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8C_227/2017 (f) du 17.05.2018 – Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA / Abattement – Manque d’expérience de l’assuré dans une nouvelle profession – Age de l’assuré (59 ans)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_227/2017 (f) du 17.05.2018

 

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Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA

Abattement – Manque d’expérience de l’assuré dans une nouvelle profession – Age de l’assuré (59 ans)

 

Assuré, né en 1956, employé en qualité de maçon, s’est tordu le genou droit le 15.03.2007 à la suite d’un faux mouvement sur un chantier, ce qui lui a occasionné une déchirure des ménisques interne et externe ainsi qu’une déchirure partielle des ligaments croisés.

En février 2010, alors qu’il avait été placé par l’assurance-chômage dans une entreprise de déménagement, l’assuré a annoncé CNA une rechute en raison d’une nouvelle déchirure de la corne postérieure du ménisque interne à droite et d’une lésion de la corne moyenne du ménisque externe. Il a été opéré le 15.03.2010, puis encore le 29.07.2011 à cause d’une récidive de la lésion. En tout, l’assuré a dû se soumettre à cinq arthroscopies du genou.

A l’issue d’un examen médical final de l’assuré du 16.07.2015, le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique, a considéré que l’état de santé de celui-ci était stabilisé et qu’il disposait désormais d’une pleine capacité de travail sans baisse de rendement dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles suivantes: pas de port de charges lourdes, de marche en terrain irrégulier, de montées et de descentes d’échelles ou de positions contraignantes pour le genou.

Par décision du 30.05.2016, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un degré d’invalidité de 16%. Pour déterminer le revenu d’invalide de l’assuré, l’assureur-accidents s’est fondé sur les données de l’Enquête suisse sur la structure des salaires [ESS] et a, en outre, procédé à un abattement de 5% sur le salaire statistique, en raison des seules limitations fonctionnelles.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2016 183 – consultable ici)

La cour cantonale a fixé le taux d’abattement global à 15%. Selon cette dernière, d’autres facteurs que les limitations fonctionnelles induites par les séquelles de l’accident étaient de nature à influer sur les perspectives salariales de l’assuré dans une activité adaptée. Un âge proche de 60 ans constituait un tel facteur, ainsi que l’inexpérience de l’assuré dans une nouvelle profession.

Par jugement du 20.02.2017, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Abattement sur le revenu tiré de l’ESS

En ce qui concerne le taux d’abattement, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (cf. ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79 s.). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 126 V 75 consid. 5b/bb p. 80; arrêt 8C_80/2013 du 17 janvier 2014 consid. 4.2; 9C_751/2011 du 30 avril 2012 consid. 4.2.1).

L’étendue de l’abattement (justifié dans un cas concret) constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72 s.; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (cf. ATF 130 III 176 consid. 1.2 p. 180).

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans le cadre de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juge des assurances sociales ne peut, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 126 V 75 consid. 6 p. 81).

 

En ce qui concerne tout d’abord le manque d’expérience de l’assuré dans une nouvelle profession, il ne s’agit pas d’un facteur susceptible de jouer un rôle significatif sur ses perspectives salariales. D’une part, les activités adaptées envisagées (simples et répétitives de niveau de compétence 1) ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique. D’autre part, tout nouveau travail va de pair avec une période d’apprentissage, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’effectuer un abattement à ce titre (voir par exemple l’arrêt 9C_200/2017 du 14 novembre 2017 consid. 4.5).

L’âge d’un assuré ne constitue pas per se un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Encore récemment, le Tribunal fédéral a insisté sur ce point et affirmé que l’effet de l’âge combiné avec un handicap doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels tels que la formation et l’expérience professionnelle de l’assuré concerné (voir l’arrêt 8C_439/2017 du 6 octobre 2017 dans lequel il a été jugé, à propos d’un assuré ayant atteint 62 ans à la naissance du droit à la rente, qu’il n’y avait pas d’indices suffisants pour retenir qu’un tel âge représentait un facteur pénalisant par rapport aux autres travailleurs valides de la même catégorie d’âge, eu égard aux bonnes qualifications professionnelles de celui-ci).

Dans le cas particulier, la cour cantonale s’est écartée de l’appréciation de l’assurance-accidents sur l’étendue de l’abattement du salaire statistique applicable à l’assuré du seul fait que celui-ci était âgé de 59 ans au moment déterminant, sans même examiner en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur le marché du travail équilibré à raison de son âge en tenant compte de toutes les circonstances du cas particulier. Une telle façon de faire n’est pas conforme à la jurisprudence. En l’espèce, il ressort du dossier que l’assuré, consécutivement à la cessation d’activité de son ancien employeur a accompli plusieurs missions temporaires alors qu’il était inscrit au chômage (en dernier lieu comme déménageur), de sorte qu’on peut admettre qu’il dispose d’une certaine capacité d’adaptation sur le plan professionnel susceptible, le cas échéant, de compenser les désavantages compétitifs liés à son âge, surtout dans le domaine des emplois non qualifiés qui sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur le marché équilibré du travail (arrêts 8C_403/2017 du 25 août 2017 consid. 4.4.1; 8C_805/2016 du 22 mars 2017 consid. 3.4.3).

Il s’ensuit que la cour cantonale n’avait pas de motif pertinent pour substituer son appréciation à celle de l’assurance-accidents.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_227/2017 consultable ici

 

NB : Pour ce nouveau cas d’ESS et d’abattement, la Cour a, à nouveau, statué à cinq juges.

A noter également que le TF laisse, une fois de plus, la question de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA ouverte pour l’abattement en raison de l’âge de l’assuré.

 

 

8C_737/2017 (f) du 08.01.2018 – Obligation de l’assuré de de rechercher un emploi dès la signification du congé – 17 LACI / Suspension des indemnités chômage – 30 LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_737/2017 (f) du 08.01.2018

 

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Obligation de l’assuré de de rechercher un emploi dès la signification du congé / 17 LACI

Suspension des indemnités chômage / 30 LACI

 

Assuré, né en 1977, travaillait en qualité de chef de secteur. Le 03.11.2016, il a résilié son contrat de travail pour le 31.12.2016. Le 30.12.2016, il s’est inscrit comme demandeur d’emploi auprès de l’Office régional de placement (ORP). Un délai-cadre d’indemnisation a été ouvert en sa faveur à compter du 01.01.2017.

L’Office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE) a prononcé une suspension du droit à l’indemnité de chômage pour une durée de 6 jours. Il reprochait à l’assuré de n’avoir entrepris que cinq recherches d’emploi durant la période précédant son inscription au chômage, à savoir deux en novembre et trois en décembre.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/866/2017 – consultable ici)

Par jugement du 09.10.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 30 al. 1 let. c LACI, le droit de l’assuré à l’indemnité est suspendu lorsqu’il est établi que celui-ci ne fait pas tout ce que l’on peut raisonnablement exiger de lui pour trouver un travail convenable. Cette disposition doit être mise en relation avec l’art. 17 al. 1 LACI, aux termes duquel l’assuré qui fait valoir des prestations d’assurance doit entreprendre tout ce que l’on peut raisonnablement exiger de lui pour éviter ou réduire le chômage (ATF 123 V 88 consid. 4c p. 96). Il doit en particulier apporter la preuve de ses efforts en vue de rechercher du travail pour chaque période de contrôle (cf. art. 17 al. 1, troisième phrase, LACI). Sur le plan temporel l’obligation de rechercher un emploi prend naissance avant la survenance effective du chômage. Il incombe, en particulier, à un assuré de s’efforcer déjà pendant le délai de congé de trouver un nouvel emploi et, de manière générale, durant toute la période qui précède l’inscription au chômage. Les efforts de recherches d’emploi doivent en outre s’intensifier à mesure que le chômage devient imminent (ATF 139 V 524 consid. 2.1.2 p. 526; arrêt 8C_854/2015 du 15 juillet 2016 consid. 4.2 et les références citées).

Pour trancher le point de savoir si l’assuré a fait des efforts suffisants pour trouver un travail convenable, il faut tenir compte aussi bien de la quantité que de la qualité des démarches entreprises (ATF 124 V 225 consid. 4a p. 231). Sur le plan quantitatif, la jurisprudence considère que dix à douze recherches d’emploi par mois sont en principe suffisantes (cf. ATF 124 V 225 précité consid. 6 p. 234; arrêt C 258/06 du 6 février 2007 consid. 2.2). On ne peut cependant pas s’en tenir de manière schématique à une limite purement quantitative et il faut examiner la qualité des démarches de l’assuré au regard des circonstances concrètes, des recherches ciblées et bien présentées valant parfois mieux que des recherches nombreuses (arrêts 8C_192/2016 du 22 septembre 2016 consid. 3.2; 8C_589/2009 du 28 juin 2010 consid. 3.2; C 176/05 du 28 août 2006 consid. 2.2; BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 26 ad. art. 17 LACI).

