Motion Flach 19.4320 « Résumer les décisions de l’AI dans un langage simple pour qu’elles puissent être comprises par les personnes concernées » – Le Conseil fédéral propose d’accepter la motion
Dans ses conventions d’objectifs avec les offices cantonaux de l’assurance-invalidité (AI), la Confédération intègrera un objectif de lisibilité afin que les décisions et communications des offices AI destinées aux assurés soient résumées dans un langage simple de manière à ce que leur contenu, du moins le message principal, puisse être compris par l’assuré moyen. Des contrôles réguliers seront effectués afin d’évaluer le degré de réalisation de cet objectif.
Développement
Les assurés en contact avec les offices AI sont régulièrement confrontés à la difficulté de comprendre les décisions et les communications de ces offices. Parfois, les décisions sont formulées de manière si compliquée que même les personnes ayant un diplôme de droit sans spécialisation en droit des assurances sociales ne parviennent pas à les comprendre. Ces problèmes de communication, qui pourraient être évités, créent un climat de méfiance entre l’organe d’assurance et les assurés, et les clarifications et précisions fournies ou demandées de part et d’autre occasionnent une perte d’énergie pour tout le monde. Il serait donc judicieux d’intégrer l’intelligibilité de la communication en amont, c’est-à-dire dans les conventions d’objectifs que l’Office fédéral des assurances sociales conclut avec les offices AI. La qualité de la communication varie beaucoup d’un office AI à un autre, et l’intégration de cet élément dans le système de réalisation des objectifs pourrait inciter les offices AI où les problèmes de communication sont importants à s’inspirer de ceux où la communication est bonne. Il ne s’agit pas de réinventer la roue: la Chancellerie fédérale a déjà élaboré un aide-mémoire sur la rédaction des lettres officielles (« Merkblatt Behördenbriefe« ) qui expose clairement comment écrire un courrier personnalisé, précis et intelligible. Si tous les offices AI appliquaient les recommandations de cet aide-mémoire, il y aurait déjà un grand progrès. Certaines expressions juridiques sont bien entendu incontournables, notamment dans les décisions et les décisions préliminaires, mais le but est que les personnes ayant une capacité d’assimilation inférieure à la moyenne soient en mesure de comprendre l’essentiel du message.
Proposition du Conseil fédéral du 13.11.2019
Le Conseil fédéral propose d’accepter la motion.
Motion Flach 19.4320 « Résumer les décisions de l’AI dans un langage simple pour qu’elles puissent être comprises par les personnes concernées » consultable ici
NB : traduction personnelle, seul le texte de l’arrêt fait foi.
Nouvelle demande AI – Preuve d’une modification notable de l’état de santé
Expertise médicale – Expert souvent mandaté par l’office AI / 44 LPGA
Assuré, né en 1964, dépose la demande AI en décembre 2010 en raison d’un arrêt de travail consécutif à des troubles du rachis (hernie discale). Investigations usuelles de la part de l’office AI, en particulier une expertise réalisée par B.__. Rejet de la demande AI par décision du 03.07.2013, motif pris que l’exercice d’une activité à 100 était exigible et que le taux d’invalidité était de 19%. L’office AI n’est pas entré en matière sur une nouvelle demande déposée en octobre 2013.
Nouvelle demande AI en août 2015, en raison d’une détérioration de l’état de santé (maux de dos, mobilité réduite, humeur dépressive). A fins d’expertise, l’office AI a mandaté le Dr C.__, spécialiste FMH en rhumatologie et médecine interne générale. L’office AI a rejeté la demande à défaut d’une détérioration significative de l’état de santé et du taux d’invalidité de 19%.
Procédure cantonale
Le tribunal cantonal a estimé que l’expertise médicale du Dr C.__ était probante. La cour cantonale a ajouté qu’il était notoire que le Dr C.__ était fréquemment mandaté comme expert. Une prise en compte disproportionnée des médecins dans le cadre d’expertises monodisciplinaires et bidisciplinaires serait préjudiciable à l’acceptation du rapport, quand bien même elle ne conduirait pas à la récusation de l’expert (ATF 137 V 210 consid. 1.3.3 p. 226 s.; 9C_334/2018 du 18 septembre 2018 consid. 7.1). Comme l’aborde la jurisprudence relative aux rapports des médecins internes à l’assurance, est pertinent le fait qu’un expert tire une grande partie de ses revenus des mandats de l’assurance-invalidité et qu’il en est donc économiquement dépendant (arrêt 8C_354/2016 du 25 octobre 2016 consid. 5.3, in : SVR 2017 IV n° 15 p. 33). Tel n’est pas le cas en espèce selon les juges cantonaux.
Par jugement du 07.05.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Le Tribunal fédéral a déjà statué à plusieurs reprises que la consultation régulière d’un expert, le nombre d’expertises et de rapports demandés au même médecin et le volume d’honoraires qui en résulte ne créent pas en soi une dépendance vis-à-vis des offices AI qui pourrait être un motif de récusation (ATF 137 V 210 consid. 1.3.3.3 p. 226 s. avec références). Bien qu’il ait jugé souhaitable une répartition équilibrée des mandats et la transparence dans leur attribution, le Tribunal fédéral a également adhéré à ce principe en ce qui concerne le nombre concret de mandats réalisés par le Dr C.__ (arrêts 9C_504/2018 du 3 décembre 2018 consid. 4.3 ; 9C_57/2018 du 30 août 2018 consid. 4.2 ; 8C_354/2016 du 25 octobre 2016 consid. 5.2 ; chacun avec les références citées). Il n’y a pas de motif pour son retrait, qui n’est pas réclamé non plus.
Dans son arrêt 8C_354/2016 du 25 octobre 2016, le Tribunal fédéral a souligné que si le Dr C.__ obtenait une grande partie de ses revenus des mandats d’expertise provenant de l’assurance-invalidité et s’il existait une dépendance économique à cet égard, il faudrait en tenir compte dans l’appréciation des preuves, car même de légers doutes pourraient suffire pour discuter de la valeur probante de ses expertises.
La question de savoir si ces exigences plus strictes en matière d’évaluation des éléments de preuve doivent être appliquées dans le cas d’espèce a été laissée en suspens.
