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9C_424/2021 (f) du 14.10.2021 – Non-paiement des cotisations sociales – Responsabilité de l’employeur – 52 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_424/2021 (f) du 14.10.2021

 

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Non-paiement des cotisations sociales – Responsabilité de l’employeur / 52 LAVS

 

La société B.__ Sàrl avait pour but tous travaux dans le bâtiment, notamment dans le domaine de la plâtrerie et des façades, affiliée en tant qu’employeur pour le paiement des cotisations auprès de la caisse de compensation depuis le 01.01.2016. La faillite de la société a été prononcée en septembre 2019, puis suspendue faute d’actif en août 2020.

Le 08.10.2020, la caisse de compensation a réclamé à A.__, en sa qualité d’associé gérant avec signature individuelle de la société B.__ Sàrl (du 25.11.2014 au 20.12.2018), la réparation du dommage qu’elle a subi dans la faillite de la société et portant sur un montant de 267’869 fr. 60. Cette somme correspondait au solde des cotisations sociales dues sur les salaires versés par la société pour les années 2017 et 2018, y compris les frais de sommation et les intérêts moratoires. Par décision du 07.01.2021, la caisse de compensation a rejeté l’opposition formée par A.__.

 

Procédure cantonale (arrêt AVS 2/21 – 34/2021)

La juridiction cantonale a retenu que A.__ avait exercé la fonction d’associé gérant avec signature individuelle de la société B.__ Sàrl du 25.11.2014 au 20.12.2018. L’instance cantonale a constaté que les premières difficultés financières de la société ne dataient pas de 2017 mais de début 2016. Si les juges cantonaux ont admis qu’un employeur, confronté à des difficultés passagères de trésorerie, pouvait suspendre le paiement des cotisations sociales durant un ou deux mois dans l’attente de rentrées d’argent prévisibles, ce motif ne permettait pas de justifier une cessation quasi totale des paiements sur une période longue de près de deux ans. Rien n’indiquait en outre que A.__ avait pris des mesures concrètes et immédiates en vue de remplir ses obligations sociales, telles que la réduction de l’effectif du personnel de la société ou la négociation de solutions transitoires avec les créanciers. Le fait que la société n’était pas encore en situation comptable de surendettement importait par ailleurs peu, dès lors que les liquidités courantes ne permettaient pas à la société de faire face à ses engagements en matière d’assurances sociales. En poursuivant l’exploitation de la société tout en laissant s’accroître l’arriéré de cotisations sociales, A.__ avait donc délibérément choisi de privilégier d’autres créanciers et de faire supporter à la caisse de compensation le risque inhérent au financement de sa société en difficulté. Le comportement de A.__ était d’autant plus critiquable qu’il avait notamment favorisé ses intérêts personnels, en se faisant verser un salaire annuel brut de 195’000 fr. en 2017 et en 2018.

Par jugement du 05.07.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Les problèmes de trésorerie ou de liquidités de la société importent peu en l’occurrence. En tant qu’associé gérant avec signature individuelle de la société, A.__ a commis une négligence grave en laissant en souffrance, pendant près de deux ans, la quasi-totalité des créances de la caisse de compensation. Il n’avait en particulier pas la faculté de désintéresser, en raison d’un contexte économique difficile, en priorité les créanciers les plus pressants de la société (en l’occurrence les salariés et les fournisseurs), au détriment des intérêts de la caisse de compensation, car il était tenu de s’assurer que la société ne verse que les salaires pour lesquels les créances de cotisations sociales étaient couvertes (art. 827 CO, en lien avec les art. 754 CO et 14 LAVS; arrêt 9C_657/2015 du 19 janvier 2016 consid. 5.3). Quant à l’argument de A.__ selon lequel il avait reporté le paiement des cotisations afin de diminuer les charges de la société pour la garder à flot et préserver des emplois jusqu’à ce que les débiteurs de celle-ci s’acquittent de leurs dettes, il est mal fondé. Compte tenu du retard accumulé par la société dans le versement des cotisations sociales dès 2016, les juges cantonaux ont constaté sans arbitraire qu’elle ne rencontrait pas des difficultés de trésorerie seulement passagères. A.__ n’avait donc aucune raison sérieuse et objective de penser que la société pourrait s’acquitter des cotisations sociales dues dans un délai raisonnable. A.__ a d’ailleurs fini par céder ses parts dans la société pour un prix symbolique de 1000 fr. à un tiers le 20.12.2018, démontrant ainsi qu’il n’y avait plus aucun espoir de rétablissement de la situation. Pour le reste, il est incontestable que la négligence grave de A.__ est en relation de causalité avec le dommage subi par la caisse de compensation jusqu’à son départ effectif de la société, soit jusqu’en décembre 2018. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux.

C’est finalement en vain que A.__ prétend que la caisse de compensation a commis une faute concomitante. En sa qualité d’organe, il appartenait à A.__ de prendre toutes les décisions concernant la gestion et la poursuite des activités de la société. Le simple fait que A.__ considère que la caisse de compensation aurait pu demander la liquidation de la société dès novembre 2016 ne suffit pas à établir qu’elle a gravement négligé son obligation d’exiger le paiement des cotisations et d’en poursuivre l’encaissement (à ce sujet, voir ATF 122 V 185 consid. 3c). Les problèmes de liquidités de la société survenus dès 2016 renforcent en revanche le fait, constaté par les juges cantonaux, que A.__ a choisi de faire supporter à la caisse de compensation le risque inhérent au financement de sa société pendant les années 2017 et 2018, alors que le sort de celle-ci était déjà largement scellé.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 9C_424/2021 consultable ici

 

9C_421/2021 (f) du 21.09.2021 – Rente extraordinaire d’invalidité d’un assuré âgé de 21 ans – 39 LAI / Même nombre d’années d’assurance que les personnes de sa classe d’âge – 39 al. 1 LAI – 42 al. 1 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_421/2021 (f) du 21.09.2021

 

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Rente extraordinaire d’invalidité d’un assuré âgé de 21 ans / 39 LAI

Même nombre d’années d’assurance que les personnes de sa classe d’âge / 39 al. 1 LAI – 42 al. 1 LAVS

 

A la suite d’un premier refus de prestations de l’assurance-invalidité pour manque de collaboration de l’assuré (décision du 25.09.2017), l’assuré, ressortissant suisse né en 1991, a déposé une nouvelle demande de prestations, au mois de décembre 2018. L’office AI a rejeté cette demande, par décision du 11.09.2020. En bref, il a considéré que si l’assuré présentait une incapacité de travail et de gain de 50% depuis le mois de novembre 2011, il n’avait droit ni à une rente ordinaire d’invalidité, étant donné qu’il ne remplissait pas la condition de la durée minimale de cotisations de trois ans lors de la survenance de l’invalidité, ni à une rente extraordinaire, dès lors qu’il n’avait pas le même nombre d’années d’assurance que les personnes de sa classe d’âge.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 325/20 – 177/2021 – consultable ici)

Selon les constatations cantonales, l’assuré, né en 1991, était en incapacité de travail à tout le moins depuis le mois de décembre 2011 et l’invalidité est survenue au mois de décembre 2012 (art. 28 al. 1 let. b LAI).

Par jugement du 11.06.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens que l’assuré a droit à une demi-rente extraordinaire d’invalidité, fondée sur un taux d’invalidité de 50%, à compter du 01.06.2019, et a renvoyé la cause à l’office AI pour fixer les montants dus.

 

TF

Les ressortissants suisses qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à une rente extraordinaire d’invalidité s’ils ont le même nombre d’années d’assurance que les personnes de leur classe d’âge, mais n’ont pas droit à une rente ordinaire parce qu’ils n’ont pas été soumis à l’obligation de verser des cotisations pendant trois années entières au moins (art. 42 al. 1 LAVS, applicable par renvoi de l’art. 39 al. 1 LAI, en relation avec l’art. 36 al. 1 LAI).

Il ne suffit pas d’être assuré en Suisse pour présenter le même nombre d’années d’assurance que les personnes de sa classe d’âge au sens de l’art. 42 al. 1 LAVS, et donc, pour se voir reconnaître le droit à une rente extraordinaire. Selon la jurisprudence, en exigeant que les personnes concernées aient le même nombre d’années d’assurance que les personnes de leur classe d’âge, l’art. 42 al. 1 LAVS ne vise pas les requérants qui comptent une lacune de cotisations du fait de leur non-assujettissement à l’assurance pendant une certaine période de leur vie depuis le 1er janvier suivant la date où ils ont eu 20 ans révolus. Il vise des personnes qui, n’ayant pas encore atteint l’âge déterminant ou qui, tout en ayant été assujetties à l’AI suisse depuis cette limite d’âge, n’ont pas, avant la survenance du risque, cotisé du tout ou pendant trois années, faute d’y avoir été obligées (ATF 131 V 390 consid. 7.3.1; arrêt 9C_528/2010 du 11 juillet 2011 consid. 3.2). En conséquence, les considérations des juges cantonaux, selon lesquelles bien que l’assuré n’eût pas acquitté de cotisations en 2012, il peut se prévaloir du même nombre d’années d’assurance que les assurés de sa classe d’âge, dès lors qu’il était assujetti à l’assurance du fait de son domicile en Suisse, ne peuvent pas être suivies.

Il s’impose néanmoins de confirmer l’arrêt entrepris, qui a reconnu le droit de l’assuré à une demi-rente extraordinaire d’invalidité dès le 01.06.2019, par substitution de motifs.

Contrairement à ce qu’a retenu la juridiction cantonale, l’assuré ne présente en effet pas de lacune de cotisations. Selon les constatations cantonales, l’assuré, né en 1991, était en incapacité de travail à tout le moins depuis le mois de décembre 2011 et l’invalidité est survenue au mois de décembre 2012 (art. 28 al. 1 let. b LAI), soit avant le 1er décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle il a atteint 22 ans révolus. A cet égard, selon le ch. 7006 des Directives de l’OFAS concernant les rentes (DR) de l’assurance vieillesse, survivants et invalidité fédérale, valables dès le 1er janvier 2003 (état au 1er janvier 2021), doivent en effet être mises au bénéfice d’une rente extraordinaire d’invalidité les personnes domiciliées en Suisse (art. 39 al. 1 LAI) qui sont invalides depuis leur naissance ou qui sont devenues invalides selon un taux justifiant l’octroi d’une rente avant le 1er décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle elles ont atteint 22 ans révolus, mais qui n’ont pas acquis le droit à une rente ordinaire. Ainsi, dans ces circonstances, le fait que l’assuré n’a pas versé de cotisations à compter du 1er janvier de l’année qui suit la date à laquelle il a eu 20 ans (cf. art. 3 al. 1 LAVS), soit en l’occurrence à tout le moins en 2012, n’est pas déterminant, contrairement à ce que soutient l’office AI recourant.