L’obligation de rechercher un emploi prend naissance dès la connaissance du chômage futur, soit en tous cas dès la signification du congé (ATF 139 V 524 consid. 2.1.2 précité). La durée légale ou conventionnelle du délai de congé n’est pas déterminante à cet égard. Quant aux vacances prises pendant le délai de congé, elles n’entraînent pas ipso facto la suppression de l’obligation de rechercher un emploi (arrêts 8C_768/2014 du 23 février 2015 consid. 2.2.3; 8C_952/2010 du 23 novembre 2011 consid. 5.1; 8C_399/2009 du 10 novembre 2009 consid. 4.2). Une éventuelle atténuation de l’obligation de rechercher un emploi en raison du but de repos total des vacances (cf. BORIS RUBIN, op. cit., n° 11 ad art. 17 LACI) supposerait d’abord que ces dernières fussent planifiées avant la signification du congé, ce dont on ignore sur la base des constatations du jugement attaqué. Au demeurant, avec trois recherches effectuées durant le mois de décembre 2017, on est bien loin des chiffres repris dans la jurisprudence. Partant, la sanction n’apparaît pas critiquable dans son principe.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_737/2017 consultable ici

 

 

9C_469/2017 (f) du 10.01.2018 – Mesures médicales – 12 LAI – Déformation des seins de type tubéreux avec un thélothisme / Frais de l’expertise judiciaire – Instruction menée par l’office AI non lacunaire

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_469/2017 (f) du 10.01.2018

 

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Mesures médicales – 12 LAI – Déformation des seins de type tubéreux avec un thélothisme

Frais de l’expertise judiciaire – Instruction menée par l’office AI non lacunaire

 

Assurée, née en 1998, est atteinte de plusieurs infirmités congénitales psychiques et physiques. L’office AI lui a octroyé différentes prestations en nature. Dans un rapport du 27.06.2013, le spécialiste en chirurgie plastique, reconstructive et esthétique, a diagnostiqué un sein tubéreux de stade IV selon la classification de Grolleau ; l’assurée portait des prothèses externes faites sur mesure et une reconstruction bilatérale des seins était envisagée. L’office AI a pris en charge les coûts des exoprothèses des seins mais a refusé de prendre en charge l’intervention chirurgicale projetée.

Le 24.11.2014, l’office AI a reçu un nouvel avis du spécialiste en chirurgie plastique faisant état d’une péjoration de l’état de santé de l’assurée et mentionnant une déformation des seins de type tubéreux avec un thélothisme. L’office AI a refusé la prise en charge des coûts de l’opération chirurgicale.

Le 12.02.2016, l’assurée a été opérée comme prévu pour une reconstruction mammaire bilatérale.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/424/2017 – consultable ici)

Une expertise judiciaire psychiatrique a été confiée à une spécialiste en psychiatrie et psychothérapie pour enfants et adolescents. Les premiers juges ont constaté que l’affection dont souffrait l’assurée (déformation des seins de type tubéreux avec un thélothisme) ne figurait pas dans la liste des infirmités congénitales annexées à l’OIC, de sorte que le droit au traitement de cette anomalie en vertu de l’art. 13 LAI n’était pas ouvert. Ils ont en revanche retenu qu’en application de l’art. 12 LAI, l’assurée avait droit à la prise en charge, par l’office AI, de l’intervention de reconstruction mammaire. Ils ont considéré que l’aptitude à se former et à exercer une activité lucrative était influencée négativement par la malformation mammaire.

Par jugement du 22.05.2017, admission du recours par le tribunal cantonal, mettant les frais de l’expertise judiciaire, s’élevant à 5’000 fr., à la charge de ce dernier.

 

TF

Mesures médicales – 12 LAI

Conformément à la constante jurisprudence fédérale, pour les jeunes assurés, une mesure médicale permet d’atteindre une amélioration durable au sens de l’art. 12 al. 1 LAI lorsque, selon toute vraisemblance, elle se maintiendra durant une partie significative des perspectives d’activités (ATF 104 V 79; 101 V 43 p. 50 consid. 3b avec les références). De plus, l’amélioration au sens de cette disposition légale doit être qualifiée d’importante. En règle générale, on doit pouvoir s’attendre à ce que des mesures médicales atteignent, en un laps de temps déterminé, un résultat certain par rapport au but visé (ATF 101 V 43 p. 52 consid. 3c; 98 V 205 p. 211 consid. 4b). Une disposition de nature thérapeutique dont l’effet se limite à la réduction des symptômes ne peut être considérée comme une mesure d’ordre médical au sens de l’art. 12 LAI, même si elle est indispensable en vue de la réadaptation sur le plan scolaire et professionnel (arrêt I 501/06 du 29 juin 2007 consid. 5.2).

Les différents éléments retenus par l’instance cantonale ne suffisent pas à établir que la mesure médicale dont il est question était directement nécessaire à améliorer l’aptitude de l’assurée à se former ou à exercer une activité lucrative ou à préserver sa capacité de gain d’une diminution notable. Si la malformation mammaire intervenait dans la fragilité psychique de l’assurée, elle ne restait pourtant qu’un facteur parmi d’autres. L’experte a expliqué que la malformation mammaire n’était pas la seule cause des difficultés sociales ou scolaires de l’assurée. De plus, l’intervention chirurgicale participe à une amélioration de la situation mais que l’aptitude à se former et la capacité ultérieure de gain de l’assurée dépend bien plus du trouble du spectre autistique et de sa capacité à s’y adapter. Ainsi, les premiers juges ne pouvaient considérer que l’opération chirurgicale de reconstruction mammaire était suffisamment importante au sens où l’entend la jurisprudence.

 

Frais de l’expertise judiciaire

Au consid. 4.4.2 de l’ATF 137 V 210, le Tribunal fédéral a indiqué que les frais qui découlaient de la mise en œuvre d’une expertise judiciaire pluridisciplinaire confiée à un COMAI pouvaient le cas échéant être mis à la charge de l’assurance-invalidité. En effet, lorsque l’autorité judiciaire de première instance décidait de confier la réalisation d’une expertise judiciaire pluridisciplinaire à un COMAI parce qu’elle estimait que l’instruction menée par l’autorité administrative était insuffisante (au sens du consid. 4.4.1.4 de l’ATF 137 V 210), elle intervenait dans les faits en lieu et place de l’autorité administrative, qui aurait dû, en principe, mettre en œuvre cette mesure d’instruction dans le cadre de la procédure administrative. Dans ces conditions, les frais de l’expertise ne constituaient pas des frais de justice au sens de l’art. 69 al. 1bis LAI, mais des frais relatifs à la procédure administrative au sens de l’art. 45 LPGA qui devaient être pris en charge par l’assurance-invalidité.

Cette règle, qu’il convient également d’appliquer, dans son principe, aux expertises judiciaires mono- et bidisciplinaires, ne saurait entraîner la mise systématique des frais d’une expertise judiciaire à la charge de l’autorité administrative. Encore faut-il que l’autorité administrative ait procédé à une instruction présentant des lacunes ou des insuffisances caractérisées et que l’expertise judiciaire serve à pallier les manquements commis dans la phase d’instruction administrative. En d’autres mots, il doit exister un lien entre les défauts de l’instruction administrative et la nécessité de mettre en œuvre une expertise judiciaire. Tel sera notamment le cas lorsque l’autorité administrative aura laissé subsister, sans la lever par des explications objectivement fondées, une contradiction manifeste entre les différents points de vue médicaux rapportés au dossier, lorsqu’elle aura laissé ouvertes une ou plusieurs questions nécessaires à l’appréciation de la situation médicale ou lorsqu’elle aura pris en considération une expertise qui ne remplissait manifestement pas les exigences jurisprudentielles relatives à la valeur probante de ce genre de documents. En revanche, lorsque l’autorité administrative a respecté le principe inquisitoire et fondé son opinion sur des éléments objectifs convergents ou sur les conclusions d’une expertise qui répondait aux réquisits jurisprudentiels, la mise à sa charge des frais d’une expertise judiciaire ordonnée par l’autorité judiciaire de première instance, pour quelque motif que ce soit (à la suite par exemple de la production de nouveaux rapports médicaux ou d’une expertise privée), ne saurait se justifier (sur l’ensemble de la question, ATF 139 V 496 consid. 4.3 et 4.4 p. 502).

En l’espèce, c’est à tort que la juridiction cantonale a considéré que l’instruction menée par l’office AI était lacunaire et qu’il fallait mettre les frais de l’expertise judiciaire à sa charge.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_469/2017 consultable ici

 

 

9C_773/2016 (f) du 12.01.2018 – destiné à la publication – Droit à une formation professionnelle initiale – 16 LAI – ALCP / Qualification d’une mesure de FPI de l’AI suisse – Règl. 883/2004 / Principe d’égalité de traitement au sens de l’art. 4 du Règl. 883/2004

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_773/2016 (f) du 12.01.2018, destiné à la publication

 

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Droit à une formation professionnelle initiale / 16 LAI – ALCP

Qualification d’une mesure de formation professionnelle initiale de l’assurance-invalidité suisse – Prestations d’une des branches de la sécurité sociale couvertes par le règlement n° 883/2004

Principe d’égalité de traitement au sens de l’art. 4 du règlement n° 883/2004

 

Assuré, ressortissant français et allemand, né en Birmanie en 1994, souffre de bêta-thalassémie majeure. Il habite en France avec ses parents adoptifs. Son père exerce une activité lucrative en Suisse et cotise à l’AVS/AI suisse

Après s’être vu refuser une première demande de prestations, l’assuré a, par l’intermédiaire de ses parents, requis de l’AI la prise en charge d’une formation professionnelle initiale dans le domaine de la restauration et de l’hôtellerie en Suisse. L’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (ci-après: l’office AI) a rejeté cette nouvelle demande au motif que l’enfant n’était pas assujetti à l’AVS/AI suisse.