Les différentes évaluations des médecins traitants ne parlent pas d’emblée contre la valeur probante d’une expertise, d’autant plus que dans ce contexte, la différence entre le mandat thérapeutique et le mandat d’expertise doit toujours être prise en compte (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc p. 353 ; arrêt 9C_379/2019 du 26 septembre 2019 consid. 3.5.1). En outre, un changement notable de l’état de santé peut résulter non seulement de faits médicaux nouveaux, mais aussi du fait que l’intensité d’une affection a changé et donc ses effets sur la capacité de travailler (ATF 141 V 9 consid. 6.3.2 p. 14). Une telle intensification ne peut pas être déduite des rapports des médecins traitant. Comme le faisait remarquer le médecin expert, ces médecins n’ont pas traité les anciennes évaluations de la capacité de travail (de 2010 à 2013). Le Tribunal fédéral estime, comme la cour cantonale, que cette référence doit être évaluée comme pertinente dans la mesure où, dans le cadre de la nouvelle demande, il convient d’examiner si l’état de santé s’est détérioré depuis juillet 2013.
Par ailleurs, un examen IRM de la colonne lombaire réalisé en juillet 2016 avait objecté des résultats adaptés à l’âge, une hernie discale L5-S1 droite presque complètement disparue ; les compressions des structures neurogènes n’avaient pas été visibles. Le fait que le tribunal cantonal soit parvenu à la conclusion que, dans l’ensemble, les conclusions de l’expert étaient fondées de manière compréhensible ne s’avère pas manifestement incorrect.
Communiqué de presse du Parlement du 04.12.2019 consultable ici
Les prothèses et autres moyens auxiliaires destinés aux personnes handicapées devraient être conformes aux progrès technologiques tout en étant économiques. Le Conseil des Etats a adopté mercredi tacitement un postulat chargeant le Conseil fédéral d’examiner les adaptations nécessaires.
Le texte qui émane de sa commission de la sécurité sociale vise à garantir l’accès « le plus complet possible » aux moyens modernes. Afin d’éviter que les assurances sociales doivent prendre en charge des coûts déraisonnables, le gouvernement devra étudier si l’Office fédéral des assurances sociales ne peut pas fixer lui-même les prix des moyens auxiliaires comme le fait l’Office de la santé publique pour les médicaments remboursés sur ordonnance.
Les sénateurs ont en revanche enterré deux motions du National. Déposées par Balthasar Glättli (Verts/ZH) et l’ancien conseiller national Roger Golay (MCG/GE), les textes exigeaient que les assurances sociales prennent en charge les prothèses et autres moyens « optimaux », et pas seulement ceux qui remplissent les critères de simplicité, d’adéquation et d’économie.
« Ces critères sont clairs et n’empêchent pas la prise en compte des progrès techniques », a relevé le conseiller fédéral Alain Berset. Avec les motions, les fabricants pourraient fixer des prix et les assurances sociales ne pourraient que les accepter, cela tirerait l’ensemble des prix vers le haut et n’est pas judicieux. Il y a toutefois matière à optimisation sur le sujet, a-t-il estimé en soutenant le postulat.
Communiqué de presse du Parlement du 04.12.2019 consultable ici
Articles de Mélanie Sauvain paru in CHSS n° 3 ⁄ septembre 2019, consultable ici
Les dispositions de la loi sur la Réforme fiscale et le financement de l’AVS (RFFA) entrent en vigueur en 2020. C’est la principale nouveauté dans les assurances sociales suisses. Le présent article donne un bref aperçu de ce qui change en 2020 et des principaux chantiers, sur la base des informations disponibles mi-novembre 2019.
Changements en 2020
1er pilier
Financement de l’AVS :hausse des cotisations : Approuvée le 19 mai 2019 par le peuple, la Réforme fiscale et financement de l’AVS (RFFA) entre en vigueur le 1er janvier 2020. Si la majorité des nouvelles dispositions concernent l’imposition des entreprises, trois d’entre elles visent à augmenter les recettes de l’AVS de près de 2 milliards de francs par an.
Pour la première fois en plus de quarante ans, le taux de cotisation à l’AVS est relevé, en l’occurrence de 0,3 point pour les personnes salariées. Il passe ainsi de 8,4 à 8,7 %. La majoration est prise en charge pour moitié par les employés (0,15 point) et pour moitié par leurs employeurs (0,15 point). Les cotisations AVS/AI/APG/AC prélevées sur le salaire se montent au final à 12,75 % en 2020 (contre 12,45 % en 2019). Les indépendants assument seuls la majoration de 0,3 point. Leur taux de cotisation AVS passe de 7,8 à 8,1 % en cas de salaire supérieur à 56 900 francs par an. Pour les revenus plus bas, un barème dégressif est utilisé avec des échelons qui vont désormais de 7,55 % à 4,35 %. Si le revenu annuel est égal ou inférieur à 9400 francs, l’indépendant paie la cotisation AVS minimale qui passe de 395 à 409 francs. Pour les personnes sans activité lucrative, la cotisation minimale AVS/AI/APG passe de 482 à 496 francs par an ; la cotisation maximale de 24 100 à 24 800 francs par an. Dans l’assurance AVS/AI facultative, la cotisation minimale est portée de 922 à 950 francs ; la cotisation maximale de 23 050 à 23 750 francs. Cette mesure devrait rapporter quelque 1,2 milliard de francs supplémentaire à l’AVS par an. La deuxième disposition est l’attribution de la totalité du point de TVA lié à la démographie – prélevé depuis 1999 – à l’AVS. Actuellement, 17 % de ce « pour-cent démographique » ne reviennent pas à l’AVS, mais à la Confédération, qui finance ainsi sa part aux dépenses de l’AVS. En 2020, cette réaffectation devrait entraîner des recettes supplémentaires pour l’AVS de l’ordre de 520 millions de francs.
La Confédération augmente par ailleurs sa contribution à l’AVS, de 19,55 % à 20,2 % des dépenses de l’assurance. En 2020, près de 300 millions de francs supplémentaires devraient être versées à l’AVS par ce biais.
Prévoyance professionnelle
Taux d’intérêt minimal : Le taux d’intérêt minimal dans la prévoyance professionnelle (PP) obligatoire reste fixé à 1 % en 2020. Le Conseil fédéral a suivi la Commission fédérale LPP qui lui recommandait de le maintenir au niveau des années précédentes. Le taux d’intérêt minimal ne concerne que les avoirs relevant du domaine obligatoire du 2e pilier. Pour le reste, les instituts de prévoyance sont libres de fixer une autre rémunération. Le taux de 1 %, en vigueur depuis 2017, est le plus bas de l’histoire de la prévoyance professionnelle suisse.
Adaptations des rentes : Au 1er janvier 2020, certaines rentes de survivants et d’invalidité de la prévoyance professionnelle obligatoire sont adaptées pour la première fois à l’évolution des prix. Les rentes ayant pris naissance en 2016 sont augmentées de 1,8 % ; celles nées en 2010, 2013 et 2014 de 0,1 %.