L’arrêt entrepris est conforme au droit dans son résultat. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_421/2021 consultable ici

 

Restitution du montant PC pour la prime d’assurance-maladie – Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_716/2020 du 20.07.2021

Restitution du montant PC pour la prime d’assurance-maladie – Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_716/2020 du 20.07.2021

 

Bulletin à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC no 445 du 30.11.2021 consultable ici

Arrêt 9C_716/2020 (d) du 20.07.2021, destiné à la publication, consultable ici

 

  1. Situation initiale

Conformément à l’article 21a LPC, le montant PC pour la prime d’assurance-maladie ne doit pas être versé à la personne bénéficiant de PC, mais à l’assureur-maladie. Le versement se fait de manière analogue à la réduction individuelle des primes (RIP). C’est pourquoi l’art. 54a al. 6 OPC déclare applicables par analogie les dispositions relatives à l’exécution de la réduction des primes. Ces dispositions comprennent :

  • les articles 106b à 106e de l’ordonnance sur l’assurance-maladie (OAMal ; RS 832.102) ;
  • l’ordonnance du DFI sur l’échange de données relatif à la réduction des primes (OEDRP-DFI ; RS 832.102.2) ;
  • le « concept échange de données sur la réduction des primes » (procédure RP) dans la version désignée à l’art. 6, al. 1, OEDRP-DFI.

L’échange de données entre les organes de réduction des primes et les assureurs-maladie s’effectue via la plateforme d’échange de données Sedex de l’Office fédéral de la statistique. Les processus de communication à utiliser sont définis de manière exhaustive dans l’OEDRP-DFI et dans la procédure RP.

Les PC indûment perçues doivent être restituées. La restitution peut faire l’objet d’une remise si les prestations ont été perçues de bonne foi et si la situation est difficile (art. 25 al. 1 LPGA). Selon les directives en vigueur, la restitution du montant PC pour la prime d’assurance-maladie est demandée directement à l’assureur auquel il a été versé (n° 4610.05 DPC).

Jusqu’à fin 2020, la restitution du montant PC pour la prime d’assurance-maladie ne pouvait pas faire l’objet d’une remise, car l’assureur-maladie ne pouvait pas invoquer la situation difficile (n° 4653.06 DPC dans la version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020). Cette pratique a été adaptée au 1er janvier 2021 de manière à ce que seule la situation économique du bénéficiaire de PC soit déterminante pour savoir s’il s’agit d’une situation difficile (n° 4653.05 DPC).

 

  1. Arrêt du Tribunal fédéral 9C_716/2020 du 20 juillet 2021

Dans sa jurisprudence constante relative aux art. 20 LPGA et 2 OPGA, le Tribunal fédéral estime que les tiers qui ont perçu indument des prestations uniquement en qualité d’agent d’encaissement ou de paiement ne peuvent être tenus à restitution (entre autres ATF 140 V 233 consid. 3.1 et 3.3 ; ATF 118 V 214 consid. 4a ; ATF 110 V 10 consid. 2b). Dans son arrêt 9C_716/2020 du 20 juillet 2021, le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence en arrivant à la conclusion que l’assureur-maladie doit être considéré comme un simple agent d’encaissement qui n’a pas de droit ni d’obligation en lien avec le rapport de prestations ‒ tels qu’un droit de compensation, un devoir d’administration ou d’assistance ‒ et qu’il n’est donc pas tenu de restituer les montants PC versés à tort. De l’avis du Tribunal fédéral, le remboursement du montant PC pour la prime d’assurance-maladie doit donc être réclamé à la personne bénéficiaire de PC et non à l’assureur-maladie. En appliquant les dispositions de la LPGA et de l’OPGA, le Tribunal fédéral établit en même temps clairement que le montant PC pour la prime d’assurance-maladie est une prestation complémentaire et non une réduction de primes, puisque cette dernière est exclue du champ d’application de la LPGA en vertu de l’art. 1 al. 2 let. c LAMal.

L’art. 106c al. 5 OAMal n’est pas mentionné dans l’arrêt en question. Cette disposition autorise l’assureur-maladie à compenser un éventuel excédent issu de la réduction des primes avec des créances échues. Sont toutefois réservées les réglementations cantonales selon lesquelles la prime peut être réduite au maximum jusqu’à son montant total. Avec la réforme des PC, depuis le 1er janvier 2021, une réglementation analogue existe au niveau fédéral. Selon le nouveau droit, seule la prime effective est prise en compte dans le calcul PC si elle est inférieure à la prime moyenne. Pour les personnes bénéficiaires de PC, l’assureur-maladie n’a plus de droit de compensation en raison de cette réglementation. En conclusion, la décision du Tribunal fédéral selon laquelle l’assureur-maladie est un simple agent d’encaissement peut être suivie.

 

  1. Conséquences de la jurisprudence du Tribunal fédéral et marche à suivre

La présente décision relative à la demande de remboursement du montant PC pour la prime d’assurance-maladie est contraignante tant pour l’OFAS que pour les organes d’exécution et doit être appliquée dans toute la Suisse. La mise en œuvre présuppose toutefois une adaptation des processus administratifs correspondants. Cela concerne en particulier l’échange de données entre les organes de réduction des primes et les assureurs-maladie. Tant les bases juridiques et techniques (OEDRP-DFI et procédure RP) que les systèmes informatiques des organes de réduction des primes et des assureurs-maladie doivent être adaptés à la nouvelle pratique de remboursement. Certaines questions relatives à la protection des données doivent également être clarifiées. Le groupe de pilotage « Echange de données sur la réduction des primes » de la CDS et de santésuisse va s’atteler aux travaux nécessaires en collaboration avec l’OFAS et l’OFSP.

Les DPC seront adaptées à l’arrêt du Tribunal fédéral dès le 1er janvier 2022. L’OFAS estime toutefois qu’il faudra jusqu’à deux ans pour que la nouvelle pratique soit mise en œuvre dans tous les cantons. Conformément à l’art. 106c al. 3 OAMal, les assureurs-maladie présentent au canton un décompte annuel pour chaque personne bénéficiant d’une réduction de primes. Par analogie, cette disposition s’applique également aux bénéficiaires de PC. Afin d’éviter des divergences dans les décomptes entre les organes chargés de la réduction des primes et les assureurs-maladie, les organes PC devraient, dans la mesure du possible, continuer à demander aux assureurs-maladie le remboursement du montant PC pour la prime d’assurance-maladie jusqu’à ce que tous les travaux de mise en œuvre soient terminés. L’OFAS part du principe que la plupart des assureurs-maladie continueront entre-temps d’accepter les demandes de remboursement.

L’OFAS informera régulièrement la Commission des problèmes d’application en matière de PC de l’état d’avancement des travaux.

 

 

Bulletin à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC no 445 du 30.11.2021 consultable ici

Arrêt 9C_716/2020 (d) du 20.07.2021, destiné à la publication, consultable ici

Mitteilungen an die AHV-Ausgleichskassen und EL-Durchführungsstellen Nr. 445, Rückforderung des EL-Betrages für die Krankenversicherungsprämie, kann hier eingesehen werden

 

 

9C_790/2020 (f) du 13.10.2021 – Revenu d’invalide après réadaptation AI – 16 LPGA / Activité ne mettant pas pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible – Application des ESS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_790/2020 (f) du 13.10.2021

 

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Rappel de la notion de l’appréciation des preuves arbitraire

Revenu d’invalide après réadaptation AI / 16 LPGA

Activité ne mettant pas pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible / Application des ESS

 

Assuré, né en 1968, plâtrier-peintre indépendant depuis de janvier 2005 chute d’un toit le 24.10.2008. Il subit une fracture du coude droit, traitée par voie chirurgicale, notamment par la mise en place d’une prothèse. En incapacité de travail depuis lors, l’assuré a déposé le 12.06.2009 une demande AI.

La reprise de son ancienne activité n’étant pas exigible, l’assuré a entamé, sous l’égide de l’assurance-invalidité, un apprentissage dans le but d’obtenir un certificat fédéral de capacité de dessinateur en bâtiment, qui a été interrompu en raison des douleurs dont il souffrait au membre supérieur droit. Dès le 29.11.2010, il a suivi plusieurs stages d’orientation professionnelle, des cours ainsi qu’une formation (AFP) d’employé de bureau, qui s’est achevée le 31.07.2013. L’assuré a complété son cursus par une formation d’employé de commerce (CFC) auprès d’une agence immobilière et a terminé avec succès sa formation durant l’été 2015. Après avoir été placé à l’essai, l’assuré a été engagé au sein de B.__ Sàrl à partir du 01.06.2016 en qualité de collaborateur au service comptabilité. Du 30.06.2017 au 07.07.2017, il a séjourné en milieu hospitalier en raison de troubles psychiques.

Face à ces nouveaux éléments, l’office AI a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire (médecine interne, rhumatologie et psychiatrie). Après avoir consulté son SMR, l’office AI a reconnu à l’assuré une demi-rente d’invalidité du 01.12.2009 au 31.07.2017 et une rente entière d’invalidité à compter du 01.08.2017, le versement de la rente ayant été suspendu du 01.03.2011 au 30.04.2016.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 345/19 – 373/2020 – consultable ici)

La cour cantonale a fait siennes les conclusions des médecins-experts en constatant que l’activité d’aide de bureau et d’employé de commerce, dans laquelle l’assuré s’était reconverti n’était pas totalement adaptée aux limitations fonctionnelles du membre supérieur droit, car elle nécessitait fréquemment l’usage des deux mains. Elle a néanmoins considéré que dans une activité totalement adaptée, excluant pratiquement l’utilisation du membre supérieur droit, une capacité de travail de 80% était exigible sur le plan médical, depuis l’automne 2009.

Par jugement du 12.11.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le litige porte sur le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité du 01.12.2009 au 31.07.2017, au lieu de la demi-rente qui lui a été reconnue pour cette période.

 

Les constatations de l’autorité cantonale de recours sur l’atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée et l’exigibilité – pour autant qu’elles ne soient pas fondées sur l’expérience générale de la vie – relèvent d’une question de fait et peuvent donc être contrôlées par le Tribunal fédéral uniquement sous l’angle restreint de l’arbitraire (ATF 142 V 178 consid. 2.4; 137 V 210 consid. 3.4.2.3; 132 V 393 consid. 3.2). L’appréciation des preuves est arbitraire lorsqu’elle est manifestement insoutenable, en contradiction avec le dossier, ou lorsque l’autorité ne tient pas compte, sans raison sérieuse, d’un élément propre à modifier la décision, se trompe sur le sens et la portée de celui-ci ou, se fondant sur les éléments recueillis, en tire des conclusions insoutenables (ATF 140 III 264 consid. 2.3). Il n’y a pas arbitraire du seul fait qu’une solution autre que celle de l’autorité cantonale semble concevable, voire préférable (ATF 143 IV 347 consid. 4.4; 141 I 70 consid. 2.2; 140 I 201 consid. 6.1). Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 146 II 111 consid. 5.1.1; 143 I 321 consid. 6.1; 141 I 49 consid. 3.4).

 

L’assuré reproche à la cour cantonale de ne pas avoir tenu compte d’une capacité de travail de 40% qu’il avait dans l’activité de collaborateur au service de comptabilité chez B.__ Sàrl, soit l’activité dans laquelle il s’était reconverti professionnellement. Il se réfère par ailleurs à un arrêt 8C_837/2019 du 16 septembre 2020, dans lequel le Tribunal fédéral avait considéré que l’activité de cariste exercée par l’assuré, qui ne résultait pas de mesures de réadaptation au sens des art. 8 ss LAI mais uniquement d’une mesure d’intervention précoce (art. 7d al. 2 let. b LAI), ne permettait pas de considérer d’emblée que cette activité mettait pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible. D’après l’assuré, il faudrait en déduire, a contrario, que l’activité exercée ensuite d’une « vraie » mesure de réadaptation mettrait pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible.