 

Procédure au TAF

Statuant par un juge unique le 06.10.2014 (C-4842/2013), le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) a rejeté le recours formé par l’enfant contre cette décision. Le Tribunal fédéral a, partiellement admis le recours déposé par l’assuré, renvoyant la cause à celui-ci pour qu’il statue dans une composition conforme à la loi (arrêt 9C_807/2014 du 09.09.2015).

Par jugement du 24.10.2016 (C-5859/2015), admission du recours par le TAF et renvoi de la cause à l’office AI pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

 

TF

Selon l’art. 16 al. 1 LAI, l’assuré qui n’a pas encore eu d’activité lucrative et à qui sa formation professionnelle initiale occasionne, du fait de son invalidité, des frais beaucoup plus élevés qu’à un non-invalide a droit au remboursement de ses frais supplémentaires si la formation répond à ses aptitudes. Sont réputées formation professionnelle initiale toute formation professionnelle initiale au sens de la loi fédérale sur la formation professionnelle (LFPr), ainsi que la fréquentation d’écoles supérieures, professionnelles ou universitaires faisant suite aux classes de l’école publique ou spéciale fréquentées par l’assuré, de même que la préparation professionnelle à un travail auxiliaire ou à une activité en atelier protégé (art. 5 al. 1 RAI).

En application de la seule législation interne suisse, l’assurance-invalidité n’a pas à prendre en charge la mesure de réadaptation litigieuse. Comme l’ont retenu les premiers juges, l’assuré ne réalise en effet pas les conditions d’assurance prévues à l’art. 9 al. 2 LAI. Aux termes de cette disposition, une personne qui n’est pas ou n’est plus assujettie à l’assurance a droit aux mesures de réadaptation jusqu’à l’âge de 20 ans au plus si l’un de ses parents: a. est assuré facultativement ou b. est assuré obligatoirement pour une activité professionnelle exercée à l’étranger conformément à l’art. 1a al. 1 let. c LAVS (ch. 1), à l’art. 1a al. 3 let. a LAVS (ch. 2) ou en vertu d’une convention internationale (ch. 3). Le père de l’assuré est assuré obligatoirement à l’AVS/AI en raison d’une activité exercée en Suisse et la mère de celui-ci n’est pas assurée de manière facultative à l’AVS/AI.

Le litige présente un caractère transfrontalier, de sorte qu’il doit être examiné à la lumière des dispositions de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) et des règlements auxquels il renvoie. A cet égard, compte tenu de la période à laquelle se sont déroulés les faits déterminants (cf. consid. 1.2 de l’arrêt I 484/05 du 13 avril 2006, non publié in ATF 132 V 244), le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (RS 0.831.109.268.1; ci-après: le règlement n° 883/2004), qui a remplacé le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (ci-après: le règlement n° 1408/71) à partir du 1er avril 2012 dans les relations entre la Suisse et les autres Etats membres, est applicable.

En sa qualité de membre de la famille d’un travailleur français qui est soumis à la législation d’un Etat membre, l’assuré entre également dans le champ d’application personnel du règlement n° 883/2004 (art. 2 par. 1, en relation avec l’art. 1 let. i dudit règlement).

Le Tribunal fédéral ne s’est jamais encore prononcé sur la qualification d’une mesure de formation professionnelle initiale de l’assurance-invalidité suisse, en tant que prestations d’une des branches de la sécurité sociale couvertes par le règlement n° 883/2004. A cet égard, l’OFAS relève à raison que l’application des règles européennes de coordination peut conduire à une solution différente quant à la législation applicable et à l’institution compétente selon la branche ou le risque concerné.

La mesure de réadaptation en cause constitue une prestation de sécurité sociale au sens de l’art. 3 par. 1 du règlement n° 883/2004 puisqu’elle est allouée en fonction de critères objectivement définis par la législation suisse et non pas en fonction d’une appréciation discrétionnaire des besoins du bénéficiaire.

Reste à déterminer s’il est possible d’établir un lien suffisant entre cette mesure et l’un des risques mentionnés à l’art. 3 par. 1 du règlement n° 883/2004, seules les let. a (maladie), c (invalidité) et h (chômage) entrant en ligne de compte.

A la suite des premiers juges, il y a lieu de qualifier la mesure de formation professionnelle initiale prévue à l’art. 16 LAI de prestation d’invalidité au sens de l’art. 3 par. 1 let. c du règlement n° 883/2004.

Le règlement n° 883/2004 met en place un système de coordination des différents régimes nationaux de sécurité sociale et établit, à son Titre II (art. 11 à 16), des règles relatives à la détermination de la législation applicable aux travailleurs qui se déplacent à l’intérieur des Etats membres. Celles-ci tendent notamment à ce que les personnes concernées soient soumises au régime de la sécurité sociale d’un seul Etat membre, de sorte que les cumuls (partiel ou total) des législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités. Ce principe de l’unicité de la législation applicable trouve son expression, en particulier, à l’art. 11 par. 1 du règlement n° 883/2004 qui dispose que les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre (ATF 142 V 192 consid. 3.1 p. 194).

Selon l’art. 11 par. 3 let. a du règlement n° 883/2004, la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat membre. Cette disposition consacre le principe de l’assujettissement à la législation du pays de l’emploi (lex loci laboris). Des règles particulières sont prévues pour les fonctionnaires (let. b), les personnes qui bénéficient de prestations de chômage (let. c) et celles qui sont appelées ou rappelées sous les drapeaux ou pour effectuer le service civil (let. d). Le principe général de la lex loci laboris connaît par ailleurs l’exception de l’art. 11 par. 3 let. e qui prévoit que, sous réserve des art. 12 à 16, les personnes autres que celles visées aux let. a à d dudit paragraphe, sont soumises à la législation de l’Etat membre de résidence, sans préjudice d’autres dispositions du présent règlement qui leur garantissent des prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs autres Etats membres.

L’assuré n’entre pas dans les catégories de personnes visées à l’art. 11 par. 3 let. a à d du règlement n° 883/2004, mais dans celle prévue à la let. e. Le règlement n° 883/2004 n’impose en effet pas d’appliquer la même législation au travailleur migrant et aux membres de sa famille n’exerçant pas d’activité lucrative et résidant dans un Etat autre que l’Etat compétent (pour le travailleur; ATF 140 V 98 consid. 8.1 p. 102; STEINMEYER, in Europäisches Sozialrecht, op. cit., n° 36 ad art. 11 du règlement n° 883/2004). Il s’ensuit que l’assuré est soumis à la législation de son Etat de résidence, soit à la législation française, à moins que d’autres dispositions, générales ou particulières, du règlement ne lui garantissent des prestations en vertu de la législation d’un autre ou d’autres Etats membres (art. 11 par. 3 let. e du règlement).

A cet égard, le Titre III du règlement n° 883/2004 contient des dispositions particulières aux différentes catégories de prestations et renferme plusieurs règles de rattachement qui peuvent déroger aux règles générales. Comme sous l’empire du règlement n° 1408/71 (ATF 132 V 244 consid. 4.3.2 p. 250 et la référence), le Titre III, chapitre 4, du règlement n° 883/2004 concernant les prestations d’invalidité ne vise cependant que les prestations servies en espèces, à l’exclusion des prestations en nature. Les dispositions du Titre III ne s’appliquent dès lors pas à la mesure de réadaptation requise qui constitue indubitablement une prestation en nature. L’assuré, qui est soumis à la législation française, ne peut donc déduire aucun droit à des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité suisse en vertu des Titres II et III du règlement n° 883/2004.

Il reste à déterminer si la prestation litigieuse peut être allouée à l’assuré en vertu du principe d’égalité de traitement de l’art. 4 du règlement n° 883/2004. Conformément à cette disposition, à moins que le règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout Etat membre, que les ressortissants de celui-ci.

L’art. 9 al. 2 let. a LAI, en relation avec l’art. 2 LAVS, ne prévoit pas de conditions liées à la nationalité, si bien qu’il n’entraîne aucune discrimination directe. Seul l’art. 9 al. 2 let. b ch. 1 en relation avec l’art. 1a al. 1 let. c LAVS prévoit une exigence liée à la nationalité suisse – dans des cas particuliers d’activités exercées au service de la Confédération ou d’organisations internationales ou d’entraide particulières – mais ce cas de figure spécifique n’est pas en cause ici.

C’est le lieu de préciser que le législateur suisse a introduit dans une loi fédérale (art. 9 al. 2 LAI; cf. ATF 137 V 167 consid. 4.6 p. 174), qui s’impose au Tribunal fédéral (art. 190 Cst.; ATF 140 I 353 consid. 4.1 p. 358), les conditions auxquelles une personne qui n’est pas ou n’est plus assujettie à l’assurance a droit aux mesures de réadaptation jusqu’à l’âge de 20 ans au plus. Un citoyen suisse ne pourrait dès lors plus se prévaloir avec succès de la jurisprudence mentionnée par l’autorité précédente et fondée sur une inégalité de traitement au sens de l’art. 8 al. 1 Cst., en relation avec une disposition réglementaire (anc. art. 22quater al. 2 RAI).