Assurance-maladie
Hausse des primes maladie : En 2020, la prime moyenne de l’assurance obligatoire des soins augmente de 0,2 % pour s’établir à 315,14 francs. Dans dix cantons (AG, BE, BS, LU, SH, SO, SZ, VD ZG et ZH), l’évolution est inférieure à 0 %. Dans cinq cantons (AR, GR, NE, TI et VS), elle dépasse les 1,5 % et dans les onze cantons restants, la hausse se situe entre 0 et 1,5 %.
Produits thérapeutiques : De nouvelles règles s’appliquent dès 2020 en matière d’intégrité et de transparence des produits thérapeutiques. Ainsi, les avantages matériels perçus par un médecin ou un pharmacien lors de la remise de médicaments soumis à ordonnance seront largement restreints, ils seront même interdits s’ils sont susceptibles d’influencer le choix du traitement. Les rabais et les ristournes obtenus lors de l’achat de produits thérapeutiques (médicaments et dispositifs médicaux) seront également davantage réglementés. Eux-aussi ne seront autorisés que s’ils n’influencent pas le choix du traitement. Et les professionnels de soins seront tenus de répercuter ces rabais auprès de leurs patients ou de leurs assureurs, à l’exception d’une petite partie qui pourrait servir à financer des mesures en vue d’améliorer la qualité du traitement. L’octroi et la perception de ce genre d’avantages seront aussi soumis à plus de transparence. Les rabais et ristournes devront être déclarés, sur demande, à l’Office fédéral de la santé publique qui est compétent pour les contrôles et les éventuelles sanctions.
Ces modifications interviennent dans le cadre de la révision ordinaire de la Loi sur les produits thérapeutiques, adoptée en 2016 par le Parlement. Les deux ordonnances en découlant – l’ordonnance sur l’intégrité et la transparence dans le domaine des produits thérapeutiques et l’ordonnance sur l’assurance-maladie – entrent en vigueur le 1er janvier 2020.
Contribution aux soins : La contribution des assureurs maladie aux prestations des soins est augmentée dès le 1er janvier 2020, de 83 millions de francs par an. Le Département fédéral de l’intérieur a constaté que le principe de neutralité des coûts – inscrit dans le nouveau régime de financement des soins de 2011 – n’est plus respecté. Il est apparu que les contributions aux soins relevant de l’assurance obligatoire des soins (AOS) ont été sous-estimées. L’AOS participera donc davantage aux coûts, notamment des EMS, alors que les cantons seront déchargés.
Politique sociale et de la santé
Plateforme consacrée à la démence : La Stratégie nationale en matière de démence arrive à terme fin 2019, après six ans d’activité. Elle sera intégrée dès 2020 dans une plateforme nationale. Grâce à elle, 18 projets ont vu le jour qui ont permis d’élaborer des normes de qualité pour le diagnostic, de sensibiliser la population ou de poser des directives médico-éthiques pour l’accompagnement et le traitement des personnes atteintes de démence. En parallèle, plusieurs cantons ont développé leur stratégie dans ce domaine. La Plateforme nationale consacrée à la démence est lancée par la Confédération et les cantons. L’objectif est de pérenniser les effets des projets soutenus par la stratégie nationale. Les différentes activités liées à la démence seront coordonnées au niveau national, cantonal et communal. Leur visibilité en sera aussi augmentée.
Principaux chantiers 2020
DON D’ORGANES Courant 2020, le Conseil fédéral transmettra son message de modification de la Loi sur la transplantation d’organes. Mis en consultation fin 2019, son projet de loi vise à introduire le principe du consentement présumé : les personnes qui refusent le prélèvement d’organes après leur décès doivent le déclarer. En l’absence de refus explicite, des organes et des tissus peuvent être prélevés après le décès. Les proches continueront toutefois à être consultés. Ce projet de loi doit servir de contre-projet à l’initiative populaire « Pour sauver des vies en favorisant le don d’organes » déposée le 22 mars 2019.
RÉFORMES DE LA PRÉVOYANCE VIEILLESSE Après l’échec de Prévoyance vieillesse 2020, le Conseil fédéral a décidé de réformer les 1er et 2e piliers de manière séparée. La réforme visant la stabilisation de l’AVS (AVS 21) est depuis fin août 2019 entre les mains du Parlement. Elle prévoit de relever l’âge de référence des femmes à 65 ans, avec des mesures de compensation, de flexibiliser davantage les départs à la retraite, ainsi que d’augmenter la TVA pour financer l’AVS. Les mesures de la réforme de la prévoyance professionnelle (LPP) seront connues fin 2019 – début 2020, le projet devant être mis en consultation dans cet horizon.
PRESTATION TRANSITOIRE POUR CHÔMEURS ÂGÉS La nouvelle loi sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés pourrait être mise sous toit durant la première moitié de 2020. Le message a été adopté par le Conseil fédéral le 30 octobre 2019 et le Parlement a déjà entamé les discussions. La loi prévoit de verser, sous certaines conditions, une prestation aux personnes de plus de 60 ans qui sont arrivées au bout de leurs indemnités de chômage en attendant qu’elles puissent percevoir leur rente vieillesse.
RÉVISION DE L’ASSURANCE-CHÔMAGE Le Parlement continuera en 2020 de débattre de la révision de l’assurance-chômage qui pourrait entrer en vigueur en 2021. Le Conseil National a déjà donné son feu vert au projet qui prévoit notamment des mesures pour faciliter le chômage partiel. Une personne au chômage partiel ne devrait par exemple plus être obligée de chercher une occupation provisoire ou d’en accepter une durant la période de réduction de l’horaire de travail ou lors d’intempéries.
Articles de Mélanie Sauvain paru in CHSS n° 3 ⁄ septembre 2019, consultable ici
Lettre circulaire AI no 395 « Procédure structurée d’administration des preuves pour les syndromes de dépendance et règles en matière de traitements de sevrage »
Par l’ATF 145 V 215 du 11 juillet 2019, le Tribunal fédéral a modifié sa jurisprudence sur l’appréciation du droit à des prestations de l’assurance-invalidité en cas de syndrome de dépendance. Les syndromes de dépendance diagnostiqués de façon incontestable par un spécialiste doivent par principe être considérés comme des atteintes à la santé (psychique) relevant du droit de l’assurance-invalidité. En conséquence, il faudra désormais, comme pour toutes les autres maladies psychiques, clarifier au moyen d’une procédure structurée d’administration des preuves si le syndrome de dépendance diagnostiqué par des spécialistes influe sur la capacité de travail de la personne concernée.
