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8C_39/2022 (f) du 13.10.2022 – Revenu sans invalidité d’un associé gérant d’une Sàrl – Pseudo-indépendant / Accident survenu peu de temps après la création de la Sàrl – Revenu sans invalidité fixé selon l’ESS confirmé

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_39/2022 (f) du 13.10.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité d’un associé gérant d’une Sàrl – Pseudo-indépendant / 16 LPGA

Accident survenu peu de temps après la création de la Sàrl – Revenu sans invalidité fixé selon l’ESS confirmé

Pas de prise en compte du revenu provenant de l’activité salariée auprès d’un autre employeur avant la création de la Sàrl

Ne pas confondre gain assuré (15 LAA) et revenu sans invalidité (16 LPGA)

Assureur LAA pas lié par l’évaluation de l’invalidité de l’AI

Revenu d’invalide selon ESS – Pas de corrélation entre taux IPAI et taux abattement

 

Assuré, né en 1965, a travaillé du 01.08.1994 au 31.05.2017 comme maçon au service de l’entreprise B.__ SA. Depuis le 01.06.2017, il a travaillé comme maçon pour le compte de C.__ Sàrl. Cette société a été inscrite au registre du commerce en juin 2017. L’assuré a été inscrit comme gérant au bénéfice de la signature individuelle de juin 201 7au 25.09.2017. Depuis lors, l’unique associée gérante au bénéfice de la signature individuelle est la fille de l’assuré.

Le 28.07.2017, lors de ses vacances au Portugal, l’assuré a été victime d’un accident de la route. Le même jour, une ostéosynthèse de la fracture du tibia-péroné gauche a été réalisée. De retour en Suisse, l’assuré a subi deux opérations les 13.10.2017 et 16.10.2017 en raison d’une infection à staphylocoque doré au niveau du tibia gauche. A partir du 07.05.2018, il a repris son activité de maçon à 50%.

Le 04.12.2019, l’assuré a été examiné par le médecin-conseil de l’assurance-accidents. Dans son rapport, celui-ci a indiqué que l’état de santé était stabilisé et que l’exigibilité en tant que maçon n’était plus donnée en pleine capacité et de plein rendement; toutefois, une activité sédentaire était possible sans limitation de temps ni de rendement.

Par décision du 20.02.2020, confirmée sur opposition le 15.05.2020, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité de 13% dès le 01.02.2020. Dans le cadre de la fixation du taux d’invalidité, elle s’est fondée non sur le revenu annuel de 91’000 fr. communiqué par C.__ Sàrl, mais sur les chiffres de l’ESS 2016 pour évaluer le revenu sans invalidité. Ainsi, elle a retenu à ce titre un gain annuel de 74’633 fr., en se fondant sur le tableau TA1, niveau de compétence 2, branche Construction 43. S’agissant du revenu avec invalidité, elle l’a fixé à 64’678 fr. sur la base de l’ESS 2016 TA1, niveau de compétence 1, sur lequel elle a appliqué un abattement de 5% pour tenir compte des limitations fonctionnelles. En outre, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 7%.

Parallèlement, l’assuré a déposé une demande AI. Par décision du 11.02.2021, l’office AI lui a reconnu le droit à une demi-rente d’invalidité pour la période du 01.02.2019 au 29.02.2020. Une activité adaptée étant exigible à 100% dès le 04.12.2019, l’office AI a retenu comme revenu sans invalidité le salaire de 91’000 fr. communiqué par le dernier employeur, un revenu avec invalidité de 61’273 fr. 54 (établi sur la base de l’ESS et en opérant un abattement de 10%) et a ainsi fixé le taux d’invalidité à 33%; par conséquent, le droit à la rente s’éteignait au 29.02.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 62/20 – 106/2021 – consultable ici)

Par jugement du 07.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir quel salaire l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2).

Pour les personnes de condition indépendante, on peut se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’AVS (arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.2.2, 9C_771/2017 du 29 mai 2018 consid. 3.6). En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_748/2008 du 10 juin 2009 consid. 5.2.1). Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (cf. ATF 133 V 549 consid. 6.1).

A ce sujet, on rappellera que, selon la jurisprudence, le revenu réalisé avant l’atteinte à la santé ne pourra pas être considéré comme une donnée fiable lorsque l’activité antérieure était si courte qu’elle ne saurait constituer une base suffisante pour la détermination du revenu sans invalidité. En effet, les bénéfices d’exploitation sont généralement faibles au cours des premières années d’exercice d’une activité indépendante, pour diverses raisons (taux d’amortissement élevé sur les nouveaux investissements etc.), et les personnes qui se mettent à leur propre compte ne réalisent pas, au début de leur activité, des revenus équivalents à ceux des entreprises établies depuis de nombreuses années, les entreprises nouvelles devant consentir à des sacrifices importants notamment au niveau du salaire de leurs patrons (cf. ATF 135 V 59 consid. 3.4.6; arrêts 9C_153/2020 du 9 octobre 2020 consid. 2; 8C_450/2016 du 6 octobre 2016 consid. 3.2.2; 9C_658/2015 du 9 mai 2016 consid. 5.1.1; 8C_567/2013 du 30 décembre 2013 consid. 2.2.2). Le cas échéant, on pourra se fonder sur le revenu moyen d’entreprises similaires (cf. arrêt 9C_474/2016 du 8 février 2017 consid. 4) ou sur les statistiques de l’ESS (cf. arrêts 9C_308/2021 du 7 mars 2022 consid. 4.2.2; 9C_153/2020 du 9 octobre 2020 consid. 2; 9C_111/2009 du 21 juillet 2009 consid. 3.1).

 

Consid. 4.1
En l’espèce, il est incontesté que l’assuré est le patron de la société C.__ Sàrl (dont il était le gérant et seul bénéficiaire de la signature individuelle avant l’accident), même s’il est formellement employé par cette société, inscrite au nom de sa fille, et qu’il exerçait par conséquent une activité indépendante depuis le 01.06.2017, lorsqu’il a été victime d’un accident le 28.07.2017.

Consid. 4.2
Les juges cantonaux ont confirmé le revenu sans invalidité établi par l’assurance-accidents sur la base des valeurs statistiques. A ce propos, ils ont considéré que la période de l’exercice de l’activité indépendante allant du 01.06.2017 au 28.07.2017 était trop courte pour servir de base suffisante pour le calcul du revenu sans invalidité. De surcroît, il ne ressortait pas du dossier que l’assuré se serait versé un salaire avant la survenance de l’évènement accidentel. Même s’il avait produit ses fiches de salaire pour une période subséquente, soit l’année 2019, il n’existait pas de preuves qu’il ait effectivement touché les montants invoqués, lesquels devaient être assimilés plutôt à des déclarations d’intention ne constituant pas une base suffisante pour arrêter le revenu sans invalidité. Compte tenu du fait que l’exploitation de la société de l’assuré venait à peine de débuter, on pouvait légitimement douter que son activité lui aurait permis de toucher immédiatement les montants invoqués. L’intéressé n’avait d’ailleurs pas prouvé, au degré de la vraisemblance prépondérante, que la société était immédiatement rentable et aurait permis de verser un salaire de l’ordre de 7000 fr. par mois dès ses premières semaines d’activité.

Les juges cantonaux ont ensuite apprécié les documents produits dans la procédure cantonale – à savoir l’attestation émanant de C.__ Sàrl établie le 06.03.2021 sur la base de celle établie par G.__ le 05.03.2021 ainsi que l’avis de crédit de l’ordre de G.__ en faveur du compte bancaire UBS du 22.07.2017, pour un montant de 50’000 fr. – par lesquels l’assuré entendait démontrer que le salaire d’un montant mensuel de 7000 fr. aurait pu être maintenu pendant deux ans grâce à une confirmation de travaux de chantier obtenue de G.__ pour un montant de 320’000 fr. Ils les ont écartés en considérant que la chronologie de l’établissement de ces documents interrogeait. De plus, il était étonnant que l’assuré, représenté par un mandataire professionnel, n’ait pas fait état d’un tel contrat dès la survenance de l’accident ou au stade de l’opposition, respectivement du dépôt du recours. Il était par ailleurs peu vraisemblable que C.__ Sàrl n’ait pas conclu ce contrat par écrit et n’ait pas fixé précisément les délais d’exécution voire de paiement par exemple, et qu’il n’ait pas été concrétisé par une garantie bancaire. Par appréciation anticipée des preuves, les juges cantonaux ont également renoncé à la réquisition de l’assuré de produire le dossier de C.__ Sàrl. De surcroît, l’avis de crédit pour un montant de 50’000 fr. ne permettait pas de déterminer dans quel contexte ce montant aurait été versé.

Consid. 5.1
[…] L’assuré fait d’abord référence aux salaires annuels qu’il réalisait en tant que salarié (figurant dans l’extrait de son compte individuel), qui avoisinaient les 91’000 fr. et qui constitueraient son revenu de valide. Toutefois, comme il avait quitté son emploi auprès de l’entreprise B.__ SA avant l’accident, pour des motifs étrangers à son état de santé, il ne saurait prétendre à ce qu’on prenne en considération le revenu qu’il réaliserait actuellement auprès de cet ancien employeur (cf. arrêt 9C_500/2020 du 1er mars 2021 consid. 4.1 et les références). Par ailleurs, la très courte durée de l’activité indépendante s’oppose en règle générale à ce que le revenu sans invalidité soit fixé sur le fondement des revenus figurant dans l’extrait du compte individuel.

 

Consid. 5.2
[…] Dans le domaine des assurances sociales, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par l’autorité (cf. art. 43 LPGA). Cette règle n’est toutefois pas absolue. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire (ATF 138 V 86 consid. 5.2.3). Cela comporte en particulier l’obligation d’apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi la partie concernée s’expose à devoir supporter les conséquences de l’absence de preuve (ATF 139 V 176 consid. 5.2 et les références; arrêts 8C_693/2020 du 26 juillet 2021 consid. 4.1; 8C_747/2018 du 20 mars 2019 consid. 2.2). Au surplus, la portée du principe inquisitoire est restreinte lorsque l’assuré est assisté d’un mandataire professionnel (ATF 138 V 86 consid. 5.2.3).

En l’occurrence, l’assurance-accidents n’a certes pas demandé les informations ou documents mentionnés par l’assuré. Toutefois, celui-ci était assisté d’un mandataire professionnel dès son opposition contre la décision du 20.02.2020 de l’assurance-accidents, dans laquelle il contestait déjà le revenu de valide. Or, il a omis de soulever ce grief voire de présenter les fiches salariales à l’appui de sa position dans la procédure d’opposition ainsi que devant l’instance cantonale. Dans de telles circonstances, le grief tiré d’une prétendue violation du devoir d’instruction s’avère mal fondé.

Pour ce qui est des fiches salariales de l’année 2019, la cour cantonale a retenu à juste titre qu’elles ne sont pas pertinentes pour la détermination du revenu sans invalidité dans le cas d’espèce.

 

Consid. 5.4
L’assuré invoque ensuite le principe de l’équivalence. Ce principe concerne le calcul des rentes et des indemnités journalières et prévoit que ce calcul doit partir du même revenu que celui sur la base duquel les primes sont prélevées (ATF 139 V 28 consid. 4.3.1 et les références). Selon l’art. 15 LAA, les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré (al. 1); est réputé gain assuré pour le calcul des indemnités journalières le dernier salaire que l’assuré a reçu avant l’accident, et est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (al. 2). Le gain assuré selon l’art. 15 LAA ne doit pas être confondu avec le revenu sans invalidité: tandis que le premier concerne le gain déterminant pour le calcul des rentes ou indemnités journalières et est établi sur la base du salaire concret que l’assuré a gagné avant l’accident, le deuxième est décisif pour le calcul du taux d’invalidité selon l’art. 16 LPGA et est un revenu purement hypothétique (cf. arrêt 8C_841/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.1.1; DORIS VOLLENWEIDER/ANDREAS BRUNNER, in: Basler Kommentar Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 7 ad art. 15 LAA), même s’il est évalué, autant que possible, sur la base des circonstances concrètes (cf. consid. 3.2 supra).