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible -, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS; ATF 143 V 295 consid. 2.2; 139 V 592 consid. 2.3).

 

En l’occurrence, s’il est certes établi que l’assuré ne peut plus exercer sa profession initiale de plâtrier-peintre, raison pour laquelle l’assurance-invalidité lui a reconnu le droit à des mesures professionnelles, on ne saurait pour autant considérer que le revenu d’invalide doit être calculé en fonction de cette activité ou du rendement accompli dans le cadre de celle-ci. Contrairement à l’argumentation de l’assuré, c’est à bon droit que les juges cantonaux ont pris en considération les données statistiques résultant de l’ESS pour évaluer le revenu d’invalide et non pas le revenu que l’assuré percevait auprès de B.__ Sàrl. En effet, dans la mesure où il n’exerçait plus cette activité et que celle-ci ne mettait pas pleinement en valeur sa capacité de travail résiduelle exigible, les conditions prévues par la jurisprudence pour tenir compte du revenu effectivement réalisé n’étaient à l’évidence pas remplies.

 

En conclusion de ce qui précède, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations de la juridiction cantonale sur la capacité résiduelle de travail de l’assuré et sur le taux d’invalidité qui en est résulté pour la période ici en cause (52%). La perte de gain de 76% dont se prévaut l’assuré n’est pas fondée.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_790/2020 consultable ici

 

 

 

8C_452/2020 (f) du 07.10.2021 – Récusation d’un expert – Pas d’inimitié marquée de l’expert à l’encontre de l’avocat de l’assuré – 44 LPGA / Tentative de désignation consensuelle préalable pas applicable en assurance-accidents

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_452/2020 (f) du 07.10.2021

 

Consultable ici

NB: arrêt du TF détaillé , avec de nombreuses références. Arrêt d’une grande utilité dans la pratique quotidienne, tant pour les assurés (pour motiver une récusation) que pour les assureurs-accidents.

 

Récusation d’un expert – Pas d’inimitié marquée de l’expert à l’encontre de l’avocat de l’assuré / 44 LPGA

Procédure de mise en œuvre d’une expertise – Tentative de désignation consensuelle préalable pas applicable en assurance-accidents – Pas de droit justiciable de l’assuré à la mise en œuvre d’une expertise sur une base consensuelle

 

 

Assuré, né en 1972, peintre, a été victime le 28.10.2013 d’une chute qui a entraîné une contusion lombaire.

Par courrier du 09.05.2019, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle estimait une expertise nécessaire et qu’elle entendait la confier au CEMED à Nyon, plus particulièrement au professeur C.__ pour le volet orthopédie-chirurgie du rachis, au docteur D.__ pour le volet neurologique et au docteur E.__ pour le volet psychiatrique ; elle invitait l’assuré à prendre position sur l’opportunité de l’expertise en soi, le centre d’expertise proposé et les questions qu’elle entendait poser aux experts.

Le 05.06.2019, l’assuré, sous la plume de son avocat, a approuvé le principe de l’expertise et les questions posées. Il s’est toutefois opposé à la désignation en tant qu’expert du docteur D.__, au motif que celui-ci avait montré, par le passé, « une remarquable propension à ne pas faire la part des choses entre attaques ad hominem et sa mission d’expertise, en s’en prenant à un expertisé en raison du fait que [son avocat avait] émis des critiques quant à sa nomination en qualité d’expert ». Il se référait à cet égard au ch. 70 d’un arrêt ATAS/818/2017 rendu le 25.09.2017 par la Chambre des assurances sociales dans une cause concernant une autre assurée représentée par le même avocat. Estimant ainsi qu’en raison de l’animosité dont il avait fait preuve par le passé envers son avocat, le docteur D.__ « ne [remplissait] pas les conditions nécessaires pour être nommé expert au sens de l’art. 44 LPGA », l’assuré proposait les noms de trois autres médecins neurologues.

Par décision incidente du 13.06.2019, l’assurance-accidents a rejeté la demande de récusation du docteur D.__, au motif que les griefs évoqués dans le courrier du 05.06.2019 ne constituaient pas des motifs de récusation pertinents au sens des dispositions légales applicables ou de la jurisprudence du Tribunal fédéral.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/444/2020 – consultable ici)

Par arrêt du 08.06.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Recevabilité du recours

Une décision porte sur une demande de récusation lorsqu’elle tranche la question de la récusation d’un membre de l’autorité, tel qu’un juge; la jurisprudence a cependant admis que l’art. 92 LTF s’applique aussi à la décision sur la récusation d’un expert (BERNARD CORBOZ, in Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n° 15 ad art. 92 LTF; ATF 138 V 271 consid. 2.2.1). Doit en outre être assimilée à une décision sur une demande de récusation au sens de l’art. 92 LTF toute décision qui se prononce séparément sur la composition régulière de l’autorité qui entend statuer ensuite sur le fond; il s’agit en effet d’une question préliminaire qui doit être définitivement liquidée sans attendre la suite de la procédure (arrêt 4A_141/2018 du 4 septembre 2018 consid. 1.2, avec référence à CORBOZ, op. cit., n° 18 ad art. 92 LTF, et au Message du Conseil fédéral, FF 2001 p. 4131).

Un préjudice au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF ne peut être qualifié d’irréparable que s’il cause un dommage de nature juridique qui ne peut pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable au recourant; en revanche, un dommage de pur fait, comme la prolongation de la procédure ou un accroissement des frais de celle-ci, n’est pas considéré comme irréparable (ATF 133 IV 139 consid. 4 et les arrêts cités). Il appartient à la partie recourante, sous peine d’irrecevabilité, non seulement d’alléguer, mais aussi d’établir la possibilité que la décision incidente lui cause un dommage irréparable, à moins que celui-ci ne fasse d’emblée aucun doute (ATF 133 III 629 consid. 2.3.1).

En l’espèce, l’arrêt attaqué constitue indubitablement une décision préjudicielle ou incidente qui porte sur une demande de récusation, au sens exposé ci-dessus, en tant qu’il statue sur la question de la récusation de l’expert D.__. Dans cette mesure, le recours est donc recevable au regard de l’art. 92 LTF. Il y a lieu d’admettre que l’assuré peut aussi, dans le cadre de ce recours, contester la composition régulière de la Chambre des assurances sociales. Il peut également invoquer la violation de ses droits de participation sur le choix de l’expert, dans la mesure où il risquerait de subir un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF s’il ne pouvait le faire que dans le cadre d’un recours contre la décision finale (cf. ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.7; 141 V 330 consid. 5.2 et 7.1).

 

Récusation d’un expert – 44 LPGA

Selon l’art. 44 LPGA, si l’assureur doit recourir aux services d’un expert indépendant pour élucider les faits, il donne connaissance du nom de celui-ci aux parties; celles-ci peuvent récuser l’expert pour des raisons pertinentes et présenter des contre-propositions. La communication du nom de l’expert doit notamment permettre à l’assuré de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il pourrait disposer d’un motif de récusation (ATF 146 V 9 consid. 4.2). Lorsque l’assureur social et l’assuré ne s’entendent pas sur le choix de l’expert, l’administration doit rendre une décision directement soumise à recours (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6; 138 V 318 consid. 6.1).

Les objections que peut soulever l’assuré à l’encontre de la personne de l’expert peuvent être de nature formelle ou matérielle; les motifs de récusation formels sont ceux prévus par la loi (cf. art. 10 al. 1 PA et 36 al. 1 LPGA); d’autres motifs, tels que le manque de compétence dans le domaine médical retenu ou encore un manque d’adéquation personnelle de l’expert, sont de nature matérielle (ATF 132 V 93 consid. 6.5; arrêt 9C_180/2013 du 31 décembre 2013 consid. 2.3; JACQUES OLIVIER PIGUET, in Commentaire romand de la LPGA, 2018, n° 24 ad art. 44 LPGA).

S’agissant des motifs de récusation formels d’un expert, il y a lieu selon la jurisprudence d’appliquer les mêmes principes que pour la récusation d’un juge (ATF 137 V 210 consid. 2.1.3; 132 V 93 consid. 7.1; 120 V 357 consid. 3a) et qui découlent directement du droit constitutionnel à un tribunal indépendant et impartial garanti par l’art. 30 al. 1 Cst. – qui en la matière a la même portée que l’art. 6 par. 1 CEDH (ATF 134 I 20 consid. 4.2) – respectivement, pour un expert, des garanties générales de procédure de l’art. 29 al. 1 Cst., qui assure à cet égard une protection équivalente à celle de l’art. 30 al. 1 Cst. (arrêt 5A_484/2015 du 2 octobre 2015 consid. 2.3.2 et les références).

Un expert passe ainsi pour prévenu lorsqu’il existe des circonstances propres à faire naître un doute sur son impartialité. Dans ce domaine, il s’agit toutefois d’un état intérieur dont la preuve est difficile à apporter. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de prouver que la prévention est effective pour récuser un expert. Il suffit que les circonstances donnent l’apparence de la prévention et fassent redouter une activité partiale de l’expert. L’appréciation des circonstances ne peut pas reposer sur les seules impressions de l’expertisé, la méfiance à l’égard de l’expert devant au contraire apparaître comme fondée sur des éléments objectifs (ATF 132 V 93 consid. 7.1; 128 V 82 consid. 2a).

Selon l’art. 58 al. 1 PCF, applicable par renvoi de l’art. 55 LPGA à travers l’art. 19 PA, les cas de récusation prévus à l’art. 34 LTF s’appliquent par analogie à la récusation des experts. Selon l’art. 34 let. e LTF – qui, à l’instar de l’art. 56 let. f CPP ou de l’art. 47 al. 1 let. f CPC, ne fait que concrétiser les principes découlant de l’art. 6 par. 1 CEDH et de l’art. 30 al. 1 Cst. et a la portée d’une clause générale (ATF 143 IV 69 consid. 3.2; arrêt 4A_586/2008 du 12 juin 2009 consid. 2) -, un juge peut être récusé s’il peut être prévenu de toute autre manière, notamment en raison d’une amitié étroite ou d’une inimitié personnelle avec une partie ou son mandataire.