Cette nouvelle jurisprudence doit être appliquée à tous les cas pour lesquels la décision n’était pas encore entrée en force à la date du changement de pratique (cf. notamment arrêt du TF 8C_259/2019 du 14 octobre 2019, consid. 5.1). Par contre, la nouvelle jurisprudence ne constitue pas en soi un motif permettant de revenir sur une décision entrée en force, ni au titre d’une reconsidération au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA, ni au titre de l’adaptation à une modification de la jurisprudence (cf. ATF 135 V 201 du 26 mars 2009). L’office AI ne peut entrer en matière sur une éventuelle nouvelle demande que si l’assuré rend plausible que l’atteinte à la santé ou d’autres circonstances se sont modifiées de manière à influencer ses droits (art. 87 al. 2 et 3 RAI ; art. 17 LPGA ; ch. 5012 ss CIIAI).
Par son arrêt 9C_309/2019 du 7 novembre 2019, le Tribunal fédéral a apporté des précisions supplémentaires à sa nouvelle jurisprudence sur les syndromes de dépendance. Prescrire, en vue d’une expertise médicale, un traitement de sevrage au titre de l’obligation de collaborer à la procédure d’instruction n’est plus admissible (cf. consid. 4.2.2). Les assurés ne doivent donc pas être tenus de se soumettre à un traitement de sevrage avant une expertise. Par conséquent, le ch. 1052 CIIAI n’est plus valable, et ce avec effet immédiat. Il sera supprimé à la prochaine mise à jour de la circulaire. Il ne faut plus tenir compte des exigences prévues comme condition à l’expertise dans une procédure d’instruction en cours, mais recourir à la procédure structurée d’administration des preuves pour établir la limitation de la capacité de travail.
En revanche, un traitement de sevrage raisonnablement exigible ou toute autre thérapie pourront toujours être imposés en tout temps pour réduire le dommage. Il incombe à l’office AI de vérifier par voie de révision, en temps opportun, si l’assuré s’est conformé à l’obligation de réduire le dommage et si le traitement a été couronné de succès. Si tel n’est pas le cas, il peut en résulter un refus ou une réduction des prestations.
Le Conseil fédéral est chargé d’établir les bases légales nécessaires à la mise en place, par les offices AI de chaque canton, de plateformes en ligne facilement accessibles sur lesquelles il sera possible de signaler les abus présumés en matière d’assurances sociales.
Développement
Dans le cadre du développement continu de l’AI (Message du Conseil fédéral 17.022 du 15.2.2017), il est prévu de procéder à une amélioration de l’échange de données entre les différentes assurances sociales. Cette modification permettra d’agir plus efficacement en cas d’abus. La lutte contre les usages abusifs vise également à faciliter, pour la population, le signalement des cas suspects. Dans ce but, les plateformes de communication en ligne, déjà existantes sur le site internet des institutions de sécurité sociale ou des offices AI de certains cantons, devront être introduites dans toute la Suisse.
Avis du Conseil fédéral du 20.11.2019
Les organes d’exécution des assurances sociales sont déjà présents sur Internet et peuvent facilement être contactés en ligne. Le Conseil fédéral considère qu’il n’est pas opportun de les obliger à mettre en place des plateformes électroniques spécialement conçues pour la communication d’usages abusifs. Les organes d’exécution doivent être libres de décider s’ils souhaitent créer de telles plateformes et, le cas échéant, sous quelle forme.
Ils devraient en étudier attentivement l’opportunité et les modalités, en ayant conscience du fait qu’une fausse accusation ou un soupçon injustifié formulés contre une tierce personne pourraient être considérés comme une diffamation ou une calomnie au sens des art. 173 et 174 du code pénal suisse (RS 311.0 ; voir également ATF 103 IV 22).
Proposition du Conseil fédéral
Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion.
Motion Egger 19.3999 « Bureaux de communication en matière d’usage abusif des assurances sociales » consultable ici
Modernisation de la surveillance dans le 1er pilier et optimisation dans le 2e pilier
Communiqué de presse de l’OFAS du 20.11.2019 consultable ici
La surveillance de l’AVS, des prestations complémentaires (PC), du régime des allocations pour perte de gain (APG) et du régime des allocations familiales dans l’agriculture doit être modernisée. Cela suppose d’axer davantage la surveillance sur les risques, de renforcer la gouvernance et de piloter de manière adéquate les systèmes d’information. Lors de sa séance du 20.11.2019, le Conseil fédéral a pris connaissance des résultats de la consultation sur ce projet et a adopté le message concernant la révision de la loi sur l’AVS à l’intention du Parlement.
La surveillance de l’AVS est restée pratiquement inchangée depuis 1948. Il en est de même pour le régime des APG en cas de service et de maternité et pour le système des PC, ainsi que pour le régime des allocations familiales dans l’agriculture. La surveillance de l’AI, au contraire, a été modernisée en profondeur lors de la 5e révision de l’AI en 2008. Il est aujourd’hui nécessaire, si l’on entend continuer à garantir la stabilité du système de prévoyance, d’étendre ce travail aux autres branches du 1er pilier. Le Contrôle fédéral des finances a d’ailleurs exigé que la surveillance soit adaptée aux défis actuels. Les adaptations de loi proposées par le Conseil fédéral dans le 1er pilier reposent sur trois axes principaux.
Une surveillance moderne et axée sur les risques
Dans l’AVS, les PC, le régime des APG et le régime des allocations familiales dans l’agriculture, une surveillance proactive et axée sur les risques vient remplacer la surveillance essentiellement réactive qui prévaut aujourd’hui. Pour cela, les organes d’exécution doivent être tenus de mettre en place des instruments modernes de gestion et de contrôle (gestion des risques, gestion de la qualité et système de contrôle interne). En outre, les tâches et les responsabilités de l’autorité de surveillance doivent être précisées.
Un renforcement de la gouvernance
Le projet prévoit d’inscrire dans la loi les principes de bonne gouvernance, notamment des exigences concernant l’indépendance des organes d’exécution, l’intégrité des responsables et la transparence dans la présentation des comptes. Le but est de garantir une mise en application irréprochable du 1er pilier.
Une amélioration du pilotage et de la surveillance des systèmes d’information
Les organes d’exécution doivent veiller à ce que leurs systèmes d’information présentent la stabilité nécessaire et garantissent la sécurité de l’information et la protection des données. L’autorité de surveillance obtient la compétence d’édicter des exigences minimales relatives à la sécurité de l’information et à la protection des données. En outre, le financement du développement et de l’exploitation de systèmes d’information utilisables à l’échelle suisse est réglementé. De plus, le projet prévoit d’accorder au Conseil fédéral la compétence de régler l’échange électronique de données entre les assureurs sociaux suisses et les autorités fédérales ainsi qu’entre les assureurs eux-mêmes. Cette disposition est intégrée dans la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA) afin qu’elle s’applique à toutes les assurances sociales.