En l’espèce, la cour cantonale a retenu à juste titre que le principe d’équivalence n’était pas remis en cause, l’assuré ayant changé de statut seulement deux mois avant l’accident, de sorte qu’il n’avait pas eu le temps de percevoir le revenu qu’il avait projeté d’avoir. L’assuré ne peut rien déduire non plus en sa faveur du fait que l’assurance-accidents s’était basée, pour le calcul des indemnités journalières, sur le gain assuré de 91’000 fr. Au demeurant, contrairement à ce que semble soutenir l’assuré, il ne ressort nullement de l’arrêt 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 que le gain assuré serait déterminant pour fixer le revenu sans invalidité, le Tribunal fédéral s’y étant référé (au consid. 3.2) aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’AVS, conformément à la jurisprudence (cf. consid. 3.2 supra).

Consid. 5.5
En ce qui concerne enfin l’argument selon lequel l’OAI avait retenu, dans sa décision du 11.02.2021, un revenu sans invalidité de 91’000 fr., il convient de rappeler que bien que la notion d’invalidité soit en principe identique en matière d’assurance-invalidité et d’assurance-accidents, il n’en demeure pas moins que l’évaluation de l’invalidité par l’assurance-accidents n’a pas de force contraignante pour l’assurance-invalidité (ATF 133 V 549), tout comme l’assureur-accidents n’est pas lié par l’évaluation de l’invalidité de l’assurance-invalidité (ATF 131 V 362 consid. 2.3; arrêt 8C_66/2022 du 11 août 2022 consid. 4.3).

 

Consid. 6.2 (revenu d’invalide)
L’assuré conteste uniquement l’étendue de l’abattement opéré sur le salaire statistique. A titre d’exemple, il cite divers arrêts du Tribunal fédéral (8C_401/2018 du 16 mai 2019, 8C_311/2015 du 22 janvier 2016, 8C_823/2019 du 9 septembre 2020) et en déduit qu’un abattement de 10% apparaîtrait être la norme pour des assurés présentant des taux d’indemnité pour atteinte à l’intégrité entre 5 et 25% et étant en mesure d’assumer une activité à 100% dans un emploi adapté. Un tel abattement serait donc approprié à sa situation, vu qu’il présente un taux d’atteinte à l’intégrité de 7%, qu’il n’aurait exercé que des activités dans le domaine de la construction, qu’il serait sans formation et que sa maîtrise de la langue française serait limitée. Au surplus, l’office AI aurait également opéré un abattement de 10% sur le revenu d’invalide.

Consid. 6.3
En ce qui concerne l’étendue de l’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch »), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1; 132 V 393 consid. 3.3; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 6.4
On ne peut pas tirer une règle générale de quelques précédents en matière d’abattement sur le salaire statistique, ne serait-ce que parce que cette question doit être tranchée en fonction du cas particulier. En tout état de cause, l’assuré ne démontre pas en quoi l’existence d’une atteinte à l’intégrité de 7% devrait conduire à un abattement supérieur à 5%. Une telle réduction au titre du handicap dépend de la nature des limitations fonctionnelles et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (arrêt 8C_289/2021 du 3 février 2022 consid. 4.4). Concernant les limitations fonctionnelles, le médecin-conseil a indiqué que celles-ci étaient liées à la symptomatologie exacerbée lors des surcharges mécaniques du membre inférieur gauche, ce qui excluait les surcharges mécaniques, le port de charge régulière légère, le port de charge moyenne et lourde occasionnelle, le travail en terrain accidenté, le travail sur échafaudage, les montées et descentes d’escaliers et d’échelles régulières. Tandis que l’exigibilité en tant que maçon n’était plus donnée en pleine capacité et avec un plein rendement, une activité sédentaire était possible sans limitation de temps ni de rendement. Si de telles limitations excluent les travaux lourds, on ne voit pas qu’elles restreindraient de manière significative les activités légères, en tout cas pas dans une mesure qui justifierait un abattement supérieur à 5%. Quant à l’absence d’expérience et de formation et au fait que l’assuré avait travaillé pendant 28 ans pour le même employeur, ces facteurs ne jouent pas de rôle lorsque le revenu d’invalide a été déterminé en référence au salaire statistique auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives (arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.4; 8C_289/2021 du 3 février 2022 consid. 4.4; les deux avec références). Pour le surplus, l’assuré n’établit pas, ni même n’allègue, que la cour cantonale aurait omis de considérer les autres facteurs cités par la jurisprudence. Finalement, l’abattement de 10% opéré par l’office AI ne saurait lier l’assureur-accidents (cf. consid. 5.6 supra). Par conséquent, il n’y a pas lieu de revenir sur l’abattement de 5% opéré par l’assurance-accidents et confirmé par la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_39/2022 consultable ici

 

Les rentes de l’assurance-accidents sont adaptées au renchérissement

Les rentes de l’assurance-accidents sont adaptées au renchérissement

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 16.11.2022 consultable ici

 

Quiconque perçoit une rente d’invalidité ou de survivant de l’assurance-accidents obligatoire recevra une allocation de renchérissement dès le 01.01.2023. Cette allocation s’élèvera à au moins 2,8% de la rente, selon l’année de l’accident. Lors de sa séance du 16.11.2022, le Conseil fédéral a approuvé une modification d’ordonnance correspondante.

L’allocation de renchérissement des rentes de l’assurance-accidents obligatoire est allouée pour compenser le renchérissement actuel. Son calcul se fonde toujours sur l’indice national des prix à la consommation du mois de septembre de l’année en cours. Les dernières allocations avaient été allouée au 01.01.2009.

Les rentes de l’assurance-accidents sont adaptées au renchérissement en même temps que les rentes AVS.

 

 

Communiqué de presse de l’OFSP du 16.11.2022 consultable ici

Assicurazione contro gli infortuni: le rendite saranno adeguate al rincaro, Comunicato stampa dell’UFSP, 16.11.2022, disponibile qui

Die Renten der Unfallversicherung werden der Teuerung angepasst, Medienmitteilung von BAG, 16.11.2022, hier verfügbar

 

8C_487/2021 (f) du 05.05.2022 – LPP – L’admission du recours par la partie intimée ne dispensent pas le Tribunal fédéral d’examiner la cause au fond – 32 LTF / Maxime d’office – 43 al. 1 LPGA – 61 let. c LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_487/2021 (f) du 05.05.2022

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité LPP – Erreur manifeste du tribunal cantonal dans calcul avoir vieillesse

L’admission du recours par la partie intimée ne dispensent pas le Tribunal fédéral d’examiner la cause au fond – 32 LTF / Maxime d’office – 43 al. 1 LPGA – 61 let. c LPGA

Frais judiciaires et dépens – 66 LTF – 68 LTF

 

Assurée, née en 1976, a travaillé du 01.02.2007 au 31.03.2012 en qualité de secrétaire trilingue et était affiliée pour la prévoyance professionnelle auprès de la A.__ (l’institution de prévoyance).

Le 24.02.2014, l’assurée a présenté une demande de prestations de l’assurance-invalidité. Elle été mise au bénéfice d’une rente entière d’invalidité dès le 01.08.2014 conformément à l’arrêt rendu le 09.03.2017 par le tribunal cantonal dans la cause l’opposant à l’office AI.

Saisie le 31.05.2017 d’une demande de rente de la prévoyance professionnelle, l’institution de prévoyance a informé l’assurée qu’elle estimait ne pas être tenue de lui allouer des prestations. Le 14.03.2018, l’assurée a ouvert action contre l’institution de prévoyance en concluant à l’octroi d’une rente entière d’invalidité d’au moins 41’184 fr. par an dès le 01.04.2012 avec intérêts moratoires à 5% l’an dès le 01.06.2017.

Par arrêt du 29.07.2019 (arrêt PP 4/18 – 25/2019), la cour cantonale a admis la demande, a constaté que l’assurée avait droit à une rente entière d’invalidité de la prévoyance professionnelle à compter du 01.04.2012 et a invité l’institution de prévoyance à fixer le montant des prestations à servir conformément aux considérants.

A la suite de cet arrêt, l’institution de prévoyance a alloué à l’assurée une rente d’invalidité d’un montant mensuel de 2’998 fr. 80. Cette dernière a manifesté son désaccord avec ce montant, invoquant le droit à une rente d’invalidité annuelle de 41’184 fr., soit une rente de 3’432 fr. par mois. L’institution de prévoyance a maintenu sa position, expliquant que l’incapacité de travail invalidante remontait au 27.08.2009, de sorte que le calcul de la rente était effectué sur la base du gain assuré selon le certificat personnel au 01.01.2009 (61’444 fr. 65) et non sur celui au 01.01.2012 (70’595 fr.).

 

Procédure cantonale (arrêt PP 5/20 – 16/2021 – consultable ici)

Le 05.03.2020, l’assurée a déposé à titre principal une demande d’interprétation du dispositif de l’arrêt rendu le 29.07.2019 par la cour cantonale, en concluant à ce que son droit à la rente d’invalidité dès le 01.04.2012 se calcule d’après son gain assuré figurant sur le dernier certificat de prévoyance au 01.01.2012. Subsidiairement, elle a formé une demande en constatation de droit tendant à ce que la rente annuelle entière d’invalidité qui lui est due par l’institution de prévoyance avec intérêts s’élève à au moins 41’184 fr.

Par arrêt du 12.05.2021, la cour cantonale a déclaré irrecevable la demande d’interprétation (chiffre I) et a admis la demande en constatation de droit (chiffre II) en ce sens que l’assurée a droit à compter du 01.04.2012 à une rente annuelle d’invalidité de 46’005 fr. 15 avec intérêts à 5% dès le 14.03.2018 (chiffre III).

 

TF

Consid. 3.1
Compte tenu des motifs et conclusions du recours, le litige en instance fédérale ne porte plus que sur un seul aspect du calcul opéré par la cour cantonale pour fixer le montant de la rente annuelle d’invalidité due par l’institution de prévoyance à l’assurée dès le 01.04.2012.

Alors que les juges cantonaux ont retenu, au titre de l’avoir de vieillesse déterminant pour calculer cette rente, un montant de 704’519 fr. 93, l’institution de prévoyance soutient que ce montant doit être établi à 630’672 fr. 90, ce qui donne, après application du taux de conversion de 6,53% selon l’annexe 3 RPEC [Règlement de prévoyance pour les personnes employées et les bénéficiaires de rente de la Caisse de prévoyance de la Confédération; RS 172.220.141.1], une rente annuelle d’invalidité de 41’182 fr. 95 et non pas de 46’005 fr. 15 comme fixé dans le dispositif de l’arrêt entrepris. Plus particulièrement, l’institution de prévoyance s’en prend à la manière dont la cour cantonale a déterminé, dans le cas d’espèce, la somme des bonifications de vieillesse depuis la naissance du droit à la prestation d’invalidité jusqu’à l’âge de 65 ans selon l’art. 24 RPEC, somme qui, avec l’avoir de vieillesse selon l’art. 36 RPEC que la personne assurée a accumulé jusqu’à la naissance du droit à la prestation d’invalidité, compose l’avoir de vieillesse déterminant servant au calcul de la rente (voir l’art. 57 al. 1 let. a et b RPEC).

Consid. 3.2
L’assurée ayant conclu à l’admission du recours sur ce point, il convient de déterminer ce que cela implique pour l’examen de la cause par la Cour de céans.

