6B_376/2020 (f) du 17.09.2020 – Dispositions pénales de la LAVS / Obligation de renseigner, au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS, d’une société anonyme qui n’a jamais eu d’employé

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_376/2020 (f) du 17.09.2020

 

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Dispositions pénales de la LAVS

Obligation de renseigner, au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS, d’une société anonyme qui n’a jamais eu d’employé

 

A.__ est administrateur secrétaire, avec signature individuelle, de B.__ SA, inscrite au Registre du commerce le 14.02.2011, dont le siège se trouve à Genève depuis le 29.05.2012.

L’Office cantonal des assurances sociales (ci-après : OCAS) lui a adressé tous les courriers et actes qui suivent à son siège genevois.

Le 18.02.2011, l’OCAS a envoyé à B.__ SA le formulaire à remplir pour son affiliation à une caisse de compensation. Aucune suite n’a été donnée à cette demande, malgré quatre relances. Il était mentionné dans ces envois que le questionnaire devait être renvoyé à l’OCAS même en l’absence de personnel ou d’administrateur rémunéré.

Le 31.03.2014, l’OCAS a notifié à B.__ SA une amende d’ordre de 100 fr., en application de l’art. 91 LAVS. Il s’agit du seul envoi fait en recommandé.

Ensuite de nouveaux rappels puis d’une sommation en février 2015, B.__ SA a été affiliée d’office, en qualité d’employeur, par décision de l’OCAS du 25.07.2016, avec effet rétroactif au 01.02.2011. Cette décision n’a fait l’objet d’aucune opposition.

Le 25.07.2016, l’OCAS a adressé à B.__ SA cinq factures de 100 fr. chacune à titre d’émoluments concernant les années 2011 à 2015.

Par courrier du 07.03.2017, l’OCAS a sommé B.__ SA de lui faire parvenir l’attestation de salaires pour l’année 2016.

En l’absence de réponse dans le délai imparti, l’OCAS lui a infligé – le 09.06.2017 – une amende d’ordre de 250 fr. en application de l’art. 91 LAVS et a attiré son attention sur les conséquences pénales d’un refus de transmettre les informations demandées.

B.__ SA n’a pas donné suite au courrier de l’OCAS du 01.09.2017 qui lui fixait un nouveau délai avant dénonciation pénale.

Le 09.11.2017, l’OCAS a déposé plainte à l’encontre de A.__, administrateur de la société.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 24.09.2019, le Tribunal de police a condamné A.__ pour infraction à la LAVS, l’a exempté de peine mais l’a condamné à payer les frais de procédure.

Par arrêt du 17.02.2020, la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice a rejeté l’appel formé par A.__ contre ce jugement et a confirmé celui-ci. L’autorité cantonale a considéré qu’en s’abstenant de donner la suite requise aux termes des courriers de l’OCAS des 07.03.2017, 09.06.2017 et 01.09.2017, A.__ avait sciemment violé l’art. 88 al. 1 LAVS.

 

TF

Aux termes de l’art. 88 al. 1 LAVS, sera puni d’une amende, à moins qu’il ne s’agisse d’un cas prévu à l’art. 87 LAVS, celui qui viole son obligation de renseigner en donnant sciemment des renseignements inexacts ou refuse d’en donner.

Selon l’art. 89 al. 1 LAVS, si l’infraction est commise dans la gestion d’une personne morale, d’une société de personnes ou d’une maison à raison commerciale individuelle, les dispositions pénales des art. 87 et 88 LAVS sont applicables aux personnes qui ont agi ou auraient dû agir en son nom. En règle générale, la personne morale, la société de personnes ou le titulaire de la maison à raison commerciale individuelle sont toutefois tenus solidairement du paiement de l’amende et des frais.

L’art. 91 al. 1 LAVS dispose que celui qui se rend coupable d’une infraction aux prescriptions d’ordre et de contrôle sans que cette infraction soit punissable conformément aux art. 87 et 88 LAVS, sera, après avertissement, puni par la caisse de compensation d’une amende d’ordre de 1’000 fr. au plus. En cas de récidive dans les deux ans, une amende allant jusqu’à 5’000 fr. pourra être prononcée.

A.__ se réfère aux art. 34a et 36 RAVS, qui s’adressent aux « personnes tenues de payer des cotisations », respectivement aux employeurs. Selon lui, dès lors que B.__ SA ne déployait aucune activité ni n’avait d’employé, la société n’aurait eu aucune obligation de fournir un décompte relatif aux salaires. 

L’obligation de renseigner, au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS – disposition sur la base de laquelle A.__ a été condamné -, est celle visée par l’art. 209 al. 2 et 3RAVS (cf. GABRIELLE WEISSBRODT, Les dispositions pénales LAVS, in Panorama III en droit du travail, 2017, 407 ss, 433; cf. aussi Directives de l’OFAS sur la perception des cotisations [DP] dans l’AVS, AI et APG, état : 1er janvier 2020, no 9010). Aux termes de l’art. 209 RAVS, les personnes exerçant une activité lucrative indépendante, les personnes n’exerçant aucune activité lucrative et les salariés dont l’employeur n’est pas tenu de payer des cotisations doivent fournir aux caisses de compensation des renseignements conformes à la vérité, dans la mesure où ces renseignements sont nécessaires à l’application de l’assurance-vieillesse et survivants (al. 2). Les caisses de compensation, les employeurs et tous les autres organes et personnes chargés de l’exécution de la LAVS ou du contrôle de cette exécution, ainsi que les assurés, sont tenus de donner à l’OFAS tous les renseignements et de lui communiquer toutes les pièces dont il a besoin dans l’exercice de sa surveillance (al. 3).

Au vu de ce qui précède, on ne voit pas que l’art. 209 al. 2 et 3 RAVS aurait pu fonder, pour B.__ SA – donc pour A.__ –, une obligation de renseigner au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS. Dans l’arrêt attaqué, la cour cantonale a évoqué les art. 63 al. 2 LAVS – selon lequel les caisses cantonales de compensation doivent veiller à l’affiliation de toutes les personnes tenues de payer des cotisations – et 64 al. 5 LAVS, selon lequel les employeurs, les personnes ayant une activité lucrative indépendante, les personnes sans activité lucrative et les assurés salariés dont l’employeur n’est pas tenu de payer des cotisations doivent, s’ils ne sont pas déjà affiliés, s’annoncer auprès de la caisse de compensation cantonale. On ne voit pas davantage en quoi l’une ou l’autre de ces dispositions aurait pu fonder, pour B.__ SA, une obligation de renseigner au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS.

Pour le reste, on ignore quelle disposition aurait pu fonder une obligation de renseigner au sens de cette dernière disposition, étant précisé que l’ordonnance pénale du 11.12.2017, tenant lieu d’acte d’accusation, ne contient aucune information à ce sujet.

Partant, B.__ SA, qui n’était pas employeur – puisqu’il ne ressort pas de l’arrêt attaqué que celle-ci aurait jamais eu d’employé -, n’avait pas d’obligation de renseigner au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS. A.__ ne pouvait donc être condamné sur la base de cette disposition.

 

Le TF admet le recours de A.__, annule l’arrêt cantonal et renvoie la cause à l’autorité cantonale afin que celle-ci libère A.__ du chef de prévention de contravention au sens de l’art. 88 al. 1 LAVS.

 

 

Arrêt 6B_376/2020 consultable ici

 

 

5A_16/2020 (f) du 18.08.2020 – Responsabilité du propriétaire foncier – 679 CC / Qualité de propriétaire exclusive de parcelles – Légitimation passive / Rupture du lien de causalité adéquate nié

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_16/2020 (f) du 18.08.2020

 

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Responsabilité du propriétaire foncier / 679 CC

Qualité de propriétaire exclusive de parcelles – Légitimation passive

Rupture du lien de causalité adéquate nié

 

A.__ est propriétaire d’unités d’étages de l’immeuble construit sur la parcelle n° xxx de la commune de U.__ (ci-après: commune). Celle-ci est propriétaire des parcelles n° yyy et zzz adjacentes.

Le 16.07.2007, la société B.__ SA (ci-après: B.__) a proposé à la commune d’acheter les parcelles n° yyy et zzz pour y construire un immeuble. Le 12.09.2007, la commune a accepté la proposition et la vente projetée a été portée au budget 2008.

Le 21.01.2008, B.__ a adressé à la commune une demande d’autorisation de construire et son projet a été mis à l’enquête publique le 01.02.2008. Le 21.04.2008, le Secrétariat cantonal des constructions (ci-après: SCC) a préavisé favorablement le projet sous certaines conditions et réserves.

Dans l’intervalle, le 10.03.2008, B.__ a, en qualité de maître de l’ouvrage, conclu avec l’entreprise générale C.__ Sàrl (ci-après: C.__), radiée par la suite du registre du commerce, un contrat portant sur la construction d’un immeuble livrable clés en mains sur les parcelles n° yyy et zzz. Le contrat était soumis à la double condition de l’achat du terrain par B.__ à la commune et de l’obtention du permis de construire.