Des optimisations ponctuelles dans le 2e pilier
La surveillance des institutions de la prévoyance professionnelle (2e pilier) a été réaménagée en 2012. Si l’organisation de la surveillance mise en place à cette occasion a fait ses preuves, elle reste perfectible. C’est pourquoi le projet prévoit des améliorations ponctuelles. Il propose en particulier de préciser les tâches des experts en matière de prévoyance professionnelle et de garantir l’indépendance des autorités régionales de surveillance par une disposition interdisant aux membres des gouvernements cantonaux de siéger dans les organes de surveillance.
Communiqué de presse de l’OFAS du 20.11.2019 consultable ici
Message du Conseil fédéral concernant la révision de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (Modernisation de la surveillance dans le 1er pilier et optimisation dans le 2e pilier de la prévoyance vieillesse, survivants et invalidité) paru in FF 2020 1
Projets de modification de loi parus in FF 2020 107
Résumé des résultats de la consultation – Rapport du 28.08.2019 disponible ici
Arrérage de rentes AI – Versement en mains d’un tiers – Opposition de l’assuré / 22 al. 2 LPGA – 85bis RAI
Surindemnisation de l’assurance-accident en complément à la LAA (LCA) – Interprétation des CGA – Droit de la compagnie d’assurance d’obtenir le remboursement de sa créance directement de la part de l’office AI nié
Le 20.02.2011, l’assuré a été victime d’un accident, pour les suites duquel il a perçu des prestations d’une compagnie d’assurance en sa qualité d’assureur-accidents obligatoire et complémentaire.
Informée que l’assuré avait droit à des paiements rétroactifs de l’assurance-invalidité, l’assurance a procédé à un calcul de surindemnisation. Par lettre du 20.12.2016, elle a requis de l’assuré qu’il signe un formulaire destiné à lui permettre de compenser le montant de 36’787 fr. 10 par les paiements dus à titre rétroactif par l’assurance-invalidité. L’assuré a contesté le calcul de surindemnisation.
Par décision du 06.02.2018, complémentaire à une précédente décision du 10.02.2017, l’office AI a reconnu à l’assuré le droit des rentes d’invalidité à divers taux dès mai 2012. Sur la somme totale des prestations à verser à l’assuré, l’office AI a retenu un montant de 36’787 fr. en faveur de la compagnie d’assurance.
L’assuré a formé un recours contre cette décision en concluant à son annulation en tant qu’elle admettait la retenue de 36’787 fr. en faveur de la compagnie d’assurance et à la constatation que la retenue ne saurait dépasser 14’912 fr. La compagnie d’assurance a été appelée en cause.
Après avoir relevé que les indemnités perçues par l’assuré au titre de l’assurance-accidents complémentaire avaient été versées en vertu d’une police régie par la LCA, la cour cantonale a constaté que l’assuré n’avait pas signé le formulaire que lui avait soumis la compagnie d’assurance et que cette dernière n’avait produit aucune pièce dont on pouvait déduire l’accord de l’assuré à un remboursement direct par l’office AI. En outre, au regard de la casuistique tirée de la jurisprudence, la norme invoquée par la compagnie d’assurance, à savoir l’art. 8 al. 2 des CGA, ne suffisait pas à lui conférer un droit sans équivoque à se faire rembourser par l’office AI les prestations versées à l’assuré.
Par jugement du 14.02.2019, le tribunal cantonal a admis le recours au sens des considérants et a annulé la décision entreprise en tant qu’elle portait sur la demande de compensation de la compagnie d’assurance.
TF
En vertu de l’art. 22 al. 2 LPGA, les prestations accordées rétroactivement par l’assureur social peuvent être cédées à l’employeur ou à une institution d’aide sociale publique ou privée dans la mesure où ceux-ci ont consenti des avances (let. a), ainsi qu’à l’assureur qui a pris provisoirement à sa charge des prestations (let. b).
L’art. 85bis al. 1 RAI, dont la base légale est l’art. 22 al. 2 LPGA (ATF 136 V 381 consid. 3.2 p. 384), prévoit que les employeurs, les institutions de prévoyance professionnelle, les assurances-maladie, les organismes d’assistance publics ou privés ou les assurances en responsabilité civile ayant leur siège en Suisse qui, en vue de l’octroi d’une rente de l’assurance-invalidité, ont fait une avance peuvent exiger qu’on leur verse l’arriéré de cette rente en compensation de leur avance et jusqu’à concurrence de celle-ci. Est cependant réservée la compensation prévue à l’art. 20 LAVS. Les organismes ayant consenti une avance doivent faire valoir leurs droits au moyen d’un formulaire spécial, au plus tôt lors de la demande de rente et au plus tard au moment de la décision de l’office AI.
Selon l’art. 85bis al. 2 RAI, sont considérées comme une avance les prestations librement consenties, que l’assuré s’est engagé à rembourser, pour autant qu’il ait convenu par écrit que l’arriéré serait versé au tiers ayant effectué l’avance (let. a), ainsi que les prestations versées contractuellement ou légalement, pour autant que le droit au remboursement, en cas de paiement d’une rente, puisse être déduit sans équivoque du contrat ou de la loi (let. b).
Les arrérages de rente peuvent être versés à l’organisme ayant consenti une avance jusqu’à concurrence, au plus, du montant de celle-ci et pour la période à laquelle se rapportent les rentes (art. 85bis al. 3 RAI).
L’utilisation du formulaire spécial prévu à l’art. 85bis al. 1 RAI est une prescription d’ordre (ATF 136 V 381 précité consid. 5.2 p. 389; 131 V 242 consid. 6.2 p. 249). Ainsi, le tiers qui veut obtenir directement un paiement de prestations rétroactives de l’AI peut établir l’accord du bénéficiaire de celles-ci par un autre moyen que le formulaire ad hoc.