En droit privé, lorsque la cause est soumise à la maxime de disposition, l’acquiescement devant un tribunal est considéré comme un acte de procédure unilatéral par lequel la partie intimée reconnaît le bien-fondé de la prétention de la partie recourante et admet les conclusions de celle-ci (cf. arrêt 5A_667/2018 du 2 avril 2019 consid. 3.2, publié in SJ 2019 I 344). En droit des assurances sociales, dans lequel prévaut la maxime d’office (cf. art. 43 al. 1 et art. 61 let. c LPGA), l’acquiescement de la partie intimée ne permet pas au Tribunal fédéral de rayer la cause du rôle conformément à l’art. 32 al. 2 LTF; en d’autres termes, des conclusions de la partie intimée tendant à l’admission du recours ne dispensent pas le Tribunal fédéral d’examiner la cause au fond, en vérifiant que la situation résultant de l’admission du recours soit conforme au droit fédéral et en rendant une décision sur le fond (FLORENCE AUBRY GIRARDIN, in: Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n° 23a ad art. 32 LTF; arrêts 8C_331/2020 du 4 mars 2021 consid. 2.1; 9C_149/2017 du 10 octobre 2017 consid. 1; 2C_299/2009 du 28 juin 2010 in RDAF 2010 II 494, consid. 1.3.4).

Il convient dès lors d’examiner si, comme le soutient l’institution de prévoyance, la cour cantonale a violé les dispositions pertinentes du RPEC en établissant le montant de la rente annuelle d’invalidité à 46’005 fr. 15 sur la base d’un avoir de vieillesse déterminant de 704’519 fr. 93.

Consid. 4.1
Invoquant un établissement inexact des faits (art. 97 al. 1 et art. 105 al. 2 LTF), l’institution de prévoyance reproche à la cour cantonale d’avoir pris en compte à double la même prestation de libre passage de l’assurée dans l’avoir de vieillesse déterminant pour le calcul de la rente d’invalidité selon l’art. 57 al. 1 let. a et b RPEC. Elle explique que le 09.10.2012, elle avait transféré, en raison de la sortie de l’assurée de sa caisse, un montant de 46’381 fr. 40 (sic) sur un compte auprès de la Fondation institution supplétive LPP et que ce montant lui avait été reversé par cette dernière le 16.10.2019, majoré des intérêts courus depuis le versement jusqu’à la date de remboursement (48’279 fr. 19), après qu’elle avait été condamnée à verser une rente d’invalidité à l’assurée par arrêt du 29.07.2019. Ces faits ressortaient clairement de ses écritures ainsi que des documents qu’elle avait versés en procédure cantonale, et auraient dû être constatés par la cour cantonale conformément à son obligation d’établir les faits d’office (art. 73 al. 2 LPP). La prise en compte, par l’instance cantonale, à la fois du montant de 46’381 fr. 40 et du versement de 48’279 fr. 19 conduisait à un calcul de rente erroné en violation des dispositions règlementaires.

Consid. 4.2
En l’occurrence, on doit donner raison à l’institution de prévoyance. Après avoir pris en considération d’une manière correcte la prestation de sortie de l’assurée, à sa valeur au 31.03.2012 (soit 46’381 fr. 40), au titre de l’avoir de vieillesse accumulée par celle-ci au moment de la naissance du droit à la prestation d’invalidité (cf. art. 57 al. 1 let. a RPEC), la cour cantonale a également porté en compte, dans le calcul de la somme des bonifications de vieillesse futures de l’assurée (cf. art. 57 al. 1 let. b RPEC), le montant de 48’279 fr. 19 correspondant au versement effectué par la Fondation institution supplétive LPP à l’institution de prévoyance en date du 16.10.2019 (voir le tableau y relatif figurant à la page 25 de l’arrêt entrepris). Il s’agit là d’une erreur manifeste de la cour cantonale, puisqu’il ressort des pièces produites par-devant elle que le montant de 48’279 fr. 19 constitue la prestation de sortie de l’assurée versée par l’institution de prévoyance en 2012 et restituée à cette dernière en 2019 avec les intérêts courus depuis lors conformément à l’art. 90 RPEC, et non pas une prestation de sortie acquise par l’assurée auprès d’autres institutions de prévoyance et apportée à l’institution de prévoyance. Si l’on fait abstraction du montant précité dans le calcul de la somme des bonifications de vieillesse futures de l’assurée, l’avoir de vieillesse déterminant de celle-ci s’élève à 630’672 fr. 90, comme cela résulte du tableau récapitulatif à la page 18 du recours. Il en découle une rente annuelle d’invalidité de 41’182 fr. 95 (630’672 fr. 90 x 6,53).

Consid. 4.3
Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis et l’arrêt attaqué réformé en ce sens que l’assurée a droit, à compter du 01.04.2012, à une rente annuelle d’invalidité de 41’182 fr. 95 avec intérêts à 5% dès le 14.03.2018.

 

Consid. 5
Doit encore être résolue la question des frais et dépens de la présente procédure.

Consid. 5.1
Selon l’art. 66 al. 1 LTF, en règle générale, la partie qui succombe doit payer les frais judiciaires; si les circonstances le justifient, le Tribunal peut les répartir autrement ou renoncer à les mettre à la charge des parties. En ce qui concerne les dépens, le Tribunal fédéral décide si et, le cas échéant, dans quelle mesure les frais de la partie obtenant gain de cause sont supportés par celle qui succombe (art. 68 al. 1 LTF). En règle générale, aucuns dépens ne sont alloués à la Confédération, aux cantons, aux communes ou aux organisations chargées de tâches de droit public lorsqu’ils obtiennent gain de cause dans l’exercice de leurs attributions officielles (art. 68 al. 3 LTF).

Consid. 5.2
En l’espèce, l’institution de prévoyance obtient gain de cause. Elle a dû recourir pour faire corriger une erreur manifeste commise par la cour cantonale dans l’établissement de l’avoir de vieillesse déterminant de l’assurée. Devant le Tribunal fédéral, cette dernière ne s’est pas identifiée à l’arrêt entrepris, mais elle a au contraire acquiescé au recours, mettant en évidence l’erreur qui faussait le calcul de sa rente. On ne saurait donc lui reprocher d’avoir succombé sur ce point devant le Tribunal fédéral (cf. arrêt 4A_595/2011 précité consid. 3), de sorte qu’il sera renoncé à la perception de frais judiciaires pour la procédure fédérale (art. 66 al. 1, deuxième phrase, LTF). Bien qu’obtenant gain de cause, l’institution de prévoyance, en sa qualité d’institution chargée de tâches de droit public, n’a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF; ATF 128 V 124 consid. 5b). Quant à l’assurée, elle saurait ne se voir allouer les dépens qu’elle demande dès lors qu’elle n’obtient pas gain de cause (art. 68 al. 1 LTF).

 

Le TF admet le recours de l’institution de prévoyance.

 

 

Arrêt 8C_487/2021 consultable ici

 

9C_484/2021 (f) du 11.05.2022 – Valeur probante d’une enquête économique sur le ménage – Troubles d’ordre psychique

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_484/2021 (f) du 11.05.2022

 

Consultable ici

 

Obligation de l’assureur social d’enregistrer de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants / 46 LPGA

Valeur probante d’une enquête économique sur le ménage afin d’estimer les empêchements que l’assuré rencontre dans ses activités habituelles en raison de troubles d’ordre psychique / 4 LAI – 7 LPGA – 8 LPGA – 28a LAI – 16 LPGA

Adaptation de la notion de travaux habituels intervenue au 01.01.2018 / ch. 3087 CIIAI

 

Assurée, mariée et mère de sept enfants (nés entre 1977 et 1989), ressortissante suisse domiciliée en France, a déposé une demande AI le 02.03.2009. Celle-ci a été rejetée par l’office AI, dont la décision du 13.12.2013 a été confirmée sur recours successifs par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_387/2017 du 30 octobre 2017).

En octobre 2014, l’assurée a présenté une nouvelle demande de prestations. Entre autres mesures d’instruction, l’administration a sollicité des renseignements médicaux et diligenté une enquête économique sur le ménage (rapport du 03.11.2018). Elle a reconnu le droit de l’assurée à trois quarts de rente d’invalidité du 01.04.2015 au 30.06.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt C-1211/2019 – consultable ici)

Après avoir constaté que les parties ne contestaient ni le statut mixte de personne active à 60% et de ménagère à 40% reconnu à l’assurée par l’office AI, ni qu’elle avait présenté une incapacité totale de travail dans toute activité lucrative dès février 2014, le Tribunal administratif fédéral a circonscrit l’objet du litige à l’évaluation de l’invalidité de l’assurée dans la sphère ménagère. En se fondant sur le rapport d’enquête économique sur le ménage du 03.11.2018, auquel il a accordé une pleine valeur probante, il a déterminé le taux d’empêchement dans les travaux habituels à 14%, à l’instar de l’office AI. Au vu du taux d’invalidité total présenté par l’assurée (66%; soit 60% d’invalidité professionnelle [100% x 60 / 100] et 6% d’invalidité ménagère [14% x 40% / 100]), le TAF a confirmé la décision administrative litigieuse.

Par jugement du 04.08.2021, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 2
Les constatations de la juridiction de première instance sur l’atteinte à la santé, la capacité de travail de la personne assurée et l’exigibilité – pour autant qu’elles ne soient pas fondées sur l’expérience générale de la vie – relèvent d’une question de fait et ne peuvent donc être contrôlées par le Tribunal fédéral que sous un angle restreint (ATF 132 V 393 consid. 3.2). Il en va de même de la constatation d’un empêchement pour les différents postes constituant l’activité ménagère (arrêt 9C_108/2021 du 1er septembre 2021 consid. 3 et les références). On rappellera également qu’il n’y a pas arbitraire du seul fait qu’une solution autre que celle de l’autorité cantonale semble concevable, voire préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 141 I 70 consid. 2.2).

Consid. 5.2
L’obligation de l’assureur social d’enregistrer de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants (art. 46 LPGA), qui constitue le pendant du droit de consulter le dossier et de produire des preuves (découlant des art. 29 al. 2 Cst. et 47 LPGA), tend à garantir l’exhaustivité des pièces produites et établies dans le cadre de la procédure (ATF 138 V 218 consid. 8.1.2 et les arrêts cités). Le fait que l’assureur n’a pas classé toutes les pièces déterminantes de manière cohérente dans l’ordre chronologique ne suffit cependant généralement pas pour conclure qu’il n’aurait pas respecté son obligation de tenir le dossier. Dans un tel cas, il ne suffit pas de critiquer de manière générale une gestion des documents perfectible; la personne assurée doit bien plutôt expliquer précisément en quoi la chronologie manquante par endroits ou le décalage entre les numéros des pièces aurait concrètement rendu impossible une consultation efficace du dossier et constituerait une violation de son droit d’être entendue (cf. arrêt 9C_413/2013 du 18 décembre 2013 consid. 2.2; voir aussi ATF 138 V 218 précité consid. 8.1 et 8.2).

Or en l’espèce, en ce qu’elle se limite à indiquer qu’elle a dû « parcourir l’intégralité des 1017 pages de son dossier, pour retrouver les bons documents » et à déduire de la différence dans la numérotation des documents « la possibilité qu’elle n’ait pas connaissance de l’ensemble des documents du dossier », l’assurée n’établit pas concrètement que son droit d’être entendue aurait été violé. Elle n’allègue en particulier pas que l’une des pièces versées au dossier dans le cadre de l’instruction de sa nouvelle demande de prestations et figurant dans la liste établie par le Tribunal administratif fédéral ne lui aurait pas été transmise par l’office AI. Elle ne prétend pas non plus n’avoir pas compris les motifs de l’arrêt attaqué ou n’avoir pas retrouvé les pièces sur lesquelles s’est fondée la juridiction inférieure. Le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 6.2.1
Contrairement à ce que soutient d’abord l’assurée, le Tribunal administratif fédéral n’a pas violé l’art. 61 LPGA en ne sollicitant pas des renseignements auprès de ses médecins traitants quant à l’incidence de son affection psychique, ainsi que de l’intervention chirurgicale et du traitement de chimiothérapie, sur sa capacité ménagère, après la réalisation de l’enquête économique sur le ménage en novembre 2018. En ce qui concerne l’incapacité d’accomplir les travaux habituels en raison d’une atteinte à la santé, on rappellera, à la suite de la juridiction de première instance, qu’une enquête économique sur le ménage effectuée au domicile de l’assuré (cf. art. 69 al. 2 RAI) constitue en règle générale une base appropriée et suffisante pour évaluer les empêchements dans ce domaine. Même si, compte tenu de sa nature, l’enquête économique sur le ménage est en premier lieu un moyen approprié pour évaluer l’étendue d’empêchements dus à des limitations physiques, elle garde cependant valeur probante lorsqu’il s’agit d’estimer les empêchements que l’assuré rencontre dans ses activités habituelles en raison de troubles d’ordre psychique. Toutefois, en présence de tels troubles, et en cas de divergences entre les résultats de l’enquête économique sur le ménage et les constatations d’ordre médical relatives à la capacité d’accomplir les travaux habituels, celles-ci ont, en règle générale, plus de poids que l’enquête à domicile. Une telle priorité de principe est justifiée par le fait qu’il est souvent difficile pour la personne chargée de l’enquête à domicile de reconnaître et d’apprécier l’ampleur de l’atteinte psychique et les empêchements en résultant (arrêt 9C_39/2021 du 6 décembre 2021 consid. 3.2 et les références).