Pour être assuré à l’assurance facultative suisse (cf. art. 9 al. 2 let. a LAI), les ressortissants suisses et les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne ou de l’Association européenne de libre-échange (AELE) vivant dans un Etat non membre de la Communauté européenne ou de l’AELE qui cessent d’être soumis à l’assurance obligatoire après une période d’assurance ininterrompue d’au moins cinq ans, peuvent adhérer à l’assurance facultative (art. 2 LAVS). Pour avoir été assuré à l’assurance obligatoire suisse pendant au moins cinq ans sans interruption, il faut avoir été domicilié en Suisse ou y avoir exercé une activité lucrative (art. 1a al. 1 LAVS). Or il est plus facile pour un ressortissant suisse que pour une personne de nationalité étrangère de remplir ces exigences légales. En ce sens l’art. 9 al. 2 let. a LAI en relation avec l’art. 2 LAVS défavorise donc les ressortissants d’autres Etats membres, de sorte qu’il y aurait une discrimination indirecte dans la mesure où la réglementation nationale ne serait pas objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi.

Sous l’angle de l’objectif de la réglementation nationale en cause, on ajoutera que l’art. 9 al. 2 LAI a pour but de garantir, à certaines conditions, le droit aux mesures de réadaptation notamment à des enfants qui ne peuvent pas adhérer à l’assurance sociale suisse ou à l’assurance sociale d’un Etat membre de l’Union européenne ou de l’AELE (Message, du 22 juin 2005, concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [5e révision de l’AI], FF 2005 4215, ch. 2.1. p. 4316 s.). Devant le TF, l’assuré n’a pas fait valoir que tel serait son cas, en particulier qu’il ne bénéficierait pas de la protection du système de sécurité sociale français. Il ne s’agit par ailleurs pas, en l’occurrence, de l’affiliation en tant que telle de l’assuré à l’assurance-invalidité suisse, mais seulement en relation avec la mesure de réadaptation d’ordre professionnel prévue par l’assurance-invalidité suisse à l’art. 16 LAI. Or la mesure de formation professionnelle initiale vise à rétablir, maintenir ou améliorer la capacité de gain (cf. art. 8 al. 1 LAI) de la personne concernée et de lui permettre, dans la mesure du possible, de mettre en valeur cette capacité de travail sur le marché du travail du lieu où elle vit, en principe en Suisse. Le lien étroit entre la mesure de réadaptation allouée par l’assurance-invalidité helvétique et la Suisse est mis en évidence par l’art. 9 al. 1 LAI, selon lequel « les mesures de réadaptation sont appliquées en Suisse, elles peuvent l’être exceptionnellement aussi à l’étranger ». Il y a également lieu de prendre en considération que seul un nombre très restreint d’enfants de travailleurs frontaliers (au plus tôt après l’accomplissement de leur dix-huit ans; art. 29 al. 1 LAI) réalisent les conditions d’assurance pour le droit à une rente de l’assurance-invalidité suisse (cf. art. 6 al. 1, art. 6 al. 3, art. 36 al. 1 et 39 LAI, ainsi que l’art. 24 de l’Annexe I ALCP), de sorte qu’une réadaptation en Suisse n’aurait qu’une portée limitée (en ce sens ATF 143 V 1 consid. 5.2.4.2 p. 7). Il semble dès lors objectivement justifié, y compris sous l’aspect de la proportionnalité, de réserver l’exception de l’accès d’une personne non assurée de moins de 20 ans à la mesure de formation professionnelle à la charge de l’assurance-invalidité à des situations particulières dans lesquelles l’intéressé n’est pas soumis au système de la sécurité sociale suisse ou d’un Etat de l’Union européenne ou de l’AELE.

Le principe d’égalité de traitement de l’art. 4 du règlement n° 883/2004 n’a pas pour effet d’obliger les autorités suisses à traiter tous les ressortissants européens (entre eux) de manière identique, sans égard à la législation nationale qui leur est applicable, et de les soumettre à des règles relatives à un Etat avec lequel ils n’ont aucun lien (direct) et dont la législation ne leur est pas applicable en vertu du règlement n° 883/2004 (ATF 142 V 192 consid. 6.2 p. 201; cf. ég. ATF 143 V 1 consid. 5.2.3 p. 5). Dans cette mesure, il importe peu pour la solution du présent litige qu’un ressortissant européen domicilié en France soit exclu de l’affiliation à l’assurance facultative suisse, alors qu’il peut y être assujetti, à certaines conditions, s’il vit en dehors de l’Union européenne. Il n’est en effet pas traité de manière différente qu’un citoyen suisse (sous réserve de l’art. 2 LAVS en relation avec le ch. 1 sous « Suisse » de l’Annexe XI au règlement n° 883/2004 [consid. 7.4.1 supra]).

Il résulte de ce qui précède que la décision de refuser à l’assuré la mesure de réadaptation en cause au motif que l’un de ses parents (au moins) ne réalise pas les conditions de l’art. 9 al. 2 LAI, en relation avec l’art. 2 LAVS, ne porte pas atteinte au principe d’égalité de traitement au sens de l’art. 4 du règlement n° 883/2004.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement du TAF et confirme la décision de l’OAIE.

 

 

Arrêt 9C_773/2016 consultable ici

 

 

8C_283/2017 (f) du 26.11.2017 – Accidents successifs – Rechute d’un accident antérieur – Prothèse totale de coude / Causalité naturelle – Statu quo sine – 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_283/2017 (f) du 26.11.2017

 

Consultable ici

 

Accidents successifs – Rechute d’un accident antérieur – Prothèse totale de coude

Causalité naturelle – Statu quo sine / 6 LAA

 

L’assuré, grutier, est victime d’un accident de circulation le 01.10.1997 lors duquel il subit, entre autres blessures, plusieurs fractures au niveau du membre supérieur gauche ainsi qu’une rupture des ligaments du genou droit. Le traitement des lésions a nécessité plusieurs interventions chirurgicales, en particulier une opération d’implantation d’une prothèse totale du coude gauche le 18.05.1999. L’assureur-accidents lui a alloué une rente d’invalidité (taux 20%) à compter du 01.03.2001. Le montant de la rente était réduit de 30% pour tenir compte de la faute de l’assuré (conduite sans permis et excès de vitesse).

Il a travaillé par la suite notamment comme aide-ramoneur puis chauffeur-livreur à l’étranger. En 2012, il a repris son ancienne activité de grutier en Suisse, de sorte que sa rente d’invalidité a été supprimée avec effet au 01.12.2013.

Le 02.04.2014, l’assuré est victime d’un nouvel accident : il chute d’environ 3 mètres en descendant d’un échafaudage. Le médecin du service des urgences a fait état de contusions au coude gauche et au genou droit, d’une entorse bénigne à la cheville gauche, d’une contusion cervicale et d’une dermabrasion avec plaie superficielle paralombaire droite. L’accident a causé une incapacité totale de travail à l’assuré et nécessité un traitement antalgique ainsi que des séances de physiothérapie. Le 08.01.2015, l’assuré a subi une nouvelle intervention chirurgicale (remplacement de la prothèse totale du coude gauche et neurolyse du nerf ulnaire gauche).

Par décision du 23.06.2015, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a constaté l’absence d’une relation de causalité entre l’accident du 02.04.2014 et les atteintes à la santé persistant au-delà du 07.01.2015 (statu quo sine), considérant que ces dernières se rapportaient à l’accident du 01.10.1997. Partant, la CNA a réduit de 30% les indemnités journalières allouées à l’assurée à partir du 08.01.2015.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 19/16 – 27/2017 – consultable ici)

Par jugement du 29.03.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Lien de causalité naturelle – Statu quo sine

Un rapport de causalité naturelle doit être admis si le dommage ne se serait pas produit du tout, ou ne serait pas survenu de la même manière sans l’événement assuré (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438; 129 V 177 consid. 3.1 p. 181, 402 consid. 4.3.1 p. 406 et les arrêts cités). Il n’est pas nécessaire que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé: il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte.

En cas d’état maladif antérieur, si l’on peut admettre qu’un accident n’a fait que déclencher un processus qui serait de toute façon survenu sans cet événement, le lien de causalité naturelle entre les symptômes présentés par l’assuré et l’accident doit être nié lorsque l’état maladif antérieur est revenu au stade où il se trouvait avant l’accident (statu quo ante) ou s’il est parvenu au stade d’évolution qu’il aurait atteint sans l’accident (statu quo sine) (arrêt 8C_698/2007 du 27 octobre 2008 consid. 2.2). L’examen de l’existence de la causalité naturelle revient donc à se demander si l’accident a causé une aggravation durable de l’état maladif antérieur ou une nouvelle atteinte durable dans le sens d’un résultat pathologique sur la partie du corps déjà lésée. Le point de savoir si l’atteinte est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus doit être tranché en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3 e éd. 2016, p. 930 n. 107).

S’agissant d’atteintes somatiques, la violence du choc n’est pas un élément déterminant pour apprécier le rapport de causalité, lequel se détermine en fonction de renseignements médicaux (cf. p. ex. arrêt 8C_794/2014 du 3 décembre 2015 consid. 4.1).

Contrairement à ce que soutient l’assuré, le rapport du médecin-traitant, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, ne permet pas de conclure à l’existence du lien de causalité litigieux. En effet, à la question de savoir si l’état de santé actuel avait été causé, au moins partiellement, par l’accident du 02.04.2014, ce médecin répond ne pas être en mesure de déterminer si l’accident précité a causé ou seulement aggravé le descellement de l’implant huméral de la prothèse du coude. Or, il ne suffit pas que l’existence d’un rapport de cause à effet soit simplement possible ; elle doit pouvoir être qualifiée de probable dans le cas particulier, sans quoi le droit aux prestations fondées sur l’accident doit être nié (ATF 129 V 177 consid. 3.1, 402 consid. 4.3.1 précités).