Les avances librement consenties selon l’art. 85bis al. 2 let. a RAI supposent le consentement écrit de la personne intéressée pour que le créancier puisse en exiger le remboursement. Dans l’éventualité de l’art. 85bis al. 2 let. b RAI, le consentement n’est pas nécessaire; il est remplacé par l’exigence d’un droit au remboursement « sans équivoque ». Pour que l’on puisse parler d’un droit non équivoque au remboursement à l’égard de l’AI, il faut que le droit direct au remboursement découle expressément d’une disposition légale ou contractuelle (ATF 133 V 14 consid. 8.3 p. 21 et les références). Demeurent réservées des circonstances particulières, telles que celles qui prévalaient dans la cause jugée par arrêt I 405/92 du 3 décembre 1993, où l’ancien Tribunal fédéral des assurances a confirmé le versement en mains de tiers nonobstant l’absence d’une norme légale, au motif que l’octroi de prestations n’avait été prévu que sous la réserve expresse d’une compensation ultérieure avec des rentes de l’assurance-invalidité accordées rétroactivement pour la même période (arrêts 9C_318/2018 du 21 mars 2019 consid. 3.3; I 31/00 du 5 octobre 2000 consid. 3a/cc, in VSI 2003 p. 265). Le Tribunal fédéral a par la suite admis que le consentement écrit de l’assuré pour le versement direct en mains d’un tiers ayant versé des avances peut suffire lorsque les conditions générales d’assurance prévoient un devoir de remboursement de l’assuré (arrêts 9C_938/2008 du 26 novembre 2009 consid. 6.4; I 632/03 du 9 décembre 2005 consid. 3.3.4).
L’art. 8 (« Indemnité journalière ») des CGA (édition 2006) a la teneur suivante:
« 1 [La compagnie d’assurance] verse l’indemnité journalière mentionnée dans la police en cas d’incapacité totale de travail. Si l’incapacité de travail est partielle, l’indemnité journalière est réduite en conséquence.
2 L’indemnité journalière est réduite dans la mesure où, ajoutée aux prestations des assurances sociales, elle excède le gain dont on peut présumer que l’assuré se trouve privé. Le gain, dont on peut présumer que l’assuré se trouve privé, correspond à celui qu’il pourrait réaliser s’il n’avait pas subi le dommage.
3 En outre, les dispositions de la LAA sont applicables; toutefois, [la compagnie d’assurance] renonce à déduire les frais d’entretien en cas de séjour dans un établissement hospitalier. »
On ne saurait déduire de l’art. 8 al. 2 des CGA, qui se limite à prévoir l’abattement sur l’indemnité journalière de la part excédant le gain déterminant, la possibilité pour l’assureur de s’adresser aux organes de l’assurance-invalidité et d’exiger le versement de l’arriéré de la rente d’invalidité en compensation de sa créance. Quant au renvoi à la LAA, on ne voit pas – et la compagnie d’assurance ne l’expose pas – quelle disposition de cette loi serait susceptible de lui conférer, en sa qualité d’assurance complémentaire, le droit à un paiement direct en application de l’art. 85bis RAI (cf. arrêt I 632/03 déjà cité consid. 3). Enfin, si l’assuré a reconnu dans son recours cantonal une surindemnisation à hauteur de 14’912 fr., cela ne signifie pas pour autant qu’il avait donné son consentement écrit à un versement direct de l’arriéré de la rente d’invalidité en mains de la compagnie d’assurance, d’autant moins qu’il était parti du principe – et soutient toujours – que les objections contre le montant de la créance opposée en compensation devraient pouvoir faire l’objet d’un examen dans la procédure de recours contre la décision AI (cf. à ce sujet arrêts 9C_225/2014 consid. 3.3.1 du 10 juillet 2014; 9C_287/2014 du 16 juin 2014 consid. 2.2).
Dans ces circonstances, la cour cantonale était fondée à nier le droit de la compagnie d’assurance d’obtenir le remboursement de sa créance directement de la part de l’office AI.
Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents complémentaire LAA.
Conditions d’une révision de l’allocation pour impotent d’un mineur non remplies / 17 LPGA
Reconsidération d’une communication de l’office AI / 53 al. 2 LPGA
Besoin d’aide régulière et importante (directe ou indirecte) pour la mobilisation (se lever / s’asseoir / se coucher)
Assuré, né en 2002, souffre d’autisme infantile. Par décision du 09.06.2008, l’office AI lui a reconnu le droit à une allocation d’impotence de degré grave pour mineurs, avec un supplément pour soins intenses, dès le 01.07.2007. Le droit à cette allocation a été maintenu dans le cadre de révisions, par décisions des 10.12.2010 et 24.09.2013, puis par communication du 11.06.2015.
Dans le cadre d’une nouvelle révision d’office du droit à cette prestation, l’office AI a mis en œuvre une enquête (rapport du 07.11.2017). Par décision du 02.07.2018, l’office AI a réduit au degré moyen le droit à l’allocation pour impotent en raison du fait que l’assuré n’avait désormais besoin de l’aide d’autrui pour accomplir que cinq actes ordinaires de la vie, puisqu’il pouvait dormir seul dans sa chambre.
Procédure cantonale
Par jugement du 13.03.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision et maintien du droit de l’assuré à l’allocation pour impotent de degré grave.
TF
Motif de révision du droit à l’allocation pour impotent
Selon l’office AI recourant, la situation a évolué depuis l’époque où le droit à l’allocation pour impotent de degré grave avait été maintenu, le 10.12.2010. En effet, à ce moment-là, il avait été admis que l’assuré ne pouvait pas rester seul dans une chambre, ce qui justifiait de retenir le besoin d’aide important et régulier d’autrui pour l’acte « se lever / s’asseoir / se coucher ». Or, depuis 2017, l’assuré bénéficie d’une chambre au domicile de ses parents dans laquelle il peut dormir seul, sans surveillance, ce qui confirme qu’il dispose pour l’acte en question d’un degré d’autonomie supérieur à celui qui prévalait antérieurement.
La mise à disposition d’une chambre individuelle chez les parents de l’assuré, à partir de l’année 2017, ne constitue pas à elle seule un motif de révision de la prestation, car l’assuré dormait auparavant dans la chambre de ses parents non par besoin de surveillance mais par manque de place dans l’appartement. Il ressort d’ailleurs du rapport d’enquête de 2015 que l’assuré s’endormait rapidement et qu’une fois endormi, il le restait toute la nuit. En outre, déjà dans le cadre de sa scolarité, il dormait seul dans sa chambre à l’internat deux nuits par semaine.
Pour la révision, il convient d’examiner si les circonstances (besoin d’aide d’autrui, de soins, ou de surveillance) ont évolué depuis le dernier examen matériel du droit à l’allocation pour impotent (cf. ATF 133 V 108).
Contrairement à ce que soutient l’office AI recourant, il ne s’agit pas de la situation qui prévalait lors de la décision du 10.12.2010, mais de celle qui existait au moment de l’enquête du 07.04.2015 sur la base de laquelle la prestation avait été maintenue (selon la communication du 11.06.2015). En effet, c’est à cette date que l’office AI a procédé à un examen matériel du droit à la prestation. Or si l’on compare la situation en 2015 avec celle qui ressort de l’enquête du 07.11.2017, il faut constater qu’elles sont identiques en ce qui concerne l’acte « se lever / s’asseoir / se coucher », la nécessité d’une aide d’autrui pour l’accomplir n’ayant pas évolué au cours de ces deux années.