Or les juges du TAF ont dûment exposé les raisons pour lesquelles ils ont considéré que la question de la nécessité d’avoir l’avis d’un médecin psychiatre en plus de l’enquête ménagère pouvait en l’occurrence demeurer ouverte. Ils ont en effet constaté que l’assurée avait sollicité et obtenu la possibilité de produire des pièces à cet égard au cours de la procédure judiciaire, ce que l’intéressée ne conteste pas. Ils ont également apprécié de manière convaincante les rapports des médecins traitants que l’assurée avait alors versés à la procédure et considéré qu’ils ne faisaient pas état d’éléments médicaux objectivables différents de ceux retenus par le SMR ou l’enquêtrice ou qu’ils ne remplissaient pas les réquisits jurisprudentiels en la matière pour se voir accorder pleine valeur probante. A cet égard, selon les propres déclarations de l’assurée – réitérées en instance fédérale -, il s’agissait en effet essentiellement d’un questionnaire qu’elle avait rempli et soumis à son psychiatre traitant, qui avait contresigné le document.

C’est en vain que l’assurée se prévaut à ce propos d’un établissement incomplet des faits, en reprochant aux juges du TAF de ne pas avoir résumé le contenu de ce document, dès lors déjà que le psychiatre impliqué a seulement « validé les réponses fournies par sa patiente », pour reprendre les termes de l’intéressée, en y apposant sa signature et sans faire de propres constatations (document non daté, signé par elle et le docteur B.__). Quant à l’avis du docteur C.__, qui remplaçait le médecin généraliste, les juges du TAF ont constaté à juste titre qu’il n’était pas motivé. Le médecin s’était en effet contenté de répondre à un questionnaire en indiquant « impossible », « très difficile » ou « avec beaucoup de difficultés » à chaque question qui lui était posée par l’assurée en lien avec ses aptitudes à accomplir une activité ménagère. Par ailleurs, si l’assurée a également produit un avis de son psychiatre traitant, dans lequel il faisait état de la persistance de la symptomatologie dépressive associée à des manifestations anxieuses et attestait un état de santé resté fragile, le médecin ne s’est toutefois pas prononcé au sujet de la capacité de sa patiente à accomplir les travaux habituels.

Consid. 6.2.2
L’assurée ne peut pas non plus être suivie lorsqu’elle allègue que l’enquêtrice n’aurait pas tenu compte de ses limitations fonctionnelles et qu’elle ne l’aurait pas interrogée sur l’évolution de son état de santé entre 2014 et 2018. A la suite des juges du TAF, on constate que l’enquêtrice a mentionné le diagnostic d’épisode dépressif sévère dans la liste non exhaustive des principaux diagnostics et qu’elle a notamment fait état des douleurs que l’assurée ressentait dans les articulations en raison du traitement contre le cancer en relation avec l’entretien du logement. Elle s’est également renseignée au sujet de l’évolution de son état de santé puisqu’elle lui a demandé, pour chaque domaine d’activité, quels étaient les travaux habituels qu’elle était en mesure d’accomplir avant et après la survenance de l’atteinte à la santé en février 2014.

Quant à l’affirmation de l’assurée selon laquelle l’enquêtrice aurait pris en compte « à double titre » l’aide exigible de sa fille pour l’activité consistant à faire les courses, elle n’est pas davantage fondée. S’agissant des achats et courses diverses, on constate que l’enquêtrice a retenu un empêchement de 30% en raison, d’une part, du fait que depuis l’atteinte à la santé, l’assurée faisait les courses avec sa fille car elle n’aimait pas sortir seule et faisait des crises d’angoisse et, d’autre part, qu’elle ne prenait et portait que ce qui était léger, son fils achetant tout ce qui était lourd; dans ce contexte, l’enquêtrice a par ailleurs indiqué une aide exigible des membres de la famille de 30%. L’aide exigible des membres de la famille, à savoir celle de l’époux, ainsi que de la fille et du fils de l’assurée vivant sous le même toit, à hauteur de 28% au total, n’a pas été additionnée à l’aide exigible de 30% prise en compte pour les achats et courses diverses. Le Tribunal administratif fédéral a en effet dûment considéré que l’enquêtrice avait retenu un empêchement pondéré total sans exigibilité de 42% et un empêchement pondéré total avec exigibilité de 14%, compte tenu de l’aide exigible des membres de la famille à hauteur de 28% (soit 42% d’empêchement pondéré sans exigibilité – 14% d’empêchement pondéré avec exigibilité = 28% d’aide exigible des membres de la famille).

Consid. 6.2.3
En définitive, l’argumentation de l’assurée n’est pas suffisante pour mettre en évidence en quoi le Tribunal administratif fédéral aurait établi les faits de manière incomplète ou aurait procédé de manière arbitraire à une appréciation anticipée des preuves (à ce sujet, voir ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

Consid. 6.3
Enfin, les griefs de l’assurée tirés de la violation du principe de l’égalité de traitement, de la non-rétroactivité du droit et des art. 28a LAI et 69 al. 2 RAI, en ce que l’enquêtrice a évalué les empêchements qu’elle présentait dans l’accomplissement des travaux habituels en se fondant sur le tableau établi par l’OFAS dans sa version applicable dès le 01.01.2018 (comprenant désormais cinq domaines d’activités usuelles, soit l’alimentation, l’entretien du logement ou de la maison et la garde des animaux domestiques, les achats et courses diverses, la lessive et l’entretien des vêtements, ainsi que les soins et l’assistance aux enfants et aux proches; cf. ch. 3087 de la la Circulaire de l’OFAS sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI], dans sa teneur modifiée au 01.01.2018), ne sont pas davantage fondés.

L’adaptation de la notion de travaux habituels intervenue au 01.01.2018, dont l’objectif était de mettre plus clairement l’accent sur la notion d’invalidité propre à ouvrir le droit à une prestation spécifique, en concentrant l’examen sur les activités de base de chaque ménage, s’est traduite par le retrait des activités artistiques et d’utilité publique de la liste des activités usuelles accomplies par les personnes non invalides qui s’occupent du ménage (OFAS, Modification du règlement du 17 janvier 1961 sur l’assurance-invalidité [RAI] – Evaluation de l’invalidité pour les assurés exerçant une activité lucrative à temps partiel [méthode mixte] [Adaptations concernant l’application de la méthode mixte après l’arrêt 7186/09 du 2 février 2016 de la Cour européenne des droits de l’homme], Modification prévue pour le 01.01.2018, p. 13). Quoi qu’en dise l’assurée, en ce qu’elle se limite à affirmer qu’elle présentait des « empêchements importants dans les tâches qui ont disparu du tableau en 2018 », elle n’établit pas, pas plus qu’elle ne l’allègue, qu’elle accomplissait des activités artistiques et d’utilité publique avant la survenance de l’atteinte à la santé. Elle n’explique de plus pas en quoi le droit constitutionnel qu’elle invoque aurait été violé. Partant, son argumentation ne répond manifestement pas aux exigences de l’art. 42 al. 1 et 2 en relation avec l’art. 106 al. 2 LTF, de sorte qu’il n’y a pas lieu de l’examiner plus avant.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_484/2021 consultable ici

 

8C_444/2021 (f) du 29.04.2022 – Revenu sans invalidité d’une personne au chômage – ESS – niv. de compétences 2 – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_444/2021 (f) du 29.04.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité d’une personne au chômage – ESS – niv. de compétences 2 / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1960, fromager de formation, a travaillé depuis 1994 dans le secteur de la vente d’automobiles neuves et d’occasion, en dernier lieu pour la société B.__ SA, où il occupait le poste de responsable du parc automobile d’occasions. Son contrat de travail a été résilié au 30 juin 2014 pour des motifs économiques.

Le 27.05.2016, l’assuré, alors au bénéfice d’indemnités chômage, a fait une chute alors qu’il roulait à scooter. Il en est résulté une fracture du plateau tibial gauche de type Schatzker V.

L’évolution du cas a été marquée par la présence d’une gonarthrose gauche tricompartimentale post-traumatique. A l’issue d’un examen par le médecin-conseil, ce dernier a indiqué que la situation était stabilisée, l’ancienne activité de vendeur de voitures n’étant toutefois plus exigible. Dans une activité effectuée majoritairement en position assise, sans limitation au niveau des membres supérieurs, sans déplacements de façon répétée dans des escaliers, sans devoir monter sur des échelles, s’accroupir ou se mettre à genoux, avec un port de charges occasionnel jusqu’à 10 kilos maximum, la capacité de travail de l’assuré était entière sans baisse de rendement. Le taux d’atteinte à l’intégrité s’élevait à 25%.

Par décision du 10.10.2019, confirmée sur opposition le 05.12.2019, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 10% dès le 01.10.2019, ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 25%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/449/2021 – consultable ici)

Par jugement du 12.05.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 28% dès le 01.10.2019.

 

TF

Consid. 1.2
Dans sa décision du 10.10.2019, confirmée sur opposition le 05.12.2019, l’assurance-accidents a reconnu à l’assuré une rente fondée sur un taux d’invalidité de 10%. L’assuré ayant recouru contre cette décision devant la juridiction cantonale en demandant à titre principal l’octroi d’une rente fondée sur un degré d’invalidité de 65%, l’assurance-accidents a conclu, dans son mémoire de réponse, au rejet du recours, respectivement à ce que le taux d’invalidité de 10% qu’elle avait reconnu soit confirmé. Cette conclusion a été confirmée à plusieurs reprises.

Consid. 1.3
Selon l’art. 61 let. d LPGA, le tribunal cantonal des assurances n’est pas lié par les conclusions des parties; il peut réformer, au détriment du recourant, la décision attaquée ou accorder plus que ce que le recourant avait demandé; il doit cependant donner aux parties l’occasion de se prononcer ou de retirer le recours. Il eût par conséquent été admissible que l’assurance-accidents demande au tribunal d’accorder à l’assuré moins (pas de droit à une rente) que ce qu’elle avait elle-même accordé dans la décision attaquée (cf. ATF 138 V 339 consid. 2.3.2.1).

L’assurance-accidents n’a toutefois jamais conclu à ce que la juridiction cantonale constate l’absence de droit à une rente, soit moins que ce qu’elle avait elle-même reconnu à l’assuré en lui allouant une rente fondée sur un taux d’invalidité de 10%, soit le taux minimum pour ouvrir le droit à une rente de l’assurance-accidents (art. 18 al. 1 LAA). Ce n’est que devant le Tribunal fédéral que l’assurance-accidents a pris pour la première fois la conclusion tendant à l’absence de tout droit à une rente, laquelle est par conséquent irrecevable (ATF 138 V 339 consid. 2.3.3; 136 V 362 consid. 4.2).