En ce qui concerne l’inimitié, il faut qu’il y ait un antagonisme passionné (« leidenschaftliche Gegnerschaft ») (arrêts 1P.340/1993 du 8 septembre 1993 consid. 2a; 1P.559/1992 du 11 novembre 1992 consid. 2c; P.373/1982 du 30 novembre 1982 consid. 4a) ou à tout le moins un différend marqué (« besonderes Zerwürfnis ») ou des tensions prononcées (« ausgeprägte Spannungen ») entre le juge et une partie, ce qui, d’un point de vue objectif, suggère une inimitié (ISABELLE HÄNER, in Basler Kommentar zum Bundesgerichtsgesetz, 3e éd. 2018, n° 16 ad art. 34 LTF; REGINA KIENER, Richterliche Unabhängigkeit, 2001, p. 99). Ainsi, un juge qui a déposé une plainte pénale et pris des conclusions civiles en réparation du tort moral pour atteinte à l’honneur est tenu de se récuser dans une procédure ultérieure impliquant l’auteur de l’atteinte (ATF 134 I 20 consid. 4). En revanche, de simples déclarations d’un magistrat portant une appréciation sur la personne ou le comportement d’une partie (« wertende Äusserungen »; cf. HÄNER, op. cit., n° 16 ad art. 34 LTF; KIENER, op. cit., p. 100 ss) doivent être interprétées de manière objective, en tenant compte de leur contexte, de leurs modalités et du but apparemment recherché par leur auteur (arrêt 1B_255/2021 du 27 juillet 2021 consid. 3.1). Ainsi, par exemple, le seul fait qu’un juge ait utilisé dans son jugement des termes inadéquats et contraires à l’exigence d’humanité et de respect du justiciable (traitant celui-ci de « justiciable querelleur, menteur, ergoteur et vindicatif », ayant « des comportements querelleurs, ergoteurs et pénibles que rien n’excuse ») ne justifie pas sa récusation lorsqu’aucune marque de prévention antérieure à la rédaction du jugement de condamnation ne ressortait du procès-verbal ou du déroulement de l’audience (arrêt 1B_255/2021 précité consid. 3.3).

Il convient d’examiner en premier lieu le grief selon lequel les juges cantonaux auraient violé le droit fédéral en retenant qu’il n’existait pas de motif de récusation formel à l’encontre du docteur D.__.

Après avoir rappelé les principes applicables à la récusation d’un expert, la cour cantonale a exposé que l’assuré reprochait au docteur D.__ d’éprouver une inimitié marquée à l’encontre de son mandataire, comme cela ressortirait de la procédure ayant abouti à l’arrêt ATAS/818/2017 du 25 septembre 2017, dans laquelle ce médecin aurait déclaré à la personne qu’il devait expertiser que son avocat  » lui avait fait du mal, car il l’avait critiqué (…). Lorsque la consultation [avait] repris, il [était] à nouveau revenu sur le problème avec [son] avocat qui avait, selon lui, écrit de mauvaises choses sur lui. A la fin, il [avait] également dit la même chose à [la fille de l’expertisée]. (…) il [était] revenu sur le sujet, en disant que ce que M e Maugué affirmait était de la diffamation. (…). Il [avait dit à la fille de l’expertisée] qu’il allait le faire en attaquant certainement Me M.__ en diffamation ». Comme cela ressortait de la doctrine et de la jurisprudence, il fallait un désaccord particulier ou une tension prononcée entre le docteur D.__ et l’avocat, suggérant une inimitié, pour que le motif de récusation prévu par l’art. 34 al. 1 let. e LTF pût être retenu. Or force était de constater que les propos reprochés au médecin précité, pour autant qu’ils eussent été effectivement tenus, l’avaient été dans le cadre de l’expertise d’une autre assurée. Le comportement reproché au docteur D.__ ne semblait pas avoir fait l’objet d’une dénonciation à l’autorité de surveillance des médecins. De même, le comportement reproché à l’avocat n’avait pas été porté à la connaissance du Bâtonnier ou de la commission du barreau. Il ne ressortait pas non plus de l’arrêt du 25 septembre 2017 invoqué par l’assuré que le comportement du docteur D.__ aurait eu des répercussions sur l’appréciation faite par ce médecin, la valeur probante de son rapport n’ayant en particulier été remise en question ni par l’assurée ni par la Chambre des assurances sociales. Enfin, l’assuré ne prétendait pas non plus que lesdites dissensions, pour autant qu’elles eussent existé, auraient perduré au-delà de la procédure ayant conduit à l’arrêt du 25 septembre 2017 précité. En réalité, les commentaires du docteur D.__, pour autant qu’ils eussent effectivement été tenus, l’avaient été dans une procédure particulière, à laquelle les prétendues dissensions entre l’expert et l’avocat susmentionné semblaient se limiter. Dans ces circonstances, on ne pouvait pas parler d’inimitié entre les deux intéressés, de sorte que c’était à juste titre que l’assurance-accidents avait refusé de récuser le docteur D.__.

Cette appréciation de la cour cantonale échappe à la critique au regard des faits sur lesquels elle se fonde, lesquels ne sont pas remis en cause par l’assuré et lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 et 2 LTF). L’assuré se contente de maintenir que la « virulence » des propos qu’aurait tenus le docteur D.__ à l’encontre de son conseil en 2015 (cf. ch. 55 et 59 de l’arrêt ATAS/818/2017 du 25 septembre 2017) dénoterait une animosité qui dépasserait largement le cadre de la procédure dans laquelle ils auraient été tenus. Toutefois, force est de constater que le fait que le docteur D.__ ait mal pris les critiques dont il avait fait l’objet de la part de l’avocat alors que ce dernier défendait une autre assurée il y a une demi-douzaine d’années ne permet nullement de retenir qu’il existerait actuellement entre le premier – qui n’a pas saisi la justice pénale ou civile ni même la commission du Barreau – et le second un antagonisme passionné ou même seulement des tensions prononcées qui seraient de nature à jeter un doute sur l’impartialité de l’expert à l’égard de l’assuré.

 

Tentative de désignation consensuelle préalable

Dans un arrêt de principe publié à l’ATF 137 V 210, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence antérieure (ATF 132 V 93) selon laquelle la mise en œuvre d’une expertise par l’assureur social ne revêtait pas le caractère d’une décision; il a jugé qu’en l’absence d’accord entre les parties, une telle mise en œuvre devait revêtir la forme d’une décision, qui pouvait être attaquée devant les tribunaux cantonaux des assurances sociales, respectivement devant le Tribunal administratif fédéral (consid. 3.4.2.6 et 3.4.2.7). Par la suite, le Tribunal fédéral a précisé que dans le domaine de l’assurance-accidents également, il fallait ordonner une expertise en cas de désaccord, par le biais d’une décision incidente sujette à recours auprès du tribunal cantonal des assurances, respectivement auprès du Tribunal administratif fédéral (ATF 138 V 318 consid. 6.1).

À l’ATF 139 V 349, le Tribunal fédéral a considéré qu’il était conforme au droit de limiter l’attribution des mandats d’expertise selon le principe aléatoire – tel que requis depuis l’ATF 137 V 210 pour les mandats d’expertises médicales confiées à un COMAI – aux expertises comprenant trois ou plus de trois disciplines médicales selon l’art. 72bis RAI (consid. 2.2 et 5.4). Il a relevé que pour les expertises médicales mono- et bidisciplinaires qui n’étaient pas attribuées selon le principe aléatoire (consid. 4.2), l’incombance (Obliegenheit) de l’Office AI et de la personne assurée de s’efforcer d’aboutir à une désignation consensuelle de l’expert ou des experts prenait une importance particulière et que, lorsqu’il entendait confier une telle expertise à un COMAI, l’Office AI avait l’obligation d’entreprendre cette procédure de désignation consensuelle (consid. 5.4).

Examinant le grief de l’assuré selon lequel l’assurance-accidents n’aurait pas recherché un accord sur la personne de l’expert et n’aurait ainsi pas respecté ses droits de participation, la Chambre des assurances sociales a indiqué qu’elle avait été amenée à rendre des arrêts de principe sur le sujet en 2013, dans lesquels elle avait alors jugé qu’indépendamment des griefs invoqués par l’assuré à l’encontre de l’expert, la cause devait être renvoyée à l’Office AI, au motif que ce dernier n’avait pas essayé de parvenir à un accord avec l’assuré sur le choix de l’expert, ce qui violait les droits de participation de l’assuré dans la procédure de désignation de l’expert (ATAS/226/2013 du 28 février 2013 et ATAS/263/2013 du 13 mars 2013). Toutefois, ces deux arrêts, qu’elle avait ensuite régulièrement mentionnés dans sa jurisprudence, avaient été rendus en matière d’assurance-invalidité et ce antérieurement à l’ATF 139 V 349, dans lequel le Tribunal fédéral avait évoqué une incombance (cf. consid. 2.4.2 supra). En revanche, le Tribunal administratif fédéral et plusieurs juridictions cantonales s’étaient prononcés postérieurement à l’ATF 139 V 349 précité et avaient, de manière générale, considéré que l’assuré n’avait pas de droit justiciable à la mise en œuvre d’une expertise sur une base consensuelle (cf. arrêt du Tribunal administratif fédéral C-463/2013 du 1 er mai 2014; arrêt de la Cour des assurances sociales du canton de Vaud Al 143/12 du 26 août 2013; arrêt du Tribunal des assurances sociales de Bâle-Ville IV.2018.37 du 23 juillet 2018; arrêts du Tribunal des assurances sociales du canton de Zurich UV.2019.00276 du 13 mars 2020, UV.2017.00202 du 23 février 2018 et IV.2016.00514 du 8 novembre 2016; arrêt du Tribunal administratif, division des assurances sociales, du canton de Berne 200 17 517 IV du 29 août 2017; arrêt de la Cour de justice d’Appenzell Rhodes-Extérieures O3V 14 15 du 18 février 2015).

Au vu de l’ATF 139 V 349, il fallait considérer que la désignation consensuelle d’un expert ne constituait pas un droit pouvant être déduit en justice, dès lors qu’il s’agissait d’une simple incombance et non d’une obligation, et que le caractère obligatoire de la procédure de désignation consensuelle se limitait aux cas dans lesquels l’Office AI souhaitait confier une expertise mono- ou bidisciplinaire à un COMAI. En effet, le Tribunal fédéral avait considéré que dans de tels cas, il existait un risque d’abus de la part de l’OAI, en ce sens que cet office pouvait être tenté de renoncer à une ou plusieurs disciplines médicales pour s’épargner la procédure d’attribution aléatoire qui prévalait en cas d’expertises pluridisciplinaires (ATF 139 V 349 consid. 5.4; arrêt 9C_718/2013 du 12 août 2014 consid. 4). En revanche, il n’était pas nécessaire de prévoir un tel correctif en matière d’assurance-accidents, dans laquelle la procédure d’attribution ne s’appliquait pas.

En l’espèce, la cour cantonale a constaté que l’assurance-accidents avait informé l’assuré de la mise en œuvre de l’expertise, en lui indiquant le nom de l’organisme envisagé et des médecins pressentis pour la réaliser (avec leurs spécialités) et en lui soumettant la liste des questions envisagées. L’assuré s’était catégoriquement opposé à ce que le docteur D.__ fût retenu en tant qu’expert au motif que celui-ci avait par le passé montré un comportement critiquable à l’encontre de son avocat dans le cadre d’une cause concernant une autre assurée. En l’absence de consensus sur le choix de l’expert, c’était à juste titre que l’assurance-accidents avait statué sur la question par une décision incidente, dans laquelle elle avait motivé sa position, sans qu’un nouvel échange à ce propos fût nécessaire. Au surplus, il ressortait des écritures de l’assuré que celui-ci était catégoriquement opposé à la désignation du docteur D.__. Or dans de telles circonstances, renvoyer la cause pour une désignation consensuelle de l’expert reviendrait à reconnaître un droit de véto à l’assuré et à exiger de l’assurance-accidents qu’elle renonce à l’expert choisi afin d’arriver à un consensus, ce qui ne correspondait pas à la jurisprudence fédérale.