Il s’ensuit que les conditions d’une révision de l’allocation pour impotent, en application de l’art. 17 LPGA, ne sont pas remplies.
Reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA)
La cour cantonale a relevé qu’en dépit de l’enquête du 08.09.2010 qui retenait que l’assuré n’avait pas besoin d’aide pour « se coucher », le Service médical régional avait néanmoins préconisé de reconnaître une impotence grave, ce que l’office AI avait admis par décision du 10.12.2010. Cette décision était ainsi pleinement soutenable.
Toutefois, la reconsidération doit porter sur la dernière décision passée en force relative à la prestation litigieuse qui avait été prise à la suite d’un examen matériel du droit à l’allocation pour impotent. Il ne s’agit donc ni de la décision du 10.12.2010, ni de celle du 24.09.2013, mais de la communication du 11.06.2015 – qui avait valeur de décision informelle – consécutive à l’enquête du 07.04.2015, par laquelle l’office AI avait informé l’assuré que l’allocation pour impotent de degré grave ainsi que le supplément pour soins intenses pour une durée supérieure à six heures par jour allaient être maintenus.
Or, la communication du 11.06.2015 revêtait un caractère manifestement erroné dans une mesure qui justifie de la reconsidérer. En effet, comme cela ressortait explicitement de l’enquête du 07.04.2015, l’assuré n’avait pas besoin d’aide régulière et importante (directe ou indirecte) pour la mobilisation, soit pour se lever, s’asseoir et se coucher.
La spécialiste en neuropédiatrie avait certes précisé que le fait que l’assuré fût capable de se lever, de s’asseoir et de se coucher seul ne représentait pas un élément positif dans son autonomie car, étant capable de se mouvoir, il se mettait constamment en danger. Elle avait ajouté que les gestes moteurs nécessaires pour ces diverses activités n’étaient pas limités mais qu’ils étaient utilisés de manière peu voire non fonctionnelle. Ils ne pouvaient être organisés qu’avec l’aide d’une tierce personne. Toutefois, des deux rapports d’enquêtes de 2015 et 2017, il ne ressortait pas que l’assuré ne pouvait pas s’allonger au lit et se couvrir lui-même. Dès lors, il ne devait pas être considéré comme impotent en ce qui concerne l’acte « se coucher » (voir à ce sujet le ch. 8016 de la Circulaire de l’OFAS sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI]).
La communication du 11.06.2015 était ainsi manifestement erronée dans la mesure où son auteur avait admis que l’assuré avait besoin d’une aide régulière et importante d’autrui pour tous les actes ordinaires de la vie. Comme un tel besoin n’était établi que pour cinq actes ordinaires, indépendamment du besoin de surveillance, on se trouvait dans l’éventualité prévue à l’art. 37 al. 2 let. a RAI, ce qui aurait justifié le droit à une allocation pour impotent de degré moyen. C’est donc à juste titre que cette prestation doit être réduite à ce taux par voie de reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA ; art. 88bis al. 2 let. a RAI).
Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement du tribunal cantonal et confirme la décision de l’office AI.
La réadaptation prime sur la rente ? Les réformes de l’ai à la lumière d’une étude longitudinale
Article d’Emilie Rosenstein, du Pôle de recherche national (PRN), consultable ici
Messages-clés
La baisse du nombre de rentes AI (20%) observée depuis le milieu des années 2000 est due principalement au durcissement des critères d’éligibilité ; les mesures de réadaptation professionnelle progressent mais restent limitées, notamment aux plus jeunes.
La part des rentes octroyées pour des raisons psychiques continue d’augmenter, celles-ci concernent près d’un-e rentier-ère sur deux. Le renforcement des mesures de réadaptation professionnelle entrepris par les récentes réformes n’a que peu d’effet.
Le manque de connaissance à l’égard de l’AI et le stigmate qui lui est associé, renforcé par les mesures de lutte contre les « abus » ont un effet désincitatif qui tend à accroître le risque du non-recours.
Réformes & baisse importante du nombre de rentes AI
Depuis les récentes réformes de la loi sur l’assurance-invalidité, le nombre de rentes octroyées a considérablement diminué. Selon les chiffres de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS), en 2015 l’AI accorde 45’000 rentes de moins que dix années auparavant, soit une diminution de plus de 20% pendant une période de croissance démographique importante (+10%).
Nombre de bénéficiaires de rentes AI en Suisse
Plus spécifiquement, trois révisions ont contribué à cette baisse :
la 4e révision en 2004 : Elle a conduit à l’introduction de mesures d’aide au placement destinées à favoriser le retour en emploi, a supprimé certaines prestations dont les rentes complémentaires pour conjoint-e, et s’est accompagnée d’un durcissement des critères d’éligibilité, notamment sur le plan médical ;
la 5e révision en 2008 : Point d’orgue des récentes réformes de l’AI, qui a vu le développement de la réadaptation professionnelle ainsi que l’introduction de la stratégie de détection et d’intervention précoce. Son objectif est de maximiser les chances de réinsertion en identifiant les besoins en matière d’invalidité le plus rapidement possible ;
la 6e révision en 2012 : Elle vise à la fois à faciliter l’accès à la réadaptation professionnelle tout en procédant au réexamen systématique du droit à la rente d’une gamme très large d’assuré-e-s, notamment des personnes atteintes de troubles somatoformes douloureux.
Sur l’ensemble, l’objectif de réduction des dépenses poursuivi par ces trois révisions a été atteint et a permis d’assainir le budget de l’AI. Cependant, cette réduction s’explique avant tout par le durcissement des critères d’éligibilité et la suppression de certaines prestations. Quant aux objectifs liés à la réadaptation professionnelle ainsi que la stratégie de détection et d’intervention précoces, notre étude arrive à des conclusions plus contrastées.
Etude de 1500 trajectoires sur 48 mois
Notre étude, menée dans le cadre de Pôle de recherche national LIVES à l’Université de Genève, en collaboration avec l’Université de Lausanne, révèle à plusieurs égards des développements paradoxaux. En questionnant l’impact des réformes de l’AI sur les assuré-e-s et sur leur accès aux prestations, nous avons suivi les trajectoires administratives d’un total de 1500 personnes ayant déposé une demande auprès de l’Office de l’assurance-invalidité du canton de Vaud. A partir de ces données, nous avons constitué trois sous-échantillons représentatifs de 500 individus selon la date du 1er dépôt de demande à l’AI (2000, 2004 et 2008) puis analysé leurs trajectoires en comparant ces trois cohortes d’assuré-e-s sur les 48 mois qui suivent leur demande.