Consid. 1.4
En revanche, la conclusion subsidiaire de l’assurance-accidents tendant à reconnaître à l’assuré le droit à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 20% est recevable. Il convient dès lors d’entrer en matière sur le recours, qui satisfait par ailleurs aux exigences formelles de recevabilité.

 

Revenu sans invalidité

Consid. 4.2.2
Le choix du niveau de compétence est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 4.2.3
Depuis la dixième édition de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession (arrêts 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.1; 9C_901/2017 du 28 mai 2018 consid. 3.3). Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4; 9C_370/2019 du 10 juillet 2019 consid. 4.1 et les références).

Consid. 4.2.4
Selon les constatations de la cour cantonale, l’assuré a occupé la fonction de chef de vente du 01.02.2008 au 31.12.2008 auprès de D.__ et celle de responsable du parc de voitures d’occasion du 01.02.2003 au 31.01.2008, puis du 01.01.2009 au 30.06.2014 au service du B.__ SA, son dernier employeur, où il était chargé de la gestion de la vente/reprise des véhicules d’occasion, y compris lors des expositions extérieures, comme le salon de la voiture d’occasion. En l’occurrence, la dernière activité exercée par l’assuré coïncide avec la définition du niveau de compétence 2, puisque la gestion d’un parc automobile d’occasions relève principalement de la vente. En ce qui concerne l’expérience professionnelle de plusieurs années dont peut se prévaloir l’assuré – sans formation commerciale ni autres qualifications particulières acquises pendant l’exercice de la profession -, elle ne justifie pas à elle seule un classement supérieur au niveau de compétence 2 dès lors que dans la plupart des secteurs professionnels, un diplôme ou du moins des formations et des perfectionnements (formalisés) sont exigés (cf. arrêts 8C_581/2021 du 19 janvier 2022 consid. 4.4; 9C_148/2016 du 2 novembre 2016 consid. 2.2).

Consid. 4.2.5
Pour calculer le revenu sans invalidité de l’assuré, il convient dès lors de prendre pour base le salaire mensuel auquel peuvent prétendre les hommes dans la branche 45-46 au niveau de compétence 2, soit 5’570 fr., montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen dans la branche (42,3 heures par semaine) et à l’indice des salaires nominaux (+ 0,4% en 2017 et + 0,6% en 2018 et 0% en 2019), ce qui aboutit à un revenu sans invalidité de 71’391 fr. 83 par année.

 

Revenu d’invalide

Consid. 4.3.2
Savoir s’il convient de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison des circonstances du cas particulier constitue une question de droit que le Tribunal fédéral peut revoir librement, tandis que l’étendue de l’abattement justifié dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 146 V 16 consid. 4.2).

Consid. 4.3.3
En l’espèce, il est indéniable que l’assuré doit s’attendre à des pertes de salaire, étant donné qu’il ne peut plus être employé que pour des travaux légers, exécutés principalement en position assise, pour lesquels il ne peut en outre ni soulever ni porter des poids de plus de 10 kg, et ce seulement ponctuellement. Il faut en outre tenir compte du fait qu’il n’a plus accès qu’au marché du travail des personnes qui débutent dans une entreprise et qui n’ont pas encore d’expérience professionnelle dans la nouvelle activité. De plus, il ne lui restait que relativement peu d’années de service avant d’atteindre la limite d’âge AVS (5 ou 6 ans à partir de la stabilisation de son état de santé en 2019). Si l’on tient compte de ces facteurs influençant le salaire, un abattement de 10% sur le revenu d’invalide, tel qu’opéré par l’assurance-accidents et confirmé – quoique, avec une motivation différente – par le cour cantonale, échappe à la critique.

Consid. 4.3.4
Compte tenu d’un revenu sans invalidité de 71’391 fr. 83 et d’un revenu d’invalide de 64’718 fr. 98, la comparaison des revenus donne une invalidité de 9%, le taux de 9,34% étant arrondi au pour cent inférieur (ATF 130 V 121 consid. 3.2). Ce résultat correspond à la conclusion principale de l’assurance-accidents tendant à l’absence de toute rente, laquelle est irrecevable (cf. consid. 1.3 supra). Toutefois, cette conclusion comprend, conformément au principe « a maiore minus », l’octroi d’une rente d’un taux inférieur au taux de 28% alloué par la cour cantonale, indépendamment du fait que l’assurance-accidents a pris une conclusion subsidiaire tendant à l’octroi d’une rente d’invalidité de 20% (fondée sur l’hypothèse, non réalisée en l’espèce, d’un revenu sans invalidité calculé sur la base d’un niveau de compétence 3 et sur l’absence de tout abattement sur le revenu d’invalide). Il convient dès lors de confirmer la décision sur opposition du 05.12.2019 par laquelle l’assurance-accidents avait alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 10%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_444/2021 consultable ici

 

8C_801/2021 (f) du 28.06.2022 – Revenu d’invalide – ESS – Niveau de compétences 2 / 16 LPGA – 18 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_801/2021 (f) du 28.06.2022

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide – ESS – Niveau de compétences 2 / 16 LPGA – 18 LAA

 

Assuré engagé par la société B.__ SA sur la base d’un contrat de mission temporaire en tant qu’aide monteur en lignes aériennes. Le 18.12.2007, alors qu’il était monté sur le toit d’une maison, sa ceinture s’est décrochée lorsqu’il tirait sur le câble de téléphone et il a fait une chute de 5 mètres. Il a subi un polytraumatisme avec une fracture type Burst de L1, une fracture du bassin branche illio-ischio-pubienne gauche, une fracture luxation du coude gauche (Mason III), une fracture comminutive du radius distal gauche (Gustilo I) et une fracture comminutive du radius distal droit, atteintes qui ont été traitées par voie chirurgicale. Ensuite d’un reclassement professionnel, l’assuré a obtenu un CFC d’automaticien et a été engagé à un taux d’activité de 100% par l’entreprise C.__ SA en juillet 2011. Par décision du 28.06.2012, l’assurance-accidents lui a alloué une IPAI d’un taux de 22% et lui a refusé le droit à une rente d’invalidité, au motif que les suites de l’accident ne réduisaient pas sa capacité de gain de manière importante.

Rechute annoncée en mars 2015. L’employeur ayant résilié le contrat de travail avec l’assuré, une orientation professionnelle et plus spécifiquement des stages d’évaluation dans le domaine de la planification électrique ont été mis en place par l’assurance-invalidité. A deux reprises, soit le 05.12.2017 puis le 18.01.2018, l’assuré a été percuté par une voiture au niveau du coude droit.

L’assurance-accidents a rendu le 25.03.2020 une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a reconnu à l’assuré le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux de 14%, calculé, en ce qui concerne le revenu d’invalide, sur la base des salaires statistiques de l’ESS et en tenant compte d’un niveau de compétence 2. Elle lui a également alloué une IPAI complémentaire de 23%.

 

Procédure cantonale

Pour déterminer le revenu d’invalide, les juges cantonaux se sont fondés sur le salaire mensuel brut de 5417 fr. tiré du tableau TA1 de l’ESS 2018, niveau de compétence 1, Total, Hommes. Ils ont en particulier retenu qu’en raison des séquelles accidentelles, l’assuré ne pouvait plus accomplir son activité habituelle d’automaticien à plein temps et qu’il ne pouvait pas non plus mettre à profit les compétences acquises dans cette profession dans une activité adaptée correspondant au niveau de compétence 2.

Par jugement du 05.11.2021, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente d’invalidité fondée sur un taux de 18%.

 

TF

Consid. 2.3
Depuis la 10e édition des ESS (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. L’accent est ainsi mis sur le type de tâches que la personne concernée est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications (niveau de ses compétences) et non plus sur les qualifications en elles-mêmes. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf groupes de profession (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques ou manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement de données et les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_268/2021 du 15 octobre 2021 consid. 3.2.1 avec renvoi à l’arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4 et les références).

Consid. 3.3
Le choix du niveau de compétence applicable dans le cadre de l’utilisation des tableaux statistiques de l’ESS est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 3.4
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, si la personne assurée ne peut plus effectuer l’activité exercée avant la survenance de l’invalidité, l’application du niveau de compétence 2 se justifie uniquement si elle dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêts 8C_131/2021 du 2 août 2021 consid. 7.4.1, publié in SVR 2022 UV n° 3 p. 7; 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.3.1; 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2 et l’arrêt cité).

Cela a récemment été admis dans le cas d’un entrepreneur de jardinage indépendant qui avait travaillé pendant de nombreuses années en tant que contremaître (arrêt 8C_276/2021 du 2 novembre 2021 consid. 5.4.1), chez une vendeuse de textiles qui avait terminé son apprentissage avec d’excellentes notes et avait ensuite rapidement accédé à un poste de responsable de filiale (arrêt 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 5.3 à 5.7), chez un gérant et directeur d’une entreprise de construction qui disposait à la base d’une formation de charpentier et qui avait fait une formation continue pour devenir contremaître et directeur de projet (arrêt 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2), chez un charpentier indépendant qui, au sein de son entreprise, effectuait aussi des tâches administratives et qui était responsable de quatre collaborateurs et de deux apprentis (arrêt 8C_732/2018 du 26 mars 2019 consid. 8.2) ou encore chez un assuré qui n’avait pas de diplôme d’apprentissage mais qui était chef d’une entreprise dans l’industrie de la construction et avait, avant son atteinte à la santé, un revenu nettement supérieur à celui qu’il aurait pu obtenir en tant qu’employé (arrêt 8C_457/2017 du 11 octobre 2017).

En revanche, dans le cas d’un carreleur qui, durant les 30 ans de son activité lucrative indépendante, n’avait jamais effectué des tâches administratives, le Tribunal fédéral a considéré que l’assuré ne disposait pas de compétences ou de connaissances particulières et qu’il fallait donc déterminer le revenu d’invalide en appliquant le niveau de compétence 1 (arrêt 8C_227/2018 du 14 juin 2018 consid. 4.2.2). Il en a fait de même dans le cas d’une assurée qui avait travaillé de nombreuses années en tant qu’infirmière mais qui n’avait pas de formation commerciale ni d’expérience dans ce domaine (arrêt 8C_226/2021 du 4 octobre 2021 consid. 3.3.3).

Consid. 3.5
Au vu de cette jurisprudence, il y a lieu d’admettre que le niveau de formation et l’expérience acquise par l’assuré justifient que son revenu d’invalide soit déterminé sur la base du niveau de compétence 2 des statistiques salariales de l’ESS. En effet, sur le plan professionnel, il ressort des constatations de la cour cantonale et du dossier de l’assuré que celui-ci a suivi le lycée technique à D.__ et qu’il a ensuite intégré l’Armée de l’Air E.__, où il a fait une formation de parachutiste. Arrivé en Suisse en 2006, il a travaillé dans le cadre de contrats de missions temporaires comme aide monteur en lignes aériennes jusqu’au 18 décembre 2007, jour de son accident. En 2008, sous l’égide de l’assurance-invalidité, il a effectué une formation d’automaticien. Pendant six ans, il a exercé ce métier, dans lequel il était chargé d’études de schémas électropneumatiques et de câblage électrique et pneumatique des machines.

Sur le plan médical, il est constant qu’ensuite de la rechute en 2015, l’assuré n’a pas pu reprendre son ancienne activité d’automaticien. Le médecin-conseil a d’ailleurs confirmé que cette activité n’est plus exigible. Il a toutefois relevé que les limitations fonctionnelles de l’assuré étaient probablement compatibles avec l’activité de planificateur-électricien telle qu’elle avait été envisagée par ce dernier et l’assurance-invalidité. Peu importe à cet égard que cette formation n’ait finalement pas pu être réalisée pour des raisons budgétaires, dès lors qu’il s’agit de déterminer le revenu d’invalide hypothétique. On relèvera en outre que l’activité d’automaticien que l’assuré a exercée pendant plusieurs années était non seulement composé de travaux manuels, mais également de travaux conceptuels et administratifs. D’après les déclarations de l’assuré, il recevait des projets et devait faire des plans, des schémas électropneumatiques et choisir le matériel. Or, rien n’empêche qu’il mette à profit les compétences et connaissances acquises dans le cadre de son activité d’automaticien dans un autre domaine tombant sous le large éventail d’activités pratiques prévues par le niveau de compétence 2, dont font notamment partie les tâches administratives (cf. consid. 2.3 supra). C’est dès lors à tort que la cour cantonale a déterminé le revenu d’invalide sur la base du niveau de compétence 1 des salaires statistiques de l’ESS.

