Archives de catégorie : Assurance-invalidité AI

9C_65/2024 (f) du 12.08.2024 – Dépens en cas d’admission du recours / 61 let. g LPGA – 49 al. 1 LPA-VD / Notion de «gain de cause»

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_65/2024 (f) du 12.08.2024

 

Consultable ici

 

Dépens en cas d’admission du recours / 61 let. g LPGA – 49 al. 1 LPA-VD

Notion de « gain de cause »

 

Statuant sur le recours de l’assurée contre l’arrêt rendu par la Casso du canton de Vaud le 01.11.2022, le Tribunal fédéral l’a admis par arrêt 9C_562/2022 du 12.09.2023. Il a annulé l’arrêt cantonal ainsi que la décision de l’office AI du 19.10.2021 confirmée par cet arrêt et a octroyé à l’assurée un quart de rente d’invalidité à partir du 01.05.2019. Il a mis les frais judiciaires ainsi que les dépens à la charge de l’office AI et renvoyé la cause au tribunal cantonal pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 294/23 ap. TF – 345/2023 – consultable ici)

Par arrêt du 12.12.2023, le tribunal cantonal a fixé à 600 fr. les frais de la procédure cantonale de recours et les a répartis par moitié à la charge de chacune des parties. Il a aussi mis une indemnité réduite de dépens de 1’000 fr. à la charge de l’office AI.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 61 let. g LPGA, la partie recourante qui obtient gain de cause a droit au remboursement de ses frais et dépens dans la mesure fixée par le tribunal; leur montant est déterminé sans égard à la valeur litigieuse d’après l’importance et la complexité du litige. Pour le reste, la fixation du montant de l’indemnité de dépens ressortit au droit cantonal (art. 61 première phrase LPGA; arrêt 9C_714/2018 du 18 décembre 2018 consid. 9.2, non publié in ATF 144 V 380).

Selon l’art. 69 al. 1bis LAI, la procédure de recours en matière de contestations portant sur des prestations de l’AI devant le tribunal cantonal des assurances est soumise à des frais judiciaires. Le montant des frais est fixé en fonction de la charge liée à la procédure, indépendamment de la valeur litigieuse, et doit se situer entre 200 et 1’000 francs.

 

Consid. 3.2
L’art. 49 al. 1 de la loi vaudoise sur la procédure administrative du 28 octobre 2008 (LPA-VD; BLV 173.36) prévoit qu’en procédure de recours, les frais sont supportés par la partie qui succombe et que, si celle-ci n’est que partiellement déboutée, les frais sont réduits en conséquence. L’art. 55 al. 1 LPA-VD pose le principe selon lequel en procédure de recours, l’autorité alloue une indemnité à la partie qui obtient totalement ou partiellement gain de cause, en remboursement des frais qu’elle a engagés pour défendre ses intérêts (al. 1) et que cette indemnité est mise à la charge de la partie qui succombe (al. 2). En vertu de l’art. 11 al. 2 du Tarif vaudois des frais judiciaires et des dépens en matière administrative du 28 avril 2015 (TFJDA; BLV 173.36.5.1), les honoraires sont fixés d’après l’importance de la cause, ses difficultés et l’ampleur du travail effectué et sont compris entre 500 et 10’000 fr., ce montant maximal pouvant être dépassé si des motifs particuliers le justifient, notamment une procédure d’une ampleur ou d’une complexité spéciales.

Consid. 3.3
Sous réserve des cas cités à l’art. 95 let. c à e LTF qui n’entrent pas en considération dans le cas particulier, le recours ne peut pas être formé pour violation du droit cantonal. En revanche, il est toujours possible de faire valoir que la mauvaise application du droit cantonal constitue une violation du droit fédéral, en particulier qu’elle est arbitraire au sens de l’art. 9 Cst. ou contraire à d’autres droits ou principes constitutionnels (ATF 143 I 321 consid. 6.1). Un tel moyen tiré de la violation d’un droit constitutionnel doit être expressément soulevé et développé avec la précision requise à l’art. 106 al. 2 LTF (ATF 138 I 1 consid. 2.1; 133 III 462 consid. 2.3).

 

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a constaté que l’arrêt 9C_562/2022 du 12.09.2023 donnait entièrement gain de cause à la recourante en ce qui concernait le taux d’invalidité, mais que les considérations de l’arrêt attaqué portant sur la valeur probante de l’expertise, le caractère complet de l’instruction et la date d’ouverture du droit à la rente n’avaient en revanche pas été remis en cause devant le Tribunal fédéral. Elle a dès lors arrêté les frais de la procédure cantonale de recours à 600 fr. et les a répartis par moitié entre les parties, la part de l’assurée étant prise en charge par l’État au titre de l’assistance judiciaire. Elle a en outre reconnu le droit de la recourante à une indemnité réduite de dépens de 1’000 fr., qu’elle a mise à la charge de l’office intimé.

Consid. 4.2
La recourante fait grief au tribunal cantonal d’avoir violé le principe de l’interdiction de l’arbitraire en mettant une partie des frais judiciaires à sa charge et en réduisant ses dépens. Elle rappelle qu’elle a obtenu entièrement gain de cause et soutient que, dans ces circonstances, la loi ne permet pas une répartition des frais et une réduction des dépens.

Consid. 4.3
Une partie obtient gain de cause, au sens de l’art. 61 let. g LPGA, et n’encourt pas de frais lorsque sa position au terme de la procédure de recours est notablement améliorée par rapport à celle qui résulterait de la décision administrative litigieuse si elle était entrée en force. Une partie des frais peut-être mise à sa charge si elle n’obtient gain de cause que sur certaines de ses conclusions – lorsque le litige porte sur plusieurs objets – ou si elle a pris, sur un objet, des conclusions notablement excessives qui ont entraîné un surcoût, ce qui peut également entraîner une limitation de l’indemnité de dépens allouée conformément à l’art. 61 let. g LPGA (JEAN MÉTRAL, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 34 ad art. 61 LPGA). Lorsque le litige porte sur la quotité d’une prestation d’assurance sociale (montant et/ou durée), l’admission partielle des conclusions du recours – par exemple lorsqu’une demi-rente est octroyée en lieu et place d’une rente entière – ne justifie en principe une réduction des dépens que si les conclusions du recours ont eu une influence sur l’importance et la complexité du litige (cf. notamment ATF 117 V 401 consid. 2; arrêt 8C_449/2016 du 2 novembre 2016 consid. 3.1.1; 9C_193/2013 du 22 juillet 2013 consid. 3.2.1; 8C_568/2010 du 3 octobre 2010 consid. 4.1).

En l’occurrence, alors que l’office intimé a nié le droit de la recourante à une rente de l’assurance-invalidité par décision du 19.10.2021, l’assurée a conclu en instance cantonale à l’octroi d’une rente entière. À l’issue de la procédure, elle a obtenu un quart de rente dès le 01.05.2019. Par conséquent, elle a obtenu gain de cause au sens des principes rappelés ci-dessus. Il apparaît dès lors que la répartition des frais judiciaires de la procédure cantonale par moitié et la réduction de l’indemnité de dépens étaient contraires au droit. Il n’apparaît au demeurant pas que les conclusions du recours cantonal ont eu une incidence sur l’importance et la complexité du litige. Il convient donc d’annuler l’acte attaqué et de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle mette les frais de la procédure à la charge de l’office intimé et qu’elle fixe le montant de l’indemnité de dépens – non réduite – que peut prétendre l’assurée.

 

Consid. 5
Vu l’issue du litige, les frais judiciaires et les dépens doivent être mis à la charge de l’office intimé (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF). La demande d’assistance judiciaire est dès lors sans objet. La recourante a produit une note de frais et d’honoraires détaillée pour un montant de 1’336 fr. 25. Ce montant n’apparaît pas excessif compte tenu de la nature du litige, de sorte qu’il convient de le lui allouer.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_65/2024 consultable ici

 

Troubles du spectre de l’autisme chez l’enfant: garantir le financement conjoint de l’AI et des cantons pour les interventions précoces

Troubles du spectre de l’autisme chez l’enfant: garantir le financement conjoint de l’AI et des cantons pour les interventions précoces

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 21.08.2024 consultable ici

 

Le Conseil fédéral veut améliorer la prise en charge des interventions précoces intensives pour les enfants atteints de troubles du spectre de l’autisme sévères. Une phase pilote a permis d’évaluer comment cette forme de prise en charge pouvait être réglée et financée. Afin d’assurer un soutien financier de l’assurance-invalidité, une modification de la loi sur l’assurance-invalidité est nécessaire. Lors de sa séance du 21 août 2024, il a transmis le message correspondant au Parlement.

L’intervention précoce intensive (IPI) auprès des enfants ayant des troubles sévères du spectre de l’autisme en âge préscolaire permet d’améliorer leur comportement et leurs aptitudes sociales et communicationnelles, notamment parce que la plasticité du cerveau est encore très grande à ce stade de développement. L’IPI associe des mesures médicales et pédagogiques, telles que la psychothérapie et l’ergothérapie, la logopédie, la pédagogie spécialisée et la psychologie, et son efficacité est aujourd’hui largement reconnue sur le plan scientifique. L’imbrication des mesures médicales et des mesures pédagogiques rend toutefois difficiles la comptabilisation détaillée du volume de chaque mesure et leur facturation, les mesures médicales étant prises en charge par l’AI et les mesures pédagogiques financées par les cantons.

La prise en charge des IPI est actuellement réglée de manière provisoire par le biais de conventions conclues entre l’AI et des institutions proposant de telles interventions en Suisse. Depuis 2019, l’IPI fait l’objet d’un projet pilote visant notamment à déterminer les éléments essentiels et le financement de l’intervention. L’expérience a montré qu’un financement commun par la Confédération et les cantons est approprié.

Afin de garantir la participation financière de l’AI à l’intervention précoce après la fin du projet pilote, le Conseil fédéral propose de modifier la loi sur l’assurance-invalidité (LAI). Il a transmis le message correspondant au Parlement. Cela permettra entre autres de maintenir et favoriser le développement des offres d’IPI dans les cantons. Des données seront collectées pour ensuite être transmises à l’Office fédéral de la statistique dans le but d’évaluer l’impact à moyen et long terme des IPI. Une évaluation de l’IPI est prévue 6 ans après l’adoption de la modification de la loi.

 

Conséquences financières pour l’AI

Les coûts totaux de l’IPI sont évalués à environ 60 millions de francs par an, assumés par les cantons et par l’AI. Le plafond des coûts à charge de l’AI est toutefois fixé à 30% des coûts moyens de l’IPI, ce qui représente environ 18 millions de francs par an au maximum. Le remboursement des frais de voyage est évalué à environ 150 000 francs par an au maximum. La modification de la LAI proposée n’a pas de conséquences financières pour la Confédération.

Indépendamment de la présente révision, de nombreux projets importants pour l’AI sont actuellement en cours (politique du handicap 2023-2026, rapports en réponse à des postulats, motions et initiatives parlementaires). Le Département fédéral de l’intérieur a initié une réflexion sur une approche globale et coordonnée dans le traitement de ces objets.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 21.08.2024 consultable ici

Message du Conseil fédéral du 21.08.2024 consultable ici

Modification de la LAI consultable ici (version provisoire)

Modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité Intervention précoce intensive en cas de trouble du spectre de l’autisme – Rapport sur les résultats de la consultation (août 2024) disponible ici

 

Disturbi dello spettro autistico tra i bambini: garantire il finanziamento congiunto dell’assicurazione invalidità e dei Cantoni per l’intervento precoce, Comunicato stampa dell’UFAS del 21.08.2024 disponibile qui

Autismus-Spektrum-Störungen bei Kindern: gemeinsame Finanzierung der Frühintervention durch IV und Kantone sicherstellen, Medienmitteilung des BSV vom 21.08.2024 hier abrufbar

 

Majoration de 35 francs de la rente minimale AVS/AI et adaptations dans le domaine des cotisations, dans la prévoyance professionnelle obligatoire et des prestations complémentaires

Majoration de 35 francs de la rente minimale AVS/AI et adaptations dans le domaine des cotisations, dans la prévoyance professionnelle obligatoire et des prestations complémentaires

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 28.08.2024 consultable ici

 

Les rentes AVS/AI seront adaptées à l’évolution des prix et des salaires : elles seront relevées de 2,9% au 1er janvier 2025. Le Conseil fédéral a pris cette décision sur la base de l’indice mixte prévu par la loi lors de sa séance du 28 août 2024. La rente minimale AVS/AI passera ainsi de 1225 à 1260 francs par mois. Parallèlement, des adaptations seront apportées dans le domaine des cotisations, pour les prestations complémentaires, pour les prestations transitoires et dans la prévoyance professionnelle obligatoire.

Le montant de la rente minimale AVS/AI passera de 1’225 à 1’260 francs par mois et celui de la rente maximale de 2’450 à 2’520 francs (pour une durée de cotisation complète). Le montant de la cotisation minimale AVS/AI/APG pour les indépendants et les personnes sans activité lucrative passera de 514 à 530 francs par an et celui de la cotisation minimale dans l’AVS/AI facultative de 980 à 1’010 francs.

 

Adaptation selon l’indice mixte

Comme le prescrit la loi sur l’AVS, le Conseil fédéral examine, en règle générale tous les deux ans, la nécessité d’adapter les rentes de l’AVS et de l’AI à l’évolution des salaires et des prix. Pour prendre sa décision, le Conseil fédéral s’appuie sur la moyenne arithmétique de l’indice des salaires et de l’indice des prix (indice mixte) et prend en compte la recommandation de la Commission fédérale AVS/AI. La dernière adaptation des rentes par le Conseil fédéral date de 2023. Il avait alors fixé le montant de la rente minimale AVS/AI à 1225 francs.

 

Coûts de l’adaptation des rentes

Le relèvement des rentes engendrera des dépenses supplémentaires d’environ 1672 millions de francs. L’AVS les supportera à hauteur de 1487 millions de francs, dont 300 millions à la charge de la Confédération (qui finance 20,2 % des dépenses de l’assurance). L’AI assumera des dépenses supplémentaires de 185 millions de francs. La Confédération ne devra supporter ici aucune charge supplémentaire, sa contribution à l’AI n’étant plus calculée en pourcentage des dépenses.

 

Adaptation des montants limites dans la prévoyance professionnelle

Cette adaptation a également un impact sur la prévoyance professionnelle obligatoire. Le montant de la déduction de coordination dans le régime obligatoire de la prévoyance professionnelle passera de 25’725 à 26’460 francs, et le seuil d’entrée de 22’050 à 22’680 francs. La déduction fiscale maximale autorisée dans le cadre de la prévoyance individuelle liée (pilier 3a) passera de 7’056 à 7’258 francs pour les personnes possédant un 2e pilier et de 35’280 à 36’288 francs pour celles qui n’en ont pas. Ces adaptations entreront elles aussi en vigueur le 1er janvier 2025.

 

Adaptations concernant les prestations complémentaires et les prestations transitoires

Les montants annuels des prestations complémentaires et des prestations transitoires, destinées à couvrir les besoins vitaux, passeront de 20’100 francs à 20’670 francs pour les personnes seules et de 30’150 francs à 31’005 francs pour les couples. Ils passeront également à 10’815 francs pour les enfants âgés de plus de 11 ans et à 7’590 francs pour les enfants de moins de 11 ans. L’adaptation des prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI et des prestations transitoires induit des dépenses supplémentaires d’environ 11 millions de francs pour la Confédération et de 6 millions pour les cantons.

Les montants maximaux des loyers pris en compte dans le cadre des PC et des prestations transitoires sont adaptés au renchérissement sur la base de certaines positions de l’indice national des prix à la consommation pour le logement et l’énergie. Depuis juin 2022, dernier mois pris en compte lors de l’adaptation de 2023, l’augmentation est de 7,3%. Les montants annuels maximaux s’élèveront désormais à 18’900 francs dans les grands centres urbains (région 1), à 18’300 francs dans les villes (région 2) et à 16’680 francs à la campagne (région 3). Le forfait pour les charges accessoires et les frais de chauffage sera également adapté et passera de 3’060 à 3’480 francs par année. Les coûts de ces augmentations seront de 35 millions de francs, dont 22 millions à la charge de la Confédération et 13 millions à la charge des cantons.

Les franchises sur le revenu de l’activité lucrative sont adaptées à l’évolution des salaires depuis la dernière adaptation sur la base de l’indice des salaires. La franchise pour les personnes seules est relevée de 1’000 à 1’300 francs par an et pour les couples et les personnes avec enfants de 1’500 à 1’950 francs par an. Cette adaptation entraîne des coûts de 11 millions de francs, dont 7 millions pour la Confédération et 4 millions pour les cantons.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 28.08.2024 consultable ici

Tableau récapitulatif des montants dès le 1er janvier 2025 disponible ici

Commentaire relatif à l’ordonnance sur les adaptations à l’évolution des salaires et des prix dans le régime de l’AVS, de l’AI et des APG à partir de 2025 consultable ici

Textes des ordonnances consultables ici

 

LCAI no 445 – Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 : Détermination du revenu avec invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS

Lettre circulaire AI no 445 – Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 : Détermination du revenu avec invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS

 

Lettre circulaire AI no 445 du 26.08.2024 consultable ici

 

Le 23 juillet 2024, le Tribunal fédéral a publié son arrêt 8C_823/2023 du 8 juillet 2024, ainsi que le communiqué de presse correspondant. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral parvient à la conclusion que l’art. 26bis al. 3 RAI, dans sa version en vigueur entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, se révèle trop restrictif dans certaines situations. Pour cette raison, il convient de faire appel, en complément de l’art. 26bis al. 3 RAI, à la jurisprudence appliquée par le Tribunal fédéral concernant l’abattement dû à l’atteinte à la santé (ATF 126 V 75 ; ATF 134 V 322).

L’arrêt du Tribunal fédéral est entré en force le 8 juillet 2024, le jour où il a été prononcé, et s’applique dès lors avec effet immédiat. Concernant le droit à la rente, les répercussions sont les suivantes

  1. Droits à la rente nés avant le 1er janvier 2022, pour lesquels la décision n’a pas encore été rendue : aucune conséquence

Pour les droits à la rente qui doivent être évalués pour la période avant le 1er janvier 2022, il convient de faire appel aux dispositions en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, ainsi qu’à la jurisprudence correspondante (y compris l’abattement dû à l’atteinte à la santé), raison pour laquelle l’arrêt du Tribunal fédéral reste ici sans conséquence (sous réserve d’une adaptation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 suite à une révision ; cf. plus bas, ch. 2).