Le 14.05.2008, la commune a délivré à B.__ l’autorisation de construire, assortie des charges et conditions posées par le SCC. La commune a informé oralement la société C.__ de cette décision et lui a communiqué qu’elle pouvait entamer immédiatement les travaux sans attendre formellement la signature de l’acte de vente. A la demande de B.__, en exécution du contrat d’entreprise du 10.03.2008, C.__ a débuté des travaux de démolition le 20.05.2008 et de terrassement le 26.05.2008.

Le 28.05.2008, les travaux de terrassement ont dû être interrompus en urgence en raison de l’apparition de fissures de l’immeuble sis sur la parcelle adjacente n° xxx dont A.__ est copropriétaire. Des mesures d’urgence ont dû être prises pour stabiliser le bâtiment et des travaux de consolidation se sont poursuivis jusqu’en juillet 2008.

A cette date, aucun contrat de vente n’avait été signé entre B.__ et la commune. Celle-ci était toujours inscrite au registre foncier en qualité de propriétaire des deux parcelles.

Par décision du 06.06.2008, la commune a notifié notamment à A.__ l’interdiction d’habiter ou de pénétrer dans le bâtiment sis sur la parcelle n° xxx. Les locataires du précité, qui ont dû évacuer leur logement le 28.05.2008, n’ont pas pu réintégrer celui-ci, faute de remise en état définitive.

D’après le rapport d’expertise judiciaire, il appartenait à B.__ de prendre différentes mesures préparatoires aux travaux ou de les confier à un spécialiste. Des travaux de sous-murage auraient aussi dû être exécutés avant le début des travaux. Il a retenu que la cause du sinistre était le terrassement effectué plus bas que le niveau des fondations de l’immeuble de A.__, sans précaution particulière, sans contrôle, sans reprises en sous-œuvre, et sans report des charges de l’immeuble de A.__ plus bas que le niveau du fond de fouille du projet d’immeuble. Ces manquements ont provoqué un tassement des fondations de l’immeuble adjacent et, par lien de cause à effet, des fissures et dégâts au bâtiment.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 30.04.2015, la Cour civile du Tribunal cantonal valaisan a condamné C.__ Sàrl en liquidation à verser à A.__ les montants de 700’000 fr. à titre de frais de réparation, de 4’510 fr. 70 par mois dès le 28.05.2008, avec intérêt à 5% dès le 1er jour de chaque mois, jusqu’à exécution complète des travaux de réfection, jusqu’à concurrence d’un montant total maximal de 608’944 fr. 50, à titre de perte locative, et de 6’821 fr. 45 avec intérêt à 5% dès le 01.10.2009.

Statuant par jugement du 31.01.2018 sur la demande de A.__, le Juge des districts de Martigny et St-Maurice (ci-après: juge de district) a condamné la commune et B.__ à verser à A.__, solidairement entre elles, et sous déduction d’éventuels versements que C.__ aurait effectués au demandeur en exécution du jugement du 30.04.2015, les montants de 643’661 fr. à titre de frais de réfection, 530’250 fr., avec intérêt de 5% l’an dès le 28.03.2013, à titre de perte locative, de 6’821 fr. 45, avec intérêt à 5% l’an dès le 01.10.2009, à titre de dommages-intérêts, et de 24’270 fr. 25, avec intérêt à 5% l’an dès le 16.11.2012, à titre de dommages-intérêts.

B.__ n’a pas formé d’appel contre ce jugement. La commune l’a en revanche fait, concluant au rejet de la demande en paiement formée par A.__. Par arrêt du 19.11.2019, la Cour civile du Tribunal cantonal valaisan a très partiellement admis cet appel. Elle l’a en outre condamnée à verser à A.__, sous déduction d’éventuels versements que C.__ Sàrl aurait effectués à ce créancier en exécution du jugement précité, 608’944 fr. 50 à titre de perte locative, solidairement (et à concurrence de ce montant) avec B.__.

 

TF

S’agissant de l’absence de légitimation passive, l’autorité cantonale a fait une analyse tant de la doctrine que de la jurisprudence sur l’extension du cercle des défendeurs à une action fondée sur l’art. 679 CC, relevant en particulier que, aux ATF 132 II 689 et 143 III 242, le Tribunal fédéral avait exclu la responsabilité du propriétaire uniquement dans l’hypothèse où celui-ci avait constitué en faveur d’un tiers un droit de superficie permettant à son bénéficiaire d’exercer seul, en vertu d’un droit réel indépendant, la maîtrise juridique et de fait sur le bien-fonds. Elle a alors jugé que, en l’espèce, la situation du maître de l’ouvrage était bien différente de celle d’un superficiaire dont la construction relève de sa propriété exclusive. Aucun acte de vente n’ayant été instrumenté en la forme authentique lors de la survenance du sinistre, il ne disposait même pas d’une créance tendant au transfert de la propriété. Etant encore précisé que le maître de l’ouvrage avait été tenu pour responsable sur la base des règles générales de la responsabilité délictuelle, et non sur celle de l’art. 679 CC, il existait d’autant moins de raison d’exclure la qualité pour défendre de la commune. Elle a ajouté que celle-ci était également intervenue en qualité d’autorité habilitée à prendre des décisions dans le domaine de la construction et pouvait donc à tout moment intimer aux sociétés impliquées d’interrompre les travaux. Il lui appartenait aussi de s’assurer du respect des conditions et charges assortissant l’autorisation de construire. Dès lors, on ne pouvait considérer le maître de l’ouvrage comme disposant seul de la maîtrise de fait sur les biens-fonds lors de la survenance du sinistre. En conséquence, elle a retenu que la commune, inscrite en qualité de propriétaire exclusive des parcelles n° yyy et zzz lors de l’apparition des fissures, disposait de la légitimation passive.

S’agissant de la rupture du lien de causalité adéquate, l’autorité cantonale a rappelé la nature objective de la responsabilité du propriétaire foncier, les motivations du législateur pour ériger une responsabilité de ce type, les faits constitutifs de celle-ci ainsi que les règles sur la causalité. Elle a relevé en particulier que le propriétaire foncier ne dispose pas de preuve libératoire, étant donné que le fait générateur ne suppose aucune violation d’un devoir de diligence. Elle a alors jugé que, en permettant au maître de l’ouvrage d’exercer la maîtrise de fait sur ses terrains avant même le transfert de propriété, la commune avait, en toute connaissance du projet de construction, contribué à réaliser le dommage subi par A.__. Elle a ajouté, s’agissant des attentes de la commune vis-à-vis du comportement du maître de l’ouvrage, que la renonciation aux services d’un ingénieur au motif que les parties au contrat d’entreprise s’estimaient être en mesure de procéder eux-mêmes aux travaux de fouille n’était guère exceptionnelle dans la pratique; il n’était pas imprévisible non plus pour la commune que le futur acquéreur de ses terrains ne respectât pas scrupuleusement les règles de l’art de construire.

Au vu de ce qui précède, l’autorité cantonale a retenu que les conditions de l’art. 679 CC étaient réunies et que la commune devait assumer l’entier du dommage causé à A.__, solidairement avec le maître de l’ouvrage.

 

Responsabilité selon l’art. 679 CC

L’art. 679 al. 1 CC introduit une responsabilité du propriétaire d’immeuble pour les dommages causés à ses voisins à la suite d’une violation des art. 684 ss CC. Il s’agit d’une responsabilité objective, qui existe indépendamment d’une faute du propriétaire et suppose la réalisation de trois conditions matérielles: un excès dans l’utilisation du fonds, soit un dépassement des limites assignées à la propriété foncière par le droit de voisinage, une atteinte aux droits du voisin ainsi qu’un rapport de causalité naturelle et adéquate entre l’excès et l’atteinte (ATF 143 III 242 consid. 3.1).