Consid. 3.6
Par conséquent, le taux d’invalidité doit être recalculé. Comme l’a relevé à juste titre la cour cantonale, il convient de se référer aux salaires statistiques de l’ESS de l’année 2018, la décision sur opposition ayant été rendue postérieurement à la publication de ceux-ci (cf. ATF 143 V 295 consid. 4.1.2 et 4.1.3 et les références). Il faut ensuite se fonder sur le salaire auquel peuvent prétendre les hommes (« Total ») du niveau de compétence 2, soit 5649 fr. par mois, montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen (41,7 heures par semaine) ainsi qu’à l’indice des salaires nominaux (+ 0.9% en 2019; + 0,8% en 2020). De ce montant, les parties s’accordent à déduire 15% à titre d’abattement. Le revenu d’invalide s’élève ainsi à 61’094 fr. 13 par année. Compte tenu d’un revenu sans invalidité – non contesté – de 71’370 fr., il résulte un taux d’invalidité de 14.9%, qui doit être arrondi au pour-cent supérieur de 15% (ATF 130 V 121 consid. 3.2).

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_801/2021 consultable ici

 

 

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2022

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2022

 

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 01.09.2022 la 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2022 (+2.0%). Le tableau se trouve ici :

  • en français(estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux)
  • en italien(stima trimestrale dell’evoluzione dei salari nominali)
  • en allemand(Quartalschätzungen der Nominallohnentwicklung)

L’estimation de l’évolution des salaires est nécessaire afin d’indexer un revenu (sans invalidité / d’invalide) à 2022.

 

 

9C_154/2021 (d) du 10.03.2022 – Survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité – Connexité temporelle et matérielle / 23 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_154/2021 (d) du 10.03.2022

 

Consultable ici

NB : Traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Survenance de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité – Connexité temporelle et matérielle / 23 LPP

Conflit de compétences entre caisse de pensions et la Fondation institution supplétive

 

Assurée, né en 1976, a travaillé du 02.11.2010 au 31.05.2011 dans le cadre d’un stage professionnel suivi d’un engagement à durée déterminée auprès de l’office B.__ et, à partir du 01.06.2011, auprès de l’office C.__ de la même ville. L’institution de prévoyance professionnelle compétente durant cette période était la caisse de pension de la ville de Lucerne (ci-après : CP Ville de Lucerne). Après la résiliation des rapports de travail d’un commun accord pour fin février 2015 (accord du 15.10.2014), l’assurée a perçu des indemnités de chômage du 16.03.2015 au 13.12.2015 et était assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de la Fondation institution supplétive LPP.

En mars 2016, l’assurée a déposé une demande AI. Après examen psychiatrique réalisé par un médecin du SMR, l’office AI a accordé à l’assurée une rente entière d’invalidité dès le 01.09.2016 (décision du 07.04.2017). A partir de cette date, la Fondation institution supplétive LPP a avancé les prestations de la prévoyance professionnelle.

 

Procédure cantonale

Le 29.11.2019, l’assurée a ouvert action contre la CP Ville de Lucerne et la Fondation institution supplétive LPP, en demandant que la CP Ville de Lucerne soit tenue de verser les prestations obligatoires et réglementaires, majorées d’un intérêt de 5% à compter de l’introduction de l’action ; à titre subsidiaire, que la Fondation institution supplétive LPP soit tenue de verser les prestations obligatoires et réglementaires, majorées d’un intérêt de 5% à compter de l’introduction de l’action ; cette dernière doit en outre être tenue, à titre de mesure provisoire, de (continuer à) avancer les prestations pendant la procédure en cours.

Par jugement du 20.01.2021, le tribunal cantonal a ordonné à la CP Ville de Lucerne de verser à l’assurée les prestations d’invalidité obligatoires et réglementaires, majorées des intérêts, conformément à l’art. 7 OLP, à compter de l’introduction de la demande ou de la date d’échéance ultérieure ; il a rejeté le recours pour le reste.

 

TF

Consid. 2.1
[…] Les expertises sur dossier peuvent également avoir valeur de preuve, dans la mesure où il existe une analyse sans faille et qu’il ne s’agit pour l’essentiel que de l’évaluation d’un état de fait médical établi en soi, c’est-à-dire que la consultation directe de la personne assurée par un médecin spécialiste passe au second plan (cf. parmi d’autres : SVR 2010 n° 46 p. 143, 9C_1063/2009 consid. 4.2.1 ; arrêts 9C_647/2020 du 26 août 2021 consid. 4.2 et 9C_524/2017 du 21 mars 2018 consid. 5.1 et les références).

Consid. 2.2
Le moment de la survenance de l’incapacité de travail déterminante pour la prévoyance professionnelle doit être établi au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 126 V 353 consid. 5b et les références), usuel en droit des assurances sociales (arrêts 9C_52/2018 du 21 juin 2018 consid. 3.2 et 9C_96/2008 du 11 juin 2008 consid. 2.2, et leurs références). La preuve juridiquement suffisante d’une perte de capacité fonctionnelle pertinente pour le droit de la prévoyance professionnelle ne requiert pas nécessairement une incapacité de travail attestée en temps réel par un médecin. Des hypothèses professionnelles ou médicales ultérieures et des réflexions spéculatives, comme par exemple une incapacité de travail médico-théorique déterminée rétroactivement seulement après des années, ne suffisent toutefois pas (arrêt 9C_61/2014 du 23 juillet 2014 consid. 5.1 et les références). Pour suivre l’attestation médicale rétrospective de l’incapacité de travail et pouvoir renoncer à un certificat médical en temps réel, il faut au contraire que les effets négatifs de la maladie sur la capacité de travail soient documentés en temps réel (arrêts 9C_517/2020 du 28 janvier 2021 consid. 3.2 et 9C_851/2014 du 29 juin 2015 consid. 3.2 et la référence, in : SZS 2015 p. 469).

Consid. 2.3
Les constatations de l’instance précédente concernant la nature de l’atteinte à la santé (constat, diagnostic, etc.) et la capacité de travail, qui sont le résultat d’une appréciation des preuves, lient en principe le Tribunal fédéral (ATF 132 V 393 consid. 3.2). La question de fait est également celle du moment de la survenance de l’incapacité de travail dont la cause a conduit à l’invalidité (SVR 2008 LPP n° 31 p. 126, 9C_182/2007 consid. 4.1.1). En revanche, le Tribunal fédéral examine librement les éléments sur lesquels se fonde la décision à ce sujet (SVR 2009 LPP n° 7 p. 22, 9C_65/2008 consid. 2.2 ; arrêt 9C_670/2010 du 23 décembre 2010 consid. 1.2) et si celle-ci repose sur des preuves suffisantes (arrêt 9C_100/2018 du 21 juin 2018 consid. 2.3).

Consid. 3.1
L’office AI a fixé le début du délai d’attente d’un an selon l’art. 28 al. 1 let. b LAI au mois de mai 2015. Or, comme la demande de prestations AI de l’assurée n’a été déposée qu’à la mi-mars 2016, et donc tardivement (cf. art. 29 al. 1 LAI), le tribunal cantonal a nié tout lien à cet égard et a examiné librement l’obligation de la CP Ville de Lucerne de verser des prestations, ce qu’aucune partie ne conteste à juste titre (cf. p. ex. arrêt 9C_679/2020 du 9 février 2021 consid. 4).

Consid. 3.2
L’instance cantonale a considéré qu’une incapacité de travail d’au moins 20% pour raisons psychiques était survenue, au degré de la vraisemblance prépondérante, pendant le rapport de prévoyance avec la CP Ville de Lucerne. Une nouvelle évaluation psychiatrique ne n’aurait apporté que peu de résultats utiles, étant donné que le dossier contient déjà des rapports impartiaux en « temps réel » sur le comportement de l’assurée. Ensuite, la cour cantonale est partie du postulat qu’il existait un lien matériel étroit entre la problématique de santé à partir d’août 2014 et l’invalidité ultérieure. En outre, à partir de cette date, il existait, d’un point de vue médical, une incapacité de travail complètement sans interruption, de sorte qu’il fallait également admettre un lien temporel ininterrompu. En conséquence, le tribunal cantonal a admis l’obligation de la CP Ville de Lucerne de verser ses prestations.

Consid. 4.1
La conclusion centrale de l’instance cantonale, selon laquelle les résultats psychopathologiques invalidants auraient selon toute vraisemblance déjà entraîné une incapacité de travail d’au moins 20% pendant les rapports de travail avec la ville de Lucerne, repose sur une appréciation complète et détaillée du dossier. La cour cantonale a d’abord tenu compte du fait qu’une incapacité de travail attestée en temps réel était avérée et qu’elle concernait le rapport de prévoyance en question. Ainsi, selon l’établissement des faits du tribunal cantonal, l’assurée était en incapacité totale de travail dès le 28.08.2014. Le médecin traitant a expressément confirmé que l’emploi auprès de l’office C.__ avait dû être abandonné pour des raisons de santé ; une poursuite de l’activité était impossible (certificat du 20.03.2015). Le fait que des causes autres que psychiques aient été à l’origine de l’incapacité total de travail attestée par le médecin n’est ni visible ni exposé (de manière étayée) dans le recours. […] Il n’existe aucun indice valable pour que l’assurée ait retrouvé durablement une capacité de travail supérieure à 80% après la fin de ses rapports de travail avec la ville de Lucerne (à ce sujet : ATF 144 V 58 consid. 4.4).

Consid. 4.2
[…] Certes, les explications fournies dans le rapport d’examen du SMR du 11.01.2017 permettent de conclure que les travaux de construction (changement de sol) ont bien déclenché les troubles psychiatriques dans le sens où une détérioration de l’état de santé s’est produite par la suite. Cela ne permet toutefois pas d’ignorer le fait que le médecin n’a pas exclu que la maladie ait déjà eu un impact significatif sur la capacité de travail ( » […] trouble délirant développé depuis le printemps 2015 ou auparavant […]). A ce sujet, le médecin du SMR a précisé que chez l’assurée, ce n’était pas (seulement) la grande sensibilité aux odeurs, aux émissions et aux composés chimiques, apparue dans le cadre de la transformation de l’appartement, qui était frappante, mais le traitement et l’interprétation des expériences et des événements en soi, ce qui s’était déjà manifesté lors du décès de l’animal domestique ou de l’avocat. Selon le médecin, le trouble délirant (CIM-10 F22.0) qui a finalement conduit à une rente AI avec une incapacité de travail de 100% se caractérise par le fait que la patiente est gravement atteinte dans son appréciation de la réalité, qu’elle ne peut donc pas se distancier de sa perception de la réalité et qu’elle ne dispose en outre d’aucune conscience de la maladie ; à cet égard, elle réagit au contraire de manière défensive et même irascible.

Consid. 4.3
L’instance cantonale a procédé à sa propre appréciation du dossier personnel (en temps réel) et ne s’est fondée qu’en dernier lieu sur l’expertise médicale du 05.11.2019, qui intègre ces conclusions et les confirme en tous points. Le médecin-expert a exposé en détail, sur la base des inscriptions dans le dossier personnel, les parallèles entre les symptômes principaux d’un trouble délirant déjà décrits par le médecin du SMR et le comportement de l’assurée durant son emploi à la ville de Lucerne. Le début de l’incapacité de travail déterminante fixé par le médecin-expert en raison des difficultés rencontrées sur le lieu de travail correspond également à la date indiquée par le médecin traitant – fin août 2014. […] On ne voit pas non plus que la cour cantonale n’aurait pas tenu compte des principes applicables aux expertises des parties, puisque le médecin-expert a uniquement évalué la survenance rétrospective de l’incapacité de travail pertinente pour des faits médicaux établis en soi.