Accélération décisionnelle, augmentation des refus et des placements
Comme notre analyse séquentielle sur quatre années le démontre, le traitement des demandes de prestations AI s’est nettement accéléré. Alors que pour la cohorte de 2000, seul un quart des demandes déposées avaient été traitées dans le délai d’une année, pour la cohorte de 2008, plus de deux tiers des dossiers ont été traités dans ce laps de temps. La comparaison de ces deux cohortes révèle en parallèle que l’accès aux rentes a été réduit. Ainsi, quatre ans après avoir déposé une demande, 49% des assuré-e-s de la cohorte de 2000 étaient au bénéficie d’une rentre contre 28% parmi la cohorte de 2008. Cette diminution s’explique en bonne partie par l’augmentation des refus de prestation. Alors que quatre ans après le dépôt de leur demande, 19% des assuré-e-s de la cohorte de 2000 avaient quitté l’AI suite à un refus de prestation, ils étaient 28% dans la cohorte de 2008 à connaître la même situation. L’accès aux mesures de réadaptation professionnelle à quant à lui progressé mais dans une moindre mesure (3% des assuré-e-s de la cohorte de 2000 étaient au bénéficie d’une mesure de réadaptation un an après le dépôt de leur demande, contre 8% parmi la cohorte de 2008).
Sous l’angle de l’âge, nos résultats révèlent un effet paradoxal des réformes de l’AI. Alors que celles-ci visaient tout particulièrement à répondre à l’augmentation du nombre de jeunes bénéficiaires de rentes, nos analyses montrent que leur taux n’a pas diminué. En effet, la part des personnes de 18-35 ans bénéficiant de rentes (entières et partielles) est restée la même pour les deux cohortes (soit 33%, 4 ans après le dépôt de leur demande). Cependant, pour les tranches d’âge de 35 à 49 ans ainsi que celle de 50 à 65 ans, l’impact a été très concret et se traduit par une augmentation marquée des refus de prestations (+79% parmi les 35-49 ans, et +54% parmi les 50-65). Contrairement à la situation des jeunes, l’accès aux rentes des classes d’âge supérieures a été nettement réduit, sans que leur accès à la réadaptation professionnelle n’ait progressé de manière significative.
Inégalités et impact limité de la réadaptation professionnelle
Nos analyses pointent également un renforcement de certaines inégalités. C’est avant tout la catégorie des plus jeunes assuré-e-s (18-35 ans) qui bénéficie de mesures de réadaptation professionnelle, et cette inégalité a progressé parmi la cohorte la plus récente.
En analysant les trajectoires selon l’atteinte à la santé, nos analyses mettent également en lumière le renforcement d’importantes différences entre les personnes déposant une demande à l’AI pour des raisons somatiques et/ou psychiques. Ainsi, si on observe parmi la cohorte de 2000 un accès différentiel à la rente (avec 47% d’assuré-e-s bénéficiant d’une rente pour raisons somatiques 4 ans après le dépôt de leur demande, contre 72% parmi les personnes atteintes de troubles psychiques), cet écart s’est accru et l’accès à la rente est d’autant plus polarisé parmi la cohorte de 2008 (avec 27% d’assuré-e-s bénéficiant d’une rente pour raisons somatiques 4 ans après le dépôt de leur demande, contre 59% parmi les personnes atteintes de troubles psychiques). De plus, il faut encore souligner le fait que, si l’accès à la rente reste supérieur pour les personnes souffrant d’atteintes psychiques, celles-ci sont moins nombreuses parmi la cohorte de 2008 qu’au sein de la cohorte de 2000 (25% de l’échantillon contre 37%). Parallèlement, on note que la part de personnes pour lesquelles l’AI a jugé qu’elles ne souffraient pas d’atteinte à la santé a augmenté, passant de 16% de notre échantillon pour la cohorte de 2000 à 25% pour la cohorte de 2008.
Le non-recours comme résultat paradoxe des réformes
Notre étude repose également sur l’analyse de 23 entretiens biographiques, menés auprès de personnes appartenant majoritairement à la cohorte ayant fait appel à l’AI en 2008. Cette partie qualitative de l’étude permet de saisir l’impact subjectif et la perception individuelle des réformes. Il en ressort une conclusion importante : en dépit des outils de détection et d’intervention précoce, les récentes réformes entretiennent le risque de non-recours à l’AI. Tout d’abord, la survenance d’une atteinte à la santé constitue une étape critique dans le parcours de vie, qui se caractérise par un risque élevé de non-recours aux prestations sociales. De plus, notre étude révèle que l’objectif de réduction des dépenses, qui se traduit par une augmentation du nombre de refus, cumulé à une suspicion d’abus très présente dans les débats publics, viennent renforcer les obstacles matériels et symboliques qui jalonnent le parcours de recours à l’AI. Comme l’illustre le témoignage de cette personne ayant bénéficié d’une réadaptation professionnelle :
Quand on entre dans le cercle de l’AI, c’est clair que l’on est tout de suite catalogué, suivant comment, malgré le fait que l’on nous dise que non, mais moi en tout cas, je l’ai ressenti comme ça. Et on est passé au crible, on est passé au crible, à voir vraiment si on dit la vérité ou si on ment. D’ailleurs, c’est pour ça que l’on a des expertises et tout ça. (…) J’ai l’impression presque que l’on m’accablait, que l’on me culpabilisait de demander l’AI. (Rosenstein 2018)
Se pose alors la question du devenir des personnes qui renoncent à leurs droits, de même que celui des personnes qui rencontrent un refus de prise en charge par l’AI et qui sont, comme nous l’avons vu, en augmentation. Est-ce que l’on assiste à un transfert de coûts vers l’aide sociale, qui connaît par ailleurs une croissance importante du nombre de ses bénéficiaires ? Ou s’agit-il d’un report de charges sur les individus et les ménages, ainsi responsables de trouver individuellement des solutions pour surmonter leur vulnérabilité ? On peut également interroger la capacité du marché du travail à accueillir ces personnes, ou la capacité de ces dernières à retrouver par elles-mêmes un emploi qui soit à la fois adapté à leur situation, à leur état de santé, mais aussi à leurs aspirations. En l’état, les données disponibles ne permettent pas de répondre à ces questions pourtant capitales, et appellent ainsi au développement de nouveaux travaux de recherche.
Biographie
Dr Emilie Rosenstein, Maître-assistante, Département de sociologie et Institut de démographie et socioéconomie, Université de Genève, membre du PRN LIVES,
Article d’Emilie Rosenstein, du Pôle de recherche national (PRN), consultable ici