Le propriétaire foncier a qualité pour défendre à une action fondée sur l’art. 679 CC non seulement lorsqu’il cause lui-même le dommage, mais également quand celui-ci est le fait d’une tierce personne qui utilise directement l’immeuble et qui y est autorisée en vertu du droit privé ou public. Le propriétaire peut ainsi être recherché pour le fait de l’entrepreneur qui accomplit des travaux sur son immeuble, ou encore pour le comportement de son locataire ou de son fermier (ATF 83 II 375 consid. 2). Il est en effet inhérent à la responsabilité causale que le propriétaire foncier réponde du comportement de tiers qui utilisent son fonds avec son consentement (ATF 120 II 15 consid. 2a). Cela étant, le Tribunal fédéral a reconnu la qualité pour défendre non seulement au propriétaire d’immeuble, mais aussi – nonobstant la lettre de l’art. 679 CC – au titulaire d’un droit réel limité qui a l’usage du bien-fonds, en particulier au bénéficiaire d’un droit de superficie, ou encore au titulaire d’un droit personnel permettant d’utiliser le fonds (locataire, fermier), tout en relevant que le dernier point est controversé en doctrine (ATF 132 III 689 consid. 2.2.1). Il a même retenu que lorsque le superficiaire, exerçant seul la maîtrise de fait et de droit sur le bien-fonds, cause un dommage parce qu’il excède son droit, la responsabilité du propriétaire du fonds de base n’est pas engagée à raison de l’usage d’un droit sur lequel il n’a plus aucune maîtrise. Il a toutefois laissé indécise la question de savoir si la qualité pour défendre doit toujours être déniée au propriétaire du fonds de base, ou si elle devrait être reconnue dans des cas où il aurait conservé une certaine maîtrise de fait sur l’immeuble et contribué à causer le dommage (ATF 132 précité consid. 2.3.4).

A l’instar de STEINAUER, il convient de considérer que cette conception large de la qualité pour défendre doit assurer une meilleure protection du demandeur, et non nuire à celui-ci. C’est pourquoi la responsabilité d’un titulaire de droit réel limité ou de droit personnel ne devrait exclure celle du propriétaire du fonds que si le but pour lequel ce droit a été accordé n’était pas porteur de risques pour le voisinage (STEINAUER, Les droits réels, tome II, 5ème éd., 2020, n° 2773).

En l’espèce, la motivation de l’autorité cantonale doit être confirmée et il peut entièrement y être renvoyé : à l’évidence, n’ayant même pas cédé de droit personnel sur ses biens-fonds et étant parfaitement en mesure de faire cesser des travaux qu’elle avait par ailleurs autorisés, la situation de la commune n’est en rien comparable à celle du propriétaire foncier qui concède un droit de superficie. C’est aussi à raison, au vu de la nature objective de la responsabilité instaurée par l’art. 679 CC qui vise à assurer une protection accrue des voisins et du propre rôle de la commune dans la réalisation des travaux, que l’autorité cantonale a considéré que le fait de la commune restait en causalité adéquate avec le dommage causé à A.__. En effet, il suffit de rappeler que la causalité adéquate ne peut être interrompue que par un événement extraordinaire ou exceptionnel auquel on ne pouvait s’attendre et qui revêt une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus immédiate du dommage et relègue à l’arrière-plan les autres facteurs ayant contribué à le provoquer – y compris le fait imputable à la partie recherchée (entre autres: ATF 143 III 242 consid. 3.7; arrêt 4A_494/2019 du 25 juin 2020 consid. 7.1 et les autres références). Une interruption ne peut manifestement pas entrer en considération en l’espèce, comme l’a justement retenu l’autorité cantonale avec les arguments auxquels il suffit de renvoyer également.

 

Le TF rejette le recours de la commune de U.__.

 

 

Arrêt 5A_16/2020 consultable ici

 

 

Prévoyance professionnelle : le taux d’intérêt minimal reste à 1%

Prévoyance professionnelle : le taux d’intérêt minimal reste à 1%

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 04.11.2020 consultable ici

 

Lors de sa séance du 4 novembre 2020, le Conseil fédéral a été informé qu’il n’était pas nécessaire de procéder cette année à l’examen du taux d’intérêt minimal dans la prévoyance professionnelle. Ce taux détermine l’intérêt minimal auquel doivent être rémunérés les avoirs de vieillesse relevant du régime obligatoire conformément à la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle (LPP). L’année prochaine, il restera à 1%.

Aux termes de la loi, l’élément déterminant pour la fixation du taux est l’évolution des obligations de la Confédération ainsi que, en complément, celle des actions, des obligations et de l’immobilier.

Le rendement des obligations de la Confédération reste faible : à la fin 2019, le taux d’intérêt des obligations de la Confédération à dix ans était de -0,46 % et à la fin septembre 2020, de -0,50 %. La performance des actions, des obligations et de l’immobilier a été quant à elle particulièrement positive en 2019. Cette année, malgré de fortes fluctuations passagères sur les marchés, les rendements sont stables dans l’ensemble. En ce qui concerne les actions, l’évolution légèrement défavorable de l’année en cours a été plus que compensée par les excellents rendements de l’année précédente. Le Swiss Performance Index a progressé de 30,6 % en 2019, puis perdu 0,9 % jusqu’à la fin septembre 2020. La performance des obligations et de l’immobilier demeure également positive. Compte tenu de cette situation, il n’y a pas lieu d’adapter le taux d’intérêt minimal. Le Conseil fédéral a été informé qu’il n’était pas nécessaire de procéder cette année à l’examen du taux d’intérêt. Il procédera à cet examen l’année prochaine.

 

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 04.11.2020 consultable ici

 

 

6B_71/2020 (f) du 12.06.2020 – Collision entre un piéton cheminant sur une route principale, de nuit, vêtu d’habits sombres, et une automobile – Homicide par négligence – 117 CP / Rappel de la notion de négligence / Rupture du lien de causalité adéquate en matière de circulation routière – Rappel jurisprudentiel

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_71/2020 (f) du 12.06.2020

 

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Collision entre un piéton cheminant sur une route principale, de nuit, vêtu d’habits sombres, et une automobile – Homicide par négligence / 117 CP

Rappel de la notion de négligence

Rupture du lien de causalité adéquate en matière de circulation routière – Rappel jurisprudentiel – Pas d’interruption du lien de causalité adéquate in casu

 

Le 31.12.2016 au soir, D.B.__, né en 1995, a quitté son domicile à Pully et s’est rendu en bus à F.__, pour y passer le réveillon avec des amis chez E.__. Lors de cette soirée, il a consommé de l’alcool. Vers 3h30, D.B.__, qui présentait alors un taux d’alcool compris entre 1.99 g/kg et 2.86 g/kg a quitté le domicile de E.__ pour rentrer chez lui à pied, en traversant un bois sur quelque 100 mètres pour rejoindre la route principale de Lausanne à Bulle.

A.__ a terminé son service en qualité de maître d’hôtel à Lausanne le 01.01.2017 vers 2h00, puis il a fêté la nouvelle année avec son équipe. Peu avant 3h30, il s’est mis au volant de son véhicule automobile pour rentrer chez lui.

A Savigny, sur la route principale de Lausanne à Bulle, le 01.01.2017, vers 3h45, après un panneau indiquant la fin de la limitation de vitesse à 60 km/h, alors qu’il circulait au volant de sa voiture à une vitesse comprise entre 70 et 75 km/h, feux de croisement enclenchés, sur un tronçon rectiligne et humide qui était dépourvu d’éclairage public, A.__ a aperçu seulement tardivement D.B.__, qui portait des vêtements sombres et qui se trouvait debout sur la partie gauche de sa voie de circulation. A.__ a alors freiné, heurtant quasiment simultanément D.B.__ – qui était de dos – à la face postérieure de la jambe droite. Ce dernier a chuté sur le véhicule et a été emporté sur une distance de 27 mètres, avant d’être projeté au sol. A.__ a immobilisé sa voiture sur la partie droite de la chaussée et s’est immédiatement rendu auprès de D.B.__ pour lui porter secours.

Cette nuit-là, des nappes de brouillard étaient présentes par intermittence. Au moment des faits, la visibilité était bonne et il n’y avait pas de brouillard à l’endroit où l’accident s’est produit.

Après l’intervention des secours, D.B.__ a été acheminé au CHUV où sa mort cérébrale a été constatée le 02.01.2017. Dans son rapport, le Centre universitaire romand de médecine légale (ci-après: CURML) a conclu que le décès de D.B.__ était la conséquence d’un traumatisme cranio-cérébral sévère. L’analyse de l’ensemble des données a permis au CURML de conclure que la collision s’était probablement produite entre l’avant gauche de la voiture et l’arrière de la victime, laquelle était debout lors de l’accident.

La police a établi un rapport préalable le 01.01.2017 puis un autre rapport le 07.04.2017. Durant l’intervention de la police sur les lieux de l’accident, le brouillard était présent par intermittence. La police cantonale a établi un cahier technique contenant notamment un cahier de photographies de la route sur laquelle circulait A.__, du lieu de l’accident et de la voiture du prénommé, des vues scanner 3D et des relevés techniques. Les photographies montrent une route cantonale rectiligne dépourvue d’éclairage public, de trottoir et de passage piéton, bordée d’un côté par une forêt la surplombant et de l’autre par une zone industrielle située en contrebas d’un talus et délimitée par une barrière.

