s’agissait de faits influençant la pondération de la participation au logement et donc les dépenses de l’assuré et de son épouse. Or vu ces importants changements, dont l’importance ne pouvait pas être ignorée de l’assuré, les calculs de prestations complémentaires qui lui avaient été notifiés étaient manifestement erronés. L’assuré avait donc fait preuve de négligence grave en omettant de les communiquer.

Par jugement du 07.07.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Dans le contexte de calculs erronés de prestations complémentaires, la personne assurée ne peut pas se prévaloir de sa bonne foi si elle a omis de contrôler ou a contrôlé de manière peu soigneuse la feuille de calcul et ne constate pas, de ce fait, une erreur facilement décelable (cf. par exemple arrêt 9C_318/2021 du 21 septembre 2021 consid. 3.2 et les arrêts cités). Constitue une question de fait celle de savoir si la personne assurée avait effectivement connaissance de l’erreur. En revanche, l’examen de l’attention exigible d’un ayant droit qui invoque sa bonne foi relève du droit et le Tribunal fédéral revoit librement ce point (art. 3 al. 2 CC; ATF 122 V 221 consid. 3; arrêt 9C_318/2021 précité consid. 3.3 et les références).

En l’espèce, l’assuré ne pouvait pas ignorer l’influence de sa situation locative sur le calcul des prestations complémentaires, en faisant preuve de l’attention requise de sa part, examinée à l’aune de ce qui peut raisonnablement être exigé d’une personne capable de discernement dans une situation identique et dans les mêmes circonstances (ATF 110 V 176 consid. 3d; SYLVIE PÉTREMAND, Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, ch. 63 ss ad art. 25). En effet, tant la demande initiale qu’il avait remplie que le formulaire qui lui avait été adressé dans le cadre d’une révision périodique en début de l’année 2014 comprenaient une rubrique relative au logement.

Par ailleurs, l’assuré n’a pas non plus réagi pendant plusieurs années consécutives à réception des feuilles de calcul respectives, alors que celles-ci étaient manifestement et de façon reconnaissable fondées sur un état de fait qui ne correspondait plus à la réalité depuis le mois de juin 2014. En particulier, l’assuré aurait, même s’il n’avait qu’une faible connaissance du français et un niveau de formation peu élevé, dû s’apercevoir du fait que les loyers perçus depuis le mois de juin 2014 pour la location de son propre appartement n’y figuraient pas sous la rubrique des revenus. La négligence dont il a fait preuve dans le contrôle des feuilles de calcul ne saurait dès lors être qualifiée de légère. A cet égard, il ne saurait invoquer avec succès « la mauvaise administration de la caisse » parce que celle-ci aurait dû réagir notamment lorsqu’un courrier adressé à l’ancienne adresse le 27.07.2015 lui était revenu avec la mention d’un déménagement. Nonobstant le moment à partir duquel la caisse a eu connaissance du changement d’adresse, cet élément ne libérait pas l’assuré de son obligation d’annoncer les nouveaux revenus résultant de la location de son appartement – soit un changement de sa situation économique – voire de vérifier les feuilles de calcul régulièrement reçues.

En conséquence, la juridiction cantonale n’a pas violé l’art. 25 LPGA en retenant une négligence grave de l’assuré et en confirmant que les conditions d’une remise n’étaient pas réalisées.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_455/2021 consultable ici

 

8C_527/2021 (f) du 16.12.2021 – Droit à l’indemnité de chômage – (in)aptitude au placement d’une assurée étudiante – 8 LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_527/2021 (f) du 16.12.2021

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité de chômage – (in)aptitude au placement d’une assurée étudiante / 8 LACI – 15 LACI

 

Assurée commençant en août 2017 une formation (25 périodes de cours et 15 périodes de travail personnel à domicile par semaine).

L’assurée a travaillé comme vendeuse auxiliaire auprès de C.__ SA du 23.03.2018 au 20.06.2018; son contrat lui garantissait 10 heures de travail par semaine. Elle a ensuite été engagée comme auxiliaire administrative pour l’association D.__ du 22.08.2018 au 22.11.2018; une durée hebdomadaire de 8 heures de travail lui était assurée.

Le 22.11.2018, l’assurée s’est inscrite en tant que demandeuse d’emploi à 50% auprès de l’ORP. Éprouvant des doutes quant à l’aptitude au placement de l’assurée, la caisse cantonale de chômage a soumis le dossier au Service de l’industrie, du commerce et du travail (ci-après: SICT). Ayant été invitée à se déterminer sur cette question, l’assurée a expliqué qu’elle avait à sa disposition trois après-midi libres en semaine ainsi que la journée du samedi, ce qui devait correspondre à un taux de 50%.

Par décision du 25.01.2019, confirmée sur opposition, le SICT a nié l’aptitude au placement de l’assurée à partir du 23.11.2018.