Avant l’intervention du 18.05.1999, l’assuré avait été clairement informé qu’il existait un risque de descellement de la prothèse important à moyen terme et qu’un tel descellement serait probablement favorisé par une activité physique lourde. Puisque la prothèse avait été posée en 1999 et changée en 2015, elle avait présenté une « survie » de quinze ans, ce qui pouvait être considéré comme un temps plus qu’acceptable. Considérant ensuite que l’assuré avait exercé des activités pour le moins déconseillées en status après arthroplastie du coude, le temps de « survie » de sa prothèse apparaissait assez exceptionnel, surtout qu’il existait déjà radiologiquement en 2005 des signes de descellement au niveau huméral. En outre, si l’on regardait les radiographies au jour de l’accident du 02.04.2014, on notait un descellement prothétique déjà connu mais on ne distinguait pas de signe de descellement aigu. Il n’y avait pas de fracture ni de désaxation de la tige prothétique par rapport à l’axe huméral qui auraient pu signer un déplacement aigu consécutif à l’accident, respectivement qui auraient pu parler pour une décompensation structurelle de l’état post-traumatique préexistant.

Selon le TF, on ne voit pas non plus l’utilité d’une expertise sur la durée de vie de la prothèse, dès lors que son remplacement avait déjà été évoqué à plusieurs reprises avant que ne survienne l’accident du 02.04.2014. Dans tous les cas, la durée de la prothèse du coude, allant selon les dires de l’assuré bien au-delà des pronostics initiaux, ne fait pas naître de doute quant à la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance (cf. ATF 135 V 465 consid. 4 p. 467 ss), en particulier du docteur D.__ qui a souligné d’ailleurs la longévité remarquable de celle-ci.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_283/2017 consultable ici

 

 

9C_709/2017 (f) du 12.01.2018 – Droit à une mesure de réadaptation d’ordre professionnel – 17 LAI – 6 RAI / Assuré ayant renoncé à l’exercice d’une activité prof depuis 20 ans, vivant en marge de la société

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_709/2017 (f) du 12.01.2018

 

Consultable ici

 

Droit à une mesure de réadaptation d’ordre professionnel / 17 LAI – 6 RAI

Rééducation dans la même profession, assimilée au reclassement / 17 al. 2 LAI

Assuré ayant renoncé à l’exercice d’une activité prof depuis 20 ans, vivant en marge de la société

 

Assuré, né en 1959, titulaire d’un CFC d’employé de commerce, a travaillé jusqu’au début des années 1990, puis émargé à l’aide sociale dès 1995. Le 12.03.2015, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité. Après les investigations et démarches usuelles, ont été diagnostiqués – avec répercussion sur la capacité de travail – une insuffisance rénale chronique de stade III sur néphropathie hypertensive et diabétique. La capacité de travail exigible était fixée à 70% dans toute activité professionnelle depuis juillet 2015. L’office AI a rejeté la demande de prestations, motif pris que le taux d’invalidité se confondait avec celui de l’incapacité de travail (30%).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/701/2017 consultable ici)

La juridiction cantonale a considéré que l’assuré avait droit à la mise en place de mesures visant à une remise à niveau de ses connaissances. Les activités professionnelles exercées par l’assuré jusqu’en 1995 avaient en effet sensiblement évolué, si bien qu’une formation professionnelle était à l’évidence nécessaire.

Par jugement du 22.08.2017, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, « en ce sens que l’assuré a droit à la mise en place de mesures visant à une remise à niveau de ses connaissances ».

 

TF

La rééducation dans la même profession, que la loi assimile au reclassement (art. 17 al. 2 LAI), comprend un ensemble de mesures de réadaptation de nature professionnelle, nécessaires et adéquates pour procurer à la personne assurée – dans l’activité qui est déjà la sienne – une possibilité de gain équivalant à peu près à celle dont il disposerait s’il n’était pas invalide (ATF 99 V 34 consid. 2 p. 35).

Selon les faits constatés par la juridiction cantonale, l’assuré a renoncé à l’exercice d’une activité professionnelle en 1995 et vécu en marge de la société depuis lors. Il a de plus présenté pour la première fois une atteinte à la santé susceptible de restreindre sa capacité de travail en juillet 2015 (insuffisance rénale chronique de stade III sur néphropathie hypertensive et diabétique), soit après le dépôt de sa demande de prestations. Il faut donc en conclure que l’assuré n’a entrepris aucune démarche pour exercer une activité professionnelle durable ou, à tout le moins, pour se réinsérer dans le monde du travail depuis plus de vingt années, hormis des mesures de réinsertion socioprofessionnelle entre 2001 à 2006. La juridiction cantonale n’a mis en évidence aucune circonstance particulière qui aurait justifié que l’assuré change un mode de vie dont il s’était accommodé depuis de nombreuses années. Celui-ci a du reste expressément indiqué à l’office AI qu’il n’était pas à la recherche d’un emploi.

Aussi, il n’existait aucun indice au dossier que des mesures de réadaptation apparaissaient indiquées, tant objectivement que subjectivement. A l’inverse de ce que prétend la juridiction cantonale, la distance prise par l’assuré à l’égard des règles de la société et la marginalisation que celle-ci a entraînée ne sauraient en particulier justifier une mesure de réadaptation de l’assurance-invalidité après la survenance d’une atteinte à la santé (cf. arrêts 9C_36/2013 du 21 juin 2013 consid. 4.4.2 et 4.5 et I 170/06 du 16 février 2007 consid. 3.4).

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_709/2017 consultable ici

 

 

5A_701/2017 (f) du 14.05.2018 – destiné à la publication – « Amitié sur Facebook » avec une partie à la procédure : le juge ne doit pas se récuser

Arrêt du Tribunal fédéral 5A_701/2017 (f) du 14.05.2018, destiné à la publication

 

Consultable ici : https://bit.ly/2Ha5DVK

Communiqué de presse du TF du 01.06.2018 consultable ici : https://bit.ly/2HesuQo

 

« Amitié sur Facebook » avec une partie à la procédure : le juge ne doit pas se récuser

 

Le seul fait qu’un juge soit « ami » sur Facebook avec une partie à la procédure ne constitue pas un motif de récusation. En l’absence d’autres indices, on ne peut en tirer l’existence d’un lien d’amitié propre à fonder l’apparence de prévention d’un juge. Le Tribunal fédéral rejette le recours d’une mère valaisanne.

En 2016, sur requête du père, l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (APEA) d’une commune valaisanne avait, entre autres mesures, institué l’autorité parentale conjointe sur un enfant né hors mariage. La mère requit ultérieurement l’annulation de la décision de l’APEA, motif pris que son président aurait été « ami » sur Facebook avec le père de l’enfant. Le Tribunal cantonal valaisan rejeta cette requête.

Le Tribunal fédéral rejette le recours de la mère. Selon la Constitution fédérale et la Convention européenne des droits de l’homme, toute personne a droit à ce que sa cause soit tranchée par un juge impartial et exempt de préjugé ou de parti pris. Pour qu’un juge doive se récuser, il n’est pas nécessaire qu’il soit effectivement prévenu. Il suffit que, selon une appréciation objective, les circonstances donnent l’apparence d’une prévention ou fassent redouter une activité partiale. Pour des relations amicales, une certaine proximité allant au-delà du fait de se connaître ou de se tutoyer est requise (consid. 4.4). Une « amitié » sur Facebook ne renvoie pas encore à des relations d’amitié au sens traditionnel. Pour fonder une « amitié Facebook », un sentiment réciproque d’affection ou de sympathie n’est pas forcément nécessaire. Certes, le cercle des « amis Facebook » peut aussi comprendre des personnes avec lesquelles on entretient régulièrement des relations dans la vie réelle ; peuvent toutefois également en faire partie des gens que l’on qualifierait uniquement de simples connaissances ou des individus avec lesquels on ne partage qu’un intérêt commun pour un domaine particulier et uniquement sur le réseau social. Selon des études récentes, à partir de plus de 150 « amis Facebook », il faut par ailleurs aussi compter avec des personnes avec lesquelles on n’entretient aucune relation ou que l’on ne connaît même pas (consid. 4.5). Par conséquent, en l’absence d’autres indices, une « amitié Facebook » ne permet pas à elle seule de conclure à l’existence d’une relation d’amitié propre à fonder une apparence de prévention. De telles circonstances supplémentaires font défaut dans le cas concret (consid. 4.6).

 

 

Arrêt 5A_701/2017 consultable ici : https://bit.ly/2Ha5DVK

Communiqué de presse du TF du 01.06.2018 consultable ici : https://bit.ly/2HesuQo

 

 

8C_575/2017 (f) du 26.04.2018 – Réduction des prestations – Rixe – Bagarre / 39 LAA – 49 al. 2 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_575/2017 (f) du 26.04.2018

 

Consultable ici : https://bit.ly/2GDBsGr

 

Réduction des prestations – Rixe – Bagarre / 39 LAA – 49 al. 2 OLAA

 

Le 21.12.2014, vers minuit et demie, l’assuré a reçu plusieurs coups de poing de la part de C.__ dans un bar, lui causant notamment une fracture du nez et des dents cassés, ainsi qu’une incapacité de travail. Les prénommés ont tous deux déposé une plainte pénale à l’encontre de l’autre.