Le casier judiciaire suisse de A.__ fait état d’une condamnation à une peine pécuniaire de 25 jours-amende avec sursis et à une amende, prononcée le 28.03.2013 par le ministère public de l’arrondissement de Lausanne, pour conduite en état d’incapacité de conduire (taux d’alcool qualifié). Selon l’extrait de son fichier ADMAS, A.__ a fait l’objet de sept mesures administratives en matière de circulation routière entre 2002 et 2013, à savoir deux avertissements pour vitesse excessive, deux avertissements pour conduite en état d’ébriété, deux retraits de permis de conduire d’une durée d’un mois pour vitesse excessive et un retrait de permis de conduire d’une durée de quatre mois pour conduite en état d’ébriété qualifié.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 01.02.2019, le Tribunal de police a reconnu A.__ coupable d’homicide par négligence et l’a condamné à une peine pécuniaire de 75 jours-amende à 50 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans. A.__ a été condamné à verser aux parents de D.B.__ des indemnités à titre de dommages et intérêts ainsi qu’en réparation du tort moral subi.

Par jugement du 02.10.2019 (arrêt 328 [PE17.000001-MRN/AWL]), admission partielle de l’appel formé par A.__ par la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal, concernant la quotité de la peine, qu’elle a ramenée à 30 jours-amende à 50 fr. le jour, avec sursis pendant deux ans. Elle l’a rejeté pour le surplus. Les appels joints des parents de D.B.__ ont été rejetés.

La Cour d’appel pénale a retenu que A.__ a fait preuve d’une inattention de plusieurs secondes contraire aux art. 31 al. 1 LCR et 3 al. 1 OCR. S’il avait voué toute l’attention que l’on pouvait attendre de lui à la route, il aurait pu voir suffisamment tôt la victime qui se trouvait debout, ce qui lui aurait permis de freiner et de dévier sa trajectoire pour tenter d’éviter le choc. En définitive, elle a retenu que A.__ n’est pas resté constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence et qu’il a fait preuve d’une inattention fautive. La cour cantonale a admis la causalité naturelle et adéquate et a exclu une rupture de cette dernière, relevant que la présence d’un piéton au milieu d’une route cantonale, à un endroit qui n’est ni désert ni isolé, n’est pas à ce point insolite et imprévisible qu’elle relègue à l’arrière-plan la faute du conducteur qui l’a heurté.

 

TF

Aux termes de l’art. 117 CP, celui qui, par négligence, aura causé la mort d’une personne sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. Selon l’art. 12 al. 3 CP, agit par négligence quiconque, par une imprévoyance coupable, commet un crime ou un délit sans se rendre compte des conséquences de son acte ou sans en tenir compte. L’imprévoyance est coupable quand l’auteur n’a pas usé des précautions commandées par les circonstances et par sa situation personnelle.

Une condamnation pour homicide par négligence nécessite la réalisation de trois éléments constitutifs, à savoir le décès d’une personne, une négligence, ainsi qu’un rapport de causalité naturelle et adéquate entre les deux premiers éléments (ATF 122 IV 145 consid. 3 p. 147; cf. arrêt 6B_704/2018 du 2 novembre 2018 consid. 4.1).

 

 

Négligence

Deux conditions doivent être remplies pour qu’il y ait négligence :

  • En premier lieu, il faut que l’auteur viole les règles de la prudence, c’est-à-dire le devoir général de diligence institué par la loi pénale, qui interdit de mettre en danger les biens d’autrui pénalement protégés contre les atteintes involontaires. Un comportement dépassant les limites du risque admissible viole le devoir de prudence s’il apparaît qu’au moment des faits, son auteur aurait dû, compte tenu de ses connaissances et de ses capacités, se rendre compte de la mise en danger d’autrui. Pour déterminer le contenu du devoir de prudence, il faut donc se demander si une personne raisonnable, dans la même situation et avec les mêmes aptitudes que l’auteur, aurait pu prévoir, dans les grandes lignes, le déroulement des événements et, le cas échéant, quelles mesures elle pouvait prendre pour éviter la survenance du résultat dommageable. Lorsque des prescriptions légales ou administratives ont été édictées dans un but de prévention des accidents, ou lorsque des règles analogues émanant d’associations spécialisées sont généralement reconnues, leur violation fait présumer la violation du devoir général de prudence.
  • En second lieu, la violation du devoir de prudence doit être fautive, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir reprocher à l’auteur une inattention ou un manque d’effort blâmable (ATF 145 IV 154 consid. 2.1 p. 158; 135 IV 56 consid. 2.1 p. 64 et références citées).

S’agissant d’un accident de la route, il convient de se référer aux règles de la circulation routière (ATF 143 IV 138 consid. 2.1 p. 140; 122 IV 133 consid. 2a p. 135).

L’art. 31 al. 1 LCR prescrit que le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence. Cela signifie qu’il doit être à tout moment en mesure de réagir utilement aux circonstances (arrêts 6B_1300/2019 du 11 février 2020 consid. 1.3; 6B_221/2018 du 7 décembre 2018 consid. 2.2). L’art. 3 al. 1 de l’ordonnance sur les règles de la circulation routière (OCR; RS 741.11) précise notamment que le conducteur vouera son attention à la route et à la circulation. Le degré de l’attention requise par l’art. 3 al. 1 OCR s’apprécie au regard des circonstances d’espèce, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l’heure, la visibilité et les sources de danger prévisibles (ATF 137 IV 290 consid. 3.6 p. 295 et les références citées; arrêt 6B_1300/2019 du 11 février 2020 consid. 1.3).

Compte tenu des circonstances du cas d’espèce, dont l’arbitraire n’a pas été démontré, impliquant un véhicule sur un tronçon rectiligne à la sortie d’une zone limitée à 60 km/h, la nuit du réveillon, la visibilité étant bonne, il pouvait être attendu de A.__ – qui avait travaillé de nuit et rentrait à une heure tardive –, qu’il voue toute son attention à la route et garde la maîtrise de son véhicule de sorte à éviter un obstacle sur sa propre voie de circulation.

En tant que A.__ conteste avoir fait preuve d’inattention, son grief repose sur son appréciation des faits tels qu’ils auraient dû être retenus, selon lui, par la cour cantonale. Dans cette mesure, sa critique est vaine, les circonstances de l’accident ayant été établies sans arbitraire. La cour cantonale pouvait, sans violer le droit fédéral, retenir qu’en vouant toute l’attention que l’on pouvait attendre de lui à la route, A.__ aurait pu apercevoir la victime et freiner ou dévier sa trajectoire pour tenter d’éviter le choc.

A.__ ne saurait rien déduire en sa faveur de la règle selon laquelle le conducteur doit avant tout porter attention, outre sur sa propre voie de circulation, sur les dangers auxquels on doit s’attendre et peut ne prêter qu’une attention secondaire à d’éventuels comportements inhabituels ou aberrants (cf. ATF 122 IV 225 consid. 2c p. 228; arrêt 6B_69/2017 du 28 novembre 2017 consid. 2.2.1), dans la mesure où, en l’espèce, le danger se présentait précisément sur sa propre voie et dans son sens de circulation, sur lesquels il devait porter toute son attention.

Pour le surplus, c’est en vain que A.__ prétend avoir fait preuve de toute la prudence recommandée en roulant entre 70 et 75 km/h sur un tronçon limité à 80 km/h, dès lors qu’aucun excès de vitesse ne lui est reproché, et étant établi que la visibilité était bonne, sans que l’usage des feux de croisement ne remette en cause cet aspect d’après les constatations cantonales.

 

Rupture du lien de causalité

Un comportement est la cause naturelle d’un résultat s’il en constitue l’une des conditions sine qua non, c’est-à-dire si, sans lui, le résultat ne se serait pas produit; il s’agit là d’une question de fait (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3 p. 61; 138 IV 1 consid. 4.2.3.3 p. 9). Lorsque la causalité naturelle est établie, il faut encore rechercher si le comportement incriminé est la cause adéquate du résultat. Tel est le cas lorsque, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le comportement était propre à entraîner un résultat du genre de celui qui s’est produit. Il s’agit d’une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 138 IV 57 consid. 4.1.3 p. 61; 133 IV 158 consid. 6.1 p. 168). Selon la jurisprudence, la causalité adéquate sera admise même si le comportement de l’auteur n’est pas la cause directe ou unique du résultat. Peu importe que le résultat soit dû à d’autres causes, notamment à l’état de la victime, à son comportement ou à celui de tiers (ATF 131 IV 145 consid. 5.2 p. 148). Il y a en revanche rupture de ce lien de causalité adéquate, l’enchaînement des faits perdant sa portée juridique, si une autre cause concomitante – par exemple une force naturelle, le comportement de la victime ou celui d’un tiers – propre au cas d’espèce constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. Cependant, cette imprévisibilité de l’acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le lien de causalité adéquate. Il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à amener celui-ci, notamment le comportement de l’auteur (ATF 134 IV 255 consid. 4.4.2 p. 265 s.; 133 IV 158 consid. 6.1 p. 168).