L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir violé les « règles relatives à un procès équitable » en retenant que les droits de participation de l’assuré tels que consacrés par la jurisprudence du Tribunal fédéral ne sont pas des droits justiciables dans le champ de l’assurance-accidents, mais une simple incombance.

La question de savoir s’il existe un droit justiciable à la désignation consensuelle de l’expert en matière d’assurance-accidents peut demeurer indécise en l’espèce. Il n’est en effet pas contesté que le principe de l’attribution aléatoire des mandats d’expertises pluridisciplinaires développé en matière d’assurance-invalidité ne s’applique pas à l’assurance-accidents (cf. consid. 2.4.2 supra). Si l’assureur-accidents – comme l’Office AI pour les expertises mono- ou bidisciplinaires – doit s’efforcer de mettre en œuvre une expertise sur une base consensuelle et prendre en considération les objections soulevées par l’assuré quant à la personne de l’expert, le Tribunal fédéral a clairement rejeté la conception selon laquelle un expert ne pourrait être désigné qu’avec le consentement de l’assuré dès que celui-ci émet des objections sur la personne de l’expert, car cela reviendrait à reconnaître un droit de veto à l’assuré; il a précisé que même en cas d’objection justifiée de l’assuré, l’assureur n’est pas tenu de suivre sans autre les contre-propositions de l’assuré (ATF 139 V 349 consid. 5.2.1).

En l’espèce, la seule objection soulevée par l’assuré à l’encontre de la désignation du docteur D.__ tenait à la prétendue inimitié de celui-ci envers son avocat, qui aurait constitué un motif formel de récusation. Or comme cette objection était dénuée de fondement, l’assurance-accidents n’avait pas, en l’absence de toute objection de nature matérielle envers la personne du docteur D.__, à continuer de rechercher une désignation consensuelle de l’expert. En effet, cela serait revenu à admettre un droit de veto de l’assuré à l’encontre du docteur D.__ en dépit de l’inexistence de motifs de récusation. C’est ainsi à juste titre que l’assurance-accidents a statué sur la question par une décision incidente. Le grief de l’assuré doit dès lors être rejeté.

 

Droit à un tribunal établi par la loi

L’assuré reproche enfin à la Chambre des assurances sociales d’avoir violé son droit à un tribunal établi par la loi (art. 30 al. 1 Cst. et 6 par. 1 CEDH). Il invoque à cet égard l’art. 133 al. 2 de la loi cantonale genevoise sur l’organisation judiciaire (LOJ/GE; RS/GE E 2 05), qui dispose que lorsqu’elle entend se prononcer sur une question de principe ou modifier la jurisprudence, la chambre des assurances sociales siège dans la composition de cinq juges et deux juges assesseurs, et non dans sa composition ordinaire d’un juge et deux juges assesseurs (cf. art. 133 al. 1 LOJ/GE). Il soutient qu’en considérant que la désignation consensuelle d’un expert ne constituait pas un droit pouvant être déduit en justice, la cour cantonale aurait modifié sa jurisprudence antérieure, selon laquelle le droit de l’assuré à une tentative de désignation consensuelle de l’expert, consacré par les ATF 137 V 210 et 138 V 318, était un droit justiciable. Il se réfère à quatre arrêts de la Chambre des assurances sociales, tous rendus en matière d’assurance-accidents (ATAS/1138/2017 du 13 décembre 2017; ATAS/1109/2019 du 27 novembre 2019; ATAS/178/2020 du 4 mars 2020; ATAS/362/2020 du 7 mai 2020).

Ce grief est dénué de fondement. En effet, la cour cantonale a rejeté le recours au motif que l’assuré est catégoriquement opposé à la désignation comme expert du docteur D.__, à l’encontre duquel il n’existe pas de motif de récusation, et que dans de telles circonstances, renvoyer la cause pour une désignation consensuelle de l’expert reviendrait à reconnaître un droit de veto à l’assuré, ce qui ne correspondrait pas à la jurisprudence publiée à l’ATF 139 V 349. Comme on l’a vu, une telle motivation échappe à la critique indépendamment du point de savoir s’il existe un droit justiciable à la désignation consensuelle de l’expert en matière d’assurance-accidents. Dans la mesure où l’arrêt attaqué n’opère pas un revirement de la jurisprudence de la Chambre des assurances sociales mais se fonde sur la jurisprudence publiée du Tribunal fédéral, il n’avait pas à être rendu dans la composition prévue par l’art. 133 al. 2 LOJ/GE.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_452/2020 consultable ici

 

 

8C_837/2019 (f) du 16.09.2020 – Revenu d’invalide après mesures d’intervention précoce (MIP) – 16 LPGA / MIP ≠ MOP

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_837/2019 (f) du 16.09.2020

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide après mesures d’intervention précoce (MIP) / 16 LPGA

MIP ≠ MOP

 

Assuré aide-ferblantier, victime le 16.02.2015 d’une chute dans les escaliers sur son lieu de travail et s’est blessé au niveau du genou gauche. Une rechute est annoncée en septembre 2016.

Par courrier du 11.01.2018, l’assurance-accidents a mis un terme au paiement des frais médicaux et au versement des indemnités journalières avec effet au 31.01.2018. Par décision du 07.02.2019, confirmée sur opposition, elle a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, au motif que le taux d’invalidité de 8% était inférieur au seuil de 10% ouvrant le droit à une telle prestation, et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 7,5%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 4/19 – 150/2019 – consultable ici)

Pour déterminer le revenu d’invalide, les juges cantonaux ont refusé de tenir compte du salaire perçu par l’assuré alors qu’il était lié à une agence de placement par contrat de mission temporaire du 25.06.2018, au motif que les rapports de travail n’étaient pas suffisamment stables. Ils ont également écarté un contrat de travail de durée indéterminée par lequel D.__ SA avait engagé l’assuré comme cariste dès le 01.04.2019, dès lors que ce contrat était postérieur à la décision attaquée. Aussi ont-ils considéré que l’assurance-accidents avait recouru à bon droit aux données salariales résultant des descriptions de postes de travail (DPT) et ont-ils confirmé le revenu d’invalide fixé dans sa décision sur opposition. La cour cantonale a par ailleurs relevé qu’un calcul du revenu d’invalide sur la base des données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) ne serait pas non plus susceptible d’ouvrir le droit à une rente d’invalidité.

Par jugement du 14.11.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assuré reproche à l’instance cantonale d’avoir écarté le contrat de travail de durée indéterminée du 28.03.2019 le liant à D.__ SA. Il fait valoir en substance que la mission temporaire de durée indéterminée aurait débouché sur son engagement par D.__ SA comme cariste et que cette activité ferait suite à des mesures de réadaptation professionnelle de l’assurance-invalidité. Il conviendrait donc de prendre en compte sa situation concrète plutôt que de se fonder sur les DPT.

 

Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Lorsque l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu correspond au travail effectivement fourni et ne contient pas d’éléments de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible -, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS ou sur les données salariales résultant des DPT établies par la CNA (ATF 139 V 592 consid. 2.3 p. 593 s.; V 297 consid. 5.2 p. 301; 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475).

Pour comparer les revenus déterminants, il convient en principe de se placer au moment de la naissance du droit (éventuel) à la rente d’invalidité (ATF 129 V 222 consid. 4.2 p. 223 s.). Selon l’art. 19 al. 1 LAA, le droit à la rente prend naissance dès qu’il n’y a plus lieu d’attendre de la continuation du traitement médical une sensible amélioration de l’état de l’assuré et que les éventuelles mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité ont été menées à terme.

L’assureur-accidents est cependant tenu, avant de se prononcer sur le droit à une telle prestation, d’examiner si aucune modification significative des données hypothétiques déterminantes n’est intervenue durant la période postérieure à l’ouverture du droit. Le cas échéant, il lui incombe de procéder à une nouvelle comparaison des revenus avant de rendre sa décision (ATF 128 V 174). Autrement dit, pour procéder à la comparaison des revenus, il convient de se placer au moment de la naissance du droit à la rente en tenant compte des modifications susceptibles d’influencer le droit à la prestation qui sont survenues jusqu’au moment de la décision de l’assureur social (ATF 129 V 222).

 

En l’espèce, l’assuré a bénéficié de mesures d’intervention précoce de l’assurance-invalidité sous la forme d’une prise en charge d’une formation de cariste, laquelle s’est déroulée du 24.05.2018 au 25.05.2018. Constatant que l’intéressé avait retrouvé un emploi comme cariste à 100% depuis le 3 juillet 2018, l’office AI a considéré que des mesures de réadaptation d’ordre professionnel n’étaient pas envisageables en l’état. Il s’ensuit que l’activité de cariste exercée par l’assuré ne résulte pas de mesures de réadaptation au sens des art. 8 ss LAI mais uniquement d’une mesure d’intervention précoce (cf. art. 7d al. 2 let. b LAI). Aussi le cours de formation pris en charge par l’assurance-invalidité n’avait-il pas pour but de maintenir ou d’améliorer la capacité de gain de l’assuré ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels (cf. art. 8 al. 1 let. a LAI), mais de permettre sa réadaptation à un nouveau poste au sein de la même entreprise ou ailleurs, conformément à l’art. 7d al. 1 LAI. Partant, on ne saurait considérer d’emblée que l’activité de cariste mettrait pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible de la part de l’assuré.

En outre, il ne peut pas être reproché aux juges cantonaux d’avoir retenu que la condition afférente à la stabilité des rapports de travail posée par la jurisprudence n’était pas remplie dans la mesure où, au moment de la décision sur opposition, l’assuré était uniquement au bénéfice d’un contrat de mission auprès d’une agence de placement. En effet, ce type d’agence a pour vocation de mettre du personnel à disposition des entreprises selon des modalités qui peuvent fortement varier en fonction des besoins de ces dernières (cf. arrêt U 196/02 du 23 janvier 2003 consid. 4.4). Le fait que la mission temporaire était de durée indéterminée n’y change rien en l’espèce. Enfin, conformément à la jurisprudence, il ne peut pas être tenu compte, pour la comparaison des revenus, de circonstances postérieures à la décision sur opposition de l’assurance-accidents, de sorte que la cour cantonale était fondée à écarter le salaire prévu dans le contrat de travail du 28.03.2019.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_837/2019 consultable ici

 

8C_226/2021 (d) du 04.10.2021 – Revenu d’invalide d’une infirmière diplômée – 19 LAA – 16 LPGA / Salaire d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 2 vs 1

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_226/2021 (d) du 04.10.2021

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide d’une infirmière diplômée / 19 LAA – 16 LPGA

Salaire d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 2 vs 1

 

Assurée, née en 1967, infirmière diplômée à l’hôpital B.________ depuis le 01.03.2006 au taux de 60%. Le 09.09.2007, elle est tombée sur son flanc gauche avec son vélo. Depuis lors, elle ressent une douleur constante à l’épaule gauche et dans la région de la nuque, principalement lors des mouvements de port de poids avec le bras gauche.

Par décision du 14.11.2017, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité, le taux d’invalidité n’atteignant pas la valeur seuil de 10%.