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a entre autres considéré que la disponibilité de l’assurée ne suffisait pas à admettre son aptitude au placement ; d’après son programme d’études hebdomadaire, l’assurée terminait ses cours le mercredi à 13h40, ce qui ne lui permettait pas de commencer une activité en début d’après-midi. De plus, des oraux étaient prévus le jeudi après-midi dès la quatrième semaine de cours. Enfin, un cours était également planifié le vendredi dès 13h, sans que l’on en connût l’heure de fin. Par conséquent, l’assurée n’était véritablement disponible sans contrainte que la journée du samedi. La cour cantonale a retenu que sa disponibilité était encore restreinte eu égard à ses déplacements quotidiens entre son domicile et le lieu de sa formation, les trajets excédant deux heures par jour.

Par jugement du 14.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assuré n’a droit à l’indemnité de chômage que s’il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI). Est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire (art. 15 al. 1 LACI). L’aptitude au placement comprend ainsi deux éléments: le premier est la capacité de travail, c’est-à-dire la faculté de fournir un travail – plus précisément d’exercer une activité lucrative salariée – sans que l’assuré en soit empêché pour des causes inhérentes à sa personne; le deuxième élément est la disposition à accepter un travail convenable au sens de l’art. 16 LACI, laquelle implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 125 V 51 consid. 6a; 123 V 214 consid. 3; DTA 2004 n° 18 p. 186 [C 101/03] consid. 2.2).

L’aptitude au placement doit être admise avec beaucoup de retenue lorsque, en raison de l’existence d’autres obligations ou de circonstances personnelles particulières, un assuré désire seulement exercer une activité lucrative à des heures déterminées de la journée ou de la semaine. Un chômeur doit être en effet considéré comme inapte au placement lorsqu’une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi (ATF 112 V 326 consid. 1a et les références; DTA 2003 n° 14 p. 128 [C 234/01] consid. 2.1).

Partant de ces principes, le Tribunal fédéral a jugé qu’un étudiant est apte à être placé s’il est disposé et en mesure d’exercer de manière durable, tout en poursuivant ses études, une activité à plein temps ou à temps partiel. En revanche, il faut nier la disponibilité au placement d’un étudiant qui ne désire exercer une activité lucrative que pour de brèves périodes ou sporadiquement, notamment pendant les vacances (ATF 120 V 385 consid. 4, 392 consid. 2a et les références; cf. aussi BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2e éd., 2014, n° 32 ad art. 15 LACI p. 156).

Lors de son inscription le 22.11.2018 auprès de l’ORP, l’assurée avait fait mention d’une disponibilité équivalant à un taux de 50%. Elle a expliqué plus tard avoir trois après-midi libres, soit le mercredi, le jeudi et le vendredi, ainsi que la journée du samedi.

S’il est vrai que l’assurée n’a pas apporté la preuve qu’elle avait travaillé à 50% au moins avant de s’annoncer au chômage, il est cependant établi que dans son poste de vendeuse chez C.__ SA puis dans son dernier emploi auprès de l’association D.__, respectivement 10 heures et 8 heures de travail hebdomadaire lui étaient garanties, soit l’équivalent d’un taux de travail d’au moins 20%. Le fait d’avoir des doutes quant au taux auquel l’assurée était non seulement disposée mais également en mesure de travailler – à savoir 50% – ne permettait pas à l’administration, respectivement à la juridiction cantonale, de conclure à un manque de disponibilité suffisante quant au temps que l’assurée pourrait consacrer à un emploi, ni donc de conclure à son inaptitude au placement. Dès lors qu’elle avait apporté la preuve qu’avant la survenance du chômage, elle était disposée et en mesure d’exercer une activité professionnelle sinon à 50%, du moins dans une mesure suffisante – selon la jurisprudence – pour admettre l’aptitude au placement d’au moins 20% d’une activité à plein temps (art. 5 OACI; ATF 115 V 434 consid. 2c), les juges cantonaux ne pouvaient pas nier purement et simplement son aptitude au placement.

Par ailleurs, au regard des postes recherchés (secteur administratif, vente, nettoyage) et des disponibilités invoquées par l’assurée (trois après-midi consécutifs ainsi que la journée entière du samedi), la possibilité de trouver un travail à temps partiel, avec, le cas échéant, des engagements à l’heure à différents moments de la journée ne pouvait pas être qualifiée d’incertaine.

Le fait d’avoir retrouvé un emploi dès le 15.03.2019 démontre en définitive que l’assurée était disposée à accepter durablement, au sens de la jurisprudence sur l’aptitude au placement des étudiants, une activité lucrative parallèlement à sa formation. Dans de telles circonstances, l’aptitude au placement de l’assurée doit être reconnue pour la période du 23.11.2018 au 14.03.2019 et le recours se révèle ainsi bien fondé.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_527/2021 consultable ici