Les droits à la rente en cours le 1er janvier 2024 doivent être examinés au sens de l’al. 1 de la disposition transitoire du RAI relative à la modification du 18 octobre 2023. Si les conditions correspondantes sont remplies, seule la déduction forfaitaire est applicable (cf. ch. 3) et le droit à la rente doit, le cas échéant, être relevé avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 2024.

 

  1. Droits à la rente nés entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, pour lesquels la décision n’a pas encore été rendue : application éventuelle d’un abattement dû à l’atteinte à la santé

Pour les droits à la rente qui prennent naissance entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, il convient de tenir compte de l’arrêt du Tribunal fédéral, ce qui signifie que lors de la détermination du revenu avec invalidité sur la base de données statistiques, il faut également examiner la pertinence de l’application d’un éventuel abattement dû à l’atteinte à la santé conformément à la jurisprudence en vigueur avant le 1er janvier 2022. Cela signifie qu’en plus de la déduction de 10% pour le travail à temps partiel, il faut procéder à un éventuel abattement dû à l’atteinte à la santé, qui tient compte des autres caractéristiques, telles que les limitations qualitatives qui n’ont pas déjà pu être prise en compte lors de la détermination de la capacité fonctionnelle ou les années de service. La déduction pour travail à temps partiel doit être déterminée sur la base de l’art. 26bis al. 3 RAI et ne doit pas être prise en compte pour déterminer un éventuel abattement dû à l’atteinte à la santé (pas de double prise en compte du même facteur). L’abattement peut s’élever tout au plus à 25% (y compris une éventuelle déduction de 10% pour le travail à temps partiel) (ATF 126 V 75).

Il convient également de préciser que la mise en parallèle et la détermination de la capacité fonctionnelle doivent être réalisées conformément aux art. 26 al. 2 et 3 et 49 al. 1bis RAI (dans sa version en vigueur à partir du 1er janvier 2022).

Les mêmes règles s’appliquent aux droits à la rente qui ont dû être adaptés entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 suite à une révision ou à un octroi échelonné avec effet rétroactif. Il convient alors de tenir compte du droit intertemporel (cf. les lettres b et c des dispositions transitoires de la LAI relatives à la modification du 19 juin 2020 ; cf. aussi le chap. 9 «Dispositions transitoires» de la CIRAI).

Les droits à la rente en cours le 1er janvier 2024 doivent être examinés au sens de l’al. 1 de la disposition transitoire du RAI relative à la modification du 18 octobre 2023. Si les conditions correspondantes sont remplies, seule la déduction forfaitaire est applicable (cf. ch. 3) et le droit à la rente doit, le cas échéant, être relevé avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 2024.

 

  1. Droits à la rente nés à partir du 1er janvier 2024, pour lesquels la décision n’a pas encore été rendue : aucune conséquence

Concernant les droits à la rente qui prennent naissance à compter du 1er janvier 2024, il convient de faire appel aux dispositions en vigueur à partir de cette même date. L’arrêt du Tribunal fédéral ne s’exprime qu’au sujet de l’art. 26bis, al. 3, RAI dans sa version en vigueur entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 et ne concerne donc pas la version en vigueur à partir du 1er janvier 2024. Lors de la détermination du revenu avec invalidité sur la base de valeurs statistiques, seule la déduction forfaitaire de 20% au maximum est prise en compte.

 

  1. Cas concernés par une décision entrée en force : pas de nécessité d’agir

Lorsqu’une décision concernant un droit à la rente est déjà entrée en force avant le 8 juillet 2024, l’arrêt du Tribunal fédéral n’oblige pas à revenir d’office sur la décision en question. Il ne constitue pas non plus un motif suffisant pour une nouvelle demande de rente ou pour une demande de révision du droit à la rente (art. 87 al. 2 et 3 RAI).

 

 

Lettre circulaire AI no 445 du 26.08.2024 « Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 : Détermination du revenu avec invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS » consultable ici

IV-Rundschreiben Nr. 445 «Auswirkungen des Bundesgerichtsurteils 8C_823/2023 – Festlegung des Einkommens mit Invalidität anhand statistischer Einkommen der LSE» hier abrufbar

Lettera circolare AI n. 445 “Ripercussioni della sentenza del Tribunale federale 8C_823/2023 – Determinazione del reddito con invalidità in base ai salari statistici della RSS” disponibile qui

 

Cf. également la traduction par mes soins de l’arrêt 8C_823/2023 disponible ici.

 

 

8C_661/2023 (f) du 21.05.2024 – Rente d’invalidité et marché équilibré du travail – 28 al. 1 LAI – 16 LPGA / Nécessité d’un horaire de travail flexible pour une assurée atteinte d’une endométriose – Capacité de travail exigible de 50% sur le mois

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_661/2023 (f) du 21.05.2024

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité et marché équilibré du travail / 28 al. 1 LAI – 16 LPGA

Nécessité d’un horaire de travail flexible pour une assurée atteinte d’une endométriose – Capacité de travail exigible de 50% sur le mois

 

Assurée, née en 1991, est au bénéfice d’un diplôme d’études de commerce, d’un diplôme de Fitness Training Instructor ainsi que d’un diplôme et d’un certificat attestant d’une formation dans le domaine de l’immobilier. Le 23.04.2020, elle a demandé des prestations de l’assurance-invalidité en raison des conséquences d’une endométriose dont elle souffrait depuis l’âge de treize ans.

A la suite d’une instruction complémentaire, le SMR a conclu, le 05.05.2021, qu’il était raisonnablement exigible de retenir une capacité de travail d’au moins 50% dans une activité adaptée dès décembre 2019. Les limitations fonctionnelles étaient les suivantes : pas de port de charges ni de déplacements de longue durée, possibilité d’alterner différentes positions et d’accéder facilement à des toilettes et flexibilité des horaires. Il se fondait en particulier sur un rapport établi le 26.04.2021 par la Dre B.__, spécialiste FMH en médecine interne générale. L’assurée a fait un stage auprès des Établissements publics pour l’intégration (ci-après: les ÉPI) du 20.09.2021 au 19.12.2021 en tant qu’assistante administrative à raison de 20 heures par semaine. Dans le rapport subséquent établi le 03.03.2022, le maître de réadaptation professionnelle a conclu que l’assurée avait les capacités nécessaires pour exercer avec compétence et professionnalisme une activité dans le domaine administratif (secrétariat); le seul frein constaté au cours du stage avait été le grand nombre d’absences pour maladie, lesquelles nécessitaient une flexibilité d’horaires qui était impossible à réaliser dans l’économie ordinaire. La division de réadaptation professionnelle a proposé de retenir un taux d’invalidité de 55% pour l’assurée, en tenant compte d’un temps de travail raisonnablement exigible de 50% et d’un abattement de 10%, en raison du taux d’occupation. Le 09.06.2022, une conseillère en réadaptation professionnelle a précisé que durant le stage, aucune difficulté n’avait été observée sur le plan physique et que l’assurée n’avait pas formulé de plaintes. Ses absences étaient liées à son atteinte à la santé. Celle-ci influait l’horaire de travail et la nature des tâches, qui ne devaient pas être demandées dans des délais courts et urgents. Sur un marché du travail équilibré, l’assurée pourrait occuper un poste à 50% dans le domaine administratif en organisant son horaire sur le mois. Elle avait de très bonnes capacités d’adaptation sur des tâches complexes, une grande polyvalence et était rapidement autonome.

Par décision du 03.11.2022, l’OAI a octroyé à l’assurée une demi-rente d’invalidité fondée sur un taux de 55% dès le 01.12.2020, sous réserve des indemnités journalières déjà versées.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/671/2023 – consultable ici)

Par jugement du 06.09.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
On rappellera préalablement que l’invalidité consiste en une diminution des possibilités de gain de l’assuré sur un marché équilibré du travail si cette diminution résulte d’une atteinte à la santé et si elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (cf. art. 7 al. 1 et 8 al. 1 LPGA).

Consid. 3.2
Chez les assurés actifs, le degré d’invalidité doit être déterminé sur la base d’une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). Aux termes de l’art. 28 al. 1 LAI (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 [modification de la LAI du 19 juin 2020, Développement continu de l’AI; RO 2021 705]) déterminant en l’espèce (ATF 148 V 21 consid. 5.3 et les références), le droit à une rente d’invalidité présuppose notamment que l’assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins. Selon l’échelonnement des rentes prévu à l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s’il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Consid. 5
La notion de marché équilibré du travail est une notion théorique et abstraite qui sert de critère de distinction entre les cas tombant sous le coup de l’assurance-chômage et ceux qui relèvent de l’assurance-invalidité. Elle implique, d’une part, un certain équilibre entre l’offre et la demande de main d’œuvre et, d’autre part, un marché du travail structuré de telle sorte qu’il offre un éventail d’emplois diversifiés, tant au regard des exigences professionnelles et intellectuelles qu’au niveau des sollicitations physiques (ATF 110 V 273 consid. 4b; arrêts 9C_597/2018 du 18 janvier 2019 consid. 5.2; 9C_326/2018 du 5 octobre 2018 consid. 6.2).

Lorsqu’il s’agit d’examiner dans quelle mesure un assuré peut encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de gain sur le marché du travail entrant en considération pour lui (art. 7 al. 1 et 16 LPGA), on ne saurait subordonner la concrétisation des possibilités de travail et des perspectives de gain à des exigences excessives; cet examen s’effectue de façon d’autant plus approfondie que le profil d’exigibilité est défini de manière restrictive. Il s’ensuit que pour évaluer l’invalidité, il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si un invalide peut être placé eu égard aux conditions concrètes du marché du travail, mais uniquement de se demander s’il pourrait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de travail lorsque les places de travail disponibles correspondent à l’offre de la main d’oeuvre. On ne saurait toutefois se fonder sur des possibilités de travail irréalistes. Ainsi, on ne peut parler d’une activité exigible au sens de l’art. 16 LPGA, lorsqu’elle ne peut être exercée que sous une forme tellement restreinte qu’elle n’existe pratiquement pas sur le marché général du travail ou que son exercice suppose de la part de l’employeur des concessions irréalistes et que, de ce fait, il semble exclu de trouver un emploi correspondant (ATF 138 V 457 consid. 3.1; arrêts 9C_304/2018 du 5 novembre 2018 consid. 5.1.1; 9C_941/2012 du 20 mars 2013 consid. 4.1.1).

Consid. 6.1
Selon les constatations de la doctoresse B.__ telles que rapportées par la cour cantonale, l’assurée disposait d’une capacité de travail de 100% hors des périodes de crises. La doctoresse a ainsi proposé de retenir une capacité de travail réduite à 50% pour tenir compte des périodes de crises qui survenaient en général une fois par mois pendant quelques jours. D’un point de vue médical, une activité à 50% était envisageable si l’assurée pouvait bénéficier d’horaires flexibles sur un mois. La cour cantonale a encore relevé que les absences de l’assurée pendant le stage aux ÉPI avaient été plus fréquentes que celles avancées par la doctoresse B.__.

Consid. 6.2
On ne saurait suivre l’assurée lorsqu’elle soutient que les limitations fonctionnelles qu’entraînent son atteinte à la santé, en particulier la nécessité d’un horaire de travail flexible, rendent illusoire toute recherche d’emploi, y compris sur un marché de l’emploi réputé équilibré. On doit au contraire admettre qu’un tel marché du travail est suffisamment diversifié et qu’il comprend, dans le domaine administratif tout au moins, des emplois permettant d’organiser relativement librement son temps de travail sur le mois, pour un engagement à 50%. Ce n’était pas le cas lors du stage de trois mois aux ÉPI, où le taux d’activité de l’assurée avait d’emblée été limité à 20 heures par semaine, alors que selon les constatations médicales l’assurée avait une capacité de travail entière (8 heures par jour) en dehors de ses crises liées à l’endométriose. Cette capacité de travail a été fixée médicalement à 50% au lieu de 100% pour tenir compte de la flexibilité des horaires que requérait l’état de santé de l’assurée. Celle-ci dispose donc en réalité d’une capacité (fonctionnelle) totale de travail avec un rendement moyen sur le mois diminué de 50%, compte tenu de ses jours d’absence lors de crises.

Quant à l’argument selon lequel l’assurée avait chaque fois perdu ses emplois précédents en raison de son taux d’absentéisme pour des raisons de santé, il ne saurait davantage remettre en cause ses possibilités réelles de réinsertion sur le marché équilibré de l’emploi à 50%. Dans sa dernière activité professionnelle, l’assurée était engagée à 100% (ou 8 heures par jour; cf. questionnaire de l’assurance-invalidité pour l’employeur) et il ne ressort par ailleurs d’aucune autre pièce au dossier que l’assurée avait été engagée à un taux inférieur à 100% dans les autres emplois exercés précédemment. Par rapport à sa situation professionnelle antérieure, ses absences pour cause de maladie ne seraient désormais plus un obstacle financier pour un employeur potentiel.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_661/2023 consultable ici

 

8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication – Abattement sur le salaire statistique selon l’art. 26bis RAI (dans sa teneur dès le 01.01.2022 [DCAI]) / Interprétation par le TF des art. 28a al. 1 LAI et 26bis RAI (dans leur teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Abattement sur le salaire statistique selon l’art. 26bis RAI (dans sa teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Interprétation par le TF des art. 28a al. 1 LAI et 26bis RAI (dans leur teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Début du droit à la rente d’invalidité et mesures de réinsertion / 28 al. 1 let. a LAI – 14a LAI

 

L’assuré, né en 1974, est arrivé en Suisse en décembre 1992 et a travaillé dans le secteur de la construction, en dernier lieu comme manœuvre depuis septembre 2006. Après un accident au genou en février 2018, il a déposé une demande AI en août 2018.

Une mesure d’intégration prévue en mai 2019 a été interrompue pour des raisons de santé. L’assuré a commencé un traitement psychiatrique fin mai 2019. Le contrat de travail a pris fin le 31.12.2019.

Une expertise pluridisciplinaire (médecine interne générale, pneumologie, psychiatrie et rhumatologie), réalisée le 10.06.2022, a conduit l’office AI, le 28.07.2022, à octroyer une rente entière à partir de février 2019 et une rente de 54% à partir de juin 2022. Après contestation, le projet de décision a été confirmée le 09.11.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2022.120 – consultable ici)

Par jugement du 31.08.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, accordant à l’assuré une rente entière dès février 2019 et une rente de 59% d’une rente entière dès juin 2022.

 

TF

L’OFAS forme un recours contre ce jugement en demandant qu’une rente entière soit accordée à l’assuré à partir de juin 2019 et qu’une rente correspondant à 57% d’une rente AI entière soit accordée à partir de mai 2022.

Consid. 4 – Droit applicable
Dans le cadre du « développement continu de l’AI » (DCAI), la LAI, le RAI et la LPGA – notamment – ont été modifiés avec effet au 1er janvier 2022 (RO 2021 705 ; FF 2017 2535). La décision sur laquelle se fonde l’arrêt attaqué ici a été rendue après le 1er janvier 2022. Compte tenu du principe de droit intertemporel (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), il convient de déterminer, selon la situation juridique en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si un droit à la rente a pris naissance jusqu’à cette date.

Selon la let. b des dispositions transitoires, les bénéficiaires de rente dont le droit à la rente est né avant l’entrée en vigueur de la présente modification et qui n’avaient pas encore 55 ans à l’entrée en vigueur de cette modification, la quotité de la rente ne change pas tant que leur taux d’invalidité ne subit pas de modification au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA. L’assuré, âgé de moins de 55 ans au 1er janvier 2022, tombe sous le coup de cette disposition. Il ne fait aucun doute que son état de santé psychique s’est considérablement amélioré après 2022 et qu’il y a donc lieu d’adapter sa rente. A cet égard, c’est donc le nouveau droit, en vigueur à partir du 1er janvier 2022, qui s’applique, comme l’a reconnu le tribunal cantonal en se référant à l’arrêt 8C_644/2022 du 8 février 2023 (consid. 2.2.3) ainsi qu’à la pratique administrative (ch. 9102 de la Circulaire sur l’invalidité et les rentes dans l’assurance-invalidité [CIRAI], valable à partir du 1er janvier 2022, état au 1er juillet 2022).

Consid. 5.1 (résumé)
Le tribunal cantonal a détaillé les bases juridiques concernant le début du droit à la rente en 2019 (art. 28 al. 1 let. b et c LAI, version jusqu’au 31.12.2021). Les constatations médicales de l’instance précédente ne sont pas contestées, notamment concernant les atteintes somatiques et psychiatriques de l’assuré. Le tribunal cantonal a accordé une valeur probante au rapport d’expertise pluridisciplinaire et s’est basé sur ses indications concernant la capacité de travail (cf. toutefois consid. 5.3 infra).

 

Consid. 5.2.1 (résumé) – Début du droit à la rente
L’OFAS conteste le début de la rente fixé à février 2019, arguant que le tribunal cantonal a violé le principe « la réadaptation prime la rente » (art. 28 al. 1 let. a LAI). L’office fédéral souligne qu’une mesure de réinsertion (art. 14a LAI) a été octroyée à l’assuré du 06.05.2019 au 02.08.2019, accompagnée d’une indemnité journalière versée à l’employeur. Selon l’OFAS, cela aurait dû être pris en compte pour déterminer le début du droit à la rente.

Consid. 5.2.2
C’est à juste titre que l’OFAS renvoie dans ce contexte à la jurisprudence selon laquelle une rente de l’AI ne peut être octroyée avant la mise en œuvre de mesures de réadaptation que si la personne assurée n’est pas ou pas encore apte à la réadaptation en raison de son état de santé, ce qui vaut également pour les mesures de réinsertion. Tant que de telles mesures peuvent être envisagées, le droit à une rente ne doit donc pas être examiné et une rente ne peut pas être accordée. Le fait que le droit à la rente ne puisse en principe naître qu’après la fin des mesures de réadaptation s’applique même si celles-ci n’ont eu qu’un succès partiel ou ont échoué. Il en va autrement après des mesures d’instruction qui doivent montrer si l’assuré est apte à la réadaptation et qui révèlent que ce n’est pas le cas ; dans ce cas, une rente peut être octroyée avec effet rétroactif (cf. ATF 148 V 397 consid. 6.2.4 et les références).