 

Procédure cantonale

Sur la base du dossier et de l’expertise médicale, la cour cantonale a considéré que l’activité habituelle d’infirmière n’était plus raisonnablement exigible en raison des limitations fonctionnelles découlant de l’accident du 09.09.2007. L’assurée ne pouvait plus lever son bras gauche au-dessus de sa tête et ne pouvait pas porter des charges de plus de 3 kg même avec le bras le long du corps. Elle pouvait travailler sur l’ordinateur que pendant 15 à 20 minutes maximum à la fois, car elle ne pouvait pas s’asseoir droit devant la table avec le clavier en raison de la position de rotation interne de son bras gauche (positionnement répété contre son corps), mais ne pouvait le manipuler que dans une posture forcée. Dans une activité adaptée à son état de santé, l’assurée était capable de travailler à 80%, la baisse de rendement de 20% résultant du besoin accru de pauses.

Il ne semblait pas réaliste que l’assurée puisse mettre à profit les compétences professionnelles qu’elle avait acquises au fil des ans en tant qu’infirmière diplômée dans un autre domaine de travail. Contrairement à l’avis de l’assurance-accidents, l’assurée ne disposait pas de connaissances approfondies en tant que commerciale. En raison du peu de temps dont elle disposait pour travailler sur l’ordinateur, elle ne pourrait pas travailler comme secrétaire médicale ou comparable à une secrétaire sans restriction.

Par conséquent, le revenu d’invalide devait être déterminé sur la base de l’ESS, niveau de compétences 1, ligne Total, réduit de 20% (incapacité de travail). Après comparaison avec le revenu sans invalidité de CHF 85 484, le taux d’invalidité s’élevait à 49,66%.

Par jugement du 15.02.2021, admission du recours, octroyant à l’assurée une rente d’invalidité de l’assurance-accidents de 50% dès le 01.07.2014.

 

TF

L’assurance-accidents objecte que l’assurée a une formation tertiaire complète en tant qu’infirmier spécialisé. Elle avait travaillé dans cette profession pendant plusieurs années pour trois employeurs. En outre, selon ses propres déclarations, elle avait été directrice adjointe de service et avait donc une expérience de la gestion. À partir de 1995, elle a dirigé, à titre indépendant, une entreprise de commerce et de conseil en matière de matériel médical. De 1992 à 2006, elle avait travaillé dans une garderie, comme décoratrice de vitrine et au guichet téléphonique de Mobility. En outre, elle travaillait depuis plusieurs années en tant que curatrice privée pour la commune et recevait des mandats du KESB (autorités de protection de l’enfant et de l’adulte du canton de Lucerne). Elle a également travaillé comme répétitrice pour des élèves de l’école primaire. En juin 2001, elle avait suivi une formation d’un an en applications informatiques et obtenu un diplôme. Elle avait des connaissances en italien, en anglais et en français. Elle a également déclaré qu’elle privilégiait un emploi médico-commerciale. Après l’accident, elle avait travaillé comme secrétaire médicale et comme assistante de cabinet médical et avait reçu une offre d’emploi concrète. Dans l’ensemble, ces formations et activités ont montré que l’assurée disposait de compétences et de connaissances particulières qui lui permettaient d’effectuer, en dehors de sa profession habituelle, des travaux allant au-delà de simples travaux physiques et manuels non qualifiés au sens du niveau de compétences 1 de la LSE 2014. Selon l’assurance-accidents, il convient d’utiliser les salaires bruts standardisés du niveau de compétences 2.

 

Consid. 3.3.3.1

Le niveau de compétences 1 de l’ESS 2014 comprend des tâches physiques ou manuelles simples. Le niveau de compétences 2 comprend des tâches pratiques telles que la vente/ les soins/ le traitement de données et les tâches administratives/ l’utilisation de machines et d’appareils électroniques/ les services de sécurité/ la conduite de véhicules. Si la personne assurée ne peut plus exercer la profession habituelle en raison de l’invalidité, l’application du niveau de compétences 2 (ou jusqu’à la publication de l’ESS 2010 : niveau de qualification 3 ; cf. arrêt 8C_534/2019 du 18 décembre 2019 et les références) ne se justifie selon la jurisprudence du Tribunal fédéral que si elle dispose de compétences et de connaissances particulières (arrêt 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2).

Tel a été le cas, par exemple, dans le cas d’un ancien sportif de haut niveau qui avait réussi son examen de fin d’études et n’avait que 30 ans au moment de l’accident (arrêt I 779/03 du 22 juin 2004 consid. 4.3.4), dans le cas d’un assuré qui avait déjà exercé diverses professions (chauffeur de camion et d’autobus, démarcheur publicitaire, éditeur indépendant d’un magazine) (arrêt I 822/04 du 21 avril 2005 consid. 5. 2), dans le cas d’un ancien plombier/installateur sanitaire aux compétences manuelles supérieures à la moyenne (arrêt 8C_192/2013 du 16 août 2013 consid. 7.3.2) et dans le cas d’un menuisier de formation qui a achevé une formation de contremaître et de chef de projet, a également exercé ces fonctions et a finalement fondé et dirigé sa propre entreprise dans le secteur de la construction (arrêt 8C_5/2020 du 22 avril 2020 E. 5.3.2).

Pour le reste, le Tribunal fédéral a utilisé la valeur centrale du niveau de compétences 1 (niveau de qualification 4 jusqu’à l’ESS 2010). Par exemple, dans le cas d’un chauffagiste qui avait travaillé entre-temps comme représentant commercial pour une compagnie d’assurance mais qui n’avait pas de formation commerciale (SVR 2010 IV n° 52 p. 160, 9C_125/2009 consid. 4.3 et 4. 4) ou dans le cas d’un employé âgé de 45 ans au service du même employeur depuis près de 20 ans, qui y avait occupé en dernier lieu un poste de direction, mais ne disposait dans cette profession que de l’expertise pertinente en tant que chef de la sécurité, qu’il ne pouvait plus exercer en raison de son handicap (arrêt 8C_386/2013 du 15 octobre 2013 consid. 6.2 et 6.3 ; cf. également arrêt 8C_131/2021 du 2 août 2021 consid. 7.4.1).

 

Consid. 3.3.3.2

L’assurance-accidents recourante n’explique pas – et il n’est pas clair non plus – dans quelle mesure l’assurée est capable de mettre à profit sur le marché du travail général les compétences et les connaissances qu’elle a acquises au fil des ans en tant qu’infirmière spécialisée. En outre, il faut souligner le fait que l’assurée n’a aucune formation commerciale et aucune expérience pertinente dans ce domaine. De ce point de vue également, le niveau de compétences 2 ne peut être pris en compte. Il en va de même pour le commerce et la distribution de matériel médical, avec lesquelles l’assurée n’a apparemment pas été en mesure de générer un revenu couvrant ses frais de subsistance. Ensuite, les nombreuses autres activités énumérées par l’assurance-accidents recourante indiquent une certaine flexibilité de la part de l’assurée. Toutefois, elles ne constituent pas des compétences et connaissances particulières au sens de la jurisprudence citée qui justifieraient l’application du niveau de compétences 2. En ce qui concerne l’expérience de management alléguée par l’assurance-accidents, il convient de noter que l’assurée n’a été cheffe adjointe du service que pendant 9 mois en 1990.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_226/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_226/2021 (d) du 04.10.2021 – Salaire d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 2 vs 1, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/11/8c_226-2021)

8C_365/2021 (f) du 23.09.2021 – Indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) – 31 ss LACI – Ordonnance COVID-19 assurance-chômage / Employeur sans siège social en Suisse – Existence de structures opérationnelles en Suisse niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_365/2021 (f) du 23.09.2021

 

Consultable ici

 

Indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) / 31 ss LACI – Ordonnance COVID-19 assurance-chômage

Employeur sans siège social en Suisse – Existence de structures opérationnelles en Suisse niée

 

Assuré, directeur avec signature individuelle de B.__. Le 21.12.2018, il a signé un contrat de travail avec la société C.__ sise à l’étranger, dont il est le fondateur et le directeur. Ce contrat de travail prévoit notamment que la majeure partie du travail de l’employé est effectuée à partir de son domicile (en Suisse) ou de tout autre endroit à distance. Selon une convention jointe au contrat de travail, l’employé est soumis à la législation sur la sécurité sociale suisse.

Le 06.05.2020, la société C.__ a déposé un préavis de réduction de l’horaire de travail (RHT) pour son seul employé, à savoir A.__.

Par décision, confirmée sur opposition, le service cantonal refusé d’octroyer l’indemnité en cas de RHT à la société C.__ pour son employé, motif pris que l’employeur n’avait pas de siège social en Suisse et que l’horaire de travail de l’employé n’était pas contrôlable.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a relevé que selon la procédure applicable, l’employeur devait adresser son préavis de RHT à l’autorité cantonale de son siège local ; or la société C.__ – qui employait l’assuré – avait son siège social à l’étranger. Par ailleurs, l’assuré occupait une fonction dirigeante dans cette entreprise et son horaire de travail n’était pas contrôlable, à l’instar de celui des personnes exerçant leur activité principalement à l’étranger pour le compte d’une entreprise installée en Suisse. Son contrat de travail ne mentionnait aucun objectif, que ce soit en nombre d’heures hebdomadaires à effectuer ou de mandats à décrocher. Les juges cantonaux en ont conclu que même s’il payait ses cotisations sociales en Suisse, l’assuré ne remplissait pas les conditions d’octroi de l’indemnité en cas de RHT.

Par jugement du 12.04.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Pour les personnes qui sont ou qui ont été soumises à la législation sur la sécurité sociale suisse ou d’un ou de plusieurs États de l’Union européenne et qui sont des ressortissants suisses ou des ressortissants de l’un des États de l’Union européenne, le Règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO L 166 du 30 avril 2004 p. 1) ainsi que le Règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 fixant les modalités d’application du Règlement (CE) n° 883/2004 (JO L 284 du 30 octobre 2009 p. 1) sont applicables aux prestations comprises dans le champ d’application de la LACI (cf. art. 121 al. 1 let. a et b LACI; cf. ATF 147 V 225 consid. 3.1).

Dans un cas dans lequel les Règlements (CE) n° 883/2004 et 987/2009 trouvaient application, le Tribunal fédéral s’est récemment prononcé sur le droit à l’indemnité en cas de RHT en l’absence de siège social en Suisse. Dans un tel cas de figure, il a retenu que si l’activité économique de l’employeur n’est pas liée à des structures opérationnelles permanentes en Suisse, il n’y a pas de droit à l’indemnité en cas de RHT fondée sur le droit suisse, quand bien même l’employé exerce une activité salariée en Suisse et est soumis à la législation sur la sécurité sociale suisse. Le Tribunal fédéral a jugé que dans le cas particulier, l’activité de l’employé – qui était le seul salarié en Suisse d’une entreprise installée à l’étranger – n’était pas liée à des structures opérationnelles permanentes en Suisse, de sorte qu’il ne pouvait pas prétendre à l’octroi d’une indemnité en cas de RHT (ATF 147 V 225 consid. 5).