Le soir en question, l’assuré, accompagné de trois amis, a rencontré fortuitement son agresseur, qu’il connaissait depuis des années. Après que les trois amis eurent quitté le bar, les deux protagonistes – l’assuré et C.__ – se sont retrouvés seuls à leur table face à face. Quelques minutes plus tard, dans des circonstances peu claires, l’assuré s’est levé, s’est approché de son agresseur et lui a posé la main sur la nuque. Celui-ci s’est également levé puis, après quelques instants, a violemment frappé l’assuré de ses poings. En ce qui concerne l’échange verbal qui a précédé les coups, les déclarations des intéressés étaient divergentes. Quoi qu’il en fût, il était indéniable que le ton était monté. L’assuré s’était rendu compte que la situation devenait tendue, si bien qu’il a déclaré avoir tout fait pour calmer son agresseur. Toutefois, il ressortait de ses déclarations à la police puis au procureur qu’il avait tenu des propos peu nuancés et peu à même d’apaiser la situation. En effet, il avait reconnu avoir mis la main sur la nuque de son agresseur puis lui avoir proposé d’aller dehors « dans le but de s’expliquer », respectivement d’aller dehors si C.__ voulait lui « casser la gueule ». En outre, il lui avait demandé « de la fermer physiquement ».

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a réduit de 50% les indemnités journalières allouées à l’assuré au motif qu’il avait participé à une bagarre.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a retenu que les conditions de l’art. 49 al. 2 let. a OLAA étaient remplies, sur la base notamment du dossier des procédures pénales, comprenant entre autre une vidéo de l’altercation. Selon les juges cantonaux, vu les propositions claires de se battre, il était difficile de prétendre que l’assuré n’était pas impliqué dans une situation de bagarre. Quant au geste de l’assuré sur la nuque de son agresseur, il tendait à démontrer une certaine animosité et agressivité, et constituait le premier comportement physique de l’altercation. En conclusion, l’assuré ne pouvait ignorer qu’il participait à une discussion de bar de nature à dégénérer en empoignade physique. Son comportement était en outre dans une relation de causalité avec les lésions subies, dès lors que la bagarre s’était inscrite dans une progression de la tension entre les protagonistes sans que le comportement de l’un ou de l’autre ne l’interrompe.

Par jugement du 23.06.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu notamment en cas de participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a).

La notion de participation à une rixe ou à une bagarre est plus large que celle de l’art. 133 CP. Pour admettre l’existence d’une telle participation, il suffit que l’assuré entre dans la zone de danger, notamment en participant à une dispute. Peu importe qu’il ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute : il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger. En revanche, il n’y a pas matière à réduction en cas de légitime défense ou plus généralement lorsque l’assuré se fait agresser physiquement, sans qu’il y ait eu au préalable une dispute, et qu’il frappe à son tour l’agresseur dans un mouvement réflexe de défense (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3 e éd. 2016, n. 418 et 419).

Par ailleurs, il doit exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident ou si la provocation n’est pas de nature, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, à entraîner la réaction de violence, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il convient de déterminer rétrospectivement, en partant du résultat qui s’est produit, si et dans quelle mesure l’attitude de l’assuré apparaît comme une cause essentielle de l’accident (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2 p. 320). A cet égard, les diverses phases d’une rixe, respectivement d’une bagarre, forment un tout et ne peuvent être considérées indépendamment l’une de l’autre (arrêt 8C_600/2017 du 26 mars 2018 consid. 3).

En l’espèce, il est incontestable qu’une dispute a précédé les coups portés à l’assuré. Même si l’assuré entendait exprimer un ras-le-bol et tourner en dérision la situation en suggérant à C.__ d’aller dehors « pour s’expliquer », il n’en reste pas moins que de telles paroles contribuaient davantage à envenimer la situation qu’à l’apaiser. Même si les intéressés se connaissaient bien et n’étaient pas d’un naturel violent, l’assuré ne pouvait ignorer que la dispute risquait de dégénérer compte tenu des références explicites à la possibilité d’en venir aux mains. Si l’objet de la dispute n’est pas clair, la séquence vidéo permet toutefois de retenir que le mouvement de bras exécuté pour atteindre la nuque de C.__ est trop brusque pour être perçu comme un geste d’amitié ou l’expression d’une volonté d’apaisement. Ce dernier s’est d’ailleurs immédiatement levé et a repoussé de ses mains l’assuré. Enfin, l’ensemble de ces éléments (l’échange verbal houleux, le geste de l’assuré et la réaction provoquée) font partie intégrante de l’altercation. Au vu des circonstances, le « coup de sang » invoqué par l’assuré à propos de son agresseur ne saurait constituer une circonstance tout à fait exceptionnelle ou si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre. Cela étant, il n’y a eu aucune interruption du lien de causalité adéquate entre le comportement de l’assuré et le résultat qui est survenu (sur cette notion cf. ATF 134 V 340 consid. 6.2 p. 349; 133 V 14 consid. 10.2 p. 23; 130 III 182 consid. 5.4 p. 188; voir également, pour un cas où une interruption de la causalité adéquate a été admise, l’arrêt 8C_363/2010 du 29 mars 2011 et, concernant la même affaire, au plan civil, l’arrêt 4A_66/2010 du 27 mai 2010).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_575/2017 consultable ici : https://bit.ly/2GDBsGr

 

 

8C_471/2017 (f) du 16.04.2018 – Revenu d’invalide selon l’ESS – 16 LPGA / Assuré monomanuel – Prise en compte de la ligne « total secteur privé » et non du secteur 3 « Services » uniquement / Abattement de 10% pour un monomanuel (main non dominante)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_471/2017 (f) du 16.04.2018

 

NB : la Cour a statué à 5 juges ; le jugement a fait l’objet d’une séance publique

Consultable ici : https://bit.ly/2khhski

 

Revenu d’invalide selon l’ESS / 16 LPGA

Assuré monomanuel – Prise en compte de la ligne « total secteur privé » et non du secteur 3 « Services » uniquement

Abattement de 10% pour un monomanuel (main non dominante)

 

Assuré, né en 1958 (cf. jugement cantonal), barman dans un dancing, a été victime d’une agression sur son lieu de travail le 14.02.2012, lors de laquelle il a subi une fracture P2 D4 de la main gauche, nécessitant une réduction ouverte et une ostéosynthèse par deux vis de compression. L’évolution s’est compliquée d’une algoneurodystrophie de Südeck. L’assuré a été licencié avec effet au 31.10.2012.

L’assurance-accidents a confié une expertise à un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et chirurgie de la main. Dans son rapport du 18.12.2012, ce médecin a indiqué que le cas n’était pas encore stabilisé. L’activité de barman n’était pas exigible au moment de l’expertise. A plein temps, seule une activité de surveillance ou de télésurveillance était envisageable. L’assuré était par ailleurs limité dans toutes les activités nécessitant les mouvements répétitifs, l’habileté manuelle fine et les efforts de la main gauche. Le pouce et l’index de la main gauche pouvaient cependant être utilisés dans certaines activités bi-manuelles ponctuelles.

L’assuré a séjourné à la Clinique E.__ du 24.07.2013 au 28.08.2013. Dans leur rapport, les médecins de la clinique E.__ ont retenu les limitations fonctionnelles provisoires suivantes : activités de dextérité fine avec la main gauche, activités nécessitant une force de serrage avec la main gauche ainsi que le port de charges et les mouvements répétitifs de la main gauche. Selon ces médecins, la situation n’était pas stabilisée du point de vue médical. Le pronostic de réinsertion dans l’ancienne activité était jugé défavorable ; en revanche il était favorable dans une activité respectant les limitations fonctionnelles précitées.

Dans un rapport du 14.07.2015, le médecin-expert, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et chirurgie de la main, n’a constaté aucune amélioration depuis sa précédente expertise et a indiqué que l’état de santé devait désormais être considéré comme stabilisé.

Par une décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué une indemnité pour une atteinte à l’intégrité de 15% et a refusé d’allouer une rente d’invalidité, au motif que le taux d’invalidité présenté par l’assuré était inférieur à 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2016 134 – consultable ici : https://bit.ly/2KKUj4G)

La juridiction cantonale a retenu que l’assuré avait droit à une rente de l’assurance-accidents fondée sur un degré d’invalidité de 21%.

Pour fixer le revenu d’invalide, la juridiction cantonale s’est référée au salaire découlant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) 2012, tableau TA1, niveau de compétences 1 pour les hommes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples dans le secteur privé 3 des services. Elle a adapté ce montant compte tenu du temps de travail hebdomadaire moyen dans les entreprises en 2014 et de l’évolution moyenne des salaires et a retenu un revenu annuel de 60’504 fr. 20. Elle a en outre opéré une déduction de 15% sur le salaire statistique pour tenir compte des limitations liées au handicap et a retenu un revenu d’invalide de 51’428 fr. 55. Comparé à un revenu sans invalidité de 64’723 fr. (non contesté), le taux d’incapacité de gain s’élevait à 21%.