Tel est le cas en l’espèce. La mesure de réinsertion a été interrompue fin mai 2019 après seulement trois jours de présence de l’assuré, pour cause de maladie (arrêt à 100%). La raison pour laquelle aucune rente rétroactive n’aurait dû être accordée le 09.11.2022 dans ce contexte n’est pas claire, notamment au vu de l’expertise pluridisciplinaire sur la capacité de travail. La perception d’indemnités journalières n’y change rien. En effet, dans le cas présent, les indemnités journalières, versées par l’assurance-accidents et non par l’AI, ne s’opposent pas au droit à la rente selon l’art. 68 LPGA.

Consid. 5.3 (résumé)
L’OFAS conteste l’évaluation de l’évolution de la capacité de travail par l’instance cantonale, arguant qu’elle contredit l’expertise, notamment concernant l’amélioration constatée dès février 2022. Cependant, le tribunal cantonal a correctement noté l’absence de capacité de travail résiduelle de février 2018 à février 2022, suivie d’une capacité de 50% dans une activité adaptée. Bien que le tribunal ait fixé l’amélioration à mars 2022 plutôt qu’à février, cette décision, bien que potentiellement moins précise, reste défendable et non arbitraire.

Consid. 5.4 (résumé)
On peut ainsi considérer que l’assuré est, selon l’expertise pluridisciplinaire, en incapacité de travail à 100% depuis février 2018 dans son activité habituelle de manœuvre. Jusqu’en février 2022 inclus, il était également en incapacité totale de travail dans une activité adaptée. Et à partir de mars 2022, il dispose d’une capacité de travail de 50%.

Le tribunal cantonal a constaté les limitations fonctionnelles suivantes. En raison d’altérations dégénératives de la coiffe des rotateurs des deux épaules, l’assuré ne peut plus soulever, porter ou pousser des charges de plus de 5 kg, travailler au-dessus de la tête, ni effectuer des mouvements répétitifs des bras et des mains. En raison d’une pangonarthrose bilatérale, il lui est impossible de travailler principalement debout ou en marchant plus de 30 minutes consécutives, de se pencher en avant, de s’agenouiller ou de s’accroupir, ainsi que d’exercer des activités sur un terrain accidenté ou nécessitant de monter des escaliers ou des échelles. Seules les activités physiques légères, avec alternance des positions, sont exigibles. Les troubles dégénératifs des poignets et de la cheville droite n’entraînent pas de limitation significative. L’exposition à la poussière doit être évitée en raison de l’asthme bronchique, et une fatigue accrue limite l’exercice d’activités à risque de chute ou sur des machines dangereuses. D’un point de vue psychiatrique, l’assuré présente des limitations graves dans la flexibilité, l’adaptation et la capacité à travailler en groupe. Des limitations de degré moyen concernent l’adaptation aux règles, la planification des tâches, l’application des compétences, ainsi que les relations avec des tiers. L’assuré est légèrement limité dans ses activités spontanées.

 

Consid. 6.1
Après avoir écarté les griefs relatifs au début du droit à la rente et la date de l’amélioration de la capacité de travail (passant de 0% à 50% en mars 2022), il reste à examiner les conséquences professionnelles de cette évolution. Le point de litige principal concerne le droit à la rente à partir de juin 2022. Cette évaluation, dans le cadre d’une révision (cf. sur l’importance du droit de révision de l’octroi rétroactif d’une rente échelonnée : ATF 145 V 209 consid. 5.3 ; 133 V 263 consid. 6.1), doit se faire selon le droit en vigueur depuis janvier 2022, à savoir les dispositions légales du 19 juin 2020 et du 3 novembre 2021.

Consid. 6.2
Selon l’art. 28a al. 1, première phrase, LAI, l’évaluation du taux d’invalidité des assurés exerçant une activité lucrative est régie par l’art. 16 LPGA. Selon ce dernier article, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. Aux termes de l’art. 28 al. 1, deuxième phrase, LAI, le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables.

Sous le titre «Détermination de la quotité de la rente», l’art. 28b LAI a la teneur suivante : La quotité de la rente est fixée en pourcentage d’une rente entière (al. 1). Pour un taux d’invalidité compris entre 50 et 69%, la quotité de la rente correspond au taux d’invalidité (al. 2). Pour un taux d’invalidité supérieur ou égal à 70%, l’assuré a droit à une rente entière (al. 3). Pour un taux d’invalidité inférieur à 50%, la quotité de la rente est la suivante (al. 4) :

Taux d’invalidité Quotité de la rente
49% 47.5%
48% 45%
47% 42.5%
46% 40%
45% 37.5%
44% 35%
43% 32.5%
42% 30%
41% 27.5%
40% 25%

Consid. 6.3.1
Par délégation de compétence (art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI), le Conseil fédéral a édicté les art. 25, 26 et 26bis RAI, dans leur version du 3 novembre 2021, en vigueur depuis le 1er janvier 2022 (RO 2021 706).

Consid. 6.3.2
Selon l’art. 25 al. 1 RAI, est réputé revenu au sens de l’art. 16 LPGA le revenu annuel présumable sur lequel les cotisations seraient perçues en vertu de la LAVS, à l’exclusion toutefois des prestations accordées par l’employeur pour compenser des pertes de salaire par suite d’accident ou de maladie entraînant une incapacité de travail dûment prouvée (let. a) et des indemnités de chômage, des allocations pour perte de gain au sens de la LAPG et des indemnités journalières de l’assurance-invalidité (let. b).

L’al. 2 de l’art. 25 RAI précise que les revenus déterminants au sens de l’art. 16 LPGA sont établis sur la base de la même période et au regard du marché du travail suisse. Selon l’al. 3, si les revenus déterminants sont fixés sur la base de valeurs statistiques, les valeurs médianes de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) de l’Office fédéral de la statistique font foi. D’autres valeurs statistiques peuvent être utilisées, pour autant que le revenu en question ne soit pas représenté dans l’ESS. Les valeurs utilisées sont indépendantes de l’âge et tiennent compte du sexe. Enfin, l’al. 4 prescrit que les valeurs statistiques visées à l’al. 3 sont adaptées au temps de travail usuel au sein de l’entreprise selon la division économique ainsi qu’à l’évolution des salaires nominaux.

Consid. 6.3.3
Selon l’art. 26 RAI, le revenu sans invalidité (art. 16 LPGA) est déterminé en fonction du dernier revenu de l’activité lucrative effectivement réalisé avant la survenance de l’invalidité. Si le revenu réalisé au cours des dernières années précédant la survenance de l’invalidité a subi de fortes variations, il convient de se baser sur un revenu moyen équitable (al. 1). Si le revenu effectivement réalisé est inférieur d’au moins 5% aux valeurs médianes usuelles dans la branche selon l’ESS au sens de l’art. 25 al. 3 [RAI], le revenu sans invalidité correspond à 95% de ces valeurs médianes (al. 2). Conformément à l’art. 26 al. 3 RAI, l’al. 2 ne s’applique pas lorsque le revenu avec invalidité visé à l’art. 26bis al. 1 RAI est également inférieur d’au moins 5% aux valeurs médianes usuelles dans la branche selon l’ESS au sens de l’art. 25 al. 3 RAI (let. a) ou lorsque l’assuré exerçait une activité lucrative indépendante (let. b). Au sens de l’al. 4 de l’art. 26 RAI, si le revenu effectivement réalisé ne peut pas être déterminé ou ne peut pas l’être avec suffisamment de précision, le revenu sans invalidité est déterminé sur la base des valeurs statistiques visées à l’art. 25 al. 3 RAI pour une personne ayant la même formation et une situation professionnelle correspondante.

Consid. 6.3.4
Enfin, au centre du litige se trouve l’art. 26bis RAI concernant le revenu avec invalidité, dont la teneur est la suivante. Si l’assuré réalise un revenu après la survenance de l’invalidité, le revenu avec invalidité (art. 16 LPGA) correspond à ce revenu, à condition que l’assuré exploite autant que possible sa capacité fonctionnelle résiduelle en exerçant une activité qui peut raisonnablement être exigée de lui (al. 1). Si l’assuré ne réalise pas de revenu déterminant, le revenu avec invalidité est déterminé en fonction des valeurs statistiques visées à l’art. 25 al. 3 [RAI]. Pour les assurés visés à l’art. 26 al. 6 [RAI], des valeurs indépendantes du sexe sont utilisées, en dérogation à l’art. 25 al. 3 [RAI] (al. 2). Si, du fait de l’invalidité, les capacités fonctionnelles de l’assuré au sens de l’art. 49 al. 1bis [RAI] ne lui permettent de travailler qu’à un taux d’occupation de 50% ou moins, une déduction de 10% pour le travail à temps partiel est opérée sur la valeur statistique (al. 3).

 

Consid. 7.1 (résumé)
Le tribunal cantonal a déterminé le revenu sans invalidité pour 2022 à CHF 68’640, en se basant sur les données salariales de 2019 du dernier employeur et en les indexant selon l’évolution des salaires et la convention nationale du secteur de la construction. Il a renoncé à une parallélisation selon l’art. 26 al. 2 RAI, le revenu statistique n’étant que 3,48% supérieur au salaire effectif. Cette approche n’est pas contestée par les parties.

Consid. 7.2 (résumé)
Le tribunal cantonal a calculé le revenu d’invalide de l’assuré en utilisant les données statistiques de l’ESS 2020. Après correction de la durée de travail et de l’évolution des salaires, il a obtenu un revenu annuel hypothétique de CHF 66’073.30, soit CHF 33’036.65 pour une capacité de travail de 50%. Un abattement de 15% a été appliqué en raison des aspects «limitations liées au handicap», «travail à temps partiel» et «catégorie de séjour», portant le revenu d’invalide à CHF 28’080. Le taux d’invalidité est ainsi de 59%. Conformément à l’art. 88a al. 1 RAI, la rente entière a été réduite à 59% à partir de juin 2022.

Consid. 7.3 (résumé)
Dans cette évaluation du revenu d’invalide, qui est au cœur de la présente procédure de recours, le tribunal cantonal a accordé un abattement sur le salaire statistique conformément à la jurisprudence relative à l’ancien droit (en vigueur jusqu’à fin 2021), c’est-à-dire sans appliquer l’art. 26bis al. 3 RAI.

Le tribunal cantonal a justifié sa décision en examinant le matériel législatif, la jurisprudence actuelle et la pratique administrative (ch. 3414 CIRAI). Il a conclu que l’art. 26bis al. 3 RAI révisé ne respectait pas l’intention du législateur. Contrairement à l’avis de l’OFAS, le tribunal cantonal estime que la capacité de travail déterminée médicalement (cf. art. 54 al. 3 LAI concernant les SMR ; art. 49 al. 1bis RAI) ne peut pas évaluer l’exploitabilité de cette capacité sur le marché du travail équilibré. De même, la parallélisation (selon l’art. 26 al. 2 et 3 RAI) ne tient pas compte des facteurs économiques spécifiques à la maladie, et l’assuré n’en bénéficie d’ailleurs pas en l’espèce. Par conséquent, le tribunal cantonal a jugé que l’art. 26bis al. 3 RAI dépassait le cadre formel de la délégation légale. Il a donc choisi de suivre les directives de la jurisprudence actuelle, ce qui l’a conduit à appliquer un abattement de 15% sur le salaire statistique.

 

Consid. 8.1
L’OFAS conteste cet abattement et reproche au tribunal cantonal une violation de l’art. 26bis al. 3 RAI en relation avec l’art. 28a al. 1 LAI, étant donné que, selon ces dispositions, seule une déduction de 10% peut être accordée.

Consid. 8.2 (résumé)
L’OFAS soutient que le Conseil fédéral a établi dans le RAI une règle exhaustive concernant les facteurs de correction. Il n’y a pas d’indication que le Conseil fédéral était obligé de reprendre intégralement les règles de la jurisprudence actuelle sans les examiner. Les facteurs de correction créés par le Conseil fédéral sont considérés comme étant dans le cadre de la norme de délégation au sens large, qui n’a pas été remise en question lors du processus législatif parlementaire. Pour appuyer son argument, l’OFAS cite un arrêt du tribunal cantonal bernois (200 23 389 IV) du 5 septembre 2023, qui a pris une décision contraire à celle du tribunal cantonal de Bâle-Ville sur cette question.

Consid. 8.3.1 (résumé)
L’OFAS souligne que la codification de l’évaluation de l’invalidité est complexe et ne peut pas simplement transposer la jurisprudence actuelle dans une ordonnance générale. Des adaptations étaient nécessaires. Les nouvelles dispositions apportent des améliorations pour les assurés, comme une simplification du parallélisme et l’abandon de la réduction du revenu sans invalidité par tranches d’âge pour les invalides de naissance et précoces avant 30 ans. L’art. 49 al. 1bis RAI exige désormais une prise en compte médicale de toutes les restrictions fonctionnelles. L’OFAS estime que la jurisprudence actuelle laissait une marge d’appréciation trop large, ce qui pouvait augmenter les recours à la suite de l’introduction du droit à la rente linéaire.

Consid. 8.3.2 (résumé)
Selon l’OFAS, les facteurs «âge» et «années de service», jusqu’ici considérés par la jurisprudence, peut être supprimés à l’avenir, comme le suggèrent le tableau T17 de l’ESS et certains arrêts du Tribunal fédéral. Dans l’ensemble, le Conseil fédéral a pris en compte la jurisprudence actuelle dans sa nouvelle réglementation, intégrant la plupart de ses éléments, bien que parfois de manière différente ou à un autre endroit dans le processus d’évaluation.

Consid. 8.3.3 (résumé)
Les solutions forfaitaires ne sont pas inadmissibles en soi et le législateur n’est pas tenu de corriger toute inégalité de fait. L’abattement forfaitaire pour temps partiel de l’art. 26bis al. 3 RAI doit être considéré en lien avec les règles sur le parallélisme (art. 26 al. 2 et 3 RAI) et la prise en compte des limitations dues à l’état de santé dans le cadre de l’évaluation des capacités fonctionnelles (art. 49 al. 1bis RAI). Cette dernière permet une approche spécifique à chaque cas. Ainsi, la schématisation de l’abattement pour temps partiel peut être maintenue dans le respect de l’égalité de traitement constitutionnelle, l’office fédéral citant à nouveau l’arrêt du tribunal cantonal bernois [cf. consid. 8.2 supra].

Consid. 8.3.4
Pour compléter, l’OFAS renvoie enfin à l’adaptation de l’art. 26bis al. 3 RAI au 1er janvier 2024, en application de la motion 22.3377 «Utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité». Celui-ci a la teneur suivante : « Une déduction de 10% est opérée sur la valeur statistique visée à l’al. 2. Si, du fait de l’invalidité, l’assuré ne peut travailler qu’avec une capacité fonctionnelle au sens de l’art. 49, al. 1bis, de 50% ou moins, une déduction de 20% est opérée. Aucune déduction supplémentaire n’est possible.»

Par le biais de la motion, le législateur aurait confirmé qu’il souhaitait que le cadre de délégation soit lui-même interprété de manière large et que l’art. 26bis al. 3 RAI, tant dans sa version à partir de janvier 2022 que dans celle à partir de janvier 2024, s’avérerait conforme à la Constitution et à la loi. Les critiques formulées avec véhémence et légèreté à l’encontre de la nouvelle réglementation étonnent, de même que l’opinion que l’on entend régulièrement selon laquelle la jurisprudence actuelle relative à l’abattement reste applicable. Pour dissiper toute doute, le Conseil fédéral a explicitement précisé dans la modification entrée en vigueur le 1er janvier 2024 qu’aucune autre déduction n’était autorisée.

Consid. 8.3.5
L’office fédéral applique strictement l’art. 26bis al. 3 RAI, n’accordant qu’un abattement de 10% pour le travail à temps partiel. Cette réglementation est considérée comme exhaustive et positive, excluant toute autre déduction sur le revenu d’invalide. En conséquence, le revenu d’invalide de l’assuré est fixé à CHF 29’732.85. Il en résulte un degré d’invalidité de 57%.

 

Consid. 8.4 (résumé)
L’assuré conteste la suppression de l’abattement pour les «limitations liées au handicap» par le Conseil fédéral, estimant qu’elle dépasse le cadre de la délégation. Il argue que l’art. 49 al. 1bis RAI n’apporte rien de nouveau et que l’évaluation de l’exploitabilité de la capacité de travail relève du droit, non de la médecine. Il illustre son point de vue avec son cas, où les experts ont estimé sa capacité de travail à 50% sans considérer d’autres facteurs. L’assuré critique la schématisation du RAI comme trop générale face à la diversité des situations des assurés et affirme que la nouvelle réglementation du parallélisme ne compense pas la suppression de l’abattement.

 

Consid. 9.1
En ce qui concerne l’art. 26bis al. 3 RAI dans sa version du 3 novembre 2021, qui est seul en cause en l’espèce, édicté sur la base de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI – comme les art. 25 ss. et art. 49 RAI –, il s’agit d’un droit d’ordonnance dépendant, et ce non pas de nature exécutive, mais de nature législative (cf. ATF 145 V 278 concernant l’art. 39a RAI ainsi que, sur cette notion : Pierre Tschannen, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgen, 5e éd. 2021, p. 613 ss. N. 1662 ss. et 1669 ss. ; Häfelin/Müller/Uhlmann, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8e éd. 2020, p. 22 ss. n. 93 ss., p. 25 n. 110). Dans le cadre du pouvoir d’examen des normes qui lui revient à cet égard, le Tribunal fédéral doit notamment analyser si l’ordonnance reste dans les limites des pouvoirs conférés par la loi au Conseil fédéral (ATF 144 II 454 consid. 3.2 et 3.3 ; 143 V 208 consid. 4.3 ; 138 II 281 consid. 5.4 ; 137 III 217 consid. 2.3 et les références). Dans la mesure où la loi n’autorise pas le Conseil fédéral à déroger à la Constitution, le tribunal se prononce également sur la constitutionnalité de l’ordonnance dépendante.