En matière de circulation routière, le Tribunal fédéral a jugé que la présence inattendue d’un piéton traversant une autoroute n’était pas plus imprévisible que celle d’animaux errants ou blessés, de victimes d’accidents, d’objets tombés sur la chaussée ou de véhicules immobilisés, de tels obstacles n’étant pas considérés si rares qu’on puisse en faire abstraction sur une autoroute (ATF 100 IV 279 consid. 3d p. 284). Dans un arrêt concernant un piéton cheminant sur une route cantonale vers 22h30, ce comportement n’a pas été considéré comme étant exceptionnel au point d’interrompre le lien de causalité entre le comportement fautif du conducteur automobile et le décès de la victime (arrêt 6B_1023/2010 du 3 mars 2011 consid. 3.2).

En l’espèce, le lien de causalité naturelle n’est pas discuté.

Une inattention fautive de plusieurs secondes au volant d’un véhicule automobile circulant entre 70 et 75 km/h, à la sortie d’une zone limitée à 60 km/h, sur une route principale qui longe une zone industrielle, de nuit, favorise l’avènement d’un accident.

Si la présence d’un piéton au milieu d’une route principale en pleine nuit est inhabituelle, elle n’est pas extraordinaire, le soir du réveillon, connu comme étant un événement festif impliquant notamment de la consommation d’alcool et des comportements inattendus sur les routes, en particulier au moment du retour au domicile. Aussi, le comportement de la victime portant des vêtements sombres et se tenant debout au milieu de la chaussée, est certes dangereux, il n’apparaît toutefois pas extraordinaire au point de reléguer à l’arrière-plan le comportement fautif de l’auteur.

La cour cantonale n’a pas ignoré le comportement dangereux de la victime mais a considéré qu’il s’agissait d’une faute concomitante qui n’était pas insolite et imprévisible au point de reléguer à l’arrière-plan la faute de A.__ et d’interrompre le lien de causalité. Ce raisonnement ne souffre aucune contradiction, contrairement à ce que suggère A.__. Partant, la faute de la victime, autant qu’elle n’est pas interruptive du lien de causalité, est sans pertinence dès lors qu’il n’existe pas de compensation des fautes en droit pénal (ATF 122 IV 17 consid. 2c/cc p. 24; arrêt 6B_69/2017 du 28 novembre 2017 consid. 2.3.2).

La présente affaire se distingue de celles dont se prévaut A.__, dans lesquelles une rupture du lien de causalité a été retenue au motif que la victime s’était soudainement élancée sur la chaussée lors du passage de la voiture (arrêt 6S.287/2004 du 24 septembre 2004 consid. 2.5), ou la victime s’était couchée sans raison sur les voies d’une autoroute (arrêt 6B_291/2015 du 18 janvier 2016 consid. 3.2, qui distingue expressément ce comportement de celui d’une personne qui déambule de manière inconsciente sur la route). Aussi, A.__ ne saurait rien en déduire en sa faveur.

En définitive, c’est sans violer le droit fédéral que la cour cantonale a admis la causalité naturelle et adéquate entre la négligence fautive de A.__ et le décès de la victime et a exclu la rupture du lien de causalité.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 6B_71/2020 consultable ici

 

 

6B_613/2020 (f) du 17.09.2020 – Falsification de certificats médicaux d’arrêt de travail – Perception d’indemnités journalières LAA / Faux dans les titres – 251 ch. 1 CP / Escroquerie – 146 al. 1 CP / Concours (parfait) d’infractions

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_613/2020 (f) du 17.09.2020

 

Consultable ici

 

Falsification de certificats médicaux d’arrêt de travail – Perception d’indemnités journalières LAA

Faux dans les titres – Falsification d’un titre (faux matériel) / 251 ch. 1 CP

Escroquerie – Utilisation d’un titre falsifié conduit en principe à admettre l’existence d’une tromperie astucieuse / 146 al. 1 CP

Concours (parfait) d’infractions – Concours parfait entre escroquerie et faux dans les titres lorsque l’auteur utilise un faux pour commettre une escroquerie

 

[Faits s’agissant des infractions encore contestées devant le Tribunal fédéral]

A.__ est né en 1985 en Macédoine, pays dont il est ressortissant. Son casier judiciaire fait état d’une condamnation, en 2010, pour séjour illégal, d’une condamnation, en 2011, pour entrée illégale, d’une condamnation, en 2012, pour entrée illégale et séjour illégal, d’une condamnation, en 2013, pour accomplissement non autorisé d’une course d’apprentissage, d’une condamnation, en 2014, pour vol, ainsi que d’une condamnation, la même année, pour vol, circulation sans assurance-responsabilité civile, emploi d’étranger sans autorisation, infractions d’importance mineure à la législation sur les étrangers.

Le 27.10.2014, A.__ a été impliqué dans un accident de la circulation sans gravité, dans lequel il n’a, selon ses propres déclarations à la police, pas été blessé. L’intéressé s’est pourtant rendu à l’hôpital afin de se faire examiner et obtenir un certificat d’arrêt de travail. Ce document ne valait que pour la journée. A.__ a falsifié celui-ci, indiquant faussement que son interruption de travail durerait du 27.10.2014 au 24.11.2014.

Le 03.11.2014, A.__ a annoncé le sinistre à l’assurance-accidents, déclarant faussement souffrir de douleurs au niveau de la nuque et du dos, et se trouver en incapacité de travail supérieure à un mois, à partir du 27.10.2014. Sur la base de ces informations, l’assurance-accidents a accordé au prénommé le droit à une indemnité journalière de 213 fr. 70 dès le 30 octobre 2014.

Après avoir été questionné par l’assurance-accidents sur son état de santé, A.__ a renvoyé un formulaire daté du 13.01.2015, dans lequel il indiquait reprendre son activité professionnelle à 100% dès le 12.01.2015. Il y a joint un certificat médical – falsifié par ses soins – indiquant faussement une interruption de travail totale entre le 27.10.2014 et le 11.01.2015.

Ainsi, entre le 30.10.2014 et le 11.01.2015, A.__ a indûment perçu des indemnités journalières de l’assurance-accidents, à hauteur de 15’813 fr. 80 au total.

 

 

Procédures cantonales

Par jugement du 19.08.2019, le Tribunal correctionnel a condamné A.__, pour abus de confiance, gestion déloyale, violation de l’obligation de tenir une comptabilité, détournement de valeurs mises sous main de justice, tentative d’escroquerie, escroquerie, faux dans les titres, induction de la justice en erreur, emploi répété d’étranger sans autorisation, infraction à la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants (LAVS), infraction à la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP), et circulation sans assurance-responsabilité civile, à une peine privative de liberté de 30 mois, dont 15 mois avec sursis durant cinq ans, ainsi qu’à une peine pécuniaire – partiellement complémentaire à celles prononcées les 19.08.2014 et 12.11.2014 – de 45 jours-amende à 70 fr. le jour, avec sursis durant cinq ans.

Par jugement du 03.03.2020 (arrêt n° 35 PE14.006615-HNI/ACP), la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté l’appel formé par A.__ contre ce jugement et a confirmé celui-ci.

 

TF

Faux dans les titres

Selon l’art. 251 ch. 1 CP, se rend coupable de faux dans les titres celui qui, dans le dessein de porter atteinte aux intérêts pécuniaires ou aux droits d’autrui, ou de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, aura créé un titre faux, falsifié un titre, abusé de la signature ou de la marque à la main réelles d’autrui pour fabriquer un titre supposé, ou constaté ou fait constater faussement, dans un titre, un fait ayant une portée juridique, ou aura, pour tromper autrui, fait usage d’un tel titre.

Sont des titres tous les écrits destinés et propres à prouver un fait ayant une portée juridique et tous les signes destinés à prouver un tel fait (art. 110 al. 4 CP).

L’art. 251 ch. 1 CP vise notamment le titre faux ou la falsification d’un titre, soit le faux matériel. Il y a faux matériel lorsque l’auteur réel du document ne correspond pas à l’auteur apparent, alors que le faux intellectuel vise un titre qui émane de son auteur apparent, mais dont le contenu ne correspond pas à la réalité. Un simple mensonge écrit ne constitue cependant pas un faux intellectuel. Le document doit revêtir une crédibilité accrue et son destinataire pouvoir s’y fier raisonnablement. Tel est le cas lorsque certaines assurances objectives garantissent aux tiers la véracité de la déclaration (arrêt 6B_1406/2019 du 19 mai 2020 consid. 1.1 destiné à la publication; ATF 144 IV 13 consid. 2.2.2 p. 14 s.).