Par jugement du 17.05.2017, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Revenu d’invalide selon l’ESS

Selon la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, la jurisprudence considère que le revenu d’invalide peut être évalué sur la base des statistiques salariales (ATF 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475; 126 V 75 consid. 3b/aa p. 76 et les références). Dans ce cas, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table ESS TA1, à la ligne « total secteur privé » (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa p. 323). Toutefois, lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Tel est notamment le cas lorsque avant l’atteinte à la santé, l’assuré a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et qu’une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte (arrêt 9C_237/2007 du 24 août 2007 consid. 5.1, non publié in ATF 133 V 545).

Il est vrai que l’assuré a travaillé exclusivement dans le secteur de la restauration au cours des trente-cinq années ayant précédé son accident, le plus souvent comme barman. Cependant, on ne voit pas qu’une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. En effet, il ressort de l’expertise du spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et chirurgie de la main que dans un poste adapté où il utilise principalement sa main droite dominante et accessoirement les deux premiers doigts de sa main gauche, l’assuré pourrait théoriquement retrouver une certaine capacité de travail. Dans une activité purement monomanuelle droite, il pourrait travailler normalement, par exemple dans un poste de surveillance ou de télésurveillance.

Pour le salaire d’invalide, il y a dès lors lieu de se référer à la ligne « total » du tableau TA1, à savoir un revenu mensuel moyen de 5’210 fr. pour les hommes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples.

 

Abattement

L’étendue de l’abattement (justifié dans un cas concret) constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72 s., 132 V 393 consid. 3.3 p. 399), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (cf. ATF 130 III 176 consid. 1.2 p. 180). Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans le cadre de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juges des assurances sociales ne peut, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration ; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 126 V 75 consid. 6 p. 81).

La juridiction cantonale a considéré qu’il y avait lieu de retenir, en lieu et place de l’abattement de 10% auquel avait procédé l’assurance-accidents, un abattement de 15%, au vu du fait que seule une activité légère était possible et que l’assuré était limité dans toutes les activités nécessitant les mouvements répétitifs ainsi que l’habileté manuelle fine et les efforts de la main gauche.

Dans sa décision sur opposition, l’assureur-accidents avait justifié la prise en considération d’un abattement de 10% en se référant aux limitations liées au handicap (difficultés pour un droitier de fléchir 3 doigts de la main gauche), jugeant l’assuré apte à exercer une activité adaptée à plein temps sans diminution de rendement, notamment dans une activité dans la production industrielle légère ou dans les services. Un abattement de 10% tient suffisamment compte des limitations présentées par l’assuré et la juridiction cantonale n’apporte aucun motif pertinent pour substituer sa propre appréciation à celle de l’administration.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_471/2017 (la Cour a statué à 5 juges ; le jugement a fait l’objet d’une séance publique) consultable ici : https://bit.ly/2khhski

 

 

9C_202/2018 (f) du 23.04.2018 – destiné à la publication – Conditions de l’assurance obligatoire des soins dans la prise en charge des prestations en cas de maternité – 29 al. 2 LAMal – 64 al. 7 LAMal / Prestations spécifiques en cas de maternité – 13 ss OPAS / Notion et définition de la maternité – 5 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_202/2018 (f) du 23.04.2018, destiné à la publication

 

Consultable ici : https://bit.ly/2J0skRi

 

Conditions de l’assurance obligatoire des soins dans la prise en charge des prestations en cas de maternité / 29 al. 2 LAMal – 64 al. 7 LAMal

Prestations spécifiques en cas de maternité / 13 ss OPAS

Notion et définition de la maternité / 5 LPGA

Distinction entre « grossesse à risque » et « grossesse pathologique »

Différence de traitement entre les femmes en fonction de l’avancement de leur grossesse

 

Le 3 février 2017, alors qu’elle était enceinte, l’assurée s’est rendue aux urgences d’une clinique en raison de pertes sanguines et de fortes douleurs abdominales. Une grossesse extra-utérine a été diagnostiquée et un suivi médical a eu lieu jusqu’au 10.03.2017. Les coûts des prestations dispensées dans ce cadre ont été réglés par la caisse-maladie, en sa qualité de tiers payant, pour un montant total de 1’654 fr. 40 ; celle-ci en a ensuite réclamé le remboursement à l’assurée au titre de la participation aux coûts, la franchise annuelle s’élevant à 2’500 fr. en 2017.

L’assurée a contesté les décomptes de prestations et nié être tenue de s’acquitter de la participation aux coûts dès lors qu’il s’agissait de prestations dispensées dans le cadre d’une grossesse extra-utérine. La caisse-maladie a confirmé sa position par décision, confirmée sur opposition, indiquant que les soins prodigués du 03.02.2017 au 10.03.2017 ne s’inscrivaient pas au sein des prestations spécifiques de maternité prévues par la loi, et que dans la mesure où ils avaient été dispensés avant la treizième semaine de grossesse, l’assurée ne pouvait pas être exemptée du paiement de la franchise et de la quote-part afférentes aux coûts en ayant résulté.

 

Procédure cantonale (arrêt AM 62/17 – 3/2018 – consultable ici : https://bit.ly/2GEERF1)

Par jugement du 15.01.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Conditions de l’assurance obligatoire des soins dans la prise en charge des prestations en cas de maternité

Selon l’art. 29 al. 1 LAMal, l’assurance obligatoire des soins prend en charge, en plus des coûts des mêmes prestations que pour la maladie, ceux des prestations spécifiques de maternité. Ces prestations comprennent, selon l’alinéa 2, les examens de contrôle, effectués par un médecin ou une sage-femme ou prescrits par un médecin, pendant et après la grossesse (let. a), l’accouchement à domicile, dans un hôpital ou dans une maison de naissance ainsi que l’assistance d’un médecin ou d’une sage-femme (let. b), les conseils nécessaires en cas d’allaitement (let. c) et les soins accordés au nouveau-né en bonne santé et son séjour, tant qu’il demeure à l’hôpital avec sa mère (let. d).

Le Conseil fédéral, chargé d’édicter les dispositions d’exécution de la loi (art. 96 LAMal) et de désigner les prestations (art. 33 LAMal), a délégué cette compétence, pour autant qu’elle concernait les prestations visées à l’art. 29 al. 2 let. a et c LAMal, au Département fédéral de l’intérieur (art. 33 let. d OAMal). Celui-ci a édicté le 29 septembre 1995 l’ordonnance sur les prestations dans l’assurance obligatoire des soins en cas de maladie (OPAS). Les prestations spécifiques en cas de maternité sont réglées aux art. 13 à 16 OPAS (examens de contrôle, préparation à l’accouchement, conseils en cas d’allaitement et prestations des sages-femmes).

D’autre part, selon l’art. 64 al. 7 LAMal (voir aussi les art. 104 al. 2 let. c et 105 OAMal), l’assureur ne peut exiger aucune participation aux coûts des prestations désignées à l’art. 29 al. 2 LAMal (let. a); le même principe s’applique aux prestations visées aux art. 25 et 25a LAMal qui sont fournies à partir de la treizième semaine de grossesse, pendant l’accouchement, et jusqu’à huit semaines après l’accouchement (let. b).

 

Notion et définition de la maternité

La notion de maternité au sens de l’art. 5 LPGA, en relation avec les art. 1a al. 2 let. c et 29 LAMal, se réfère à un phénomène du processus vital ordinaire ; contrairement à la maladie (art. 3 LPGA), il ne s’agit pas d’une atteinte à la santé. Selon cette conception, les prestations spécifiques de maternité, qui sont exhaustivement énumérées à l’art. 29 al. 2 LAMal, et dont le contenu est précisé aux art. 13 à 16 OPAS, sont destinées à assurer le bon déroulement de cette éventualité. En particulier, les examens de contrôle prévus à l’art. 13 OPAS ont pour objet de permettre une surveillance médicale de la grossesse, cela dans le but de prévenir la survenance de complications éventuelles susceptibles d’altérer la santé de la mère et/ou celle de l’enfant à naître ; il s’agit ainsi de mesures prophylactiques, qui sont accordées en raison de l’état de grossesse de l’assurée et dont la prise en charge intervient en dehors de toute indication médicale. De tels examens conservent leur caractère de prestations spécifiques de maternité, sans égard au point de savoir si la grossesse de l’assurée est normale, à risque ou pathologique. Le traitement médical appliqué à une atteinte à la santé décelée lors d’un tel examen relève, en revanche, des prestations en cas de maladie au sens des art. 25 et 29 al. 1 LAMal, avec pour conséquence que les coûts afférents à celui-ci donnent lieu à la perception de la participation aux coûts si le traitement intervient avant la treizième semaine de grossesse, conformément à l’art. 64 al. 7 let. b LAMal (cf. ATF 127 V 268 consid. 3 p. 271 ss; 112 V 303 consid. 1b p. 305; 97 V 193; arrêts K 101/06 du 3 novembre 2006 consid. 3, K 157/01 du 16 juin 2004 consid. 6 et K 14/01 du 14 octobre 2002 consid. 2, concernant tous l’art. 64 al. 7 LAMal dans sa teneur en vigueur jusqu’au 28 février 2014; cf. également STÉPHANIE PERRENOUD, La protection de la maternité, Etude de droit suisse, international et européen, 2015, p. 606 ss).