Si la délégation légale confère au Conseil fédéral une très large marge de manœuvre pour la réglementation au niveau de l’ordonnance, cette marge de manœuvre est contraignante pour le Tribunal fédéral en vertu de l’art. 190 Cst. Dans un tel cas, le Tribunal fédéral doit se borner à examiner si les dispositions incriminées sortent manifestement du cadre de la délégation de compétence donnée par le législateur à l’autorité exécutive ou si, pour d’autres motifs, elles sont contraires à la loi ou à la Constitution ; il n’est pas habilité à substituer sa propre appréciation à celle du Conseil fédéral. Il peut notamment vérifier si une disposition de l’ordonnance peut être fondée sur des motifs sérieux ou si elle est contraire à l’art. 9 Cst. parce qu’elle est dépourvue de sens et de but, qu’elle établit des distinctions juridiques pour lesquelles aucun motif raisonnable n’apparaît dans les circonstances de fait ou qu’elle omet des distinctions qui auraient dû être faites à juste titre. Le Conseil fédéral est responsable de l’opportunité de la mesure ordonnée ; il ne revient pas au Tribunal fédéral de prendre position au sujet de l’adéquation économique ou politique (ATF 150 V 73 consid. 6.2 ; 146 V 271 consid. 5.2 ; 143 V 208 consid. 4.3 ; 140 II 194 consid. 5.8 ; 136 II 337 consid. 5.1 et les références; cf. aussi arrêt 9C_531/2020 du 17 décembre 2020 consid. 3.2.2.2, non publié in : ATF 147 V 70, mais in : SVR 2021 AVS n° 13 p. 39).

 

Consid. 9.2
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si celle-ci est claire, c’est-à-dire dépourvue de toute ambiguïté, on ne peut s’en écarter que s’il existe une raison valable de supposer que le texte ne vise pas le «sens véritable» – le sens juridique – de la norme. La genèse de la disposition (historique), son but (téléologique) ou sa relation avec d’autres dispositions légales (systématique) peuvent donner lieu à une telle interprétation, notamment lorsque l’interprétation grammaticale conduit à un résultat que le législateur n’a pas pu vouloir ainsi (ATF 149 V 129 consid. 4.1 avec renvois).

En revanche, si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en tenant compte de tous les éléments d’interprétation (pluralisme pragmatique). Le but de la règle, les valeurs sur lesquelles elle repose ainsi que l’intérêt protégé dans lequel la norme s’inscrit sont déterminants. La genèse n’est certes pas directement déterminante, mais elle sert d’outil pour identifier le sens de la norme. Les matériaux revêtent une importance particulière, notamment pour l’interprétation de textes récents, qui se heurtent encore à des circonstances et à une compréhension du droit peu modifiées. Il est possible de s’écarter du texte lorsqu’il existe des raisons valables de penser qu’il ne reflète pas le véritable sens de la norme. Si plusieurs interprétations sont possibles, il faut choisir celle qui correspond le mieux à la Constitution. Toutefois, même une interprétation conforme à la Constitution trouve ses limites dans la clarté du texte et du sens d’une disposition légale (ATF 148 V 385 consid. 5.1 et les références ; 141 V 221 consid. 5.2.1 et les références ; 140 V 449 consid. 4.2 et les références).

Consid. 9.3
Le libellé de la norme de délégation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI dont il est question ici semble d’emblée clair. Sous le titre «Évaluation du taux d’invalidité» et après le renvoi à l’art. 16 LPGA contenu dans la première phrase, il est précisé : «Le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables» («Der Bundesrat umschreibt die zur Bemessung des Invaliditätsgrades massgebenden Erwerbseinkommen sowie die anwendbaren Korrekturfaktoren» ; «Il Consiglio federale definisce i redditi lavorativi determinanti per la valutazione del grado d’invalidità e i fattori di correzione applicabili »).

Par rapport à la version en vigueur jusqu’à fin 2021, la nouvelle norme légale formelle est plus concrète dans la mesure où l’ancien droit se contentait de dire que le Conseil fédéral fixait «le revenu déterminant pour l’évaluation de l’invalidité» («das zur Bemessung der Invalidität massgebende Erwerbseinkommen»; “il reddito lavorativo determinante per la valutazione dell’invalidità”). Il n’était pas question de facteurs de correction. Ceux-ci existaient toutefois déjà depuis longtemps sur la base de la jurisprudence et ce sous deux formes : d’une part, en tant qu’abattement sur le salaire statistique en vue de corriger les valeurs statistiques utilisées notamment pour le calcul du revenu d’invalide depuis 1988 (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/aa avec référence au consid. 4b non publié de l’ATF 114 V 310). Il s’agissait ainsi de tenir compte du fait que d’autres caractéristiques personnelles et professionnelles d’une personne assurée, telles que l’âge, l’ancienneté dans l’entreprise, la nationalité ou la catégorie de séjour ou le taux d’occupation – comme le documentent les ESS – peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire, ce qui s’est consolidé en tant que jurisprudence, notamment à partir de l’année 2000 (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc et la référence à l’ATF 124 V 321 consid. 3b/aa ; sur la genèse de la jurisprudence, cf. également Meyer/Reichmuth, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], 4e éd. 2022, n. 104 ss. ad Art. 28a IVG). D’autre part, la jurisprudence a également établi la correction sous forme de parallélisme, qui doit notamment entrer en ligne de compte lorsque le revenu sans invalidité est nettement inférieur aux valeurs statistiques (ATF 134 V 322 consid. 4.1 ; 135 V 58 consid. 3.4.3, 135 V 297 consid. 5.1 ; sur les deux instruments de correction : ATF 148 V 174 consid. 6.3, 6.4 et 9.2.2 et sur le rapport entre les deux : ATF 146 V 16).

Consid. 9.4
Toutefois, considéré de manière précise, il ne peut être question d’un texte clair que pour le principe, mais pas pour le «comment». Le fait que le Conseil fédéral doive, selon l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, décrire «les facteurs de correction applicables» et non pas simplement «les facteurs de correction» permettrait certes de comprendre que, selon le texte de la loi déjà, il s’agit de s’en tenir à ce qui était en vigueur selon la jurisprudence antérieure. Une telle continuité ne peut toutefois résulter que de la prise en compte du contexte et des antécédents et non de la formulation de la loi elle-même. Comme il s’agit ici d’un droit très récent, l’intention du législateur revêt une importance particulière (cf. consid. 9.2 supra). Cela rend indispensable la consultation des documents législatifs.

Consid. 9.4.1.1
L’un des éléments centraux du développement continu de l’AI est l’introduction d’un système de rentes linéaire, c’est-à-dire la suppression de l’échelonnement actuel, tout en conservant la valeur la plus basse (40%), le tout dans le but d’éliminer les incitations insuffisantes à l’exercice d’une activité lucrative pour les bénéficiaires de rentes assurés, afin de favoriser la réadaptation (cf. en détail le Message du 15 février 2017 relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [développement de l’AI], BBI 2017 2616 ss. ch. 1.2.4.6, 2638 ss. ch. 1.3.2 [en français : FF 2017 2442 ss ch. 1.2.4.6 et 2461 ss ch. 1.3.2]).

Concernant concrètement le projet de l’art. 28a al. 1 LAI, le message précise que la norme de délégation au Conseil fédéral apporte des précisions s’agissant de la fixation du revenu déterminant : le terme de «revenu déterminant» est employé au pluriel, puisqu’il englobe à la fois le revenu d’invalide et le revenu sans invalidité, dont la comparaison permet de calculer le taux d’invalidité au sens de l’art. 16 LPGA. La pratique définie dans la jurisprudence est inscrite dans le règlement (par ex. cas dans lesquels s’appuyer sur les valeurs effectives et ceux pour lesquels se référer aux barèmes de salaires, et barèmes à appliquer). Par ailleurs, le Conseil fédéral doit procéder aux corrections découlant de la jurisprudence pour ces revenus (par ex. critères à prendre en compte pour une déduction en raison du handicap et montant de la déduction correspondante) (en français : FF 2017 2493 ; en allemand : BBI 2017 2668 ; en italien : FF 2017 2324).

A un autre endroit, le message précise que le Conseil fédéral se voit attribuer la compétence d’introduire au niveau du RAI des règles et des critères élaborés par le Tribunal fédéral et qui sont nécessaires à l’évaluation du revenu d’invalide et du revenu sans invalidité (art. 28a, al. 1, P-LAI). Cette disposition a pour objectif de limiter la marge d’interprétation des offices AI et des tribunaux cantonaux dans la mise en œuvre. Elle doit permettre, d’une part, de garantir une unité de doctrine dans toute la Suisse et, d’autre part, d’éviter autant que possible les litiges portés devant les tribunaux à propos de l’évaluation de l’invalidité, d’autant qu’avec le système de rentes linéaire, chaque point de taux d’invalidité supplémentaire donne droit à une rente différente (en français : FF 2017 2549 ; en allemand : BBI 2017 2725 ; en italien : FF 2017 2382).

 

Consid. 9.4.1.2
Le texte de l’art. 28a al. 1 LAI présenté avec le projet de loi (en français : FF 2017 2570 ; en allemand : BBI 2017 2747 ; en italien : FF 2017 2405/i) correspondait déjà entièrement à celui qui est finalement devenu loi (cf. consid. 6.2 supra).

Dans les commissions comme dans les débats du Parlement, la question de principe de l’introduction – politiquement controversée – du système de rentes linéaire a été au centre des discussions (passage au système de rentes linéaire en tant que tel ; niveau des seuils, notamment pour la rente entière à 70% ou à 80% ; droits acquis pour les bénéficiaires de rentes actuels à 55 ou 60 ans). Aucune intervention n’a été faite sur la norme de délégation qui nous intéresse ici et sur les lignes directrices à respecter. Il convient toutefois de mentionner deux interventions : Le 19 septembre 2019, le conseiller aux Etats Joachim Eder a déclaré en tant que porte-parole de la commission : «Die Bemessung des Invaliditätsgrades bleibt grundsätzlich unverändert » [ndt : L’ évaluation du taux d’invalidité reste en principe inchangée] (BO 2019 p. 798). Lors de la même séance, le chef du département responsable, le conseiller fédéral Alain Berset, s’est également exprimé le même jour (BO 2019 p. 800) : « Cela dit, sur le principe, nous sommes convaincus que le pas vers un système de rentes linéaires est un pas qu’il faut faire pour créer un effet incitatif via la suppression des effets des seuils. Aussi, c’est un pas qu’il faut faire pour faire correspondre, dans la mesure du possible, le taux d’invalidité et la quotité de la rente, et rendre ainsi le système plus proche de la réalité, et plus compréhensible également, ainsi que (…) plus correct, plus juste, pour les assurés. Ce qu’il faut dire dans ce cadre, c’est que, sur le principe, l’évaluation du taux d’invalidité ne change pas. »

Consid. 9.4.2
Malgré l’article défini (« les […] facteurs de correction ») utilisé à l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, il ne fait aucun doute que la mise en œuvre sous la forme de l’art. 26bis al. 3 RAI en relation avec l’art. 26 al. 2 et 3 RAI se situe, du seul point de vue du libellé de la loi, dans le cadre de la délégation ainsi définie.

Comme déjà indiqué, celui-ci est un peu plus restreint que dans la version précédente, sans toutefois préciser en quoi pourraient consister les facteurs de correction, étant entendu qu’il n’y a pas lieu de se prononcer ici sur la constitutionnalité de la norme légale en question (art. 190 Cst. ; ATF 145 V 129 consid. 4.4). En ce qui concerne le contenu ainsi ouvert, le matériel législatif ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agit pour l’essentiel de reprendre la jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral. Cette intention de réglementation ne découle certes que du message du Conseil fédéral – à l’exception des avis singuliers cités. Cela ne diminue en rien la portée des déclarations répétées (cf. consid. 9.4.1.1 supra). En effet, d’une part, le projet de norme de délégation dont il est question dans le message est devenu loi sans discussion et sans modification. D’autre part, les déclarations contenues dans le message semblent d’autant plus importantes que c’est précisément le futur législateur qui s’est exprimé. Le «message» ainsi transmis, à savoir que l’évaluation de l’invalidité elle-même restait inchangée, a peut-être aussi été la raison pour laquelle aucune discussion n’a eu lieu sur ce point au sein des commissions et des Chambres.

Consid. 9.4.3
Par rapport aux possibilités de correction existantes (cf. consid. 9.3 supra), que le Tribunal fédéral a à nouveau appréciées en détail dans l’ATF 148 V 174 et dont il a souligné l’importance, l’auteur de l’ordonnance a choisi une autre voie avec la disposition dont il est question ici. Même si cela ne s’impose pas d’emblée au vu du libellé, l’intention réglementaire affichée par l’auteur de l’ordonnance ne laisse aucun doute (cf. consid. 9.5.3 supra) : Au lieu de l’abattement à accorder sur la base d’une multitude de critères ou de caractéristiques différentes, qui ne devait pas être appliquée de manière schématique, qui ne devait pas être additionner en fonction de chaque caractéristique, mais fixée de manière globale et dont le taux était limité à 25% (ATF 148 V 174 consid. 6. 3, 419 consid. 5.3 ; 146 V 16 consid. 4.1 ; 134 V 322 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. b), il ne doit plus subsister qu’un seul critère avec la «déduction pour temps partiel», qui est accordée à partir d’une capacité de rendement de 50% ou moins et qui reste limitée à 10% (cf. art. 26bis al. 3 RAI). Cela représente une restriction considérable par rapport à l’éventail utilisé auparavant et existant pour l’essentiel depuis l’ATF 126 V 75 consid. 5a/cc, dont l’utilisation pratiquée au fil du temps a certes été critiquée dans la doctrine comme étant excessive et incohérente (Egli/Filippo/Gächter/Meier, Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung, Zurich 2021, p. 236 ss. N. 688 ss. ont identifié 17 caractéristiques dans la jurisprudence ; cf. également David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, Jusletter 21 novembre 2022 N. 104 ss). Cette constatation n’a certainement pas facilité la tâche du législateur et lui a laissé une marge de manœuvre pour une certaine schématisation et simplification. Lors de l’examen suivant, il convient donc, dans le sens d’une vue d’ensemble, de tenir compte du fait, souligné par le recours, que le Conseil fédéral a ancré d’autres «facteurs de correction» en plus de l’art. 26bis al. 3 RAI. Mais il convient tout autant de rappeler l’art. 16 LPGA, sur la base duquel (resp. déjà sur la base des normes précédentes dans les lois spéciales) s’est développée au fil des ans une jurisprudence abondante concernant différents aspects partiels (ATF 148 V 174 consid. 9.2 en relation avec consid. 6.2 – 6. 5 ; Margit Moser-Szeless, in : Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, N. 1 ad art. 16 LPGA), qui doit être attribuée au contenu normatif fixe de cette disposition et qui n’a en tout cas pas été supplantée dans tous ses éléments par la révision dont il est question ici (cf. Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 1 concernant l’art. 28a LAI in fine).

Consid. 9.5.1
En tant qu’assurance populaire, l’assurance-invalidité protège notamment contre les conséquences économiques de l’invalidité (cf. art. 41 al. 2 et 112 Cst.). En cas de survenue d’un cas d’assurance, c’est la ou les personnes assurées qui sont au centre des préoccupations : conformément à l’art. 43 LPGA, il s’agit de déterminer d’office (avec sa collaboration) son état de santé avec ses répercussions fonctionnelles et ses conséquences sur l’activité lucrative de la manière la plus précise possible, au degré de la vraisemblance prépondérante. Dans cette optique, le principe selon lequel, lors de la comparaison des revenus (art. 16 LPGA), la détermination du revenu sans invalidité et avec invalidité doit être aussi concrète que possible s’est établi dans la jurisprudence depuis de nombreuses années (ATF 148 V 419 consid. 5.2, ATF 148 V 174 consid. 6.2 et 9.2.2 ; 143 V 295 consid. 2.2 et 4.2.1 ; 135 V 297 consid. 5.2 ; 134 V 322 consid. 4.1 ; arrêts 8C_346/2022 du 14 février 2023 consid. 4.2 ; 8C_738/2021 du 8 février 2023 consid. 3.4.2.1 ; cf. en outre Meyer/Reichmuth, op. cit, n. 32 concernant l’art. 28a LAI, n. 49 et n. 81 ainsi que, explicitement, n. 93, tous concernant l’art. 28a LAI, chacun avec des références à la jurisprudence ; Moser-Szeless, op. cit., n. 17 et n. 30 concernant l’art. 16 LPGA). On ne peut se baser sur des valeurs empiriques et moyennes qu’en tenant compte des facteurs personnels et professionnels pertinents pour la rémunération dans le cas d’espèce (ATF 144 I 103 consid. 5.3 et les références ; 139 V 28 consid. 3.3.2 et les références). Dans la doctrine, il est également question dans ce contexte de détermination proche de la réalité et individuelle (cf. Egli/Filippo/Gächter/Meier, op. cit., p. 4, no 10 et les références).

Consid. 9.5.2
On ne voit pas pourquoi le droit révisé devrait s’écarter de ces prescriptions ; au contraire, l’art. 26 al. 1 ainsi que l’art. 26bis al. 1 RAI témoignent du fait qu’il faut continuer à se référer en priorité aux conditions concrètes d’emploi. Nonobstant, l’utilisation de données statistiques sur les salaires constitue dans le quotidien juridique, désormais ancrée dans le droit positif, un moyen auxiliaire indispensable pour l’évaluation de l’invalidité (art. 25 al. 3, 26 al. 4 ainsi que art. 26bis al. 2 RAI), et ce d’autant plus depuis que la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (Suva) a abandonné sa documentation des postes de travail (DPT) sans la remplacer (cf. concernant la DPT : ATF 139 V 592 ; 129 V 472), sans que l’on ait connaissance d’efforts visant à la poursuivre de la part d’autres parties. L’ordre de priorité figurant dans les dispositions citées ci-dessus précise également que, conformément à la jurisprudence, les statistiques sur les salaires doivent être utilisées à titre subsidiaire en tant qu‘ultima ratio lorsqu’il n’est pas possible de déterminer le revenu sans et/ou avec invalidité sur la base et en fonction des circonstances concrètes du cas d’espèce (ATF 142 V 178 consid. 2.5.7 et les références). Avec l’introduction du système de rentes linéaire, l’évaluation du degré d’invalidité au pourcentage près a pris une importance accrue par rapport aux échelonnements de rentes qui étaient déterminants auparavant (ATF 148 V 174 consid. 6.6). En conséquence, les facteurs de correction selon l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI revêtent une grande importance dans les cas d’espèce.