Consid. 4.4
En conséquence, on ne saurait reprocher à l’instance cantonale une constatation manifestement inexacte ou une appréciation des preuves juridiquement erronée en ce qui concerne la survenance de l’incapacité de travail pertinente d’au moins 20%. Le fait qu’elle ait renoncé à des investigations supplémentaires, en particulier à la demande d’expertise judiciaire, n’est pas critiquable (appréciation anticipée des preuves ; ATF 144 V 361 consid. 6.5 ; 136 I 229 consid. 5.3). Il n’y a pas non plus de violation du droit à la preuve (art. 29 al. 2 Cst. et art. 6 ch. 1 CEDH). La condition du lien matériel et temporel étroit entre l’incapacité de travail existant pendant le rapport de prévoyance et l’invalidité survenue ultérieurement est restée incontestée et ne donne lieu à aucune remarque.

 

Le TF rejette le recours de la caisse de pension.

 

 

Proposition de citation : 9C_154/2021 (d) du 10.03.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/07/9c_154-2021)

 

Arrêt 9C_154/2021 consultable ici

 

Enquête suisse sur la population active et statistiques dérivées: heures de travail en 2021

Enquête suisse sur la population active et statistiques dérivées: heures de travail en 2021

 

Communiqué de presse de l’OFS du 13.06.2022 consultable ici

 

En 2021, le nombre total d’heures travaillées dans le cadre professionnel en Suisse a atteint 7,798 milliards d’heures, en augmentation de 2,5% par rapport à l’année précédente. Le niveau d’avant la pandémie n’a toutefois pas encore été retrouvé. Le volume de travail des 20-64 ans a légèrement plus progressé en Suisse que dans l’UE selon les derniers résultats de l’Office fédéral de la statistique (OFS) et de l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat).

Les statistiques utiles pour le calcul des revenus avec et sans invalidité (fixés sur la base de l’ESS) :

  • Tableau « Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique (NOGA 2008), en heures par semaine » en français disponible ici
  • Tabelle «Betriebsübliche Arbeitszeit nach Wirtschaftsabteilungen (NOGA 2008), in Stunden pro Woche» hier verfügbar
  • Purtroppo non esiste una versione italiana.

 

 

Communiqué de presse de l’OFS du 13.06.2022 consultable ici

Schweizerische Arbeitskräfteerhebung und abgeleitete Statistiken: Arbeitszeit 2021 wurden in der Schweiz mehr Arbeitsstunden geleistet, Medienmitteilung den 13.06.2022

Rilevazione sulle forze di lavoro in Svizzera e statistiche derivate: ore di lavoro Aumento del numero di ore di lavoro nel 2021 in Svizzera, Comunicato stampa del 13.06.2022

 

8C_421/2021 (f) du 27.01.2022 – proposé à la publication – Accident de vélo de gravité moyenne stricto sensu – Troubles psychiques / Critère de la durée anormalement longue du traitement médical admis / Gain assuré pour la rente – Travailleurs temporaires – Contrat de durée déterminée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_421/2021 (f) du 27.01.2022, proposé à la publication

 

Consultable ici

 

Accident de vélo de gravité moyenne stricto sensu – Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate / 6 LAA

Critère de la durée anormalement longue du traitement médical admis

Pas d’examen approfondi du lien de causalité adéquate avant l’examen du lien de causalité naturelle (expertise psychiatrique) – Rappel de la jurisprudence, également à l’intention des autorités de recours de première instance

Gain assuré pour la rente – Travailleurs temporaires – Contrat de durée déterminée / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA

Interprétation des «revenus perçus auprès des différents employeurs durant l’année précédant l’accident»

 

Assuré, né en 1980, a été engagé par B.__ SA en tant qu’employé d’entretien pour une durée déterminée du 04.08.2014 au 29.08.2014. Le 01.09.2014, alors qu’il circulait à vélo, il a chuté après que sa roue avant se fut bloquée dans les rails du tram. L’accident a causé une fracture des quatre branches ilio- et ischio-pubiennes et de l’aileron sacré gauche, une fracture de l’arc postérieur de plusieurs côtes droites associée à une très fine lame de pneumothorax, une occlusion thrombotique sur dissection avec hématome associé de l’artère iliaque interne gauche, ainsi qu’un hématome rétropéritonéal. Admis à l’hôpital, l’assuré a subi deux ostéosynthèses en raison des fractures au niveau du bassin. Le 14.10.2014, il a été transféré à la Clinique de réadaptation, où il a séjourné jusqu’au 01.04.2015. Ensuite de l’ablation du matériel postérieur le 15.09.2015, il a effectué un deuxième séjour à la Clinique de réadaptation du 16.09.2015 au 06.10.2015.

Alors qu’il avait repris une activité de coursier à vélo à temps partiel, l’assuré a été victime, le 14.12.2016, d’une nouvelle chute lors de laquelle il s’est blessé au poignet gauche (lésion du ligament scapho-lunaire).

Le 27.04.2017, le médecin-conseil a constaté, lors de l’examen, une détérioration importante de l’état de santé de l’assuré et a préconisé un nouveau séjour auprès de la Clinique de réadaptation avec prise en charge globale, somatique et psychologique, séjour qui a eu lieu du 24.05.2017 au 21.06.2017. Dans leur rapport établi à l’issue du séjour, les médecins de la Clinique de réadaptation ont constaté que la situation était stabilisée du point de vue des capacités fonctionnelles au niveau du bassin, même si une diminution des douleurs pouvait encore être attendue; s’agissant du poignet gauche, une stabilisation était attendue dans un délai d’environ deux mois. Relevant que le pronostic de réinsertion était favorable dans l’ancienne activité et dans une activité adaptée, les médecins ont retenu les limitations fonctionnelles suivantes : pas de position assise prolongée, pas de port de charges lourdes ou en porte-à-faux, pas de mouvements de rotation répétitifs avec le tronc, pas de marche prolongée sur terrain irrégulier, pas de mouvements nécessitant de la force du poignet gauche. Sur le plan psychique, ils ont relevé l’absence de trouble psychiatrique constitué, tout en préconisant un soutien psychologique.

Le 09.01.2018, le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie auprès de la Clinique de réadaptation a fait état d’un trouble de l’adaptation avec réaction mixte, dépressive et anxieuse, prolongée, et a considéré que la capacité de travail de l’assuré était alors proche de zéro.

Le 10.01.2018, le médecin-conseil a procédé à l’examen final de l’intéressé. Il a relevé que la situation au niveau du bassin pouvait être considérée comme stabilisée depuis le mois d’avril ou au plus tard depuis le mois de juin 2017. Quant à la situation au niveau du poignet gauche, elle était stabilisée depuis le 18.10.2017 (date d’une consultation auprès d’un médecin spécialiste en chirurgie de la main). L’assuré disposait d’une capacité de travail entière dans une activité à faible charge physique, de type sédentaire avec possibilité d’alterner à volonté les positions assise et debout. En outre, le médecin-conseil a fixé le taux de l’atteinte à l’intégrité à 30% pour les troubles au niveau du bassin, considérant que l’atteinte au poignet ne justifiait aucune indemnisation à ce titre.

Par décision du 23.04.2018, l’assurance-accidents a reconnu le droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 14% à compter du 01.03.2018 – calculée sur la base d’un gain annuel assuré de 16’779 fr. – et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 30%.

L’assuré s’est opposé à cette décision, se prévalant notamment d’un rapport du docteur F.__ du 22 mai 2018, dans lequel le psychiatre indiquait que les accidents constituaient une cause naturelle à sa décompensation actuelle.

Parallèlement à la procédure devant l’assureur-accidents, l’office cantonal AI du Valais, saisi d’une demande de prestations de l’assurance-invalidité, a confié une expertise psychiatrique au docteur G.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, dont les conclusions du rapport, rendu le 30.08.2018, s’opposaient en partie à celles du docteur F.__, en tout cas en ce qui concernait la répercussion des troubles psychiques sur la capacité de travail de l’intéressé.

L’assuré a été adressé une ultime fois à la Clinique de réadaptation pour une évaluation multidisciplinaire avec précision des limitations résiduelles, laquelle s’est déroulée du 26.02.2019 au 12.03.2019.

Par décision du 15 avril 2019, la CNA a partiellement admis l’opposition, en ce sens qu’elle a fixé le gain assuré à 46’814 fr. et le taux d’atteinte à l’intégrité à 40%. Pour le reste, elle a considéré que les dysfonctions urologiques et sexologiques dont souffrait l’assuré n’entraînaient aucune incapacité de travail et que les troubles psychiques n’étaient pas en relation de causalité adéquate avec les deux accidents, de sorte qu’elle n’entendait pas mettre en œuvre d’autres mesures d’instruction afin de départager les avis des docteurs F.__ et G.__.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 30.04.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate

Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou ne serait pas survenu de la même manière (ATF 142 V 435 consid. 1; 129 V 177 consid. 3.1). Le droit à des prestations de l’assurance-accidents suppose en outre l’existence d’un lien de causalité adéquate entre l’accident et l’atteinte à la santé. La causalité est adéquate si, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, le fait considéré était propre à entraîner un effet du genre de celui qui s’est produit, la survenance de ce résultat paraissant de manière générale favorisée par une telle circonstance (ATF 144 IV 285 consid. 2.8.2; 139 V 176 consid. 8.4.2; 129 V 177 précité consid. 3.2).

En présence de troubles psychiques consécutifs à un accident, la jurisprudence a dégagé des critères objectifs qui permettent de juger du caractère adéquat du lien de causalité. Il y a lieu, d’une part, d’opérer une classification des accidents en fonction de leur degré de gravité et, d’autre part, de prendre en considération un certain nombre d’autres critères déterminants (cf. ATF 129 V 402 consid. 4.4.1; 115 V 133 consid. 6c/aa, 403 consid. 5c/aa).

Dans un arrêt du 17 février 2021, publié aux ATF 147 V 207, le Tribunal fédéral a rappelé que dans la mesure où le caractère naturel et le caractère adéquat du lien de causalité doivent être remplis cumulativement pour octroyer des prestations d’assurance-accidents, la jurisprudence admet de laisser ouverte la question du rapport de causalité naturelle dans les cas où ce lien de causalité ne peut de toute façon pas être qualifié d’adéquat. Il n’est en revanche pas admissible reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques d’un assuré avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées au moyen d’une expertise psychiatrique concluante. D’une part, un tel procédé est contraire à la logique du système. En effet, le droit à des prestations découlant d’un accident suppose tout d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Ainsi, on ne peut pas retenir qu’un accident est propre, sous l’angle juridique, à provoquer des troubles psychiques éventuellement incapacitants sans disposer de renseignements médicaux fiables sur l’existence de tels troubles, leurs répercussions sur la capacité de travail et leur lien de causalité avec cet accident. D’autre part, la reconnaissance préalable d’un lien de causalité adéquate est un élément de nature à influencer, consciemment ou non, le médecin psychiatre dans son appréciation du cas, et donc le résultat d’une expertise psychiatrique réalisée après coup s’en trouverait biaisé (ATF 147 V 207 consid. 6.1 et les références).

En l’espèce, la cour cantonale, tout comme l’assurance-accidents, a procédé à l’examen du caractère adéquat du lien de causalité entre les troubles psychiques et les accidents subis, laissant ouverte la question du lien de causalité naturelle. Elle a écarté l’existence du lien de causalité adéquate, classant l’accident du 14.12.2016 dans la catégorie des accidents insignifiants et celui du 01.09.2014 dans la catégorie des accidents de gravité moyenne. A ce dernier propos, elle a considéré que seuls deux des critères posés par la jurisprudence en la matière pouvaient être retenus, soit les critères relatifs aux complications médicales et à la persistance des douleurs. Cela ne suffisait pas, dès lors qu’en présence d’un accident de gravité moyenne, il fallait un cumul de trois critères sur les sept ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante, hypothèses en l’occurrence non réalisées.