Bien que la maternité ne soit pas considérée comme étant une maladie, l’art. 29 al. 1 LAMal assimile cette éventualité à la maladie sous l’angle du droit aux prestations. Cette assimilation signifie que lorsque la maternité est perturbée par l’apparition de complications ou de troubles nécessitant un traitement médical, ceux-ci doivent être considérés comme une maladie (on parle alors de grossesse pathologique) ; les traitements ainsi occasionnés relèvent des prestations générales en cas de maladie au sens de l’art. 25 LAMal (par renvoi de l’art. 29 al. 1 LAMal). Tel est le cas, par exemple, des traitements destinés à éviter un accouchement prématuré ou une fausse couche (cf. ATF 127 V 268; arrêts K 101/06 du 3 novembre 2006 consid. 3.2 et 4.1 et K 14/01 du 14 octobre 2002 consid. 2.2).

La distinction entre les prestations spécifiques de maternité (art. 29 al. 2 LAMal) et les prestations en cas de maladie allouées en cas de complications survenant pendant la grossesse (art. 25 et 29 al. 1 LAMal) est importante sous l’angle du principe de la participation aux coûts. Alors que les prestations spécifiques de maternité au sens de l’art. 29 al. 2 LAMal sont exemptées de la participation aux coûts, sans égard au moment auquel elles sont fournies (art. 64 al. 7 let. a LAMal), les prestations en cas de maladie ne bénéficient de ce privilège que si elles sont dispensées à partir de la treizième semaine de grossesse, pendant l’accouchement, et jusqu’à huit semaines après l’accouchement (art. 64 al. 7 let. b LAMal).

 

Distinction entre « grossesse à risque » et « grossesse pathologique »

La grossesse à risque, soit celle dont le bon déroulement est susceptible d’être perturbé par l’apparition de complications, ne constitue pas une maladie ; elle est assimilée à une grossesse normale et entre dans la notion de maternité au sens des art. 5 LPGA, 1a al. 2 let. c et 29 LAMal (K 14/01 du 14 octobre 2002 consid. 2.3.2; cf. aussi PERRENOUD, op cit., p. 94). Si la grossesse à risque permet de prétendre la prise en charge d’un nombre plus élevé d’examens de contrôle qu’une grossesse normale – lesquels s’inscrivent au sein des prestations spécifiques de maternité (cf. art. 29 al. 2 let. a LAMal et art. 13 OPAS) -, les mesures prophylactiques nécessaires afin, par exemple, d’éviter une naissance avant terme, en revanche, sont des prestations en cas de maladie (art. 25 et 29 al. 1 LAMal; consid. 3.3 supra). Il en va de même des traitements médicaux occasionnés par une atteinte à la santé décelée lors d’un examen de contrôle au sens de l’art. 13 OPAS (consid. 3.2 supra).

La grossesse extra-utérine (ou grossesse ectopique) se caractérise par l’implantation et le développement de l’ovule fécondé hors de l’utérus (Pschyrembel, Klinisches Wörterbuch 2017, 267e éd., p. 551; cf. aussi BUSS JAN/STUCKI DAVID, La grossesse ectopique: un challenge de diagnostic et de traitement, Schweiz Med Forum 2005 p. 519 ss), soit par un phénomène qui vient perturber le bon déroulement de la maternité. Cette complication provoque la mort de l’embryon après quelques semaines et met en danger la santé de la femme en raison du risque d’hémorragie interne qui l’accompagne. D’après la Classification internationale des maladies (CIM-10), une grossesse extra-utérine est considérée comme une « grossesse se terminant par un avortement » (O00-O08 CIM-10). Le suivi médical et les traitements nécessités par une grossesse extra-utérine, afin notamment de permettre l’évacuation de l’embryon, sortent ainsi du cadre d’un examen de contrôle selon l’art. 13 OPAS. Un tel examen a en effet pour finalité de déceler des éventuelles complications ou anomalies susceptibles de se produire ; or, en cas de grossesse extra-utérine, la complication est déjà survenue et c’est précisément son apparition qui nécessite une consultation médicale. Dans la mesure où la complication (soit, le risque) s’est déjà réalisée, une grossesse extra-utérine ne peut donc pas être considérée comme une grossesse à risque ; il s’agit à l’inverse d’une grossesse pathologique. L’assurée relève d’ailleurs elle-même que la grossesse extra-utérine constitue une « menace » en raison de la « croissance d’un embryon mal placé dans [s]on abdomen », ce qui constitue une anomalie. Elle indique en outre également que sa grossesse a dû être interrompue médicalement, au moyen de l’injection d’un médicament, et que cette prestation sort du cadre des prestations spécifiques de maternité et ne tombe pas sous le coup de l’exemption de la participation aux coûts au sens de l’art. 64 al. 7 let. a LAMal.

Par ailleurs, les prestations fournies ne s’inscrivent pas au sein des examens de contrôle au sens de cette disposition. En effet, si l’assurée s’est rendue aux urgences de la clinique le 03.02.2017, ce n’était pas dans le but de procéder à un examen de contrôle du bon déroulement de sa grossesse, mais afin de diagnostiquer et traiter les saignements et fortes douleurs abdominales qu’elle présentait ; il s’agissait donc bien de traiter une anomalie déjà apparue.

 

Différence de traitement entre les femmes en fonction de l’avancement de leur grossesse

A la suite de la juridiction cantonale, il faut admettre que l’assurée ne peut rien tirer en sa faveur du principe d’égalité. Dans la mesure où celui-ci est invoqué en relation avec l’égalité des sexes, il n’est d’emblée pas pertinent dans le contexte de la maternité compte tenu des différences biologiques entre les femmes et les hommes.

Bien qu’il ne soit pas contesté que l’art. 64 al. 7 LAMal traite de manière différente les femmes dont la grossesse est perturbée par l’apparition de complications durant les douze premières semaines par rapport à celles dont la grossesse se déroule sans problème, et que les premières sont défavorisées par rapport aux secondes sous l’angle de l’obligation de participer aux coûts des prestations dispensées, il appartient au législateur, et non pas au juge, d’apporter les éventuels correctifs qu’il pourrait considérer nécessaires. De tels amendements ne sauraient être opérés dans le cadre de l’examen ultérieur d’un cas d’application concret, dans la mesure où l’art. 190 Cst. oblige le Tribunal fédéral et les autres autorités à appliquer lesdites dispositions légales, mêmes si elles devaient se révéler anticonstitutionnelles (ATF 140 I 353 consid. 4 p. 358).

Le traitement différent des femmes durant les douze premières semaines de grossesse, selon que cette dernière s’accompagne ou non de complications, introduit par l’art. 64 al. 7 LAMal en relation avec l’art. 29 LAMal, quant à l’obligation de participer aux coûts des prestations dont elles bénéficient, ne peut être que constaté mais pas corrigé par le Tribunal fédéral. Le texte légal de l’art. 64 al. 7 LAMal est effectivement clair et correspond à la volonté univoque du législateur de n’exempter l’assurée de l’obligation de participer aux coûts, pendant les douze premières semaines de grossesse, que s’il s’agit de prestations spécifiques de maternité au sens de l’art. 29 al. 2 LAMal. A l’inverse, les traitements de complications telles que des avortements spontanés ou des grossesses extra-utérines qui surviennent avant la treizième semaine de grossesse ne sont pas visés par cette exemption ; ceux-ci constituent en effet des frais de maladie (application de l’art. 25 LAMal, par renvoi de l’art. 29 al. 1 LAMal), ce qui entraîne l’obligation de l’assurée de participer aux coûts des prestations dont elle bénéficie à ce titre (art. 64 al. 7 let. b LAMal). Selon les travaux préparatoires, cette réglementation est justifiée par le fait que le début de la grossesse ne peut être constaté qu’ultérieurement et qu’il se peut que l’assureur ait déjà prélevé une participation aux coûts pour des traitements lorsqu’il apprend que l’assurée est enceinte (Rapport de la CSSS-E du 11 février 2013 op. cit., FF 2013 2191, ch. 2, 2194). La disposition répond ainsi à la volonté du législateur d’empêcher que des prestations pour lesquelles l’assureur pourrait avoir déjà prélevé la participation aux coûts ne soient exemptées après coup, au vu de la charge administrative disproportionnée qui en résulterait.

On peut néanmoins comprendre que l’assurée considère le refus qui lui a été adressé comme une forme d’injustice envers les femmes qui sont confrontées à l’épreuve d’une grossesse extra-utérine ou d’une autre complication entraînant la nécessité de traitements médicaux avant la treizième semaine de grossesse. Il n’existe toutefois pas un principe général selon lequel l’Etat devrait assumer la prise en charge collective de l’ensemble des aléas de la vie, un régime social d’assurance n’étant matériellement pas à même de répondre à tous les risques et besoins sociaux. Le contenu et les conditions de l’intervention de l’Etat sont définis en première ligne par le législateur, en fonction des objectifs de politique sociale que celui-ci se fixe. Il n’appartient par conséquent pas au Tribunal fédéral de s’immiscer dans des compétences qui relèvent du législateur fédéral (cf. ATF 139 I 257 consid. 5.2.3 p. 262).

 

C’est ainsi à juste titre que la juridiction cantonale a considéré que l’assurée n’a pas bénéficié de prestations spécifiques de maternité et que l’exemption de la participation aux coûts prévue par l’art. 64 al. 7 let. a LAMal ne pouvait dès lors pas trouver application. Dans la mesure où les traitements en cause sont des prestations en cas de maladie et qu’ils ont été dispensés avant la treizième semaine de grossesse, ils ne sont pas non plus visés par l’exemption de la participation aux coûts consacrée par l’art. 64 al. 7 let. b LAMal.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_202/2018 consultable ici : https://bit.ly/2J0skRi