Consid. 9.5.3
En ce qui concerne les différents «facteurs de correction», il convient de constater ce qui suit.

Consid. 9.5.3.1
La position de l’OFAS, également défendue dans la présente procédure, est déjà illustrée dans son «rapport explicatif» après la procédure de consultation sur les dispositions d’exécution de la modification de la LAI (développement de l’AI) du 3 novembre 2021 (ci-après : OFAS, rapport explicatif). L’office y indique (en français : cf. p. 52 s. ; en allemand : p. 53 s.) que les limitations strictement dues au handicap (restrictions médicales à l’exercice d’une activité lucrative de nature quantitative et qualitative) doivent systématiquement être prises en compte pour l’appréciation de la capacité fonctionnelle de l’assuré (cf. art. 49 al. 1bis RAI). Par rapport à la solution actuelle, cette approche se révèle plus avantageuse pour les assurés puisque la limitation de l’abattement sur le salaire statistique en raison d’une atteinte à la santé à 25% est ainsi supprimée. Cette procédure tient davantage compte des restrictions dans la réalité de l’activité professionnelle que l’ancienne procédure avec une déduction forfaitaire en pourcentage («liée à l’affection») sur le revenu d’invalide (cf. feuille d’information du 4 avril 2022 «Calcul du degré d’invalidité dans le cadre du développement de l’AI», p. 3).

Consid. 9.5.3.2
On ne voit pas en quoi cela aurait créé une nouveauté par rapport à la situation antérieure. Le libellé de l’art. 49 al. 1bis RAI dans toutes les versions linguistiques (cf. consid. 6.3.4 supra) ainsi que les explications mentionnées en introduction se réfèrent clairement et exclusivement à la capacité de travail attestée médicalement et aux restrictions y relatives. Les médecins (du SMR) n’ont d’ailleurs pas à se prononcer sur d’autres points (cf. art. 54a al. 2 et 3 LAI), ce qui irait à l’encontre de la répartition des tâches entre les praticiens du droit et les médecins, soulignée depuis toujours par la jurisprudence (cf. ATF 140 V 193 concernant la capacité de travail ; arrêt 8C_809/2021 du 24 mai 2022 consid. 5.4 concernant l’exploitabilité de la capacité de travail résiduelle sur un marché du travail équilibré). Ainsi, il appartient au médecin de définir, outre la capacité de travail médico-théorique, un profil d’exigibilité et d’attester, par exemple, d’un rendement réduit, d’absences dues à la thérapie ou d’un besoin accru de pauses, et d’estimer ces derniers aspects – quantifiables – lors de l’estimation de la capacité de travail (cf. arrêt 9C_356/2018 du 12 octobre 2018 consid. 5, où cela a été pris en compte dans l’abattement).

En revanche, il échappe au domaine de compétence du médecin, défini tant sur le plan technique que légal (cf. art. 54a al. 2 et 3 LAI), de déterminer, en raison par exemple d’un profil d’exigibilité très restrictif, s’il en résulte, pour un potentiel de ressources en soi intact, une perte économique – du point de vue de l’aptitude à l’emploi – par rapport au salaire statistique de référence (cf. par exemple les arrêts 8C_683/2023 du 18 avril 2023 consid. 5.4 concernant la limitation à des activités légères avec diverses autres restrictions et – entre autres – des absences non prévisibles ; 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.3.2.3 concernant un monomanuel avec d’autres restrictions qualitatives, mais avec un rendement complet ; 8C_297/2018 du 6 juillet 2018 consid. 4.3 se référant à un QI total de 73 ; 8C_19/2016 du 4 avril 2016 consid. 5.5.2 concernant le non-exercice de longue date de l’activité habituelle ; cf. également l’arrêt 9C_549/2012 du 7 mars 2013 consid. 3.3.2 ainsi que Meyer/Reichmuth, op. cit, n. 107 concernant l’art. 28a LAI avec d’autres références ; Kaspar Gerber, in : Thomas Gächter [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, IVG, Berne 2022, n. 153 s. concernant l’art. 28a LAI semble voir implicitement dans ce contexte des restrictions exclusivement justifiées par des raisons médicales). Ce genre de situation n’est pas rare dans la pratique. Rappelons à titre d’exemple les cas d’assurés manchots ou monomanuels dont le rendement n’est pas limité, mais dont le profil d’activité n’est plus utilisable que de manière restreinte et qui doivent de ce fait s’attendre à des pertes de salaire. Ce dernier cas relève du domaine des faits d’expérience juridiques et non de celui de la nécessité médico-théorique, raison pour laquelle il n’est pas possible d’en tenir compte par le biais de l’art. 49 al. 1bis RAI et qu’il convient plutôt de procéder à une correction normative (cf. sur la délimitation des compétences et sur l’ensemble : Gächter/Meier, Dichtung und Wahrheit im Umgang mit LSE-Tabellenlöhnen, Jusletter 4 juillet 2022 n. 58 ss, 62 ; cf. également Gabriel Hüni, Der Abzug vom tabellarischen Invalideneinkommen, Jahrbuch zum Sozialversicherungsrecht [JaSo] 2024 p. 78 ss, en particulier sur la répartition des tâches et les assurés monomanuels, p. 80).

Consid. 9.5.3.3
L’Office fédéral reconnaît un autre facteur de correction dans la parallélisation. Celle-ci vise le revenu de valide et, par rapport à la jurisprudence en vigueur jusqu’ici (cf. ATF 135 V 58 et 135 V 297), elle est désormais admise plus facilement (cf. art. 26 al. 2 et 3 RAI et consid. 6.3.3 supra), en ce sens que le motif de la réalisation d’un revenu modeste n’a plus d’importance. Dans la doctrine, cette nouveauté est saluée comme étant appropriée et la jurisprudence actuelle est considérée comme étant devenue sans objet (Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 127 ad art. 28a LAI avec renvois). Ces mêmes auteurs s’opposent en revanche – entre autres – au point de vue défendu dans le recours ainsi que dans la pratique administrative selon le ch. 3414 CIRAI [ndt : dans la version antérieure au 1er janvier 2024 ; dès cette date : ch. 3418 CIRAI], selon lequel les facteurs économiques qui existaient avant la survenance de l’atteinte à la santé (statut de séjour, nationalité, absence de formation, âge, nombre d’années de service, par ex.) sont pris en compte lors de la mise en parallèle du revenu sans invalidité (Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 129 ad art. 28a LAI).

En réalité, il arrive souvent que les facteurs en question, sans avoir eu auparavant – notamment en période de plein emploi – une influence significative sur le revenu sans invalidité, ne se traduisent par une diminution du salaire qu’en cas d’invalidité. Dans ce cas, conformément à l’art. 26 al. 2 RAI, la possibilité d’un parallélisme est supprimée (faute d’une différence de salaire d’au moins 5%), ce qui ne peut plus être compensé par un abattement sur le salaire statistique, conformément à la novelle contestée ici. C’est précisément sur ces fonctions différentes des deux facteurs de correction que le Tribunal fédéral a déjà attiré l’attention dans l’ATF 146 V 16 consid. 6.2.1, en ce sens que dans le cas de la parallélisation, il faut toujours examiner les aspects liés à la personne – déjà présents dans le cas en question – alors que, dans le cas de l’abattement en raison des limitations liées au handicap, ce sont les aspects liés à l’état de santé qui ne prennent effet qu’en présence de troubles à la santé qui sont au premier plan (cf. Gächter/Meier, op. cit., ch. 54 ss ainsi que Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 3 concernant l’art. 28a LAI).

Dans ce contexte, la précision, dans le recours, qu’il s’agirait de toute façon d’aspects étrangers à l’invalidité n’est pas non plus pertinente. Ce qui est déterminant, c’est plutôt le fait qu’ils ne se manifestent souvent qu’en cas d’atteinte à la santé et qu’ils sont donc bel et bien liés à l’invalidité (cf. Gächter/Meier, op. cit., n. 55 concernant le manque de formation et d’expérience). Ainsi, l’art. 26 al. 2 RAI peut certes avoir un effet correctif là – et seulement là – où la personne assurée était déjà désavantagée par les facteurs mentionnés avant la survenance de l’atteinte à la santé, mais pas précisément dans les cas où elle est tenue de changer d’activité en raison de son état de santé et où ce n’est qu’après qu’elle subit des désavantages salariaux par rapport aux personnes en bonne santé.

Consid. 9.5.3.4.1
De l’avis de l’office fédéral recourant, les facteurs «âge» et «années de service» ne sont plus importants. Se référant au tableau T17 de l’ESS (salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les groupes de professions, l’âge et le sexe), il estime que le facteur de l’âge n’a dans aucune catégorie un effet réducteur sur le salaire. Selon la jurisprudence, l’importance du facteur de l’ancienneté diminue également dans le secteur privé, plus le profil d’exigences est faible et des rapports de travail prolongés avec un même employeur peuvent aussi avoir un impact positif sur le salaire initial auprès du nouvel employeur (cf. OFAS, rapport explicatif [p. 52 en français ; p. 54 en allemand]). Il est en revanche admis que le facteur de l’âge peut être pris en compte lors de l’examen de la mise en œuvre de la capacité de travail résiduelle sur un marché du travail équilibré (ibid., note 89 [ndt : dans la version allemande ; en français, la nbp 88 ne cite que l’arrêt du TF]).

Consid. 9.5.3.4.2
En ce qui concerne ce dernier point, la position de l’office fédéral, bien que justifiée sur le fond, ne semble finalement pas cohérente, bien qu’il faille séparer les deux aspects, ici l’inaptitude à l’emploi en raison de l’âge, là la perte de salaire (cf. à ce sujet Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 114 ad art. 28a LAI ; Ionta, op. cit., n. 203 p. 49). D’autre part, il est vrai que la jurisprudence a souligné dans un grand nombre de cas que l’importance des années de service dans le secteur privé diminue à mesure que le profil d’exigences est moins élevé (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc et la référence ; cf. p. ex. arrêt 8C_438/2022 du 26 mai 2023 consid. 4.3.5). De même, de nombreux arrêts considèrent que, notamment dans le domaine des travaux auxiliaires sur un marché du travail hypothétiquement équilibré, un âge avancé n’a pas nécessairement d’effet sur le salaire, d’autant plus que ce type de travaux est justement demandé indépendamment de l’âge (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 et les références ; arrêts 8C_215/2023 du 1er février 2024 consid. 5.2.2.2 ; 8C_375/2023 du 12 décembre 2023 consid. 7.4).

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral n’argumente plus depuis longtemps sur la base des statistiques salariales citées dans le recours (TA9 et T17), qui font état d’une augmentation de revenu à un âge avancé (cf. à ce sujet Ionta, op. cit. p. 50 n. 207 ss.). Il a plutôt laissé explicitement ouverte la question de savoir si et dans quelle mesure ces valeurs statistiques, obtenues pour l’essentiel à partir de rapports de travail stables et de longue durée, notamment dans la tranche d’âge supérieure, s’appliquent également aux assurés qui, en raison de leur invalidité, doivent se réorienter à un âge avancé (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1). Il a toutefois reconnu dans le même temps que les données statistiques disponibles ne permettaient pas non plus d’étayer de manière générale le contraire – à savoir un revenu inférieur à la moyenne pour les assurés dont la durée d’activité jusqu’à la retraite est courte (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1). Dans la doctrine, on fait remarquer à ce sujet qu’en raison de l’âge avancé, la flexibilité pour apprendre une nouvelle activité diminue fortement. En outre, les travailleurs âgés doivent supporter des charges salariales accessoires plus élevées sous la forme de cotisations patronales plus importantes, ce qui rend plus difficile pour eux de réaliser des salaires (médians) initiaux élevés dans un nouvel emploi (Gächter/Meier, op. cit., p. 19 n. 56). La jurisprudence n’a pas admis cet argument en invoquant l’absence de preuves statistiques de pertes correspondantes (cf. arrêts 8C_627/2021 du 25 novembre 2021 consid. 6.2 ; 8C_841/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.2.2.3 ; 8C_439/2017 du 6 octobre 2017 consid. 5.6.4 et les références). Tout cela ne change toutefois rien au fait qu’il existe bel et bien des exemples dans la pratique où le facteur de l’âge a été pris en compte dans le cadre d’une appréciation globale et a conduit à l’octroi ou à la confirmation d’un abattement sur le salaire statistique (arrêts 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.3.3 ; 9C_470/2017 du 29 juin 2018 consid. 4.2 ; 9C_242/2012 du 13 août 2012 consid. 3 ; 9C_390/2011 du 2 mars 2012 consid. 3 ; 9C_1030/2008 du 4 juin 2009 consid. 3 ; autres exemples chez Egli/Filippo/Gächter/Meier, op. cit. n. 502-528). Ce que la jurisprudence rejette, c’est un automatisme selon lequel une déduction est accordée sans autre à partir d’une certaine limite d’âge (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 ; cf. également SVR 2021 IV no 77, 9C_497/2020 consid. 5.2.2). En ce qui concerne le critère en question, ce sont toujours les circonstances concrètes du cas qui sont déterminantes et qui doivent être prises en compte dans l’appréciation (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1).

Consid. 9.5.3.4.3
Le Tribunal fédéral s’est prononcé dans le même sens en ce qui concerne l’ancienneté dans l’entreprise : un salaire inférieur au salaire médian en raison de l’absence d’années de service ou d’ancienneté dans l’entreprise n’est pas pris en compte. Il ne faut pas tenir compte sans autre d’un revenu brut inférieur à la valeur médiane pour le taux de l’abattement sur le salaire statistique, mais il faut également tenir compte dans de tels cas de la durée d’activité restante jusqu’à l’âge de la retraite AVS (arrêt 9C_339/2021 du 27 juillet 2022 consid. 4.5.4.3 ; Andreas Traub, Auslaufmodell « leidensbedingter Abzug », SZS 2022 p. 320 s.).

Consid. 9.5.3.4.4
Dans ce contexte, il n’est pas convaincant que l’office fédéral nie d’emblée toute pertinence aux aspects liés à l’âge ainsi qu’à ceux de l’ancienneté dans l’entreprise.

Consid. 9.5.3.5
Dans la mesure où l’office recourant se réfère ensuite à l’adaptation de l’art. 26bis al. 3 RAI intervenue à la suite de la motion 22.3377 (cf. consid. 8.3.4 supra), par laquelle le législateur aurait pour sa part montré qu’il souhaitait que le cadre de délégation de l’art. 28a al. 1 LAI soit interprété de manière large, il en résulte ce qui suit.

Consid. 9.5.3.5.1
L’application de cette disposition, adoptée le 18 octobre 2023, n’est pas en cause en l’espèce en raison de son entrée en vigueur le 1er janvier 2024 (RO 2023 635). Néanmoins, elle ne peut pas être ignorée ici. En effet, il est vrai que la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national, en tant qu’auteur de cette motion 22.3377 déposée le 6 avril 2022, se réfère à l’art. 28a al. 1 LAI ainsi qu’à l’art. 26bis RAI. Il n’est cependant pas approprié d’y voir une interprétation authentique du cadre de délégation, ni même une approbation juridiquement significative de la mise en œuvre par le Conseil fédéral.

Au contraire, il est frappant de constater que le texte de la motion contient une critique rarement vue dans sa clarté à l’égard de l’auteur de l’ordonnance, qui, malgré les avertissements de la jurisprudence (cf. ATF 142 V 178 consid. 2.5.8 ; 139 V 592 consid. 7.4) et de la doctrine, et contrairement à l’appel lancé par la motionnaire elle-même pour développer une nouvelle base d’évaluation, a «scellé cette pratique contestée» avec l’art. 25 al. 3 RAI. L’objectif principal de la motion était donc de demander le développement de bases de calcul spécifiquement adaptées aux besoins de l’évaluation de l’invalidité, en tenant compte de la proposition de la Prof. Em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler (cf. «Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn», SZS 2021 p. 287 ss), après que l’OFAS et le Conseil fédéral ont laissé entrevoir des résultats sur la faisabilité et des propositions concrètes au plus tôt pour 2025 (cf. la prise de position du Conseil fédéral du 25 mai 2022 ainsi que celle du 16 février 2022 en réponse à l’interpellation 21.4522 du CE Hannes Germann « Pourquoi le Conseil fédéral n’a-t-il pas tenu compte des avis exprimés lors de la procédure de consultation sur les barèmes de salaires utilisés par l’AI?»). Après l’adoption de la motion le 1er juin 2022, le Conseil national a suivi le Conseil des Etats le 14 décembre 2022 et a repris la version modifiée par ce dernier le 26 septembre 2022 : le Conseil fédéral a donc reçu le mandat de « mettre en œuvre, d’ici au 31 décembre 2023, une base de calcul qui, lors de la détermination du revenu avec invalidité au moyen de valeurs statistiques, tient compte des possibilités de revenu réalistes des personnes atteintes dans leur santé » (BO 2022 p. 922 s. ; BO 2022 p. 2366 ss).