 

En l’espèce, il n’est pas contesté que l’employeur de l’assuré, à savoir la société C.__, a son siège social à l’étranger et que l’assuré, à teneur du contrat de travail, exerce son activité pour cette entreprise à partir de son domicile en Suisse ou de tout autre endroit à distance. Par ailleurs, il ne ressort pas des faits constatés par la juridiction cantonale que la société C.__ disposerait en Suisse de structures opérationnelles. Le seul fait que l’assuré dirige cette société depuis un poste de travail situé en Suisse lorsqu’il travaille à domicile n’est pas suffisant pour reconnaître l’existence de structures opérationnelles en Suisse au sens de la jurisprudence précitée. Dans ces conditions, l’assuré n’a pas droit à l’indemnité en cas de RHT, bien qu’il paie ses cotisations sociales en Suisse.

Les points de savoir si son horaire de travail est contrôlable et si sa fonction de dirigeant l’autoriserait à percevoir l’indemnité requise, si les autres conditions de son octroi étaient réunies, peuvent rester indécis.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_365/2021 consultable ici

 

 

8C_268/2021 (f) du 15.10.2021 – Revenu d’invalide pour un monophtalme (borgne) / 16 LPGA / Niveau de compétences 2 vs 1 / Abattement – Pas d’activité exigeant une vision stéréoscopique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_268/2021 (f) du 15.10.2021

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide pour un monophtalme (borgne) / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 vs 1

Abattement – Pas d’activité exigeant une vision stéréoscopique

 

Assuré, titulaire d’un brevet de compagnon professionnel dans le métier de menuisier en bâtiment, obtenu en France en 1986, charpentier-menuisier à 100% depuis le 01.10.2009 pour la société B.__ SA.

Le 01.12.2017, ensuite de l’explosion d’une bonbonne de mousse polyuréthane sur son lieu de travail, l’assuré a subi un traumatisme oculaire et facial. Le lendemain, il a été opéré au niveau de l’œil droit (diagnostics principaux : rupture du globe oculaire traumatique, plaie palpébrale supérieure et temporale traumatique, fractures blow-out du plancher, des murs et du toit de l’orbite droit, de la paroi antérieure du sinus frontal droit et du processus frontal de l’os zygomatique droit traumatiques).

Dans un rapport du 10.08.2018, le spécialiste en ophtalmologie et en ophtalmochirurgie au sein du centre de compétence de médecine des assurances de l’assurance-accidents a fait état d’une perte fonctionnelle définitive de l’œil droit de l’assuré à la suite de son accident. La situation médicale était désormais stable. D’un point de vue ophtalmologique, toutes les activités adaptées aux personnes borgnes et qui ne requéraient pas de vision stéréoscopique étaient exigibles à plein temps et sans limite de rendement. Si une reconversion s’avérait nécessaire, une perte de performance était possible, laquelle s’élevait généralement à 10-20% pendant un à deux ans. L’IPAI a été fixée à 35% pour la perte de l’œil droit.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité de 17% du 01.03.2020 au 31.08.2021, ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 35%. Le revenu d’invalide a été fixé sur la base des ESS, avec le niveau de compétences 2 ; aucun abattement n’a été retenu.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 88/20 – 37/2021 – consultable ici)

Par jugement du 16.03.2021, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reformant la décision dans le sens que l’assuré a droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 29% du 01.03.2020 au 31.08.2021, puis de 17% à compter du 01.09.2021.

 

TF

Niveau de compétences 2 vs 1

Le choix du niveau de compétence est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Depuis la 10e édition des ESS (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. L’accent est ainsi mis sur le type de tâches que la personne concernée est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications (niveau de ses compétences) et non plus sur les qualifications en elles-mêmes. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf groupes de profession (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques ou manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement de données et les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4 et les références).

En l’occurrence, la juridiction cantonale a retenu de manière convaincante que le type de travail encore à la portée de l’assuré justifiait de se fonder pour l’année 2016 sur le niveau de compétence 1 de l’ESS et non sur le niveau de compétence 2. L’assuré est certes au bénéfice de l’équivalent d’un CFC de menuisier-charpentier et d’une longue expérience professionnelle dans son domaine de formation. Il n’est cependant plus du tout en mesure de travailler dans ce domaine d’activités et ne dispose d’aucune autre ou nouvelle formation dans un autre domaine. Dans le cadre d’une mesure d’orientation professionnelle, le Centre F.__ a retenu les domaines de la conciergerie et de la logistique, lesquels ne se recoupent pas avec les tâches pratiques visées par le niveau de compétence 2. En outre, contrairement à ce qu’affirme l’assurance-accidents, le seul fait que l’assuré ait indiqué être en mesure de rédiger un curriculum vitae ou de répondre à une postulation sur internet ne permet pas de considérer qu’il serait apte à exercer une activité administrative. Quant aux autres activités visées par le niveau 2, telles que la vente, les soins, le traitement de données, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules, elles nécessitent toutes un minimum de formation ou de connaissances dont ne dispose pas l’assuré.

 

Abattement

Il est notoire que les personnes atteintes dans leur santé, qui présentent des limitations même pour accomplir des activités légères, sont désavantagées sur le plan de la rémunération par rapport aux travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels; ces personnes doivent généralement compter sur des salaires inférieurs à la moyenne (ATF 124 V 321 consid. 3b/bb).

Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des circonstances du cas particulier constitue une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement, tandis que l’étendue de l’abattement justifié dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1).

Dans son argumentation, l’assurance-accidents se contente d’affirmer qu’un abattement dans le cas d’une personne borgne ne se justifierait pas dès lors qu’il existe suffisamment d’activités sur le marché du travail dans lesquelles l’assuré pourrait travailler sans diminution de revenu, en comparaison avec d’autres personnes actives non atteintes dans leur santé. Dans l’arrêt U 343/04 du 10 août 2005 auquel se réfère l’assurance-accidents, il s’agissait d’un jeune assuré (35 ans) qui, mis à part les activités nécessitant une vision stéréoscopique ainsi que celles impliquant de monter sur des échafaudages, n’était pas limité dans l’exercice d’une activité adaptée. On ne voit pas, contrairement à ce qu’affirme l’assurance-accidents, que cet arrêt résume la jurisprudence en matière d’abattement dans le cas d’une personne borgne. Le Tribunal fédéral a par exemple confirmé, dans un arrêt U 233/06 du 2 février 2007, un abattement de 15% retenu par la juridiction cantonale dans le cas d’un assuré présentant une situation très similaire avec la présente cause (perte de son œil gauche à la suite d’un accident; activité adaptée encore exigible à 100%). Quant à l’arrêt U 471/05 du 15 mars 2006 également cité par l’assurance-accidents, un abattement de 10% avait été admis en présence d’un assuré borgne, mais dont l’œil sain était également atteint d’un strabisme divergent limitant fortement l’usage d’un écran d’ordinateur ou encore le travail de nuit.

En l’occurrence, les juges cantonaux ont retenu qu’outre les activités exigeant une vision stéréoscopique, un certain nombre d’autres activités n’étaient pas non plus exigibles de la part de l’assuré, à savoir celles nécessitant l’usage de machines comportant des éléments rotatifs non protégés, les activités sur surfaces accidentées ainsi que tout travail à la chaîne. L’assuré n’était par ailleurs pas autorisé à conduire des poids lourds ou des machines de chantier lourdes. Enfin, les activités nécessitant une appréciation de l’espace pouvaient certes être effectuées mais nécessitaient plus de temps. Force est donc de constater que les limitations fonctionnelles non contestées que présente l’assuré ont une incidence même sur les activités simples et répétitives qui restent exigibles de sa part, de sorte qu’il sera désavantagé sur le plan de la rémunération par rapport aux travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels (ATF 124 V 321 consid. 3b/bb). Ces limitations fonctionnelles ne sont par ailleurs pas compensées par d’autres éléments personnels ou professionnels tels que la formation ou l’expérience professionnelle.

Par conséquent, les juges cantonaux étaient fondés à opérer une déduction sur le salaire ressortant des statistiques retenu au titre d’invalide.

Par ailleurs, l’assurance-accidents ne s’en prend qu’au principe de l’abattement. Elle ne prétend pas, ni a fortiori ne démontre, que les juges cantonaux auraient abusé de leur pouvoir d’appréciation en retenant un taux d’abattement de 10%, de sorte qu’il n’y a pas lieu de s’en écarter.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_268/2021 consultable ici

 

 

9C_630/2020 (f) du 08.09.2021 – Surindemnisation pour une assurée avec un statut mixte (statut d’active et de ménagère) – 34a LPP – 24 OPP2 / Institution de prévoyance «enveloppante» – Interprétation de la notion de gain présumé perdu

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_630/2020 (f) du 08.09.2021

 

Consultable ici

 

Surindemnisation pour une assurée avec un statut mixte (statut d’active et de ménagère) / 34a LPP – 24 OPP2

Institution de prévoyance de droit public cantonal vs de droit privé – Règles d’interprétation de la loi vs en matière contractuelle

Institution de prévoyance «enveloppante» – Interprétation de la notion de gain présumé perdu – Evolution salariale qui aurait eu lieu en l’absence d’invalidité mais sans changement du taux d’activité

 

Assurée, née en 1980, mère de deux enfants (nés en 2010 et 2012), a travaillé en tant qu’agent de police depuis 2002, d’abord à 100%, puis à 50% dès le 01.05.2011. A ce titre, elle a été assurée auprès de la Caisse de pensions depuis le 14.01.2002. Par décision du 13.02.2018, l’office AI lui a reconnu le droit à un quart de rente d’invalidité (taux d’invalidité de 40%), assorti de deux rentes pour enfant, dès le 01.10.2017, puis à trois quarts de rente à partir du 01.01.2018 (taux d’invalidité de 61%). En bref, il a considéré qu’à compter du 29.05.2015, seule une capacité de travail de 25% d’un plein temps était encore exigible de l’assurée et que celle-ci avait un statut d’active et de ménagère (d’abord à raison de 50/50%, puis de 60/40% dès août 2016, et de 80/20% dès le mois d’août 2017).

Entre-temps, depuis le 29.08.2017, la Caisse de pensions a reconnu le droit de l’assurée à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle d’un montant mensuel de 1427 fr. 95.

Le 18.12.2017, après avoir été informée par l’office AI du droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité (projet d’acception de rente), la Caisse de pensions a indiqué à l’intéressée qu’elle allait réduire le montant des prestations de la prévoyance professionnelle, en application de la clause de surassurance figurant à l’art. 30 de son règlement de prévoyance, à compter du 01.10.2017. L’assurée ayant fait part de son désaccord quant au calcul de surindemnisation. En se fondant sur un traitement annuel brut sans invalidité correspondant à une activité exercée à un taux de 50%, et compte tenu d’une limite de surindemnisation fixée à 90% de ce traitement, la Caisse de pensions allait réduire le montant de la rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle due à l’assurée à 1160 fr. 25 du 01.10.2017 au 31.12.2017, puis à 512 fr. 40 dès le 01.01.2018, ce dernier montant correspondant à celui des prestations minimales de la prévoyance professionnelle obligatoire. L’assurée a indiqué à la Caisse de pensions qu’il n’y avait pas lieu de prendre en compte l’augmentation des prestations versées par l’assurance-invalidité en lien avec la hausse hypothétique de son activité professionnelle si la limite de surindemnisation n’était pas augmentée en parallèle. Il en résultait, selon elle, un droit à une rente d’invalidité de la prévoyance professionnelle de 1’427 fr. 65 du 01.10.2017 au 31.12.2017, puis de 1’383 fr. 40 dès le 01.01.2018. Le 08.08.2018, la Caisse de pensions a maintenu sa position.