A.__ ne conteste pas que le certificat médical établi le 27.10.2014 – lequel a par la suite été falsifié – dût être qualifié de titre. Il soutient que les deux copies de ce document – après falsification – ne revêtiraient en revanche pas cette qualité, car il s’agirait de « faux grossiers, aisément reconnaissables ». Or, l’intéressé perd de vue que l’infraction de faux dans les titres peut être réalisée même par une falsification maladroite, facilement reconnaissable (cf. ATF 137 IV 167 consid. 2.4 p. 171; arrêts 6B_273/2019 du 9 octobre 2019 consid. 1.3; 6B_980/2018 du 18 décembre 2018 consid. 3.3.1). Le faux matériel ne peut être exclu que lorsqu’il n’existe aucun danger de confusion quant à l’identité de son auteur réel (cf. arrêt 6B_980/2018 précité consid. 3.3.1). Tel n’est pas le cas en l’espèce, la falsification n’étant pas grossière, ainsi que l’a constaté la cour cantonale dans le jugement attaqué. Les différences d’écritures pointées par A.__, non plus que le caractère « inhabituel » des informations comprises dans les documents falsifiés, ne sauraient modifier cette appréciation.

La cour cantonale n’a donc pas violé le droit fédéral en condamnant A.__ pour faux dans les titres en raison de ces faits.

 

Escroquerie

Aux termes de l’art. 146 al. 1 CP, se rend coupable d’escroquerie celui qui, dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un enrichissement illégitime, aura astucieusement induit en erreur une personne par des affirmations fallacieuses ou par la dissimulation de faits vrais ou l’aura astucieusement confortée dans son erreur et aura de la sorte déterminé la victime à des actes préjudiciables à ses intérêts pécuniaires ou à ceux d’un tiers.

L’escroquerie consiste à tromper la dupe. Pour qu’il y ait escroquerie, une simple tromperie ne suffit cependant pas; il faut qu’elle soit astucieuse. Il y a tromperie astucieuse, au sens de l’art. 146 CP, lorsque l’auteur recourt à un édifice de mensonges, à des manœuvres frauduleuses ou à une mise en scène, mais aussi lorsqu’il donne simplement de fausses informations, si leur vérification n’est pas possible, ne l’est que difficilement ou ne peut raisonnablement être exigée, de même que si l’auteur dissuade la dupe de vérifier ou prévoit, en fonction des circonstances, qu’elle renoncera à le faire en raison d’un rapport de confiance particulier (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 154 s.; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 79 s.). L’astuce n’est pas réalisée si la dupe pouvait se protéger avec un minimum d’attention ou éviter l’erreur avec le minimum de prudence que l’on pouvait attendre d’elle. Il n’est cependant pas nécessaire qu’elle ait fait preuve de la plus grande diligence ou qu’elle ait recouru à toutes les mesures possibles pour éviter d’être trompée. L’astuce n’est exclue que si elle n’a pas procédé aux vérifications élémentaires que l’on pouvait attendre d’elle au vu des circonstances. Une co-responsabilité de la dupe n’exclut toutefois l’astuce que dans des cas exceptionnels (ATF 142 IV 153 consid. 2.2.2 p. 155; 135 IV 76 consid. 5.2 p. 81).

La définition générale de l’astuce est également applicable à l’escroquerie en matière d’assurances et d’aide sociale. L’autorité agit de manière légère lorsqu’elle n’examine pas les pièces produites ou néglige de demander à celui qui requiert des prestations les documents nécessaires afin d’établir ses revenus et sa fortune, comme par exemple sa déclaration fiscale, une décision de taxation ou des extraits de ses comptes bancaires. En revanche, compte tenu du nombre de demandes d’aide sociale, une négligence ne peut être reprochée à l’autorité lorsque les pièces ne contiennent pas d’indice quant à des revenus ou à des éléments de fortune non déclarés ou qu’il est prévisible qu’elles n’en contiennent pas. En l’absence d’indice lui permettant de suspecter une modification du droit du bénéficiaire à bénéficier des prestations servies, l’autorité d’assistance n’a pas à procéder à des vérifications particulières (arrêts 6B_488/2020 du 3 septembre 2020 consid. 1.1; 6B_346/2020 du 21 juillet 2020 consid. 1.2; 6B_152/2020 du 1er avril 2020 consid. 3.2).

A.__ conteste le caractère astucieux de la tromperie. Son argumentation est sans objet dans la mesure où elle repose sur la prémisse selon laquelle les copies du certificat médical falsifié – adressées à la l’assurance-accidents – auraient constitué des faux grossiers (cf. consid. 1.2.1 supra).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’utilisation d’un titre falsifié doit en principe conduire à admettre l’existence d’une tromperie astucieuse (cf. ATF 128 IV 18 consid. 3a p. 20 et les références citées; arrêt 6B_383/2019 du 8 novembre 2019 consid. 6.5.5.3). En l’occurrence, l’annonce d’une fausse incapacité de travail appuyée par des photocopies d’un certificat médical falsifié constituait une tromperie astucieuse. On ne voit pas en quoi la transmission de photocopies d’un certificat médical aurait dû attirer particulièrement l’attention de la SUVA ni pousser celle-ci à procéder à des vérifications supplémentaires.

L’autorité précédente pouvait donc, sans violer le droit fédéral, condamner A.__ pour escroquerie s’agissant des événements en question.

 

Concours d’infraction

A.__ soutient qu’il aurait dû uniquement être condamné pour escroquerie à raison de ces faits, un concours d’infraction étant, selon lui, exclu.

Comme le Tribunal fédéral a eu l’occasion de le rappeler encore récemment (cf. arrêt 6B_1086/2019 du 6 mai 2020 consid. 7.12), il y a – selon sa jurisprudence et la doctrine dominante – concours parfait entre l’escroquerie et le faux dans les titres lorsque l’auteur utilise un faux pour commettre une escroquerie, puisque les biens juridiquement protégés sont différents. En effet, l’art. 146 CP protège le patrimoine, alors que l’art. 251 CP protège la confiance placée dans la validité des pièces (cf. ATF 138 IV 209 consid. 5.5 p. 213; 129 IV 53 consid. 3 p. 56 ss). Cela vaut même si le faux dans les titres n’a été commis que dans le but de réaliser l’escroquerie (cf. ATF 138 IV 209 consid. 5.5 p. 213; arrêt 6B_772/2011 du 26 mars 2012 consid. 1.3 et la référence citée).

A.__ se borne à affirmer qu’il conviendrait de renverser cette jurisprudence, sans même mentionner, à l’appui de son argumentation, l’avis d’auteurs soutenant une telle position (cf. sur ce point l’arrêt 6B_1086/2019 précité consid. 7.12). On ne voit pas pour quels motifs il conviendrait de s’écarter des principes précités. En indiquant que « retenir l’usage de faux en concours réel revient à punir un même comportement blâmable deux fois », A.__ énonce précisément le principe du concours (parfait) d’infractions, dont on voit mal en quoi il pourrait contrevenir au droit fédéral.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 6B_613/2020 consultable ici

 

 

8C_715/2019 (f) du 06.10.2020 – Réduction des prestations en espèces pour entreprise téméraire – 39 LAA – 50 OLAA / La pratique du VTT de descente sur un tracé bleu n’est pas une entreprise téméraire (tant absolue que relative) [en dehors de toute compétition ou d’entraînement en vue d’une compétition] / Le VTT de descente n’est pas comparable au Dirt Biking

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_715/2019 (f) du 06.10.2020

 

Consultable ici

 

Réduction des prestations en espèces pour entreprise téméraire / 39 LAA – 50 OLAA

La pratique du VTT de descente sur un tracé bleu n’est pas une entreprise téméraire (tant absolue que relative) [en dehors de toute compétition ou d’entraînement en vue d’une compétition]

Le VTT de descente n’est pas comparable au Dirt Biking

 

Assuré, serveur, a été victime d’un accident le 16.06.2018. Vers 17 heures, il était à Châtel (France), en train de descendre en vélo tout terrain (VTT) la piste bleue « La Serpentine », lorsqu’il a chuté. Il a été retrouvé au sol, inconscient avec un saignement à l’oreille. L’accident s’est soldé par un traumatisme crânien sévère.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a procédé à une réduction 50% de toutes les prestations en espèces, au motif que l’atteinte à la santé subie lors de cette descente en VTT était la conséquence d’une entreprise téméraire absolue.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 13/19 – 119/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que la pratique du VTT de descente sur un tracé bleu, réservée à la pratique de ce sport, par beau temps, hors du cadre d’une compétition – respectivement d’un entraînement en vue d’une compétition – ne constituait pas, de prime abord, une entreprise téméraire absolue. Examinant les circonstances du cas concret, compte tenu notamment de la nature de la piste, qualifiée de « facile », de l’expérience de l’assuré et de son équipement, elle a conclu que l’activité litigieuse ne pouvait pas non plus être qualifiée d’entreprise téméraire relative.

Par jugement du 17.09.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, reformant en ce sens que les prestations en espèces relatives au sinistre du 16.06.2018 n’étaient pas réduites.