Consid. 9.5.3.5.2
Dans l’ATF 148 V 174 [cf. ma traduction ici], le Tribunal fédéral a lui aussi reconnu que le Conseil fédéral devait prendre des mesures pour développer des salaires de référence conformes à l’invalidité et qu’il avait entrepris des démarches dans ce sens (cf. consid. 9. 2), ceci après avoir pris connaissance des études BASS AG du 8 janvier 2021 (auteurs : ürg Guggisberg, Markus Schärrer, Céline Gerber et Severin Bischof), de l’avis de droit «Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» du 22 janvier 2021 et des conclusions qui en découlent «akten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten ‘Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» du 27 janvier 2021 (tous deux de Gächter/Egli/Meier/Filippo) ainsi qu’avec la contribution précitée de Riemer-Kafka/Schwegler. Dans ce contexte, il a rejeté une modification de sa jurisprudence relative à l’utilisation des salaires statistiques, notamment au motif que les instruments de correction utilisés jusqu’à présent (en particulier un abattement sur les salaires statistiques pouvant aller jusqu’à 25%) permettaient également de tenir compte des écarts relevés au moyen des statistiques corrigées (loc. cit.). Et pour finir, il a explicitement considéré qu’une modification de la jurisprudence ne serait pas opportune, précisément dans la perspective du droit révisé en vigueur depuis le 1er janvier 2022. Même si la situation juridique concernant la détermination du revenu d’invalide des personnes atteintes dans leur santé n’est pas entièrement satisfaisante, il convient de retenir – selon le Tribunal fédéral – que la critique fondamentale formulée dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 et dans les conclusions du 27 janvier 2021 vise essentiellement des parties de la révision dans le domaine du DCAI (ATF 148 V 174 consid. 9.3).

Consid. 9.5.3.6
Pour conclure, il convient d’attirer l’attention sur deux autres aspects qui ne sont mentionnés ni dans l’arrêt attaqué ni dans le recours, mais qui ne sauraient être passés sous silence ici.

Consid. 9.5.3.6.1
Concernant le revenu d’invalide déterminé sur la base des statistiques, le seul facteur de déduction «travail à temps partiel» de 10% qui subsiste selon l’art. 26bis al. 3 RAI, dans la version applicable en l’espèce, ne fait pas de différence selon qu’il s’agit d’une personne exerçant une activité lucrative à plein temps ou seulement à temps partiel. Dans les deux cas, la comparaison des revenus doit être effectuée par rapport à une activité à plein temps. C’est l’évaluation de la capacité fonctionnelle qui est déterminante. Si celle-ci est de 50% ou moins pour une activité à plein temps, la déduction est accordée sans tenir compte du taux d’occupation (cf. ch. 3418 CIRAI [ndt : dans sa version antérieure au 01.01.2024] ; OFAS, rapport explicatif [ndt : p. 52 en français ; p. 54 en allemand]). Dans son commentaire, Kaspar Gerber (op. cit., n. 151 concernant l’art. 28a LAI) indique que cette déduction forfaitaire ne peut pas, dans certains cas, s’appuyer sur la table T18 de l’ESS, déterminante à cet égard, et qu’une solution plus différenciée, avec davantage d’échelons séparés par sexe, aurait été indiquée. De plus, l’abattement pour travail à temps partiel dissocie la capacité de travail partielle encore raisonnablement exigible de la présence temporelle, bien que les configurations (travail à temps partiel pour des raisons de santé et activité à temps plein avec une capacité de rendement réduite) ne soient pas comparables (cf. arrêt 9C_708/2009 du 19 novembre 2009, consid. 2.5.1 et les références).

Consid. 9.5.3.6.2
D’un point de vue fondamental, les éléments suivants sont en outre importants. Le législateur lui-même n’a pas abordé la thématique dont il est question ici de manière générale, mais dans une loi spéciale, et ce exclusivement dans le cadre de la LAI. Cela est surprenant dans la mesure où il s’agit de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA (cf. art. 28a al. 1, première phrase, LAI), qui s’applique non seulement directement à l’assurance-invalidité, mais également au domaine de l’assurance-accidents sociale ainsi qu’à l’assurance militaire et – indirectement via l’art. 23 LPP – aussi à celui de la prévoyance professionnelle (cf. à ce sujet de manière générale : Moser-Szeless, op. cit., N. 7 ss ad art. 16 LPGA; Frey/Lang, in: Basler Kommentar zum Allgemeinen Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 2 zu Art. 16 ATSG; avec référence à la situation juridique avant la LPGA : Ueli Kieser, ATSG-Kommentar, 4. Aufl. 2020, N. 10 zu Art. 16 ATSG; cf. ensuite N. 133 ss, 156 concernant l’uniformité du degré d’invalidité). Du point de vue de l’unité nécessaire de l’ordre juridique, à laquelle il convient d’accorder de l’importance dans le cadre d’une interprétation systématique (ATF 147 V 114 consid. 3.3.1.4 ; 143 II 8 consid. 7.3 et les références), cela soulève des questions de grande portée et très pertinentes pour la pratique. En particulier dans le domaine du droit de l’assurance-accidents, les principes connus du droit de l’assurance-invalidité sont appliqués quotidiennement par analogie lors de l’évaluation de l’invalidité (cf. parmi d’autres : ATF 148 V 419 consid. 5.2). La question de savoir comment cela doit être traité sous le régime du RAI révisé (et en l’absence d’équivalent au niveau de l’OLAA) reste ouverte. Dans le même temps, la question se pose de savoir ce que cela signifie pour l’interprétation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI qui fait l’objet du présent litige.

 

Consid. 10
Après cet état des lieux, il faut procéder à une évaluation et à une synthèse finales.

Consid. 10.1
Au regard des principes établis par la jurisprudence antérieure, notamment depuis l’ATF 126 V 75, l’art. 26bis al. 3 RAI (dans sa version du 3 novembre 2021), qui est le seul à être examiné ici, ne pourrait pas être maintenu selon l’interprétation défendue par l’OFAS, car cela abandonnerait largement la possibilité d’abattement sur le salaire statistique qui existait jusqu’ici. Toutefois, rien dans le texte de la loi n’empêche formellement le législateur d’édicter une telle ordonnance. En effet, malgré le texte de l’art. 28a al. 1 LAI («les facteurs de correction»), le Conseil fédéral conserve une large marge de manœuvre dans la mise en œuvre et sa concrétisation. Dans ce contexte, les documents législatifs, et en particulier le «message» littéralement transmis par le Conseil fédéral avec le projet de loi (cf. consid. 9.4.1.1 supra) ainsi que les rares interventions pertinentes lors des débats parlementaires (cf. consid. 9.4.1.2 supra), revêtent une importance particulière. Les références à la jurisprudence et au Tribunal fédéral, ainsi que l’indication que la méthode de détermination du degré d’invalidité resterait fondamentalement inchangée, suggèrent que le législateur avait et pouvait avoir d’autres attentes quant à la mise en œuvre dans le RAI de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI.

Consid. 10.2
Les efforts visant à obtenir un résultat aussi concret possible dans l’évaluation de l’invalidité en fonction du cas d’espèce, tels que reflétés dans la jurisprudence relative à l’art. 16 LPGA (cf. consid. 9.5.1 supra), n’ont pas été restreints par la récente révision de la LAI. De même, la nécessité des facteurs de correction, confirmée par le législateur formel et sous-tendant la jurisprudence antérieure, n’est pas remise en question. Cela s’explique par le fait que les valeurs centrales saisies dans les statistiques salariales ne peuvent pas être utilisées « telles quelles » [ndt : en français dans l’arrêt] comme revenu d’invalidité, c’est-à-dire sans correction et sans tenir compte des circonstances concrètes du cas (cf. déjà BBI 2017 2668 ; cf. également FF 2017 2493/f et FF 2017 2324/i ; consid. 9.3, 9.4.3 et 9.5.3.5.2 supra). C’est ce que confirme notamment de manière marquante l’adaptation de l’art. 26bis al. 3, première phrase, RAI, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, à la suite de la motion 22.3377 (cf. consid. 9.5.3.5.1 supra).

Consid. 10.3
Un autre élément d’interprétation important est l’unité de l’ordre juridique à laquelle il faut aspirer (cf. consid. 9.5.3.6.2 supra), qui revêt ici une importance particulière, car il s’agit de l’application d’une norme fédérale qui vise l’harmonisation (art. 16 LPGA) et qu’il s’agit de conséquences dans un contexte matériel étroit (en matière de droit des assurances sociales). En effet, parce que le législateur a placé la délégation pour l’adoption de règlements supplétifs au niveau de la loi spéciale, dans le domaine de l’évaluation de l’invalidité qui doit être réalisée selon des règles uniformes entre les différentes branches (cf. art. 16 LPGA, auquel renvoie précisément l’art. 28a al. 1, première phrase, LAI), des limites sont fixées au pouvoir réglementaire. Il ne peut ainsi pas légiférer d’une manière qui, par rapport à l’ordre existant et a fortiori par rapport aux autres branches (non incluses dans la révision), présente des différences importantes et injustifiables sur le fond. Selon l’interprétation de l’art. 26bis al. 3 RAI telle que défendue par l’autorité de surveillance, c’est-à-dire comme une réglementation exhaustive concernant l’abattement proprement dit sur le salaire statistique (ch. 3414 CIRAI), l’invalidité ne pourrait plus être évaluée de manière identique dans le domaine de l’assurance-accidents et de l’assurance militaire (également fondé sur un système de rente linéaire [ndt : au pour-cent près]). Il est difficile d’imaginer que l’on puisse remédier à cela par voie de jurisprudence praeter legem («en dehors de la loi») en appliquant par analogie l’art. 26bis al. 3 RAI. Une telle coexistence de différentes méthodes de correction conduirait, selon la branche, à des résultats divergents dans un nombre non négligeable de cas, sans qu’aucune raison objective ne puisse être identifiée.

 

Consid. 10.4
D’autres réflexions, notamment sur le contenu et le but, viennent s’y ajouter. A cet égard, on peut noter d’emblée que l’OFAS semble également s’orienter de son côté vers un critère d’évaluation de l’«adéquation» [« Sachgerechtigkeit »] (cf. consid. 8.3.3 supra).

Consid. 10.4.1
Il convient tout d’abord de préciser qu’il ne s’agit pas de questions d’équité économique ou politique, sur lesquelles le Tribunal fédéral n’a pas à se prononcer (cf. consid. 9.1 supra). Il s’agit plutôt du sens et de l’objectif des dispositions concernées, à savoir l’art. 28a LAI en lien avec l’art. 16 LPGA, ainsi que de la pratique établie par la concrétisation judiciaire des normes (cf. Meyer/Reichmuth, N. 16 ad Art. 28a IVG). En d’autres termes, l’art. 26bis al. 3 RAI doit être examiné non seulement pour vérifier s’il s’inscrit dans le cadre de la délégation et s’il ne viole pas le droit constitutionnel fédéral (notamment l’art. 8 al. 1 et l’art. 9 Cst.), mais aussi pour sa compatibilité avec d’autres dispositions (légales) fédérales (cf. consid. 9.1 supra).

Consid. 10.4.2
Le Tribunal fédéral ne méconnaît pas que le passage au système de rente linéaire a fondamentalement transformé le droit des rentes de l’AI. Cependant, cela n’implique pas un véritable changement de paradigme, comme le montre le fait que ce même système fonctionne depuis longtemps dans d’autres branches de l’assurance sociale. Il n’est donc pas justifié de motiver la suppression quasi totale de l’abattement sur le salaire statistique par ce changement de système (cf. consid. 9.5.2 supra). En particulier, le système de rente linéaire ne rend pas obsolète la nécessité de facteurs de correction efficaces. D’une part, un seuil d’accès inchangé de 40%, qui reste élevé, pour le droit à la rente AI nécessite des bases de calcul précises. D’autre part, des données statistiques sur les salaires insuffisamment corrigées ne permettent pas non plus d’atteindre la précision recherchée par le système de rente linéaire. Enfin, vouloir limiter le nombre de litiges par le biais d’une réglementation uniforme ne s’avère pas réaliste non plus. De nouvelles réglementations conduisent inévitablement à l’émergence de nouveaux domaines de conflit et de litiges correspondants, sans qu’il soit possible de prévoir de manière fiable leur ampleur.

Il est toutefois compréhensible de vouloir délimiter au niveau réglementaire le large pouvoir d’appréciation de l’utilisateur du droit. Cela nécessite une certaine schématisation et standardisation. Cela porte atteinte à l’objectif de l’art. 16 LPGA, qui vise une évaluation aussi précise que possible des revenus à comparer, mais doit être accepté pour éviter également une application inégale du droit dans un cadre approprié.

Consid. 10.4.3
Dans le présent contexte, des limites s’imposent nécessairement à l’auteur de l’ordonnance, en dehors de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement déjà interdits, lorsque ses dispositions contreviennent à des buts légaux. C’est le cas en l’occurrence de l’art. 26bis al. 3 RAI critiqué par l’instance précédente. La vue d’ensemble défendue par l’office recourant n’y change rien. En effet, il méconnaît que l’instrument composé de divers facteurs de correction n’est pas conçu et harmonisé de manière à répondre suffisamment, dans tous les cas, au besoin incontesté de correction lors de l’utilisation des revenus issus de la statistique des salaires. En d’autres termes, la suppression des facteurs d’abattement, à l’exception d’un seul, n’est pas suffisamment compensée dans le large éventail de constellations possibles. Comme exposé (cf. consid. 9.5.3.3 supra), une correction fait défaut lorsque la parallélisation ne peut s’appliquer, car le revenu sans invalidité est inférieur de moins de 5% à la valeur centrale de l’ESS (art. 26 al. 2 RAI) et qu’en même temps, aucun abattement ne doit être effectuée sur le revenu invalide, car une capacité de travail de plus de 50% est reconnue (art. 26bis al. 3 RAI). L’art. 49 al. 1bis RAI n’apporte pas non plus de solution ici (cf. consid. 9.5.3.2 supra), car cette disposition – déjà par son libellé, mais aussi par sa nature – ne permet pas d’intégrer des aspects économiques liés au marché du travail dans l’évaluation médicale. S’il existe des motifs médicaux de réduction, ceux-ci doivent bien entendu être intégrés dans l’évaluation correspondante, sans qu’il faille ensuite en tenir compte une nouvelle fois dans le cadre de l’abattement (ATF 148 V 174 V consid. 6.3; 146 V 16 consid. 4.1 s.; arrêt 9C_339/2021 du 27 juillet 2022 consid. 4.5.2 in fine ; vgl. auch Traub, a.a.O., S. 322 am Ende). Il en est de même entre les motifs de parallélisation et d’abattement (ATF 134 V 322 consid. 5.2 et 6.2 ; Meyer/Reichmuth, op. cit., N. 129 zu Art. 28a IVG).

Consid. 10.5
Le jugement du Tribunal administratif bernois, présenté par l’OFAS, ne parvient pas à réfuter le résultat d’interprétation soutenu ici. Dans ce jugement, les informations contenues dans le message concernant l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI sont interprétées de manière plus réservée qu’ici, sans qu’il soit nécessaire d’approfondir davantage. Surtout, il n’y a pas d’examen approfondi des éléments d’interprétation utilisés dans le cas présent, ni des autres dispositions légales (art. 16 LPGA). En fait, le Tribunal administratif bernois s’est essentiellement limité, après avoir rejeté une lacune véritable ou de politique juridique, à un examen de l’arbitraire et de la violation de l’égalité de droit, ce qu’il a nié.

Consid. 10.6
En résumé, il résulte de l’interprétation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, en tenant compte de l’art. 16 LPGA et d’éléments historiques, grammaticaux, systématiques et téléologiques, que l’art. 26 bis al. 3 RAI ne résiste pas au droit fédéral en ce qui concerne le caractère exhaustif qu’il entend donner à l’abattement sur le salaire statistique. Le point de vue défendu par l’OFAS dans son recours doit donc être rejeté dans la mesure où, sur la base des circonstances du cas d’espèce, en tenant compte de l’art. 26 al. 2 et de l’art. 26bis al. 3 RAI ainsi que de la capacité fonctionnelle qualitative et quantitative déterminée médicalement au sens de l’art. 49 al. 1bis RAI, il existe un besoin de correction supplémentaire. Dans ce cas, il convient, en ce qui concerne les facteurs à prendre en compte et leur pondération, de recourir à titre complémentaire aux principes jurisprudentiels actuels, et ce, faute d’alternative disponible sous forme de salaires de référence corrigés (cf. ég. les éléments discutés dans l’arrêt 8C_182/2023 du 17 avril 2024 consid. 4.3.2.3). De cette manière, l’art. 26bis al. 3 RAI, dans la version examinée ici, en vigueur jusqu’à fin 2023 et déjà à nouveau modifiée à partir de janvier 2024 (cf. consid. 10.2 supra), peut être appliqué conformément à la loi, sans que cela ne contrevienne à son libellé.

En conséquence, on ne saurait critiquer le fait que l’instance cantonale ait utilisé, en plus de l’art. 26bis al. 3 RAI, le correctif traditionnel de l’abattement sur le salaire statistique conformément à la jurisprudence actuelle. Hormis les réserves juridiques de principe que nous venons d’évoquer, le recours ne soulève aucune objection concrète à l’encontre du calcul de cet abattement (15%). Cela n’est pas non plus manifeste, raison pour laquelle il faut s’en tenir là et les autres étapes de calcul restent inchangées. Le droit de l’assuré à une rente entière (dès février 2019) et à une rente de 59% d’une rente entière (dès juin 2022) est donc maintenu.

Le TF rejette le recours de l’OFAS.

 

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

 

Commentaires et remarques

Ce long arrêt du Tribunal fédéral doit être salué à plus d’un titre. Je relèverai ces quelques points.

Notre Haute Cour rappelle de grandes notions relatives à la détermination des revenus à comparer (avec et sans invalidité) ainsi que sur le but et le sens de l’assurance-invalidité. A titre personnel, je note, au consid. 9.5.1, cette évidence : « Im Versicherungsfall steht der oder die einzelne versicherte Person im Fokus » (En cas de survenue d’un cas d’assurance, c’est la ou les personnes assurées qui sont au centre des préoccupations).

Concernant les tâches ressortant – ou non – de la compétence des médecins du SMR, je relevais en 2022 qu’il ne revient pas au médecin de procéder à des corrections sur le salaire réalisable (et donc en finalité sur le revenu d’invalide) par le biais d’une adaptation de l’évaluation médico-théorique de l’incapacité de travail (David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, n. 300).

Un autre élément qui ressort clairement est que les données de l’ESS ne suffisent pas à elles seules et que l’application de facteurs de correction est indispensable. A ce sujet, le Tribunal fédéral souligne que le législateur avait et pouvait avoir d’autres attentes quant à la mise en œuvre dans le RAI de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI. Il rappelle que l’instrument composé de divers facteurs de correction n’est pas conçu de manière à répondre suffisamment, dans tous les cas, au besoin incontesté de correction lors de l’utilisation des revenus issus de la statistique des salaires.