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a procédé à l’interprétation de la disposition réglementaire litigieuse. Elle a considéré que la notion de « traitement que réaliserait l’intéressé s’il était resté en activité » selon l’art. 30 al. 1 du règlement de prévoyance de la Caisse de pensions n’implique pas, en raison de la seule utilisation du conditionnel, la prise en compte d’une évolution du traitement déterminant consécutive à un changement de statut de l’assuré. Selon les juges cantonaux, dans la mesure où l’emploi du conditionnel paraît simplement de mise parce que l’on se réfère à une situation hypothétique dans laquelle l’assuré n’aurait pas été invalide et aurait ainsi pu continuer à exercer son activité professionnelle, la prise en considération du taux d’activité au moment de la survenance de l’invalidité afin de fixer la limite de surindemnisation n’est aucunement incompatible avec la notion de « traitement que réaliserait l’intéressé s’il était resté en activité » au sens de la disposition réglementaire précitée. En conséquence, la juridiction de première instance a confirmé que la Caisse de pensions était en droit de réduire le montant de ses prestations d’invalidité dès le mois d’octobre 2017, à 1160 fr. 25 jusqu’au 31.12.2017, puis à 512 fr. 40 dès le 01.01.2018.

Par jugement du 07.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Surindemnisation – 34a LPP – 24 OPP2

Selon l’art. 34a al. 1 LPP, l’institution de prévoyance peut réduire les prestations de survivants et d’invalidité dans la mesure où celles-ci, ajoutées à d’autres prestations d’un type et d’un but analogues ainsi qu’à d’autres revenus à prendre en compte, dépassent 90% du gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé. Par « gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé » (« mutmasslich entgangenen Verdienst » resp. « guadagno presumibilmente perso dall’assicurato » selon les versions allemande et italienne de la loi), la jurisprudence a précisé qu’il faut entendre, le salaire hypothétique que l’assuré réaliserait sans invalidité, au moment où doit s’effectuer le calcul de surindemnisation (si le cas de prévoyance ne s’était pas produit), soit au moment où se pose la question de la réduction des prestations LPP. Il ne correspond pas forcément au gain effectivement obtenu avant la survenance du cas de prévoyance (ATF 125 V 163 consid. 3b; 122 V 151 consid. 3c; arrêt 9C_853/2018 du 27 mai 2019 consid. 3.3.1 et les références). Le statut de l’affilié dans l’assurance-invalidité a donc des incidences sur le calcul de la surindemnisation en matière de prévoyance professionnelle, tout comme un changement dudit statut. Par exemple, s’il existe des éléments concrets permettant d’admettre qu’un assuré travaillant jusqu’alors à temps partiel aurait repris, en l’absence d’invalidité, une activité à plein temps, la limite de surindemnisation dans la prévoyance professionnelle doit être adaptée en conséquence (ATF 142 V 75 consid. 6.3.1 et les références citées).

L’art. 30 al. 1 du règlement de prévoyance de la Caisse de pensions (dans sa teneur en vigueur dès le 01.01.2012, applicable en l’espèce) prévoit que: « Les prestations selon le présent règlement sont réduites dans la mesure où, additionnées à d’autres revenus imputables, elles dépassent 90% du traitement annuel brut que réaliserait l’intéressé s’il était resté en activité ».

 

Règles d’interprétation

La Caisse de pensions intimée est une institution de prévoyance de droit public cantonal (cf. art. 2 al. 1 de la loi valaisanne du 14 décembre 2018 régissant la Caisse de prévoyance du Canton du Valais [CPVAL; LCPVAL; RS/VS 172.51], et non de droit privé, comme l’a retenu à tort la juridiction cantonale. En conséquence, il convient d’interpréter l’art. 30 du règlement de prévoyance en fonction uniquement des règles d’interprétation de la loi (ATF 139 V 66 consid. 2.1 et les références), et non des règles d’interprétation en matière contractuelle, auxquelles les juges cantonaux ont eu recours.

Le fait que le règlement de prévoyance a été édicté par la Caisse de pensions (en conformité avec l’art. 11 al. 1 let. c LCPVAL) et ne figure pas dans la loi cantonale n’y change rien (arrêts 9C_426/2008 du 23 décembre 2008 consid. 2.1; B 33/04 du 18 mai 2005 consid. 5.2). On rappellera à ce propos que la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre. Il n’y a lieu de déroger au sens littéral d’un texte clair par voie d’interprétation que lorsque des raisons objectives permettent de penser que ce texte ne restitue pas le sens véritable de la disposition en cause. Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires, du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales. Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; en particulier, il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 146 V 95 consid. 4.3.1; 139 V 250 consid. 4.1 et les références; arrêt 9C_886/2018 du 4 juillet 2019 consid. 3.4).

En l’espèce, le texte de l’art. 30 al. 1 du règlement de prévoyance de la Caisse de pensions n’est pas clair dans la mesure où les termes de « traitement annuel brut que réaliserait l’intéressé s’il était resté en activité » laissent place à une certaine interprétation. En particulier, il n’est pas d’emblée clair si ces termes comprennent une évolution hypothétique du taux d’occupation. Il convient dès lors de rechercher quelle est la portée de la disposition réglementaire.

 

Gain présumé perdu

Au regard du sens littéral de l’art. 30 al. 1 du règlement de prévoyance, il apparaît que la notion de « traitement annuel brut que réaliserait l’intéressé s’il était resté en activité » est évolutive et implique de tenir compte de l’évolution du salaire jusqu’au moment du calcul de surindemnisation. La notion de « traitement annuel » comprend en effet les éléments énumérés de manière exhaustive à l’art. 7 al. 1 du règlement de prévoyance, soit, pour les assurés rémunérés au mois, le traitement de base, les parts d’expérience, les augmentations progressives liées à la prestation et la prime de performance limitée à 5%. Le caractère évolutif des termes utilisés à l’art. 30 al. 1 du règlement de prévoyance s’agissant de l’évolution salariale n’est du reste pas contesté par la Caisse de pensions, qui a exposé à cet égard, devant la juridiction cantonale, que le recours au conditionnel est destiné à permettre une dynamisation de la limite de surindemnisation en tenant compte de l’évolution salariale qui aurait eu lieu en l’absence d’invalidité, en particulier des parts d’expérience. Cette solution est corroborée par la jurisprudence, selon laquelle ce n’est en effet que lorsqu’une institution de prévoyance recourt à des termes qui ne font pas appel à une notion variable ou hypothétique (telles les expressions « salaire présumé perdu » ou « salaire hypothétique qu’aurait perçu l’assuré »), mais qui se rapportent au revenu brut effectivement réalisé par l’assuré, comme par exemple, les termes de « traitement brut », que l’évolution du salaire jusqu’au moment du calcul de surindemnisation n’a pas à être prise en considération (voir arrêt 9C_48/2007 du 20 août 2007 consid. 6.2).

La Caisse de pensions conteste en revanche le caractère évolutif de la notion de « traitement annuel brut que réaliserait l’intéressé s’il était resté en activité » quant à une éventuelle modification du taux d’activité de la personne assurée, c’est-à-dire quant à d’éventuels changements de statut de l’assuré dans l’assurance-invalidité. Le point de vue de la Caisse de pensions est confirmé par l’interprétation littérale de l’art. 30 al. 1 de son règlement de prévoyance. En effet, le terme de « traitement » s’apparente aux notions de gain et de salaire et ne se rapporte pas directement au taux d’occupation professionnelle de l’assuré. Sous l’angle également de l’interprétation historique, si l’on ne dispose certes pas des travaux préparatoires usuels dans une procédure législative (qui a concerné l’adoption de la LCPVAL), la Caisse de pensions a fait valoir, devant l’instance cantonale, que selon sa pratique constante, le « traitement annuel brut que réaliserait l’intéressé s’il était resté en activité » est obtenu en se fondant sur le taux d’activité lors de la survenance de l’incapacité de gain. L’assurée ne prétend du reste pas que la pratique de la Caisse de pensions aurait changé dans le temps.

C’est en vain que l’assurée se réfère à la notion de « gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé » au sens de l’art. 34a al. 1 LPP. Si certes, cette notion est évolutive et comprend l’évolution hypothétique du statut de la personne assurée, l’art. 34a al. 1 LPP n’est pas déterminant en l’espèce. Selon la jurisprudence dûment rappelée par les juges cantonaux, dans le domaine de la prévoyance plus étendue, les institutions de prévoyance peuvent en effet prévoir une réglementation plus restrictive que celle de l’art. 34a al. 1 LPP. Il n’est en l’occurrence pas contesté que l’institution de prévoyance est une institution de prévoyance dite « enveloppante » qui a décidé d’étendre la prévoyance au-delà des exigences minimales légales (prévoyance surobligatoire ou plus étendue) et qu’elle est par conséquent libre de définir dans les limites des dispositions expressément réservées à l’art. 49 al. 2 LPP le régime de prestations, le mode de financement et l’organisation qui lui convient pour autant qu’elle respecte les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité ainsi que l’interdiction de l’arbitraire (ATF 140 V 145 consid 3.1 et les références).

Au-delà du sens commun, dont il ressort que la notion de « traitement » recouvre le salaire ou gain perçu par l’assuré pour l’exercice d’une activité lucrative, sans référence directe au taux auquel cette activité est exercée, l’art. 30 du règlement de prévoyance s’insère dans le système de la surindemnisation prévu par la loi. On rappellera à cet égard que lorsque le règlement de prévoyance fixe une limite de surindemnisation plus restrictive que celle prévue par l’art. 34a al. 1 LPP, l’institution de prévoyance doit procéder à un calcul comparatif entre les prestations selon la LPP (sur la base du compte-témoin que les institutions de prévoyance doivent tenir afin de contrôler le respect des exigences minimales de la LPP [Alterskonto; art. 11 al. 1 OPP 2]) et les prestations réglementaires (Schattenrechnung; cf. ATF 136 V 65 consid. 3.7 et les références). Cette comparaison permet de s’assurer que les prestations réglementaires respectent les exigences minimales de la LPP, autrement dit que la personne assurée bénéficie au moins des prestations minimales légales selon la LPP (art. 49 al. 1 LPP en corrélation avec l’art. 6 LPP). Une institution de prévoyance doit en effet verser les prestations légales lorsque celles-ci sont supérieures à celles calculées conformément à son règlement. En l’occurrence, l’assurée ne conteste ni le calcul comparatif auquel la Caisse de pensions a procédé, ni le montant des prestations minimales de la prévoyance professionnelle obligatoire.

 

Compte tenu de ce qui précède, c’est bien le taux d’activité au moment de la survenance de l’invalidité qu’il convient de prendre en compte afin de fixer la limite de surindemnisation en application de l’art. 30 al. 1 du règlement de prévoyance de la Caisse de pensions. En conséquence, c’est à bon droit que la juridiction cantonale a confirmé la réduction du montant des prestations d’invalidité opérée par la Caisse de pensions, prestations dont le calcul n’est pas remis en cause en tant que tel par l’assurée, dès le mois d’octobre 2017.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_630/2020 consultable ici