 

TF

Selon l’art. 39 LAA, le Conseil fédéral peut désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces; la réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Fondé sur cette norme de délégation de compétence, l’art. 50 OLAA prévoit qu’en cas d’accidents non professionnels dus à une entreprise téméraire, les prestations en espèces sont réduites de moitié; elles sont refusées dans les cas particulièrement graves (al. 1). Les entreprises téméraires sont celles par lesquelles l’assuré s’expose à un danger particulièrement grave sans prendre de mesures destinées à ramener celui-ci à des proportions raisonnables ou sans pouvoir prendre de telles mesures; toutefois, le sauvetage d’une personne est couvert par l’assurance même s’il peut être considéré comme une entreprise téméraire (al. 2).

La jurisprudence qualifie d’entreprises téméraires absolues celles qui, indépendamment de l’instruction, de la préparation, de l’équipement et des aptitudes de l’assuré, comportent des risques particulièrement importants, même si elles sont pratiquées dans les conditions les moins défavorables. Il en va de même des activités risquées dont la pratique ne répond à aucun intérêt digne de protection (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524 et les références). Ont par exemple été considérées comme des entreprises téméraires absolues la participation à une course automobile de côte ou en circuit (ATF 113 V 222; 112 V 44), à une compétition de motocross (RAMA 1991 n° U 127 p. 221 [U 5/90]), à un combat de boxe ou de boxe thaï (ATFA 1962 p. 280; RAMA 2005 n° U 552 p. 306 [U 336/04]), la pratique, même à titre de hobby, du « Dirt Biking » (ATF 141 V 37), la pratique de la moto lors d’une séance de pilotage libre organisée sur circuit (arrêts 8C_81/2020 du 3 août 2020; 8C_217/2018 du 26 mars 2019 publié in: SVR 2019 UV n° 33 p. 123; 8C_472/2011 du 27 janvier 2012 publié in: SVR 2012 UV n° 21 p. 77 et RSAS 2012 p. 301), un plongeon dans une rivière d’une hauteur de quatre mètres sans connaître la profondeur de l’eau (ATF 138 V 522), ou encore, faute de tout intérêt digne de protection, l’action de briser un verre en le serrant dans sa main (SVR 2007 UV n° 4 p. 10 [U 122/06] consid. 2.1).

D’autres activités non dénuées d’intérêt comportent des risques élevés, qui peuvent toutefois être limités à un niveau admissible si l’assuré remplit certaines exigences sur le plan des aptitudes personnelles, du caractère et de la préparation. A défaut, l’activité est qualifiée de téméraire et l’assurance-accidents est en droit de réduire ses prestations conformément aux art. 39 LAA et 50 OLAA. On parle dans ce cas d’entreprise téméraire relative, en ce sens que le refus ou la réduction des prestations dépend du point de savoir si l’assuré était apte à l’exercer et a pris les précautions nécessaires pour limiter les risques à un niveau admissible (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524). Peuvent constituer des entreprises téméraires relatives la « streetluge » (arrêt 8C_638/2015 du 9 mai 2016 publié in: SVR 2016 UV n° 47 p. 155), le canyoning (ATF 125 V 312), la plongée, y compris la plongée spéléologique dans une source (ATF 134 V 340; 96 V 100), l’alpinisme et la varappe (ATF 97 V 72, 86), ou encore le vol delta (ATF 104 V 19). Selon le degré de difficulté et le niveau de risque dans un cas particulier, il n’est pas exclu de qualifier l’une ou l’autre de ces activités d’entreprise téméraire absolue (ATF 134 V 340 consid. 3.2.3 p. 345).

La Commission ad hoc des sinistres LAA a établi à l’intention des assureurs-accidents une recommandation en matière d’entreprises téméraires (recommandation n° 5/83 du 10 octobre 1983 complétée le 27 juin 2018, consultable sur le site de l’Association suisse des assureurs [ASA]: https://www.svv.ch/fr). Cette recommandation contient une liste des entreprises considérées comme des entreprises téméraires absolues. Sont notamment considérées comme telles les courses de descente en VTT, y compris entraînement sur parcours (« Downhill-Biking »). De telles recommandations n’ont toutefois pas valeur d’ordonnances administratives ni de directives d’une autorité de surveillance aux autorités d’exécution de la loi; il s’agit de simples recommandations qui ne lient pas le juge (ATF 114 V 315 consid. 5c p. 318).

Comme l’ont relevé les juges cantonaux, le site internet de l’Office du tourisme de Châtel (www.chatel.com/piste-vtt-la-serpentine.html) présente la piste de la Serpentine comme suit: « Longue de plus de 3 km, cette piste bleue qui se trouve sur la partie basse du Bike est une longue balade avec de très nombreux virages; c’est aussi à la fois une piste pédagogique qui permet de s’entraîner à prendre les virages relevés et de s’y améliorer puisqu’elle en compte 36! Récemment transformée, elle compte à présent 24 nouveaux sauts et modules en plus. Elle est devenue plus aérienne! »

AFNOR, organisme français de référence pour les normes volontaires (cf., pour une sélection de normes volontaires AFNOR, sports et loisirs: www.sports.gouv.fr.), a édicté la norme NF S52-110 « Pistes de descente VTT – Aménagement ». Cette norme comprend un tableau 1, intitulé « Détermination du niveau de difficulté d’une piste de descente VTT et son code-couleur associé », qui figure à l’identique en page 12 du guide publié par la Fédération française de cyclisme (FFC) sous le titre « Classification et balisage des parcours VTT » (actualisé en 2018 et téléchargeable sur le site www.ffc.fr) et dont la teneur est la suivante:

NIVEAU DE DIFFICULTÉ TRÈS FACILE FACILE DIFFICILE TRÈS DIFFICILE ELITE
Code-couleur correspondant Vert Bleu Rouge Noir Double noir
Niveau du pratiquant Accessible à tous types de pratiquants sans avoir à descendre du VTT Destiné aux pratiquants initiés Destiné à des pratiquants confirmés Destiné aux pratiquants experts Destiné aux pratiquants experts et/ou compétiteurs
Pente moyenne Très faible Faible Modérée Pouvant être forte Pouvant être très forte
Surface de roulement Large, très roulante avec un dévers faible Roulante      
Modules (s’applique à toutes les modules) Module, très facile, de profil arrondi, franchissable à l’enroulé Module facile et franchissable à l’enroulé Module difficile franchissable à l’enroulé ou non Module très difficile franchissable à l’enroulé ou non Module élite franchissable à l’enroulé ou non
Modules de sauts Pas de modules de saut nécessitant un décollage des deux roues Pas de modules de saut nécessitant un décollage des deux roues Module franchissable à l’enroulé ou non Module franchissable à l’enroulé ou non Module franchissable à l’enroulé ou non
Obstacle (s) Présence de quelques sections d’obstacles très faciles Présence de quelques sections d’obstacles faciles Présence de quelques sections d’obstacles de difficulté moyenne Présence de quelques sections d’obstacles de difficulté élevée Présence d’obstacles de difficulté très élevée

Selon cette classification, les pistes de descente VTT sont identifiées par cinq couleurs, à savoir vert s’agissant d’un parcours très facile, bleu pour un parcours facile, rouge pour un parcours difficile, noir pour un parcours très difficile et damier blanc et noir pour un niveau « élite ». La cotation d’un parcours VTT de descente est déterminée au regard des critères suivants: le niveau du pratiquant, la pente moyenne, la surface de roulement, les modules, les modules de sauts et les obstacles. Une piste de la catégorie bleue – comme « La Serpentine » – est destinée aux pratiquants initiés, sa pente moyenne est faible, elle présente une surface roulante, comporte des modules faciles et franchissables à l’enroulé, il n’y a pas de modules de saut nécessitant un décollage des deux roues et elle comporte quelques sections d’obstacles faciles. Le guide publié par la FFC précise que ces critères doivent être utilisés comme un outil de décision et qu’il convient de ne jamais sous-coter un parcours.

Le rapport de visite du 24.08.2018 de l’inspecteur de sinistre ne permet pas d’aboutir à une autre qualification du niveau de difficulté de « La Serpentine ». Le fait que l’accident s’est produit sur une portion de la piste qualifiée par l’inspecteur de sinistre comme n’ayant « absolument rien de facile » ne saurait être décisif. En effet, il est notoire que le degré de difficulté signalé est toujours déterminé d’après la section la plus difficile (cf. la brochure technique « Signalisation des pistes VTT », publiée par le Bureau de prévention des accidents [bpa], téléchargeable sous www.bpa.ch, p. 7) et le guide publié par la FFC insiste bien sur le fait qu’il convient de ne jamais sous-coter un parcours. Or les photos du lieu de l’accident ne montrent ni un dénivelé inhabituel, ni la présence d’un obstacle ou de modules qui auraient pu rendre le passage plus difficilement franchissable qu’indiqué par la signalisation de piste bleue. Partant, les faits constatés par les premiers juges ne sont pas critiquables.