De son côté, l’assuré soutient, au regard de l’accident du 01.09.2014, que cinq critères seraient réunis, à savoir, en sus des critères retenus par la cour cantonale, la durée anormalement longue du traitement médical, la nature particulière des lésions physiques, ainsi que le degré et la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques.

S’agissant du critère de la durée anormalement longue du traitement médical, l’aspect temporel n’est pas seul décisif; sont également à prendre en considération la nature et l’intensité du traitement, et si l’on peut en attendre une amélioration de l’état de santé de l’assuré (arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.2.3). La prise de médicaments antalgiques et la prescription de traitements par manipulations, même pendant une certaine durée, ne suffisent pas à fonder ce critère (arrêt 8C_804/2014 du 16 novembre 2015 consid. 5.2.2 et la référence). La jurisprudence a notamment nié que ce critère fût rempli dans le cas d’un assuré ayant subi quatre interventions chirurgicales entre juillet 2010 et juillet 2015, au motif notamment que les hospitalisations avaient été de courte durée et que mises à part lesdites interventions, l’essentiel du traitement médical avait consisté en des mesures conservatrices (arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 5.2.3). En revanche, elle l’a admis dans le cas d’un assuré qui, hospitalisé du 15 décembre 2011 au 5 janvier 2012, avait subi trois interventions chirurgicales du coude gauche, puis une ablation du fixateur externe le 7 février 2012, une ablation du matériel d’ostéosynthèse et arthrolyse du coude le 19 novembre 2013 nécessitant une hospitalisation jusqu’au 19 décembre suivant et enfin une opération de neurolyses des nerfs ulnaire et médian au coude et poignet gauches le 10 février 2015; l’assuré avait en outre séjourné à la Clinique de réadaptation pendant un peu plus d’un mois pour une évaluation multidisciplinaire et professionnelle (arrêt 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 6.3.2). Le critère a également été admis dans le cas d’une longue et pénible convalescence sur une période de 21 mois impliquant trois interventions chirurgicales ayant tenu l’assuré loin de chez lui pendant près de cinq mois à compter de l’accident, puis deux autres opérations pratiquées par la suite pour enlever le matériel d’ostéosynthèse et nécessitant encore deux semaines de rééducation intensive (arrêt 8C_818/2015 du 15 novembre 2016 consid. 6.2).

En l’espèce, hormis les traitements médicamenteux ou non invasifs, tels que les séances de physiothérapie, l’assuré a été hospitalisé pendant sept mois ensuite de l’accident du 01.09.2014 (du 01.09.2014 au 01.04.2015), dont deux mois de transferts « lit-fauteuil » pour garantir l’absence de charge sur les deux membres inférieurs. Il s’est soumis à deux opérations chirurgicales d’ostéosynthèse au niveau du bassin le 08.09.2014, à une opération d’ablation du matériel d’ostéosynthèse le 15.09.2015, suivie de trois semaines d’hospitalisation, puis à une nouvelle hospitalisation de près d’un mois (du 24.05.2017 au 21.06.2017) en raison de l’exacerbation des douleurs au niveau du bassin et enfin à une évaluation multidisciplinaire du 26.02.2019 au 12.03.2019. Au titre d’interventions figurent également une urétrographie-cystoscopie sous narcose le 30.04.2018 et des perfusions de xylocaïne et de kétamine fin 2018-début 2019. Contrairement à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, le critère afférent à la durée et à l’intensité du traitement médical doit ainsi être considéré comme rempli.

Avec les deux autres critères admis par la juridiction précédente, cela suffirait en principe à reconnaître le caractère adéquat des troubles psychiques de l’assuré, étant rappelé que l’accident du 01.09.2014 a été classé dans la catégorie des accidents de gravité moyenne. A ce stade, il est toutefois prématuré d’examiner si la cour cantonale était fondée à retenir les critères relatifs aux complications médicales et aux douleurs persistantes ou si les autres critères encore invoqués par l’assuré sont bel et bien réalisés. En effet, en tout état de cause, il n’est pas admissible de reconnaître le caractère adéquat d’éventuels troubles psychiques avant que les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle avec l’accident en cause soient élucidées.

Il convient par conséquent de renvoyer la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle instruise ces questions – d’ailleurs en partie controversées dans le cas d’espèce – au moyen d’une expertise psychiatrique concluante (cf. ATF 141 V 574 s’agissant de l’évaluation du caractère invalidant des troubles psychiques). Puis elle se prononcera définitivement sur le droit de l’assuré à des prestations pour ses troubles psychiques, en procédant, au besoin, à un nouvel examen circonstancié du lien de causalité adéquate.

Ce qui précède vaut également pour les autorités de recours de première instance qui se retrouveraient dans la même constellation, à savoir saisies d’un examen du lien de causalité adéquate à l’égard de troubles psychiques alors que la question de la causalité naturelle a été laissée ouverte. Dans ce cas, si le juge parvient à la conclusion que l’appréciation de l’assureur-accidents est erronée sur un ou plusieurs critères et que l’admission du lien du causalité adéquate pourrait entrer en considération, il doit, avant de statuer définitivement sur ce dernier point, instruire ou faire instruire par l’assureur-accidents les questions de fait relatives à la nature de ces troubles (diagnostic, caractère invalidant) et à leur causalité naturelle.

 

Gain assuré

Les rentes sont calculées d’après le gain assuré (art. 15 al. 1 LAA). Est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (art. 15 al. 2, 2e phrase, LAA). Le législateur a chargé le Conseil fédéral d’édicter des prescriptions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux, soit notamment lorsque l’assuré est occupé de manière irrégulière (art. 15 al. 3 let. d LAA). Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a prévu à l’art. 22 al. 4 OLAA que les rentes sont calculées sur la base du salaire que l’assuré a reçu d’un ou plusieurs employeurs durant l’année qui a précédé l’accident, y compris les éléments de salaire non encore perçus et auxquels il a droit (1re phrase); si les rapports de travail ont duré moins d’une année, le salaire reçu au cours de cette période est converti en gain annuel (2e phrase); en cas d’activité de durée déterminée, la conversion se limite à la durée prévue (3e phrase).

A l’ATF 138 V 106, le Tribunal fédéral a jugé que chez les travailleurs temporaires, la durée prévue de l’activité de durée déterminée en fonction de laquelle doit se faire la conversion du gain réalisé (cf. art. 22 al. 4, 2e et 3e phrases, OLAA) ne doit pas forcément correspondre à la durée du contrat de durée déterminée auprès de l’employeur. En effet, il apparaissait difficilement conciliable avec le but de la réglementation spéciale – soit de faire bénéficier les travailleurs occupés de manière irrégulière d’une protection d’assurance appropriée – que le montant de la rente d’invalidité d’un assuré qui, par exemple, avait été placé auprès d’une entreprise par une agence de travail temporaire pour une mission limitée dans le temps se détermine uniquement en fonction du salaire reçu au cours de cette période; il subsistait alors un risque que ces assurés soient exclus d’une protection appropriée de l’assurance. Le Tribunal fédéral a dès lors retenu qu’il fallait en toute hypothèse considérer comme salaire déterminant pour le calcul de la rente d’invalidité celui reçu au moment de l’accident converti en un gain correspondant à la durée normale d’activité de l’assuré eu égard à la carrière professionnelle accomplie jusque-là, y compris les périodes effectuées à l’étranger: Si l’on pouvait déduire de la biographie professionnelle que le contrat de durée limitée auprès d’un employeur correspondait à la durée normale d’activité, la conversion se limitait à la durée prévue selon l’art. 22 al. 4, 3e phrase, OLAA; s’il en résultait que l’intéressé aurait exercé une activité au-delà de la durée de la mission prévue, il fallait se baser sur cette plus longue période d’activité; enfin, s’il s’avérait que celui-ci aurait travaillé toute l’année, alors la règle de l’art. 22 al. 4, 3e phrase, OLAA ne trouvait pas application et la conversion du gain obtenu n’était pas limité, conformément à l’art. 22 al. 4, 2e phrase, OLAA (ATF 138 V 106 consid. 7.2; arrêts 8C_210/2020 du 8 juillet 2020 consid. 6.2; 8C_705/2010 du 15 février 2012 consid. 5.2).

Ainsi, dans le cas d’un assuré de nationalité allemande qui avait subi un accident sur un chantier de construction en Suisse, où il avait été placé par une agence de travail temporaire, le Tribunal fédéral a jugé que le gain assuré devait être calculé de façon à convertir le salaire perçu durant le rapport de travail sur une année entière, parce que la biographie professionnelle de l’intéressé avait mis en évidence qu’il avait toujours travaillé depuis la fin de sa formation (arrêt 8C_480/2010 du 20 mars 2012). Il a toutefois relevé que pour les ressortissants étrangers, la durée de la période de conversion du salaire obtenu était limitée à la durée d’autorisation de travailler du point de vue du droit des étrangers (ATF 138 V 106 consid. 7.3 in fine).

En l’espèce, les premiers juges ont confirmé le montant du gain assuré de 46’814 fr. tel que retenu par l’assurance-accidents, après annualisation, sur la base du salaire perçu par l’assuré pour son activité de durée déterminée auprès de B.__ SA (3591 fr. 15 / 28 jours x 365).

L’assuré conteste le montant retenu. Il soutient que le gain annuel assuré aurait dû être fixé en additionnant le total des revenus perçus auprès des différents employeurs durant l’année précédant l’accident, soit 16’779 fr. conformément au calcul de la CNA dans sa décision initiale du 23 avril 2018, puis en annualisant ce montant. Il obtient ainsi un gain assuré de 65’152 fr. 50 (16’779 fr. / 94 jours x 365).

Ce point de vue ne peut pas être suivi. Si l’art. 22 al. 4, 1re phrase, OLAA dispose que les rentes sont calculées sur la base du salaire que l’assuré a reçu d’un ou plusieurs employeurs durant l’année qui a précédé l’accident, cela ne signifie pas qu’il faille tenir compte des salaires afférents à des contrats de travail qui n’ont plus cours lors de la survenance de l’accident. Sont en effet déterminants le rapport de travail et les circonstances salariales qui existaient au moment de l’événement accidentel (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 956 n. 182). Quant à l’annualisation du salaire, elle intervient, conformément à l’art. 22 al. 4, 2e phrase, OLAA, lorsqu’au moment déterminant, la relation de travail – généralement de durée indéterminée – a duré moins d’une année. Cette règle a pour but principal de combler les lacunes de salaire, du point de vue temporel, résultant du fait que la personne assurée n’a pas perçu de salaire pendant toute l’année précédant l’accident; elle vaut également en cas de changement d’activité (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 957 n. 182). En outre, en ce qui concerne les travailleurs occupés de manière irrégulière, il convient également d’annualiser le gain obtenu pour la mission précédant l’accident lorsque l’on peut retenir, au vu de la biographie professionnelle, qu’un employé au bénéfice d’un contrat de durée limitée aurait travaillé toute l’année. En l’espèce, tant l’assurance-accidents que l’instance cantonale ont considéré que l’assuré devait bénéficier de cette règle destinée à protéger les travailleurs occupés de manière irrégulière. Cela étant, c’est à juste titre que les juges cantonaux ont annualisé le salaire perçu au moment déterminant, soit celui afférent à la relation de travail précédant immédiatement l’événement accidentel. Ils n’avaient pas à tenir compte des salaires touchés pour les missions antérieures.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré, renvoyant la cause à l’assureur-accidents pour mise en œuvre de l’expertise et nouvelle décision.

 

 

Arrêt 8C_421/2021 consultable ici