Le Tribunal fédéral a, à juste titre, rappelé le contexte du DCAI. En suivant l’interprétation faite par l’OFAS, l’évaluation de l’invalidité par l’AI pouvait produire des résultats très différents de ceux de l’assurance-accidents pour les mêmes conséquences d’un accident (David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, n. 377).

Les deux principaux domaines touchés par l’art. 16 LPGA sont l’assurance-invalidité et l’assurance-accidents. Il est essentiel que l’OFAS, qui supervise l’assurance-invalidité, et l’OFSP, qui gère l’assurance-accidents, entament un dialogue pour parvenir à une solution satisfaisante pour toutes les parties concernées, principalement les personnes assurées et les assureurs sociaux. Ces offices seraient bien avisés de reprendre leur réflexion à partir des points soulevés par Gabriela Riemer-Kafka et Urban Schwegler (Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn, in RSAS 6/2021, p. 287 ss).

 

 

Proposition de citation : 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/08/8c_823-2023)

 

 

9C_487/2022 (f) du 03.06.2024 – Nouvelle demande AI / Notion de maladie – Syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM) / SCM non inscrit dans la CIM – Consensus scientifique sur la réalité du trouble et des symptômes le caractérisant

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_487/2022 (f) du 03.06.2024

 

Consultable ici

 

Nouvelle demande de prestations / 87 RAI – 17 LPGA

Notion de maladie – Syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM) et intolérance environnementale idiopathique (IEI)

SCM non inscrit dans la CIM – Consensus scientifique sur la réalité du trouble et des symptômes le caractérisant

 

Assurée, née en 1961, est au bénéfice d’un diplôme d’enseignante d’orgue électronique et a donné des cours de musique à titre indépendant. En novembre 1997, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité, invoquant un asthme bronchique responsable d’infections pulmonaires à répétition. Sur la base d’une expertise réalisée par un spécialiste en médecine interne générale et en pneumologie (rapport du 17.07.2000), l’office AI a rejeté la demande, par décision du 24.08.2000, en l’absence de maladie physique ou psychique propre à entraîner une diminution permanente de la capacité de gain. Par jugement du 12.07.2001, le tribunal cantonal a rejeté le recours que l’assurée avait formé contre cette décision.

Le 11.10.2017, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations, invoquant des allergies à diverses substances et des problèmes respiratoires.

L’office AI a recueilli l’avis de la Dre C.__, spécialiste en médecine interne générale et médecin traitant, qui a notamment indiqué que la santé de sa patiente avait subi une aggravation progressive surtout depuis 10 ans et qu’elle souffrait d’un syndrome de sensibilité chimique multiple à l’origine d’une capacité de travail n’excédant pas 30%. L’assurée a aussi déposé des avis médicaux émanant du Dr D.__, spécialiste en génétique médicale, du Prof E.__, spécialiste en allergologie et immunologie et du Dr G.__, spécialiste en médecine interne et en phlébologie.

Le Dr H., médecin du SMR spécialisé en médecine interne et rhumatologie, a diagnostiqué chez l’assurée une pathologie immuno-allergique rare, provoquant des réactions allergiques à de nombreuses substances courantes. Compte tenu du caractère controversé de ce syndrome, il a recommandé une expertise psychiatrique. Le Dr I., psychiatre mandaté par l’office AI, n’a identifié aucun trouble psychiatrique et a conclu à une capacité de travail entière. Le Dr J., également médecin du SMR, a approuvé cette évaluation du Dr I..

Par décision du 25.11.2019, l’office AI a nié le droit à des prestations de l’assurance-invalidité (mesures professionnelles et rente), car la situation de l’assurée ne s’était pas modifiée de manière à influencer ses droits depuis la décision du 24.08.2000.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 7/20 – 285/2022 – consultable ici)

Par jugement du 15.09.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Se référant à un arrêt 8C_165/2007 du 5 mars 2008, les juges cantonaux ont retenu que la notion de syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM), également désigné par l’expression d’intolérance environnementale idiopathique (IEI) est fortement controversée dans la doctrine médicale spécialisée. D’après cette dernière, l’IEI correspond à une description clinique regroupant des symptômes d’étiologie inconnue attribués par les patients à de multiples expositions environnementales, lorsque toutes les autres explications médicales ont été exclues. Selon l’avis médical pris en compte dans l’affaire précitée, il existe de plus en plus de preuves à l’appui de la thèse selon laquelle l’IEI est souvent le résultat de crises de panique provoquées par des stimuli olfactifs conditionnés psychologiquement.

Par ailleurs, l’instance précédente s’est référée à une publication, qu’elle a considérée comme sérieuse et exhaustive, de l’Institut national de santé publique du Québec du 29 juin 2021 (Gaétan Carrier [coordinateur]/Marie-Ève Tremblay/Rollande Allard et al., Syndrome de sensibilité chimique multiple, une approche intégrative pour identifier les mécanismes physiopathologiques, Rapport de recherche de la Direction de la santé environnementale et de la toxicologie de l’Institut national de santé publique du Québec, juin 2021 [ci-après: étude québécoise). Selon cette publication, les altérations observées (altération de l’humeur et des fonctions cognitives, troubles du sommeil, fatigue, perte de motivation et anhédonie) ne sont pas propres au syndrome de sensibilité chimique multiple; elles sont rapportées dans la fatigue chronique, le syndrome de stress post-traumatique, l’électrosensibilité, la fibromyalgie, la dépression, les troubles de somatisation, les troubles phobiques et le trouble panique; tous ces troubles ont en commun la présence d’anxiété chronique, ce qui permet d’expliquer l’ensemble des symptômes du syndrome de sensibilité chimique multiple car les mêmes altérations et dysfonctionnements y sont trouvés et mesurés. Pour la juridiction cantonale, cette recherche autorise à appliquer au syndrome de sensibilité chimique multiple la jurisprudence en matière de syndrome sans pathogenèse ni étiologie claire et sans constat de déficit organique (cf. ATF 141 V 281), ce d’autant que les parties n’ont opposé aucun avis médical contraire à cette étude.

 

Consid. 3.1
Plusieurs médecins se sont exprimés sur l’état de santé de l’assurée. La Dre C.__ a attesté que l’assurée souffrait d’un syndrome de sensibilité chimique multiple à l’origine d’une capacité de travail n’excédant pas 30%; elle a fait état de réaction à certaines odeurs provoquant une dyspnée ou crise d’asthme, un gonflement du visage érythémateux, des céphalées, des troubles de la concentration, une faiblesse musculaire et des palpitations. De son côté, le Prof E.__ a aussi mentionné ce syndrome qu’il a mis en relation avec le diagnostic d’hyperréactivité des muqueuses. Ce médecin a évoqué divers symptômes diffus, tels que des vertiges, maux de tête, troubles de la concentration, toux, difficultés respiratoires, ainsi que des troubles circulatoires, indiquant que leur origine découlait probablement de la présence d’odeurs dans la maison de l’assurée; il ne s’est pas exprimé sur la capacité de travail. Le Dr G.__ a attesté une sensibilité accrue à des produits chimiques présents dans l’environnement, en particulier la diffusion de parfums, qui affectent la mémoire et le sens de l’orientation de sa patiente. Il a aussi diagnostiqué un asthme allergique, ce que le Dr H.__ a également relevé en indiquant que l’assurée développait des réactions allergiques (notamment respiratoires) angoissantes à l’exposition de substances volatiles. Quant au Dr I.__, il a conclu à l’absence de tout diagnostic psychiatrique: les quelques indices (tendance neurasthénique, tendance obsessionnelle), faibles et non systématisés, ne suffisaient pas pour établir une véritable hypothèse diagnostique et encore moins pour retenir un trouble ayant un impact sur la capacité de travail. L’expert a précisé qu’il avait été frappé par l’absence d’observation, le testing (psychométrique) lors d’une exposition, proposé par le Dr G.__, n’avait jamais été effectuée.

Consid. 3.2.1
Le syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM) a été décrit par l’étude québécoise (p. 3) comme un trouble chronique, caractérisé par de multiples symptômes récurrents non spécifiques; les symptômes du SCM sont mal définis, associés à divers systèmes organiques et seraient provoqués ou exacerbés lors d’une exposition à des odeurs présentes dans l’environnement courant à de faibles concentrations, lesquelles sont tolérées par la plupart des gens. Médicalement, ce syndrome est considéré comme une pathologie inexpliquée dont le diagnostic est posé après une investigation clinique servant à exclure toute autre affection pouvant expliquer les symptômes; il s’agit d’un diagnostic d’exclusion (étude québécoise, p. 9). Parmi les symptômes dont se plaignent les personnes concernées, sont évoqués des symptômes neuropsychiatriques (troubles de la mémoire, troubles de concentration, fatigue et épuisement, etc.), des douleurs comme des céphalées ou des arthralgies, des symptômes gastro-intestinaux, sensoriels, neurovégétatifs et cutanés (étude québécoise, p. 63).

Comme l’ont retenu à juste titre les juges cantonaux, le syndrome de sensibilité chimique multiple diagnostiqué par les médecins traitants de l’assurée ne constitue pas une maladie reconnue dans la Classification internationale des maladies de l’OMS (CIM), qui ne comporte pas de code y relatif (CIM-10-German Modification). Des tentatives de faire inscrire le SCM au CIM n’ont pas abouti (voir par exemple, les propositions de déclarer le SCM sous un code singulier T78.5 faites au Bundesministerium für Gesundheit [Ministère allemand pour la santé] en 2018, www.dimdi.de, sous Klassifikationen/Downloads/ICD-10-GM/Vorschläge/2019). En Allemagne, le code T.78.4 CIM-10-GM (Allergie, sans précision) est utilisé pour appréhender le SCM, le code F45.0 (Somatisation) ayant également été évoqué (Katharina Harter/Gertrud Hammel/Megan Fleming/Claudia Traidl-Hoffmann, Multiple Chemikaliensensibilität [MCS] – Ein Leitfaden für die Dermatologie zum Umgang mit Betroffenen, Journal der Deutschen Dermatologischen Gesellschaft, 2020, p. 124).

Consid. 3.2.2
Les objectifs de l’étude québécoise, effectuée sur mandat du Ministère de la Santé et des Services sociaux à l’Institut national de santé publique du Québec, ont été d’identifier les mécanismes physiopathologiques qui permettraient d’expliquer le syndrome SCM au moyen d’une approche qui intègre l’ensemble des différentes recherches sur toutes les hypothèses proposées et de vérifier, dans le cas où de tels mécanismes ont été identifiés, si l’exposition à des produits chimiques odorants, présents dans l’environnement à de faibles concentrations, pourrait en être la cause (p. 3 de l’étude).

Au terme d’une analyse de plus de 4’000 articles de la littérature scientifique, les auteurs de l’étude québécoise ont dégagé plusieurs constats, qu’ils ont présentés sous le titre « Messages clés »: depuis les années 2000, les avancées réalisées en neurosciences et dans les techniques de mesure des paramètres biologiques et de l’imagerie cérébrale fonctionnelle ont apporté de nouveaux éléments permettant de mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques de la SCM; ces avancées confirment que le psychique est absolument indissociable du biologique et du social; les personnes atteintes voient les odeurs comme une menace à leur santé, et la détection de celles-ci provoque chez elles des symptômes de stress aigu, qui se manifestent par des malaises qu’elles attribuent aux produits chimiques associés à l’odeur; cette cascade de réactions provoque des altérations biologiques du fonctionnement normal de l’organisme dans les systèmes immunitaire, endocrinien et nerveux; le système nerveux est altéré principalement dans les structures du système lymbique impliqué dans l’émotion, l’apprentissage et la mémoire; l’ensemble des altérations observées (altération de l’humeur et des fonctions cognitives, troubles du sommeil, fatigue, perte de motivation et anhédonie) explique la chronicité et la polysymptomatologie rapportées par les personnes atteintes de SCM; ces altérations ne sont pas propres au syndrome SCM et sont rapportées dans la fatigue chronique, le syndrome de stress post-traumatique, l’électrosensibilité, la fibromyalgie, l’anxiété chronique et la dépression, les troubles de somatisation, les troubles phobiques et le trouble panique, tous ces troubles ayant en commun la présence d’anxiété chronique; l’anxiété chronique permet d’expliquer l’ensemble des symptômes du syndrome SCM, les mêmes altérations et dysfonctionnements y étant trouvés et mesurés; à la longue, la répétition presque inévitable de ces épisodes de stress aigu entraîne chez les personnes atteintes le développement d’une neuroinflammation, d’un stress oxydatif et conséquemment une anxiété chronique; sur la base de ces nouvelles connaissances, les auteurs invalident l’hypothèse d’une association entre le SCM et la toxicité des produits chimiques trouvés aux concentrations habituelles; cependant, les perturbations biologiques chroniques observées, la sévérité des symptômes ressentis, les impacts sociaux et professionnels en résultant pour les personnes atteintes et la forte prévalence du syndrome SCM en font un réel enjeu de santé (« Messages clés », p. 1 s.).

Consid. 3.2.3
L’étude québécoise met aussi en évidence que le sujet du SCM divise deux écoles de pensées médicales, la première « psychologique » (« psychological school of thought » [cf. Adrianna Tetley, Do no harm: Multiple chemical sensitivity is not psychological, J. Allergy Clin Immunol Pract 2024, p. 266]) définissant ce syndrome comme une anxiété (p. ex. Karen E. Binkley, Multiple Chemical Sensitivity/Idiopathic Environmental Intolerance: A Practical Approach to Diagnosis and Management, J. Allergy Clin Immunol Pract. 2021, p. 3645 ss, à laquelle se réfère Tetley, op. cit.); la seconde, « biophysique-toxicologique » (« biophysical-toxicologic school of thought »), voit ce syndrome comme un trouble environnemental grave, complexe et récurrent avec un processus pathologique ayant des symptômes et signes notamment neurologiques, immunologiques, dermatologiques et allergiques (p. ex. Shahir Mari/Claudia S. Miller/Raymond F. Palmer/Nicholas Ashford, Perte de tolérance induite par les substances toxiques pour les produits chimiques, les aliments et les médicaments: évaluation des modèles d’exposition derrière un phénomène mondial [traduction française], Environ Sciences Europe 2021, 33, p. 1 ss, auxquels se réfère Tetley, op. cit.).

Consid. 3.2.4
À ce stade de la controverse médicale, et en l’espèce, le Tribunal fédéral n’a pas à prendre position sur celle-ci. Il suffit de constater que la science médicale reconnaît en tous les cas la survenance d’un trouble chronique ou mécanisme pathologique sous la forme de symptômes récurrents non spécifiques, semblables à ceux de l’allergie (qui ne correspondent cependant pas à la définition classique de l’allergie), observés, provoqués ou exacerbés, lors d’expositions à des odeurs (ou à des produits chimiques) présentes dans l’environnement à de faibles concentrations (qui sont tolérées par la majorité des gens). Ce trouble peut, selon le degré de sévérité des symptômes, affecter le fonctionnement normal des personnes atteintes.

Même si ce trouble n’est pas catégorisé en tant que tel dans la CIM ni saisi sous un code CIM singulier, il est, selon les pratiques médicales, décrit sous les codes T78.4 ou F45.0, ce qui reflète le débat mené par la science médicale sur sa nature somatique ou psychosomatique (sur les deux modèles, voir aussi Heinz Bolliger-Salzmann et al., Evaluation des MCS-Pilotprojetks der Wohnbaugenossenschaft Gesundes Wohnen MCS, Eine explorative Studie, Schlussbericht, mars 2015, p. 15 ss [Office fédéral du logement OFL; www.bwo.admin.ch, sous Le logement aujourd’hui/Études et publications »Le logement aujourd’hui »]). Nonobstant ce débat, et l’absence d’attribution d’un code CIM particulier, la réalité du trouble et des symptômes le caractérisant font l’objet d’un consensus scientifique, aucune des études consultées ne mettant en doute l’existence d’une pathologie pouvant, selon le degré de gravité, occasionner des limitations dans les fonctions de la vie courante et l’environnement professionnel. Dès lors que ce trouble peut être décrit selon une définition largement reconnue dans le milieu médical, en référence à un code CIM-10 somatique ou psychique, en fonction des pratiques et courants médicaux, on peut admettre qu’il repose sur un diagnostic pouvant être établi en fonction de critères médicaux suffisants, dont la validité peut être contrôlée (sur l’importance, sous l’angle juridique, d’un diagnostic posé lege artis sur les critères d’un système de classification reconnu, cf. ATF 141 V 281 consid. 2.1).

Consid. 3.2.5
Il y a lieu, ensuite, de relever que le diagnostic en cause constitue un diagnostic d’exclusion, qui ne peut être posé qu’à l’issue d’un examen interdisciplinaire du cas particulier, une évaluation consensuelle et l’exclusion d’autres causes des troubles (Harter et al., op. cit., p. 124). Différents schémas d’évaluation ont été proposés (cf. Harter et al., op. cit., p. 122, tableau 1 « Konsensus-Kriterien zur Definition von multipler Chemikaliensensibilität [MCS]; Giovanni Damiani et al., Italian Expert Consensus on Clinical and Therapeutic Management of Multiple Chemical Sensitivity [MCS], International Journal of Environmental Research and Public Health 2021, 18, p. 5).

Or une telle évaluation n’a pas eu lieu en l’occurrence. En particulier, l’expertise psychiatrique a été rendue sans qu’il y ait eu un échange avec les médecins traitants (somaticiens) de l’assurée. Elle relève en outre, quoi qu’en dise la juridiction cantonale, d’une approche superficielle de la problématique médicale en cause. Ainsi, l’expert s’est limité à de strictes constatations sur l’attitude de l’assurée pendant son entretien, au sujet duquel il a indiqué que « par la force des choses et imposées par l’assurée, nous étions dans un entretien extrêmement précis et rapide et Mme A.__ a répondu à cela avec autant de précision et de rapidité que possible ». Il n’a pas pris position sur les limitations rapportées par l’assurée en relation avec son hypersensibilité, dont elle a donné un exemple en signalant son inconfort à cause de certaines émanations et odeurs sur le lieu de l’examen.