 

Force est d’abord de constater que la référence par l’assurance-accidents à la recommandation n° 5/83 de la Commission ad hoc des sinistres LAA (cf. consid. 3.4 supra) se révèle dénuée de pertinence. En effet, l’accident du 16.06.2018 ayant eu lieu en dehors de toute compétition ou d’entraînement en vue d’une compétition, il ne tombe pas sous la définition de « courses de descente VTT, y compris entraînement sur parcours («Downhill-Biking»)« .

Se référant ensuite à l’ATF 141 V 37, dans lequel le Tribunal fédéral a considéré que le Dirt Biking constituait une entreprise téméraire absolue, l’assurance-accidents soutient que la pratique du Downhill-Biking y serait assimilable, dès lors que les risques de blessures et de chute ne se laisseraient pas réduire à des proportions raisonnables avec une protection adéquate.

Le Dirt Biking est une pratique de VTT particulière, dont le but primaire consiste à faire des sauts (jumps) incluant des figures acrobatiques tels que saltos, rotations sur son propre axe ou le fait d’ôter les mains du guidon ou les pieds des pédales (ATF 141 V 37 consid. 4.3 p. 41). Ce sont précisément les sauts d’une certaine hauteur qui comportent le danger intrinsèque d’être blessé, sans qu’il soit possible de ramener ce risque à des proportions raisonnables (ATF 141 V 37 consid. 4.4 p. 41 s.). A l’évidence, le Dirt Biking comporte des risques plus élevés que la pratique du VTT de descente, en particulier lorsqu’il s’agit – comme en l’espèce – de la descente non chronométrée d’une piste bleue. La comparaison tombe dès lors à faux.

 

S’agissant enfin de l’examen des circonstances du cas concret, l’assurance-accidents ne conteste à juste titre pas qu’au moment de l’accident, l’assuré portait un équipement complet (casque, protections dorsales, jambes, genoux, bras et poignets), qu’il avait choisi une piste n’excédant pas son degré d’aptitude et que les conditions météorologiques étaient favorables. A la question de savoir à quelle vitesse l’assuré roulait lors de la survenance de l’accident, le dossier ne contient pas de réponse. En effet, l’assuré présentant des troubles de la mémoire antérograde, il n’a pas pu être interrogé. Par ailleurs, aucune caméra d’action n’a été trouvée dans son équipement et il n’y a pas eu des témoins, à l’exception des secouristes. La gravité des blessures subies par l’assuré lors de l’accident du 16.06.2018 pourrait tout au plus constituer un indice qu’il roulait à une vitesse plutôt élevée. A lui seul, un tel indice ne permet toutefois pas d’admettre l’existence d’une entreprise téméraire relative permettant à l’assureur-accidents de réduire ses prestations en espèces.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_715/2019 consultable ici

 

 

Publication de la Circulaire sur les allocations de maternité et de paternité (CAMaPat) et de la CAMaPat LACI

Publication de la Circulaire sur les allocations de maternité et de paternité (CAMaPat) et de la CAMaPat LACI

 

CAMaPat disponible ici et la CAMaPat LACI disponible ici

 

Avant-propos de la CAMaPat

Le peuple suisse a accepté le projet visant à introduire une allocation de maternité en date du 26.09.2004. Les femmes exerçant une activité lucrative peuvent dès lors prétendre à un congé de maternité indemnisé de 14 semaines. Les dispositions sur l’allocation de maternité sont entrées en vigueur le 01.07.2005.

Le 27.09.2020, le peuple suisse a accepté le projet visant à introduire un congé de paternité de deux semaines. Désormais les pères ont la possibilité de prendre un congé de paternité de deux semaines sous la forme de journée ou en bloc dans les six mois suivant la naissance de l’enfant. Comme pour l’allocation de maternité, l’allocation de paternité correspond à 80% du revenu moyen que le père a réalisé avant la naissance de l’enfant. Les dispositions relatives à l’allocation de paternité entrent en vigueur le 01.01.2021.

Sous l’angle organisationnel et procédural, les allocations de maternité et de paternité s’inspirent des réglementations afférentes au régime des allocations pour perte de gain en faveur des personnes servant dans l’armée, dans le service civil ou dans la protection civile, avec toutefois quelques différences de taille. Ainsi, on ne saurait se contenter de procéder à l’examen de la réalisation des conditions d’assurance requises pour l’obtention des allocations respectives, mais il sied bien davantage de tenir compte, en sus, des règles spécifiques de l’Accord sur la libre circulation des personnes conclu avec l’UE puisque, contrairement aux allocations pour perte de gain en faveur des personnes faisant du service, l’allocation de maternité et l’allocation de paternité tombent sous le coup dudit accord. Par ailleurs, ni les allocations pour enfant ni les allocations d’exploitation ou pour frais de garde ne sauraient s’ajouter au versement de l’allocation de maternité. Enfin, les allocations de maternité et de paternité sont toutes deux soumises à l’impôt à la source.

L’accord sur la libre circulation des personnes entre la Suisse et l’UE (ALCP) ne s’applique plus aux relations entre la Suisse et le Royaume-Uni à compter du 01.01.2021. Les droits en matière de sécurité sociale des personnes qui ont été soumises à l’ALCP avant le 01.01.2021 en lien avec la Suisse et le Royaume-Uni sont maintenus sur la base de l’accord sur les droits des citoyens :

https://www.bsv.admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/int/brexit.html. Le nouveau régime applicable aux relations entre la Suisse et le Royaume-Uni à partir du 01.01.2021 fait l’objet d’informations spécifiques sur le site de l’OFAS www.bsv.admin.ch.

La Circulaire sur les allocations de maternité et de paternité (CAMaPat) se réfère pour de nombreuses dispositions aux Directives concernant le régime des allocations pour perte de gain en faveur des personnes servant dans l’armée ou dans la protection civile (DAPG). Cependant en raison de ses nombreuses spécificités, la CAMaPat est publiée sous forme de document séparé. Comme les allocations de maternité et de paternité présentent de nombreuses caractéristiques communes en matière de conditions d’octroi, de calcul ainsi que de versement, ces deux allocations sont réglées ensemble dans la circulaire CAMaPat. En principe toutes les dispositions s’appliquent aux deux allocations, mais il existe des exceptions. Celles-ci font explicitement l’objet de sous chapitres particuliers ou de précisions apportées directement dans le chiffre marginal concerné.

La Circulaire sur les allocations de maternité et de paternité (CAMaPat) remplace à partir du 01.01.2021 la Circulaire sur l’allocation de maternité (CAMat), en vigueur depuis le 01.07.2005.

 

 

Avant-propos de la CAMaPat LACI

Le législateur a chargé le Conseil fédéral, dans les art. 16b, al. 3, et 16i, al. 3 LAPG d’édicter des dispositions relatives aux conditions auxquelles les mères et les pères sans emploi ont droit à l’allocation de maternité ou de paternité. L’art. 29 RAPG prévoit dorénavant, d’une part, que la personne assurée qui perçoit des indemnités de chômage au moment de la naissance a droit à l’allocation de maternité ou de paternité, et d’autre part, qu’elle peut également y prétendre si elle peut se prévaloir d’une période de cotisation suffisante (art. 29 al. 1 let. b RAPG). Cette disposition s’applique uniquement aux pères sans emploi qui, au moment de la naissance, effectuent un service pour lequel ils perçoivent une APG (art. 29 al. 2 let. b RAPG). En l’occurrence, il s’agit en général de services d’une certaine durée, par ex. école de recrues, service en bloc, service d’avancement ou service civil long.

En collaboration avec le Secrétariat d’État à l’économie (SECO), l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a réglé les modalités et élaboré une procédure d’annonce simple et adéquate entre les caisses de compensation AVS et l’assurance-chômage. On a notamment veillé à concilier les exigences légales avec les besoins des caisses de compensation AVS et de l’assurance-chômage pour la mise sur pied d’une procédure administrative aussi légère que possible.

Les directives de la CAMaPat LACI sont applicables aux caisses de compensation AVS et à l’assurance-chômage et ont été déclarées contraignantes tant par l’OFAS que par le SECO.

Selon l’art. 32 al. 2 LPGA, les organes des assurances sociales se prêtent mutuellement assistance, gratuitement. L’AVS, d’une part, et l’assurance-chômage, d’autre part, se communiquent mutuellement les faits déterminants pour la fixation et la modification des prestations. Les investigations appelées à être menées par l’assurance-chômage dans le cadre de la circulaire CAMaPat LACI le sont gratuitement.

 

 

Circulaire sur les allocations de maternité et de paternité (CAMaPat) disponible ici

Circulaire sur la procédure d’annonce entre les caisses de compensation et l’assurance chômage pour l’examen des périodes de cotisation au sens de la LACI en matière d’allocation de maternité ou de paternité (CAMaPat LACI) disponible ici