Consid. 3.3
Dans ces circonstances, la mise en œuvre d’une expertise médicale pluridisciplinaire, incluant notamment les volets immunologique, allergologique, pneumologique et psychiatrique, s’impose. Ce complément d’instruction est de la compétence de l’office AI, auquel la cause est renvoyée à cette fin et à l’issue duquel il se prononcera une nouvelle fois sur le droit éventuel de l’assurée à une rente d’invalidité, prestation dont elle demande l’octroi à partir du 01.01.2018. La conclusion subsidiaire du recours est bien fondée.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_487/2022 consultable ici

 

9C_744/2023 (f) du 10.06.2024 – Délai de paiement de l’avance de frais – Demande d’assistance judiciaire / Pas de formalisme excessif du tribunal cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_744/2023 (f) du 10.06.2024

 

Consultable ici

 

Délai de paiement de l’avance de frais – Demande d’assistance judiciaire adressée à l’autorité insuffisamment ou non motivée par l’assuré assisté d’un avocat / 61 let. fbis LPGA – 69 al. 1bis LAI – 47 al. 2 LPA-VD

Pas de formalisme excessif du tribunal cantonal

 

Par décision du 23.06.2023, l’office AI a rejeté une demande de prise en charge des frais d’un perfectionnement professionnel déposée par l’assurée.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 240/23 – 282/2023 – consultable ici)

Le 30 août 2023, l’assurée a adressé au tribunal cantonal, un « Mémoire de recours » à l’encontre de la décision du 23.06. 2023.

Par ordonnance du 04.09.2023, le juge instructeur a imparti à l’assurée un délai échéant au 02.10.2023 pour verser une avance de frais de CHF 600, à peine d’irrecevabilité du recours ; il était précisé que ce délai pouvait être prolongé sur requête, respectivement que l’assistance judiciaire pouvait être accordée à certaines conditions, la demande devant être présentée à la Cour des assurances sociales.

Le 29.09.2023, l’assurée a requis une prolongation du délai de paiement de l’avance de frais, car elle était « en train de réunir les pièces nécessaires au dépôt d’une demande d’assistance judiciaire ». Par ordonnance du 03.10.2023, le juge instructeur a accordé à l’assurée une « unique prolongation de délai » au 18.10.2023 pour effectuer l’avance de frais. Par écriture de ce jour-là, l’assurée a fait savoir qu’une demande d’assistance judiciaire avait été adressée postérieurement au dépôt du recours, que cette demande était en cours, et qu’elle était toujours dans l’attente des pièces en cause ; elle se voyait donc contrainte de requérir une nouvelle prolongation de délai « dans l’attente qu’il soit statué sur la demande d’assistance judiciaire ».

Par arrêt du 25.10.2023, la juridiction cantonale a déclaré le recours irrecevable.

 

TF

Consid. 5.1
L’autorité cantonale a constaté qu’elle n’avait pas été saisie d’une demande d’assistance judiciaire, ce qui est exact à la lecture du dossier cantonal. Devant le Tribunal fédéral, la recourante admet qu’elle n’a pas formellement déposé une telle demande, exposant qu’elle était dans l’attente des pièces devant accompagner le formulaire de demande d’assistance judiciaire.

Consid. 5.1.1
Il convient de distinguer l’éventualité où une demande d’assistance judiciaire adressée à l’autorité est insuffisamment ou non motivée, de l’absence de dépôt d’une telle requête.

Consid. 5.1.2
Le Tribunal fédéral a récemment rappelé que dans le cas où une requête d’assistance judiciaire est lacunaire, le juge doit inviter la partie à compléter les informations et les pièces fournies. Ce devoir d’interpellation vaut avant tout pour les personnes non assistées d’un mandataire professionnel et juridiquement inexpérimentées. En revanche, lorsque le plaideur est assisté d’un avocat ou est lui-même expérimenté, l’obligation de collaborer est accrue dans la mesure où il a connaissance des conditions nécessaires à l’octroi de l’assistance judiciaire et des obligations de motivation y relatives. Dans cette dernière éventualité, le juge n’a pas d’obligation d’octroyer un délai supplémentaire à la partie pour compléter sa requête d’assistance judiciaire lacunaire ou imprécise (ATF 120 Ia 179 consid. 3a; arrêt 5A_327/2017 du 2 août 2017 consid. 4.1.3 et les références citées; ordonnance 9C_160/2024 du 6 juin 2024 consid. 3).

Consid. 5.1.3
A fortiori, on doit admettre qu’il en va de même lorsqu’un assuré indique qu’il est en train de recueillir des pièces nécessaires au dépôt d’une demande d’assistance judiciaire qu’il n’a pas encore remise à l’autorité. En effet, lorsque le plaideur est expérimenté ou est assisté d’un avocat, on peut raisonnablement attendre de sa part qu’il conclue formellement à l’octroi de l’assistance judiciaire s’il entend l’obtenir, de surcroît en temps utile, en exposant que la production des justificatifs dont il ne dispose pas encore interviendra ultérieurement.

Comme l’assurée a été informée qu’elle pouvait obtenir l’assistance judiciaire à certaines conditions, notamment qu’elle devait en faire la demande à l’autorité judiciaire (cf. ordonnance du 09.04.2023), il n’incombait plus au juge d’accompagner son avocat dans de telles démarches, ni de lui rappeler une nouvelle fois les termes de cette ordonnance.

Consid. 5.2
S’agissant de l’avance de frais, l’instance cantonale avait clairement indiqué à l’assurée, par ordonnance du 03.10.2023, qu’une « unique prolongation de délai » au 18.10.2023 lui était accordée pour l’effectuer. Si l’on suivait le raisonnement de l’assurée, une partie pourrait en définitive décider à sa guise de s’en tenir ou non aux directives de l’autorité judiciaire, sans que cela puisse avoir d’incidence sur la suite de la procédure; l’art. 47 al. 2 et 3 LPA-VD serait ainsi dénué de toute portée.

Pour obtenir une nouvelle prolongation du délai de paiement de l’avance de frais, l’assurée a soutenu qu’elle avait déposé une demande d’assistance judiciaire (cf. lettre du 18.10.2023), ce qui s’est révélé erroné. Pareille argumentation ne justifie pas de prolonger à nouveau un délai qui avait précédemment déjà été prolongé « pour la dernière fois ».

Consid. 5.3
Vu ce qui précède, l’autorité cantonale pouvait rendre une décision d’irrecevabilité, sans faire preuve de formalisme excessif. Sur ce point, le recours est infondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_744/2023 consultable ici

 

9C_40/2024 (f) du 13.06.2024 – Preuve du paiement depuis un compte d’une banque étrangère de l’avance des frais / 37 LTAF – 63 al. 4 PA – 21 al. 3 PA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_40/2024 (f) du 13.06.2024

 

Consultable ici

 

Preuve du paiement depuis un compte d’une banque étrangère de l’avance des frais / 37 LTAF – 63 al. 4 PA – 21 al. 3 PA

 

Par décision du 21.08.2023, l’office AI a rejeté la nouvelle demande de prestations présentée en septembre 2022 par l’assurée, domiciliée en Espagne.

 

Procédure cantonale (arrêt C-5127/2023 – consultable ici)

Saisi d’un recours de l’assurée contre cette décision, le Tribunal administratif fédéral l’a déclaré irrecevable au motif que l’avance de frais requise n’avait pas été acquittée dans le délai imparti (arrêt du 04.12.2023).

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 63 al. 4 PA (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2007, applicable par renvoi de l’art. 37 LTAF), l’autorité de recours, son président ou le juge instructeur perçoit du recourant une avance de frais équivalant aux frais de procédure présumés. Elle lui impartit pour le versement de cette créance un délai raisonnable en l’avertissant qu’à défaut de paiement elle n’entrera pas en matière. Si des motifs particuliers le justifient, elle peut renoncer à percevoir la totalité ou une partie de l’avance de frais. Aux termes de l’art. 21 al. 3 PA (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2007, applicable par renvoi de l’art. 37 LTAF), le délai pour le versement d’avances est observé si, avant son échéance, la somme due est versée à La Poste Suisse ou débitée en Suisse d’un compte postal ou bancaire en faveur de l’autorité. Cette disposition correspond aux art. 48 al. 4 LTF, 143 al. 3 CPC et 91 al. 5 CPP (ATF 143 IV 5 consid. 2.4; 139 III 364 consid. 3.1).

Consid. 3.2
Le moment déterminant pour constater l’observation ou l’inobservation du délai est celui auquel la somme a été versée en faveur de l’autorité à La Poste Suisse (que ce soit au guichet d’un bureau de poste ou lors d’un transfert depuis l’étranger) ou celui auquel l’ordre de paiement en faveur de l’autorité a été débité du compte postal ou bancaire du recourant ou de son mandataire (ATF 139 III 364 consid. 3.2.1; arrêt 6B_725/2019 du 28 octobre 2019 consid. 1; cf. aussi Message concernant la révision totale de l’organisation judiciaire fédérale du 28 février 2001, FF 2001 p. 4096 s.). Le fait que la somme en cause n’a pas été créditée dans le délai imparti sur le compte de la juridiction concernée n’est pas décisif au regard du droit fédéral si le montant requis a effectivement été débité du compte bancaire du recourant ou de son avocat avant l’échéance du délai prévu (cf. arrêts 9C_101/2018 précité consid. 3.2; 1F_34/2011 du 17 janvier 2012 consid. 2.3.2 in SJ 2012 I 229). Le fardeau de la preuve s’agissant du respect des délais pour le versement d’avances ou de sûretés incombe à la partie qui entend s’en prévaloir (ATF 143 IV 5 consid. 2.4; arrêt 6B_725/2019 précité consid. 1).

Consid. 3.3
En cas de transfert de l’avance de frais depuis un compte d’une banque étrangère, il faut non seulement vérifier que le débit dudit compte a été effectué avant l’échéance fixée par l’autorité, mais aussi que dans ce même délai, l’avance a été créditée sur le compte de l’autorité ou, à tout le moins, qu’elle est entrée dans la sphère d’influence de l’auxiliaire (banque ou La Poste Suisse) désigné par celle-ci. Dans cette dernière hypothèse (entrée temporaire du montant dans la sphère d’influence de l’auxiliaire sans que le compte de l’autorité n’ait été crédité), il est par ailleurs nécessaire d’examiner à qui, du justiciable et de sa banque étrangère ou de l’autorité et de son auxiliaire, l’échec de transfert au destinataire final est imputable. S’il est établi que la cause de l’échec se trouve auprès du justiciable et/ou de sa banque étrangère, il faudra encore vérifier si l’erreur pouvait passer pour être excusable ou si, au contraire, elle a été grossière au point qu’on ne puisse s’attendre de la banque de l’autorité qu’elle se renseigne pour tenter néanmoins d’attribuer le montant au compte du destinataire final de la transaction, à savoir l’autorité créancière (cf. arrêt 9C_101/2018 précité consid. 3.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.1
En l’occurrence, par décision incidente du 27.09. 2023, le TAF a imparti à l’assurée un délai de trente jours dès la notification de ladite décision pour effectuer une avance de frais de CHF 800, en l’avertissant que faute de versement dans le délai imparti, son recours serait déclaré irrecevable. Cette décision a été notifiée à l’assurée le 04.10.2023. Le délai de paiement est arrivé à échéance le 03.11.2023, sans que l’assurée n’ait versé l’avance de frais requise ni sollicité une prolongation de délai pour ce faire.

Consid. 4.2
À la lecture de l’avis de transfert établi par la banque de l’assurée le 13.10.2023, on constate que cette dernière a donné l’ordre de verser la somme de CHF 800 en faveur du TAF, sur le compte CH05300XXX. Le 22.12.2023, soit après que l’arrêt entrepris du 04.12.2023 lui a été notifié le 14.12.2023, l’assurée a donné un nouvel ordre à sa banque de verser au TAF la somme de CHF 800, sur le compte CH05409XX. Le 18.01.2024, cette autorité a informé l’assurée que le montant crédité sur son compte le 28.12.2023 lui était retourné.

Consid. 4.3
En ce qu’elle se contente d’indiquer que sa banque a commis une erreur dans la désignation du compte bancaire du TAF le 13.10.2023, erreur dont elle ne s’est pas aperçue avant la notification de l’arrêt entrepris le 14.12.2023, l’assurée n’établit pas – pas plus qu’elle n’allègue – que le montant de l’avance de frais requise aurait bien été crédité sur le compte de l’autorité ou, à tout le moins, qu’il serait bien entré dans la sphère d’influence de l’auxiliaire (banque ou La Poste Suisse) désigné par celle-ci, dans le délai imparti. Les pièces produites par l’assurée ne le démontrent pas non plus. En particulier, l’avis de transfert établi par la banque de l’assurée le 13.10.2023 ne contient aucune précision quant à la date à laquelle la somme de CHF 800 aurait été versée à la banque bénéficiaire (PostFinance) en faveur du TAF. Dans la mesure où l’assurée n’établit pas une entrée temporaire du montant de l’avance de frais dans la sphère d’influence de l’auxiliaire sans que le compte de l’autorité n’ait été crédité, il n’est pas nécessaire d’examiner à qui, de la justiciable et de sa banque étrangère ou de l’autorité et de son auxiliaire, l’échec de transfert au destinataire final est imputable (comp. arrêt 9C_691/2008 du 23 septembre 2009 consid. 4). À cet égard, sur demande du Tribunal fédéral, PostFinance a confirmé, le 27.05.2024, n’avoir trouvé aucune rentrée d’argent en relation avec l’émission de transfert du 13.10.2023. C’est donc à bon droit que le TAF a déclaré le recours irrecevable.

Enfin, l’assurée ne peut pas se prévaloir d’une éventuelle restitution du délai omis, car même une (éventuelle) erreur commise par sa banque lui serait imputable (cf. arrêts 9C_691/2008 précité consid. 4; 1P.366/1992 du 11 août 1993, consid. 2, in RDAT I-1994 n° 57 p. 138). Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_40/2024 consultable ici

 

8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication – DCAI – Évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS – instruments de correction insuffisants

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 23.07.2024 consultable ici

 

DCAI – Évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS – instruments de correction insuffisants / 26bis RAI

 

La réglementation, introduite début 2022 et en vigueur jusqu’à fin 2023, concernant l’évaluation du taux d’invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS est en partie contraire au droit fédéral. Les instruments pour corriger le salaire statistique de l’ESS déterminant dans un cas concret, afin de tenir compte de la situation de la personne assurée, sont insuffisants. Si nécessaire, il convient donc de recourir en complément à la pratique du Tribunal fédéral en la matière appliquée jusqu’à présent.

En 2023, le Tribunal des assurances sociales du canton de Bâle-Ville a octroyé à un assuré une rente fondée sur un taux d’invalidité de 59% à partir de juin 2022. Une révision de la loi fédérale et du règlement sur l’assurance-invalidité (LAI, RAI) était alors entrée en vigueur au 1er janvier 2022. Pour évaluer le taux d’invalidité, le tribunal a procédé à une comparaison des revenus, comme la loi le prévoit: le salaire que l’assuré pourrait obtenir après la survenance de l’invalidité en exerçant une activité que l’on peut raisonnablement exiger de sa part (revenu d’invalide) est comparé au salaire qu’il aurait pu réaliser s’il n’était pas devenu invalide (revenu sans invalidité). Le tribunal a déterminé le revenu d’invalide de l’assuré sur la base des salaires statistiques de l’ESS (enquête bisannuelle sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique). Compte tenu de la situation particulière de l’assuré, il a appliqué une déduction de 15% sur le salaire de référence de l’ESS.

L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a recouru contre le jugement cantonal auprès du Tribunal fédéral. Il a conclu à l’allocation d’une rente fondée sur un taux d’invalidité de 57% seulement, au motif que l’art. 26bis RAI, dans sa version modifiée entrée en vigueur début 2022 (cette disposition a de nouveau été modifiée au 1er janvier 2024), autorisait une déduction de maximum 10% sur le salaire statistique de l’ESS (dans le cas où la personne invalide ne pouvait travailler qu’à un taux de 50% ou moins).

Le Tribunal fédéral rejette le recours de l’OFAS. Pour les cas antérieurs à la révision de la LAI et du RAI entrée en vigueur le 1er janvier 2022, il a développé une jurisprudence relative à la détermination du revenu d’invalide sur la base des salaires statistiques de l’ESS. Afin de tenir compte de la situation particulière des personnes invalides, les salaires de référence de l’ESS pouvaient être corrigés. Une déduction maximale de 25% pouvait être opérée; une correction additionnelle était envisageable uniquement si la personne assurée percevait déjà avant la survenance de l’invalidité, sans le vouloir, un revenu nettement inférieur à la moyenne en raison de facteurs étrangers à l’invalidité (« parallélisme »).

En adoptant l’art. 26bis RAI, le Conseil fédéral a exclu dans une large mesure les possibilités de déduction fondées sur cette jurisprudence. Après une analyse globale, le Tribunal fédéral estime que le régime de déduction sur le salaire statistique de l’ESS, tel que prévu de manière exhaustive dans le RAI, n’est pas compatible avec le droit fédéral. Il ressort notamment des travaux préparatoires relatifs à la révision de la LAI que la jurisprudence du Tribunal fédéral appliquée jusqu’à présent devait être pour l’essentiel reprise au niveau réglementaire et que la méthode d’évaluation du taux d’invalidité devait en principe rester inchangée. En tant qu’auteur du règlement, le Conseil fédéral a toutefois choisi une autre voie. Il y a des raisons de penser que le législateur avait et était en droit d’avoir d’autres attentes concernant la mise en œuvre de la LAI dans le RAI. Dans la mesure où, en raison des circonstances du cas d’espèce, il y a un besoin d’adapter le salaire statistique de l’ESS au-delà de ce qu’offrent les instruments de correction du RAI, il convient de faire appel, en complément, à la jurisprudence appliquée jusqu’à présent par le Tribunal fédéral. L’arrêt attaqué n’est donc pas critiquable dans son résultat.

 

NB : l’arrêt sera traduit par mes soins prochainement, avec probablement quelques commentaires personnels.

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 23.07.2024 consultable ici